Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

Au-delà du système pénal: L'intégration sociale et professionnelle des groupes judiciarisés et marginalisés
Au-delà du système pénal: L'intégration sociale et professionnelle des groupes judiciarisés et marginalisés
Au-delà du système pénal: L'intégration sociale et professionnelle des groupes judiciarisés et marginalisés
Ebook475 pages5 hours

Au-delà du système pénal: L'intégration sociale et professionnelle des groupes judiciarisés et marginalisés

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

En examinant l'impact des politiques sociales et l'évolution du marché du travail, les auteurs évaluent les pratiques professionnelles d'intervention ainsi que les enjeux suscités par les notions d'intégration et d'insertion des chômeurs, des assistés sociaux, des jeunes de la rue, des toxicomanes et des ex-détenus.
LanguageFrançais
Release dateJun 23, 2011
ISBN9782760528772
Au-delà du système pénal: L'intégration sociale et professionnelle des groupes judiciarisés et marginalisés

Related to Au-delà du système pénal

Related ebooks

Crime & Violence For You

View More

Related articles

Reviews for Au-delà du système pénal

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    Au-delà du système pénal - Jean Poupart

    COLLECTION

    INTRODUCTION

    INTÉGRATION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE

    Des processus sociopénaux aux trajectoires de vie

    JEAN POUPART

    École de criminologie

    Université de Montréal

    jean.poupart@umontreal.ca

    L’objectif de ce livre est de regrouper autour de la problématique de l’intégration sociale des travaux fondés sur des écoles de pensée qui se sont entrecroisées au cours des dernières années, soit celle de la sociologie de l’exclusion sociale, même si le terme est loin de faire l’unanimité et a soulevé de nombreuses critiques (Castel, 1995), et celle de la sociologie de la déviance et du contrôle social. Dans le premier courant, on s’interroge en effet sur les divers processus qui font en sorte que des groupes importants de la population se trouvent ou se retrouvent à la marge, c’est-à-dire occupent une position périphérique dans la société, sur les conséquences que ces divers processus peuvent avoir sur les trajectoires de ces personnes, sur leurs conditions de vie et leur statut social, de même que sur les enjeux sociaux, politiques et normatifs liés à leur intégration dans la société. Le second courant, présent notamment en criminologie depuis une trentaine d’années, s’inspire, d’une part, de la sociologie de la déviance interactionniste, laquelle est centrée non seulement sur l’étude des processus d’implication dans la déviance, mais également sur l’étude des différents enjeux et mécanismes par lesquels certains groupes sont considérés et traités comme déviants avec les conséquences que cela peut entraîner du point de vue de leur trajectoire et de leur identité (Poupart, 2001). Ce second courant s’inspire, d’autre part, des courants critiques dans le champ de la sociologie du contrôle social, lesquels ont tenté de cerner, dans une perspective sociohistorique, les modes de gestion et de prise en charge de la marginalité, dont les mesures pénales (voir, par exemple, Cohen, 1985 et Garland, 2001). Ces analyses cherchent notamment à faire le pont entre les transformations qui se produisent dans le domaine pénal et celles plus profondes en cours dans le champ sociopolitique.

    UNE SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE EN MAL D’INTÉGRATION

    Les textes qui sont présentés dans cet ouvrage s’inspirent, me semble-t-il, d’une même trame de fond dont les grandes lignes sont explicitées dans les textes de Castel et de Dubet. Qu’il s’agisse des chômeurs, des personnes assistées sociales, des jeunes de la rue ou des personnes incarcérées, la question de leur intégration ou de leur réintégration, au-delà des particularités qui leur sont propres, renvoie plus globalement à des transformations sociales profondes, liées notamment à l’économie capitaliste, transformations qui font en sorte qu’au manque de places disponibles s’ajoute une augmentation de celles dont le statut est précaire.

    S’inspirant de Durkheim, Castel et Dubet définissent l’intégration sociale comme la capacité pour une société donnée d’assurer une cohésion sociale en permettant aux groupes et aux individus qui la composent d’acquérir une place reconnue, c’est-à-dire d’avoir les ressources et les moyens nécessaires à l’obtention d’une certaine indépendance et autonomie. Cette possibilité d’avoir une place reconnue dépasse la simple survie et tient à la capacité de vivre selon les standards dominants dans une formation sociale donnée. Elle renvoie aussi aux inégalités sociales, puisque tous n’ont pas un accès égal aux ressources nécessaires pour s’assurer une vie décente, et ce, même s’il existe des dissensions au sujet de ce qu’il faut entendre par vie décente. Parmi les ressources jugées nécessaires, le travail est vu comme un élément clé. Ce n’est pas qu’il faille le valoriser en soi, même si pour plusieurs il se révèle un outil de valorisation, mais, surtout dans le contexte actuel, il demeure l’instrument par excellence permettant d’avoir accès aux autres ressources (voir également Schnapper, 1997). Et c’est précisément là que le bât blesse. Dans la conjoncture sociale actuelle, une telle ressource n’est pas toujours disponible ou elle l’est de façon inégale.

    La thématique de l’intégration des individus et des groupes sociaux n’est pas récente. Il n’est pas nouveau en effet que l’on pose la question de l’intégration des handicapés de toutes sortes, des pauvres ou des chômeurs et que l’on a mis en place une série de politiques et de mesures pour leur venir en aide. Selon un courant d’interprétation dominant, notamment en France mais également au Québec depuis une dizaine d’années, courant que nous ne pouvons ici que présenter à grands traits, différents éléments viendraient aujourd’hui compliquer et rendre plus difficile l’intégration de ces groupes. D’abord, on aurait assisté au cours des dernières décennies à une déstructuration de l’économie de marché ou, dit autrement, à une restructuration de cette économie, qui viendrait modifier radicalement la donne sur le plan de l’emploi. Sous l’effet conjugué de la mondialisation, des délocalisations industrielles vers les pays émergents, des mutations technologiques et des nouvelles exigences de la productivité axées sur la flexibilité et la mobilité de la main-d’œuvre, ceux qui étaient déjà au bas de l’échelle sociale, traditionnellement condamnés soit au chômage, soit à des emplois précaires, mal payés, disqualifiés socialement, se trouvent dans une situation pire qu’avant. Dans un contexte de chômage endémique, non seulement le nombre d’emplois disponibles est plus limité, mais ces emplois offrent généralement moins de protection sociale. Cette situation n’affecterait pas seulement les milieux défavorisés, mais également des fractions importantes de la classe moyenne, de telle façon que de plus en plus de personnes se retrouveraient en position de vulnérabilité ou, pire encore, de désaffiliation, pour reprendre l’expression de Castel. Pour Castel, en effet, le nombre de « surnuméraires », d’ « inutiles » qui souffriraient d’un déficit d’intégration non en raison d’un handicap quelconque, mais bien parce que le système serait incapable de les absorber, aurait donc sensiblement augmenté.

    En simplifiant beaucoup, ajoutons que deux autres tendances viendraient accentuer ce mouvement de la déstructuration du marché de l’emploi et du déclin des protections sociales. D’abord, un affaiblissement des solidarités sociales qui peut être lié aussi bien au dépérissement relatif du mouvement ouvrier, à la montée des courants conservateurs qu’aux aléas de l’individualisme contemporain. Dans un tel contexte, le risque devient encore plus grand de faire porter aux individus la responsabilité de leur propre intégration, mais aussi de voir s’effriter les appuis collectifs. Ensuite, il y aurait crise de l’État-providence à la fois sur le plan financier et sur le plan de la légitimité. Jusqu’aux années 1970, le modèle dominant était sans doute celui d’un État social qui devait non seulement compenser, comme le dit Dubet, les effets destructeurs de l’économie capitaliste, mais également permettre d’assurer, par toutes sortes de mesures, une forme d’égalité des chances et des droits. Depuis les années 1980, il y aurait non pas disparition des politiques sociales, mais reconfiguration de ces politiques. Dans les mesures, par exemple, à l’égard des personnes sans emploi, « l’aide est devenue au conditionnel », pour reprendre l’expression de Dufour, Boismenu et Noël (2003), c’est-à-dire assortie d’un certain nombre de conditions, d’ailleurs variables selon les pays considérés. Dans un contexte idéologique inspiré notamment du workfare, on observerait ainsi une tendance à individualiser les problèmes et à faire en grande partie reposer le fardeau de l’intégration sur les épaules des individus.

    Ce mode de lecture des déterminants sociaux à la base des processus d’exclusion tranche nettement avec une vision plus néolibérale de la société. Il conduit à privilégier une vision plus sociale des problèmes sociaux. Sans prétendre qu’ils agissent seuls, les mêmes éléments expliquant que des groupes ou des individus sont marginalisés et se retrouvent à la périphérie de la société seraient également responsables du fait que certains d’entre eux tombent dans la marginalité, la déviance, voire la criminalité. Cette perspective conduit ainsi à remettre en question les analyses qui interprètent l’implication dans les activités socialement réprouvées soit sous l’angle de désordres individuels, soit sous l’angle de valeurs sociales mal intériorisées. De même, la question de l’intégration ou de la réintégration des personnes judiciarisées n’est plus posée exclusivement par rapport aux handicaps personnels, masquant ainsi leur origine sociale, mais plutôt en fonction des conditions sociales qui la rendent véritablement possible.

    LES INTERFACES DU SOCIAL ET DU PÉNAL: VERS UNE FORME DE PÉNALISATION DU SOCIAL?

    Si la sociologie de l’exclusion analyse les changements structuraux à la base des processus de marginalisation, la sociologie et la criminologie du contrôle social s’interrogent quant à elles sur les transformations qui se sont opérées dans le champ pénal et sur les liens possibles entre ces transformations et celles qui sont en cours dans d’autres champs. Encore ici, nous nous contenterons de présenter succinctement la lecture que dégage ce courant d’étude des changements qui se seraient produits dans le secteur pénal. Nous nous inspirerons notamment des travaux de Garland (1985; 2001), qui en donne sans doute l’une des versions les plus articulées.

    Garland défend d’abord l’idée que, même si le système pénal possède sa propre spécificité, il n’en reste pas moins que les changements qui se sont produits dans ce secteur depuis une trentaine d’années reflètent ce qui se passe ailleurs dans la société. Selon Garland, on a assisté au cours des dernières décennies au déclin de l’idéal de réhabilitation qui serait concomitant au déclin du welfare state. Dans le contexte de l’État-providence, l’accent était mis sur les causes sociales de la criminalité même s’il y avait divergence dans la façon de l’interpréter. On voulait une justice plus équitable axée sur la réforme des « délinquants » et sur leur intégration sociale. Aujourd’hui, ce qui importe est moins de comprendre que de punir davantage. Les politiques pénales sont devenues plus répressives, comme en témoigne dans certains pays le retour à la peine de mort, aux châtiments corporels, à l’usage de la chaîne et à l’uniforme du prisonnier. Il y aurait également retour à des politiques de blâme et d’humiliation publique qui étaient vues jusqu’à récemment comme allant à l’encontre des droits de la personne, tel le fait de rendre publics les dossiers des contrevenants, notamment, mais pas exclusivement, de ceux qui sont accusés d’avoir commis les crimes les plus graves, les délinquants sexuels par exemple. L’idéal de la réhabilitation n’aurait pas entièrement disparu, mais il serait maintenant subordonné à d’autres objectifs comme celui de la rétribution, de la neutralisation sélective et de la gestion du risque.

    L’analyse de Garland s’inspire de la situation qui a cours aux États-Unis et en Grande-Bretagne et ne s’applique pas, ou sûrement pas avec une telle ampleur, à ce qui se passe par exemple au Québec. Elle n’en serait pas moins symptomatique, à des degrés moindres, de tendances de fond dans le monde occidental. Ainsi, dans la formulation et l’application des politiques pénales, la demande pour la protection du public serait devenue centrale. L’emprisonnement serait de plus en plus axé sur la neutralisation sélective, c’est-à-dire sur la mise à l’écart non seulement des délinquants dangereux mais aussi de la petite délinquance. Les mesures comme la probation et la libération conditionnelle, qui étaient traditionnellement vues comme des moyens d’assurer une meilleure insertion sociale, seraient maintenant d’abord et avant tout orientées vers la protection du public.

    Cette demande de politiques plus répressives et d’une plus grande protection du public s’appuie sur un sentiment accru d’insécurité qui traverse l’ensemble de la société, même si ce sentiment ne correspond pas, la plupart du temps, aux risques réels de criminalité et qu’il est inégalement réparti. Elle trouve également sa légitimité dans la nécessaire protection à apporter aux victimes. Non pas que les victimes n’aient pas besoin d’être protégées, mais le discours que l’on tient à leur sujet joue un rôle symbolique important pour réclamer des politiques plus répressives. La question criminelle est devenue fortement politisée et sert de plate-forme électorale, de sorte que ce qui prime en matière pénale, c’est moins l’expertise et la recherche que les considérations d’ordre politique.

    Au total, la criminalité n’est plus vue comme un problème d’intégration sociale, mais comme un problème de contrôle social. Le thème dominant, avec comme toile de fond l’insécurité et la peur du crime, est devenu l’accroissement du contrôle social par des mesures répressives, mais aussi par de nouvelles approches comme la prévention situationnelle qui vise à réduire les opportunités du crime (voir le texte de Philippe Mary, dans le présent ouvrage). Et dans ce nouveau contexte de la protection de la société, de la prévention du crime et de la gestion des populations délinquantes, le secteur privé comme le secteur communautaire sont de plus en plus mis à contribution, de sorte que la question pénale n’est plus ou pas uniquement une affaire de l’État.

    Il y aurait donc un rapprochement à établir entre le durcissement que l’on observe dans le champ des politiques sociales et celui à l’œuvre dans le champ pénal, durcissement qui naîtrait à peu près des mêmes sources. Peut-on cependant pousser le parallèle plus loin? Y a-t-il un rapport entre la gestion des problèmes sociaux et les politiques pénales? Plusieurs en voient un. La thèse avancée dans ce sens consiste à dire que l’on se sert des mesures pénales et notamment de l’incarcération comme moyen de compenser le déclin de l’État-providence et la détérioration des protections sociales. On se retrouve en quelque sorte devant une forme de pénalisation du social, pour reprendre l’expression de Mary. Il existe une version dure de cette thèse que l’on retrouve par exemple chez Wacquant (1998). Celui-ci parle des États-Unis comme d’un véritable État pénal. L’augmentation vertigineuse des taux d’incarcération depuis les années 1970 ne s’expliquerait pas par une croissance des taux de criminalité, lesquels auraient plutôt diminué, mais bien comme le résultat de politiques plus répressives dans le contexte d’une économie néolibérale et d’une forte décroissance des politiques sociales. Dans sa version plus douce, la pénalisation du social est vue comme « l’immixtion d’une logique pénale dans les modes de prise en charge de problèmes sociaux » (Mary, p. 55 dans le présent ouvrage). L’État étant perçu comme incapable ou moins capable de jouer son rôle de régulation sur les plans économique et social, il aurait tendance à se retrancher derrière une fonction sécuritaire, tout en imputant aux individus une responsabilité prépondérante dans la résolution des problèmes sociaux.

    LES PROCESSUS DE MARGINALISATION VUS SOUS L’ANGLE DES TRAJECTOIRES ET DES EXPÉRIENCES DE VIE

    Autant il est primordial de prendre en compte les processus macrosocio-logiques de l’intégration ou de la marginalisation, autant il est essentiel d’envisager ces processus en considérant les acteurs sociaux. C’est l’optique adoptée dans plusieurs travaux de la sociologie de la déviance et de l’exclusion sociale, optique que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs des contributions du présent ouvrage. Tous ces travaux adoptent une perspective relativement commune et partagent, nous semble-t-il, un certain nombre de caractéristiques.

    Celle, d’abord, d’envisager que les trajectoires des personnes considérées sont complexes et diversifiées. Ce n’est pas parce que ces personnes sont l’objet d’une qualification sociale commune, largement tributaire des catégories institutionnelles telles que jeunes de la rue ou gangs de rue, toxicomanes, ex-détenus, chômeurs ou assistés sociaux, que leurs trajectoires sont nécessairement identiques. Il existe donc une diversité d’expériences et de parcours même s’il est possible d’en dégager des régularités et que ces personnes font l’objet de processus sociaux communs.

    Ensuite, dans l’étude de la manière dont se pose la question de l’intégration pour ces personnes, elles doivent être considérées comme des acteurs à part entière, capables de réflexivité mais également d’initiative, de solidarité et de débrouillardise. Ces personnes « agissent » en fonction des contraintes, mais également des ressources qui leur sont accessibles, même si globalement il faut prendre acte qu’elles sont, pour plusieurs, dans des trajectoires difficiles en raison de leur position sociale et de leur condition socioéconomique. En d’autres termes, il importe de ne pas les traiter comme des victimes, ni de négliger les différents déterminants sociaux qui pèsent sur leur condition.

    Dans l’analyse de leur conduite et de leur situation, il faut tenter d’effectuer une rupture par rapport aux diverses lectures institutionnelles qui peuvent en être faites. L’un des moyens d’opérer cette rupture est d’abord de se référer au sens que ces personnes donnent elles-mêmes à leurs conduites, y compris pour celles qui sont réprouvées socialement. Cette posture est assez ancienne dans les sciences sociales, mais pas toujours facile à respecter. C’est cette perspective phénoménologique qu’avaient adoptée, par exemple, les interactionnistes dans les années 1960 et 1970 lorsqu’ils tentaient de prendre une distance par rapport aux interprétations pathologisantes des conduites déviantes et de montrer les diverses significations rattachées à ces conduites, de même que leurs enjeux normatifs sous-jacents.

    Enfin, une analyse de la trajectoire et du cheminement de ces personnes permet d’avoir une connaissance de l’intérieur, non seulement des dilemmes que ces personnes sont appelées à vivre, mais aussi de l’impact que peuvent avoir sur leur existence leur environnement social et les diverses interventions dont elles peuvent faire l’objet.

    ORGANISATION ET CONTENU DE L’OUVRAGE

    Cet ouvrage collectif est divisé en trois parties. Dans la première, on s’interroge sur les transformations sociopolitiques et pénales qui ont marqué nos sociétés contemporaines depuis une trentaine d’années, de même que sur leur impact sur les questions d’intégration ou de marginalisation. Nous en avons présenté les grandes lignes dans les deux premières sections de cette introduction. Il suffira de rappeler qu’en plus de s’intéresser à l’impact de la conjoncture actuelle sur l’intégration des groupes vulnérables, Castel se penche sur la signification de ce qu’on a appelé l’individualisme contemporain pour les personnes au statut précaire. Après avoir approfondi les sens possibles de la notion d’intégration, Dubet tente également par son analyse de cerner les changements sociétaux des dernières décennies en prenant comme exemple, notamment, le cas des jeunes immigrants des banlieues pauvres en France. Mary traite des tendances actuelles des politiques pénales, de leur lien avec les politiques sociales et des conséquences qu’elles entraînent, comme celle de l’individualisation de la question criminelle. Otero, Poupart et Spielvogel analysent les enjeux normatifs que soulèvent les notions d’autonomie et de responsabilité individuelle dans le contexte des politiques sociopénales et de l’individualisme contemporains, du point de vue des ex-détenus.

    Sont rassemblés dans la seconde partie les textes qui prennent pour objet l’analyse des trajectoires et des expériences de vie. Le texte de Kokoreff porte sur les usagers-revendeurs d’héroïne des quartiers pauvres en France dont il resitue l’expérience par rapport à leurs conditions de vie, mais également par rapport à l’emprise exercée par le système pénal. Strimelle et Poupart montrent comment la question de l’intégration des personnes ayant connu une expérience d’incarcération, une fois qu’elles n’ont plus de liens avec le système pénal, reste tributaire de leur condition sociale antérieure, que complique encore davantage l’expérience pénale. En prenant comme exemples l’itinérance et le phénomène squeegee, Roy et Hurtubise mettent en évidence que ce ne sont pas toutes les formes de travail qui sont socialement acceptées et qu’elles ne permettent pas toutes une égale intégration. Après avoir décrit les difficultés que connaissent les jeunes associés aux gangs de rue, Hamel, Cousineau et Fournier examinent le sens que prennent pour eux tant leur affiliation que leur désaffiliation à ces groupes.

    Un questionnement sur l’impact des politiques et des pratiques sociopénales sur les processus d’intégration constitue la trame des chapitres de la dernière partie du livre. À la suite d’une analyse des réformes pénales de la dernière décennie et des conditions de détention faites aux femmes, y compris autochtones, Marie-Andrée Bertrand met en lumière, dans une perspective féministe et postcolonialiste, les effets du « genre » et de la « couleur » du droit pénal sur l’intégration sociale de ces femmes. Après avoir contrasté les différentes approches concernant l’insertion socioprofessionnelle des jeunes en difficulté, Goyette, Bellot et Panet-Raymond font part des forces et des limites des mesures mises en place par le gouvernement québécois dans le but de favoriser une telle insertion, des mesures multidimensionnelles mais qui en même temps restent en grande partie individualisantes. Landreville, quant à lui, attire l’attention sur le nombre impressionnant de personnes ayant un casier judiciaire, sur les difficultés associées à l’obtention d’un pardon et sur la discrimination que ces personnes continuent de subir sur le plan du travail. Combessie traite de la signification sociale d’une surreprésentation de certains groupes sociaux dans le système carcéral, en plus de revenir sur les effets et les fonctions sociales de l’enfermement. L’ouvrage se termine par deux témoignages sur les difficultés d’intégration professionnelle qu’ont connues deux personnes judiciarisées. L’expérience de Lalonde illustre bien comment le stigmate pénal rend difficile le passage d’un statut à un autre, en l’occurrence du statut d’ex-détenu à celui de travailleur social. L’expérience de Therrien montre l’importance des soutiens sociaux pour s’intégrer professionnellement, mais en même temps les limites qu’impose encore une fois le stigmate pénal au regard d’une telle intégration.

    Nous avons intitulé cet ouvrage Au-delà du système pénal: l’intégration sociale et professionnelle des groupes judiciarisés et marginalisés. À cela, trois raisons. La première est que, dans une grande partie des textes, on s’interroge sur ce qui se passe au-delà du système pénal lorsque les personnes tentent de s’intégrer. La deuxième est la nécessité de bien signifier, comme plusieurs l’ont également souligné, que le fait d’aboutir dans le système pénal prend ses racines dans des processus sociaux qui dépassent largement les seules questions de la marginalité, de la déviance et de la criminalité. La troisième raison, enfin, est que nous souscrivons au courant de pensée selon lequel la résolution des problèmes sociaux ne devrait pas passer ou le moins possible passer par le système pénal.

    BIBLIOGRAPHIE

    CASTEL, R. (1995). « Les pièges de l’exclusion », Lien social et politiques – RIAC, vol. 34, p. 13-21.

    COHEN, S. (1985). Visions of Social Control, Cambridge, Polity Press.

    DUFOUR, P., G. BOISMENU et A. NOËL (2003). L’aide au conditionnel. La contrepartie dans les mesures envers les personnes sans emploi en Europe et en Amérique du Nord, Bruxelles, Peter Lang.

    GARLAND, D. (2001). The Culture of Control. Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford, Oxford University Press.

    POUPART, J. (2001). « D’une conception constructiviste de la déviance à l’étude des carrières déviantes », dans H. Dorvil et R. Mayer (dir.), Problèmes sociaux. Tome 1: théories et méthodologies, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 79-110.

    SCHNAPPER, D. (1997). La fin du travail. Entretien avec Philippe Petit, Paris, Éditions Textuel.

    WACQUANT, L. (1998). « L’ascension de l’État pénal en Amérique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 124, p. 27-35.

    PARTIE 1

    INTÉGRATION SOCIALE, SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES ET TRANSFORMATIONS SOCIOPOLITIQUES ET PÉNALES

    CHAPITRE 1

    INTÉGRATION ET NOUVEAUX PROCESSUS D’INDIVIDUALISATION¹

    ROBERT CASTEL

    Centre d’études des mouvements sociaux

    École des hautes études en sciences sociales

    colpin@ehess.fr

    RÉSUMÉ

    Cet article aborde le contexte dans lequel s’insèrent, aujourd’hui, les activités d’intégration et de réintégration des personnes incarcérées et marginalisées. Les changements qui ont affecté nos sociétés depuis les années 1970 ont eu un impact important sur les formes de l’intégration, et par conséquent sur les possibilités de réintégration. Les techniques d’intervention qui visent l’intégration doivent évoluer et tenir compte des personnes se retrouvant aux marges du social non pas à cause d’un déficit personnel, mais plutôt en raison de la conjoncture sociale. L’auteur examine donc les défis posés par les processus d’individualisation et les questions soulevées par le nouveau contexte social dans lequel ces processus s’inscrivent.

    Précisons d’entrée de jeu que je ne suis pas du tout spécialiste des problèmes que posent le système pénal, la criminologie, l’incarcération. Je ne peux donc pas faire semblant de connaître ce que je ne connais pas.

    Je vais être ainsi obligé de m’en tenir à un plan de réflexion assez général, disons sociologique, sur l’intégration. Si je risque d’être un peu décalé, j’espère néanmoins ne pas être hors-sujet. Je pense en effet que la plupart d’entre nous partagent la conviction qu’il est essentiel d’inscrire fermement la question de l’intégration dans la problématique de la prison. Ce qui ne va pas de soi pour tout le monde. Il y a même souvent une conjonction entre une certaine critique de gauche de la prison, de type foucaldien, qui la condamne totalement en l’assimilant à sa fonction répressive, et une instrumentalisation de droite de la prison pour laquelle c’est la sanction seule qui compte: il faut avant tout punir le délinquant, le mettre hors d’état de nuire et la référence à la réinsertion des détenus ne serait que l’alibi des belles âmes, totalement irréaliste et d’ailleurs le plus souvent démentie par les faits.

    Le débat est ancien. Il n’en est pas moins plus que jamais d’actualité. En France, actuellement, ce qu’on appelle les politiques de « tolérance zéro » à l’égard des délinquants montrent bien que cette orientation répressive est plus vivace et aussi plus populaire que jamais. C’est l’idée qu’il faudrait sanctionner les délinquants sans trop se demander pourquoi ils le sont, ni ce qu’ils deviendront ensuite. Il me semble qu’on peut combattre ces positions en ne se contentant pas d’adopter une posture humaniste, mais qu’il y a aussi des raisons objectives de penser que la question de la réintégration des personnes incarcérées est directement amenée par l’analyse des populations judiciarisées. Pourquoi?

    Je crois que, sociologiquement parlant, c’est une erreur d’autonomiser l’incarcération. La prison est sans aucun doute une situation limite, mais elle ne se situe pas dans le hors-social. D’ailleurs, personne n’est dans le hors-social et la position carcérale est une position extrême, mais qui s’inscrit dans un continuum de positions; elle est traversée par des dynamiques transversales qui vont de l’intégration à l’exclusion ou à la désaffiliation et réciproquement. Il me semble que la sociologie ne consiste pas à partir des formes de ce qu’on appelle l’exclusion comme s’il s’agissait d’états, mais plutôt comme s’il s’agissait de résultats qui renvoient à des situations en amont, par exemple un rapport difficile à la scolarité, au travail, à la famille, etc. Et un même individu peut être amené à occuper des positions différentes sur une trajectoire qui aboutira à l’incarcération.

    Mais cela donne aussi la possibilité de penser les conditions d’un parcours inverse. Si l’incarcération a un amont, elle peut avoir un aval, une vie après la prison qui ne se contenterait pas de répéter l’incarcération. Parler en termes de trajectoire, c’est refuser de voir un destin qui fixe définitivement le délinquant sur son délit, et pour cela je crois qu’il est nécessaire de garder une référence ferme à la réintégration. Il me semble donc que penser et essayer de promouvoir l’intégration des personnes incarcérées, ce n’est pas seulement faire preuve de mansuétude à leur égard, adopter une position humaniste opposée à l’attitude répressive de ceux qui mettent uniquement l’accent sur la sanction. C’est aussi, finalement, le moyen de ne pas « substantialiser » le délinquant, mais d’essayer de « sociologiser » sa condition en prenant au sérieux le fait que le délinquant est un sujet social, c’est-à-dire que cette condition relève d’une analyse objective, et pas seulement de jugements moraux.

    L’intégration des personnes incarcérées est une entreprise très difficile, mais ce n’est pas une attitude déraisonnable, de l’ordre d’une utopie un peu naïve ou bien d’un alibi qu’on se donnerait pour ne pas regarder en face les turpitudes de la prison. Il me semble qu’elle correspond aussi à une option rationnelle que l’on peut prendre sur ces problèmes de la délinquance, de la marginalité, de l’exclusion. Je souhaitais rappeler cela en préalable, dans une conjoncture où nous aurons sans doute de plus en plus à faire face à des offensives contre l’ouverture de la prison et plus généralement contre les politiques sociales plus libérales à l’égard de la délinquance et de la marginalité. Je crois que c’est un combat qui a une dimension morale et politique, mais qui peut aussi être mené sur le plan de la connaissance et de la pratique professionnelle en s’appuyant sur l’analyse des processus sociaux qui conduisent à la marginalité et à la délinquance.

    C’est un point sur lequel je pense que la plupart d’entre nous s’entendent, mais on pourrait en discuter. Cela dit, il reste le plus difficile, qui serait de caractériser en quoi consiste exactement l’intégration des personnes incarcérées et marginalisées et quels sont les moyens de la promouvoir. C’est ici que je suis un peu gêné, parce que – je le répète – je suis ignorant des pratiques concrètes que l’on peut déployer en direction de ces personnes. Ce que je peux essayer de faire, c’est de préciser un peu le contexte dans lequel, à mon avis, ces questions se posent aujourd’hui.

    En effet, je crois que le contenu que l’on peut donner à la notion d’intégration n’est pas donné une fois pour toutes. C’est une sorte de construction historique, parce que l’intégration exprime un certain équilibre entre les groupes sociaux. Idéalement, ce serait une forme de cohésion sociale dans laquelle tous les individus qui composent une société trouveraient une place reconnue. Mais il me semble qu’aujourd’hui, en raison de nouveaux processus d’individualisation qui traversent nos sociétés, cette cohésion sociale se trouve profondément ébranlée, de sorte qu’il y aurait maintenant de nouveaux défis à relever pour cette entreprise, qui a toujours été difficile, celle de remettre au régime commun, de réintégrer des individus qui ont été retranchés de la vie sociale comme le sont les personnes incarcérées.

    C’est en tout cas l’hypothèse que je vais argumenter un peu pour la soumettre à la discussion. Définir l’intégration, c’est un problème difficile qui se trahit d’abord par un certain flou du vocabulaire: « intégration », « réintégration », « insertion », « réinsertion », « insertion sociale », « insertion professionnelle »… Mais le temps manquant pour les subtilités, je m’en tiendrai à une conception tout à fait commune de l’intégration, ou plutôt de la réintégration, puisque la personne incarcérée a d’abord été

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1