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Albert Failler

Pachymeriana alia
In: Revue des études byzantines, tome 51, 1993. pp. 237-260.

Résumé
REB 511993 France p. 237-260
A. Failler, Pachymeriana alia. Trois questions concernant, autant de passages de l'Histoire de Georges Pachymérès sont
examinées dans l'article : 1. Une crue du Sangarios en 1302 (Histoire, X, 25 : Bonn, II, p. 330.12-332.2) ; 2. Un plan de
confiscation de pronoiai ecclésiastiques et militaires en 1303 (Histoire, XI, 9 : Bonn, II, p. 390.2-11) ; 3. La prise de la forteresse
de Rhodes par les Hospitaliers en août 1310 (ce troisième point se réduisant à un court additif à un précédent article : REB 50,
1992, p. 113-135).

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Failler Albert. Pachymeriana alia. In: Revue des études byzantines, tome 51, 1993. pp. 237-260.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1993_num_51_1_1880
PACHYMERIANA ALIA

Albert FAILLER

Le présent article, qui t'ait suite à trois études précédentes de même


nature ', traite de quelques problèmes d'interprétation textuelle posés
par l'Histoire de Georges Pachymérès. Trois sujets seront ainsi abor
dés, dont le seul dénominateur commun est de se rapporter à une
même source :
1. Une crue du Sangarios en 1302.
2. Un projet de confiscation de pronoiai ecclésiastiques et militaires
en 1303.
3. La prise de la forteresse de Rhodes par les Hospitaliers en août
1310.
Le dernier chapitre n'est qu'une brève note additionnelle à un pré
cédent article. Quant aux deux premiers chapitres du présent article,
ils portent sur deux passages de l'Histoire qui ont donné lieu à des
interprétations divergentes. Si le sens du premier passage semble pou
voir être établi de manière définitive, à quelques nuances de significa
tion près pour quelques termes, il n'en va pas de même pour le
second : une nouvelle «analyse grammaticale et logique» permet
d'établir une version satisfaisante du texte, sans qu'il soit nécessaire,
comme l'ont cru de manière à peu près unanime ceux qui se sont,
intéressés à ce passage de l'Histoire, d'apporter aucune correction aux
leçons conservées par les manuscrits, mais la signification de certains
mots et la portée de la mesure administrative annoncée restent par
tiel ement- voilées.

I. Uni-; cm; κ ι>γ San<;amos kn 1302

Dans le long chapitre 25 du livre X (« Défaite de l'hétériarque Mou-


zalôn à Nicomédie»), Georges Pachymérès rapporte la défaite subie

I. Parliymenana quatrain. HEB 111. VM>. p. I <S7- 1 '.-)'.); PacliN mcnana altéra. HEB
M\. l'ISS, p. (J7-S;{; l\ieli\ menana nuva. HEB Γ.). Γ.ΜΜ. μ. Ι7Ι-19Γ).

Revue des Études Byzantines 51. 1993. p. 237-260.


238 Λ. PAILLER

par les troupes byzantines à Bapheus, près de Nicomédie, le 27 juillet


1302. De prime abord, on ne voit pas pourquoi se trouve inséré ici le
récit des faits et gestes d'Ali Amourios, puisque l'historien affirme
qu'il ne prit nullement part à la bataille qui va être décrite, même s'il
commençait à jalouser son voisin Atman (Osman), le vainqueur de
Bapheus, et s'il était tenté de prendre lui aussi sa part du butin, en
s'avançant vers l'ouest, en Bithynie. Le rapprochement que fait
Georges Pachymérès a d'ailleurs égaré les historiens, dont certains ont
conclu qu'Ali Amourios avait prêté main forte à Atman lors de cette
bataille, qui est considérée comme décisive pour l'avancée des Otto
mans en terre byzantine. En fait, l'historien entend donner un
Lableau général de la situation qui existait en deçà du Sangarios au
moment de la bataille de Bapheus; il montre qu'Ali Amourios,
contrairement à Atman, ne livra pas aux troupes byzantines un
combat d'envergure, mais s'avança en Bithynie grâce à une crue
imprévue du Sangarios.
Pour l'essentiel, le texte est édité correctement par P. Poussines, et
la nouvelle édition y apportera peu de changements, comme on peut
l'observer en confrontant avec la version de l'édition de Bonn'2 le
texte qui va suivre. Cependant, le sens n'apparaît pas de manière
évidente, et la paraphrase de P. Poussines qui fait office de traduction
n'aide pas à la compréhension de l'original et contient même quelques
erreurs évidentes d'interprétation. La traduction qui sera donnée du
passage permettra d'en présenter une première analyse, mais la tr
aduction demande à son tour de nouveaux éclaircissements, qui seront
regroupés dans le commentaire qui la suivra.
Voici le texte3 :
[1] Ώς γάρ, πέραν Σαγγάρεως διατριβών, τοις άνα τούτον φρουρίοις ισχυρώς
άντεκρούετο, α δη φΟάσας ό βασιλεύς συνώκισε Μιχαήλ και σταυροΐς μηκίστοις
εκ δένδρων άξινοκοπηθέντων μεταξύ κατωχύρωσε, μέχρι και ες εκατόν πόδας
τό εντός πλάτος άβατον καταστήσας, ώς έν τοις πρώτοις λόγοις έλέγομεν, και
ην τω Πέρση στερρόν εντεύθεν κώλυμα τό της καταδρομής, κρονίου μηνός εκ
του παραχρήμα ό ποταμός μετοχετεύεται και ζητεί την πάλαιαν κοίτην, καθ' ην
και ή 'Ιουστινιάνειος Πεντεγέφυρα. [2] "Υστερον δέ, μετοχετευΟέντος του
ποταμού, τον εξ εκείνου Μέλανα ύπεδέχετο, ου τόσον οντά, άλλ' ίκανόν τέως
και τούτον εκ βάθους αυτάρκους την τών εχθρών άποκωλύειν εφοδον. [3] Τότε
τοίνυν εξ ομβρων ό Σάγγαρις πλημμυρησας της ιδίας μεταίρει και αύθις κοίτης,
ης έκ παλαιού ποτ' έκκοιτισθείς έπελάβετο, και προς την προτέραν άνέτρεχε,

2. Histoire, Χ, 2Γ> : Bonn, 11, p. 'XUVKiXl2.


'Λ. Pour les besoins de la traduction et du commentaire, lo texte a été divisé en
courts segments, correspondant, chacun à une phrase du texte grec.
I'ACHYMIiHlANA ALIA 239

και ου μεν άπέστη, περαιοΰσθαι και τω τυχόντι παρεΐχεν, ού δ' έπελάβετο


πλημμύρων, μη ο γ' εκ της πλημμύρας βάθος έδίδου τω ρεύματι, άλλα και χουν
εκ μιλτοπαρήων ορέων κατάγων και χέραδος ίκανόν προσεχών, και πόρον
έτίθει τω περάν θέλοντι. [4] Τω το ι και οι εν τοις πέραν φρουρίοις συνωκη-
κότες, την ξένην έκείνην ΐδόντες μετάστασιν και γνόντες εν χρω κινδύνου
γενόμενοι, άπανίσταντο. [5] Ού μην δ' αύθις επί πολύ το σχήμα τοΰτο τω
άλλ'
ποταμώ ην, ες μήνα προσχώσας μόνον ύπέστρεφε. [6] Και ην ή μεν έκ του
παλαιού άποχώρησις και τής των εν τοις φρουρίοις φυγής και της τών εχθρών
διαπεραιώσεως προφανής αιτία, τω περάν άνέδην τους βουλομένους " ή δ' έξ
ύπογύου έσαΰθις άνθυποστροφή τοις κάν τούτω περώσιν εύθέτησις ' τω περάν
δια τής προσχώσεως. [7] Ταΰτα γεγόνει έκ παραδόξου, και βασιλεΐ ήγγέλλετο
δτι πλήρες εχθρών το μεσόγαιον, ει και Άλής Άμούριος ε'ιρήνην και ες τόδε
σχηματιζόμενος εφησύχαζε τέο^ς.

La version brève de l'Histoire n'est d'aucune utilité pour l'inte


lligence de ce passage, car le rédacteur, qui a pour habitude de négliger
les développements rhétoriques et les descriptions, contracte le récit
en quelques phrases brèves. On remarquera seulement que l'informa
tion finale est assez étrange et ne se trouve pas dans l'original.
Voici le texte : "Ομως έκωλύετο [ό Άλής Άμούριος] υπό τών φρουρίων
τών άπό του ετέρου μέρους Σαγγαρεως όντων ' εις βάθος γαρ ερρεεν ίκανόν.
"Ενθα δη ην πόρος, έκεΐσε φρούριον ό βασιλεύς Μιχαήλ καθίστα, ώς ήδη
πρότερον εϊπομεν, και ξύλα μεγάλα κατακλείσας, τους πόρους ώχύρωσεν, και
κώλυμα ην τοΰτο μέγα του Πέρσου. Μαρτίου δε μηνός πλημμυρεΐ ό ποταμός
και διαμερίζεται καί, νομας ποιήσας, ερρεεν εις πολλά μέρη τμηθείς · κάντεΰθεν
τήν διάβασιν ευκολον παρείχε καί τω τυχόντι. Τοΰτο ίδόντες οι έν τοις έκεΐσε
φρουρίοις καί όργήν του θεοΰ τοΰτο ύπονοήσαντες, αφέντες τα έκεΐσε, τήν
Μακεδονίαν περώσι. Καί Άμούριος μεν ό Άλής, σπονδάς έχων τάχα μετά του
βασιλέως, έφησύχαζεν.

Voici à présent une traduction littérale du passage de l'Histoire qui


a été transcrit plus haut :
[1 Kn effet, demeurant au-delà du Sangarisr\ il [Ali Amourios] se heurtait,
|

à une vive opposition de la part des forteresses situées sur le fleuve; l'empe
reurMichel les avait relevées auparavant, et il avait, fortifié l'espace inte
rmédiaire avec des pieux très longs tirés d'arbres coupés à la hache, en rendant

4. C'est la seule correction import ante apportée au texte de la premier*' édition :


P. Poussines avait malencontreusement transformé le substantif des manuscrits
(εύθέτησος) en verbe (εύΟέτησε). Ι .a syntaxe faisait dès lors difficulté, sans masquer toutef
oisle sens du passade.
Γ). J'ai tea nié dans la traduction la l'orme plus littéraire employée, de manière
const aille, par (îeorires Pachymérès Σάγναρ'.;. au heu de la forme Σανγάρ'.ο: (actuel
:

Sakarya). qui esl plus commune.


240 Λ. FAILLER

infranchissable jusque sur une largeur de cent pieds l'espace situé en deçà du
fleuve, comme nous l'avons dit dans les premiers discours6, et c'était dès lors
pour le Perse un solide obstacle aux incursions ; là-dessus, au mois de mars, le
fleuve est soudain dérivé et recherche son ancien lit, sur lequel se trouve la
Pentégéphyra de Justinien. [2] Plus tard, une fois le fleuve dérivé, il [le Sanga-
ris] atteignit le Mêlas, son affluent, qui n'était pas si important, mais néan
moins capable lui aussi, grâce à une profondeur suffisante, d'empêcher l'irrup
tiondes ennemis. [3] Alors donc le Sangaris, qui avait débordé à cause des
pluies, se transporte à nouveau hors de son lit, qu'il avait occupé autrefois
après être sorti de son lit, et il regagna son premier lit; à l'endroit d'où il se
retira, il permit au premier venu de traverser, et à l'endroit qu'il occupa en
débordant il ne donna pas seulement au courant de la profondeur par son
débordement, mais, en entraînant des alluvions depuis les montagnes de
roches rouges et en amenant un gravier considérable, il procurait également
un passage à qui voulait traverser. [4] C'est pourquoi ceux qui étaient instal
lés dans les forteresses au-delà s'en allèrent, lorsqu'ils virent ce déplacement
insolite et comprirent qu'ils se trouvaient en danger. [5] Néanmoins cette
position ne fut pas à nouveau durable pour le fleuve, mais, après avoir amassé
des alluvions pendant un mois seulement, il s'en retourna. [6] D'un côté,
l'évacuation de son ancien lit était la cause manifeste et de la fuite de ceux
qui demeuraient dans les forteresses et de la traversée des ennemis, du fait
que ceux qui le voulaient traversaient librement; d'un autre côté, le nouveau
et subit retour en arrière facilitait la traversée, pour ceux qui traversaient
aussi en cet endroit, grâce au dépôt d'alluvions. [7] Cela arriva contre toute
attente, et on annonça à l'empereur que l'intérieur des terres était rempli
d'ennemis, même si Ali Amourios simulait jusque-là la paix et se tenait tran
quille pour le moment.

Il n'est pas certain que le lecteur, en parcourant cette traduction


littérale, aura saisi, au-delà du sens général, la portée précise de
chaque incidente. Aussi un commentaire phrase par phrase ne sera-t-il
pas inutile. L'emploi constant de pronoms, l'imprécision des termes,
qui donne d'ailleurs son ampleur au récit, la répétition ambiguë des
mêmes faits sous le couvert d'un vocabulaire différent, tout cela peut
égarer, surtout si l'on ignore la configuration du terrain. Il convient
de se reporter à une carte de la Bithynie pour suivre plus aisément les
mouvements successifs du fleuve tels qu'ils sont décrits par l'histo
rien.
[1] Le chapitre 25 du livre X commence par une longue digression
sur les faits et gestes d'Ali Amourios. L'émir turc, qui avait succédé à
son père Amourios une fois que celui-ci eut été exécuté par Mélèk
Masour, a été cité un peu plus haut dans l'Histoire7, dans un tableau
général qui montre l'avancée des Turcs en Asie Mineure. Dans le
présent chapitre, Georges Pachymérès veut simplement montrer
qu'Ali Amourios était contenu pour le moment au-delà du Sangarios

6. Histoire, VI, 29 : nouvelle edition, II, p. 632-637.


7. Histoire, X, 20 : Ποηη, [I, p. 3169.
PACIIYMERIANA ALIA 241

et qu'il ne pouvait pas attaquer de front, les troupes byzantines8,


lorsque l'exemple de son voisin Atman (Osman, le fondateur de la
dynastie ottomane), qui sévissait plus au sud, l'incita à avancer9. A
cette occasion, l'historien raconte longuement les faits et gestes d'Ali
Amourios, après la mort de son père 10 ; le même récit sera brièvement
repris plus loin, à propos, cette fois, des faits et gestes de son ennemi
Mélèk Masour11. On ne voit pas d'abord clairement pourquoi l'histo
rieninsère ici ce récit, puisqu'il finit par dire qu'Ali Amourios ne
collaborait pas, ou du moins pas encore, avec Atman, dont les vic
toires sur Mouzalôn forment la trame du chapitre.
En fait, Georges Pachymérès entend présenter un tableau général
de la situation en Bithynie12, montrer jusqu'à quel point les Turcs
s'étaient avancés et souligner que le fleuve Sangarios, frontière de
l'empire depuis des décennies, ne constituait plus une barrière infran
chissable, tant dans le nord, où la crue du fleuve permit à Ali Amour
ios de le traverser, que plus au sud, où Atman repoussait progressiv
ement l'armée byzantine et remontait de Nicée vers Nicomédie.
L'ennemi le plus dangereux et le plus actif est Atman, car — et là
commence la digression — , pour le moment, Amourios, son voisin du
nord, ne combat pas encore ouvertement les troupes impériales,
même si la crue du Sangarios va lui donner tout à coup une occasion
inespérée pour traverser le fleuve sans coup férir et pénétrer plus
avant en Bithynie. Et l'historien revient alors à l'activité d'Atman,
qui, précise-t-il, finira par inciter Ali Amourios à mener une guerre
ouverte. Mais ce ne sera que plus tard.
Au début de cette longue digression 1:i, l'historien montre qu'Ali
Amourios harcelait les forteresses qui se trouvent sur le Sangarios. On
sait, par un passage précédent de l'Histoire14, auquel l'historien se
réfère lui-même ici, que Michel VIII avait, d'une part, restauré les
anciennes forteresses ou construit de nouvelles défenses sur les deux
rives du fleuve15 et qu'il avait, d'autre part, créé une barrière imposs
ible à franchir en faisant abattre des arbres et en découpant les
troncs de manière à en faire des pieux plantés en terre, qui empê
chaient le passage sur une certaine longueur et sur une largeur de cent

«. Histoire, X, 25 Bonn, M, p. 3321 2.


:

<). Histoire, X, 25 Bonn, [I, p. 3322 5, p. 3335 9.


:

10. Histoire, X, 25 : Bonn, Π, p. 3271033010.


11. Histoire, XII, 22 : Bonn, II, p. 61225.
12. La (in du chapitre précédent (Histoire, X, 24 Bonn, II, p. 32619-3275) annonce
:

ce développemen (
.

13. Histoire. X. 25 Bonn. Il, p. 3279-3339.


11. Histoire. VI. 29 : nouvelle édition, p. 63525 29.
:

15. παρ' έκάτερα τοΰ ποταμού (ibidem, p. 63525).


242 Λ. FA1LLEH

pieds16. Cette action fut accomplie lors d'une campagne qu'on peut
dater, avec une grande probabilité, de l'été 1281 17. L'historien ne
précise pas si, au moment de la crue du Sangarios, toutes ces forte
resses résistaient encore, en particulier si les forteresses de la rive
droite étaient aux mains des troupes byzantines 18. Mais, alors que les
Turcs arrivaient à traverser le Sangarios avant la campagne de 1281,
ils furent longtemps retenus au-delà du fleuve grâce aux fortifications
exécutées par Michel VIII; c'est seulement vingt ans plus tard, en
1302, que la frontière devint à nouveau perméable, à cause précis
émentd'une crue subite du Sangarios.
Les deux passages de l'Histoire (livre VI et livre X) se complètent
et ne peuvent se comprendre l'un sans l'autre ; le commentaire que
j'ai fait du premier passage dans la nouvelle édition contient des
erreurs, précisément parce que je n'ai pas pris en compte les détails
nouveaux qu'apporte le second passage. Pour ce qui concerne la bar
rière que constituaient les arbres abattus sur la rive du Sangarios,
voici les deux passages qu'il faut rapprocher pour apprécier les divers
aspects de l'action de l'empereur et rendre compte de la nature des
mesures prises :
1. «Michel VI 11 ordonne de rassembler en grand nombre des bûcherons; il
fait mesurer le fleuve sur la longueur qu'il était nécessaire de fortifier et fait
calculer une largeur convenable [' suffisante ' serait une n.eilleure traduction :
πλάτος δε το ίκανόν], puis il ordonne de couper en hâte les arbres et de les faire
tomber l'un sur l'autre et de boucher ainsi l'endroit avec les branches des
arbres, de sorte qu'il soif à peu près impossible même à un serpent de pas
ser» l9 ;
2. «L'empereur Michel avait relevé auparavant les forteresses et il avait forti
fiél'espace intermédiaire [μεταξύ] avec des pieux20 très longs tirés d'arbres

16. Histoire, VI, 29 : nouvelle édition, p. 63531-6373.


17. A. Faim. er, Chronologie et composition dans l'Histoire de Georges Pachymérès,
REB 39, 1981, p. 245-246.
18. Il ne faut, sans doute pas se fier à l'interprétation du rédacteur de la version
brève, selon laquelle Ali Amourios était arrêté «par les forteresses qui se trouvaient sur
l'autre rive du Sangarios» (υπό των φρουρίων των άπό τοΰ έτερου μέρους Σαγγάρεως δντων) ; ce
passage est d'ailleurs ambigu, car on peut l'entendre ou de la rive gauche ou de la rive
droite (voir le passage de la version brève; qui est cité à la fin du présent chapitre). On
sait, grâce à un passage du livre VI (nouvelle édition, p. 63Γ)2526 : «II munit les deux
rives du fleuve de nombreuses forteresses ... »), que Michel VIII ne fortifia pas seulement
la rive gauche du Sangarios, mais également, la rive droite.
19. Histoire, VI, 29 (nouvelle édition, p. 63531-6372) : άξινηφόρους ές πολύ πλήθος
συναθροισθήναι κελεύει καί, μήκος μεν παραμετρήσας τοϋ ποταμού δσον ήν άναγκαΐον κατοχυροϋ-
σθαι, πλάτος δε το ίκανόν λογισάμενος, σπουδή τα δένδρα κόπτοντας, έπιτάττει έπικαταβάλλειν εν
έφ' ένί και ούτω καταπυκνώσαι τοις κλωσΐ τών δένδρων τον τόπον, ώς μηδ' οφιν οίον τ' είναι
σχεδόν διέρχεσθαι.
20. Le même mot est employé dans le même sens et, au pluriel en plusieurs autres
endroits de l'Histoire. On peut, les rappeler pour éclairer le passage :
ÎWCIIYMKHIANA ALIA 243

coupés à la hache, eu rendant infranchissable jusque sur une largeur de cent,


pieds (plus de trente mètres-1) l'espace situé en deçà du fleuve [το εντός
πλάτος] » ~~.
Autrement dit, et si les deux passages sont vraiment concordants : les
deux rives du fleuve étaient pourvues de forteresses23, la barrière
d'arbres ou de pieux se trouvait sur la rive gauche et occupait tout
l'espace intermédiaire entre les forteresses successives24. La rive
gauche était ainsi pourvue, sur une longueur qui n'est pas précisée,
d'un obstacle continu, qui n'est pas décrit de manière identique dans
les deux passages : selon le premier texte, il semble s'agir de branches
d'arbres tellement enchevêtrées et copieuses que même un serpent
n'aurait pu passer au travers; selon le deuxième passage, il s'agit
plutôt, d'un dense réseau de pieux plantés en terre et tirés des arbres
abattus à cet effet,. On peut considérer le premier texte comme moins
précis et penser que le second décrit plus exactement la nature de
l'obstacle qu'on oppose à l'ennemi : un front de pieux plantés en ferre
sur une grande largeur et occupant l'espace qui sépare les forteresses
les unes des autres.
Le dispositif tint en place durant vingt ans, jusqu'à la crue de 1302,
et le mérite en revient à Michel VIII. On peut sans doute négliger
l'action de son fils, Andronic II, contrairement à ce qu'on a voulu
avancer sur la foi d'un βασιλικός λόγος de Théodore Métochitès25.

1. σκηνικόν νεών..., σταυροΐς και σχοίνοις έρηρεισμένον (III, 3 = nouvelle édition,


ρ. 23515 17 «une chapelle en forme de lente..., appuyée sur des piquets de jonc»).
:

2. άμάξαις δε και σταυροΐς έπιμήκεσι διειλήφθαι τον κύκλω τόπον (III, 12 = nouvelle édition,
ρ. 263910 : «cet espace circulaire était muni de chariots et de hautes palissades»).
3. τους τάφρους οϊς έθάρρουν σταυροΐς άναχώσαντα και πέτραις και δένδροις και χώμασιν (XIII,
33= Bonn, II, p. 63856 : «après avoir comblé, grâce à des pieux, des pierres, des
arbres et de la terre, les fossés dans lesquels ils mettaient leur confiance»).
21. Le pied vaut, en effet 31,23 cm; voir E. Schilbach, Byzantinische Metrologie,
Munich 1970, p. 13-16.
22. Histoire, X, 25 : Bonn, II, p. 3301316.
23. Voir la note 18.
24. Tl faut corriger en conséquence la note de la nouvelle édition (II, p. 636 n. 1).
25. I. Sevcicnko, Etudes sur la polémique entre Théodore Métochite et Nicéphore
(Jhoumnos, Bruxelles 1962, p. 138 n. 6. L'extrait du βασιλικός λόγος de Théodore Métoc
hitès, une pièce importante, mais complexe, qui mériterait une édition et un comment
aire précis, ne prouve pas qu' Andronic II ait opéré des travaux importants sur le
Sangarios. Dans le style rhétorique qu'implique le genre littéraire de l'éloge, Théodore
Métochitès affirme d'une part qu'Andronic II a «fortifié l'ensemble de l'empire» (την
σύμπασαν αρχήν έτειχίζου), ce qui dispense de mentionner tout ouvrage précis, et d'autre
part que la ligne de fortifications du Sangarios formait une sorte de «chaîne immobile»
et infranchissable ou une immense ville (f. 154 πόλιν οδσαν μίαν τε καί μεγίστην ενός και
:

μεγίστου σου βασιλεϋ ..., ή μεγίστη καί καλλίστη πόλις αυτή...). Mais il n'attribue pas à
Andronic II, de manière spécifique, les récentes constructions sur le fleuve (f. 154 : τα
προς τω ποταμω νεόδμητα πολίσματα). Il s'agit d'une description du Sangarios, et l'on peut
penser que l'auteur, écrivant vers 1290 et se référant à une situation qui date de l'hiver
244 A. FAILLER

Andronic II, dont la campagne doit probablement être placée au


cours de l'hiver 1283-1284, et non en 1290 26, s'est contenté d'inspec
ter la région.
Alors qu'Ali Amourios harcelait les forteresses frontalières, sans
pouvoir traverser le fleuve, se produit précisément la crue du Sanga-
rios, qui rendra aisé son passage. L'historien présente comme contemp
orains les efforts d'Amourios contre les forteresses et la crue du
fleuve. Comme on a adopté dans la traduction une construction plus
simple que dans le modèle grec, on a reporté plus loin la marque de la
simultanéité, qui, dans le texte grec, est placée au début de la phrase :
l'adverbe «là-dessus» reprend, dans la traduction française, la nuance
exprimée par la conjonction de subordination Ώς qui ouvre la phrase
dans le texte grec. La crue se produisit au mois de mars (mois attique
de κρόνιος, dont l'équivalent est d'ailleurs donné en marge des trois
manuscrits : μάρτί,ος), c'est-à-dire vers le début du printemps. A la fin
du passage transcrit plus haut, on apprend que le fleuve revint dans
son lit un mois plus tard, donc en avril. La crue provoqua un déplace
ment du fleuve, qui retrouva son ancien cours et vint dans le lit du
Mêlas (actuel Gark su), qui sort du lac Sophon (Sapanca gölü), lui-
même situé sur le versant septentrional du mont Sophon (Sapanca
dag). Ainsi, le Sangarios coulait à nouveau sous le pont de Justinien.
Le premier éditeur de l'Histoire, qui a transcrit sans fautes impor
tantes ce passage, a cependant trompé ses lecteurs sur le nom que
Georges Pachymérès donne à ce pont27. Les meilleurs manuscrits (A
et G)28 portent la leçon Πεντεγέφυρα, qui est en effet satisfaisante en
tous points : le «quintuple pont», c'est-à-dire le «pont à cinq arches».
Dans le manuscrit B, le nom est légèrement déformé : Πενταγέφυρα.
Mais la leçon retenue par P. Poussines (ποντογέφυρα) n'a aucun fonde
ment dans la tradition manuscrite. Ge n'est pourtant pas une distrac
tion d'éditeur, car P. Poussines entend justifier cette forme et s'y
emploie longuement. Consultant seulement les deux manuscrits de la
Bibliothèque Vaticane (B et C), il a bien lu sur C, dont l'éditeur
reconnaît d'ailleurs la qualité («optimus codex Barberinus»), la bonne
leçon : πεντεγέφυρα. Il a ensuite cru lire en marge du même manuscrit
C la variante πονταγέφυρα, dont il n'a pas discerné la provenance. Il

1283-1284, mentionne plutôt les travaux effectués par Michel VIII sur le Sangarios en
1281, deux années plus tôt.
26. Voir A. Faili.fîr, Pachymeriana nova, HER 49, 1991, p. 174, 177, 181-182.
27. Voir le long développement dans lequel P. Poussines justifie son choix (Bonn, II,
p. 712-715).
28. Sur la valeur respective des manuscrits de l'Histoire, voir A. Failuîr, La tradi
tionmanuscrite de l'Histoire de Georges Pachymère (livres I-VI), HEB 37, 1979, p. 161-
164.
PACHYMERIANA ALIA 245

s'agit en fait d'une variante du manuscrit B, dont les leçons diver


gentes ont été reportées sur le manuscrit C au 16e siècle, lorsque L.
Allacci collationna ou fit collationner l'un sur l'autre les deux manusc
rits de la Bibliothèque Vaticane (B et C)29. Cette variante en marge
de C doit d'ailleurs être lue πενταγέφυρα (la leçon de B). Mais P. Pous-
sines lit πονταγέφυρα, qu'il croit pouvoir corriger en ποντογέφυρα30. En
fait, il ne s'agit pas d'un «ponton», mais d'un «quintuple pont», c'est-
à-dire d'un pont à cinq arches31.
[2] L'historien décrit la progression du fleuve et l'arrivée des eaux
dans le lit du Mêlas32, vers lequel, d'après la fin de la phrase pré
cédente, elles tendaient. Comme on l'a signalé, le Mêlas est l'actuel
Cark su, qui sort du lac Sophon et dont un bras passe sous le pont de
Justinien, presque à la sortie du lac. L'affluent du Sangarios, continue
le narrateur, formait une deuxième barrière pour les envahisseurs qui
venaient de l'est, et qui auraient pu franchir la première barrière, le
Sangarios.

29. Ibidem, p. 201.


30. «Scripsit enim sine dubio Pachymeres ποντογέφυρα» (Bonn, II, p. 712). Celle
leçon a été retenue par la tradition : voir la note suivante. Ajoutons que le pont figure
également sous ce nom dans la Karte von Kleinasien de R. Kiepert au 1/400000, Berlin
1913 (A ΙΓ Constantinopel).
31. Voir M. Whitby, The Sangarius' Bridge over the Sangarius and the Date of
Procopius' I)e Aedificiis, Journal of Hellenic Studies 105, 1985, p. 129-148. L'auteur
(p. 129 n. 5) accepte la leçon de l'édition de P. Poussines (Ποντογέφυρα), qu'il présente
comme une «corruption» du vrai nom. Il signale que le village moderne a conservé le
nom ancien du pont (Besköprü Cinq Ponts). W. M. Ramsay (The Historical Geography
:

of Asia Minor, Londres 1890, p. 214-215) inverse les termes du problème Georges
:

Pachymérès mentionne le vrai nom du pont (Ποντογέφυρα), qui fut corrompu en celui de
Πεντεγέφυρα, ce second nom ne pouvant convenir, puisque le pont, poursuit
W. M. Ramsay en se fiant au voyageur Oh. Tfxikr (Asie Mineure. Description géo
graphique, historique et archéologique des provinces et des villes de la Chersonese d'Asie,
Paris 1862, p. 88-89), possède huit arches, et non cinq. Mais W. M. Ramsay ajoute en
note (op. cil., p. 215), de manière prudente, que, si le pont a cinq arches, et non huit,
comme le prétend Texier, il faudrait retenir, au contraire, la leçon Πεντεγέφυρα. La
solution de ce petit problème est donnée par M. Whitby (art. cit., p. 129-136) : le pont
a bien cinq arches, et non huit. Parmi les autres auteurs qui mentionnent ce pont
(Procope, Constantin Porphyrogénète, Théophane, Zônaras et Kédrènos), seul le der
nier (Kédrènos : Ronn, p. 6781516) lui attribue un nom spécifique (Πενταγέφυρον), dont la
forme, comme on le voit, consacre la leçon conservée par le manuscrit C de l'Histoire.
32. Sans la connaissance des lieux, il est difficile d'imaginer les mouvements réels du
fleuve. Cela est si vrai que P. Poussines a donné une interprétation totalement dif
férente le Mêlas serait venu couler dans le lit abandonné par le Sangarios (« Postea
:

traducto inde Sangari Mêlas alter fluvius successerat»). L'interprétation est reprise
dans la traduction de L. Cousin (Histoire de (Constantinople depuis le règne de l'Ancien
Justin jusqu'à la fin de l'Empire. VI/1, Paris 1685, p. 530) «peu après le fleuve Melan
prit le lit que le Sangare avoit quitte...»
:
246 Λ. PAILLER

[3] La troisième phrase ne marque pas, comme on le croirait


d'abord, une nouvelle phase dans l'évolution des éléments, mais elle
reprend ou résume ce que le narrateur vient de décrire. En voici le
contenu : Ainsi, par l'effet des pluies, le Sangarios quitte à nouveau
son second lit, c'est-à-dire le lit oriental, qui est son lit actuel et qu'il
a dû gagner à une date ancienne que nous ne connaissons pas exacte
ment; il revient dans son premier lit, le lit occidental, qui coïncide
avec le cours actuel du Cark su et qui passe sous la Pentégéphyra de
Justinien. Ce premier déplacement crée un double danger : il sup
prime d'une part la barrière principale que constituait le Sangarios,
dont le cours est asséché, et il supprime d'autre part la barrière
secondaire que constituait le Mêlas, dont la traversée est rendue pos
sible par les alluvions qu'y accumule le nouveau cours du Sangarios,
qui descend des montagnes et qui charrie boues et gravier.
[4] Voyant qu'ils ne sont plus protégés par le fleuve, dont les eaux
ont dévié vers l'ouest, les gardiens des forteresses frontalières
prennent peur et s'enfuient, maintenant que celles-ci sont toutes
situées au-delà du Sangarios ; en effet, l'adverbe πέραν doit sans doute
être interprété ainsi et qualifier, plutôt que les seules forteresses de la
rive droite (situées au-delà du fleuve avant la crue), l'ensemble des
forteresses (toutes situées au-delà du fleuve après la crue)33. La ver
sion brève, qui présente de l'ensemble du passage un résumé assez
insignifiant, ajoute ici une notation : le phénomène naturel est inter
prété comme un avertissement divin et un présage de malheur.
[5] Mais le fleuve revient bientôt à son lit antérieur, c'est-à-dire
qu'il passe à nouveau du lit occidental (cours actuel du Cark su) à son
lit oriental (cours actuel du Sangarios). Cela a lieu un mois plus tard,
c'est-à-dire en avril 1302, lorsque diminue la masse des eaux descen
dantdes montagnes. En se retirant, le Sangarios laisse le cours du
Mêlas obstrué d'alluvions.
[6] Le double passage du Sangarios, d'est en ouest au mois de mars
et d'ouest en est au mois d'avril, eut trois conséquences : 1 . le départ
des gardiens des forteresses du Sangarios, qui avaient pris peur
devant la disparition des eaux du fleuve, comme l'historien l'a déjà
fait remarquer dans une phrase précédente ; 2. le passage des ennemis
à l'ouest du Sangarios, dès lors que ni le cours oriental du Sangarios ni
les gardiens des forteresses du Sangarios ne les empêchaient plus de
traverser; 3. le passage des ennemis à l'ouest du Mêlas, qui, obstrué
d'alluvions pendant un mois par le Sangarios, ne constituait plus un
obstacle aussi difficile à franchir qu'auparavant. Qui a franchi cette
seconde barrière? Les troupes d'Ali Amourios, probablement. Mais,

33. On a vu que Michel VIII avait en effet fortifié les deux rives; voir la note 18.
I 'A( : 1 1 Υ Μ Κ Μ 1 A Ν Λ Α Ι . Ι Λ 247

d'après la suite du récit, celles-ci ne durent pas se fixer de manière


stable au-delà du Mêlas, du moins à ce moment,.
[7] Le double changement de cours opéré par le Sangarios était,
évidemment, imprévisible. Le premier résultat en fut l'avancée d'Ali
Amourios, qui traversa le Sangarios et vint s'installer dans l'îlot situé
entre les deux lits du Sangarios, ou entre le Mêlas et le Sangarios.
C'est la crue de 1302 qui permettra à Ali Amourios de traverser le
Sangarios sans coup férir, tout en gardant avec Andronic II une paix
nominale. Georges Pachymérès inclut ensuite le nom d'Amourios dans
la liste des chefs turcs qui pillaient le territoire byzantin vers l'année
130334. L'année suivante, vers l'été 1304, Ali Amourios demanda à
Andronic 1 1 de lui concéder le territoire qu'il avait occupé subreptice
ment en profitant de la crue du Sangarios 3r>. L'empereur refusa. Une
brève notation de l'historien montre que, dès cette époque et malgré
ses protestations d'amitié, Ali Amourios poussait ses incursions bien
au-delà de la région située entre les deux fleuves, puisqu'il allait jus
qu'à la mer36. La crue de 1302 permit à Ali Amourios de s'établir
dans une région que l'historien désigne à deux reprises comme «médi
terranéenne» ou «située au milieu des terres», puis, de manière plus
précise, sous le nom de Μεσονήσιον37. Le chef turc s'avança probable
ment sans opposition et sans coup férir, puisque l'armée byzantine
avait abandonné le terrain. L'historien affirme qu'Ali Amourios se
présentait en occupant pacifique du lieu. Il répète plus bas que l'émir
ne se déclara l'ennemi d' Andronic 1 1 que plus tard38. Ainsi est dément
ie toute participation, au moins déclarée, d'Ali Amourios à la bataille
de Bapheus aux côtés d'Osman. Le récit de Georges Pachymérès
montre d'ailleurs que l'un et l'autre opéraient sur des territoires diffé
rents.

31, Histoire, XI, 9 Bonn, II, p. 3891.


:

3[>. Histoire, XII, I : Bonn, 11, p. 4602 17.


3f>. Histoire, XII, 1 Bonn, II. p. 1o()14 17.
37. Histoire, Χ. 2Γ> Bonn, II, p. 3321 (το μεσόγαιον) ; XII, 1 Bonn, II, p. 4606 8 (τό
: :

των ποταμών μεσόγαιον άνα Σάγγαριν, Μεσονήσιον έτύμως ώνομασμένον : «la terre située
entre les fleuves sur le Sangaris et appelée par étymologie Mésonèsion» [îlot du milieu]).
Les autres emplois de l'adjectif μεσόγαιος [ou μεσόγειος] dans l'Histoire se rapportent à
un autre contexte, celui de l'opposition entre terre et mer (V, 3 nouvelle édition, II,
:

p. 44515; VII, 37 : Bonn, II, p. 1 051β ; XIII, 20 : Bonn, II, p. 605"). Voir aussi la
récente étude de C Foss, Byzantine Malagina and the Lower Sangarïus, Anatolian
Studies 40, 1990, p. 161-183, et spécialement le paragraphe intitulé « Mesonesos»
(p. 178-180), qui apporte d'utiles compléments aux conclusions qu'on peut tirer du
texte de Georges Pachymérès. L'auteur remarque que la ville d'Adapazari (« Marché-de-
l'île»), située dans la région enserrée par les deux cours du Sangarios, a conservé le
souvenir des déplacements du fleuve.
38. Bonn. IL p. 33389 Le texte de la première édition doit être corrigé à cet endroit
.

précis: au lieu de μικρόν, il faut lire μικρόν ύστερον («il n'intervint qu un peu plus lard»).
248 Λ. PAILLER

Georges Pachymérès ne précise pas sur quelle longueur les gardiens


des forteresses du Sangarios désertèrent leur poste, ni d'ailleurs sur
quelle distance Michel VIII avait fortifié le fleuve vingt ans plus tôt.
Mais le récit du livre X semble concerner seulement la portion du
fleuve dont le cours dévia vers l'ouest, c'est-à-dire la portion réduite
qui correspond approximativement au territoire d'Ali Amourios. De
même, les forteresses dressées par Michel VIII se situaient probable
ment, ou du moins principalement, sur cette seule portion du fleuve.
D'autre part, il ne semble pas que l'historien veuille lier la crue du
Sangarios à l'avancée, plus au sud, des troupes d'Atman vers Nicée,
même si l'abandon des forteresses du Sangarios et l'irruption d'Ali
Amourios dans le Mésonèsion ont pu favoriser indirectement la
défaite des troupes byzantines à Bapheus. Une fois de plus, le rédac
teurde la version brève a mal interprété son modèle, car voici ce qu'il
écrit à la suite du passage qui est transcrit plus haut : Άλλα ό Άτμάν,
την διάβασιν έξ έτερου μέρους εύκολον, ώς εΐπομεν, εύρων, μέχρι και Νικαίας
κατέτρεχεν καί γε συν εκατόν μόνοις Πέρσαις έξ απρόοπτου την των
Άλιζώνων καταλαβών καί αιχμαλωτίσας λαον ίκανόν, ύπέστρεφεν.

2. Un projet de confiscation de pronoiai ecclésiastiques et


militaires en 1303

Le chapitre 9 du livre XI contient un passage dont on a donné des


interprétations contradictoires, dont aucune ne paraît satisfaisante.
Le problème est double : d'ordre grammatical, d'abord, et sur ce plan
il semble qu'on puisse proposer une solution qui explique l'agenc
ement de la phrase et permette de sauvegarder le texte transmis par les
manuscrits, sans s'aventurer dans un ensemble de corrections et de
conjectures qui sont souvent opérées en fonction d'un sens qu'on a cru
découvrir dans le texte. Le problème est ensuite d'ordre juridique, car
on distingue mal la nature des institutions et le statut des personnes
qui sont concernées par le projet de réforme.
Le contexte historique est connu. La pression des tribus turques
augmente aux frontières asiatiques de l'empire byzantin ; à l'été 1302,
la défaite de Mouzalôn à Bapheus, qui vient d'être évoquée dans le
chapitre précédent, a montré la faiblesse des défenses byzantines en
Bifhynie; vers l'été 1303, à la veille de l'arrivée de la Compagnie
catalane, l'avancée des Turcs semble devenue inéluctable, et la situa
tion est désespérée. Les troupes turques, divisées et concurrentes, se
rapprochent de Constantinople et exercent leur pression en tout point
de la frontière orientale et sur toutes les provinces asiatiques : Bithy-
PACHYMERIANA ALIA 249

nie, M y sie, Phrygie, Lydie et Asie·59. Devant l'imminence du danger,


les troupes byzantines se sont repliées et ont fui vers l'ouest. Dès lors,
une seule solution, poursuit l'historien, paraissait à même d'apporter
un remède à une situation désespérée. Voici en quels termes elle est
décrite40 :
Και δια ταΰτα εν των αναγκαίων εδοξε τω καιρώ και τοις έφεστώσι πράγ-
μασι · το περιλειφθέν τέως, δσον έν προνοίαις έτάττετο μοναΐς τε και έκκλη-
σίαις και τοις βασιλεΐ παρασπίζουσιν, άφεικότας των δεσποτών, τάττειν εις
στρατιωτικόν, πλην και μονοκελλικόν ξύμπαντας, ως εντεύθεν αυτούς εκείνους
υπέρ των ιδίων προσμένοντας μάχεσθαι. Έστέλλετο γαρ και παρά πατριάρχου
θαλλος έλαίας άναυδήτως τω άνακτι ■ δθεν καί τι θαρρεΐν είχε τών αγαθών εκ
της περί αυτόν οι μεγίστης πληροφορίας. Τα δ' ήσαν έν μόναις βουλαΐς ■ ουπω
γαρ έφίσταντο οίς ην έπιτεταγμένον ταΰτα πράττειν.

Voici la traduction du passage41 :


C'est pourquoi il apparut qu'une seule mesure correspondait aux nécessités
du temps et de la situation présente : après avoir affranchi de leurs maîtres
les gens qui étaient restés jusque-là, c'est-à-dire tous ceux qui étaient affec
tés,sur des pronoiai, aux monastères, aux Églises et aux gardes de l'empe
reur,les affecter à l'armée, tous sauf les ermites, de sorte que désormais ces
gens eux-mêmes restent là et combattent pour leurs biens. De fait, un rameau
d'olivier fut envoyé au prince par le patriarche, sans aucun mot; c'est pour
quoi l'empereur eut l'assurance de prendre une bonne mesure à cause de la
très grande confiance qu'il avait en cet homme. Mais c'étaient seulement des
projets, car ceux à qui on avait prescrit d'exécuter la décision n'étaient pas
encore venus.

Je ne suis pas sûr qu'il vaille la peine d'analyser et de traduire en


une autre langue, pour la contrôler, la traduction latine que P. Pous-
sines a donnée de ce passage et dont voici les termes :
Haec cuncta considerantibus unum dumtaxat, grave illud quidem et ini-
quum, sed quod sola victrix legurn et juriuin secura nécessitas in extrema
omnium reipublicae calamitate utcumque tolerabile monstraret, sese consi-
lium offerebat taie quoddam, ut pensiones quae adhuc e fîsco solvercntur
omnes omnino quibusvis, monasteriis etiam et ecclesiis, auctoramentaque
adeo ipsa praetorianorum imperatorem custodientium, unico ex omnibus

:î9. Bonn, II, p. 3881315.


40. Histoire, XI, 9 Bonn. II, p. 3902 n.
:

41. La version brève n'est d'aucun secours pour ce passage, car le rédacteur a omis
de retranscrire ou de résumer la phrase essentielle du texte. Il se contente de mention
ner que le patriarche envoya à l'empereur un rameau d'olivier, mais le texte n'a plus de
sens si, comme c'est le cas, le lecteur ignore la mesure de l'empereur que le patriarche
entendait approuver par son geste. Voici ce passage de la version brève : 'Αλλ' όμως
ούτως 'Ρωμαίων φθειρομένων καί πολλών θρήνων όντων καί κοπετών, στέλλει, τω βασιλεΐ ό
πατριάρχης 'Αθανάσιος θαλλον έλαίας, ώς σημεΐον αγαθών. On reviendra pi us loin sur la
siijnilicat ion t\u rameau d olivier.
250 Λ. FA1LLER

excepto quod monocellicum appellant, dominis nunc et possessoribus eorum


ad tempus cedentibus, verterentur in stipendia conquirendorum undecumque
militum, quos qui sic alerent propriis in eos pensionibus Lranslatis, eorum sibi
substitutorum manibus pugnare, licet domi inanenLes, et tarn necessario tem-
pore tueri rem et publicam et privatam quisque suam viderentur, solatio
jacturae et ad damni patientiam incentivo non modico. Annuere his et pro-
bare quod ad se attineret, quantum erat de monasteriis et ecclesiis decretum,
significare visus patriarcha est, misso ad Augustum oleae ramo, nullo verbo
addito ...

Il serait difficile, et périlleux, de traduire à son tour le texte latin de


P. Poussines, dont la paraphrase s'éloigne gravement du sens réel de
l'original. On se contentera de mentionner la traduction française de
L. Cousin, qui s'inspire plus du latin que du grec et qui a résumé
clairement l'interprétation de P. Poussines : « II ne resta qu'une res
source unique, mais nécessaire dans le mal-heur du terns, qui fut de
prendre le fond des pensions que l'Empereur païoit aux Églises et aux
Monastères, et même aux Compagnies de ses Gardes, et l'emploïer à
lever des troupes, à la reserve du droit qu'on appeloit Monocellique.
Le Patriarche envoïa à l'Empereur un rameau d'olive sans lui rien
dire...»42. Il est inutile de s'appesantir sur l'interprétation de P.
Poussines, car elle ne peut entrer en ligne de compte.
Cela étant, seule la première phrase présente des difficultés tant
pour l'établissement du texte que pour la signification des mots. Le
geste du patriarche Athanasc, qui est rapporté dans la phrase sui
vante, a valeur d'approbation tacite de la mesure prise par l'empe
reur : la confiscation d'un bien ou d'un revenu ecclésiastique, comme
c'est le cas ici, a toujours un caractère sacrilège, mais le patriarche
semble admettre que dans une situation exceptionnelle le pouvoir soit
autorisé à prendre des mesures qui, dans les circonstances normales,
seraient illégales. La branche d'olivier symbolise le retour à la paix, à
l'image de la colombe qui, tenant dans son bec un rameau d'olivier,
annonça à Noé la fin du déluge (Genèse, 8, 11). C'est le début du
passage qui a été l'objet d'interprétations contradictoires. Après celle
de P. Poussines, citons trois autres traductions, qui montreront où
résident les difficultés et qui introduiront à une compréhension pro
gressive du texte4·5 :
----- « Under these circumstances there appeared but one remedy, to take away
from the churches, the monasteries of more than one cell, and the imperial

42. L. Cousin, op. cit., p. 564.


43. On citera plus bas une traduction, celle de J. B. Gotelier, qui semble, malgré
quelques erreurs de détail, la meilleure interprétation d'ensemble. En particulier, l'ana
lyse grammaticale du texte est correcte. Je n'ai découvert cette traduction qu'au
moment de mettre la dernière main à cet article.
PACIIYMKRIAINA ALIA 251

guard the lands which had been granted to them as pronoeae, and give them
to soldiers so that, cleaving to them, they might stay and fight for what,
belonged to them»41.
-- «For these reasons, an emergency measure was resolved in consideration
of the times and present troubles, and it was the only measure yet remaining -
to relieve the proprietors of whatever was assigned in grants of πρόνοια to
monasteries, churches, and the members of the imperial entourage and to
assign it for military land holdings, even the property belonging to the monks
living in single cells, everything, so that thereby the people would stay and
fight the enemy 4;) on behalf of their own property»46.
— « Because of critical times and circumstances, it appeared necessary to
take the one measure still remaining : releasing from their overlords however-
much was given in pronoiai to the monasteries, the churches, and the imper
ialentourage, and to make everything, including even lands attached to
monks who lived in single cells, into military holdings so that the people
could defend their own property»47.
Les trois traductions modernes qui viennent d'être mentionnées ont
l'avantage de montrer où se trouvent les ambiguïtés et les difficultés
du texte. La première est, plus correcte que les deux autres, mais elle
survole de trop haut le texte grec pour en donner une interprétation
précise.
Un problème de syntaxe se pose d'abord ; à moins de corriger bru
talement le texte que les manuscrits présentent de manière unanime,
il faut considérer que le neutre singulier (το περιλειφθέν, δσον, μονοκελλι-
κόν) et le masculin pluriel (άφεικότας, ξύμπαντας, αυτούς εκείνους)
désignent, l'un et l'autre, des personnes, et qu'il s'agit d'une seule et
même collectivité, qui est ensuite partagée en deux, puisqu'on distrait
de l'ensemble le groupe particulier appelé μονοκελλικόν. Il s'agit de la
population qui était restée encore sur place (το περιλεί,φθέν τέως)48 et

44. P. Guaranis, The Monastic properties and the State in the Byzantine Empire,
1)01* 1, 1(J48, p. 111. Précisons, à la décharge de l'auteur, qu'il n'a pas prétendu fournir
une traduction rigoureuse du modèle grec («The translation given above is free», écrit-il
en note).
45. Ce mot doit traduire la leçon έκείνοις des éditeurs, qui est, en fait, une erreur, car
les manuscrits donnent unanimement l'accusatif εκείνους, qui est renforcé par αυτούς.
C'est (tailleurs la seule leçon erronée (tans le texte de la première édition ; voir le texte,
tel qu'il est établi ci-dessus.
46. Elizabeth Fishkr, Λ Note on Pachymeres' «De Andronico Palaeologo», Byz. 40,
l',)70, p. -233.
47. .t. I,. Roo.iamra, Church reform in the Laie Empire. A Study for the Patriarchate of
Alhanasios of Constantinople. Thessalonique 1982, p. ΙΓ)9.
48. Le rédacteur de la version brève semble d'ailleurs s'inspirer de cette expression,
lorsqu'il écrit un peu plus bas : Περιλειφθέντων δε ολίγων στρατιωτών έν τοις άνατολικοΐς
La combinaison du neutre singulier, désignant un groupe de personnes, et du masculin
..

pluriel est fréquente dans l'Histoire ; qu'il suffise de donner un exemple, dans lequel les
formes grammaticales sont, de plus, proches du cas qui est examiné ici Οι 8' άμφί τον
:

Μουζάλωνα. όσον ήν 'Ρωμαϊκον και όσον Άλανικόν, δσον ιθαγενές και δσον έξωθεν, μόλος που περί
8ύο χιλιάδας συνόσταντο (Hoim. II. p. 'S.Y.V3 ι5).
252 A. FA1LLER

qui était constituée intégralement de personnes habitant et travail


lant sur les pronoiai de l'Église ou de l'armée. De plus, le participe
περιλειφθεν doit être rapporté à la suite du texte, et non à ce qui
précède49. Tous ces accusatifs dépendent du verbe τάττειν : pour le
dire brièvement, «ces gens, sauf les ermites, on allait les affecter, une
fois débarrassés de leurs maîtres, à l'armée». Quant à l'expression
τάττειν εις τον στρατόν ou εις το πεζόν etc. («enrôler dans l'armée» ou
«dans l'infanterie»), elle est courante, comme l'a noté E. Fisher50, qui
cite divers passages d'Hérodote.
En deuxième lieu, la signification de l'adverbe πλην est claire : πλην
και μονοκελλί,κόν ξύμπαντας signifie nécessairement «tous, sauf le mono-
kellikon». On a voulu corriger le texte pour y retrouver le sens qu'on
avait cru deviner, mais il faut plutôt chercher un sens au texte tel
qu'il est. Ainsi seul le groupe appelé μονοκελλικόν échappe à la mesure
qu'on envisage d'appliquer. P. Charanis a présenté une analyse gram
maticale correcte du texte, en excluant du groupe concerné par la
mesure impériale les «monastères constitués par une seule cellule»51.
A l'inverse, I. Sevcenko a supposé que Georges Pachymérès
employait ici l'adverbe πλην dans un sens particulier, c'est-à-dire
exactement le sens opposé à celui qu'il a habituellement, et cela à
cause de l'adjonction de κοά : cette expression ne marquerait pas V ex
clusion, mais au contraire Y inclusion] d'après cette hypothèse hardie,

49. Les traductions de E. Fisher et «J. L. Boojamra le rapportent à ce qui précède


(«the only measure yet remaining» d'un côté, «the one measure still remaining» de
l'autre côté). Cette analyse grammaticale du texte, et spécialement la séparation entre
les diverses parties de la phrase, sont corroborées par la ponctuation des manuscrits,
qui, si elle ne peut être retenue dans une édition sous peine de rendre le texte inintelli
gible au lecteur, s'avère cependant utile à l'éditeur, qui doit s'en inspirer continuelle
ment. Voici comment le copiste du meilleur manuscrit de l'Histoire (G) ponctue le
texte : κέρδεσι ' και δια ταϋτα, εν των αναγκαίων εδοξε τω κάψω, και τοις έφεστώσι πράγμασι,
το περιλειφθεν τέως όσον έν προνοίαις έτάττετο μοναΐς τε και έκκλησίαις και τοις βασιλεΐ παρα-
σπίζουσιν, άφεικότας τών δεσποτών, τάττειν εις στρατιωτικόν · πλην και μονοκελλικόν ξύμπαντας ■
ώς εντεύθεν αυτούς εκείνους ύπερ τών ιδίων προσμένοντας, μάχεσθαι " έστέλλετο ... Le copiste de
A présente, pour la ponctuation, une seule variante : il supprime la virgule qui suit
καιρώ. Le texte de B, qui présente une copie critique par rapport au modèle commun de
A et Β (voir, sur les caractéristiques de la copie B, A. Faillir, La tradition manuscrite
de l'Histoire de Georges Pachymère [livres I-VI], HKH 37, 1979, p. 136-144, avec la
conclusion finale; La tradition manuscrite de l'Histoire de Georges Pachymérès [livres
VII-XIII], HEB 47, 1989, p. 118), offre également quelques divergences minimes : il
supprime comme A la virgule qui suit καιρώ, met entre virgules le segment μοναΐς τε και
έκκλησίαις et supprime la virgule qui suit προσμένοντας, mais surtout il met un point cri
haut, c'est-à-dire une ponctuation plus forte, avant το περιλειφθέν ; ajoutons que B omet
l'adverbe τέως. Ainsi la ponctuation unanime des manuscrits invite le lecteur à ratta
cher τό περιλειφθέν à la suite du récit.
50. K. Fishkr, art. cit., p. 232 n. 6.
51. Ou, ce qui revient au même, en incluant dans la mesure; envisagée les seuls
monastères «of more than one cell» (P. Guaranis, art. cit., p. 111).
I'ACIIYMERIANA ALIA 253

le groupe appelé μονοκελλικόν n'échapperait pas non plus à la mesure


impériale, mais y serait lui-même soumis52. En fait, il est certain que
l'ensemble πλην και garde le même sens que l'adverbe simple, même
chez Georges Pachymérès ; pour s'en convaincre, il suffit de relever les
emplois parallèles de l'expression53. Les deux traducteurs qui sont
cités plus haut, E. Eisher et J. L. Boojamra, en appellent, sur ce
point, à la «démonstration» de I. Sevcenko. En vain cependant, car
πλην garde constamment un sens adversatif, restrictif ou correctif :
«excepté», «sauf», «sauf que», ou, pour une restriction plus atténuée,
«seulement»; Georges Pachymérès emploie souvent l'adverbe dans ce
sens au début d'une nouvelle phrase.
Enfin, le pronom ξύμπαντας ne requiert aucune correction et
convient parfaitement au contexte («tous, sauf ...»). L'hypothèse faite
par E. Fisher à propos de ce pronom a peu de fondement, et l'arg
ument paléographique est fragile54. Mais il suffit d'observer, plus sim
plement, que le texte ne requiert aucune correction.

Les problèmes posés par la signification des mots utilisés par l'hi
storien sont autrement ardus, et le sens précis de la mesure envisagée
par Andronic II nous échappe en grande partie, car l'historien se
garde de nous indiquer de quelle nature étaient ces « pronoiai ecclé
siastiques et militaires» qu'on voulait supprimer, quel était le statut
des personnes qui travaillaient là, quel nouveau statut elles allaient

52. 1. Siîvcknko (Nicolas Cabasilas' « Anti-Zealot» Discourse : a Reinterpretation,


DOP 11, 1957, p. 157 n. 125) écrit, «Except, for monasteries of one cell implied in
Charanis' translation, is an imaginative way out, for the word μονοκέλλιον exists, but it
:

does not work, since πλην και in Pachymérès' usage means '[but] also', 'furthermore'
rather than 'except for'. For a parallel passage, cf. Hist., I, 106, 11 Bonn.» En fin de
compte, I. Sevcenko aboutit à la conclusion suivante, qui sous-tend d'ailleurs les
déductions de E. Fisher et J. L. Boojamra : «Would then the property granted to
soldiers include even the parcels of land belonging to isolated one-monk cells?» Ainsi
formulée, l'interrogation appelle la réponse positive qu'elle a reçue dans les deux tr
aductions de E. Fisher et L. J. Boojamra.
53. En voici un certain nombre, tirés des trois premiers livres de l'Histoire : nou
velle édition, I, p. 5510, 652, 7112, 10516, 13110, 14924 (c'est le cas cité par 1. Sevcenko à
l'appui de son interprétation), 18527, 2835. Le sens est sans ambiguïté dans tous ces
passages, sauf peut-être dans celui qui est cité par T. Sevcenko à l'appui de sa démonst
ration. Voici la traduction de la nouvelle édition «seulement, comme les envoyés
:

étaient des Romains, fils de Romains, il en prit tout le soin possible.» L'historien veut
dire que, malgré l'hostilité que nourrissait Michel VIII envers les Latins qui occupaient
encore Constantinople (en 1259), il entoura cependant de toutes les prévenances les
ambassadeurs envoyés par Baudouin II, parce que ceux-ci étaient des Grecs de
Constantinople, destinés à devenir ses futurs sujets. A la suite de I. Sevcenko,
E. Fishfr (art. cit., p. 232 n. 2) a cru découvrir ce même sens d'inclusion de l'expression
πλην και dans d autres passages de I Histoire.
51. E. FisinoR, art. cit.. p. 233.
254 A. FA ILL ER

acquérir dans le cadre de la réforme que projetait l'empereur. La


présentation qui est faite du projet laisse seulement entendre que les
personnes restées sur place deviendraient des soldats-paysans, cult
ivant et défendant leurs terres.
Prenons d'abord le terme μονοκελλικόν, qui est un hapax. P. Pous-
sines l'a considéré comme un terme de l'administration financière55 :
le mot indiquerait la pension minimale octroyée par l'empereur pour
permettre à une personne de vivre ; ce minimum aurait été maintenu,
alors que les pensions et soldes auraient été supprimées. Du Cange
retient plutôt la graphie μονοκελικόν, il en fait un équivalent de μονο-
κάβαλος et l'applique à une classe de paysans-soldats disposant d'un
cheval56. Dans la ligne de l'interprétation grammaticale qui a été
présentée plus haut, il faut y voir un nom collectif, qui désigne l'e
nsemble des ermites qui possédaient dans cette région des cellules iso
lées et qui, d'après le contexte, vivaient eux aussi sous le régime de la
pronoia. Avant P. Charanis, J. B. Cotelier avait bien analysé ce pas
sage en dissertant sur les mots μονοκέλλιον et μονοκελλίτης 57 : le mot
μονοκελλικόν désigne l'ensemble des μονοκελλίται, moines vivant dans
des μονοκέλλια («qui in Monocelliis»)58. La mesure d'exception qu'on
entendait adopter en faveur des ermites pouvait se justifier : ces
moines ne seraient pas un obstacle à une opération de redistribution
des terres, car ils n'avaient sans doute que des lopins de terre insigni
fiantsautour de leur ermitage.
Une deuxième expression présente quelque obscurité : τοις βασιλεΐ
παρασπίζουσιν. Ce groupe est présenté par l'historien comme l'un des
trois bénéficiaires de revenus fiscaux (pronoiai), aux côtés des Eglises
(qui peuvent être métropolitaines, épiscopales ou paroissiales) et des
monastères. I. Sevèenko y a vu un terme littéraire, avec une significa
tion aussi générale que παριστάμενους («magnates, people of the imper
ialentourage, rather than the imperial guard»)59. Mais rappelons les

55. Voir, plus haut, les traductions de P. Poussines et de L. Cousin. Voir aussi la
note de P. Poussines (Bonn, II, p. 703-704).
56. Du Gange, Glossarium, col. 951. La graphie adoptée par Du Gange peut trouver
un fondement dans le manuscrit A, qui a en effet conservé la variante μονοκελικόν. Mais
l'argument est fragile, car les erreurs dans le redoublement des consonnes foisonnent
sous la plume du copiste de ce manuscrit.
57. .J. B. Cotki.ikk, Er.clesine Graecae monumenla, I, Paris 1677, col. 804.
58. C'est à propos du mot μονοχίλλιον que J. B. Gotki.if.r (ibidem) cite le passage de
Georges Pachymérès; il en donne une interprétation proche de celle que j'ai proposée
plus haut, sauf sur un point : il soumet les ermites au régime général. Voici sa traduct
ion : «Unurn visum est tompori rebusque ingruentibus necessarium ; ut quotquot
supererant collocati in procurationibus, Monasteriis et Ecclesiis, ac inter imperatoris
satellites, soluti a dominis, in militiam adscriberentur cuncti, etiam qui in Monocelliis :
quo hi pro illis illorumque facultatibus persévérantes pugnarent.»
59. I. SrcvciïNKo, art. cil., p. 157 n. 125.
1 » A( : 1 1 Υ Μ Ε Η Ι Λ Ν Λ Λ 1 . 1 Λ 255

traductions mentionnées plus haut,. P. Poussines, suivi par L. Cousin,


et .). B. Cotelier l'interprètent dans un sens plus littéral («praetoria-
norum imperatorem custodientium » et «Compagnies de ses gardes»,
«Imperatoris satellites»). P. Gharanis va dans le même sens («the
imperial guard»), tandis que Ε. Fisher et J. L. Boojamra suivent, ici
également, l'interprétation de I. Sevcenko («the imperial entourage»).
La question se pose parce qu'on ne voit pas, de prime abord, pourquoi
la «garde impériale» ou «les compagnons d'armes de l'empereur»
auraient bénéficié de pronoiai situées à la frontière de l'empire. Mais
avant de conclure, il est bon d'examiner les autres occurrences du mot
dans l'Histoire. On trouve quatre autres emplois du terme, qui,
contrairement au cinquième cas qu'on vient d'examiner, ne pré
sentent aucune ambiguïté. Voici ces passages, le mot français corre
spondant au participe grec παρασπίζων étant marqué par l'italique :
1. Philanthrôpènos, au moment d'entrer en rébellion, prit appui sur
«le contingent perse, qu'il utilisait comme ses fidèles et en qui il se
confiait comme compagnons (Γ armes »M ;
2. les Alains «combattaient aux côtés de Nogaï, et c'est grâce à eux qu'il
avait obtenu de grands succès»61;
3. Ghazan «se glorifiait de ses nombreux compagnons d'armes et se
servait contre l'ennemi surtout d'Ibères», et, «lorsqu'il eut appris que
le trophée des chrétiens était la croix, il la fit porter à la guerre der
rière eux, ses compagnons d'armes, et il infligea de nombreux malheurs
au sultan des Arabes »()-.
Il apparaît clairement que le verbe (παρασπίζειν), sous la forme du
participe généralement (παρασπίζων), est employé continuellement
dans un contexte militaire. Il s'ensuit qu'il faut retenir ici également
ce sens et considérer qu'il s'agit de pronoiai militaires ou attribuées à
des militaires, même si on ne peut définir de manière précise la struc
ture sociale qui sous-tend cette réalité. L'hypothèse de I. Sevcenko,
selon qui le mot παρασπίζοντες est un équivalent littéraire de οι άμφί
(τον βασιλέα) ou de οικείοι, ou, pourquoi pas?, de μεγιστάνες, est dictée,
plutôt, que par l'analyse du texte lui-même, par l'idée qu'on se fait de
l'opération projetée. Ceci n'explique évidemment pas pourquoi on a
affaire dans cette région à des pronoiai ecclésiastiques et militaires, et

60. το ΙΙερσικόν ..., οίς δή και πιστοΐς έχρητο και παρασπίζουσιν άπεθάρρει (Histoire, IX,
9 Bonn. Il, p. 2I'.)1213).
:

61. ... αυτούς γαρ είναι και τους τω Νογα παρασπίζοντας, και δι' ών εκείνος τα μεγάλα
κατώρθου (Histoire, Χ, 16 : Bonn, II. p. 3078 10).
6'2. πολλοίς μέν ώγκοϋτο τοις παρασπίζουσιν, "Ιβηρσι δε και μάλλον έπί πολέμοις έχρατο ...
και σταυρόν μαθών το των χριστιανών τρόπαιον δν, ούράγει σφίσι παρασπίζουσι κατά πόλεμον, και
ττόλλ' άττα δεινά τον των Αράβων σουλτάν είργάζετο (Histoire. XII. 1 Bonn, II,
:

ρ. 1Γ>78!)1114).
256 Λ. PAILLER

non point civiles. Le passage cité plus bas63 laisse d'ailleurs entendre
que les propriétés frontalières étaient, au moins en partie, l'apanage
des soldats, qui assuraient en même temps la défense et la culture de
leurs terres. Devant l'avance de l'ennemi, eux-mêmes auraient fui, et
ne seraient restés sur place que les paysans et les parèques, qui
n'avaient sans doute pas de position de repli ni de recours financier.
Qu'indique enfin le mot στρατιωτικόν ? On l'a interprété générale
ment, dans le contexte de la pronoia, comme l'institution militaire
correspondante («military land holdings» pour E. Fisher, «military
holdings» pour J. L. Boojamra). Mais l'historien veut sans doute dire
simplement qu'on «enrôlerait tout le monde dans l'armée, sauf les
moines»; ces personnes bénéficieraient en même temps d'avantages
précieux : distribution des terres pronoiaires, système fiscal favorable.
Ici encore il faut donner la préférence à la critique textuelle interne :
on remarque que, dans l'Histoire de Georges Pachymérès, le mot
στρατί,ωτί,κόν est employé continuellement et uniquement pour dési
gner l'armée.
Les hommes qu'on allait ainsi enrôler devaient remplacer les
troupes qui avaient fui. Il faut, en effet, rappeler ce que dit l'historien
un peu plus haut : «En effet, il était impossible de résister et de faire
avancer des armées contre eux [les émirs turcs], car les forces
romaines n'étaient pas seulement faibles, mais, après avoir perdu
maisons et pronoiai, elles fuyaient l'Orient pour gagner l'Occident, en
veillant seulement à sauvegarder leur vie. D'autre part, il était imposs
ibled'installer d'autres soldats avec des prérogatives déterminées»64.
Les pronoiai dont les titulaires étaient «les gardes de l'empereur» (τοις
βασιλεΐ παρασπίζουσιν) ne pouvaient donc être attribuées à d'autres
troupes, car l'empereur ne disposait pas de troupes fraîches qu'il
aurait pu envoyer à la frontière et auxquelles il aurait attribué les
pronoiai dont les bénéficiaires venaient de fuir. Le passage qu'on a
analysé plus haut ne peut être compris qu'en rapport avec la situation
ainsi décrite : seuls restaient aux frontières les paysans et les parèques
qui travaillaient sur les pronoiai ecclésiastiques et militaires ; on allait
enrôler ces gens, puisqu'on ne pouvait faire venir d'autres troupes, et
pour cela on les libérerait d'abord de leurs maîtres en abolissant les
droits de ceux-ci. Il ressort de là deux choses claires : 1. les paysans-
soldats que la réforme allait créer étaient destinés à remplacer l'armée
qui avait fui ; 2. ils seraient mis en possession des pronoiai que possé-

63. Voir la note suivante.


64. Λί μεν γαρ 'Ρωμαϊκού δυνάμεις ούχ δπως έξησθένουν, άλλα καί, οικίας και προνοίας
απολωλεκότες, άνατολήν φεύγοντες, έπο δύσεως ώρμων, περιποιούμενοι. έαυτοΐς μόνον τό ζην ■
έτερους δ' έγκαθι,σταν επί. ρητοΐς γέρασιν άμήχανον ήν (Histoire, XI, 9 : Bonn, II, p. 3891013).
PAC H Y M E PU AIM Λ ALLA 257

daient les troupes qui avaient fui, et on y ajouterait les pronoiai dévo
lues à des institutions ecclésiastiques.
On comprend que les moines aient été exclus de cet enrôlement. On
ne concevrait pas que le patriarche Athanase ait pu approuver une
mesure qui aurait consisté à transformer des moines en soldats. Il
suffit de rappeler avec quelle force il s'opposera plus tard à ce que le
moine Hilariôn se fasse chef de guerre, même s'il finit par céder
devant l'insistance de l'empereur65. Le patriarche défendait une posi
tion conforme à la tradition orthodoxe et aux «saints canons», à l'o
bservation desquels il veillait de manière scrupuleuse et pointilleuse.
La mesure qu'envisageait de prendre l'empereur touchait seulement
aux biens de l'Église, non aux personnes. Il est dès lors étonnant que
les historiens aient si facilement admis qu'on puisse enrôler ainsi les
moines, fût-ce sur les frontières et en période de périls imminents66.
Cela dit, en quoi consistait exactement le projet d'Andronic II?
L'historien ne précise pas quel aurait été le statut réel de ces populat
ions,si la mesure avait été mise en œuvre. D'après la terminologie
qui est employée (pronoiai), il ne s'agirait d'ailleurs pas de la confis
cation de propriétés ecclésiastiques, mais seulement de revenus fi
scaux attribués à l'Église, par l'empereur ou par l'État sans doute sur
des propriétés appartenant à l'empereur ou à l'État. Il faut d'ailleurs
remarquer que seuls les biens administrés sous le régime de la pronoia
rentrent dans le champ d'application du projet et que tout le reste,
autres propriétés et monastères en particulier, n'est pas pris en
compte.
La mesure envisagée par Andronic II fait écho à la vie et à l'enr
ichissement des akrites que Georges Pachymérès décrit dans le premier
livre de son Histoire67 : les gardiens des frontières orientales bénéfi
ciaient d'exemptions fiscales et de pronoiai08 et, grâce à ces avant
ages, ils avaient à coeur de défendre les frontières, jusqu'au jour où
un certain Chadènos confisqua leurs biens et les enrôla comme de
simples soldats69. Le projet conçu en 1303 consistait à recréer, sur les

65. Histoire, XITI, 17 Bonn, II, p. 596>-59710.


:

66. Après avoir tout de même exprimé une certaine surprise, E. Fisher (art. cit.,
p. 232-233) admet aisément que tel est le témoignage du texte : «The statement thai
the Emperor... intended to include in the army monks, holy men consecrated to the
service of God, is outrageous... however, the text is emphatic on this point.»
67. Histoire, I, 4-5 nouvelle édition, I, p. 28-33.
:

68. αλλ' άτελείοας μεν τους πάντας, προνοίαις Κ έκ τούτων τους έπιδοξοτέρους (Histoire, Ι.
4 : nouvelle édition, 1, p. 292425).
69. ... στρατεύει, τούτους έκ των σφετέρων εκείνων και οίς ό εκάστου βίος συνεκεκρότητο
(Histoire, Ι, 5 nouvelle édition, I, p. 33® 7). On rapprochera les deux expressions
:

employées, qui ont le même sens στρατεύειν et τάττειν εις στρατιωτικών


:

.
258 Λ. FAILLER

frontières, les conditions d'existence de ces paysans-soldats qui défen


daient la frontière en défendant leurs propres biens.
Tout ceci ne nous éclaire guère sur la réalité des mesures qui furent
envisagées ni sur la qualité des personnes bénéficiaires et le statut
juridique qui était le leur avant qu'elles n'accèdent à un nouvel état
social plus favorable. On s'est interrogé pareillement sur l'existence et
les propriétés de la pronoia ecclésiastique, qui est attestée par une
série de textes70. Cela étant, le texte peut être présenté de manière
claire sur le plan grammatical, et il a un sens globalement satisfai
sant;mais, s'agissant des institutions qui sous-tendent les réformes
envisagées, plusieurs points restent pour le moment imprécis :
— identité et statut des titulaires des pronoiai, ecclésiastiques et
militaires, qu'on envisageait de confisquer;
— identité et statut des paysans qui travaillaient et des ermites qui
résidaient sur ces pronoiai ;
— nouveau statut des paysans que la réforme entendait mettre en
place71.
En conclusion, il faut dire que l'intelligibilité du texte est fonction
de la connaissance que nous pouvons avoir des réalités sociales et
économiques auxquelles renvoie le vocabulaire qu'on vient d'examin
er. Les diverses exégèses qui ont été données de ce passage montrent
que la bonne herméneutique commande de soumettre les élans de
l'imagination à la lettre du texte.

3. La conquête de Rhodes par les chevaliers de Saint-Jean de


Jérusalem

Dans le tome précédent de cette revue, j'ai réexaminé les divers


textes qui relatent la prise de la forteresse de Rhodes par les Hospital
iers72.La confrontation des textes permet d'arriver à une conclusion
définitive : la prise de la forteresse principale de Rhodes, qui mar
quait l'aboutissement de la conquête de l'île, doit être datée du 15
août 1310.

70. Voir G. Osthogohsky, Pour l'histoire de la féodalité byzantine, Bruxelles 1954,


p. 104 n. 1.
71 Il est vrai que les historiens sont, aujourd'hui moins catégoriques sur les caracté
.

ristiques, l'évolution ou la diversité du système de la pronoia. On donnera comme seul


témoignage de cette hésitation la notice circonspecte que M. B. Bartusis a rédigée sur
le sujet dans The Oxford Dictionary of Byzantium (III, New York-Oxford 1 991 , p. 1 734 :
Pronoia. Fiscal Meaning).
72. A. Failler, L'occupation de Rhodes par les Hospitaliers, REBbO, 1992, p. 113-
135.
PACHYMERIANA ALIA 259

Dans la masse des textes qui mentionnent la conquête de l'île, j'ai


omis d'en citer un, et cette omission mérite d'être réparée. Il s'agit de
la Descriptio Europae orientalis, due à un anonyme et rédigée, d'après
l'éditeur, au début de l'année 1308 73. Or le texte fait état de la prise
de l'île, présentée comme un événement «récent» («nuper»)74 : «Prima
est rodus, in qua fuit colosus eneus, cuius altitudo LXX cubicorum ;
de hac autem insula et urbe rodia fuit ptolomeus, qui fecit astrolo-
giam suam. hanc insulam cum civitate sua rodia nuper hospitalarii
occupauerunt cum magno dampno rerum et personarum suarum.» On
remarque que l'auteur, adoptant le vocabulaire que l'on rencontre
dans les autres sources, mentionne la prise et de l'île et de la ville de
Rhodes. Sans entrer plus avant dans l'examen du problème et étant
donné la certitude que l'on tient des textes en ce qui concerne la date
de la prise de la forteresse, il faut conclure que, si l'œuvre remonte
vraiment aux premiers mois de l'année 1308, l'auteur se trompe en
considérant qu'à cette date la forteresse principale de l'île est aux
mains des Hospitaliers.
tën passant dans l'île de Rhodes à l'été 1992, j'ai eu l'occasion de
constater comment les Rhodiens eux-mêmes datent aujourd'hui la
prise de leur capitale par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem,
dont le séjour et l'activité, d'une durée d'un peu plus de deux siècles
(1310-1522), forment, pour l'essentiel, la trame des promenades
archéologiques et des visites touristiques que les visiteurs effectuent à
travers l'île.
J'ai ainsi constaté que, aux yeux des médiévistes de Rhodes, les
Hospitaliers occupèrent la forteresse de Rhodes en l'année 1309. C'est
la date donnée unanimement sur les divers panneaux qui présentent
les remarquables expositions permanentes ou temporaires qui sont
offertes au public, en particulier au Palais des Grands Maîtres, au
Musée archéologique installé dans l'hôpital des Chevaliers, à l'église
Sainte-Marie (Παναγία του Κάστρου). La même date est fournie dans les
guides qui sont vendus aux touristes 7r\ Cette date est présentée
comme sûre ; comme il est normal dans un ouvrage de cette nature,

73. (). Gorka (Éd.), Anonymi Descriptio Europae orientalis (Imperium Constantino-
politanum, Albania. Serbia, Bulgaria, Huthenia, Ungaria, Polonia, Bohemia) anno 1308
exarata, Cracovie I91Ü.
71. Ibidem, p. IS38.
7f). Voici, dans leur édition française, les deux brochures qui sont proposées aux
visiteurs : A. R. Tataki, Rhodes. Lindos — Kamiros — Filérimos. Le palais des Grands
Maîtres et le Musée. Athènes 1988, 128 p. (p. 22 : «Jusqu'à sa chute entre les mains des
Chevaliers, en 1309, Rhodes...»); É. Koi.ias, Les Chevaliers de Rhodes. Le Palais el la
Ville. Athènes 1991, I 7B p. (p. 11 : «hin 1309. la conquête de l'île s'achève par la prise
de la ville.»).
260 Λ. FAILLER

l'auteur n'indique pas sur quelle source il se fonde pour présenter


cette chronologie.
Les diverses éditions du Guide bleu présentent la même chronologie,
sans jamais émettre le moindre doute. On remarque quelques varia
tions d'une édition à l'autre, mais la conquête de la forteresse de
Rhodes par les chevaliers est toujours placée en l'année 1309. Voici
quelques extraits, tirés des éditions successives du Guide, qui, malgré
certains changements d'une édition à l'autre, maintiennent l'année
1309 comme date de la prise de la forteresse de Rhodes par les Hospit
aliers :
— Édition de 1953 (p. 665) : «C'est vers cette époque que les Génois
se rendirent maîtres de l'île, où ils accueillirent vers 1306 les cheval
iersde Saint-Jean de Jérusalem, réfugiés à Chypre après avoir été
obligés de quitter Jérusalem. Les chevaliers ne tardèrent pas à
demander à l'empereur de leur céder en fief l'île de Rhodes; leur
demande ayant été repoussée, ils s'emparèrent de Rhodes en 1309 et
s'y maintinrent plus de deux siècles.»
— Édition de 1974 (p. 617) : «En 1248, les Génois se rendirent
maîtres de l'île, où ils accueillirent vers 1306 les chevaliers de Saint-
Jean de Jérusalem. Les chevaliers ne tardèrent pas à demander à
l'empereur de leur céder l'île en fief; leur demande ayant été repouss
ée, ils s'emparèrent de Rhodes en 1309 et s'y maintinrent plus de
deux siècles. »
— Édition de 1990 (p. 650) : «... ils s'emparèrent de Rhodes en 1309
après deux années de siège.»
Ainsi, le visiteur de Rhodes est mal renseigné à quelque source qu'il
s'adresse. On a vu que cette date (1309) n'a aucun fondement, encore
moins que d'autres dates qui ont été proposées76.

Albert Failler
C.N.R.S.-URA 186
et Institut français d'Études byzantines

76. Voir Λ. Faii.uïr, art. cil., p. 130, avec la note 57.

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