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REVUE BIBLIQUE

Typographie Firmin-Didot et C". — Paris.


NOUYELF.E SERIE QUATORZIEME ANNEE TOME XIV

REVUE BIBLIQUE
PUBLIEE PAR

L'ECOLE PRATIQUE D'ÉTUDES BIBLIQUES

ETABLIE AU COUVENT DOMINICAIN S^INT-ETIENNE DE JERUSALEM

/ ^7 7 / ^ t)

a^ |9 //^
PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA, ÉDITEUR

RUB BONAPARTE, 90

1917
M-\o
LE MARQUIS DE \ OGUÉ

Le marquis de Vogué est mort avant la fin de la guerre, le 10 novem-


bre 1916, à Fàge de 87 ans. Malgré cet âge avancé, ses amis et ses
admirateurs espéraient que Dieu prolongerait jusqu'au jour de la vic-
toire une vie si noblement employée au service de la France et de
l'Église. Les circonstances n'ont pas permis à la Revue biblique d'ex-
primer plus tôt son deuil, et déjà tout a été dit sur cette grande figure,

en attendant qu'une étude complète lui assigne son rang, très haut
dans toutes les sphères de son activité, le plus haut de tous dans l'ar-
chéologie syrienne et dans le dévouement à la cause des Lieux Saints.
Pourtant l'École biblique de Jérusalem ne peut taire sa gratitude
envers celui qui encouragea ses débuts avec tant de bienveillance, et
des vues si élevées.
Chrétien robuste, le marquis de Vogué avait compris avant Renan
quel fruit l'explication de la Bible pouvait retirer d'une connaissance
approfondie de l'Orient ancien. Mais tandis que Renan essayait de
faire accroire qu'on ne peut plus avoir foi en la Bible quand on sait
l'hébreu et qu'on a fait des recherches en Phénicie, Vogué avait
compris que le christianisme n'a rien à redouter de l'histoire. Si la
critique démolit quelques légendes, les hommes d'imagination regret-
teront cette aimable végétation accrochée aux murs solides comme
une parure un ; esprit aussi ferme que celui de Vogué voyait un avan-
tage dans ces petits sacrifices. Mais au moment où parut la vie de
Jésus selon Renan, il n'était point seulement question de légendes.
Le monde ecclésiastique était justement froissé d'attaques brutales, à
peine voilées sous une forme insidieuse. Combien de personnes com-
prirent que le remède devait venir, comme le mal, de l'Orient, dont la
lumière n'était pas épuisée? Le marquis de Vogué était vraiment une
voix retentissant du désert quand il écrivait en 186i, à l'âge de trente-
cinq ans : u Je me sens plus touché par la certitude que par l'hypo-
thèse, par l'histoire que par la légende. L'émotion que m'inspire la

majesté des souvenirs grandit de tout le respect de ma raison satis-


faite... Puisque c'est sur le terrain des faits que la critique moderne
UKVIK lUlM.lQUE.

porte la discussion, la science chrétienne doit l'aborder, ('/est ici que


l'archéologie trouve son rôle, car elle est la science des faits et des
détails; elle prépare et contrôle les éléments dont se compose l'his-
toire, et, considérée à ce point de vue élevé, elle acquiert son utilité

et sa grandeur » (1).

Ce une phrase jetée en passant (2); c'était une con-


n'était point i;\

ception féconde, qui devait se réaliser dans une institution. Le mar-


quis de Vogiié avait souhaité qu'un établissement ecclésiastique
d'études orientales fût établi à l'ombre de l'église de Sainte-Anne,
devenue maison française. Ce projet ne put se réaliser; \o, grand
apôtre de lAfrique, le Cardinal Lavigerie, préféra occuper ses mis-
sionnaires à la formation d'un clergé catholique du rite grec. Mais
lorsque le général des Dominicains eut résolu de fonder près du lieu
du martyre de saint Etienne une école biblique et archéologique,
Yogiié reconnut son dessein, comme nous reconnûmes en lui le
maître.
La bien que la probité aurait pu figurer dans la devise
fidélité aussi

de sa maison. Il poursuivit toujours de toutes ses forces un accord


largement établi du christianisme et de l'histoire fondée sur les
sources. Témoin attentif des controverses récentes, il écrivait encore :

« Il est temps que le grand public soit saisi de l'évolution qui


se fait

dans la critique des sources religieuses que, pour ma part, je consi-

dère comme nécessaire au maintien de la foi dans les régions intel-

lectuelles. » Et ces mots attiraient Fattention d'un prince de l'Église


qui les fit siens, leur conférant ainsi une nouvelle autorité, car cette
approbation émane du Cardinal Mercier. L'harmonie entre la religion
et la science peut-elle avoir un plus noble symbole que la
rencontre

de ces deux pensées?


Pour nous, nous étant proposé un tel modèle, nous ne prétendons
pas que le nombre
des travailleurs et celui déjà sensible des années

écoulées nous aient permis de produire une œuvre égale à la sienne


dans le domaine de l'archéologie orientale et de l'épigraphie sémi-
tique. Ses ouvrages demeurent la base des études ultérieures. Le
temple de Jérusalem, les Églises de la Terre Sainte, la Syrie centrale,
inscriptions sémitiques et monuments, forment une glorieuse trilogie
que nul de ses successeurs n'a le droit d'ignorer. La photographie ne
pouvait alors rendre les mêmes services qu'aujourd'hui pour la repro-

(1) Le Temple de Jérusalem, préface.


lignes auraient pu
(2) M. Salomon Reinach, auquel elle n'a pas échappé, a noté que « ces
novembre-décembre
servir de programme a la Revue biblique » (Revue archéologique,
1915, p. 445, note).
LE MARQl IS DE VOGUÉ. 7

diiction exacte des détails. Mais combien de monuments dans le

Haouràn et le Djebel Simàn encore debout au passage de Vog-ué,


qui n'existent plus que par son crayon fidèle et élégant ou par les
lavis de M. Duthoit? Au cours d'explorations qui, dans ce temps, n'al-
laient pas sans péril, il s'accommodait de la vie la plus austère. Un

savant, plus épris du confortable, se vantait à lui de n'avoir jamais


pris son repas du soir sous la tente sans un service complet et les
candélabres allumés. S'il eût été capable jamais de manquer à la plus
exquise politesse, Vogiié eût souri, en grand seigneur qui se trouvait
à l'aise au pays des croisades dans la compagnie du populaire, en
artiste qui savait jouir de la simplicité si noble des attitudes et des
costumes. 11 n'admettait aucun voile entre son esprit curieux et les
aspects de l'Orient , aucun intermédiaire dans son commerce avec
les habitants, dédaignant l'art facile de recueillir sur les lèvres des

drogmans de prétendus échantillons de la poésie des nomades. Et


qu'il ait pu achever une telle œuvre, presque seul, sans séjourner
longuement dans le pays, c'est la preuve d'un ensemble vraiment
merveilleux des dons les plus rares. Philologue doué d'un tact très
précis et très sûr, que les plus exercés consultaient encore avec défé-
rence, même lorsqu'il sembla se consacrer à d'autres études, il des-
sinait et peignait des aquarelles dont le charme reflète la plus trans-

parente des lumières.


Mais voici qui l'emporte de beaucoup. On hésite toujours à rendre
public un d'âme intime, mais celui-ci ne doit pas être caché,
trait

car il est révélateur de la probité de Vogiié. Comme il se tenait au


courant de tout ce qu'on avait découvert, mesuré, photographié
après lui, il avait songé à revoir et à rééditer ses ouvrages. Et il serait
du plus haut intérêt pour l'archéologie qu'on publiât ses observa-
tions, ce qu'il nommait le complément de son « dossier ». Mais il crai-
gnait que son grand âge ne lui permit pas de reprendre ses travaux
et il avait songé à recourir aux forces plus jeunes du P. Vincent. De
son côté, ignorant ce dessein, admirateur passionné de l'œuvre et
de l'homme, le P. Vincent lui soumit son manuscrit sur le Saint-Sépul-
cre. Alors, très simplement, très noblement, le Maître ne voulut pas
que ce travail fût absorbé dans le sien; il oQ'rit d'en écrire la préface,
comme pour transmettre à un autre le flambeau.
Il lit plus. Dans de Bethléem il n'avait reconnu qu'une
la basilique
époque. Le travail acharné du P. Vincent durant de longues séances
sur place lui persuada (|ue l'église primitive avait été retouchée très
habilement, mais enfin notablement agrandie sous Justinicn. Ses
arguments convainquirent le marquis de Vogué, et ce fut encore lui
8 lU'ivri; i;iiu.iQrE.

(jiiise chargea dollVir l'ouvrage des Pères Vincent et Ahel à TAcadé-


mie des Inscriptions et Belles- Lettres, sous les yeux du 1*. Vincent,
prolondénuMît ému de cette hauteur d'<Vme et de cette bonne grAce
empressée se donner tort.
î'i

Il lui a plu. lors de son dernier voyage aux Lieux Saints, de parler

avec bienveillance et indulgence de notre Kcole, où il retrouvait comme


un prolongement de ses vues et la suite de ses travaux. Nous dirons
à notre tour quil y parut comme un patriarche biblique, entouré de
familles religieuses (ju'il avait contribué à établir en Terre Sainte.
Parmi de grandes douleurs qu'il supportait en chrétien, ce lui fut certes
une consolation, car il voulait la France grande partout, mais il la vou-
lait sans rivale dans le pays du Christ, sinon pour recueillir les fruits

de la vigne, du figuier et de Tolivier, du moins pour faire aimer l'idéal


français de sincérité et de générosité dans la charité. i*arvenu au
terme de la carrière du juste, qui est un progrès dans la lumière, il
avait conservé intacte la foicjui Favait attiré au Saint-Sépulcre cin-
quante-deux ans auparavant. Il envisagea sa communion au saint
tombeau comme le point culminant de son pèlerinage sur la terre.
Il s'y prépara gravement, à la manière de saint Louis, et voulut s'as-

socier pour ce jour-là, plus étroitement cjue de coutume, à nos exer-


cices monastiques.
Pour tout dire, nous l'aimions. Car ce port imposant, ce grand air
qu'on eût pu croire intimidant, ce regard clair si pénétrant, presque
dominateur, savaient, par une sorte d'enchantement, laisser appa-
raîtreune exquise bonté.
Ce n'est point sans un dessein secret de la Providence que ce grand
Français ait attaché pour toujours son nom au pays des Croisades, au
moment où. nous l'espérons, il va redevenir français.
Fr. M.-J. Lagrangk.
AUTOUR DU DE IITILITATE CREDK?sDI
DE SAINT AUGUSTIN

Dans le rapide et beau livre qu'il a intitulé d'un titre très moderne
De ulilitale credendi, saint Augustin, s'adressant à son ami Ilonora-
tus, lui rappelle de quel grand amour ils ont brûlé tous deux dès
leur adolescence pour la vérité (1). Converti et baptisé, dans sa trente-
troisième année, en a87, Augustin vient d'être fait prêtre d'Iiippone
(391) il s'attache à retirer Honoratus de l'erreur
:
manichéenne où
il s'attarde encore, retenu moins par la dogmatique de la secte que
par méthode qu'elle applique à la découverte et à la conservation
la
de la vérité, méthode dont Augustin a connu la séduction.
Les Manichéens, en effet, ont pour principe le primat de la raison :

((Nihil aliud maxime dicunt, nisi rationem prhis esse reddendam (2) ».
Kendre raison d'abord, prius. Ils ne parlent pas de foi, mais de
vérité ils ont constamment à la bouche le mot de « Vérité », pour
:

la promettre, pour l'exiger (3). Ils se font fort de donner la science


(i),

l'évidence, « manifestam cognitionem (5) ». Ils professent que, au


contraire des catholiques qui font à leurs fidèles un précepte de

De util. cred. 1 (éd. Zvcha, p. 2)


(1)
Non pulavi apud te sileudum esse qiiid milii
: <;

de invenieiida ac retinenda veritale videatur, cuius, ut scis, ab ineunte adulescentia


veritas,
magiio arnoie llagravimus ». Rapprochez Conf. m, 10 (éd. Knoell, p. 51) « :

Veritas... »

(2) De mor. Eccl. cath. 3. De util. cred. 21 (p. 26), 25 (p. Si;. — Ua|)pro(lie7. /•/».<<(//.
Ec-
r.wiii, 32 ConaïUur (les hérétiques) ergo aucloritatem stabilissimam lumialissiiiiae
: «
haereticoruui quasi
desiao quasi ralionis nomine et pollicilalione superare. Omnium enim
regularis est isla tenieritas. »

Dr Cru. co))lm Manich. i, 1. Conira epist. Fund. 4 (p. 196) : « .\puil vos... sola
l3)

Personal pollicilalio verilalis. » Ibid. .i (p. 197) : « Proinittebas enim scienliam verila-

tis. » Conira Faustum, \v, 5 et 6 (p. 424, 425, 427). Sermo i., 13. Conf. loc. cil. (p. 50) :

« El dicehanl : Veritas et veritas... »


et 7.
(4) dir. (juaesl. i.wui, 1. In loa. euang. tract, xcmi, 2 et 4; xcviii, 4
De
detepit
Contra epist. Fund. 14 (p. 211) « ... nos imperitos adulescentes aliquando
i
:
(5)
debuit ergo non nobis poUiceri scientiain neque manifestam cogniliouem...
»
10 RKvri-: iniîi.ioi !•.

croire d'abord, l'on doit oxamiiK'r d'abord et n'obliger à la loi que


par la discussion, par la iuauil'ostati<>n de la vérité (1).

Qui ne serait séduil de semblables promesses, écrit Augustin,


i)ar

surtout l'adolescent à l'esprit avide de vérité, et tout enorgueilli des

discussions d'école (2)? J'étais tel, poursuit-il, j'étais plein de mépris


pour ce que j'appelais des fables de vieille femme, j'étais passionné
pour la vérité ouverte et sincère que les xManicbéens me promet-
taient (31. Cependant, j'observai ([ii'ils étaient diserts et intarissables
à réfuter autrui, bien plus que solides et assurés h prouver leurs
priTi^res doctrines. Puis, leur impitoyable critique de TAncien Testa-
ment était injuste, car « il n'est rien de plus sage, de plus cliaste,
de plus religieux que les Écritures conservées par l'Église catholique
sous le nom d'Ancien Testament ». Quelle imprudence était celle
de pour connaître l'Ancien Testament, s'en
notre jeunesse, qui,
rapportait à des auteurs qui lui ont déclaré une guerre sans merci [k] !

iMais nous étions des jeunes gens épris de raison et de volonté de

comprendre, « intellegentissimi adulescentes et miri rationum cxplo-


ralores », sans aucune déférence pour les hommes qui depuis si

longtemps ont eu mission dans le monde entier de lire, de conserver,


d'interpréter les Écritures (5). Nous condamnions du haut de notre
libre examen, la religion qui avait rallié à elle le monde entier,
pauvres enfants que nous étions (6) !

En ces termes, qui sont de huit années environ antérieurs au récit


des Confessions (VOOi, Augustin décrit à son ami Honoratus les dis-
positions d'esprit qu'il avait apportées dans son Manichéisme. Puis,

(Ij De util. cred. 2 (p. 4) : « ... se nuUum piernere ad tidem nisi |)rius discussa et eno-
data veritate. »

2] Penser à De util. cred. 16 fp. 20) : « Nonne videmus quam pauci sHmiuam eloquen-
liam consequantur, ciiin per totiim orbem rlietoruni scholae adulescentiuin gregibus per-
slrepant ? »

(3) De util. cred. 2 (p. 4) : « ... se dicebant, terribili auctoritate separala, mera et sim-
plici ratione eos, qui se audire vellent, introducluros ad Deuin et errore omni liberatii-
roA.. . » etc. Ne pas oublier que les initiés du premier degré portent dans le Manichéisme
le nom d'auditorex.
(4) Ibid. 13 (p. 17) : « Testor, llonorate, conscienliam meam et puris auimis inhabilan-

tem Deum existimare jirudentius, castius, religiosius, quam sunt illac sciiplurae
nihil me
oiiines, quas testamenli veleris uomine calliolica Ecclesia retinet... » Toute la page est

1res belle, sur la lecture de l'Ancien Testament et la sympathie qu'y doit apporter Hono-
ratus : « Quidquid est, milii crede, in Scripturis illis altum et divinum est : inest omnino
Veritas et refîciendis instaurandisque animis adcommodatissima disciplina... » Sur le qua-
"Iruple sens possible de l'Écriture, ibid. 5 (p. 7).

'5) Ibid. 13 (p. 19).


^6) Ibid. 17 (p. 22) : « ... religionem fortasse sanctissimam (adhuc onim quasi dubilan-
àum sit loquor) cuius opinio totum iam terrarum orbem occupavit, miserrimi pucri pro
nostro arbitrio iudicioque damnavimus. »
AUTOUR DU DE UTILITATE CREDE^Dl DE SAINT AUGUSTIN. U
aussitôt, oppose à cette confiance de jeunes explorateurs la désil-
il

lusion qui n'a pas tardé à s'y mêler. Il a connu à Gartha.se le


porte-

parole le plus réputé de la secte, ce Faustns dont il tracera dans les .

les en-
Confessions un portrait si désenchanté et si respectueux :

tretiens de Faustus, si éloquents soient-ils, lui révèlent riuipuissance


radicale du Manichéisme, non pas à critiquer, mais à construire
(lu

Augustin a quitté Carthage (383y, il est à Rome, tourmenté, hésitant,

qu'il doit retenir, ce cju'il doit répudier il déli-


se demandant ce :

bère avec lui-même, et la question qui se pose à lui n'est déjà plus de
savoir s'il restera dans la secte qu'il regrette d'avoir rencontrée
%ur
il sou-
sa route, mais comment il découvrira la vérité vers laquelle
pire passionnément. Honoratus mieux que personne a été témoin de
ses soupirs. Mais peut-on découvrir la vérité, et le scepticisme de

l'Académie n'aurait-il pas raison? Non, pense Augustin, la vérité ne


peut se dérober à la sagacité de l'esprit humain, la découvrir est
affaire de méthode, et cette méthode doit être demandée à
quelque
autorité divine. Mais alors à quelle autorité divine recourir (2)? U
se voit dans une inextricable forêt. U se tourne vers la divine Provi-
dence, il la prie en pleurant de lui venir en aide,
il est prêt à se
enseigner, et voici
laisser instruire s'il se trouve quelqu'un qui puisse
qu'il est à Milan et qu'il rencontre Ambroise (387). La méthode
qu'il

cherchait lui est proposée par le catholicisme, puisque le catho-

licisme enseigne, et que ce qu'il enseigne vient du Christ et des

apôtres : « Seqiiere Augustm


viam calholicae disciplinae, peut dire

à Honoratus, quae ah ipso Chris to per apostolos ad nos iisque mana-


vit et abhinc ad posteros manatura est » (3).
Ce récit du De utiliUite credendi, première esquisse du récit des
a l'avantage de mettre en pleine lumière la
marche
Confessions,
suivie par Augustin, et d'en marquer nettement les trois étapes
inégales : la première est celle où Augustin est prisonnier du Mani-

chéisme, la seconde celle où il traverse le scepticisme académicien,


la troisième celle où soumet à la catkolica disciplina. Le Mani-
il se
douter de
chéisme la mis aux prises avec le problème de la vérité :

Augustin
tout ne résout pas le problème, et aggrave la langueur :

résout le problème -par le recours à une autorité divine de fait, le

(1) De util. cred. 2 ((>. 4 .

liumanain lain
(2) Ibid. 20 Saepe rursus inluens, quantum polerani, nientein
(p. 2.5) : «
pulabain latere verilatein. nisi quod \n -a
vivacem, lam sagacem, lam perspicacem, non
divina auclontate c>se
quaerenili mo.lus lateref. eundemque ipsum modum ab aliqua
esset auolorilas... »
sumendum. Restabat quaerere quaenam illa

(3) Ibid.
12 nr.VIK IJIBLIQUK.

calluilicisme conçu et aimé comme règle de loi. Le récit des Confes-


sions man]ue aussi ces trois étapes, notamment celle du scepti-
cisme académicien (1), mais il la double d'une péiiode de l'ervcur
néoplatonicienne (2). (pic les critiques récents ont éprouvé qu<d(jue
l)eine à Augus-
concilier avec la catJwlica disciplina professée par
tin : en ont pris occasion de conjecturer que la conversion d'Au-
ils

gustin au moment do son baptême à Milan était une conversion


l»bilosophique, qui ne devint une conversion religieuse qu'au
moment de l'ordination à Uip[>one. Le récit du De utilitate cre-
dendi exclut cette distinction. Il a sa confirmation dans la conclu-
sion du Contra Academicos, la première œuvre d'Augustin à Cassi-
siacuni 386) on voit là que le converti s'appli([ue à déblayer
:

dialectiquement les abords de la certitude, et que les Platoniciens


lui promettent une philosophie qui ne répug-ne pas à sa religion il :

l'utilisera, mais la certitude est pour lui acquise, et elle est dans l'au-

torité du Christ (3). Cette autorité présujjpose une connaissance de


Dieu, et en elt'et Augustin a dès l'abord une connaissance au moins
affective de Dieu, puisqu'il le prie « [Restabat] ut divinam providen- :

tiam lacrimosis et miser ahilibus vocibiis, ut opern mihi ferret, depre-


carer, atque id sedido faciebam » {'%). Qui voudra se rendre compte
de ce qu'est pareille prière de l'homme qui cherche Dieu quand il l'a
trouvé déjà, n'aura qu'à lire l'incomparable prière par laquelle s'ou-
vre le livre premier des Soliloques (en 387). Mais il y a plus.
Augustin s'en explique dans un autre passage du De utilitate
credendi. Il faut, dit-il, avant toute recherche dans l'ordre de la reli-
gion, supposer que la providence de Dieu préside aux choses hu-
maines or, nous sommes amenés à cette présupposition, par le
:

spectacle de la beauté de l'univers c{ui postule une source de beauté.


Il y a donc pour Augustin une certitude naturelle de Dieu. Il
y joint l'expérience des u meilleurs », qui éprouvent qu'en eux
« je ne sais quelle conscience intime les exhorte à chercher Dieu et

(1) Conf. V, 25 (p. 112).


(2) Conf. \ii, mii, 3. Voyez F. Loofs, art. « Augustin » tli; la Real-
13 et suiv., et
encyklopaedie do Haucr, t. II flH^-), p. 2G«-267, et la critique de E. Poutaué, art.
« Augustin », Dict. de thëol. calli. de Vacant, 1. 1 (1903), p. 2273.

(31 Contra Académie, m, 20 « Nulli dubiuin est gcmino pondère nos impelli ad discen-
:

dum, auctoritatis atque rationis. Mihi auteni certum est nusquam prorsus a Christi aucto-
ritate discedere non enim reperio valentiorem. » Deordine, ii, 27 « Illa auctorltasdivina
: :

dicenda est quae... ipsum horninem agens ostendit ei quousque se propler Ipsum depres-
serit. »

(4) De util, crecl. 20 (p. 2.5j. Rapprocbez Contra Academicos, ii, 1. Ce point est
bien marqué par Harnack, Dogm,engeschichte, t. III-', p. 112.
AUTOUR DU DE VriLITATE CREDENDl DE SAINT AUGUSTIN. i:}

à le servir » (1). Au nom de cette induction naturelle et de cette


expérience intime, Augustin sestime en droit de prier Dieu et de ne
pas désespérer que ce Dieu ait constitué une autorité par laquelle
nous monterons à lui avec un surcroît de certitude. La connais-
sance naturelle de Dieu n'est d'ailleurs pas pure affaire de logique,
car elle est en fonction de la moralité du sujet pensant un esprit :

souillé ne peut embrasser la vérité [inhaerere veritati), la souillure


consistant à aimer autre chose que son Ame et Dieu, si bien que
la facilité à voir la vérité croit à mesure que le sujet j)ensant se
purifie. Vouloir voir la vérité pour devenir meilleur est un con-
tresens, puisqu'il faut devenir meilleur pour voir la vérité (2). Au
connaissance naturelle de Dieu par le spectacle de la beauté
total,

du monde, conscience intime qui exhorte à chercher et à servir


Dieu, conversion de la conduite et purification du cœur alors, :

mais alors seulement, l'autorité s'offre.


Il en est ainsi logiquement, mais pratiquement non, car l'ensei-

gnement catholique procède sans ces préparations. Les hérétiques


lui en font précisément un grief, qui se piquent de persuader leurs
adeptes en recourant à la raison, et, loin d'imposer le joug de
croire, se glorifient de faire jaillir devant eux une source de
science (3). Aug"ustin reconnaît sans difficulté que la Catholica et
les « Dei antistites » procèdent d'autorité, pratique qu'il justifie
sur-le-champ comme une pédagogie fruit d'une expérience tradi-
tionnelle, et comme une économie voulue de Dieu
La famille ne (4).

subsisterait pas sans autorité, puisque c'est d'autorité que l'onfant


croit que son père est son père, et sa mère sa mère quel monstre :

serait l'enfant qui refuserait d'aimer ses père et mère crainte qu'ils
ne fussent pas vraiment ses père et mère (5) ? La société ne se passe
pas davantage d'autorité. Comment la religion s'en passerait-elle?

(1) Ve util. cred. 2i (p. 42) : « Si enim Dei providentia non praesidet rébus hunianis,
niliil est de religione satagendum. omnium, quam profeclo ex
Sin vero et species lerum
manare credendura est, et inteiior nescio qua con-
aliquo verisslraae |)ulcliritudinis fonte
scientia Deum quaerendum Deoque serviendum meliores quosque animes quasi jiublice
privatimque cohoilatur non est desperandum ab eodem ipso Deo auctoritatem aliquain
;

constitutara, que velut gradu certo innitentes adtoUamur in Deum. »

(2) Iljid. (p. 43).


(3) Ibid. 21 (p. 26) : « (Omnes iiaerelici) Catholicam maxime criminantur, quod illis qui
ad eam veniunt praecijdtur ut credant, se auteranon iugum credendi imponere, sed do-
cendi fontein aperire glorianlur. »

(4) Ibid. 24 (p. 30) : « Haec est providentia verae religionis, boc iussum divinilus, boc
beatis maioribus Iraditum, iioc ad nos usque servatum : boc perturbare velle atque pcr-
vertere, nihil est aliud quam ad veram religionem sacrilegam viam quaerere. »

(5) Ibid. 26 (p. 34).


I', iiKM i; liiinioïK.

<(Hrcfc igitur catlioUiac (fisciplinae niaiesfatc instilutnm rs/, /// nr-

ccdcntilnis ad rvVujwnvm fuies pcnuadcatur anlc omnia » (1).


par nous acceptée comme divine,
Ileste à Irgitimcr oetto autorité
car on ne peut se soumettre sans raisons préalables de se soumellic :

<( Turpe est siîie rationc ckk/uiu)) credcfo » [H). Cette autorité est le
Christ : je crois ce (jue le Clirist a dit, je le crois sans lui demander
d'autre raison de le ci'oire (pie sa parole ^3), mais j'ai des raisons
préalables d'accepter cette divine autorité de la parole du Christ.
Augustin à plusieurs reprises énunière dans le J)r ulililate crcdc/idi
ces raisons préalables, ou, pour parler comme la théologie moderne,
ces motifs de crédibilité.
Il croit témoignage des peuples convertis,
donc au Christ sur le

réunis dans rKglise catholique ce lui est une présomption que :

le Christ a enseigné quelque chose d'utile, « quorum auctorilate

commolus Christwn alïquid utile praecepisse iam credidi ». Et ce té-


moignage de l'expérience des peuples est préférable au sentiment
individuel de n'importe quel hérétique {h).
Ce témoignage se prolonge dans le passé : la foi catholique a pour
elle la vetustas^ la continuité, par opposition à l'hérésie qui est tou-

jours une nouveauté, et la nouveauté de quelques-uns. Nous sommes,


nous Catholiques, une multitude, et nous pouvons remonter dans le
temps jusqu'à l'origine, c'est-à-dire jusqu'aux premiers qui ont cru :

« Huius multitudmis primates quaeram et quaeram diligentissime ac

laboriosissime » (5). Nous atteindrons ainsi au Christ en personne, au


Christ historique auteur premier de notre foi, et nous constaterons
qu'il a imposé cette foi par ses miracles (6).

Les miracles du Christ dans l'Évangile, et, à la suite, le témoignage


des peuples convertis de proche en proche à la foi que ces miracles
attestaient divine Augustin ramène à ces deux termes fondamentaux
:

ses raisons de croire au Christ (7).

fl) De util. cred. 29 (p. 37).

(2) Ibid. 31 (p. 38).


(3) Ibid. : « Fateor me iam Chrislo credidisse et in aniinura induxisse id esse veruin
quod ille dixerit, etiaiiisi nulla ratione fulciatur. » Cf. 32 (p. 40) « Si Chrislo etiaiii cre-
:

dendum negant. nisi indubitata ralio ri'ddita fuerit, chrlstiani non sunt. w Cette dernière

assertion doit s entendre de la démonstration rationnelle que Ion exigerait des assertions
du Christ avant d'y croire, non de la démonstration de l'autorité divine du Christ.
(4) Ibid. 31 vp. -38).

(5) Ibid. (p. 40).

(6) Ibid. 32 (p. 40).


(7) Ibid. 34 (p. 43) : « ... partim miraculis, partirn sequentium multitudine... Auclori-
tas praeslo est, quam, ut paulo ante dixi, partim miraculis, partim multitudine valere nemo
ambigit. » Néanmoins la multitude n'est pas un argument de vérité. Augustin, ibid. 19
AUTOUR DL DE UTII.ITATE CliEDENDI DE SAINT AUGUSTIN. 13

Les miracles ne sont pas seulement dans lÉvansile : la zone mira-


culeuse, si l'on peut ainsi dire, précède l'Évangile et elle le continue,
les vertus extraordinaires d'ascétisme, de chasteté, de libéralité, de
mépris du monde, de patience jusque dans les supplices, sont des
vertus qui, supposant le secours de Dieu, sont elles aussi des miracles,
et nous font un devoir de nous attacher à rÉelise qui les produit (1).
Augustin décrit ainsi cette ad ion de Dieu :

Hoc facUim est dlvioa provideutia per prophetarum vaticinia. per luiraanitateiu
doctrinaraque Christi, per apostolorum itinera, per martyrum contumelias. cruces,
sanguinem. mortes, per sanctorum praedicabileni vltam. atque in his universis digoa
rébus tantis atque virtutibus pro temporuin opportunitate miracula.
Cum igitur tantum auxilium Dei. tantum profectum fructumque videamus, dubi-
tabimus nos eius Ecclesiae condere gremio, quae —
usque ad confessionem generis
humani. ab apostolica sede. per successiones episcoporum, frustra hapreticis cir-
cumlatrantibus, et partim plebis ipsius iudicio, partim conciliorum gravitate, partim
etiani niiraculorum raaiestate damnatis, — columen auctoritatis obtinuit? Cui noile
primas dare vel sumraae profecto impietatis est vel praecipitis adrogantiae(2).

Au centre, le Christ historique et son enseignement; comme pré-


paration, les prophéties des prophètes; comme suite, l'apostolat des
apôtres, la constance des martyrs, la sainteté des saints, et des mi-
racles dans tout cela. Le concours de Dieu à cette action est indubi-
table, et cette action s'identifie à l'Église. Pourrions-nous hésiter à
nous blottir dans le sein de
contemplons
l'Église de Dieu? Nous la
dans sa lutte contre les hérétiques qui aboient autour d'elle, et
qu'elle condamne, soit par le sentiment de ses fidèles, soit par la
gravité de ses conciles, soit même par la majesté des miracles elle :

se rattache par la succession de ses évêques à la sedes apostolica


instituée par le Christ, et elle marche à la conquête du genre humain :

son autorité est la plus haute qui soit, « columen auctoritatis obti-

(p. 23\ a pris soin de relever que le nombre des Chrétiens dans le monde est plus grand
que le nombre des païens, même si on ajoute les Juifs aux païens. Et s'il s'agit des liéré-
tiques, la Catholica compte incontestaldeinent plus de fidèles qu'il n'y a au total d'héré-
tiques. « Plures eniin iam Christiani sunt quani si ludaei simulacrorum cultoriims adiun-
gantur. Eorumdern autem Christianorum, cum sint liaereses pluies..., una est Ecclesia. ut
omnes concedunt; si tolum oiheni considères, refertior multitudine; ut autem qui nove-
runt adfirmant, etiain veritate sincerior ceteris omnibus. Sed de veritale alia quaestio est. »

1} De util. cred. 35 (p. 4.'j) : « Quod contineniia..., quod castitas..., quod |tatienlia...,

quod liberalitas,.., quod denique totius huius mundi aspernatio..., pauci lioc faciunt. pau-
ciores bene prudentenjuc faciunt, sed pojiuli prol)ant, populi laudant. populi favent, dili-
gunt postremum poi)uli. »
(2) [bid. —
Augustin n'a pas appuyé ici sur la démonstration de l'Église, qui pour lui

s'identifie avec le christianisme authentique. Voyez Ibld. 19 (p. 24) : « ... una est Catho-
Ex quo inlellegi d«tur, iudicanlibus arbitris iiuosnulia inipedit gratia, cui
lica... sit catho-
licum nomen, ad quod omnes ambiunt, tribuendum ».
16 lUiVUE lUIU.IUlJt:.

nuil Ce serait une impiété ou une arrogance ruineuse que de ne


».

pas se soumettre à sa primauté, et de résister à une autorité si


forte (1).
Le De ulilitatc crcdcndi sachève par une pressante invitation (juAu-
gustin adresse à llonoralus de quitter le Manichéisme pour se con-
vertir à la Cat/iolica. Ce que chez les Manichéens j'ai a[)[)ris de vrai,
je le garde, écrit Augustin ce que j'ai appris de faux, je le répudie;
;

mais combien je dois par surcroit à FÉgiise catholique Et Augus- !

tin s'excuse d'eu avoir dit si peu, quand il y aurait tant à dire (-2).

Nous avons tenu à analvser avec soin le De utilitalc crcdendl, si


sommaire que fût cet opuscule, parce qu'il est selon toute apparence
le premier écrit de la prêtrise d'Augustin, parce qu'il est un récit de
sa conversion et des motifs qui l'ont déterminée, parce que surtout
il révèle la pensée d'Augustin sur l'Église considérée comme autorité.
Cette analyse faite, il nous sera loisible et aisé de retrouver dans
d'autres écrits d'Augustin les thèmes du De ulilitate credendi.

Ce thème d'abord, que la connaissance naturelle de Dieu précède


logiquement tout appel à l'autorité divine, dans notre acheminement
vers la vérité. Composé entre 389 et 391, de peu antérieur au De
utilitate credendi, le De vera relu/ione n'est pas une apologie de la

révélation, mais avant tout un traité de la connaissance rationnelle


de Dieu, une démonstration de son existence contre les Pyrrhoniens
et les païens, un développement de cette thèse que la raison peut
s'élever du visible à l'invisible et du présent à l'éternel, indépendam-
ment de lautorité et préalablement à elle (3). Dans le De calechi-
zandis riidibus, en ïOO, Augustin dira que l'homme est supérieur à
tous les animaux de la terre, du fait que par son intelligence il con-
naît son créateur et lui rend un culte (4).

(1) De util. cred. 35 (p. 46). On remarquera qu'il n'entre pas l'ombre d'une considéra-
tion politique dans l'apologétique d'Augustin. Mais il relève que toute liberté est laissée à
chacun de se convertir et de déliltérer sur sa conversion, ibid. 18 p. 23) « Omnia .

divina et hurnana iura permittunt ([uaerere catholicam fidem; tenere autem et colère per
humanum certe ius licet...; nemo imbecillilalein terret inimicus...; omnium dignitatum
et potestatum gradus huic divino cultui devolissiine inserviunt; honestissimum est religio-

nis nomen et praeclarissimum. »


(2) Ibid. 36 (p^.'47).
Voyez spécialement De vera relicjione, 52 et 72. Au surplus, c'est la doctrine de liom,
(3)

I, 20, qu'Augustin a bien souvent défendue. De spiritu et litl. 19. De gen. nd Utt. iv,
49.

De doctr. chr. ii, 28. Enarr. in ps. cm, i, 1. Sermo cxxvi, 3; cxu, 1-2. Jn loa. euang.
tract, vni, l. Etc. •

(4) De catecfi. rud. 29.


AUTOUR nu DE UTILITATE CREDENDI Dli SAINT AUGUSTIN. 17

La convenance de la méthode d'autorité est un thème auquel


Augustin reviendra avec complaisance. Psychologiquement, nous
taisons constamment acte de foi dans notre vie sociale quotidienne,
ou, comme
dit Augustin, dans les choses humaines (1). Combien la
foi est plus normale encore dans le champ de la religion! Ainsi, —
allez discuter, avec un païen qui manifeste le désir sincère de se con-
vertir, toutes les questions qu'il se pose sur les difficultés de l'Écriture!
Il est des questions, en petit nombre, qui sont fondamentales et dont
tout dépend. Mais les autres, elles sont innombrables, et ne faut pas
il

espérer les résoudre sinon par la foi, de peur de mourir avant d'ar-
river à la foi (2). — D'autre part, les choses divines sont telles que
notre raison, quand elle les considère, est éblouie de leur lumière,
palpite, chancelle, ^< inhiat amore », et de fatigue plus que d'élec-
tion se retourne vers ses ténèbres familières comme vers son repos,
<( reverbe.ratur hice veritatis et ad familiantatcm tenebrariini sua-
rum, non electione , sed fatigatione convertitur ». L'âme doit redou-
ter d'une semblable réaction une impuissance plus grande. C'est
alors que l'autorité s'offre à ceux qui réclamaient les ténèbres pour
:

s'y réfugier, elle sert comme d'écran, « opacitas auctoritatis », elle


tamise la vérité, elle la présente avec des ombres, elle en tempère
l'éclat, elle l'adapte à notre regard (3). La cécité des esprits est —
dans genre humain trop grande, ô Dioscore, pour que tu puisses
le

douter que le meilleur moyen de nous amener à la vérité n'ait pas été
que la vérité ineffablement et merveilleusement se fît homme, et
nous persuadât de croire ce que nous ne pouvions comprendre (i).
Voilà pourquoi il n'est rien de plus salutaire dans l'Église catholique
que de donner pratiquement à l'autorité le pas sur la raison (5).

(1) De mor. Eccl. cath. 3. De fide reruin quae non videnlur, 4. De quant, animae, 12.
Mais Augustin a fermement marqué aussi ([ue recourir à l'autorité des liommes dans les
choses de la raison est un expédient qui ne doit pas déposséder la raison « Pudet imbe- :

cillitatis, cum rationi roboraiidae liominum auctoritas quaeritur, cum ipsius rationis ac

veritatis auctoritate, quae prolectoest omni hoinine melior, niliil deberet esse praeslanlius. »
De miisica, v, 10.
(2) Epislul. cil, 38 : « Conccdendum eliaio fortassis ([uod de Christo quaesivit, cur tanto
|iiist venerit, vel si quae sunt aliae paucae et magnac quaestiones quibus cèlera inser-
viiint. Siautem... taies omnes ante quam sit christianus finire cogifat, perparum cogitât
vel condicioncin bumanani vol aetalem iam suam, sunt enim innumerabiles quae non sunt
liniendac ante lideni, ne finialur vila sino fide. »
(3) De mor. Eccl. cath. 11. Se rappeler De util. cred. 'i (p. 7).

(4) Epislul. cxviii, 32.


(5) De mor. Ecc. cath. 47 « ... nitiil in Kcclcsia catbolica salubrius
: ficri quam ut ralio-
nem praecedat auctoritas. » De vera relig. 14 « Primo credidimus, : nihil nisi auctorita-
Icm seculi. »
REVUE liinLinUE 1917. — n. s., t. xi\. 2
IS UKVUE niBLlQDK.

Kncoro esl-il indispcnsaMc que cette autorid- ail des titi-es à notre
créance. I.autorité, écrit Auensfin, ne saurait être vide de raison,
puiscjiH' nous avons à considérer qui nous croyons : u Nefjur aucto-
ritalon ra/io penitus ileserif, cum considcratin' cui. sit credenduni >'
(1).
L'examen s'impose des hommes et des livres auxquels nous allons
croire : « Nostnnn est considerare qniôus vel Iiominilnis vol iibris
crcdoudiim ad colendum recte Dcum » (2). f/liomme fait qui
s'il vient
à la loi a rélléchi avant de croire, car nul ne croit si d'abord il n'a
pensé qu'il fallait croire : la volonté de croire est précédée par une
délibération de croire, si rapide soit-elle : « Niillus qiiippe crédit
aliquid îiisi prius coyitaverit esse credendum » (3).

Dieu sest manifesté dans l'histoire par une action dans


suivie,
laquelle s'insère l'incarnation, et dont l'Ég-lise est le lennimis ad
quem. Une voie a été tracée, qui remonte aux patriarches et à leur voca-
tion, qui se continue par l'alliance de Dieu avec le peuple d'Israël,
qui s'éclaire des prophéties des prophètes, qui aboutit au mystère de
Dieu fait homme, pour se confirmer dans le témoignag-e des apôtres,
le sang- des martyrs, la conc|uète des nations, l'établissement de
l'Église ('»).

Le Contra epistulam quam diciinl Fimdamenti, qui est encore


traité
un traité contre les Manichéens [il date de 397), contient une belle
page où Aug'ustin réunit à nouveau en faisceau ses raisons d'être
catholique. La vérité que le catholicisme enseigne est une très pure
sagesse à la connaissance de laquelle peu de « spirituels » peuvent
atteindre en cette vie le grand nombre trouve sa sécurité dans la
:

simplicité de la foi d'autorité « Ceteram quippe lurham non intel- :

legendi vivacitas, sed credendi simplicitas tutissimam facit ». Ne par-


lons pas de cette sagesse des spirituels, de ce catholicisme de docteurs
qui trouvent la confirmation de leur foi dans la faculté qu'ils ont de la
penser, au moins pour une part minime ; ne parlons pas de cette

(1) De vera rcluj. 45.

(2) Ibid. 46.


(3) Nous prenons cette formule célèbre à un des derniers écrits cl'A., le De praedest.
sanctorum, 5. L'auteur veut montrer que Dieu concourt en nous à la naissance de la
foi.

(4) De mor. Eccl. cath. Vl. De catech. nid. 6 et 1<». Au nombre des miracles. Augus- —
tinmet le fait de la conversion du monde au christianisme. Sur cette considération, voyez
en particulier De fide rerum quae non videntur, 10. Ibid. 5-7 argument revêt la forme 1

d'une prosopopée où l'Église prend la parole : « Ipsa vos Ecclesia ore maternae dilec-
tionis Ego quam miramini per universum mundum t'ructilicantem atque
alloquitur :

crescenlem... Pour conclure « An vobis inane vel levé videlur, et nullum vel parvum
)- :

putatis esse miraculum divinum, quod in nomine unius crucilixi universum genus currit
huvnanum? »
AUTOUR DU DE VTILITATE ClilJDENDI DE SMNT AUGUSTIN. 19

sagesse que les Manichéens dénient à l'É.siise catliolique ; nous sommes


lixés dans le Catliolicisme par bien d'autres raisons.

Mr.lta sunt alia. quae in eius gremio me iustissime teneant.


Tenet consensio populorum atque gentiura tenet aucloritas miraculis inchoata.
;

spe nutrita, caritate aucta. vetustate firmata; tenet ab ipsa sede Patri apostnii,
cui pascendas oves suas post resurrectiouem suam Dominus commendavit, uscjue ad

praesenteni episcopatuni successio sacerdotum ; tenet poslremo ipsiim Catljolicae

iiomera. quud non sine causa inter tani multas liaereses sic ista Ecdesia sola obti-
luiit, ut cum omnes haeretici se catholicos dici velint, quaerenti tamen alicui pe-

legrino ubi ad Catholicam conveniatur, nullus haereticoruna vel basilicam suam vel

ilomum audeat ostendere.


Ista ergo tôt et tanta noniinis cliristiani carissima vincula recte homiuem tenent
credentem in cathulica Ecciesia, eliamsi propter nostrae intellegentiae tarditatem vel

vitae meritum veritas nondum se apertissinie ostendat (t).

La Catholica se recommande à notre confiance, d'abord, par le

nombre des peuples qu'elle a convertis, ensuite par l'autorité au


nom de laquelle elle les a convertis : cette autorité, en effet, s'est

inaugurée par les miracles. Confirmée par le temps, elle a le pres-


tiiic de la vétusté. La Catholica se recommande par son nom de
Cdtltolica : ce nom est le sien et si proprement, que. tous les héré-
tiques ont beau vouloir être appelés catholiques, aucun hérétique
n'oserait conduire à la maison ou à la basilique de la secte l'étran-
ger qui lui demanderait Où s'assemble la Catholica? La Catholica
:

se recommande par son origine, puisque, instituée par le Christ dans


la personne de Tapùtre Pierre, Pasce oues meas, elle se continue par

la succession des évèques qui remontent à l'apùtre Pierre i-2).


Tels sont les « chers liens » qui attachent un croyant à l'Église
catholique, et qui le dispensent d'avoir de la vérité une connaissance
directe et pleine, cette vérité les Manichéens promettent, mais
que
qu'ils ne donnent pas. La de la science manichéenne m'est
faillite

une raison de plus de me tenir à la foi catholique, « qui par des liens
si nond)reux et.si forts m'attache à la religion chrétienne » (3).

Dans le De vera religione, l'argument tiré du spectacle de l'Eglise


revêt la forme d'une prosopopée, dans laquelle Augustin suppose un
disciple de Platon, sinon Platon lui-même, découvrant dans l'Église

(1) Contra epi.si. Ficnd. 4 (p. 196). — Rapproclicz la récapitulation des raisons de croire
d'Augustin dans Lpislul. cxxxvii, 15-1(3.

Contra Faustum, 2 (p. .315) « Yidebis in hac rc quid Ecclesiae catliolitae


(2) Cf. \i, :

valeat aucloritas. <|uaf, al) ipsis fundatissimis sedibus apostolorum usque ad Iiodiernuin
diein, succedenliuin siiiiinet episcoporum série et toi populorum (onsensionr (inna-
tur. » Se rappeler De util. cred. 19 (p. 23-24).

(3) Contra epist. Fund. i (p. 197).


20 iu;\ri-: lUMi.inri:.

la conversioa des peuples à des maximes et à des veitiis que Platon


u osaitpas essayer de leur prôchei'. La philosophie renoncail à
réformer le monde; les sages réprouvaient le paganisme dans leur
enseignement (Técole, mais ils avaient les mêmes temples que le

vulgaire (1). Les peuples et les prêtres, qui n'ignoraient pas ce (juf
les philosophes professaient sur la nature des dieux, lei* voyaient
cependant participer aux cérémonies d'un culte que leurs écoles
déclaraient illégitime. Aujourd'hui, au contraire, l'unité est faite
du culte et de la doctrine les saintes Écritures « dans le monde :

entier sont lues aux peuples et par eux écoutées avec un. respect
sincère », personne ne s'étonne de la chasteté
les églises pullulent,

des adolescents des vierges,


la foi au Dieu uni(|ue et vrai est
et
si répandue que chaque jour dans lunivei's entier le genre humain

presque d'une seule voix répond qu'il a le cœur haut au Seigneur,


sursum corda se habere ad Dominum (2). Là où la philosophie la plus
pure a été impuissante, le christianisme montre son efficacité. Les
philosophes d'antan, s'ils revenaient, n'hésiteraient pas à dire Voilà :

ce que nous n'avons pas osé persuader aux peuples, nous avons même
consenti à leur paganisme, loin de les amener à notre foi (3) ! S'ils
avaient à vivre une seconde vie au milieu de nous, reconnaissant quelle
est décidément l'autorité qui sert mieux le genre humain, ils se
feraient chrétiens, comme nous avons vu faire en si grand nombre à

des Platoniciens de notre temps (4). Et ils ne demanderaient pas le


christianisme à d'autres chrétiens que les Catholiques, car

... Neqiie in confusioae pagaaoriiai. neque in purganientis liaeretieorum, neque


inlanguore sciiismaticorum, neque in caecitate ludaeorum. qiiaerenda est religio.

(1) De vera relirj. 1 : « Sapienles, qiios philosophos vocant, scholas habebant dissen-
Uentes et tenipla communica. »

(2) Ibid. 5 : «tolum orbem iarn populis leguntur et cuiii veneratione liben-
Si haec per
ti>sime audiunfiir. Si post tantum sanguinem, tantos ignés, lot cruces martvniui, tant
lertilius et uberius iisque ad barbaras naliones ecclesiae pullularuut. Si tôt iuvenuin et
virginummillia conlemiientium nuptias casleque vivenlium iam nemo iniratur... Si ... per
oinnes terraruni partes quas bomines incolunt sacra christiana traduntur... Si denique per
nrbes alque oppida, castella, vicos et agros etiani villasque privatas, in tantum aperte i)er-
suadelur... in uniiin Deuin verurnque conversio, ut cotidie per universuni orbeni hunia-
miin genus una pêne voce respondeat sursum corda se liabere ad Dominum... «
(3) Ibid. 6. Il est bien curieux de trouver une imitation de celte page d'Augustin dans
une péroraison claironnante de Cousm, T)u vrai, du beau, et du bien (éd. de 1875;, p, i!S-
431.
(4) Ibid. 1 : « ... Sicul plerique recentiorum nostrorumque temporum Plalonici léce-
runt. » On ne sait à quels platoniciens convertis pense Augustin. On ne connait que Marius
VicLorinus, sur l'œuvre et sur l'influence du([iiel, voyez Loofs, Leilfaden der Doymen-
Oeschichle (1906), p. 349-351.
ALTOUK DU DE ITILITATI: ClihDEXDI DE SAIM AIGUSTIN. 21

btd apud eos solos qui christiani catholici vel orlhodoxi nominantiir, id est integri-
tiitis custodes et recta sectantes (1).

Église, ne te laisse pas tromper par ce nom de vérité qu'ex-


ploitent les Manichéens : tu es seule à avoir la vérité, tu la distribues
dans le lait doctrinal dont tu allaites tes petits enfants, c'est-à-dire
les catéchumènes et les simples, et dans le pain que tu partages aux

doctes dans FÉglise manichéenne on ne trouve que le nom de la


:

vérité.

Te ergo, vera spoosa veri Clnisti Ecclesia catliolica, adloquar... Cave semper, ut
caves, MaDichaeorum iinpiam vauitatem iam tuorum periculo expertam et libera-
tione convictam. Ille me quondam de gremio tuo error excusserat : expertus fugi
quod experiri non del)ui... Noli decipi nomine veritatis; hanc sola tu habes, et
in lacté tuo et in pane tuo; in hac autem tantum nomen eius est, ipsa non est (2).

Augustin ne s'adresse pas aux doctes de la Calhollca, l'Église est


sûre deux. Il s'adresse aux petits sans expérience, plus exposés donc
à une curiosité qui pourrait les perdre. Ces tendres entants, qui sont
les simples (jue lÉglise nourrit du lait de la foi, Augustin les appelle
ses frères, ses tils, ses maîtres : puissent-ils n'être pas victimes,
comme il l'a été, de la séduction qui les détournerait du sein de la

virginale, féconde et très pure mère Église! puissent-ils jeter 1 ana-


thème à quiconque leur évangéliserait une foi diilérente de celle
qu'ils ont reçue dans la Calliolica (3).

II

ha Catliolica a pour première source de sa foi l'Écriture.

Les livres sainis qui ont été donnés aux hommes avant l'incarnation
du Seigneui' portent le nom d'Ancien Testament. On fait injure à
l'Ancien Testament si, avec les iMarcionites et les Manichéens, on nie
qu'il ait pour auteur le Dieu bon et souverain; ou fait injure au
Nouveau, si (ni l'égale à l'Ancien ('•-). Car parmi les saints livres,
on doit reconnaître à l'Évangile une véritable précellence (5). Mais
du Nouveau que de l'Ancien Testament, sont éga-
les Écritures, tant

lement saintes, véraces, inattaquables, à condition que nous n'ou-

(1) De vera rel. 9.

(2J Contra l'austum, .\v, 3 (p. 420).


(•i) Ibid. — Pareille apostrophe dans De mor. lùcl. calh. i, 62-(>4.

;4) De gesds Pelagii, 15.


."i) De consensu Kuangelist. i, 1 : k Iiiter omnes divinas aucloritales quae sanclis Lil-
tcris continentur, Euangelium nierito excellil. »
22 RlîVUE lilBllOUli:.

bliions pas cjirelles sont toujours spirituelles, niènie (niaini hnir lan-
gage parait charnel (1). Et l'on ne doit jamais perdre de vue (]ue
Dieu y adapte son langage à notre infirmité « Dctts pcr Junninem :

more hominitui locpùtiir, <juia cl sic loqucndo dos <jn(icnt » (2).


La méthode catholi(|ue étant de nous soumettre d'abord à Dieu
qui parle, —
c'est la loi, —
notre foi chancelle dès que vacille l'au-
torité des Écritures divines (3). Nous devons aborder IKcriture avec
une piété (jui nous mette dans la disposition de tout croire de ce
([u'elle énonce, « illa pietas qiia non potest nisi crcdere et cedrrc

auctoritati sanctorum librorum ^>(4). Il nous est interdit de contester


l'Écriture, soit que nous la comprenions, soit que nous ne la com-
prenions pas, car nous devons croire que ce qu'elle énonce est
meilleur et plus vrai, quand même nous ne le saisirions pas, que
ce que nous pourrions penser par nous-mêmes (5). Elle est l'autorité la
|
plus haute qui soit, puisque Dieu y parle, soit par les prophètes,
soit par lui-même, soit par les apôtres. Augustin, qui ne recule pas

devant les expressions lyriques, dira que l'Écriture est un firmament


étendu par Dieu au-dessus de nos têtes « Quis nisi tu, Deus noster, :

fecisti nobis firmarnentum auctoritatis super nos in Srriptura tua


divina? » (6).

Nous heurtons-nous dans la sainte Écriture à quelque énoncé qui


nous déconcerte, nous n'avons pas le droit de penser L'auteur de :

ce livre n'a pas dit vrai. Nous devons penser La faute en est au :

manuscrit, ou à la traduction (7), ou à notre intelligence. Quoi qu'ait


écrit l'auteur sacré, prophète, apôtre ou évangéliste, nous ne pou-
vons douter que ce soit la vérité « Non licet duhitare quod verum
:

sit », sous peine de ruiner l'autorité des saintes Écritures, et d'aboutir


à ce qu'il n'y ait plus une seule de leurs pages qui s'impose à

(1) Sermo win. 3 « Scripturae sanclae siint, veraces sunt, inculpatae sunt... Veruin
:

lameu ut nos excrceat cadcm Scriptura, in iniiltis locis velut carnaliter loquilur, curn
semper spiritalis sit. » De catech. nul. 50 « Monendus est (catechumenus)... ut si quid
:

etiam in Scripluris audiat quod carnaliter sonet, etiam si non intellegit. credat tainen
spiritale aliquid signidcari quod ad sanctos mores futurainque vitarn peitineat. » Pour —
la doctrine d'Augustin sur l'Écriture, son inspiration, son infaillibilité, voyez les textes
réunis par C. Pesch, De inspiratione S. S. (Freiburg 1900), p. 111-132, qui nous dispense
d'insister.

(2) Civ. Dei, xvii, 6 (p. 228).


(3) De doctr. chr. i, 41.

(4) IbifL II, 10.

(5) Ibid.3.
(6) Conf. XIII, 16 (p. 357). Cf. ibid. 44 (p. 381) : a hoino, nempe quod Scriptura niea
dicit, ego dico. «
(7) La traduction latine, s'entend, car Augustin attribue une sorte d'inspiration aux
Septante. Pesch, p. 121-122.
AUTOUR Di: DE UTILITATE CllIJDENlJl DE SALNT AUGUSTIN. 2:5

limpéritie humaine (1). Nous n'accepterons pas davantage que les


auteurs sacrés aient pu se contredire les uns les autres, car ils

jjarlent d'une seule et même bouche Moins encore qu'ils aient pu


(-2).

mentir i3). L'Écriture authentique est établie comme dans une chaire
sublime toute intelligence fidèle
: et religieuse s'y doit assujettir Ci^).

Elle a l'autorité de la chaste vérité : « l/i libris sanctis castae veritri-


tis auctoritas » (5).

Pour déterminer quels sont les livres canoniques, on suivra l'au-


torité de la pluralité des Églises catholiques, « Ecclesiarum catho-
licarum qiiampluriimi auctoritatem sequaHir >', étant bien entendu
que cette compte dans ses rangs les Églises qui ont un
pluralité
siège apostolique (c'est-à-dire que leur succession épiscopale remonte
à un apôtre), ou qui ont reçu une lettre apostolique deux indices
qui présumeront de l'origine apostolique du canon des dites Églises).
Donc, auront leur place dans le canon, d'abord les livres reçus par
l'unanimité des Églises, ensuite les livres reçus par la pluralité des
Églises y compris les Églises à siège apostolique (6). Le critérium
de canonicité ainsi établi, les livres canoniques porteront aussi
bien le nom de « saints livres ecclésiastiques », ({ue leur donne

parfois Augustin (7). Ils sont « les livres catholiques », dit-il ail-
leurs, en ce sens qu'ils sont les livres que reçoit et que retient l'Église
répandue dans l'univers (8).

[Vj Contra Faustum, \i, 5 (p. 321).


(2) Ibid. 6 (p. 321).
(3) Epistul. xxvin, 3. Cf. Epistul. xl, 3; lxxxii, 5 et 7 ; cxlvh, 14 et 40.
(4; Contra Faustum, xi, 5 (p. 320) : « Distincta est a posterioruiii libris excelleiitia
canonicae auctoiitatis..., taniquam in sede quadam sublimiter constituta est, oui serviat
ornnis fidelis et plus intelleclus. « Epistul. i.xxxii, 3 : « Ego enini fateor caritati tuae
(A. écrit Jérôme) soiis cis Scriplurarum libris qui iarn caiionici appellantur didici
;i saint
hune tiinoreni honorernque déferre, ut nuUum eorum auctoreni scribendo aliquid errasse
lirrnissime credam. Ac si aliquid in eis offendero litteris ([uod vidi-atur contrarium
veritati, nihil aliud quaui vel inendosurn esse codicem, vel interprétera non assecutuin
esse quod ditliim est, vel me minime intellexisse non atnbigam. » Epistul. cxuii, 7 :

« Si enim ratio contra divinarum Scriplurarum auctoritatem rcdditur, quamlibet acuta

<it, fallil verisifiiililudinc, nam vera esse non potest. »

[:•] Epistul. wviii. 4. Il le caractère de la conception


est à peine besoin de soulii^ner
auguslinienne de l'Écriture une doctrine de réaction contre les excès de l'exégèse
: c'est
manichéenne, et cette volonté de réagir fera d'Augustin un adversaire de saint Jérôme.
<(Entre ces deux hommes c'était au fond l'opposition du dogmatisme et de la critique
avec les mêmes principes de foi et le même attachement à l'Église. On peut penser encore
à Bossuet et à Richard Simon «. P. Lagrange, Mélanfjes d'histoire religieuse (1915),
p. it's.

!6) De docùr. clir. ii, 12.

(7) Ibid. 49.


(8) Contra Faustum, x\in, 9 (p. 714-715) : « Hoc oslendal 'Faustus) non ex quibus-
cumque litteris, sed ecclesiasticis, canonicis, calholicis. ,\liae quipj)e apud nos non hahent
Coiiihattant contre le Manichéisme, qui rejette lAncien iestanienl
et une {)art du iNouveau. (|iii canonise d'ailleurs des livres étrangers

au canon traditionnel. îles livres sans crédit, Augustin oppose aux

Manichéens un canon des Kcriturcs qui doit se justifier indépendain-


uient de l'autorité de l'Église catholique, pour pouvoir ensuite les
défier de justifier pareillement le leur.

Breviter vos admoneo, (jiii illo t;im nefando et execrahili errore leneiuidi, iit si

;uictoritatem Scriptiirariim omnibus praefereiidam sequi vultis, eam seqiiamini, qiiae


ab ipsius piaeseiiliae Christi temporibus per dispensa tioiies apostoloriini et certas ab
/ eoriiin sedibns suoeessiones episcopornm usqiie ad liaec tenipora toto orbe lerrarnm
custodita, coniiiiendata, clarilicata pervenit (1).

Si. dit Augustin aux Manichéens, vous voulez suivre l'autorité des
Écritures (elle est préférahle à toute autorité, en effet, puisqu'elle
est divine), vous devez suivre l'autorité des Écritures authentiques,
I
c'est-à-dire des Écritures qui se sont conservées jusqu'à ce jour dans
l'univers entier etque l'univers entier a reçues, depuis le temps de
la présence historique du Christ, par le ministère des apôtres, trans-
mises qu'elles ont été dans les Églises où les apôtres ont siégé et
par une continuité qui se vérifie dans la succession bien établie des
évêques. L'authenticité donc se prouve historiquement, comme l'Église,
et par un argument historique dans lequel rautorité de l'Église n'in-
tervient pas.
Toutefois, la canonicilé dun livre étant garantie par les apôtres,
la non-canonicité d'un apocryphe est prononcée par l'Église, et l'au-
toritéde l'Église intervient alors, non dans l'établissement, mais
dans du canon. La Providence procure par l'Esprit-Saint
la défense
que des Evangiles soient écrits; elle donne, par exemple, à saint Marc
et à saint Luc, qui ne sont point apôtres, l'autorité pour écrire leurs
Evangiles : d'autres viendront ensuite qui écriront sur les actes du
Seigneur ou des Apôtres, mais ceux-là seront écartés, pourquoi?
parce que l'Église n'aura pas eu foi en eux et aura refusé de recevoir
leurs écrits dans « l'autorité canonique des saints livres » (2). L'Église

ad has res uUum pondus auctoritatis : ipsae sunl enim, quas recipil cf tenet Ecclesia
' tolo orbe diffusa. >< Cf. Epistul. c^lvii, 2, 4, 5.
(1) Contra Faust, xxxiii, 9 (p. 796). Cf. ibid. \i, 2 (p. 315) : « Quam libri a te prolati
originem, quam vetustalem, quam seriem successionis testem
Contra advers. leg. et
citabis? »
prophct. 1, 39 « Sane de apocryphis iste posuit testimonia, quae sub nominibus apostolo-
:

rum Andreae loannisque conscripta sunt. Uuae si illorum essent, recepta essent ab Eccle-
sia, quae ab illoruui temporibus per episcoporum successiones certissimas usque ad noslra

et deinceps tempora persévérât. »

(2) De cons. Euangel. i, 2 « Céleri autem homines, qui de Domini ve! Apostolorum
:

actibus aliqua scribere conati vel ausi sunt, non taies suis temporibus cxtiterunt ut eis
AUïOLli DU DE VTILITATE CREUENUI DE SAINT AUGUSTIN. 2".

maintient ainsi canon apostolique, en écartant les livres sans


le

aulorité qu'on y voudrait subrepticement introduire.


Subsidiairement donc elle confirme le canon qu'elle a reçu des
apôtres, elle le confirme comme elle confirme la foi qu'elle a reçue
aussi des apôtres (1). Augustin alors ne s'est-il pas contredit, quand
il a énoncé ailleurs qu'il ne croirait pas à l'Evangile, s'il n'y était
porté par l'autorité de l'Église? « Ego vero Eucmgelio non crederem,
nisi me catholicae Ecclesiae commoveret auctorilas ». — Ce texte
spécieux peut s'entendre sans trop de contradiction cependant. Nous
supposerons acquis que, pour Augustin, dans le plan dune logique
rigoureuse, l'autorité de l'Église ne lait pas l'autorité de l'Évangile,
et, si elle la confirme, ce n'est qu'autant qu'elle ne dépend pas elle-

même de l'Évangile. Pratiquement, le fidèle reçoit l'Évangile de


l'Église « Crede Eiiangelio )>, lui dit-elle, et il y croit d'autorité.
:

Le texte d'AugusIin nous place dans l'hypothèse d'un Manichéen qui


vient dire à un catholique L'Elvangile discerne le Manichéisme, ou,
:

en d'autres mots Je vais prouver le Manichéisme par lÉvangile.


:

A quoi le catholique ripostera Impossible, car l'Église discerne :

l'Évangile, c'est-à-dire .le crois à l'Évangile parce que l'Église m'a


:

dit : Crois à l'Évangile. Or, cette même Église, avec la même auto
rite, me au Manichéisme. Si elle se trompe, quand
dit : Ne crois pas
elle condamne le Manichéisme, comment aurai-je foi en elle, quand
elle m'impose l'Évangile? Je décline donc par cette objection préa-

lable la prétention des Manichéens à démontrer le Manichéisme. —


Nous sommes ici dans un argument de controverse populaire, qui
a pour fin d'interdire au Manichéen d'invoquer l'Évangile, ou aussi
bien les Actes des Apôtres, « quoniam utramque scripturam similitev
mihi catholica conimendat ai(ctoritas ».

Euangelium mihi fortasse lecturus es et Inde Manichaei personam tentabis ad-


serere...
Ego vero Euangelio non crederem, nisi me catholicae Ecclesiae commoveret
auctoritas.
Quibus ergo obtemperavi dicentibiis : Crede Euangelio, cm- eis non obteinperem
dicentibus : \oli credere Manichaeis...
Quod si forte in Euangelio aliquid apertissimum de Manichaei apostolatu invenire
potueris, infirmabis mihi catholicorum auctoritatem qui iubent ut tibi non credam :

qua infirmata iam nec Euangelio credere potero, quia per eos illi credideram.

lidem haberet Ecclesia, at(|ue in auctoritatem canonicain sandonim librorum eoruia scripta
reciperet. »

(1) De mor. Eccl. cath. i, 61 : x Egone de illa (Scripturaj, quam constanter latissime
(livulgalaiii video, et Eccicsiarum per totum orbein dispersarum conteslatione munilain,
iliibilabo iniserr »
26 iii:vi i; hini.iouK.

Ita nihil apud me valehit (|iiicquid inde protuleris (1).

L'.iiilorilc <K' rKci'iture est si I)i(Mi iiidôpciiilantc de raiitorité de


lÉglise, qu'il nous sera loisible d'iuvoiiuer lÉcriture seule, (|ii;ind

nous aurons à controvcrser contre des hérétiques (jui déclinent Ijui-


torité de rÉglise et en appellent à la seule Ecriture (2). Défendons-
nous contre les Ariens la foi trinitairc, nous recourons A l'Écriture,
d'abord : « Priminn secundum aucloritatein Scri/j//nri)'iim sanctarum,
uirum ita se fides habcat drmonsfrandtim est ». Nous nous appli(|uons
à faire reconnaître par ces raisonneurs obstinés un point dont ils ne
puissent douter, « fd inventant aliquid iinde diibitare no/i possiiit ».

Nous ramenons ainsi « ad initiinn fidei », autrement dit à la foi


les
baptismale, au symbole de l'Église. Us sentent alors combien salu-
taire est dans la sainte Église le régime de l'autorité, qui garantit
les fidèles de la témérité désordonnée et de la fausseté nocive de
l'opinion (3).

Pour que l'Écriture fût la règle exclusive et décisive du fidèle,


il faudrait que l'Écriture fût claire en tout. L'exégète se trouvera
maintefois en présence de textes dont la signification sera pour le

moins ambiguë. Sans doute l'ambiguïté du texte sacré peut tenir à


ce que nous l'avons mal entendu d'abord. Si, cependant, après qu'il
l'aura très attentivement examiné, le texte demeure obscur et décon-
certant, l'exégète s'en rapportera alors à la règle de foi que lui
offrent les textes clairs de l'Écriture et l'autorité de l'Église : « Co)i-
siilat regulam fidei qiiam de Scripturarum planioribus locis et Ecclc-
siae auctoritate pereepit ;>
(^4).

régula fidei a pour expression, première le symbole baptismal,


Ldi

que les fidèles savent par cœur, et dans lequel sont énoncés en quel-
ques mots les éléments de ce qu'ils doivent croire. Ces quelques mots
ont été choisis pour évincer les erreurs des hérétiques, auxquels la

Contra epistul. Fund. 5 (p. 197-198).


(1)
Voyez CoUatio cum Marini. 1 (Ma\iiniiius dixit)
(2) h Si quid eniin de divinis
:

Scripturis protuleris quod commune est cum omnibus, necesse est ut audiamus eae vero ;

voces quae extra Scripturam sunt nullo casu a nobis suscipiuntur. » Maximinus invoque le
concile de Rimini. mais n'y veut voir qu'une proclamation de la doctrine des Écriturfs
{ibid. 4). Constamment il en appelle à l'autorité de l'Écriture. II dit « Utinam et digni :

inveniamur Scripturarum discipuli approbari », ibid. 20 (col. 736 de Migne). « Oro et oplo
discipulus esse divinarum Scripturarum », ibid. 25 (coi. 740).
(3) De Trinitale, i, 4.

(4) De doct. chr. m, 2.


AUTOUR DU DE UTIIJTATE CIŒDENDl DE SAINT AUGUSTIN. 27

divine miséricorde a résisté et résiste grâce aux hommes spirituels,

les évêques, qui ont mérité, non seulement de recevoir et de croire


la foi catholique dans co peu de mots, mais encore, Dieu aidant, de

lentendre et de la défendre en l'exposant :

Est autem catholica fides in symbolo nota lidelibus memoriaeque mandata quanta
res passa est brevitate serraonis, ut incipientibus atque lactentibus eis qui in Christo
renati sunt... paucis verbis credendum constitueretur quod multis verbis exponendum
esset proflcientibus... Tractatio tidei ad muniendum symbolum valet,... ut illa quae
in svmbolo retinentur contra haei-eticorum insidias auctoritate catbolica et niuni-

tiore defensione custodiat (1;.

Dans le symbole les fidèles ont la régie de leur foi, règle brève
et grande, brève par sa rédaction, grande par ses affirmations (-2).
Le sym])ole est leur confessio (3j. L'évèque d'IIippone insinue que
le symbole baptismal est le même dans toutes les Églises de la

Catholica [k).

Le symbole n'est pas une source de la foi, il n'en est qu'un résumé :

il ne contient, en effet, pas un article qui ne soit dans l'Écriture :

« Quidquid enim in symbolo audituri estis in divinis sacraruiii Scrip-


turarum litteris continetur » (5).

Le symbole baptismal ne contient pas toute la foi de l'Église, car


des articles de la foi fondés sur l'Écriture n'y sont pas énoncés,
que l'Église croit et professe cependant. Ainsi, les trois personnes de
la Trinité étant distinctes et opérant comme séparément, la Trinité

n'est pas pour autant séparable elle : est inséparal)le en lunité


de Dieu. Cela, pour n'être pas dit dans le symbole baptismal, n'en
appartient pas moins à la foi catholique.

Dicat mihi aliquis : Ostende inseparabilem trinitatem.


Mémento catholicum te loqui, catholicis b^qui. Fides enim nostra, id est fides

vera, fides recta, fides catholica, non opinione praesumptionis, sed testimonio lec-
tionis collecta, nec liaeretica temeritate incerta. sed apostoiica veritate fundata, hoc
insinuât : hoc novimus, hoc credimus, hoc... rectissime ac robustissime retinemus (0).

(1) Deflde et symb. 1. Ce discours est prononcé par A. en 393 devant le concile d'IIip-

Un comprend alors Ihonima^e au.v évéques à <\u\ appartient


pone, A. est simple prêtre.
l'ordinaire prédication, tractatio.
Sermo lix, 1 « Symbolum didicistis ubi est régula fidei vestrae brovis et giandis,
(2) :

brevis numéro verborum, grandis pondère sentenliarum. « Rapprocher Serin, ccxii, 1:


ccxiv, 1-2; ccxv, 1. De arjone chr. 15. In loa. euang. tract, xcmii, 5. De gestis
J'elaf/ii,'*.

(3) Enchiridion, xcvi.


(4) Epistul. cciv, 2.

(5) .Sermo ccxii, 2. De sijmh. 1.

(6) Sermo ui, 2.


2.S UKVUE BllU.lUL'K.

Voiti tlonc un article ilc foi, ([ui n'ost pas une ()|»inion, mais une
donnée scripturairc {teslinionio leclionis collccla), (jui n'est pas une
témérité hérétique, mais une donnée de l'enseignement apostoli<iue :

nous dir(Mis de cet article de foi, que nous croyons, que nous défen-
dons, ([nil est la foi vraie, la foi droite ou orthodoxe, la fidrs caUio-
lica.

Autre exemple : les Sabcllieus suppriment en Di(>u la distinction

des personnes, dans lesquelles ils ne voient (|ue des nominn diversa
d'une seule et unique personne les Ariens acceptent la génération
:

du Fils, ils nient l'égalité du Père et du Fils entre ces deux erreurs, :

est la vérité, que nous Catholiques nous professons :

Nos. id est catholica fides, veniens de doctrina apostoloriim. plantata iii nobis,
per seriem successionis accepta, sana ad posteros Iransmittenda, inter utrosque
id est inter ulrumque errorem tenuil veritatem (1).

A ces exemples pris de la doctrine de la Trinité, on joindra celui-ci


pris à la christologie. Le Christ est Verbe, esprit et chair, il est Dieu
et homme, il est vrai Dieu et vrai homme, rien n'est faux dans
l'humanité pas plus que dans la divinité. Ces affirmations valent
contre les iManichéens, qui supposent que le Christ n'a qu'une huma-
nité apparente : contre eux nons affirmons la perfection des deux
natures dans l'incarnation, affirmations qui débordent celles du sym-
bole baptismal, sans laisser d'être la doctrine catholique :

Audi ergo totura quod dico ego, id est quod dicit catholica fides, quod dicit

lundatissima et serenissima veritas (2).

La foi catholique, la sérénissime et inébranlable vérité, est un


magistère perpétuel, qu'Augustin appelle quelque part la lumière
catholique, « lux catholica » (3).

La prière pour les défunts est légitimée par le livre des Macchabées

(Ij In loa. euancj. tract, xxxmi. 6.

(2) Sermo ccxxxvii, In loa. euang. tract, xxxvi, 2


2. Cf. « Alii sic, alii sic, utrique in :

errore. Catholica auteiii fides, ex utroque verum tenens quod tenet et praedicans quod
crédit, et Dcuin Christum intellexit et hotnineui credidit utrumque eniin scriptum est et
:

utrumque veruia est... Utrumque igitur tene, anima fidelis et cor calholicum, utrumque
lene, utrumque crede, ulrumque fideliter crede. » —
Augustin ne se sert pas du mol
dogme au sens où nous l'employons. Quaest. euang. i, 11 « Dogmata sunt placita sec- :

larum. id est quod placuit singulis sectis. « De catech. rucl. 12 « Multi multa perniclosa :

dogmata concisa communionis unitate pepererunt. »

(3) De vior. Manich. 8.


AUTOUR DU DE UTILITATE CliEDENDI DK SAINT AIGISTIN. 20

[U Mac. H, i3); elle n'aurait pas cette justification script uraire,


elle serait justifiéepar l'autorité de l'Église universelle, qui pratique
en etl'et la prière pour les défunts, et qui va jusqu'à insérer la rcîconi-
mandation des morts dans les prières que l'officiant prononce à
l'autel du Seigneur (1).

L'opuscule dans lequel Augustin s'exprime de la sorte est de 'i.21 :

on pourrait soupçonner Augustin d'avoir donné à ce lieu théologique


plus de valeur à mesure que développée
la controverse pélagienne.
s'est

En fait, bien avant VI 2,


y recourt, ainsi dès iOO, dans le De
il

haptiswo contra Donatista.s, au sujet du baptême des petits enfants.


La coutume de baptiser des enfants incapables de croire de cœur
ni de professer dos lèvres, estune coutume de l'Église universelle, et
que l'Église universelle n'a pas instituée, mais reçue « (hio l tra- :

ditum tenet universitas Ecc/esiae » (2). Or, poursuit Augustin, ce


qu'observe l'Église universelle, et dont on peut démontrer que ce
n'a pas été institué par des conciles, mais bien observé de tout temps,
cela ne peut avoir été reçu que de l'autorité apostolique : « Qiiod
universel tenet Ecclesia, nec conciliis institutum, sed semper réten-
tion est, nonnisi aiicto)'itfite aposfolica traditwn rectissime credi-
tiir^^ (3).

la môme autorité pour justifier la doctrine


Augustin recourt à
de du baptême des hérétiques contestée jadis par saint
la validité

Cyprien, tandis qu'elle était défendue par Rome. Sans doute, ce


point de doctrine n'était pas, au temps de Cyprien, éclairci comme
il l'a été ensuite; néanmoins, au temps de Cyprien. la coutume

était observée par l'Église de ne pas réitérer le baptême administré

par les hérétiques ou les schismatiques « Saluberrimam consuelu- :

dineni tenebat Ecclesia » (4). Cyprien reconnaît que cette coutume


a été interrompue à Carthage par son prédécesseur Agrippinus. Ne
disons pas quelle a été corrigée par Agrippinus, mais corrompue.
Pourquoi? Parce qu'une diligente inquisition de la vérité, confirmée
par un concile plénicr, a montré que la coutume était légitime de
ne pas réitérer le baptême des hérétiques. Et je crois, poursuit
Augustin, que cette très salutaire coutume remonte à la tradition

(1) De cura pro mort. gcr. 3 a ... Sed et si iiusquain iii Scripluris veteiibiis omnino
:

legeretur, non parva est universac Ecclesiae qiiae in liac consucluJine claret auclorilas,
ul>i in precihus sacerdotis quae Domino Deo ad eius al (are fundunlur locum suum liabet
ctiam conunendatio tnortuorum. ;) Ibid. 1 : « Universa pro defunclis Ecclesia supplicarc
consiu'vit. »

(2) De bapt. iv, 30.

(3) Ibid. IV, 31.


(4) Ibid. II, 12.
'-^^^ '
REVUE B1I5L101IE. -

a[)ostolii|ue, connue bien des cliosi's, (lu'on ne trouvr pas éci'ites


dans les lettres des apôtres, ni édictées dans les conciles postérieurs
sont tenues pour des institutions des apôtres, parce qu'elles sont
reçues dans l'Eglise universelle :

Qiiam consiu'tndinem credo ex .ipostolica traditioiie venientcm siciit multa —


qiiae non inveniiuitur in lilteiis eornm, ueque in conciliis postcriornm, et taiDcn
quia per universam cnslodiuutnr Ecclesiam, nonnisi ib ipsis tradita et commen-
data crediintur, — liane ergo saluberriniam consuetudinem per Agiippinum prae-
decessorem suuni dicit sanctus Cyprianns quasi coepisse corrigi (1).

Une théorie de la tradition s'affirme là, à savoir (jue des règles


impliquant un de foi sont reçues dans rÉglise universelle
article :

si on ne prouve pas qu'elles sont rinstitution d'un concile plénier,


on doit inférer de l'universalité de leur réception qu'elles sont de
la seule autorité capable de s'imposer à toute l'Église, l'autorité
apostolique. Augustin s'exprime avec la même netteté dans une lettre
datée de iOO environ :

Illa autem. quae uon scripta sed tradita custodimus, quae quidem toto tenarnm
orbe servantur, datur intellegi vel ah ipsis apostolis, vel plebariis conciliis, quorum
est in Eeclesia saluberrima auctoritas, commendata atque statuta retineri (2)>

Ce qui est reru dans l'Église en tant qu'elle est l'univers ne peut
avoir été introduit que par une autorité universelle, c'est-à-dire par
les apôtres, sinon par un concile plénier. Augustin ne conçoit pas
une tierce hypothèse, il n'est pour lui d'alternative qu'entre le collège
apostolique ou un concile plénier : s'il est constant qu'une institution
universelle n'est la création d'aucun concile postérieur aux apôtres,
elle est des apôtres (3).

(1; De bapl. ii. 12.

(2) Epistul. Liv, 1 (p. 159). Augustin donne, comme exemples d'institutions reçues dans
toute l'Église, la célébration des anniversaires de la passion, de la résurrection, de
l'ascension du Sauveur, et de la descente du saint Esprit, « et si (iiiid aliud taie occurrit
quod servalur ab universa quacumque se diffundit Eeclesia ». — Ibid. C, il distingue
les institutions légitimées par l'Écriture, « si divinae Scripturae praescribit auctoritas »,
et qui ne sont pas à discuter, et les institutions reçues dans toute l'Église, qui ne sont
pas à discuter davantage « Simililer etiam si quid horum tota per orbem fréquentât
:

Eeclesia, nam et hinc quin ita faciendum sit dispulare insolentissimae insaniae est. »
(3) De bapt. iv, 9 « Illa consuetudo, quam etiam tune lioraines sursum versus re-
:

spicientes non videbant a posterioribus institutam. recte ab apostolis tradita creditur...


Quod Ecclesiae consuetudo semper tenuit, quod haec disputatio dissuadere non potuit,
et quod plenarium concilium confirraavit, hoc sequimur. » — Comme exemple de choses
que l'on sait avoir été instituées par des conciles postérieurs aux apôtres, Augustin cite
la lixation du jour de Pâques au dimanche, contre les Quartodécimans. Epistul. lv, 27 :

« .\diuncta est... dierum observatio per patrum concilia, et orbi universo christiano
persuasum est eo modo Pascha celebrari oportere. » Noter persuasum est : la Catliolica
AUTOUR DU DE UTILITATE CREDENDI DE SAINT AUGUSTIN. 31

Il est arrivé que la tradition, présumée apost(jlique, ne s'imposait


pas avec une telle certitude qu'on ne pût de bonne foi la contester :

le cas est celui de Cyprien dans la controverse sur la validité du


baptême des hérétiques.
Augustin, que nous verrons toujours infiniment respectueux de la
mémoire de. saint Cyprien, l'excuse en disant que les défenseurs de la
validité n'apportaient pas des raisons suffisantes à émouvoir la
grande àme de l'évêque de Carthage Ton comprend donc que cet :

honmie très grave n'ait pas désavoué des raisons qu'il estimait n'être
pas réfutées, qu'il ignorait n'être pas fondées. Cyprien était troublé
quand il considérait qu'une coutume universelle et très ferme [imi-
rersalem robustamque consuetudinem) lui donnait tort; il s'enfermait
dans la prière, demandant à Dieu de
découvrir ce que plus tard lui
un concile plénier a vu iquod postea plcnario conc'dio visum est) ;

finalement, il s'en tenait à l'attitude de ses prédécesseurs, à leur dé-


cision, à leur autorité (1).
Augustin, quand il analyse ainsi la pensée de Cyprien, lui prête
(les hésitations qu'il n'a pas eues, car on ne saurait dire que
l'évêque de Carthage ait adopté le sentiment de ses prédécesseurs
[)ar une sorte de lassitude d'examen,quo tamquam Lectulo cnic to-
« in
rt fatisquasi fessas acquieveint » (2). Mais Augustin décrit une pro-
cédure une coutume universelle existe, on en vient à la contester
:

pour des raisons spécieuses qui ne sont pas tout de suite réfutées,
la question demeure un temps obscure et les Églises partagées, vient

un concile plénier .qui fait la lumière et l'unanimité.


Le concile plénier auquel pen'^e Augustin ne saurait être seulement
un concile plénier de toute l'Afrique, puisque l'erreur de saint Cyprien
était partagée par son concile d'Afrique Augustin pense nécessai- :

rement à un concile de toute la Catholica (3). Pareil concile a pour


rôle, dans le cas de Cyprien, de confirmer la coutume universelle et
antique. Augustin parle des hommes très saints et très doctes « prr
(/tios postea factmn est ut antiqua illa consuetudo etiam plenario

s'est ralliée. « universae Ecclesiae quae toto orbe diffunditur consensione » (ibid.). Voyez
encore Epislul. i.v. 35.
(Ij De bapt. ii, 13.

(2) Ibid.
De bapt. ii, 14, Aujçustin note que Cyprien s'est arrêté à la décision d Agrippinus
{'X)

cl du concile d'Afrique, et il ajoute qu'il aurait invoqué mieux encore la décision d'un
concile Iransmarin ou d'un concile universel : « 'Oslendit) niullo niagis se fuisse coniine-
moraturuin si quod de hac re transmarinuni vel universale concilium factum esset. »
:{2 UKVI;E lUIM.IOlîE.

concllio fiDuarriiir » il). Il se lelicitr d'rlre (ruii temps oTi Ions


sont («dilirs sur de celte coiilmnc et sur
l'aiilitiuitô le concih^ plénicr

(jiii l'appuie, ^* nos ant'ujuilatc ipsius consnctuidnis el picnarii postca


concilii aiictorilate finnati en lumière et revê-
» (2). La vérité est mise
tue lie l'autorité et de la loree d'un concile pléniei', « non so/inti
inventa est, snl etiam ad plenarii conciiii auclorilatcm rohnrque
perducta » (.'{). l/évèque, qui a contesté de bonne foi la vérité quand
elle obscure encore, n'a plus qu'à se rendre à l'autorité d'un
était

concile de rÉ£;lise universelle qui l'a tirée au clair et qui doit étir
préféré à un concile particulier « ... huic esse unirevsae Ecclesiae :

posterius concilium pracpojiendiiyn » ('i).

Un évéque, fiit-il saint Cyprien, peut se tronq)er. Un évéque, dans


ce qu'il a écrit, peut être repris par un plus sage que lui, par un
plus compétent; il peut être re[)ris par l'autorité plus grave, plus
docte, plus prudente, d'autres évoques; les conciles ont mission de
redresser ce qui d'aventure a pu dévier de la vérité. Les conciles
mêmes, qui se tiennent provinces par provinces, doivent céder sans
hésiter à l'autorité des conciles pléniers qui se réunissent de tout
l'univers chrétien. Et ces conciles pléniers eux-mêmes peuvent être
amendés par des conciles pléniers subséquents, quand ce qui était

clos s'ouvre et ce qui était caché se fait connaître. L'important est


de n'entraver pas ce développement de la vérité, par de l'orgueil, par
de l'arrogance, par de l'envie, mais de mettre eu tout l'humilité
sainte, la paix catholique, la charité chrétienne (5).

(1) De bapi. iv, 7.

(2) Ibid. 8. Cf. ibid. 12.

(3) Ibid. II, 14.

(4) Ibid. Nain et concilia posteriora apud posteros piaeponuntur et universum parti-
: «

bus semper iure oplimo praeponitur. » On doit piélérer le concile pléniei qui a confirmé
la validité du baptême des hérétiques pour deux raisons de bon sens, 1" i)arce qu'un concile
plus récent a chance d'avoir bénéficié de la durée de la discussion, 2" parce que, le tout
étant plus que la partie, un concile plénier doit l'emporter sur un simple concile africain
comme était celui d'Agrippinus. Ne prenons pas ces deux arguments pour une thèse.

(.5, De bapt. ii, 4 : « Quis autem nesciat sanctam Scripturam canonicam... omnibus po-
sterioribus episcoporum litteris ita praeponi, ut de illa oinnino dubitari et disceptari non

utrum verum vel utram rectum sit quidquid in ea scriptum e.sse constilerit episco-
possit. ;

porum autem litteras... et jier sermonem forte sapientiorem cuiustibet in ea se peritioris,


et per aiiorum episcoporum graviorem auctoritatem doctioremque (?) prudentiam et per
concilia dicere reprehendi, si quid in eis forte a veritate devialum est et ipsa concilia quae ;

per singulas regiones vel provincias fiunt plenariorum conciliorum auctoritati quac fiunt ex
universo Orbe cbristiano sine ullis ambagibus cedere; ipsaque plenaria saepe priora poste-
rioribus emendari, cura aliquo experimenlo rerum aperilur quod clausum erat et cognosci-
tur quod lalebat... « Quand le concile de Carthage réunit les évèques de toutes les jiro-
vinces africaines il plenarium Africae concilium. Epistul. lxiv, 4. (Cette lettre
s'appelle
est de 401). Les Donatistes usent de même du terme de plenarium concilium pour qua-
AUTOUR DU DE VTIUTATE CREDENDI DE SAINT AUGUSTIN. 33

Donc, (lune part, des « concilia quae pcr singulas regiones vel pcr

provincias fiunl », comme pourra être un concile des évêques de

Numidie, ou un concile n'engn-ont


de Garthage, conciles qui

qu'eux-mêmes; d'autre part, des « concilia plenaria », dont l'autorité


Catholica auxquels doivent céder
ne se distingue pas de celle de la et

toujours les conciles particuliers, comme en fait foi


l'Afrique catho-

lique instruite par l'expérience de saint Cyprien. On


a vu là, en etlet,

que des évêques peuvent être en désaccord sur un point de


doctrine,

si bien que les décisions de leurs conciles s'opposent de pays à pays,


quibusque regiunibus cliversa statiita nu-
(( ut clin conciliorum in mis
taverint », jusqu'au jour où la controverse est tranchée par un concile

plénier, « plenaria totius orbis concilio » (1). Les décisions d'un


Ecclesiae
concile plénier sont traitées par Augustin de « universae
imiversi orbis aiictoritas » de nniversalis
statuta » (2), de (3), '<
«

Ecclesiae consensio » (V), de « nniversae Ecclesiae concordissima


auctoritas Le concile plénier qui a fixé la doctrine baptismale
» (5).

n'est pas nommé par Augustin. Mais, parlant du


concile de Nicée, Au-

gustin qualifiera son autorité en termes pareils dans le concile de :

consubstantiel
Nicée, dira-t-il, les Pères catholiques ont confirmé le
contre les Ariens hérétiques par l'autorité de la vérité et la vérité
de l'autorité (6).
L'autorité souveraine d'un concile plénier ne fait pas la
vérité,

elle la dégage seulement des controverses et elle confirme la foi tra-

ditionnelle Toute controverse crée de la confusion, eu ne s'en dégage


le plus souvent que par de longues
tractations et des conférences

d'évêques, par quoi on arrive enfin à la déclaration du concile

plénier qui éclaire et manifeste la vérité. Augustin insiste sur


cette

élaboration difficultueuse, qui est la justification de Cyprien, qui a


préparatoire des
l'avantage aussi de souligner le rôle subordonné et
conciles moindres, à l'encontre de la quasi-souveraineté que Cyprien
attribuait à son concile de Carthage.
Une fois la vérité manifestée par un concile plénier, la liberté de

la controverse est épuisée. Il se peut que l'Écriture no dise mot sur

Conlm ep. Parm. m, 29.


lifier. par exemple, leur concile de Bagaï de 394. Epislul. i.i. 2.

(1) De bapt. i, 9.

(2) Ibid. II, 2.

(3) Ibid. 5.
(4) Ibid. vu, 102.
(5, Ibid. II, 5.
Hoc est iHud Uoinousion fiuod in cncilio Ni-
(6) Conira Maxim, arian. II, xiv, 3 : '<

patiibus verilalis auctontalo et auclori-


caeno adversus haerelicos Arianos a calholicis
tatis verilate fiimalum est. »
REVUE BIBLKILE 1017. — N. S., T. Xl\ .
^
3i UKVi'E lîini.ion:.

lo poini (It^ doctrine <(iii a (Ioiuk'' li<Mi à controverse, mais l'Ki^lisc

n'est pas est démontrée par l'Kcritnre, et nons ne san-


dontcnse qui
rions être trompés en nons sonniettant à ce (pie décide rKglise,
Ang'ustin écrit « Hoc pvr uniror^iani VathoUcam qttae loto orbe d'ij-
:

funditur oh^rrvfiri placuit quod fenemus » (1). Et il ajonte :

Proiiide. quamvis luiius rci certe de Scripluris caiioiiicis non prolcialur excmpluin,
earumdein laincn Scripturaruin etiam in hac re a nobis tenetiir veritas, cum hoc
l'acimus (juod iiniversae iatn placuit Ecdesiae quam ipsarum Scripturarnm commen-
dat auctoritas, ut, quoniam sancta Scriptura fallere non potest, quisquis falli metuit
huius obscuritate quaestionis, eamdeni Ecclesiam de illa consulat (]uam sine ulla
ambiguiiate sancta Scriptura demoustrat (2).

Quand nous acceptons ce que l'Église universelle a décidé, « cjttod


universae inm placuit Ecclcsiae », nous ne devons pas craindre d'être
trompés : rÉglise uniAerselle s'exprime par sa régula fidei, par sa
-ionsnett(do universelle, et, en cas de controverse, par ses plenaria
concilia. Quiconque craint d'être trompé, qu'il consulte l'Église, pour
se régler sur elle. —
Car sitôt que la doctrine de la foi catholique
est manifestée, quiconque y résiste et refuse de sacrifier le senti-
ment qu'il tenait jusque-là, est un hérétique (3). Dans les questions
qui n'ont pas été tranchées, délimiter l'hérésie est difiicile (1.) là où :

la catholica veritas est tirée au clair, il n'y a plus d'hésitation. L'Église


tolère bien des choses, mais pas ce qui est contre la foi (5),
Cette déclaration très formelle du Contra Cresconium (en 406)
est-elle en. contradiction avec la déclaration du De baptisrno (en 400),
par laquelle Augustin énonce que les conciles pléniers s'amendent
les uns les autres? D'une part, nous sommes assurés de tenir la
vérité quand nous faisons « quod universae iam placuit Ecclesiae » ;

d'autre part, « ipsa plenaria (concilia) saepe priora posterioribus


emendari, cum altquo e.rperimento rernm aperitur quod clansum erat
et cognoscitur quod latebat ». H. Reuter nous dit In concile plénier :

corrige un concile plénier antérieur, comme un concile plénier corrige


un concile régional; ils ne sont donc jias plus définitifs et infailli-
bles les uns que les autres (6). — Non, peut-on répondre, car Augustin
n'accepte pas l'analogie subrepticement introduite par Reuter. Qu'on

(1) Contra Crescon. i, 38.

(2) Ihid. 39.


(3) Debdpt. IV, 23 : « Istum noiuluiii haereticuni dico, nisi manifestala siM doctriria
catholicae fidei resistere maluerit et illud quod tenebat elegerit. »

(4) Epistîil. ccxxu, 2.


(h) Epistiil. Lv, 3.5 : « Ecclesia Dei... multa tolérât, et tamen quae sont contra fidem
vel bonam vitam non approbal, nec tacet. nec facit. »

(C) H. Relier, Auguslinische Studien (Gotha 1887), p. 341.


ACrOLll DU DE UTILITATE CREDENJ)] DE SAINT AICIJSTIN. 33

relise le texte du De baptismo, on y verra que


les évèques qui ont
dévié de la vérité peuvent être repris par les conciles régionaux,
« per concilia licere reprehendi » on y verra que les conciles régio-
;

naux doivent s'incliner sans ambages devant les conciles pléniers,


« plenarionnn concilionmi auctorilati cedere » on y verra enfin que ;

les conciles pléniers sont amendés par des conciles pléniers subsé-
quents, « priora posterioribus emendari ». Il saute aux yeux que
reprehendi n'est pas synonyme à'emendari, et que l'analogie ri-
goureuse dont Reuter tire argument n'est pas dans la perspective
d'Augustin.
lieuter insistera : il suffit, dira-t-il, qu'un concile plénier puisse
être amendé par un concile plénier subséquent, pour que toute défi-
nition de concile plénier soit faillible. Mais ici encore la pensée d'Au-
gustin est plus nuancée emendari signifie pour lui un développement,
:

et il exprime ce développement en cette formule imagée « Aperitiir :

quod claiisum erat et cognoscitur quod latebat » (1), Quand un évèque


était repris par un concile régional, c'est qu'il y avait eu dans les
lettres ou dans les discours de cet évêque quelque chose qui déviait
de la vérité, déviait au sens du français dévoyer, si quid a veritate de-
viatiim est. Il n'est pas question pour un concile plénier de dévoyer,
de sortir de la vérité, pour y être ramené par un concile plénier
subséquent : il est question seulement de ne pas voir ce qu'un concile
subséquent verra, parce que la vérité enclose ou latente dans la foi
reçue se dégage souvent du fait des controverses qui éclatent, qui se
poursuivent, qui aboutissent à leur ternie nécessaire.
Augustin suggère ailleurs un exemple qui mérite d'être classique.
Le Père et le Fils sont unius eiusdenique substantiae, ce que nous
disons d'un mot, le mot hom[o)ousion. Ce mot n'est pas scripturaire :

c'est un mot que la foi de nos pères a créé, [verbum) quod tamen
«

fuies antiqua pepererat », que le concile de Nicée a adopté, conlirmé,


u quod in concilio Nicaeno... firmatum est », et que la catholicité a
défendu, « {quod) catholicae fidei sanitate longe laloque defensum
est ». Si l'adoption de Vhom[o)onsion par le concile plénier de Nicée
était provisoire, et si laformule du consubstantiel était réformable
par un concile plénier subséquent, au sens où le veut Reuter, le
concile de Rimini, qui avait certes toutes les apparences d'un concile
plénier, était en droit d'amender le concile de iXicée et de substituer

(1) Rapprochez De vera relig. 15 « (Haeretici) plurimum prosunt, non verum dicendo
:

quod nesciunt, sed ad verum quacrendum carnales et ad verum aperiendum spiritales


catholicos excitando. »
36 lU.Vl'K lilHMÙUL;.

l'homéismc au consubslantiol : «»i' Augustin accuse lo concile do


Rimini dinipictc, d'hérésie, et d'avoir été asservi par un empereur
hérétique, Constance 11 (1). Le concile de Nicée est aux yeux d Aui,''us-
tin, et en dépit de la nouveauté du mot liom[o)onsion, si pai laitemcnt

détinitif, (jue les réfractaires à la doctrine nicéenno sont hérétiques :

Thérétique l'est-il provisoirement, en ce sens que son erreur puisse


un jour, telle quelle, devenir la foi catholique?
La formule heureuse « Apcritur quod clausum crat et cognoscitur
quod latcbat », anticipe la pensée de Vincent de Lérins, comme le j

suggère tout de même


(2), en refusant de s'arrêter à cette
Keuler
|
interprétation qui est pourtant la seule ])lausiblc. Premièrement, — ^

en ell'et, Augustin reconnaît que l'enseignement de la religion crée


quand il le faut des vocables nouveaux pour s'exprimer plus adéqua-
tement. Si saint Paul condamne les mots nouveaux, remarquez qu'il

ne condamne que les nouveautés profanes, 'profanas verboriim novi-


tales(1 Tim. vi, 20) : « Sunt cnini et doctrinae rcligionis congruen-

tes verborum novitates », poursuit Augustin. Ainsi a été créé à


Antioche le nom de Chrétiens pour les disciples du Seigneur; ainsi
plus tard on a créé les mots ncnodochia, moîiasleria, sans qu'on
puisse douter que les choses que ces mots désignent soient plus
anciennes que ces mots, « res ipsae et ante nomina sua crant ». Pareil-
lement, pour exclure l'impiété des Ariens hérétiques, on a forgé le
mot ôixooûaisç et l'on a dit que le Fils était r2;j.oojo-io; du Père l'affir- :

mation n'était pas neuve pour autant, puisque qui dit 6;j.ocù(7ioç ne
dit pas autre chose que le texte Ego et Pater unum sumus {loa. x,
30) (3). —
Secondement, toute controverse de bonne foi suppose une

(1) Contra Maxim, arian. II, xiv, 3 : « Hoc cstillud lioinousion, quod in concilio Nicaeno

adversus haereticos arianos a catholicispatribus verilatis auctoritale et auotoritatis verilale


lirmatum est; quod postea in concilio Ariminensi, propter novitatem verbi minus quain
oportuit intellectum, quod tanien fides antiqua pepeierat, multis paucorum fraude de-
ceptis, haerelica impietas sub haeretico imperatore Constantio labefactare tenlavit. Sed
post non longum tempus libertate fidei catbolicae praevalente, posteaquam vis verbi sicut
debuil intellecta est, homousion illud catbolicae fidei sanitate longe lateque defensum est. »
(2) Reuter, p. 340. Anticiper paraîtra
sans doute insuffisant. Voyez Commonitor. 32 :

« Christi Ecclesia, sedula et cauta deposilorum apud se doginatum custos, nibil in bis

nunquam permutât, nibil minuit, nibil addit,... boc unum studet ut vetera fideliter sapien-
terque tractando, si qua sunt ilia si qua
antiquitus informata et incboata accuret et poliat,
iam confirmata et definila custodiat. Denique quid unquam aliud conciliorum decretis enisa
est, nisi ut quod antea simpliciter credebatur, boc idem postea diligentius crederetur ? quod
antea lentius praedicabatur, boc idem postea instantius praedicaretur? « etc. Augustin a
compris le développement incomparablement mieux que Vincent de Lérins.
« Adversus impie tatem quoque Arianorum haereti-
(3) In loa. euang. tract, xcvii, 4
:

corum novum nomen Patris Homousion condiderunt, sed non rem novarn tali nomine
signaverunl... » Contra serm. Arian. 34 : « (Ariani) nos tamquam opprobrio novi nomi-
AUTOUR DU DE JJTILITATE CIŒDEND] DE SAINT AUGUSTIN. 37

incertitude à son point de départ, incertitude que l;i controverse eu


progressant élimine, si bien que la vérité est tirée au clair quand elle
est par un concile plénier. Augustin
définie en dernière instance
pense à saint Gyprien quand il parle de la sorte, nous aurons l'occa-
sion d'y revenir, nous tenons à dégager le principe appliqué là par
Augustin, qui est que la vérité n'est ni claire de soi nécessairement,
ni élucidée toujours d'un coup, dans le catholicisme : par là s'explique
qu'il y ait des controverses entre évèques également catholiques, et
qu'il y ait progrès dans l'élucidation de la vérité. S'agit-il de la vali-
dité du baptême des hérétiques, le principe se vérifie pleinement :

Quomodo enim potuit ista res tantis altercatiomim nel)iilis involiUa ad plenarii
concilii luculentam illustrationera confirmationemqne perdnci, nisi priiiio diutius per
orbis terrarura regiones multis liinc atque hinc disputationibus et collationibus
episcoporum pertractata constaret? Hoc autem facit sanitas pacis. ut, cuni diutius
aliqua obscuriora quaeruntur et propter inveniendi dil'Ucultatem diversas paiiunt in
fraterna disceptatioiie sententias donec ad verum liquidum perveniatiu", viuculum
permaneat unitatis, ne in parte praecisa reraaneat insaiiabile viilnus erroris (1).

Augustin, qui n'a eu en vue qu'un cas, est un esprit trop sagace
pour ne pas poser un principe qui s'applique à tous les cas possibles :

on ne peut vraiment souhaiter une formule plus juste de la loi du


développement des dogmes au sein du catholicisme, que la formule
qu'il donne là, et qu'il ramasse ailleurs dans ces quelques mots :

« quae post magnos dubitationis


D'digenliiis inquisita veritas docuit,
fluctus ad plenarii concilii confirmationem perducta est » (2).

L'autorité, dirons-nous par manière de récapitulation, est d'abord


dans l'Écriture, éminemment dans l'Évangile où le Christ parle, le
canon des Écritures étant authentiqué par les Apôtres. La règle de
notre foi est dans les textes clairs de l'Écriture et dans l'autorité de
l'Église, laquelle a pour mission d'évincer les erreurs des hérétiques
et de clarifier la vérité qu'elle conserve. Le symbole baptismal est un
produit de cette œuvre d'élimination et de clarification de l'Église.
La foi de l'Église universelle ou foi catholique est la foi des Apô-
tres. Toute consuetado, reçue dans l'Église universelle et dont on ne
peut dire qu'elle a été instituée par un concile plénier, ne peut que
«

nis Homousiaaos vocant... Ecce qui nos ([uasi macula novi nominis vocanl Homousia-
nos... »

(1) De bapt. ii, 5.

(2) Jbid. u, 12.


38 RKVLE I51I5LIQUK.

remonter aux Apôtres. Les conciles pléniers, ilevanl autorité des- J

quels doivent s'incliner les conciles particuliers, tranchent les contro-


verses et fixent la doctrine en l'élucidant ce qui est décidé par les :

conciles pléniers i)eut èlie (jualilié de ce que décide l'Église univer-


selle y(iHod unirermr placuit Ecclesiae), et FÉglise que nous recom-
mande l'autorité des saintes Ecritures ne saurait nous tromper. La
foi d'autorité, puisée dans l'Écriture, puisée dans l'enseignement

écrit ou non écrit des Apôtres, c'est-à-din; dans la tradition, est donc
confirmée et aclicvée par l'autorité de la Calliolica (i ).

Dieu, qui nous a donné son Église en voulant qu'elle soit catholique
et se reconnaisse à sa catholicité, ne sépare pas la vraie foi de la vraie
Église Dans la chaire de l'unité II a placé l'enseignement de la
: «

vérité » (-2). La certitude où nous sommes que les hérétiques sont dans
l'erreur présuppose que l'Église est nécessairement dans la vérité. Des
évoques pourront se tromper, des conciles régionaux pourront se
tromper, des controverses pourront troubler les esprits le remède à :

ces maux viendra de l'unité, et ce remède sera la vérité aflirmée par


l'univers catholique avec la très robuste fermeté de son accord. Ainsi
Terreur des rebaptisants a été éconduite Calholicus orbis terrarum
: <(

robustissima firmitatc consemionis excliisit, lit quod i:)er disjmtationes


eimmodi aliquorum mentes irrepere coeperat, de sainte veniens uni-
in
tatis potentior veritas et umversalis medicina sanaret » (3). Quelles
que soient les difficultés soulevées, in Ecclesia mancho securus »,
<^

parce que tout ce que l'universalité de l'Église croit ou décide est con-
lorme à la vérité que Dieu g-arantit (4). Dans son universalité, l'Église

(1) Les que nous venons de récapituler constituent une théorie de l'Église bien
traits
dans de TertuUien et de Cyprien, comme dit Loofs [Leitfaden, p. 370), qui ajoute
la ligne

(p. 371) que « mt'me le principe catholique de la tradition ne lui est pas étranger »! On
ne comprend pas qu'après cela le même Loofs écrive « Une théorie claire fait i(;i
:

défaut », et qu'il adopte la conclusion de Reuter, à savoir que, épiscopat, siège apos-
tolique et sièges apostoliques, conciles relativement ou absolument pléniers, valant
comme représentations de lÉglise infaillible, il ny aucune représentation
a cependant
infaillible de l'infaillible Église. Reltiîr, Aucjustinische Studien, p. 358. Harnack,
Boginengeschichte, t. IIP, p. 135-136, adopte la conclusion de Reuter.
(21 Kpistul. cv, 16 « Quod (c'est-à-dire le schisme) usque adeo caelestis magister
:

cavendum praemonuit, ut etiam de pracpositis malis (les mauvais évêques) plebem secu-
ram faceret, ne propter illos doctrinae salutaris cathedra desereretur, in qua coguntur
etiam mali bona dicere. Ncque enim sua sunt quae dicunt, sed Dei, qui in cathedra
unitatis doctrinam posuit veritalis. n
(3) De bapt. m, 2.

(4) Ibid^ Rapprochez ib. 3 : « Nos itaque, ut dicere coeperam, in eius Ecclesiae com-
munione securi sumus, per cuius universitatem id nunc agitur quod et ante... Cyprianum
per eius universitatem similiter agebatur. » Quaesl. euaag. n, 40 « lam facile est etiam :

illud videre, heri posse ut quisque in Ecclesiae societate doctrinam integrara veramque
a3se(|uatur. »
AUTOIR DU DE VTILITATE CREDENDI DE SAINT AUGUSTIN. 39

est parfaite et n'a aucune défaillance (1). La Catholica en tant que


telle est rinfailliJ>le conservatrice du dépôt de la foi -2). Elle est cela i

grâce à l'assistance de Dieu dont elle est l'Église et qui habite en


elle (3), Église du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité (4).
Klle est cela parce que, corps mystique du Christ, elle ne peut pas ne
pas être gouvernée sur terre par le chef invisible qu'elle a dans le

ciel (5), et quine l'abandonne pas (6), le chef qui nous conmiande de
croire, pourvoyant à la protection de l'Église par les grands conciles
et par les sièges apostoliques, comme aussi par une élite d'hommes

spirituels et doctes armés d'une forte raison capable de répondre aux


sopliismes et aux insolences des hérétiques (7).

ni

L'autorité étant ce que nous venons de voir dans la Catholica, le

(1) De Gen. ad
litt. imp. 4. « Universaliter perfecta est et in nullo claudicat «.

Enarr. in ps. \xx, 8. Ibid. lvii, 6


(2) « Ex veritatis ore agnosco Cliristum ipsarn:

verilatein e\ veritatis ore agnosco Ecclesiam participem veritatis. »


:

(3) Enarr. in ps. ix, 12 « Ipse habitat in Sion, quod interprelatur speculatio, et
:

gestat imaginem Ecclesiae quae nunc est... Ipsam quae nunc est Ecclesiam nisi Domi-
nus inhabilaret. iret in errorera quamlibet stiidiosissiraa speculatio. » In loa. euang.
tract. XX, 3 : « Catiiolica (ides hoc habet, firmata spiritu Dei in sanctis eius, contra
oranem haereticam pravitatem. »
(4) Sernio ccviv, 11. De vera relig. 20 : « Quae vera esse perspexeris tcne, et Ecclesiae
catholicae tribue. «

(51De ùapl. vu, 102 « Sed nobis tutum est... (id) lidacia securae vocis asserere quod,
:

in gubernatione Domini Dei nostri et Salvatoris lesu Cbristi, universalis Ecclesiae con-
» Enarr. in ps. lvi, 1
sensione roboratiini est. « Corpus autein eius est Ecclesia, non :

ista, autsed toto orbe diffusa... Tota enim Ecclesia constans ex omnibus lidelibus,
illa,

quia fidèles omnes membra sunt Cbristi, habet illud caput positum in caelis, quod guber-
nat corpus suum. » De (ujone chrisliano, 4 « Nec enim decipi poiest qui iam novit :

quid pertineat ad christianam fidem, quae catholica dicitur per orbem terrarum sparsa,
et contra omnes impios et peccatores, neglegentes autem etiam suos, Domino gubernanle
secura. »

(6) Sermo cccxli, .5 : « Turbavit fratres infirmos Ecclesiae quaestio Arianorum, sed
in Domini misericordia superavit catholica fides non enim deseruit ille Ecclesiam :

suam. Et si ad tempus turbavit eam, ob hoc turbavit ut semper supplicaret ei a (pio


in solida petra conlirmaretur. »

(7) Epistul. cxviii, 32 imperalor clementissimus (le Christ qui nous fait
: « Ille fidei
de la foi im conventus celeberrimos populorum aUjuc gentium sedesque
i)récepte}, et pcr
ipsas Apostoluruin arce auctoritatis munivit Ecclesiam, et |)er pauciores pie doctos et
vere spiritalcs viros copiosissimis apparatibus etiam invictissimae rationis armavit.
Verum illa rectissima disciplina est, in arcem fidei ([uam maxime recipi infirmos, ul pro
ris iam tulissime Sur l'infaillibilité de l'Eglise dans
posilis fortissima ratione pugnetur. "

lecclésiologie d'A. voyez T. Si-echt, Die Lehre von der Kirelie nach dem h. Augustin
(Paderbora 1892;, p. 247-251, p. 317-325.
40 HKVIK HIHUQUË,

lidrle u'y est pas pour autant exproprié du droit de penser sa foi. A
l'intérieur et à l'abri de {"autorité divine, la raison s'exerce et elle
udiis d»»nne rintelligence de notre foi : c» Inlidiis fuir in sancluarlum
Dei, intrans credendo, discis intellegcndo » (l). Dans ce sens il faut
entendre la maxime chère à Augustin que la foi précède l'intelli-

gence (2).
Augustin ne se dissimule pas ce que le principe de la priorité de la
foi sur l'intelligence, c'est-à-dire sur l'exercice de la raison, a de
déconcertant pour llionime qui n'a pas encore la foi. homme
Tout
veut comprendre, tandis qu'on ne peut pas dire que tout homme veut
croire. Un homme me déclare : Je veux comprendre pour croire. Je
lui réponds : Crois pour comprendre, selon la doctrine même d'Isaïe :

Nisi credideritis, non intcllegeti.s [h. vu, 9) (3). Nos deux exigences
sont-elles donc contradictoires et inconciliables? Non.

Ergo ex aliqua parte veriim est quod ille dicit : Intelleiiain ut credam, et ego qui
dico sicut dicit propheta : Immo crede ut intellegas. Verum dicimus. Concordenius.
Ergo intellege ut credas, crede ut intellegas. Breviter dico quomodo utrumque sine
controversia accipianius. Intellege ut credas verbum nieum : crede ut intellegas ver-
bum Dei (4).

Ce qui revient à dire que l'homme qui ne croit pas encore peut
exiger d'êtreamené à la foi par la voie de la raison, c'est-à-dire par
l'examen des raisons de croire à l'autorité divine (5), et par la critique
des difficultés d"y croire (6). Arrivé à la foi, il s'exercera à com-

(1) Sermo xlvui, 7.

(2' In loa. euang. tract. x\i\, 6 : « Si non intellexisli, in([uam, crede. Intelleclus
enira merces est fidei. Ergo noli quaerere inlellegere ut credas, sed crede ut intellegas. »

Sermo cxviii, 1 : « Crede ut intellegas : praecedit lides, sequitur intelleclus. » cxxvi, 1 :

<c Fides gradus est intcllegendi, intelleclus aulein merituin fuie. » cxxwii, 15 : « Intellec-
tui'fides aditum aperit. » cxxxix, 1 : « Sic crédite ul mereamini intellej^ere : lides enini
débet praecedere intellectum, ut sit intelleclus lidei praemium. >' Même théorie déjà dans
le De libero arbitrio, ii, 6, et dans le De vera religione, 14, c'est-à-dire dans deux écrits
antérieurs à la prêtrise d'Augustin.
(3) Sermo xLin, 4 et 7. Le texte cité d'Isaïe répond au grec des Septante.
(4) Ibid. 9.

(5) Rapprociiez Enarr. in ps. cxvin, xvni, 3« Uuamvis enim nisi ali<iaid inlellegat :

nemo possit credere in Deum, tamen


qua crédit sanalur ut inlellegat ampliora.
ipsa lide
Alla sunt enim quae nisi inlelleii;amus non credimus, et alla sunt quae nisi credamus
non inlellegimus. » Donc la connaissance naturelle de Dieu est un acte d'intelligence
préalable à la foi. De même pour la raison de croire que nous trouvons dans le fait des
prophéties, Contra Faustum, xu, 4G (p. 375). Rapprochez Sermo cv, 2.
(6) Epistûl. cLxxxiv, 4 « Infidelibus vero, qui nuUa lenenlur cbristianorura auclorilale
:

librorum, operosius respondelur. Neque eorum pravitas potest diviuae Scriplurae pon-
dère corrigi, adversus quos polius ipsa quae ab eis apertius accusatur débet ulique
Scriptura defendi. »
AL'TOLR DU DE UTILITATE CliEDENDI DE SAINT AUGUSTIN. il

prendre ce qu'il croit, exercice dont Augustin s'est complu à affirmer


la légitimité, pour répondre aux Manichéens qui s'opposaient au catho-
licisme comme une science, pour réagir aussi contre les catholiques
enclins à suspecter rintelligcnce, nous dirions aujourd'hui, mais
Augustin neniploie pas ce mot, la théologie.
Conseutius est de ces catholiques. Il a écrit sur la Trinité et l'incar-
nation des livres qu'il a soumis à Téveque d'Hippone, et dans les-
quels ce dernier a relevé des conjectures fort erronées sur la nature
de Dieu. Dans une lettre que nous possédons, Consentius remercie
Augustin de ses critiques, et, s'empressant d'y déférer, il passe le
but jusqu'à énoncer que décidément dans les choses divines la vérité
doit être demandée à la foi, non k la raison, et ([ue quand il s'agit de
Dieu on doit s'en tenir à l'autorité des saints, entendez des saints
Livres « Non tam ratio reqiùrenda de Deo quam auctorilas est
:

sequeivla sanctorum >^ . Si, en effet, on arrivait à la foi delà sainte

Église par une discussion de raison, non par une pieuse soumission à
l'autorité (divine), seuls les philosophes et les orateurs posséderaient
la béatitude (1). Le bon Consentius est trop revenu de ses erreurs!
Augustin va s'apphquer à tracer pour lui, en une lettre très belle, la

juste mesure où le catholique réfléchi doit se tenir. Cette lettre est


de VIO environ.
Augustin commence par rappeler les déclarations de Consentius se
définissant à lui-même que la vérité doit être demandée à la foi plu-
tôt qu'à remontre doucement que, si ce principe était
la raison, et lui

le bon, plus ne serait besoin de s'éclairer sur la foi, comme le cherche


Consentius par les questions qu'il pose à Augustin. Au vrai, dès là
que Consentius interroge Augustin, dès là qu'il attend de lui ou de
tout autre doctor de comprendre ce qu'il croit, dès laque cette attente
est raisonnable, Consentius doit corriger son principe, non qu'il ait à
rejeter la foi, mais en ce sens que, tenant fermement aux articles de
sa foi, il peut par surcroit les considérer à la lumière de la raison (2).
— Dieu, en effet, ne saurait haïr en nous la faculté par laquelle il fit
de nous des créatures supérieures aux animaux (3 . La foi ne nous est

Int. AuGLST. Epistul. cxix, 1 : « Verilatem rei divinae ex liilc magis quain ex
(1)

ratione percipi oportere. Si enim «des sanctae Ecclesiae ex disputatioiiis ralione, non ex
credulitatis pietate apprehenderetur, nemo praeter philosophos atque oratores beali-
tudinem possideret. » — Pour le sens de sanctorum, voyez la fia du pa ajiraphe :

M ... Scripturis sanclis magis quam suis ratiociiiationibus accommodare lidein.


(2) Epislul. cxx, 2 : « ... Si a me vel a quolibet doctore non irialionabililer llagitas

ut quod credis intellegas, corrige defmilionem luam, non ut fidem respuas, sed ut ea
quae fidei lirmitateiam tenes etiam rationis luce conspicias. »
(3) Rappiocliez Enarr. in ps. cxviu, xviu, 3 et Sernio xliii, 3-i.
V2 RliVUE lUMLIOUE.

pas accordée pi)Ui' ([iic nous l'cnoucidns à la raison. (Juaiul nous tlisons

que, sur certains articles de la doctrine du salut, la foi doit précéder


la raison, c'est au nom de la raison que nous le disons, et ainsi
la raison se trouve encore [)récé(ler la loi. Elle la continue aussi
bien. L'apùtre Pierre nous l'ail un précepte de rendre raison de notre
loi et de notre espérance à quiconque nous le demande (I Pet. ii, 15).
J'en rendrai donc raison, soit à l'inlidèlc, en lui démontrant qu'il doit
croire, soit au fidèle, en l'aidant à comprendre ce ([uil croit. Le
lidèle acquerra l'inlelligence de la foi, dans la mesure dont il est
capable, et, en attendant d atteindre la perfection de la connaissance,
Une se détournera pas du chemin de la foi, <( al> itinere fidei non re-

cédai ». Quant à cette perfection de la connaissance, terme de la con-


templation [summitas contemplât) onis) nous y parviendrons dans le .,

face à face avec Dieu dont parle saint Paul (I Cor. xiii, 12), encore
que dès ce monde, de très humbles chrétiens, « quidam
« in via fidei »,

etiam minimi », atteignent cette bienheureuse contemplation, « ad


illam beatissimam contemplationem perveniunt » (1). Ainsi, pour —
Augustin, l'intelligence de la foi est légitimée, en dernière analyse,
parle fait qu'il n'y a qu'une différence de degré entre cette intelli-

gence et la contemplation, étant bien entendu que l'intelligence


pour s'exercer requiert la possession préalable de la foi. Augustin
peut alors conclure :

Haec dixerim ut fldem tuam ad amoreai intellegentiae coliorler, ad qiiam ratio


vera perducit et cui fides animum praeparat... (2).

Le rôle de la raison dans la foi consistera à écarter de notre foi les


conceptions qui la fausseraient, par exemple, de notre foi en la Tri-
nité toute figure corporelle :

Et quidquid tibi cum ista cogitas corporeae similitudinis occurrerit, abige, abnue,

(1) Epistul. cxx, 3-4. —


Ce qu'Augustin appelle contemplation ici, il l'appelle ailleurs
connaissance, et aussi bien jiar contemplation que par connaissance il entend la vision

béatifique. On devra interpréter dans ce sens le passage In loa. euang. tract, xl, 9 :

« Credimus enim ut cognoscamus, non cognoscimus ut credamus. Quod enim cognituri

sumus, nec oculus vidit, nec auris audivit... » De catech. rud. 47 « ... ut... quoraodo :

sint tiaec tria unus Deus, non iam verbis (idei et strepentibus syllabis personemus, sed
coDtemplatione purissinia et ardentissima in illo silentio sorbeamus. » Sur la contem- —
plation, en, tant qu'elle peut être atteinte par instants en ce monde, en vertu d'une grâce
d'oraison, voyez le récit classique de Conf. ix, 23-26, surtout 24, de l'entretien d'Augustin
et deMonique à Ostie, et ce que dit Augustin ailleurs sur le ravissement de saint Paul,
par exemple Epistul. cxlvii, 31. Cf. Bossuet, Instruction sur les états d'oraison, éd.
LÉvESQLE (1897), p. 64-«5. Voyez encore J. Martin, Saint Augustin (1901), p. 167-170.
(2) Epistul. cxx, 6.
AUTOUR DL DE UTILITATE CREbE]SI)l DE SAINT AUGUSTIN. 43

oega, respue. abice, fuge. Non enim parva est inclioatio cognitionis Dei, si antequam
possimus nosse quid sit, incipiamus iam nosse quid non sit (l.

Augustin vise là l'erreur de Cousentius proposant de concevoir


Dieu comme une lumière, infinie, mais corporelle, erreur que la raison

pure suflirait à réfuter. Secondement, la raison aura pour œuvre de


donner à la foi son sens droit Augustin le dit en une formule demeu-
:

rée célèbre :

Intellectutn vero valde aiiia. quia et ipsae Scripturae sanctae, quae magnaruni
reriim ante intellegentiam suadent fidem, nisi eas recte inteliegas, utiles tibi esse
non possunt (2).

Aime à comprendre l'Écriture. Elle est pleine de grandes choses qui


s'imposent à la foi, d'abord, mais qui ne te serviront de rien, si tu
ne les entends pas droitement. Mal comprendre, en effet, revient à ne
pas comprendre : « Qui maleintellegit, non intellegit » (3).
Ce droit sens est celui qui est indiqué par la règle de foi. Aucun
argument des hommes ne saurait prévaloir contre elle. Quiconque
rompt avec la règle de foi, perd sa route, loin d'avancer « Qui prae- :

terrjreditur fideiregulam, non acceditin via,sedrecedit de via » (4).


Mais on peut avancer dans le droit chemin. Augustin suppose que ses
auditeurs lui disent Tunousas fait un précepte de croire, à toi main-
:

tenant d'expliquer, pour que nous comprenions u Praecepisti ut cre- :

damus, expone ut intellegamus ». Augustin explique aussitôt (il s'agit


du sacrement de l'autel), car il reconnaît à la foi le droit de vouloir
comprendre, il accepte que la subtilité ait son tour après la simpli-
cité, et il trouve dans l'intelligence une joie légitime, « inlellegite

et gaudete » (5).

La légitimité de Imtelligence (nous dirions de la théologie) une :

fois posée en principe, il reste à déterminer le champ où elle s'exerce.

Persuadons-nous que l'intelligence de la foi est limitée pour nous,

(1) Epislul. cxx, 13.


(2) Ibid. 13.
In loa. euang. tract, xcvii, 1.
(3)
In loa. euang. tract, xcviii, 7. Ibid. x\ui, 2
(4) « Ad hanc regulara sanani catholi-:

cam quain praecipue nosse debelis, quam tenete qui iiostis, a qua prorsus fides vestra
labi non polest, quae nuliis hoininum argumentis exlorquenda est cordi vestro, dirigainus
ea quae intellegimus. » Cf. De Gen. ad litt. imp. 1, 2 et 5.

(5) Sermo f;ci.xxii. Rap|)rochcz cvxxix, 1 : « Quod ergo simpliciter praedicatur creden-
dum est, quod sublililer disputatur intellegendum est. »
44 REVUli BIBLIQUE.

en ce monde, par rinlirmité même de nos facullrs liumainos. Inlir-


mité occasionnelle et j)orsonnelle qui tient à nos dispositions morales . :

u Mores peniiicunt ad inlcllegcnliam » (1). Mais aussi inlinnité de —


nature. Vous me demandez comment le Père est vu par le Verbe et
ce qu'est voir pour le Verbe je n'aurai pas l'audace de vous pro- :

mettre de vous l'expliquer, car, quelle que suit votre mesure, Je


connais la mienne — Les
miracles dont l'Evangile est plein sont
r2).

des faits auxquels nous nous soumettons, sans prétendre en rendre


raison : là où la raison renonce, la foi édifie (3). Enlin, la vérité —
divine a le droit de se dérober à notre désir de la comprendre. La
conception virginyle du Verbe dans le un prodige
sein de Marie est
et un prodige unique : nous ne pouvons espérer la comprendre
comme on comprend une chose rationnelle et naturelle, et la seule
raison qu'on en doive donner est la toute-puissance divine :

ïlic si ratio quneritur, non erit mirabile; si exempluni poscitur. non crit singnlare.
iJennis Deiim aliquid possequod nos fateamur investigare non posse. In talibus rébus
tota ratio facti est potentia facientis (4).

L'Écriture pareillement est pleine de choses d'un sens profond,


mais de choses obscures, soit en elles-mêmes, soit dans les termes qui
les expriment. Les articles nécessaires au salut sont aisés à trouver

dans l'Ecriture : par eux est assurée la foi sans laquelle on ne vit pas
religieusement et droitement. Au delà, le plus sagace, le plus
appliqué des doctes doit renoncer à épuiser le contenu de l'Écriture.
Pour moi, dit Augustin, je ferais encore des progrès tous les jours
dans la connaissance de l'Écriture, quand même je l'aurais étudiée
depuis ma prime eniance, à loisir, avec une application infatigable,
avec un génie que je n'ai pas (5). Au vrai, l'Écriture est accessible et

(1) In loa. euang. tract, xvni,Rapprochez î/tid. xcvi, i


7. « Non diligitur (|uo(l :

penitus ignoralur. Sed cum


quod ex quantulacumque parte cognoscitur, ipsa
diligitur
efBcitur dilectione ut rnelius et plenius cognoscatur. » De fide et symb. 25 « Haec o^t :

(ides quae paucis verbis tenenda in symbolo novellis cbristianis datur. Quae pauca verha
fidelibus nota sunt, ut credendo subiugentur Dec, subiugati recte vivant, recte vivendo
cor mundent, corde mundato quod credunt intellegant. >> Cf. De ngone clir. 14. — A. est
revenu maintes fois à ce thème, qui était aussi un thème des Néoplatoniciens. Vo}e/
Uetract. i, 26 : « Sententia cuiusdam sapientis, non est rnea... Est autem cuiusdam
Fonte! carthaginensis de mente mundanda ad videndum L)eum, quod paganus quidem
scripsit, sed christianus baptizatus est morluus. »

(2) In loa. euang. tract, xvni, 7. Rapprochez De anima et cius orig. iv, 15 « Inlel- :

lege quid non intellegat, el noli despicere hominera qui, ut veraciter intellegat quod non
intellegit, hoc se non intellegere intellegit. »

(3) Sermo ccxlvii, 2.

(4) Epistul. cxxxvn, 8.

(5) Ibid. 3.
ALTOL'R DU DE UTlUTÀTi: CREDEM)! DE SAINT AIGL'STIX. 4:i

impénétrable ses pages claires parlent au cœur des doctes et des


:

isnorants, ses pages obscures déconcertent, intimident, nous sonnnes


en leur présence dans l'attitude d'un pauvre devant le riche, « quasi
pauper ad divitem » (1).
Il est des questions vaines, comme de se demander si le soleil, la
lune, les étoiles ont un esprit raisonnable dans le corps lucide que
nous leur voyons inutile d'appliquer son attention à des choses qui
:

nous regardent si peu, qui dépassent de si haut l'humaine infirmité


de notre intelligence, et dont l'Écriture ne nous fait pas un précepte
de les connaître, tout au contraire, puisque, crainte que nous ne sacri
fiions à des fables sacrilèges, elle nous dit : Altiora te ne quaesieris...
(Eccli. III, 22). Dans ces nous dépassent la présomp-
curiosités qui
tion téméraire est plus reprochable que l'ignorance prudente :

« Magis in istis temer.aria praesiimptio quam cailla ujnoratio cul-


panda » (2). — De même, l'apôtre Paul [Çol. i, 16) distingue les Trô-
nes des Dominations, et les Principautés des Puissances, dans la hié-
rarchie céleste, sur quoi Augustin écrit : Qu'il y ait des Trônes, des
Dominations, des Principautés, des Puissances, je le crois fermement,
et que ces créatures célestes diffèrent entre elles, ma foi le tient pour
indubitable : mais, méprise-moi si tu me tenais pour un grand doc-
teur, je ne sais pas ceque sont ces créatures, ni en (|uoi elles diffé-
convaincu que je ne cours nul danger par mon igno-
rent, et je suis
rance (3). Si même il arrivait à quelqu'un de nous qu'une révélation
lui découvrît ce que les auteurs inspirés de l'Écriture n'ont voulu
toucher qu'en courant, nous devrions nous garder d'estimer que
pareille révélation le met au-dessus des
écrivains par qui nous ont
été donnés les saintsenseignements des Écritures canoniques, qui
seront toujours la plus haute autorité à laquelle nous puissions nous
référer :

Quantum enim quisque sciendo profecerit, tanto se infra iflas liiteras ioveniet,
(|uas Deus tamquam fîrmamentum supra omnia liuraana corda constituit.
Non itaque opus est /j/«,s saperc, sed s((pere ad temperantiani, slcut nnicui'/ite
Deus part ihis est mensuram fidel{Rom. xii, 3). Docebunt te ista fortasse doctiores,
si ad illos afîeras tantam discendi scientiam, quantam scieudi liabes curam,

rse incognita pro cognitis opineris.

(IJ Epislul. cxxxvK, 18. Toute cette page sur les deux aspects de l'I'criture est 1res belle.

Rapprochez Epislul. cii, 38 a ... Quod in eis eluxeril, sine typho arrogantiac coinnuinican-
:

dum; quod autem latuerit, sine salutis dispendio tolerandum. » Sermo l\xi, 11 « lo :

omni quippe copia Scripturarum sanctarum pascimur apertis, exercemur ohscuris illic :

t'araes pellitur, tiic fastidium. »

(2) Ad Oros. contra Priscill. li.


(3) Ibid.
40 \\K\m lUIJI.lOlU'

Ne non crcdeuda credas, vel crcdoiuia non cred.is (1).

Réfugions-uous dans rautoritc do rKcrilurc cl tenons-nous à ci'

qu'elle allinnc, en atteiulaut de le comprendre : on ne doit pas


renoncer ;\ croire ce qui tarde à s'éclairer (2).
Toutes ces liniilations ne font pas qu<' Tintelligence ne puisse, sur
le fondement de la foi, élever un édifice solide et sûr, inférer des

afiirnuitions excluant tout doute (3). J'ai la confiance d'aboutir par la


foi catholi(|ue aune science certaine [certain sclcntiam)^ écrit Augus-
tin mais une science qui ne sera pour autant jamais indépen-
('i),

dante de la foi.
L'intelligence, en effet, si loin que nous puissions la pousser, ne
se substitue pas à la foi. Augustin, dans le De utilitale credend'i , a
dit à Honoratus Par tes désirs, par tes gémissements, par tes larmes,
:

prie Dieu qu'il te délivre du mal de Terreur, ce qui adviendra plus


facilement, si tu te soumets aux préceptes qui sont de lui et qu'il a
voulu qu'ils fussent imposés par l'autorité qui est si grande de FÉglise
catholique. Car, ajoute Augustin, le sage (s'il est sage) est uni à Dieu
de pensée en telle manière que rien ne s'interpose qui le sépare, Dieu
étant vérité et le sage étant l'homme qui réalise la vérité dans sa
pensée (5). M. Loofs en conclut que le sage peut arriver à ce que rien ne
s'interpose qui le sépare de Dieu, rien, et donc pas môme une auto-
rité. Telle n'est pas la doctrine d'Augustin : le sage est l'homme qui
réalise la vérité et qui n'est séparé de Dieu par aucune erreur, et tel
est le vœu que forme Augustin pour Honoratus manichéen, il réali- :

sera la vérité en venant à la foi d'autorité (6) que lui prêche Augustin,
et en s'assujettissant aux préceptes de Dieu « que Dieu a voulu qu'ils

(1) Ad Oros. contra Priscill. 14. Rapprochez Sermo ccxciv, 7.


(2) De Trinit. vin, 1 : « servata illa régula, ut quod intellectui noslro nondum eluxerit,
non dimiUatur. »
a firmitate fidei
(3) In loa. euang. tract, xcvui, 7 « Si quid ergo intellexeris quod non sit contra
:

regulam catholicain lidei,... et sic intellexeris ut inde dubilare onuiino non debeas.
adde aedificium, noli taraen relinquere fundamentuni. »
(4) Contra ep. Fund. 14 (p. 210).

(5) De util. cred. .33 (p. 41) « ... Deuui deprecare ut te ab crroris nialo liberet, si
:

tibi beata vita cordi est. Quod facilius fiet si praeceptis eius, quae tanta Ecclesiae catbo-
licae auctoritate (iruiata esse voluit, libens obtempères. Cum enim sapiens sit Deo ila
mente coniunctus ut nihil interponatur quod separet, Deus enim est veritas. nec ullo
pacto sapiens quisquam est si non veritatern mente conlingat... »
(6) LooFS, Leitfaden, p. 370, cite le texte ci-dessus et entre nihit et interponatur
insère : « Also auch keine Autoritiit.
transpose ainsi la théorie néoplatonicienne de la
» Il

connaissance dans le catholicisme, comme si Augustin pouvait jamais dire de rhomme in


via : Rien ne s'interpose plus entre le sage et Dieu, pas même la vérité divine que Dieu
révèle.
AITOUR DU DE UTILITATE CREDENDI DE SAINT AUGUSTIN. 47

fussent confirmés par l'autorité si grande de TÉglise catholique ».

La grâce pas plus que la sagesse ne dispensent de la foi, donc


de l'autorité divine que l'Eglise nous présente, et le croyant ne
peut se flatter en cette vie d'atteindre par la science à l'inutilité de
croire.

Je ne veux pas que vous vous attachiez à mon autorité, écrit Augus-
tin en il3 à Paulina, et que vous pensiez jamais que vous devez
croire une chose parce que je l'aurai dite (1). Un évêque, fût-il saint
Ambroise, n'a en ce sens d'autre autorité que celle que lui donne la
vérité. Augustin, citant à Paulina une page de saint Ambroise, lui
dira donc « Tene mecum sancti vi?n Ainbrosii sententiam, iam non
:

eius aucLoritate, sed ipsaveritate finnatam » (2). Vers le même temps,


cest-à-dire en il3, au sujet de l'invisibilité de Dieu, l'évêque d'Hip-
pone cite saint Ambroise, saint .Jérôme, saint Athanase, saint Grégoire
de Nazianze. Il les présente comme des hommes « très doctes dans la
connaissance des saintes Écritures, et qui ont grandement aidé l'Église
et les bonnes études des fidèles par ce qu'ils ont écrit » (3). Il ne
semble pas leur accorder une autorité impersonnelle leur autorité :

est analogue à la sienne, « priores nobis in catholica Ecclesiaviventes


divina eloquia tractavcnint » (4). N'allons pas mettre leur autorité
au même rang que celle de l'Écriture, jusque-là que, avec tout le
respect qui est dû à ces hommes, nous n'osions plus critiquer rien
et rejeter rien de qu'ils auront écrit, même s'ils ont eu quelque

pensée en désaccord avec la vérité que le secours divin aura fait


entendre à d'autres ou à nous-mêmes.
Nous verrons Augustin, dans sa polémique contre le Donatisme,
s'appliquer à écarter l'autorité que les Donatistes attachent à l'erreur
de Cyprien sur la validité du baptême des hérétiques nul doute que :

l'évêque d'Hippone n'ait l'erreur de Cyprien devant les yeux, quand il


énonce que les plus doctes tractatores catholiques doivent être véri-
fiés. Parlant ailleurs, en 408, des écrits de saint Cyprien encore et de

saint Ililaire, il ne veut pas que l'on en fasse une sorte de canon ces :

écrivains n'ont pas, dit-il, une autorité telle qu'on ne puisse opiner à

(1) Epistul. c.VLVii, 2.

(2) Ibid. 52. Cf. ibid. 53.


(3) Epistul. cxLViii, 6.

(4) Ibid. 15. Cr. Enarr. in ps. i.xxwir, 1.


48 ni'VUR lUIlMQUK.

l'cncontro, au cas où quelqu'un d'eux s'e.\|)riinc auticuieul (juc ne le


requiert la vérité.

lloc genus litteraniin ab auctoiitnle ciiiionis disfiniiiicndnm est. \on onim sic
legiintur laniqiuiiii ita ex eis testiriioniiim prol'eratur, iil couUa sentire non liceat.
sicubi forte aliter sapiierunt quani veritas postulat (I).

Ildans TÉgiise des pierres précicus<>s, il y en a toujours eu, ce


est

sont les doctes, ceux-là qui sont riches de science, d'éloquence, de


connaissance de la loi oui vraiment, ce sont des pierres précieuses,
:

et ils parent l'Eg-lise, encore que rKglisc soit plus précieuse qu'eux.
Il est de ces pierres précieuses qui un jour cessent de lui être une
parure « Prctiosi plane lapides isli sunt, sed ex eorum numéro qui-
:

dam aberraverunt ah ornamenio mulieris huius ». Pour la doctrine,


pour l'éloquence, saint Cyprien était une pierre précieuse, et il est
resté dans la parure de l'Kglise, tandis que Donat, qui lui aussi était
une pierre précieuse, en a été détaché par son orgueil (2). L'humilité
doit être la vertu des doctes, comme elle l'est des vierges.
On dirait qu'Augustin, qui ne peut ignorer quelle autorité person-
nelle lui confère l'admiration parfois indiscrète de tant de ses con-
temporains (3 ), s'applique à décliner cette autorité. En 412, quinze ans
avant les Rétractations, interrogé sur des assertions de son De libero
arbitrio, un écrit de sa jeunesse (388-395), il s'empresse de s'accuser
d'erreui' et de revendiquer le droit de faire des progrès à mesure
qu'il écrit : « E</o proinde jateor me ex eorum numéro esse conari qui
proficiendo scribunt et scribendo proficiunt dans ce que j'ai écrit
». Si

il se rencontre des propositions hasardées ou erronées, que décou-


vrent les hommes qui peuvent les découvrir, ou que je découvre
moi-même parce que j'aurai fait des progrès, il ne faut ni s'en éton-
ner, ni s'en désoler, mais plutôt s'en féliciter, « non quia erratum est,
sed quia improbatum (4) ». Et Augustin en prend occasion d'annoncer

(1) Epislul. xcni, 35. Même tlième, en 413, dans Epistul. cvlviii, 15 : « Hacc oinnia
de.litteris eorum et latinorum
graecorum, qui priores nobis in calholica Ecclesia
et
viventes divina eloquia tractaverunt... Neque enim quorumiibet disputationes, (|uain-
vis calholicorum et laudatorum liominuin, velut Scripturas canonicas liabere debemus,
ut nobis non liceat. salva honorificentia (|uae illis debelur hominibus, aliquid in eorum
scriptis improbare atque respuere, si forte invenerimus quod aliter senserint quam
veritas habet... »
(2) Sermo xxx.vii, 3. Enarr. in ps. cxxxn. 18 : « Sunt docti qui allligunt Ecclesiam,
schismata et baereses faciendo. Proinde nef in illis invenis fidem, quoniam facti sunt Aegyp,
tus, id est alllictio populo Dei. »

(3) Voyez, par exemple, byperboles de Consentius, Epistul. cxix,


les 2, ou de Paulin
de Noie, Epistul. cxxi, 18 et passim.
(4) Epistul. cxLiii, 1.
AUTOUU DU DE UTILITATE CBEDENDI DE SAINT AUGUSTIN. 49

le dessein qu'il a formé déjà d'écrire un jour ses Rélraclations. Dans


le De Trinitatc, abordant la question des théophanies de rAncicn Tes-
tament, il déclare qu'il va chercher la vérité sans esprit de dispute,
quelque critique fraternelle et fondée
et qu'il est prêt à se corriger, si
lui apprend trompé Pour tout ce que j'écris, ajoute-t-il,
qu'il s'est
(1 ).

je désire non seulement un pieux lecteur, mais encore un hbre cri-


tique je le supplie de ne pas m'aimer plus que la foi catholique,
:

comme aussi de ne pas s'aimer lui-même plus que la vérité catho-


lique (2).
Même dans ces conditions d'humaine fragilité, l'œuvre d'intelli-

gence que poursuivent à l'intérieur de la foi les tractatores, les docto-


res, n'est pas vaine, tant s'en faut (3), Sans doute, la Catholica ne
compte pas que des doctes, parmi ses évêques et ses prêtres l'homme :

([ui exposé à rencontrer des prélats ou des


cherche à s'instruire est

ministres de l'Église catholique qui ont scrupule de « dénuder les


mystères » sans précaution, ou qui, se contentant de la foi simple,
n'ont pas souci de chercher plus haut : on ne doit pas désespérer pour
autant de " trouver dans l'Église la science de la vérité », alors
même que tous ceux à qui on la demande ne seraient pas capables
de l'enseigner, ni tous ceux qui la cherchent dignes de la rece-
voir (ii.
Au temps où il était manichéen encore
persuadé que la Catholica et

ne pouvait posséder la vérité, Augustin a été conduit à l'évêque de


Milan, Ambroise, accueilli par lui paternellement il a écouté ses :

prédications au peuple, avec la curiosité qu'on peut attacher à la

U De Trinit. ii. 16 : « ... In jiace catholica pacifico studio requirarnus, parali corrigi,
si fiaterne ac recle reprehendiinur. < Ibid. 1 : « Nulius enim reprehensor fonnidandus est
amatori verilatis. »

'^î Ibid. m, 2 : « In omnibus


meis non solum pium lectoreni. sed etiam liberuni
litteris

correclorem desidero... meum nolo niilii esse deditum, ita correctorem


Sicut lectorem
nolo sibi. llie me non amet amplius quam catholican fidem, iste se non amet amplius
quam calliolicam verit-atem... Noli meis litteris quasi Scripturis canonicis inservire...
Noli meas litteras ex tua opiriione vel conlentione, sed ex divina ledione vel inconcussa
ratione corrigere. » Epislul. (xciii, 10 : « Neque enim debemus indociles esse doclorcs... :

cuiii iisquae scripsimus ita noslra vel aliorum exerceatur et erudialur inlirmitas, ut tamen
in cis niiila velut canonica conslituatur aiictoritas. >

(3) De doclr. citr. iv, G Débet igitur divinaruin Scripturarum tractalor et doclor,
: >

defensor reclae (idei ac debellalor erroris, et bona docere et mala dedocere. » Rapprochez
Coyif. V, 21 ip. 108) ce qu'Augustin aime à rappeler d'Elpidius (\in défendait l'Écrilure
contre les Jtanichéons, à Carthage, el qui fit impression sur A. manichéen alors.
(4) De mor. Eccl. calli. 1.

Epislul. cxxxvii, 3, Volusianus se plaint de l'ignorance des
évèques. De calech. rnd. 13, Augustin prie les gens de lettres qui deviendront chrétiens
d'excuser les évèi[iies qui font des barbarismes et des solécismes, ou qui no comprennent
pas toujours les prières ([u'ils prononcent.
REVUE BIRLIQUC 1917. — N. S., T. XIV. 4
parole d'un honinic si rc'piilo, • in opiums ituttim urbi Icrrac », et

l'envie de voir s'il était supérieur ou inférieur à sa réputation...


Le récit des Confessions estasses connu pour cpi'il soit inutile de le

reproduire ici, et il suflit d'y signaler le prestige qu'excrrait sur


uu esprit de la culture d'Augustin avant sa conversion un évoque
savant et disert comme Âmbroise. Augustin avoue avoir découvert
en l'écoutant que la foi catholique pouvait se défendre, cette foi,
dit-il. que je croyais incapable de rien répondre aux objections des

Manichéens (1).
Il pourra, un jour, généralisant l'expérience qu'il a faite avec Am-
broise, dire aux Manichéens d'écouter les doctes de l'Église d'un
cœur paisible et sans arrière -pensée, comme je vous ai écoutés,
ajoutera-t-il (2). Ces doctes font, à l'intérieur de l'Église, l'œuvre
de l'intelligence. Car, dans sa foi, l'Église déjoue les questions
insidieuses des hérétiques, et aussi bien des juifs ou des païens :

elle prend ces questions au sérieux, et elle les résout par l'intelli-
gence : « ... insidiosas eorum quaestiones fide irridet, diligcntia
discutit, intelle g entia dissolvit » (3).
Dans son pour comprendre ce que la foi, ce que l'Écriture,
effort
de tout ce qui est vrai
lui a proposé, l'intelligence s'aidera Quisquis : ((

bonus verusque christianus est Domini sin esse intellegal ubicumque


invenerit veritatem » (4^. La connaissance de l'histoire, entendez
l'histoire du monde parallèle à l'histoire sainte, et entendez surtout
la chronologie, sera d'un grand secours pour l'intelligence des saints
Livres. On doit en dire autant de la géographie, de l'histoire natu-
relle, de l'astronomie même, mais mieux de la dialectique (5). Si les
philosophes, les philosophes Platoniciens surtout, ont dit des choses
vraies et qui s'accordent à notre foi, nous ne devons pas en avoir peur,

Conf. V, 14 (p. 111) « Nam priino etiam ipsa defendi posse inihi iaia coeperunt
:
(1)
videri, et fideiii catholicam, pro ([ua nihil posse dici adversus oppugnanles Manichaeos
putaveram, iain non impudenter asseri existimabain... Nec tamen iain ideo mihi catho-
licam Tiam tenendam esse sentiebarn, iiiiia et ipsa poterat habere doctes adsertoros suos,
(jui copiose et non absurde obiecla relelierenl, nec ideo iam damnandum illud quod

tenebain, quia defensionis partes aequabantur. »


(2) De mor. Eccl. cath. 34.
De agone chr. 13. Cf. De jide, et symbolo, 1 « Tractatio lidei ad munienduni
:
(3)
symbolu.m valet,... ut illa quae in S}mbolo retinentur contra haereticorum insidias aucto-
ritate catliolica et munitiore defensione custodiat. » De catec/i. rud. 12 : « Sedulo edo-
cendus est le catéchumène qui a traversé quelque hérésie^, praelata auctoritate univer-
salis Ecclesiae, aliorumque doctissimorum hominum et disputationibus et scriptionibus in

eius veritate tlorentium. »

(4) De doc t. chr. ii, 28.

(5) Ibid. 42 et suiv.


AL TOUR I)L' DE UTILITATE CREDE^^DI DE SAINT AUGUSTIN. tii

mais le leur prendre comme à dïnjiistes possesseurs, et l'utiliser. Les


meilleurs d'entre nous ont agi de la sorte, Cyprien, Lactance, Victori-
nus, Optât, Hilaire, pour ne rien dire des vivants, et tant de
(w^ecs (1) !

En un certain sens, l'intempérance ratiocinante des hérétiques sert


au progrès du catholicisme « Utamiir etia??iisto divinae providentiae
:

bevefîcio ». Les hérétiques ne nous enseigneront pas la vérité qu'ils


ignorent mais ils exciteront les catholiques charnels à la chercher,
et les catholiques spirituels à la découvrir. Utilisons les hérétiques,
non pour épouser leurs erreurs, mais pour fortilierla discipline catho-

lique contre leurs attaques, et devenir plus vigilants et plus avisés,


si nous ne pouvons les ramener dans la voie du salut (2). Exci-
tons nous-mêmes les hommes qui, dans la sainte Église, sont capa-
bles de faire cette oeuvre d'intelligence ils sont innombrables, mais :

ils ne montrent pas, tant que nous sommeillons dans les ténèbres
se
de l'impéritie, où nous nous complaisons plutôt que de regarder en
face la lumière de la vérité (3), Dieu permet que les hérétiques abon-
dent, afin que nous ne demeurions pas dans l'enfance, « ne in hnita
iiifaïUia remaneamus » ils posent aux fidèles catholiques, en eifet,
:

des problèmes parfois embarrassants, et ils font ainsi une nécessité


aux hommes spirituels, qui ont lu l'Evangile et qui l'ont compris, de
s'expliquer sur la divinité du Christ, par exemple, contre ces faux et
fallacieux docteurs (4).

*
¥

Il est enfin un docteur plus persuasif que tous les autres, le maitre
intérieur.
Distinguons soigneusement l'intelligence, entendue du progrès du
fidèle dans sa foi par la vertu d'un don de Dieu, et le concours divin

1) De doctr. chr. ii, 60-61. .

2; De vera reluj. 15. .Mt'ine tliùme, Du Cen. contra Manic/i. ii, 2. Augustin dit ailleurs,

avec plus de bénignité, de doctrine fausse à laquelle ne se mêle quelque


([uil n'est pas
vérité. Quaest. euang. ii, 40 « Nulla porro falsa doctrina est quae non aiiqua vera
:

intermisceal. « Mais toute hérésie nen est pas moins détestable. Les lépreux que le Sauveur
guérit de leur lèpre, figurent les liérétiques : < Leprosi ergo non absurde inlellegi possunt,
qui scienliani verae fidei non habentes, varias doctrinas profitentur erroris. » Ilnd.
(3) Ds vera relig. Vt : « Sunt eniin innumerabiles in Ecclesia sancta Deo probali viri,

sed nianifesti non fiunt inter nos, <iuanidiu imperitiae nostrae tenebris delectali dorniire
malunius quam lucern veritatis intueri. » Rapjnochez De util. cred. 4 (p. 6) « Qui vero :

pauci hoc facere noverunt, non amant propatula et famigerula quaedani in disputatione ler-
laniina et ob hoc minime noli sunt nisi liis qui eos instantissime requirunt. »
(4) In loa. euang. tract, wxvi, 6.
habituel (jui est la coiulilioii de la coiiDaissaiico naturelle, du uioins
selon la théorie qu'Augustin a faite sienne après l'avoir empruntée à

Plotin. Dans cette théorie, Dieu est le soleil rpii éclaire tout honnnc
venant en ce monde, comme le soleil éclaire la lune. Mais cette illumi-
nation est naturelle, elle est due à notre nature d'homme, sans elle
nous ne serions pas hommes, c'est-à-dire une âme raisonnable, ou
plus préciséuicnt, intellectuelle (1).

Dieu est le maitre intérieur du croyant en un sens autre.


très cher, prie avec force et foi, pour que le te donne
Seigneur
l'intelligence : « Ora fortitcr et fidelilor ut det llbi Dominus iiitcllec-
lum » (2). L'intelligence de quoi? De l'objet de la foi, du révélé.
Comment cela? Par la charité, qui fait que ce qui était objet de foi
s'éclaire progressivement : <( Liiccre incipit quod antea tantiimmodo
credebatur » (3). Le maitre intérieur ne vous révèle pas des vérités
nouvelles, il vous fait entrer dans la vérité que l'autorité divine vous

a présentée, il l'éclairé, car Dieu est lumière, et, luuiière, il illumine

les en augmentant en eux l'intelligence de ce qu'il a une


esprits
fois révélé, la doctrine. Par là il arrive, non pas que des docteurs

extérieurs vous enseignent ce que Dieu n'a pas voulu dire à ses
apôtres, mais que dociles au maitre intérieur vous réalisez la parole :

Ermit omnes docibiles Deo (Joa. vi, i5) (i).


Augustin interprète dans ce sens le texte de l'épître de saint Jean :

Non habetls nccessitatem ut aliquis vos doceat quia unctio ipsius


docet vos de omnibus (I loa. ii, 27). Il oppose le maître intérieur au
prédicateur qui parle et dont la parole est impuissante à se faire
entendre si le maitre intérieur ne la fait pas pénétrer dans le cœur.

lam iiic videte magnum sacramentum, fratres : sonus verl)orum nostronim aures
percutit, magister intus est. Noiite piitare queiiujuam aliquid discere ah liomine.
Admonere possumns per strepitum vocis nostrae : si non sit inUis qui doceat, inanis

fit strepitus noster. Adeo, fratres, vultis nosse? Numquid non sermonem istum
omnes audistis? Quam muiti liinc indocti exituri sunt? Quantum ad me pertinet, om-
nibus locutus sum; sed quibus unctio illa intus non loquitur, quos Spiritus sanctus

fl) Clv. Dci, X, 2 (p. 448-449). Je cite ce le.vte, entre bien d'autres, parce qu'il atteste
l'emprunt à Plotin. « ille magnus Plalonicus ». Celte théorie de la connaissance intel-

lectuelle est bien connue par l'utilisation qu'en ont faite Malebranche, t'énelon, Bossuet
et l'école dite onloiogiste. Voyez de M. dk Wclf, Hiat. de la philosophie médiévale
(1905), p. 104-105, et la pénétrante analyse de Vortalié, p. 2334-2337.

(2) Epislul. cxx, 14. Voyez un admirable développemenl de cette pensée dans le

Sermo c\, 2-3.


(3) De agone chr. 14. Cf. In loa. euancj. tract, xxix, 6 : « ... Fides quae per dileclio-
nem operatur haec in te sit et intellegas de doctrina. »

(4) In loa. euang. tract, xcvi, 4. Voyez encore ibid. \x, 3; xxxvni, 10; xcvn, 1.

Enarr. in ps. cxvm, xvni. 3 et 4. Epistul. c\lvu, 46.


Al TOUR DU DE VTILITATE CREDENDl DE SAINT AUGUSTIN. o3

i utils non docet, indocti redeunt. Magisteria forinsecus adiutoria quaedani sunt et

linonitiones cathedram in caelo habet qui corda docet (1)...


:

La part de Dieu dans la naissance de la foi, autrement dit, la ques-


de savoir si la foi nous vient de Dieu, ou si elle est une démarche
tion
de notre liberté, n'est pas ici en cause (2) il s'agit uniquement du pas- :

sage de la foi simple à la foi éclairée et pensée, il s'agit de l'épanouis-


sement de l'intelligence dans la foi. Dieu n'est pas absent de cet épa-
nouissement : si notre raison en fait l'effort, Dieu en fait l'appoint.

Maître intérieur, il émeut notre cœur,


il fixe et illumine les regards

do notre que nous pénétrons des vérités qui sans lui nous
foi, il fait

demeureraient fermées, il nous en fait goûter la douceur, car con-


naître serait peu sans aimer (3).
Avec cette coopération de Dieu à l'activité de l'intelligence s'achève
la théorie augustinienne de la connaissance religieuse.
Je ne chercherai pas si M. Harnack a raison de dire qu'Augustin a
été « le preiuier des ait senti le besoin de se rendre
dogmatistes qui
lui-même clairement raison des questions qu'aujourd'hui nous avons
(

loutume de traiter dans les prolégomènes à la dogmatique ». Il


l'ste qu'Augustin a construit vraiment une doctrine de la foi d'auto-
1

rité, de la foi catholique, par opposition à la prétention mani-


chéenne de faire de la religion une libre science (ij.
Pierre Batiffol.

1; In episdil. Ion. ad Paillios tract, m, 13. Augustin reviendra à ce thème dans le

Sermo ad Caes. Eccl. plebem, 9. On sait (luelle belle adaptation en fait Bossuel dans
la péroraison du sermon pour la profession de foi de Madame de Lavallière.
(2) On sait, et de l'aveu même d'Augustin, qu'il a reconnu que le commencement de la

foi estun don de Dieu, à répo(iue ou il a écrit le De diversis quaestionibits ad sim


plicianum mediolanensem episcopum, soit en o9G-397, tout au début de son épiscopat.
Voyez De dono persev. 52. Jusque-là .\. a attribué à la liberté la venue du sujet à la

foi. Comme l'observe le P. Portalié. ai-t. cit. p. 2378, « tout le semi-pélagianisme pou-

vait entrer par là '. —


Par réaction contre son erreur première, A. insistera plus tard
sur la part de Dieu dans notre venue à la foi ou initium fidel, sur la préparation par
Dieu de notre volonté, sur l'enseignement immédiat que Dieu nous donne. Voyez ce
qu'.\. écrit, en 428-429, dans le De praedest. sancl. 13 : « Yalde inquam, remola est
a sensibus carnis haec scola in qua Deus auditur et docet... Nimium gratia ista sécréta est,
gratiam vero esse quis ambigat ...Quando ergo Pater intus auditur et docet ut veniatur
.^

ad Filium, aufert cor lapideum... » Voyez iOid. 14-15 où A. insiste sur celte parole
intérieure du Père nous amenant à croire au Fils. Les termes d'A. sont si appuyés que
Bossuet a pu croire qu'ils avaient trait à la eontemplation. Instruction sur les étals
d'oraison, loc. cit.
:',; Enarr. in ps. cwui, wii, 2-3.
(4) Haknacr. DogmeiKjeschichte, t. III', p. 94 et 129.
[;ami: .!( ivi: pem) anï la féiviode pI'Rsane
[Suite]

I. — LKS DOCUMKNTS

{Sîiite)

5' Sophonie, Nahum, Habaciic.

Nous n'en avons pas fini avec le cycle de .lérémie. Il nous faut
parler brièvement de trois autres prophètes que l'on pourrait com-
parer à des satellites rayonnant autour du grand voyant dont la
parole a illuminé les derniers jours de Jérusalem Sophonie, Nahum, :

Habacuc. Chacun d'eux n'a fourni que quelques pages à la littéra-


ture biblique; encore les critiques indépendants se sont-ils acharnés
à disséquer ces textes et à en contester l'authenticité.
Le mieux connu des trois est sans contredit le premier. Le titre
de son rouleau nous le présente comme le fils d'un certain Kusi et
l'arrière-petit-fils d'Ézéchias (I). Il est assez naturel de penser que ce
dernier fut le souverain sous lequel Isaïe exerça la plus grande par-
tie de son ministère. Rien dans le contenu des oracles de Sophonie
ne s'oppose à cette idée qui expliquerait d'elle-même la particula-
rité d'une généalogie poussée plus loin que pour n'importe quel

autre prophète. Ou comprendrait facilement aussi dans cette hypo-


thèse et la connaissance que le petit prophète manifeste de la cour
de Jérusalem, de ses habitudes (2), j'allais dire de ses manies (3), et la
place de choix qu'il fait aux g-rands dans ses censures (i). A cet égard,
Sophonie rappelle Isaïe. Il le rappelle encore en ce que, contraire-
ment à un Amos par exemple ou à un Michée, il ne témoigne aux
petits et aux humbles qu'un intérêt plutôt secondaire (5).

(1) So., I, 1.

(2) So., I, 5^3, 9. On notera aussi que, comme Isaïe, Sophonie témoigne d'un intérêt très
spécial pour la capitale : i, '^^3^ 5, 10, 11, 12';m, 1-5, 7, 11, 12, 14-18.
(3, Cf. So., I, S**, laliusion à laftectation des modes étrangères.
(4) Se, I, 8^^ 11-13, 18--»c; m, 3, 4, 11"'.

(5) Il n'en parle que n, 3; m, 12. 13.


LAME JUIVE PENDANT LA PÉRIODE PEUSANE. 53

Lïnscription nous dit encore que ce descendant des rois prophé-


tisa sous Josias. De fait les données généalogi([ues elles-mêmes nous
ramènent facilement à cette date. Toutefois la question est de savoir
en quelle période du règne Sophonie se fit entendre. On sait de reste
que la découverte du Deutéronome en 622 et la réforme qui en fut
la suite divisent en deux époques très dissemblables les trente et une

années pendant lesquelles le successeur de Manassé et d'Amon occupa


le trône de Juda. Avant cette date et malgré les premières réformes

qu'au témoignage des Chrotùques (1), le jeune roi opéra douze ans
après son avènement, on pouvait suivre encore les effets de l'influence
si longtemps attribuée aux mondains 2) très nombreux étaient tou- ;

jours les désordres qui déshonoraient la vie religieuse du peuple et le

culte de Yahweh; les emblèmes des dieux étrangers avaient leur place
jusque dans les parvis du temple (3), des pratiques honteuses étaient
associées aux liturgies par lesquelles on prétendait honorer le Dieu
de Moïse et des pères (k). Tout au contraire les treize dernières années
de Josias furent marquées par triomphe des idées et des pratiques
le

les plus conformes à la stricte orthodoxie (5). Deux séries d'observa-

tions permettent de fixer à la première de ces périodes l'activité de


Sophonie, et toutes deux s'éclairent à la lumière des constatations que
l'on peut faire au sujet des premières années du ministère de Jérémie.
Les désordres religieux et sociaux contre lesquels proteste l'arrière-
pctit-fils d'Ézéchias, culte de Baal (6), culte des astres (7), adoption
des modes et (8), sont précisément ceux qui caracté-
usages étrangers
risent cette fin de la longue période de syncrétisme, ceux que relève
l'historien des Rois, ceux qu'anathématise le voyant d'Anathoth. D'au-
tre part, Sophonie est dans l'attente d'un jour de Yahweh des plus
terribles et qui semble être au tout premier plan de ses visions (9).
Le langage dans lequel il le décrit rappelle encore les premiers ora-
cles de Jérémie qui, au moins dans leur sens primitif (lOj, visaient cette

',1) II Chron., xxxiv, 3'-7.


(2) Cf. Jer., ii-vr.
Reg., xxi, 4, 5, 7; xxiii, 4, 1>''.
(3) Cf. II G, 11,

(4) Cf. II Reg., XXIII, 7.

[h] Cf. Il Reg.,xxin, l-;>7; II Chron., xxxn. 29-xxxv, 19.


TA,
(6) So., i, '.

(7) So., I, 5».

So., 8''.
8) I,

(9) So., I, l'i-18: II, 1-3; lli, cS.

(10) Plusieurs critiques prétendent en effet qu'au moment où ils furent consignés dans le

livre lu au temple par Raruch (Jer., xxxvi), ces oracles subirent des retouches destinées à
les mettre en rapport avec le péril chaldéen devenu d'une imminente actualité.
•''0
h'KM i: i;llil.lnll':.

apparition des Scythes (1) qui ieii-ifia l'Asie autéi'iciirc vers (527 et
au
cours tles années suivantes. (Vest s.uis doulr aux prédictions de ecs
deux ins|)irés cpic se réfère Kzéeliiel
en ses pi-ophéties fameuses sur
(ioi;, de Magou(-i). Hien ne ressemble davanta,i;c aux invasions des
roi
Scythes que les mouvements de peuples si puissamment décrits par le
voyant de rexii. Or Kzéchiel raj)pelle (prau.x jours d'autrefois les jn-o-
phèles avaient annonce que Dieu ferait venir ces barbares contre
Israël (3); on ne voit pas quels oracles il ])uisse viser avec plus de
précision que ceux de Soplionie
premiers qu'ait prononcés et les
-lérémie. On peut croire en définitive
que ce fut justement à l'occa-
sion de cette invasion des Scythes que Sophonie fut appelé au mi-
nistère prophétique et publia la plupart de ses visions.
Si court que soit son rouleau, on y trouve les trois éléments en

lesquels se divisent les recueils des plus grands voyants : oracles de


menace contre Juda (4), charges contre les nations païennes (5), enfin
promesses de salut (6). —
Nos lecteurs connaissent assez les préjugés
d'un certain nombre de critiques étrangers à l'Église pour s'attendre
à ce que l'authenticité de la dernière section soit particulièremenl
discutée. Deux oracles la composent. Le premier (7 annonce un juge- ^

ment dont l'issue sera au détriment des impies et à l'avantage d'un


petit reste de justes auxquels leur humilité même conquiert la sympa-
thie divine. Dans le second (8) se développe un brillant tableau des
bénédictions réservées à ces fidèles. Cette dernière prophétie est pres-
que unanimement rejetée par les critiques non catholiques, Oort,
Stade, Kuenen, Schwally, Wellhausen, Buddc, Davidson, Nowack,
Baudissin, Selbie, G. A. Smith, Driver (inauthenticité au moins proba-
ble), Marti, Cornill, Béer, Fagnani, Duhm. On a parfois plus d'indul-
gence pour le premier oracle : tandis que Stade, Schxxally, Wellhau-
sen, Marti, Béer, Fagnani, Duhm le rejettent purement et simplement,
d'autres limitent leurs réserves à un ou deux versets : tels Budde
(vers. 9, 10), Davidson (vers. 10), G. A. Smith (vers. î), 10), Driver
(item). — Les c charges » sont dirigées contre les Philistins, les Moa-
bites et Ammonites, les Éthiopiens, les Assyriens. L'oracle contre les

1) Jer., IV, 5-vi, 30.

(2) Ez., XXXVIII; XXXIX.


(3) Ez., XXXVIII, 17.
(i) So., I, l-II, 3: III, 1-8.
(5) So., q-, 4-15.
(6) So., III, 9-20.
(7) So., III, 9-13.
(8) Se, III, 14-20.
|;a.\IE JLIVE l'ENDANT LA PERIODE PERSANE. 57

Philistins (1) est complètement apocryphe au regard de Budde Oort ;

(vers. 7) et Nowack (vers. 7") se bornent à admettre des retouches.

La deuxième charge (2) est la plus communément attaquée. Ôoit,


Wellhausen, Budde, Nowack, Baudissin, Selbie, G. A. Smith, Marti la
déclarent inauthentique. Budde rejette la prophétie contre les Ethio-
piens (3); Eichhorn, Budde, Thehier se prononcent contre l'annonce
de la ruine d'Assur [ï), tandis que Marti se borne à suspecter le carac-
tère primitif du verset lô. Ajoutons que, pour Sclnvally, toute la péri-
cope II, 5-12 est additionnelle; de même, pour Béer et Fygnani, les
vers. Il, modéré. Driver se borne à traiter comme des
7'-10, 15. Plus

gloses V', 11 de même Stade, pour le vers. 11.


;
Parmi les ana- —
thèmes dirigés contre Israël, ceux du chap. i jouissent d'un crédit
quasi unanime. Il n'en va pas de même de ceux de ii, 1-3 Stade, :

Schwally, Béer, Fagimni émettent des doutes sur l'authenticité d'en-


semble de ce court passage; Wellhausen (vers. 2, 3), iNowack, Baudis-
sin, Selbie, Marti (vers. 3), Duhm (vers. 3"") s'en tiennent à des rejets

partiels. Quant à l'oracle de m, 1-8, il est rejeté sans phrase par


Stade, Schwally, Wellhausen, Marti, Béer, Fagnani, Duhm. — Avec
non moins de science, mais avec un sens plus juste de la mesure
dans l'appréciation des difficultés, les critiques catholiques croient à
l'authenticité générale des oracles ils ne se refusent pas toutefois à
:

admettre des retouches; van Iloonacker traite les vers, ii, 7-10, 11
comme des gloses; de même Lippl, les vers, ii, 7", iï^; m, 19, 20
(doutes sur ii, 8-11 dans sa forme actuelle) (5).

Sur la personne de Nahum, les données positives font à peu près


complètement défaut. Il est bien désigné au début de son livre par
l'épithète •"::p"'>s', dans laquelle on voit généralement l'indication de
son lieu d'origine. Mais où était Elqôs? Des traditions, les unes attes-
tées au moyen âge, les autres ne paraissant remonter qu'à une date
beaucoup plus récente, situent la localité dans les environs de Baby-
lone (6) ou de Mnive (7). De cette dernière hypothèse on a conclu que

(1) So., II, 4-7.

(2) So., II, 8-11.

(3) So., II, 12.

(4) So., II, 13-1.5.

A Crilical and Execjelical Commenlary on Micah, Zep/ianiah. No/iutn, ffaha/;-


(5) Cf.

kuh\ Obadiah and Joël, by John .VIerlia Powis Smitii, Ph. D., ^VilliaIn Hayes Waiu). D. D.,
LL. D., Julius A. Rkwer, Ph. D., p. 172 sv. Le commentaire de Sophonie est lœuvre de
M. Powis Smitii; il rejeUe lanthenticité de So., ii, 8-11, l.">; m, 6-20 (6-7 pourraient être
de vieille date, mais seraient en dehors de leur contexte primitif).
(6) On montrait à Benjamin de Tudcle (ll(>5 le tombeau de Nalium à 'Ain Japliala. au

sud de Babylone.
(7) On montre à Al-Krtsh, à environ vingt-cinq milles au nord de Mossoul,
un autre loin-
5s i;i;m K niiM.inii:.

notre prophite se rattachait à une des familles israélitcs tl«''i>orlécs par


Téçlalli-Plialasar ou Sari;on. Mais aiicuii détail, dans le eonlenu du
rouleau de Naluini. ne favorise cette idée. Si l'on accepte Jauthcn-
tieité de tous les oracles, des allusions pleines de sympathie pour Juda
nous invitent à regardci' le voyant comme un hahitant du r(»yaume

du Sud. Mais, même si l'on fait les réserves que nous indicpierons
plus loin, aueini indice n'est de nature h nous faire aller chercher le
prophète en terre d'exil. On objectera sans doute la connaissance qu'il
témoigne de Ninive et des pai-ticularités de la capitale assyrienne.
Toutefois les données précises qui n'auraient pu être acquises (jue sur
place font défaut ce qu'on lit ne dépasse pas les informations que
;

Ton pouvait avoir en Palestine après tant d'années de commerce avec


la vallée du Tigre. I\icn non plus n'appuie l'opinion rapportée par

(1) sur la foi d'un cicérone, (fui lui avait montré


saint Jérôme en Gali-
lée la patriede Nahum. A tout prendre, on peut regarder comme suf-
fisamment probable l'identification d'Iilqùs avec le bir el-Qaus (2)
situé au point d'origine du wady es-Sur, à quelque dix kilomètres à
l'est de P.eit Djibrin. Nahum serait ainsi, en un sens large, un com-
patriote de Michée de Moréseth. Si l'on peut se flatter de soupçonner sa
patrie, de sa personne rien autre chose que ce qu'en révèle
on ne sait
Ils sont assez évocateurs
l'allure générale des oracles. on a la vision :

d'un patriote judéen, ardent et enthousiaste, saluant avec une joie


sans mélange la chute d'un empire dont le joug s'était longuement
appesanti sur le pays.
Nul doute que, par son contenu, le livret de l'Elqosite ne tranche
sur l'ensemble de la littérature prophétique. Les autres écrits sont
remplis du péché de .luda, de son irrémédiable endurcissement, des
maux qui doivent le châtier. Le contraste est particulièrement frap-
pant si l'on compare les pages de Nahum avec celles de Sophonie ou
de Jérémie, ses contemporains. Il faut se garder toutefois de tirer de
ce parallèle des conclusions qu'il n'entraîne pas. On a voulu voir en
Nahum un représentant de l'esprit qui animait les adversaires de la

beau de Nahura (cf. Lazard, Xineveh and ils Rt-mains. 1, p. 233). Assetnani (Ribliotheca
Orientalis, I, p. 525; III. p. 352y déclare que la tradition ne remonte pas au delà du sei-

zième siècle.

(1) Cf. Eusebli Hieronvmi Stridonensis Presbyteri Comvientariorum in Xav.m Pro-


S.
phefam nberitmis,Prologus; dans P. L., XXV, col. 1232. Il sagit probablement d El-Kauze au

nord-est de_^Ramieh à environ sept milles a l'ouest de Tibnin. Lidfnlilication que Hilzi?
{Die zwôlf kleinen Propheten] propose d'Elqôs avec Capharnaum (« village de Nabum wi

est toute fantaisiste.

(2) Celte identification est déjà attestée par un texte du De vltis Prophetarum fausse-
ment attribué à saint Épiphane.
L'AME .IllVr: l'ENDANT LA PLIUODL PLRSAN1-. ;;9

prophétie authentique, contre lesquels clamaient un iMichée de Yem-


lah (1), un Michée de Moréseth (2), un Jérémie (3), un Ézéchiel (4).
Pour ces faux voyants, les convictions touchant la protection et la
sollicitude de Vahweh pour son peuple
l'emportaient sur les vues
qu'ils avaient des exig-euces de la justice et de la sainteté divines.
.\ahum se serait réjoui de la chute de Xinive un peu comme, au temps
de Sédécias, Hananias exultait à la pensée que Yahweh allait sous
peu briser la puissance de Ba])ylone. Tel était, aux yeux de l'un et
de l'autre, l'argument nécessaire de la majesté d'un Dieu avant tout
national; ils ne pouvaient se faire à cette idée, chère aux représen-
tants de l'orthodoxie prophétique,
que Yah^^ eh pouvait triompher en
assurant châtiment de son peuple par la victoire et la suprématie
le

d'un ennemi, même idolâtre. —


On n'a pas le droit d'appuyer une
théorie aussi étrange sur deux ou trois pages d'un texte prophétique ;

isolées de leur contexte et du reste des collections dans lesquelles ils

ligurent, certaines charges d'Isaïe, de Jérémie ou d'Ézéchiel contre les


nations donneraient exactement la même
(5). Il n'y a pas à croirenote
qu'en deux oracles, iNahum nous ait livré toute son âme. Il faut
faire crédit à la tradition qui, alimentée aux sources du prophétisme
le plus authentique, n'a pas hésité à mettre l'Elkosite au rang des
Douze.
-Nous avons considéré Xahum comme un contemporain de Jérémie.
Il faut, en effet, regarder comme étrangère à la science exégétique

l'opinion de quelques représentants d'une critique échevelée, Paul


Haupt (6) et 0. Happel (7 qui voudraient reporter à l'époque maccha-
,

béenne des oracles qui annoncent la ruine de Ninive. On pourrait se


contenter de remarquer que, vers 180, Ben Sirach connaissait déjà la
collection des douze petits prophètes. Mais il y a mieux à dire. Aucun
trait de la prophétie, en effet, ne trouve sa justification à l'époque des
Hasmonéens: en revanche toutes les données cadrent parfaitement
avec les perspectives de la fin du septième siècle. Les détails relatifs
à la chule de la grande capitale sont trop concrets pour qu'on puisse
voir eniN'inive une cité typique et allégorique. Rien d'ailleurs de com-

(1) Cf. I Reg., XXII, 5-28.


(2) Cf. Mi., II. f,, 7; m, 5-7.
(3) Cf. Jer., xxiii, 9-'iO; \\\ii-\xi\.
l'i) Cf. Ez., xin.
(5) Cf. Is., \iii-xi\,x\-\vi; (Je même Is., xlvu; Jer.. xi.\i, 1-12; Ez., xwi, 1-\\mii, 19; etc.
;6) Paul ILaiit, The book ofAalium, dans Journal of Biblical LUerature. XXVI 1!)07\
p. 1-53.

(7) 0. Happel, Das Buch des Propheten yahuin ^1902).


60 UEVUK lUni.lOUE.

luuii avec les visions escliatoluuiiiiu's ; on ne l'ail nicine pas intervenii'


YaliNNoli il'nnc manière directe clans la terrible catastrophe (1 ).

Les oracles aux<|nels il convient de s'arrêter sont au nombre de


denx seulement. Du premier, dont la partie centrale est en ii, 'i-lV,
le début est assez diflicile à déterminer; Nowack et van lloonacker

le recherchent dans ii. 2 qu'ils rejoignent immédiatement à ii, V;

Steuernagel le trouve dans i, 1-2', IV et ii, 2 (2). C'est une description


des plus vibrantes et des plus pittoresipies du siège et de la ruine de
Ninive. La deuxième prophétie (m, 1-19) montre dans l'anéantisse-
ment de la cité orgueilleuse la peine de ses innombrables crimes. Le
reste du livret [i, 2-li [ou i, 2-11, 12'', 13 H- ii, 1,3) présente beau- j

coup de difficultés tant au point de vue de la critique textuelle qu'à


celui de la critique littéraire. Le grand nombre des exégètes le re-
gardent comme inautlientique. M. van lloonacker est « d'avis que le
poème fut composé, peut-être à une époque assez récente, exprès j^jo^^y
servir cViNlroductioit au livre de Naliurn ». Le langage y est beau-
coup plus indéterminé que dans les autres chapitres; l'artifice poé-
tique contraste par sa complication avec l'allure très primesautière
des oracles sûrement originaux; enfin on y relève facilement des des-
criptions eschatologiques (3). Or, quand il s'ag"it de dater le minis-—
tère de notre prophète, on trouve dans les oracles fondamentaux deux
points de repère des plus précieux. L'un est une allusion très explicite
à la ruine de Thèbes d'Egypte (i). Il ne semble pas qu'on puisse en
douter : Nahum a en vue la prise et le sac de No-Ammon par Assur-
banipal en 663. On comprend sans peine l'immense impression c|ue
dut produire la chute d'une des célèbres métropoles de l'Orient dans
les milieux où sa renommée s'était depuis longtemps répandue. Nulle
part la stupeur ne fut plus g-rande qu'en ce pays de Juda dont les
politiciens s'étaient, au vif désespoir des prophètes, accoutumés à
regarder vers l'Egypte comme vers le suprême secours. Nul doute que
le souvenir de la catastrophe fut durable. Si l'allusion de Nahum
prouve qu'il a parlé après 663, rien n'oblige à situer son oracle tout
près de cette date; un demi-siècle ne devait pas suffire à faire oublier
le colossal événement. L'Elkosite, d'autre part, annonce comme très
proche la ruine de Ninive. Or, au cours du septième siècle, la capitale

dj Na.. H, 13 et m, 5. 6 sont des réflexions qui ne tiennent pas à la trame même de la

prédiction du désastre.
(2) Il tend à regarder i, 12'', 13; ii. 1, 3 comme additionnels; Nowack et van Hoonacker
rattachent ii, 1, 3 au cbap. i.

(3) Cf. surtout Na., i, 3''-7.

(4) Na., III, 8-10.


LAMi: Jl IVE PENDANT LA PÉRIODE PERSANE. 61

assyrienne subit deux assauts terribles celui de 025, qui eût sans :

doute été définitif Gyaxare n'avait été rappelé en Médie pour faire
si

face à une invasion des Scythes; celui do 60(j, dans lequel les efforts
combinés des armées de Gyaxare et des troupes du chaldéen Nabo-
polassar aboutirent à la destruction de la fameuse cité. Le caractère
irréparable de la catastrcjpbe décrite par Nahum invite à rapprocher
son oracle de la ruine finale. L'état de l'Assyrie, sa décadence au
cours des dernières années d'Assurbanipal et sous les règnes de ses
deux successeurs constituent le milieu et le contexte les plus naturels
pour la malédiction triomphale qui annonce la fin de la terrible tra-
fiquante des peuples (1).
La leçon de la chute des grands empires ne devait pas être perdue
pour ceux qui ne pouvaient être sauvés que par la ruine de Ba-
bylone.
Nos renseignements sur Habacuc sont plus maigres encore que
ceux que nous avons pu recueillir au sujet de Nahum. Nous ne savons
absolument rien de sa personne et son message ne laisse pas d'être
difficile à interpréter.

La partie fondamentale est constituée par les chap. i et ii du petit


rouleau. Le prophète commence par demander à Yahweli pourquoi
il ne l'écoute pas quand il le supplie d'intervenir contre l'injustice;
lapermanence et les progrès de l'iniquité ne mettent-ils pas pourtant
en péril au milieu du peuple le culte de la Loi et du droit? (i, 2-4).
Sur ces entrefaites, un oracle de Yahweh annonce qu'il va susciter les
Chaldéens pour exercer avec férocité une œuvre terrible de rapine et
de dévastation (i, 5-11). De nouveau le prophète interroge : comment
Yahweh, qui est la pureté même, peut-il laisser le méchant dévorer
impunément un plus juste que lui? Cette question est le point de dé-
part d'une vivante description des forfaits du méchant ii, 12-17). Le
prophète attend la réponse, pareil à la sentinelle sur sa tour de guet
(h, 1). La réponse vient enfin, et son importance est fortement sou-
lignée : « ]'oi.s, il succombe, celui dont l'ame n'est pas droite en lui,

mais le juste par sa fidélité aura la vie » (ii, 2-i). — Suit une série
de malédictions contre les excès des violents (ii, 5-20).
Si la dernière section ne soulève guère que des problèmes de
criti({ue textuelle, il n'en va pas de même de celle qui précède. Sa

complexité a depuis longtemps attiré l'attention des critiques et


suscité des théories. Ce qui frappe tout d'abord, c'est que r, 5-11 se
place entre deux séries de questions du prophète. On est même tenté

(1) Na., III, '(.


t:,2 HEVUR lUHLlOUE-

ilallov plus loin : cette péiicopo a tout l'aii' tir disjoiiulic les deux
parties dune même iulerroualion ;
conimeueéc i, -l-ï, la demande
anxieuse du propliète semble se eontiniier i, 12-17. Telle est la force
de cette constatation que l)eaucou[) de critiques isolent i, 5-11 de
son contexte et le traitent comme une interpolation. Aux yeux de
Giesebrecht, NVellhausen et Nowack, rélément du livret
essentiel
prophétique est constitué par i, 'l-ï -+- 12-ii, *20. Le méchant dont la
prospérité devient objet de scandale est un peuple, et c'est le peuple
chaldéen; Juda au détriment duquel s'exercent les vio-
est le juste

lences. La réponse divine est une annonce du jugement et de la


sanction réservés à l'oppresseur, (iiesebrecht date cet oracle du
temps de l'exil; Wellhausen et Nowack le placeraient plutôt entre
les deux sièges de Jérusalem par Nabuchodonosor, entre 597 et 587.

Tout autre est la note dominante de i, 5-li. Ici les Chaldéens,


désignés par leur nom, apparaissent comme la verge de Yahweh

pour le châtiment des de Juda. Rien n'empêcherait à la


infidélités

rigueur, si l'on iixe au début du sixième siècle la composition de


Toracle fondamental, d'attribuer l'autre au même auteur. Celui-ci
aura subi la même évolution d'idées qu'lsaïe relativement aux Assy-
riens. Vers 605, il aura vu dans les Chaldéens le fléau de Dieu pour la
punition des crimes de la nation; constatant ensuite que les envahis-
seurs se laissaient inspirer et gouverner par leur orgueil, il aura
dénoncé leurs violences et prophétisé leur chute. D'autres dissections
(Budde, Rothstein, Rappel, Marti, Peiser, Duhmi sont autrement
compliquées trop ingénieuses, semble-t-il, pour aboutir à des résul-
:

tats dignes d'être pris en considération. M. Steuernagel, à l'opposé


des auteurs précédents, maintient l'ordre actuel des oracles; le

premier et le second se composent d'une question du prophète et


d'une réponse de Yahweh. Il voit dans i, 2-11 une prophétie des
environs de 605. Elle débute par une plainte sur les désordres dont
Juda est le théâtre au temps de Joachim; Yahweh répond que ces
impiétés seront châtiées par l'invasion chaldéenne. Interprété comme
plus haut (punition des Chaldéens qui, dans leur orgueil, ne com-
prennent pas leur rôle de fléau de Dieu), le second oracle (i, 12-ii, 4)
serait plutôt du milieu de l'exil que de la période comprise entre 597
et 587. Son auteur, difficilement identicjue av^ec celui de la première
prophétie, l'aurait imité; ce serait un captif et c'est probablement à
lui que reviendrait le nom d'allure assyrienne cjui figure en tête du
livret [hambakiikii est le nom d'une plante). Les malédictions (ii, 5-20)
constitueraient un troisième oracle, que l'on pourrait attribuer au
même auteur que le précédent, quoicju.'il fût possible d'y voir une
LAME Jl IVE PENDANT TA PÉRIODE PERSANE. 63

série de compléments ajouti's par des réviseurs de plus en plus


récents (1).
Très digne de considération, pour ne pas dire d'adhésion, nous
parait l'opinion de M. van Hoonacker. Lui aussi retire Foracle i, 5-11
de la place qu'il occupe et à laquelle
il interrompt les plaintes du

prophète. Mais pour le situer immédiatement avant i, 2, où il


c'est

débutait sans doute primitivement par la formule accoutumée Ainsi :

parie Yalureh. Pour justifier cette transposition, il n'est même pas


besoin de corrig^er, comme le fait notre docte critique, le vers, ir, 3 et
de lui donner cette forme : « Il y a encore une vision pour un temps
fixé », qui suppose un oracle antérieur. Au moment où Nabuchodo-
nosor, encore prince héritier, venait d'infliger une défaite à Néchao II

et de repousser les Égyptiens, les Chaldéens apparaissaient nettement


comme les successeurs des Assyriens et leurs remplaçants au milieu
du monde asiatique. En conséquence, le prophète pouvait parfaitement
leur appliquer, et dès la première heure, ce quisaie avait dit des
sujets de xXinive au temps de Sennachérib. Il pouvait, en un premier
oracle, les signaler comme le fléau qui devait punir les crimes qui,
sous Joachim, s'étalaient au grand jour. Mais, poussant son regard
vers un avenir plus
lointain, il pouvait ensuite, au spectacle de leur
orgueil, annoncer la catastrophe qui devait les châtier. Dans cette
hypothèse, on conçoit que le deuxième oracle désigne par l'épithète
d'impie le peuple que la première prophétie a appelé de son vrai
nom. D'autre part, même en ces jours de prévarication, Juda peut
encore être déclaré juste, ou au moins plus juste que le Chaldéen.
Habacuc ne disait-il pas précisément (i, 3^, 4) que, si la Loi était mé-
connue, si le droit fléchissait, c'était à cause des violences et de la
domination étrangères? Et, d'ailleurs, par le culte du vrai Dieu, par
la possession de la Loi et des oracles prophétiques, Juda ne Fempor-
tait-il pas en justice sur un empire que déshonorait son paganisme?
Les oracles proprement dits du livre d'Habacuc auraient ainsi le
même auteur et remonteraient sensiblement à la même date (GOô-OOO).
Il est aisé de comprendre avec quel empressement et quelle joie
les exilés durent emporter le souvenir des anathèmes dirigés contre le
maitre du jour qui les avait arrachés à leur pays.
liai)., III a tous les caractères d'un psaume et des indications musi-

cales attestent l'usage que l'on en a fait dans la liturgie (2;. Yahweh
apparaît, pour un jugement du monde, au milieu des bouleverse-

(1) En tout cas Hab. , ii, 20 serait une formule liturgique de conclusion, ajoutée ;i une
date plus tardive.
(2) Cf. Hab., m, l, 19'' et aussi le mot rhz^ aux vers. 3, 9. 1.3.
64 RKM K BI1U,1QUE.

ments de toutes sortes qui sont l'accompag'nement Iraditiounel de ces


sortes do manifestations il). Il vient, non parce qu'il est irrité contre
la terre, mais parce qu'il veut secourir son Oint, le peuple de .luda, et
anéantir les ennemis qui oppriment son protégé (2). Aussi, malgré la
crainte qui le saisit, le suppliant se sent-il rempli de joie dans l'es-

pérance du secours divin (3). — La plupart des critiques traitent ce


cantique comme
apocryphe. Il aura été emprunté à un recueil litur-
gique on Ta mis à la fln du livret prophétique, c'est peut-être
et, si

parce que son inscription portait le nom d'Hahacuc. Mais ce titre n'a
pas plus de valeur que beaucoup d'autres. Le caractère eschatologi-
que et apocalyptique du contenu, la désignation du peuple de Dieu
par l'épithéte d'Oint (nv^ja) (4) ne permettent^pas de regarder cette
composition comme antérieure à l'époque persane. Môme, au dire de
M. Steuernagel, les vers. 17-19 seraient additionnels; la détresse qu'ils
envisagent est difTérente de celle c{ue décrivent les strophes précé-
dentes. M. van Iloonacker admet le caractère secondaire de cette finale.
Mais, tout en reconnaissant qu'une adaptation liturgique ultérieure a
pu entraîner divers changements de détail, il n'hésite pas à rattacher
Fensemble du cantique à l'œuvre d'Hahacuc; le contenu lui paraît en
rapport avec la donnée de l'inscription et avec le contenu des oracles
authentiques.

6" Ézéchiel.

A partir de 587, il devait y avoir des Juifs dans toutes les régions
du monde connu; selon la parole des prophètes, ils étaient désormais
dispersés aux quatre vents du ciel (5). On les trouvait toutefois en plus
grand noml^re dans trois centres principaux il en demeurait en : Pales-
il y en avait en Ég-ypte, il y en avait en Chaldée.
tine,

C'est à ceux de Babylonie qu'il convient de prêter d'abord atten-


tion. A propos d'eux seuls, en effet, nous avons quelques données
numériques, d'ailleurs imparfaites. Même la Bible nous fournit ces
renseignements en deux endroits, dans II Reg., xxiv-xxv et dans
Jer., LU.Malheureusement ces indications, même combinées, de-
meurent incomplètes; d'autre part, elles sont loin de s'accorder avec
toute l'exactitude désirable.

(1) Hab., III, 2-7.

(2) Hab., ni, 8-15.

(3) Hab., m, 16-19°.


(4) Hab., m, 13. H se peut, au dire de M. van Hoonacker, que, si le psaume est préexi-
lien, l'Oint désigne le roi.

(5) Jer., IX, 16; XIII, 24: XXX, 11: Ez., Xl, 16, 17; XII, 15; XX, 3't ; etc.
L'AME JUIVE PENDANT LA PÉllIOOE PERSANE. 65

Nous n'avons absolument aucun détail sm* 1(3 nombre des captifs
selon toute vraisemblance, accompagnèrent .loachim sur le chemin
(jui,

de l'exil en OO'i.. En revanche, la documentation la plus abondante


concerne la caravane de 597 mais l'interprétation est difficile. Il faut
;

d'abord prendre en considération II Reg., xxiv, 10-17. Voici la tra-


duction de cet important passage 10, En ce temps-là, montèrent : <(

à Jérusalem les serviteurs de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et la


ville lut assiégée. 11. Et Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint contre
la ville et ses serviteurs pressaient le siège. 12. Et sortit Joachin, roi
de .luda, vers le roi de Babylone, lui, et sa mère, et ses serviteurs, et
ses princes, et ses eunuques, et le roi de Babylone le prit, l'an 8 de son
lègne. 13. Et il fit sortir de là tous les trésors de la maison de Yahweh
et les trésors de la maison du roi, et il brisa tous les ustensiles d'or
(fu'avait faits Salomon, rOi d'Israël, pour le temple de Yahweh, selon
que Yahweh avait parlé, ik. Et emmena captif tout Jérusalem, et
il

tous les princes et tous les puissants hommes de valeur, dix mille
captifs, et tous les artisans et forgerons; que les pau- on ne laissa
\ res du peuple du pays. 15. Et il emmena captif à Babylone Joachin;
•t la mère du roi, et les femmes du roi, et ses eunuques, et les grands
du pays, il les fit aller en captivité de Jérusalem à Babylone. 16.
Kt tous les hommes vaillants, sept mille, et les artisans et forge-
rons, mille, de Babylone les em-
tous vaillants guerriers, le roi
mena en captivité à Babylone. 17. Et le roi
de Babylone établit Mat-
tanias, son (de Joachin) oncle à sa place, et il changea son nom en
Sédécias. »

La simple lecture de ce texte en laisse facilement découvrir le


caractère composite. —
Nous pouvons laisser de côté le vers. 13 qui
traite du pillage du temple et du palais et ne présente pour nous
aucun intérêt immédiat. Il est évident que le vers. 12 a pour suite
naturelle le vers. 15. On nous a dit, vers. 12, que le roi Joachin s'est
rendu auprès de Nabuchodonosor avec sa mère, ses femmes, ses
princes, ses eunuques. Quel sort leur a fait le roi de Babylone? C'est
ce que précise le vers. 15 il les a emmenés captifs en Chaldée. A ce
:

verset se relie étroitement le vers. 17 remplacement de Joachin :

par son oncle Maltanias-Sédécias. C'est grâce au lien intime qui exis-
tait primitivement entre ces deux textes que, sans nommer à nouveau

Joachin, on peut dire et à sa place le roi de Babylone établit son


:

oncle. Ce membre de
phrase ne s'expliquerait pas, avec toute sa con-
cision, si, dès l'origine, le vers. 16 l'avait séparé du vers. 15. Ces —
remarques aboutissent à faire regarderies vers. 14 et 16 comme pri-
mitivement étrangers au document qui a fourni les renseignements
KEVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. Xl\ . 5
60. lUiVUK IMBLIQUE.

qui précèdent (1). Quelle oiiuine faut-il leur attribuer? Faut-il les

traiter comme provenant d'uue autre source ou d'autres sources dans


une interpola-
lesquelles le rédacteur les aurai! puisés? Faut-il y voir
tion arbitraire, faite dénuée de toute autorité? lue
par un copiste et

chose est certaine pour le moins c'est que cette dernièic hypothèse
:

ne saurait être émise à propos des deux versets à la fois. Or les don-
nées qu'ils renferment présentent ce grand avantai^e qu'elles con-
tiennent des évaluations numéri(|ues concernant divers groupes de
captifs. Jusqu'ici nous n'avons aucune évaluation pareille. Ni le vers.
1-2 ni le vers. 15 ne disent quel fut le nombre de prisonniers (femmes,

princes, eunuques) directement attachés b la personne du roi .loacliin.


En revanche, le vers. IV nous fournit une première indication. Si
on le prenait à la lettre, on y découvrirait quatre catégories nettement
tranchées. —
D'abord le roi de lîabylone emmène captif toui Jérusa-
lem. La formule est des plus universelles et signifierait que le premier
groupe de prisonniers, après la maison royale, aurait englobé en sa
très grande majorité la population de la capitale. De ce chef, Nabu-
chodonosor aurait procédé à la façon de Sargon lors du siège de
Samarie; il aurait saigné à blanc le pays. La contre-partie, il est vrai,
fait défaut et on ne nous dit pas que le monarque chaldéen ait établi
dans royaume de Juda des colonies d'étrangers analogues à celles
le
qui vinrent dans le royaume du Nord après la victoire assyrienne.
D'autre part, pendant les dix années qui vont séparer les deux der-
niers sièges de Jérusalem, Jérémie continuera à exercer son ministère
dans la capitale sans laisser entendre qu'il parle dans le vide, sans

(1) R. KiTTEL [Die Bûcher der


Koniga ubersetzt inid erklurl, dans Handhommenlar
zuni Allen Testament de W. Nowack) et I. Benzinger [Die Biicher der Konige erkltirt,
dans Kurzer Hand-Coinmenlar zum Allen Testament de Karl Marti) n'éliminent du
texte iirimilif que le vers. 14 (avec le vers. 13), qu'ils regardent comme un doublet par rap-
port aux vers. 15, 16. M. Sanda [Die Biicher der Konige ubersetzt vnd erklurt, dans
Exegetisches Handbnch zum Allen Teslament du D'' Johannes Nikkl) rejette seulement
le vers. 14, qu'il attribue aune autre source. En revanche, M. \xn
Hoonacker [Nouvelles
éludes sur la Restauration Juive après l'exil de Babylone, p. 41 sv.), qui maintient l'au-
thenticité du vers. 14 comme partie intégrante du récit de 10-17, traite le vers. 16 comme
une interpolation pure et simple. Elle serait due à un copiste qui, voyant dans le vers. 14
le nombre total des déportés (10.000), a voulu en compléter le détail estimant à 2.000 le
:

nombre des gens de l'entourage du roi et des notables du pays dont il est parlé vers. 15,
il a décomposé en 7.000 et 1.000 les autres groupes
de captifs signalés vers. 14. —
En tenant
compte de la construction grammaticale du récit, nous croyons plus probable que le docu-
ment fondamental ([ui est à sa base ne parlait que du sort fait à la famille royale. Le ré-
dacteur y aura inséré les renseignements que d'autres sources lui fournissaient touchant
d'autres groupes de captifs. Ces sources pouvaient n'être autre chose que des listes par-
tielles, et dès lors incomplètes, de j.risonniers dans cette hypothèse, il ne me paraît pas
;

prouvé que les vers. 14 et 16 ne puissent provenir de deux listes, l'une et l'autre dignes
de foi.
L'AME JllVE PENDANT LA PERIODE PERSANE. 67

iiiême laisser entendre que la situation, que le nombre des habitants


-oient notablement dilférents de ce qui existait auparavant. On verra
• le plus .lérusalem soutenir le dernier assaut chaldéen pendant dix-huit

mois, ce qui s'expliquerait assez difficilement dans l'hypothèse d'une


\ ille déjà privée de ses habitants. Sans doute, on peut penser qu'entre
")9T et 587, des habitants delà province se rendirent dans la capitale;
Il Reg-., XXV, 3, 19 favorisent cette hypothèse (1) et parlent même
il enrôlements. Sans doute encore, et bien que les textes soient muets
à ce sujet, on peut songer au retour d'un certain nombre de fugitiis
de Jérusalem qui, à l'approche de Nabuchodonosor, se seraient échap-
pés dans les pays voisins; toutefois on n'exagérera pas l'importance
de ce groupe si l'on remarque qu'en cas d'alerte, villageois et autres
provinciaux demandaient plus volontiers, comme firent les Piécha-
bites. asile aux murs d'une capitale fortifiée. En tout cas, il semblera
difficile d'admettre que ces deux groupes provinciaux et fugitifs :

rapatriés, aient pu, à eux seuls, fournir à la capitale le contingent de


défenseurs que suppose la si longue résistance du dernier siège. On
est dès lors porté à traiter le tout Jérusalem comme une formule très
générale, qu'il ne faut pas trop presser et qui, à tout prendre, pour-
rait trouver une équivalence suffisante dans la partie la plus impor-

tante, la plus influente, de la population. — Le second terme de l'énu-


mération au vers. 14 mentionne « tous les princes et tous les vaillants
hommes de guerre ». De ces derniers, Sin ''1125, il n'a pas encore été
question. Quant aux princes, n^r, faut-il les identifier avec les cnù
qui, vers. 12, sont sortis de la ville avec Joachin? Faut-il identifier les
uns et les autres avec les yisn iS\s' du vers. 15? La question serait
difficile à résoudre et d'ailleurs n'est pas d'une importance capitale;
eu toute hypothèse, en on se trouve en présence d'une liste in-
effet,

complète. C'est après ce second terme de l'énumération que se trouve


l'évaluation numérique : dix mille. Il semble bien que cette évalua-
tion vise et les princes et les vaillants hommes de guerre. Si les mem-
bres de l'énumération, au vers, li-, sont exclusifs les uns des autres,

il ne se peut agir ici que de prisonniers de marque étrangers à la Ville

\j On admet assez communément ([ue 1 expression « peuple du pays » désigne, en ces


\ersets, les provinciaux. Le vers. 3 indi([uerait que la presque-totalité des défenseurs était
constituée par ces provinciaux. Mais il y a lieu sans doute de faire la part des généralisa-
tions. Il est possible aussi que ce soit l'élément provincial qui davantage ait été atteint par
la famine; les lialiitants de la pouvaient avoir plus de ressources pour se procurer
ville
quelques vivres Sanda . Il que des critiques protestent contre celte
faut toutefois noter
interprétation stricte de « peuple du pays ». Klamrotli ^ Die Jadisclien Exu/ainen in
liahijlonien. p. 99 sv.i estime que très souvent, et notamment dans les textes ({ui tous
occupent, il s'agit du peuple en général, par opposition aux représentants de l'autorilé.
G8 uKvui-: 1UI5I.IUIH*:.

Sainte, des piisoiiiiiers de province. Il faudrait donc penseï' qu'avant

de mettre le siège devant la capitale, Nabucliodonosor aurait, comme


Sennachéril) sous Kzéchias, commencé jiar s'cuîparer de diverses
places du territoire. Malheureusement l'on ne possède aucune donnée
directe à ce sujet; on ne saurait l'aire état de .1er., iv-vi, alors môme
qu'on reconnaîtrait dans dont l'objet primitif était l'inva-
ce texte,
sion des Scythes, des retouches destinées à l'adapter aux perspectives
des invasions chaldéennes. Il sendjle bien plutôt qu'après avoir laissé
aux de vexer le pays de Juda (1), ce soit
petits peuples voisins le soin
sur la capitale que le roi de Babylone ait directement porté ses
eÛorts i2). 11 y a, dès lois, beaucoup de chances que ce second terme
de rénumération du vers. 14 ne soit autre chose qu'une précision du
premier terme, que les princes et les vaillants homuies de guerre
soient tout simplement un des éléments du tout Jérusalem. .l'en —
dirai autant du troisième terme « tous les artisans et forgerons », à

propos duquel on n'a pas d'évaluation numérique. Quant à la finale —


« et on ne laissa que les pauvres du peuple du pays », il faudrait à son

tour la traiter comme une formule générale, analogue à celle du dé-


but. Tout au plus indiquerait-elle, si on voulait la serrer de très près,

que la population de la province eut à souffrir comme celle de la capi-

tale, qu-'on la découronna en lui enlevant, à elle aussi, ses éléments


les plus influents et lesplus en vue. Toutefois, en l'absence de tout
document relatif à une campagne de Nabuchodonosor dans le pays de
Juda (H), il sera plus sage de ne pas prendre cette donnée dans son
sens le plus strict. — En résumé, nous serions porté à conclure que,
d'après le vers, li, c'est à la capitale que l'invasion de 597 fut surtout

et presque exclusivement funeste. Mais à Jérusalem elle porta une très

forte atteinte. Le roi et sa cour furent conduits en exil; à leur suite,


les classes qui davantage constituaient ses forces de résistance,
princes, guerriers, artisans, forgerons, prirent le chemin de Baby-
lone. D'une part, nous n'avons d'évaluation numérique que pour un
terme de la liste, pour les princes et les guerriers. D'autre part, il y
a lieu de penser que la liste elle-même n'est pas complète, qu'elle
aurait pu mentionner d'autres catégories importantes de la populalioîi
et aboutir à un nombre total considérable. On rendrait ainsi le véri-

(1) Cf. il Reg., XXIV, 2.

(2) C'est bien ceque laisse entendre il Reg., xxiv, 10.


(3) Il va de soi que la
réserve que nous formulons ne porte pas sur les villes que le con-
quérant a rencontrées sur son chemin en se rendant vers la capitale. Aussi bien, il y a
il n'est question que de Jérusalem, pour
lieu de tenir compte de l'ensemble du récit, où
conclure que les divers groupes énuméiés se rattachaient eux aussi aux prisonniers de
la Ville Sainte.
L'AME JUIVE PENDANT LA PÉRIODE PERSANE. GO

table sens de la parole de rhistoricn sacré : « Il emmena captif tout


Jérusalem ».

Le verset 16 fournit d'autres précisions. M. van Hoonacker, il est


vrai, le traite comme interpolé. Je ne vois pas que l'on allègue de
preuves convaincantes à l'appui de cette conclusion; il faut des rai-
sons sérieuses pour éliminer un verset aussi concret dans les détails
qu'il fournit. douteux qu'il disjoigne deux phrases qui
Il n'est pas
[)rimitivenient se suivaient sans aucune interruption. Mais rien n'em-
pêche de faire remonter son insertion au rédacteur; rien n'empêche
(le penser qu'il provient d'une source analogue à celle qui a fourni

le vers. IV. On peut assez raisonnablement supposer que les Hstes de

aptifs étaient multiples et que le rédacteur aura inséré toutes celles


piil avait sous la main. Or, celle du vers. 16 fournit deux précieuses
'valuations. Elle mentionne en premier lieu « tous les hommes vail-
lants, sept mille », et, en second lieu, « les artisans et forgerons,

mille ». Il n'y a pas lieu, je crois, de s'arrêter à l'opinion d'après


laquelle ces deux termes seraient, avec les éléments mentionnés
vers. 15 et implicitement estimés à deux mille, le détail des « dix
mille )) (chiffre rond) du vers. 14 (1). Les deux listes ont tout l'air
d'être parallèles. D'abord les locutions Sin niaa et Sin lurjx semblent
synonymes pour désigner des hommes vaillants, des guerriers, des
soldats; de ce chef, on a deux évaluations correspondant sans doute
à deux convois de captifs militaires (2). Je ne crois pas, d'autre part,

que les mille artisans et forgerons du vers. 16 fournissent une éva-


luation pour les artisans et forgerons du vers, iï, à propos desquels
aucun nombre n'est articulé; ici encore je songerais à deux convois.
En sorte qu'en définitive nous aurions comme chifïi'es précis, dix-
sept mille soldats et mille ouvriers, le tout ne représentant toujours
qu'une part de la déportation.
dette hypothèse de listes parallèles nous parait la plus propre à
expliquerle texte de Jer., lu, 28. On lit « Voici le peuple que Xabu- ;

chodonosor emmena captif l'an 7, Juifs, trois mille vingt-trois... »


:

On ne peut douter que l'an T ne corresponde avec l'année 597; mais

1) 11 faut admettre, en cette hypothèse, que le copiste aura traité ce nombre comme re-
présentant le nombre total des captifs. C'est lui altribnur une lourde méprise, car la place
occupée par ce chitl're exclut forinellemenl cette interprétation.
(2) On pourrait, à la rigueur, distinguer les Sti 1li3S des SiPl 'îy:x. Prise en elle-
même, cette dernière expression peut désigner ou bien des hommes de guerre, ou bien
des hommes de ressources, qu'il s'agisse d'ailleurs de ressources morales ou de richesses.
On aurait, si l'on tenait à souligner la distinction, une nouvelle catégorie d'hommes comp-
tant, eux aussi, parmi les forces vives de la cai)itale.
'^
REVLIR HinLIQUI-:.

l'évahiatioii ne cadi'o avec auciiuc de («'lies do 11 Uo.i;., wiv, V, 10. I

D'autre part. .'Uo est trop pivei.so ci clic est inséi'ée dans une liste trop
précise pour qu'on sonqo à réliminer piireuicnt et simplcmeut. C'est
une liste à part. M. van lloonacker, j)renant en considération le con-
texte dans lequel
<>lle ligure (vers. 28-30), y voit un des éléments

d'une de prisc^iniers de g-uerie à titre spécial, dont les vain-


liste

queurs tenaient avant tout à s'assurer. Le nombre fourni par .1er., lu


devrait par conséquent s'ajouter à ceux de II Hcg., xxiv. On aurait
ainsi une somme de vingt et un mille vingt-trois prisonniers dénom-
brés, ([u'il faudrait toujours se
garder de traiter comme exhaustive;
il vraisemblable qu'on pourrait au moins la doublet sans
est assez
crainte d'exagération (1).
Nous n'avons aucune donnée sur l'importance du groupe d'an
riens, de prêtres,
de prophètes et du reste du peuple, que Nabucho-
donosor emmena en exil « après que furent sortis de Jérusalem le roi
.léchonias, la reine-mère, les eunuques, les princes de Juda et de
Jérusalem, les artisans et les
(2j. On pourrait assez rai-
forgerons »

sonnablement penser que telle ou telle des évaluations précédentes .

correspond cà ce convoi de captifs; mais on doit désespérer d'arriver à


aucune précision à ce sujet.
Les renseignements concrets sont pareillement très maigres quand il
s'agit des captifs
de .587. Non que les récits de ce dernier siège fassent
défaut; sans parler du récit très sommaire de II Chron., xxxvi, 17-
21,on a celui de II Reg., xxv, 1-21, reproduit dans Jer., lu, 1-27 (3),
de Jer., xxxrx, MO, qui est plus résumé (4). Or voici les don-
et celui

nées que l'on peut recueillir pour le sujet qui nous occupe. Le siège
dura depuis le 10 du 10° mois de l'an 9 de Sédécias jusqu'au 9 du

(1) On remarquera que ces captifs de Jer., lu, 28 sout appelés D''"ïiri\ Juifs. Au vers. 29,
à propos de la captivité de 587, on parle de prisonniers o de Jérusalem ». Il est ensuite
question, vers. 30, dune déportation, qui eut lieu cinq ans plus tard, et dans laquelle
ligurenl sepi cent quarante-cinq Juifs. Comme la capitale était déjà détruite, il ne se
peut agir ici que d'habitants de la province, de ceux-là sans doute qui se trouvaient au-
près de la résidence du gouverneur, autour de Masphah. Que si, au vers. 28, les DnïlMi
désignaient aussi des habitants de la province, il faudrait songer aux villages que l'armée
chaldéenne aurait rencontrés sur sa route en se rendant à Jérusalem.
(2) Jer., x\ix, 1, 2.

(3; On
ne doit pas hésiter, semble-t-il, à regarder Jer., ui, 1-27 comme une reproduc-
tion pure et simple du texte des Rois; l'hypothèse dune source commune compliquerait
inutilement la question.
(4) Jer., XXXIX, 1-10 et II Reg., xxv, 1-12 sont des deutérographes. On considère souvent
Jer., x.txix, 1-10 comme un extrait abrégé, suit de II Reg., xxv, 1-12 (BerthoUet, Sanda;.
soit de la reproduction de ce ciiapitre qui figure Jer. i.ii (Giesebrechl).
LAME JUIVE PENDANT LA PEIUODE PERSANE. 71

ï"mois (1) de l'an 11. Ce jour-L'i la ville fut forcée. Au moment où les
généraux chaldéens entraient dans la cité (2), tous les gens de guerre
; n^Zn'^sn •w':n) s'enfuirent, à la faveur de la nuit, avec le roi Sédécias.

Us prirent la direction de ï arabah ou plaine du Jourdain. Mais l'armée


ennemie se mit à leur poursuite. A son approche,
les gens de guerre

se dispersèrent et prirent la fuite;on ne dit pas que les Chaldéens les


poursuivirent. Us se contentèrent de mettre la main sur le roi, qui
était sans doute demeuré en arrière, et sur ses fils. Us les conduisirent

à Nabuchodonosor, qui s'était arrêté à Riblah, sur l'Oronte. Ainsi que


nous lavons dit ailleurs, le roi de Juda, après avoir vu périr ses
lils, eut les yeux crevés et fut emmené dans une prison de Chaldée,

où il mourut; c'est le seul captif dont on parle à cet endroit. Pendant


près d'un mois, jusqu'au 7 du 5° mois, la ville resta dans l'attente
du sort qui lui était réservé. A cette date arrivait Nabuzardan, chef
des gardes, serviteur du roi de Babylone. Tout en procédant à l'in-
cendie de la ville et à la démolition des murailles, il organisa un
convoi de prisonniers. On y distingue trois groupes : le reste du
peuple qui est demeuré dans la ville, ceux qui se sont rendus au roi
de Babylone, le reste de la multitude 3). Il n'est pas question de
guerriers, ce qui se comprend sans peine après l'épisode de la plaine
de Jéricho. Aucune évaluation n'est fournie en ce contexte immédiat.
U n'en existe que pour un autre grouj)e, fait de personnages plus en
vue, — soixante-quatorze en tout, — qui sont menés à Kiblah et exé-
cutés par le vainqueur (4). On lit toutefois dans le catalogue de
Jer.,Lii, 28-30 (vers. 29) : « l'an 18 de Nabuchodonosor : de Jérusalem,
huit cent trente-deux âmes. » Ici encore, la référence est empruntée à
une liste spéciale ; même après la fuite du roi et des guerriers, ce
nombre infime ne saurait être interprété de tous les habitants du pays
qui furent emmenés en exil; il ne saurait même correspondre au pre-
mier des trois groupes énumérés plus haut. Tout porte à croire, en

{\) L'indication du mois qui a disparu de II Reg., xw, ;!, est fournie par Jer., \xm\, 2
et ui, 6.

(2) Jer., xxxiv, 3.

(3) Ces trois catégories sont indiquées en cet ordre par II Reg., \xv, 11 et Jer., xxxix, 9
(ici une distraction de copiste a substitué au reste de la mullilude une dittographie par-
tielle du premier groupe le reste du peuple qui est demeuré... Dans Jer., lu, 13,
:

l'énumération suit de très près celle de II Reg., \xv, 11. Toutefois, pour le troisième mem-
bre, on a une leçon plus spécifique et de ce chef préférable : le reste des artisans (pCN'J

au lieu de : le reste de la multitude (p^n; faute de copiste aisée à expliquer). Mais an


début de Jer., ui, 15, se trouve une dittographie fautive du début du vers, ic, (<( et des
pauvres du peuple ou [vers. 16] du pays »}.

(4) Il Reg., XXV, 18-21 ; Jer., ui, 2k-27.


72 UEVUK HIIU.inUE.

oHct, que la ilépoi-lation de 587 lui plus nombreuse que celle tle 51)7.
C'est ce que l'on peut coueluic <le ce que Ton sait par ailleurs de la
d«''solatiou de la région, et surtout de Jérusalem, pendant les années

(|ui suivirent cette date néfaste (1). Aussi bien les trois récits s'accor-
dent-ilspour dire qu'on ne laissa dans le pays, comme vignerons et
cultivateurs, qu'un groupe de pauvres qui n'avaient rien (-2). Désor-
mais aussi, au regard des prophètes, le peuple est en exil (3) seul un ;

reste demeure en Palestine (V).


Le catalogue de Jérémie mentionne, lu, :}(), une dernière cara-
vane « L'an "23 de Nabuchodonosor, Nabuzardan, le chef des gardes,
:

emmena captifs : Juifs, sept âmes »; après quoi


cent quarante-cinq
il fait le total de ses évaluations en tout quatre mille six cents
: «

âmes ». Ce verset est le seul passage scripturaire qui nous parle d'une
déportation en 58*2/581. On lui trouve d'ailleurs assez facilement un
contexte. Nous avons déjà dit qu'en quittant la Palestine, le roi de
Babylone y laissa comme gouverneur du pays le judéen Godolias. On
lui contîait les habitants que l'on n'emmenait pas captifs (5 ). Ils furent
bientôt rejoints par tous les chefs de troupes qui se trouvaient au large
et par leurs hommes (6) ; on doit songer, entre autres, aux échappés
de la plaine de Jéricho. On vit aussi revenir de tous les lieux où
ils s'étaient dispersés les Judéens qui étaient en Moab, en Ammon, en
Edom « et dans tous ces pays-là » (7). Parmi ces rapatriés d'avant la
lettre, se trouvait un conspirateur, un certain Ismaël, fils de Nathanias,
qui avait des intelligences avec Baalis, roi des Ammonites; celui-ci,
pour des raisons que ne connaît pas, avait donnée son hôte mis-
l'on
sion de tuer Godolias semble qu'Ismacl poursuivait son dessein
(8). Il
sans chercher à le cacher. Toujours est-il que les autres chefs revenus
avec lui connaissaient ses projets. Ils en conçurent une vive inquié-
tude; que ne pouvait-on redouter, en fait de représailles, si on por-
tait la main sur le représentant de Babylone? Godolias fut averti;
on lui proposa même de tuer l'assassin. Mais le gouverneur demeura
incrédule et désapprouva le projet de meurtre (9j. II fut victime de sa
droiture. Ismaël vint avec dix compagnons et tua « celui que le roi

(1) Cf. en particulier les données si nombreuses des Lamentations.


(2) II Reg., x\v, 12; Jer., wxix, 10; lu, 16.

(3) II Reg., xxv, 21''; Jer., ui, 27''.

(4) Jer., XL, 6, 10; XLI, 10; xmi, 5.

(5) II R«g., xxv, 22 ; Jer., XL, 7.

(6) II Reg., XXV, 23; Jer., xl, 7, 8. •

(7) Jer., XL, 11, 12.

(8) Jer., XL, 14.


(9; Jer., XL, 13-16.
L'AME JUIVE PENDANT f.A PÉIUODE PEUSANE. 73

de Babylone avait olabli goaverneur du pays » ; il tua aussi les Judcens


et les Chaldéens qui étaient avec Godolias (1). Le récit de Jer., \li
place l'événement au 7" mois, mais sans indiquer d'année. On pour-
rait penser à un rapprochement avec la dernière date qui soit au-

paravant mentionnée, soit celle de l'incendie de Jérusalem (2); mais le


contexte est trop tlou, la' narration trop fragmentaire pour qu'on soit
tenu d'adopter cette conclusion. D'autre part, l'ensemble du récit
semble supposer un laps de temps de plus de deux mois à deux mois
et demi; rien ne pourrait vraiment s'opposer k ce qu'on recule le
tragique incident jusqu'à la vingt-troisième année de Nabuchodo-
nosor. Les Judéens demeurés en Palestine ne s'illusionnèrent pas,
nous le verrons, au sujet des suites que cet acte de démence pouvait
entraîner. De fait, nous ne savons pas au juste en quoi consistèrent les
représailles. Mais on peut légitimement regarder Jer., lu, 30 comme
fournissant une donnée relative à ce sujet une nouvelle déporta- :

tion fut organisée et une liste spéciale mentionnait, parmi ceux qui
en faisaient partie, sept cent quarante-cinq amn\; on ne saurait,
après la dévastation de la capitale, hésiter à les regarder comme des
habitants de la campagne judéenne.
En résumé, on doit conclure que le nombre des Judéens que Na-
buchodonosor avait, à diverses reprises, emmenés en Ghaldée était
assez compact. Les évaluations précises, mais partielles, que nous avons
rencontrées nous conduisent à un total de vingt- deux mille six cent
soixante-quatorze captifs. Or elles ne comprennent vraisemblablement
ni les femmes ni les enfants (3) de ce chef, il faudrait déjà multiplier
:

par quatre ou chig (4) la somme obtenue et l'on dépasserait cent mille.
Il prudent de ne pas risquer une évaluation d'ensemble. Toutefois,
est
si l'on redoutait des chiffres trop élevés, on pourrait tenir compte de

deux renseignements qui nous sont conservés par les annales les plus
authentiques des rois d'Assyrie, celles de Sarg-on et de Sennachérib.
Après le siège de Samarie, en 722, et après que le royaume du Nord
avait été déjà appauvri en habitants par les campagnes victorieuses
de Téglath-Phalasar et de Salmanasar, Sargon n'enleva pas moins de
vingt-sept mille deux cent quatre-vingt-dix prisonniers (mâles?) (5).

(1) Jer., \u. 1-3; cf. II Ueg., x\v. 2;..

(2) Jer., \xxix, 2, 3.

(3) On pourrait hésiter à appliquer cette remarque au cas où le texte parle, sans spé-
cifier des professions qui ne conviennent qu'à des Jiommes, d un nombre déterminé d'âmes
(Jer., LU, 29, 30).

(4) Ita van Hoonaci<er, à propos des évaluations qui résultent de sa manière de criti-
quer les textes.

(5) Inscription de Dùr-Sarrui<in. ligne 24.


l't nr:M !: i?ii;i.ini i:.

Au cours de sa campagne coiilrc Kzcchias, Soniiachérib emnieii.i du


pays de Jiida « deux cent mille cent cinijiiante Inanimés petits et grands,
hommes et femmes (l) ». On voit dès lors (|uc les évaluations aux-
quelles nous aboutissons à propos de Nabuchodonosor n'ont, pi'ises
en elles-mêmes, rien d'invraisenddable (-2).
Co que nous venons de dire de Sargon et de Scnnacliérib suggère
une autre rétlexion. Lorsque les exilés de 597 et 587 arrivèrent en
Babylonie, ils ne s'y trouvèrent pas isolés. V rencontrèrent-ils des
descendants des anciens habitants du royaume du Nord? C'est possi-
ble, car on peut admettre que des provinces plus septentrionales, où
elles avaient été d'abord cantonnées, certaines familles aient eu le
désir et la faculté de descendre dans les plaines plus riches du Bas-
Euphrate. Ce qui est plus pro])ablc, c'est que les colons du sixième
siècle rejoignirent en Chaldée de nombreux descendants des émi-
grés du temps d'Ézéchias. Comme Fa fait remarquer M. van Hoona-
cker, la chronologie des expéditions de Semiachérib permet en ell'et

de penser que les déportés de Palestine servirent à combler, en Ba-


bylonie, les vides causés par les prises opérées dans la campagne
contre Mérodach-Baladan. On comprend sans peine que cette rencon-
tre devait être des plus heureuses pour les nouveaux expatriés.
renseignements sont maigres au sujet des Judéens de Chal-
Si nos
dée, ils le sont bien davantage quand il s'agit de leurs compatriotes
retirés en Egypte ou demeurés en Palestine. La vallée du Nil, tout
comme celles de l'Euphrate et du Tigre, devait devenir un des centres
principaux des .luifs de la dispersion. Il y avait longtemps, en 597 ou
587, que des habitants de la Palestine avaient pris le chemin de la

(1) CylirKli'e hexagonal, col. III, ligne 17.

(2) Il n'est pas sans quelque intérêt de noter les nombres de captifs enregistrés par
Josèphe [Antif/., X. vi-ix). La liste apparaît de prime abord plus complète que celles de
la Bible. On rencontre en effet une première donnée (vi, 3) qui manque dans les Rois;
elle est relative à la déportation qui aurait été la conséquence de celte expédition de
^Jabuchodonosor contre .Joaciiim (jue les Cfironi(/ues (II Chron., xxxvi, ti, 7) sont seules
à relater. Il y aurait eu alors ;j.000 prisonniers. Mais on remarquera que ce cliiffre est
voisin de celui de .">.02;J qui, Jer., ui, 28, se rapporte à la déportation de Jéchonias. Pour
celle-ci, Josèphe (vu, compte 10.832 captifs. De nouveau on notera qu'abstraction
t) faite
des milliers (dont l'indication a pu facilement tomber), ce chiffre est le même que celui
que relève Jer., lu, 29 pour la déportation de .">87. A. propos de cette nouvelle dépor-
tation, l'historien juif n'a pas d'évaluation numérique; du moins
il se borne à parler du

petit groupe qui, d'après II Reg., xxv, 18-21 (= Jer., i.n, 2'i-27), fut conduit à Hiblali
devant Nabuchodonosor (vin, 5]. Josèphe parle aussi de la déportation dont il est ques-
tion. Jer., LU, 30; mais, outre qu'il parait la placer dans un cadre inexact, il ne formule
pas d'évaluation. —
On est porté à croire que l'historien du temps de Jésus n'avait pas,
pour le sujet qui nous occupe, d'autres documents que la Bible elle-même; ainsi qu'il
lui arrive souvent, il les a exploités de travers et dune façon incomplète.
L'AME JUIVE PENDANT LA PÉRIODE PERSANE. 7S

terre des Pharaons. Outre les textes bibliques, nous avons, pour nous
renseigner à ce sujet, les papyrus d'Éléphantine (1). On a remarqué

que, parmi les noms relevés dans ces derniers documents, il y en


avait dont la tournure était nettement israélitc, qui trahissaient
des descendants des anciens habitants du royaume du Nord, lîien à
cela de surprenant. Au temps des derniers rois de Samarie, le prophète
Osée se plaignait de ce que, pareil à une colombe simple et sans
intelligence, Éphraïm invoquât l'appui tantôt de TÉg-ypte et tantôt de
Ninivc (2i. De l'ait, tous ceux qui voulaient pousser les rois d'Israël à
prendre place dans les ligues organisées contre FA.ssyrie grandissante,
comptaient fortement sur le soutien des Pharaons. On peut donc
penser que les relations, les allées et venues étaient fréquentes entre
le royaume schismatique et la vallée du Nil. Il était dès lors tout indi-

qué qu'aux heures de lasuprême épreuve, nombre d'Israélites allas-


sent demander asile à leurs alliés on peut penser que des caravanes
;

plus ou moins considérables prirent cette direction lors des invasions


de Tégiath-Phalasar (3i, de Saimanasar et de Sargon (4). C'était, en

tout cas, ce qui devait se passer pour les Judéens. Ceux-ci, tout comme
leurs frères séparés, subissaient le prestige de l'Egypte. A Jérusalem,
comme à Samarie. nombre de politiciens propageaient cette idée que,
pour conjurer le péril assyrien, il fallait conclure des traités avec les

(1) Sur les papyrus d'Éléphanline, voir R.B., 1901, Bulletin (p. lïO), l'indication de la
Notice sur un papyrus éf/ypto-aramérn de la Bibliothèque iinpériale de Strasbourg,
publiée par M. J. Eltinc; dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Académie
des Inscriptions et Belles- Lettres (t. XI, 2° partie, p. 297 sv.; Paris, 1904}; — R.B., 1905,
Bulletin (p. 147 sv.;, l'indication analytique de l'article de M. Cleumont-Ganneau, Le
Papyrus Euting, dans Recueil d'Archéologie Orientale (t. \'I, p. 221 suiv. Paris, 1904); :

— R. P. La(.ran(;e, Les papyrus araméens d'Éléphantine (à propos de Aramaic Papyri


discovered al Assuan, edited by A. 11. Savce, with the assistance of A. E. Gowley, and

\vith Appendices by W. Spiei;elber(; and Sevmoir de Ricci, Londres, 1906), dans R.B., 1907,
p. 258-271; —
R. P. La(;ran(;e, Les fouilles d'Éléphantine, dans R.B., 1908, p. 2(50-267;
— R. P. La(.ra.m;e, Les Nouveaux papyrus d'Éléphantine (à propos de Eduard Saciial,
Drei arnmaische Papyrusurkunden aus Elepliantine, Berlin, 1908j, dans R.B., 19ii8,
p. .325-849-, —
F. Nau, Ahir/ar et les papyrus d'Éléphantine, dans R.B., 1912, p. 68-79;
— R.B., Recension (p. 127-137] par le R. P. Lagrange de Eduard Saciial, Ara-
1912,
maische Papyrus iind Ostraka aus einer jiidischen Militar-Kolonie zu Elephantine,
Altorientulische SprachdenkmOler des 5 Jahrhunderts vor Christ (Leipzig, 1911);
— R.B., 1912, Recension (p. 575-587) par le R. P. Lagrange de divers ouvrages et articles
dont la publication de Sachau avait été l'occasion; —
etc. On lira aussi, dans la Revue
l'ratii/ue d' Apologétique (1908, p. 607-618), E. Tisserant, Une colonie juive en Egypte
au temps de la domination persane. —
Nous aurons à revenir, dans la suite de notre
travail, sur le contenu des Papyrus d'Éléphantine; nous compléterons alors la Biblio-
graphie.
(2) Os., MI, 11.
{S) II Reg., xv, 29.
(4) II Reg., xvii, :i-6; xviii, 9-11.
T() ur.vri' itiiu.ini T..

maîtres de la grande vallée. Au ((«mps d'Kzécliias, Isaïc ccnsui-ait


ceux (jiii, - à travers une contrée de détresse et d'anî;oisse, où vivent
10 lion ot la lionne, la vipère et le drag'on volant, portent leurs
richesses sur le dos des ;\nes et leurs trésors sur la l)osse des cha-
meaux à un peu[)le ([ui ne sert de rien, à ri\i:y[)te dont le secours
n'est que vanité et néant, à celle qu'on peut nommer la Snper'l)e qui
reste assise » (1). Nul doute qu'à la faveur de ces bonnes relations,
beaucoup de .ludéens, voyant les armées de Sennachérib promener
partout la dévastation et la mort, ne soient allés, comme jadis Jacob
et ses fils, chercher refuge à la vallée de l'abondance. Si le règne de
.losias et celui de l'éphémère Joachaz marquèrent un arrêt dans les
relations diplomatiques des deux penplcs, celles-ci reprirent de plus
belle avec Joachim ; l'intronisation de Riblah (2) avait fait de .luda le
vassal deNéchao. On ne
l'oublia pas quand, avec Nabuchodonosor, le
péril chaldéen parut devoir succéder au danger assyrien Jérémie ;

eut à blc\mer les nouvelles alliances (3) comme Isaïe avait blâmé les
anciennes. Vers cette même époque d'ailleurs, d'autres relations s'éta-
deux peuples. Parlant des colonies juives d'Egypte,
l)lissaient entre les
le fait remonter la première origine à Psammc-
psendo-Aristée en
ti(jue Avant ceux-ci [ceux qui étaient venus avec le Perse], d'au-
: ('

tres avaient été envoyés comme alliés pour combattre avec Psanmié-
tique contre le roi des Éthiopiens » (^^).Il n'y a pas lieu de rejeter
cette donnée et l'on peut songer à Psammétique I, ce prédécesseur de
Néchao qui, dès le temps d'Assurbanipal, avait entrepris et de se
soustraire au joug assyrien et de rejeter, au profit des vieilles dynas-
ties nationales, la domination des rois éthiopiens. C'est donc à titre

de mercenaires et pour y fonder des colonies militaires que, dès le


milieu du septième siècle, nombre de Judéens descendirent vers
l'Egypte; telle fut, à ce qu'il semble, l'origine de la colonie d'Élé-
phantine. On comprend dès lois que, grâce à ces relations amicales,
on ait pu
60i peut-être, en 597 en tout cas et en 587, des
voir, dès
caravanes de Judéens s'acheminer, en fuyant les armées de Nabucho-
donosor, vers pays des Pharaons. Nous n'avons pas, il est vrai, de
le

renseignements précis pour ces dates. Mais nous sommes documentés


à propos d'un mouvement qui prit place quelques années plus tard.
11 apparaît si naturel qu'on est en droit de penser à une habitude

(1) Is., XXX, 0, 7,

(2) II Re?., xxiil, 3'i, 3.").

(3) Jer., II, 18, ;]6.

(4) Cf. H. B. SwETE, An Introduction to the Old Testament in (jree/i; Appeudix. The
Lelter of Aristeas, p. 521, 1. 13, 14.
L'AME JUIVE PENDANT LA PÉlilODE PERSANE. 77

depuis longtemps contractée. Nous avons dit quelle terreur s'empara


des Judéens demeurés en Palestine après que Godolias eut été tué
par IsniJiël. Instinctivement ils songèrent, en masse, à se retirer en

Egypte (1). En vain Jérémie, répondant à leur consultation, essaya-t-il


de les en détourner, leur donnant l'assurance que Yahweh exciterait
en leur faveur la compassion de Nabuchodonosor i^â). Ils persistèrent
dans leur dessein; même ils emmenèrent avec eux le prophète et son
fidèle secrétaire Baruch (3). C'est dans ces récits que nous trouvons
quelques indications, les seules que nous possédions pour cette épo(|ue,
sur les endroits où s'établirent les l'ugitifs (i). On nomme : Migdol,
dont le nom est encore sémitique et qui se trouvait, soit à la première
halte après le passage de la frontière palestinienne, soit au sud-ouest
de Péluse; Taphnès, plus tard Daphna, dont on a identifié les ruines
avec Tell Daffaneh, au sud-est du lac Menzaleh, au nord-ouest d'El-
Kantarah; Noph ou Memphis, l'ancienne capitale de la Basse-Egypte,
au sud du Delta. On mentionne aussi Pathros, identique à l'égyptien
Pa-to-rh; mais ce n'est plus un nom de ville, et il s'agit de la Haute-
Egypte. On peut donc dire que, dès cette époque, il y avait des fils

d'Israël tout le long de la vallée du Nil, jusqu'à la première cataracte.


Leurs colonies, civiles et militaires, s'échelonnaient depuis la limite de
la Palestine jusqu'à Yeb-Éléphantine, Mais quel pouvait être alors Je
nombre de ces réfugiés, appelés à être le premier point de départ de
communautés si importantes? On peut déjà dire que le chiffre était
élevé, mais il faut renoncer à toute précision.

Nous l'avons déjà remarqué. La Palestine n'était plus habitée que


par un reste d'Israël, et les documents où l'on peut trouver des ren-
seignements directs ou indirects, les Lamenlations par exemple,
évoquent l'idée d'une grande désolation et d'un peuple très réduit.
11 faut toutefois, en lisant ces descriptions, faire la part de l'hyper-

bole et de la poésie. La capitale paraît avoir été profondément, at-


teinte « la cité pleine de peuple est maintenant solitaire; celle qui
:

était reine parmi les nations est telle qu'une veuve » (5); surtout elle a
perdu les éléments qui faisaient sa force, roi, gens de la cour, nobles
et princes, prêtres et prophètes, magistrats, artisans (6). De tels sou-

tiens la province, elle aussi, a été en partie privée. Mais elle semble

(1) Jer., xLi, l(i-18.

(2) Jer., xui.


(3) Jer., XLiii, 1-7.

(4) Jer., xLiv, 1.

(5) Lam., I, 1.

(6) Lam., i, G, 15, 10; ii, 2, C, !), cit.


78 WKWK r.llîl.lOl'Ii:.

avoir conservé une bonne partie du reste de sa population; du moins


les indications précises mampient sur des déportations considéiahles
de ,iiens du pays. Ce (pii p;irait Itien certain, c'est qu'nn groupe assez
important de Judéens se forma peu à peu autour de (lodolias. Dans
la suite vinrent s'y adjoindre des habitants des pays voisins, Ammo-
nites, Moabites, Iduméeus. Philistins, Samaritains; on vit même venir
des Arabes à demi sédentaires (1). D'ailleurs il faut tenir compte
d'une remarque, elle aussi, déjà faite. Le conquérant néprouva pas le
besoin, après avoir emmené les convois de captifs, d'introduire des
colons pris en d'autres régions; c'est de leur propre mouvement que
les Ammonites et autres s'établirent en des cantons peu peuplés. Par
quelque motif qu'elle ait été inspirée, cette mesure était providen-
tielle. Le dommage que créa à la cause nationale le mélange avec
les maigres éléments venus des pays voisins (2) laisse suffisamment
entrevoir que Juda aurait, autant que l'ancien royaume du Nord,
souffert de la présence de colonies introduites par le vainqueur; il
eût perdu et le sens national et le souvenir de son passé religieux.
En se rappelant au contraire que le pays était en jachère, les Judéens
o-ardaient l'espoir d'y rentrer et, sans parler de motifs plus élevés, se
sentaient excités à tout faire pour y revenir. En attendant ce retour,

ceux qui se trouvaient dans le pays ne manquaient pas de terres à


cultiver. On a prétendu qu'avant de prendre le chemin de l'exil, les
prisonniers avaient eu l'opportunité de vendre leurs biens immobi-
liers. On a même ajouté que, obligés de conclure rapidement,
ils

avaient dû se contenter de prix dérisoires, même de simples pro-


messes, quand les acquéreurs étaient trop pauvres pour payer sans
délai; on a voulu expliquer par là l'antipathie des déportés pour
leurs compatriotes demeurés en Palestine (3). La vérité parait autre. A
en juger par les inscriptions assyriennes, dont le témoignage est
recevable en ce contexte, les Judéens laissés au pays reçurent gratui-

tement, qu'ils fussent riches ou pauvres, les terres de ceux qui s'en
allaient; ils n'avaient d'autre obligation que de payer, le moment
venu, des redevances au vainqueur. D'ailleurs, le contraste entre la
joie des nouveaux occupants et la peine de ceux qui partaient peut
être une du ressentiment de ces derniers j. Ces
explication partielle ('i

redevances ils purent les acquitter en livrant à la culture les vastes


espaces dont ils disposaient. Mais ils ne purent changer de sitôt

(1) Cf. >"eh., II, 10, 19: IV, 1 ;


M, 1 ;
etc.
15: vi, 1-1'*, 17-11* xiil.
(2) Cf. Esclr., ix-x; Neh., il, 10, 19; iv, 1, 2, ;

(3) Cf. Bernhard Stade, Geschichte des Volkes Israël, I, p. 68'i-685.


(4) Cf. Erich Klamrotu, Die Jiidischen Exulanten in Babylonien, p, 22-2'i.
L'AME JUIVE PENDANT LA PRRIODE PERSANE. 79

l'aspect lamentable du pays, privé de son


bétail que les envahisseurs
avaient consommé de ses arbres qu'ils avaient coupés, de ses
(1),
villes, de ses villages, de ses maisons, de ses métairies qu'ils avaient

ruinés (2). Quant à tenter une évaluation quelconque des habitants,


il ne faut pas s'y risquer. Non seulement nous ne connaissons pas le

nombre de ceux qui avaient quitté le pays, mais nous ignorons


quelle pouvait être la population du royaume de Juda avant ces cata-
strophes. Le sandjak de Jérusalem compte aujourd'hui trois cent
quarante et un mille six cents habitants. Mais de cette donnée l'on ne
peut guère tirer de conclusion pour le sujet qui nous occupe. D'une

part, le sandjak est plus étendu que l'ancien pays de Juda; d'autre
part, si la population de la capitale est aujourd'hui plus dense qu'au
sixième siècle avant notre ère, on peut penser que celle des cam-
pagnes est sensiblement plus rare. Dans de telles conjonctures, toute
hypothèse serait téméraire.
Un jour qu'après le départ de Joachin et de ses compagnons d'exil,
Jérémie au temple, il vit devant la porte deux paniers de
se rendait
figues qu'on y avait déposés comme offrandes. Lune des corbeilles
renfermait de très bonnes figues, comme le sont les figues de la pre-
mière récolte. Mais, dans l'autre panier, les figues étaient très mau-
mauvaises qu'on ne pouvait les manger. Ce fut pour le
vaises, si
prophète l'occasion d'une parole de Vahweh. Tandis cjue les fruits
détestables symbolisaient les Juifs demeurés en Palestine autour de
Sédécias, les bonnes figues étaient l'emblème des captifs de Juda en-
voyés au pays des Chaldéens; Yahweh ne cesserait de les regarder
avec faveur jusqu'au jour certain où ils reviendraient à lui de tout
leur conu", jusqu'au jour où il les ramènerait au pays (3). Il est tout
indiqué qu'à ces Judéens de l'exil nous réservions d'abord notre
attention.
Le départ des exilés était le moment des lamentations et des atten-
drissements. Les prisonniers ne partaient pas tous à la fois, mais en
plusieurs colonnes. Les hommes étaient enchaînés (4), d'ordinaire
deux à deux; on rendait ainsi impossible tout essai de fuite au cours
du voyage. Des causes bien légitimes pouvaient, en effet, inspirer le
désir de s'échapper. Les captifs marchaient sous la conduite d'un sur-
veillant; il les traitait comme des êtres sans droits aucuns et sans

(1) Cf. Jer., \\\u, 43.


(2) Cf. Is., XLix, 19; u, :î; Jer., xxxiii, 10, 12; \uv, 2, 6; Ez., xxxvi, 10, 33-38; Lam.,
V, 18. etc.

(3) Jer., XXIV.


(1) Cf. Jer., XL, 1 ; Is., XLV. li.
80 lii:\l t: lUBLlULiE.

volonté, les méprisant et les brutalisant à son gré (1). Il leur donnait
sénéralement la pernnssiou d'enlever de leurs maisons les ustensiles

les plus indispensables; les hommes les portaient de leur main de-
meurée libre, tandis ([ue les femmes les mettaient sur leur dos dans
de petits sacs. Le trajet se faisait à pied et, pendant la nuit, on cam-
pait en plein air (2); souvent toutefois, d'après les bas-reliel's (3), des
femmes étaient installées sur des chars à juulets, avec leurs enfants
et leur mince bagage.
De Jérusalem on remontait vers le nord. La principale des cara-
vanes de 587 fit sa première étape à Rama, à quelque dix kilomètres
de la Ville Sainte; Nabuzardan y procéda à une nouvelle inspection
et sépara de ceux qui devaient continuer le voyage leurs parents et
connaissances. Il donna aussi la liberté à (juelques prisonniers qu'il
jugeait dignes de plus d'égards (i). Jérémie fut du nombre; il nous a

conservé, dans un oracle célèbre, l'écho des scènes déchirantes '

auxquelles donna lieu la suprême désolation de ceux qui ne devaient


plus se revoir (51. Tant que Ion demeurait dans la Palestine, les
épreuves du voyage étaient mesurées et l'on pouvait trouver quelques
moyens de ravitaillement. Les étapes terribles étaient celles qui se
succédaient dans le grand désert syrien, là où,])our le retour, le pro-
phète voulait qu'on frayât le chemin de Yahweh qui marcherait à la
tête de son peuple (6). Les souffrances, surtout en pleine période des
chaleurs, étaient atroces; beaucoup de prisonniers mouraient sur le
chemin. On a des raisons de penser que le voyage dura environ cinq
mois (7).
Les conditions faites aux prisonniers, à leur arrivée sur la terre
d'exil, furent des plus variables. D'aucuns avaient été, au moment
de la prise de Jérusalem, choisis comme esclaves. Nombre d'entre eux
avaient été vendus à des marchands phéniciens de Tyr et de Sidon,
qui devaient ensuite en trafiquer avec les Grecs (8). Mais les autres

(1) Cf. Jer., XX, 4.

(2) Cf. Mi., IV, 10.

(3) Ce sont, en effet, les bas-reliefs assyriens qui constituent les iiriiicipaux documenls
sur ce sujet.
('t) Jer., XL, 1-5.

(5) 11 semble, du moins, qu'on puisse voir en cette scène l'occasion de Jer.. \xu, 15.

(6) Is., XL, 3-5.

(7) Quand Esdras revint, avec sa caravane, de


Bal)ylone à Jérusalem, il partit le l"" du
premier mois et arriva à la Ville Sainte le 1" du cinquième mois (Esdr., vu, 9). On peut
aussi noter que, dans Ez., xxxiii, 21, une correction basée sur la version syriaque
(« onzième année » au lieu de « douzième année «) ramène à six mois (du cinqutriéme

mois [II Reg., \\v, 8] au dixième [Ez., xxxiii, 21]) la durée du voyage du fugitif qui vint
de Jérusalem annoncer à Ézéchiel la chute de la capitale.

(8) Cf. Jo., IV, 3-8; Deut., XXMII, 08.


1;a.ME juive pendant la période persane. 81

ivaient ('té amenés en Chaldée; ils demeurèrent dans leur condition

t l'on put voir, en particulier, des princes de Juda faits eunuques


a la cour de Babylone (1 Dans la suite, Tesclavage dut être le châti-
).

ment de ceux qui ne pouvaient payer leurs dettes ou qui se laissaient


entraîner dans quelque acte d'insubordination; ils perdaient alors tout
espoir de revoir le sol de la patrie. S'il fallait prendre à la lettre
certains passages prophétiques, notamment dans Is., xl-lxvi (2), on
devrait conclure que, sur la terre étrangère, nombre de Juifs auraient
été incarcérés. On admettra facilement qu'au moment de la reddition
de la personnages influents qui ne furent pas exécutés à
cité, les

Riblah furewt séparés de la masse du peuple, mis sous bonne garde


et internés dans quelque citadelle mais ni leur nombre, ni les ;

traitements auxquels ils furent soumis ne paraissent justifier un lan-


gage que l'on doit pourtant hésiter à regarder comme hyperbolique.
On peut remarquer, il est vrai, — les preuves ne manqueraient pas en
faveur de celte hypothèse, — qu'en. Babylonie, comme dans le reste

de l'Orient, les emprisonnements en masse n'étaient pas rares. Très


variées étaient les colonies qui peuplaient le pays et les rivalités ne
manqueraient pas d'être fréquentes. L'occasion était bonne alors
pour ceux qni avaient les faveurs du pouvoir de se venger de leurs
adversaires en les faisant emprisonner et en s'emparant de leurs
biens. Une remarque toutefois est à faire. Ni Jérémie, ni Ézéchiel
n'insistent sur ces emprisonnements. On est en conséquence amené à
se demander si, à mesure qu'av^ançait la période de l'exil, sous l'in-
fluence de circonstances et de troubles qu'il serait peut-être assez
facile de préciser, la situation des captifs judéens n'avait pas empiré;
à lire certains textes (3), on dirait une période de bouleversement
durant laquelle les prisons officielles ne suffisaient pas, durant
laquelle il fallait recourir aux cavernes du pays. Il va de soi d'ail-
leurs que les épreuves de ces détenus étaient des plus variables selon
leur degré de culpabilité et la sévérité de leurs juges.
Il faut néanmoins se hâter de le reconnaître. Tout autre et bien

meilleure était la situation de la grande majorité des exilés. On les


installa en divers points du district de la capitale. Il semble qu'en
dehors de ceux qui devaient être emprisonnés ou soumis à une vigi-
lance très spéciale, on ne fixa dans Babylone môme qu'un petit nom-
bre de Judéens; il fallait éviter de oonstituer des groupements trop
compacts, si l'on voulait écarter jusqu'à la possibilité des conspira-

(1) Cf. II Reg., x\, 18 = Is.. xxxix, 7.

(2) Is., XLli, 7, 22; XLix, 9 (?); etc.


(3 Is., XLii, 22; cf. I.U, 2'-
(?).

REVUE BIBLIOIT, 1917. — N. S., T. Xl\. 6


Des indices assez précis mai-queut (lu'un oeitaiii


nombre au
lious.
populeuse cité (1). On les
moins des captifs n'étaient pas loin de la
au courant de ce qui s'y passe; ils en con-
voit, en eltet. parfaitement
vu monuments, les temples et les
naissent le traiic (-2), ils en ont les

non moins explicites montrent


palais ^3). Mais d'autres témoienages
campagne ,>.)• Us sont réunis en petits groupes, dont
qu'ils habitent la
les colonies juives ou européennes de la Palestine moderne pourraient
semhle-t-il, on les ren-
donner une idée assez exacte, i.e plus souvent,
répandaient la fertilité dans
contre sur le bord de ces canaux (5) qui
facilitaient grandement les communications.
le pays et qui, d'autre part,
L'Écriture nous a conservé les noms de certaines
des localités, qu'ils

habitaient Kerub, 'Addan. Immer (6), mots qui ne nous disent


:

rien (T); Kasiphiah [Yahreh est ma


ressource'^.) (8), dont l'origine

hébraïque indique une installation toute nouvelle; Tell


nettement
du sel), Tell l.larsa (tell de la
Abib (tell des épis) (9^, Tell Mélal.i (tell

dont le premier élément (hébr. Sn, assyr. tilhi) signa-


charrue) (10),

lerait une colline de ruines et nous inviterait à penser à quelque


rendue
vieille localité à l'existence (11).
suffire par le
Dans ces diverses colonies, les Judéens devaient se
travail de leurs mains. Comprenant
que le meilleur moyen de calmer
effervescences était de les attacher au
leurs ressentiments ou leurs
plus ou
sol, les autorités mettaient à leur disposition des terrains
moins considérables, sur lesquels ils auraient à bâtir des maisons,
déportés
aménager des jardins, organiser des cultures. Au début, les
et d'établissements fix«5.
ne pouvaient se faire à l'idée d'installations
S'arrêter à une telle pensée leur eût
paru faillir à l'amour de la patrie

Jérusalem; leur devoir était de se contenter de cam-


et au souvenir de
pements aussi précaires que possible, afin de se tenir toujours prêts
en Palestine. Dans la lettre qu'il
pour la date prochaine du retour
cette attitude et cette illusion
leur écrivit, .Jérémie protesta contre
prochain, il engageait
des exilés. Écartant les rêves de rapatriement

Li, ;.9-tii.
(1) Cf. Jer.,
f9^ F/ wii 'i

On souvent signalé 1 inllueuce de


a la vue des sculpluies des palais et des temples
(Z)
complexes de la vision inaugurale dÉzéchiel (Ez., i).
de Babylone sur les images
Cf. Ez., m, 15,22, 23; xwvii, 1.
(4)

(5) Cf. Ps. CS.XXVU, 1.

((i>.Esdr., II, 59 = Ne., vu, 61.


assyro-babylonienne.
(7) Ils sont probablement d'origine
Esdr., VIII, 17.
(8)

(9j Ez., m, 15.

(10) Esdr., II. 59 = Ne., vu, Gl.


les colonies de Sura, Pumbeditha, Nehardea.
(11 Le Talmud mentionne encore
• i/AMK .iriVE PKNDANT LA PÉKIODK IMÏRSANE. ?>J

ses compatriotes à se créer des demeures plus stables, à planter des


jardins, à les cultiver, à fonder des familles pour que la race ne
dépérisse pas (1). Ces conseils lurent bientôt suivis. Quelques années
plus tard on pouvait parler de maisons, de jardins, de vignes, de cul-
ture i'2). Le sol extraordinairement fertile répondait aux espérances
que les exilés, accoutumés à labourer la terre ingrate du pays de
Juda, osaient concevoir.
Il ne faudrait pas exagérer les charmes de la condition faite à ces
colonies, (^n peut relever, au moins au début, des signes certains d'une
peuvent correspondre avec leurs compa-
réelle liberté; les captifs
triotes demeurés au pays (3); on est même surpris de voir des armes
entre leurs mains (i). Chaque groupement était probablement gou-
verné par un sheikh, dont les autorités chaldéennes reconnaissaient
les pouvoirs, sans doute après les avoir elles-mêmes précisés. Des don-
nées incontestables nous montrent les exilés de 597 s'organiser autour
des anciens qui les avaient accompagnés (5); on peut penser que la
même méthode fut adoptée par les caravanes qui vinrent dans la suite.
Mais dans quelle mesure ce prestige des anciens était-il officiellement
reconnu à la cour de Chaldée? Il est croyable que, tant que les captifs
s'acquittaient de leurs obligations, on ne se faisait pas un méchant
plaisir de les vexer et de se mêler de leurs affaires. On peut de ce
chef parler dindépendance, à la condition évidente d'entendre une
indépendance limitée. Les diverses communautés pouvaient demander
l'avis des anciens, suivre leurs directions, en appeler à leurs juge-
ments et s'y soumettre; rien à dire à toutes ces attitudes tant qu'il

n'en résultait pas un conflit avec les lois babyloniennes. D'autre part,
il est difficile d'admettre que les Chaldéens se soient privés des avan-

tages de toute sorte que leur assurait l'introduction de fonctionnaires


nationaux dans l'administration de ces colonies ((}).
Le terrain dont elles disposaient leur était procuré par l'État et
continuait de lui appartenir; nombreux étaient d'ailleurs les inter-
médiaires. Dès lors, tout le labeur des Judéens s'accomplissait dans
une efficace dépendance des maîtres. Ils avaient à acquitter de lourdes
redevances, qui devenaient d'autant plus exorlntantes qu'en les fixant,
on tenait compte du territoire beaucoup plus que de l'importance

(1 .1er., v.vi\, 'i-H.

;,' E/... III, 2') ; VIII, 1; \\\iii, iO, ;!1 :


— iv, 9; xiil, 19; w. 2 sv.; etc.

(3) Jer., \xi\ : Li, 59-<)'n cf. Ne., i, 1, 2.

(4) Ez., Y, 1.

(5) Jer., xxi\, 1; Ez., vin, 1 : \iv, l; \\, 1.

(6; Même sur la terre de Juda, Godolias avait des gens de guerre chaldéens à cote de
lui, sans doute pour le surveiller autant que pour appuyer son autorité (Jer., .\ij, 3).
84 HI.M K IUI5LIUUK.

(le la population et de ses variations; à leur tour, les diverses classes

de fermiers faisaient valoir leurs droits. Le colon avait ainsi nombre


d'appétits à assouvir avant de jouii' du fruit de son travail. Une autre
marque de sa dépendance était la corvée, (lomnie les monarques
assyriens, les rois de CJialdée furent de grands bâtisseurs. Pour cons-
truire leurs temples, leurs palais, leurs quais, leurs digues, une main-
d'œuvre considérable leur était nécessaire. Ils avaient recours à des

levées et, sans distinction de rang ni de profession, les prisonniers


en étaient un contingent très important (1 . Cette mesure n'avait en soi

rien d'une injustice, ni rien qui pût surprendre- dès longtemps, c'était
le sort des déportés. La corvée n'en était pas moins pénible et dur

était le labeur à fournir sous la baguette toujours menaçante du


surveillant de l'entreprise (2). D'autre part, la participation aux tra-
vaux publics entraînait l'arrêt des occupations domestiques et la sup-
pression des avantages qu'on en pouvait retirer.
On le comprend sans peine d'ailleurs. Les différences de conditions
sociales que l'on avait jadis constatées sur le sol de la mère-patrie ne
pouvaient manquer de se reproduire en terre étrangère. On verrait
bientôt une avantageuse aisance côtoyer la plus misérable pauvreté.
Il y en avait qui, privés des choses les plus nécessaires à la vie, se

lamentaient den'avoirpas de pain (3). On dirait encore qu'à cet égard,


comme au point de vue signalé plus haut, la condition de beaucoup
des exilés soit devenue plus pénible vers la fin de la captivité. Sous
l'influence des changements politiques auxquels nous avons déjà fait
allusion, il semble que de la campagne, nombre de déportés aient été
amenés dans la capitale [k], où ils manquaient de tout. D'autres, en
revanche, grâce à leur activité agricole ou industrielle, étaient arrivés
à des situations à propos desquelles il convient de prononcer le mot
de richesse On a pu dire, en outre, qu'au cours de l'exil, les Juifs
(5).

apprirent lecommerce et acquirent en ce domaine d'exceptionnelles


aptitudes. Non qu'auparavant Israélites et .ludéens aient été complè-
tement étrangers au négoce (6). Toutefois leurs relations avec la

(1) Les indications à ce sujet sont fournies par les bas-reliefs assyriens, les inscriptions,

les contrats.

(2) Cf. Is., XLVii, e"-?; Li, 23; Lam., i, 1 ;


v, 5.

(3) Cf. Is., Li, 14.

(4) Is., XL-Lv paraît supposer que les captifs ou, au moins, des groupes importants sont
à Babyïone.
(5) Esdr., II, 65 = Ne., vu, 67 nous parle des esclaves et des serviteurs de ces riches ;

Esdr., II, 69=:Ne., vn, 70-72 nous montre ces derniers capables de faire de larges aumônes
pour les œuvres de restauration; Esdr., i, 6 et Zach., vi, 9-11 témoignent dans le même
sens.
(fi) Cf. Am., MU, 4-6; Ez., vu. 12, 13.
LA.MK JLIVK PKNDANT I.A IMLIllODE PEHSAlNE. 80

métropole du trafic oriental (1 n'allaient pas être sans exercer une


[)rofoncle influence sur l'esprit inventif des captifs. Ce n'était pas
tout d'un coup que ce changement se produirait dans des colons d'a-
bord attachés au sol; d'autre part, il ne se réaliserait pas sans avoir
pour conséquences d'autres modifications très importantes. Amos se
plaignait déjà de ce que le goût du commerce entrahiait chez les
Israélites un véritable relâchement moral (2). L'inconvénient devait
être pour le moins aussi grave sur la terre d'exil. Par leur tempéra-
ment national comme en raison de leurs principes religieux, les Ju-
déens étaient d'abord réfractaires à ces relations avec l'étranger que
de toute nécessité le commerce occasionne. Cette fermeté ne fut pas
de longue durée. Sans qu'ils renoncent totalement au souvenir de la
patrie et de leur Dieu, un grand nombre de ces déportés acceptèrent
une sorte d'apostasie pratique et se mêlèrent de plus en plus aux
païens. Les noms israélites sont rares dans les contrats babyloniens
du début du sixième siècle; mais dans la suite ils deviennent chaque
jour plus nombreux. Et c'est ainsi que ces enrichis du commerce
sont perdus pour l'avenir et l'espoir d'Israël. On les verra, au moment
de l'édit de Cyrus, se désintéresser du mouvement de retour en Pa-
lestine,de la restauration nationale; tout au plus consentirout-ils à
lui prêter leconcours de leurs ressources financières. D'ailleurs, l'in-
ditTérence sera presque égale chez ces autres enrichis dont nous par-
lions auparavant. Eux non plus ne manifesteront aucun empresse-
ment à profiter de l'édit libérateur |3), quittes à montrer plus de zèle
pour venir au secours de ceux qui voudront re])âfir le temple de
YahAveh et rendre Jérusalem habitable (V).
C'est ainsi que le séjour en Chaldée risquait de priver le peuple de
Dieu des éléments sur lesquels on pouvait fonder les plus légitimes
espérances. Mais le danger était beaucoup plus universel. Des dé-
portés le plus grand noml^re était dépourvu de toute éducation, de
toute culture de l'esprit. En entrant en contact avec la civilisation
babylonienne, ces âmes sans vigueur ne comprirent pas ce qui en
pouvait faire le véritable intérêt. Ils s'arrêtèrent uniquement à l'exté-
rieur, ils se laissèrent prendre et séduire par les avantages et les
charmes d'une vie facile; eux aussi se mêlèrent en grand nombre à
la population qui les entourait et furent perdus pour leur nation.

(1) Is., xLvii, 15: Ez.. wii, 4 témoignent tic l'importance commerciale de Babylone.
'^2) Am., Mil, '1--.
3 et. Esdr., 1, 5. Ainsi que l'a compris Joséphe, la formule « tous ceux lionl Dieu excita
IVsprit » a ftlutôt une portée restrictive.
I Cf. Esdr., I, 6; \ii. 10.
Seules les Ames élevées surent pénétrer au fond des choses et ne pas
se laisser éblouir [);n' des dehors superlîciels. Mais ceux-là mêmes
n'étaient pas sans courir de périls. Les relations nécessaires avec les
vainqueurs — et elles étaient très fréquentes -r- produisaient des ell'els

dissolvants. Aussi bien les fils d'Israël n'étaient pas les seuls étrangers
dans ces vastes centres de cosmopolitisme. Ils voyaient autour d'eux
des multitudes d'hommes venus de tous les pays, qui peu à peu
perdaient le souvenir du sol natal pour s'attacher à la terre qui leur
donnait le bien-être; le grand nombre des captifs d'autres races ne
devaient jamais retourner dans leurs patries. L'exemple devait être
fatalement contagieux. D'autre part, les .ludéens, pas plus que les
autres colons, ne pouvaient opposer une résistance absolue aux efforts
multipliés en vue de les assimiler à la population chaldcenne. Impos-
sible de se fermer entièrement aux influences du milieu; force était
d'adopter peu à peu des usages étrangers, des façons de penser étran-
gères. D'ailleurs, les rapports
séculaires avec les Assyriens et les
Babyloniens avaient créé, chez les Judéens comme chez les Israélites,
des courants de sympathie si les coups portés à la vie nationale
;

avaient pu momentanément les ralentir, ils ne tarderaient pas à se


manifester de nouveau. A lous ces points de vue, les faits eux-mêmes
nous dispensent d'insister sur les hypothèses, ('/est au cours de l'exil
que les Judéens commencent à perdre l'usage de leur langue tradi-
tionnelle. Sans doute, ils n'apprennent guère l'idiome propre des
vainqueurs, l'assyro-babylonien, dont l'étude est si compliquée; mais
ils se mettent à parler l'araméen, c'est-à-dire la langue internationale

dont leurs maîtres aiment à se servir et à favoriser la diffusion.


Vers le même temps, ils commencent à abandonner la vieille écriture
phénicienne pour adopter l'écriture araméenne, prototype de l'alpha-
bet carré. On les voit aussi donner à leurs enfants des noms babylo-
niens, même des noms théophores(l), sans vouloir d'ailleurs faire acte
d'apostasie ou d'irréligion; on les voit échanger leur calendrier
contre celui de leurs maîtres (2), Bref l'influence babylonienne pénètre

(1) Tels les noms de Sesbassar (Esdr., i. 8j, de Zerubbabel (Esdr., ii, 2 , Sar'éser (Zach.,
vn, 2), etc.

(2) Avant l'eiil, il semble que les Israélites et les Judéens désignaient les mois par les
noms que leur donnaient jadis les Cananéens (Abib, Ziv, Ellianîin. etc.). C'est sous l'in-
fluence des Babyloniens (jue les Juifs paraissent avoir cessé de faire commencer l'année
civile àl'automne pour l'inaugurer au printemps; c'est à la suite de ce changement qu'ils
ont sans doute adopté l'usage de désigner les mois par le rang qu'ils occupent premier :

mois (Mars-Avril deuxième mois (Avril-Mai), etc. Pins tard les noms cbaldéens (iNisan,
.

'lyyar, Siuan, etc.; entrèrent peu à peu dans la coutume et Unirent par exclure les autres
désignations.
L'AME jriVE PENDANT LA FEMODE PERSANE. 87

l»ar On comprend la grandeur du pé-


tous les pores de l'àme juive (1).
ril. Il que coururent
rappelle celui les Israélites lorsque, entrant dans
Il Terre Promise, ils commirent l'imprudence de se mélanger aux Ca-

nanéens. Il est môme plus grand puisque, cette fois, le peuple de Di-eu
est en terre étrangère. C'est la nationalité elle-même, c'est l'avenir de
la race, c'est l'avenir du monothéisme qui sont menacés. Gomme au

tt^mps des Juges, il n'y a qu'un remède. Le salut ne peut venir que
l'un envoyé de Dieu qui, groupant autour de lui ceux qui ont gardé
ic souvenir du temple et de la patrie, s'applique à maintenir dans leur

esprit les idées qui de tout temps ont constitué le lien le plus fort de
li vie nationale. On saisit, d'après ce qui précède, qu un petit nombre

spulement de fidèles consentira à subir cette influence. Ce sera le


[)etit reste dont parle Isaïe (2), mais c'est à ce petit reste qu'Israël

devra de survivre à la plus terrible des épreuves.


L'envoyé de Dieu sera le prophète Ézéchiel.
Le livre de Jérémie nous fournissait pour la biographie du prophète
un grand nombre de renseig-nements directs; il se disting-uait à cet
égard des recueils des autres voyants. Celui d'Ézéchiel rentre dans la
règle générale; il est très sobre en données relatives à la personne
même de son auteur. Heureusement, à côté d un certain nombre
d'indications assez précises, on peut recueillir une multitude d'élé-
ments d'une très grande valeur pour la reconstitution de cette phy-
sionomie et de cette carrière, l'une et l'autre si singulières. Le pro-
phète, en qui l'action de l'Esprit révélateur ne détruit pas la nature,
s'exprime dans son style, dans sa manière de prêcher la parole de
Dieu, jusque dans la direction particulière de ses idées religieuses.
D'autre part, en ses discours et en son action , on saisit aisément
le reflet des circonstances et du milieu dans lesquels il a vécu.
On ne saurait émettre une opinion tant soit peu ferme sur la date
de la naissance d'Ézéchiel. Beaucoup d'exégètes ont cru, dans le

passé, c[u'ils pouvaient à ce sujet s'appuyer sur le premier point de


repère chronologique du livre : « En la trentième année. » (3) Malheu-

I Pour ce qui a trait au séjour des déportés en Babylonie (question plutôt secondaire
m notre sujet nous avons tenu compte de diverses références du petit volume d'Erich
Kr.vMROTH, Die Jiidisclien Exulanten...
(•>! Is., VI, 13''.i.

'3) Ez., I, 1. L'expression « en la trentième année » a été interprétée de façons 1res di-
verses. Les uns l'ont mise en rapport avec une ère spéciale soit avec lère qui aurait eu
:

pour point de départ en .luda la découverte du Deutéronome Targum. .S. Jérôme, Ideler,
liavernick. etc.). soit avec l'ère babylonienne qui aurait commencé avec le moment
.1)25 où N'abopolassar se proclama indépendant iEichhorn, Rosennuiller, Keil. von Orelli,
Smend, etc.). soit encore, selon l'exégèse des anciens rabbins, avec une ère jubilaire (.)o-
,

88 HEVUE IMHI.inUK.

reuscmeiil le sons de celte formule deiueiire Ir^s douteux. Si clic


du voyant au moment de sa vt)eation et de sa vision
iniliquait l'Aide
inaugurale, on l'an 5 de la captivité de .léchonias (1^, on serait amené
à conclure qu'il lUKjuit vers 022; ainsi, le prophète aucpiel on a (ant
de l'ois de deutéronoinicpic, aiii;iil vu le jour
aj>pli(]ué ré[)illiète
Tannée même
découverte du u livre de la Loi » 2). Kils de lUizi,
de la

Ezéchiel appartenait ;\ une famille sacerdotale et était [)rètre hii-


méme (:3). Les privilèges iju'en sa vision de l'organisation future du
culte, il reconnaît aux descendants de Sadoq (V) invitent à croire qu'il
se rattachait à cette famille et, par voie de conscciuence, au clergé liié-
rosolymitain; il était donc appelé à exercer au temple les fonctions
proprement sacerdotales. L'intérêt qu'il ])orte aux choses du culte (5),
la connaissance qu'il témoigne du sanctuaire (6) conlirment cette
donnée; ils permettent même de croire qu'il avait déjà commencé à
exercer les charges de son ordre (7). A lire la comparaison qu'il éta-
blit entre le passé des Sadocides et celui des autres lévites (8), on
serait tenté de penser que la conduite du clergé métropolitain avait
toujours été exemplaire. Des indications précises des livres histo-

seph Qimchi). D'autres opèrent une correclion :


QlujS'kl^ proviendrait de 'l 'Q^ia^ dans le-

quel le ") aurait sa valeur numérique de lo ; il s'agirait de la treizième année et l'indicalion


se rapporterait au règne de Nabuchodonosor (Luzatto). — On a. à plusieurs reprises (Uri-
gène, Carpzov, Hengstenberg, Kloslerinann, etc.), vu en ce meinbri' de phrase l'indi-'atioii
de du prophète; Ezéchiel l'aurait inar(|ué
l'âge parce que la trentième année était celle on
H au temple, s'il n'avait pas été transplanté sur la terre d'exil. La
serait entré en fonction
formule hébraïque manque de précision pour indiquer cette idée; aussi des restitutions
ont-eliesété tentées parles niddernes (lloubigant, Eichhorn, Gnlhe, NVinckler, Kraetzschniar.
— D'après Dulini et Berthollet, on serait en présence d'une
remarque duo à un copiste,
Jérémie xw. il) avait fixé à Or une action symbolique
soixante-dix ans la durée de l'exil.
d'Ézéchiel semblait indiquer qu'à partir du moment oii il l'accomplissait, la captivité du-
rerait encore (juarante ans (Ez., iv, 6). On en aura conclu que l'épreuve durait déjà
depuis trente ans quand le prophète a reçu sa mission. C'est ce que signifierait l'interpola-
tion du copiste. —
Récemment M. van Iloonacker (Le titre primitif du livre (VÉzéchii'l
dans K. B., 11*12, p. 24l-253j émettait l'idée que ces « trente années » étaient, en chilTres ronds
(en réalité les données chronologiques du livre n'aboutissent guère qu'à vingt-deux ans;
mais on peut supposer des omissions l'évaluation de la durée du ministère du prophète.
— On ne peut pas dire qu'aucune de ces opinions entraine invinciblement l'adhésion.
(l)Ez., I, 2.

(2; Cf. Il Reg., xxn, 3 sv.


(3) L'épithète « prêtre » peut se rapporter à Ezéchiel aussi bien qu'à Ruzi (Ez., i, 3).
(k) Ez., XLiv, 15-31.

(5) Ez., xvui, 6% 9", etc.; xx, 12, 13, etc. ; xxn, 8, 26, etc.; xi.-xi,\i.

(6) Ez., VIII, 5-18; IX, 3; x, 18, 19.


(7) D'après Num., viii, 24, les Lévites entraient en fonction à vingt-cinq ans: dans Num.
IV, 3, c'est pareillement des Lévites en général qu'il est question.
(8) Ez., XLiv, 10-31.
I;AME juive pendant la période persane. Hit

riques (1) et des livres prophétiques (2), du volume d'E^zéchiel lui--

même 3 ,
marquent qu'il faut se défier d'une impression dépourvue
de nuances par trop favorable. Ce qui est certain, c'est qu'il y eut
et

presque toujours au Temple un groupe de prêtres fidèles, profon-


dément attactiés à la religion authentique de Yahweh et faisant, aux
heures de prévarication, monter leurs gémissements vers le ciel. Nul
doute que tel fût le milieu qui exerça son influence sur l'enfant et le

jeune homme que Dieu prédestinait à un si important ministère. C'est


dans cet entourage, c'est à l'ombre du grand sanctuaire que sa piété
se développa et revêtit ce caractère qui la distingue de celle de ses
prédécesseurs un attachement profond au culte et aux rites.
:

Mais ce trait distinctif ne doit pas nous faire perdre de vue la multi-
tude de ceux par lesquels Ézéchiel se rattache à la grande tradition
des anciens voyants. Les procédés dont il use dans l'accomplissement
de son ministère sont les mêmes que ceux auxquels avaient recours
ses devanciers. Comme eux il fait des discours; si les visions et les

actions symboliques tiennent une place plus importante dans son re-
cueil, ce n'est pas une raison pour oublier qu'on en trouve aussi dans
ceux d'Amos (4), d'Osée (5), d'Isaïe (6), de Jérémie (7). D'autre part, les
idées qu'il développe sont dans la connexion la plus étroite avec le v

grand courant de la prédication prophétique. Il y a plus. xV un plus


haut degré que ses prédécesseurs, semble-t-il, Ezéchiel a pris contact
avec la littérature du passé; les points de contact sont nombreux
entre son livre et ceux d'Amos (8), d'Osée (9), d'Isaïe (lOj. Toutefois
l'intluenceque par-dessus toutes les autres Ézéchiel a subie, c'est celle
de Jérémie. La chose vaut la peine d'être remarquée. Il semble à pre-
mière vue, en effet, que le fils d'Helcias et le fils de Buzi ne se pré-
sentent qu'avec des contrastes. Le membre du clergé métropolitain
et le prêtre d'Anathoth ne paraissent pas appartenir à la même classe

(1) Pour ne citer qu'un exemple, il est difficile que les désordres dont il est question

II Reg., XXI, i, 5. 7: xxiii, 4, 6, 7, 11, et qui avaient le temple pour tliéàtre. aient pu se
produire sans la participation ou au moins la connivence du clergé métro|)olitain.
(2) Cf. Is., xxMii, 7, 8; Jer., xx, 1-6; xxvi, 7-19 ; etc.
'3) Kz., xxii, •>.& (cf. aussi mu, Ki, où les vingt-cinq hommes qui sont dans le parvis
intérieur ont toutes chances d'être des prètresi.
(4) Am., vu, l-!t; vni, 1-3; ix, l-'(.

(5) Os., I, 1-9; m.


((i) Is., VI; \in, l-'i; XX.
(7) Jer., 1, 1-16; XIII, 1-11; xxiv_; etc.

(8) Cf. Ez., vn (thème de la fin) et Am., vin, 1-3; Ez., \x\, 18 et Am., v. 8, :>(); vni, ;);etc.

(9) Cf. la métaphore de l'adultère d'Israël dans Os., i-iii et dans Ez., M, 'J; xm et xxiii

(oii elle est très longuement développt'tv).

(10) Cf. Ez., xvetls., v, 1-7 (métaphore de la vigne); Ez., xvii, 18 et Is., i, 18; etc.
!I0 ItKM !•: lillU.IOLE.

sociale. Va\ tout cas, les circoiistaiicos (l;ins los(|ii('lics ils ovcrcont leur
ministère sont des plus disscniljlahles. Sur le sol natal, Jérémie sera
avant tout le prophète des suprêmes calamités et les promesses ne
tiendront (junne place restreinte dans son œuvre (1). Eu terre d'exil,
au contraire, si Ézccliiel doit consacrer une partie de son activité à
prédire la fin de Jérusalem (^), une partie au moins aussi considérable
de sa prédication aura pour objet la restauration d'4sraèl (3). Mais sur-
tout les caractères des deux voyants sont aux antipodes Jérémie ne :

•^3eut parler châtiment sans que son cœur s'émeuve et se déchire (4); à

l'opposé, ou dii'ait Kzéchiel inilexible, presque insensible quand il


expose ses visions de ruine; très rarement il laisse échapper un cri
d'épouvante, un a[)pcl à la miséricorde (5). A cet égard, il se rap-
proche bien davantage d'Amos ou d'Isaïe. Or, malgré tous ces con-
trastes, on relève dans le livre d'Ézéchiel des traces umltiples de l'in-
fluence de Jérémie. Les rapports d'idées, nous le verrons dans la suite,
sont très nombreux. Mais plus frappantes encore sont les analogies de
style. Quand on veut comparer le langage du fils d'Helcias avec celui
de ses prédécesseurs, il faut se contenter de rapprochements assez
superficiels. On ne peut méconnaître au contraire que, sans vouloir
citer Jérémie, Ézéchiel le reproduit inconsciemment à maintes et
maintes reprises (6). Nous manquons de renseignements sur les rela-
tions personnelles c[ue les deux prophètes auraient pu avoir à Jéru-
salem. Mais une influence générale de l'action de Jérémie et de ses
premiers oracles ne suffirait pas à expliquer les ressemblances aux-
quelles nous faisons allusion. Ézéchiel a dû connaître et étudier les
écrits du voyant d'Anathoth; il aura sans doute emporté en Habylonie
le rouleau de 60 i et reçu dans la suite les oracles postérieurs à cette

date.
Toutefois si, par de multiples liens, Ézéchiel tient au milieu dans
lequel il a passé sa jeunesse, des traits nettement caractéristiques
signalent sa personnalité et lui une place à part parmi les pro-
font
phètes. Son livre se fait remarquer par le grand nombre de para-

(t) Cf. Jer., III, U-iv, i; IV, 14, 27; x\i, 14, 15; win, 3-8; XXV, 11; wx-xxxiii.
(2) Cf. Ez., i-xxiv (i-xxxii).
(3) Cf. Ez., XXXIIF-XLVIII.
(4) Cf. Jer., IV, 20, 21; vu, U>; viu, 18-ix, 1; M, 18-xil, (j ; Xiv, 7-l:i, l',)-22; xv, 10-
18: etc.
'5) Cf. Ez^, IX. 8; XI. 13.
G) Cf. Ez., II, 8-111, 3 et Jer., i, it; Ez., m, 3 et Jer., xv, 16; Ez., lu, 7 et Jer., i, 18, 19, x\,
20; Ez., m, 14 et Jer., vi, 11, xv, 17; Ez., m, 17 et Jer., vi, 17; Ez.,iv, 3 et Jer., v\, 12; Ez.,

\, 6 et Jer., ii. 10; Ez.. v, 11 et Jer., xiii, 14; Ez., \, 12 et Jer., xxi, 7; Ez., vi, 5 et Jer.,
\ii, 32, viii, 1, 2; Ez., VII, 7 et Jer., m, 23: Ez., vu, 16 et Jer., xi.mii, 28; Ez., \n, 26' et
Jer., V, 20; etc.
1;AME juive pendant la PKHIODK persane. 91

boles (1) et d'allégories (2) plus ou moins longuement développées, qui


visions (3) ne sont pas plus nombreuses que
y prennent place. Si les
dans Jérémie ou Amos, elles se présentent avec des amplifications
et des complexités q^i'on ne retrouvera qu'en Zacharie i, 7-vi. 15. Kn-
tiii, plus (ju'aucun autre voyant, Ézéchiel recourt aux
actions symbo-

licpies iï) et l'on sait juscpi'à et, pour


quel degré elles sont typiques
notre goiit, étranges. Klles ont à ce point étonné les lecteursque sou-
vent ils se sont demandé si le pro])hète les avait réellement accom-
plies, si leur exposé ne rentrait pas dans le genre allégorique ou para-
bolique. On en vient de plus en plus aujourd'hui et avec raison à
s'attacher au sens littéral de ces récits. De tout cela il est facile de
conclure à la riche imagination au tempérament très excitable du et

prophète c'est un principe, en effet, que, d'une manière générale, Dieu


;

adapte ses interventions surnaturelles au caractère et aux aptitudes


du sujet qui en est favorisé. Divers exégètes ont abouti à des consta-
tations plus précises, surtout à propos des actions symboliques; ils y
ont relevé des traits qui témoignent, tantôt d'une paralysie partielle,
tantôt d'une aphasie plus ou moins complète, tantôt d'une irrita-
bilité nerveuse très accentuée ils ont remarqué en outre des varia-;

tions dans cet état qui, après une amélioration notable, s'aggrave à
nouveau quand le prophète perd sa femme, mais qui, en revanche,
cesse à peu près complètement à la nouvelle de la prise de Jérusa-
lem (5). Groupant tous ces traits, on a prononcé le nom de maladie

i; Ez., x\ ; wii: MX, 1-9; \\I, 1-22; wiil, 1-21, 25-42; WMi; wm, 1-9: \\\ii. Cf. Mil,

2-7, 8-16; XIX, lo-l't.


2) Ez., XVI: XXIX, 1-16; x\xi\ ; xxxMli-xxxix.
3) Ez., I, 4-III, 15; vin, 1-xi, 2.'i; xxxvii, l-l'i; M,-xLvin.

(4) Ez., IV, 1-v, 4; XII, 1-16; xxi, 23-28; xxiv, 1-1'», 15-27: xxxvil, 15-28.

(5) L'une des principales monographies relatives à ce sujet est celle de Ki.ostekhxnn. Ezé-
chiel, Ein Beitrag zii besserer Wurdigung seiner Person und seiner Schrift,
dans Theo-
xxiv, 1,
logische Studien und Kritiken, 1877. Partant des dates fournies par Ez., i, 1-3 et
M. Klosterinann prétend que l'on peut suivre, pendant quatre ans, révolution de linfirinite
du propht'te. Les premières indications à relever sont i, 28 (saisissement du prophète qui
:

tombe la face contre terre); ii, 2 (influence de l'Esprit qui le relève); ii, 2 sv. (audition de
Dieu qui lui parle); n. 8-111, 3 (sensation d'avaler un rouleau de parchemin, sensation d'un
iioùt très agréable); m, 4 sv. (certitude du secours d'en haut pour parler au
peuple): m. 12.
ni, 15
14 (sensation d'une force étrangère, celle delEsimt, qui le domine et le bouleverse) ;

fsept jours dans la stupeur). Ce seraient là de premiers symptômes, suivis d'une


période
il faudrait donner une attention
très spé-
assez calme dont on ne peut fixer la durée. Mais
ciale aux signes caractéristiques d'une nouvelle période m, 2'< (nouveau .saisissement de
:

l'Ksprit); III, 25 (sous forme d'annonce, témoignage d'une paralysie qui saisira le
prophète
à
au moins dans ses membres inférieurs et le condamnera, alors que jusque-là il aimait
aller parmi le peuple, a demeurer chez lui, sur sa couche, comme s'il était
attaché avec
4-8
•les cordes): m, 26 aphasie): m, T, îles deux infirmités avec des interruptions); i\ ,

description de l'hémiplégie qui l'atleint tantôt d'un côté, tantôt de l'autre); n, 1-3,
9-11 et
<.>2 lŒVUK lUlJLlUl'E.

nieiitalo. de ciitalepsic, et pi'ctoiiihi (ju'il l'aul clierclier l.i I rxpliralioii


(le nombre des particularités qui distinguent la première i)artie de la
mission du voyant. Il n'y a pas en soi d'impossibilité à ce (pie Dieu se
serve pour son din rc de quelqu'un dont le tenii)éramen( [)hysiqnc a
subi des atteintes; son action révélatrice ne subirait de préjudice qu'an
cas où tous ceux qui lui auraient servi d'intermédiaires donneraient
des signes imiuiétants de débilitation. D'autre part, on voit à l'occa-
sion Dieu tirer parti en ses révélations des diverses circonstances qui
se rattachent à la vie personnelleou familiale des prophètes les infor- :

tunes domestiques d'Osée (1), le célibat de .lérémie (2) deviennent sym-


boles de très hauts enseignements. Répugnerait-il davantage que le
même Dieu révélât à un prophète le caractère providentiel et la valeur
symbolique de telle ou telle de ses infirmités physiques, de telle ou
telle manifestation caractéristique d'un état maladif particulier? Nous
ne le croyons pas. Mais il reste ({ue, pour le présent, la thèse de l'état
cataleptique temporaire d'É/.échiel n'est pas démontrée.
Tel était le voyant qui prenait place dans le cortège d'anciens, de
prêtres, de prophètes que Nabuchodonosor déportait de Jérusalem à

Babylone après que furent sortis de Jérusalem le roi Jéchonias, la


reine-mère, les officiers de la cour, les princes, les charpentiers et
Nous avons déjà dit que la deuxième caravane suivit
les serruriers (3).
la première d'assez près. Les données du livre d Kzéchiel invitent à
rapprocher ces dates plus peut-être que nous ne l'avons insinué tout
d'abord. Nous reviendrons dans un instant sur l'un des traits les plus
caractéristiques du recueil qui nous occupe; il abonde en indications

V, 1-4 'actionssymboliques accomplies en silence, c'est-à-dire en état d'apliasie, le propiiélc


ne pouvant s'en expliquer que plus tard [v, h sv. iv, 12-17 peut exprimer un dialogue
;

intérieur entre Dieu et le voyant] les mêmes actions symboliques attestent qu'Ézécfaiel
;

avait une certaine liberté des membres supérieurs): vi témoifinerait du recouvrement de


la parole, mais vu montrerait, par le caractère saccadé du langage, les traces de son état

maladif; viii, 1 (on vient le voir parce qu'il ne peut sortir; la vision prend sans doute
place entre les deux périodes d'hémiplégie de iv, 4-8); viii, 2-xi, 25 (extase avec actes si-
gnificatifs, peut-être coupés par quelques paroles, ix, 8; xi, 13); xii (recouvrement d'un
certain mouvement, sans doute après la deuxième période d'hémiplégie); \i\, 1 et xx, I

(usage modéré du mouvement, puisqu'on continue de venir consulter le prophète); xii, 18,
XXI, 17, 19 (usage de signes témoignant de rechutes passagères; de même xxi, 14-22, dans
son ensemble, à cause du ton saccadé); xxiv, 16, 17 (la mort de sa femme est pour le pro-

phète l'occasion d'une nouvelle période d'aphasie): xxiv, 25-27 (délivrance complète qui
lui permettra de reprendre i
xxxiii, I-2o] les procédés dont il avait usé au début de son
ministère [m, 16-21]). — 11 est facile de saisir, à première vue, tout ce qu'il y a de con-
venu dans ce diagnostic, dans lequel on méconnaît l'action surnaturelle de Dieu.

(1) Os., i-ni.


(2) Jer., XVI, 1-4.

(3) Jer., XXIX, 1, 2.


i;a.m1' .U1V1-: i'e.ndam i.a péhiode persanl. 03

chronologiques. Or, de ces indications le point de départ, qui semble


être constant, est indiqué par deux formules que l'on peut à juste
titre regarder comme à peu près équivalentes : l'an... de lacaptiv'Ur
de Joacliin (l) et l'an... de notre captivité [^1). Cette équivalence est
rendue plus sensible encore par un détail de synchronisme fourni par
Ez., XL,1 l'an ''25 de notre captivité ..., Pan 14 de la tniine de la
:

ville. En effet, les onze ans qui séparent « l'an 25 » de « l'an 1 ï » cor-
respondent aux onze ans qui séparent « l'an 8(7) » et « l'an 19(18) »
de Nabuchodonosor, c'est-à-dire, d'après la chronologie de II Reg. et
de Jérémie deux sièges de Jérusalem. Sans doute, les indica-
(3), les
tions de dates comptent parmi les éléments auxquels les copistes
portent le plus facilement préjudice; encore est-il qu'on ne doit pas les
modifier sans des raisons évidentes. Il ne nous semble pas qu'elles
existent dans le cas présent et nous en concluons que les deux dépor-
tations prirent place dans la même année. Quelle est au juste cette
année, dont l'importance devient exceptionn-elle, puisqu'elle va mar-
quer le point de départ de l'ère de l'exil? Malheureusement on ne
peut la fixer avec la précision désirable.
dans Au livre des Rois et
Jérémie, elle est déterminée, nous venons de par rapport au le dire,
règne de Nabuchodonosor, mais avec des données divergentes d'une :

part l'an 8, de l'autre, l'an 7. On a vu plus haut que cette différence


pourrait être solidaire d'une variation dans la manière de placer le
début de l'année; il est évident que les périodes qui s'écoulent entre
mars et septembre d'une part, septembre et mars de l'autre,
mode de computation, à deux années dif-
seront attribuées, selon le
férentes. Or, remarque que les campagnes des rois assyro-
si l'on
babyloniens commençaient presque toujours au printemps, on con-
clura que l'avènement de Nabuchodonosor, surpris par la mort
de son père en pleine expédition égyptienne, aura pris place après
mars. Quant à la date de la campagne de Jérusalem, elle aura été
déterminée par le moment même de la rébellion. On place g"énéra-
lement l'avènement de Nabuchodonosor en 60i. Dans le système qui
fait commencer l'année en mars, la période comprise entre septembre

598 et mars 597 appartiendra à la septième année. Que si l'on adopte


l autre computation, l'année de l'avènement du roi de Babylone aura
commencé à l'automne de 005 ; par consé([uent la période de sep-

(1) Ez., I, 2.

(2) Ez., xxxiii, 21; XL, 1.

(3) II Reg., XXIV, 12; XXV, 8; Jer., i.ii, 12, 28, 2î». On remarquera ([iie dans Jer., i.ii, 1-

27, qui est en dépendance étroite de II Reg., \\\. 1-21, la chronologie au, 12) est pareille
i\ relie du livre historique.
'H REVUE HIRUgUE.

toml)rc r)!)S à inai-s r»«>7 a{)j»arlieiidi'a à la Imitiriiio annro. On pi-ul


«les lors penser
Nabucliodonosor arriva devant .lérnsaleni de
(jue
bonne lienre au début de :»!)7 (1). C'est donc assez tôl en raiméc
:»97 ri) que Joachin se rendit et partit en Cbakbie; la caravane
qui
emmenait Ézéchiel ne sui\it que de quehjues mois le premier
convoi.
Lorsque le prophète arriva en Chaldée, on le rattacha à Tune des
colonies organisées par les autorités babyloniennes. Quand il reçut
sa vision inaugurale, il se trouvait dans la gdiûh (groupe de captifs)
fixée sur les bords du Nahar K'har ou, comme traduit la Vulgate,
« sur le tleuve Chobar
» (3). Uien n'indique qu'il y fût alors de passage,

et tout ])orte à croire qu'il y résidait depuis son arrivée eu terre


d'exil. Dans le passé, on a assez souvent identifié ce « fleuve
Chobar »
avec le Habiir (Chaboras des Grecs) (4) qui se jette dans l'Euphrate à
Carchémis. Mais cette rivière n'est pas en situation, elle n'est pas en
terre de Chaldée. Aussi n'hésite-t-on pas, depuis longtemps, à admet-
tre qu'il s'agitd'un de ces nombreux canaux qui parcouraient en
tous sens la Basse-Chaldée, pour y répandre la fertilité et
y servir de
moyens de communication. Même des tablettes, découvertes en 1893
à Xitfer (ancienne Nippur) par M. Hilprecht, ont permis de serrer le
problème de plus près. Il est, en effet, deux fois question, en des con-

tratsde l'époque d'Artaxerxès ï et de Darius II, d'un grand canal


navigable qui passe à \ippur et porte le nom de Ndru Kaharu (étymol.
grand canal). Le rapprochement avec notre Nahar K'bai- est des plus
frappants. Si l'identification est fondée, il s'agit probablement du
vieux canal auquel correspond aujourd'hui le Shatt en-Nil; il se
détache de l'Euphrate près de Babylone, se dirige vers le sud-ouest,
traverse Nifler et revient au fleuve près de Warka (ancienne Érech ou
Uruk) (5). En s'appuyant sur Ez., m, 15, on a parfois donné au village

(1) Cette interprétation nous paraît cadrer assez exactement avec l'expression « au retour
de l'année » {r\Z'Cr\ niîUTpS) dont se sert le Chroniqueur (II Chron., \x\m, lo) pour
marquer la période à laquelle Nabuchodonosor s'achemina sur Jérusalem.
(2J Ceux qui placent l'avènement de Nabuchodonosor en 605 doivent remonter d'une
année les dates des événements qui marquèrent la dernière phase de l'histoire de Juda.
(3) Ez., I, 1.

(4) Cf. II Reg., xMi, 6; xviii, 11 ; I Chron., v, 26.


M. Hilprecht rend compte de la découverte dans le tome X de The Babylonian
(5)

Expédition of Pennsilvania. Sur le sujet qui nous occupe, on peut lire la note de
M. Paul Haupt dans C. H. Tûy, The Book of Ezekiel in Hebreir (The Sacred Boohs of
the 0kl Testament, A critical édition oftlie Hebrew Text printed in colours, icilh notes.
prepared by eminent biblical scholars of Europe and America under the editorial direc-
tion of Paul Hali'T, professor in the Johns Hopkins University, Baltimore), in loc, mieux
encore dans C. H. Toy, The Booh of the Prophet Ezekiel. A new english translation
I/A.ME JUIVE PENDANT LA PERIODE PERSANE. !I5

du prophète le nom de Tell Abib. Le texte favorise peu cette hypo-


thèse ;
de l'endroit de l'apparition divine, par conséquent
eu efiet, c'est

de son séjour, que le prophète va à Tell Abib, sans doute vers une
colonie particulièrement importante d'exilés; il n'est même pas sûr
que cette colonie fût établie sur le Naru Kabaru (1). Le prophète habi-
tait une maison, dans laquelle il pouvait recevoir les anciens de la
localité, et près de laquelle se trouvait une cour où les curieux
venaient l'entendre (2).
C'est au bord de ce grand canal (3) qu'Ézéchiel eut la vision qui le
créait prophète. Elle est datée du 5 du i" mois de l'an 5 de la cap-
tivité de .loacliin(4'i. Cette datationne va pas non plus sans difficulté.
Si le siège de Jérusalem eut lieu au début de 597, il n'est pas sans
intérêt de se demander
adoptée par Ézéchiel commence au
si l'ère
moment où moment où ils arri-
les captifs quittèrent Jérusalem ou au
vèrent en Chaldée, quelque quatre à cinq mois plus tard. Si la com-
putation fait commencer les années à l'automne, la question est sans
conséquence la prise de Jérusalem, le départ des captifs et leur
:

arrivée prendront place dans la même année (septembre 598-septem-


bre 597). Mais si les années commencent en mars, la prise de Jéru-
salem et le départ pourraient avoir lieu la même année (mars 598-
mars 597) mais ; caravane prendra place en l'année sui-
l'arrivée de la
vante (mars 597-mars 596 semble bien, d'une part, que le prophète
. Il

ait en vue cette dernière computation (5) et, d'autre part, qu'il fasse

partir son ère du moment où la caravane à laquelle il appartenait


s'établit en Babylonie. La première année irait ainsi de mars 597 à
mars 596. Cette opinion trouve un appui dans Ez., xxiv, 1, -2. La date
fournie à cet endroit est le 10 du 10' mois de l'an 9. Or, dans le sys-
tème de computation qui nous parait préférable, l'an 9 va de mars 589
à mars 588; le 10 du 10^ mois est donc en janvier 588. Or au début de
l'oracle en question le prophète commence parfaire cette déclaration :

« Le roi de Babylone s'est jeté sur Jérusalem ce jour même. » D'autre

part, le livre des Rois fixe le début du dernier siège de Jérusalem au


10 du 10^ mois de l'an 9 de Sédécias, puis l'entrée de Nabuzardan au

iritli Cl plana tory notes and piclorial illustrations (dans la collection de Paul Haupt
correspondant à la précédente), p. 93 sv.
(1) Le texte n'est pas sans soulever des difficultés.
(2) Ez., vm, 1 ; \iv, 1; \\, 1 ; xwiii, :}0, 31.
(3) Cf. Ez., ni, 23.

(4) Ez., I, 1, 2.

(5) C'est cette computation qui peut lui permettre d'établir une équivalence entre les
années de son exil et celles de l'exil de .loachin. Tel était d'ailleurs le mode de com-
putation en usage en Clialdée.
7du mois de l'an
.')*'
1 1 do Sédécias et de l'an lî) (.1er., i.ii, 20 : l'an 18)

deNabuchodonosor. Oi' le 5' mois (jiii peut appartenir à la lois, selon


le mode de compulation, à Tan 18 et à l'an It) de Nabuchodonosor
est le mois de juillof-aoùt 08". Dès lors, le 10 du 10" mois de l'an
de Sédécias ne peut <Hre ipie janvier 388 (1). — Dans cette hypotbèse,

la vision inaugurale d'KzécIiiel aura pris place à la fin de juin ou


au commencement de juillet 593.

('ette date est loin d'être la seule qui nous soit fournie par le livre

du voyant. On n'en trouve pas moins de treize autres :

ni, 1() « au l)out de sept jours », par conséquent encore dans


: le
4"^
mois de l'an 5 (juillet 593).
viiK 1au 6'' mois le 5 du mois » (lin août ou commen-
: « l'an 6,
cement de septembre 592).
XX, 1 « Tan 7, au 5" mois, le 10 du mois » (août 591).
:

xxiv, 1 u l'an 9. au 10 mois, le 10 du mois » (janvier 588).


:

XXVI, 1 « l'an 11, au irmois?j(2), le I" du mois » (janvier 586)."


:

XXIX, « l'an 10, au 10" mois, le 12 du mois » (janvier 587).


1 :

XXIX, 17 « l'an 27, au 1"' mois, le 1" du mois » (fin mars 571).
:

XXX, 20 « l'an 11, au 1" mois, le 7 du mois » (fin mars ou début


:

d'avril 587).
XXXI, 1 : « Tan H, au 3'' mois, du mois » (fin mai 587).
le 1^''

XXXII, 1 : « l'an 12, au 12" du mois » (fin février 585).


jnois, le 1''

xxxii, 17 : <( l'an 12, [au 12'' mois?] (3), le 15 du mois » (mars 585).
XXXIII, 21 : « l'an 11 (?) de notre exil (V), au lO'' mois, le 5 du mois »

(fin décembre 587).


XL, 1 : « l'an 25 de notre exil, au début de l'année, le 10 du mois,
l'an \k après que fut frappée la ville » (avril 573).
Aucun critique digne de ce nom ne soutient plus aujourd'hui, à la

(1) Cette computation parait entraîner comme conséquence que la désignation de


Sédécias comme vice-roi et, par suite, le départ de Joachin pour l'exil auraient eu lieu
après mars 597. le siège de la ville ayant commencé avant la fin de la précédente année
juive (Février-Mars). La formule vague de II Chron., xxxvi, 10 (« au retour de l'année «)
favorise peut-être l'hypothèse de dates tout à fait aux abords du chani^ement d'année.
On corrigera, d'après ces données, les dates que nous avons adoptées dans la première
partie de notre article 7?./.'., 1916, Juillet-Octobre) Janvier 587 pour le début du dernier
:

siège: Juillet 586 pour la reddition.


(2) Le nom du mois a disparu du texte et des versions. Le vers. 2 suppose la ruine
de Jérusalem. Or cet événement prit place aux 4" (la ville est forcée) et h" (la ville est
brûlée) mois de la même année d'autre part, la nouvelle en arrive en Chaldée le 5 du
;

10' mois (voir xxxiii, 21). L'oracle en question ne peut donc être antérieur au onzième mois.

(3) Le texte massorétique n'a


pas gardé l'indication du mois. 11 ne semble pas que l'on
puisse faire fond sur l'indication des Septante [premier moisj le plus simple est peut- ;

être de supposer que cet oracle est du même mois que celui qui précède.
(4) Sur cette datation cf. p. 80, note 7.
L'AME JUIVE PE.XDAM' L V l'ÉRIODE PERSANE. 97

suite de Smentl, que toutes ou à peu près toutes ces datations sontarti-
licielles. Au regard de cet exégète, une seule date était à retenir, celle
de XL, 1. Elle moment où le prophète avait tout d'un trait
marquait le

procédé à la rédaction de son livre; les autres indications chronolo-


-iques ne seraient qu'un simple procédé littéraire dont le critique
sajtpliquait à reconnaître les mystérieuses particularités (1). Il n'y a
pas à nier que le livre d'Ézécliiel se fasse remarquer par l'harmonie
de sa composition. De ce fait on peut conclure que sa rédaction défi-
nitive a échappé aux vicissitudes qu'il a fallu constater à propos du
recueil de .lérémie. Autre chose toutefois que la rédaction ait été pour-
suivie d'un seul jet, autre chose que les éléments qui prennent place
dans le volume aient été composés pour cette circonstance. Des indices
préc's marquent que le rédacteur
avait à sa disposition des documents
antérieurs lorsciuil entreprit la confection de l'ouvrage actuel. Il n'est
pas rare que des critiques admettent qu'en procédant à l'agencement
définitif^ le rédacteur ait retouché certains oracles pour y introduire
des précisions en rapport avec la manière dont ils s'étaient réalisés ;

on dans loracle du chap. xii, relatif au sort


dit assez volontiers que,
fait à Sédécias au moment de la prise de Jérusalem, les vers. 12-13

auraient été remaniés et mis en conformité plus étroite avec l'événe-


ment. Ce qui toutefois est beaucoup plus frappant, ce sont les heurts,
les apparences de contradiction que l'on remarque en comparant
Un rédacteur qui aurait composé le livre tout d'un
certains oracles.
aux abords de 573, n'aurait pas commencé par laisser entendre
trait,

que Nabuchodonosor allait remporter sur Tyr une éclatante victoire


(xxvi, 1-xxix, Hy),pour dire ensuite xxix, 17-21) que du siège de la
métropole phénicienne le monarque chaldéen n'a rien retiré. A cette
date pareillement le rédacteur n'aurait pas libellé xvii, 17 de manière
à permettre de penser que le pharaon ne viendrait pas au secours de
Sédécias. Ce qui est évident, au contraire, c'est que le rédacteur
avait des documents devant lui, dont il a très fidèlement respecté la
teneur (2). Que si l'on admet l'existence de ces documents, on n'a plus
vraiment aucune raison de suspecter les indications chronologiques
qu on y trouve. Il est légitime de rechercher si telle date n"a pas été
altérée par les copistes; mais rejeter en bloc toutes ces données ne
saurait être le fait d'une saine critique. L'opinion la plus naturelle est

(1) Cf. Hudolpli Sme\(). Der Prophet Ezechiel crkUirl [2' éd.: la première étail de
Hitzig), dans le l\urz<jefasstes exegetisches Uandbuch ziiin Allen Teslamenl, p. \\i sv.
(2) Cf. Karl Ileiiiricli Coumll, Einleilung in das Allé Teslamenl, p. ITtJ sv. Cari ;

Stelerxagel, Z,eA/7;Mc/i; der Einleilung in das Aile Teslamenl mit einem Anliang Uber
die Apoliryphen und Pseudepigrapfien, p. 595 sv.
UEVLE BIP.I.iyLR 1917. — N. S., T. XIV. .
7
98 HEVUE HIBLIL'II::.

que cos dates ont été mises dès l'origine ù la place (|irclles occuj)ent;
on peut donc les recevoir avec conliance. Si Ton rci^arde celle de
x\ix, 17 comme so rapportant au dernier oracle prononcé par Kzé-
cliiel, on sera amené à attribuer à son ministère une durée de vini;t-

deux ans environ.


Mais cette conclusion n'est pas à ral)ri de toute objection. Si l'on
fait abstraction des oracles contre les nations (xxv-xxxii), dans Ics-
quelsl'ordre logique se combine avec l'ordre chronologique, on remar-
quera que ce dernier domine exclusivement daps le reste du livre.
Dès lors deux questions se posent, qui sont solidaires l'une de l'autre.
D'abord, chaque date couvre-t-elle tous les éléments prophétiques qui
la suivent jusqu'à ce que survienne une nouvelle indication de temps?

Faut-il, par exemple, attribuer au 5 du G' mois de l'an G (vin, 1) tous


les oracles des cliap. viii-xix (on a une nouvelle date xx, 1)? Le con-
tenu de ces discours est tellement disparate (ju'on n'oserait songer à
une réponse aflirmalive; on admet et on doit admettre que la donnée
chronologique ne couvre que le seul oracle en tête duquel elle figure.
Mais alors on peut rechercher si ces dates marquent au moins des
étapes dans la carrière du voyant, si, en conséquence, les discours
prophétiques qui sont réunis entre deux indications de temps remon-
tent réellement à la période que ces indications limitent. Reprenant
le même exemple, on se demandera si les oracles renfermés entre

VIII, 1 et XX, 1 ont tous été prononcés entre le 5 du G' mois de l'an 6

(fin août 592) et le 10 du 5'' mois de l'an 7 (août 591). L'hésitation n'est

guère possible lélégie sur Sédécias (xix, 10-13) ne parait pas anté-
:

rieure à sa déportation en 587. Il en résulte que des oracles qui ne


sont précédés d'aucune indication chronologique la date ne peut être
fixée que d'après leur contenu; on n'arrivera souvent qu'à des résul-
tats approximatifs.
Une autre conclusion découle de cette constatation, c'est que l'har-
monie du livre d'Ézéchiel n'est pas aussi parfaite qu'elle le paraît
de prime abord; nous avons là encore des interversions qui sont incom-
patibles avec une rédaction d'un seul jet. Il faut donc, à propos de ce
livre, comme pour tant aborder la question de composition;
d'autres,
elle est, il est vrai, beaucoup plus simple qu'en la plupart des cas.
Tous les critiques sans parti pris admettent que les divers oracles qui
composent le livre d'Ézéchiel remontent, dans leur ensemble, au pro-
phète lui-même; l'emploi de la première personne du singulier dans
les parties narratives (1) et au début du plus grand nombre des pro-

(1) Cf. Ez.. I, l-\, 'l; VIII, 1-\I. 25; MI; clc.
I.'ÂME JUIVE PENDANT LA PÉRIODE PEKSANE. 00

phéties(1) constitue ua témoignage dont aucun


argument sérieux ne
permet de, suspecter la valeur. Il est dès lors tout naturel d'attribuer
au voyant lui-même la rédaction de la plupart des documents, des
petits s:roupes d'oracles, auxquels se laisse réduire le recueil actuel.

L'hypothèse d'une tradition orale, conservant du prophète les discours

avant qu'un de ses disciples ne les consigne par écrit, est dénuée de
tout fondement. Il est plus délicat de rechercher si c'est Ézéchiel lui-
même qui a procédé à la constitution première du recueil qui nous
est parvenu. Des exégètes, qui font profession de critique indépen-

dante, penchent pour Taffirmative. C'est le cas de M. Steuernagel.


Il s'appuie sur des retouches, des corrections que l'on
remarquerait
dans certains oracles et qui ne pourraient être l'œuvre que du pro-
phète lui-même. Il signale comme corrections xii, 16 et xiv, 21-23, :

qui précisent certains points, ailleurs plus indéterminés, de la doctrine


du châtiment; xxix, 17-21, qui atténue l'etiet de l'impuissance de
Nabuchodonosor à s'emparer de Tyr; xxi, 33-37, destiné à prévenir
les fausses conclusions qu'au sujet d'Ammon, on aurait pu tirer de
la péricope qui précède. Comme retouches des précisions que la :

manière dont elles s'étaient réalisées permettait d'introduire dans les


prédictions, v. g., certains détails de xii, 2-6 et xii, 12-li; la fusion
d'éléments d'abord séparés, v. g., dans iv, i-v, 't etdansxxxv, 1-xxxvi,
l.'j; etc. On connaît la date de xxix. 17-21, qui nous
reporte jusqu'en
571. à la fin de la carrière d'Ézéchiel. Il semble dès lors que jusqu'à
la dernière heure le prophète a revisé ses écrits; on admettra facile-
ment que le cadre le plus naturel d'une telle revision est un recueil

groupant ensemble tous ses oracles. Si nous n'admettons pas tous les

détails de l'argumentation de M. Steuernagel, au moins nous attachons-


nous très volontiers à ses conclusions. Nous avons la persuasion que
l'on a multiplié à l'excès^ les rédacteurs entre lesquels on a partagé le
travail progressif de la constitution des Livres saints.
Le recueil ordonné par Ézéchiel ne nous est point parvenu indemne
de toutes modifications. On a depuis longtemps remarqué que, dans
son état actuel, le texte renfermait un nombre assez considérable de
doublets. Les listes varient selon les auteurs qui les dressent, mais
elles sont toujours assez étendues. M. Steuernagel les répartit en di-
verses catégories. D'abord des variantes de détail telles qu'il s'en pro-
duit dans la transmission de tous les textes i, 1, 2 et i, 3; ii, 1-8 avec :

m, ï-9 et m, 10, 11 (tripleti; vi, ï" et vi, 5'; vu, 3, ï et vu, 6-9; xui,
11, 12et xiii, 13-16; xiv, 4,5 et xiv, 6-8; xvii, 8,0 etxvii, 10; xvn,

il; Cf. Kz., VI, 1 ; VII. 1; Mil, 1; \I\ , 1 , > ; w, 1; \VK 1: etc.
100 REVUE BIBLIQUE.

Ui-18 wii. 11); wm, :îl-2:> et \vm, ^ti-^O; wii. 19 rt \xii. -20, 21
et ;

wiii, 20-11 et wiii, 28-30 x\v, 3-5 et \\v. 0, 7 \x\, 22-2'*' et xxx,
: ;

2i"-26; XXXV, 3'-»iet xxxv. T-11 xxxvi, 10 et xxxvi, 11. 12; xxxvii,
;

12, 13*' et xxxvii 13''. li. Knsuite, des variantes ])ortant sur le fond
même des choses ; i et x, 1, 8-lT, 20-22 description des êtres vivants

ou chérubins ; viii. 1-i (où le partase est difticile, mais où Ton voit

la même action attribuée d'abord à Yahweh lui-même, puis à son


Esprit ; vui. 7 (où Ézéchiel aperçoit un trou dans le mûri et viii, 8
(ouille creuse lui-même); xxiii. 3(i-i0''% V2^'-", iV-i7 (où l'on parle

à la fois des deux sœurs Oolah et Oolibah. et xxin. V0^-i2»% i3, W


(où Ton ne parle que dOolibahi; xxxvni. 1-23; xxxix, 9-10 et xxxix.
1-8, 17-20 va riantes dans les détails concernant l'expédition de Gog-,
î'

roi de Mag-og-, et le sort fait aux cadavres des vaincus ; xliii, 1-12 et

XLiv, 1-8; XLv. 17"'; xlvi. 1-12 et xlv. 17"'-25 aperçus divers sur la
participation du prince à la liturgie future). Il faut mentionner, en
troisième lieu, des répétitions des mêmes passages en des contextes dif-
férents et parfois avec des variantes atteig-nant le fond lui-même :

m. 16^-21 et xxxui, 1-19; xxxvi, 16-38 et xxxvii. 23-28: xliv. 2, 3


et XLVI. 1-10. En plusieurs de ces doublets, on remarquerait
aussi des

complémentaires ou explicatives ix, 3' et x, i; xlv, 1-8' et


additions :

xLviii, 8-22 en comparant les deux recensions Ou encore, dans la .

même recension xliii, 13-17, 18-27; xlv. 8\ 9, 10-12. 15", 16, 18-
:

30-
20: XLVI, 13-15, 16-18, 19-2V; xlvii, 13-xLvni, 7; xlviu, 16-29,
35. En6n, on signale des additions faciles à discerner, mais dont on
ne saurait dire si elles datent du temps où les recensions existaient à
l'état séparé, ou sont postérieures à la fusion de ces dernières
si elles :

des interpolations assez notables, telles que xi, 1-17; xxvii, 9''-2i.
desquelles on peut rapprocher l'insertion des oracles contre les païens
(xxv-xxxii) entre deux sections qui s'enchaînent étroitement Tune
avec l'autre; puis quelques interpolations beaucoup plus secondaires.
v. g-. : XI, 18-21; xvi, 55"; xxv, lV';xxviii. 25-26 -ou 20-26
53'', ;

xxxiii, 10-20 d'après xviii, 21-32^; xxxiv, 23, lï: xxxviii. 8. Ki:
XLIV, 25% 26, 27, 30^ 31 xlv, 2. 15\ 16. ;

inutile de noter que nombre des exemples ci-dessus allégués


Il est

sont sujets à discussion. Je ferais, pour mon compte, des réserves


expresses sur plusieurs d'entre eux. v. g. sur m, 16^-21; xi, 1-21;
divers'passages incriminés de xl-xlviii; etc. Mais un assez grand nom-
bre de ces remarques paraissent fondées. L'exposé de ces observations
a déjà amené M. Steuernagel à faire allusion à deux recensions du livre
d'Ézéchiel. Telle est. en efi'et, l'hypothèse qui rend le plus facilement
compte de ces particularités, spécialement des doublets. M. Kraetz-
i;ame juive pendant la période persane. loi

schmar de ces recensions était plus courte que


ostinie que l'inie

du
l'autre et parlait prophète à la troisième personne. Il la traite
comme un abrégé de la première, dans laquelle il voit l'œuvre du
prophète lui-môme. Les deux recensions furent certainement fusion-
nées avant 200, puisque la traduction grecque suppose un texte pareil
à celui de la .Massorc. On a môme conclu de la comparaison du rituel
final i\L-XLvm) avec le Code sacerdotal que réunion eut lieu avant
la
la publication de ce dernier, que nombre de critiques placent en
V'i-i. Le texte a beaucoup souffert de rincurio et de lig-norance des
copistes; c'est ce qui explique les nombreuses différences de détail que
révèle le rapprochement des Septante et de l'édition mass(n*étique.
De tout cet aperçu historique une conclusion découle c'est que le :

livre d'Ezéchielnous apporte un témoignag'e très exact de l'action du


prophète auprès des exilés. C'est à ces derniers, en effet, qu'il s'a-
dresse. On il est vrai, tantôt d'Israël considéré dans son
le voit parler,
ensemble (1), môme
en tenant compte des deux branches séparées par
le schisme (2), tantôt du groupe de Judéens qui est demeuré en Pales-

tine (3;, tantôt des captifs établis en Babylonie (4). Mais, dans tous les
cas, c'est aux déportés quil parle, à ceux qui l'entourent sur la terre
étrangère. On a dit, il est vrai, qu'il ne s'adressait pas à un auditoire
réel, que ses oracles n'auraient jamais été prononcés oralement, mais
tout d'abord consignés en un livre pour atteindre les destinataires
qu'il avait en vue et qui étaient le peuple d'Israël tout entier. On s'est
môme appuyé sur cette thèse pour conclure que le fils de Buzi n'é-
tait pas prophète au sens vrai de ce terme (5). Ce sont autant d'hypo-

thèses qui ne paraissent pas soutenir l'examen. Que tel ou tel oracle ait
été dès l'origine fixé par écrit, on peut facilement l'admettre ce sera :

le cas notamment de la vision liturgique des chap. xl-xlviii, trop

pleine de détails pour avoir fait l'objet d'une proclamation orale. Mais
des indices certains permettent de conclure qu'Ézéchiel s'est le plus
souvent exprimé en des discours semblables à ceux de ses prédéces-
seurs (G); la plupart des oracles qui figurent en son livre sont à cet

(1) Cf. Ez., \vi; x\in.


(2) Cf. Ez., x\x>n, 15-28.
•5^ Cf. Ez., VU1-\I.
('.) Cf. Ez., wxiii sv.
^T» Cf. Edouard Relss, La Bible, Ancien Teslanicnt, lome II. 2" partie. La; Prophètes,
p. 10; Rudolpli Sme\d, op. cit., p. \vi sv.
<;) Cf. III, 11 (qui précise le sens très objectif de ii, :{): ni, li)-21 (qui ne peut s'appliquer
qnau peuple au milieu duquel vil le prophète}; les allusions fréquentes aux déportés
dans les chap. iv-\\i\ (\\n, i; mi^ 2; \iv, 1; wii, 2: wui; w, 1; \\i, 5). Cf. aussi
\x\iii, :iO-;{;{, etc.
\0-Z HKVl'K lUin.inUK.

égard paivils j\ ceux des autn-s voyants. Rien do surpronaiil d ailleurs


à ce ({u'aiix captifs, dans los(jnols il voyait ]c jxiinl do (l(''j);irl do
risratd fntni-, parle do toni co ([ni concerne la nation et ses divers
il

olënients; rien mùnio dolranueà ce qnil s'adresse j\ enx comme aux


vrais représentants du j.onpie tout entier. Les constatations que nous
ferons plus tard seront la nioilhnu'o mise au j)oint de ces réllexions.
Nous aurons, en ellet, à l'aire beaucoup d'ciuprunts à ce recueil
prophétique. On sait «pie la ruine de Jérusalem et la nouvelle «jui ou
arriva en Chaldée, au cours de décembre 587, marquent un point
t(»nrnant dans la carrière du voyant. Jusqu'alors le thème de sa, pré-
dication avait été, à peu près exclusivement, le châtiment du peuple
coupable; ;\ partir de cette date, au contraire, Ézécliiel est tout en-
tier à la prédiction et à la préparation de l'avenir. C'est dire que son
œuvre, dans son ensendilo et dans toutes ses parties, est pour nous
d'un intérêt capital.

7" Fsaïe, xl-lv.

Le nouvel empire chaldéen devait être éphémère et disparaître au


bout de soixante-dix ans (606-538). Il ne compterait d'ailleurs qu'un
seul souverain important, Nabuchodonosor, dont le règne serait, il
est vrai, de quarante ans i604-562). Nous n'avons sur cette période
que des renscig-nemeuts très précaires. Tandis que les annales as-
syriennes étaient pleines des campagnes dçs rois de Ninive, celles de
Chaldée ne nous fournissent guère que les comptes rendus des tra-
vaux exécutés pour la restauration, la construction ou l'embellisse-
ment des temples et des palais des capitales. C'est par les documents
étrangers que nous savons quelque chose de l'histoire politique pro-
prement dite. Eu 587, toute l'Asie Occidentale était tombée aux mains
du conquérant, à l'exception de Tyr. Durant quatorze ans cette der-
nière métropole tint tête à l'envahisseur et ne finit par se soumettre
(573) qu'en fixant elle-même les conditions de la paix. Vers 567,
Nabuchodonosor engagea une lutte peut-être victorieuse (1) avec le
pharaon Ahmasis; peut-être aussi une autre expédition avait-elle
précédé, sous Apriès, et abouti à la possession momentanée de la val-
léedu Nil jusqu'à Syène (2). Ce qu'on sait le mieux, c'est que le grand
monarque aimait la paix et les occupations de la paix. Donner au

« La tradition clialdéenne assure que l'Egypte fut con([uise; la tradition égyptienne


(1)

est muette à cet égard ». Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient, p. 640.
(2) Ici c'est Josèphe qui parle de victoire et de conquête; les récits égyptiens prou-
veraient, au contraire, que Nabuchodonosor subit un échec sérieux.
L'AME JUIVE PENDANT I.A PERIODE PERSANE. lOJ

grand temple de lEsagilla toute la splendeur possible; restaurer et


fortider les rcmpirts de Bibyloae, réparer les (juais; r*^lever et
embellir les sanctuaires des vieilles cités de Borsippa, de Sippar,
d'Erech, de Kutha, de Larsa, d'Ur. telles furent ses occupations pré-
férées. A sa mort, on pat se rendre compte de rinstal)ilité de son
empire. Rivalités des races multiples qui s'y côtoyaient, rivalités des
castes sociales, notamment du sacerdoce et de la noblesse militaire,
d'autres causes encore, devaient précipiter la ruine. Le fils de Nabu-
chodonosor, Évil-Mérodach (Awil-Mardouk), ne régna guère plus d'un
an, juste assez pour mériter la reconnaissance des Juifs en faisant
sortir de sa prison l'avant-dernier roi de Jérusalem, Joacbin (1); on
n'a de lui aucune inscription, mais des contrats sont datés de son
règne. Élu de la noblesse militaire, il fut assassiné par son beau-frère
Nériglissar (Nergal-sar-ussur; 560-536), qui jouissait déjà d'un
immense prestige à la cour. Ses inscriptions parlent surtout, comme
celles deNabuchodongsor, de temples et de palais construits ou répa-
rés; elles laissent pourtant entrevoirune campagne à l'extérieur. Son
Mis Labasi-Marduck fut déposé et mis à mort au bout de neuf mois.
Le dernier roi de Babylone, Nabonide (Xabu-naïd), ii'éfait pas de race
chaldécnne. Prince dévot, doublé d'un antiquaire, il rebâtit les vieux
temples et fît des recherches sur leur histoire. Ennemi du faste, il ne
demeura qu'exceptionnellement dans la capitale, dont il laissa le
gouvernement à son fils Bel-sar-ussur. Au demeurant, il entretenait
des relations avec les provinces conquises par Nabuchodonosor; on le
vit guerroyer en Syrie, s'intéresser à la succession royale à Tyr, plus
tard occuper Harran, jadis prise par les Mèdes, et restaurer le temple

du dieu Sin.
Or, pendant ce temps, des changements considérables se produi-
saient en Asie. Nous ne parlons pas de cette Asie occidentale, au cen-
tre de laquelle se trouvait jadis le royaume de Juda. En ces régions,
tant de fois dévastées par les armées assyriennes, la suprématie chal-
déenne m-iintenait un état d'amoindrissement, de langueur, qui
confinait à la mort. C'est surtout l'Asie Mineure qui doit attirer d'a-
bord l'attention. Elle subit des Iransformations profondes. Depuis
près de deux cents ans s'arrêtaient à nouveau sur les côtes ces vagues
de colonisation h(dlénique qui déferlaient sur tous les rivages médi-
terranéens, en Italie, en (iaule, en Espagne, en Afrique, en Egypte.
Tour à tour, des Doriens, des Éoliens, des Ioniens fondaient des éta-
blissements aux points d'attache les mieux choisis du continent et

(1) Cf. II Reg., \\v, :>--Z0; .1er,, lu, 3l-.3'(.


des îles avoisiiiaiitrs. l'.ii- .os ciilropùts, rOi-ionl onti-ail .-n i-clatioiis
des plus étroites avec iKuropc: des voies nouvelles s"<mvi;ii<iit ;ui\
conquérants. Copoiidniit un royaume puissant s'ori^anisait, (|ni all.iit
bientùt mettre la rn;uti sur un certain nombre de ces colonies. A ce

moment Lydie était ,i;ouvcrnéc par Oésns. ileprenanl Id'uvre de


la

ses prédécesseurs, les Ardys, les Sadyatte, les Alyatte, il s'ap|)li(|ua


d'abord à pacitier son i>ropre royaume, en y su[)primant les rivalités,
puis à favoriser tout ce qui pouvait contribu(>r à la grandeur de la
patrie. Préoccupé des rapides progrès des Grecs, il cherciie à s'as-
surer (les alliances avec ceux d'Kurope et des iles. Mais à ceux d'Asie
qui se montrent récalcitrants il déclare la g-uerre, s'cmparant de leurs
principales villes. Kphèse, Milct, Smyrne, etc. En même temps, il
continue la conquête des provinces de la péninsule (jui avaient
échappé à ses prédécesseurs: bientôt, tout le pays limité par le Pont
Euxiu, le tleuve llalys et la .Méditerranée, exception faite de la Lycie
et de la Ciiicie, reconnaissent son autorité.
Le tleuve Lydiens des Mèdes; les rapports entre
Ilalys séparait les
les deux peuples étaient réglés par les traités conclus, vers 58.'),
entre Alyatte et Cyaxare. L'emi)ire de ce dernier groujiait, depuis
Phraorte, les tribus mèdes et les tribus perses c'était un empire médo-
;

perse. Les tribus perses avaient d'ailleurs une importance à part.


Elles avaient profité des coups portés à l'Élam par Assurbanipal pour
agrandir notablement leur territoire. D'autre part, leur organisation
était avancée; elles étaient gouvernées par des chefs qui apparte-
naient à la tribu des Pasargades et qui, après les annexions aux-
quelles nous venons de faire allusion, s'intitulaient rois d'Ansan.
Or le trône de Médie était depuis vingt-cinq an-^^ occupé par un roi
indolent et voluptueux —
Astyage (588-553) —
incapable de rien
faire pour la grandeur de son peuple, lorsque vers 558 le roi d'Ansan,
Cambyse, eut pour successeur l'achéniénide Cyrus fi). Celui dont le
règ-ne devait être si g-lorienx comprit que la première chose à faire
était de rendre à l'empire médo-perse son anticjue vigueur. Aucun
doute n'était possible sur le moyen à employer. En 553, il se révolte
contre Astyage, le défait, s'empare de sa capitale Ecbatane; l'empire
est sauvé, mais ce sera maintenant l'empire perso-mède. Les progrès
du fils de Cambyse ne laissent pas d'inquiéter Crésus, devenu son
voisin. Le roi de Lydie se prépare des alliances importantes pour
entrer en lutte avec lui: mais une trahison permet à Cyrus de prendre
l'offensive. La campagne, d'abord indécise, interrompue par un

(1) Cf. Paul Dhorme, Cyy-iis le Grand {IUL, 1912, p. 22-49).


L'AME JUIVE PENDANT LA PERIODE PERSANE. l();i

armistice, se termine en 5V() par la prise de Sardes. Laissant à ses


généraux le soin d'acliever la conquête de TAsie Mineure, le roi de
Perse (1) De 545 ù 539, il soumet les peuples de
se dirige vers FOrient,
la Bactriane, de la Margiane, de la Khorasmie, de la Sogdiane; il
poursuit ses conquêtes au nord jusqu'aux steppes de la Sibérie, à
Test jusque chez les Saces. Revenu en sa capitale, il ne songe plus
qu'à entrer en lutte avec le dernier ennemi dont la défaite soit pour
lui d'un intérêt immédiat. Il ne lui reste plus de voisins insoumis en
dehors des Chaldéens de Nabonide. Or précisément ce dernier monar-
que a fourni le prétexte désiré pour un engagement en entrant dans
la vaste alliance de Crésus.
Au moment où tous ces événements se déroulaient, les Juifs de
Babylonie pouvaient en lire l'annonce dans un recueil prophétique.
Yahweh y prononçait le nom du conquérant (2); il le faisait lever de
rOrient et lui soumettait les nations et les rois (3); il le suscitait du
septentrion pour qu'il marche sur les satrapes comme sur la boue (V).

Devant lui les dieux de Babylone s'affaissaient (5) et la capitale, com-


parée aune reine orgueilleuse, descendait de son trône (6). Sa venue
était un argument, magnifiquement développé, de la puissance de
Yahweh qui avait eu assez de science pour prédire son destin, assez de
force pour en assurer la réalisation (7). On comprend que nous parlons
de la seconde partie du livre d'isaïe, plus précisément encore des
chap. XL-LV, auxquels nombre de critiques joignent lx-lxii (8). Force
nous est de nous arrêter un instant aux problèmes que soulèvent ces
oracles.
Le principal, à beaucoup près, est celui de leur authenticité même.
Nous ne nous proposons ni d'exposer la question avec détails, ni d'en
faire l'historique; ce faisant, nous dirions beaucoup de choses qui

(1) C'est à partir de 546 que Cyrus prend ce titre, sans pour cela abandonner celui de
roi d'Ansan.

(2) Is., XLiv, 28; XLV, 1, l:i.

(3) Is., XLI, 1-3.

(4) Is., XLI, 25.

(5) Is., XI.VI, 1, 2.

(6) Is., XLVII.

(7) Is., XLI, 21-29; \Liii, 8-13; XLiv, 6-8; XLViii, 12-16.

(8) Cf. CoNBAMiN, Le livre d'isa/e, traduction critique avec notes et commentaire,
p. 345-361 ;

CoNDAMiN, Le serviteur de lahvé, Un. nouvel art/ianent pour le sens
individuel messianique, dans RB., p. 1908, p. 162-181: van Uoonackeh, L'i:heil —
lahvé et la composition littéraire disaie XL .s.s\, dans RB.. 1909, |). 497-528; — CoN-
it.VMix, Les prédictions nouvelles du chapitre \LVIII disaie, dans /?/>'., 1910, p. 200-
21G; — VAX HooxACkEi!, Questions de critir/ue liltérairr et d'exérjese touchant les cha-
pitres XL SS. d'isaie, dans BB., 1910, p. 557-572; 1911, p. 107-11 i, 279-285.
100 I5K VI !• IMKl.inilK.

sont citnnuos Ac tous nos locloiirs. Nous voulons seulement la rap-


peler dans SOS î^randes lignes aliii de tnoltre en plus clair l'eliel" la
décision de la ('omniissimi l>il)li([ne sur 1(^ snji^t cl les direclions qui
eu résultent j)our renseiiînenieut catholicpie.
il iuiporte avant tout do hien saisir les vraies données du problème.
Il ne s'agit pas de* décider si, d'un point de vue purement méta-
pliysi(|ue ou simplement philosophique, Isaïe aurait pu, sous l'in-
tluencc des révélations divines, prononcer ou écrire les prophéties
renlernK'es dans la collection qui nous occupe. Sur ce teri'ain aucune
hésitation n'est possible pour un catholique ou pour (juiconque a foi

en la prescience divine et au pouvoir (|u'a le Très-Haut d'accomplir


ce miracle d'ordre intellectuel
que suppose la prophétie. Il n'y aurait
d'ailleursaucune objection à élever de ce chef contre l'authenticité
de quebjue recueil d'oracles que ce soit, pas même des livres attri-
bués au patriarche antédiluvien llénoch.
La question est d'un ordre beaucoup plus concret. Lorsqu'on lit les
écrits des voyants dont l'origine est à peu près universellement tenue
comme certaine, on a vite fait une constatation. C'est que tous ces
oracles ont des liens d'attacho très précis avec la période et le milieu
dans lesquels leurs auteurs ont vécu; c'est qu'ils sont à la portée des
auditeurs des prophètes; c'est qu'ils pouvaient être compris d'eux
sans effort; c'est que le plus souvent ils répondaient à leurs préoccu-
pations actuelles. Les discours d'Amos et d'Osée, par exemple, portent
à ce point le reflet du milieu dans lequel ils ont été prononcés qu'à

défaut d'indications précises, on arriverait aisément à les situer dans


le royaume du Nord, aux deux périodes si diverses que constituent,

au huitième règne brillant de Jéroboam II et les temps


siècle, le
d'anarchie qui suivirent. De même, on peut suivre, dans les livres d'I-
saïe (i-xxxix) et de Jérémie, les vicissitudes qui marquèrent, en Juda,
la fin de ce même huitième siècle et les temps voisins de la ruine de
Jérusalem. Ezéchiel nous est pareillement un écho fidèle des cir-
constances si particulières dans lesquelles se trouvaient les exilés de
Babylonie. Il importe d'ailleurs de le souligner ces remarc[ues ne :

s'appliquent pas seulement aux oracles dans lesquels les voyants cen-
surent les désordres dont ils ont été les témoins. Klles conviennent
parfaitement aussi aux prophéties qui concernent l'avenir, voire aux
prédictions messianiques. Qu'on prenne par exemple les oracles si

connus d'Is., viii, 23 ix, 6 et xr, 1-8. On saisit dans le premier les désirs
de paix, de repos, en même temps que de justice, qui animaient les
Judé.ens au cours du règne si troublé d'Achaz, On serait par ailleurs
tenté de dire que, dans le deuxième, le prophète projette sur le Mes-
L .ViMli JLIVK PENDANT I.A ['KRIODE PERSANE. 107

sie, en grandissant en toutes manières, les traits (jui convenaient


les

à un roi tel quKzéchias. On noterait facilement en d'autres endroits


messianiques que le point de départ des espérances de salut est en
relation étroite avec les perspectives du triomphe national sur Assur.
Sous le bénéfice de ces remarques, il est facile de circonscrire le

problème qui nous occupe. D'abord, on ne saurait être surpris de voir


ïsaie nous parler des Clialdéens au huitième siècle. Je ne crois pas
pour mon compte que les critiques soient fondés à rejeter l'authen-
ticité du fond prophétique d'Is., xxxix. Les Clialdéens, en effet, ne

tenaient qu'une trop grande place dans l'esprit des Judéens con-
temporains d'Ézéchias. Sans cesse en lutte avec l'Assyrie, créant, à
l'avènement de chaque monarque ninivile, un danger sérieux à l'em-
pire, ils étaient, comme l'Egypte, de ces alliés puissants sur lesquels
on pouvait compter, avec lesquels on pouvait contracter des engage-
ments en vue de secouer un joug abhorré. Les Judéens sauraient
donc comprendre ce qu'Isaïe leur disait quand t^zéchias faisait un
accueil si empressé aux envoyés de Mérodach-Baladan. Il leur était
facile aussi de saisir ce que serait cette déportation que dépeint le
prophète les Clialdéens renouvelleraient, au détriment de Juda, ce
:

que les Assyriens de Sargon venaient de faire aux dépens d'Israël.


Bien plus : les Judéens les plus avisés en politique seraient en me-
sure, sinon de prédire eux-mêmes, au moins de comprendre que la
puissance de Babylone, sans cesse croissante malgré les coups que lui
portait un Sennachérib, finirait par recouvrer sur les plaines du Tigre
et de l'Euphrate sa suprématie d'autrefois, que, dès lors, elle aurait

la prétention d'hériter, vis-à-vis du monde oriental, de la puissance


de Ninive et des traditions que celle-ci avait créées pour asseoir son
autorité. — On peut aller plus loin encore. Ce qui fait difticulté dans
l'attribution d'Is., xl-lv à un prophète du huitième siècle, ce n'est

pas précisément l'annonce de la chute de Babylone et de la déli-


vrance de Juda. Isaïe croyait à la ruine de son peuple. Si la marche
de Sennachérib avait été arrêtée, c'était un simple répit que Dieu
accordait au repentir. La catastrophe était remise à des temps plus
lointains, mais elle n'en était pas moins certaine. L'oracle de la vision
inaugurale n'était pas révoqué; en réalité, la prédiction d'Is., xxxix
montrait comment il se réaliserait. Mais il y avait un autre article au
Credo du prophète. Isaïe avait foi en la doctrine du petit reste et
aux destinées brillantes du nouvel arbre qui s'élèverait de la souche
du térébinthe nbattu (1 Or, de même que le salut de Juda sous Ézé- .

(1) Cf. Is., VI, 13''; VII, 3; X, 20-22, elc, sans parler des oracles messianiques ii, 2-4;
IV, 2-6; VIII, 23-lX. C, ; XI, 1-8; etc.
lOS HKVl'K l!ll5MOL!K.

chi.is no s'rtait ivalisé (jiio par riiumiliatioii d'Assur, de iik-iuc rémaii-


oipation ilu petit ne s'aecoiuplirait <pie par riminilialion des
l'cste

Chaldéons; la lii)ération de .luda caplil' ne pourrait être proclamée


ipu^ par eelui <pii, mesure de révo-
victorieux do r.ahyloiie, serait en
quer les arrêts cruels de ses monarques. Un tel enseignement se serait

organiquement rattaclié à ronsemblc des perspectives du fils d'Amos;


il aurait été accessible à la jdupart de ses contemporains; la prédic-
tion aurait été tout Juste voilée, comme il convient à un oracle (|ui

regarde des temps lointains. On justifierait assez l'acilenient, û l'aide

de ces remarques, rauthenticité au moins sul)slantielle d'un oracle


aussi contesté que celui d'Is., \iii; le nom des Mèdes qui intervien-
nent comme les exécuteurs de l'arrêt divin (1), n'était inconnu, à
cette date, ni des rois d'Assyrie, ni des fils d'Isrard.

Autres sont les difficultés Ihms ces oracles, le


propres à Is., xl-i.v.

prophète ne s'adresse nulle part à ses contemporains. On ne trou-


verait peut-être pas, dans ces chapitres, une allusion qui, prise en

son contexte, puisse être avec quelque confiance appliquée au


viii" siècle avant notre ère. Nombreux sont en revanche les traits

aboutissant à donner l'invincible impression que le voyant s'adresse


aux de liabylone. Non seulement cela; très concrète et très
exilés
précise est la situation dans laquelle se trouvent ces captifs. La ma-
nière dont on y pari^ de Cyrus montre qu'on le considère comme déjà
venu sur la scène. Il est appelé par son nom (-2). Il a été suscité de
l'Orient, du Xord; des rois sans nombre ont connu la vigueur de ses
coups de sa marche victorieuse (:J). Il traverse le
et l'élan irrésistible

monde en maître, il menace Babylone; sûrement il s'en em,parera (4).


Le prophète le déclare sans ambages et, à donner du crédita cette
prédiction, concourent des annonces anciennement proférées et déjcà
réalisées à la lettre (5), parmi elles peut-être celle de l'apparition même
du conquérant. La prise de la vieille capitale des Chaldéens est immi-
nente. Cyrus va briser les portes de fer et les barres d'airain, retirer
des trésors l'or et l'argent en abondance (6). D'autre part, Juda sou-
pire encore après le salut. Il est en exil, il a été dépouillé (7) des ;

captifs languissent au fond des prisons sous le joug, devenu terrible,

(1) Is., XIII, 17, 18.

(2) Is., XLiv, 28; XLV. 1, 13.

(3) Is., XLr,'l-5, 25; XLV, 1; xi.vi, 11.

4) Is., XLili, 14.


(5) Is., XLH, 9; XLIll, 8-13; XLYiii, 1-11.

(6) Is., XLV, 2, 3; XLVI, 1, 2; XL\1I; XLVlll, 14-16.


(7) Is., XLI, 8-14; XLii, 24.
LAMK JLIVE PENDANT LA PERIODE PERSANE. 109

de Babylone La Palestine, de son côté, est dévastée; Jérusalem se


(1).

lamente telle qu'une veuve privée de ses enfants (-2). Mais l'iieure du
salut est proche (3); le péché est surabondamment expié (4). Le mo-
ment arrive où va s'accomplir le décret divin du rétablissement de la
capitale et des villes de Juda (5); qu'on aplanisse les voies du désert
pour le retour des exilés (i) II est temps d'inviter les prisonniers à
I

profiter de la chute de Babylone pour sortir de la cité impure (7). —


On ne peut hésiter un instant sur les destinataires de ces prophéties.
Ce ne sont évidemment pas les Judéens du viii° siècle ou du début du
vu''; ils nauraient retenu de ce beau langage que quelques idées très

superiicielles. Certaines données leur eussent été absolument inacces-


sibles, ce que l'on dit notamment des anciennes prophéties et de la
force probante de leur accomplissement en faveur des oracles nou-
veaux. En revanche, ce qui concerne Cyrus nous transporte très nette-
ment dans son avènement au trône de
la période intermédiaire entre
Médie (553) et ses premières conquêtes, d'une part, et, de l'autre, la
prise de cette capitale. Tout ce qui concerne la chute de cette capitale,
létat des Juifs caplifs et leur prochaine délivrance, converge vers la
môme date. On peut donc dire que les destinataires de ces magnitiques
messages, ceux auxquels le voyant y.'adre^se directement, sont les
Judéens déportés en Chaldée, dans les circonstances où ils .s'y trou-
vaient à la fin de la période d'oppression, entre 540 et 538. Comme
le dit M, van Iloonacker : « Abstraction faite de [la question ide
l'époque à laquelle furent composés les discours dis., xl ss.J, il ne
peut être douteux que point de vue auquelle prophète se place pour
le

formuler ses promesses ne soit celui de la capli^ité de Babylone. Il


s'adresse au peuple exilé la situation qu'il suppose est caractérisée
;

notamment par le temple de Jérusalem en ruines, les villes de Juda


désertes. Cvrus mis en scène. Le châtiment de Babvlone est
est
annoncé comme imminent. La délivrance du peuple captif, le retour
en Judée, la restauration et le repeuplement de Jérusalem sont des
événements envisagés et prédits comme étant sur le point de se pro-
duire (8). »

(Ij Is., xui, 7, 22.

(2) Is., XLix, 14-18, 21; i.i, 3, 17-20; i.ir, 2. 9; i.iv, 4, G-8, 11.
(3) Is., xuii, 3-7; XLVI, 13; XLix, 9; li, 4, 5; etr.

(4) Is., XI., 2; xuv. 22, 23.


':^) Is., XLn, 26-28; XI.V, l.i.
(()) Is., XI., 3-5.

(7) Is., XLVllI, 20-22; LU, 10-12.


(8) A. VAN HooAc.kER, L'Kbed lahvé et la coynposilion littéraire des chapitres XL ss.

d'Isuie (dans RB., 1909, p. 497-528), p. 506, nofe 1.


110 HKVIK Uini.ini li.

On devine aiséni* iil (jncllc [.cul cMr.- la solnlioii la plus m voi^ue


dans les milieux (juc ne reti<'nt [>as le ivspecl des anciennes traditions.
Au \n'' siècle «léjà, Al)en F,/.im a\ai( noté, en un langage obscur,
«lue le titre du pas une garantie tic l'aulhenlicitr
livre d'isaïe n'était
de tout ce qu'il rcnfcrinail. Il en pouvait être de ce livre comme de
ceux de Samuel le nom du lils dAnnc a beau couvrir l'ouvrage
:

tout entier, on ne peut attribuer au voyant que les vingt-quatre pn;-


niiers cbapitres (1). Des siècles durant, la parole d'Aben E/rane trouva
pas d'éebo. C'est à la lin du wiii'" siècle seulement, avec Ko|)pe (2) et
Doderlein, <pie commence à se dessiner le mouvement actuellement
dominant parmi les critiques. Depuis lors, un nombre toujouis crois-
sant d'cxégètes professe que la deuxième partie du livre d'Isaïe a été
composée vers la fin de l'exil babylonien. On peut dire qu'aujourd'liui
l'unanimité est à peu près complète en debors de l'Église. Les quelques
commentateurs indépendants ou protestants qui étaient demeurés
lidèles à l'ancienne donnée traditionnelle ont peu à peu disparu, tels
Hengstenberg, Havernick, Dreschler, Stier,, Nagelsbacb, etc. On a
même vu des auteurs, d'une renommée scientifique aussi solide que
1". Delitzsch, se rendre aux nouvelles idées après les avoir
longtemps
combattues (3). La thèse parait aujourd'hui si indiscutable que la
plupart des critiques n'entreprennent même plus de la prouver.
H faut bien le reconnaître d'ailleurs : la démonstration de cette
théorie a subi une très sensible évolution. Au début, les principes du
pur rationalisme ne furent pas étrangers aux attitudes prises par
nombre d'exégètes ils ne pouvaient admettre que, près de deux
:

siècles à lavance, la ruine de Babylone eût été annoncée avec la der-


nière précision, que le nom même du conquérant eût été dès lors
proclamé, ilais dans la suite, d'autres consiLlérations, d'ordre pure-
ment critique, ont pris le dessus. Ce sont elles qui ont gagné l'adhésion
de savants qui, tout en ne partageant pas notre orthodoxie, ont
gardé très ferme la foi au surnaturel. Ce sont ces raisons que des cri-
tiques telsque Driver, Sldnner, etc., consentent encore à exposer.
Le premier argument revient à ce que nous avons dit du milieu et
des destinataires pour lesquels le prophète a écrit. On aime à souli-
gner qu'à s'en tenir aux lois générales de la prophétie, telles que les

(1) mort (I Sara., xxv, i; exclusivement.


Jusiju'au récit de sa
(2)Dans sa traduction allemande (1779-1781) de Visaiah de Lowlii (remarques sur Is., l).
Le commentaire de Doderlein est de 1789; J. Skinner [The Book ofthe prophet Isaiafi,
cliapfersXLLXVl, icith Introduction and notes doit faire allusion 'p. xxxix. note 2) à
un autre ouvrage de cet auteur quand il le présente comme ayant été en 1775 le premier
scholar moderne à rejeter l'authenticité d'Is., xl-i.xvi.
(3) C'est ce qu'il fit dans la quatrième édition de son commenlaire sur Isaïe (1889).
1/A.ME JUIVE PENDANT LA PÉIUOUK PEllSANE. 111

révèle reiisemble du recueil des oracles,la situation qui se dessine

dans Is.,indique, non seulement quels lurent les destinataires


xl sv.

des discours du voyant, mais quels furent ses contemporains; ici,


comme ailleurs, le prophète parle pour ceux qui Tentoui-ent.
On insiste, en second lieu, sur les dilterences qui existent entre les
conceptions religieuses des deux sections de notre livre d'Isaïe. il va
de soi que ces divergences n'excluent pas la présence de noml)reuscs
ressemblances. Toutes fondamentales de la foi Israélite sont
les idées

communes à tous ceux qui


prechée. Bien plus, une fois
l'ont
acquises, les idées proclamées au huitième siècle par Isaïe sont deve^
nues un élément particulièrement précieux dans le patrimoine de ses
successeurs. Mais l'existence de ces points communs ne fait que don-
ner plus de relief aux divergences elles-mêmes. Celles-ci sont de plu-
sieurs sortes. —
Tout d'abord en ce qui regarde l'idée de Dieu. Certes
la vision inaugurale d'Isaïe et d'autres oracles
(1) signalaient avec force
la majesté, la sainteté, la toute-puissance de Yahweh. Mais nulle part
on ne relevait une insistance pareille à celle dis., xl sv. sur l'infinité
de Dieu, son éternité (2), son unicité (3), sa puissance créatrice [k). Ce
dernier sujet, en particulier, était rarement traité par les anciens
voyants, plus enclins à signaler Faction de Dieu clans l'histoii-e (jue
dans les phénomènes de la nature; au contraire, l'action créatrice
ici,

et providentielle de Yahweh est développée avec ampleur et fournit


le plus magnifique argument de la grandeur divine. Il faut encore
le remarquer même sur les points de la théologie qui leur sont
:

communs, on peut constater la manière différente dont les auteurs


d'Is., i-xxxix et d'Is., xl sv. les éclairent. Le premier, en effet, ne

parle que pai' allusions ou se contente seulement d'énoncés; le se-


cond, au contraire, se complaît en de longues explications et aime à
développer les preuves (5). — Les variations ne sont pas moindres
quand il s'agit d'Israël. Isaïe insistait volontiers sur ce petit reste qui
devait échapper au châtiment divin (G) c'était l'un des points fonda- ;

mentaux de sa prédication. En revanche, si l'auteur d'Is., xl sv. pré-


suppose cette doctrine, il n'en parle ni avec la même force, ni avec
la même terminologie que le voyant du huitième siècle; il est tout
I

(1) Is., \i; II, 10, 11, 12-21; m, 8, i:i; viii, 7, 13-15; x, 5-34; etc.
(2) Is., XI., 8''; xi.i, 4; .xr.iii, 10; elc.
(3) Is., XLII, 8; XLHI, 11-13: XLiv, 6; Xl.v, .5, 6; etc.
(4) Is., XI., 12, 21, 22, 2G; xui, 5; xi.iv, 7, 24; xi.v, 7; elc.
(5) Is., XL, 12-17, 21-31; XLI, 21-29; XLlI, 18-2.5; Xi.lli, 8-13.

(6) Is., VI, 13''; VII, 3; X, 20-22; XI, 11, Ifi; xxviii. r,. Noter le leirno "iXUS qu'on ne
trouve pas dans Is., xt sv.
H2 UEVUE IMlîl.lQrK.

entier aux conséquences et aux aj)])licali()iis que celte doctrine en-


traîne ;\ la v(Mlle dr la clmte de l>al»yione. — l'areillenient les pers-
pectives sont tout autres (jnand il s'agit du rôle d'Israr-l au milieu
des nations. Is., i-\\xi\ iiap{)orte qu'une conirihution i-estrcinle ;\
cette belle idée d'Israël missionnaire et prédicateur de Valiweli, (pii
tient une si grande place dans les cliap. xl sv. ((). De même la
primauté spirituelle du peuple de Dieu est beaucoup plus longuement
exprimée dans l;i deuxième partie <]ue dans la première (2). Enfin —
le caractère du Messie est très dillérent dans les deux sections : dans
les chaj). i-xxxix, il apparaît comme un roi et un vaintjueur (:j);
dans Is., xl sv., c'est le Serviteur de Yahweh (/i.), prêchant la bonne
nouvelle puis expiant, par ses soutlrances et par sa mort, les fautes
(le l'humanité.

I.e troisième argument est celui du style. Ici encore, on doit s'at-

tendre à des terminologies semblables, en rapport avec les idées


communes aux deux parties du livre. Mais les dill'érences sont plus
sensibles que les ressemblances. D'une part, le style dis., i-xxxix est
constant, malgré la grande variété des sujets; de l'autre, les parti-
cularités des sujets des chap. xl sv. ne sont pas telles qu'elles expli-
quent adéquatement les chang-ements du style. Au point de vue de —
la langue, on note des termes et des expressions qui, fréquents dans
:

Is., XL sv., ne
pas dans les oracles que, pour d'autres
se retrouvent
raisons,on doit sûrement attribuer à Isaïe (5) des mots que l'on peut ;

rencontrer occasionnellement dans Is., i-xxxix, mais qui, dans Is.,

;i) Is., \i.i, 8-10; \Lii, 19, 20; \Liii, 10; \u\, 1, 2, 21; \i.\, 'i ; xLMii. 20. Dans ces
oracles, le peuple apparaît comme le serviteur de Yahweh qui lui conlie une mission
sainte. On peut d'ailleurs rapprocher de ces passages ceux qui concernent le Messie Servi-
teur (voir note 'i].

(2) Is., \LI\, 5; \L\, l'i-17, 22-2.Î; xi.jx, 22, 2:1.

(3) Is., \1H, 23-]\, 6: XI, 1-S; xxxii, 1-5.

(4) Is., XLii, 1-4 (-7); xLix, 1-0 (-9;; l, 4-11; MI, 1:m.iii. 12.

(5 Choisir Israël (Tir. , Is., xu, 8, 9; xuii, 10; xu\ , 1, 2 (d'où l'expression iuon élu,
\Lin. 20: xi.\, 4); — loner et loufmge (SSn et nSnn), Is., xi.ii, 8, 10, 12; xi,in, 21;
\iMu,'.>: — ç/ermer, pousser avec diverses nuances, xui, 9;
i~)2'J), 19; Is., xi.iii, xi.iv, 4 :

XL\, 8; L\, 10; — éclater en joie 'ûïS), m.i\, 23; xlix, 13: m, 9; 1; Is..
12 li\. l\ ,

(aussi xiv, — plaisir (yE") de Yaliweh,


7); xliv, 28; xi.m, lO; 14; un, lO: Is., xlviii,
i.iv,12; — agrément (.pïlj de Yahweh, xlix, — Noter aussi l'expression Is., 8. tes fils,
appliquée à Jérusalem xux, 22, 25; u, 20; lm, 1!); — les formules Je suis Yahireh
(Is., 17.
et il ny en a pas d'aidre (Is., xi.v, 5, 0, 18, 21, 22); Je suis le premier et je suis le
dernier (Is., xli\, 6; xi.viii, 12), Je suis ton Dieu
ou ton Sauveur (Is., xi.i, in, i.î;
XLiii, 3; XLVIII, 17), etc.; —
les cas où le nom divin est accompagné d'un participe comme
épithi'te Yahireh créant les deux, la terre (Is., xi.. 28: xui, 5, etc.), Yahweh créant
:

ou formant IsraH (Is., \u\\. 1, 15; xuv, 2, 24; xlv, 11; \i.ix, 5), Yahweh le sauvant
(Is., xux, 26); Yahweh te rachetant (Is., xuir, 14; xux, 2'i); etc.
L'AME JUIVE PENDANT LA PEKIODE PERSANE. 1 K5

XL sv. deviennent un trait caractéristique du style et prennent sou-


\ent des nuances spéciales de sens (1) ; des mots et formes qui trahissent
une époque postérieure à celle d'Isaïe (2). — Au point de vue de la
rhétorique, on signale dans Is., xl sv. : des redondances, témoig-nant
de la véhémence de la prédication (3) ; l'usage de répéter le même
mot ou la même expression en des phrases consécutives (4). Puis d'au-
tres traits plus généraux : l'ampleur dans les développements, la force
persuasive de l'éloquence, goût du pathétique, la fréquente per-
le

sonnification des villes, des pays, de la nature et de ses phéno-


mènes (5), etc. (G).

De tous on conclut avec ensemble à un auteur différent


ces traits
d'Isaïe, auquel d'ailleurs on ne sait quel nom donner. Au moins
n"hésite-t-on pas à attribuer une date à la partie la plus caractérisée
de ces oracles. On place à peu près unanimement les cliap. xl-xlviii
au temps de Cyrus, d'une façon plus précise dans les années qui
séparent son accession au trône de Médie (553) de la prise de Baby-
lone (538). Beaucoup d'auteurs vont plus loin et prétendent que ces
oracles font allusion aux grandes victoires du conquérant en Asie
Mineure (prise de Sardes, 546); ils les supposent éclos autour de
5i0. Pendant longtemps, l'opinion des critiques s'est montrée hési-
tante au sujet de l'unité de la seconde partie du livre d'Isaïe; au-
jourd'hui, la tendance dominante est à isoler de xl-lv les chap. lvi-
Lxvi, que l'on attribuerait à un autre auteur de date plus tardive;
nous en parlerons plus loin. Il est môme assez souvent arrivé que l'on
sépare Is., xlix-lv de ce qui précède (7). On insistait sur ce que cer-

(1) lies ou côtes (''\S'), employé dans Is., \l sv. dans le sens de régions lointaines,
se retrouvant Is., xr, 11 en son sens propre; néant (DSN), se retrouvant Is., v, 8,
\xxiv, 12; créer (N13), se retrouvant Is., iv, 5 avec un sens spécial; rejeton (D^S'^Xï;
cf. Is., xxn, 2't; XXXIV, 1); justice, comme principe directeur de l'action divine (p~ï);
bras de Yahweh (cf. Is., xxx, 30); se (jlorifier 1"IN3 ; cf. Is., x, 15); alliance, en par-
lant des relations futures de Yaiiweli avec son peuple; — la particule nj^ /"cf. Is., xxvi, 8,

9, 11; XXXIII, 2; xxxv, 2; vingt-cinq fois dans xl, 24-xl\iii, 15). Nous ne donnons pas
pour ces mois les réfén-nces, parce qu'elles sont nombreuses.
[>) Cf. (avec beaucoup de réserves) ï. K. Cheiinu, An [Introduction lo the lioah of
Isaiah, p. 255 (surtout 260) - 270.
(3) Is., \L, 1; XUil, 11, 25; XLVIII, 11, 15; Ll, 9, 12, 17; LU, 1, 11.
(ij Is., M-, 12, 13 (mesurer); xl, 13, i'i [lui a fait savoir) ; xi,, 31 et \i.i, l [renouveler
la force); etc.

(5) Personnification de Sion sous des titres divers (épouse, mère, veuve), Is.. \lix
17-23; M, 17-20; LU, 1, 2; Liv, 1-G; — personnification de la nature, Is., vmi, H; xli\
23; XLix, 13; mi, 9; i.v, 12.

(6) On trouvera des développements plus abondants dans Vlntroduction to


the Old
Testament de DiiivRi! et dans Isaiah, cliapters XL-LWl de .Ski\ner.

(7) Cornill, liaudissin, Sellin estiment qu'Is., xi.ix-i.\ ont été composés à I5ab\lone
RîiVUE IlIBl.IQUF. 1917. — N. S., T" XIV. j^
ili RKVTE lUUI.lOlIK.

tainos id«''OS <]tii élaicnf doniinautes dans \i.-\lviii (rôle do Cyrus;


chute do Hahylono) faisaioni compl^tomcnt défaut dans la soctioii
suivanto; quiri, ou rovaucho, se faisaient 'n)ur des points do vue nou-
veaux (^rétal)lissonieut dlsraid, glorilicatiou àt^ .lôrusaleui). Ih'S lors,

on traitait les chap. \li\-i.v comme postérieurs à la i-nine de la ca-

pitale ohaldéenne ; ou en reportaient


des eriti(iues les reportaient
divers éléments aux temps postérieurs au retour des exilés en Pales-
tine. Ue là à conclure à la diversité d'auteurs, la distance était courte;
elle a été plusieurs fois franchie. Il n'en est pas moins vrai (ju'au
reg-ard de la majorité des critiques, les chap. \l-lv forment un tout,
émanant d'un même écrivain, le DeiUéro-Isdîe. M. SteuornageJ est
même convaincu que tous ces chapitres ont vu le jour dans les mêmes
circonstances. Ce n'estpas qu'il méconnaisse les diverg-ences si-
gnalées entre xl-xlviii et \lix-lv. Mais elles ne sont pas telles
quelles forcent d'admettre la pluralité des auteurs (1). C'est tout
à fait à tort que Ton prétondrait restreindre les visions du DeiUéro-
Isaie à l'avenir le plus immédiat. L'annonce de la chute de Babylone
et de la libération d'Israël postulait un complément : des perspec-
tives sur le rétablissement du peuple en Palestine et l'avenir du
pays et de sa capitale. Les deux sections se tiennent comme les deux
panneaux d'un môme diptyque. D'ailleurs, le prologue d'Is., xl
sv. (2) dirige dès l'abord l'attention vers la capitale et vers la Pales-
tine.
On s'attend bien à ce que la thèse de l'unité d'Is., xl-lv n'exclue
pas la présence de certaines gloses et interpolations. Duhni les multi-
plie sans doute outre mesure (3). Une série de fragments toutefois at-
tirent l'attention d'une manière très spéciale. Ce sont ceuxcjui concer-
nent le Serviteur de Yahweh Is., xlii, 1-V (1-7); xlix, 1-6 (1-9): :

L,4-ll ;lii, 13-1.111, 12. On s'accorde assez généralement pour grouper

après la prise de la ville et ledit de Cyrus, mais avant le premier retour. Fiilikru^

attribue au Deutéro-Isaïc xlix, l-i.ii. 12 et lu, 13-Lin. 12 la première section aurait été :

écrite à Babylone après la prise do la ville; la deuxième, publiée en Palestine après


!'

retour, ne serait qu'un remaniement d'oracles antérieurs : quant à mv-lv. ils auraient vu

]e jour à Babvlone après le retour et devraient en conséquence être attribués à un auteur


distinct du précédent. D'après Seinecke, Koslers. Kittel, xlix-lv auraient paru en Pales-
tine peu de temps après le retour: Kuenen ne fait ces réserves que pour i,, ii, liv, lv
(cf. STEin;KNA(;EL, LehrbtccJi, p. 523 1.

(1) Il signale d'ailleurs des traits de ressemblance qui concourent à établir l'unité
(cf. Lehrbuch, p. 523 sv.). 1
(2) ls.,.XL, 3-5,
9-11.
Une tient pour authentique que : xl, 1-4, 6-31': xli, 1-4, 6-2!); xlii, 5-11, 13-24% 25;
(3)
XLiil, 1-20% n-2S; XLiv, 1-8, 21-28'; xlv, 1-9, 11-13% 14-25; xi.vi, 1-5, 9-13: Xi.vii, 1-2, .3'-

14% 'l5; XLVIII, 1% 3, 5% 6,7% 8% 11-16% 20, 21 ; XUX, 7-26: L, 1-3: LI, 1-10, 12-14, 17, 19-

23; LU, 1. 2, 7-12; Liv, 1-14, 16, 17% LV, 1, 2, 3''-6, 8-13.
L'AME JUIVE PENDANT LA PÉRlOnE PERSANE. 11:5

( «S morceaux en un poème ou au moins en un cycle de poèmes à part.


Des auteui-s y ont vu une interpolation tardive et ont al)aissé la com-
jiM.sition de ces poésies entre 500 et 450 (1). Un plus grand nombre

lo critiques, ce semble, admettraient, avec M. Steuernayel ,


que les
poèmes du Serviteur s'harmonisent parfaitement avec l'ensemble des
écrits du Deutéro-Isaïe, et iraient peut-être jusqu'à dire que le contenu
de ces beaux oracles est le complément nécessaire de la pensée du
grand prophète de l'exil. D'autre part, ils ne trouvent pas fondés les
motifs, d'ordre surtout littéraire, que Ton met eu avant pour parler
d'un auteur distinct. Plus volontiers ils reconnaîtraient que ces
poèmes ont eu une existence séparée avant d'être insérés dans l'écrit
fondamental.
l'ne dernière question concerne le lieu d'origine du Deiitéro-Isaïe.
La conclusion plus obvie est qu'il a vécu au milieu de ceux aux-
la
quels il s'adresse, c'est-à-dire en Babylonie; c'est la théorie domi-
nante parmi les critiques. D'aucuns toutefois lui ont cherché un autre
séjour. Ils ont cru qu'on ne trouvait pas dans ses oracles les allu-
sions typiques, caractéristiques, qu'un témoin oculaire aurait pu
faire au milieu chaldéen, que certains traits sont trop imprécis, sinon
inexacts (2), pour avoir été esquissés près de la grande capitale de
Nabuchodcjuosor. On a dès lors pensé qu'Is., xl sv. avaient été écrits
en Palestine (3), en Egypte (4-), voire au Liban (5). La majorité des
critiques fait observer que les allusions spécifiquement babyloniennes
sont très rares aussi dans Ézéchiel, qui pourtant a certainement vécu
en Chaldée, que celles du Deutéro-Isaïe sont même plus nombreuses
et plus frappantes. Us ont cru comprendre que les pieux Israélites et

leurs guides se repliaient volontiers sur eux-mêmes, évitant autant


([lie possible et le contact avec les étrangers et la sympathie pour
leurs coutumes et leurs usages. Ils n'ont pas pensé en conséquence
devoir s'écarter de l'opinion commune.
(1) Ewald, Smcnd, ^Vellllausen les traitent comme antérieurs au Deuiéro-lsaie (même
préexiliensj et incorporés par lui à son (/-uvre; Kittel y voit l'œuvre d'un contemporain
du Deutéro-Isaïe, qui les aurait insérés dans son livre; pour Schian, l'insertion aurait
été faite par un rédacteur; Kosters, Lane, Duiim, Berthollet, Roy les tiennent pour postexi-
lions cf. Steuernacel, f.ehrhucli, p. 518-Ô20: Condamin, Le livre d'Isa/e, p. 224-.{44) ;

foNDAMiN, Le Serviteur de lalivv. Un nouvel arr/umeut pour le sens individuel tncs-


sionif/ue, dans li. B., 1908, p. 1«;2-181; van Hoonacreu, L'Ébed lahvé, et la composilion
littéraire des chapitres XL ss. disaïc, dans li. B.. 1909, p. 497-528.
2 On a allégué, notamment, qu'un auteur résidant en Clialdée n aurait pas, contre
toute réalité, dit que les exilés étaient en prison (Is., \i.n, 22), qu'il n'aurait pas mcn^

tienne des arbres qui ne croissent pas en Chaldée (Is-, \i.\\, \'i), etc.
l'-i) Seinecke.
. (4) Ewald. Bunsen, Marti.
(5) Duhm.
110 lU'ViK lîiiii.ini i:.

Tcllc'S ont i-lr, pciulanl la plus Liiaml»' parlic du dix-ncuN ièmesièclo,


loUos sont aujourùluii los iilées eu cdUis clnv. la picsiiuc uiianimilc
des oxôgôtes étrangers à rKi;lise. Il fani int-mc \o recoiinailrr, 1rs rai-
sons nùs(\'; (Ml a\;inl uni impicssionnr un corlain nonihic dinlcr-
pi't'tes catholiipics. Ilssesoni dcniand»' si Tadjonction d'Is., \i. sv. an
recueil aullieutitpit' des lu^oplu-lies du lils d'Ainos n'était pas l'eiret

d'un hasard (jui. une lois doconvril, ue [youvait plus servir d'argu-
ment pour le maintien do la (lii'sc ancienne. Kn présence de ces théo-
ries toutefois, la plu[)art des re[)résentants de la tradition n'ont pas
perdu pied, hiverses raisons ont motivé la fermeté de leur altitude.
— D'abord le fait même de la Iradilion. Klle remonte très haut, puis-
qu'on la trouve nettement e.\[)riuiée, vers 180, dans le texte qu'au
livre de VKcc/i'sias/i</Hr, V l-llogn drs Prrrs consacre à Isaïe il). Très
ancienne, celte tradition est continue et unauime;elle s'est mahitc-
nue chez les Juifs et chez les clirétiens jus(|u'au\ attaques de la lin du
dix-huitième siècle. — On s'attache ensuite aux témoignages du Nou-
veau Testament, notamment aux passages dans lesquels les quatre
évangélistes attribuent à Isaïe le texte d'Is., xl, 3-'i., qu'ils appliquent
à saint Jean-Baptiste (2); de même aux citations de Rom., x, 16, 20 (.'5).
— On fait en outre remarquer combien il est invraisemblable que
l'auteur des prophéties les plus remarquables de l'Ancien Testament
soit demeuré inconnu d'autre part, combien peu croyable il est que
;

ces oracles aient pu se répandre sous le nom d'Isaïe s'ils ne sont pas
de lui. — On établit encore des rapprochements entre divers textes
d'Is., XL sv. et des passages de Jérémie et d'Ézéchiel qui les auraient
reproduits (4). — Enfin, on in.siste sur les ressemblances littéraires
entre Is., i-xxxix et Is., xi. sv. (5).

(1) Eccli., \L\ui, 22-2i. De leur côlé. les critiques tonl remarquer (|ue, dans Esdr., i, 1

{= II Cliron., \xxTi, 22), les prophéties relatives à la venue et à l'œuvre de Cyrus sont
mises au compte de Jérémie; comme ils attribuent cette rédaction au Chroniqueur, ils

en concluent que, vers .ÎOO, la tradition n'avait pas encore relié Is., \i, sv. à l'ouvre du
premier des grands prophètes. Peut-être ne s'a^it-il (|ue d'une faute de copiste.
(2) Cf. Matth., m, 3; Marc, i, 2, -i; Luc, m, 'i-G; .)o., !, 23.
f3) Cf. Is., Lni, 1 et Is., Lxv, 1. Cf. encore Mallh., \ni, 17 et Is., lui, '<
; Matth., \ii, 17-21
et Is., xLii 1-4; [Luc, IV, 17 et Is., i,xi, 1]; Je \ii, 38 et Is., lui, 1; [Act., mii, 28-33 et
Is., un, 7. 8].

(4j Cf. Jer., VI, 13 et Is., lvi, 11; Jer.. \ii, 3 et Is., r.w, 12; Jer., viii, 10 et Is., i.vi, 11;
Jer., xvm, 6 et Is., xlv, 9; Jer., x\x, lo et Is., xi.iii. 1 ; xi.iv, 2;Ez.,xvin, 7 et Is., i.mii, 7;
Ez., xxxiv, 23 et Is., XL, 11; Ez., xxxvi, 20 et Is., lu, 5; etc. Les critiques ne nient pas
l'objectivité de tous ces rapprochements: mais, à leurs yeux, c'est Is. xl sv. qui imite. ,

5) A noter en particulier une épithète divine. Le Saint d'Israïd, qui, fréquente dans
les deux parties du livre d'Isaïe (onze fois dans Is., i-xxxix; onze fois dans Is., xl-lv;
deux fois dans Is., lx) et qui ne vient ailleurs que II Reg., xix, 22 (= Is., xxx^n, 23),
Jer., l, 29; Li, 5; Ps. Lxxi, 22; Lxxvm, 41 lxxxix, 19. ;
L'AME JUIVE FEiNDAM LA l'ÉllIODE PEKSANE. 1 17

Il importe d'ailleurs de le noter, des courants divers se manifestent

dans l'apoloaétique.
Certains défenseurs de la tradition s'attachent surtout à relever les
signes qui permettent de reconnaître dans Is., xl sv. la main d'un
prophète palestinien du huitième siècle. C'est notamment ce que fait
M. Vigoureux dans Les Livres Saints et la Critique rationaliste (1). —
11 appuie beaucoup d'abord sur les variations des exégètes qu'il com-
bat. Cette insistance est peut-être exag-érée; il est facile de constater,

en que
ollet, des premières recherches et des premiers
les hésitations

débuts font place peu à peu aune réelle unanimité morale. Partant —
ensuite de cette conclusion des criti([ues. d'après laquelle les prédic-
tions d'Fs., ou au moins beaucoup d'entre elles, sont antérieu-
XL sv.,

res à l'événement, c'est-à-dire à la prise de Babylone par Cyrus, il


s'efforce de montrer qu'il en faut reporter l'origine à des temps
beaucoup plus ne le fait d'ordinaire. Il insiste sur les
lointains qu'on :

reproches d'idolâtrie adressés aux Juifs, reproches qui n'auraient pas


de sens sur la terre d'exil et pendant la captivité; sur le silence rela-
tif aux derniers jours de Juda, alors que les événements de cette

période auraient fourni des développements très appropriés au but


poursuivi par le prophète, il va plus loin et soutient que les traits

concernant les dieux étrangers trouvent leur explication dans les


désordres du règne de iManassé, c'est-à-dire de l'époque à laquelle
Isaïe acheva son ministère. —
D'autres traits lui paraissent conduire
directement au début du septième siècle ou au huitième; telles les
allusions à des peuples étrangers, v. g. les Égyptiens, les Éthiopiens,
les Iduméens, les Madianites (2), qui n'avaient aucun intérêt pour les

Juifs cantonnés en Babylonie vers 5i0. il recueille de même avec —


complaisance aveux de plusieurs critiques d'après lesquels cer-
les

taines références historiques (surtout dans les chap. lvi, lvii, lxv,
Lxvi) se rapportent à une période ou à des périodes autres que celle
de rexil(3). —D'autre part, il relève les traits qui témoignent d'une :

origine palestinienne (allusions aux lits des torrents, aux cavernes


souterraines, aux arbres de Palestine, cèdre, cyprès, etc. [pas d'al-
lusion au palmier abondant en Chaldée]), ou même hiérosolymi-
si

taine adresses à Sion, etc.); les traits exclusifs de la composition en

[\) Tome V, p. 107-125 (3" éd., 1891).

(2) Cf. Is., \un, :i; XLV, li; i.xiu, 1; lx, 6, 7.

(3) On que la plupart des arguments mis en avant par le docte


rernar(|uera, en effet,
exégète s'appuient sur des textes empruntés indifféremment à Is., \i.-i.v et à Is., lm-i.xm;
pour plusieurs d'entre eux même, tous les textes proviennent de la dernière série de cha-
pitres. — Il va de soi (|ue les <riti(iues prétendent avoir réponse à ces dillicultés.
us REVIJK IMIU.IOUK.

Hahvlonit' (i.ii. 11, « Sortt'z de h) -, c'osl-à-diic de liahyliuu' ; i.ii, ,"),

.-
«Juai-io A r.iiri^ iii >, i\ .Iriiisalcm: iniHui-os «illusions au milieu cliiil-

doeii. etc.); Ic^ i-(>sseinl)lanc<»s de style qui l'ont dire î^i plusieurs criti-
(|ucs (|ne l'auteui' a écrit à la manièi'c d'Isaïe. — Ces ari^unients Koiit

partielleinenl répétés dans l'article haie [livre (D (|ue M. Knnoni a

donné au DIr/ionna/rr dr la lîihlc Cet auteui- ajoute une réfutation,


dans hnjuelle il se conteule tantôt de rejeter en bloc le bien-1'ondc
dos assertions des critiques et d alléirucr la fansse interprétation des
textes sur lestjuels ils les ap[)uicnt. tantôt d'expliquer les dill'érences

qui existent entre les deux sections du livre par la diversité des ci r-

CfUistances dans lesquelles Isaïe les aurait composées.


Cependant d'autres tenants de l'opinion traditionnelle cherchent à
préciser l'attitude du prophète du huitième siècle par rapport aux des-
tinataires qu'il a en vue dans Is., xl s\ Voici à titre d'exemple com- .

ment F. Delitzsch s'exprimait vers 1857, alors qu'il soutenait encore


l'authenticité de ces oracles : « L'auteur d'Is., xl-lxvi se trouve au
milieu des exilés et leur prêche avec une sollicitude pastorale toute
particulière pour les conjonctures morales très variées dans lesquelles
ils vivent... Si l'auteur est actuellement en présence d'une autre situa-
tion, il parle et agit comme s'il s'en détachait complètement. En vain
chercherait-on. dans ces vingt-sept chapitres, une indication mar-
quant que le prophète distingue la situation idéale qu'il envisage de
la situation réelle dans laquelle il vit; qu'il se détourne. de Babylone,
où il en esprit, pour regarder vers Jérusalem, qui n'est pas encore
est
détruite et dans laquelle il reçoit son message; que ses consolations
et ses admonitions, au lieu d'être adressées au peuple d'exil, le soient
parfois au peuple de Terre Sainte; au lieu d'être adressées à la géné-
ration future, le soient à ses contcnqwrains. Cela n'arrive jamais; il

meut entièrement dans l'exil; là et nulle part ailleurs est le


vit et se

foyer de ses pensées (1). » Nombre d'auteurs catholiques ont abouti


aux mêmes précisions, comme on peut le voir par le texte de M. van
Hoonacker cité plus haut (2). C'est aussi cette situation que la Com-
mission Biblique a envisagée dans son décret du 28 juin 1908.
Les questions et réponses se laissent répartir en deux séries assez
distinctes. Les trois premières tendent à mettre en évidence les prin-
cipes qui permettent de conclure à l'authenticité de tout le livre

d'Isaïe; les deux autres visent à infirmer la force des arguments diri-

gés contre cette thèse.

(1) D'après Dreschler, cité dans SK-inner. p. \i., noie 1.

(2) Cf. p. 109.


L'AME JUIVE PENDANT LA PÉRIODE PERSANE. 119

Tout d'abord on déblaie le terrain en éliminant les principes phi-


losophiques auxquels se sont attachés divers exégètes étrangers à notre
foi. Il n'est pas permis denseig-ner, déclare-t-on, que les prophéties,
— d'après le contexte il faut entendre les prédictions, — qui se lisent
au livre d'Isaïe en divers endroits des Écritures, ne sont pas des pro-
et
phéties au sens vrai et propre du mot. Tel est l'élément principal de
l'assertion. On le précise par l'exclusion de diverses explications qui
ont été proposées en vue d'écarter l'origine surnaturelle de ces oracles.
On rejette d'abord rhypothèse d'après laquelle ces prédictions
seraient des récits postérieurs à l'événement. On prête plus d'atten-
tion encore à une autre allégation. Se voyant obligés d'admettre
que certains faits ont été annoncés avant qu'ils se produisent, des
exégètes ont refusé c[uand même de reconnaître en ces prédictions
l'eitet de la révélation surnaturelle d'un Dieu qui connaît à l'avance
les choses futures; ils ont invoqué des conjectures basées sur des
événements antérieurs et dont la justesse s'expliquerait par une cer-
taine sagacité du voyant et par la pénétration naturelle de son esprit.
Il est facile de s'en rendre compte, nous sommes ici en plein rationa-
lisme, très loin par conséquent de la mentalité d'un certain nombre
de croyants peu favorables à l'authenticité de la deuxième partie du
livre d'Isaïe. Aucun de ceux-ci, en effet, ne se refuse à enregistrer des
prophéties au sens le plus strict du mot; aucun d'eux ne traite les
oracles concernant la prise de Babylone comme composés après
l'événement; aucun d'eux ne croit que les seules ressources intellec-
tuelles du prophète aient pu suffire à la prédiction si précise de ces
grands événements. Mais on comprend qu'il n'était pas inutile de
faire bonne justice des théories de quelques rationalistes attardés (1).
Le problème va être peu à peu serré de plus près. La deuxième
décision (2) envisage une autre théorie. Cette fois, on admet volontiers
l'existence de prédictions très authentiques. Mais les prophètes, Isaïe
en particulier, n'auraient émis de tels oracles qu'à propos d'événe-
ments qui devaient immédiatement survenir ou, au moins, dont la

1 Dubiain. I. — llrum doceri ])Ossit valicinia quae legunlur iii libro Isaiae, et —
passiin in Stiipluris, — non esse veri norainis valicinia, sed vel narrationes post even-
lum conûctas, veL si ante eventum praenuntiaturn quidpiara agnosci opus sit, id prophe-
lum non ex supernaturali Dei fuluroruni praescii revelatione, sed ex Iiis (|uae jara
contigerunt, felici quadara sagacitate et naturalis ingenii acuinine, conjiciendo pracnun-
tiasseV — Resp. — Négative.
(2) Dubium IL — Llrum sentenlia (juae tenet, Isaiam ceterosque prophelas valicinia
non edidisse nisi de liià (juac in continenli vel post non grande teinporis spatiuiu
eventura erant, conciliari possit cum valiciniis, iinpiimis messianicis et eschatologicis,
ail eisdeni prophetis de longinquo certo edilis, necnon cum coniniuai SS. Patrum sen-
120 lu: VI r, luiu.ioiL.

réalisation ne pouvait rivo reportée an <l»'l:i «l'un loni^' ospac(> de

temps. Comme on le voit, celte assertion est nnc consétfaence de la

constatation (jue les prophètes ont été avaid tout les lioniincs de
leur temps et de leur milieu. —
H ne s'agit pas de nier (piOn r(>n-
coutre en efl'et, dans de ehaqne voyant, des piédiclions
les livres

concernant un av<Miir immédiat et trèsproch(;; les exemples de tels


oracles sont très nombreux. C'est à la position exclusive de la tlièse
(|ue s'en prend la Commission et elle la rejette parce qu'elle y décou-
vre deux incompatihdilés. — En premier lien, cette thèse n'est pas

conciliable avec les prophéties, surtout messianiipies et eschatolo-


gitjues, qui ont été certainement i)roférées par ces mêmes prophètes,
bien que très longtemps avant leur accomplissemenl. La Commission
ne veut pas dire évidemment que de nombreux critiques nient la pré-
sence d'oracles messianiques et eschatologiques dans les livres des
anciens voyants, ou qu'ils traitent comme apocryphes et interpolés
tous ceux qu'ils y découvrent. Leur langage est tout autre. Us disent
volontiers que, dans la plupart de leurs prédictions messianiques et
eschatologiques, les inspirés, dont les tableaux manquent de perspec-
tive, ne reculaient pas vers des horizons lointains les visions qu'ils

considéraient; ajoutent souvent que ces prédictions leur parais-


ils

saient devoir se réalisera bref délai. C'est encore une de leurs con-
ceptions que ces visions d'avenir se rattachaient par des liens très
étroits au milieu dans lequel vivait le prophète, qu'elles répondaient
aux préoccupations de son époque, aux circonstances concrètes dans
lesquelles il exerçait sa mission; c'est même en s'appuyantsur ce prin-
cipe, et en l'appliquant fort mal dans l'espèce, que beaucoup de cri-
tiques ont rejeté l'authenticité de la plupart des oracles messianiques
renfermés dans les livres des voyants antérieurs l'exil. Sur ces cà

formes de Commission ne s'exprime pas encore. 11 lui


la théorie, la

suffit pour le moment de trouver dans les oracles messianiques et

eschatologiques de l'Ancien Testament la preuve, d'ailleurs indiscu-


table, que les prophètes, quelle que fût la manière dont ils les envisa-
geaient, ont pu annoncer des événements très lointains de la période
à laquelle ils vivaient. —
La thèse combattue est incompatible, en
second lieu, avec l'opinion commune des saints Pères affirmant una-
nimement que, parmi les prédictions des prophètes, il y en a qui se
rapportent à des événements de plusieurs siècles postérienrs à l'époque
à laquelle ils exerçaient leur ministère. On conçoit sans peine le

quoque praedixissc, quae posl inulla saecula


lenlia concorditer asserenlium, proplietas ca
essent implenda? — Resp. — Négative.
LAME JLIVI:: l'E.NDA.NT LX PEKlODhl PERSANE. 121

bien-fondé de cette assertion; il est évident, par exemple, qu'aucun


des Pères n'a hésité à attribuer du chap. xxxix
à Isaïe l'annonce
relative à la déportation des Judéens en Babylonie. En résumé, —
cette décision revient à dire les prophètes ont émis :des prédic-
tions, non seulement sur les événements cfui devaient immédiate-
ment survenir ou dont la réalisation était proche, mais encore sur
des faits qui pouvaient n'arriver que plusieurs siècles plus tard.
Jusqu'ici la Commission n'a fait que rappeler des principes géné-
raux, qui conviennent à tous les prophètes pris dans leur ensemble;
aussi n"a-t-on donné à Isaïe qu'une place restreinte, on s'est borné à le
mentionner d<ins les énoncés. C'est dans les troisièmes question et ré-
ponse que l'on s'occupe explicitement de son cas concret (1). Ici encore,
on commence par poser un principe, mais un principe d'application
beaucoup moins générale que les précédents. Les prophètes agissent
souvent, soit comme des censeurs de la méchanceté humaine, soii

comme des prédicateurs de la parole divine au profit de leurs audi-


teurs; nul doute qu'alors ils ne parlent directement pour leurs con-
temporains et dans le but d'en être compris. Mais souvent, d'autre
part, ils prédisent des événements futurs. Or, nous venons de voir
(jue, même alors, leurs oracles devraient, au dire de beaucoup de cri-

par des liens étroits à leur milieu, être conçus et


tiques, se rattacher
prononcés en vue de leurs contemporains, être intelligibles de ces
derniers. C'est contre cette assertion c^ue s'élève la troisième déci-
sion elle désapprouve l'opinion d'après laquelle les voyants, lors-
;

qu'ilsannoncent des événements à venir, ont dû constamment s'adres-


ser, non pas à des auditeurs futurs, mais à des auditeurs présents

et contemporains, de manière à être parfaitement compris d'eux. Le

sens de cette proposition est clair Quand les prophètes annoncent :

l'avenir, il peut arriver parfois qu'ils fassent complète abstraction


de ceux qui les entourent, qu'ils ne s'adressent pas à eux, qu'ils
parlent un langage pour eux inintelligible, mais qu'ils s'adressent
aux contemporains des événements qu'ils prédisent.
L'application est facile au cas d'isaïe. La Commission admet très
volontiers que, dans les chap. xl-lxvi, le prophète ait en vue, pour

1 Dubiuin III. — llruni adinitli possit, prophelas non modo tanquam correctores
piavilatis humanae diviniijue verhi in iiroft;cluin audientiuiu praecones, veruiu etiani
tamiuarn praenunlios evenUium fuluroium, conslanter alloqui debuisst- audilores non
(liiiileiii fuluros. sed praeseiites et sibi aeqiiales, ita ut ab ipsis (dane intelli^i potuerint;
proindeque secuiidam parlem libii Isaiae (cap. \i.-i.xvi), in qua vales non Judaeos Isaiaf
aequalcs, at Judaeos in exsilio babylonico lugenles veluli inter ipsos vivens alloquitur et
solatur, non posso ipsum Isaiani jamdiu einortuum auctorcm habeie, sed 0|iorlere cam
ignoto cuidani vati inter exsuics vivcnli assignare? Rcsp. Négative. — —
122 iii:\i i: luiJi.ini !•:.

les consol» r. non pas les <T)nl(Mn|K)raiiis dlsaïo, mais les Juifs (|iii

pleurent dans l'exil hahyloiiicn, (\\\"\\ leur pai-h' comme s'il vivait
an militui d'eux, he ce eli<>(', le déci'et est en raj)i)()rl avec la iaçoii de
parler de V. Dehtzscli et do nombre d'écrivains calliolitpies auxcpiels
nous faisions allusion plus haut. Kn revanche, il est loin d'insister,
comme le faisait M. Vii^ouroux, sur les points de contact des oracles en
(juestion avec le milieu pah^stinien du huitième siècle; il semble plu-
tôt admettre (»n permettre de snpposer (pie de ce milieu il est fait
complète abstraction. — Mais. a[)rès cette constatation, la Commission
se refuse à retenir la conséquence qu'en tirent la [)lupart des cxégètes
étrangers à iK^lise, vers laquelle certains interprètes catholiques se
sentaient pencher. On n'admet pas o^u'i/ soit impossible que ces ora-
cles aient poitr tinlrit)' Isa'ie^ mort dejuiis longtemps, (pi'il faille les
attribuer à un prophète inconnu, vivant au milieu des exilés.
Ainsi que nous l'avons dit, les deux dernières questions et réponses
aboutissent au rejet des arguments mis en avant par les critiques
« pour attaquer l'unité d'auteur du livre d'Isaie ». — La quatrième (1)
décision prend en spéciale considération cette preuve philologique, «

tirée de la langue et du style », à laquelle beaucoup de critiques ont


attribué une force à part. C'est pour déclarer que cet argument ne
doit pas être censé tel qu'il contraigne un homme grave, versé dans
la critique et la langue hébraïque, à reconnaître dans le livre d'Isaie

l'intervention de plusieurs auteurs. La cinquième décision (2) est —


d'ordre plus général. Qu'on les môme on
étudie en particulier, que
en envisage la force cumulative, il n ij apax d'arguments assez solides
pour prouver que le livre cVlsaïe ne doit pas être aitribuè au seul
haie lui-même, mais à deux ou plusieurs auteurs.
Il va de soi que nous faisons de ces directions la règle de notre

exégèse. Si nous ne craignions de donner à cet article de trop longs


développements, nous ajouterions volontiers quelques remarques des-
tinées à mettre en plus clair relief les conséquences qui découlent de
ces décisions. Qu'il nous suffise de tirer de la troisième réponse la
conclusion qui s'en dégage, à savoir qu'Is., xl-lv (-f- lx-lxii?) est
d'un intérêt capital pour le sujet qui nous occupe (3).

(1) Dubium IV. — Utrum ad iiiipugnandain identitatein auctoris libri Isaiae argumenlum
pliilologieurn, ex lingua .stiloque desmuptuin, taie sit censenduin, ut virum liravein,
criticae artis et hebraicae linguae peritum, cogat in eodem libro pluralitatein auctorum
agnoscere:' — Resp. — Négative.
Duliium V.
'2) —
Utrum solida prostent argumenta, eliam cumulative sumpta, ad
evincendum Isaiae librum non ipsi soli Isaiae, sed duol>us, imo pluribus aucloribus esse
tribuendum:' — liesp. — Négative.
loy Nous ne parlons pas ici de Daniel. La plupart des exégètes sont aujourd'bui d'ac-
LAME JUIYE PENDANT LA PÉRIODE PERSANE. 123

8° Les prophètes de la reslam^alion juive : Aggée, Zacharie,


h. Lvi-Lxvi, Malachie.

Après nos études antérieures sur Les Juifs pendant, la période


persane, il n'est pas nécessaire de longuement insister sur le milieu
dans lequel les prophètes de la restauration exercèrent leur ministère.
C'est en 538 que Cyrus passa la frontière clialdéenne. La
besogne
devait être facile. Les expéditions précédentes avaient supprimé les
peuples auxquels Babylone aurait pu demander du secours. D'autre
part, le roi de Perse n'ignorait sans doute ni le mécontentement
que
Nabonide inspirait à ses sujets, ni les vœux que les déportés de tant

de nations formaient pour l'hamiliation du maître qui les opprimait.

Les auspices étaient favorables et Tévénement leur donna raison. Dès


le 16 Tammuz (juillet), Cyrus, après avoir parcouru
victorieusement
le pays, pouvait entrer dans Babylone, que Gobryas lui avait conquise

sans coup férir. Le vainqueur se montra bienveillant et le pays accepta


volontiers son autorité libérale. On ne sait au juste quels événements
remplirent la fin de son règne; il mourut en 530.
On le comprend sans peine : les diverses provinces que Cyrus avait
conquises n'accepteraient pas le joug sans, à tour de rôle, essayer
de le secouer. Un certain nom du conquérant
temps toutefois, le

imposa le respect. Aussi son successeur, Cambyse (530-52-2 u put-il

continuer l'œuvre de Cyrus et, sans doute, réaliser un de ses rêves en


annexant TÉgypte à son empire. Mais les révoltes devaient éclater,
terribles, au moment du changement de règne. Elles seraient
favo-

risées par les troubles intérieurs auxquels donnerait lieu la succes-

sion. Déjà Cambyse n'avait pu faire reconnaître son autorité


qu'a-

près avoir réduit le parti de son frère puîné Smerdis et avoir fait

assassiner ce dernier en secret. Nos lecteurs connaissent l'histoire de


la révolution organisée par le mage Gaumata ou faux-Smerdis et la

manière dont Darius, fils d'Uystaspe, monta sur le trône après en avoir
triomphé. Ce ne fut pas la seule difficulté qu'il eut à vaincre. De
toutes parts les insurrections éclataient à Suse, à Babylone, en :

Médie, en Assyrie, en Arménie, sans parler des provinces de Sagartie,

des prophéties messianiques et eschalologiques. les


cord pour admettre qu'en dehors
visions qu'il renferme concernent surtout la période grecque et
aboutissent au temps
départ de la
d'Antiochus Épiphane. C'est même cette constatation <iui est au point de
relative à l'authenticité du livre. Dès lors, les visions ont d'autant moins
controverse
le livre doit être
ilintérêt pour la question qui nous occupe que, d'a|irés Dan., xn, 'i,
>cellé .. jusqu'au temps de la (in ». Quant aux renseignements à prendre dans les récits,

ils sont en somme peu nombreux.


>-+ iii'.vn; Miiujoi K.

irilyrcaiiio, de Sogdiauc, sans parler de TAsie .Miiinirc (>l de TK^yplo.


'-'' n(Mi\. III iMi se mil à 1'(imi\ re avec une ardeur (|ui rappelait celle
de (.\ius lui-même. De toutes les répressions i;i |)liis laborieuse lut
eelle (11- l>;ihyl()ue: les taMdtrs montriMit iju«- Ir pi-rleudaiil . ipii usur-
pait le nom de .Nabuehodouusoi' et se disait lils Av. Nabonide, v exerea
son autorité du mois d'octobre 5-2I au uu)is daoùl Peu à peu
r)2().

loutclVus le calme se rétablit; c'est alors que, pour prévenir de nou-


veaux mouvejucnts, Darius procéda à cette organisation de l'empire
qui devait rendre partout sensibles la main et l'autorité du grand
monarque. On sait comment l'issue fatale de la première guerre
médi(|U(^ attrista les dernières années d'un règne qui avait été si
glorieux; Darius mourut au moment où il allait réprimer une nou-
velle révolte en Egypte (V85..
Le rè-nc de Darius nuirque l'apogée de la uKuiarcliie persane,
I

l.i^s rivalités meurtrières qui éclataient à clun^ue cbangement


de rè-
une. les entreprises téméraires des souverains, les agitations des pro-
vinces, les progrès sans cesse croissants des Grecs devaient peu à, peu
alfaililir cette i)uissance, factice à beaucoup d'égards, et en préci-
piter la ruine. L'autorité allait encore demeurer près de cent cin-
([uante ans dans la famille des Acliéménides à laquelle appartenait
Darius. La tin de la campagne d'Egypte et la deuxième guerre médi-
• [ue, sous Xerxès (>85-iGV); de nouvelles luttes en Egypte, la fin des
premières rivalités avec la Grèce, une campagne en Syrie, sous Ar-
taxerxès I Longuemain (46V-425); la convention de Milet, sous Da-
rius Il Xothus (I2i-.'t0'i.); la paix d'Antalcidas, la capitulation du
gouverneur de l'île de Cbypre, les débuts d'une nouvelle campagne
contre l'Egypte, sous Artaxerxès Mnémon (40'i-358); l'acbèvement II

de cette campagne, sous Artaxerxès III Ochus (358-336) tels furent :

les principaux événements de cette période qui al)outit à l'entrée


en scène des Macédoniens. On sait qu'après le règne éphémère d'Ar-
sès, Darius Codoman (336-333)
III céda, dans la bataille d'Arbèles,
l'empire du monde à Alexandre.
Il est facile de comprendre que tous ces mouvements de peuples

avaient leur retentissement en Palestine. Certaines campagnes des


monarques de Suse, comme celles d'Egypte, devaient avoir pour con-
séquence le passage des troupes persanes au travers de l'Asie médi-
terranéenne; les autres ne pouvaient manquer de provoquer l'atten-
tion de peuples vassaux toujours intéressés à ce qui pouvait affaiblir
leur suzerain. Il va de soi que les Juifs revenus au pays, et dont
l'établissement était si laborieux, suivaient de très près ces événe-
ments; ils s'appliquaient à les apprécier d'après les principes mis en
Î/AMI-: Jl IVE PENDANT LA PÉRIODE PERSANE. 125

lumière par les anciens pi'ophètes, quand de nouveaux voyants ne


venaient pas inspirer à nouveau leurs jugements.
De fait il y eut de nouveaux voyants. Les écrits de deux d'entre eux
sont datés avec la dernière précision. 11 s'agit d'abord d'Aggée. Ce
prophète, dont on fait souvent un prêtre, était sans doute un rapatrié.
Le petit livret de ses œuvres contient en deux chapitres quatre ora-
cles datés du 1''' du 6- mois, du 21 du 7'= mois, du 24 du 9" mois
:

(deux oracles sont de ce jour) de l'an 2 de Darius, c'est-à-dire des mois


d'Août, Octobre, Décembre 020. 11 est possible que, selon l'opinion
de Marti (1) et Steuernagel, les oracles d'Aggée n'aient pas été écrits
et collectionnés par le prophète lui-même. Les prologues parlent
tous d'Aggée à la et une notice historique sépare l'un de
3' pers.,
l'autre lesdeux premiers discours; un discij)le du prophète a peut-
être joué ici un rôle analogue à celui de Baruch par rapport au
recueil de Jérémie. En tout cas les indices sont nombreux, et —
Marti lui-même en convient, —
qui invitent à placer la confection
du petit livret très peu de temps après la prédication du prophète;
elle est certainement antérieure à l'achèvement du temple en 516.
— Il ne semble pas qu'il faille rien retenir des doutes émis par

M. Tony André (2) touchant l'authenticité du troisième oracle iii, 10-


19).
En même temps qu'Aggéc, un autre prophète se faisait entendre;
c'était Zacharie, fils de Barachie. Il appartenait à la famille sacerdo-
tale d'Iddo (3); et c'était probablement, lui aussi, un rapatrié. On ne
possède d'ailleurs aucun autre détail sur sa personne. Si l'on s'en

tient à la partie non contestée du livre qui porte son nom, trois ora-
cles lui sont attribués avec des dates très précises. Le premier est du
8" mois de l'an 2 de Darius (Octobre-Novembre 520) le deuxième ;

est une vision très complexe et très importante, dont le prophète fut
favorisé le 2i- du 11" mois de la même année (Février 519); le troi-
sième est une réponse à une consultation qui lui fut adressée le 4 du
9' mois de l'an i de Darius fin Novembre 518 .

Ces oracles de Zacharie, comme ceux d'Aggée, se rattachent d'une


manière très étroite à la reconstruction du Temple et font écho aux
idées que ces travaux suscitaient dans les âmes pieuses et dévouées

{i) Voir le volume consacré aux Douze Petits Prophètes dans /<urzf''r lland-Commen-

tar zum Alten Testament, publié sous la direction du même auteur.


(2) Cf. Tony Andhé, Le prophète Aggée, Introduction critique et Commentaire, \k 24-
30.
(:j) Ne., XII, 4 mentionne Iddo |iarmi les prêtres et les lévites qui revinrent avec Zoro-
babel et Josué.
12G •
HKM K nilil.lUl'K.

;\ Vahwoli. Ils sont très importants en i()ns»''(|iionrr ponr riutoHi-


iicnce (1<> l'àint' juive an temps de l>arius I. en particulier au mouicnt
où lUahile monarcpie mettait iiii aux troiiMcs (pii avaient signalé
les débuts de son règne.
Il n'est pas nécessaire de l^eaucoup datlention pour déoouvrir
ion

nombreuses diilerences que révèle la com[)aiaisou des deux parties


i^i-vui et i\-Mv) du livre de Zaeharie. Au point de vue de la forme, —
la première se ramène à trois oracles nettement datés: la seconde est
une sorte dautbologie assez variée, dépourvue de toute chronologie,
analogue de ce point de vue aux recueils d'Amos ou d'Osée. D'autre
part, on ne trouve rien dans les chap. ix-xiv, pas même l'apologue
du prophète-pasteur (1), qui rappelle la grande vision de i, 7-vi, lô.
— Au point de vue du fond, les diilerences sont plus sensibles encoj-e.
La première partie, en relation avec un ensemble
nous lavons vu, est

de faits très précis, très faciles à identilier. Dans les chap. ix-xiv, au
contraire, les rapports avec les faits concrets sont assez lâches pour
qu'on ne puisse le plus souvent décider en vue de quelles circons-
tances les oracles ont été composés; on se sent en présence de thèmes
généraux, traditionnels, renouvelés sans doute, mais sans que l'on se
soit beaucoup préoccupé d'en actualiser les détails. Certains points
attirent plus spécialement l'attention. Les oracles principaux de la
première partie ii, 7-vi, 15 et vn-viii) supposent nettement que le
temple en reconstruction dans la deuxième partie, il est sup])osé
est ;

existant 2) et l'on ne peut signaler aucune allusion à son actuelle


réédification. Les chap. i-vni sont tous datés de l'an 2 de Darius I;
or les chap. ix-xiv mentionnent des ennemis flladrach, Damas,
Hamath. Tyr, Sidon, Philistie, Assyrie, Egypte) qui n'ont pas dans
l'histoire de cette époque le rôle qui leur est attribué (3). On peut
encore remarquer que, dans la première partie, c'est la paix qui
est au premier plan tandis que, dans la seconde, le présent est une
période de trouble et de vives commotions. Enfin, tout en se gar-
dant d'exagérer ici le contraste, on peut ajouter que le conflit avec
les nations en général est plus accentué dans ix-xiv que dans i-viii.
Il est facile, en faisant ces constatations, de prévoir qu'une question

d'authenticité se pose. Les critiques se sentent encouragés à la dis-


cussion par la présence, au début du chap. ix, d'un titre analogue
à celui de Mal., i, 1 Charge de la parole de Vahireh. On remarque
:

même que ce titre est répété au début de Zach., xii, 1 Cette raison

(1) Zach., \i, 'i-17; MU, 7-9.

(2) Zach., L\, 8; xiv, 16-1!).


(3) Zach.. IX, 1-7; \, 10, 11 ; M\ , 18, l'.t.
L'AME JUIVE PENDANT ÏA PÉRIODE PERSANE. 127

s'ajoute à beaucoup d'autres pour inviter les exégètes à étudier à part


ces deux sections de la deuxième partie de Zacharie.
Dès la première section (ix-xi auxquels on joint d'ordinaire xiii, 7-9)
on remarque ce caractère d'anthologie auquel nous avons déjà fait
allusion. Les critiques se sont montrés et se montrent hésitants sur
la date qu'il convient d'attribuer à ces oracles. La plupart des —
anciens exég-ètes et, parmi les contemporains, Kuenen, Stiirk, K«)nig,

Baudissin, les traitent comme antérieurs à l'exil; ils en placent la


composition dans les temps qui précédèrent la destruction du
royaume du Nord. Leurs arguments sont : qu'il est parlé du
royaume du Nord comme étant encore existant (1); que l'Egypte et
l'Assyrie sont mentionnées comme lieux de déportation (2) tout
comme dans Osée; que les reproches relatifs aux téraphim et aux
devins (3) ne conviennent qu'aux temps antérieurs à la captivité;
que les nations auxquelles les menaces s'adressent (4) sont celles qui
étaient en vue vers 730. Dès lors, Zach., ix pourrait être du règne
de Jéroboam II, antérieurement à la période d'anarchie qui préci-
pita la ruine de Samarie ainsi qu'à la prise de Damas par Téglath-
Plialasar (732); Zach., x, qui parie du repeuplement des districts
du Liban et de (ialaad (5), serait postérieur à la déportation des can-
tons du nord et du nord-est du royaume (l'iï); \i, 1-3 serait un peu
antérieur à l'oracle précédent. Enfin, malgré la diversité des expli-
cations que provoquent les nombreuses difficultés de l'allégorie,
XI, i-17 -\- XIII, 7-9 serait en rapport avec les événements qui accom-
pagnèrent et suivirent la mort de Jéroboam l'allusion à la rupture ;

de l'alliance fraternelle (G) viserait la g"uerre des Éphraïmites. unis


aux Syriens, contre Juda, au temps de Phacée et d'Achaz. L'auteur
serait finalement un prophète judéen contemporain d'Isaïe. A —
l'opposé de cette opinion, des critiques se plaisent à souligner les
« « d'une origine postexilienne. Ce sont
signes certains avant tout :

la mention des Grecs (7) comme une puissance mondiale, comme un


adversaire dont la défaite par Israël est mise en relation avec l'ins-
tauration des temps messianiques; des traits indiquant que des étran-
gers ont dominé et dominent encore sur la maison de Yahweh,

(1) Cf. Zach., M, 14 (ix, 10).

(2) Zach., y, 10, 11. Cf. Os., vu. 11; i\, 3; \i, 11 ; xii, '2.

(3) Zach., X, 2.

(4) Zach., i\, 1-7.

(5) Zach., X, 10.


(6) Zach., XI, 14.
(7) Zach., i\, 13.
Ijs HEVl'K iMiu.ion;.

c'ost-à-iliro sur le ItMiiplc et siii- .Irnisaloiu (li; la nianiôrc donl on


(l(''jM'inf le Messie [-2 . Irrs diUcrontc de celle d'avant l'exil; les

attentes concernant d'Kphraïm exilé (.{), attentes qni


\r i-cloni'

trouvent leur première expression dans .lérémie Ci). D'antre part,


la mention de Assyrie et de ri\!i)pte comme séjour des captifs (5)
l

s'explicpiernit, ou l)ien parce ([u'il s'ai;irait de la Syrie des Séleu-


cides et de rÉiiypte îles Ptoléniées, ou encore parce c|u'on serait
en présence de développements conventionnels provenant d'une
époque où le tiiènie du retour de la Diaspora aurait pris un carac-
tère tout théori(|ue: on aurait ainsi une réutilisation des donuées
des anciens oracles adaptés aux circonstances nouvelles dans les-
([uelles se trouverait mention des Grecs, sous la
le prophète. La
l'orme spécifique (ju'elle revêt, nous reporterait nécessairement à
l'empire macédonien. Taudis que plusieurs critiques (Stade, ('ornill)
pensent aux temps qui suivirent immédiatement la mort d'Alexandre,
à la période des diadoques, d'autres en plus grand nombre (Marti,
Wellhausen, Duhni, etc.» descendent jusqu'à l'époque des xMaccabées.
Les pasteurs seraient des grands prêtres on identifierait les trois :

mauvais pasteurs de xi, 8 avec Lysimaque, Jason et Ménélas; le


mauvais pasteur de xi, 15 sv. avec x^lcime; le bon pasteur serait alors
Onias iV. On aboutirait ainsi aux abords de l'année IGO. M. Steuer-
nagel objecte contre une date si tardive celle de la clôture du canon
des prophètes; d'autre part, la question lui paraît si complexe qu'à
la suite de Sellin, il croit à une prophétie préexilienne, composée
vers 7V()-7:30, et retravaillée au temps des diadoques (6).
La deuxième section (xii-xivi se subdivise à son tour. Les chapi-
tres xii-xiii sont encore une colleclion d'oracles de natures assez di-
verses, dont plusieurs présentent des analogies avec ceux de ix-xi, dont
les autres, notamment celui du grand deuil (7), ont un caractère tout à

fait à part. Dans ce premier groupe toutefois les traits apocalyptiques

(1) Zach., IX, 8 (« l'oppresseur ne passera plus sur eux »).

(2) Zach., IX, 9.

(3) Zach., IX, 11, 12; X, 6-10.


(4) Jer., XXXI, 15-22.
(5) Zach., X, 10, 11.
{6) Le dernier commentateur du livre de Zacharie, Uinckley (1. Mitcuei.l (A critical
and exegetical Commvntary on fJaggai and Zec/iariali, partie du volume ,4 critical
and exegetical Commentary on Haggai, Zechariah, Malachi and Jonah by Hinckley
G. MiTCHELi., John Merlin Powis Smith, Julius A. Bewer, 1912) distingue quatre sections et
quatre auteurs pour Zach., ix-\iv ix, 1-10, peu après 333; ix, 11-xi, 3, du temps de Pto-
:

lémée III (247-222); xi, 4-17 +


\in, 6-9, peu après 217; xii, l-xiii, 6 et xiv, vers la même

date. Il y a une part de naïveté dans ces précisions.


(7) Zach., XII, 9-14.
L'AMK .11 IVE PENDANT i.A PERIODE PEHSANE. 129

sont plusnombreux que dans la section précédente. Ils prennent une


importance beaucoup plus considérable dans le cliap, xiv (1). On a ici
une vision qui a plus d'un trait commun avec celle d'Ez., xx\.viii-
XXXIX et qui nous fait assister à l'effort suprême des nations contre
Jérusalem et à l'issue de cette lutte. La plupart des anciens cri- —
tiques (Newcome, Knobel, Schrader, Bleek, Ewald, Riehm) attri-
buaient cette section à un prophète contemporain de Jérémie et des
derniers jours de Juda. Israël n'existe plus et Juda constitue à lui
seul le peuple de Dieu; les promesses elles-mêmes ne tiennent aucun
compte de l'ancien territoire du royaume du Nord. On est en consé-
quence à bonne distance des événements de 722. D'autre part, la
« lamentation d'Hadadrimmon dans la vallée de Megiddo » (2) parait

se référer au deuil qui suivit la mort de Josias et nous transporte ainsi


après l'année 608. En revanche, la mention de la maison de David (3)
suppose que la royauté existe encore. Les allusions à l'idolâtrie et aux
faux prophètes (i) cadrent bien à ce que nous savons de l'époque si
troublée de Joachim, de Jéchonias, de Sédécias; on découvrirait même
des références à l'approche des Chaldéens, à la prise de Jérusalem en
587(5), à la fuite d"un groupe d'habitants (6), etc. Si séduisantes —
que soient ces considérations, qui retiennent encore des critiques de
marque (von Orelli, Konig. Sellin), la plupart des exégètes non catho-
liques adoptent l'hypothèse d'une origine postexilienne. Il est évident
que le royaume du Nord ne compte pas plus après l'exil qu'entre 722
et 587. L'allusion au deuil de Josias n'est pas certaine; le fùt-elle,
que II Chron., xxxv, 24, 25 prouverait que le souvenir de ces lamen-
tations se perpétua jusqu'aux temps grecs. D'autre part, si la men-
tion de la maison de David témoigne du prestige dont jouissaient
les représentants de l'a'ncienne dynastie, la place faite à cette famille
au même
rang que les autres familles de Juda (7) exclut l'idée qu'elle
fût encore investie de la royauté. Par ailleurs, l'hypothèse d'une
origine postérieure à la captivité serait motivée par l'idée eschato- :

logique d'une attaque de toutes les nations contre Jérusalem (8j par ;

l'attente d'une source qui, jaillissant de la capitale, arroserait le

{1 Cf. surtout Zach., xiv, 3-10, 12-15.

(2) Zach., XII, 11. Cf. Il Reg., wiii, 29, 30; II Cliron., xwv, 22-25,

(3) Zach., XII, 7, 10, 12; \iii, 1.

(4) Zach., XIII, 2-6.

(5) Zach., XII, 2-8.

(6) Zach., XIV, 1-5.


(7) Zach., XII, 12, l.J.

(8) Zach., \iv, 2.

KEV€E BIBLInUE l'JlT. — ,N. S., T. XIV.


130 UEVii: uiiujun:.

pays pour y accomplir une (vuvi'ii de piirilication (1); par le caractère


npocalyptiquo des dosciiplions du chap. \iv: par l'insistance sur les
nianit'(^stations cultuelles de la conversion des peuples (-2) par l'inipor- ;

tancc attachée aux marques extérieures de sainteté (:i). Il faut aussi


le remarquer le jut^ementsi sévère prononcé contre les prophètes (V)
:

suppose (juon ne connaît plus de vrais prophètes, que, par consé-


quent, l'ère du prophétisme est close. Il est plus difficile d'indiquer
une date précise. Les allusions aux faits contemporains qui se nièlenl
aux perspectives d'avenir sont d'autant plus mahiisées à saisir que
l'histoire de la période postexilienne est très mal connue. .V quoi cor-
respond l'espèce de rivalité dont il semble être question entre la

capitale et le pays de Juda (5)? Quel est le meurtri (pii devient le


point de départ du errand deuil (6)? Tout cela nous échappe. On a
limpression que l'auteur vit à un moment de grands événements, de
grands bouleversements; c'est pour cela que l'on pense soit au
temps d'Alexandre, soit de nouveau à l'époque machabéenne. Nowack
et Sellin attribuent xii-xiii et xiv à deux auteurs ditlércnts.
Si les théories que nous venons d'exposer sont exactes, nous n'avons
pas à utiliser Zach. ix-xiv dans notre étude. Mais ne sont pas elles

au-dessus de toute objection. M. van Hoonacker a repris le sujet avec


sa compétence habituelle et est arrivé à d'autres conclusions.
Dans la première section (ix-xi -f- xin, 7-9), il distingue deux « sous-
sections » : IX, 1-16»+ x, 1 -f- IX, 17; — et ix, 16'" ; x, 2, 3'"; xi; xiii,

7-9; X, 3'-12. Des traits indiscutables indiquent que la première est


postérieure à l'exil; mais le souvenir très vivant de la réédification du
temple (7), l'analogie des promesses avec celles d'Aggée et de Zach.,
i-vHi (8) invitent à demeurer dans les premiers temps qui suivirent le
retour. Contre cette assertion on ne saurait alléguer la mention des
]-^-^22 (9), qui lient à une faute de copiste, ni les formules et les
images qui rappellent les anciens prophètes. On sait, en effet, que
1 imitation, on pourrait dire l'exploitation des recueils d'oracles
:

préexiliens est déjà l'un des caractères distinctifs des premiers voyants

(1) Zach., Mil, 1.

(2) Zach., XIV, 16-19.


(3) Zach., XIV, 20, 21.
(4) Zach., XIII, 2-6.

(5) Zach., XII, 6-8.

(6) ZaeC., XII, 9, 10.

(7) Zach., IX, 8.

(8) Cf. Zach., IX, 1 ss., 13 ss. et Agg., ii, 4 s., 6 ss., 21 ss.; Zach., m, 8 ss.; i\ : mu,
10 ss.

(9) Zach., IX, 13.


L'AME JUIVE PENDANT LA PERIODE PERSANE. lat

d'après d'Aggée et de Zacli., i-viii (1), et qu'elle prend dans


l'exil,

la suite une importance chaque jour croissante. Les premiers —


éléments de la deuxième soiis-section (ix, 16'" x, 2, 3'''; xi) ont ua ;

caractère rétrospectif et nous reportent aux temps qui précédèrent


immédiatement la captivité de Babylone on y parle des désordres :

de la période (2) les lamentations sur la chute des cèdres du Liban et


;

des chênes de Basan (;i) sont en rapport avec la ruine de Jérusalem


en 587; les trois pasteurs supprimés sont Joachaz, .loachim, Jéchonias,

tandis que S^décias est le pasteur insensé (i). Mais cette récapitu-
lation des jugements divins aboutit à des visions de triomphes
prochains, analogues à celles du chap. ix (5). On est donc à nou-
veau dans les temps immédiatement consécutifs au retour; divers
pu être esquissés qu'à l'adresse d'une génération
traits (6) n'ont toute
pénétrée encore du souvenir des grands malheurs.
Passant aux chap. xii-xiv, M. van Hoonacker ne dissimule pas les
traits qui en distinguent les deux (( sous-sections » (xii, 1-xin, 6 et
xiv). Mais il relève des points de contact (7) qui ne permettent pas
de traiter séparément ces deux subdivisions. Il établit ensuite que
xii-xiv datent d'après l'exil. Il insiste ; sur la dépendance de xii,

par rapport à Is., lui (8); sur les dimensions


10'' sv. très restreintes

de « » dont il est parlé xiv, 10 sur les traits empruntés


tout le pays ;

aux événements de 587 pour la description de la calamité suprême


dans XIV, 1 sv, (9); sur une allusion précise au traitement que
Yahweh infligea au pays de .Juda par la destruction de Jérusalem et
de plus, le savant exégète
la déportation des habitants (10), etc. Mais,
estime qu'à leur tour, les chap. xu-xiv datent des premiers temps de
la restauration. Jérusalem n'est pas encore rebâtie (11); ses ennemis,

(1) Cf. entre autres traits : Zach., ii, 2 où l'on parle, comme jadis, d'Israël, d'Éphraïm
et de .lérusalem; viii, 13 (?) où l'on parle de la maison de Juda et de la maison d'Israël.
16''^; x, 2-3--'''.
(2) Zacb., IX,
(3) Zach., XI, 1-3.

(4; Zach., XI, 8, 15-17.


Zach., \ui, 6-9 fait la transition; le thème du triomphe est développé x, 3'^-12.
(5)
{Ci) Zach., IX, 16'' + X, 2, S»'' (retour sur les causes de l'exil); xi, 1-3 (sur le châtiment

intligé aux grands); xi, du dernier roi); etc.


15-17 et xiii, 7 (indignité

(7) XII, 1 ss. et XIV, 1 description d'attaques essuyées par .Jérusalem;


ss. débutent par la

Mil, 1 ss. et XIV, 6 ss., les deux discours hnissentcn partant de la victoire remportée par
Vahweh à Jérusalem pour annoncer l'avènement et les bénédictions du royaume messia-
nique.
(8; A ses yeux, celui dont la mort est roccasion du grand deuil (Zach., xii, 10-14) ne

serait autre que le Serviteur de Yahweh dont parle Is., un.


(9) Zach., XIV, 1-5.
(10) Zach., XIV, 11.
(11) Zach., MV, 10, 11: cf. xii, G.
i:\-2 iiKvi K i;ii;i.inri;.

auxquels il est fait allusidii et i\\n' lOu désigne comme « les })cuples
d'alentour » (1), sont les [lopulatious hostiles des pays voisins (jui

veulent empocher la reconstruction de la capitale. C'est aussi Toc-


casion de rap[)clei' la maison de David (2), qui s'cx-
mention de la

pli(|ue facilement au moment la prcsence ou au moins le souvenir



de y.orobabel donnent plus de relief à l'ancienne dynastie; on con-
çoit d'ailleurs (|u'en cette hypothèse, le retard du salut demeure une
le<;on d'hinnilité j)i>ur les habitants de la capitale et pour la famille
royale.
Après avoir étudié à part deux sections de Zach. i\-\iv, le
les

docte professeur de Louvain compare entre elles. Si grandes


les

qu'elles soient, les dillerences ne doivent pas faire méconnaître de


réelles ressemblances. De part et d'autre, l'avènement messianique
est annoncé comme la conséquence d'une guerre victorieuse contre
des ennemis qui ne sont pas nommés; de part et d'autre, on remarque
de semblables artifices de style, notamment la période à trois mem-
bres. Les éléments font défaut pour conclure à l'unité d'auteur; mais
on peut parler d'une communauté d'origine littéraire. Le rappro- —
chement de Zach. i.v-\iv avec Zach. i-viii a tout d'abord l'air d'une
gageure. M. van Hoonacker commence par montrer que les diliérences
de forme et de fond signalées par les critiques ne sont pas toujours
concluantes, qu'elles trouvent une explication suffisante dans les dif-
férences des circonstances qui ont entouré la composition de ces
deux parties du livre. Il peut dès lors relever avec plus de force les
ressemblances de langue, de procédé littéraire, de fond, qui existent
entre ces deux séries de documents. C'est pour aboutir à la consta-
tation d'une « analogie foncière » qui « témoigne directement en
faveur de l'unité de composition des chap, i-viii et ix-xi (-f- xiii,
7-9) » et indirectement en faveur de l'unité de composition des chap.
i-viii et ix-xiv. Tandis que la première partie du livre est des années

2 et i de Darius, la deuxième serait ou de la fin du règne du fils


d'Hystaspe ou, mieux peut-être, du début du règne de Xerxès, de
l'époque où se manifestèrent les premières oppositions à la restaura-
tion des murs de Jérusalem.
On peut penser que la question de deuxième partie du livre de la
Zacharie n'est pas encore résolue et en effet, probable que la il est,

savante dissertation de M. van Hoonacker ne ralliera pas tous les suf-


frages. Une chose semble acquise toutefois c'est que j)eu d'exégètes :

(1) Zach., \ii, 1-5, notamment vers. 2.

(2) Zach., xu, 7. Cf. Esdr., iv, 4, 5 ; v, 3-5; iv, G, 7, 8-24.


L'AME JllVE PENDANT LA PÉRIODE PERSANE. 133

songeront désormais à cette période maccabéenne dans laquelle


on bloquait tous les livres dont la datation présentait quelques dif-
ficultés. La place que Zach., ix-xiv occupe dans le canon, immédia-
tement avant Malachie, ne parait pas favoriser cette hypothèse. Dès
lors ces oracles se rattacheront de très près à la période ([ui nous
occupe, s'ils ne lui appartiennent pas totalement. Nous aurons en
conséquence à les étudier et, en les étudiant, à préciser quelques-unes
des considérations qui ont été ci-dessus énoncées (1).
ne manque pas de quel-
L'histoire de la critique dis., lvi-lxvi
ques analog"ies avec celle de Zach., ix-xiv. De bonne heure on remar-
qua que les thèmes des onze derniers chapitres du livre d'Isaïe se
distinguaient nettement des sujets traités dans la section précédente.
C'en fut assez pour conclure qu'ils n'avaient pas été composés dans
les mêmes circonstances, ni peut-être dans le même milieu. Un certain
temps, des affinités de style et de fond nombreuses (2), et frappantes,
firent retenir l'hypothèse d'un seul auteur. Mais peu à peu, on en
vint à admettre la pluralité d'origines, les ressemblances ne pouvant
suffire à contre-balancer les différences (3). Deux courants d'opinion
se dessinèrent d'abord. — Quelques exégètes, à la suite d'EAvald, qui
fixait la composition de lvi, 9-lvii, 11 au temps de Manassé, traitè-
rent diverses parties (4) de cet ensemble comme antérieures à la
(1) Nous ne parlons pas de la prophétie à'Abdias, qui ne nous fournit guère d'éléments

que nous ne retrouvions ailleurs. Ce feuillet a été soumis par plusieurs critiques à de
vigoureuses disseclions mais, pour le plus grand nombre, ces exégètes ont placé la rédac-
;

tion définitive au temps de l'exil ou pendant la période persane. M. van Hoonacker admet
l'unité du feuillet (cf. aussi Condamin, L'uniié d'Abdias, dans R.B., 1900, p. 261-268) et
en fixe la composition vers 500. C'est dire que, dans toute hypothèse, nous pourrons à
l'occasion (aire quelques emprunts à cet opuscule.
>} Au point de vue de la forme et des expressions, cf. (d'après Steuernagel) lm. 1 et :

XLVI, 13; LVJi, 11 et \LVii, 7; Lix, 1 et L, 2; Lix, 19 et XLV, 6; Lx, 4 et XLix, 18, 22; LX, 9 et
Li, 5, xuii, 6; LX, 13 et XLI, 19; LX, 16 et XLix, 26; LXI, 8 et LV, 3; LXI, 11 et XLV, 8;
Lxii, 11 et XL, 10; Lxv, 17 et xliii, 18, 19. Noter aussi les expressions choisir, se glorifier,
plaisir^ germer, louange, etc. — Au point de vue des idées, on remarquera de part et
d'autre : la préoccupation de consoler Israël, l'annonce d'une glorification extraordinaire
du peuple, la prédiction du triomphe de Yahweh sur ses ennemis, etc.
(3) L'allure générale de lvi-lxvi diffère grandement de celle de xl-lv
l'espérance y est :

moins ardente, une attention plus grande est donnée aux pratiques cultuelles, les allusions
locales visent une communauté établie en Palestine et y jouissant d'une certaine indépen-
dance. De plus on semble. su|)poser l'existence du temple (i.vi, 7; lx, 7; lxii, 9; surtout
:

LXV, 11; Lxvi, 6); on semble supposer (lvi, 8) que des groupes d'exilés sont revenus au
pays et annoncer 'i.x, 4; lxvi, 20, etc.) de nouveaux retours; les désordres censurés par le
prophète rappellent ceux dont il est question dans Esdras-Néhémie et Malachie fcf. Is.,
Lviii, 3-6, 9; Lix, 3, 4, 13 sv. et Neh., v; Mal., m, 5; — Is., lvi, 10-12et Esdr., ix, 1, 2; Neh.,
xiii, 4, 28; etc.). D'autres particularités vont être signalées dans la suite des développe-
ments.
(4) Pour un certain nombre de ces auteurs, ces prophéties plus anciennes auraient été
incorporées par le Deutéro-Isaie dans son onivre.
I.Ti REVUC IMIU.ICH'K.

«-.tptivité ou comme remontant aux premiers temps de l'exil, Mais —


l'hypothrse d'une date postexilienne a j»rrvalu dans la suite. Dulini
Ta tbrniuloe dans son Conniimldirc; eu 18U-2. A ses yeux, la troisième
partit' du livre disaïc, dont les deux sections (lvi-lx et lxi-lxvi)
seraient peut-être [intervtM'tios, constituerait un ouvrage d'une unité
suffisante pour qu'on lui attribue un seul auteur, le Tnlo-lsaïe; il
aurait écrit à Jérusalem pende temps a vaut la venue de Néhémie (4i5).
Beaucoup de critiques ont suivi Dulim en isolant Is., lvi-lxvi de ce
qui précède. Mais ils ont, pour le plus grand nombre, abandonné la
ihèse de l'unité de cette section; ils l'ont traitée comme une collec-
tion de fragments provenant sensiblement de la même époque. Les
indices dune origine à part seraient noudjreux et sensibles. En —
premier lieu, tandis que, dans Is., xl-lv, Israël soutire de Babylone,
les e-nn émis dont il est question Is., lvi-lxvi ne sont plus les Chal-

déens- Mais quels sont-ils? Pour en préciser l'identitîcation, on s'ap-


puie surtout sur les chap. lvii, lxv, lxvi. Au chap. lvu, ces ennemis
sont des impies (1). Ils sont en conflit, non seulement avec les pieux
serviteurs de Yahweh, mais avec le peuple tout entier (2). D'une part,
tandis que Yaliweh se propose de guérir Israël frappé à cause de ses
péchés, il exclut ces impies du salut (3). Dans l'ensemble de la sec-
tion,, d'autre part, les fautes reprochées à la nation diffèrent de celles
dont ees impies se sont rendus coupables : les unes sont l'aveugle-
Bient (i) et l'égoïsme des chefs (5), la violation du sabbat par le tra-
vaiL et les conflits (G), l'oppression des pauvres (7), le mensonge (8), le
meurt]re(9), maisnon l'idolâtrie; les autres, au contraire, presque ex-
clusivement Fidolàtrie (10), l'attachement aux vieux cultes mêlés de
paganisme qui se pratiquent aux hauts-lieux (11), la participation à de
païens (12). Comme les documents qui nous renseignent sur
vraîs^ rites

la viede la communauté juive après l'exil ne parlent pas de l'idolâtrie,


on doil conclure qu'il faut chercher ces impies en dehors du peuple
ehoisL Ce ne sont pas toutefois des païens purs et simples, puisqu'on

fl) CE surtout LVII, 3-13; i.xv, 1-5; i.xvi, l'(-17.

(2) Cf- ixvi, 5.


(3) Cf. surtout LVU, 14-21; lxv, 6, 7, 8-16; Lx\i, 10-24
(4) Is.., ivi, 10. .
^

(5) fe.. tTl, 9-12.

(i6) Is., Liri, 2; LViii, (3, 14.


(7) Is.,^ tviii, 6, 7. •

(8) fe.^ Lii, 3, 4, 13.

(9) Is.,. ux, 2, 7, 13.

1(10) IS., I/VII, 11; LXV, 11.


'11) Is.^ LVII, 5-7; LXV, 3-7; lxvi, 7.
'12), Is., i.vii, 8, 9 (?).
LAME JUIVE PENDANT I.V l»t.KIODE PERSANE. 13a

leur reproche d'être infidèles à Vahweh (1), d'unir la religion de


Yahweh ù des cultes étrangers (2), de vouloir bâtir un temple à
Yahweh (3), puisqu'on les traite comme des frères des Juifs (4j. De
toutes ces remarques on conclut qu'il s'agit des Samaritains; et Ton
reporte la composition dis., Lvi-Lxviau temps des luttes entre la
communauté juive postexilienne et les schismatiques qui habitaient

dans l'ancien royaume du Nord. — En second


du sa- lieu, l'espérance

lut se présente en deux deux


fac-ons très différentes
sections. dans les

Le Deutéro-Isaïe est tout entier à cette attente, dont la prochaine


réalisation fait sa joie. Dans Is., lvi sv., au contraire, la note domi-
nante est le délai du salut. On y insiste comme sur un problème
angoissant dont la solution est fournie par le péché d'Israël (5); on y
revient comme sur une épreuve dont la fin peut être hâtée par la
prière (6). Si parfois on estime que l'heure favorable est proche, c'est
surtout raison de la foi en l'efficacité de l'intercession (7). L'espé-
;'i

rance du salut d'ailleurs n'a plus aucun lien avec la personne de


Cyrus, ni avec la chute de Babylone. Même on suppose qu'un premier
retour est déjà réalisé (8). Si Ion parle de nouveaux retours, si l'on
revient sur la glorification de Jérusalem, c'est parce que les rapatriés
sont encore peu nombreux, c'est parce que les murs de la Ville Sainte
sont encore démolis; d'un mot, c'est parce que, après ces premiers et
très chétifs recommencements, le progranune du Deutéro-lsaïe est
loin d'être réalisé. —
Les critiques insistent, en troisième lieu, sur
l'argument tiré des différences de style et de langage (9).
Les conclusions de ces dissertations sont faciles à prévoir. On ne
saurait regarder Is., lvi-lxvi comme émané du même auteur qu'ls.,
XL-Lv. Nombreux sans doute sont les rapports que l'on peut relever
entre le Trito-Isaïe —
considéré comme un seul écrivain ou comme
une raison collective et le Deutéro-Isaïe —
Le premier apparaît .

nettement comme un fils du second selon l'esprit. Mais le disciple est

(1) Is., LMi, i, 4, 8 {loin de moi), Il ; i.xv, 2.

(2) Is., Lxv, 3, 7, 11.

(3) Is., LXVI, 1-3.

(4) Is., Lxvi, 5.


{ô) Is., LMII, U\.
(6) Is., i.xii, 1-7.

(7) Is., I.VI, 1: i.\ii, 18, 19; i.x-LXll; LXV, 8-10, 13-lfi: i.xvi, 7-12.
(8} Is., LVI, 8; LMi, 19 (celui qui est près et celui qui est loin).

(9) On remarque notamment : des applications différentes de certains termes signalés


dans Is., \l-lv : serviteur de Yahweh (ici serviteurs), justice, choisir, colère de Yah-
^^t'h, etc.; — des
marques de dépendance par rapport au Deutéronome et à Ézéciiiel; —
des emprunts à Isaie i-xxxix), Jérémie, Deuléro-Isa/e, etc. Sur toute — cette question,
cf. Steuernagel, Lehrbuch, p, 525-527.
i;u; iiKVL'K MinMoir..

bien inféncur ;ui iiiaitrc; il \c siiil de (lôs l..iii. Les autours d'Is., iai-

lAvi sont d'une épo<|ue j>nstéii(>uro à l'exil il faut les placer au temps
:

lie la persécution don! Ilsraid nouveau fut l'objet de la part des


Samaritains. Sans doute la construction du tem|de au mont C.ari-
zim eut lieu assez, tard. ;ui plus tôt dans les temps (jui suivirent la
deuxième mission de iXéhéuiic après Yo-i Mais il est possible (pic le .

projet remonte plus haut el se soit manilcsté d'assez bonne beure.


Kn tout cas, il faut soni;er à une période antérieure à la reconstruc-
tion des murs de .Icrusak^n VVôi. Aux yeux de M. Steuernagel, si les
(

divers écrits de la collection peuvent à la rigueur provenir d'un même


auteur, force est de reconnaître qu'ils nVmt pas été composés d'un
seul jet; force est aussi d'isoler r.xin, 7-i.xiv, 11. qui serait du temps
de l'exil. <! t.xiii, 1-G; lxvi, l-'i, ([ui seraient, ;Y leur tour, d'une
autre épofjue que le corps de l'ouvrage.
Même en se plaçant sur \c terrain des critiques, il y aurait à faire
des réserves au sujet de l'argumentation qui précède. On peut se
demander si les ennemis dont il est question sont les Samaritains ou,
du moins, si ce sont les seuls Samaritains. Bien plus : ainsi (|ue
nous le verrons dans la suite, il est permis de douter qu'il s'agisse
uni({uement d'ennemis étrangers â la race d'Israël. On l'a déjà remar-
qué dès après l'exil, un courant d'opinion se dessine qui tend à la
:

distinction entre les fils de Jacob selon la chair et les lils de Jacob
selon l'esprit; les premiers sont déjà en voie d'être traités par les
seconds comme des apostats et, pratiquement, comme des étrangers.
Mais s'agirait-il sûrement des Samaritains, c[ue l'on ne pourrait en
faire argument pour aboutir avec certitude au milieu du cinquième
siècle. L'bostilité des Samaritains se manifesta dès l'époque de Darius
et même (1). De la sorte on pourrait rapprocher de la date
de Cyrus
présumée du DeiHéro-Isaie celle des chap. lvi-lxvi. Môme les res-
semblances que l'on a souvent signalées entre Is., xl-i.v et Is., lvi-
lxvi suffiraient peut-être à consacrer l'unité d'auteur, tandis que les
différences trouveraient une explication adéquate dans la diversité
des circonstances et du milieu; il ne faut pas oublier que ie pro-
blème du délai du salut comptait déjà parmi les préoccupations
d'Aggée et de Zacharie (i-viii). — Quant aux exégètes catholiques, ils
doivent s'inspirer de la décision de la Commission Biblique dont on
a parlé plus haut. Il leur serait permis, semble-t-il. de constater
qu Is. LVI-LXVI a trait aux temps postexiliens ou à la période immé-
diatement postérieure aux premiers retours, tout comme Is. xl-lv a

{\) Cf. Esdr.. i\. 1-5; v, 3 sv.


LAME JLIVE PENDANT LA PERIODE PElîSANE. 137

Irait à l'époque immédiatement antérieure à l'édit de Cyrus. Mais,


pas plus que dans le cas précédent, ce ne leur serait une raison de
retiarder comme invincibles les objections dirigées contre l'attribu-
tion de ces chapitres au fds dAmos.
Avec Malachie nous retrouvons un terrain plus ferme. Peu no«s
importe, au point de vue de la question qui nous occupe, que Mal'oki
représente le nom véritable du prophète ou qu'il ait pris sa place ac-
tuelle à la suite d'une méprise d'interprète (1). Il est pareillement sans
conséquence que les critiques discutent sur l'authenticité de m, 22-2i.
Ce qui est beaucoup dIus intéressant pour nous, c'est qu'on puisse
attribue!' au dernier livret de la collection des Douze une date assez
précise. La mention du gouverneur [péliah) de Juda (2) nous trans-
porte après le retour de l'exil, celle du temple (3) après l'époque
d'Aggée de Zacharie. D'autres indices sont plus décisifs. Les repro-
et

ches relatifs aux mariages avec les païennes (4), à la tiédeur des
prêtres (5), aux négligences du peuple par rapport aux dimes (6) sont
en rapport étroit avec ce que les livres d'Esdras-Néhémie nous font
connaître de la situation au temps des deux grands patriotes (7).
(>omme on ne saisit, dans les discours du prophète, aucune allusion
à des réformes antérieures, aucune allusion à un retour \ ers des
désordres déjà condamnés et temporairement écartés, comme les
censures paraissent dune application assez universelle, on doit
regarder la prophétie de Malachie comme antérieure à l'an i45. Les
critiques ajoutent d'autres considérations, notamment l'absence de
toute référence au code sacerdotal, dont volontiers ils placent la pro-
mulgation en iii. D'ordinaire on s'arrête aux environs de 'i60.

[A suivre.)
J. TOUZARD.

(1) Sous sa forme actuelle, le nom veut dire « mon messager » et ne correspond pas aux
formes générales de ronomastiqiie hébraïque; ce pourrait êlre, il est vrai, une abréviation
di' Maialiijâh 'messager de Yahweh). Le grec porte « parla main de son angeimaVâko) »;
:

Le Targum : « par la main de mun messager, dont le nom est Esdras le scribe ». — En pré-
sence de ces particularités, les critiques, en grand nombre, estiment (|ue le livre était
dabord anonyme et que le titre actuel a été introduit sous l'inlluence de Mal., m, I :

" Voici (jue j'envoie mon messager... »

(2) Mal., i, 8.

(3) Mal., I, Ht; m, 1, 10.

(4j Mal., II, lO-i:^

(5) Mal., I, G-14; II, 8, 'J; m, 2-4.

(6) Mal., m, S-lo.


(T; cl surtout Esdr., i\-x; Neh., xiii, 4-13, 23-28, 30, 31.
LES JUDAISVMS DE I.'I.IMIUK AUX <;AI AIES

Lorsque .1. 1>. Liulitfoot publia, eu I8()5, son très reuiai'([ual)lc


commentaire de TÉpitre aux (ialates, il se prcjposait uianirestement

de barrer chemin en Angleterre au système de iiaur. Il le jugeait


le

« trop extravagant » pour se répandre au loin et pour dominer

longtemps, et pourtant il ne refusait pas de mettre à profit ce (ju'il


pouvait contenir de vérité. On se rappelle le trait principal de ce
système : l'opposition entre saint Pierre Paul poussée à
et saint

Textrème, non que la pensée de Paul ;ùt été travestie, mais parce
qu'on attribuait à Pierre et à .lacques les thèses les plus outrées des
judaïsants. La foi primitive de TÉglise étant celle des anciens apùtres
plutôt que celle de Paul, la religion de Jésus-Christ n'eût été à l'ori-
g-inequ'un messianisme subordonné au judaïsme comme un simple
instrument de conquête parmi les gentils. L'hérésie des i^^bionites,
ees judaïsants extrêmes, qui refusaient de croire à la divinité de
Jésus-Christ et même, dans certains cercles, à sa conception surnatu-
relle, qui étaient surtout unanimes pour exiger l'observation de la
Loi mosaïque, devenait, d'après les nouveaux critiques, la représenta-
lion authenti([ue et l'héritage légitime des anciens apôtres. Contre
ces aberrations, les catholiques ne montrèrent pas moins de zèle que
les anglicans conservateurs. Il semble bien qu'ils ont eu gain de
cause, et voici maintenant une théorie opposée, trop opposée à celle
de Baur. Elle ne voit plus dans l'Église primitive ces judaïsants
forcenés qui donnèrent naissance à l'hérésie ébionite. Ni Pierre, ni
môme Jacques, n'ont montré trop d'attachement pour la Loi. Pour-
tant ils sont encore en antagonisme avec Paul. Mais c'est parce que
TApôtre des gentils s'est obstiné à ne pas comprendre leur pensée.
Car ils plaçaient comme lui le salut dans la foi en Jésus-Christ;
Jacques, en particulier, n'obligeait strictement à l'observance de la
Loi que les Juifs convertis; s'il la conseillait aux gentils, c'était

seulement comme la source d'une perfection supérieure. Les argu-


ments de Paul portaient donc à faux, et, s'il l'a emporté, c'est que
grand nombre dans l'Eglise ne voulurent pas
les srentils entrant en
LES JUDAISANTS DE L'ÉPITRE AUX GALATES. 139

adopter une loi nationale et surannée. Son instinct l'a mieux servi
que sa dialectique.
C'est àpeu près ce qu'a soutenu M. Loisy dans son récent com-
mentaire de l'Épitre aux Galates, .la première assise, et sans doute
fondamentale, d'une nouvelle histoire des origines du christianisme.
La Revue a^déjà signalé cet ouvrage (1). Il faut y revenir puisque
des revues (2), ordinairement peu curieuses d'exégèse et de théolo-
gie, ont surtout loué les aperçus nouveaux qu'il apporte sur la ques-
tion des judaïsants. « Nul, dit le Journal des Savants (p. 398 s. ,

n'avait synthétisé, avec plus de justesse et de concision, le double


mouvement qui portait l'Église vers les deux pôles opposés... Qu'on
«st avec ces descriptions nuancées, du tableau de l'Église
loni,
primitive d'après Baur et l'école de Tubinguel... En résumé, toute
la question des judaïsants sort comme transformée de ces analyses
exégétiques, où la netteté, la précision et la profondeur de vues
méritent de retenir l'attention ». La Revue arcJirologique (p. 193)
respire le même contentement : « Il définit avec beaucoup de préci-
sion et de rehef l'idée doctrinale du mouvement judéo-chrétien, son
but, ses tendances, ses principes, ses méthodes de propagande, ses
chefs dirigeants, et il en résulte parfois des clartés appréciables
sur une des périodes les plus obscures de l'Église naissante... Le rôle
de .lacques comme auteur principal de la propagande judaïsante
n'avait pas été non plus assez remarqué et, par contre, on s'était

fort mépris sur celui de Pierre, dans la fameuse opposition entre


Pauliniens et Pétriniens ».

vaut mieux sans doute entendre M. Loisy lui-même préci-


iMais il

sant sa position. Il pose parfaitement la question de principe « Autre :

chose pourtant est que la Loi soit d'obligation stricte pour tous ceux
qui sont nés chose qu'elle soit une condition absolue
Juifs, et autre

de salut païens qui voudraient avoir part aux promesses de


pour les
la foi juive. Sur ce point, même au sein du judaïsme, les opinions
n'étaient pas unanimes, et certains n'exigeaient pas des prosélytes
païens l'acceptation intégrale de la Loi comme moyen indispensable
de participation au salut éternel » (p. 26).
Seulement, après avoir admis en principe cette diversité des opi-
nions, qui est l'évidence môme, M. Loisy ne trouve dans l'Épitre aux
i^îalates aucune trace concrète de ces judaïsants qui auraient fait

(1) ItB., 1916. p. 250 ss.


^2) lievue archéoloiji(pie, cinquième série, t. IV, juillel-aoïU 19I''>, i'- 191 ps. — Jour-
nal fies Savants, sept. 191G, p. 395 ss. Les deux recensions sont signées C. Toussaint.
140 PxKVl i: lUMI.KUE.

de la Loi une condition absolue du salut pour les i;enlils. En ("ail, il

ne connaît quiui uiouveincnl de judaïsanis, celui doul Jacques est le


chef, et (juil décrit aiusi : «donc d'une sorte de contre-
Il s'a£;it

apostolat, très délibérément organisé pour corriger renseignement


de Paul et réformer sa méthode d'évangélisation chez les gentils. Ces
gens ne se sont pas trouvés par hasard dans les communautés fon-
dées par les missionnaires de l' Evangile en pays païen, ils y sont
venus tout exprès pour voir comment ces communautés avaient été
constituées, et parce qu'il leur dé[)laisait qu'on usât envers les païens
convertis de la« liberté » dont parle Paul, c'est-à-dire qu'on les
admit ù la communion de l'espérance chrétienne, sans souiller mot
des observances légales et sans les agréger en aucune manière au
judaïsme. Réagissant contre cette « liberté », les judaïsants voulaiejit
« asservir » et les apAtres et leurs convertis, contraindre les pre-
miers à vivre plus exactement selon la Loi et à recommander la pra-
tique de cette Loi à leurs fidèles, amener ces derniers à subir les
règles de la vie juive et notamment à accepter la circoncision, ces
règles étant la forme supérieure de la justice à lac[uelle est promis
le royaume de Dieu » (p. 18 s.). Qu'on remarque bien ces mots une :

forme supérieure de la justice. C'est-à-dire que les gentils pourraient


à la rigueur être sauvés sans praticjuer la Loi, mais ils se refuseraient
à une perfection très appréciable. Cette distinction est sans cesse
reprise par M. Loisy, et c'est cela même que Paul n'aurait pas com-
pris :« Qu'on puisse suivre la Loi sans la tenir pour la condition

du
essentielle salut, c'est une idée que Paul ne prend pas la peine
de regarder » (p. liO).
D'où venaient ces judaïsants? « Le point de départ et le centre de
cette évangélisation judaïsante, que Paul dit être une altération de
l'Evangile, ne peut être que la communauté de Jérusalem, la pre-
mière église, celle'qui avait été fondée et organisée par les disciples

immédiats de Jésus et recrutée parmi les Juifs hébraïsants, c'est-à-


dire parlant araméen » (p. 19).
Leur chef était naturellement saint Jacques, « le frère du Sei-
gneur », que l'antiquité a regardé comme le premier évêque de Jéru-
salem. M. Loisy est ^particulièrement bien informé sur son opinion.
Jacques admettait tout comme Paul que le salut dépendait essentiel-
lement de la foi au Christ, de sorte que le païen était sauvé par la
foi, sans la Loi; mais pour le Juif la Loi était obligatoire, et « en

quelque manière, une condition de son salut, mais elle n'en était pas
le principe » (p. 133). Saint Jacques a-t-il eu une perception aussi
nette de la distinction entre la condition du salut et le principe du
LES JUDAISANTS DE LÉPITRE ALX GALATES. 141

salut, on peut le croire, (juoique les textes ne nous permettent guère


de raffirmer. Ce qui nous importe c'est de constater une fois de plus
l'opinion prêtée aux judaïsants comme à Jacques : « ils estimaient
aussi que les convertis du paganisme feraient bien de s'y (à la Loi)
conformer, la F^oi divine, qui était censée contribuer à la perfection
du croyant juif, ne pouvant manquer de contribuer aussi à la'perfec-
tion du païen converti » (p. Vi-1).
Et sur cette opinion prêtée à Jacques, de la perfection acquise par
le gentil qui pratiquerait la Loi, on peut aussi, au nom des textes, se
montrer sceptique, mais en tout cas les textes représentent tout autre-
ment le parti judaïsant qui commença à se manifester à Antioche.
C'estpour M. Loisy une occasion de préciser sa pensée « Les Actes :

(xv, 1) disent bien que les individus venus de Judée, qui soulevèrent
à Antioche la question des observances légales, enseignaient la néces-
sité de la circoncision pour le salut; mais, ou bien les termes ne sont
pas à prendre avec trop de rigueur, ou bien, ce qui est plus proba-
ble, le rédacteur a forcé la note en exagérant la thèse des judaïsants.
L'Épître aux Galates laisse entrevoir que l'antithèse salut par la Loi
:

ou salut par la foi, existe seulement dans l'esprit de Paul, et que les
judaïsants concevaient un salut par la foi avec la Loi, celle-ci, qui
était d'obligation stricte pour tout Juif, ne simposant pas en rigueur
aux païens qui accédaient à la foi du Christ, mais son adoption ne
pouvant qu'être recommandable à tout croyant soucieux de mener
une vie parfaite, d'accomplir en toutes choses le bon plaisir de Dieu »

(p. 27).
La nouvelle thèse est ici posée dans une parfaite clarté. Mais en
réalité elle n'est point nouvelle. Si l'on fait abstraction des opinions
de saint Jacques et de l'attitude antérieure des judaïsants d'après les
Actes, cette manière de caractériser les judaïsants que Paul combat
dans l'Épitre aux Galates est précisément celle à laquelle le P. Cor-
nely a donné droit de cité dans l'exégèse catholique.
Cornely, disons-nous, prend à la lettre, et avec toute raison, le
témoignage des Actes. Les judaïsants d'Antioche (Act. xv, 1) faisaient
d.e la circoncision une condition absolue du salut, même pour les

gentils convertis. Mais le concile de Jérusalem leur donna tort. Et le


P. Cornely regarde cette lutte comme une guerre sans contre-attaque,
où toute position conquise est acquise à jamais. Il suppose donc que
les mêmes judaïsants, battus sur l'obligation de la circoncision pour
les païens convertis, se reformèrent sur une autre ligne. Ce sont

désormais des judaïsants mitigés. Le décret de Jérusalem, en impo-


sant aux néophytes du paganisme les quatre préceptes dont nous
li-i lŒVLIE HIIU,1(.,UIK.

reparlerons (^Act. xv, 29), semhlail les mettre au rang des prosélytes
imparfaits (|ue Cornely nommait, d'un nom beaucoup plus récent^
prosélytes de la porte ttndr opinio cxoriri poluit, ncophylos non
:

similem in Ecclcsia cp-adum occnpare nec pcrfcctos esse


circiffnc/sos
Chrislianos. Quam niitigalnni imlaisnii formcun immédiate post con-
cilium apostolicum a iudaizanlibus il/is leneri vidcmus, gnormn
causa Petrus aliique ludaeochristiani a familiari sua ciim Elhnico-
clinstianis conversalionc sese retrahebant [Gai. 2, Il sqq.)... Apo-
stolicum decrctum ir/ilur nec impugnantes nec in dubiwn vacantes
neophytis non circumcisis salutem non negabant, sed maiorem eos
assecuturos esse perfectionem, si circumcisioni sese subiicerent, dic-
tilantes indirecto quodani modo eis denuo iugiim aniiquum imponere
volebant (1).
On le voit, ce sont les mêmes termes : la Loi est une œuvre de per-
fection, dit Cornely; conduit à une vie plus parfaite, dit Loisy.
Or, ces judaisants, intransigeants d'abord à Antioche, qui repa-
raissent plus tard à Antioche comme mitigés dans la scène où Paul
s'oppose à la conduite de Pierre (Gai.11 ss.), sont encore les mêmes,
ii,

d'après Cornely (2) comme d'après Loisy, qui sont venus opérer chez
les Calâtes et contre lesquels Paul dirige ses traits. Ils ne préten-
daient pas que la Loi fût nécessaire au salut, mais seulement très utile,
ou comme Cornely le dit ailleurs, les judaisants ne niaient pas la
nécessité de croire au Christ, mais ils estimaient la Loi nécessaire à
la perfection de la justice, ce qu'il considère comme un partage de
la justice, une part provenant des mérites du Christ, l'autre des
œuvres de la Loi (p. 46'i.). Quoi qu'il en soit de l'équivalence de ces
formules, celle que préfère Cornely et qui revient constamment, c'est
que la Loi était proposée aux Galates par les judaisants comme une
œuvre de perfection et par conséquent, si les termes ont encore un
sens, comme une œuvre surérogatoire pour le salut. Il est vrai que,
contraint par les paroles si nettes de Paul, Cornely avoue que les
Galates croyaient la circoncision nécessaire au salut (p. 362). Le dis-
tingué exégète se serait-il donc contredit? Pour lui épargner cette
injure, on doit imaginer que les Galates n'avaient point compris la
subtile distinction de leurs pseudo-apôtres entre la nécessité de la Loi

(1) Commenlarius, etc., III, Epistolaead Corinthios altéra et ad Galatas, Parisiis, 1892,
p. 364.

(2) L. l., p. .365. Cornely dit expressément dans son introduction: Antiochiae autem re-
pulsi iudaizantes vicias manus non dederunt, sed callidiore modo conalus suos per-
sequetites et eo tempore ecclesiis a Paulo fundatis eo absente perversa sua dogmaia
instillareslnduerunt (p. 364). 11 est vrai que, plus loin, il dislingue les judaisants de la
compagnie de Jacques (Gai. u, 12) des pseudo-apôtres des Galates fp. 446).
LES JLDAISANTS l)K L'KPITRE AUX CALATES. 143-

pour le salut, et la nécessité pour la perfection. Mais Paul


ne paraît
guère disposé à rejeter la faute sur ses (ialates, coupables d'être trop
dociles envers leurs nouveaux maîtres. Et l'on voit déjà ici la difiioulté
qu'il y a de soutenir le système de Coruely en sauvegardant l'autorité
de Paul que M. Loisy jette par-dessus bord.
Liiihtfoot s'était déjà heurté à cette difficulté. C'est peut-être lui
qui le premier esquissa la théorie des judaisants mitigés. Parlant
des adversaires de Paul en Galatie « Peut-être cependant essayaient-
:

d'échapper au décret (de Jérusalem plutôt que de le contredire


ils t

en face. Par exemple, ils ont pu représenter ce rite (de la circoncision)


non plus comme une condition de salut, mais comme un titre recom-
mandable à la préférence » (p. 307). Mais cette conjecture lui a sans
doute paru peu solide, car il dit ailleurs L'épître aux Galates « fut:

écrite pour corriger une forme virulente de judaïsme » (p. 349).


Cependant l'hypothèse de Lightfoot sert de base à l'étude d'ail-
leurs excellente de M. J. Thomas. L'Églùe et les judaisants à l'âge
apostolique (l). On y voit les judaisants « qui ne vont pas directe-
ment contre la décision des Apôtres à Jérusalem, mais qui la tour-
nent et en profitent même. Si on n'exige plus la circoncision pour
être admis dans l'Église, on la présente comme nécessaire pour entrer
en pleine participation des promesses données à Abraham et de
l'alliance conclue avec lui. La Loi constitue pour les Juifs qui lui
demeurent soumis un privilège dont on ne peut jouir qu'en les
imitant (2i ». Les gentils n'étaient donc pas tenus de pratiquer la
Loi pour être sauvés, mais elle leur assurait « une situation privilé-
giée, des avantages spirituels (3) ». C'est donc exactement la thèse
que Cornely allait soutenir deux ans plus tard dans son Commentaire.
Et l'on obtient ainsi, il faut en convenir, une sorte d'évolution de
l'erreur qui aurait son intérêt historique. D'abord un parti de judai-
sants intransigeants exige la circoncision des gentils convertis on :

n'entre pas dans les communautés chrétiennes sans entrer en même


temps dans le judaïsme. Les Apôtres refusent d'imposer la circon-
cision aux gentils. Soit! mais la Loi demeure la règle des Juifs con-
vertis. C'est un idéal auquel les gentils doivent du moins aspirer.

On les y poussera sans violer le décret de Jérusalem. Et l'on s'ex-


pliquerait ainsi pourquoi Paul n'oppose pas ce décret à ses adver-
saires. Depuis longtemps on objecte aux catholiques que si ce décret

(1) Parue dans la Revue des Questions historiques, octol)re 1889 et avril 1890; repro-
duite dans ses Mélanges d'histoire et de lilléralare religieuse, Paris, LecoftYe, 189'J.
(2) L. L, p. 174.

(3) L. L, p. 101.
144 UEVUE niiîMgi E.

avait existe. Paul n'avait pour Icrmei' la Ijouche aux


(|ii'à le cilor

Juilaïsants. Il ne le l'ail donc que le décret est une inven-


pas. C'est
tiou de l'auteur des Actes? Non, répondra le P. Coriiely et les catho-
liques à sa suite. Paul n'a pas opposé le décret à ceux qui voulaient
cireoncire les (ialates, parce que les judaïsants le connaissai(;nt déjà
et prétendaient le respecter. Nous savons bien, disaient-ils, que la
circoncision n'est pas nécessaire pour être de l'Éi^lise et pour se
sauver; nous ne faisons que la prôner comme une pratique de per-
fection; nous oiVrons aux Galates de s'associer librement aux privi-
lèges d'Israël. Paul est donc oblieé de chercher ailleurs ses ar,eu-
ments; le décret, il lavait promulgué déjà, on était d'accord
là-dessus; il n'avait pas à y revenir.
Si nous ne nous trompons, tel est bien l'avantage que les exégètes
conservateurs modernes attendaient de leur combinaison. Elle n'est
pas traditionnelle, ce n'est point ainsi que les anciens comprenaient
l'Épitre aux Galates. Chrysostonie exagère peut-être un peu, quand il
montre les judaïsants résolus à détacher les Galates du Christ, tout

en procédant avec hypocrisie, « donnant à l'erreur le nom d'évan-


eile ». Les anciens apôtres Pierre, Jacques et Jean n'empêchaient
pas la circoncision, mais sans dogmatiser, pour condescendre à la
faiblesse des Juifs; c'est donc que les judaïsants, eux, dogmatisaient,
se proposant d'expulser les chrétiens de la céleste Jérusalem pour
les réduireen servitude (1).
La pensée de saint Jérôme est moins nette, et l'on sait que son
commentaire des Galates est souvent emprunté à Orig-ène. Mais nulle
part il ne prête le moindre appui à la distinction proposée entre la
Loi obligatoire pour le salut et la Loi pratiquée pour la perfection.
Ceux auxquels s'adresse Paul s'imaginent être justifiés par la Loi, et
c'est pourquoi ils perdent la grâce du Christ en professant la Loi :

Perdit erqo gratiam Cliristi, et Evangelium giiod tcnuerat amittit,

qui in aliqua observatione legis se iustificari putat; et cnm gratiam


amiserit, a Christi fide destituitiir C'est le fidèle écho du texte de
.

Paul (Gai. v, 4) lequel ne traitait point une question théorique, mais


qui s'adressait à ses correspondants pour corriger leurs illusions.
Sans poursuivre en détail cette enquête il suffira de citer encore
saint Thomas, fidèle disciple de saint Augustin Quia ergo Galatae ex :

ludacis non erant, tamen legalia servare volebant, et ponebaiil in


et

eis spem; ideo revertebantur in iugiim servitutis. Nani huiusmodi

observatio erat eis sicut idololalria, inquantum non recte sentiebant

(1) Voir au début du coinnientaire, et sur i, 6, sur v, 12.


LES JLDAISAMS DE I, EPIÏRE ALX GALATES. 145

de Christo, credentes ab ipso sine legalibus salut em consequi non


posse (Cap. v, 1. li.

Voilà donc une situation qui ne manque pas d'intérêt. M. Loisy


interprète l'Kpitre aux Galates comme le faisait l'ancienne tradition,

comme le font encore la plupart des critiques indépendants. Mais


il prétend que Paul n'a pas su ou voulu se rendre compte des opinions
professées en réalité par ses adversaires; ceux-ci étaient beaucoup
moins intransigeants, si bien que les arguments de l'Apôtre ne
portent pas. Or ces opinions des judaïsants de Galatie étaient déjà
entendues de la même façon par des exégètes catholiques influents.
Ces derniers, reconnaissant l'entière autorité des textes de Paul,
devaient les interpréter dans un sens un peu différent de celui auquel
s'étaient arrêtés les anciens et les critiques. Notre enquête porte donc
sur deux points. D'après les textes, les judaïsants de Galatie sont-ils
des judaïsants intransigeants ou mitigés? Et si Paul vise des intransi-
geants, avons-nous des raisons de penser qu'il s'est trompé et que
ses adversaires étaient plus modérés qu'il ne dit?
Nous expliquerons les textes comme les anciens et comme M. Loisy,
et nous verrons qu'il n'y a pas lieu de récuser leur témoignage.

[. — Les judaïsaxts tels oue Paul les caractérise.

Nous nommons judaïsants virulents ou intransigeants ceux qui


n'admettaient pas qu'on fût sauvé sans se soumettre à la Loi mosaïque.
Il n'est point ici question dune observance absolument parfaite. Ce
n'est point une affaire de pratique, mais de doctrine, les judaïsants
prônant, prêchant, exigeant, selon la mesure de leurs forces, la
profession du judaïsme d'abord la circoncision, non point
et tout
comme une perfection surérogatoire, mais parce que le salut dé-
pendait de la pratique de la Loi et de l'appartenance au peuple
d'Israël. Telle est la doctrine que Paul combat de toutes ses forces,
avec une sorte de passion qui décèle l'énormité de l'erreur autant
que le péril menaçant.
Son évangile à lui, c'est l'évangile du salut par le Christ, et spé-
cialement par la mort du Christ. Le chrétien, par la foi, par le
baptême qui en est l'acte décisif, est crucifié avec le Christ, meurt en
lui au péché, et commence en lui une vie nouvelle qui est animée
et conduite par son Esprit (Gai. ii, 17-21; iv, 6). Or, les judaïsants
ont prêché aux Galates un autre évangile, ou plutôt, comme il n'y a
qu'un évangile, ils ont essayé de dénaturer l'évangile du Christ
(Gai. I, 7). L'erreur est si grave, que Paul prononce l'anathème par
REVUB BIBLIQUE 1917. — N. S., T. XIV. 10
ufi ui;vi K luiîLiQri':.

doux lois I, 8 et y . Kt il ne saurait rti'e (juestioii d'une pieuse erreur,


cVun désir de perfection (jui ac'cei)terai( le joug de la Loi sans cesser

de chercher son saint dans TEvangile el dans le Christ. Le but des


judaïsants est de l'aire ]jt)nne liuure auprès des Juifs en éliminant ce
qui les choque le plus, le scandale de la Croix. Paul tient particulière-
ment à ce point, puisqu'il l'ajoute de sa main, (juand la lettre était
déjà dictée et écrite (vi, 12 s.). Dans ses controverses l'Apôtre a\ait
eu l'occasion de sonder les profondeurs de l'àme juive. Le Messie
était attendu, et eût été salué avec joie comme un libérateur vic-

torieux. Mais reconnaître comme le Roi d'Israël un misérable mort


sur un gibet, c'était plus que ne pouvait accepter une orgueilleuse
nation. En vain Paul transfigurait-il cette mort par l'auréole de l'ex-
piation, par la victoire remportée sur le péché et sur la mort elle-
même. C'était se heurter à un autre obstacle. Les Juifs ne voulaient
pas de cette grâce et prétendaient bien s'assurer la récompense par
l'observance personnelle de la Loi. Lorsque les Juifs devenus chrétiens
continuaient à pratiquer la Loi, la Synagogue pouvait fermer les
veux, s'imaginant peut-être que, comme eux, les chrétiens plaçaient
leur espérance dans la Loi. Mais comment des gentils convertis au
christianisme avaient-ils chance d'être sauvés? Les disciples de Paul
ne disposaient que dune réponse par la vertu de la Croix, par la
:

mort du crucifié. C'est ce que les Juifs ne pouvaient ni comprendre,


ni soulfrir. Le mouvement chrétien leur parut peut-être d'abord
l'utile auxiliaire de leur prosélytisme. (Jui reconnaissait le Messie
s'associait aux anciennes espérances des Juifs; c'était quelque chose.
Ils accueillaient volontiers ceux qui adoraient leur Dieu, même sans
se soumettre à la circoncision, espérant que le prosélyte consentirait
au moins à la mort à « payer la taxe » avant de s'embarquer pour
les rives de l'au-delà. A plus forte raison escomptèrent-ils çà et là
les succès du messianisme. C'était la lumière d'Israël répandue chez
les gentils. Mais lorsque le nouveau chrétien plaçait son espérance
dans la Croix, les Juifs ne reconnaissaient plus leur messianisme.
On compromettait auprès des gentils l'honneur d'Israël, et, ce qui
revenait au môme, la gloire du Dieu d'Israël. Toute compromission
avec la nouvelle secte était impossible, il ne restait qu'à la faire
disparaître. Oter le scandale de la Croix, c'était donc déplacer le
fondement des espérances chrétiennes, c'était en somme passer au
anathème au nouvel évangile.
judaïsnie, et voilà pourquoi Paul dit
A la "pensée du trouble causé parmi ses Calâtes, l'Apôtre n'y tient

plus : « Que ne vont-ils jusqu'à la mutilation, ces perturbateurs'. »

(v, 12).
I.ES JUDAISANTS DE l/ÉPITRE AUX CALATES. 147

Paul se serait-il permis des traits aussi mordants contre des adver-
saires soumis au décret de Jérusalem, qui n'auraient fait qu'inviter
les (ialates àpratiquer la Loi sans cesser d'espérer en Jésus-Christ?
Aussi bien ce nest pas aux pseudo-apotres qu'il s'adresse, mais aux
(lalates eux-mêmes. Et les erreurs dont il les détourne sont bien
celles qu'on leur a prêchées, car il ne leur reproche que l'inconstance,

et une intellig-ence incomplète des vérités qu'il leur a enseignées.


Le péril qu'il dénonce n'est pas une sorte d'empressement des Galates
à dépasser dans le mauvais sens les doctrines des judaïsants, c'est
une docilité excessive à suivre des maîtres peu soucieux de leurs
vrais intérêts spirituels.
Or, si les Galates avaient le malheur de se laisser séduire, — hélas!
le mal était déjà commencé, —
auraient renoncé à l'Esprit en faveur
ils

de la chair. Lorsqu'ils ont entendu parler du Christ crucifié, ils ont


cru, c'est-à-dire qu'ils ont attendu de lui leur justice, et les grâces
de l'Esprit de Dieu répandues sur eux leur ont prouvé qu'ils ne se
trompaient pas (m, 1 ss.). Maintenant ils ne se croient pas assurés
sans les œuvres de la Loi. Est-ce pour y réaliser une perfection de
plus? Mais l'argumentation de Paul suppose qu'ils y cherchaient la
justice elle-même, car il leur prouve précisément que la Loi ne
saurait être une source de justice (m, 10 ss.j. Très probablement les
Galates, demeurant chrétiens, croyaient pouvoir unir une certaine
foi chrétienne et les œuvres de la Loi. Pour eux le dilemme ne se
posait pas avec la clarté qu'il avait dans l'esprit de Paul. Mais s'ils
ont cru devoir s'imposer la Loi, c'est pour y trouver la justice
puisque Paul leur explique quelle ne s'y trouve pas. S'ils n'avaient
vu dans la pratique de la Loi qu'une occasion de montrer à Dieu
leur lldélité, Paul ne leur aurait pas tenu un langage aussi ferme. 11
a constaté, — disons si l'on veut, à ce moment de notre enquête,
il a cru constater que leur foi dans le Christ baissait à
mesure qu'ils
attachaient plus d'importance à l'adoption de la Loi mosaïque. Car
il ne faut pas l'oublier, -et c'est vraiment le point décisif, il ne
s'agissait
pas pour les Galates comme pour des judéo-chrétiens de pratiquer
la Loi de Moïse, mais de l'adopter. Le judéo-chrétien regardait la foi
au Messie comme la perfection suprême des desseins de Dieu sur Israël,
et, acceptant ce couronnement de l'œuvre de Dieu, il pouvait lui
paraître impie de le séparer de sa base. Mais le gentil converti, qui
était allé tout droit à la vie divine en s'unissant à Jésus-Christ,
pouvait-il regarder la circoncision comme un rite complémentaire
du baptême? Que l'accomplissement de la loi de Dieu soit la condition
de la sainteté, cela pouvait s'entendre, et c'est dans ce sens que Paul
lis Hl'VlK lUm.IQUli.

prêchait la pi-afuiuc dos vciliis, et surtout do la cliarUo ([ui rôsuinail

toute la Loi. Mais ce u'olail pas ce que les judaïsants


avaient le plus

à cœur. Ils semblent avoir promis aux Galat(^s qu'on ne serait


point

trop pointilleux sur les observances, pourvu qu'ils fussent circoncis.


C'est du moins ce que suggère la protostation de Paul que, une
fois

circoncis, seront tenus d'observer toute la Loi (v, 3) Les nouveaux


ils .

apôtres tenaient donc surtout ù ce que les Galates fissent profession


de judaïsme. La circoncision n'avait en aucune manière l'aspect d'un
acte vertueux, si ce n'est comme acte de foi, comme initiation à
une
religion agréable à Dieu, entrée dans le peuple de Dieu.
comme
Les parents juifs chrétiens l'imposaient à leurs enfants comme un

rite héréditaire, comme une tradition nationale en môme temps cjuc


religieuse. Pour le gentil chrétien, ce n'était plus qu'un acte religieux,

mais d'autant plus g-rave comme tel. Les Galates n'y voyaient, nous
assure-t-on, qu'une association aux privilèges des descendants d'Abra-
ham. Privilèges spirituels, assurément, bénédictions promises par
Dieu. Mais si ces bénédictions n'étaient pas concentrées
dans le
Messianisme, si elles n'étaient communiquées que par la circoncision,

qu'avait-on obtenu par le baptême? Associés au Fils de Dieu, les


chrétiens étaient les enfants de Dieu. Était-ce une perfection de
devenir ses serviteurs? Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Aux yeux
de Paul, les Galates sont en train de changer de religion, de revenir
en arrière. Ils se font juifs, et comme tels ils appartiennent à cet état
primaire des religions où l'homme sert son Dieu par crainte plus que
par amour (iv, 8 ss.). La loi est un joug, et on n'accepte pas un joug
sans de sérieuses raisons. Les Galates ont cru que sans la circoncision
ils ne seraient pas de vrais chrétiens.
C'est donc qu'on leur avait dit

que la circoncision était nécessaire. 11 est vrai qu'on nous parle aujour-
d'hui d'une nécessité en vue de la perfection. Mais en vérité ces
mots
s'accordent mal. La perfection est le fait du petit nombre, elle est
proposée à la bonne volonté, elle n'est point imposée. L'ÉpMre aux
Galates n'a plus de sens si Paul n'a pas voulu opposer son autorité
à celle des pseudo-apôtres qui pèsent sur les nouveaux convertis
du
poids de leur autorité personnelle et du poids plus considérable encore

de l'autorité des anciens apôtres. Et enfin les termes de Paul


sont

formels «:vous avez été séparés du Christ, vous qui cherchez votre

justification dans la Loi (1) ».

L'ensemble de ces traits ne laisse aucun doute. D'après Paul, les


Galates vont passer au judaïsme. Ils y vont de bonne foi, ne pensant
LES JUDAISANÏS DE L'ÉPITRE AUX CALATES. 149

pas pour autant abjurer la foi dueu soin sans doute


Christ, et l'on a

de ménager ce scrupule. Mais les meneurs, eux, sont des agitateurs


sans scrupules, qui veulent se concilier la faveur des Juifs ou du
moins éviter leurs vexations. Us n'auraient pas réussi s'ils n'avaient
présenté la circoncision comme nécessaire. Quant à la distinction entre
ce qui est de perfection et de nécessité par rapport au salut, elle se

présente moins naturellement à de nouveaux convertis qu'à des


théologiens. Les Galates allaient s'imaginant que leur christianisme
était insuffisant, n'étant qu'un élément du judaïsme intégral, la seule
voie qui conduisît à Dieu. Paul a cru qu'ils étaient perdus pour le
Christ, c'est-à-dire que leurs nouveaux docteurs les trompaient, et
les orientaient délibérément vers une religion dont le Christ n'était
plus le centre. Et en effet le Messie n'était pas le centre des espérances
du judaïsme pharisaïque. On attendait de lui qu'il fit triompher le

peuple et quïl fît régner la Loi sur les gentils. Il serait ainsi son
plus illustre serviteur, mais son serviteur. Les (ialates conquis à la
Loi par Jésus-Christ auraient réalisé ces aspirations juives. C'eût été
un autre évangile, et Paul a prononcé le mot (i, 6).

Et l'attitude de Paul lui-même est peut-être encore plus significa-


tive que la façon dont il caractérise les judaïsants et le danger qui
menace les Galates.

Il répète par deux fois (v, 6 et vi, 15) son principe fondamental :

La circoncision n'est rien et le prépuce n'est rien, c'est-à-dire que, au


regard du salut, il est indifférent d'être ou non circoncis. Mais, objecte
M. Loisy, « ce n'est pas la même chose, que la circoncision soit inutile,
ou bien qu'elle soit incompatible avec la foi salutaire et la vie dans
le Christ » (sur v, 6). Rien de plus juste, et la circoncision était si
peu incompatible avec la foi de Paul, qu'il n'hésita pas à circoncire
Timothée. Nous ne savons que parle livre des Actes (Âct. xvi, 3),
le
mais lui-même a posé en principe, ce qui est plus grave encore, qu'il
se faisait Juif avec les Juifs et gentil avec les gentils pour les gagner
tous au Christ (I Cor. ix, 19-22 Et même, dans un récit que M. Loisy,
i.

si sévère pour les Actes, reconnaît« solide quant à la substance »

(p. 23),nous voyons l'Apôtre des gentils se soumettre aux observances


du nazirat (Act. xxi, 17-26). Or tout cela est en parfaite harmonie
avec l'Épître aux Galates, car l'apologie personnelle de Paul suppose
qu'on l'a représenté à ses convertis comme se soumettant lui-même
aux pratiques de la Loi. L'accusation était sans doute fort exagérée,
mais enlin Paul y fait allusion, et se borne à dire qu'il ne prêche pas
la circoncision (v. 11), qu'il tient de toute son âme à ce qu'on nomme

le scandale de la croix (vi, 14), qu'il s'est refusé absolument à laisser


i;;o r.i: VI i: iuui.ique.

circoncire Tite clans une (^^rasinn «u'i l;i vri-ilt' de 1 Kvan^ilc •lail v\i

cause (il, 3 ss.l. Pourquoi la »onil«^scon(lance? parce que, la circonci-


sion étanf une chose indillrrente, on pouvait se soumettre aux obser-
vances de la Loi, de l'Évangile. Kt pourquoi cette intran-
dans l'intérêt

sig-eance? parce qu'elle olait exigée, encore plus, par l'intérêt de


l'Kvanuile, dans le cas où le principe du salut était mis en doute. Or
dans l'Épitre aux (lalates Paul pose avec fermeté, avec passion, avec
indignation, les uirnies règles que dans l'aHaire de Tite. C'est donc
que les mêmes principes étaient en jeu, et nous pouvons bien dire,
soutenus par le même parti, sinon par les mêmes hommes.
Mais il faut envisager de plus près Faccord de Paul et des Actes
sur cette question.
il un parti extrême de judaisants, soutenant que la circon-
a existé
cision étaitabsolument nécessaire au salut. Les Actes le disent expres-
sément Quelques-uns venus de Judée enseignaient aux frères
: <> :

si vous n'êtes circoncis selon le rite mosaïque, vous ne pouvez


être

sauvés » (Act. xv, 1). Cela se passait à Antioche où Barnabe et Paul


fondaient une communauté de gentils convertis sans leur imposer la
circoncision. Le conilit naquit donc, comme il arrive parfois, sous sa
forme la plus aiguë. On résolut d'envoyer Paul et Barnabe à Jérusa-
lem pour éclaircir cette question. Us y trouvèrent la même opposi-
tion, et cette fois les Actes ajoutent ce renseignement utile, que les

Zélateurs de la Loi appartenaient avant leur conversion à la secte


des Pharisiens (Act. xv, b). Il a plu à M. Loisy de dire que les Actes
avaient forcé la note en exagérant la thèse des judaisants (p. 27).
Mais Paul donne précisément la même note, ou plutôt il l'aggrave,
en traitant ces personnages de faux frères et d'espions (ii, 4). C'est à
se demander s'il ne les tient pas pour des Juifs faussement convertis,
et posant pour chrétiens afin d'espionner à leur aise les communautés.
Cependant, comme leur inquisition ne s'étend qu'aux gentils con-
vertis,on doit sans doute croire qu'ils avaient de bonne foi reconnu
Jésus pour le iMessie, sans renoncer à l'estime que tout bon Pharisien
professait pour la Loi. Il est vrai que M. Loisy nie toute relation entre
ces faux frères et l'affaire de Tite. C'est une interprétation fort arbi-
traire du peu importe en ce moment. Même si les faux
texte. Mais
frères avaient opéré à Antioche et non pas à Jérusalem, Paul les
caractérise assez durement pour qu'on ne soit pas autorisé à taxer
l'auteur des Actes d'exagération.
Le concile de Jérusalem décida contre eux. Il n'imposa aux frères
de Syrie et de Cilicie que de s'abstenir des viandes immolées aux
doles, du sang, des viandes étouffées et de la fornication (Act. xv,
LES JUDAIS.\NTS DE L'ÉPITRE AUX GALAÏES. loi

-28\ La pratique de Paul et de Barnabe était donc légitime, les gentils

n'avaient pas k se préoccuper de la Loi de Moïse. C'est à ce moment,


d'après M. Thomas, le \\ Coruely, M. Toussaint, etc, que les judaïsants
extrêmes auraient changé de tactique. Ou plutôt, dociles à l'iiutorité
des Apôtres, ils auraient cédé sur le point dogmatique principal,
renonçant à imposer la Loi comme nécessaire au salut, tout en la prô-
nant comme une garantie de plus, une perfection, l'association à un
sous cette forme adoucie, avons-nous dit, que les
})rivilége. Et c'est
distingués exégètes présentaient l'erreur des judaïsants de Galatie.
Il va sans dire que, malgré cette atténuation, ces judaïsants étaient

d'après les exégètes catholiques distincts des Judéo-chrétiens qui


avaient pour principal guide Jacques de Jérusalem.
On ne saurait nier absolument qu'un semblable parti intermédiaire
ait pu exister quelque part. Mais encore faudrait-il prouver son exis-

tence, et donner des raisons pour le mettre en œuvre en Galatie, en


dépit du sens naturel de l'Épître aux Galates. On estime que des judaï-
sants extrêmes n'avaient plus leur place dans lÉglise après le décret
de Jérusalem. Et cela est incontestable en droit. Mais n'a-t-on pas vu
les Ariens troubler l'Église longtemps après le concile de iXicée, et
professer parfois une erreur aussi opposée à la foi que celle d'Arius
lui-même? Les judaïsants de Galatie aifectaient évidemment de
soutenir la doctrine des apôtres; il faudra seulement conclure que
l'erreur afficha alors pour la première fois la prétention d'être plus
orthodoxe que l'autorité, et ce fait s'est reproduit trop souvent dans
l'Église juge impossible à ses débuts.
pour qu'on le

Mais alors, — on se le rappelle, l'argument du P. Cornely,


c'est,
— il eût suffi à Paul pour les réduire au silence, de leur opposer

le décret de Jérusalem. Et c'est ce qu'il ne fait pas, parce que les


judaïsants le respectaient aussi et s'étaient retirés sur d'autres positions
où arme ne pouvait les atteindre.
cette
Or nous semble que toute la première partie de l'Epilre aux
il

Galates, la partie historique (i-ii), a précisément pour but d'opposer


aux judaïsants la décision prise à Jérusalem, sans toutefois la présen-
ter sous cette forme que lui ont donnée les Actes. Et la
officielle

raison en est peut-être simplement que cette forme était celle d'une
lettre adressée aux frères dAntioche, de Syrie et de Cilicie
(Act. \v, 2-2-29!. C'est à propos d'eux que la question avait été posée,
c'est à eux (ju'on avait répondu, et c'est à eux que la lettre avait été

portée par Judas et Silas. Plutôt que de la reproduire dans une lettre
adressée aux Galates. Paul a préféré leur montrer que la question
avait été tranchée à Jérusalem pour tout le monde, et que spéciale-
l")-2 llliVUli IJlHLIUli:.

ment son évangile à lui, leur apotro, avait élé approuvé par les an-
ciens Apùtros. Nous oublions trop volontiers que les Actes eux-mêmes
qui ont donné tant de solennité à la discussion et à la décision prise
ne parlent ni d'un concile, ni d'un décret. Les faits nous autorisent
à. employer ces termes, devenus familiers par l'usage de l'Église,
mais non à imaginer pour rÉglise primitive l'impression faite sur
le monde catholiijue par la promulgation urbi et orbi du concile du
Vatican. Ce qui était décisif alors comme hier, c'était le jugement
rendu par les Apôtres assistés des anciens. Et c'est précisément ce
jugement que TÉpître aux Galates met en lumière aussi bien que
les Actes. Kn dépit des faux frères qui avaient posé la question de
principe, Paul et Barnabe ne consentirent pas un instant à laisser
circoncire Titc, et il n'y fut pas contraint. Après que Paul eut exposé
son évangile, tel qu'il le prêchait aux gentils, c'est-à-dire sans aucune
obligation par rapport à la Loi, Pierre, Jacques et Jean, « les Colon-
nes », n'exigèrent rien de plus, et reconnurent que l'apostolat de l*aul
chez les gentils avait la même approbation de Dieu que celui de
Pierre auprès des Juifs (ii, 3 ss.). Que pouvait-on dire de plus fort
sur le jugement rendu par les Apôtres et qui répondit mieux à la
question posée sur la nécessité de la circoncision?
En Paul a donc allégué le décret, insistant sur la forme
réalité,
concrète qui confirmait son évangile, et rien ne suggère que les
judaïsants de Galatie aient répondu par cette argutie nous n'im- :

posons pas la Loi, nous la conseillons; ou nous l'imposons, mais


comme une perfection indispensable, ou encore comme une condition
essentielle du salut, encore qu'elle ne soit pas le principe du salut.
Les braves Galates devaient éprouver pour la circoncision la même
répugnance que les autres gentils, et ne l'auraient pas agréée si elle

n'eût été proposée comme que devenus à


nécessaire. Si l'on insinue
moitié Phrygiens, ils inclinaient à chercher l'expiation et le pardon

dans une demi-mutilation qui leur rappelait le culte d'Attis, on ne


fait qu'augmenter l'abime dogmatique entre Paul et eux, puisque de
en elle-même un gage,
cette façon la circoncision devait leur paraître
un principe de salut.
argumente d'après les paroles de Paul, soit qu'on
Ainsi, soit qu'on
interprète son prétendu silence sur le décret de Jérusalem, il est
impossible de tirer de son texte un tableau atténué des opinions ju-
daïsantes.
LES JUDAISANTS DE L'ÉPITRE AUX CALATES. 153

II. — Les Ji daïsants de (^alatie et les autres tendances


.FUDÉO-CHRKTIEXXES.

Il resterait une seule ressource, qui n'est pas à la disposition des


catholiques, et dont M. Loisy a usé. Ce serait de supposer que Paul
n'a pas compris ou n'a pas voulu comprendre la pensée de ses adver-
saires. Et c'est de son texte qu'on La preuve
se servirait contre lui.
que ces judaïsants étaient relativement modérés et ne regardaient
pas la Loi conmie nécessaire au salut pour les gentils, c'est qu'ils
appartenaient au parti de Jacques et cette preuve se trouve, assure-
t-on, dans TÉpître aux Galates.
Jacques regardait la comme une condition nécessaire au salut
Loi
des Juifs, encore qu'elle ne lut pas, même pour eux, le principe du
salut. Il ne voulait pas l'imposer aux gentils même comme condition
essentielle. Il faut en dire autant des judaïsants de Galatie. Et comme

ces derniers cherchaient à imposer la Loiaux gentils à tout le moins


comme instrument de perfection, on prêtera la même opinion à
Jacques. C'est, en un mot, la thèse que nous avons citée plus haut,
avec les textes à l'appui.
Naturellement nous ne songeons pas à discuter ce c^ue M. Loisy dit
de Jacques, qu'il « admettait, tout comme Paul, que le païen était
sauvé par la foi sans la Loi (p. i:î3). Mais nous pensons que l'Épître
»>

aux Galates distingue absolument la position de Jacques de celle des


judaïsants, et que par conséc{uent on ne saurait dire avec quelque
vraisemblance que Jacques ait conseillé la pratique de la Loi aux
gentils comme le seul moyen d'atteindre à une justice parfaite.
L'attitude de Jacques ressort nettement de ce que raconte Paul de la
décision des Apôtres à Jérusalem et peut être conjecturée d'après ce
([ui se passa ensuite à Antioche. Mais aucun passage de l'Épitre, ni
directement, ni par allusion, ne permet d'en faire le chef ou l'inspira-
teur des judaïsants de Galatie.
A Jérusalem, la personnalité de Jacques ne se distingue en rien de
celle de Pierre. Il figurait évidemment parmi les notables qui ont
entendu de Paul, et avec Céphas (Pierre) et Jean, il recon-
la relation
nut la grâce propre de rx\pôtre des gentils. Les trois apôtres qu'on
regardait comme
colonnes donnèrent la main droite à Paul et à Bar-
nabe en signe de communion, c'est-à-dire conclurent avec eux un
accord qui leur laissait toute liberté pour leur apostolat; ils leur
demandèrent seulement de se souvenir des pauvres. Il est très vrai-
semblable que l'initiative de cette requête vint de Jacques, chargé
ir.i i{i-:vrK iniM.KU K.

(lo nourrir et de vêtir les indiconts di» la filé sainte. Paul ne le dit

pas, mais aflirme qu'il a toujours de sou côté ItMiu parole, excellente
occasion de r('i)roclier à .lacques d'avoir uiaiiv^ué A la sienne, si le l'ait

avait été constant.


Il est vrai que les Actes présentent le rôle de Jacques sons un .jour
un peu diil'érent, sensiblement aussi ditférent de celui de Pierre.
Pierre prend le premier la parole dans l'assemblée (Act. \v, 7-11).
Le premier il a prêché l'évangile aux: gentils, et ils ont cru. L'Ksprit
saint n'a aucune distinction entre les Juifs et les autres; leur
l'ait

foi est la m'^me. La conclusion sur le point débattu était claire. Il ne

fallait pas imposer la Loi de Moïse aux croyants venus de la gentilité.


He plus, Pierre laissait voir sa j)ensée sur un autre point ([ui n'était
pas en discussion. En nommant la Loi un joug « que ni nos pères, ui
nous n'avons pu porter », il indiquait assez claii'ement qu'il ne pré-
tendait pas l'observer tout entière. Et en effet, les Juifs comme les
gentils attendaient leur salut de Jésus-Christ, et non pas de l'obser-

vance de la Loi. Pour un peu Piei-re aurait déclaré ouvertement que


la Loi n'était pas obligatoire pour les Juifs.
On ne peut rieu déduire de semblable du discours de Jacques qui
prit la parole (Act. \v, 13-21 après que l'on eut entendu le rapport
)

de Barnabe et de Paul. Sur le point principal, il est du même avis


que Pierre. Dieu appelle à lui les gentils, il ne faut pas leur créer des
difficultés qui empêcheraient leur retour. Cependant Jacques est
d'avis d'édicter pour eux certaines règles. Nous les lisons, telles que
la critique textuelle doit les lire d'après le témoignage des manus-
crits, selon la recension dite orientale. Ce qu'on nomme le texte occi-

dental ne nous parait, comme à M. Coppieters (1 ), qu'une transforma-


tion, dans un sens plus vaguement humain, des préceptes proposés
par Jacques. Tenons-nous-en donc à la recension orientale, ou plu-
tôt originale les gentils devront s'abstenir des impuretés des idoles,
:

en d'autres termes, des viandes immolées aux idoles, de la fornica-


tion, du sang et des viandes sulï'oquées (2).

L'avis de Jacques aux chrétiens de Syrie et


prévalut, et l'on écrivit
de Cilicie pour les informer qu'on ne leur imposait d'autre charge
que l'observance de ces quatre points.
Quel est le caractère de cette mesure? D'après M. Coppieters (3), et

(1) Le décret des Apôtres fAct. xv, 28-29), dans HB., 19G7. p. 3i-58 et 218-239.

ÔCkVy. ÈTric-cOat aùtoïç toù kittyia^-x: iizb twv à).tff7-o(i-->-Twv


twv £lSw).wv y.al
(2) Act. XV, 20 :

Tï); 7topv£sa; xal Toy nv.-xToy -/.ai toO olÏ^lol-zo^. Dans le décret, xv, 29 àTcéyec'Ja'. eIôw>o6ùtwv xa.
:

al;j.a-o; -/.ai TTv.y.Tûv xal TiopvEÎa:. Dans le résumé d'apK'S les judéo-ciiréliens
de Jérusa-
lem, XXI, 25 : tfjli'jtytGfiy.: aùto-j; t6 te eIoojXôOutov y.al aljia y.al Ttviy.xôv y.ai Ttopvsiav.

(3) L. L, p. 47.
I.ES JUDAISANTS DE L'RPITRE AUX CALATES. lo5

c'estsans doute l'opinion la plus répandue, les Apôtres veulent « impo-


particuliè-
ser aux païens convertis certaines observances mosaicp-ies
chères au judaïsme ». Cependant il reconnaît que la Loi
rement,
mosaïque ne parle immolées aux idoles, ni des viandes
ni des viandes
suii'oquées, cest-à-dire des animaux qu'on tue sans verser
leur sang\

Il a noté aussi fort bien que la fornication


doit s'entendre dans son

sens naturel, et non point des mariages entre parents ou alliés décla-.
rés illicites par la Loi (Lev. xviii). Quant au précepte de ne pas se
nourrir du sang, il fait sans doute partie de la Loi mosaïque, mais il
ix, \). On ne
a été imposé après le déluge à Noé et à ses fils (G en.
prétend pas ici que les préceptes du décret se confondent avec les
préceptes noachiques du rabbiuisme; les rabbins n'arrivèrent à leur
formule que plus tard (1). iMais la théorie qui a abouti à ces sept pré-
ceptes talmudiques est certainement fort ancienne, et nous croyons
en retrouver l'empire dans la décision de Jérusalem. Et pour tout
dire, elle a un appui scripturaire incontestable dans la défense
adressée

à Noé et à ses hls de se nourrir de sang. Les Juifs devaient donc


dis-

tinguer déjà, comme ils l'ont fait depuis, la Loi mosaïque propre-
ment accordée au seul peuple d'Israël, et qui devenait obliga-
dite,

toire pour les prosélytes circoncis, et un ensemble de préceptes,


que
les païens violaient sans se croire pour cela coupables,
au grand
scandale des Juifs éclairés par leur Loi, prise au sens large de révé-
lation divine, qui leur permettait d'apprécier plus sainement les
devoirs découlant de la raison, ou, comme nous disons, du droit
naturel. Ces devoirs comprenaient l'abstention des viandes immolées,
comme on pouvait le déduire de l'abomination inspirée par le culte
des idoles ;
opposée à la morale natu-
l'interdiction de la fornication,
relle bien comprise; enfin l'horreur pour la manducatiou
du sang-,
soit directement, soit dans une bête dont le sang n'aurait pas été

répandu. Entendue de cette faron, l'intention du décret est tout à fait


conforme aux principes juifs fondamentaux. Jamais les Juifs n ont
scindé les obligations de la Loi. Gomme Paul le dit aux Galates, qui
est circoncis est obligé de suivre toute la Loi (v, 3). Mais qui n est

pas circoncis n'est tenu à rien qui soit spécifiquement mosaïque. Les
Juifs voyaient avec plaisir qu'on adoptât leurs pratiques,
espérant

bien qu'on finirait par la circoncision. Mais le judaïsme orthodoxe


regardait la circoncision ainsi que la théologie chrétienne regarde le

(1) « traité Sanhédrin, 56'', les formule ainsi


Le sept comniamiemenls ont été donnés
:

le culte
auv de Noé touchant les jugements, touchant la malédiction du nom, louchant
fils :

étranger, touchant l'action de découvrir la nudité, de verser le sang,


touchant le vol, et
223).
touchant laction de manger un membre vivant ». Note de M. Coppieters, /. l., p-
l-i6 lîr.Vll- lillM.IQUE.

baptônic; c'était la porte (rentréo (jui soulc donnait accès au\ privi-
lèges, mais au dehors on n'aAait pas non plus d'ol)ligations mosaïques
îi remplir. Vax môme temps cependant le décret de .lérusalem donnait
satisfaction aux principales répugnances des Juifs. Il n'avait pas pour
but de faciliter les repas en commun — trop d'obstacles subsistaient
encore — mais il mettait les gentils dans une meilleure situation
morale, telle que les de les tenir comme
Juifs n'auraient pas à rougir
frères. C'est un peu que les catholiques demandent
d(^ cette façon
comme un minimum <|u'on enseigne aux enfants l'existence de Dieu,
rimmortalité de l'Ame et la vie future. Ces vérités font partie du
catholicisme, mais qui ne professerait qu'elles ne serait ni catholique
d'esprit ni admis dans le corps de l'Église. Nous sommes étonnés de
rim})orlance attachée à la non-manducation du sang et à son corol-
laire sur les viandes étouffées. Mais les anciens tenaient plus d'un
scrupule alimentaire comme fondé sur la nature des choses. Cela
paraît être la pensée de Clément d'Alexandrie et d'Origène (1). L'Isla-
misme respecte cette répugnance comme une loi, sans estimer accom-
plir en cela un rite mosaïque.
On a prétendu que Jacques avait souligné la dépendance de ces
abstentions par rapport à la Loi, en ajoutant aussitôt « Car Moïse :

a des personnes qui le prêchent depuis les générations anciennes dans


chaque ville, puisqu'on le lit à chaque sabbat dans les synag-ogues »
(Act. XV, 21). Mais le sensde cette déduction est fort obscur. Jacques
ne saurait dire que les abstentions sont en toutes lettres dans la Loi
de Moïse. Peut-être indique-t-il par là le respect des Juifs pour la Loi,
respect qu'il ne faudrait point heurter par des pratiques contraires
à son esprit. C'est l'exégèse du P. Knabenbauer et de M. Coppieters.
Peut-être veut-il insinuer que quant aux Juifs convertis ils
aussi
savent ce qu'ils ont à faire sans qu'on leur recommande rien de par-
ticulier. Le second sens ne nous parait pas exclu, puisque Jacques
demeura toujours fidèle à la Loi. Môme d'après la première interpré-
tation, on ne peut conclure qu'il tenait les (piatre interdictions pour
purement mosaïques. Ce serait de toute manière une sorte de com-
promis en vue de la paix, pour ne point choquer des esprits formés
par la Loi, sans obliger les autres à s'y soumettre.
On comprendrait ainsi comment Paul a pu dire aux Galates que les
notables de Jérusalem ne lui ont rien imposé (Gai. ii, 6) (2). La ques-
tion pour lui, comme pour les Galates, était de savoir si les g-entils

(1) Clém., Paed. ii, 1 : Oric, C. Cels. viii, 28-30.


(2) A supposer que ce soit bien le sens de ce passage très discuté.
LES JUDAISANÏS DE LÉPITRE AUX GALATES. 157

devaient ou non être contraints à la circoncision, comportant tout


le poids de la Loi mosaïque. Ce point résolu négativement, on ne
leur imposait rien de mosaïque en fixant des règles qui avaient en
elles-mêmes leur raison d'être, au moins pour ménager les Juifs
et entretenir la charité. (Mais l'accord entre l'Epître aux Galates et
les Actes n'est pas directement de notre sujet. Il nous suffit de cons-
tater que, même d'après les Actes, Jacques ne prétend nullement
obliger les gentils pratiquer la Loi. Absolument rien n'indique
à
qu'il eût le dessein de les y inviter pour parvenir plus facilement à
une justice plus parfaite.
Anlioclie avait fourni l'occasion du décret, c'est à Antioclic que la
controverse naquit de nouveau. Pierre s'y trouve avec Paul et Bar-
nabe; Jacques est demeuré à Jérusalem. Libre d'agir selon ses
propres principes, Pierre n'hésitait pas à manger avec les gentils
convertis, ce qui n'allait pas sans violer les règles de la pureté juive
en matière d'aliments. Survinrent quelques personnages qui venaient
d'auprès de Jacques (à-b 'lay.ojéûu). Le Père Cornely se donne beau-
coup de mal pour mettre saint Jacques tout à fait hors de cause.
Quoique apôtre et évèque de Jérusalem, il n'avait pas à faire la visite
canonique d'une église fondée par Paul et où Pierre était présent
(p. 440). On jugera sans doute ce scrupule trop nuancé par des con-
cepts plus récents de juridiction et de distinction des diocèses. L'exé-
gète catholique croit même devoir se séparer de Chrysostome et
d'Augustin — il aurait pu ajouter de Thomas d'Aquin ce serait à ;

tort [haud mtis recte) que ces Pères ont avancé que les personnes en
question venaient d'auprès de Jacques. Mais comment séparer àXOsîv
de à-b 'la/.toSo'j? Tout ce que Cornely concède, c'est qu'elles faisaient
partie de l'entourage de Jacques, mais sans avoir été mises au courant
par lui du point exact de la question. Ces individus auraient agi pour
leur compte. Alors on ne voit pas pourquoi Paul nous dit qu'ils
venaient d'auprès de Jacques. Ils ont intimidé Pierre. C'est sans

doute par l'autorité d'un grand nom. A la rigueur on pourrait sou-


tenir ([u'ils ont dépassé leur mission. Mais Paul
ne l'insinue en rien.
Le plus simple est donc de traduire avec M. Loisy qu'ils sont venus
« de la part de Jacques » (1).

Cela concédé, il ne s'ensuit nullement qu'ils se soient occupés


des gentils. Leur position est précisément celle de Jacques. Les gen-
tils ne le regardent pas; c'est l'apostolat de Paul.

Les fidèles observaient-ils les quatre restrictions?

(1) M. Coppielers rej^arde comme très probable que les tivè; «7:0 'Iaxu)g'>u rcnétcnl la
pensée de Jacques [l. L, note, p. 51).
i:;8 HKVLK BlIiLlOli:.

Nous ne \ oyons pas que venus <lc Jérusalem aient enquêté


les Juifs

sur ce point. Mais ils ont trouvé fort mauvais (jue les Juifs convertis
mangeassent avec les gentils chrétiens, évidemmenl parce que cela
ne pouvait faire haliitucUemenl sans déroger à la Loi, et ils
se
entrainèrent Pierre, et même Barnabe. Nous n'avons [»as à pour-
suivre cette histoire dans le détail. Il ressort netlcment de tout Tin-

cident que les gentils ne furent touchés qu'indirectement, Paul com-


prit et dit <uivertement <jue si les Juifs convertis revenaient à la

[)rati(jue intégrale de la Loi, surtout avec Pierre à leur tête, ils exer-
çaient par le seul fait de ce changement une piession sur les gentils.

C'est ce que lApùtre des gentils ne pouvait admettre. Mais combien


eùt-il été plus véhément, si les paroles s'étaient jointes aux exenqiles
pour attirer ses convertis à la Loi Venus de la part de Jacques, ou
!

s'arrogeant une mission qu'ils n'avaient pas, les Juifs de Jérusalem,


fidèles à leurs pratiques traditionnelles, se sont cantonnés dans ce
qu'ils estimaient être leur droit et leur devoir, sans faire de prosé-
Ivtisme. Quant à Pierre, il était certes moins conséquent, et c'est
ce que Paul lui reproche. S'il avait vécu naguère en gentil, c'était
donc qu'il ne se croyait pas alors obligé à pratiquer la Loi. S'il avait
peur des chrétiens circoncis, c'était donc qu'il se rétractait, qu'il
craienait de pécher en mangeant avec ses frères, devenus pour lui
des impurs?
Les gentils devaient naturellement en conclure que la Loi était
nécessaire au salut, et se sentir moralement contraints de s'y sou-
mettre. Il est très malaisé de savoir si tout le petit discours de Paul
((ial. II,a été adressé personnellement à Pierre qu'atteint en
lV-21 1

face l'apostrophe du v. 14 « Si toi, qui es Juif, tu vis en gentil, et


:

non à la juive, comment peux-tu obliger les gentils à judaïser? »


On dirait d'abord que Paul continue à prendre Pierre à partie, mais
peu à peu le ton personnel se fond dans une sorte de méditation

sur l'objet en litige, si bien qu'à la fin, ce sont ]3lutôt les judaïsants
convaincus que Pierre qui sont dans la perspective. Quoi qu'il en
soit ce morceau, très difficile dans le détail, montre qu'une incon-
séquence de conduite peut être mal interprétée. Les intérêts des
o-entils convertis sont en jeu, et c'est ce qui a décidé Paul à inter-

venir.
Rompus à la dialectique, les partisans de Jacques auraient pu
opposer au dilemme de la Foi ou de la Loi la distinction de M. Loisy :

la Loi n'est point le principe du salut, elle en est la condition essen-


tielle. Sont-ils intervenus, nous l'ignorons, mais si Paul ne s'est pas
fait à lui-même cette objection en termes exprès, il y a répondu, et
LES JLDAISA.MS IiK L'ÉPITRE AUX <;ALAT1:S. 159

loQgucment, par le caractère temporaire de la Loi qui n'avait plus

aucune raison d'être après la rédemption par le Christ. D'ailleurs, fidèle


au pacte de Jérusalem, il s'abstint d'argumenter directement par voie
de prosélytisme avec des Juifs convertis pour les détacher de la Loi.
I^es des gentils d'origine, et il fallait les défendre
(ialates étaient
contre les entreprises des Judaïsants extrêmes; les Romains étaient
pour la plupart venus aussi de la gentilité. Pourtant, comme il ne
dissimulait pas son opinion sur l'efficacité nulle de la Loi, il devait
passer pour détourner les Juifs convertis de leurs observances. C'est
pour se laver de ce reproche qu'il consentit à Jérusalem pratiquer îi

le nazirat. Certes la concession était grave, et l'on, s'explique que

nombre de critiques aient contesté l'authenticité du fait rapporté


par les Actes (xxi, 17 ss.). Il serait absolument invraisemblable si
Jacques et son entourage avaient entrepris précédemment sur son
domaine. Mais à Jérusalem, Jacques est chez lui. Des milliers de Juifs,
composant son troupeau, sont en même temps zélateurs de la Loi.
On serait très étonné que Jacques, qui pratiquait la Loi, ne l'ait pas
crue obligatoire pour les Juifs, et ceux qui veulent, par affection,

donner à Paul un certificat de respect pour Moïse sont bien ceux de


son entourage, groupés autour de lui. S'ils exhortent Paul à réfuter
par des actes ceux qui le disent adversaire de la Loi, c'est sans doute
que ce grief, s'il était fondé, leur paraîtrait fatal, et une dérogation
des principes posés au temps du concile. Il leur déplairait évidem-
ment que Paul prêchât parmi les Juifs son évangile de liberté. Mais
en même temps ils rappellent qu'ils n'exigent rien des gentils que
les quatre restrictions. Fidèles à leurs engagements, ils requièrent
Paul de respecter chez eux leurs pratiques et leurs croyances. On
voit que nous prenons très au sérieux l'attitude des presbytres de
Jérusalem. Ils ne font pas figure d'opportunistes, s'accordant avec

Paul pour jouer une comédie, et rassurer ainsi des intransigeants


impressionnables et peu dociles. Mais même en interprétant leur
diplomatie comme émanant de que la Loi est obliga-
la conviction

toire pour les judéo-chrétiens, nous n'y voyons aucun indice d'une
ingérence quelconque dans le but de prêcher la Loi aux gentils à
un titre quelconque. C'est toujours le compromis de Jérusalem qui
tient; il n'y a rien de commun entre Jacques et ses bienveillants
presbytres, auxquels Paul défère si volontiers, et les judaïsants de
(ialatie qu'il malmène si durement pour leur hostilité et leur auda-
cieuse incursion sur ses terres.
Sur quoi donc s'appuie M. Loisy pour affirmer l'action de Jacques
en Calatie? Paul ne le nomme pas, mais il le désignerait assez claire-
160 REVL'E RinLlOl i:.

ment pour qu'on le i'o<-onnaissc : u Celui qui vous 1 rouble (en) por-
tera la peine, quel (|uil soit. Kt moi, libres, si je prêche encore la
circoncision, pourquoi alors suis-je persécuté? » iGal. v, 10 s.). Le
persounaije qui trouble les datâtes serait Jactiues « resté tranquille-

ment à Jérusalem, bien vu des Juifs ».

Il est anonyme, mais c'est l'usage des critiques en pareil cas de

flairer un nom propre, et des modernes ne peuvent le rencontrer


que parmi ceux qui sont déjà dans les livres. On recherche avec le
môme zélé la paternité des ouvrages dont l'auteur est inconnu dans
le cercle rigoureusement limité des écrivains déjà célèbres. Aussi
quelques anciens, allégués par saint Jérôme, imaginaient que Paul
s'attaquait sourdement à Pierre. Mais pourquoi Paul, si franc naguère
dans ses reproches, serait-il devenu si sournois? Et si l'on met Jacques
derrière le masque au lieu de Pierre, pourquoi ces ménagements
dans une circonstance plus critique, où Jacques eût été certes beau-
coup plus répréhensible que Pierre? Nous ignorons trop les détails
de cette histoire pour ne pas confesser que les meneurs ont pu avoir
un chef inconnu. Et sûrement les judaïsants se sont couverts de l'au-
torité des anciens apôtres; l'apologie personnelle de Paul le prouve
assez. Ajoutons que le nom de Jacques était le premier à opposer à
celui de Paul. Mais étaient-ils autorisés à le produire? Leur parti,
celui qui souleva à Antioche au début la question de la circoncision,
étaitvenu de Jérusalem, et avait mis le trouble dans les âmes parce
qu'on les croyait mandataires des anciens apôtres, mais ceux-ci décla-
rèrent n'y être pour rien cTç cù o'.£77£tAâ[;.£6a (Act. xv, 24). Ils ont re-
:

commencé le même jeu, et Paul leur a fait une réponse semblable.


Non, vous n'êtes pas les mandataires de Pierre, de Jacques et de Jean
qui sont tombés d'accord avec moi. Comment eût-il, après cela, re-
connu la main de Jacques dirigeant mouvement, sans le désigner
le

ouvertement? Comment Jacques, demeuré tranquillement à Jérusalem,


était-il l'agent principal du trouble, « celui qui vous trouble, quel

qu'il soit »? Comment une des « colonnes « était-elle menacée si for-


tement du jugement emportant la condamnation éternelle? Comment
Paul aurait-il noué ensuite des rapports si cordiaux avec Jacques et
ses presbytres?
Encore est-il que l'interprétation des mots de Paul n'est point aussi

assurée qu'il semble à M. Loisy. J'ai adopté sa traduction pour ne


point paraître esquiver une objection. C'est celle de saint Jérôme et
elle n'a pas perdu droit de cité dans l'exégèse catholique. Le P. Cor-
nely s'en tire trop aisément en affirmant qu'il n'y a pas la moindre
raison d'entendre z -apâacrwv d'un individu au singulier. D'après lui,
LES JUDAISAMS DE L'ÉPITRE AUX CALATES. d61

il s'agit de toute la classe des perturbateurs, pour le singulier étant

le pluriel comme dans II Dans ces termes, son


Cor. xi, k (c kpy^iizvoç)-
opinion est difticilement conciliable avec les derniers mots Quel qu'il : «.

soit », cjTir àiv f,. Mais on peut traduire « Quiconque vous trouble, :

quel qu'il soit », et c'est le sens le plus naturel, car


o^xiq èàv ^ ne si-
gnifie pas : « si grand
mais « quel qu'il soit » (qui qu'il
qu'il soit »,
soit, quicumque est). Paul n'affirme, pas qu'une personnalité très haute

était à la tête du mouvement, mais exprime seulement que nul


n'échappera au jugement, quel qu'il soit. Et de la sorte on s'expli-
querait très bien qu'il ne nomme personne, n'ayant personne en vue.
C'est ce qu'a compris Chrysostome (1). Et cela est beaucoup plus con-
forme au contexte qui ramène aussitôt en scène les perturbateurs
comme un groupe sans chef déterminé (v, 12).
Aussi bien, M. Loisy ne présente d'abord sa conjecture que comme
une hypothèse. Mais avec le temps elle devient certitude. On parle
des judaïsants de Galatie et de leur chef Jacques (p. 198). Les ju-
daisants de Galatie tiennent le rôle des faux frères d'iVntioche ou de
.lérusalem « C'est le même personnel, et Jacques est leur chef »
:

Alors on ne saurait accuser Jacques d'avoir changé d'attitude;


(p. 22).
mais c'est Paul qui aurait représenté sous le jour le plus faux sa
position dans la réunion de Jérusalem. Ce n'est plus seulement l'au-
torité des Actes qui serait ébranlée comme le voulaient de nombreux
rationalistes; l'Épitre aux Calâtes ne mériterait plus aucune créance.
Le plus étrange, dans le système de M. Loisy, c'est que ce Jacques,
sournoisement condamné, eût été en réalité pour Paul presque un
supérieur hiérarchique auquel il rendait un hommage très efifectif.
Presque, parce que « nul ne songeait à un rapport de dépendance
hiérarchique », mais cependant « l'apostolat chrétien restait coor-
donné en jusqu'à un certain point, subordonné à son point
fait et,

de départ comme
à son centre actuel, la communauté de Jérusalem
et ses chefs jouant à l'égard des autres communautés un rôle vague-
ment mais non inconsciemment imité de celui du sacerdoce hiéroso-
lymitain et du sanhédrin à fégard du judaïsme de la dispersion »
(p. 121). Cette subordination serait prouvée par les collectes organi-
sées pour la communauté de Jérusalem. Paul ne présente pas les
choses de cette façon, mais sa « façon de présenter les choses dissimule
une bonne partie de la vérité » (p. 120). Et c'est à lui-même qu'on
demande la preuve de cette dissimulation. « Paul lui-même, dans la

(1) Parmi les protestants, Siefl'crt : das jedesmalige Iiulividuuin der Verwirrer in jedem
Uonkreten Falle [Connu, de Meyer, G* éd.). — De même Zahn.
REVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. XIV. H
102 KKVl K lUni.lOllK.

yecoiule aux Corinthiens ^i\, l-i-13), dii'ji que la cDiloctc ne; se lait |)as

que pour le besoin des saints » mais aussi « en obédience de con-


<(

fession évangélique » et en aete de « communion » ecclcsiasti([ue »


(j). 121). Il y a là beaucoup d'exagération. Les trois colonnes, Jacques,

Céphas et Jean ont demandé à l*aul de se souvenir des pauvres (lai. ii,
10) et nous savtms par la pratique de Paul (Hooi. \v, 26 s. I Cor. xvj, ;

3; H Cor. ik, s.; Act. wiv, 17) que ces pauvres étaient ceux de
I

Jérusalem. I*aul voyait en elle t dans ces collectes un bommage rendu


à la cité sainte qui avait été pour les gentils le point de départ des
bienfaits spirituels iRoni. xv, 27; Il (^or. ix, 12 ss.), mais il ne parle
pas dans la seconde aux Corinthiens d'obédience envers les saints do
Jérusalem. Dans le texte cité, ït.\ -f, j-z-xy-ft dépend de co;àLov-:£ç.
Ceux de Jérusalem sont heureux de rol)édicnce des Corinthiens à la
doctrine de lévanaile, obédience qui est commune à tous les chré-
tiens. D'ailleurs il est très exact de dire que Paul regardait la col-
lecte « comme un témoignage du lien qui rattachait ses communautés
au centre du christianisme, et s'il y apportait tant d'ardeur, c'était
toujours « pour ne pas courir en vain », c'était pour maintenir le

rapport de ses Eglises avec la source de l'évangélisation » (p. 121V


Nous prenons acte de ces paroles. Paul sest toujours senti en com-
munion avec les dirigeants de l'Église de Jérusalem. Mais, de bonne
foi, peut-on en même temps lui faire lancer l'anathème contre Jacques

et les judaïsants imbus de l'esprit de Jérusalem?


Il n'y a pour rendre compte des textes, pour juger des acteurs

d'après leur caractère, pour tracer un tableau cohérent de la situation,


qu'une solution possible, reconnaître l'existence de deux groupes de
judéo-chrétiens, dont le plus ardent seul mérite le nom de judaïsants.
Le groupe de Jacc^ues, et Jacques à sa tête, a reconnu une fois pour
toutes que les gentils pouvaient être sauvés sans observer la Loi de
Moïse. 11 devait donc, avec la logique la plus élémentaire, croire que
le salut, même pour les Juifs, ne dépendait pas de la Loi comme prin-
cipe. Pierre l'a dit très expressément; Jacques, s'il a été conséquent,
a dû le penser, et, s'il ne l'avait pas pensé, Paul n'eût pas entretenu
communion ecclésiastique. Jusqu'ici nous
avec lui des relations de
sommes pleinement d'accord avec M. Loisy. Jacques a-t-il fait la dis-
tinction proposée par le savant exégète, a-t-il regardé la Loi comme
obligatoire pour les Juifs,non comme principe de salut, mais comme
condition essentielle du salut? nous sommes moins autorisés à l'af-
firmer. C'était évidemment l'opinion d'un très grand nombre de
Juifs convertis. Jacques et ses presbytres n'ont pas combattu cette
opinion. Peut-être la ménageaient-ils sans la partager. Cependant,
LES JUDAISANTS DE LÉIMTRE AUX OAEATES. 163

sans prétendre rien affirmer, les témoignages décisifs faisant dé-


il semble bien que Jacques a reg-ardé la Loi comme oJ)lig-a-
faut (1),
toire puisqu'il la pratiquait fidèlement, et ne permit pas qu'on
si

reprochât à Paul de la déclarer abrog-ée pour les Juifs.


Mais sa réserve en ce qui regarde les gentils, même en attribuant
à son initiative les quatre restrictions qui leur furent imposées, nous
empêche absolument de juger qu'il ait insisté pour que les gentils
adoptassent la Loi comme une voie plus parfaite. Il recevait les
aumônes des gentils des mains de Paul, se réjouissait du succès de
son évangile parmi eux (Act. xv, IV; xxi, 20i, sans se préoccuper
d'autre chose, à propos de la Loi, que des judéo-chrétiens. H demeu-
rait donc en communion avec Paul qui lui témoigna à Jérusalem une
déférence que plusieurs critiques ont jugée excessive et incroyable
et qui serait vraiment outrée et dun hypocrite, si Paul ne s'était
senti les mains libres auprès des gentils.
Maisy avait des judéo-chrétiens plus zélés pour la Loi que le
il

groupe dirigeant de Jérusalem. Et si l'on ne peut parler avec assu-


rance de ce groupe, ce n'est pas faute d'adhérents, c'est parce qu'ils
formaient plutôt deux groupes. Les zélateurs les plus ardents se re-
crutaient selon toute vraisemblance parmi les anciens Pharisiens, et
nous avons vu les Actes (xv, 5) attester le fait. Mais quelques-uns des
agitateurs que Paul rencontra sur son chemin et qui se targuaient
beaucoup moins uni-
aussi de iidélité à la Loi, avaient des tendances
latérales, et même mal
dont on peut dire seulement qu'elles
définies,
mêlaient au judaïsme des éléments empruntés aux divers mouve-
ments religieux pénétraient alors dans les religions païennes. Ce
({ui

sont ceux qui enseignaient des règles d'ascétisme inconnues à la Loi


juive. Paul les combattit dans l'Épître aux Romains (Rom. xiv) (2),
et dans l'Épitre aux Colossiens iii, 16), où les questions alimentaires
sont groupées avec l'observance des néoménies et des sabbats. Ceux-
là n'appartenaient pas sans doute à la secte pharisienne, plus fermée

aux influences du dehors, religieuses ou philosophiques. On les a

(1) Quant à l'opposition qu'on a parfois cru rencontrer entre l'Epître aux Romains et
l'Epitre lie saint Jacques, au sujet de la foi et des œuvres, elle se résout aisément et au
surplus n'appartient ]>as directement à notre sujet. Ce qui est moins aisé à déterminer,
que prend l'auteur de l'Epître au sujet de la Loi mosaïque. Il suppose que
c'est la position
ses lecteurs lui obéissent (.lac. n. 9.10), mais les ordonnances dont il parle sont le Déca-

logue, que Paul prétendait bien être compris dans le grand précepte de la charité. Light-
foot a remarqué (p. 3.58) qu'il emploie le mot loi presque comme synonyme d'évangile, et
il parle à l'occasion de la loi parfaite de liberté (Jac. i, 2'>; cf. ii, 12). Toute l'Epître respire
plutôt la vraie dévotion et la charité qu'un sentiment ritualiste exagéré.
(2) Cf. Coinm., p. 3.35 ss. : « On tient, en général, et probablement avec raison, que le
gros des abstinents était d origine juive ».
104 UKVl'K IMnLIUL'E.

rattachés à ressénisiuc, mais c'est, sciiibh'-t-il, li'op rcstroiiulrc un


mouvement (Viiiie grand*^ (Mivri-Ljure. (Mi risque moins de se trompci'
eu voyaut dans leurs U-ulatiNrs de synci'étisiue les d<!'buls de la
guose judai saute.
Voili\ donc trois groupes judéo-cliréticns. Si nos déductions anté-

cédeutes ont (|uel(|iic valeur, les judéo-chrétiens de Jérusaieni nv,


sont pas les judaïsants de (".alatie. Ces derniers étaient des zélateurs
déterminés de la Loi auprès des gentils convertis. Appartenaient-ils
aux doctrines pharisieunes ou aux tendances gnostiques? Lightloot a
déjà répondu en distinguant les judaïsants gnosti(jnes visés dans
rÉpîtrc aux Colossiens, et les judaïsants pharisiens (jui opéraient en
Galatie. Cette solution paraît bien la meilleure, et la raison c'est que
les judaïsants Calâtes ne sont point accusés de mêler à leurs exi-
gences des prescriptions alimentaires. C'est une base solide de dis-
tinction. Peut-être cependant faudrait-il se garder de leur attribuer
un système trop rigide.
Les vrais pharisiens vivaient dans un état d'esprit très éloigné du
vrai christianisme. Ils furent aux antipodes, après la mort de Jésus,
comme pendant qu'il règne de Dieu. Très peu durent se
annonçait le

convertir. La grâce sut atteindre un Pharisien de la valeur de Paul.


Mais ce fut une exception. En dehors de la foule au cœur simple et
droit qui composait le troupeau de Jacques, s'il y eut des intellectuels
qui embrassèrent le christianisme, ce fut sans doute parce qu'ils
avaient déjà compris l'imperfection d'un culte sanglant, l'étroitesse
d'une religion nationale. Habitués à suivre leurs vues, ayant syncré-
tisé le judaïsme et le christianisme, ils firent encore d'autres combi-
naisons. Et l'on peut soupçonner leur ingérence active et variée
même chez les Calâtes. Un indice serait peut-être cet avertissement de
Paul : « Et j'affirme de nouveau à tout homme cjui se ferait circon-

cire qu'il s'oblige à observer la Loi tout entière » (v, 3). C'est peut-
être que ne l'imposaient pas d'abord par politique. Mais
les judaïsants

ne serait-ce pas plutôt parce qu'ils se croyaient autorisés à choisir dans


les prescriptions de la Loi? Et lorsque Paul assimile en quelque ma-
nière la Loi juive à des cultes païens, lorsqu'il taxe de rechute l'adop-
tion de la Loipar des gentils convertis, ne serait-ce pas que la loi
qu'on proposait aux Calâtes était en effet plus ou moins mélangée
de conceptions empruntées à des païens, et spécialement à des philo-
sophies religieuses?
Ce ne sont là que des suggestions sur lesquelles nous ne voulons
pas insister, bien décidé à ne pas compromettre des positions solides
par des excursions aventureuses.
I,ES JLDAISANTS DE LÉPITUE AUX CALATES. 16o

Il de chercher dans l'histoh^c des premiers siècles


est plus utile
de l'Église la confirmation de ce qu'enseignent déjà clairement les
Actes et les Épitres sur les divergences considérables de ces judéo-
chrétiens qu'on a entrepris de réduire à une seule tendance, dont
Jacques eût été le chef. Assurément, avec le temps, les sectes se
multipliaient; en dehors de l'autorité, chaque opinion nouvelle peut
engendrer un groupement nouveau. Les hérésies du second et du
troisième siècle n'existaient donc pas nécessairement au premier.
Mais ce pullulement suppose certains germes, et lorsque les mani-
festations plus déclarées expliquent les positions primitives, la filia-
tion s'établit d'elle-même. Encore une fois, nous ne parlons que d'une
confirmation des points acquis.
L'esprit de l'Église de Jérusalem, relativement à la Loi et à Paul,
s'est conservé dans les communautés des Nazaréens. Par une force
inéluctable, ces communautés ont été en s'isolant, jusqu'à rompre
l'unité qui existait d'abord entre l'église de Jérusalem et la grande
Éslise. Mais cette concentration et cet isolement devaient aussi ancrer
davantage les esprits dans leur hostilité et dans leurs préventions. Si
Jacques et ses presbytres avaient entrepris de porter jusqu'en Galatie
la guerre contre l'évangile de Paul, la petite colonie qui émigra de
Jérusalem à Pella et dans d'autres régions de l'Orient aurait con-
servé quelque animosité contre l'Apôtre et même quelque rancune.
Or, dès le temps de saint Justin, on connaissait des chrétiens nés
Juifs qui observaient la Loi mosaïque sans prétendre l'imposer aux
autres. L'apologiste sait que bon nombre de chrétiens refusaient de
communiquer avec eux, mais pour lui, il les excuse, ne voyant en
eux que faiblesse d'esprit, attachement de routine à une loi périmée,
mais nulle pression sur la foi des gentils convertis (1). Justin fut
d'ailleurs le dernier à témoigner ces égards fraternels à ceux qui
se cantonnaient dans l'observance de la Loi. Ceux qu'il avait en
vue sont probablement les Nazaréens de saint Jérôme, qui « voulant
être juifs et chrétiens, ne sont ni juifs ni chrétiens » (2). Or, ces Naza-
réens avaient un évano-ile, assez semblable à celui de saint Matthieu,
et une exégèse. Saint Jérôme a noté la manière dont ils expliquaient
un passage d'Isaïe (Is. ix, 1) Nazaraei... hune locum ita expUmare
:

conantur : adveniente Cliristo et praedicalione illius coruscante primo


terra Zabulon et terra NepJitali scribarum et Pharuaeorum est erro-
ribiis liberata et gravissimiun traditionum iudaicarum lugiim exciissit

(1) Dial., c. \Lvi(.

(2j Episl. 112 ad August., P. L., t. XXII, c. 924.


tle crrriiibits suis. Pos/or (lu/eni /irr fran;/r/ii(ni (ijxishili Pan h, i/iti

norissfnms apostolurum oinniuni (ait, iiK/ravala rsl, id es/, niulli-


jilicafa //rardicatin: cl in trrminos grntinm et viani universi maris
C/if'isti cvayitjrliam sp/rndai/. l'no citation si précise est un docu-
ment plus sur (pie les apjurciations flottantes d'Kpipliane. Aussi
bien nous ne prétendons pas traiter ici à fond la question si sca-
breuse des Nazaréens et de leur évangile (1). Le texte de Jérôme
fixe leur position par rapport à Paul. Il est ai)ôtre, mais le dernier
des apôtres, et l'apôtre des gentils. Dans ces limites, son évangile,
nommé en toutes lettres, est Tévangile du Chrisl. On croit entendre
un écho de laccord conclu à .lérusalem. L'évangile des Nazaréens
mentionnait en détail l'apparitiou du Christ ressuscité à Jacques. Ce
n'était pas contredire Paul qui a fait honneur à Jacques d'une appa-
rition spéciale il Cor. xv, 7) [2). Et quoi qu'il en soit de leur Credo,
les Nazaréens n'étaient sûrement pas des judéo-chrétiens à tendances
pharisiennes; ils avaient en horreur les traditions des scribes et des
Pharisiens '3).

Indulgent pour ces judéo-chrétiens qui font ligure de braves gens,


doucement obstinés, attachés à une situation qui les séparait peu à
peu de la grande Église, Justin est plus sévère pour d'autres judéo-
chrétiens, c[ui prétendaient contraindre les autres à pratiquer la
Loi (4.).

Ceux-là ne formaient peut-être pas des communautés bien unies,


parce que leur intransigeance dissimulait mal une extrême variété
d'opinions religieuses. Remuants, plus écrivains peut-être qu'hommes
d'action, car leurs livres sont plus célèbres que leurs églises, ils

étaient partout sans être groupés nulle part. Ce sont les Kbionites.
On est d'accord cependant pour les partager en deux tendances :

les Ébionites pharisiens, et les Ébionites plus ou moins gnostiques.


Au temps où l'influence de Baur battait soji plein, les exégètes d'un
sens plus rassis ont pris soin de réduire la tache d'huile de l'ébio-
nisme. Ils ont réussi à exempter de cette erreur l'Église primitive,
représentée par les Apôtres, et tout ce que nous avons dit de la dis-
tinction entre Jacques et les judaïsants extrêmes se rattache à cette
démonstration. Pierre est depuis longtemps hors de cause, et l'on

(1) Cf. ScHMiDTKE, Xeiie Fragmente und Untersuchungeti zn der JudenchristHchen

Evangelien, 1911, et la recension dans liB., 1912, p. 587 ss.


(2; D'afrrès les Nazaréens (Jér., De viris illustr., 2), l'apparition à Jacques eut lieu aus-

sitôt après la résurrection.

(3) Citations de leur exégèse dans le commentaire de Jérôme sur Isaïe. P. L., X.\IV,

c. 119, 123, 125, 33C,, 357, éd. de 1845.

(4) Dial., c. XLYii.


LES JUDAISANTS DE L'EPITRE AUX CALATES. 167

peut dire que le système de M. Loisy, si opposé en ap[)arence à celui

de Baiir, reprend en partie contre Jacques les accusations aban-


données contre Pierre, tout en enlevant à l'erreur sa principale
pointe. En réalité, Jacques était encore moins judaïsant qu'on ne le
dit, mais d'autres l'étaient davantage. Il n'y a aucune raison de nier

que l'hérésie ébionite s'est produite dès les premiers jours du chris-
tianisme.
On sait qu'elle a trouvé son apologie dans les ouvrages faussement
attribués à saint Clément : Homélies clémentines, Lettre de Pierre à
Jacques, Recognitiones. Emanation d'un ébionisme à tendances plutôt
gnostiques que pharisiennes, ces ouvrages sont en plus d'un endroit
des réponses à l'Épitre aux Galates. Le sujet ayant été bien traité par
Lightfoot en 1865, il suffirade renvoyer à son commentaire, ne fût-ce
que pour constater que tout n'est pas progrès dans ce qu'on nous
présente comme le dernier mot de la science. Citons cependant les
paroles de Pierre à Simon le Mage, sous le masque duquel l'auteur

attaquait Paul : « Tu
opposé à moi et tu m'as résisté. Si tu n'avais
t'es

pas été un adversaire, tu ne m'aurais pas calomnié et tu n'aurais pas


uial interprété ma prédication... Si tu m'as nommé condamné (y.a-c-

7vw7;j,£vcv), tu as accusé Dieu qui m'a révélé le Christ » (1).

T^es Nazaréens conservaient vis-à-vis de Paul un statu quo bien


oriental. Les Ebionites vengeaient sur sa personne les injures de leurs
ancêtres, les judaïsants de Galatie, peut-être moins panachés de gnos-
ticisme, mais non moins fanatiques. Ciiiqiie suum.

Lyon.
Fr. M.-J. Lagr.wge.

1) Hom. XVII, 19.


ensi:igm:me.ms rAiivnououEs
A IMi()IM)S iVrN OrVHACK UKCKNT

La liste déjà longue des commentaires sur


les paraboles évangé-

li(|ucs ouvrage nouveau. Le R. l\ Sainz,


vient de s'enrichir d'un
.lésnite espagnol, professeur d'Écriture sainte au séminaire de Comil-

las, a publié en li)I5 Las Parâbolas del Evangelio ij eJ rri?io dp

Jcsuc/'isfo que es la Igicsia (1). L'auteur, qui a passe deux ans à


Beyrouth et en Palestine, était préparé à traiter un tel sujet. Il nous
avertit dans sa préface que la Terre Sainte, « tout imbibée et saturée
de senteurs, d'essences et de coutumes palestiniennes », lui a été
le plus précieux des livres. Ce n'est pas le seul qu'il ait consulté.
Il ne cherche pas à dissimuler, au cours de son commentaire, qu'il
doit spécialement beaucoup aux ouvrages de ses compatriotes. A
la vérité, ainsi qu'il le constate avec regret à la première page
de son livre, les études exégétiques, en Espagne, ne sont plus cul-
tivées de nos jours comme autrefois. Dans le passé, la nation théo-
logienne peut se vanter d'avoir été aussi la nation des exégètes, et
il est un certain nombre de première
notoire qu'elle en a produit
valeur Salmeron, Tolet, Maldonat... Maldonat surtout, qui, par
:

son judicieux réalisme, sa large compréhension des choses et sa


pénétration, mérite d'être compté parmi les précurseurs immédiats
de l'exégèse moderne. Le commerce assidu avec de tels maîtres ne
peut manquer d être fécond. On peut présager que, si l'Espagne se
remet, comme le P. Sainz, à l'école de ses grands commentateurs,
elle aura bientôt inauguré le renouveau exégétique qu'elle appelle

de ses vœux grandissants.


Un ouvrage que le P. Sainz cite beaucoup moins que Salmeron ou
Maldonat, mais dont l'influence est cependant très visible, c'est celui

du R. P. Fonck : les Paraboles évangéliques du divin Maitre (2).

(1) Bilbao.
(2) Die Parabelii des Herrn im Evangeliuin. Éloignéde toulc bibliothèque, je n'ai pu
relire que la première édition allemande. C'est d'après cette édition que seront faites
toutes les citations.
ENSEIGNEMENTS PARABOLIQUES. 109

Il était tout indiqué de le relire conjointement avec le nouveau


commentaire espagnol. L'impression générale qu'on retire de cette
double lecture est qu'en appliquant à l'exégèse des paraboles une
méthode plus rigoureuse et plus raisonnée, on peut arriver presque
toujours à des précisions intéressantes, assez souvent même à des
conclusions radicalement opposées. On en trouvera quelques exem-
ples dans les pages qui suivent, où les enseignements paraboliques
déduits par PP. Fonck et Sainz sont confrontés avec les levons aux-
les

quelles semble conduire la méthode récemment exposée ici même (1).


Ces exemples ont été pris à peu près au hasard, dans les trois synop-
tiques, parmi les paraboles dogmatiques et morales. Si la différence
des résultats parait sensible, il ne faudra l'attribuer qu'à la différence

des méthodes employées.

l. — Le Seineiir : Mt., xiii, 18-23 et par. (2).

L'interprétation générale de cette parabole allégorisante ne saurait


faire difficulté, bonne fortune de posséder
attendu que nous avons la

le commentaire du Sauveur lui-même. Le rôle de l'interprète doit


être plutôt de mettre bien en relief les leçons visées par le divin
Paraboliste, en donnant à chacune la place exigée par son importance
respective.
Le P. Sainz écrit « Ici on présuppose, plutôt qu'on ne l'établit,
:

l'efficacité de la divine doctrine, ainsi que celle de la divine parole

par laquelle la doctrine se transmet. Ce qu'on veut inculquer, c'est


la nécessité de la recevoir, de l'abriter, de la garder contre toute
autre semence mauvaise qui pourrait l'étouffer » (3j. Là-dessus il passe
en revue les divers obstacles qui sopposent à la germination de la
parole dans les âmes; après quoi il examine les conditions qui pré-
parent les riches moissons spirituelles. —
Ces derniers aperçus sont
correctement exprimés. Mais quand il achève la lecture de cet intéres-

sant chapitre, le lecteur a un effort à faire pour récapituler ces lerons


éparses. Il souhaiterait une idée générale, une synthèse groupant
ces diverses leçons particulières.
Le P. Fonck a prévu cette difficulté. C'est pourquoi, au début
même de son interprétation, il a tenu à préciser les leçons principales
de la parabole. Le Sauveur, écrit-il,s'est proposé un double but :

(1)RB., l'Jl6 Pour commenter


: les paraboles évan(jéli(jues, pp. 40(1-422.
(2)Je crois inutile de reproduire ici le texte d'une parabole bien présente à toutes les

les mémoires.
(3) Op. laud., p. 182.
l'o lŒMl. i;ii;i.ini'K.

« Kn premier lieu, il veut monlrer |>;n' le eli<>i\ de cette iina,i;e (celle

de la semence que son Royauiue ne


1
se manilestera pas toiil d un
cou[), avec force et niai,'-ni(icence : la parole du Uoyaumc ressemble
plutôt à une semence, que Ton contie à la terre
petil<' el iuxisihle,
et (|ui s Kn second lieu
y développi^ lentfMueul... et c'est, pour» —
le I*. on.k, l'accent principal de la parabole
I le Sauveur montre —
<(d où vient la résistance à la parole du Hoyaume et la stérilité par-
tielle de la bonne semence » (1). A la vérité, l'auteur, au cours de

son commentaire, essaie de compléter cet aperçu doctrinal, en ajou-


tant (|ue le Sauveur indi(|ue également les conditions requises pour
la frucfilication de la semence (-2 Mais, si l'on considère cet enseigne-
1.

ment comme important, n'eùt-il pas été préférable de l'annoncer


aussi dès l'abord? Faute de cette précision, il y a un certain flot-
tement dans tout le commentaire, et le lecteur éprouve quebjue
peine à découvrir la leçon principale et comment elle se dislingue
des enseignements secondaires. On verra en outre que d'autres réserves
s'imposent sur le premier but » de la parabole.
«

Comment s'y prendre pour supprimer ces hésitations? Pour cela,


on commence par commentaire littéral de la parabole; on
l'aire le

explique foutes les particularités de ces semailles surprenantes, telles


qu'elles nous sont décrites, mais sans chercher encore ce que le Sau-
veur a voulu nous enseigner. De fait, le commentateur est censé
ne pas le savoir encore, et peut-être n'est-il pas bon qu'il le devine
trop aisément.
Cela posé, on tâche de résumer, d'une manière impartiale et
adéquate, les résultats de cette exégèse, que l'on ramène aux deux
termes dune simple comparaison (3 On arrive de la sorte . à la propo-
sition suivante // en est du Royaume des deux comme de
: la semence.
De même
que la semence qui tomba sur un terrain défavorable,
sentier,bancs de roche ou sol épineux, demeura infructueuse, et
que, au contraire, celle qui fut jetée en bonne terre produisit des
fruits très abondants ;

ainsi parole qui tomlje en des cœurs mal disposés y


la divine
demeure sans fruit, tandis que dans les âmes droites elle donne des
résultats extraordinaires.
Si je ne me trompe, le but essentiel de la parabole est dès lors de
montrer que la même parole de Dieu produit dans les âmes des effets

(1) Op. laûd., p. 81.


(2) P. 88 et passim.
(3) Il est inutile de rappeler que l'allégorie elle-même suppose une comparaison et peut
sy ramener. CC mon Introduction aux Paraboles, pp. 33-35.
ENSErr.iNEMENTS PARABOMOLES. n
ditférents, et conjointement que la cause de ces différences tient à la
diversité des dispositions; en deux mots, différence des rémltals
motivée par la diversité des dispositions.
La semence fut mangée, brûlée, étouffée elle lut prospère et ;

donna son épi aux grains abondants ou même extraordinairoment


denses; mais ce fut parce qu'elle tomba respectivement sur le chemin,
sur les rochers, sur les épines ou sur la bonne terre. De même —
dans les âmes, la parole meurt sans germer, germe sans lever, lève
sans arriver jusqu'à l'épi, ou enfin donne trente, soixante, cent pour
un, toujours suivant cjue les dispositions des auditeurs sont bonnes
ou mauvaises, et suivant le degré même de ces dispositions.
Il n'y aurait plus qu'à développer cette doctrine, en la faisant
bénéficier de toutes les indications du contexte, en montrant combien
elle s'applique aux auditeurs immédiats de la parabole et même à
tous les hommes de tous les temps.
Mais on ne saurait oublier, d'après les indications mêmes du
Sauveur, que la parabole veut être une illustration du Royaume de
Dieu. Dans quelle mesure l'est-elle et sous quel aspect? C'est ici
surtout qu'il faut scrupuleusement tenir compte des indications
fournies. Le Sauveur veut-il dire que le Royaume aura des débuts
très modestes, très humbles, analogues à ceux d'une « semence,
petite et invisible, que l'on confie à la terre et qui s'y développe »?
— .Te ne le crois pas. Sans doute, cet enseignement fait partie de la

doctrine authentique de l'Evangile; une parabole, celle du Sénevé


(Mt., xiii, 31 et par.), sera même consacrée à nous l'inculquer.
Mais alors le Sauveur aura soin de bien exprimer sa pensée, en notant
que le sénevé est la plus petite des semences. Ici il semble qu'il
veuille nous signaler un autre aspect de la même doctrine, ainsi
qu'il ressort du schème parabolique qui précède (1) De même que les :

résultats des semailles dépendent de la qualité des terrains, de même


l'établissement et la prospérité du Royaume dépendent de la qualité
des dmes. Qu'est-ce à dire? Le Royaume ne s'assimile pas tous les
hommes indistinctement, non pas même tous les membres d'une
comme les .luifs, ou tous les membres d'une caste, comme les
nation,
Pharisiens, il ne se les incorpore qu'à bon escient, et, pour ainsi dire,
après contrôle de leurs titres personnels. Il ne s'impose à personne;

il demande à chacun sa libre coopération. Encore les conditions

(1 II suffi! de rappeler que le Royaume est identilié a la semence, c'est-à-dire à la

divine parole. 1,'idenlilication n'est évidemment que partielle, car le Royaume est encore
bion antre (•lio<;e. Elle est léf^iliine pourlaiil, car la prédication de l'Évangile est une phase
préparatoire à l'établissement délinitif du Royaume.
17-2 UKVIK lUIJLKU'I-:.

{l'admission sont-olles sévères, car il réclame des Ames bien pn''-


[)arées, etdans celles-ci il ne se drveloppe (]ue dans la mesure de
leurs bonnes dispositions.
On le voit, le Sauveur iic combat pas le préju,i;é des .luil's ipii
attendaient la soudaine venue du lloyawne, avec force et mayiii-
/icence (mit Macht und lierrlichkeit). Il vise j)lutôt cet autre préjui^é
d'après lequel les Juifs devaient être indistinctement les « fils du
Uoyaiime ». (piellcs (jiie fussent d'ailleurs leurs dispositions morales.
Les Juifs croyaient que l'entrée au Royaume, avec tous les béuétices
escomptés par leurs sens grossiers, serait une question de religion
et de race, be San\ eur leur apprend qu'elle ne sera (pinne (piestion
de vertu.
L'enseignement digne de cette belle parabole. Si on a pu s'y
est

méprendre, c'est le concept d'une semence


qu'on a analysé a priori
en général, laquelle est en effet petite el imperceptible, au lieu de
s'en tenir au concept particulier qui est envisagé dans la parabole.

n. — Les Enfants capricieux : Mt., xi, 16-19.

16. A quoi donc comparerai-je ceUe génération? Elle ressemble à de petits enfants
se tenant sur les places publiques, qui interpellent leurs camarades 17. en ces

termes :

Nous vous avons joui; de la llùle


et vous n'avez pas dansé;
nous avons entonne la lamentation
et vous ne vous êtes pas batUi (la poitrine).

IS. Jean est venu, en efïet, ne mangeant ni ne buvant, et ils disent Il a un :

démon; 19. le Fils de l'Homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent Voilà :

un mangeur et un buveur de vin, un ami des publicains et des pécheurs. xMais la


sagesse a été justifiée par ses oeuvres (cf. Le, vu, 31-3.5).

Le P. Sainz commence par rappeler ce judicieux principe de Mal-


donat, à savoir que, dans les paraboles, il faut moins s'appliquer au
sens particulier des détails qu'à la signification générale de l'ensem-
ble; qu'il faut comparer non pas les personnes au.x personnes, mais
l'histoire en bloc à la réalité tout entière qu'il s'agit d'éclairer :

Valde usitatum est ut in parabolis non personae personis, nec parti-


bus partes, sed totum negotiurn loli negotio comparetur . Il suivrait de
ce principe qu'on devrait prendre la scène des enfants dans sa signi-
fication générale et ne pas s'attarder à chercher ce que peuvent
bien signifier les divers groupes séparément.
Un scrupule regrettable a fait perdre au P. Sainz le bénéfice d'une
aussi lumineuse indication. Il n'a pas cru devoir suivre son guide
jusqu'au bout et il a préféré rejoindre la foule plus nombreuse des
ENSEIGNEMENTS PARABOLIQUES. 173

exégètes qui donnent une signilication spéciale aux deux groupes de


joueurs. Il écrit : Quelle cfue soit la vérité du principe précité, « il

faut noter cependant que dans l'espèce le tout se compare au tout de


telle manière qu'on indique également les parties dont ce tout se
compose » (1).
En conséquence, il partage les gamins en deux catégories ceux :

qui invitent leurs camarades au jeu, et ceux qui refusent d'y prendre
part, les premiers représentant le Sauveur et Jean -Baptiste, les
seconds les scribes et les pharisiens.

Cette explication parait se heurter à une grave difficulté. D'après


les termes mêmes du récit, ce sont les pharisiens qui devraient invi-

ter, au lieu d'être invités, car le texte porte : Ils (les hommes de cette
génération, scribes et pharisiens) ressemblent à des gamins qui s'en
prennent à leurs camarades...
Cette objection, qui, du reste, n'est pas la seule, suffit à rendre
précaire la solution proposée.
Le P. Fonck a été mieux inspiré. Avec de nombreux commentateurs,
appartenant à toutes les écoles. Maldonat, Calmet, Knabenbauer,
Bruce, Jûlicher, Loisy, il prend en bloc la troupe des enfants qui
jouent et se disputent. « Naturellement, écrit-il, la faute est des deux
côtés à la fois, et il n'y a pas à partager les paroles entre les deux
catégories « (2).

Cette fois l'interprétation est excellente. xMais on s'étonne que ces


auteurs ne cherchent guère à la justifier,en montrant comment,
seule, elle a des titres à représenter la véritable pensée du Sauveur. Il
vaut la peine d'essayer de combler cette lacune.
En définitive, la question est de savoir si les deux groupes d'en-
fants jouent un rùle distinct dans la parabole, en sorte qu'il faille leur
trouver à tous deux un correspondant particulier, en déterminant les
personnages qu'ils représentent. Cela revient à se demander si les
deux groupes sont des éléments allégoriques, ou s'ils ne sont pas plutôt
des traits paraboliques. Dans ce dernier cas, ils se fondraient en une
masse anonyme et indistincte et ils ne posséderaient pas de significa-
tion particulière; ils n'auraient qu'une signification générale, celle de
la parabole elle-même.
Or, un e.xamen attentif nous révèle que ce sont en eCTet des traits
paraboliques, nullement des traits allégoriques. Je n'en donnerai ici

qu'une preuve. S'il s'agissait de métaphores, l'invitation à jouer serait

(1) op. laud., p. 9G.

(2) Op. l. p. 2'i5.


r.i iu:\ri-: iniU-ioiiE.

un hait capital, esstMiticl, car ce serait la caractrrisliiiiu' du premier


groupe délitants: dès lors, le divin Maître naurait eu ,i;arde de romct-
tre dans son application. Or. il l'a omise.
Que lisons-nous en etlef aux versets 18 et 19 de saint Matthieu?
Simplement ceci - .leau est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils
:

disent Il a :un démon; le Fils de rilomrae est venu mangeant el


buvant, et ils disent Voilà un mangeur et un buveur de vin, un ami
:

des publicains et des pécheurs ». Le texte ne spécitie pas que le Pré-

curseur et le Mes>ie adressent nue invitation quelconque à leurs conci-

toyens; daprès la parabole, ils se contentent de mener pour leur


propre compte leur genre de vie particulier.
Sans doute, dii-a-t-on mais leur exemple n'était-il pas une iuvita-
;

tion implicite?
Implicite, peut-être. Mais cela ne compte pas pour la parabole.
Pour l'eUet en question, il y faudrait une invitation explicite. Lorsque
le Sauveur veut insister sur un trait, pour en dégager une leçon, il n'a

pas coutume de le sous-entendre. On sait encore que les traits allégo-


riques ne peuvent guère se discerner qu'au relief qu'ils acquièrent
dans le discours. Ici le relief est nul, et c'est une raison de penser que
ni l'invitation à jouer, ni, par suite, les deux groupes, en tant que
tels, ne sont des éléments allégoriques.

En revanche, le trait capital sur lequel insiste le divin Maître, dans


son application, c"est la conduite puérilement capricieuse des phari-
siens à l'égard de Jean-Baptiste et du Fils de iHomme. Preuve que,
dans la scène des petits joueurs, c'est le refus des récalcitrants qui

est l'élément essentiel.


Mais pourquoi donc a-t-on mentionné l'invitation au jeu? Tout sim-
plement parce qu'un refus ne va jamais sans une invitation préala-
ble.Le premier groupe des gamins ne propose que pour donner au
second l'occasion de ne pas accepter.
Encore est-il qu'il ne faut retenir de la scène entière, comme leçon
g-énérale,que l'impression d'ensendile, qui est celle d'un caprice
puéril, inexplicable.On n'a donc plus à se préoccuper du premier et
du second eroupe, et pas davantage du chant et de la danse, des
lamentations des pleurs. Car ces derniers traits ne sont pas plus
et

allé^-oriques que les précédents. Si quelques auteurs ont cru devoir


signaler une analogie entre les lamentations et l'austérité de Jean-
Baptiste, les chants et le régime moins rigide du Sauveur, il faut se

oarder de presser des ressemblances en somme très contestables. En


réalité, ni les lamentations ni les danses ne sont des métaphores et
elles ne peuvent guère l'être. Il ne faut voir dans les analogies signa-
ENSEIGNEMENTS l'ARALJOElnLES. {-;i

lées que des rencontres purement fortuites qui uc changent en rien


le caractère parabolique de ces détails.
Sous le bénéfice de ces explications, il seml^le qu'on puisse ramener
toute la parabole aux deux termes de la comparaison suivante :

De même y en a toujours qui


que, dans une multitude d'enfants, il

trouvent à redire aux propositions de leurs camarades, refusant par


exemple de danser lorsqu'on les y invite par des chants, refusant de
pleurer lorsqu'on les y invite par des lamentations;
ainsi scribes et pharisiens ont trouvé à redire tour à tour à la
manière de vivre du Précurseur et à celle du Sauveur, traitant le
premier de démoniaque, en raison de son austérité, le second d'ami
de la bonne chère, parce qu'il mangeait et buvait comme tout le
monde.
La leçon qui se dégage de cette parabole, c'est que les pharisiens
qui regardent de haut l'humanité entière, y compris les envoyés de
Dieu, ne se comportent pas même en hommes; ce ne sont que des
enfanis, pis encore, des gamins capricieux.
Les pharisiens, suivant leur coutume, n'eurent pas l'air de com-
prendre. La leçon n'en était pas moins cinglante.
Disons en terminant que cette morale, dégagée du texte de saint
Matthieu, se trouve expressément confirmée par la rédaction de saint
Luc. Ici il est manifeste que les enfants se confondent en un seul et
même groupe. » A qui comparerai-je les hommes de cette génération?
Ils ressemblent à des enfants qui s'interpellent les uns les autres (-/.aî.

-2oa-9(.)v:j7'.v àXATjAoïç) disant... » (vu, 31-32). Il n'y a plus deux camps


,

tranchés; c'est la foule anonyme et criarde, dont toutes les unités


s'agitent et s'interpellent à la fois. Ils sont tous mécontents les uns
des autres et ils se le disent simultanément.
Saint Matthieu ne parle pas autrement que saint Luc. Mais on a plus
de peine à pénétrer sa véritable pensée,

III. — Les dix vierges : Mt., xxv, 1-13.

1. Alors le Royaume des cieux sera semblable ii dix vierges, qui, ayant pris leurs
lampes, sortirent au-devant de Tépoux. 2.. Cinq d'entre elles étaient étourdies et cinq
étaient sages. 3. Les étourdies, ayant pris les lampes, ne prirent point d'huile avec
elles; 4. mais les sages prirent de l'huile dans les vases avec leurs lampes. 5. Comme
l'époux tardait à venir, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent. G. Au milieu de la

nuit un cri retentit : Voici l'époux, sortez à sa rencontre! 7. Alors toutes ces vierges
se réveillent et apprêtent leurs lampes. 8. Les étourdies dirent aux sages Donnez- :

nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. 9. Les sages leur répondirent De :

peur qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous, allez plutôt chez les mar-
176 lŒVn-: IMHMOUE.

olian(l> et aohetez-vous-en. 10. Tandis (luVlles allaient en acheter, l'époux arriva^


celles (]ui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et l'on ferma la

Plus tard, les autres vierijes arrivent aussi, disant : Seigneur, Seigneur,
porte. 11.
ouvre/nous! 12. Il répondit : Kn vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas.

13. Veillez doue, car vou.s ne savez ni le jour ni llieure.

Dans mon pircédent article, j'ai déjà essayé de dégagei- la Icoon


[)i'incipale de cette dramati(|uc parabole :

De môme (lue, sur un groupe de jeunes iilles, les sages seules, qui

s'étaient munies d'une provision purent se joindre au cortège


d'huile,

nui^tial, dont les étourdies se trouvèrent exclues, faute de provision;


ainsi, pour être admis au cortège parousiaque et au bonheur
céleste, il faudra se trouver bien préparé au
moment de la parousie,
sans quoi on s'en verra impitoyablement exclu.
elle nous
La lec^'on est unique, mais elle comporte deux aspects :

rappelle à quelles conditions on sera admis au cortège cschatolo-


eique par quelle imprévoyance on peut en être écarté. De ces faits
et

plusieui^s conclusions se dégagent. 1° La préparation exigée


par le
Sauveur doit être suffisante, toutes les conditions requises devant être

remplies il faut
: être là au moment voulu, avec sa lampe et son
huile; l'absence de Tune de ces conditions rend vaines toutes les

autres. La préparation doit être actuelle. Quelle qu'ait été l'atti-


2"

tude observée jusqu'alors, une question capitale se posera au moment


de la parousie Se trouve-t-on à cette heure dans les dispositions
:

requises? Si oui, on pourra se joindre au cortège; si non « je ne :

vous connais pas ». On ne demanda pas aux filles étourdies .si leurs
lampes avaient brûlé jusque-là, mais si elles avaient encore de l'huile
pour les alimenter. Ce fut ce manque de jjrovision qui les perdit.
3» Enfin, la préparation doit être personnelle. Au tribunal divin, il

n'y a pas d'exécution en masse, comme il n'y a pas de salut en bloc.

Toute àme d'un jugement particulier où elle répond de ses


fait rol)jet

dispositions ind'ividuelles. L'huile des vierges sages ne servit de


rien

aux étourdies, non plus que celle du bazar...


Un mot résume toutes ces recommandations Veillez Par là il ne : !

faut point entendre l'état de veille (1) à proprement parler, car.

au moment de l'arrivée de l'époux, toutes les jeunes filles se trou-


vaient précisément endormies, les sages aussi bien que les étour-
dies c'est plutôt Y état de vigilance qui nous est recommandé.
Cette
;

(1) Par où l'on voit que les


mêmes figures possèdent une certaine élasticilé, puisqu'elles
a pour rôle d'ac-
peuvent changer de signification dune parabole à lautre. Ici, le sommeil
paraboles des serviteurs qui
centuer la soudaineté de la parousie. Mais ailleurs, dans les
attendent le retour de leur maître, c'était un symbole de négligence.
ENSEIGNEMENTS PARABOLIQUES. 177

vigilance est une attitude de l'âme, non une posture du corps; elle est

constituée par les bonnes dispositions intérieures qui persévèrent


même pendant le sommeil, grâce à quoi la venue du Sauveur ne
nous prendra jamais au dépourvu.
Sur la teneur de ces enseignements, il serait difficile aux commen-
tateurs de ne pas se trouver d'accord, tellement ils ressortcnt avec
évidence. C'est pourquoi il n'y a pas lieu ici d'insister davantage. Par
contre, on gagnerait peut-être à mettre en relief deux principes qu'on
ne trouve que peu ou point esquissés dans la masse des commentaires,
mais qui sont de nature à mieux justifier les leçons précédentes. On
remarquera en effet 1" que par endroits les traits de la parabole
:

actuelle sont un raccourci du rituel matrimonial que connaissent bien


tous les Orientaux; 2" que certains traits extraordinaires y ont été in-
troduits à dessein pour les besoins de renseignement parabolique.
\^ Raccourci du rituel matrimonial. Le cérémonial des noces se

résume en ces mots. L'usage voulait que les jeunes filles, amies de
l'épouse, se rendissent auprès de celle-ci, dans sa maison, pour y
attendre l'arrivée de l'époux. Quand l'époux était là, les deux cortèges
se fondaient en un seul et tous les invités se rendaient en grande
pompe chez le fiancé où se donnait le festin nuptial.
Or les vierges de l'Évangile ont l'air d'attendre quelque part, sur
la loute apparemment, sans que la fiancée figure au milieu d'elles.

On dirait de plus que le festin se célèbre dans la maison de l'épouse,


car c'est de ce côté que le cortège se dirig-e et à peine est-il arrivé, ;

on ferme les portes et le repas commence.


On a essayé de diverses manières d'expliquer ces anomalies.
D'après le P. Fonck, le fiancé serait allé prendre sa fiancée dans un
autre bourg-. Les jeunes filles qui, pendant ce temps, s'étaient ren-
dues à la maison du fiancé, se portent au-devant du couple nuptial,
l'attendent quelque part sur la route, pour se joindre à lui et revenir
avec lui à la maison du fiancé (1).
Pour le P. Sainz, le repas nuptial se donne chez la fiancée. Au
reste, ajoute-t-il, c'est à dessein que celle-ci n'est pas mentionnée
dans la parabole, car le Christ « vient comme époux s'unir par un
mariage parfait à l'Église représentée par les dix vierges » (2).
Mais, avant d'accueillir ces hypothèses, ne serait-il pas opportun
d'examiner s'il n'y aurait pas plutôt quelques lacunes dans le tableau
matrimonial de la parabole? Quelle raison en effet aurait eue le divin

(1) Op. laud., p. 508, 510.

(2) « Ci'isto... viene como esposo a unirse en matrimonio perfeclo con la Iglesia repre-
sentada por las diez virgenes » (p. 629).
REVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. XIV. 12
i:s REVUE lUlU.inilE.

Maître de boiilcvorsor ainsi It•^ rites anciens? Il n'eùl i-éussi qu'à


dérouter ses auditeurs, sans que cet inconvénieni lût eoinpensé par
le moindre avantage.
On admettra donc que le fiancé allait épouser sa fiancée, elle seule,
et non pas toutes ses compagnes à la fois, non pas jnème par un
mariage symbolique. La liane ée devait se trouver chez elle, dans le
même bourg on dans un village voisin, il n'inqiorle. Et ses dix amies
devaient se trouver autour (Telle, pour lui tenir compagnie et lui
faire honneur. C est là que l'arrivée de Tépoux vient les surprendre.
C'est de là que le cortège nuptial s'organise définitivement et qu'il ren-
tre dans la maison du fiancé, où l'on festoie joyeusement toute la nuit.
Si Jésus n'a pas mentionné tous ces détails, c'est qu'il n'était pas
nécessaire de les énumérer devant des auditeurs bien au courant des
usages locaux. En ce moment, d'un raccottrci, dans lequel
il lui suffisait

il noterait les traits qui convenaientmieux à son but. On sait que le


paraboliste a le droit de ne pas tout dire. La seule chose importante,
c'est quil soit compris et son auditoire intéressé. Nous pouvons être

certains que l'auditoire judéen suivait parfaitement cette description


et qu'il en subissait le charme.
Il se trouve du reste que les traits omis ne jouent pas de rôle impor-

tant dans la parabole. C'est ainsi que la fiancée n'est pas mentionnée,
parce qu'elle ne devait point paraître dans ïapplicafion parabolique.
— Cette première prétérition en entraînait plusieurs autres. Du
moment que la fiancée n'était pas nommée, il n'y avait pas lieu de
représenter les jeunes filles se tenant à ses côtés. On ne devait pas
davantage indiquer que ces compagnes d'honneur attendaient le
fiancé dans la maison de la liancée. Et puisqu'on ne parlait pas de cette
maison, pourquoi aurait-on spécifié que le repas allait se donner chez
le fiancé? Toutes ces choses allaient de soi.

Mais le texte ne dit-il pas que les jeunes filles se portèrent à la ren-
contre de l'époux? Il faut donc qu'elles soient sorties de la maison où
elles se trouvaient, et soient allées attendre (juelque part sur le

chemin.
Il faut répondre cjue ce n'est pas une conséquence nécessaire. La
phrase peut signifier seulement c[u'elles sortirent de chez elles pour
se rendre chez la fiancée^ afin d'y attendre à ses calés la venue de
répoux. Car c'est encore là une manière de se porter au-devant de
l'époux, surtout lorsque les détails de la cérémonie ne sont rapportés
qu'en g^ros et en raccourci (1). Et si cette interprétation est légitime,

(1) Je constale avec plaisir que, pour l'interprélation de ce délail, je suis d'accord avec
le P. Sainz, p. 630.
ENSEIGNEMENTS PARABOLIijLES. 179

elle doit ôtre préférée, car on ne voit pas davantag-e


pourquoi le Sau-
veur aurait déroçé sur ce point aux usages nationaux.
2" Détails extraordinaires Par contre, le divin paraboliste semble
.

bien avoir introduit dans son récit un certain nombre de détails extra-
ordinaires. Comment se fait-il que la troupe entière des jeunos fille-^
se soit sitôt endormie, puisqu'il n'était pas encore minuit? D'ailleurs
la difficulté subsiste, si, au lieu d'être rangées autour de la fiancée, les
vierges attendent sur les chemins, car là encore l'attente ne fut que
de quelques heures et il s'agissait j)Our elles de manifester une joio
bruyante. En Palestine, on n'honore quelqu'un qu'en faisant du bruit,
et l'on est en mesure d'en faire durant de longues heures. Les paisi-
bles Européens, vivant dans les cités palestiniennes, Font appris à
leurs dépens pendant maintes veillées, où ils cherchaient en vain le
sommeil qu'avaient si facilement trouvé les dix vierges.
Et l'époux, pourquoi retarde-t-il ainsi sa venue? Ce retard n'est pas
davantage dans les mœurs; on sait qu'en Orient le cortège s'organise
à l'entrée de la nuit... Et qne dire de ces filles sans cœur qui refusent
de prêter à leurs compagnes la petite provision d'huile nécessaire
poui' arriver jusqu'à la maison de l'époux? Là, on se serait toujours
arrangé; on n'aurait eu par exemple qu'à puiser dans les jarres où
l'époux, en bon Oriental, devait garder sa provision de l'année... Et
l'époux lui-même, que penser de ferme impitoyaljle-
lui, lorsqu'il

ment la demeure du aux pauvres étourdies, dont l'unique tort


festin
est d'arriver quelque peu en retard? Est-ce qu'on traite de la sorte

des invités de marque, les amies de l'épouse?


La raison de ces anomalies est tout indiquée dans le but parabo-
lique que poursuivait le divin Maître. J'ai dit ailleurs que tout para-
boliste a le droit d'introduire dans ses tableaux quelques traits sur-
prenants, extraordinaires, anormaux, qui ne se rencontrent jamais
ou presque jamais dans la vie. La parabole n'est pas le plagiat de la
nature. C'est un tableau, en partie réel, en partie artificiel, arrangé
en vue d'un enseignement à inculquer. Ici la leçon est transparente.
Quoi qu'il en soit de la réalité, les jeunes filles s'endorment parce
qu'il est nécessaire d'exprimer la venue inopinée de l'époux. Celui-ci
ne tarde lui-môme si longtemps que pour marquer Vincertitude de
l'heure où se produira la parousiedu divin Époux. Les filles sages re-
fusent de l'huile aux étourdies pour marquer la nécessité d'une pré-
paration individuelle. Et l'époux ne ferme sa maison aux retardataires
qu'atin de leur faire porter la peine de leur inconcevable étourderie.
Quiconque a bien compris le genre littéraire constitué par les para-
boles, trouvera sans doute ces explications satisfaisantes.
.

IKO WEWE BIHLIQUK.

Ell<^s ont en mômo temps l'avantage do justifier tous les traits


principaux des enseignoinents rôsuniés an début do cette parabole.
Ou'on so souvienne en ell'et des deux lôglos suivantes 1" les traits, :

conformes à la nature ordinaire des eboses ou des mœurs, que lo


tableau ne présente qu'on raccourci ot sans leur donner le moindre
relief, ne sont évidouimont pas allcyoriques; il ne faut pas les traiter

comme des métaphores, en cherebant à leur prêter uiio signification


particulière; ce ne sont que des traits paraboliques, si même ils ne
sont de Par contre, les
purs détails littéraires. 2" anormaux traits

ou extraordinaires, introduits intentionnellement dans la parabole,


ont toute chance d'être ^allégoriques et de posséder une signification
iudividuoUe,
Les auteurs qui dérogent au cérémonial accoutumé en supposant
que l'époux est allé chercher son épouse dans un bourg voisin, que
les jeunes tilles sont réellement sorties sur le chemin au-devant de
l'époux, ou que
repas nuptial s'est donné dans la maison de la
le

iiancée, n'ont pas cependant songé à interpréter allégoriquement ces


détails. C'est là un aveu implicite que ce ne sont pas des métaphores,
et pas davantage des dérogations à la loi commune. C'est aussi une
précieuse contre-épreuve des principes qu'on vient de rappeler.

IV. — La Semence : Me, iv, 26-29.

2(;. Il en est du lloyaiune de Dieu comme d'un lioniine qui, après avoir jeté en
terre la semence, 27, dort la nuit, veille le jour, et la semence germe et croît sans
qu'il s'en occupe. 28. C'est la terre toute seule qui produit d'abord la tige, puis l'épi,
puis le blé tout formé dans l'épi. 29. Et lorsque le fruit est mùr, on y met la fau-
cille, parce que c'est le temps de la moisson.

Ce charmant petit tableau va nous fournir l'occasion de discuter


deux importantes questions d'exégèse parabolique d'abord la ma- :

nière de discerner les métaphores , ensuite la façon de distinguer la


leçon principale des enseignements secondaires
En premier lieu, la manière de discerner les métaphores En . l'es-
pèce, il de savoir
s'agit si l'homme qui jette la semence est la méta-
phore du Sauveur.
Les PP. Sainz Fonck répondent par l'affirmative; mais, d'après
et
eux, ce serait une métaphore partielle, non une métaphore totale;
je veux dire qu'ils renoncent à appliquer métaphoriquement au
Sauveur certains traits qui, dans la parabole, conviennent au semeur.
Si le semeur, disent-ils, dort et veille, s'il se désintéresse des progrès
de la semence, si même il ne concourt pas le moins du monde à son
ENSEIGNEMENTS PARABOLIQUES. 181

accroissement, ce sont là détails secondaires, qui ne servent qu'à


rehausser l'image, sans qu'il faille les appliquer à la réalité. « Le
fait de dormir ou de se lever, dit le P. Sainz, sii^nilie seulement que
le travail a cessé à la campagne, où il n'est plus nécessaire; le fait
de ne rien entendre à l'accroissement nous explique que l'homme
n'y intervienne point, et de plus il met en relief le pouvoir secret et
mystérieux de la semence, pouvoir occulte, impénétrable à l'esprit
humain. En conséquence, nous n'essaierons pas d'appliquer de force
ces traits à Jésus-Christ > (1). Le P. Fonck écril de son côté « Ici :

encore, celui qui sème la semence est le Fils de l'Homme ». Mais il

ajoute qu'il faut se garder d'appliquer au céleste semeur ces divers


traits qui impliquent plutôt une imperfection (2).
longtemps cru, moi aussi, que cette manière de voir était légi-
J'ai

time. Mais une étude plus approfondie m'a convaincu de son caractère
artificiel, à la suite de quoi je demeure persuadé que le semeur

n'est ni partiellement ni totalement la métaphore du Sauveur, et


qu'il ne saurait l'être.
Les commentateurs précités se rendent très bien compte que tous
les traits du semeur ne conviennent pas à Jésus; en cela ils montrent

un sens critique plus avisé que d'autres interprètes qui n'ont pas
reculé devant la tâche de tout interpréter en métaphores, vaille que
vaille. -Mais cette inaptitude allégorique de trois ou quatre détails,
c'est-à-dire de plus de la moitié, n'est-elle pas déjà une preuve qu'il

faut renoncer à faire du semeur une métaphore (3)? En outre, si

Jésus avait voulu parler en allégorie, ne semble-t-il pas qu'il aurait


appuyé première métaphore de quelques autres, comme il l'a
cette
fait Semeur, l'Ivraie (>It., xiii, 17 i?s.), le Filet iibid., i7-i9)?
dans le

Il semble, en tout cas, qu'il n'aurait pas dû elfacer tout le relief


de cette métaphore initiale (le semeur), en la faisant suivre de plu-
sieurs traits manifestement dépourvus de toute visée allégorique.
J'avoue que si. dans cette parabole, le semeur était une métaphore,
ce serait peut-être la moins réussie en raison du contexte immédiat.
Voici quelques autres raisons tendant à la même conclusion :

1. On notera que, dans ce tableau de saint iMarc, Jésus insiste très


peu sur le rôle du semeur. Il ne le mentionne qu'à Y aoriste, ^âXif;,

(1) Op. laitd.. p. 205.

(2) Op. laud., p. 103, 104.


(3) Exactement,
y a cinq détails concernant le semeur
il il sème, dort, se lève, ignore
:

la croissance et faire la. moisson. Sur les cinq, les PP. Fonck et Sainz n en
revient
retiennent que deux comme allégoriques les semailles et la moisson. Us traitent avec
:

raison les autres de paraboliques. Mais cela ne fait toujours que deux métaphores sur
cinq vocables. C'est peu.
isi niivuK luiii.ion:.

coDiine s'il saisissait (rime .iclion l)icn }»assée, accoiU[)lic avant la


scriK' que veut décrire la |>araJjolc. l/acccnt n'est donc pas sur 1rs
semailles : il porte unicjueiuent sur le dévrloppenieut «le la seuieiicc.
On ne l'ail allusion à l'acte du semeur que parce qu'il est nécessaire
d'avoir semé pour que la semence germe et croisse.
(M-, l'une des —
premièies règles, en matière allégoriciue, est qu'une expression non
accentuée n'est pas une métaphore. Ihi moins, la présomption n'est
pas en laveur de la métaphore.

Pour fortifier son sentiment, le P. Konck allègue l'analogie du


2.
semeur dans llvraie, où il est dit « Celui gui. sf'ine la bonne semence,
:

c'est le Fils de rilonwie » (.\It., xiii, 37). Mais cette analogie est loin

d'être concluante, attendu que, dans l'Ivraie, ia mention de la bonne


semence et le contracte de l'homme ennemi donnent au semeur un
relief qu'il n'a point dans le récit de saint Marc. Par ailleurs, on ne
saurait chercher un appui sérieux dans le voisinage immédiat des
paraholes g-roupées par saint Matthieu dans son chapitre xui. M. Le-
vesque rappelait naguère encore que ces groupements pouvaient
avoir été inspirés au premier évangèliste par un but didactique plulot
que par des visées chronologiques (1).
3. On remarquera enfin que, dans le Ferment (xMt., xiii, 33), c'est
une femme qui pétrit la pâte, et non plus un homme, sans doule
parce que, en Orient, ce travail domestique est exclusivement réservé
aux femmes. Il se pourrait dès lors que, dans la Semence aussi,
l'homme fût mentionné uniquement parce que les semailles sont le
travail exclusif des hommes.
Pour ces raisons diverses, je crois préférable de dire que le semeur
de saint Marc n'est pas une métaphore (-2). (^ette parabole n'est qu'une
parabole. Ce qui ne lui ravit aucun de ses charmes, et lui en donne
peut-être un de plus, en supprimant les hésitations de l'interpré-
tation allégorique.
On va que ce premier résultat en entraîne d'autres, dès qu'on
voir
cherche à déterminer la leçon j^fincipale de la parabole. Pour le
P. Fonck, cette leçon est double, car elle vise d'abord le fondateur
du Royaume messianique, ensuite les lois qui président au déve-

(1) RB., 1916, pp. 387-402.


(2) Conséqueinment la métaphore delà rétribution escha-
la moisson n'est pas davantage

on n'eût pas manqué d'indiquer expressément que c'est le même


tologiqne. Si elle l'était,
semeur qui fait la moisson, d'autant plus que la phrase jprécédeute a un sujet différent.
Tel qu'il est, le texte demeure indécis, au point que plusieurs commentateurs n'hésitent
pas à traduire « Et quand le fruit est mûr, on y met la faucille », au lieu de
: il y met :

la faucille. Et il semble qu'ils aient raison.


ENSEIGNEMENTS PARABOLIQUES. 18:5

loppement du Royaume lui-même. Après avoir fondé le Royaume,


le fondateur ne le fera plus bénélicier de sa présence et de son
influence visililes, jusqu'à ce qu'il revienne au dernier jour présider
l'œuvre eschatologique. Quant au Royaume lui-môme, son dévelop-
pement suivra diverses étapes, en vertu de ses divines énergies, et
ilarrivera à son parfait achèvement sans une nouvelle intervention
de son fondateur (1).

Le P. Sainz adopte la môme interprétation. Le semeur serait le


Verbe fait chair qui prêche la divine doctrine, la laisse fructifier
spontanément après sa mort, et reviendra, à la fin des siècles, juger
les hommes. Quant à la doctrine du Royaume, il écrit « Ne faut-il :

pas admirer dans ce cadre à peine ébauché tout le règne messianique


divisé en trois périodes les débuts, le développement et la consom-
:

mation » (2)?
Oîi a le regret de dire que tous ces enseignements ne semblent pas
contenus dans la parabole en question.
En ellèt, si le semeur et le moissonneur ne jouent qu'un rôle
secondaire, les semailles et la moisson doivent elles-mêmes rester au
second plan, pour laisser au développement de la semence le béné-
fice principal de l'enseignement parabolique. Dès lors, cette leçon se

ramène aux deux termes de la comparaison suivante :

De même qu'après avoir été mise en terre, la semence germe, se


développe et forme son épi, sans plus avoir besoin des hommes
jusqu'à l'époque de la moisson;
ainsi, après avoir été fondé, le Royaume de Dieu se développe
par lui-même, par ses énergies propres, jusqu'à son plein développe-
ment et jusqu'à la consommation finale.
Par là, le divin Maître voulait marquer, non pas précisément que
le Royaume passerait par des étapes successives qu'il lui faudrait
traverser laborieusement avant d'arriver à sa pleine éclosion, mais
bien qu'il possède un principe vital^ suffisant pour promouvoir son
complet développement à travers toutes ses évolutions organiques.
Le mot principal de la paral>ole était celui-ci c'est la terre toute
:

seule (aj-c;j.àTTj qui produit son fruit. La leçon principale sera donc :

c'est le Royaume tout seul, ptar sa vertu propre, par son énergie
divine, qui se développera jusqu'au dernier période de sa perfection.
Et les conclusions légitimes de la parabole se bornent à cela. On
ne saurait en déduire que c'est le Sauveur en personne qui fonde le

(1) op. laud., pp. 101-112.


(2) Op. laud., p. 206.
iU RKVUE RIBIJOIK.

K(t\aiiino, ni qu'il va hiontôt quitter celte terre, ni qu'il rovieiulra


un jour pour jui;cr les vivants et les morts. Cette parabole resterait
ce qu'elle est, si le Royaume était fonde par un autre; si Jésus, tout
en demeurant sur terre, se désintéressait de son oeuvre, pour vaquer à
d'autres allaires; si la moisson cschatologique était faite par un autre
moissonueur. Assurément ces questions seront éclaircies ailleurs;
elles le sont même ;Y \)ou près toutes dans les paraboles voisines.
Mais on ne saurait demander à la petite parabole de la Semence,
qui ne compte que quatre versets et tient en quelques lignes, d'otre
un abrégé do l'Évangile entier. Une des i-ègles d'or de l'exégèse
en général, et de l'exégèse parabolique en particulier, est de ne
point vouloir trouver tout dans tout.

V. — Les deux Débiteurs : Le, vu, 'i-0-47.

40. Jésus lui répondit : Simon, j'ai quelque chose à te dire. Et celui-ci dit : Maître,
parlez. 41. Un créancier avait deux débiteurs; l'un devait cinq cents deniers, et

l'autre cinquante. 42. Comme ils n'avaient pas de quoi le rembourser, le créancier
leur remit leur dette à tous deux. Quel est celui d'entre eux qui l'aimera davan-
tage? 43. Simon répondit : Je suppose que c'est celui à qui il a remis davantage.
Jésus lui dit : Tu as femme, il dit à Simon
bien jugé, 44. Et, se tournant vers la :

Tu vois celte Je suis entré chez toi, tu ne m'as pas donné de l'eau pour les
femme?
pieds-, mais elle, c'est avec ses larmes qu'elle m'a arrosé les pieds et c'est avec ses
cheveux qu'elle me les a essuyés. 4.5. Tu ne m'as pas donné de baiser; mais elle,
depuis que je suis entré, elle n'a cessé de me baiser les pieds. 46. Tu ne m'as pas
oint la tête d'huile; mais elle, c'est avec du parfum qu'elle m'a oint les pieds.

47. C'est pourquoi, je te le dis, des péchés en grand nombre lui ont été remis,
puisqu'elle a beaucoup aimé [oZ -/_aptv Xi-^M aot, àçewvTai ai àjjiap-îat aùr^; at TioXXa;,

o-i iiYa-r,j£v -oXû). Celui, au contraire, à qui l'on pardonne peu, aime peu.

La de ce verset kl est classique. Son examen va nous


difficulté
permettre de rappeler un autre principe de l'exégèse pai\ibolique, à
savoir que la leçon principale se déduit de l'examen général de la
parabole.
La controverse se résume en cette question le v. iT présente-t-il :

l'amour de la pécheresse comme la cause de la rémission de ses


péchés ou seulement comme son effeti
La Vulgate semble s'être prononcée pour la cause Remittuntur ei :

peccata multa, quoniam dilexit multum. C'est aussi la solution


adoptée par bon nombre de commentateurs catholiques, en particu-
lier par PP. Knabenbauer et Fonck.
les
Ce dernier approuve cette déclaration de saint Pierre Ghrysologue :

« // est prouvé que l'amour détruit et efface tous les péchés », et il


ENSERi.NEMEXTS PARAliOLIorES. 185

insiste sur l'opinionde .lanscnius de Gand qui qualifie de violents


les sentiments opposés sed liac interpretaliones nimis sunl viulenlae.
:

Il ajoute pour son propre compte qu'il adhère à la thèse de


l'amour,
cause de la rémission, « en raison des paroles expresses et nettes du
Christ » (nach den ausdrûcklichen und Idaren Worten Christi) (1).
Une pareille interprétation ne peut se justifier au regard de la
parabole qu'en alléguant une inflexion subite dans la pensée du
Sauveur. Au lieu de montrer que, dans la conduite de cette femme,
l'amour suit la rémission des péchés, comme c'est le cas des débi-
montrer, dans la rémission de ses péchés,
teurs, Jésus aurait préféré
une suite de son amour. Eu efFet, il allait de soi que l'amour témoigné
par les actes de la pécheresse était le fruit d'une transformation
morale; Sauveur n'y insiste pas; mais il tient à faire savoir que
le

cette transformation elle-même a été opérée par un amour antécédent.


On ne saurait dire de ces- explications qu'elles sont dénuées de
toute probabilité, du moins théoriquement parlant. L'inversion de
la pensée est toujours possible chez un orateur. iNéanmoins on recon-
naîtra que la présomption n'est pas en sa faveur, surtout lorsque
cette déviation attecte la leçon principale d'une parabole.
Ici le cas est plus grave encore, car tous les indices du contexte
semblent exiger que la pensée du divin Maître suive sa marche nor-
male et régulière. L'exemple du serviteur qui témoigne une recon-
naissance plus vive, parce qu'on lui a remis une dette plus grande,
ne présage-t-il pas que la pécheresse témoignera un amour plus
fervent, en proportion même des péchés qui lui ont été pardonnes?
De plus, Sauveur ajoute dans la deuxième partie de ce verset 47
le :

Celui au contraire à qui on pardonne peu, aime peu.


L'interprétation combattue ne satisfait pas à ces exigences du con-
texte. C'est une raison pour ne l'admettre qu'en désespoir de cause.
Or, la cause est loin d'être désespérée.
Depuis longtemps plusieurs exégètes — et les catholiques avant les

protestants —
ont proposé une solution infiniment plus naturelle,
celle qui voit dans l'amour de la pécheresse un effet de la rémission
de ses péchés. Tel est, entre autres, le sentiment des exégètes espa-
gnols, Tolet et Salmeron. Il faut féliciter le P. Sainz de les avoir
suivis, sans se laisser impressionner par l'opinion contraire de Maldo-
nat. Il écrit : « Comme cette opinion est la seule qui s'harmonise avec
la parabole, nous y adhérons sans hésiter no dudamos arlherirnos
a clla) » (-2).

(1) Op. laud., p. 682.

(2) Op. laud., p. 533. Tolel avait dit avant lui : Ubi eigo ista inulta dileclioiiis siiiiia
ISO ni:\i'i; i?iiu>iciUE.

C'est en ollet la leron (jui so dégage spoiifanémeiit de la parabole,


dès qu'on la ramrne .lUx deux iiHMnbres d'une comparaison :

De même ipic, dans l'exemple de deux déhileurs à qui le créanciei-

avait graciensement remis leurs dettes, la reconnaissance plus vive


était rindicc d'une remise plus considci'able;
ainsi l'amour véhément, témoigné par celte pécheresse, est l'indice

du grand pardon qui lui a été accordé (1).

Reste à justiliei' cette solution au point de vue grammatical, tache


à laquelle ni Tolet ni le 1*. Sainz ne se sont appliqués. La chose est
des plus faciles. Il suffit de noter, dans le v. 'i7, l'exacte signitication
du verbe r,-;x-r,ze.'i dilexit) (2). Le verbe grec est à l'aoriste et, à ce
titre,désigne une action passée. iMais on a tort de chercher cette action
dans un passé déjà lointain, en supposant un amour antérieur à la
rémission des péchés, car le verbe ci/e a aimé se réfère unique-
:

ment aux actes que la pécheresse vient d'accomplir dans la salle du


festin. La preuve que cette interprétation n'est pas arbitraire, c'est
que, dans la parabole même, le Sauveur se sert à quatre reprises de
l'aoriste pour désigner ces actes d'amour. « Simon, dit-il, tu vois
cette femme? Je suis entré chez toi et tu ne m'as pas donné de l'eau
pour les pieds; mais elle, c'est avec ses larmes qu'elle m'a arrosé
les pieds (eêps-i^sv, aoriste), et c'est avec ses cheveux qu'elle me les a
essuyés (i;£!j.arsv, aoriste). Tune m'as pas donné de baiser; mais elle,

depuis que je suis entré, elle n'a cessé (SiÉXcnrcv, aoriste) de me bai-
ser les pieds. Tu ne m'as pas oint la tête d'huile ;
mais elle, c'est avec
du parfum qu'elle m'a oint les pieds (v.eid/sv, aoriste) » (vv. W-kQ).
Après énumération elle m'a arrosé les pieds, elle me
cette éloquente :

les a essuyés, baisés, parfumés, .îésus résume toutes ces marques


d'amour d'un mot elle a aimé, v/â-Yî^sv (aoriste) (3). Ce verbe pou-
:

vant se rapporter à ces actes, il est évident qu'il faut l'y rapporter.

apparent, judicanJum est magnam praecessisse peccatorum lemissioncm... Suinit argu-


mentum ab ad causam... Quo sensu et interpretatione parabola, seu simililudo
effeclu
optime accommodatur rei ipsi.
(1) Ou voit mieux maintenant combien la première solution
fait dévier le sens normal de

la parabole, lorsquelle donne comme deuxième terme à la comparaison la proposition sui-


vante :

Ainsi l'amour véhément témoigné par cette pécheresse a été cause de la rémission de
ses péchés.
On peut s'attendre à bien des imperfections dans les paraboles orientales. Mais ce défaut
de correspondance constituerait une exception.
(2) Plusieurs interprètes ont épilogue sur le sens de oj xiptv ou de m. C'est à
tort, car

ces mots gardent ici leur signification ordinaire.


(3) Tous ces aoristes s'expliquent par le fait que le divin Maître considère ces actes
comme accomplis, ou comme ayant déjà toute leur siguilication, en raison même de leur
prolongation.
ENSEKINEME.NTS PARAlîOETQUES. 187

Dès lors, la démonstration est faite. Il s'agit d'un amour conséquent à


larémission des péchés « C'est pourquoi, des péchés en grand nom-
:

bre lui ont été pardonnes, puisqu'elle a beaucoup aimé », ou, pour —
employer une formule qui supprime toute ami)iguïté Il faut que de :

trèsnombreux' péchés lui aient été remis, puisqu'elle vient de témoi-


gner un tel amour.
Cette traduction a de plus l'avantage de s'en tenir aux seules don-
nées de la para])ole, ce qui est encore une règle de l'exégèse parabo-
lique. L'opinion ici combattue est forcée de supposer un amour anté-
rieur à la scène du festin. Il est possible, vraisemblable même, que
cet amour a existé. Mais, en somme, on n'en sait rien. Et, à tout
prendre, il se pourrait aussi que la scène actuelle fût pour cette femme
le premier témoignage de sa conversion. L'exégèse historique e1

positive a pour devise : le moins de suppositions possible; des faits :

s^il se peut, rie?i que des faits.

De cette traduction se dégage la seule leçon qu'on puisse correcte-


ment déduire de la parabole, à savoir, non pas que l'amour efface les
plus grands péchés, mais que cette prétendue pécheresse est en réalité
une dme transfigurée. Et c'est une leçon à l'adresse du pharisien
Simon, l'hôte du divin Maitre, ainsi que le contexte le réclame. Simon
se scandalise qu'une pécheresse ose se présenter aux pieds de Jésus.
Simon retarde. Il juge d'après le dehors et le passé. Il ignore que.
sous les mêmes apparences, l'âme a changé. Cette femme ne verse
plus que des larmes de repentir et d'amour. Sa chevelure qui avait
été jusque-là un instrument de péché, elle la désaffecte et la voue au
service du Seigneur. C'est pour lui aussi qu'elle répand ses parfums,
employés jusqu'alors à rehausser ses criminels attraits. Bref, c'était
une déiùtrice, elle ne l'est plus; c'était une pécheresse, c'est une par-
donnée; c'était un objet de mépris, c'est un vase d'amour.
C'est pourquoi elle accomplit un acte louable en faisant ce qu'elle
fait. Et Jésus non plus n'a pas tort, il ne déchoit pas, en se prêtant à

ces effusions de tendresse.


Car en disculpant cette femme, le Sauveur se défend lui-même
contre malveillantes suspicions du pharisien. Celui-ci faisait retom-
les

ber sur le Maitre le dédain dont il enveloppait la pécheresse. A son


tour, Jésus bénéficie de l'apologie de la pénitente et il rétablit sa
propre réputation de prophète que Simon lui contestait dans son for
intérieur. En tout cela on ne saurait assez admirer l'infinie délica-
tesse de son procédé. L'apologie de la femme est au premier plan,
mais, pour être indirecte, sa propre défense n'en est que plus efficace.
Cette parabole comporte une question secondaire. Le débiteur de
t88 HKVl K IMlil.IOl'K-

cinquan/r dniirrs rst-il la mvlapliorr de Sinxiii? Le P. Konck semble


le croire (1 . .le serais (l'iin .ivis dillrrenl poiii' nii double motif.
D'abord le divin Maître aucune apijlicalion personnelle de
ne lait

ce détail, et ce mantiue d'insistance est déjà un indice qu'il n'y a


pas métaphore. De plus. analogie entre ce débiteur et Simon, (pii
I

d'abord paraissait frappante, se révèle à la réflexion très imparfaite.


Nul ne soutiendra cpie les péchés du pharisien soient dans la l'clation
de cinquante à cinq cents, c'est-ù-dire de un à dix, avec ceux de la
pénitente. Rien ne nous garantit non plus que Jésus ait pardonné
ses péchés à son hôte. L'invitation à dîner ne peut pas davantage
s'interpréter, de la part de Simon, comme un acte de reconnaissance
on d'amour. En somme, l'analogie se réduit A ceci Simon est cer- :

tainement pécheur. Cela n'est pas suffisant pour une métaphore.


Il semble donc préférable de considérer ce trait comme un
tlêtail

parabolique, n'ayant pas de signification particulière, et servant


uniquement à la signification générale. Il n'est mentionné que dans
un but de contraste, pour donner plus de relief à la physionomie
du débiteur de cinq cents deniers. La dette moindre fait davantage
ressortir la dette plus considérable comme aussi l'amour moindre
;

accuse davantage l'amour plus véhément de celui à qui il a été


davantage pardonné. C'est pourquoi on est dispensé de chercher
qui le Sauveur a visé, attendu qu'il n'avait personne en vue. Les
paraboles, qui sont de petites scènes, ont leurs comparses comme
les pièces de théâtre. Le deuxième débiteur est une de ces figures
anonymes. Il n'y a pas intérêt à lui donner un nom.

VI. _ le Fils prodigue : Le, xv, 11-32 (2).

Bien ([ue le sens général de cette parabole ait été indiqué dans le
précédent article, il ne sera pas superflu d'y revenir, en insistant

sur nature et la portée de l'argument ad hominem.


la

On sait déjà que l'interprétation de cet admirable récit est des plus
controversées. Pour le P. Fonck, la leçon principale se borne à nous
présenter une histoire de pécheur dans ses diverses phases égare- :

ment, misère et conversion (3). Prévoyant une objection, il ajoute :

De ce que la parabole a été motivée par les murmures des pharisiens

(1) « D'où la conclusion nécessaire que


nous devons reconnaître dans le tableau des
deux débiteurs une relation avec la pécheresse et l'hôte pharisien » [op. laud., p. 680).
(2) Cette parabole étant dans toutes les
mémoires, il est inutile d en donner ici la tra-
duction.
(3) Op. laud., p. 790, 791.
ENSEIGiNEMENTS PARABOI.IOI ES. 189

contre les pécheurs, s'ensuit-il que u nous soyons en droit de regarder


le fils aîné comme l'image du pharisien et son jeune frère comme le

type des publicains et des pécheurs »? Nullement, répond-il, car


« les paroles du père Mon enfaut, toi, tu es toujours avec moi, et
:

tout ce que j'ai t'appartient, et ces autres du fils ahié Je n'ai jamais
:

transgressé l'un de vos ordres, ne se comprennent pas, si par ce fils


aîné le Sauveur a voulu désigner les pharisiens ». C'est pourquoi le

prodigue ne représente que les pécheurs et l'ainé que les justes en


général (1).

Comprenant les difficultés d'une telle exégèse, le P. Sainz a cherché


ailleurs la solution. Il nous propose de voir conjointement dans le

fils aîné le symbole des pharisiens et du peuple juif, dans le prodigue


l'image des pécheurs et des gentils. Mais où la gêne du commenta-
teur est très visible, c'est lorsqu'il entreprend d'expliquer les paroles
du père elles répliques de l'ainé, celles-là mêmes qui détournaient
le P. Fonck de cette interprétation.
Ces difficultés sont réelles, et il semble qu'elles ne reçoivent de
solution satisfaisante que si l'on a recours à Yargument ad hominem.
il importe de le montrer avec quelque développement.

L'argument ad hominem s'établit au moyen d'une double constata-


tion la première, que le fils aine représente ici les pharisiens; la
:

seconde, que Jésus reconnaît provisoirement à ceux-ci toutes les qua-


lités qu'ils se vantaient de posséder.
A. Et d'abord le fils aîné représente les pharisiens. 1. C'est le sens
du contexte immédiat. En effet, d'après le v. :2 de ce chap. xv, la
parabole est dite à l'adresse des pharisiens et des scribes qui se mon-
traient jaloux de l'accueil fait par le divin Maître aux pécheurs. Sans
doute la parabole est séparée de cette introduction par une dizaine
de versets mais elle lui demeure étroitement reliée par les deux
;

charmants tableaux de la Brebis et de la Drachme perdue, avec les-


quels elle forme une trilogie visant à un même but et contenant des
leçons similaires. Il est donc à présumer que le fils aine, jaloux et
murmurateur, lui aussi, représente les pharisiens. 2. C'est encore —
le sens naturel de la parabole. En raison du même contexte (v. 2), il
est conmiunément admis que le fils prodigue est l'image des pécheurs
qui se pressaient autour du Sauveur et que l'accueil du père symbo-
lise l'accueil de Jésus. C'est un nouvel indice que la parabole s'adapte

parfaitement au cadre de l'introduction et, par suite, que le fils aîné


est le type des pharisiens.

(1) Op. laud., p. 792.


lui» UKVUE BIIU.ioïK.

B. Jfsffs reconna/'f /yrovisoiremont nu.r p/uirisir/is lonlcs les quaiilés


(/uils se vantaient de posséder. Mais le lils aîné no se contente jias de
jalouser son frère; il se vante, sans eu être repris, de n'îi voir jamais
transgressé un ordre paternel; et, (|ui plus est, son père lui prodigue
d'étonnantes louanges : « Toi, tu es toujours avec moi et tout ce ([ue

jai t'appartient » (v. 31 i. Autant dire qu'auprès du tils prodigue


c'est un lils modèle, auprès du pécheur le type du juste. Or, com-
ment accorder ces déclarations avec ce que nous savons des phari-
siens par l'Kvangile lui-même? Il ne suffit pas pour cela de sollici-
citer les textes de la parabole, comme on l'a essayé trop souvent, en
disant par exemple que le père ne ratifie pas les prétentions de son
fils et que ses propres paroles doivent s'entendre en un sens large
des privilèges religieux d'Israël (1). Ces interprétations font violence
aux textes. La seule attitude respectueuse est de prendre ces derniers
tels qu'ils sont, en leur conservant leur signification naturelle. Dès
lors, il n'y a qu'une conclusion légitime le Sauveur consent provi- :

soirement à reconnaître aux pharisiens les qualités qu'ils s'attribuent,


à les regarder comme fils chéris de Dieu, des créatures
des justes, des
privilégiées. Ailleurs, saint Luc aura soin de distinguer, sur la ques-
tion de la justice, le point de vue des pharisiens et celui du Sauveur.
« 11 dit la parabole suivante à l'adresse de quelques-uns qui se

flattaient d'être justes et méprisaient les autres » (xviii, 9) ; Jésus


lui-même marquera la supériorité de la véritable justice sur la justice

légale des pharisiens : « Je vous le dis, le publicain descendit chez


lui plus justifié c[ue l'autre » [ibid., \. 18}. Mais, dans la parabole
présente, il a l'air de fondre ces points de vue et de supprimer ces
distances, en ratifiant le jugement flatteur que les pharisiens por-

taient modestement sur leur valeur morale. Au fait, aucun esprit


réfléchi ne peut s'y tromper. L'attitude du Sauveur est toute provi-
soire; ce n'est là qu'un légitime artifice de controverse, fournissant
un point de départ commun pour arriver à une conclusion qui doit
se retourner contre l'adversaire c'est un argument ad hominem. :

Cette interprétation une fois établie, toutes les difficultés tombent.


Le fils aine se vante de n'avoir jamais transgressé les ordres pater-
nels; les pharisiens se glorifiaient aussi d'être les scrupuleux obser-
vateurs de la Loi qu'on se souvienne de l'oraison du pharisien
:

au Temple (Le, xviii, H, 12). Le père ne proteste pas contre l'af-


firmation de son fils, laquelle est censée conforme à la vérité; de

même le^Sauveur veut bien admettre pour le moment que les pré-

'D C'est à peu près l'inlerprétation du P. Sainz, p. 406, 407.


ENSlîlGiNEMEM'S ['ARAlîOLIQUES.

191

tentions des pharisiens à la justice ne contiennent ni erreur ni men-


songe. Lorsque le père ajoute : Mon enfant, toi, tu es toujours avec
raoi, il proclame que son fils aîné lui est toujours resté fidèle; de
même le divin Maître considère un instant comme authentique le
certificat de fidélité que les pharisiens s'étaient octroyé et qu'ils
aflichaieut en toute rencontre. Enfin, le père dit à son fils : Tout ce
que j'ai t'appartient, marquant ainsi que tous ses biens revenaient
à son aîné. Ce dernier trait pourrait sans doute être regardé comme
un détail parabolique, résultant de la situation imaginée dans fhis-
toire, et dépourvu de toute application particulière. Il s'explique
pourtant encore dans Fargumentation ad hominem, car Jésus ne fait
qu'approuver une autre prétention des pharisiens qui se croyaient
les candidats officiels, les sujets-nés du Royaume de Dieu, autant dire
les possesseurs ou les héritiers présomptifs de tous les trésors di-
vins.
Mais toutes ces concessions temporaires n'ont qu'un but : rendre
plus insinuante et plus forte la leçon qui termine la parabole : <( II

fallait bien se livrer à la joie et à l'allégresse, car ton frère que


voici était mort et il revit, il était perdu et il est retrouvé >
(v. 32).

Il peut être utile d'ajouter ici une nouvelle remarque. Il n'est pas

rare que les commentateurs partagent cette parabole en deux ta-


bleaux, respectivement consacrés au fils prodigue et au fils aine.
Le premier, crui serait le plus important, contiendrait une leçon sur
la pénitence; le second, qui ne serait qu'un corollaire du premier,
accentuerait cet enseignement principal. On a vu que c'était l'inter-
prétation du P. Fonck.
Or, semble bien que cette exégèse n'est pas conforme à la réalité
il

de la parabole. A première vue, sans doute, les deux tableaux


j)araissent distincts; mais, dès que l'on comprend, à la lumière du
contexte, le but poursuivi dans tout ce chapitre xv, on s'aperçoit que
ces deux scènes sont eli'ectivement subordonnées l'une à l'autre,
qu'elles sont coordonnées, au lieu d'être juxtaposées. Et il se trouve
que c'est la deuxième qui est la principale; la première fait seule-
ment office d'introduction et prépare la matière de son enseigne-
ment. Jésus veut nous inculquer cette leçon que les murmures des
pharisiens à l'égard des pécheurs sont inqualifiables. A cet effet, il
nous raconte l'histoire du prodigue qui, après une période d'égare-
ments, retourne à la maison paternelle et est accueilli par son père
à bras ouverts, avec des démonstrations d'une joie extraordinaire.
Mais le retour du prodigue n'est pas raconté pour lui-même; il a
|.,o REVUK nmLiQUb:.

pour but de luotivor les nuinuures dos idiarisiciis, a(in (juc le Sau-
veuf puisse on faire l)onue justice. C'est ce (jui a lieu.
Il ne reste plus dès lors (pi'ù transposer la paiabole en ternies
de comparaison :

De même (juo le lils aine lut repris de son inqualiliable jalousie


à l'égard de son frère cadet (pii, après une période d'égarements,
était reçu à la maison paternelle non seulement
avec cordialité, mais
avec laplus vive allégresse,
ainsi les pharisiens sont repris droit de leurs sentiments à bon
d'envie à l'égard des pécheurs qui, venus à résipiscence, sont ac-

cueillis par le Seigneur avec des transports de joie.

VU. — Le riche et le pauvre Lazare : Le, wi, 19-31.

homme qui était vêtu de pourpre et de Hn et qui olia(iue


19. 11 y avait un riclie

jour faisait splendide chère. y avait un mendiant, du nom de Lazare, qui


20. Et il

gisait à sa porte, tout couvert d'ulcères 21. et désireux de se rassasier avec ce qui

"ombait de la table du riche (1); et même les chiens venaient lui lécher les ulcè-
Or advint que le pauvre mourut et il hil emporté par les anges dans le
res. 22. il

sein d'Abraham. Et le riche mourut aussi et il fut


enseveli.
était dans les tourments,
23. Et dans l'iladès, ayant levé les yeux, tandis qu'il
son 24. Et il s'écria Père
il aperçoit de loin Abraham et Lazare dans sein. :

Abraham, avez pitié de moi et envoyez Lazare pour (lu'il trempe dans l'eau le

bout de son doigt et qu'il me rafraîchisse la langue, car je suis torturé dans cette

flamme. 25. Abraham lui répondit Mon entant, souviens-toi que tu as reçu tes
:

biens durant ta vie et Lazare les maux: et maintenant il est ici consolé, tandis que

toi, tu es dans les tourments. Du reste, entre


vous ei nous un grand abîme est
établi, en sorte que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne le peuvent pas, et

que de là on ne passe pas non plus vers nous. 27. H ajouta Je vous en prie, père, :

envoyez-le dans maison paternelle, car j'ai cinq frères, 28. pour qu'il leur
ma
de tourments.
rende témoignage, afin qu'ils ne viennent pas eux aussi en ce lieu
ont Moïse et les prophètes qu'ils les écoutent.
29. Abraham lui répondit Ils :
:

les morts se rend auprès


30. Il dit Non, père Abraham, mais si quelqu'un d'entre
:

ils feront pénitence. 31. Il lui répondit S'ils n'écoutent pas Moïse et les
d'eux, :

prophètes, alors même qu'un mort ressusciterait, ils ne croiraient pas.

Cette parabole, très intéressante à divers points de vue, nous


fournit l'occasion de préciser deux règles d'exégèse parabolique :

1« la nécessité d'interpréter correctement les détails du tableau, en


raison des conséquences que peut avoir cette interprétation sur
l'intelligence de la leçon parabolique; 2° plus spécialement, la
nécessité de s'en tenir aux données positives du récit, sans entre-

(1) On sait que les mots de la


Vulgate et nemo illi dabat sont une addition manifes-
:

ligurent
tement inspirée de Le, xv, 16 et qui n'appartient pas au texte aullicntique. Ils ne
pas dans l'édition de VVordsworlli et ^\ilite.
ENSEIGNEMENTS PAÙABOUQLES. 193

prendre de restiliier des détails supposés sous-entendus. Le danger


de ces restitutions s'aggraverait encore, si l'on considérait ces détails
sous-entendus comme des traits essentiels, fournissant la clef de
l'interprétation parabolique.
Ces règles trouvent leur application dès les premiers versets,
lorsqu'il s'agit de déterminer l'attitude du riche à l'égard du pauvre
Lazare.
J'ai dit ailleurs que Bruce refuse au riche tout sentiment d'hu-
manité. Sans être aussi catégorique, le P. Sainz adopte cependant la
même Dans ce tableau, dit-il après saint Cyrille d'Alexan-
exégèse. «

drie, on nous dépeint un riche entouré de délices et dépourvu de


miséricorde et, près de lui, un mendiant, accablé d'infirmités, pour
persuader à ceux qui nagent dans l'abondance que, s'ils ne se
montrent bons, généreux, charitables, secourables envers les néces-
siteux, ils s'exposent à d'intolérables châtiments (1). » Ailleurs
encore, le riche nous est représenté refusant largesse aux toute
malheureux qui dans une extrême nécessité (2). Quant
se trouvent
à Lazare, u il souffrait de la faim, à tout le moins il ne parvenait
pas à se rassasier avec ce qui tombait ou restait de la table du riche,
encore qu'on lui donnât peut-être quelque chose » (3). Bref, le
riche, en usant mal de ses richesses, s'attira les pires châtiments^
tandis que le pauvre, par « sa patience et son humilité » se prépara
une magnifique récompense (4).
Le P. Fonck constate, en parlant du riche, que le texte sacré in-
siste plus sur l'emploi égoïste de ses richesses que sur son manque

de chaiité. 11 estime néanmoins que ce dernier défaut est sous-entendu


par tout le récit. « D'après tout le tableau, écrit-il, nous devons
reconnaître qu'il (Lazare) ne recevait pas assez pour se rassasier,
mais tout juste de quoi sustenter son existence (5). » Et encore :

Le riche « ne pensait qu'à sa propre jouissance, il pauvres


laissait les

soupirer inutilement à sa porte après les menus restes qui tombaient


de sa table... Quant à Lazare, on ne remarque pas expressément,
il est vrai, qu'il supportait avec patience sa misère et ses souilrances,
mais il suffit d'entendre ou de lire la parabole, pour se représenter
comme un autre Job ce pauvre patient à qui l'on ne prête pas la
moindre parole de plainte, pas le moindre signe de mécontentement

(1) Op. /., p. 435.

(2) P. 'i37.

(3) p. 439.
(4) P. 445, 440.
(5) Op. l, p. 614.
REVtE BIBLIQIE 1917. — N. S., T. XIV. 13
104 REVUE BIBLIQUI-:.

au sein de sa misère extrôinc el <le son extrême ahandoii,... et Ion


peut regarder comme une récompense bien méritée que les anges le
transportent à sa mort dans le sein d'Abraham (1). »

ipue penser de cotte interprétation qui, du reste, est très répandue


parmi les commentateurs? — Si l'on veut s'en tenir aux données du
récit, sans chercher à y introduire de force toute la théologie des
fins dernières, il faut reconnaître qu'on n'envisage nullement ici
les causes qui ont amené le riche dans la géhenne et le pauvre dans
le sein d'Abraham. Kn outre, la supposition, qui n'est que gratuite
en ce qui touche pauvre, parait erronée en ce qui concerne le
le

riche. Cette dernière assertion, en raison de son importance, mérite


qu'on eu fournisse les preuves. Les voici.
1. La première se tire du silence du texte. On nous montre le riche,

au sein de l'abondance, couvert d'habits somptueux, jouissant chaque


jour de plantureux festins. Mais jusque-là il ne fait guère que tenir
son rang et vivre comme tous les autres riches. En tout cas. de son
inhumanité prétendue le texte ne dit pas un mot. 2. il insinue —
plutôt le contraire, lorsqu'il nous dépeint le pauvre à la porte du
riche ISscXt^t:, il était là couché, gisant, par état, par habitude (;2)
:
;

c'est donc qu'il y trouvait son compte. Le mendiant palestinien a beau


être doué d'une robuste patience, oublieux des rebuts et des injures,
il n'aime pas à stationner aux portes inhospitalières; si on ne lui
donne
rien ou presque rien, il passe son chemin et s'en va tendre la main
ailleurs. —
3. Mais le contraste de cette opulence et de cette misère

n'est-il pas une preuve que le riche avait fermé son cœur à tout
sentiment d'humanité? Nullement. S'il faisait l'aumône à son client,
comme on la fait aux pauvres ordinaires, il devait s'estimer dégagé
de toute autre obligation. On ne pouvait lui demander par exemple
qu'il le retirât de sa misère, qu'il remplaçât ses haillons par des
habits de pourpre ou de lin, ou qu'il le fit asseoir à sa table. En
Palestine, les Lazare déguenillés et couverts d'ulcères sont légion.
Ils se tiennent pour satisfaits, si les riches leur assurent la pitance
qui les empêche de mourir de faim. —
ï. Au reste, il suffit de

quelque réflexion pour se convaincre que toute accusation d'inhu-


manité demeure étrangère à ce premier tableau de la parabole. Il
y a là un contraste saisissant, celui de deux hommes placés aux
extrémités opposées de l'échelle sociale, Fiin ne manquant de rien,
l'autre manquant de tout. Ce contraste en prépare un second.

(1) Op. l., p. 025.


(2) Noter ce plus-que-parfait d'état ou d'habitude.
ENSEIGNEMENTS PAKABOLKjUES. lOU

celui (le l'au-delà, où les situations sont subitement renversées le


riche manquant désormais de
tout et le pauvre n'ayant plus besoin
de rien. Par où l'on voit qu'en définitive les rôles joués par ces deux
protagonistes demeurent indépendants de Tautre dans leur l'un
signification essentielle. Sion nous parle de leurs relations, ce n'est
quafin de mieux accentuer les contrastes, en donnant aux tableaux
plus de couleur. Mais la parabole ne perdrait rien de sa valeur dog-
matique, si le riche et Lazare n'avaient entre eux aucun rapport
direct et demeuraient inconnus l'un à l'autre, si l'on disait par
exemple Il y avait un liomme riche qui festoyait chaque jour somp-
:

tueusement; et il y avait un mendiant qui se traînait aussi chaque


jour au seuil ôes parles hospitaiifh'es pour y quêter sa pitance quoti-
dienne. Je dis que la leçon dogmatique serait exactement la même
dans ce cas. Mais il faut convenir que la mise en scène actuelle ajoute
grandement au tragique intérêt de la parabole. (Jn nous dit Voilà :

un pauvre que le riche connaît bien, puisqu'il le voit assidûment à


sa porte; or. c'est ce même mendiant qu'il apercevra bientôt, de la
géhenne, dans le sein d'Abraham, et c'est à lui qu'il demandera
l'aumône d'une goutte d'eau pour rafraîchir sa langue embrasée.
La confrontation des personnages ajoute à l'intérêt, mais il ne faudrait
pas en exagérer la portée : ce n'est pas un trait essentiel, ce n'est
plus probablement qu'un détail Uuéraire. 5. La requête du riche —
à Abraham ne s'expliquerait pas, si le pauvre avait été traité
v. 24)
inhumainement. Qu'on remarque à quel point, dans t(jus ces dialo-
gues (vv. 24-:31), le damné garde le sentiment des rangs et des
convenances. Il serait surprenant qu'il eût oublié ses torts supposés
à l'égard du seul Lazare. Je crois que, s'il se fût reconnu coupable
sur ce point, il aurait sollicité l'intervention de tous les saints du
paradis, avant de recourir à celle de son ancien client (li. —
6. Toujours dans la même hypothèse, on ne comprendrait pas davan-
tage que Lazare fût invité à se rendre auprès des frères survivants.
La raison que ces hommes connaissent le mendiant ou que celui-ci
connaît le chemin de leur demeure n'est pas suffisante. — Tout
s'explique, au contraire, si Lazare a été bien traité. Le damné recourt
tout naturellement aux offices de celui qu'il a obligé naguère, et, lors-
qu'il s'aperçoit qu'il n'a rien à espérer pour lui-même, il demande
que le pauvre retourne une fois de plus au seuil hospitalier pour
avertir ses anciens bienfaiteurs.

(1) On remarquera que, dans sa réponse (w. 25, 2G). Al.raliam n'invoque pas la loi du
talion.
196 IU:VUt; UlliMUl'K.

si je ne me trompe, après toutes ces raisons, la preuve est laite :

le riche est disculpé du reproche d'inhumanité, le texte sacré ne


mentionne ni les causes de sa damnation ni celles du salut de Lazare.
On ne saurait donc introduire ces causes parmi les enseignements
essentiels de la p;u'abole, ainsi que le font les auteurs précités. La
parabole n'insistant que sur le renversement éventuel des destinées,
c'est cette idée seule qui constitue la leçon principale, ainsi qu'il
ressort du schème parabolique suivant :

De même que le riche, après une vie de luxe et de bonne chère,


se trouva jeté dans les tourments de la géhenne, au point qu'il se vit

réduit à solliciter l'aumône de celui qui, sur terre, venait la lui de-
mander;
de même que le pauvre Lazare, après une vie de souffrances
et

etde misère, fut transporté dans le sein d'Abraham, au comble du


bonheur, au point qu'il excitait l'envie de celui (jui lut l'un des
heureux de ce monde;
ainsi il arrive que la mort vient subitement renverser les condi-
tions des hommes, les riches échangeant leur luxe pour les tourments
de la géhenne, les pauvres leurs plaies et leurs haillons pour la
félicité du paradis.
La parabole n'érige pas en loi un fait constant; elle énonce une
possibilité qui peut devenir une réalité. Non seulement la possession
des biens de ce monde ne garantit pas la possession des biens de
l'au-delà, mais il est possible que du sein de l'opulence on soit jeté

dans les tlammes de géhenne. Non seulement la misère matérielle


la

ne constitue pas un état définitif, mais il se peut que les pauvres

échan^-ent leur pitoyable condition pour les honneurs ineffables de


la béatitude.
va sans dire que ce renversement éventuel des situations est
Il

toujours motivé, au regard de la justice divine, par les actes bons


ou mauvais accomplis durant la vie. Cette doctrine est parfaitement
établie par ailleurs. Mais il n'entrait pas dans le dessein de cette
histoire de nous la signaler elle ne la mentionne pas.
:

Sans être un élément essentiel de la parabole, les derniers versets


Ils indiquent aux riches le
(-27-31) en sont un utile complément.
au malheur entrevu s'ils ne veulent pas aller
moven d'échapper :

rejoindre le damné dans la géhenne, qu'ils écoutent Moïse et les

prophètes. Ils trouveront là toutes les prescriptions nécessaires. De


nouveaux miracles seraient superflus. D'ailleurs que peuvent les

miracles pour persuader ceux qui ne croient pas en Moïse?


Avant de quitter cette parabole, il faut étudier un détail qui a de
ENSEIGNEMENTS PARABOLIQUES. 197

tout temps exercé la sagacité des interprètes. N'est-ii pas surprenant,


en effet, qu'un damné fasse de Tapostolat en faveur de ses frères
vivants, dans l'espoir de leur éviter son malheureux sort? Rien n'est
plus curieux non plus que les interprétations proposées. Les uns
(Trench, Bruce) trouvent que cette démarche, de la part du riche, est
une nouvelle marque d'ég-oïsme comme ses frères ne sont qu'un
:

prolongement de sa personne, en leur épargnant ce malheur, il ne


cherche qu'à s'épargner à soi-même un surcroît d'infortune. Pour
d'autres (P. Sainz), c'est une tentative dissimulée d'apologie per-
sonnelle « S'il avait eu de plus grands moyens de salut et des aver-
:

tissements du ne serait pas tombé en ce lieu, C3mme ses frères


ciel, il

vont sans doute y tomber encore (1). » D'autres enfin, Maldonat,


P. Fonck (2), s'abstiennent de déterminer l'intention du damné, disant
qu'il importe de préférence de préciser l'intention du Sauveur, c'est-à-
dire de recueillir la leçon qu'il entendait nous inculquer (3).
Au fond, toutes ces explications, subtiles à l'excès ou trop loin-
conséquence de la conception erronée qu'on s'est faite
taines, sont la
du riche, grâce aux « sous-entendus » que l'on connaît. xVyant une
première fois noirci ce caractère, au point de ne lui laisser aucun
sentiment humain, ou se croit obligé d'expliquer encore en mauvaise
part la démarche d'outre-tombe, malgré toutes les apparences
contraires. La réalité, ainsi que l'a bien vu saint Thomas (V), est plus
simple et plus vraie. De même que, sur terre, tous les bons senti-
ments n'étaient pas éteints en lui, on suppose qu'il garde encore
dans la géhenne quelque reste de sentiments naturels. Sur terre, il
faisait l'aumône; dans Tautre monde, il voudrait éloigner de ses
frères le malheur qui menace.les
Il est évident d'ailleurs que le divin Maître a décrit cette scène

d'une manière pathétique et populaire, accessible à son auditoire


oriental, sans préjuger la question théologique de la perversion de
la volonté chez les damnés. Il le pouvait d'autant plus que cette
requête du damné ne possède qu'une importance secondaire, puis-
qu'elle a surtout pour but de préparer la réponse d'Abraham Ils :

ont Moïse et les prophètes. Encore faut-il ne pas en dénaturer le

sens, si Ton veut conserver jusqu'au bout à la parabole son unité

et sa beauté.

(1) Op. L, p. 444.


{ïj op. L, p. 620, 621.
:3) Ce nest là que reculer la dimcullé : l'intentioa du parabolislc est évideiuinent celiu

qu'il prête au héros de sa parabole.


(4) Supplément, qu. 98, art. '», ad prinuim.
108 HKVllI': lUHLIQlK.

Apivs ces déinonsfi'ations, pciit-rti-c sera-l-oii plus convainc* de


rimportance des détails pour rinlellii;ence de l'ensemble. l*eul-(Hre
aussi sei'a-(-on mis en ,::ar(le eonire la reconstitution liypotliéticpie
de détails sous-entendus...

Vlll. — Le .lu(/c ini(jnc : Le. xvm, 1-8.

1. Il leur disait une parabole powr [leur montrer qu'Jil faut toujours prier et ne
jamais se lasser, i'. Il y avait un juge dans une
ne craignait point Dieu et ville qui

n'avait point o^arci aux iionimes. 3. 11 y avait aussi une veuve dans cette ni^'uie ville,
et elle venait lui dire Prends en main ma cause contre mon adversaire. 4. Et de
:

longtemps il n'y consentit point. Après quoi cependant il se dit Dien que je ne :

craigne point Dieu et que je n'aie point égard aux hommes, 5. parce que cette veuve
me latigue, je m'occuperai de sa cause, de peur qu'à la (in elle ne vienne à me casser
la tcte. Le Seigneur ajouta Entendez bien
(i. : ce que dit ce juge inique 7. Et Dieu
ne prendrait pas en main la cause de ses élus qui crient vers lui jour et nuit, et il

tarderait à leur égard! 8. .Te vous dis qu'il s'occupera promptement de leur cause.
Seulement, (piandle Fils de l'Homme viejidra, trouvera-t-il la foi sur terre?

Lorsqu'on entreprend le commentaire de cette parabole, on se


heurte d'abord à la question très difficile : ce tableau doit-il être
rangé parmi les paraboles eschatologiques, c'est-à-dire traitant
essentiellement des derniers événements du monde? ou bien n'a-t-il

avec reschatologie c[u"un lien secondaire, presque en sorte artificiel,

(|u'on puisse faire abstraction de ce grave problème, quand on


explique la parabole?
C'est la seule question que l'on envisagera clans ces notes, car elle
intéresse au plus haut chef la leçon parabolique.
En dépit d'une certaine fluctuation, qui n'est peut-être qu'appa-
rente, le F. Fonck se prononce résolument pour le sens eschatolo-
gique. Il écrit « La parabole appartient au discours eschatologique
:

à travers la Pérée, dans son dernier


cjue le Christ tint à ses disciples,
voyage à Jérusalem La persévérance dans la prière, indiquée
(1) ». «

dans l'introduction et qui est recommandée par toute la parabole,


doit se pratiquer tout particulièrement dans les dernières épreuves,
qui précéderont le retour glorieux du Fils de l'Homme annoncé

XVII, 20-37 (2i. » Et plus clairement à la page suivante « D'après ce :

qui précède, la leçon est une exhortation à la persévérance dans la


prière, mais dans un rapport particulier avec les épreuves des
derniers temps (3). »

(1) Op. laud., p. 670


(2) P. 674.
(.3) P. 675.
ENSEIGiNEMENTS PARABOLIQUES. 199

Le P. Sainz est plus explicite. « Cette parabole, dit-il, est très


apparentée à celle de l'Ami impoitmi; mais elle en dillère en ce
qu'ici on recommande la constance dans la prière pour obtenir dtes

grâces particulières, tandis que là on conseille le recours à la prière


pour obtenir le triomphe de l'Église dans la persécution, par-dessus
k)nt dam la persécution finale que VÊglise et ses membres vont
endurer {\). » Et l'auteur identifie les persécuteurs avec les impies
« qui injurient les saints, méconnaissent les dogmes sacrés et s'égarent
loin du bon chemin (-2) ». Quant à la veuve, elle serait l'allégorie de
l'Église (3).
Ces auteurs ont-ils raison? Pour ma part, je croirais qu'ils se
trompent dans la mesure où ils considèrent les enseignements escha-
tologiques partie essentielle de cette parabole. Essayer de le
comme
démonti'or, c'est aborder l'un des cas les plus difficiles et les plus
intéressants où l'examen de toutes les données d'une parabole permet
de discerner la leçon parabolique.
Le P. Fonck observe très judicieusement que, abstraction faite de
l'introduction (v. 1) et de la conclusion v. 8), la parabole ne présente-
(

rait pas la moindre difficulté. Voici, en effet, ce qu'elle donnerait,


ramenée aux deux membres d'une comparaison :

De même que le juge, sourd à toutes les légitimes demandes d'une


veuve, mais se voyant harcelé par sa persévérante importunité, tinit

par faire ce qu'elle lui demandait;


plus forte raison, Dieu ne tardera pas à prendre en main
ainsi, et à
la cause de ses élus opprimés, pourvu qu'ils persévèrent à l'en prier.
La leçon est très nette. Elle réside dans un a fortiori qui porte à la
foissur la personne de Dieu et celle des élus.
Le juge de la parabole était un juge d'iniquité, infidèle à tous ses
devoirs, sans justice, sans entrailles, sensible uniquement à des motifs
égoïstes. Mais Dieu! ce mot n'exprime-t-il pas la justice la plus
intlexible et labonté la plus paternelle? Il n'y a donc pas à craindre
qu'il restesourd à nos prières par injustice, dureté ou indillerence.
De plus, il s'agit, non pas de ses créatures en général, mais de
ses amis, de ses élus. La veuve n'avait rien qui put toucher le cœur
du juge; elle n'avait que sa faiblesse, ce qui, auprès de telles gens,
n'est pas précisément une recommandation. Au contraire, ceux qui
implorent le Seigneur sont ses privilégiés, ceux qu'il a discernés et

(1; Op. laud., p. 575, C'est moi qui souligne.


(2) P. 578.
(3) P. 579. '
•200 RKVUli lUIU.lUUK.

choisis parmi l'infinio niultitiide de leurs scml>lal)lcs, les membres de


son Hoyaiiiue, les luturs convives du ])an(|uet céleste, c Kt Dieu no
prendrait pas en main la cause do ses élus? » On exauce les moindres
désirs d'un ami. A plus forte raison lappel obstiné d'amis intimes
dans la détresse!

Telle serait, disons-nous, la leçon qui se dégagerait naturellement,


A ne considérer que l'énoncé de la parabole.
Mais il y a l'introduction et la conclusion. Et c'est ici que le pro-
blème se complique.
A la vérité, une distinction s"inq)ose ; autant la conclusion semble
gêner la leçon de la parabole, autant l'introduction s'accorde avec
elle et nous oriente dans le même sens. Voici cette introduction « Et :

il une parabole pour [leur montrer qu'lil faut toujours


leur disait
prier et ne jamais se lasser (1) « (v. 1). La concordance est trop claire
pour (pi'il soit besoin d'insister.
Par contre, voici la conclusion « Seulement, quand le Fils de :

l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur terre? » (v. 8). Quand le


Fils de l'homme viendra, c'est-à-dire lors de la parou'^ie et des der-

niers temps.
Reste à savoir s'il faut accorder à ce dernier verset un effet rétroac-
tif sur la direction générale de la parabole, en sorte que ce soit là
l'élément essentiel (P. Sainzi, ou l'un des éléments principaux
(P. Fonckj. Voici les raisons pour lesquelles je crois devoir adopter
une exégèse différente :

1" Si la leçon eschatologique est directement visée par la parabole,


il faut convenir qu'elle nous est inculquée d'une manière très défec-
tueuse. A supposer que les élus dussent appeler de tous leurs vœux la
parousie, ce serait là un terme essentiel, qui devrait être préparé par
un terme en l'espèce celui de procès. Or le procès n'est pas
spécial,
même nommé il ne figure à deux reprises que dans le
expressément;
verbe composé prendre en main une cause {ïv.zv/.il-^i)
: D'ailleurs, on .

ne voit pas bien l'aptitude de ce Aerbe à symboliser l'intervention
divine de la parousie; on trouvera par exenq^le que l'expression est
bien terne à côté des déclarations formelles contenues dans le grand
discours eschatologique (Ait., xxiv, 22, 20-31), dans la deuxième épitre
de saint Paul aux Thessaloniciens (n, 8 , ou, pour ne pas sortir de

(1) Pour le dire en passant, ce texte ne signllie pas (|u'il l'aille prier à tous les instants
du jour et de la nuit. Il veut nous inculquer seulement l'idée d'une fréquence assidue,
d'une continuité morale dans la prière, à l'effet d'obtenir l'assistance particulière dont
nous avons besoin, — ainsi que faisait la veuve.
ENSEIGNEMENTS PARABOLIQUES. 201

l'ordre des paraboles, dans l'Ivraie Mt., xiii, 'i.0-V3) ou le Filet

(ilj., V9-50).
Nous savons de même que les « adversaires » ({ui persécuteront les
justes aux derniers jours s'appelleront de noms particuliers, les
pseudo-prophètes, les pseudo-xMessie, l'Antéchrist, pour ne pas par-
ler de ou du Dragon. Le nom de « partie adverse » n'est-il pas
la Bête
bien pâle aussi pour désigner ces redoutables réalités?
Que dire enfin de la veuve, dont on voudrait faire la métaphore de
l'Église ? Ne serait-ce pas donner une idée défavorable de l'Église que
de la représenter sous les traits d'une veuve sans appui, à la merci
du premier venu à qui il plairait de se faire son persécuteur et son
bourreau? D'ailleurs, si l'Église était réellement dans l'intention du
divin iMaître. pourquoi ne pas lui donner un vocable mieux appro-
prié? En ne la désignant que par le terme iVéliis, on risque de nous
dérouter et de ne se point faire comprendre.
2° A ces diverses preuves il faut en ajouter une autre. Puisque la

parabole entière a jusqu'ici préparé si peu l'application eschatolo-


gique, il faudrait du moins que le dernier verset, expressément con-
sacré à ce sujet, compensât cette lacune par une application fenne
et directe. Or, qu'est-ceque nous y lisons? Ceci « Seulement, le Fils
:

de l'Homme trouvera-t-il à sa venue la foi {-r,v r.h-iv) sur terre? » Et


c'est tout. On jugera avec raison que c'est peu. Que faut-il entendre

au juste par cette foi? On a quelque peine à le déterminer. Beaucoup


d'interprètes veulent y voir la. persévérance dans la prière, en raison
du contexte. L'explication pourra sembler lointaine, car ce n'est pas
le sens normal du mot. De leurs hésitations on retiendra cependant

une chose, c'est que ce mot, ce mot capital, qui devait faire la sou-

dure entre la parabole et l'application eschatologique, est loin de la


réaliser d'une manière manifeste. Sans aller jusqu'à dire avec plu-
sieurs auteurs protestants que la liaison est nulle, il est clair qu'elle
ne s'impose pas. Par suite, l'application eschatologique ne saurait être
ni l'élément essentiel ni l'un des éléments principaux de la paral)ole.
3''
On vient de voir que la conclusion de la parabole est insuriis;inte
pour donner à celle-ciune allure eschatologique. Le voisinage du dis-
cours sur les dernières qui figure au chapitre précédent (Le, xviii,
fins

20-:37j n'y suffit pas davantage. La parabole débute, en effet, par ces
mots : « Et il leur disait (aevsv U) une parabole ». On sait que cette
dans saint Luc en particulier,
transition, très vague, est loin d'être,
une preuve décisive établissant qu'il faut rattacher chronologique-
ment les deux péricopes quelle unit. Pour n'en citer qu'un autre
exemple, emprunté à ce même chapitre xviir, on la retrouve aussitôt
•202 IIKVIK i;ii;i.ioi'K.

après le .lii.iic du pharisien et. du |)nl)licain. Or il y


inique, au clël)ut
a de bonnes raisons de douter que ces deux paraboles s'adressent au

même auditoire ou aient été prononcées dans les munies circonstances.


Il semble donc plus sai^e de ne plus
s'occuper du £:riind discours
escliatolog-ique, quand on interprète la parabole du Ju.i^'e inique.
valeur de ces diverses raisons. S'il les
Le lecteur appréciera la

trouve convaincantes, admettra (jue l'unique leçon essentielle et


il

principale vise la persévérance chrétienne dans la prière en général,


quelles que soient les épreuves où l'on se débatte, ainsi qu'on a
essayé de le dire ci-dessus.

Mais alors que faut-il penser de ce verset 8 sur la venue du Fils de

niomme? Le déclarer inautlientique, comme le fait .Iuliclier, est un


procédé trop radical et trop commode. Lue exégèse plus respectueuse
se contentera de le regarder comme un ('lément secondaire,
n'ayant

aucune influence sur de la parabole, et ajouté à celle-ci


la direction

en appendice, ce qui ne l'empcche p£LS d'être parfaitement authen-


tique. On pourrait le rapprocher de tels ou tels autres versets
de saint
Luc. V. g. XVI, 14-18, dont on peut se demander s'ils ont été pronon-
cés à la place que leur assigne l'évangéliste et s'ils représentent la

teneur complète des discours du Sauveur. Uuoi qu'il en soit de

lépoque où ils ont été prononcés, il semble certain qu'ils ne sont


plus qu'un résumé très rapide, par là même diilicile, d'enseigne-
ments plus développés. Je croirais aussi que ce v. 8 n'est qu'un ves-
tige d'un discours plus étendu. Peut-être le Sauveur avait-il
parlé de

la foi des élus au moment de la parousie, après avoir conté sa para-


bole du juge inique. Le contexte immédiat du verset n'étant pas con-
servé, on peut trouver que sa liaison avec la parabole précédente
est

plutôt vague. Elle l'est, en effet. Mais c'est une raison pour ne
pas

attribuer à ce verset une valeur plus considérable que celle qu'il

représente en réalité.

IX. — Le Pharisien cl le publicain : Le, xvui, 9-li.

d'être
y. Il dit la parabole suivante à l'adresse de quelques-uns qui se flattaient
justes et méprisaient les autres. 10. Deux hommes montèrent au Temple pour
l'autre publicain. 11. Le pharisien, s'étant installé,
prier : l'un était pharisien et
priait de la sorte en lui-même Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne
: «

et, en particuher,
suis pas comme les autres hommes, voleurs, injustes, adultères,
comme publicain. 12. Je jeûne deux fois
ce la semaine, j'oflre la dîme de tout ce
que j'acquiers ». 13. Quant au publicain, se tenant en arrière, il n'osait même pas

lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, disant : « O Dieu, ayez pitié de

moi qui suis un pécheur ». 14. .Te vous le dis, celui-ci descendit chez lui plus jus-
ENSEIGNEMENTS PARABOLIOUES. 203

que l'autre lÔEoizat'oasvo; -ap' iy.sïvov; Vulgate


tilié justificatus ab : illo). Car qui-
couque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera exalté.

La seule difficulté gTanimaticale de cette parabole est au vers&t


14. Pour la résoudre, il n'est plus besoin de recourir aux langues
'

sémitiques dans lesquelles le comparatif s'exprime par le positif


suivi de la préposition min. Il sufiit de bien entendre le grec de
saint Luc, Dès lors, la traduction s'impose : Celui-ci descendit chez
que Vautre.
lui plus justifié
L'accord ne sera pas aussi aisé sur la nature de la leçou parabo-
lique qui se dégag"e de tout le tableau. D'après le P. Fonck, cette
leçon porterait sur l'efficacité de la prière humble. Le Sauveur nous
l'inculquerait « en nous représentant les effets de la prière humble
auprès de Dieu, effets qui demeurent cachés aux yeux des hommes;
grâce à cette prière, le publicain a été « plus » justifié que le phari-
sien, lequel, dans la conscience de sa justice personnelle, ne pensait
pas avoir besoin dé la justification divine (1) ».
Le P. Sainz reproduit substantiellement la même exégèse. Pour
lui aussi, la parabole est avant tout une leçon sur la prière : On <(

nous propose la prière de l'orgueilleux avec toutes ses vertus ap-


parentes comme mauvaise et défectueuse, et celle du pécheur et de
riiumble comme bonne et digne d'être exaucée (-2). »

Je recoimais que, dès l'abord, la leçon de la parabole parait


correctement exprimée. Pourtant, à la réflexion, on croit s'apercevoir
que le but en est différent un enseignement sur
: ce n'est pas
l'efficacité de la prière humble;
une leçon d'huinilité à F adresse
c'est

des pharisiens. Pour s'en convaincre, il suffît de bien se pénétrer


du contexte immédiat. Par lui-même, le tableau décrit dans une
parabole, surtout s'il est un peu complexe, est susceptible d'é-
clairer plusieurs vérités ou du moins plusieurs aspects d'une vérité.
C'est au contexte k préciser laquelle de ces vérités ou lequel de ces
aspects a été spécialement visé par le divin paraboliste.
Ici rintention du Sauveur nous est spécifiée au verset 9 : « Il dit
la parabole suivante à l'adresse de quelques-uns qui se flattaient
d'être justes et méprisaient les autres. »

En conséquence, nous sommes en mesure de fixer le schème para-


bolique :

Le fait qu'à leur retour du Temple, où ils avaient prié, le premier


avec jactance, le second avec humilité, le pharisien et le publicain,

1 op. laud., p. 4i9.


2) Op. taud., p. 585.
20t REVUI-: lUIil.inl K.

mi juste Iciial ot un pécheur public, se trouvèrent soudain vis-à-vis


l'un lie l'autre en des proportions nioi-ales absolument renversées,
le publicain étant plus juste (jue le pharisien, c'esl-à-diic plus esti-
mable,
ce l'ait est un exemple [\) tendant à montrer aux pharisiens (ju'ils
ont grand tort de se gloritier de leur justice cl de mépriser les

2>ublicains.
(lomme on le voit, la i(>oon porte sur deux vérités étroitement
reliées entre elles : I" les pharisiens ont tort de se complaire en
leur justice légale, comme si elle constituait la justice véritable et

({u'il n'y eût rien au-dessus d'elle; 2" ils ont tort de mépriser les
publicains qui peuvent valoir mieux qu'eux-mêmes i'-ï).

Quelques mots d'explication sont nécessaires.


1" L^.s' pharisiens ont tort de se roniplaire en leur justice légale.
Remarquons que Jésus n'a jamais contesté aux pharisiens une telle
justice. En plusieurs rencontres il a reconnu qu'ils fréquentaient
les synagogues, prolongeaient leurs prières, multijdiaient leurs
jeûnes, offraient spontanément les dinies, observaient méticuleuse-
ment le sabbat. Bien plus, dans la parabole actuelle, il est notoire
que le divin Maître ne conteste au pharisien en ([uestion aucune des
vertus ou des pratiques dont il se glorifie. 11 ne relève pas qu'il ait
menti en se vantant de n'être ni voleur, ni injuste, ni adultère...
Mais ce qu'il n"a cessé de proclamer également, c'est que toute cette
justice n'était qu'extérieure, hypocrite, fardée. Il montre de plus
en cet endroit qu'elle est inférieure à la justice intérieure qui a
pour principe l'humilité et pour condition la rémission des péchés.
Le point suivant, en raison de son analogie, achèvera d'élucider
cette importante vérité.
2° Les pharisiens nont pas même le droit de mépriser les publi-

cains, c'est-à-dire le rebut de la nation. En laissant de côté la ques-


tion théorique de savoir un pécheur avéré vaut mieux qu'un
si

saint hypocrite, il est certain qu'il y a des cas où un publicain vaut


mieux qu'un pharisien. Exemple, le publicain de la parabole. Gom-
ment s'est opéré ce renversement des valeurs morales? D'une
manière très simple, mais qu'il importe de bien saisir. Dans toute

(1) On voit que celle parabole ne conclut pas d'un ordre de choses matériel à un oïdic

de choses spirituel; elle conclut d'un cas particulier à l'universalllé des cas analogues,
grâce au procédé de la généralisation.
[2] Assurément c'est par Ihuinilité que le publicain obtient la justification, par quoi
il l'emporte sur le pharisien avec toute sa justice légale. Mais l'humilité n'est qu'un moyen.
une preuve. Il semble qu'on se trompe en y voyant la Ihèse ]>rincipale à démontrer.
ENSEIGNEMENTS PARABOLIQL ES. 205

la parabole, après comme avant sa prière, le pharisien reste avec sa


justice Irgale^ iandis que le pul)licain, lui, acquiert, au cours de sa
prière, une qualité intérieure qui le renouvelle et le transforme,
la justification : celle-ci, on le sait déjà, vaut incontestablement beau-
coup plus que celle-là.
Que le pharisien ne gagne rien à sa prière, c'est évident. Ne
demandant rien, il n'obtient rien, la rémission de ses fautes moins
([ue toute autre faveur. D'un autre côté, la parabole ne dit pas
fju'il ait ajouté par sa prétendue prière un nouveau péché à sa vie
criminelle (1). Sa situation est donc bien nette : // reste ce qu'il était ;

il rapporte du Temple la seule justice légale qu'il y avait apportée.


Le cas du publicain n'est pas moins clair. L'humble confession de
son état de misère lui vaut aussitôt la justification. Sans entrer dans
les longues discussions qu'entraînerait ce vocable, il est certain qu'il
s'agit ici de la justification au sens catholique, c'est-à-dire de la
rémission des péchés et de l'ennoblissement de l'àme par l'infusion
d'une qualité surnaturelle (2).
Dès lors, la démonstration est acquise : le publicain est subitement
devenu supérieur au pharisien; les pharisiens n'ont pas le droit de
mépriser les publicains.
Tels sont les graves enseignements qui paraissent découler de la
parabole.
Pour ne pas entraver la discussion précédente, on a omis de signa-
lerun autre point sur lequel on a cru devoir encore se séparer d'une
opinion trop répandue. Il s'agit toujours du v. 14 et de Xn. justice avec
laquelle le pharisien s'en retourna chez lui. Lorsque le texte nous dit
que le publicain îni plus justifié que le pharisien, le P. Fonck entend
que celui-ci ne possédait en réalité aucune justice. « La justification
do l'un, écrit-il, doit plutôt s'entendre par rapport à la noii-justifica-

tion de l'autre. On rencontre souvent dans l'A. T. cette manière


sémitique de présenter les comparaisons où le deuxième membre n'est
mentionné que pour mieux accentuer le premier, sans qu'il possède
aucunement lui-même la propriété qui est reconnue au premier (3). »

Le P. Sainz, lui, est bien près de penser que le cas du pharisien

(1) On sait (juune parabole n'est pas tenue


de lout dire. D'autre part, il n v a pas
avantage à vouloir combler ses lacunes. Le mieux est de s'en tenir, autant que possible,
aux ternies de son énoncé.
(2) On ne voit pas ce que viendrait faire ici la juslilication « forensique ». chère aux
protestants. Dans ce cas, qui proclamerait la sentence et comment la justification de lun
serait-elle supérieure à celle de l'autre?
(.î) Op. Iniid., p. i49, 'i50.
20ii HKVrK r.ll?I.I(.)llE.

s'ai^î^Tuvail encore dime scuiteiicc iJe coiuiamnaliou, cur il i('[)i(Kluil.

en rapprouvanl. cette iuterprétalion de Maldonat : « On Jie dit pas

ait été l'éellemeiit jnstilié, ni pharisien ;iil étr


que le puMitain (|iic le

vi'aiseml>lal)lc cependant (jn'cii réalité le puhli-


condamné... Il est
cain fut justitié et le pharisien condamné, parce <jue, d'un côlé, une
si iirande humilité ne pouvait man([u»>r de
mériter la justification, et,
d'un autre, un si grand orgueil devait s'attirer la réprobation (1). »
si le
On pourrait, en elTet, hésiter entre ces diverses interprétations,
texte sacré n'en suggérait une troisième, celle-là même quia été
pro-

posée dans les pages précédentes. Kn disant que \q i)ublicain sortit

plus justifié que le pharisien, la parabole atteste (juc le pharisien


sortit avec sa justice aussi. Supposer qu'il n'avait aucune
justice et, à

plus forte raison, qu'il était condamné, c'est s'engager en des hypo-

thèses qui ne reposent plus sur le texte. Je veux bien que la justice

légale ne soit pas la véritable justice, qu'elle puisse même s'allier


avec un état de réprobation. Mais ce sont là des considérations qui
ne doivent point entrer en ligne de compte. Pour le moment, l'atten-
tion du Sauveur est ailleurs. Le pharisien avait sa justice légale,
le

publicain obtint sa justification intérieure ce sont là les deux faits


:

principaux ; c'est aussi toute la clef de la parabole.

Les paraboles qui précèdent ne sont pas les seules qui nous ména-
,gent des constatations pleines d'intérêt. Mais il est temps de
clore

une série peut-être déjà trop longue. Aussi bien, le but poursuivi
semble-t-il atteint, puisqu'on ne se proposait dans ces pages que de
fournir, par quelques spécimens, la contre-épreuve j)ratique des pré-
ceptes théoriques exposés naguère.
En finissant, il faut cependant prévoir une objection. La méthode
préconisée, à force de vouloir être rationnelle, ne le devient-elle pas
trop? xN'oublie-t-elle pas que la parabole évangélique appartient à ce
genre essentiellement souple et divers qu'est le màchàl oriental? Ne
traite-t-elle pas ces admirables tableaux avec une logique trop
rigoureuse, trop occidentale? Ne les regarde-t-elle pas trop comme
des paraboles aristotéliciennes, c'est-à-dire comme des instruments
de démonstration?
Il suffit de distinguer pour répondre. Oui, la parabole est
identique

au màchàl, et il faut lui reconnaître une grande souplesse, une grande


variété, une grande liberté. Mais de cette liberté ce n'est pas i'inter-

(1) Op. laiul., p. 585.


ENSEIGNEMENTS FAHABOI.IQUES. 207

prête qui est le ])cné{iciaire, c'est lauteurde la paraJjoleseul. Celui-ci,


quand il a recours à la parabole, Farrange à sa fantaisie; il lui

donne à son gré des airs dallcgorie, de parabole, de simple compa-


raison, d'énigme, de proverbe, d'histoire, de tableau. Il la fait servir

au but qu'il lui plaît; il protite de la plasticité de son image pour


illustrer tel aspect d'une vérité plutôt que tel autre, et il le fait par-
foisavec des procédés d'une allure si personnelle, si lil)re, qu'ils nous
déconcertent à première vue; il tire, par exemple, de l'histoire du
Pharisien et du pul)licain une leçon d'humilité, alors que, s'il l'eût
préféré, il aurait pu en déduire une leçon sur la prière; il utilise celle
du prodigue pour condamner la jalousie des pharisiens, alors
Fils

qu'il aurait pu l'employer principalement à nous instruire sur les


ravages du péché ou sur la beauté de la pénitence. Mais une fois que
le paraboliste a arrêté la forme de son récit et qu'il l'a disposé pour

illustrer de telle manière telle vérité, l'exégète n'y peut rien chan-
ger. Le paraboliste crée les faits, l'exégète les constate. Le paraboliste
a toute liberté pour suivre le jeu de sa fantaisie subjective ;
l'exégète,
lui, fait profession d'objectivité, c'est-à-dire de respect pour les textes
et d'obéissance aux faits. Voilà pourquoi, même pour expliquer le
mâchai oriental, rien ne vaut une méthode occidentale, et rien ne
la remplace.
C'estune méthode de ce genre qui a manqué, semble-t-il, à un
très grand nombre de commentateurs. Les uns commencent par
définir le but de la parabole, avant d'en avoir expliqué la lettre :

aussi procèdent-ils bonheur; les autres essaient de le définir


au petit

après l'explication littérale, mais sans nous déclarer les motifs de leur
choix aussi le lecteur ne sait-il jamais si ce choix est parfaitement
:

justifié. De toute manière, on a peine à se défendre de l'impression

qu'on se trouve dans l'arbitraire et l'artificiel, précisément parce


qu'on se trouve dans la liberté.

La méthode plus rigoureuse dont on vient de lire quelques appli-


cations, est une nouvelle tentative pour obvier à ces inconvénients.
Elle aurait atteint son but si elle réussissait à éliminer quelques
chances d'erreur.

Fontarabie.
Denis Buzv S. C. J.
MÉIANCES

IiNSCUlPTION C.Kl^XQLE DE LIEE DE ROUAD EN E IIONNEIIK


DE JULIUS QUADHATUS

Les lecteurs de la Jievue biblique, —


grâce au R. P. Savignac, se-

condé de toute manière par M. le lieutenant de vaisseau Albert Tra-


1'" septembre
baud, qui depuis le débarquement de nos troupes, le
1015,' y exerce les fonctions de gouverneur, ont eu, dans le dernier—
description complète
fascicule paru de juillet et octobre 191 G (1), une
accompagnée d'excellentes photogra-
au point de vue archéologique,
maintenant le drapeau de la France.
phies, del'ile de Rouad, où flotte
quelques textes épigraphiques, notam-
Il y a déjà été signalé

ment une dédicace bilingue gréco-phénicienne à Hermès et à Héraklès


:

de M. Trabaud, avec une date et la référence à un


de la collection
par
gymnasiarque (2), comme dans une inscription grecque copiée
Rinan à Balanée', une des « filles d'Arvad » (3), une inscription —
rapprochée d'une
grecque avec le nom de Zeus Kronos (4), qu'on a
hiscription d'Abila, publiée également dans la
Revue biblique (5),

avec dédicace à Ba'al Kronos, — et diverses estampilles sur terre

cuite (6).
faut aujourd'hui ajouter l'inscription suivante dont le
11 y
Lagrange veut bien me communiquer la copie que lui a fait
R. P.
parvenir M. Trabaud, avec la transcription suivante :

(1) (ne visite à l'Ile de Rouad, p. 565-592.

(2) Ibid., p. 576-579,


n° 1.

(3) Mission de Phénicie, p. 108.


Une visite à l'ile de Bonad, p. 579-580, n» II.
(4)

(5) 1912, p. 533-540.


p. 575, 585-587 et lig. 23, n° VII, et 588 et fig. 25, n' 1\.
(6) Vne visite à l'île de Rouad,
MÉLANGES. 2C9

lOYAIONKOYAA .

nPECBEYTHNK . . .

CTPATHrONAYTOKPAI . .

NEPOYATPAIANOY
KAICAPOCCEBACTOY
TEPMANIKOYTOYKYPIOY
NOAPOCNOAPOYTOY
BAAPOYTONI AYTOYEYEPPE . .

THN

'louXicv Koua[3paTov|

xpeaêsorJjv y.y).

(jTpaT-^jYbv a'jToy.paT[opoç]

Népoua Tpaïavoj
Kaîffapcç I^sêaaTOj
rep[j.aviy.ou xzXi v.'jpiz-j

Ncapo? Ncâpc'j toj


Ba[â]pcu Tov [è]au-oy sùspYe
TV. (1)

L'inscription est gravée sur un bloc de basalte, sur la face supé-


rieure duquel se voient les empreintes de deux pieds, sans aucun
doute la base d'une slatue.
ne m'appartient pas de commenter les noms, évidemment sémi-
11

tiques, du dédicant, donnés dans les lignes 7 et 8. L'intérêt principal


de l'inscription, d'ailleurs, et le seul sur lequel je veux insister,
réside dans la mention de Julius Quadratus.
Julius Qwadratus, ou de ses noms complets C. Antius A. Juhus,
Auli films, Quadratus, est un personnage bien connu (2), entre autres
par de nombreuses inscriptions de Pergame (3) et par un passage

(1) Le A linal de la ligne 1 et le second A de Baâpoj à la ligne 8 sont incomplets. Il

n'est pas impossible que, dans la transcription, on ait voulu indiquer le début d'un jam-
bage après -/Kl : on attend là, non GTpaTviyov, mais àvTtaTpairiyôv. J'ai rétabli l's de [éjauTOù.
'2) Prosopographia Itiiperii romani snec. I ri III, t. II, éd. H. Dessau, p. 209-210,
n •
338. Voy. encore, postérieurement, une inscription d'Ancyre (Comptes rendus de lAca-
ilémie des inscriptions, 1900, p. 704 =
Inscr. cjraec. ad res romanas pertinentes, t. III,
n° 173, p. 98-100), une inscription d'Éphése {liulletins de l Académie roiiole de Belgi-
(/ne, 1905, p. 204, n. 1) et un diplôme militaire de Brigetio [Corp. inscr. lat., t. III, Sup-
plementum, p. 2212, Constitutiones veteranorum, n" XCVIII).
(3) Corp. inscr. graec, t. III, n" 3548 et 3549: Corp. inscr. Int., t. III, Supplernentum.
n- 7886; Konigliche Museen zu Berlin. .Utertilmer ron l'ergamon, t. VIII, 2, In.se/iriften
ans Pergamon, éd. Max Friinkel, t. II, n"' 269, 290 et 436-451 et p. 305.
REVUE ISIBLIQUE 1917. N. — S., T. \1\ . 14
•Jio iu:\i i: iMiU.iguL.

d'Aelius Aristid»' clans son Ad/a/i/ium crApcll.is (1 ), donl Quachatiis


rtait 1c hisaïoiil [û).
Il itail orii;inairc de Porgamc et inscrit dans la trihu Vollinia.
Les dcbnts seuls de son cufsits /lo/tonwi restent incerlaius, les dil-
icrentes inscriptions où sont cnumérées les fonctions romj)lies par lui
n'en citant aucune antéri(Hirc à celle de lé,i;at de liilhynie. « 11 est
donc probable, en a eonclu Waddington (lu'il n'était pas lils de ,

sénateur et qu'il n'entra pas dans la carrière administrative par la


voie habituelle du vigintiviral; il fut sans doute un de ces provin-
ciaux que Vespasien lit entrer dcndjlée au Sénat en leur conférant le
rang de tribun et de préteur (;J). »
Il devint ensuite successivement le(j\atus) p/'{o) pr[aetore) provin-

ciae Po/ifi cl Bilhijniae, — Asiae itermn, soit sous deux proconsuls,


— provinciae Cappadociac; proconsul Cretae Ciircnarum (4); legia- et
Pamphyliae.
tus) Aîig[usli) pr{o) pr{aefore) Li/ciae et
Il gouverna la Cappadoce en qualité de légat prétorien (5) et

c'est à tort qu'on avait jadis proposé de ne voir en lui quun com-
mandant particulier de la Cappadoce soumis au légat consulaire de
Cappadoce et Galatie (0). Il n'est plus possible, en effet, remarque
M. Fr. Cumont. d'invoquer, comme on l'a fait, la présence de Julius
Quadratus en Galatie comme un argument en faveur de la thèse
soutenue par Marquardt (7) et communément admise après lui que
les deux provinces de" Cappadoce et de Galatie, avec les pays qui
en dépendaient, après avoir été soumises en 70 par Vespasien à
l'autorité d'un seul et même fonctionnaire (8), auraient été séparées
vers 90, avant d'être réunies de nouveau de 96 à 99 et délinitivement
scindées par Trajan . « étranges vicissitudes, dont on n'aperçoit aucu-

(1) Ael. Aristid., Apellae Natalit.. éd. Dindorl', p. 116.

(2) L'inscription découvertey a quelques années dans les foiiilies autrichiennes à


il

Éphèse [Bull, de l'Acod. de Belgù/iic, 1905. p. 20'!, n. 1) nous fait connaître un autre
membre de la famille de Julius Quadratus, sa sieur lla)).>a.
(3) Fastes des provinces asiati(/ues de l'empire romain depuis leurs
origines jus-
qu'au règne de Dioctétien. n° 114, p. 174.
(4) L'inscription de Pergame Corp. inscr. graec, t. 111, n° 3548, republiée
par Frankel,
Inschr. aus Pergamor., t. II, p. 305, semble avoir porté àv0Û7:a-ov KprjTiri; Kûtovj, « leçon
fautive et inadmissible, remarquait déjà Waddington (Le Bas-Waddington, Erplication
des inscr. grecques el latines rectieillies en Grèce cl en Asie Mineure, t. 111, Section \iii.
Additions, vi, Mysie, n" 1722 a, p. 409), qui parait cejiendant avoir été gravée sur l'original,
toutes les copies s'accordant à la reproduire ».

(5) Voy. Prosopograp/iia, t. II. p. 210.


(6) A. von Domaszewski. Rheinisches Muséum, t. XLVIII, 1895, p. 243.

(7) Mommsen-Marquardt, Manuel des antiquités romaines, t. I\,


Organisation de
l'empire romain, trad. Louis Lucas et Weiss, t. 11, p. 282.
(8) 11 n'y avait à vrai dire, jusqu'à ces derniers temps, aucune preuve positive que
cette
MÉLANGES. 211

nement les raisons


'). Mais, disait-on, « aussitôt après Tannée 92, la
(ialatie avait pour gouverneur L. Bellicius Sollers, tandis qu'Antius
.Iulius Quadratus administrait en 94-, c'est-à-dire à peu près à la
même époque, la Cappadoce ». Le sujet a été traité de main de
maître par M. Gumont (1). Il rappelle que, d'abord, l'inscription
mutilée d'Ântioche de Pisidie (2) sur laquelle se fondait le g-ouverne-
ment detialatie de Sollers avait été mal lue et que, au lieu de Sollers,
le nom
qui y ligurait était Sospes, et il ajoute (3) « La seconde :

donnée d'après laquelle on raisonnait est encore moins exacte. Il est


bien vrai que JuliusQuadratus est simplement nommé dans certaines
inscriptions (4) 'ér.xpyoç Kar-aooxîar, mais d'autres, qui ont été récem-
ment mises au jour, donnent une titulature beaucoup plus com-
lui
plète. Un texte exhumé par M. Heberdey
à Éphèse (5) rappelle qu'il a
été légat d'Auguste dans la province de Cappadoce, Galatie, Phrygie,
Lycaonie, Paphlagonie, Petite-Arménie, et une dédicace mutilée de
Pergame (0) contenait une énumération semblable. Ainsi, conclut-
il (7), du double argument qui devrait prouver la disjonction tem-

poraire de la Cappadoce et de la Galatie sous Domitien, la première

conceulralion de pouvoirs, qu'on trouve établie à l'avènement de Trajan, eût été effectuée
par Vespasien en 70 au moment où il confla à un légat l'administration de la Cappadoce
jusque-là province ]iro(ur;itorienne, mais la découverte à Éphèse, également dans les fouilles
autrichiennes, d'une double inscription en grec et en latin {Jalireshefte des oester-
reichischen archaeoîogischen Inslilutes in Wien, 1904, Beiblatt, p. 56) est venue
apporter un argument nouveau et puissant en faveur de cette opinion. T. Julius Pole-
maenus y dirorum Vespasiani et Titi provinciae Cap-
est qualiliè leg{afo] Aug[usti)
padociae Galatiae Ponti Pisidiae Paphiagoniae Armeiiiae ininoris, 7tp£aoîUTr;v 0£o-j
et

OJî(nîa(jiavo-j xa; ©îoC Tîto'j ÈTiapyeiwv KaîCTtaôoy.taç FaXaTia; IIôvxou Iliatoîai; nasÀayovîa;
'Ap[jiîvîa;. Il ressort du titre, écrit M. Curnont {Bull, de l'Acad. de Belgique, 1905, p. 199-

200;, ([ue déjà sous les empereurs Vespasien et Titus, 71-74 ap. J.-C. ^p- 200, n. 1 :

Vespasiani et Titi doit s'entendre de l'époque où Titus était associé à l'empire, non de
deuï règnes successifs, car nous savons quel était le légat de Cappadoce au moment ou
mourut Vespasien, les gouvernements de Cappadoce et de Galatie avec tous les terri-
toires qui en dépendaient étaient réunis aux mains d'un seul légat.
(1) Le gourernement de Cappadoce sous les Floviens, Bull, de l'Acad. de Belgique,
1905, p. 197-224.
(2)Le lias-Waddington, Explication des inscriplions, t. III, n" 1816; Corp. inscr. lai.,
t. III,pars I, n" 291 et Supplementum, n° 6818.
(3) Bull, de l.Acad. de Belgique, 1905, p. 204.
('i; Corp. inscr. graec, t. III, n'' 3532 =
Borghesi, Opéra, l. il, p. 15 et 4238 d Wad- =
dington. Fastes des provinces asiatiques. n° 114, p. 373; Frrinkel, Inschr. ans Pergamon,
t. II, n" 'i36, 438, 439 et 440 et p. 305.

,5) Bull, de l'Acad. de Belgique, 1905, p. 204, n. 1 upiffSeuTbO iioacTToO àirap^sî»; .••
;

KaTtTraoo/.iaî La/aTia^ <l>ouvi'a; Auxaovia; lla^Xavoviai; 'Ap[ji£v;a; [xi/.pà;.


(ti) Friinkel, Inschr. aus Pergamon, t. II, n° 451. Le texte est ainsi restitué par M. Fràn-
kel : Tp£C7oïUTr,v leSaTTo-j è7î[apx]e[{7.; Kairnaôoxia;] LaXaTia; «l'pyyta; [IlKTtStaç 'Avxtjoyîa;
'Apjiîvia; (x[iy.pà;].

(7) Bvdl. de l'Acad. de Belgique, 1905, p. 205-206.


ei2 HKVUK lUHI.IUl'l--

partie est caduque et la seconde se ictotiiiie contie ceux (jui lin-


vociuciit. H deux
est certain (jue ces j)r()vinccs sont restées réunies

depuis Vcspasien jus(pi'au monieni de leur séparation délinitive.


Celle-ci fut provoquée à la lin du rèj-ne de Trajan (tar ranncxion
de la(irande-Arménic( 1 ï après .1. -C. L'extension de reinpirc roinnin
1 ).

vers rOrient amena la division d'un territoii-e désormais trop vaste


et aussi trop mal pacilié pour être placé sous l'autorité dun seul
fonctionnaire. Apj-ès sa conquête, Trajan constitua un gouverne-
ment de Cappadoce-Arménic et un gouvernement de (ialatie, avec ses
anciennes dépendances moins le l*ont, qui resta depuis lors rattaché
à la Cappadoce. Le premier eut dès l'origine à sa tète un légat con-

sulaire, lesecond un légat prétorien. »


Le premier consulat de Uuadratns fut un consulat sutfect au mois
de juillet 93, avec M, LoUius Paullinus Valerius Asiaticus comme
collègue, ainsi que nous l'apprend un diplôme militaire délivré à un
soldat de la coliors III Alpinonwi découvert à Salone et conservé à
Florence (1).

Il fut, après ce consulat, gouverneur do la Syrie. « Entre son


consulat et la mort de Nerva, écrit encore Waddington (2), il ne parait
avoir exercé aucune fonction; mais Trajan ne tarda pas à lui confier
l'importante province de Syrie... Il eut pour successeur en Syrie le
fameux général Cornélius Palma, le conquérant de l'Arabie. » De
retour à Rome, il obtijit le consulat pour la seconde fois, comme
consul ordinaire, au 1" janvier 105, avec Ti. .Iulius Candidus Marius
Celsus (3). Il fut enfin proconsul Adae vers 106.
Il apparaît en outre comme prenant part à Rome aux réunions des
Frères Arvales enTG, 80, 87, 89, en une année indéterminée du règne
de Domitien, et en 105 (4), et fut septemvir epidonum.
Il vivait certainement encore en lli, ainsi qu'il résulte d'une ins-

cription de Pergame (5).

Les bienfaits que G. Antius k. .Iulius Uuadratns avait multipliés

Corp. inscr. lut., t. III, pars II, p. 359, Privilégia velcranorum, n° XVl.
(1)
Waddington, Fastes des provinces asiatiques, n" Hi, p. 175.
(2)

(3) Il figure comme tel, entre autres, sur un diplôme militaire


délivré à un fantassin
cohortis Britannicae [miJiariae) [civivm) r[omanorum] trouvé en 1892 à Brigetio (Alt-
Szony) et conservé au musée de Budapest [Corp. inscr. lat., t. 111, Supplementura,
p. 2212, Constitutiones veteranorum, n" XCVIII).
Henzen [Scavi nel bosco sacro dei fratelli Arvali, p.
(4) 45) avait d'abord supposé que
le Quadratus des années 87 et 105 devait être
A. Julius le fils adoptif de l'autre, mais
Waddington déjà {Fastes des provinces asiatiques, n" 114, p. 176) penchait pour un seul
et même personnage.
(5) Frankel, Inschr. ans Pergamon, t. II, n° 451. Trajan, qui ne porte le titre à'Optinnis
qu'à partir de celte date, y est appelé àuToxpâ-ropo; Nepoua Tpaïavoù 'A[pc(jToy].
MKLANGES. 213

envers sa de Pergame méritaient, au dire d'Aristide, qu'on


ville Datale

l'en considérât comme


le second fondateur et il avait à Pergame une

statue que lui y avaient fait élever, sans doute au moment où il avait
quitté la Syrie, le sénat et le peuple de Gérasa, qui s'y qualifient
de 'AvT'.v)^i(i)v Twv [iz'. ~]m Xp'jaopia t(ov 7:pz'Zz.pc['^ Fclpar/jvwv f, '^io'j'/.r,

y.y). b of^y.o: (1).

Il avait, en particulier, assumé les frais d'un de ces concours aux-


quels s'appliquait l'épithète d's'.tjcXaa-rixov, qui valaient aux athlètes
vainqueurs, non seulement d'être reçus dans leurs cités avec des hon-
neurs triomphaux, mais d'y être pensionnés, concours dont nous
parlent Plutarque (2), Vitruve (3), et surtout Pline le Jeune dans une
de ses lettres à Trajan : domine, ea, quae pro
alhletae, iselasticis cer-
taminihus constituisti, die, quo siuit
deberi sibi putant statim ex eo
coronati; nihil enim referre, quando
patriam invecti, sed quando sint
certaniine vicerint, ex quo iiivehi poxsint, et plus loin, iidem obsonia
petunt yro eo agone, qui a te iselasticus factiis est, et encore, dans la
réponse de l'empereur, obsonia eoriim certaminum, quae iselastica
esse placuit rnihi, sianle iselastica non fuerunt, rétro non debentur (4).
Le souvenir nous en est gardé dans un précieux marbre biling-ue
exhumé à Pergame, dans la partie sud-ouest de la citadelle, au cours
des fouilles entreprises par les musées royaux de Berlin et aujour-
d'hui conservé au musée de Berlin (5). L'inscription vise d'abord le

(1) Le Bas-Waddinglon, Explication des inscriptions, l. III, sect. sin, Additions, vi,
Mysie, n" 1722; Frankel, Inschr. ans Pergamon, t. II, n" 437. M. Fiankel fait remarquer
(p. 301-302) que Gérasa, que nous voyons ainsi porter comme tant d'autres villes le nom
non pas Gadara, comme on
d'Anlioche et qui est sans doute, et l'avait soutenu, la cinquième
Antioche dont Stéphane de Bjzance dit \\z\i.r:-}] piïTa^y xoîX-o; lypt'aç xal 'Apaêca;, l£[xtpdt-
aiSoç, en réalité ne se trouve immédiatement sur le Chrysoroas,
|>as — à moins que, avec
Waddington ^p. 408), on ne suppose que la |)etite rivière qui traverse la ville s appelait le
Chrysoroas. comme celle qui traverse Damas et comme d'autres rivières ou ruisseaux de
l'antiquité, — et pourtant la mention i-n\ tw Xpuiropôa avec l'article ne peut désigner un
pays. La même périphrase
t) rô/t; 'Avxioxéwv -rtôv itpbç Tto Xpu(i[opô]a xwv TipÔTspov Tepa-
<7r|V(i[v] dans un texte de Géra&a même (H. Lucas, Repei-torium der grie-
se retrouve
ckischen Inschriflen aus Gérasa, Mittheilungen und Nachrichten des deutschen Pa-
laestina-Vereins, 1901, p. G8, n° Wa). Voy. aussi à Gérasa l'inscription du Nymphée et
l'épitaphe métrique de 'louXiav^ {Revue biblique, 1895, p. 376-377, n" 3 et 1899, p. 14,
n" 13, et 1895, p. 385-386, n" 28).

(2) Plutarch.. Sijmpns., Il, v, 2, p. 639 F.


(3) Vilruv., De architeclura, l.\, 1 : nobilibua atliletis, qui Olipnpia, Pijlhia
Nemea vicissent, Graecorum maiores ita magiios honores consiiluerunt, uti
Isthmia,
non modo in conventu stantes cum palma et corona ferant laudes, sed eliam, cujn
reverlantur in suas civitates cuni Victoria, triumphantes quadrigis in moenia et in
palrias invehantur e reque pubtica perpétua vita conslitutis vectigalibus friiantur.
(4) Plin. et Traj. ep. 118 et 119.
(5) Corp. inscr. lat., t. III, Supplementum, n" 7086; FrUnkel, Inschr. ans Pergamon,
t. II, n° 269, avec tous les commenlaires.
:I14 iU;vt K lillM.ll^Hb:.

sriiatuscousnlto de foiulalicm : Ip/f/cc/c iif rfrlamcn illu(l\ (/uoil m


/iomnem /empli Jovis amiialis et \fnip{c/'a/oris) Caes{ai'is) divi Ne\rvae
fyi/ii) Traiani Aufjusti Grnnanki Dacici [ponll[/îcis) ?na.T[wii) est

(on.<l\itnfitni îi^îXaffTiy.iv ht civitalc [Pert/tunenontm ciusdcni con\di-


rirtiiia s/'i cidiis est quod in honnreni llomac \et divi Au</{usti) ibi
(u/ilnr, impcndia ipiae propter id crrtamcn \futri oporte-
il\a ut ea
Int codant in\ omis lidi Quadrati c/arissii/ii inri \eorumqnc ad <jtws

ea res pertinebii. Il > est ensuite rapporté un passage même d'une


lettre impériale adressée aux 3:c-/=vt£ç, à la (isuAr, et au cy;[/o; de Per-
game KîçâXaicv èx twv Ivafoap:; bno'LÛn. Ciun secnndiim meam c\on-
:
|

slilutionem certaine)) in civitate \Per(/amcno7nim ah Iulio Quadrato


ajmico c/arisswio viro qtiintjuennale [c'.asXatJT'.y.iv c\oiistitutum sit
idq[ue\ aynplissimiis ordo [eiitsdem juris esse decreveri\t ciiias est
qiiod in eadcm civitate [in honorcm Romae et divi A\ug{usti) insti-
tut u?n est, hiijus quoq[ue) ise[l)as\lici victoribns id quod in altero\
certamine custodilur dari oportebit \praemiitm\. Les circonstances de
la fondation de ces jeux, par ailleurs, la relation avec le lemple
consacré à Jupiter amicalis, ou mieux ZsJç oîa'.cç, et à Trajan (1), les

ont parfois fait dénommer Tpaiâvsia Ae-^ç-rAcu èv IIspYiij.o), où l'on a


à tort voulu voir souvenir d'un fondateur Diphilos (2); mais,
le —
de même que les premiers jeux auxquels ils sont assimilés, jeux
sacrés {'^^ en l'honneur de Rome et d'Auguste, officiellement 'Pa);j-ata

-£6ai7Ta \j^\ ne sont le plus fréquemment appelés dans les inscriptions


que AùvcyffTeta (5), — eux aussi, dans la plupart des textes (6), ne
sont dits que Tpaïâvsia (7).
Julius Quadratus, on le voit dans l'inscription de l'ergame que
nous venons de reproduire, est appelé nommément par Trajan « son
ami » et, si, comme nous l'avons dit, l'inscription de l{ouad est la
hase d'une statue à lui consacrée, l'on n'en sera que moins étonné

(1) Le temple en question a été mis au jour dans les fouilles dirigées par les musées de
Berlin.

(2) Ttie collection of aiicienl ijrecli inscriptions in the liritish Muséum, part 111,

sect. 2, éd. E. L. Hicks, n» DCV, p. :?34.

(3) Dio, LI, \x, y. Voy. aussi, dans une inscription d'OlymiJie [Archacolorjische Ze'dinKj,
1877, p. 100), v£i-/.r,(;a; IT£p7atj.ov fi' xo Ispov. et, dans une inscription de Naples {Inscrip-

tiones graecae, t. XIV, n° 738), k\)^o\>nxz\.y. bi nepYâ[j.to (lepàv s.-e- lopTriv ou TtavviYuptv).

Corp. inscr. graec, t. III, n" 3902 b.


(4)

(5) Frankel, Inschr. ans Pergatiion, t. II, n" 26'J, p. 206, et notamment, outre l'ins-
cription de Naples mentionnée plus haut, Corp. inscr. graec, t. II, n" ;>209 et Jnscr.
graec.', t. III, pars I, n" 129 : A-jYoudxeia èv IlepYâjiw.
(6) Inscription de Smyrne. Corp. inscr. graec, t. II, n" 3209; inscription de Philadol-
phie, ibid., t. II, n» 3428.

(7) Voy. sur tout ceci, Frankel, Inschr. aus Pergamon, t. II, p. 205-206.
.

MÉLANGES. 21 o

de voir un de ses obligés, sans doute un de ses administres, rendre


cet honneur à un homme qui, en même temps que gouverneur
de la province, était si bien en cour et si avant dans la faveur du
prince.
Les inscriptions mentionnant le gouvernement de Syrie de Qua-
dratus visées par M. Dessau dans la Prosopographia imperii rojnani
en 1897 étaient déjà au nombre de sept, toutes de Pergame (li, à
Texception d'une inscription fragmentaire d'Éphèse
au British
Muséum où son nom est suppléé (2) : depuis, une huitième a été
exhumée aussi à Éphèse (3). Il y est dit r.çitziv^z-qq /.y). àv-icjTpa-Y;-/;;

Djpixç. kr.ocçiyzioiç Huptac (4), ou, dans une des inscriptions de Pergame
et dans l'une de celles d'Éphèse, ^-o^Uz '\*zv»ti%T,q Kc\i.^.y^^^r[VT,q (5),
i~y.ç,yv.y.z Suptaç ^c.v s '//.•/;? 'Ko]).\i.y.-(r^^'qz Typsu (6), et, dans l'autre ins-
cription d'Ephèse, Hupia; [/.ai zoXXwvJ aAAojv La dédicace
ïr.ypytwi^) (7).
de Rouad, se trouvant sur le territoire même
de sa province, n'avait
pas à en donner le nom et a pu se borner au titre, sans plus, de
zpsTCcur/iv v.y). sTpa-rr/viv ou àvTWTpx-YJYCv. Il me paraît, en effet, assez
vraisemblable que la 2" ligne se terminait, non par v.yj. seulement,
comme semble le porter la transcription communiquée, mais par
/.ai xn'.. Il manque, sans parler de quatre lettres à la 3" ligne,
cinq lettres à la 1'", après le A incomplet qui se trouve à peu près
exactement dans du K, et. la cassure étant
Ja verticale au-dessus
oblique, la place serait donc suffisante à la 2" ligne pour six lettres;
mais, d'autre part, certaines lignes, comme la o*' et la 6®, quoique
commenrant à l'alignement à gauche, sont plus courtes. La question

(1) Corpus inscr. graec, t. III, n" 3548; Frankel, Inschr. ans Pergamon, t. II, n"' 437,
138, 440, 4'il, 451 et p. 305.
(2, Ancicnl greek inscriptions in (he British Muséum, pari III. secl. 2, n' DXXWIIF,
p. 187-188.

(3) Bull, de l'Acad. de Belgique, 1905, p. 204, n. 1

(4) Cor/j. inscr. graec, t. III, q" 3548; Frankel, Inschr. ans Pergamon, n°' 438, 440,
441, 451 et p. 305.
(5) Jbid., 11° « Phonikien und Kommagcne als dcr Pro-
437, et l'auteur ajoutait (p. 302) :

vinz Syrien angegliederte Verwallungsbezirke nennt nur dièse Quadratus Inschrift. » 11


y eul, on le sait, plus lard une province particulière de Syria Pheuicc, mais la division
en Suria magna ou Coclesgriu et Sgria Phenice ne date que de Seplime Sévère, en l'jS
(Jalabert et Mouterde, Nouvelles inscriptions de Syrie, 2, La formation de la province
de Syria Phenice, Mélanges de la l'aculfc orientale de l'Université de Bcgronth. t. IV,
1910, p. 215-221). La Coramagene, annexée par Tibère après mort d'Anliochos III de la
Comrnagcne en 17 ap. J.-C. rendue par Caligula à Antiochos IV, avait été de nouveau et
délinitivement rattachée à la Syrie par Vespasien en 73.
(C,) Bull, de lAcad. de Belgique, 1905, p. 204, n. 1. .< ïyr, reiiiar(iue M. Chapot. qui
cite l'inscription {La frontière de l'Euphrale de Pompée à la conr/vèle arabe, p. 337
et n. 10), resta quelque temps au moins un nom réputé. »

{7) Ancient greek inscriptions in the British J/»seMw,part III, sect. 2, n' DXWVIII.
•2iti m:\ve nmi.uuiî.

ne saurait <Mre ti-anchéc, (!<- l'oxanicn iiKhiie de roi'i|^inal,


à drliuil

(|iu' |»ar 1111 mic opir cruno lidc'litr minutieuse, et la


cstanipat^e, ou i

situation est la même qu<' dans une aulre des inscriptions en l'hon-
neur de notre personnage, une inscription de Pergamc, où la lecture
i^enéralenient admise est -pzaie'j-r,-^ XsSaaxoij o-:pa-Y)YÔv Auy.iaç -axI
na;xç'.X{a; (1^. mais où, là aussi, M. Kr.inkel (2) insinue que àv-i aurait

pu occuper rextrémitr de la ligne (jui semble finir avec HsêaaxoU. Il


est curieux de noter, en tout cas, que dans une inscription de Tlos
en Lycie Quadratus est dit -psucsy-r.v aipar^Y^v 'Acriaç ô(; {-)). Le même
emploi de 7-pa-r,';i:, au lieu de xv-<.G-pi-r,yo;, est également certain
dans deux autres textes, une inscription de Lampsaque au musée
d'Athènes en l'honneur de L. Quinctius Flamininns, praelor urba/nis
en lOî) av. .I.-C. et dont les pouvoirs avaient été prolongés par le
Sénat pour les années suivantes afin de le mettre à la tête de la flotte,
-A>y. c-^tpaT-^Ywt -rwv 'Pwp.aîwv to)v Itui v3:['jTi]y.(ov \vjyJ.u)i [k], et une ins-
cription du Péloponnèse du musée Nani A Venise, dédicace des Gy-
théates au frère de celui-ci, T. Quinctius Flaniininus, consul en 198 et

alors proconsul, {j-pa-aybv u-a-rcv 'Pa)[j<aio)v (5); mais il s'agit de textes


beaucoup plus anciens et crTpar^Y^? s'y explique mieux. Mommsen, en
effet, après avoir fait remarquer que (jTpa-Y;Ybç jTra-oç est l'équivalent

de consul, rendu plus tard par jttxtoç seul, et que d'ailleurs Flami-
ninns, à la date où l'inscription lui avait été consacrée, était pro-
consul et non consul, ajoute « sed antiquiore tempore Graeci ipsis
:

iJiagistratuwn vocabulis ctiam de eis utuntur, qui imperium proro-


qalwn habent (6) ».
Il remarquer que Trajan, dans notre inscription de Rouad,
est à
ne porte que le seul surnom de Germanicus.W en est de même dans
une des inscriptions de Pergame (7). Quatre autres de celles-ci (8) et
une des deux inscriptions d"Éphèse (9) y ajoutent le titre de Dacicus^
qu'il prit en 103. Il ne faut pas, en revanche, se laisser abuser par
une dernière inscription de Pergame, où M. Frankel restitue aÙTcy.pa-
Tcpsç NiC^ua Tpaïxvsj 'A[p{7T:'j r.p^'jov•J-^^') y.y\ àvTiJTpaT-rjvov k'îzy.pytly.z

(1) Corp. inscr. graec, t. III, n" 3548.


(2) Frankel, Inschr. ans Pergamon, t. II, p. 305.

(3)Waddington, Fastes des provinces asiatiques, n° 114, p. 173.


(4) Athenische Mittheilungen, 1881, p. 96 et sq. et 212 et sq. G. Dittenberger, Syl- =
loge itiscr. graecariim, V éd., t. I, n° 276, p. 441-444.
(5) Corp. inscr. graec, t. I, n" 1325 =
Dittenberger, Sylloge, t. I, a° 275, y. 441.
(6) Ephemeris epigraphica, t. I, p. 213 et sq.
(7) Frankel, Inschr. aus Pergamon, t. II, n° 440.
(8) Corp. inscr. graec, t. III, n° 3548: Frankel, Inschr. aus Pergamon, t. II, n' 437,
438, 441 et p. 305.
(9) Bull, de l'Acad. de Belgique, 1905, p. 204, n. 1.
MELANGES. 217

'^jpixq] (1), quoique l'épithète à'Optimus dans la titulaturc de Tia-


jan n'intervienne qu'avec sa dix-huitième puissance tribunicienne à
partir du 10 décembre 113 (-2) Tauteui' a soin de déclarer que :

Optinnis se réfère, non à la date du gouvernement de Quadratus,


.mais à celle de l'érection du monument, qui se trouve ainsi daté au
plus tôt de 114 (3).
Il reste enfin à noter le dernier qualificatif appliqué à l'empereur,
-z\) xupîoj, qui invite à se souvenir de la phrase des Actes des Apôtres,
r.ip\ cj àcTsaAÉç Ti -(ç,y.'byx tîo -/.upûo 2>/. îyu) (4). Il est donné au même
Trajan dans un proscynème de Silsili (Djebel Selseler) en Egypte daté
de la 10" année, 106-107 ap. J.-C, Tpaïavou Kar'[(ja]poi; xoD y.upiou (5), et
se retrouve,non seulement plus tard, mais à une date antérieure
dans une inscription d'Admedera en Syrie en l'honneur, semhle-t-il,
de Ddmitien et de Domitia (6), dans l'inscription d'Acraephiae (Kar-
ditza) qui nous a conservé le fameux discours prononcé par Néron à
forint he en 66-67 polir rendre aux Grecs la liberté, ô toD -Travxbç /.éap-ou
•/.ûptoç Népwv, £'.ç Tbv loX) x'jptou ^sêaffTou [Népojvoç olxovj (7), et même dès
le règne de Claude, en 49, dans une lettre du préfet Cn. Vergelius

Capito, à l'oasis d'El-Khargeh en Egypte (8) et dès celui de Tibère


dans une inscription d'Abila !9j.
Etienne Mïchon.

(ij brankel, Inschr. nus Pergamon, t. II, ir 451.

(2) Voy. en particulier Corp. inscr. lai., t. III, Suppiementum, p. 1279.

(3) Frankel, Inschr. ans Pei-gamon, t. II, n° 451, p. 308.

(4) Act. Ap., x\v, 26.


(5) R. Lepsius, Denkmater ans Aegypten iind Aethiopien, XII, p. 82, n" 188; A. -H.
Sayce, Rev. des Études grecques, 1894, p. 297, n" IX = W. Ditlenberger, Orientis graeci
inscriptiones selectae, .Suppiementum sylloges inscr. graecarum, t. II, n" 676.

(6] Mitth. und Xac/ir. des Pulacslina-Vereins, 1899, p. 91, n" 68.
(7) Holleaux, Bull, de Corr. heUénique, 1888, p. 510-528 = Ditlenberger, Sylloge.
t. I, n° 376.

(8) Corp. inscr. graec, t. III, n" 4956.''

(9) Mémoires de l'Acad. des inscriptions, t. XXVI, 1870, p. 66.


-MS llKVl'K IMIîl.ll^H K.

Il

Li: IMiOlMIl TK AMOS

I. L ilO.MMi:.

Amos fut contcinjxti'ain d<' .léi'oboaiii 11 i78;}-7i3j. 11 était orii^i-

naire de Teqoa, pctito ville judéenne située à une vingtaine de kilo-


mètres au sud de Jérusalem; assez haut campée sur une croupe
le regard découvre les montagnes de .luda
rocheuse allongée d'où
et de lienjaniin, les blanches et [)auvrcs collines du Désert (|ui des-
cendent en désordre vers les profondeurs de la mer Morte et la
masse lointaine des plateaux de Moab qui les surplombent, elle avait
dû à sa position et à son horizon d'être fortifiée par le roi Hoboam.
Pour l'ordinaire, Amos gardait les moutons, surtout, à ce qu'il

semble, de ces petites bêtes à l'aspect minable quon élève pour leur
épaisse et lourde toison. Mais (juand venait le printemps, il aban-
donnait à d'autres le soin de son troupeau et, ayant pris le chemin
des plaines plus chaudes, allait de verger en verger inciser les
fausses figues du sycomore pour permettre à l'àcreté du fruit de
s'écouler avant la maturité. Maître de son troupeau ou berger à
gages, il était donc de ces montagnards à la vie simple et rude,
au langage expressif et direct, au caractère ferme et peu conciliant
qui, chez tous les peuples, constituent un élément de population
rétrograde mais stable et vigoureux, f)pportune réserve des qualités
et des forces vives du pays.
Ses migrations de berger, ses courses annuelles de piqueur de syco-
mores, ses causeries dans les bourgs, dans les villes et le long des
chemins, alimentaient sa curiosité d'Oriental friand de nouvelles.
11 y trouvait surtout maint sujet de méditation religieuse. Les inquié-

tudes des petits royaumes de la Syrie, l'etlacement progressif de


Damas, le recueillement menaçant des Assyriens, les coups de main
des bandes toujours en quête de razzia, les rivalités aiguës ou sour-
noises d'Israël, de Juda et de leurs voisins, rien ne lui échappait
de ce qui faisait la préoccupation constante des esprits élevés du
peuple hébreu. Mais, au travers du prisme de sa foi ardente, tout
se colorait de nuances religieuses que l'œil profane du vulgaire ou
MÉLAJNGKS. 21!»

même du politique de tendance laïque ne percevait point. Dans ces


événements divers que tous connaissaient, et dont on tâchait de dé-
mêler les causes, de tirer du profit ou de prév(Miii" les inconvénients,
lui, cherchait et découvrait la main de Yahwè. Lintérêt de l'histoire

lui importait moins que sa signification. Il n'enregistrait et ne cata-


loguait des faits que pour corroborer ses conceptions yahwéistes. Il
vivait dans le monde surnaturel et c'est de ce point de vue surélevé
qu'il contemplait les œuvres des hommes.
Dans cette contemplation, admirablement servi par un sen&
il était

très exercé et un goût très attentif de l'expression à contours précis,


brève, pleine, impérieuse. Il n'a pas l'émotion triste ou caressante
d'Osée, le souffle entraînant et l'emphase d'Isaïe, l'obstiualion lar-
moyante ou cinglante de Jérémie. Peut-être même sa langue un peu
sèche et au besoin triviale gâte parfois la couleur de ses vers. Mais
il gagne en force ce qu'il perd en éclat. Telles de ses formules restent

gravées dans la mémoire tant elles sont vigoureusement lancées, et


son habileté dans l'énumération à refrain impose, par le rythme
des strophes et le retour de l'expression en vedette, l'idée simple et
claire qu'il veut faire entrer. y a là un art sobre et vrai qu'il ne
Il

faudrait pas s'imaginer que tous les bergers d'Orient possèdent, mais
qui se retrouve chez certains pâtres ou chameliers arabes d'aujour-
d'hui et mieux encore dans les chefs-d'œuvre que leurs aînés ont
léerués à leur littérature nationale.
Amos était judéen. Il apporterait donc à sa mission en pays Israé-
lite un zèle soutenu par des idées qu'il partageait avec ses compa-
triotes. Mais mêmedans le Nord il pouvait être compris. Le royaume
d'Israël, en en dépit de la sécession lamentable qui l'avait
effet,

soustrait à l'autorité de la dynastie davidique, persistait à reconnaître


lui aussi Yahwè pour son dieu national. La sujétion plus ou moins
consentie de Juda à Israël suffisait à maintenir, avec deux royaumes
et deux rois, une certaine unité politique; de même, malgré des ten-

dances parfois divergentes en matière religieuse, les deux fractions


de la nation hébraïque s'unissaient encore en (juelque mesure pour
adorer le même Dieu. Le .ludéen Amos aussi bien que l'Israélite Osée
ne font pas difficulté de donner à Israël, au sens restreint de royaume
septentrional, le titre de « peuple de Yahwè ».

Toutefois, .Juda, sans avoir parfaitement échappé à l'inlkience de


Canaan, s'était gardé de certaines déformations cultuelles implan-
tées d'autorité ou maintenues par la coutume dans le royaume du
Nord il n'avait pas accueilli le symbole yahwéiste des veaux dorés.
:

Aussi était-il certain d'être plus agréable à Vahwè, plus fidèle aux
•^20 HEVUE lUMUniE.

prescriptions que son rival. Les iiAhliis israélites, de leur


aiiti(|iit's

lùlc.semblent avoir montré souvent [)lus de s\mpathie [)()ur les ntis


de .luda ({ue pour ceux ilr leur patrie, et cela, sans aucun doute,
parce que les descendants de David leur paraissaient meilleurs
yahwéistes que les fils d'Omri et de .léhu. Ainsi, Isi'aOl pouvait bien,
étant le plus puissant, imposer à .liida son hégémonie politique;
.luda, étant plus relii;ieux, rèvail de ramener Israël aux [ualiiiues
de s,i reliiiioM. [)c là des interventions semblables à celle de cet
homme de Dieu qui. originaire du Sud, vint, au temps de Jéroboam I"
déj:^, protester contre le sanctuaire et le culte de Héthel(l). Amos, à
près de deux siècles de distance, ne fera que renouveler cette coura-
geuse tentative.
A ces sugi;estions de la ferveur religieuse se mêlaient aussi des
considérations d'ordre un peu plus politi([ue. Amos et les .ludéens,
sans s'aveugler sur les désordres religieux de leur pays, ticjp réels
ne pouvaient pas ne pas constater que la décadence religieuse où
s'enfonçait chaque jour davantage le royaume Israélite et ({ui était
pire que chez eux, avait commencé avec la déclaration de Findé-
pendance. Ils s'imaginaient, et non sans raison, que pareille dé-
chéance ne se serait pas produite si Israël avait continué à demeurer
soumis à la dynastie de David. Pour la faire cesser n'était-il pas
tout indiqué, entre autres moyens, de restaurer l'ancienne donii-
nation de David sur la totalité des Hébreux? Sous l'heureux et béni
règne de ce grand yahwéisme
avait atteint un degré de
roi, le
splendeur auquel remonté depuis. Si l'on pouvait dé-
il n'était pas
truire l'œuvre néfaste de Jéroboam I" et de ceux qui|lui avaient suc-
cédé, rétablir sur tous les Hébreux le pouvoir de la dynastie de David
qui ne régnait plus que sur Juda, non seulement un grand avan-
tage politique et national découlerait de cette restauration, mais,
ce qui valait infiniment plus, le yahwéisme retrouverait partout sa
pureté première Vahwè serait enfin servi par son peuple choisi
:

comme il entend l'être; la paix, la prospérité, la puissance s'éta-


bliraient à demeure dans le peuple redevenu vraiment lidèle. Il était
à craindre toutefois que les Israélites ne vissent pas dans ces vues
politiques d'Amos et de ses amis leur véritable inspiration religieuse.
Mais elle n'en était pas moins réelle, sincère, pure de tout égoïsme
national. C'était avant tout la cause de leur Dieu que, par là, ils
entendaient servir.
Cet intérêt fraternel et profond d'Amos pour les Israélites obstiné-

Ci) Cf. I Rois, xm.


MELANGES. 221

ment séparés de Juda se trahit déjà dans le récit de deux visions


qu'il eut peut-être avant son appel à la prophétie et où il nous est
montré entrant dans les conseils de Yahwè et retenant par ses prières
le fléau prêt à tomher sur Israël. Yahwè lui avait fait voir qu'il
formait des sauterelles destinées à ronger le regain des foins après la
coupe du roi (1), et, une autre fois, qu'il allait déchamer une séche-
resse telle que l'abîme souterrain, d'où proviennent toutes les eaux
terrestres, celles des puits et des sources, des rivières et des fleuves,
celles des océans même, allait se tarir (2). Mais Amos, saisi de pitié
pour Jacob-Israël qui est déjà si mesquin, supplie Yahwè de par-
donner et Yahwè, « se repentant » de ce qu'il avait projeté dans
sa colère, cède aux solhcitations désintéressées de son confident
et annonce qu'il ne frappera point. C'est peut-être à ce'te solli-
citude pitoyable pour Israël, que Yahwè avait voulu éprouver
par la vision des malheurs qu'il préparait, qu'Amos fut en quehjue
sens redevable de la mission que son Dieu allait lui confier.
Elle lui fut confiée simplement, sans grande vision inaugurale, on
dirait volontiers « sans phrases ».

Yahwè m'a pris de derrière mes moutons,


Et Yahwè m'a dit :

- « Va prophétiser à mon peuple Israël » (vu, 1.5).

Et c'est tout. Mais autant cet appel est simple autant il est irrésis-
tible. A la voix de Yahwè qui retentit au dedans de la conscience de
ce croyant convaincu et ardemment pénétré d'un désir de dévoue-
ment nouveau prophète sent comme une impulsion instinc-
total, le
tive qu'il ne saurait réprimer. C'est en lui quelque chose de sem-
blable à ce frisson de peur vague et intolérable qu'il a senti courir sur
sa chair lorsque, gardant son troupeau, il a entendu rugir le lion

sans pouvoir deviner d'où le fauve invisible allait s'élancer :

Le lion a poussé un rugissement.


Qui n'aurait peur?
Le Seigneur Yahwè a parlé,
Qui ne prophétiserait? (m, 8).

Cette impulsion irrésistible caractérisait déjà la prise de possession


des nàbhis par l'inspiration. Une musique d'un certain rythme, le

spectacle d'un groupe d'inspirés jetaient aisément les professionnels


du corybantisme religieux dans une crise contre laquelle ils ne

(1) Ani., vu. 1-3.

(2) Ain., vu, 4-6.


222 iu:vi K umiiniK.

pou\ni(Mit so (Irfentlrc. S.ii'il csl nii cxcini»!»' de celle impuissance à


résistoi- ù l'accès ilu d(''lito ()i-()plu''ti(|iii'. M;iisavec un cai'aclère
analogue d'iri'ésistibilité, comhieu linspiration est ici à l.i l'ois plus
iuitnatéi'ielle dans son moyen, plus noble dans sa source, plus
diune dans ses manifestati»)ns et, il laut ajouter, plus eflicace dans
son action !

Amos, en ellel. uo tarda pas A se (lii'ii:;"cr vers Israël pour s'y laiie,
au nom de Yali\\«'. le censeur de la tlécadence morale et religieuse,
le docteur de la Providence, le prédicateur du retour au yahwéisme

traditionnel, le messairei- menaçant des malheurs prêts s'abattre <à

sur Israël impénitent et dont quelques promesses de restauration


lointaine ne suflisaient pas à atténuer la sévérité.
On imagine aisément 1 émoi soulevé dans les milieux
([uel dut être
])opulaires par l'intervention d'Amos. Là régnait un ritualisme géné-
reux et démonstratif qui ne s'accommodait guère de considérations
religieuses dont il eût été plus gênant de s'inspirer dans la conduite
de la vie qu'il ne pouvait l'être d'offrir un sacrifice bien ordonné
suivi d'un festin sacré co])ieux et gai.Le sentiment de la suprématie
politique, ne souffrait pas volontiers le rappel de
d'autre part,
l'union nationale sous l'hégémonie de la dynastie de David, car Juda
n'était alors qu'un allié, pour ne pas dire un vassal, cà qui Israël
reconnaissait surtout le droit d'obéir et de garder son rang. Aussi les
protestations ne manquèrent-elles pas contre une manifestation jugée
fort intempestive. Dans les sanctuaires, pèlerins, saciificateurs, prê-

tres s'élevèrent à Fenvi contre les remontrances du prophète. Les


grands se moquèrent sans doute d'abord des invectives de ce rustre
sans élégance, mais ils finirent par se sentir agacés. Les milieux
politiques, sans attacher une importance excessive à ces appels à
l'union et à ces sombres prédictions que les nàbhîs avaient trop
multipliés pour qu'on ne s'y accoutumât i)as un peu, les jugeaient de
nature à ébranler l'estime de la population pour le pouvoir et à
éneiver sa confiance aux destinées nationales, deux sentiments indis-
pensables à l'existence paisible d'un peuple. Les serviteurs de Yahwè,
par contre, devaient saluer avec joie l'apparition de ce champion
courageux et éloquent des droits de leur Dieu; ils écoutaient avec
ferveur sa prédication, répétaient, collectionnaient ses poèmes et ses
sentences, car, pour eux, tout cela était la parole même de Yahwè.
Les adversaires d'Amos ne pensaient pas ainsi. Il leur arriva sou-
vent de riposter. Ils cherchaient surtout à embarrasser le prophète en

luidemandant la preuve qu'il tenait sa mission d'en haut, car les


Hébreux exigèrent toujours des signes de ceux qui prétendaient
MÉLAN'GES. 223

parler au nom do la divinité. Amos ne s'embarrassait i)as pour


répondre. Élie prouvaient lorigine divine de leur mission en
et Elisée
Taisant des miracles. Amos n'en lit pas, que nous sachions. Pour lui,
le grand miracle qu'il ne jugeait pas que l'on pût récuser, cétait sa
propre vocation au prophétisme, à lui qui n'était nullement en rap-
ports de confrère ni avec les nàijhis professionnels ni avec leurs
«lisciples.

N'est pas prophète qui veut. Aussi, puisqu'il prophétisait, c'était


la preuve irrécusable que Yaliwèl'inspirait. Dans les discussions sur
ce sujet, ilcoutume de rappeler, par des exemples tirés de son
avait
expérience de voyageur, de berger attaqué par les bêtes féroces ou
occupé à tondre des pièges, de contemporain du ne époque fertile en
alarmes, qu'il n'y a pas d'effet donc il ne soit aisé de découvrir la
cause. II disait :

Est-ce que deux hommes voyagent ensemble


Sans donné rendez-vous?
s'être
Est-ce qu'un lion ru^it dans le fourré
Sans tenir de proie?
Est-ce qu'un lionceau crie de son antre
Sans avoir rien pris?
Est-ce qu'un oiseau s'ab;it à terre

Sans qu'on ait mis d'appât?


Est-ce qu'un piège s'écarte du sol
Sans rien attraper?
Ou sonne-ton la trompette dans une ville

Sans que les gens tressaillent?


Ou arrive-t-il un malheur dans une ville

Sans que Yahwe en soit l'auteur?

Le lion a poussé un rugissement.


Qui n'aurait peur.'
Le Seigneur ^ ahwè a parlé
Qui ne prophétiserait? (iii. ;3-8),

C'était l'appel à la simple bonne foi de ses auditeurs. Amos était


trop conscient de la poussée intérieure contre laquelle il se sentait
incapable de lutter, trop pénétré de la certitude absolue que cette
impulsion tyrannique émanait de Yahwè, trop siir, par conséquent,
qu'il était un véritable prophète et qu'on devait le prendre au sé-
rieux,pour que, comme Jésus-Christ, « le Prophète )),^aiIlsi que disait
la foule,ou comme saint Paul, « l'Apôtre », ainsi qu'il s'appelait lui-
même, il n'eût pas ressenti quelque indignation contre les incrédules
peu empressés à s'incliner avec lui devant la réalité qui l'écrasait par
son évidence.
L'agitation qui naissait de sa prédication et de ces conflits ressem-
2-2\ 1U.\I K lUItl.inl K.

I>lait à celle (jui. [nès de huit sirclcs j)lns laid. (Ircoulcrail tic la |)ir-
ilication de saint Jeaii-liaptiste rt plus encore de celle du Sauveur.
El couime alors aussi, ce seront déjà les prôti'es (jui la dénonceront
aux pouvoirs publics, en en déi;a,i:('ant, peut-être à dessein, le cara<-
tcre antii;ouvernenientaI ou (In moins les consécpiences r;\ch('uses pour
le res[)ect dû Tautoritc. ;\

Le prêtre eu chel" de lîéthel, f;ros personnage du nom d'AinasN.-^, se


lit un devoir d'avertir le roi .léroboam II qu'Amos, un .ludéen, fomen-

tait la sédition en {)lein territoire dlsraid, et que le l>ays, dont il

soulii;nait, eu tlatteur, le loyalisme, trouvait intolérables ses propos


révolutionnaires, car cet Anios n'annoncait-il pas la mort \ ioleute du
roi et la déportation d'Israd, en répétant, sans que rien le pût, ré-
duire au silence :

(Vest par le glaive que mourra Jéroboam


VA Israël devra partir en exil hors de son pays (vu, 11).

Comme la dénonciation du prêtre ne semblait nullement émouvoir


le prophète et que, au milieu même du sanctuaire de liéthel, il ful-
minait de plus belle ses reproches et ses menaces, Amasyâ, se mé-
[)renant sur son véritable caractère, et croyant avoir atl'aire à l'un de
ces nAbhis faméliques et mendiants dont parfois l'on avait peine à se
débarrasser, lui jeta ces paroles méprisantes : « Visionnaire, dépêche-
toi de filer au pays de Juda où tu pourras trouver ton pain en fai-

sant métier de nAbhi. Mais à Béthel, tu vas cesser d'y faire le iiAbhî.
Car c'est un sanctuaire royal et même un domaine de la couronne. »
Amos ne goûta nullement ces paroles où une déférence pincée, un
conseil impérieux, une patience à bout se mêlaient à la menace, et il
repartit :

Je ne suis pas un nàbhî. moi,


M un fils de nàbhî,
Mais je suis un berger
Et je pique aussi les sycomores.
Yahwè m"a pris de derrière mes moutons
Et Yahwè ma dit :

« \a prophétiser à mon peuple Israël. »

Eh bien, maintenant, écoute la parole de Yahwè.


Toi tu viens me dire : " Tu ne prophétiseras pas contre Israël !

Et tu ne distilleras pas tes oracles contre la Maison d'isaac! »

C'est pourquoi ainsi a dit Yahwè :

« Ta femme se livrera en pleine ville,


Tes ills et tes filles tomberont par le glaive,
Tes terres seront partagées au cordeau,
Et pour toi, c'est sur une terre impure que tu mourras.
Oui, Israël partira en captivité! (vu, 14-17). >-
MÉLANGES. 225

Un entend dans cette réponse véhémente un cri de fierté, de foi,


d'indignation. En traitant Anios de visionnaire et de nâbhi, Amasyà
de liéthel était moins injnrieux que dédaigneux. Prêtre en chef bien
rente du premier sanctuaire du royaume, il devait regarder de son
haut ce pauvre prédicant qui sentait encore le troupeau. Mais Anios
ne l'entend pas ainsi. Ce n'est pas qu'il relève avec mépris l'épithète
de nàbhi (jui lui a été gratuitement appliquée. Pour lui. les nAbhis

sont des yahwéistes fidèles et fervents que Vahwè n'a cessé, depuis
les origiûos de son alliance avec Israël, de susciter pour défendre la
foi traditionnelle contre les infiltrations païennes. iMais il sait que,
trop souvent, l'inspiration des nàbhîs est tout artificielle. La sienne,
au contraire, et c'est ce qu'il veut souligner, vient en droite ligne
et immédiatement de Yahwè. Comme le prêtre semble ne pas s'en
douter, c est ce manque de clairvoyance ou de
foi qui finit par le

fâcher. Et, tout berger qu'il est, ne craint pas de riposter, avec une
il

assurance hautaine, au premier fonctionnaire religieux du royaume,


s'affirmant, en cela, digne successeur de Nathan, de Michée ben-Yimlà,
d'Elie, d'Elisée qui n'avaient pas hésité à admonester des rois. Son ins-
piration le met au-dessus des dignités officielles, car, de même qu'il
ne peut lui résister, il ne saurait admettre que qui que ce fût lui fit
opposition. Les difficultés créées par Amasyâ ne servent qu'à exaspérer
son zèle et, non content de maintenir plus affirmative que jamais
l'annonce de la captivité d'Israël, il prédit au prêtre, pour lui faire

saisir l'indignitéde son indifférence à l'égard d'un prophète de son


Dieu, l'infortune la plus entière sa femme s'abandonnant publique-
:

ment aux entreprises de la soldatesque victorieuse et rachetant sa


vie par sa honte; ses enfants ég-org-és et. par suite, toute sa postérité
éteinte; ses propriétés partagées entre les amis des vainqueurs et
les colons étrangers, nouveaux maîtres du pays; lui-même enfin, le
prêtre méticuleux sur le rituel et la pureté légale, déporté dans une
où toute sa vie lui semblera vide et indigne, car il ne
terre lointaine,
pourra plus offrir de sacrifice et se sentira sans cesse polhié par
l'impureté de cette terre païenne.
Béthel ne fut sans
doute pas la seule ville où Amos porta le
message de Yahwè à son peuple. Ce qui nous reste de ses prédica-
tions donne au moins l'impression qu'il parla dans des milieux assez
divers. Les apostrophes aux grands de Samarie et à leurs dignes
épouses, par exemple, pourraient fort bien avoir été lancées au sein
même de la capitale orgueilleuse et dissolue. Mais l'incident de
P.éthel, en mettant en évidence l'hostilité du peuple et des prêtres à
tout mouvement de réforme, dut accentuer les doutes qu'Amos pou-
liiJMt: Binj.ioiE 1917. — n. s., t. .\i\. j-,
•i-2f> jŒViiK iniu.ioi i:.

vait (Ifjà concevoir mit rcriicacit/' de sa mission. Son possiniismc


ilcviat pins sombrr. Dans ses visions, «elle du niveau <|im' Yaliwr
tient à la main pour s\ inholisci- «• ([uc les liauls-litux d Isaac et les

sanctuairos dlsi'arl allaient èti-e dévastés ), rasés, niNcIfs et (jue la


dvnastie ilc .léroboam sérail écartéeit), celle aussi des fruits Irais
dont le nom héhrcu {ga'f's) rappelait à l'oreille la lin de tout

içés) (2), le prophète n'intervient plus par une ])rière ]>ressante en


faveur d'Israël et Yalnvè appaiait comme décidé à ne j)lus reve-
nir sur sa décision. Peut-être qu'en face d'une hoslililé aussi gé-
nérale, Amos se résigna ;\ cesser sa prédication et à regagner
Teqoa et son troupeau.
Mais son actionne prit pas fin pour autant. Le souvenir de sa vail-
lante intervention demeurait vivacc. Plus encore, ses fortes paroles
restaient présentes à la mémoire de ceux qui y retrouvaient l'expres-
sion de leurs propres pensées. On aimait à les réciter; plusieurs furent
peut-être assez tôt contiées à l'écriture. Mais ni la mémoire qui
oubliait parfois, ni l'écriture qui se ret(^uchait, ne les conservèrent
toujours dans leur })arfaite intégrité. Quand on finit par compiler les

pièces du que nous possédons aujourd'hui,


recueil et rien n'em- —
pêche de penser qu'Amos la fait lui-même, mais rien non plus n'o-
blige à le croire, — plusieurs se trouvaient déjà tronquées; leur suite
ne pouvait guère être que logique ou accidentelle, puisqu'on ne se

souciait plus, si même on s'en souvenait encore, des circonstances de


leur composition; et il s'y était glissé des remaniements légers
auxquels du reste d'autres aussi peu importants vinrent s'ajouter par
la suite avant que l'on ne fixât à tout jamais la teneur définitive du
texte. Mais ni ces transpositions accidentelles, ni ces retouches super-
quelques lacunes regrettables qu'elles produisent dans une
ficielles,

connaissance que nous aimerions à sentir [>lus complète, ne nous


empêchent pourtant de saisir les idées du prophète. En y mettant la
réserve qui s'impose dans ces synthèses où nous avons la certitude
que des éléments nous manquent, nous pouvons essayer de dégag-er
les idées morales et religieuses d'Amos et, par l'indication de leurs
rapports mutuels, tâcher de reconstituer sa doctrine à peu près telle
qu'elle se trouvait organisée dans son esprit.

(1) Âm., vu, 7-9.

(2) Akt., viu, 1-3.


MÉLANGES. 227

II. — LA DOCTRIXE.

semble qu'elle pourrait se ramener essentiellemeut à l'affirnia-


Il

tion que Yahwè est sans doute le Dieu d'Israël, mais un Dieu moral et
universel. A vrai dire, cela n'était pas une vérité de tous points
nouvelle, comme on la parfois prétendu. Les milieux yahwéistes
y
croyaient déjà avant Amos, et si l'on n'en trouve pas à l'époque pré-
cédente des traces aussi profondes qu'il serait à désirer, la faute en
est, pour la plus grande part sans doute, à notre pénurie de docu-
ments. Ceux que nous possédons, toutefois, en présentent une
ébauche rudimentaire dont on dégagerait sans peine les principaux
traits (1). Mais il reste qu'Amos lui a donné une expression plus com-
préhensive, plus explicite, plus nette. Il n'a pas eu à introduire la

morale dans yaliwéisme, caries meilleurs des serviteurs de Yahwè


le

l'y voyaient avant


lui. Il a seulement affirmé qu'elle y tenait une

place prépondérante, fondamentale, et, passant tout de suite à l'ap-


plication, il s'est évertué à démontrer à la masse du peuple que, en
s'obstinant à ne l'y pas reconnaître, on allait à la rupture de l'an-
tique alliance d'Israël avec Yah^^è et, conséquemment, à la ruine
nationale définitive.
Là même où Amos se rattache le plus manifestement aux pensées
religieuses de ses devanciers, cette préoccupation morale se fait jour.
Pour lui comme pour eux, Yahwè est le créateur et le maître du
monde; il dispose à son gré de ce monde qui est son domaine; il y
produit les phénomènes qui se déroulent avec ordre, telle l'alter-
nance du jour et de la nuit, et ceux qui apparaissent comme des
cataclysmes imprévus, tels les raz de marée et les tremblements de
terre. Seulement, si Yahwè est le Dieu créateur qui agit, comme en
se jouant, dans le monde, il y a, de plus, à l'action de Yahwè, des
motifs d'ordre moral. Lorsqu'il emploie les forces de la nature, c'est
afin de s'en servir comme moyen de répression d'une faute morale.
Aussi est-ce plutôt aux forces pernicieuses qu'il a recours. Il forme
des criquets, il dessèche les sources les plus profondes de l'eau ter-
restre, il secoue la terre et amène la peste. Rien ne lui résiste parce
qu'il est le maître absolu, mais il dirige tout vers la réalisation de
ses desseins moraux.

Cette action transcendante et morale apparaît surtout dans les

(1) Voir en particulier les récits relatifs à Klie et .i Elisée, 1 Rois, x\ii-I[ Rois, xi.
dont la rédaction définitive pourrait avoir été faite du temps de Jéroboam II.
2-2S HLVl'K HlhLIUl'K.

rapports (jui s'établissent entre Yahwè et les nations. Ici Anios, eu


roi)r<Miant les idées courantes dans Ic^ inilioux yahwéistes et parli-

culi^renient chez les confréries de nAhhis, les élève encore, les i;éné-
ralise davantacçe, et ionjonrs en appnyantsur leurs éléments moraux.
Yahxvé n'exerce pas seulement son empire sur Israël, il l'exerce
aussi sur les peuples païens, moins sur ceux qui se trou-
à tout !•'

vaient dans riiorizon d'Amos et qui. en raison do leur voisinage


avec les Hébreux, sont entrés, au cours de l'histoire, en relations
amicales on hostiles avec eux. Les Philistins, par exemple, ces pre-
miers oppresseurs d'Israël, et les Araméens, dont il y avait alors peu
de temps que Jéroboam II avait réussi à secouer définitivement le
joug\ c'est Yahwè qui a présidé à leurs migrations tout comme à
celles des Bcnè-Israël :

N'ai-je pas fait sortir Israël du pays d'Kgypte,


Les Philistins, de Caphtor et les Araméens, de Qir ? (ix, 7 b).

Puis il les a établis auprès de son peuple, moins peut-être, il est

vrai, par amitié pour eux, que pour avoir sous la main, en eux, un
moven de et un instrument de vengeance contre Finfidé-
correction
lité des siens. C'est lui aussi qui appellera un peuple autrement
redoutable dont le nom n'est pas même prononcé par Amos mais en
qui les auditeurs du prophète comprenaient bien qu'il s'agissait des
xVssyriens, le cauchemar des petits États de la Syrie à cette époque;
par les défaites, les outrages, les massacres, les déportations, les
ruines, ils vont accomplir une œuvre vengeresse telle que Vahxvè
n'en a pas encore réalisé de semblable en Israël.
Yawhè n'utilise pas seulement ces peuples pour
ses lins, il juge de

plus leurs actes. Car morale qui doit être en vigueur


il existe une loi

même au delà des frontières Israélites. Les peuples la connaissent;


s'ils l'enfreignent, ils auront à expier leurs transgressions; Yahwè se

réserve la double tâche de surveiller leur conduite morale et d'en


réprimer les écarts. Amos énumère avec quelque solennité leurs
nombreux forfaits (1). Les Araméens du royaume de Damas ainsi cjue
les Benè-Ammôn ont rivalisé de cruauté dans leurs empiétements sur
le Gilead israélite. Tyr et la Philistie se sont fait comme une spécialité
d'approvisionner do leur marchandise humaine les marchés d'es-
claves d'Aramée et d'Édom en razziant et en dépeuplant des villages
entiers. Les Édomites. oubliant la parenté antique qui les lie aux
Hébreux, ne cessent de les harceler de leur haine. Les Moabites enfin

(1) Am., I, 3-II, 3.


'

MÉF.ANGES. 220

ont commis l'atrocité inouïe de calciner les ossements du roi d'Édom,


tourmentant ainsi leur ennemi jusque dans l'au-delà. Quelques-uns
de ces crimes avaient eu Israël pour victime, mais non pas tous. Aussi,
ce que poursuit Yahwè en les châtiant, n'est-cepas de tirer des repré-
sailles pour une injustice envers son peuple choisi, mais de sauve-
gardoi- l'inviolabilité de la loi morale qui régit tous les peuples, en
réprimant commises contre elle. Le châtiment qu'elles
les infractions
ont provoqué est décidé; Yahwè ne le révoquera point. Un feu dévas-
tateur allumé par la guerre étrangère ravagera les capitales et lés
places fortifiées, il fera s'eiïbndrer les châteaux fastueux et bien
défendus, carbonisera les portes ferrées, tordra les barres qui les
assujettissaient et, « au cri de guerre du jour de bataille, comme en
la rafale du jour d'ouragan », les rois, les princes, les gouverneurs,
beaucoup d'habitants seront exterminés et les survivants, laissant
leur pays désolé, prendront le chemin de la captivité. Le châtiment
est à peu près le même pour tous et l'Assyrien en sera l'instrument
universel.
Pourtant, que soient ces peuples, il semble bien
si criminels
qu'Amos ne les juge pas aussi coupables que les Hébreux. Quand il
veut contundre la perte de tout sens moral chez les grands de Sa-
marie, il demande que Ton convoque à la colline où trône la glo-
rieuse capitale dépravée les châtelains d'Assyrie et d'Egypte (1), et ces
païens qui ne se recommandent pourtant pas par une vertu bien
farouche, seront frappés de stupeur à la vue des troubles et des actes
d'oppression qui s'y accumulent. C'est que ces étrangers, gardant
encore en eux une certaine connaissance et un certain respect de la
loi morale, auront peine à comprendre que des hommes puissent se

ravaler à un degré aussi bas d'immoralité. Tout païens qu'ils sont,


ils peuvent se comparer aux Israélites; ils peuvent même les juger,

Et ainsi, par un renversement déplorable, le peuple choisi du Dieu


moral n'atteint même pas la moralité élémentaire des peuples qui
n'adorent pas ce Dieu.
Ici se reconnaît, mais notablement plus accentuée, l'idée que l'on
se faisait des étrangers dans les milieux yahwéistes, dès avant l'ap-
parition de la grande prophétie. Désormais on ne les envisage plus
avec le même mépris, la même horreur qu'autrefois. A la suite des
relations suivies que la politique, les guerres, le commerce, les
voyages avaient établies entre eux et Israël, on finissait par voir
qu'ils n'étaient pas dépourvus de toute qualité. On pouvait déjà

(1) Am., III, !i, 10.


2:{0 IIKM E IMHI.K.U'i:.

etiiiiptoi- p.u'ini tnix (|ii('K|iii'S drxots sc'r\i(ours de \ali\\»' 1); on


espérait (jiie le noinhre en pourrail aller croissant jus<|u'à établir un

jour une sorte de \ali\véisuie univeisel. Les liarrières élevées par la


foi jaK)Use et égoïste ilu peuple entre Valiwé et les panons s'ahais-

saient proi^ressivement. Non seulement Valiwè les surNcille et les

châtie, ce (pii découle de sa nature, mais eux-u«èmes, par un


reste de sens moral, se rapproelient de lui i)lus que les Israélites cor-
rompus. I,a nalionalilé pure el simple perdait de plus en plus, aux
veux des yahwéistes, l<'s prérogatives religieuses exclusives dont
elle se targuait eiieor(^ dans l'estime des milieux populaires. On
s'acheminait vers lidée que ra[)partenance à Yahwè reposait en
déjinilivc exclusivemeut sur des qualités morales on iaj)|)ort avec la
nature morale de Dieu.

La religion, toutefois, n'était pas encore près de se dégager entiè;


rement des entraves de la nationalité. C'est saint Paul qui formulera
avec netteté et non sans froisser des préjugés tenaces, que, dans Tordre
nouveau, il ne doit plus être parlé de distinction entre Grec et Juif,
circoncis et incirconcis, Barbare et Scythe, esclave et homme libre.
Mais môme pour lui les Juifs ont une faveur de priorité dans la par-
ticipation et la dispensation de la doctrine du salut, car, selon le mot
de Jésus-Christ dans l'évangile selon saint Jean, « le salut vient par les
Juifs ». C'est encore à ce second point de vue surtout que se placent
et que s'arrêtent les prophètes tels qu'Amos. Et Ton interprète de
manière erronée une parole de ce dernier :

IN'étes-vous pas pour moi comme des Couschites, ô Benè-lsraël? (ix., 7),

lorsqu'on lui fait dire que pour l'affection et la providence de Yahwè


les Couschites sont sur le même plan que les Israélites. En réalité, ce

ne sont pas les Couschites qui sont élevés au rang des Benè-lsraël,
mais les Benè-lsraël. devenus infidèles aux clauses de l'alliance sur
laquelle repose tout le yahxvéisme, qui sont rabaissés au rang des
Couschites, ces nègres d'Afrique et d'Arabie, à peu près aussi dédai-
gnés par le monde sémitique d'alors que les hommes de couleur par
les yankees de notre temps.
Car Israël demeure pour Amos comme pour les contemporains de
Déborâ, quatre siècles avant lui, le propre peuple de Yahwè. Yahwè le

(1; Voir à ce sujet Ihisloire de la guérison et de la conversion de Naaman,


général
araméen. Cet épisode est empreint d'une largeur de vue religieuse bien remarquable.
II Rois, V.
MÉLANGES. 231

nomme affectai usement « mon peuple » et,pour rappeler aux Israélites


leurs spéciales obligations envers lui, il ne craint pas de leur dire :

Il n'y a que vous que j'aie reconnus miens


Entre toutes les fauiiiles de la terre (in, 2).

Les Benè-lsracl sont donc avec Yahwè dans un rapport unique;


eux seuls, comme peuple, ont le droit de le déclarer leur Dieu, et c'est
d'eux seuls que Yahwè attend un culte, un culte exclusif et conforme
à ce qu'il a lui-même prescrit par l'interniédiaire de Moïse et des
autres prêtres ou prophètes qui lui succédèrent.
Cette union étroite des Israélites et de Yahwè remonte dans son
principe à Valiwè qui n'a oublié aucun des bienfaits propres à s'at-
tacher particuhèrement ce peuple. Il les a arrachés à l'oppression
(\eyptienne, les a aidés à traverser un désert hostile, leur a ouvert
et donné une terre qu'une peuplade gigantesque et redoutable oc-

cupait; il n'a cessé enfin d'envoyer ses serviteurs les plus zélés pour
défendre son i)euple contre les séductions des cultes païens.

ï]t moi j'ai anéanti devant eux les Amorrhéens


Qui étaient aussi hauts que des cèdres
Et aussi robustes que des chênes;
En haut j'ai anéanti leurs fruits,
Et en bas leurs racines.
Moi, je vous ai tirés du pays d'Egypte
Et je vous ai, quarante ans, guidés dans le désert
Pour faire la conquête du pays des Amorrhéens.
Parmi vos (ils j'ai suscité des nâbhis
Et parmi vos jeunes gens, des naziréeus.
N'en est-il pas ainsi, ô Benè-Israël? (il, 9-11).

Yahwè. dans cet échange de bienfaits et de gratitude, avait fait les


avances; car il existait et, Dieu réel, aurait subsisté
avant son peuple,
même sans les adorateurs de choix qu'il avait voulu s'attacher. Son
existence, indépendante de celle de son peuple et antérieure à elle,
ne peut donc pas lui être subordonnée. De là deux principes de la
première importance dans la doctrine religieuse d'Amos Vahwè est :

transcendant par rapport à son peuple et ne risque pas de disparaî-


tre même si son peuple venait un jour à être anéanti, — et ^ahwè,
ayant, comme Dieu transcendant, pris en maître absolu l'initiative de
l'alliance avec Israël, a primordialement le droit d'en fixer lui-même
les conditions.

Or sur ces principes et sur les conclusions qui en découlent, les


contemporains d'Amos sont, en grande partie, dans Fer-
Israélites
232 REVUE lUHMOUE.

renr <>t dans rillusion. Ainos voiulrnil les dôti'ompor el l<'s ('clairor.

lsra('l, en jn'oiiiici' lieu, s'imaciiie plaii'i' A son Mi(Mi \y,\v la pro-


fusion (le ses ollraiulcs. On sail à (jnol i-itiialisnie ellrénr se i-éduit,
;\ cette époque, prestpic foute la relii^ion du pcniple el des prêtres.'
Que l'on soit heureux, riche, au couliaii'e. i'i'apjié par
\iet(>rieu\, ou,
les fléaux qui déciment les hommes, ravagent les froujieaux et dé-
vastent les récoltes, on ne songe qu'à s.icrilier au Dieu, dans la pros-
périté pour qu'elle dure, dans l'inloi-tunc pour qu elle cesse. Nahwè
n'est uuére ([u'un distrihuteur de hienlaits, tantôt libéral, tantôt par-
cimonieux, toujours un peu énit:matique et capricieux. On t;\che de

taire pour \c mieux de le contenter et l'on ne son^e pas qu il


afin

y ait rien ipii lui plaise davantage ou l'apaise plus vite que des vic-
times nombreuses et choisies.
Mais, en réalité, cette profusion de victimes, ces rites bruyants,
cette joie dissolue, ces pratiques licencieuses,^ahwé ne les a jamais
demandés. Ce nest point là le culte qu'il a fixé lui-même alors qu'au
désert il dictait à son peuple choisi les conditions de leur alliance
et la la^on dont il se plaisait à être servi. Personne n'a le droit de
transformer ainsi ou plutôt de déformer son culte. Puisqu'on ne
lui donne pas ce qu'il demande, il n'accepte pas ce qu'on lui offre;

un empressement mal com])ris est une désobéissance :

Je hais vos fêtes, j'en fais (i


;

Je ne puis sentir vos assemblées religieuses.


M'ollViriez-vous des liolocaustes,
Vos offrandes, je n'y trouve nul plaisir,
Vos immolations de veaux gras, je ne les regarde même pas!
Débarrasse-moi donc du brouhaha de tes cantiques;
Que Je n'entende plus les mélodies de tes nébels!
Des sacriûces et des offrandes, m'en avez-vous présenté
Dans le désert, quarante ans durant, ô Maison d'Israël? (v, 21-25).

trompés en donnant au culte un dévelop-


Si les Israélites se sont
pement et des rites étrangers au yahwéisme primitif, c'est qu'ils
n'ont pas compris —
et c'est une seconde erreur que ni l'inté- —
l'êt de Yahwè, ni leur propre intérêt à eux ne constituent l'essentiel

du yahwéisme. Vahwè ne les a pas choisis entre tous les peuples


pour recevoir des victimes plus abondantes et plus grasses; les
fondateurs du yahwéisme ne se sont pas uniquement préoccupés
de leurs richesses et de leurs victoires. Mais une pensée morale a,
tout à la fois, inspiré Vahwè et guidé les ancêtres. Au lieu des ruis-

seaux de sang qui coulent des victimes égorgées et pantelantes,


MÉLANGES. ^:î-5

Il vaudrait mieux faire rouler des flots de droiture


Et faire de l'intégrité un intarissable torrent (v, 24).

Au lieu de courir aux sanctuaires, il vaudrait mieux u cliercher

Yahwè ». Car les sanctuaires sont détestés de Yahwè à cause du


culte dégénéré qui lui y est rendu ils seront ;
même ruinés dans la

débâcle générale, bien loin de pouvoir procurer le salut à ceux qui


comptent aveuglément sur eux. Si l'on veut « vivre ->, c'est-à-dire
sauvegarder l'indépendance nationale et subsister comme un peuple
victorieux et prospère, il qu'un moyen efficace qui est de
n'est
« chercher Yahwè » lui-même. Et de même que « chercher Yahwè »
par l'oracle, comme on aimait à. faire jadis, impliquait la détermina-
tion préalable de suivre par les sorts sacrés, de même
l'avis fourni

aujourd'hui, « chercher Yahwè », c'est apporter dans la vie reli-


gieuse non pas l'unique ou du moins le prédominant souci de son
bien-être et de ses intérêts, mais avant tout une décision sincère et
profonde de chercher à découvrir la volonté, les désirs, les desseins
de Yahwè pour y conformer ses aspirations personnelles et régler
sur eux l'ensemble de sa conduite. La vraie religion n'est donc pas
dans un vain empressement formaliste inspiré par des vues humaines
qui, dans le fait, sont erronées, mais elle est dans la conformité à la
volonté de Yahwè cherchée, connue et embrassée avec ardeur :

Cherchez-moi donc —
dit Y'ahwè — et vous vivrez.
Mais ne cherchez donc pas Béthel,
N'allez donc pas au Gilgal,
Ne pérégrinez donc pas jusqu'à Bersabée.
Le Gilgal, mais on le déportera;
Béthel (maison de Dieu) deviendra uue(Beth-)a\ven (maison d'iniquité) (v, 4.5).

Or à celui qui ne se borne pas à fréquenter ces sanctuaires de


l'égoïsme mais qui « cherche Yahwè », il apparaîtra que la première
et fondamentale volonté de son Dieu, c'est que le yahwéistc fidèle
accomplisse les prescriptions de morale. C'était déjà
la loi la pre-
mière condition posée par Yahwè à l'antique alliance. Car il avait

bien, à la vérité, dit aux Hébreux :

Il n'y a que vous que j'aie reconnus miens


Entre toutes les familles de la terre (m, 2 a).

Mais pour montrer que, nonobstant sa qualité de Dieu d'Israël, il ne


s'engageait pas à prendre toujours et à l'aveugle le parti de son
peuple, et que les Henè-Isrard devaient, non seulement comme tout
autre peuple, mais, en raison de leurs rapports spéciaux avec lui,
Î3i IIKVL'K UlHLIun..

plus que tdul aiitrr |)oii|)lt\ suivro 1rs iinlicitioiis île l;i loi iiioi-alo,

il ajoutait aiissitcM :

A oil.i i)»>ui(|ii<>i jf vous (lt'inaii(lei;ii cumple


Ht' loiiles vos iiiiqiiitt's (ni. 1' b;.

Ainsi, |)rotéi;ei\ certes ^all\^^ s'y cnj^a^c puis((uo Israël est son
|)eu[)le. Mais oliAtitM', il s'y résoudra. Ir cas échéant, sans partialité,
quoi(pio lsra(*l soit son |>eupl(' ou niicux puisijiril ost sou [)eupl(v On
ne saurait dire plus foi-trincut (pu> Vahwr, de par sa nature, est un
l>ieu moral
et (pie, par suite, ceux qui ic servent sont ol)ligés de lui

l'cndro un culte approprié sa nature, c'est-à-dire consistant en


;\

première lii;iie à honorer, j)ar une vie conforme à la morale, la


nature murale de Uieu.
Aussi toutes les réciiminatious d'Amos contre l'injustice et la
dépravation des lirands. toutes ses e.xliortations à la [)ratique de la
justice, de l'honnêteté, de la retenue, de la hienveillauce à l'égard
des déshérités, ont -elles pour but de propager moins une morale
plus épurée qu'une religion mieux comprise. C'est au point que le
Bien et Yahwè s'équivalent en quelque mesure et que chercher l'un
ou l'autre aboutit en détinitive à la môme promesse de salut et de
vie :

(Ihercliez le Bien et non le mal


Aûn que vous viviez,
Et alors Yahwè, Dieu des armées, sera avec vous
Comme vous le prétendez (v, 11).

C'est pour avoir écarté cette conception morale de leur alliance


avec Yahwè que les Israélites, pensant toujours à leur ])roprc inté-
rêt et à leur gloire nationale, s'imaginent, enhu, qu'ils sont le pre-
mier des peuples et qu'un jour viendra où Yahwè, ressaisissant
énergiquement le pouvoir qui, dans les temps présents, parait par-
fois lui échapper, triomphera définitivement de ses ennemis et unira

à sa victoire son unique peuple choisi, Israël. Il ne faut pas mécon-


naître qu'il y a au fond de ces rêves nationaux une foi et une espé-
rance inébranlables et que, si l'orgueil national est une qualité
assez commune des peuples, les Hébreux lont, en fait, possédée
plus que d'autres : la ténacité de leur patriotisme servit l'accom-
plissement de leur destinée religieuse. Mais Amos, qui tient comme
tout Hébreu à l'avenir de sa race, tâche de désillusionner les Israé-
lites en leur montrant combien, pour se tromper sur la nature des

liens qui les attachent à Yahwè, ils risquent de voir s'effondrer leurs
plus chères espérances.
MÉLANGES. 235

Moralement, d'abord, dans sa masse ou plutôt dans ceux


Israël,

qui se targuent d'eu être l'élite, ne vaut pas les autres peuples.
Ceux-ci, comme on vient de le voir, possèdent encore, au fond d'eux-
mêmes, cette lumière de la conscience qui n'assure pas tous les pas
dans la voie droite, mais qui, du moins, permet de distinguer si on
ne sont pas des justes, ils savent reconnaître les pécheurs;
la suit. S'ils
et si le prophète les convoque à Samarie, c'est pour opposer leur
sens moral sinon leur conduite à la dépravation radicale des grands
du royaume, incapables désormais, vu leur endurcissement, de dis-
tinguer le bien du mal.
Politiquement, au surplus, de quoi Israël peut-il sérieusement se
gioritler? Pour deux victoires remportées sur les Araméens, l'une à
Lôdhebhar, Qarnaïm, deux villes du Gilead, il s'est laissé
l'autre à
aller à un vanté de les avoir gagnées par sa propre
sot orgueil et s'est
force. Mais qu'est cela au regard des conquêtes de l'Assyrien, le
vengeur déchaîné par Yahwè? Israël a reconquis deux de ses villes.
L'Assyrien, lui, lui enlèvera son territoire tout entier « depuis l'entrée
du chemin de Hamath jusqu'au torrent de la 'Arâbà » et il l'oppri-
mera lourdement dans son pays asservi (1). Les Israélites s'enorgueil-
lissent de leur royaume, qui, dans cette Syrie morcelée à l'excès,
n'était en effet pas l'un des plus petits. Mais il n'en manquait pas qui
le valaient :

Passez à Calnè et voyez,


Allez de là à Hamâth la Grande,
Puis descendez à Gath des Philistins.
Valez- vous mieux que ces royaumes?
Votre territoire est-il plus vaste que le leur? (vi, 2).

Et si ces royaumes n'échapperont pas à la ruine qui les menace en


menaçant toute la Syrie trop peu sage pour aller au-devant de la
suprématie assyrienne, quelle est la folie d'Israël qui se berce du
vain espoir de ne pas être contraint à partager leur sort!
Sans doute c'est qu'Israël, se sentant le peuple de Yahwè, envi-
sage ses humiliations comme passagères ;
ne peut se faire à l'idée
il

d'une ruine totale et définitive; au u jour de Yahwè » le Dieu triom-


phera dont la destinée est liée
et lui, nécessairement à la destinée de
son Dieu, nécessairement aussi participera à son triomphe. Mais ici

que d'erreurs à CGnd>attre et que d'illusions à dissiper!

On se figure ce jour attendu, brillant d'une lumière éclatante et


splendide. Quel démenti complet apportera la réalité !

(1) Am., M, 14.


236 IIKVUE HIULIOl K.

Malheur a l'i'iix iini rri'l.imt'iU le jour de ^aliwc!


Que lui voule/.-vous ;ui jour (!< Yabwè?
Il est lénehres cl mm liiuiiérc,

Obscurité sans une liu-ur!


le leriii coucher le soleil à midi.
le plongerai la terre dans l'obscurité en plein |i)ur v. is. •_>()).

L«'S IV'tes rclig'ioiisos <l iiiic uaité si lniiyaiilc et dont «m se l'élicilail


(|ii'('llo.s gaiiiiaioiil ;ui ix'tiplc la raveur cl 1rs hiciirails de Valiwr,
céderont la place aux démonstrations du deuil le plus cruel:

,1e transformerai vos fêtes en deuil


Kt tous vos cantiques en lamentations.
Sur tous les reins je placerai le sac
r.t sur toutes les tètes je ferai raser les cheveux.
.l'en ferai comme uu deuil de lils unique,
Et, pour comme un jour voué à Tamerlume (vm,
finir, !»).

On escomptait pour ce Jour-là une héroïque et définitive victoire


Quelle désillusion il faudra subir I

Alors, point de lieu de retraite pour l'agile,


Le fort ne déploiera pas sa viiiueur,
Le vaillant ne sauvera pas sa vie,
L'archer ne tiendra pas pied,
Le coureur agile ne se sauvera pas,
Le cavalier ne sauvera pas sa vie,
Et le plus vaillant parmi les braves
S'enfuira tout nu en ce jour-là.
Oracle de Yahwè! (ii, 1 t-lG;.

On aimait à se déjieindre comme des jours enchantés d'amitié avec


Yahwè les temps qui devaient s'ouvrir par le triomphe du Dieu.
Combien la réalité sera différente de ce rêve de bonheur religieux !

Voici venir des jours, —


Oracle du Seisueur Yahwè! —
Où j'enverrai la disette sur ce pays,
Non pas une disette de pain
Ni une soif d'eau.
Mais d'entendre la parole de Yahwè,
On se traînera d'une mer à l'autre.

Onerrera du nord à l'orient


Pour chercher la parole de Yahwè,
Mais on ne la trouvera pas (vin, 11-14 .

Et ceux qui espéreraient encore pouvoir échapper aux malheurs


qui les assailliront de toute part, qu'ils sachent dès maintenant qu'ils
n'en éviteront un que pour tomber dans un autre où ils succomberont.
MÉLANGES. 237

Ce sera comme lorsqu'on fuit devant le lion,


Et qu'on rencontre l'ours :

Qu'arrivé chez soi on appuie sa main au mur,


Et qu'un serpent vous mord 'v, 19).

Ainsi « le jour de Yahwè » n'apportera aux Israélites que l'anéan-


tissement de leurs espoirs insensés et coupables. Usera pour eux tout
le contraire de ce qu'ils s'imaginaient qu'il devait être. En réalité
cependant il sera le jour de Vahwè ». Amos retient l'expression,
<(

formée par la piété populaire sans doute mais, selon un phénomène


;

fréquent dans les périodes de réforme religieuse, il y met un autre


sens que le sens courant. Yahwè triomphera donc, il n'en faut pas
douter, non toutefois comme Dieu national préoccupé avant tout
des destinées de son peuple choisi, mais comme Dieu moral décidé
à maintenir, par les châtiments les plus rigoureux, l'entière supré-
matie de la loi morale. Tous les malheurs qui, en ce jour redouta-
ble, fondront sur Israël ne seront que la peine de ses crimes et de
son long' et incurable aveuglement. Pour n'avoir pas voulu chercher
Yahwè lorsqu'il en était temps encore, il le perdra au jour des
rétributions finales, et, désormais en dépit des efforts pénibles qu'il
,

s'imposera pour le chercher, il sera condamné à errer misérable-


ment sans le plus trouver jamais. La loi morale triomphera par la

ruine de ceux qui ne se seront pas souciés d'elle.

Cette perspective désolante n'est pas sans émouvoir Yahwè. Il


demeure, malg^ré tant d'ingratitude et tant d'oB'enses, profondément
attaché à ce peuple qu'il s'est jadis gagné par des bienfaits signalés
et dont leg-arement le peine autant qu'il Tirrite. Aussi, avant de se
résoudre à frapper le dernier coup qui précipitera dans la destruc-
tion ceux qui n'ont pas voulu chercher le salut et la vie à leur
source morale, Yahwè s'applique -t-il avec patience et rudesse à
multiplier les avertissements. Les fléaux passagers, précurseurs de la
dévastation dernière, s'abattent à tout instant sur le pays. C'est une
disette générale, c'est le manque de pluie pendant les trois mois qui
précèdent lamoisson, c'est la pénurie d'eau qui oblige les habitants
exténués à entreprendre des courses épuisantes et souvent inutiles vers
les lieux qui, en possédant une réserve, la gardent jalousement. Puis

c'a été le vent d'est, la nielle, les sauterelles qui ont ravagé les céréa-

les, les jardins, les vignes, les figuiers, les oliviers. La guerre et la

peste se sont unies pour décimer les jeunes gens, espoir de la nation.
Les chevaux de la cavalerie et de la charrerie, les deux armes les plus
redoutables dans les combats, ont été pris par les ennemis. Des trem-
2:<s i!i;\i !•; luni.inn:.

blciiifuts (le t(M'i'i\ ("iilin. soûl venus r.ipin'lci- d uur J'açou uu'uucaulc
les antiijuos souvrniis de Sodiuuc cl do (louiori'lie, dôtruilos de l'oud

eu ionil)l(* à cuiso de leur iiii»iuitc. Mais tout cela a été inutil(>. ^.•lll\\••

a ou heau corriger les Israélites, ils uc se sout pas converlis; aj)rès

chaque Iléaii, avertisseuieut inutile, il pouvait leur réj)élcr « Kl :

vous n'êtes pas revenus à moi (l^î »


(Vest, en partie, que le peuple u a pas compris le sens des désastres
qu'il avait à subir, parce qu'il n'a pas l'intclli^'euce de la nature cl

des exigences de Yahwè. I*lus ^aln\è s'irrite contre lui, plus il le cliA-
tie, et plus le peuple, croyant apaiser [)ar des dons son Dieu cour-
roucé, multiplie les sacritices : par là il ne fait qu'accroîti'e encore ses
fautes. Ainsi, par suite de 1 inintelligence d'Israël, la mi'scntente
entre lui et son Dieu menace d'être irrémédiable.
coupable aussi, car le prophète est justement l'homme sus-
Klle est
citépar Yalnvè pour instruire le peuple ignorant du sens caché, de la
portée surnaturelle des événements. Lui, du moins, sait « voir »,
grâce à l'illumination de son esprit par Valiwè, ce que le vulgaire ne
voit pas. Aux événements naturels et politiques où beaucoup seraient
portés à ne distinguer qu'un accident, un jeu fortuit des forces de la
nature, un conflit inévitable des intérêts et des ambitions des peuples,
le propliète, en sa qualité de « voyant », attribue une signification
plus liante et une portée plus lointaine. Tout cela, en effet, c'est
Vahwè qui l'a produit et non pas seulement comme, sans doute, dans
la masse, beaucoup le pouvaient penser, parce qu'il est le maître do
la nature et des peuples, mais parce que, étant un Dieu moral, il n'agit
dans le monde que dans des vues morales. Un accident est un châti-
ment. Si l'on en est la victime, il ne suffit pas d'y reconnaître une;
intervention d'en haut, il faut y voir une intention moralisatrice et.

l'yayant vue, réformer sa conduite pour éviter le retour de sembla-


bles corrections. Le peuple est donc moins coupable de ne pas voir
dans un sens qui n'apparaît pas dès l'abord à des yeux pro-
l'histoire
fanes, que de ne pas se rendre a l'évidence quand les prophètes,
envoyés de Yahwè et interprètes de ses œuvres, lui en dévoilent la
signification profonde et véritable.
Et pourtant le prophète ne ménage pas les démarches, les répri-
mandes, les invectives, les exhortations pour élever l'esprit et la foi
des Israélites à l'intelligence, à l'acceptation de ce sens moral et sur-
naturel des choses. C'est là le but de sa mission; il v marche tout
droit et hardiment. Aux grands de Samarie il reproche leurs injustices,

(1) Am., IV, 6-11.


MÉLANGES. -209

leur mollesse, leurs débauches: à leurs femmes, leur dureté dame et


leur dévergondage; aux juges, leur partialité pour le riche et leur
uiépris des droits du pauvre; aux trafiquants, leur malhonnêteté et

leur âpreté au gain; à tous, leur endurcissement dans le péché, leur


aveuglement moral et religieux (1). Il ne craint même pas d'aborder
les foules et on l'a vu prêcher jusque dans le sanctuaire de Béthel,
au milieu des pèlerins surexcités par la ferveur et des prêtres empres-
sés à les accueillir. Le prêtre en chef, le gouvernement royal, la
population presque entière ne lui mesurent ni ne lui cachent leur
hostilité. Il l'affronte, il la brave, et, désespérant de pouvoir jamais
convertir peuple à ses vues, de censeur moqué et chassé il se fait
le

prophète de malheur.
C'est en effet toujours à la prédiction de malheurs proches ou
lointains que, devant l'incrédulité de la masse et son peu de dispo-
sition à se convertir, Yahwè à bout de mansuétude et le prophète
à bout de patience doivent presque nécessairement arriver. Ils ne
cèdent pas alors à un simple mouvement de colère contre l'indiffé-
rence et le mépris qui leur furent témoignés. A ce sentiment se
mêlent toujours un regret de la ferveur passée et un espoir plus ou
moins imprécis mais néanmoins tenace de sa restauration. C'est que
les lourdes menaces qui sont proférées, en dépit de l'absolutisme
apparent que leur confère un langage chargé de poésie et d'hyper-
boles, visent surtout les adversaires irréconciliables de Vahwè et du
prophète. Mais il de ceux qui sont voués à la
reste toujours, à côté
désolation, le groupe des yahwéistes sincères dont la fidélité per-
mettra à Yahwè de ne pas céder entièrement aux mouvements d'une
colère impitoyable et de relever un jour, en faveur et au profit de
accumulées par l'impiété du peuple.
ses élus, les ruines
Elles seront nombreuses. Rien de ce qui faisait l'orgueil de ce
peuple méchant n'échappera à la destruction. Mais elle semblera
s'acharner sur ce qui lui tenait le plus à cœur et en quoi il mettait
sa plus solide espérance de salut.
La richesse, le commodités de la vie, les rafliucments de
luxe, les
la table, toutes choses qu'un berger devenu prophète devait, par
attachement doctrinal et pratique à la simplicité primitive, double-
ment abhorrer, sont condamnées à disparaître.

Moi — dit Yalîwè — je déteste la splendeur de .Idcob :

Ses châteaux, je les hais ;

Je livrerai les villes et ce qu'elles coniiennent i^vi, 8^

(1) Atn., II, 4-8; V, 10-12; M, :M;: MU, 4-6.


•2io nKvi'i'; luiii.iori'.

Je buiisciilcrai maisons d'Iiivcr


Sur maisons d'oie.
Ce sera la lin lios palais incrustes d'ivoire
Et la ruine des palais inenislés d'ébene ^iii, 15).

On renversera la grande maison en monceau de ruines,


Kt la petite maison, en menus débris (vi. 11).

Vous avez bâti des maisons de pierres de taille.

Mais vous n'y babiterez pas.

Vous avez planté des vignes magnifiques,


Mais vous n'en boirez pas le vin (v, 11). •

La loice inililaiie, lindôpcndancc du royaume s'cllondrcront sous


les coups de l'onueini envoyé par Yaliwc pour accomplit' ses (l'uvrcs
de vengeance.

Voici que je susciterai contre vous, ô Maison d'Israël !



Oracle de Yahsvè. le Dieu des armées, —
Un peuple qui vous opprimera
Depuis l'entrée du chemin de Hamatli
Jusqu'au torrent de la 'Arabfi (vi, 14).

T.'ennemi investira ton territoire,


On te Fera tomber La force,

Od livrera tes châteaux au pillage (m. 11).

Voici les yeux du Seigneur Yahwè arrêtés sur ce royaume prévaricateur;


Je l'anéantirai de dessus la face de la terre (ix, 8).

Les sanctuaires que l'on avait tant aimé à fréquenter, où, dans
une folle joie, lourdement mépris sur le culte que Yahwè
on s'était si

attendait de dans lesquels enfin on voyait le palladitmi


ses lidèles,
invincible lié au sol qu'il devait protéger, les sanctuaires, et au
premier rang- Béthel, seront l'objet tout particulier de la fureur des-
tructrice de Yahwè.

Le jour où je châtierai Israël de ses crimes.


C'est sur les autels de Béthel que je les châtierai.
Les cornes d'autel seront taillées

El elles tomberont à terre (iii, 14).

J'ai vu le Seigneur debout près de l'autel.


Il a dit : « Frappe le chapiteau ;

Les seuils trembleront,


Et brise-les sur leur tête à tous » (ix, 1).

Enfin il faudra même quitter ce pays que Yahwè, aux jours bien
oubliés et bien changés de la première ferveur dans l'alliance, avait
donné à son peuple. Lui-même en chassera les habitants devenus
prévaricateurs et les c déportera par delà Damas ». Les longues et
MÉLANGES. 2'tl

tristes files de captifs, poussées rudement par leurs gardiens, s'ache-


mineront vers la terre d'exil, et les grands de Samarie, ces jouis-
seurs insouciants et prétentieux qui s'imaginaient être « la crème du
premier des peuples », ils seront encore, en vérité, au premier
rang qu'ils ambitionnaient, mais ce sera « au premier rang parmi les
déportés » (1).

Parvenus sur la terre étrangère, où Yahwè ne peut plus être


honoré par des victimes et des offrandes, puisque tout y est impur,
les exilés se sentiront dévorés par la soif de Yahwè, de sa parole,
de son culte; mais ils ne pourront ni l'assouvir ni même l'apaiser.
D'ailleurs Yahwè, bien loin de se laisser approcher et supplier par
ces infidèles, n'aura point de cesse qu'il ne les ait tous atteints et
exterminés.

Personne parmi eux ue se sauvera


Et aucun survivant ne s'échappera.
S'ils se glissent dans le scliéul,

Ma main les en repreudry.

S'ils montent au ciel,

Je les en ferai descendre.


S'ils se cachent au sommet du Carmel,
Je saurai les y trouver et les ressaisir.
S'ils se dérobent à mes yeux dans le fond de la mer,
J'ordonnerai au Serpent de les mordre.
S'ils s'en vont captifs devant leurs ennemis,
J'ordonnerai au glaive de les tuer.

J'aurai les yeux fixés sur eux,


Mais pour le mal et non pour le bien (ix, 1-4).

Alors c'en sera fait du peuple d'Israël. Il ne restera plus qu'à le

pleurer et à faire retentir les sanglots et les cris de la lamentation.


Le deuil sera général; il n'y aura pas assez de pleureuses profession-
nelles; tous seront appelés à pleurer.

Sur toutes les places s'entendra la lamentation,


Dans toutes les rues on dira • << Hélas! llélas! »

Oh convoquera le paysan pour le deuil,

Et, pour la lamentation, les pleureurs.


Dans les vignes mêmes éclatera la lamentation!
Car je passerai au milieu de toi.

Y^ahwè a dit (v, IG, 17).

Et, comparant Israël à une vierge morte, dont le deuil est des

plus tristes à cause de la ruine de sa beauté et de la postérité qu'elle

(1) Am., v, 27; vi, 7.

REVLE B1HLIQIE 1917. — N. S., T. XIV. IG


•2i2 m;\ 1 1; iUiu.ioi'K.

pronu'llail, Aiiios t'hantait d*'].! la InnitMilalion soloii 1(> rxllinic accun-


tunio :

Klle est toml)iH' pour ne plus se rclcvn-,


Ly\ vicrm' (risrac'l.
On la riMneiscc sur sa propre It rrc.

VA personne ne la relevé.
La ville qui fournissait mille recrues,
JN'en a plus que cent.
Et celle qui en ^ourni^sait cent,
.N'en a plusijue dix (v, 2. '.]).

Mises ainsi bout à bout, ces uienaces ne laissent pas de produire


rimpressiou quAinos envisageait l'avenir d'une façon très soiidn-o.
On dirait mrnie d'après certains des passages précédents qu'il eut
annoncé la destruction totale d'Israrl et que, par conséquent, pour
lui. aucune promesse de restauration n'atténuait la rigueur des châ-

timents annoncés. Mais il n'y a là qu'une impression et avoir le texte


d'un peu près, à se rappeler les conditions de son élaboration, elle
se dissipe assez vite. Amos, en effet, n'a pas ])rononcé en une seule
fois toutes les paroles qui nous restent de lui. Bien mieux, ce que
nous en possédons n'est guère qu'une suite de fragments, les uns
complets on à peu près, les autres tronqués, tous étant à l'ex- —
ception d'un seul la prédiction faite au prêtre de Béthel
: déta- —
chés des circonstances oi^i ils avaient été prononcés. Dès lors, dans
la suite dépourvue de plan très précis où ils se trouvent rapprochés,
ils paraissent souvent inattendus et souvent ils se heurtent. Mais, si,

en les étudiant de près, on les isole les uns des autres comme ils le
furent dans la réalité, leur opposition, qui tenait pour une bonne
part à leur voisinage, s'amoindrit; les contradictions absolues que
certains exégètes relèvent et déclarent n'avoir pu exister simultané-
ment dans l'esprit d'Amos, semblent moins flagrantes; et la diversité

de ses aperçus sur l'avenir s'explique tout naturellement par la diffé-


rence des états d'esprit où, selon les mouvements de l'inspiration

et suivant l'attitude de l'auditoire, arrivait à se mettre le prophète.


Pour avoir, à certains jours et devant des auditeurs obstinés dans le
mal, vu l'avenir tout en noir, Amos n'en devenait pas incapable, à
d'autres moments et auprès de yahwéistes fidèles, de sentir renaître
son espérance.
Bailleurs Amos annonce-t-il véritablement cette destruction totale
d'Israël que l'on a voulu découvrir dans certains passages et qui, à

ce que l'on prétend, devait l'empêcher de songer jamais à une res-


tauration? Il est difficile de le penser si l'on regarde les textes. Dans
MÉLANGi:S. 243

les deux passages relatifs à réiégie qu'il faudi-a chanter au deuil


d'Israël, il faut remarquer que la vierge d'Israël n'est pas morte,
mais jetée à terre, —
que les villes ne sont pas totalement anéanties
mais seulement réduites au dixième de leur population militaire, —
qu'enfin, puisqu'il reste des paysans et des pleureurs pour célébrer
convenablement le deuil, c'est donc que les habitants n'ont pas tous
péri. Ailleurs, il est dit :

Comme le berger sauve de la gueule du lion


Deux jarrets et un bout d'oreille,

Ainsi seront sauvés les Benè-lsraël 'm, 12).

Il n'y en aura que peu à échapper à la destruction, mais enfin quel-


ques-uns y survivront.
A ces textes qui n'envisagent pas la ruine comme totale s'oppose
très vivement le passage cité plus haut et qui débute par ces mots :

Personne parmi eux ne se sauvera


Et aucun survivant ne s'échappera,

et où en une poésie animée, l'acharnement de Yahwè


est dépeint,

contre ceux qu'il voudrait détruire jusqu'au dernier. Qu'il y ait là


quelque mouvement poétique oii l'hyperbole sonore des mots ne doit
pas jeter dans l'exagération le lecteur qui ne voit pas le prophète
s'animer et ne plus peser ses termes, c'est ce dont il n'est guère
permis de douter quand on au schéol »,
voit les fugitifs « se glisser

« monter au ciel » ou descendre « au fond de la mer » pour ne pas


tomber sous les coups du Dieu vengeur. Des expressions aussi mani-
festement grossies que celles de cette belle tirade doivent s'inter-
préter, surtout si l'on prétend y découvrir le fond de la pensée de
l'auteur, d'après des passages d'un tour moins manifestement ora-
toire et d'une limpidité qui n'est pas troublée par le chatoiement de
mots à l'éclat trop vif.

A cette raison d'ordre littéraire vient s'ajouter, pour établir


qu'Amos n'a pas envisagé comme irrémédiable la destruction d Is-
raël, le fait qu'ilne vouait pas sans distinction à la ruine tous les Israé-
lites. Dans le fait, il n'a poursuivi de ses invectives que ceux
qui déna-
turaient le yahwéisme par l'oubU de leurs obligations morales et par

leur attachement exagéré à culte abâtardi; c'était contre ceux-là


un
qu'il fulminait l'irréparable anéantissement. Or ceux-là, c'étaient les
grands, les notables, les riches, la maison du roi, les courtisans. En
dehors d'eux restaient gens insignifiants par leur situation sociale,
les

les ouvriers, les paysans, les bergers, le vulgaire exploité et pauvre


2i4 lŒVUK iMiM.iori:.

parmi l(n|uoI sr Irom aient, plus numhrciiv


el [)liis lidèlcs (juo dans les
antres classes, l(>s de Yalnvè. Anssi, (in'on lise
véi'ilahles servilenrs
altenlivenieni les prédiolions sinisircs du prophète, et Ton rernfU'qnera
<[ue la ruine annoncé(> doit direefenicnt atteindre les premiers. Le
royaume prévaricateur va être anéanti de dessus la face de la terre,
c'est-à-dire (pie son indépendance s'évanouira, que sa dynastie dis-
paraîtra, (]ue ses grands prendront la tête des déportés, que le pays
sera dévasté par les vain(jueurs. Mais il ne s'agit nullement « d'une
destruction radicale de la Maison de Jacob », c'est-à-dire de la popu-
lation dans son ensemlde. Celle-ci pourra bien se trouver dispersée
[)ar les malheurs de la guerre, par l'exil, par la désolation qui s'est
aijattue sur le pays, Yahwè prendra à ccpur de ne rien perdre du
« bon grain » il reconnaîtra toujours les siens à travers
; le monde et
les méchants seuls auront à subir l'atteinte de ses traits.

Car voici que je vais l'aire secouer


Dans tous les peuples la Maison d'Israël,
Ainsi que l'on secoue au crible
Sans que le bon grain tombe à terre.

C'est par le glaiveque mourront tous les pécheurs


De mon peuple, eux qui allirment :

Le mal ne s'approchera pas de nous.


Il ne parviendra pas jusqu'à nous (i\, i), lO'i.

L'histoire donne une pleine conlirmation à ces vues du prophète et


à l'interprétation qui vient d'en être proposée. Car, dans la pratique
des Assyriens, l'État soumis les armes à la main était réduit en pro-
vince assyrienne, et la déportation frappait surtout les grands, les
chefs, les prêtres, les ouvriers habiles, tous ceux qui possédaient un
rang une influence'. La masse des pauvres gens était laissée dans
et
le pays pour y réparer les ruines accumulées par la guerre et pour en
exploiter les richesses de concert avec les colons étrangers, amenés
pour combler les vides de la population indigène. Il en fut ainsi pour le
royaume d'Israël. Les déportations inaugurées par Tégiath-Phalasar,
reprises par lui et continuées par Sennachérib et Sargon, pendant la
dernière phase de la lutte contre Samarie, consommèrent la ruine de
ce qui avait été le royaume d'Israël.

La majeure partie des déportés ne méritait que trop le châtiment


qu'Amos lui avait annoncé par ordre de Yahwè. En fait, elle dis-
parait à tout jamais de l'histoire, dispersée, fondue dans les popula-
tions, païennes au milieu de qui elle avait dû s'établir. Quant au reste
d'Israël, où Amos comptait des partisans, si sa destinée n'était pas bril-
lante, du moins n'était-elle pas désespérée. C'est à ces survivants de
MELANGES. 245

la délîâcle qu'Amos songeait quand, au cours de ses prédications, il

faisait entrevoir, dans une perspective lointaine et vague, les grands


traits de la restauration. Il ne faut pas omettre d'observer, en effet,

qu'il ne parle point d'un retour de la captivité isra.élite. A ses yeux,


ceux qui partiront en exil sont perdus pour le yahwéisme et pour la

nation. Mais ceux qui restent suffisent à lég-itimer l'espoir d'une ré-
surrection nationale.
Ce sera dans un temps mal défini. Alors, au lieu de reffondrement
politique auquel on va bientôt assister, on verra de nouveau réa-
lisée l'œuvre du grand roi David. Il avait élevé par son habileté et
grâce au secours de Yahwè l'édifice majestueux de l'unité nationale,
en rassendjlant en un seul peuple soumis à un môme souverain, les
Israélites et les Judéens. La sécession criminelle de Jéroboam T' a
renversé ce grandiose édifice dont il ne reste plus aujourd'hui qu'une
pauvre « hutte » et encore toute branlante. Mais Yahwè la relèvera

un jour. On verra de nouveau tous les Hébreux réunis; le royaume


davidique sera restauré par le retour d'Israël à Juda; les peuples
soumis par David reprendront le joug qu'ils ont depuis longtemps
secoué et les Édomites aussi, par qui Amos pourrait avoir été molesté
ou razzié, seront alors totalement asservis.

En ce jour-là. je dresserai la hutte effondrée de David,


Je boucherai ses lézardes,
Je relèverai ses débris,
Je la reconstituerai comme aux jours passés,
De sorte que l'on possédera et le reste d'Kdoni,
Et tous les peuples sur (pii l'on proférait mon nom.
Oracle de Yahwè qui va l'accomplir (tx, tl, 12).

Cette annonce d'une restauration judéenne prêchée par un Judéen


ne pouvait guère être bien accueillie des Israélites et moins encore de
leur gouvernement. Mais elle n'était pas pour déplaire aussi fort aux
petites gens qui peinaient pour satisfaire la cupidité exigeante de
leurs maîtres, et à qui le temps de David apparaissait comme un âge
d'or où resplendissait la personne du saint roi. C'était pour eux aussi
surtout, pour ces pauvres fellahs grugés par les gros propriétaires
de domaines, qu'Amos annonçait l'ère de la fertilité édénique, où la
terre sera si prodigue qu'à peine pourra-t-on distinguer la suite
des saisons. La fécondité du sol marchera du reste de pair avec le
relèvement national. On sera riche, tranquille, fort, heureux et on le

sera à tout jamais.

N'oici venir des jours — oracle de Yahwè —


Ou le laboureur rattrapera le moissonneur.
24C lU'Vl'E HIIU.IOl'K.

Kl lo fouleui- tic fjirappos, ocltii (|iii jt'tlc l>i soinciK-c.


Des niontai^nes déuioiilter.i le vin iiiiiivc;iii ;

Toutes les collines senuil en niisselleinenl.


.le rcstnurorni mon [iciiplt! Isi.irl :

Ils rei);itiroiit les \illos deviistées et s'y établiroiU ;

lis pl.interont des vignes et en boiront le vin-.

Ils cultiveront des jiirdins cl en manderont les fruits.

Je les planterai sur leur terre :

Ou ne les arrachera plus de cette terre


Que je leur avais donnée.
Yaliwè a dit (r\, 13-15).

-Vmos. malgré la lirièveté de son œuvre écrite, est l'un des pro-
phètes les plus attachants. On est saisi de voir surgir tout d'un coup
avec lui de nobles et fécondes idées, que la littérature antérieure ne
présentait pas avec une si lumineuse netteté. Assurément
c'est parce
qu'il est lepremier en date des prophètes écrivains que, dans notre
perspective, il prend d'emblée une place si émincnte, et, beaucoup
des vérités émises par lui se retrouvant sous la plume de ceux qui
continuèrent son œuvre, il l'ait naturellement ligure de chef et d'ini-
tiateur. Mais si, dans la réalité, il reprit et développa plusieurs des
idées déjà courantes avant lui dans les milieux les plus relevés du
yahwéisme, s'il employa pour sa prédication religieuse ce langage
poétique à la fois si vigoureux et si insinuant que d'autres avaient
déjà fait servir à d'autres sujets, que son inspira-
il faut reconnaître
tion donna à ces pensées des contours plus définis, une clarté plus
frappante, et que son talent de poète, pour être sobre, n'est pas dé-
pourvu de charme.
Ajoutons que son caractère tout de simplicité, de droiture, d'éner-
gie, séduit par la force qui en émane. Il va sans détour où le devoir
le mène. Moïse, Isaïe, .lérémie, Jonas, discutent avec Vahwè quand il
leur confie leur mission; elle les elfraie; ils s'en disent incapables;
ils veulent se dérober. Nulle hésitation semblable chez Amos. Vahwè
lui dit d'aller prophétiser et va prophétiser. Hien ne compte plus
il

pour lui que l'ordre qu'il a reçu. Il s'oublie tout entier pour obéir à
son Maître.
Louis Desnoykrs.
MÉLANGES. 247

III

SAlxNT JÉHOME ET I.ES PROPHÉTIES MESSIANIQUES

[Stiite)

m. — LE PRÉCURSEIR. LE MIMSTÈRE DE JÉSUS.

L'application des textes prophétiques au rôle du Précurseur qui se


trouve dans les évangiles était trop nette et assez fréquente pour que
saint Jérôme fût tenté de donner à son exégèse une autre direction.
.Mais s'il ne lui restait plus qu'à enregistrer une interprétation deve-

nue canonique, il lui était permis de rentrer de nouveau en discus-


sion avec les Juifs et de soulever une fois de plus la question textuelle.
Ni saint Marc, i, 2, ni saint Matthieu, xi, 10 n'ont rendu strictement
Malachie m, 1 Voici, j'envoie mon ange qui préparera la voie
:

devant ma /«ce. Cet à-peu-près ne nuit en rien à la clarté du sens.


Le Christ parlant en son propre nom déclare qu'il envoie Jean-
Baptiste au désert de Judée, prêcher baptême de pénitence pour la
le

rémission des péchés. D'autres commentateurs se croient néanmoins


autorisés à attribuer cette mission au Père céleste, ce qui cadrerait
mieux avec l'énoncé de la promesse qui suit Et viendra aiissiiôt
:

dans son temple le dominateur que vous cherchez et l'ange de l'al-


liance que vous désirez, promesse concernant le Messie, comme semble
l'insinuer l'attestation solennelle par laquelle se termine l'oracle.
Ainsi Dieu annoncerait du même
coup le héraut et le triomphateur.
Si Ion place toute dans la bouche du Christ, suivant
cette déclaration
les préférences de Jérôme, il faut admettre que lange de l'alliance
parle de lui-même à la troisième personne. C'était éviter tout soupçon
de subordinatiamsme et se conformer davantage à l'adaptation que
les évangélistes avait faite de ces passages insérés dans un contexte
où la parole est à Jésus.
pas plus qu'ailleurs notre exégète n'arrête sa pensée au Temple
Ici

de Jérusalem, dont toute l'importance dans sa perspective messianique


se réduit à une ruine éternelle. Aussi s'élève-t-il sans transition au
domaine moral, amenant les textes des épîtres où il est fait mention
des demeures spirituelles et de l'habitation de Dieu dans les âmes,
en particulier I Pet. ii, 5 et Cor. m, IG. Une voie figurée ne peut
I

amener qu'à un sanctuaire allégorique. Par le fait même, Jérôme


248 iiK\ 1 1: hiiii.iori'

prénuinissait ses lectoius 0(iiili(> rintcipirlatiou des .luifs qui pivscn-


fait Klic coiiiinc Tango
messager préparaleur, e( introtluisaii
(-ii le

leur iMessie en vaintiueur dans \c Temple de Jérusalem, à la lin des


temps. La finale (!<> Malaoliie ollVail un fondement sérieux à cette
opinion : 1 oie/, jr cuua enverrai Elle
le iirophète avant que vienne
le grand jour du Seigneur. A l'époque du Sauveur aussi
et terrible

bien qu'au siècle de saint Jérôme, les Juifs attribuaient au Thesbite le


rùle de précurseur. Les Scribes, faisaient remarcjuer un jour les
disciples îi Jésus, les Scribes di^enl (juKlie doit venir d'abord (1).
(>'est lui qui serait
restaurateur de la concorde avant la venue de
le
1 Oint (: du Messie attendu par les Juifs au temps de leur
y;Xs'.;j.;.).év:ç\

domination universelle. Jérôme coupe court à ces longs espoirs et


à ces vastes pensées, substituant le plan évangélique à l'arrière-plan
indécis et flottant de l'escbatologie bébraïque. A quoi bon imaginer
une entrée solennelle dans un temple qui est détruit à jamais? Si îe
précurseur restaure tout, que restera-t-il à faire au Messie? Mais la
meilleure solution, notre docteur la trouve dans le Nouveau Testament
où Élie est devenu la figure de Jeau-Bantistc. Jésus dit lui-même
du précurseur Celni-ci est Élie (jui doit venir (Mt. \i, 14;. Dans
:

Luc I. 17 l'ange applique la finale de Malachie à Jean dont il annonce


la naissance : // convertira beaucoup des fils au Seigneur
d'Israël
leur Dieu, et il ira devant lui avec d'Elie, pour
l'esprit et la force
tourner le cœur des pères rer.s- leurs enfants. Jésus lui-même répond
à ses disciples qui lui soumettent l'opinion des Scribes, quTïlie est
déjà venu (Me. ix. 13).
L'évangile estencore le guide de Jérôme dans rexi)lication
d'Isaïe XL, Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la
3 :

voie du Seig/ieur, faites droits dans la solitude les sentiers de notre


Dieu. Le quatrième évangile place cette déclaration sur les lèvres du
Baptiste à la suite de celle-ci : a Je ne suis pas Élie ». Jérôme ne
tente pas d'accorder ce passage avec ceux des Synoptiques signalés
plus haut. Il sait en tout cas que les trois premiers évangiles se

rencontrent avec saint Jean pour reconnaître le rôle du fils de Za- -

charie dans ces paroles Vox clamantis, etc. (Mt. m, 3 Me, i, 3; Le.
:
;

Jii, 4). L'exégète profite des divergences qu'il relève dans les citations
comparées de ce texte isaïen pour montrer que les Apôtres, les 1
évangélistes et le Sauveur lui-même n'ont pas suivi l'autorité des I
Septante dont, en connaisseurs de la langue hébraïque, ils n'avaient
|

(1) Me. IX. 12. Les prêtres et les lévites envoyés à Jean par les Juifs de Jérusalem lui
demandent s'il est Élie, toujours en vertu de la inéme préoccupation (Joli, i, 21).
MÉLANGES. 249

nul besoin. leur suffisait de transcrire ce qu'ils lisaient dans Fhé-


Il

breu, sans trop se soucier des syllabes et des signes de ponctuation,


pourvu qu'ils rendissent la vérité des propositions. D'ailleurs le com-
mentateur a fréquemment abordé ce point il renvoie pour de plus ;

amples détails à son traité De optimo génère interpretandi. Quant à


l'interprétation de la propbétie. elle se maintient dans le domaine
moral et historique, se dégageant ici encore des étreintes du système
eschatologique. Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute
«

colline sera nivelée ». Ce travail de terrassement ne s'accomplit pas


à Jérusalem, mais dans les solitudes du paganisme où s'élève main-
tenant l'Église. Le désert, c'est la gentilité, basse clans ses croyances,
élevée en orgueil, raboteuse et intraitable en barbarie. Mais il arriva
que la gloire de Dieu son apparition dans le monde et que toute
fit

chair vit le salut divin. Alors tout se transforma subitement et le


chemin du Seigneur fut préparé. Unissant le baptême de Jésus au
ministère du Précurseur, saint Jérôme poursuit La gloire de Dieu :

éclata dans la solitude quand le Seigneur reçut le baptême dans le

Jourdain et que, les cieux s'étant ouverts, l' Esprit-Saint descendit et


demeura sur sous la forme d'une colombe, pendant que la voix du
lui

Père faisait entendre ces paroles Celui-ci est mon fib bien-aimé.
:

Toute chair vit à cette occasion le salut de Dieu. Nous ne quittons


donc pas de démarcation jalonnée parles évangiles.
la ligne

Signalons une mention inattendue des premiers instants de la vie


pubhque du Sauveur dans l'explication de Habacuc m, 5 Devant sa :

face s'en ira la mort, et le diable sortira deiant ses pieds. Après avoir
passé en revue les variantes de ce verset, Jérôme rappelle que les
Hébreux aiment <à donner le nom de re.^eph au prince des démons;
c'est le serpent tentateur de la Genèse, celui qui rampe sur le ventre.
Le sens du passage est celui-ci : Au sortir du Jourdain, Jésus est
accosté par le démon qui le tente dans le désert quarante jours duiant.
Les LXX présentent un texte tout ditférent, (pii ne supporte guère
qu'une exégèse allégorisante.
Jésus, à la synagogue de Nazareth, s'était appliqué solennellement
le début d'Isaie lxi qu'il venait de lire à l'assemblée esprit du Sei- : V
gneur est sur moi, parce qu'il m'a les pauvres,
oint pour évangéliser
et m'a envoijé prêcher aux captif la rémission, aux aveugles
>^ le re-

couvrement de la vue, etc. (Le. iv, 18). Il existe quelques divergences


de détails entre le texte de l'Ancien Testanlent et la citation du Nou-
veau. L'accord substantiel étant sauvegardé, saint Jérôme passe sur la
critique textuelle pour expliquer en théologien la nature de cette
onction. Ce n'est pas en tant que Dieu que Jésus reçoit cette investi-
IWO m \l K IUI5I.1UI l'^.

tui'O. mais en laismi do son Iiuiuanitr. (>eci s'éclaii'c par le rappin-


chcinent do ce passade avec celui du psaume xi.iv " In as aimô la :

justice et haï l'iniijuilo, aussi ton Dion l'a oint de l'iiuilo (ro\ullali<»n do
[)i'ôl'ércnce à tes coui;;énères. » Hiou ne soullVant aucun coparticipant

de sa nature, il s'a-d donc ici do lu natui'o corj)()i'ello. Toutei'ois


cette onction n'est point maléiielle comino celle que recevaient les
prêtres de la Loi : ollo est spirituelle, ce (jui explique sou excellence.
Elle a eu lieu au moment du l)aptr'me lorsque l'Esprit-Saint est des-
cendu sur le Christ sous l'jipparence d'une colombe. C'est encore à
ce fait que se rapporte l'oracle d'Isaïe xi. 2, suivant notre docteur :

/i/ .srreposera sur lui rrsjirit du Seif/neur, fesprl/. de sagesse et (fin-


telligeiice, l'esprit île conseil et de force, l'esprit de science et de

piêti''; et l'esprit de la crainte du Seigneur le remplira (1). La diversité


des attributions n'implique pas la multiplicité des esprits. Il n'y a
qu'une seule même source, un seul et même principe pour toutes
et

ces vertus, comme l'indique l'intéressante leçon de l'évangile des Na-


zaréens : Descendit super euin omnis fons Spiritus sancti. Cet évangile
avait déjà marqué implicitement la relation qui unit cet oracle isaïen
au baptême du Christ, quand il attribuait au Saint-Esprit la déclara-
tion suivante « Mon fils, dans tous les prophètes j'attendais ta venue
:

pour me reposer en toi. Tu es mon repos, tu es mon fils premier-né


qui règue pour toujours. La similitude des termes n'est pas plus
»

fortuite dans le témoignage du Précurseur tel que le rapporte le qua-


trième évangile (Job. i, 33), cité également à ce propos par notre
exégète.
Saint Jérôme se demande comment certains commentateurs ont pu
reculer jusqu'à la fin des siècles la réalisation de la prophétie lue par
Jésus dans la synagogue de Nazareth. Il concède à la rigueur que si
elle n'a trouvé au premier avènement qu'une réalisation partielle,
cette prophétie sera véritablement remplie lorsque tout le peuple de
Dieu sera juste. Cependant les béatitudes du sermon sur la montagne
témoignent assez que Jésus a assumé l'œuvre de miséricorde et de
consolation annoncée par Isaie. De plus remuée propice et le jour de
la rétribution de lxi, 2, rappelés par Luc iv, 10, se rapportent au
temps de la prédication du Sauveur. Il s'agit donc du premier avène-
ment auquel saint Paul fait allusion en écrivant (I Cor. vi, 2) : Voici
le temps favorable, voici maintenant le jour du salut.

(1) Les sept femmes du chap. iv d'Isaïe deviennent, non d'après le sens littéral, mais

suivant l'intelligence spirituelle, les sept grâces du Saint-Esprit qui prennent possession
, de Jésus sur lequel elles désiraient depuis longtemps se poser, ne trouvant personne (|ui
leur offrît une demeure éternelle.
MELANGES. 2:;i

Uans saint Matfliieu le ministère du Christ s'ouvre par l'oracle


dlsaic Mil, 23 a ix, J. A la nouvelle de l'arrestation de saint Jean-
Baptiste, Jésus quitte Nazareth pour la ville maritime de Caphar-
naiim. située sur les confins de Zahulon et de Xephtali, circonstance
qui permet d'évoquer ^le fameux passage : Tout d'abord la terre de
Zabulon et la terre de Nephtali ont été affaiblies, etc. L'adaptation
évangélique requérait la suppression des verbes du texte hébreu, et
aboutissait à une énumération géographique. Il est clair cependant
qu'elle a suivi le texte massorétique de préférence au grec, comme le
note triomphalement saint Jérôme. L'oracle débute en ces termes
dans les LXX Bois ceci d'abord et fais vite, région de Zabulon, terre
:

de Nephtali. Les modernes ne s'attarderaient pas à commenter une


leçon rejetée en vertu des lois de la critique. Mais Jérôme est obligé à
des égards envers une version chaudement soutenue et qui passe
encore pour canonique dans les milieux latins. La teneur du grec, en
dépit de son étrangeté, supporte une explication qui cadre avec l'en-
semble. Quel pays a bu le premier le breuvage de la foi, sinon
celui qui futtémoin du premier miracle du Sauveur, le miracle des
noces de Cana eu Galilée? Les premiers prodiges de Jésus furent
opérés sur la terre de Zabulon et de Nephtali. Nous touchons ici à
une que n'eût pas désapprouvée Origène. Lhébreu pré-
subtilité
sente un sens non moins satisfaisant. AUeviare est susceptible de

plusieurs significations; s'il devient synonyme de relevarc, Isaïe aura


voulu dire au début, ces régions ont été soulagées du fardeau de
:

leurs p'échés, parce que c'est là que le Messie a commencé de prêcher


son évangile. L'interprète n'arrête pas là son regard scrutateur. Du
choc des textes jaillit l'étincelle. Le texte d'Isaie appelle la citation
du psaume lxvii Les princes de Zabulon, les princes de Nephtali,
:

leurs chefs... Ces chefs sont les Apôtres originaires de villages appar-
tenant aux deux tribus mentionnées et qui répondirent promptement
à l'appel du Maître. Plus tard ces populations, demeurant obstinément
attachées aux erreurs judaïques, justifièrent la suite de la prophétie :

novissimo aggravata maris trans .Jordanem GahUeie gentium.


est via

La mer dont il est ici question est, au dire de Jérôme, le lac de Géné-
sareth que traverse le Jourdain et sur les bords duquel se trouvent
Capharnaiim, ïibériade, Bethsaida, Chorozain, séjour préféré du
Christ au début de sa mission et illuminé de son éblouissante
clarté.
Les Nazaréens offraient du même texte une explication de plus
grande envergure, se dégageant plus que saint Jérôme des limites de
l'histoire évangélique. La prédication nouvelle soulage les esprits du
2o2 lŒVUK BinL^tlK.

poids (les cireurs el des lr;idili(»iis |)l»;irisaï([ues, à coinmeiieer par


ceux des pays de Zaliuloii et de Neplilali. Paul, le dei'nier \cnu des
Apùtres, arrive ensuit<' avec son évangile . la prédieatidu s'aggrave,
c'est-à-dire brise ses bornes étroites pour traverser riuuncnsilé de la
mer, se répandre parmi les nations et éclairer le monde assis à
l'ombre de la indit et dans les chaînes de l'idoliUrie. Les judaïsauls
ont riiistoire d'Israël plus à e(eur, d'où une (vvégèse })lus litlérale.
Zabulon et Nephtali sont les deu.v premières tribus subjuguées et
emmenées en captivité par les Assyriens; allégée de ses habitants, la
(laliléc est déserte. Plus tard, les tribus d'outre-Jourdain et de Sa-
marie vont rejoindre les deux autres sur la terre étrangère. Ces faits
anciens se soudent à l'histoire évangélique de la façon suivante : Le
territoire de Zabulon et de iXephtali, dont les populations furent les
premières déportées à Babylone et soumises à l'idolâtrie, de^int le
théâtre de la première prédication du Christ et le point de départ de
lévangélisation du monde. Jérôme qui relève ces deux points de vue
diti'érents, ne les condjat pas. Le dernier système, tout en respectant
l'adaptation du texte d'Isaïe au Nouveau Testament, sacrifiait le moins
possible la réalité de l'histoire ancienne.
Pour l'interprétation d'Isaïe xlii, 1-V, Jérôme trouvait encore la voie
tracée par saint Matthieu xii, 18-20. Aussi se contente-t-il de gloser le
texte en l'appliquant au caractère de Jésus Voici mon serviteur, objet
:

de mes complaisances. Le Christ est serviteur puisque, suivant l'Apôtre,


il a pris un extérieur d'esclave. L'évang'éliste. imitant l'hébreu, a sup-
primé mention de Jacob et d'Israël que portent les Septante.
ici la

J'ai placé mon


esprit sur lui, au baptême. // ne criera pas, à cause de
sa douceur et de sa mansuétude, ou suivant Symmaque, il ne sera
pas déçu, déjouant toutes les intrigues du démon, ou selon les LXX,
il n'abandonnera pas le peuple juif, l'appelant à la pénitence. Sa voit:

ne sera jjas entendue au dehors, car il n'a pas prêché aux païens,
demeurant en Galilée et en Judée. Si l'on objecte ([ue Jésus s'est
rendu sur les limites de Tyr et de Sidon et sur les contins de Césarée
de Philippe, il n'est pas écrit qu'il ait pénétré dans ces villes. // ne
brisera pas le roseau cassé, et n éteindra pas la mèche qui fume, pro-
pice à tout le monde, accordant le pardon aux pécheurs, conservant
ceux qui étaient destinés à la destruction. L'évangile présente ensuite
une lacune qui s'explique, remarque le commentateur, jjar un phé-
nomène d'omoioteleuton (1).

(1) Splendebil et non conteretur, donec ponat super Icrram Jiidiriiim, Mallh.rua
Evangelista non posuifsive inler hidicium cl judiclum média, scriploris errore suO-
lala siint.
MELANGES. 2b3

Saint Jérôme retrouve plusieurs points de la théologie du qua-


trième évangile dans ce passage d'Isaïe (xliii, 10) Vous êtes mes :

témoins ainsi que mon serviteur que j'ai choisi, afin que vous
sachiez, croijiez et compreniez qui je suis. Avan t moi aucim Dieu ne
fut formé et après moi il ny en aura point. Témoignage du Verbe et
témoignage du Père, divinité du Père et divinité du Serviteur, tout
cela y serait renfermé. Personne n'est Dieu en dehors du Père, car le
Christ est la vertu et la sagesse de Dieu il est dans le Père et le Père
:

est en lui. De même que le Christ, un seul Seigneur, n'enlève pas au


Père sa prérogative de Seigneur, de même le Père, un seul Dieu, ne
ravit pas au Fils sa divinité. Sans moi pas de Sauveur, ceci est à
mettre en parallèle avec un autre oracle Le Seigneur leur enverra :

u?i Sauveur qui les sauvera. La dualité des personnes n'est donc pas

niée, car Dieu sage et fort n'est jamais sans sa Sagesse et sa Force.
Ces paroles s'adressent à Israël et à Jacob, tout en se rapportant au
chœur apostolique et aux convertis du Judaïsme.
Des prodiges supérieurs à ceux de l'antiquité prouveront cette mis-
sion du salut, au point qu'on devra oublier le passage du Jourdain et

celui de la mer Rouge. Voici, je fais du nouveau (Is. xliii, 19 i. Ce ne


sera plus des fontaines d'eau naturelle qui couleront, mais des fleu-
ves qui récréeront non les corps mais ; les âmes altérées : Vous boirez
les eaux des sources du Sauveur (Is. xii, 3). Par ces sources, nous
entendons la doctrine évangélique. Cette comparaison amène natu-
rellement la citation de Joli, vu, 38. Nous garantissons notre g-osier
de la soif, suivant Jérémie ii, 25, quand nous obéissons au conseil du
Christ : (( Qui a soif vienne à moi et boive. »

IV. — LA PASSION ET LA RKSIRRIÎCTION.

L'entrée de Jésus à Jérusalem au milieu des acclamations de la foule


est illustrée dans Matthieu xxi par de Zacharie ix, 9, qui a
la citation
subi ici un léger travail d'adaptation Dites à la fille de Sion : Voici,
:

ton roi vient à toi, plein de mansuétude, monté sur une dnesse et sur
le fils de celle qui est sous le joug. Arrivé à ce passage, le commen-
tateur rappelle naturellement ce fait de la vie du Sauveur. La leçon
des Septante : ascendens super suhjugalem pullum no.vum lui per-
et

met de pousser jusqu'à l'allégorie, probablement sous l'influence de


ses devanciers et des Grecs en particulier, car, nous dit-il dans son
])rcmier prologue, Origène a écritdeux volumes sur Zacharie, Hip-
polytc a publié des commentaires sur ce prophète, et Didyme a dicté,
sur la demande de Jérôme, cinq livres d'explications, en plus de l'ex-
254 llKVUh: Him.iuii^

plioalion d'Osc'C et do Miolire. .Mais toute loiir exégèse es! iillégori<iii(>


ettonclie peu à lliistoii-e (^1). I/ilnessc sous le joug- et TAuon représen-
tent le peuple de la circoncision et celui du prépuce. Le prcuiier des
deux a porté le jouii- pesant de la Loi, au([uel il «-si lait allusion dans

Actes XV, 10 ot(ial. v. t. LAnon fit;ure la ninUilude des (ienlils libre

du frein de la Loi. Toujours blessé dans les précipices de l'idolâtrie,


il apprend du Sauveur (jui le chevauche à marcher droit et à suivre

le bon chemin.

Kzéchiel, vu. 27 Lr roi pleurera el le prince sera plongé dans la


:

tristesse, n'a pas une portée prophétique aussi directe que le précé-

dent. Saint lérAme le reconnaît, car Sédécias a pleuré et tous les


princes du peuple juif ont été accablés do chagrin. .Néanmoins, mal-
gré sa ré[>ugnance à tenir Sédécias pour le type du Messie, il ne résiste
pas à établir une relation entre ce texte et celui de Luc \i\', \\ qu'il
confond avec Luc xni, 3i. « Nous pouvons (bien que de prime abord
ceci paraisse un bla^phèmei dire que ce roi est le Christ déplorant
nos vices et nos péchés, celui qui parle ainsi dans les psaumes :

Quelle utilité dans mon sang quand je descends vers la corruption?


et qui s'approchant de Jérusalem pleura sur elle en disant : Jérusa-
lem, Jérusalem qui tues les prophètes, etc. (2). »

Le sens historique de Michée vu. 1 n'offre guère de difficultés. Le


prophète se plaint de ne trouver aucun juste sur la terre pour faire
obstacle à l'ire céleste. C'est eu vain qu'il a parcouru la cité vendan-
gée à fond pour cueillir quelques grappes oubliées, il n'a rien trouvé
pour apaiser sa faim. Ce passage est glosé dans ce sens par notre
commentateur, qui ajoute à titre documentaire une interprétation
prophétique fondée sur le grec et admise par certains non sans con-
troverse. Ils mettent dans la" bouche du Sauveur désolé de voir le
monde si peu digne de son sacrifice cette imprécation du nabi Malheur :

à moi qui suis devenu comme celui qui ramasse la paille éi la mots-
son! L'adaptation n'est pas des plus heureuses si l'on confronte ce
texte avec .loh. iv, 35 : u Voyez la campagne qui blanchit prête à la
moisson ». ou avec Matth. ix, 37 « La moisson est abondante ». Mais
:

en se réfugiant dans l'eschatologie, ces exégètes annulent l'objection.


Ils reportent la moisson à la consommation du monde quand la charité

se sera refroidie et que le Fils de l'homme venant sur la terre n'y

(1) Sed Iota eorum èS-riyTiffi; allegorica fuit et historix vix pauca teiigerunt.
[2) Les plakltes et les pleurs de Jésus sont également évoqués à propos du cantique de
la vigne (Is. v). La vigne d'Isaïe \ comme la vigne de .lérémie ii, comme la vigne du
,

psaume l.\xix, a la même valeur allégorique ijue celle de Matth. v\i. Le proiihéte déplore
la réprobation du peuple juif et la ruine de Jérusalem.
MKLANGES. 235 \

trouvera qu'une encore au Sauveur qu'ils appliquent


foi raréfiée. C'est

le Vae mihi anima! (jui dans les LXX, reconnaissant l'écho de


se lit

ce cri dans ces paroles Mon dme est triste jusqu'à la mort. Il ne
:

leur déplaît point d'attribuer ces douloureuses interjections au Christ


qui a versé des larmes sur Jérusalem et sur Lazare. Tandis qu'il ne -

paraît pas séduit ici par ringéniosité de cette explication, Jérôme


retrouve un terrain plus ferme dans l'interprétation de Jonas, admis
généralement comme type du Christ, sans toutefois abandonner le
sens littéral. Lorsque mon àme était dans l'angoisse, je me suis sou-
venu du Seigneur (ii, 8i témoigne clairement des sentiments d'un
homme enfermé dans un monstre et privé de tout secours humain.
Il est également facile d'appliquer ces paroles au Sauveur qui a dit :

Mon dme est triste jusqu'à la mort et Père, s'il est possible, que ce
:

calice s'éloigne de jjioi (Mat. xxvi, 38, 391. Jérôme n'insiste pas.
Cette dernière pensée jetée à la cantonade n'est guère qu'une con-
cession à l'exég-èse étroite qui prétend retracer tous les détails de la
vie,de la mort et de la résurrection de Jésus avec les faits et gestes
de Jonas. En réalité l'agonie de Notre-Seigneur et l'angoisse du pro-
phète qui provoque sa conversion n'ont rien de commun sinon qu'elles
sont deux ang-oisses.
A propos cité le témoignage de
de la fuite des Apôtres, Jésus avait
Zacharie xiii, 7, en attribuant à Dieu l'action du verbe qui. dans
l'hébreu, est à l'impératif Je frapperai le berger et les brebis du
:

troupeau seront dispersées. La voie était donc toute tracée pour notre
exégète qui s'étonne de ce que plusieurs ont osé atténuer cette pro-
phétie par des interprétations allégoriques; voulant en savoir plus
que les autres, ils n'ont pas lenu la règle de la vérité. Il est clair
que l'évangéliste xMatthieu (xxvi, 31, 56) a appliqué ce texte au Sei-
gneur et que ce texte n'a pas été tiré- d'autre part, quoiqu'il se trouve
une petite divergence dans la citation. « Tout ceci, ajoute d'ailleurs
l'évangile, a été fait pour que les écritures des prophètes fussent
accomplies. Alors tous les disciples l'ayant laissé s'enfuirent. » Mais
saint Jérôme ne s'en tient pas là. Le contexte l'entraîne dans des
perspectives plus vastes s'harmonisant avec son messianisme ecclé-
siologique. Quand le bon pasteur eut été frappé et qu'attaché à la

croix il eut remis son âme entre les mains de son Père, les brebis se
dispersèrent aussitôt, c'est-à-dire que toute la nmltitude des croyants
se répandit à travers le monde. Toute la fin du chapitre est développée
dans ce sens. Juifs et païens sont les deux parts destinées à la perdi-
tion; la troisième, celle qui est épargnée, est le peuple des chrétiens
qui s'est accru soudain et a été agréé après avoir subi l'épreuve du
2b6 UKVl K luni.iQrE.

fou comme l'or et l'argent. Lcs.luit's reconnaissent aussi le caractère


messianique de ce passage; ils le rapportent au Messie, mais à la fin
(les temps. « Mais entre eux et nous, conclut le conimentat<'ur, il y a
ceci, que selon luuis ces choses sont accomplies, tandis (pic pour eux
elles attendent encore leur accomplissement. »

Saint Jérôme ne s'est pas permis, comme des modernes l'ont l'ail,

de mettre Amos ii, Kî : Le robuste de cœur d'entre les forts s'enfuira


nu en ce jour-là, en relation avec l'ëpisode du jeune homme qui,
appréhendé par les soldats à (iethsémani, s'enfuit nu, en leur laissant
entre les mains le drap dont il était vêtu. I>e rapprochement d'ailleurs
est loin de s'imposer. Le saint docteur se contente de doux explica-
tions d'ordre moral. Dépouillé du vieil homme et du fardeau de ses
péchés, le fort échappera au châtiment. Ou, au contraire, privé du
vêtement du Christ préconisé parl'ApcMie (Kom. xiii, l 11 (ïor. v, 3), 'i ;

sa force ne lui servira de rien au jour du combat. Plusieurs égale-


ment ont vu dans Amos n, 6 ... ?7« vendu le juste pour de l'argent,
:

une prophétie concernant la trahison de Judas. Ainsi, au moyen Age,


voyait-on au Calvaire une mosaïque représentant Amos avec ce texte
en main 'A-Éccvto àpy^?';* "-'' o<.7.y.izv. Dans les proj^héties du Messie,
:

Pascal insère la suivante « Amos et Zacharie Ils ont vendu le juste,


: :

et pour cela ne seront jamais rappelés. —


Jésus-Christ trahi. » Quant
à saint Jérôme, il ne fait, en expliquant ce passage, aucune allusion
au fait évangéli(jue. 11 en va autrement dans son commentaire sur
Zacharie xi, 12 Ils ont payr mon prix trente pièces d'argent, à cause
:

du rapport évident qui relie ce texte avec Matth. xxvi, 1(5 et xxvii, 9,
où il est question du marché du disciple prévaricateur. Les Juifs
répondent aux bontés du Seigneur qui les a élus et délivrés, en ache-
tant son sang à Judas pour trente deniers. Les rabbins opposent à
cette interprétation une exégèse « pleine de malice » qui consiste à
regarder les trente pièces d'argent comme une allég'orie des trente
j^rescriptions de la Loi. Jérôme est pourtant tombé lui-même dans le
même défaut à propos de l'achat du champ d'Anathoth par Jérémie,
moyennant sept sicles et dix pièces d'argent (xxxn, 9). Le nombre
dix signifie le Décalog-ue qui fut écrit par le doigt de Dieu sur les
tables de pierre. Sept est aussi un nombre mystique et sacré, comme
il est facile de le prouver. Mais aucun rapprochement avec le champ

du potier et Haceldama. x\otre commentateur est d'ailleurs très sobre


en ce qui regarde Tadaptatioii de Jérémie à la Passion de Jésus. Il va
en ce sens beaucoup moins loin que la liturgie et, à plus forte raison,
que Bossuet qui a composé tout un traité sur Jérémie figure du
Christ.
MÉLANGES. 257

Mais il établit par contre un parallélisme étroit entre les souf-


frances du Serviteur de Uieu et celles du Sauveur. Isaïe lu, 13, \ï :

Voici, mon serviteur comprendra, il sera exalté, il sera élevé et


sublime. De mèyne que beaucoup seront dans la stupéfaction à ton
parmi les hommes sera sans gloire et son exté-
sujet, ainsi son aspect
rieur parmi les fds des honwies. Il aspergera beaucoup de nations...
amène naturellement le fameux passage de Philipp. n, 5-8, et le
passage du discours de saint Pierre (Act. m, 13j « Le Dieu de nos :

pères a glorifié son serviteur Jésus que vous avez livré et renié devant
Pilate qui voulait le renvoyer. » S'il manque d'extérieur, la cause
n'en est pas la laideur ou la souillure mais l'humilité et la pauvreté.
Lui qui était riche s'est fait pauvre pour nous, ce que confirme saint
Clément écrivant aux Corinthiens « Notre-Seigneur .Jésus-Christ,
:

sceptre de Dieu, n'est pas venu dans l'appareil de l'orgueil, malgré


sa toute-puissance, mais dans l'humilité au point que, frappé par le
valet du prêtre, il rép%ue : Si j'ai mal parlé, montre-moi la faute;
si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? par son sang et le
» C'est
baptême que s'accomplira la mystérieuse aspersion. Le chapitre lui
en entier est interprété de la même façon. Aux docètes et peut-être
aux monophysites qui n'admettent que des apparences de douleurs
dans le Christ il oppose la réelle valeur de ce texte Vere langiiores :

nosiros ipse tulit et dolores nosiros portavit. Le côté volontaire de la


Passion apparaît nettement dans ces paroles // s'est offert parce :

qu'il a voulu, et n'a pas ouvert sa bouche, aussi bien que dans
il

plusieurs épisodes de l'Évangile. .lésus déclare qu'il boira le calice


que le Père lui a donné; il repousse comme un suppôt de Satan
Pierre qui cherche à le détourner de la voie de la souffrance; il prédit
d'avance à ses disciples la trahison et l'abandon; il se livre au Jardin
des Oliviers à ceux que sa seule parole a terrassés; enfin il refuse de
se justifier devant Pilate. Jérôme se rend compte qu'il n'innove rien
en adoptant ce mode d'interprétation. La péricope : Comme la
brebis sera conduit à l'immolation lui remet en mémoire l'explica-
il

tion fournie à l'eunuque de la reine Candace par le diacre Philippe


(Act. vin, 32). // se taira comme l'agneau devant le tondeur lui
donne l'occasion de parler de celui dont l'agneau pascal était la
figure, de l'Agneau de Dieu annoncé par Jean-Iiaptiste, de l'Agneau
immolé de l'Apocalypse. Le commentateur lisait dans son texte de
saint Marc (xv, 27) « Et avec lui on crucifia deux larrons, l'un à sa
:

droite et l'autre à sa gauche, et fut remplie l'Écriture qui dit : Jl a


étécompté parmi les scélérats. » Cette allusion à Isaïe ne se trouve pas
dans tous les témoins du second évangile. Est-ce pour ce molif que
BKVUE lilBUOUE 1917. — N. S., T. XIV. 17
2:is iu:\i i: luiu.ion:.

.Iôi'<">mr iMi cUcrclic une iiitelliitiMKc i>lus prorondc [i]'! Il lui |)lciil d'y
voir une |H'0[)liétic relative à la destcnlc de Jésus aux enfers parnd
les pécheurs et les hoiniues initjues j)oui' déliM'er les eaplils de la

mort, lùiiin la prière du Christ pour ses bourreaux s'adapte fort i>ieu
à la tonclusiou de tout ce chapitre : // a prir //oiir /es prrraricateurs.
au Sauveur et non à la personne d'Isaïe, ainsi que le
(^cst aussi
veulent les Juifs, que s'applique le passage du chapitre l (jui dépeint
la patience du Messie sous les coups et les outrages J'ai livrr mon :

corpsàctux 1/ ni frappent, etc. Ouant aux objurgations de Michée vi, 3 :

Papule meus, elles sont maintenu(^s dans la sphère de rAncien Tes-


tament. Mais la préférence donnée à Harahbas est invoquée comme
preuve concrète d'Isaïe v, -iO Malheur à vous qui appelez mal le bien,
:

et le bien mal. Au commentaire littéral de Jonas, saint Jérôme


ajoute à l'occasion quelque rapprochement avec la Passion. Les
hésitations dos matelots lui rappellent Fliumeur changeante de la foule
qui, naguère fidèle, demande à grands cris le supplice de Jésus. Leur
prière au moment de jeter le prophète à la mer Que nous ne péris- :

sions pas à cause de rame de cet homme, et ne mets pas sur nous le
sang innocent! (i, li) dicte à Fexégète cette réflexion « Ce cri des :

matelots ne nous semble-t-il pas être la confession de Pilate qui lave


ses mains en disant Je suis pur du sang de cet homme? Les pa'iens
:

ne veulent pas la perte du Christ et déclarent son sang innocent tandis


que les Juifs disent Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants
: !

Ils auraient beau lever les mains, ils ne seraient point exaucés, parce

qu'elles sont pleines de sang. »

La lettre lau imprimée sur le iront de ceux qui gémissent sur les
abominations (Ezech. ix, 4) est susceptible de diverses interprétations.
Étant la lettre suprême de l'alphabet hébreu, elle peut signifier la
science parfaite. Comme elle est aussi l'initiale du mot Thorali, l'exé-
gèse juive tient ceux qui ont reçu ce signe pour les fidèles observa-
teurs de la Loi. Mais pour les chrétiens, elle est le symbole de la croix,

à cause de la forme de cette lettre dans l'ancien alphabet hébreu et


dans l'alphabet samaritain contemporain. Toutes ces dernières consi-
dérations sortent du domaine des oracles directement messianiques
pour se rattacher plutôt à l'exégèse édifiante. Jérôme cependant refuse
d'admettre même à titre dédihcatiou l'usage que plusieurs écrivains
ont fait de Zacharie xiv, :20, en appliquant ce texte aux clous de la

(1) Quod el altius intelUgi polesl, dicenle de semelipso Domino : Reputatus mnn
cum descend entibus in lacum... Vere eniiu reputatus est inter peccatores et iniquos,
ut descenderet ad infermim, qui in multis scripturarum locis, vocalur laciis, et

rinctos in carcere liberaret.


MELANGES. 259

croix dont Constantin avait façonné un frein pour son cheval (1). Il est

contraint cependant par l'exemple de saint Jean (xix, 37) de regarder


Zachariexii. 10 comme
la prédiction du coup de lance. Cela ne va pas

sans difficulté tant en raison du sens général de l'épisode, tant à cause


des divergences textuelles. Le conmieutatenr évidemment donne la
préférence à l'hébreu « ils ont 'percé » au détriment du grec « ils ont
dansé », à la suite de révangéliste qui, en outre, a fixé la réalisation
de cet oracle au temps de la Passion. Ne pas admettre ce témoignage
c'est se placer dans la nécessité de chercher ailleurs le passage en
question, ce qui est parfaitement inutile. Le grand deuil décrit ensuite
est celui du roi Josias tué à Megiddo, « bien que d'autres, suivant
l'intelligence spirituelle, le rapportent au Seigneur Jésus. Ainsi on
renouvellera à Jérusalem sur le Sauveur crucifié la lamentation d'Adad-
rimon aux champs de Megiddo )). Dès qu'il ne sent plus l'appui du
Nouveau Testament, Jérôme devient donc beaucoup moins aflirniatit
sur le caractère messianique de ces passages si torturés par les exégètes
anciens. Il lit la lettre sacrée d'assez près pour ne pas faire au Christ
l'injure de lui adresser la question posée au faux prophète convaincu
d'imposture < :Que sont ces plaies au milieu de tes mains? »
Zach. xni, 6). Ce n'est que sous la forme d'une adaptation secondaire
qu'il applique aux ténèbres de la sixième heure Amos vui, 9 // :

arrivera ence jour-là que le soleil se couchera à midi. Le premier sens a


trait à la captivité, à la déportation du peuple dont l'immense tristesse
obscurcira le jour et dont les solennités se changeront en deuil et en
ténèbres.
Saint Jérôme n'a pas essayé de traiter des septante semaines de
Daniel. Il parait bien que pour lui comme plus tard pour Pascal « les

septante semaines de Daniel sont équivoques pour le terme du com-


mencement, à cause des termes de la prophétie et pour le terme de;

la fin, àcause de la diversité des chronologistes ;>. Il sait que de très


érudits ont émis différentes solutions à ce sujet, mais, comme il est
dangereux de prononcer un jugement sur les avis des maîtres de
l'Église et de préférer celui-ci à celui-là, il se contente d'exposer leurs

svbtèmes, laissant toute liberté au lecteur d'embrasser celui qui lui


plaira. C'est un moyen de fermer d'avance la bouche à ses adversaires.
Après avoir au long la théorie de Jules Africain, il passe aux
cité tout

trois explications qu'il rencontre chez Eusèbe. En confrontant ces


svstèmes seulement on constate déjà de sérieuses divergences. Le point

(1) Voir à ce propos Jérusalem Nouvelle, I, p. 203. Saint Jérôme applique au Chiisl
soull'raut le cliap.i.xiii disaïe
: Qiiis est isle qui venit de Edom?
2C0 UKVLIE r.IlM.IQlîE.

do iloparl est laulnl la viimliciiu' année d'Artaxcrxès, lanlôt la

première année ileCyriis, lanlôl la sixième année de Darius. I.e passage :

Et après O'J également des contro-


.'^r/naincs le C/iris/ srra Itir suscile

verses, suivant t|ue Ton })ense à Jésus crucilié la (juinzième année de


Tibère ou à ll\ rcan, le dernier pontife de la race des Maccabées, égorgé
nar Hérode. Avec Hippt)lyto et A[)ollinaire de Laodicée la j>r(>i)liétie
tonrne à Teschatologie et atteint les époques incertaines du retour
dKlie du règne de l'Antéchrist. Apollinaire se débarrasse de toute
et

la chronologie du passé pour s'embanjuer téméi-airement dans le

futur, u Ceux qui vivront après nous, écrit Jérôme, s'ils ne voient pas
les événements s'accomplir aux temps mar(|ués, seront contraints de
chercher une autre solution et de condamner ce maître de Terreur. »
Clément d'Alexandrie s'en tient au laps de temps (jui sépare Cyrus de
Vespasicn sans s'astreindre au moindre comput d'années. Tertullicn
témoigne d'une plus grande diligence, mais Ôrigène se borne à con-
seiller aux curieux l'étude de ce problème, sans doute, ainsi que
l'insinue le commentateur, parce que ce passage donnait peu de prise
à lallégorie et Femprisonnait dans le cercle de la vérité historique.
Ce long exposé se termine par l'analyse du système rabbinique sous
forme de paraphrase. Peu soucieuse d'exactitude chronologique,
cette théorie fait une large part aux événements qui se sont déroulés
sous Titus et Hadrien et au rôle de Bai-Kokébas. Nous n'avons pas à
rentrer dans une question déjà traitée dans cette Uevue avec compé-
tence. Il nous suffit de noter l'attitude réservée de saint Jérôjnc en
face de cet oracle qui a provoqué tant de controverses.
Pour Isaïe lvit, 2, le grec présente un sens qui serait, si l'on veut

bien, plus en harmonie que l'hébreu avec la fin de la Passion Voyez :

comment le juste a péri... le juste a été ravi à la face de l'imcjuité;


sa sépulture sera en paix; elle a été supprimée. Un apologiste se ferait
fort de tirer de ce texte le présage de la résurrection. La suppression
de cette sépulture concorderait avec Act. ii, 31 « ba chair du Christ
:

n'a pas connu la corruption » et avecMatth. xxvui. « Ce Jésus que :

vous cherchez n'est plus là. Venez voir l'endroit où fut déposé le
Seis"neur ». Il serait cependant épineux de trop édifier sur un tel
fondement, car rien n'oblige de s'en rapporter aux Septante, quoique
le texte original offre un certain désordre qui nuit à sa clarté et soit

peu susceptible d'être mis en rapport avec la résurrection. Tout ce


passage, les Juifs l'interprètent des justes mis à mort par Manassé ou
d'Isaïeânnonçant son propre supplice. Dans sa lettre à MarcellafÉp. 46)
Jérôme citait encore Isaïe xi, 10 d'après les LXX Et son repos sera en
:

honneur, mais il le glosait suivant la traduction qu'il adoptera plus


MEF. ANGES. 261

tard : El son sépulcre sera glorieux. Le lieu de rensevelissement du


Cbrist deviendra l'objet de la vénération universelle, car longtemps
avant d'avoir été creusé par Joseph, la gloire de ce tombeau a été
prophétisée par Isaïe.
Depuis les évangiles, le séjour de Jonas dans le ventre du poisson et
son rejet au bout de trois jours et de trois nuits étaient devenus le
symbole de la sépulture et de la résurrection du Sauveur aussi bien
dans l'exégèse et l'homilétique que dans l'iconographie religieuse.
Aussi notre interprète juge superflu d'expliquer autrement ce mystère.
Il ne lui reste qu'à exercer son génie sur la difticulté des trois jours et

des trois nuits. Osée vi, 3 est plus commode à suivre h ce point de vue-
là : nous vivifiera après deux jours, il nous relèvera le troisième jour
//

et nous vivrons en sa présence Après nous avoir châtiés, le Seigneur


.

nous soigne et nous rend à la vie au bout de deux jours; puis en


sortant des enfers le troisième jour, ressuscite avec lui tout le genre
il

humain. Par au Christ ressuscité, Israël et Juda retrouveront un


la foi
pasteur unique. Les promesses des millénaristes sont vaines puisque le
salut de tous a été promis pour le troisième jour qui est celui de la
résurrection du Sauveur. Jérôme montre à Chromatius, dans une note
préliminaire, que tout le cantique d'Habacuc est une prophétie. De là
le soin qu'il apporte à en scruter chaque verset. Le début Seigneur, :

vivifie ton œuvre, c'est-à-dire remplis ta promesse, que ta parole ne


meure pas sans être réalisée, peut aussi s'entendre de la résurrection
du Sauveur et signifier « Que celui qui est mort pour nous ressuscite
:

d'entre les morts et soit vivifié! >^ Mais le grec a un tout autre sens,
sur lequel le commentateur s'étend plus longuement. Il est néanmoins
surprenant qu'il n'ait pas évoqué la résurrection à propos du ^' 5 :

Devant sa face s'en ira la mort. Le texte lui paraissait-il trop peu
assuré? Il se borne, en effet, à signaler les diverses traductions qu'il a
sous les yeux. Les uns rendent par « peste ou « parole » ce que >>

d'autres traduisent par « mort ». Les mosaïques du Saint-Sépulcre


reproduisaient Habacuc avec ce texte-là en main. Osée y figurait aussi
avec son oracle (xiii, 14) Je serai ta mort, o mort; je se?'ai ta mor-
:

sure, o enfer! Ici, au commentateur, bien


saint Paul sert de guide
que la citation de I beaucoup plus des LXX
Cor. xv, 53 se rapproche
(fue de l'hébreu. Ce que l'Apôtre
<' a interprété de la résurrection du
(îhrist, nous ne pouvons, ni n'osons l'interpréter différemment. »

Saint Jérôme nesuitpas l'opinion de quelques-uns do ses devanciers


en ce qui concerne l'application de Zacharie xiv, i, à l'Ascension,
tandis qu'il se rencontre avec Eusèbe etThéodoret dans l'exégèse d'É-
zéchiel XI, 23 : Et la gloire du Seigneur monta du milieu de la cité et
262 UEVIK MIIM.IOI K.

.sr tint sur lu niontiu/nr (jui fs/ à /'ar/f/i/ dr l<i rillc. ('.l'.KluolIcmeiif

la gloire de UifU (|iiitla .hn-iisalcni. Abaiidoiinaiil dahord \o. {v\w\)\i\

elle sr tint sur le seuil du sanctuaire, |>uis ;i reiilr(T de l.i poi'te

orientale, eulin sur le nioiil des Oliviers, d'où le Sauveur monta vers
sou Père. Sigue de résurr(>ctioii et de lumière, elle devait voir de ce
sommet Jérusalem périr et lu-ùler. <( Levez-vous, sortons d'ici », avait
dit Jésus à ses disciples étant encore en ville; et ;iu\ Juifs : •' Votre
maison sera laissée déserte ».

V. LKS APÔTHKS KT LKdLlSK.

Saint Jér»'tme ne vent rien ajouter au discours de saint Pierre


(Act. II, 17) où Joël Ml, 1-5 : Je répandrai mon esprit sur louln chair

et vos fils et vos filles prophétiseront, etc., est invoqué pour justifier le

phénomène de la Pentecôte. Seulement il lui reste à établir comment


les divers membres de cette péricope arrivent à se coordonner entre
eux; comment les prodiges apocalyptiques, que la plupart rejettent
à la fin des temps, peuvent être maintenus à l'époque du premier
avènement. Il ne recule pas cependant devant la rude tache d'efï'acer

le caractère eschatologique deToracle. Le sang du Christ, les langues


de feu, de ce feu ([ui illumine les croyants et aveugle de fumée les
incrédules, lui suffisent pour expliquer ce texte : Je donnerai des pro-
diges dans le ciel et sur la terre^ du sang, du feu, des vapeurs de
fumée. C'est à l'heure du crucifiement que le soleil s'obscurcit et que
la lune devint sanglante. L'histoire est muette sur ce dernier détail,
mais tout n'a pas été écrit. Le grand jour est celui de la résurrection
et non la fin des temps, car c'est bien à l'époque du Christ que saint
Paul (Rom. x, 13) rapporte la finale de ce passage Quiconque invo- :

quera le nom du Seigneur sera sauvé. L'Apôtre avait également pré-


cédé notre exégète dans l'interprétation d'Isaïe lu, 7 Qu'ils sont :

beaux sur la montagne les pieds du messager de la bonne nouvelle. La


citation de Rom. messager au pluriel parce que l'auteur
x, 15 met le

de la lettre pensait aux Apôtres. Jérôme, qui est obligé d'envisager le


singulier et de respecter l'autorité de Paul, aboutit à cette glose assez
recherchée Le prophète atteste que le Messie a prêché l'évangile sur
:

lesmontagnes, c'est-à-dire sur les Apôtres, par leur intermédiaire.


Nous retrouvons plus d'une fois au cours des corajnentaires cette
valeur symbolique des montagnes du texte sacré, en particulier à
propos' du texte bien connu d'Isaïe ii, 2 et de Michée iv, 1, 2 Au :

dernier jour, 'la montagne de la maison du Seigneur sera disposée au


sommet des montagnes... et les peuples afflueront vers elle et de îiom-
MÉLANGES. ' ^^63

breuses nations se hâteront, etc. Le Christ est la montag-ue culminante


en vertu de son exaltation parle Père. Les premiers à accourir vers
lui sont les xVpotres qui aliandonneut tout pour le suivre; puis vien-
nent les foules de Galilée, de la Décapote, de la Judée et de Jérusa-

lem, avides de l'entendre. Mais l'oracle trouve sa pleine réalisation à


la Pentecôte oîi des hommes de toutes langues, Pnrthes, Mèdes,
Kla-

mites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce et

autres lieux écoutent la nouvelle prédication et reçoivent le baptême


(Act. II, 1) . Telle est l'explication de la prophétie de Michée. L'exégèse
de saint Jérôme n'est pas rigide et, tout en demeurant dans le domaine
évangélique, elle sait prendre des nuances variées. Le même oracle,
quand il se trouve dans Isaïe, prend une tournure un peu difl'érente.
La maison du Seigneur représente l'édifice spirituel bâti sur le fon-
dement des Apôtres et des prophètes. Les montagnes sont les imita-
teurs et collaborateurs du Christ (montes in circuitu ejus, ps. cxxiv).
Sur l'une de ces montagnes Jésus fonde l'Église en disant « Tu es :

Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église ». Du passage en ques-

tion pourrait être rapproché Zacharie viii, 3 Jnmsalem sera appelée:

Ville de vérité et la montagne du Seigneur des armées Mont sanctifié,


qui, selon l'histoire, vise la conversion du peuple Israélite à son Dieu
et la restauration de son culte et de son sanctuaire. Au point de
vue
spirituel, il a la même
portée que l'oracle précédent qui contient cette
prédiction La loi sortira de Sion et la parole de Dieu de Jérusalem.
:

C'est cà Jérusalem que se placent les origines de l'Église; c'est de là


qu'est sortie la semence des églises du monde. Elle n'y reste pas, elle
en sort comme une source, irriguant l'univers.
La ville sainte est devenue en règle générale le type de l'Église,
Jérôme nous en avertit à plusieurs reprises. « Tout ce que nous disons
de Jérusalem, écrit-il sur Ézéchiel xvr, afin de ne pas y revenir chaque
fois et fatiguer le lecteur par une prolixité fastidieuse, nous le rappor-

tons cà l'Église. Puisque, d'après l'Apôtre, Jérusalem est notre mère et

({ue l'Église est aussi notre mère, donc Jérusalem est l'Église «.

L'exhortation d'Isaïe lxvi, 10 : Héjouissez-vous avec Jérusalem, exul-


tez en vous qui l'aimez, s'adresse aux Apôtres et aux hommes
elle,

apostoliques qui aiment les deux Jérusalem, et celle qui est tombée à
leur grande douleur, et celle qui doit ressusciter à leur grande joie.
Qu'ils se réjouissent donc avec cette dernière, édifiée avec des maté-
i-iaux vivants! Sion représente aussi l'Église fréquemment. Son éty-
mologie lui donne le sens de poste d'observation élevé. Ainsi l'Eglise
établie sur le sommet des dogmes sacrés. Elle est la montagne sainte

d'Ézéchiel xx, VO, où toute la maison d'Israël serWra son Dieu.


j

'2U RKM K niUI.IUUE.

l.rs AptMi'os iir (l()iv(Mil pas rcsior à .li'nisaI<Mn, ayant l'ccu Tortlrc
irévangéliscr le nioiule, suivant Matlh. xwiii, lî). .léi'ùnic met ce l'ait

en relation avec Isaïe lu, Il : lir/irrz-roiis, l'ctirez-vmis, sortez d'ici

ne touchez pas à ce qui que les Juifs regarclaient comme


est souillr,

nue exhortation à qnitter lîahylone et ses fausses divinités. L'évangé-


lisation du monde «'st une conséquence (Xo la thèse de l'universalité
du salut ([ue notre excgète trouve fondée sur mainte prophétie. Si
l'évangile doit être prêché dans le monde entier et à toutes h's nations,
comme il est dit dans Matth. xxiv, 14, c'est en vertu de la volonté de
Dieu manifestée par Isaïe lu, 10 Et verront tous les confins de la
:

terre le salut de notre Dieu, par Jérémie xvi, lî) A toi viendront :

les nations des extrémités de la terre, et par le psaume xxi, 18. Saint
.lérùme interprète spirituellement tout le chap. v de Miellée qui
débute par la prédiction sur Bethléem-Kphrata. Les frères du Christ,
c'est-à-dire les Apôtres, embrasseront la foi des patriarches et des
prophètes qui annoncèrent la venue du Messie, réalisant ainsi la parole
du psaume xliv : « A la place de tes pères, des lils te sont nés. » Le
Seigneur sera leur pasteur et ils habiteront avec lui. L'Assyrien, à
savoir le diable, ne pourra les séparer de la charité du Christ en
dépit de mille vexations. Et les restes de Jacob au milieu de peuples
nombreux seront comme une rosée venant du Seigneur et comme des
gouttes sur l'herbe s'applique aux Apôtres et à l'Église naissante
venue du Judaïsme. Semblables au lionceau échappé au milieu d'un
troupeau, ils raviront les brebis non pour les dévorer, mais pour les
séparer des pratiques idolàtriques. Les Juifs expliquent tout ceci dans
le sens de leur messianisme. A l'arrivée de l'Oint, les débris de Jacob,
objet de la bénédiction divine, mettront leur confiance non plus dans
les hommes, mais en Dieu. Vivant parmi des gens sanguinaires et

cruels, ils se vengeront à leur tour de leurs ennemis. L'interprète


chrétien leur pose ce dilemme Ces faits sont accomplis ou ne le sont
:

pas. S'ils sont accomplis, que le Juif matériel montre par l'histoire
que l'Assyrien lui a été quelquefois soumis. S'ils sont à venir, comment
le Messie enlèvera-t-il d'Israël des idoles qu'il n'adore pas, brùlera-
t-il des bois sacrés qui n'existent pas, supprimera-t-il les augures
inconnus chez lui? Enfin, longtemps que la fille de Sion est
il y a si

assise sans autel, sans prêtres! D'autres dévorent ses ressources et, le
ventre creux, elle se promet des choses qu'elle ignore (1).

(1) Les quatre animaux de la vision du chap. i d'Ézéchiel sont pour le commentateur la
figure des quatre évani;élistes, quoiqu'il ait à ce sujet une idée moins arrêtée que dans son
prologue sur saint Matthieu et dans son commentaire sur l'Apocalypse. 11 s'étend en 'effet
MÉ LANGES. 263

Les gentils comme les Juifs sont appelés au salut, car l'Église est
un édifice comprenant ces deux groupes. C'est dans ce sens qu'il

faudrait comprendre Isaïe lvii, 12, et non comme l'annonce de la


réédification des villes de Palestine sous Zorobabel, Esdras et Néhé-
mie. L'Église ignore d'ailleurs les barrières établies parla Synagogue.
C'est ce que confirme la métaphore d'Isaïe xi, 6 Le loup habitera :

avec l'agneau. Il n'est pas décent de reconnaître dans le tableau


idyllique tracé ici par le prophète l'image d'une félicité purement
temporelle. Les Judaïsants qui tombent dans ces rêveries devraient
rougir de se voir surpassés par les philosophes eux-mêmes qui n'esti-
ment comme bien que la seule vertu et comme mal le vice et pour
lesquels le reste est indifférent. Aussi est-ce encore vers l'Église que
Jérôme se tourne pour avoir une compréhension facile de ce texte.
Paul, le loup ravisseur, habitera avec l'agneau, Ananie ou Pierre.
Lavé dans les eaux baptismales, le léopard s'accrouinra avec le che-
vreau. Les fauves se mêlent aux animaux apprivoisés. Tel est le
spectacle quotidien otfert par l'Église, où riches et pauvres, princes
et particuliers, vivent ensemble. Cette peinture de l'âge d'or n'est
donc que la figure de la société spirituelle fondée par le Christ, au
même titre que l'arche de Noé et que la vision de saint Pierre à
Joppé (1). Jérôme soumet également à son exégèse allégorisante le
texte de Zacharie viii, 23 En ces jours-là, dix hommes de toutes
:

langues parmi les nations saisiront le bord du manteau d'un Juif


en disant : Nous irons avec toi. Ces dix hommes, qui sont les dix
justes dont la présence eût sauvé Sodome et Gomorrhe de la ruine,
représentent les païens qui croiront en s'attachant au Sauveur ou à
ses Apôtres et qui reconnaîtront par les miracles et la prédication que
le Christ est le Fils de Dieu. L'apologiste est ici tellement pénétré de

la force de son argumentation qu'il regarde ce texte comme une


prophétie très manifeste du ministère du Christ et de ses disciples et
de la conversion des païens. Nous ne pensons pas cependant qu'il
attribue la même valeur prophétique aux sept femmes d'Isaïe iv,
quoiqu'il les tienne ici pour le type des sept églises auxquelles Paul
a écrit ou des sept églises de l'Apocalypse.
La vigne d'Israël a été cultivée par des vignerons de race juive,
d'après l'interprétation d'Osée ii, 15, mais en fait ce n'est qu'une

avec complaisance sur les divers points vue allégoriques de ce passaj^c, les vertus de lame,

la série des saisons et des années, les quatre éléments essentiels du inonde, etc.
({) Osée II, 18 Et je ferai un pacte en ce jour avec la brie des champs et l'oiseau
:

du ciel est interprété tout à fait dans le même sens. S. .lérôine y rappelle d'ailleurs le

passage d'Isaïe xi en question, la vision de Joppé el la conversion de Corneille à Césuréc.


2G6 llEVl'K lUlîl.lorK.

minorité j);u'mi les cii'coiiois (pii a i'i'[)()n(lu A l'appol dos Apùircs.

Toutefois cot av(nii;l«^ment du [nniplc juif i)rr(lii par Isaïe vi, et cité

dans lîoin. \i, 8,une source de grâces puis(]u'il a occasionné la


est
Z'^/ <1nns le
vocation des gentils dont il est question dans Osée ii, 1 :

mi'me lieu où H leur fut dit : Vous îi'rtes /h/s mon peuple, h) mr/ne on
lesappei/errifi/s du Dieu riran/. L'Apc^tre ayant exposé (Koni. i\, 25) W

sur la foi de
témoig-nag-e du prophète sur la vocation des gentils et
ceux qui parmi les .Inifs voulurent croire enlève à .lérAme toute diffi-

culté d'interprétation. y avait pourtant une grande


Il
quantité de

Juifs k Jérusalem an temps du Sauveur, si l'on s'en rapporte à l'his-

torien Josèphe; les conversions furent rares. Isaie ne dit-il pas (x, 22,

23) : Si ton peuple, Israël, était comme le sable de la mer, des restes
se convertiront? Mais le plus grand nombre périra. Paul a déjà fait
dans Rom. une application typique de ce passag-e, ce <[ni
i\, 27.
dispense le commentateur de tenter une explication ditie rente. L'inli-
délité de la masse attire la colère de Dieu. Le jour de tribulation
et

d'angoisse de Soplionie i, 15 est appliqué à la ruine de Jérusalem et

à la désolation du peuple juif, dans un des passages les plus pathé-

tiques du commentaire. Les exilés achètent le droit de venir se lamen-


ter sur les ruinesdu Temple. A quoi leur servirait d'ailleurs leur sanc-
tuaire? Par la bouche clTsaïe (i, 13) Dieu leur avait dit Ne m'offrez :

plus de vains sacrifices, f ai T encens en abomination, etc., répudiant


ainsi l'immolation des victimes et enseignant que l'obéissance à
l'évangile est au-dessus des sacrifices. Jérôme tire de ce texte, joint
au
psaume xlix, un solide argument contre les Ébionites qui préconisent

l'observation de la Loi après la Passion du Christ. Aux reproches


qu'il adresse aux prêtres prévaricateurs Malachie ajoute le
fameux
oracle (i, 11) : Depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon
nom est grand parmi les nations, et en tout lieu est. sacrifiée et offerte
à mon nom une oblation pure, parce que mon nom est grand chez
les

nations, dit le Seigneur des armées. Un nouveau culte sera donc subs-

titué à l'ancien, c'est ce que l'oracle pose nettement. < La règle des
Écritures, écrit <à ce propos saint Jérôme, est celle-ci : Où la pro-

phétie concernant les choses futures est très manifeste il ne faut pas
l'atténuer par les incertitudes de l'allégorie ». La parole divine
s'adresse ici à un sacerdoce qui offre des victimes tarées pour lui

apprendre qu'aux victimes de chair succéderont des victimes spiri-


tuelles. Ce sera, non plus le sang des ])oucs et des génisses,
mais
l'encens, thgmiama, c'est-cà-dire les prières des saints qui formeront
l'otfrande présentée à Dieu; non plus dans une seule province du
monde, ni dans la seule ville de Jérusalem, mais en tout lieu; non une
MÉLANGES. 267

oblation impure comme celle du peuple d'Israrl, mais pure comme


les cérémonies des chrétiens. Le commentateur n'insiste pas davan-
tage sur la nature de cette nouvelle oblation, comme s'il voulait con-

server l'imprécision de l'oracle.


prend pour elle les éloges qui sont adressés à Jérusalem
Si l'Église
et les grandeurs qui lui sont promises, elle participe en retour aux
reproches et aux menaces dont la ville sainte est l'objet. En ceci
Jérôme demeure logique avec lui-même. « Que nul ne s'émeuve,
note-t-il au chap. ni de Sophonie, de ce que mon interprétation ait
un sens défavoral)le à l'Église, sachant que Jérusalem dans l'Écriture
Sainte est toujours le type de l'Église ». Au premier abord il semble
blasphématoire d'appliquer à l'Égbse Sophonie ii, 15, où il est dit
que la cité glorieuse qui s'enorgueillissait est devenue le repaire de
labHe. Maison le trouvera moins choquant si l'on se réfère au sombre
tableau de H Tim. ni, 1-i « Dans les derniers jours arriveront des
:

temps dangereux où les hommes seront épris d'eux-mêmes, cu-


pides, etc. »; à Matth. xxiv, 12, où l'on voit à l'abondance de l'ini-
quité répondre le refroidissement de la charité. Qu'on veuille bien
penser aussi à Luc xviii, 8 Le Fils de l'hotnme trouvera- t-il de la
:

foi sur la terre?Pourquoi s'étonner après cela de l'extrême désolation


de l'Église qui sous le règne de l'Antéchrist sera réduite en solitude?
Jérôme cède difficilement au point de vue eschatologique. De là cette
restriction Bien que ceci puisse en général s'entendre de l'Anté-
:

christ, nous voyons chaque jour des gens qui paraissent appartenir
?tl'Église, mais qui la désolent parleurs actes. Sur Isaïe iv, il revient

au principe énoncé plus haut, à savoir que tout ce qui dans l'his-
toire est entendu contre Jérusalem se rapporte à l'Église, lorsqu'elle
offense Dieu et qu'elle est livrée à ses adversaires au temps de la
persécution, ou aux vices et aux péchés.
L'Antéchrist revient, mais encore au second x^lan, dans l'exégèse
d'IIabacuc ii, qui dépeint l'orgueilleux attirant à lui les nations.
5,
Le passage concernerait directement Nabuchodonosor, et en second
lieu, le diable ou l'Antéchrist qui poussera l'audace au point de s'as-
seoir dans le Temple et de se déclarer dieu. Néanmoins l'interprétation
reste tout à fait libre. L'on doit savoir que ce chap. ii d'Habacuc
peut, selon sens anagogique, s'entendre également
l'histoire et le

contre Nabuchodonosor, ou contre le diable, ou contre l'Antéchrist,


ou contre les hérétiques. Daniel xi amène plus franchement la ques-
tion de l'Antéchrist qui viendra en cachette et obtiendra le roijaume
par fraude. Porphyre l'entend d'Antiochus Épiphane. Les nôtres,
comme le remarque notre commentateur, qui s'accordent jusqu'ici
2C8 KKM K lîllîl.ini K.

avec lui ponv suivre rorilfo liistoi'i([iio, [x'iiscnt que tout lo passage
est dit lie lAntéelirist (jui viondi'i à la lin des temps. Mais il y a une
objection, l^ourcpioi dans la pfophétic cette immense lacune entre
Séleucus et la cousonimatiou des siècles? Tout ce qui suit convienl
trop bien à la personne d'Antiocluis pour l'éliminer ainsi. Jér6me
prend donc une voie moyenne. Tout en conservant le personnage
historique, il le regardera comme le type de l'Antéchrist. Ce qui s'est
passé en partie sous lui, trouvera sa parfaite réalisation à la lin du
monde. C'est, en elFet, l'usage de l'Ecriture Sainte de tracer dans des
types la vérité des événements futurs. Ainsi ce qui est dit du Sauveur
au psaume lxm, qui est intitulé « pour Salomon », ne peut convenir
en entier à Salomon. Celui-ci n'a pas existé avant la lune; il n'a pas
dominé de la mer à la mer; toutes les nations ne l'ont pas servi, etc.
Une telle situation n'est applicable à Salomon qu'en partie seulement,
comme une ombre de vérité, mais elle s'est réalisée parfaitement
dans le Sauveur. De même que le Sauveur a Salomon et d'autres saints
pour types de son avènement, de môme l'Antéchrist a pour type
le pire des rois, Antiochus, qui persécuta les saints et viola le Temple.
Finalement, d'après Daniel xi, ïi Il fixera sa tente dans Apadno,
:

entre les mers, sur un mont illustre et saint ; il viendra sur le sommet
et persoïine ne le secourra. Les devanciers de notre docteur interpré-

taient ce texte de l'Antéchrist qui, après avoir fixé sa tente près de


Nicopolis, vient au mont des Oliviers d'où le Seigneur est monté vers
son Père. Personne ne lui portera secours, car c'est là même qu'il
sera tué par le Christ. Saint Jérôme ne contredit pas ses collègues,
déclarant qu'il se trouve bien des choses qui ne peuvent s'appliquer
à Antiochus, en dépit de l'assertion contraire de Porphyre. Le juge-
ment définitif est, en effet, réservé à Jésus. Le commentateur cite, en
effet, à propos d'Ézécliiel xxi, 27 : donec ve?iiat cujiis est judicium,
le texte de Joh. v, 22 Le Père ne juge pas, mais il a donnr tout
:

jugement au Fils. Daniel vu, 13 Voici, avec les nuées du ciel venait
:

comme un fi.ls de Vhomme, évoque dans l'esprit de saint Jérôme non


pas la réponse de Jésus au grand prêtre (Mat. xxvi, 6i), mais la
parole des anges aux Galiléens tenant leurs regards fixés au ciel
après l'ascension de leur Maître Ce Jésus qui vous a été enlevé au
:

ciel, viendra de la même façon que vous Vavez vu aller au ciel.

pour être complète aurait dû comprendre


Cette analyse rapide, qui
lecommentaire sur les Psaumes, sera suffisante, croyons-nous, pour
donner une idée delà façon dont saint Jérôme a envisagé l'argument
prophétique lequel, selon Pascal, est la plus grande des preuves de
MKLANGES. 269

Jésus-Clirist. Il s'est d'abord guidé beaucoup sur l'usage que les

écrivains du Nouveau Testament ont fait des oracles de l'Ancien,


s'inclinant devant de telles autorités sans toujours s'inquiéter si leur
adaptation était seulement typique ou allégorique. Cela provient de
son point de vue ccclésiologique et de sa répugnance pour les rêve-
ries eschatologiques. Le premier avènement, c'est-à-diie le Christ,
les Apôtres, l'Église, voilà ce qui attire surtout son attention. Il lui

tient à cœur d'établir par les prédictions divines la déchéance de la


Synagogue et la vérité de la religion chrétienne à la face môme des
Juifs. Dans les cas où le Nouveau Testament n'est pas intervenu, il

admet la force probante de certains textes qui ne souffrent qu'une


interprétation et qu'il appelle manilestissima prophelia. Comparé aux
exégètes ou aux prédicateurs de son époque, Jérôme se distingue par
sa sobriété et sa réserve. Ses premiers commentaires se ressentent
davantage de l'influence des Orientaux pour qui le texte sacré était
surtout un thème sur lequel leur goût de la subtilité trouvait à s'exer-
cer. « Ne croyez pas à mes paroles, disait saint Cyrille de Jérusalem,
si je ne vous présente pour chacun des faits le témoignage des pro-

phètes. Tout ce qui regarde le Christ a été écrit; rien d'ambigu, rien
sans témoignage, tout a été gravé sur les tablettes prophétiques (1). »
Le défaut de cette exégèse est de ne pas assez faire la distinction
entre les choses particulières mêlées aux prophéties et celles du Messie,
de sorte que la même valeur est accordée à tous les passages. S'il

au procédé allégorisant, Jérôme reconnaît qu'il opère


sacrifie parfois
sur un terrain moins sûr; aussi laisse-t-il le lecteur libre de suivre
une interprétation autre que la sienne. Il ne se sent à l'aise que lors-

qu'il peut fuir les incertitudes de l'allégorie. Mais sa véritable supé-


riorité sur ses contemporains réside dans l'usage qu'il fait de la

critique Pendant que ceux-ci s'évertuent à lire l'avenir


textuelle.
dans un texte altéré, Jérôme aboutit à des points de vue différents en
restituant à la phrase sacrée sa réelle valeur. Bien que tout ne soit pas
de la même solidité dans son argumentation, nous devons reconnaître
que depuis ses commentaires l'étude des prophéties est restée de
longs siècles sans faire de progrès.
F. Abel, 0. P.


(1) Catéch. XII, 5; XIII, 8.
270 Ui: M !•: lîIlMJO^E-

IV

LA MONOGAMIE KT LE CONCiniNAT DANS LE CODE


DE HÂMMOl KADl

LKS COMUATS UE LA PRKMIKRK DVNASTIF. I5ABVL0MKNNE

i:r i/msToniE patriarcale.

La Monogamie est assurément l'une des preuves les plus solides de


la moralité d'une civilisation.
La famille étant l'élément constitutif d'une nation, la moralité fa-
miliale est le facteur essentiel des bonnes mœurs d'un peuple. Mais,
pour faire et la dignité au foyer, il n'y a pas d'institu-
régner l'ordre
tion comparable monogamie. La présence d'une seule épouse
à la
dans une maison y amène l'union et la bonne éducation. Devant con-
centrer ses sentiments sur une femme unique, le mari témoignera à
celle-ci un amour plus vif et un respect plus profond. Du même coup
la fidélitéconjugale aura la plus sûre des garanties. Et pour donner
à leurs enfants une bonne éducation, au prestige de l'autorité les pa-
rents joindront le puissant appui de leurs excellents exemples.
Or, cette cause si efficace de moralité, le code de Ilammourabi la
possède. A tous ceux qui l'ont étudiée, la législation matrimoniale de
Babvlone a paru véritablement fondée sur le principe monogame.
Sans doute le droit de concubinat enlève à cette règle son caractère
absolu, mais ne parvient pas à l'ébranler. Les §^ 145-147, con-
il

sacrés à la réglementation de ce droit, montrent, en eflét, que le


mari ne pouvait avoir qu'une seule concubine, que l'épouse pouvait
imposer son esclave en cette qualité à l'exclusion de toute autre
femme, et que, dans tous les cas, la concubine, malgré certaines
dispositions humanitaires prises à son égard, ne devenait jamais
Légale de l'épouse, mais demeurait toujours son esclave. Tel est
équivalemment le langage des assyriologues qui ont traduit le code
de Hammourabi et des juristes qui ont examiné son droit (1).

(1) « Le mariage est régulièrement monogame, le mari ne peut avoir qu'une seule
Jemme principale (hauplfrau). II que lorsqu'il écarte son épouse à causée d'une mala-
n'y a

die incurable, qu il est autorisé à prendre une seconde femme; mais il doit veiller à l'en-
MELAiNGES. 271

Maleré le nombre et la valeur des autorités ciui s'étaient accordées


pour discerner la monogamie dans le code de Hammourabi, on pou-
vait cependant bésiter à proclamer qu'en fait l'ensemble des mariages
chaldéens aient été monogames. Un recueil de lois est essentielle-
ment théorique; et l'expérience prouve que la théorie c'est un idéal
dont bien souvent la pratique diffère beaucoup. Puis, si l'unité
d'épouse est supposée par l'onivre du législateur de Babylone, elle ne
s'y trouve nulle part imposée par un précepte formel.
Entin, il était permis de se baser sur le caractère casuistique du
code chaldéen pour supposer l'omission de lois envisageant les cas

de bigamie ou de polygamie.
A présent nous sonmies en mesure de savoir comment dans la
réalité lesChaldéens se sont conformés au principe monogame. La
vie réelle des contemporains de la première dynastie babylonienne
nous est exposée dans les deux mille contrats découverts à Sippar,
bilbat, Babylone, Nippur, Warka, Larsa, Lagash, etc., traduits ou
étudiés par les Meissner, les Ranke, les
Pinches, les Scheil, les
Ungnad, les Gautier, les Tliureau-Dangin, les Schorr, les Langdon,
et les Cuq. Assurément ces actes juridiques ne se rapportent pas
tous au mariage. Le nombre des contrats de mariage ou de concubi-
nat proprement dits est même assez restreint. Par contre, les allu-
sions à l'épouse faites dans les actes juridiques relatifs aux diverses
affaires sont très fréquentes. 11 est donc exact d'affirmer que les docu-
ments juridiques permettent de constater la façon dont la mono-
gamie a été observée dans un grand nombre de cas.

Iretien de lapremière femme '§ 148)... Au contraire, l'homme est régulièrement autorisé à
ineiulre une concubine [svf/itiim), surtout dans le cas d'un mariage stérile, mais aussi
dans d autres cas. Cependant il ne doit pas le faire, si l'épouse lui a donné une concu-
bine. Kohler undUngnad, Humiinirabiscjeselz, Band 111, s. 121.
>)

« La constitution de la famille lej ose presque sur la monogamie. On peut dire que la

polygamie n'intervient que si la première épouse n'a pas eu d'enfants. Encore l'épouse des
justes noces a-l-elle plusieurs moyens de maintenir sa situation prépondérante. » P. La-
grange, La Méthode historli/ue, p. 161.
« Le caractère du mariage babylonien est essentiellement monogame, en tant que le

mari ne peut avoir qu'une seule épouse. Il peut avoir une concubine (sugetu) ou une
esclave 'amtu), en outre de l'épouse; mais il n'est pas permis au mari d'avoir une se-
conde siirjetu ou amtu, si la première a eu des enfants (g 144). Jamais cette femme secon-
daire n'obtient la place et les pleins droits de l'épouse (asmtii) (gg 144-147). » Grimme,
Vas Gesetz Hammurabis, p. l'i.

«. Le mariage est régulièrement monogame. » J. Jeremias, Moses und Hammourabi,


p. 12.
a La monogamie est reconnue en principe, en ce sens que nul ne peut avoir plus d'une

femme légitime. " Dareste, Journal <tes Savants, 190>, p. 580.


« La Monogamie était la règle. » Rivière, Revue des Idées, 190Ô, p. 137.

« La Monogamie est de règle. » Cuq, Jienie biblique, 1905, pp. 170, 171.
•272 HIÎVUE Him.lUUlî.

Oi". rcxameu des piôc(>s jm'i(li(|Uos, (jui nous livrent plusieurs scènes
de la vie réelle des auliiiucs Chaldcous, est loin (rattcstcr un désac-
cord entre la théorie et la praliciue au point de vue du niariai^e. Aussi
bien que le code de liauiniourabi, les documents de la première
dynastie babylonienne permettent de dire que, si le mari peut avoir
des concubines, il n'a qu'une épouse, hormis l'éventualilè de la mala
die de celle-ci.
A de l'unité d'épouse nous ne trouvons qu'une exception.
la règle
Le fait, qu'il s'agit d'un homme se mariant aux deux sœurs, rappelle
l'histoire de Jacob épousant Lia et Rachel. Et ce rapprochement peut
suggérer riiypothcse que le cas du Chaldéen a été anormal aussi bien
que celui du patriarche hébreu.
Sur le droit de concubinat il existe un document particulièrement
intéressant parce le code de llammourabi et
que, aussi bien que
l'histoire patriarcale, il envisage deux points de la prise d'une
les

concubine et de sa rébellion contre l'épouse. Une comparaison entre


ce document, les lois chaldéennes et les récits génésiaques est bien de
nature à être suggestive.

L'unique cas de bigamie que nous a manifesté l'étude des contrats


de la première dynastie babylonienne, se trouve attesté par deux
documents. Tous deux proviennent de Sippar. Quoique aucun ne soit
daté, on les attribue cependant au temps de Sin-muballit, le prédé-
cesseur de Hammourabi. Publiés par Meissner (89) et dans le Cunei-
form Texts from Bahylonian Tablels du British Muséum (ii, 44), ils
ont été traduits ou étudiés par Pinches, Meissner, Delitzsch, Kohler-
Ungnad, Schorr...
Puisque ces pièces ne sont pas datées, nous devons nous appuyer
sur la critique interne pour leur assigner leur place chronologique
respective. M. 89 et C. T. ii, kk ne sont pas en effet des doubles; ils
ne nous offrent pas les tablettes extérieure et intérieure du même
contrat. Car si les mêmes personnes interviennent et si les actes con-

clus et les rapports réglés sont de même que les deux


nature, il est clair

documents n'ont pas pour objet des conventions identiques. M. 89


relate le mariage avec l'une des sœurs tandis que C. T. ii, 44 consigne
le mariage avec les deux sœurs. Pendant que le premier contrat déter-

mine les rapports entre les sœurs avant les situations du mari et de ses
épouses, l'ordre est renversé dans le second document. Enfin M. 89
envisage seul la situation des enfants des deux mères vis-à-vis de
MÉLANGES. 273

celles-ci. En face de ces teneurs, nous pensons que l'acte de mariage


avec une seule épouse est antérieur à l'acte de mariage avec les deux
femmes. Ce n'est pas que nous croyions à la priorité de l'union avec
Iltani. Non, l'état d'infériorité où celle-ci se trouve vis-à-vis
de sa
sœur, Tarani-Sag'ila, rendrait bien diflicile le soutien d'une telle opi-
nion. Mais le fait que dans M. 89 il soit question « d'enfants déjà nés »
met en évidence l'antériorité du mariage avec Taram-Sagila. En con-
séquence, selon nous, les faits se seraient passés de la façon suivante :

Warad-Samas se serait d'abord marié à Taram-Sasila, dont il aurait


eu des enfants, et la tablette relatant cette union ne nous serait pas
parvenue; puis il aurait épousé Iltani, et le document M. 89 aurait
consigné ce mariage, réglé les rapports mutuels des deux sœurs, et fixé
la situation des enfants actuels (de Taram-Sagila) et futurs vis-à-vis
des deux épouses; enfin le document C. T. ii, 4i qui établit le mariage

de Warad-Samas avec les deux sœurs et détermine l'attitude mutuelle


de ces dernières, aurait été rédigé postérieurement, afin d'être subs-
titué aux deux précédents contrats. Mais avant de procéder à l'expli-
cation et à l'interprétation de ces actes juridiques, il importe d'en

donner une traduction aussi fidèle que possible.


M. 89.

l-.j "Warad-Samas. flls de Ili-ennam, a pris en épousailles {ana assutim) Iltani,


sœur de Taram-Sagila, de Samas-tatura, leur père (abisina).
G-10 Iltani, sa soeur, aura soin de sa parure (,!;, elle lui sera secourable, elle por-
tera sa stalle au temple de 3Iarduk.
11-12 Les enfants, tous ceux qui ont été ou qui seront enfantés, seront leurs en-
fants.
13-19 Si elle (Taram-Sagila^ dit à Iltani, sa sœur : « tu n'es pas ma sœur » et les

enfants... disent..., on la rasera et on la donnera pour de l'argent.


20-23 Si Warad-Samas dit à ses épouses : « vous n'êies pas mes épouses », il

pèsera une mine d'argent.


24-2-} Devant Eribam-Sin, fils de Ga...; devant Sin-abusa. fils de Hu... ;

devant Siu magir, fils delNa... : devant Ziatum, fils de...; devant liuria. fils de Ibni...;
devant Sin-samuh, fils de Nur-Sin; devant Samas-balati : devant IS'ur-Samas, fils

de...; devant Ku (?)-lilura, fils de Zam...: devant Libit-sin, fils de Ibi...; devant
Aliu-tabum.
36-3.S Et si elles disent à Warad-Samas. leur mari {mutisina) : « tu n'es pas mon
mari ", on les prendra et on les jettera dans le fleuve.

C. T. H, kï.

a] « Zini izini, salamisa isaUrn >>. La première partie de ce texte est d'une traduction
diflicile. En s'appuyant sur le sens du verbe salamu. Kohier rt Ungnad ont traduit « si :

Taram-Sagila est attristée, Iltani sera attristée: si elle est satisfaite, elle sera satisfaite ».
Prenant pour point de départ un verbe z'an, « orner », Schorr a adopté le sens que nous
avons clioisi. Cette signification a au inoins les avantages d'éviter l'étrangeté et de ne pas
introduire un sens moral au milieu d'un contexte matériel.
«EVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. Xl\. 18
274 IIHVUK lUIM.lOli;.

1-5 Taram-SaLîil.i cl lltani, lilles de Sm-.ilm.sa, \Var;id-Samas les a prises en vpou-


saillcs et en niariaiio [(in'i assidiin u tniihilim).

G-tl ;Si) 'raraiii-Sa!;ila ei Ili.mi disent a Warad-Samas leur mari mutisiiui) : « tu

n"es pas mon mari on les


», jettera de la tonr(l).

li>-1(; Et si "Warad-Samas dit à Taram-Saiiila ou à lltani, ses épouses (assalisu) :

V lu u'es pas mon épuuse ». il sera privé de la maison et du mobilier.


17-25 Kt lltani lavera les pieds de Taram-Sagila ; elle portera son siège à la mai-
son de sou Dieu: lltani aura soin m. à m. ornera) des ornements de Taram-Sagila,
elle lui sera secourable; elle n'ouvrira pas son sceau; elle lui moudra et lui cuira

tO ka de farine.
iHî-:55 lils de Ua-Sa-abi; devant Dulukum, liis de Ziza-nawirat; devant
Kribani,
Sin-mai;ir. de F.tellum; devant Ibi-natum, lils de Nur-abi; devant Ka-rabi, flis
fils

de Upi-seme: devant Sin-samulj, lilsde \ur-Sin; devant Uru-kila, fils de Sin-gamil;


devant Silli-Adad, fils de Erib-sin; devant Samas-ris, fils de lli-beli; devant Apil-
ilisu, lils de Sin-balasu.

Il est aisé de voir que ces deux documents concordent parfaitement,


et pour la situation des deux sœurs vis-à-vis de leur mari commun, rt
pour leurs rapports mutuels.
Vis-à-vis de NYarad-Samas, Taram-Sagila trouvent sur
et lltani se

le pied de la plus parfaite égalité, elles sont épouses (assatnm) aussi


bien l'une que l'autre. Pour marquer les liens qui les unissent à leur
mari, on se sert d'appellations communes. Et pour châtier les infidé-

lités soit des femmes vis-à-vis de Fliorame, soit de celui-ci envers


celles-là, on a prévu des peines identiques.
Quant à leur position réciproque, lltani est certainement inférieure
à sa sœur. Peut-être pourrait-on s'appuyer sur les oblig'ations d'une
de ces femmes à l'endroit de l'autre, pour refuser la^même qualité à
toutes les deux. C'est au moins le sentiment de Schorr qui prétend
que seule Taram-Sagila était épouse et que lltani était une simple
concubine. Nous ne pouvons souscrire à cette interprétation. Ses par-
tisans, selon nous, méconnaissent les nombreuses preuves de parfaite
ég-alité entre les deux sœurs et exagèrent la distance qui sépare lune

de l'autre.
A l'argument de la parfaite égalité de Taram-Sagila et de lltani en
face de Warad-Samas, nous pouvons ajouter une preuve de haute
convenance tirée du fait que ces deux femmes étaient sœurs. Il

répugne en effet d'admettre que le droit chaldéen, dont l'équité, la


moralité et l'humanité ont été vantées à juste titre, ait toléré la
déchéance si profonde et l'affront si sanglant pour une femme d'être
la co|icubine du mari de sa propre sœur.

(1) C'est évidemment dans le fleuve qu'on devra les précipiter de cette tour, d'après le
document précédent.
MÉLANGES. 275

D'ailleurs, ne faut pas exagérer l'iafériorité d'iltani par rapport à


il

Taram-Sagila. La vérité est que la parité existe pour la situation essen-


tielle de ces deux femmes et que la subordination de l'une à l'autre

n'est relative qu'à des choses tout à fait secondaires. D'après M. 89,
Tarani-Sagila est menacée d'un châtiment, pour le cas où elle vien-
drait à renier sa sœur. Ce même contrat ne prescrit-il pas que les
enfants des deux mères doivent être considérés par celles-ci comme
les leurs? En vérité, de nous paraissent en contradic-
telles clauses

tion formelle avec C. H. si§ J 45-14.7 qui interdisent à la concubine


de s'égaler à l'épouse, et qui, pour ce crime, la punissent par l'escla-
vage sans ou avec vente, suivant qu'elle possède des enfants ou en est
dépourvue.
L'assistance qu'Iltani doit prêter à Taram-Sagila suppose une
subordination, mais n'implique point nécessairement une condition
servile. Nous n'avons point à dissimuler que laver les pieds, porter
un siège au temple, s'occuper de la parure, servir avec zèle, moudre
et cuire de la farine sont des offices que rendaient ordinairement les
esclaves. iMais les esclaves devaient accomplir J>eaucoup d'autres
besognes. Et le fait que les devoirs d'iltani aient été ainsi délimités
prouverfiit déjà, à notre sens, que celle-ci n'était pas une esclave. En
tout cas, nous ne croyons pas que l'énumération restreinte d'obliga-
tions contenue dans les contrats doive supprimer les arguments de
première valeur tirés de l'égalité des deux femmes vis-à-vis de leur
époux et de de leur situation essentielle réciproque.
la parité
Mais comment expliquer la subordination d'iltani à Taram-Sagila?
A défaut de certitude, il nous faut proposer des hypothèses, que nous
emprunterons soit à la règle monogame, soit à l'adoption.
Tout d'abord on peut supposer que le mariage chaldéen devant
être en règle monogame, des infractions n'étaient apportées à cette
loi que pour des cas exceptionnels et graves, et à la charge pour la

seconde épouse de rendre queh{ues services à sa devancière. Cette


hypothèse rendrait compte de la rareté des cas de bigamie, de la
qualité d'épouse .accordée également aux deux femmes et de la subor-
dination de la seconde à la première.
On a pu remarquer que les deux documents cités ne donnaient
pas le même nom au père de Taram-Sagila et d'iltani. Dans M. 89. il
est appelé Samas-tatum et dans C. n, ïï, il est nommé Sin-abusu.
Pour solutionner cette difficulté, Schorr propose une opinion (jui
apporterait elle aussi des lumières sur la situation respective des deux
sœurs. C'est que celles-ci ne seraient sœurs qu'en vertu de l'adoption.
Samas-tatum serait le vrai père de Taram-Sagila, tandis qu'Iltani
-27C, Ui:\LH IMIU-lnlK.

serait lapropre fille de Sin-almsu. l'oiir un motif (|uclcou((ue Sainas-


tUum aurait alopté lltaui. On concevrait alors pourquoi cette dernière
serait dans un état dintÏMiorilé vis-à-vis de la vraie tille de Sanias-
latuin, tout en étant mise cependant sur le pied d'une certaine égalité
avec elle. Malheureusement l'hypothèse de Schorr ne parait pas jus-
titîée par les textes. Aussi bien que de Samas-tatum [nhi-siiKi, leur
père'i, raram-Sasila et Utani sont présentées comme filles de Sin-

abusu. Hien n'indique que ces deux femmes ne soient sœurs que par
l'adoption. En admettant même que le titre de « fille de Sin-almsu »
ne soit appliqué parC. ii, V'i qu'à Iltani, pourquoi celle-ci sérait-elle
désignée comme fille de pères difierents pour le mariage avec le
même individu? Il serait en effet absurde d'admettre que l'adoption
d'iltani n'ait eu lieu cpi'après son mariage. Il faut donc de toute
nécessité rejeter la supposition d'une adoption et renoncer aux lu-
mières qu'elle apporterait à la dualité des noms paternels. Tour
résoudre cette difficulté, nous ne trouvons pas d'autre alternative que
l'admission d'un double nom pour le même personnage ou que la
confession de notre ignorance.
Si nous jetons maintenant les yeux sur l'histoire patriarcale, il est

aisé de constater qu'elle parle, au sujet de la monogamie, dans le

môme sens que le code de Hammourabi et que les contrats contem-


porains. Tous les patriarches furent monogames. Seul Jacob fit excei)-

tion à cette pratique. Mais la Genèse nous apprend qu'Israël ne fut


bieame que par surprise et que ses deux épouses étaient sœurs (Gen.
XXIX, 10-30). Ainsi donc l'histoire patriarcale confirme elle aussi le

fai\ du caractère habituel de la monogamie


et du cas fortuit de la

bigamie chez les peuples d'origine chaldéenne.


Par le fait même qu'ils se rapportent l'un et l'autre à deux sœurs,

nous sommes autorisés à rapprocher le cas de bigamie des contrats de


celui de la Genèse. Assurément les renseignements
fournis par les

deux documents sont trop laconiques et trop disparates, pour que


nous son^-ions à les présenter comme deux foyers lumineux qui s'éclai-

projettent une pleine lumière sur


rent mutuellement et qui par suite
de \Yarad-Samas et de Jacob. Mais, à défaut d'explica-
les situations

tions certaines, la comparaison des contrats M. 89 et G. T. ii, 44- nous


apportera des explications plausibles.
Les documents babyloniens ne nous renseignent pas sur le motif
de la bigamie de Warad-Samas. Ge silence n'a du reste rien d'éton-
nant. Nous savons en effet qu'habituellement tout mariage a
pour
cause l'amour et que les sentiments ne sont pas consignés dans
les

contrats. Mais l'histoire de Jacob et de ses deux épouses nous permet


MELANGES. ii"ïT

de préciser à titre hypothétique les sentiments qui ont pu inspirer


Warcad-Samas. en effet, très possible que ce personnage, aussi
Il est,

bien que Jacob, ait voulu épouser seulement la sœur cadette, soit
Iltani. Il pouvait se faire que la souu* ainée Taram-Sagila no fût point

encore mariée et qu'à cause d'un défaut quelconque elle fut d'un
établissement diflicile, tout comme lia (Gen. xxix, lG-18). Évidem-
ment il ne serait pas sérieux de notre part de prétendre que le beau-

père de Warad-Samas aurait renouvelé le stratagème de Laban pour


placer sa fille ainée (Gen. xxix, 22-23). Mais nous pensons agir tout
autrement en prenant en considération la réponse faite par Laban
aux reproches de son nouveau gendre « Il n'est point dans la pra-
:

tique de notre région de donner [en mariage] la tille cadette avant


la fille aînée « (Gen. xxix, 26). Une coutume, sinon une loi, qui était

en vigueur à Ijaran, pouvait bien exercer son influence jus([u'à Sippar.


Cette hypothèse fournit, on le voit, une explication vraisemblable
de la bigamie de ^yarad-Samas.
D'autre part le récit génésiaque ne nous dit nulle part que l'infé-
riorité d'une des épouses de Jacob par rapport à l'autre ait eu pour
conséquence l'obligation pour la première de rendre des services à la
seconde. Mais l'histoire patriarcale nous dit que Jacob chérissait Rachel
et haïssait Lia ib. 30, 31 Quoique Israël ne tint pas une telle con-
, 33 .

duite, il est permis de supposer qu'un mari parfois ait obligé l'épouse
moins aimée à s'acquitter de certaines obligations envers l'épouse
préférée. L'histoire de Jacob donne un appui à une autre hypothèse
que celle du droit d'ainesse pour expliquer les rapports respectifs de
Taram-Sagila et dlltani.

D'après le code de Hammourabi et suivant l'histoire patriarcale,


seul le droit de concubinat, avons-nous dit, apporte un certain tem-
pérament à la rigueur de la loi de la monogamie (1).
A moins que l'on ne fasse rentrer dans cette catégorie plusieurs
contrats où des esclaves femmes sont payées particulièrement cher (2j,

(1) On peut considérercomme une espèce de divorce, ([uant aux actes conjugaux,
le cas où première épouse est malade. Aussi nous ne considérons pas C. H. g 148, qui
la

permet de prendre une autre épouse dans cette hypothèse, comme autorisant la bigamie.
(2) Ainsi nous trouvons des esclaves femmes payées 51 et 57
sicles d'argent (KL. m, 430,

431, Amiiiiditana} alors i[u'un esclave mâle est acquis par 10 sicles d'argent (KU. m, 422,
Rim-Sin) et que d'autres esclaves femmes sont achetées pour le prix respectif de 10
(KU. III, 423, 425, Hammourabi), de 7i [428, Samsu-iluna) et rnéme 4: (KU. m. 423) sicles
d'argent. Évidemment nous ne faisons qu'une hypothèse. Coite majoralioa de prix peut en
27H HKVUE lilBI.UjUK.

nous li-ouvoiis peu île cas de concubinat dans les docunieuls <jui nous
sont parvenus. De cette [)énui'ic, cpii nesl duc ((u'à l'insullisance des
découvertes, il tant évitlcninient bien se ijai'dei' de conclure à la rareté
de la pratique du concubinat cbez les (llialdécus.
Parmi les trois ou quatre documents relatifs au «ii'oit de concubinat
que nous possédons, il en est un que nous devons étudier avec inr soin
particulier. Il envisage en eflet les deux [)oints de cette question sur
lesquels le code de llammourabi a statué (s;§ 14 V-IVT) et auxquels fait
également allusion l'iiistoire patriarcale (Gen. \vi; x\i;xx\, ;J-5,
9-10) la prise d'une concubine et sa rébellion contre l'épouse. Il
:

s'agit du contrat noté C. T. vin -22'', Kohler-Ungnad m i24, Schorr 77,


daté (lu règne de llammourabi, et provenant de Sippar. Voici sa tra-
duction :

1-1 liiinini-abi et Heli-zunu ont aclicté {isamii) à Ibi-Sa'an, son père, Samas-nuri,
fille de Ibi-àa'an.
5-6 Pour Buniiii-abi. c'est une épouse {asat): pour lîeli-/unu, c'est une esclave
{(UiicU).

7-10 Au jour où Sanias-uuri dira à Beli-ziinu, sa maîtresse (bcltisa) : « tu n'es pas


ma maîtresse {belti) », on la rasera, pour de l'argent on la donnera.
11-12 Pour son prix d'achat, on a pesé 5 sicles d'argent.
13-15 On a transmis le buknnnn. La transaction a été conclue par là. [Son cœur]
(du vendeur) est satisfait. Dans l'avenir aucun ne réclamera contre l'autre.
18-1!) Par Samas, Aja, Marduk et llammourabi. ils ont juré.
20-20 Noms de 7 témoins.
27-28 Le 3 Ajai'um, l'année du trône de Sarpanitum

Tout d'abord, pour la prise d'une concubine, il importe d'examiner


l'auteur du choix, la situation sociale de la personne obtenue et le
mode d'acquisition.
Sur ces trois points, la plus parfaite concordance règne dans les
principaux récits de la Genèse relatifs à des cas de concubinat. Dans
les histoires de Sara et d'Agar, de Rachel et de Bhilliali, de Lia et de
Zilpah (Gen. xvi, 1-3: xxx, 3-5, 9-10), c'est toujours l'épouse qui
donne son esclave à son mari. Dans cette triple circonstance le motif
d une telle démarche fut identique ou analogue.
Sara et Rachel donnèrent leurs esclaves à leurs maris, parce
qu'elles étaient stériles; et Lia agit ainsi, parce qu'elle avait cessé
d'enfanter. Pour la prise de Géthura, la Genèse nous présente Abra-
ham agissant différemment : « Et Abraham prit encore une femme
['issah), dont le nom Céthura » (Gen. xxv, 1 sq.). Comme Sara
était
était inorte, ce fait ne saurait être invoqué comme preuve de linitia-

effet s'expliquer y)ar bien d'autres raisons que le concubinat, comme par des qualités ou
des aptitudes particulières.
.

MÉLANGES. 279

tive prise par le mari pour le choix d'une concubine, du vivant de


l'épouse. Le texte sacré ne dit rien de la condition servile de Céthura.
Daprès formule qui annonce son union avec le patriarche, on
la

pourrait même
croire qu'il s'agit d'une épouse, si Ton ne remarquait
que ses enfants, à la différence du fils de l'épouse, Isaac, ne parti-
cipent pas à l'héritage paternel, mais ne reçoivent que des présents
{ib. 5-G), et qu'à l'encontre du fils de concubine reconnu Ismael, ils

ne reçoivent pas le titre de fils, mais sont relégués au loin et n'in-


terviennent pas pour la sépulture d'Abraham {ib. 5, 9). 11 n'y a donc
pas de doute. Céthura fit partie des concubines (pilégés) dont parle
le v. G (1). Nous pouvons penser que, si cette concubine n'était pas de
condition servile, elle fut acquise au moyen d'une somme d'argent,
inférieure à une tirhatu. S'il s'agissait d'une esclave, ce prix aurait
été payé à son maître.
Les articles du code de Hammourabi sur la concubine sont ainsi
conçus :

§ 144

Si un homme a pris une épouse (assatam) et si cette épouse a donné une esclave
(amtam) à son mari et a fait exister des enfants,
(Si) cet liomme a placé sa face (s'est proposé) pour prendre une concubine (sugetam),
On ne le permettra pas à cet liomrae, il ne prendra pas de concubine.

§ 145

Si un Ijomrae une épouse et si elle ne lui a pas fait posséder d'enfant,


a pris et s'il

a disposé sa face pour prendre une concubine (sugetam),


Cet homme prendra une concubine, il l'introduira dans sa maison.
Cette concubine, il ne l'égalera pas à l'épouse.

§ 146

Si un homme a pris une épouse, et si elle a donné une esclave à son mari et si

celle-ci a enfanté des enfants;


iSi) ensuite cette servante s'égale à sa maîtresse (beltisa; parce qu'elle a enfanté
des enfants,
Sa maîtresse ne la donnera pas pour de l'argent, elle lui apposera une marque
(abbutam) et la comptera avec ses esclaves.

(1) Le V. G parlant iles concubines d'Ai)raham, on pourrait se demander s'il n'est pas fait

allusion à d'autres l'eiumes qu'Agaret Céthura. Oe lail, il est dit que les fils de ces person-
nes furent éloignés d'Isaac (et cependant Ismael aide Isaac à ensevelir Abraham). Toutefois
nons ne croyons pas que le patriarche eùl d'autres concubines qu'Agar et Sara. Il serait
en eifel étrange que la t'.ible soit inuelte sur ces concubines et sur leurs enfants alors
([u'elle s'étend sur Agar et Ismael, sur Céthura et ses fils. Aussi, à supposer que le pluriel

concubines ne soit pas fautif, nous coinpienons sous ce nom Agar et Céthura et par leurs
enfants les pelits-dls d'Agar, les fils d'Ismaal v. 12 et 16j, et les (ils de Céthura.
•2.S0 UEVLIE BinLIQL'l-:.

§ 147

Si elle n'a pas enfanté d'enfants, sa maîtresse la donnera pour de l'ariioiii.

Le code lie llainniourabi nous apprend (|ue riiiitiative du choix


d'une concubine est laissée soit à Tcpouse, vji; IV'i., l'i-G, soit au mari,
§ liô. Quant à la situation sociale de cette personne, c'était celle d'une
esclave, lorsqu'elle était lournie par l'épouse, mais elle pouvait être
celle d'une personne libre, lorsqu'elle était prise par le mari. Le code
(ijj^ liV-liG) distingue en effet très nettement l'esclave (amtnm) offerte
par l'épouse de la concubine (sur/eliau) obtenue par le mari. Or la
sugetum n'était pas nécessairement de condition servile. Cette double
condition de la femme se retrouve dans la Genèse qui nous présente
Agar, Hhilbali comme des esclaves [siphljàh ou Uimâh), et
et Zilpah
Céthura comme une pure concubine \piléfjés). Le code de Hamniourabi
ne nous indique pas le moyen usité par l'époux; pour se procurer
une concubine; évidemment il payait au père de celle-ci une somme
qni devait être inférieure à celle d'une tirliatou donnée pour une
épouse.
Le contrat C. T. viii, 22^', sur l'acquisition d'une concubine, com-
plète et précise les renseignements que nous avaient fournis l'histoire
patriarcale et code de ilammourabi. Il nous apprend que l'initia-
le

tive du choix d'une telle personne au lieu d'appartenir, soit à l'épouse,


soitau mari, pouvait être le propre des deux conjoints. 11 précise que
la concubine n'était pas nécessairement une esclave. C'est en etfet à
son père que Samas-nuri est achetée. Or il n'est pas à croire qu'un
père vende sa fille pour l'esclavage pur et simple. De fait si vSamas-
nuri est une esclave pour Belizunu, c'est une épouse pour le mari de
celle-ci. Puisque l'épouse elle-même au prix d'une
était acquise
somme (tirhatuj payée à son père, le fait de l'achat delà concubine ne
prouve pas nécessairement une condition servile pour celle-ci. Mais
retenons ce verbe (isamu) qui indique que la concubine est obtenue
par voie d'achat. Ce n'est point ainsi qu'il est parlé à propos du ma-
riage. Si le mari verse au beau-père une tirhatou, l'épouse apporte
une seriktu, sa dot. Le prix de Samas-nuri n'est pas excessif, puisqu'il
est de 5 sicles d'argent ou 8 francs de notre monnaie. Cependant,
comme le contrat possède le formulaire des actes de vente, on ne
saurait s'appuyer sur le caractère minime de cette somme pour dire
qu'elle représente plutôt une indemnité, une sorte de tirhatu, qu'un
prix d'achat.
Quand une concubine est introduite à côté d'une épouse, des riva-
MÉLANGES. iHi

lités et des rél)ellions sont probables, sinon inévitables. Aussi ne


faut-il pas nous étonner que l'histoire patriarcale nous ait repré-
senté de telles scènes, et que le code de llammourabi aussi bien que
le contrat C.T. vin, 22'' aient prévu de tels incidents.
D'une façon générale,il y a concordance entre les règlements ap-

portés à cette situation par les trois documents. Mais nous n'hésitons
pas à dire que c'est le contrat qui nous renseigne de la fa<;on la plus
précise sur la règle de conduite à tenir, soit pour prévenir ces contlits,
soitpour châtier les coupables. Le code civil des patriarches n'étant
point formulé mais simplement appliqué ou plutôt vécu, nous
n'avons point à nous étonner de son défaut de précision et de com-
préhension. Mais le fait qu'un simple contrat présente une réglemen-
tation plus nette et plus générale que le code de Hammourabi met
bien en relief la nature casuistique de celui-ci. Tout d'abord le con-
trat prend le moyen le plus efficace pour prévenir tout conflit entre
l'épouse et la concubine, en déterminant de la façon la plus claire la
situation de cette dernière vis-à-vis des deux conjoints poiw le :

mari, une épouse [assatum)\ pour l'épouse de premier rang,'


c'est

c'est une esclave [amtum). Comme on le voit, c'est le mot assalum

qui est usité pour désigner le titre de l'épouse et de la concubine,


vis-à-vis de l'homme qui est leur mari à toutes deux. Cependant à
cause de la su])ordination de la concubine et de la différence des
droits de ses enfants par rapport à l'héritage paternel, on se confor-
mera à la vérité et on servira la cause de la clarté en donnant à cette
femme l'appellation d'épouse de second rang et en réservant le nom
d'épouse de premier rang à la femme de condition libre. Remar-
quons combien il est légitime que la concubine soit considérée
comme une épouse par celui auquel elle a donné des enfants. En
stipulant que par rapport à l'épouse de premier rang la concubine
aura la situation d'une esclave, le contrat parle assurément avec une
grande netteté. Il faut avouer cependant que cette position n'était
pas très relevée pour une épouse de second rang. Une pareille condi-
tion étaitmême une véritable déchéance pour une concubine suge-
tum), qui jusqu'alors n'avait point été soumise à la servitude. Tou-
tefois un correctif doit être apporté à cette observation par le fait
que d'après G. T. viii, 22 la concubine était vis-à-vis de l'épouse une
esclave d'un ordre supérieur. De la clause 7-10 qui condamne
l'esclave concubine à être marquée et vendue, dans le seul cas de
rébellion contre sa maitresçe (1), on peut conclure qu'ordinairement

(l)Le contrat eini)loie précisément le verbe galabu dont se servent le code de Ham-
mourabi ^ Vil, 22(; et 227 et de nombreux contrais et procès pour l'apposition de la
282 i\E\['i: i;iiiLini'i:.

cette lemiiio ne recevait aucune mai'(|uo


et était inaliénable. Or il
n'est pas téméraire de croire que ces privilèiics en supposaient bien
d'autres et qu'on conséquence la condition des concubines était
supérieure à celle des domestiques de notre temps.
Sans recourir à aucune formule juridique mais en un langage très
clair, riiistoire patriarcale donne à la concubine le même titre vis-A-
vis du mari que le contrat C. T. viii, 22''. Même les esclaves des épouses
livrées à titre de concubines à leurs maris prennent de ce l'ait le
titre d'épouses vis-à-vis de ceux-ci. D'après le textegénésiaque c'est
comme 'issah ou épouse qu'Agar, Bliilliali et Zilpah sont présentées à
Abraham et Jacob par Sara, Rachel
et Lia (Gen. xvi, 3; x\x, 4 et 9).
Quant à Cétliura, qui probablement n'était point de condition servile,
il n'est pas étonnant qu'il nous soit dit qu'Abraiiam la prit comme

issah (^Gen. xxv. 1). La Genèse nous donne d'abord à présumer que
les épouses de premier rang- n'avaient point perdu leurs droits sur
les esclaves qu'elles avaient données en concubines ù leurs maris.

Ce livre afiecte en effet d'appeler Ag'ar, Bhilhah et Zilpah, esclaves de


Sara, de Rachel et de Lia, soit à l'occasion de leurs unions à Abraham
ou à Jacob, soit même après leurs maternités (Gen. xvi, 2, 3,5;
XXX, 3, i, T, 9, 10, 12). Bien plus, Abraham déclare de la façon la
plus claire à Sara qu' Ag'ar est toujours son esclave et qu'elle peut
en faire ce que bon lui semble : « Voici que ton esclave (siphhâh)
est dans tes mains, fais-lui ce qui est bon à tes yeux » (Gen. xvi, 6).

L'histoire patriarcale, par contre, ne nous indique pas la situation


vis-à-vis de l'épouse d'une concubine qui n'était pas esclave. Céthura
était une personne de ce g-enre. Mais Sara étant morte, la Bible n'a
pu nous instruire sur les rapports respectifs de ces deux femmes.
11 est aisé de constater que code de Hammourabi est bien moins
le
précis que le contrat et même
que la Genèse sur la place de la con-
cubine vis-à-vis des deux époux. Ce qui apparaît très nettement dans

marque d'esclave. Le sens fondamental de ce verbe est couper, faire une incision. Mais
on peut lui donner celui de tondre, raser, fût-ce avec un fer chaud, si l'on considère
que la marque d'esclave était faite au front ou aux tempes, mutlatuin.
Du fait que dans presque tous les contrats d'affranrhisseiiienl il est dit que l'on puri-
fiait le front du sujet, c'est-à-dire qu'on lui enlevait sa marque (abbîilum), on peut con-

clure que les esclaves étaient affectés d'un signe exprimant leur servitude.
L'existence de marques d'esclave indélébiles est un fait qui résulte de l'étude du code
de Hammourabi, ^ji 127, 146, 226, 227 et de plusieurs contrats et procès. Des contrats d'af-
franchissement parlant de la purification de front de l'esclave et l'un d'eux, C. T. vi, 29,
disant « ta inarque est rasée, abbutaka (julluba », on se demande s'il n'y avait pas aussi
des marques d'esclave destructibles.' Pour rejeter cette liv|)Othèse il faudrait soutenir que
dans ces documents il s'agit d'une purification purement morale et conventionnelle.
En tout cas ce doit être d'une marque indélébile, dont notre contrat menace la concubine.
MELANGES. 283

cette législation, c'est que l'épouse de premier rang demeure toujours


la maîtresse de l'esclave qu'elle a donnée comme concubine à son
niiiii. Le mérite d'avoir procuré des enfants n'empêche pas cette
femme d'être appelée esclave {(untum) et d'être présentée comme
soumise à la même maîtresse {beltisa), ^i; 146, 147. Mais la loi de
llammourabi ne nous donne qu'un renseignement tout à fait vague
sur la place dune concubine de condition libre (isugetum) par rap-
port à l'épouse. Le § 145, qui vise ce cas, se borne en efTet à dire que
le mari « n'égalera pas cette concubine à i' épouse ». Cette règle
indique que la sugetum ne sera qu'une épouse de second rang. Elle
ne sera donc pas une esclave vis-à-vis de l'épouse de premier rang.
Dès lors les deux femmes se trouveront dans une situation absolument
fausse l'une par rapport à l'autre. On ne voit pas non plus quelle
mesure devait être prise dans le cas d'une rébellion de cette con-
cubine contre la véritable épouse. Remarquons en effet que les §§ 146
et 1 'i7 ne visent que l'esclave de l'épouse livrée par celle-ci à son

mari.
Uelativement à la qualité de la concubine vis-à-vis du mari, c'est
le silence ou le vague que l'on constate dans le code. Nulle part
ce document ne donne à entendre que le titre de concubine vaudra
à lesclave la dignité d'épouse, assatwn. Il est même presque sûr que
ce silence doit être interprété comme une dénégation. Le § 145 sem-
ble, en effet, refuser le nom d'épouse (assatuni; à la sugetum, puis-
qu'il établit que le mari ne devra pas l'égaler à l'épouse. Il apparaît
dès lors que les rapports entre le mari et sa concubine, surtout si
celle-ci est de condition libre, seront tout à fait mal définis. Rappe-
lons l'approbation que nous avions donnée à l'élévation de la con-
cubine, même esclave, à la dignité d'épouse aux yeux du mari auquel
elle a donné des enfants.
Si enfin nous examinons les sanctions édictées contre la rébellion
de la concubine, nous constaterons que le contrat conserve sa supé-
riorité pour la précision et la compréhension, mais qu'au point de
vue bumanitaire il possède une véritable infériorité.
Tout d'abord le contrat C. T. viii, 22'' nous donne une règle qui
peut s appliquer à toute espèce de concubine, de condition servile ou
libre. Ensuite sa sanction vise absolument tous les cas de rébellion
contre lépouse de premier rang. Quoiqu'elle soit énoncée sous une
forme concrète, l'expression « lu n es pas ma maîtresse » embrasse tous
les cas de révolte contre l'épouse, pour quelque motif que ce soit.
Le code de Hammourabi, 146, 147 ne réprime que l'insubordina-
5;ï;

tion de la concubine esclave et il ne prévoit que le cas où celle-ci


28V REVIU': niRLiniE.

se prrvaiit de sa maternité pour s'égaler à sa maîtresse. Que le i)rivi-

lège d'avoir donné des enfants ait été le motif le [)lus nalurel et par
suite le plus fréquent de la révolte d'une concubine contre l'épouse
nous ne le contestons pas. C'est poui'quoi nous ne nous éton-
stérile,

nons pas de rencontrer ce seul cas dans Tliistoire patriarcale iGen. xvi).
Néanmoins il est parfaitement admissible qu'une concubine se soit
soulevée contre pour d'autres raisons, par jalousie, par
l'épouse
incompatibilité d'humeur... etc. C'est pourquoi, autant il nous parait
naturel de ne trouver ipie ce seul exemple dans les récils génésiaques,
autant il nous semble étonnant de ne constater la mention (jue de
ce seul cas dans un recueil juridicpie. Cette particularité est assu-
rément une des preuves les plus significatives du caractère casuis-
tique de l'œuvre de llammourabi et par suite de ses lacunes au point
de vue de la compréhension.
Toutefois le code de llammourabi possède sur le contrat C. T. viii,
22'' une véritable supériorité au point de vue de l'humanité. Le contrat

en effet ne distingue pas si oui ou non la concubine est devenue mère ;

quelle que soit sa situation à cet égard, toutes ses révoltes seront
punies par l'apposition de la marque des esclaves et même par la
vente. Or il est certainement cruel d'écarter par une vente les enfants
de la concubine,soit de leur père, soit de leur mère. Cette cruauté, le
code de Hammourabi ne la commet pas. S'il autorise l'épouse à traiter
plus durement son esclave révoltée et à lui apposer une marque indé-
lébile, il ne l'autorise à Ja vendre qu'autant quelle n'a pas eu
d'enfants §5< 1^6, 147.
Et l'on sait qu'avec des modalités différentes les deux récits bibliques
de la rivalité de Sara et d'Agar sont en parfaite harmonie avec la loi
de Hammourabi.
Dans le document Jahviste (Gen. xvi), nous constatons d'abord que
Sara ne vend point, mais se contente d'humilier Agar, qui, sans être
déjà mère, était enceinte. C'est cette concubine qui prend Finitiative
de la fuite. En lui ordonnant de revenir vers sa maîtresse et de s'hu-
milier sous sa main, l'ange de lahvé lui commande une chose abso-
lument légale (C. H. § 146). De fait Agar suivit le conseil de l'ange et
fut reçue dans la maison d'Abraham.
Dans la narration élohiste ((ien. xxi, 9-13), Sara ne demande point
non plus la vente d'Agar et de son lils et par conséquent sa requête
n'est nullement opposée à la loi du C. H. 146. Bien au contraire,
s^

l'épouse jalouse sollicite de son mari l'accomplissement d'un acte


absolument autorisé par le droit chaldéen. Elle lui dit en etlet :

« Chasse cette esclave ('âmâh) et son fils, afin que le tils de cette
MÉLANGES. 285

servante n'hérite point avec mon fils Isaac ^) (v. 10. Mais demander
l'expulsion d'Ismael, en vue de son exclusion de l'héritage paternel,
qu'est-ce autre chose qu'une sollicitation de l'usaite, dans le sens
négatif, de la liberté laissée par la loi chaldéenne au père, relativement
k l'admission à son héritage des hls de sa concubine? En substance
le C. H. §§ 170, 171 déclare en effet que de la concubine
les fils

esclave ne partageront avec les de l'épouse l'héritage paternel


fils

qu'autant qu'ils auront été adoptés par le père. En exigeant de son


mari l'expulsion d'Ismaël, Sara prenait un moyen radical pour em-
pêcher l'adoption de ce tils de concubine et pour éviter du même

coup sa participation à l'héritage paternel. Loin d'insinuer que


l'ennui avec lequel le patriarche accueillit la demande de sa femme
eût pour cause une illicéité quelconque, le récit biblique insinue assez
clairement qu'il n'eut d'autre motif que la tendresse paternelle. Mais
ilfaut ici citer le texte qui à cet égard est très suggestif « Cette chose :

parut très mauvaise aux yeux d'Abraham à cause de son fils. Et


Elohim dit à Abraham Qu'il ne semble point mauvais à tes yeux
:

tout ce que t'a dit Sara au sujet de l'enfant et de la servante; écoute


sa voix, car c'est par Isaac que sera appelée ta postérité. Et le fils de
l'esclave aussi je le préposerai à des nations, parce qu'il est de ta
race » (Gen. xxi, 11-13). Si c'est à cause de son tils qu'Abraham éprou-

vait du déplaisir des discours de son épouse, c'est parce que cette
proposition contrariait son affection pour Ismael et non parce qu'elle
était illégale. Puis est-il admissible que Dieu ait ordonné à Abraham

d'accomplir un acte illicite? Évidemment non. C'est pourquoi Élohim


se borne à dire au patriarche qu'il est conforme au plan divin qu'il
profite de la liberté laissée par la loi jiour réserver à Isaac son
héritage. Et pour adoucir la peine que lui causait l'exclusion d'Ismaël,
le Seigneur promet à son père de se charger de lui constituer lui-
môme un héritage.

La collection des contrats datés de la première dynastie babylo-


nienne contient d'autres documents relatifs au droit de concubinat.
Dans ces actes juridiques, on peut recueillir des renseignements inté-
ressants sur la situation de la concubine en Chaldée. C'est ainsi que
l'on peut être édifié sur la dignité de certaines concubines sugetum
par K. 101, Schorr 209 ( Vmmisaduga, Sippar), qui nous présente une
telle personne, non point achetée mais unie à son mari au moyen de
l'échange de biens rappelant la tit'hatou et la .seriktou. C'est ainsi
28r. MME lUHLlOl K.

encore (jiie dans C. I'. mm :'.7"', Schorr 1 2 Si[)|)ar. Ilaminniii'abi), la

concubine sauetuin; esl placée [)ar rapixtri au mari sur le même pietl

que l'épouse, et n'en est discernée «pie par le lail qu'un seul de ses
cin(j enfants estadmisà l'adoption et à riiéritaj^e. Mais, on le voit, toutes

ces indications n'é(|uivalent pas en intérêt, soit en elles-mêmes, soit

par rapport à la Bible, celles que nous a présentées le document


juridique que nous venons d'étudier. Aussi est-il inutile de prolonger
notre examen sur le droit deconcubinat en Chaldée.

I*. (InUVKILHIKU.
CHRONIOUE

INSCRIPTIONS GRECQUES DE L ILE DE CASTELLORIZO,


ANCIENNE MÉGISTÉ (1).

Les inscriptions trouvées à Castellorizo sont en langue grecque,


généralement gravées en beaux caractères, datant selon toute vrai-
semblance des iv^ et m'' siècles avant notre ère, époque où la prospé-

rité de l'empire de Rhodes s'étendait sur ses colonies lyciennes.


Il est étonnant de constater que l'influence lycienne, dont on trouve
des traces si remarquables à Antiphilo, et la civilisation romaine, si

puissante dans ces parages au ii' siècle, n'ont laissé aucun monument
à Castellorizo.
Seule une citerne ancienne, construite dans la partie ouest de
PaléoCastro (acropole), sur des plans semblables à celles de Carthage,
m'a paru pouvoir être attribuée à l'époque romaine.
il existe, en outre, dans Tile, un fragment d'inscription en langue
Utine, de l'époque des chevaliers. Elle est reproduite au cours de
cette liste.
M. Achille Diamantaras, professeur à Castellorizo, dont la docu-
mentation et la complaisance m'ont permis d'achever le présent
inventaire, avait en août 1916 dressé une
complète des inscrip-
liste
tions grecques modernes (xvn" et xviii^ siècle) existant dans l'ile :

la liste devait être adressée par lui directement au W. P. Jaussen.


Dans ces conditions, je n'ai reproduit ici aucune des inscriptions de
cette époque, dont je ne possédais d'ailleurs copie que des plus
importantes.

{{] Nos lecteurs apprécieront le soin très diligent pris par .M. .Michelier, aujourd'hui lieu-

tenant de vaisseau, de grouper toutes les inscriptions, publiées ou non, de l'île de Castel-
lorizo, où il a séjourné pour son service d'oflîcier de marine. Une étude sur les monuments
anciens par le 1'. Savi^n.ic ne nous est point parvenue, et fournira l'ofcasion de revenir
sur les inscriptions (N. D. L. R.).
288 iu:m k IUI5I.10UI':.

I IXSCIUPTIONS KXISTANT UKKI.I.KMr.M KANS l'ill.

ET iNO> IMI'OUTKKS Dl' COXTI.NKM.

1. — Soubassement
(lu Château rouge, sur le passage du cok' de la

Gravée en plein roc, en l)eaux caractères. Au-dessus, un encas-


\ille.

trement sur lequel était peut-être lixéc une re[)résentation d'Hermès.

inilKAHINIKArOPA
AMIOIEniITATHIAI
ENTEKAITABIKAIEni
TOYnYPrOYTOYENME
riiTAiEPMAinponY
AAiniXAPIITHPION
Sosic/rs, fils de Xicago/-as. d'Amos, épisUilc de Kaslabis cl du clià-
/eaii de Mégistê, fait hommage à Hermès, prolecteur des propylées.

Observations. — 2" ligne. Les lettres AT, souvent omises dans les

copies publiées précédemment, sont au contraire parfaitement lisi-

bles. —
AMIOI, dont on a souvent fait 2AMI0I, est correct; Amos
étaitune ville de l'ancienne Rhodes. —
3" ligne. Kastabis est une ville

de laChersonèse de Carie, citée par Diodore de Sicile.

2. — Couloir d'entrée à Paléocastro parles Propylées (angle S.-E.).

Cette inscription a été estampée par le R. P. Savignac.

EniKPATIAAI
ANAZIKPATEY2
EnilTATHIAI
KAiTO!
2Y2TPATEYIAMEN0I
LAIOIKOPOII
Épicratidas, fils d'Aiiaxicratès, épistale, et ses compagnons d'armes
aux Di os car es.

3. — A quelques mètres de la précédente. masquée par


En partie

un bloc calcaire, de dimensions considérables, appartenant à une


porte construite ultérieurement.

.... aciaCa}neia:k]
EITIGÙNOI
AEAlOIEniITA
THIA1
... acilon, fils cV Exakeslion , de Léhs, êpislate.
CHRONIQUE. 289

Observations. — T ligne. AEAI02 a été souvent copié sous la


forme AEAIOI. L'estampage pris par le K. P. Savignac prouve que
cette interprétation est fantaisiste. D'autre part, M. Mayouri, l'crudit
conservateur du musée de Rhodes, consulté en août 1910, a fait
savoir que Lélos était une ville de l'ancienne Rhodes, cpi avait effec-
tivement fourni des épistates à sa patrie.

4. — Sur une pierre cubique, trouvée au monastère Saint-Jean.


Conservée aiLx écoles grecques de Gastellorizo.

ArAOANAZ
ArAOANAKTOI
Af/athanax, fils d'Agathanax.

5. — Sur un rocher,dominant la mer, près des anciens abattoirs,


à l'entrée du port. Estampée en juillet 1910 par le R.P. Savignac.
Caractères irréguliers à remarquer l'emploi simultané du C et
:

du I.

TOAEMNHMA
MHAEIIIAAI
KHCHMHAEArAAitH
ElACMHECOnAMAPTOAOi:
TOYAAIMONOC
KAI0EOIIX0ONIOII

Observation. — Cette inscription a déjà paru dans le Corpus sous


une forme assez fantaisiste, reproduite ci-dessous.

T
TOYTOTOMNHMA
0E....A
EAMENA
AI...ET.CTEn
*
TOYAAIMONOC
KAI0EOII
6. — Sur le môme rocher que la précédente. Ce rocher, appelé
dans lepays Koutsomaston, ne peut être vu ([ue par mer. L'ins-
cription est très effacée par les agents atmosphériques, les embruns
qui sont violents en hiver et la formation de dépôts calcaires. Les
dernières lignes en sont mangées par la mer. Il est extrêmement
pénible de la relever. En 1895, MM. Ileberdey et Kalinka se firent
REVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. xn. 19
construiir un rehat'aïKlaiic spécial poiii' |»()iiv(>ii' l'observer, ce (jui

leur prit plusieurs journéos. Depuis, linscripliou a dû encore per-


dre de sa netteté. C'est le relevé de ces ileux savants autrichiens, tel

(|u'il a été publié à Vienne en 18!)7. ([ui est reproduit ci-dessous.

Dans le rocher, sont creusés sept encastrements, supportant sans


doute des monuments votils. Deux d'entre eux sont occupés par des
bas-reliefs grossiers que l'on distiniiue encore, représentant des per-

sonnages debout ou assis.

S (ova T{;j.(.)v r.zpt tojt' ÈTr'sfz 'y.ov ;j.v5:|j,a

y.xi £jAtsJ,£voj y.îî'j.îvcv âv-:bç ôly.py.:.

Où vâp -zi YSVci: -rÉy.vc. [ax'] r,'/Hr,7i v^y- C'//.ov

tocjT a:[v, £-)£'//.£ 6âvr,i, ^xjjj.j kr.l twi v.-ip'.GXi.

TjotyâpTfoji [j.vây.aç a'.tovicj xj-o: ïx-ov.

T£u[£jc Tov £'.c aU\(ç) s'.'/.iv' ù-oy^Ôovîwv

'AAAi 7'j, va'JcaTa, "/aîps y.afi..] cp ...

•kX .. p .. iT'Jv; . ç M çsvî y.ai aiijç.

C'esl Timon qui a élevé ce moiniment commémoralif important,


placé à la pointe cVun port excellent, et, comme clans sa famille et sa

maison les enfants n'ont pas prospéré, de façon à lui élever un monu-
ment après sa mort, pour cela donc, lui-même l'a élevé pour lui-même
en souvenir éternel, avec Fimage des dieux souterrains. Mais vous qui
passez clans les barques, salut... et vous, à étrançjers...

7 — Sur le mur de la cour de la maison Steplianou Papa Dimi-


triou. Perdue en 191-2, au cours de la démolition de cette maison.

NKATEC
NTAK

Épitapbe.

8. Maison Hadji Pavli Apoisi, près du Gouvernement, accom-


pagnée d'un bas-relief. ,

OCKAIHEYA
OnAA
[ANECjTHCEN

Dédicace.

9. — Maison Antoniou Merzenia, près de la Nea Agora.

irYMNAIlA
CHRONIQUE. 29t

10. — Emplacement Haita, à coté de la maison Evang-elou Samiou.

np
EZEAPANKAI
AnOKATEITHIENEKTn
APZAMENOYKAITE
// a fait à nouveau avec son propre argent la Iribunc II l'a rom-
meiicée et finie Im-mème.

11. Morceau de marbre pris dans le mur d'une maison près des
écoles Saint-Georges.

MnNOPEnTOCKAI
[OjPEnTACKAÎTAEIAYTnN
Épitaplie.

12. — Colonne ronde en calcaire gris bleu, trouvée sur la pente


sud du Paléocastro et transportée en juillet 1916 au Gouvernement.
Estampage du R. P. Savignac.

ArEIlOIlEPnNOI
EnilTATHIAI
KAITOIIYITPATEYIAMENOI
'^
.... OIA .... T I ..

13. — Fragment de marbre. Relevée par le R. P. Savignac à


l'angle d'une maison servant d'école près de l'église Saint-Georges.

^.HMQNOPEnTOYCKAI
EnTACKAITAEZAYTQN
14. — Encastrée dans l'autel du couvent de San Pantéleimon
(400 mètres E. de Paléocastro) où elle serait actuellement cachée
,

par un revêtement de bois. Relevée par Ludwig Ross (1846). Publiée


dans le Bulletin de Correspondance hellénique (1893).

Tijj.ôo'Tpa'::^

Ejy.pâTsu;
A';:3XX(ov'.

Noms de deux épi^ates de Mégisté.


ooj REviK liiiiLiuri:.

15. _ |-ragniont de stèle retaillée pour servir de base à un pilas-


tre. Conservé aux écoles precques.

KAITHOVrATP:
niErroNOiMON
HAENIEANAE
Épitaphe.

16. — Carreau de marbre brisé, dont il ne reste plus que la


moitié via partie inférieure) aux écoles grecques, l'autre moitié per-
due dans la construction d'un four.

VENTIUM
I IVSSERUNT
PLACIDUSVICII
ANDREASAVARNA
ISVAGLIA.D.MARIUSCIR
LAXHANA ANA
'
FONTEMPUBLICOOLIM
DVINCENTIIIOENIID
ALIFIAVINCENTIILAXI
ONOFRIIZUCCARATI

La fontaine » dont il est un puits


parlé est vraisemblablement
saumà-
peu profond, à parois ogivales, donnant une eau légèrement
partie de la ville au fond du port et encore appelé
tre, situé dans la

de nos jours « fondana » parles indigènes.

U. INSCRIPTIONS TROUVÉES DANS l'iLE ET CONSERVÉES


DANS DIVERS MUSÉES ÉTRANGERS 01 DISPARUES.

i7. — Inscription relevée par Le Bas et qui n'a jamais pu être

retrouvée.
nOAEMA
LYIlMAXnTnEAYTHIAEinOIYNnHPni

IQ _ Sur une marche descalier de la maison Karayanni Dimi-


triou. Transportée à Athènes en 1914.

noAYAnpoYEnoiHiENToyrTs]
-:c '^.Tr,'M AYTnKAITnYinAAEZ[ivBpo)]

Épitaphe.
CHRONIQUE. 293

19. — Maison Efstatiou Paraskeva Smyrnias, au-dessous d'un relief


représentant un cavalier. Transportée à Athènes en lOlV.

[AIOjCKOPOCGYXHN
Inscription votive.

20. — Colonne découverte en 1898 dans le jardin de Staviianos


Sarinas sur la pente N. de Paléocastro, près des grandes citernes.
Transportée à Athènes en 191i.

[KATM(t)Yr[nNl
294 HEVl'K RIHMOUK.

ArAAMATAAnOAAONr'"'^
nVAAinKAlAPTAMlTI

Cratidamos, /ils de Cratidamo'<, epista/r, a bnli rt couvrri </'//n loil

les propi/lves et rrlf/r des s fat lies à Apolloji pio lecteur des propijlées
et à Art émis sauveuse.

24. — Trouvée au mùmc endroit que les n*" -20 et 21. Tianspoitée ;V

Athènes en lî)l 'i.

EnA4)P0
AEITOIKA[l]
ANTIOXOI
TYXHTHAAE ACÎ)HI
MNHMHI
XAPIN
Épitaphe.

m. — INSCRIPTIONS PROVKNANT DU CONTINENT ASIATIQUE.

25. —
Colonne en marbre noir, portant au bas un encastrement.
Transportée à Athènes en 1914.
Les cinq premières lignes sont perdues. L'inscription reproduit
un décret réglementant le mode d'inhumation, datant de "200 à

1,50 ans avant notre ère, et provient sans doute d'Antiphilo, où il


y
avait en effet un temple dédié aux Nymphes.

G — zr^\}.':,') Aajj.cavîiv...

0£~[o] £•/. TOJV Y'J ;XV 7.710) V...

Ypa[j.;j.îv ... : .. (»"/. .. ;j ... ~.mi

AvTicys'j ciy.ixç t(.) ... tvz-^...

10 — ... ;u ... î ... ...

^^\\x^zy:' /.ai ... ; ... a ... r,/.av .. sv tciç

/.a/vS'.-rojaav sic T ... c-avavy.îç ci ...

'.:',r Î7T0) oa['::T£iv] ... :', ';t-{zy.]}.\).tvzx. yç,o

15 — vc. -/.ai 1ÙJlZ<JOOÇ>r^GC•Ja V) 7:av-a7.aOcT'. 7'jv[£

-iH\vno £[av c]£ \}:^^ (juvteastcjs'.v -j. 7-:'j-/.[£

/a)p-r;;j.£va a-KÇTEivcus'.v ajTO) -p C7ti;j.cv r^

TOir £VY'.7Ta -;£VC'jr 7.>.t' îv.a'JTCv apY'jptcj |jc ...

:j l^7.yy.y.q, yO.ixç £av y.v; 7::A£;j.cç £Ç£',pYrj. Av


CHRONIQUE. 29o

20 OSVTOÇ C£ TCJ TC"a£;JwU 7'JVTîX£3C'J7'.V Taç


O'jj'.aç o)v [av] 7:2^ p:«|s[(j)Jj[(i)3',]v s-(ov Ta; •r;;j.3p3;;
a;;'J7'-v [a-/,]s/vCuOco; toiç Y£Ypay/j.$v;i;. Ava
Ypa-iicJTtv 5[îl -[0 'yr;3'.]7y.a £',; cjrr,A-r;lv XiO'.

vi^v y.a'. avzO'^7C'j7',v ev to)'. lîpov, twv Nu[ij,1

Ç:(i)V TO)'- £7:'.3aV£7TaT(0l.

26. — Stèle d'environ 50 centimètres de haut, sous un bas-relief


représentant des personnages couverts de toges et de manteaux, con-
servée dans une maison dont M. Tsakalakis a la charge. Actuelle-
ment sous scellés (héritage), elle se trouve dans le quartier du fond
du port. Apportée par un Turc venu du cap Khélidonia.

MOAHCMACOYOAYNnHNOC
ANeCTHCeA(t)cl)IANOCrYNA
IKOC:HAYTOIIlKAIAAeA(t)YIG0N
POYrHCCGOTGIMOYKAinOAe
Ma)NOCMNeiAi:eNeKGNnoAe
MCONOCACKAITATANOCTG
KNGON

Moles, fils de Masos, d'Olympos, a érige cette stèle à Appianos i^T),

sa femme, à ses deux beaiu-frères, Sotimos et Polémon, en leur mé-


moire, et pour ses enfants, Polémon et Tatanos

Observation. — Olympos se trouvait à l'emplacement actuel


d'Adrassan, au N.-E. du cap Khélidonia.

27. — Sur un carreau apporté de ra-aov, ville lycienne située


sur l'emplacement des falaises blanches [Xz-pi-i-z-x] de Karosi, dans
la baie de Phenika, au N.-O. de Khélidonia. Transportée à Athènes en
191i.

N;j;j.çaiç Tp[a]
^(zi.-izi Tb[v]

c av £«•/;/,£
A'JTpa zt~y.[ç)'\,

'Az\z z\j'3\£k]

yizq o'rn[y,x]

Archépolis aux Nymphes Tragéates a érigé cette stèle parce qu'elles


l'ont sauvée d'une fièvre quarte fort douloureuse.
20r, UKVL'K niMMouii:.

28. — Apportée de Patai-a. Transportée à Atlièiies eu 191 'i.

KAniCONKGP
AONIMNHM
HCENEKEN
l".pita|)lie.

29. — Apportée éi:alemciit de Patara et transportée avecla précé-


dente à Athènes.

NYPIAA
XPYIin
THKYPIA
Kpit;i[)lie.

30. — Carreau
de pierre apporté de Sandjakli (Sidynié), localité
située dans une baie entre Levici et les Sept Caps. Conservé dans la
cour de la maison Hadji (icorglioura.

...HAEENTA4)H...
GOEIAEMHA...
EICATGOO0A...
ACKAIEYNXGO..
HCACTGOCIAY...
COAHMG0^A(|)
EAENIàCAABE
DTPITON
...ne permet rï enterrer ici, mais si quelqu'un le faisait, il devra
payer, ainsi que celui qui l'a autorisé, au peuple des Sidj/méens
JM)0 deniers, et le dénonciateur touchera le tiers.

31. — Inscription rapportée du continent et cassée en morceaux


pour servir à la construction de la nouvelle église de Saint-(ieorges.

[KA]IIAPA0EO:Y]
lEBA ITnNYLON]
AIIHIT
ATOYIY
NOAHMiOl]
32. — Pierre cylindrique provenant de Patara, perdue pour la

même raison que la précédente.

MAYi;nAI2]
XAiPin.ou:
CHHOMQUli;. 297

lEPATEYI^AI^A]
NYM,cl)nN

Mausolù, fille de Chairipos, prêtresse des Nymphes.

33. _ Apportée de Patara. Transportée à Athènes en 191i.

Zn IIM
Qy personnage t
m (lebout,
de lace. A
m TE
KNOMON
IMHMN
HMHCENE
KEN
Épitaphe.

MiClIELIER,
Enseigne de vaisseau.

Paquebot Yarra.
En mer, le 12 septembre 1916.
298 la: M K mm.ini'K.

NOTES Vr\ INSCRIPTIONS (.KKCVL'KS IMFU.IKFS I' Uî Al. MKIIKIIKR.

PAU LE R. P. SAVUiNAC.

N" 1. Dans un petit cartouche en creux de 0'",30 de lartie


sur de haut. Petits caractères de 0,02 aux premières lignes, 0,015
0, -20

aux dernières. Estampage. Par suite des travaux d'aplanissenient aux


abords du chAteau, riuscriptioii se trouve actuellement au ras du
sol.

N° 2. Estampage (d. Bull. Corr. hall., 1892).


N° 3. Estampage.
N" i. Cette pierre cubique n'est pas autre chose qu'un socle au-
dessus duquelétait encastrée une stèle, dans une petite cavité mesurant
approximativement ©""JO de large sur 0'",25 de long et 0,'"10 de pro-
fondeur. Le musée de Rhodes possède de nombreux socles identiques
avec leur stèle en place.
N° 5. Gravée sur la paroi du roc telle quelle, sans qu'on ait pris

soin de la redresser et de la polir. Caractères très irréguliers. Estam-


page en 7 feuilles et copie (fac-similé i. —
lettre est com-
L. 1. La 5''
plètement effacée; probablement un N.
c'était le C il y a une Après
barre certainement gravée on pourrait y voir la haste dun T, qu'on
:

avait commencé à graver et qu'on a renvoyé ensuite au début de


lai. 2. En tout cas après cette barre il n'y a plus trace d'aucune lettre.
— L. 5. Le dernier mot est fort douteux la f" lettre de ce mot semble
;

bien un A, peut-être un A; la 2' ressemblerait tout autant à un H


qu'à un M la 3" doit être encore un A, le jambage de droite et
; le

commencement de la barre centrale sont assez caractéristi([ues; le

V signe serait pris pour un P dont la partie supérieure manquerait;


tout le reste est encore plus problématique (xvaO*/;i.».a pourrait en
somme se lire aussi bien que j.\).y.z-.zLzt\. L. 6. Le —
entre A et M I

avait probablement été oublié et on l'aura ajouté après coup. —


L. 7. Le dernier mot -/Ocvi;-.; est sûr quoique d'une lecture assez
difficile. On remarquera la forme des 1 brisés à cette dernière ligne
CHRONIQUE. 599

alors qu'ils étaient carrés aux ligues précédentes. Après yôcvtciç, un


peu à droite, commence l'inscription n" 6, en caractères plus petits
que la précédente et encore en plus mauvais état.
Sur la face du rocher où sont gravées ces deux inscriptions se trou-
vent plusieurs niches et deux débris de relief. Photographie d'en-
semble et description seront données ailleurs.
N° 12. Petits caractères. Estampage. Publiée je ne sais où, ni par
qui, peut-être par M. Diamantaras dans le Bulletin de Correspondance
hellénique (1). —
ATEIIOI au début me parait une fausse lecture :

d'après l'estampage, il y a après le T, MAX et non pas EU. On —


song-erait naturellement à retrouver les Dioscures à la 4' ligne; mais
c'est très mauvais. —
Je crois que la publication n'avait pas tenu
compte de cette 1. i.

N" 16. Publiée, ne me trompe, par M. Diamantaras dans le


si je
Bull. Corr. hell. —
Au début de l'avant-dernière lig-ne il avait lu AIHA.
Ce n grec, dont la présence intriguait dans une inscription latine, est
sûrement à décomposer en FI il y a aussi un L après A. Les caractères
;

sont à peine gravés. Les lettres sont formées par des points placés à
leurs extrémités et que relient entre eux de petits traits fort légers.

(1) Celte conjecture n'est pas fondée, non plus que la suivante (N.D.L. R).
HECKNSIONS

Tolu\l:^ C. C, The romposUiou and Dule of Acis, pp. 72 [Harvard tlieological

Stuilies, 1), I91(i.

M. C. C. Torrev, prolessenr de langues sémitiques à l'université île "^'ale (Cliicano).


(>st connu par ses études sur la /xirfle araiiu'ciDte
dr DanirU et sur £.S(//y/.s (cfr. liB.,

1910, p. 149 et p. 622;. Il a également publié une élude sur les Èvanf/ilcs aramccns
:

The Tramlations mode from thc Original Aramaic Gospels (1).


L'auteur est donc un aramaïsant de profession, qui s'est fait une spécialité de —
retrouver les sources primitives (araméennes naturellement de nos livres saints.
Dans son étude Aramaic (ioapcls, il a cru retrouver les traces de ce document
primitif dans le Z'^ évangile. Saint Luc était un traducteur accompli et de l'hébreu

et de l'araméen (an accomplished translator ofbolh Hebrew and Aramaic, p. 5).


Pourquoi s'arrêter en si bon chemin? Luc a adressé un second volume à son
excellent Théophile, à savoir les Actes des Apôtres. Est-ce que celui-ci ne serait pas
aussi une traduction de l'araméen? M. Torrey en est absolument convaincu-,
d'au- —
tres feront sans doute des réserves.
L'auteur rappelle d'abord que l'hypothèse des sources araméennes dans la pre-
mière partie des Actes (i-xv, i. e. I Act.) a été déjà suggérée par Harnack, (pii
trouva en Allemagne ses principaux adhérents; on peut citer ^Vendt, >'estle, Blass.
En Angleterre, Moffatt et Milligan jugèrent l'hypothèse possible. Chez les catho- —
liques cette opinion ne trouva que peu d'échos. Nous nous rappelons qu'à son magni-
fique cours de Louvain, le prof. Ladeuze soutint l'hypothèse des sources d'après la

théorie d'Harnack (2).

Torrey trouve que la lansue de I Act. (chap. i-xv) est un grec de traduction
(translation Gree/i); partout il voit des traces d'arameen primitif: —et cela étonne

quand on songe que les hellénistes modernes les plus autorisés, comme Deissmann,
Moulton-Milligan, Tlobertson, diminuent tous les jours le nombre des tournures
vraiment et purement sémitiques en grec. La dernière partie des Actes au contraire
(chap. xvi-xxviii), d'après Torrey, n'a pas cette couleur sémitique. Cependant le
livre, pris dans son ensemble, présente une uniformité impeccable de vocabulaire
et de phraséologie: d'où il faut conclure a l'unité d'auteur pour les deux parties,
mais aussi à une plus grande dépendance des sources dans la première. Ce dernier
point parait assez certain, toute la question est de savoir dans quelle mesure Luc les
a ou traduites littéralement ou transformées.

'269-
(1) Dans Studies in the hislory of Religions presented loCraioford Howell Toij 191-2, pp-
317).
(-2' Elle est clairement exposée par E. .ivcoiii ii : Histoire des livres du Nouveau Testament,
vol. ni ;écl. 1908 p. "7 suiv.
,
RECEiNSIOiNS. 301

D'après M. ïorrey, l'auteur des Actes n'aurait fait que traduire. Après avoir relevé
une longue série d'expressions sémitiques, qui se rencontreraient dans la première
partie, il qu'il ne suffit pas ici de parler de fréquents sémitismes, « la vérité
conclut
est que langue de ces quinze premiers chapitres est d'un bout à l'autre Iramla-
la

iion Grceh, où l'ordre même des mots est conservé ». Dans les cliap. xvi-xxviii —
au contraire nulle trace de source araméenne; les quelques sémitismes qu'on y
relève, peuvent facilement être mis sur le compte de la koinc, ou provenir de
l'habitude qu'avait l'auteur de traduire des sources araméennes (pp. G-8).
Un seul argument serait vraiment décisif, et M. Torrey n'a pas manqué de l'abor-

der. Luc n'a pas toujours bien compris ses documents araraéens, mais fidèle à sa

source jusqu'à en être l'esclave, il a donné parfois des traductions qui n'ont pas de
sens en grec ou qui sont des contresens. Il faut lex. veirailaire en (n-améen, et puis
refaire la traduction grecque de cette source araméenne. On arrive ainsi à un double
résultat : 1 on reconstruit la source araméenne que Luc avait sous la main; 2'^ on
"

corrige la mauvaise traduction de Luc; —


d'où l'on obtient un sens excellent, là où
tous les ellorts des exégètes avaient failli.

Ces exemples frappants, comme dit l'auteur, de mauvaises traductions, ne sont


pas rares [especialh/ striking examples of Mistmaslation, p. 10).
Le cas le plus intéressant {excecdinuli/ forcible, p. 14) se trouverait au chap. ii,
47 : ô 0£ zûpto; -ooasxfÔci loùç aoj^oasvou; zaO' fjjjLsoav irJ. To «Ùto.

Les derniers mots une énigme. Appliquons maintenant à ces mots


l-.\ tô aùid sont

inintelligibles le système de « rétroversion » eo araméen. Le seul mot qui puisse


venir en considération est }<-\rh, dont la signification étymologique est sûre in :

nnum, ensemble; c'est ainsi que Luc l'a compris. Mais en cela il s'est trompé, pré-
tend Torrey; et la cause de son erreur est bien simple. Luc écrivit en dehors de la
Palestine; or en Judée cette particule NinS signifie greatb/, valde, très ou fort. :

En grec, Luc aurait donc dû écrire (c'est Torrey qui le lui apprend) : crjo'ooa; et ainsi

nous aurions le sens suivant, le seul qui s'adapte au contexte : « And the Lord ad-
ded greatly day by day to the saved = et le Seigneur ajoutait tous les jours un
grani nombre aux sauvés ».
Or cette traduction laisse entrevoir le vice du raisonnement : le texte dit que le

Seigneur ajoutait non pas « aux sauvés », mais « les sauvés », ce qui suppose un
complément quelconque à -^oas-A^v.. Il faudrait donc que Luc ait fait encore une
autre erreur.
Le même système pour arriver au même résultat, aux textes difficiles
est appliqué,

suivants : m, 16: iv, 24 vni, 10; xi, 27-30; xv. 7.


ss.;

Voici encore la solution du texte mystérieux du chap. viii, 10 oZ-6; Itj-tv oûva- : f;

at; Tou 6£ou ïj y.aXojaévr) [j.£yxXri. Quelle est cette oûvaiAi;; [AsyaXr,? Klostemiann, suivi

récemment par ^Vendt, a vu dans [xtydXri la transcription de x'^iD*^ la {puissmice}

révélatrice. Pour en arriver à inventer et à admettre cette nouvelle énigme, plus


grande que la première, il faut bien que le texte soit difficile...

Et pourtant il est si facile!.. La scène de Simon le Magicien, racontée dans ce


chap., se passe dans la capitale de la Samarie, c'est-à-dire à Sébaste. Or cette ville

était toujours restée païenne depuis la colonisation de Sargon.


diacre Philippe y Le
parle donc à des polythéistes. Quelle divinité est-ce que ces gens pouvaient bien
appeler ô Osôç?

Notre texte grec suppose le texte araméen suivant :


302 UEVL'E nilU.lOUK.

Or l'flte plirase iiraméenne est i;iMinmalicalemt'iii amltigue ;


parce que '"iln aussi

est mnsctilin; taiulis que la seule iradu.-ti.ui honni' et certaine doit rapporter n
(ijnnul) à n.-îSn {Uieu) et non à x'^in [/tninsanvf . Nous obtenons (lonc : «jtï, ou
C'est là la puissance du
Sjvaat; toj 0:oj toj zaXojaivoj jjEys/.oj
bien oÙto;) lz-\^ f, :

Dieu appelé Grand. —


doue oe Dieu appelé Grand pour ces païens de
Kt (juel est

Sébaste; sinon Jahve, le Dinu d'Israël, appelé dans l'A. T. ô O.b; 6 a^Ya? (Dan. ii, :

45^? _
Pourtant je crains que M. Torrey ne substitue une idée assez banale à la
donnée intéressante de la grande vertu du Dieu unique.
Nous nous abstiendrons de citer d'autres exemples tous également intéressants et
ainsi toutes les
ingénieux. Et ce serait certes un grand avantage de faire disparaître
oitcrprctum de ce livre dil'licile (|u'e.st le volume des Actes des Apôtres!
cntces
traducteur que M. Tor-
Mais il faudrait avouer que Luc n'a pas été aussi fort habile
son échec partiel ne lasse ressortir davantage
rev le disait d'abord, à moins (jue

exceptionnelle de notre aramaïsant moderne, qui lait preuve inconlestable-


riiabilelé
obtenus par
meut d'une pénétration rare. Nous ne nions pas non plus que les sens
le système de « n'iroversion .> ne soient en général très satisfaisants, — sans cela
l'auteur ne les aurait ni inventés ni proposes; — mais une correction (jui rend le texte,

clair attente peut-êtreau texte authentique, et il paraîtra bien hasardeux de préten-


(pie l'on suppose mal traduit, et
dre retrouver l'araméen primitif d'un texte grec,
vouloir tirer de cet araméen, doublement hypothétique, un texte grec cor-
puis de
rigé. Le nouveau texte repose sur trois
ou quatre hypothèses, également incertai-
nes :
1" source araméenne; 2'^ mauvaise traduction de Luc; 3" araméen reconstitué;
4" -rec à lire. — Vraiment il faut avoir l'heureux don de conviction, privilège de
nouveau l'ancien, difficile (pie celui-ci
l'inventeur, pour préférer le texte grec à si

puisse être. Eu dépit des apparences, les aspérités


du roc sont moins dangereuses
que la surlace égale d'un sable mouvant.
Et qui admettra que le carissimus medims
servilement attaché à un document
de Paul, l'auteur du troisième évangile, ait été
araméen, —jusqu'à écrire des contresens et des non-sens?
après quoi le carac-
Le <irec de iraduction continue donc jusqu'au chap. xv, 35;
tère araméen disparaît. Cependant deux faits sont à noter, remarque l'auteur :
1'^ la

partie grecque de l'ouvrage est conçue


comme la continuation du document ara-
méen; 2« le traducteur de ce document était un homme
servilement lidèle à ses

sources (p. 40).

Dans un deuxième chap. prouve l'unité de la dernière partie


(pp. 42-54) l'auteur

des A-Ctes (xvi-xxviu). prend vigoureusement aux critiques allemands, et


H s'en
inflige im traitement bien dans l'es-
surtout à Norden (Aguostos Theos;, auquel il
Le lecteur trouvera une critique plus documentée et non moins
prit des temps.

sévère de cet ouvrage dans la Revue (1).


question de la date des Actes
D'après sa théorie documentaire, l'auteur examine la
etdu troisième Évangile.
La deuxième partie des Actes est écrite par un
compagnon de saint Paul. Or ce
TApôtre eu Troade en 50 (d'après la chronologie
compagnon semble avoir rencontré
que l'auteur suit), et l'a accompagné à Philippes. Au retour de l'Apôtre
de Wendl.
nouveau joint à lui, et l'a accom-
dans cette dernière ville (en 58 ou 59), Luc s'est de
moment ne l'a plus quitté: après les deux années
pagné à Jérusalem. Depuis ce il

d'emprisonnement à Césarée (.59-61), il Ta suivi jusqu'à Rome (62).


mémoires (Act. xvi-
Peu après la libération de Paul, Luc se mit à écrire ses
donc de l'an 64.
xxviii); cette partie daterait

ri) 1914, p. 442 sq.


RECENSIONS. 303

Or les cliap. x\ i-\xvin sout coiious comme la contiuuatiou des quinze premiers,
qui sont la traduction du document araméen déjà connu. Ce document sera parvenu
aux mains de saint Luc soit durant la captivité de Césarée, soit vers l'an (i'2 pendant
le séjour à Rome.
Ce document fut écrit après le concile de Jérusalem l'original araméen daterait
;

donc de -JO/ôO.
Quant à l'Évangile, écrit avant les Actes, et traduit lui aussi de sources araméen-
nes, Luc en aura conçu et exécuté le plan pendant son séjour eu Palestine, quand
son maître fut prisonnier à Césarée (-59-61); c'est alors que Luc se livra à la recher-
che et à l'étude de ces documents; donc l'Kvangile daterait d'avant 61.

Home, ColU-ge Anijilique, to avril i;il7.

F. J. M. VosTK, O. P.
lUÎLl.ETIN

Nouveau Testament. — Un sait que saint Irénée a écrit un petit livre pour la

(U'iiionstration de la praliaition apostolique (eî? èni'o£t;iv tou àitoaToÀi/.oy y.r,ç,ù-^^a.zoi,

Vas. il.E- V. 26) et que ce traité a été retrouvé en 1904 traduit en arménien.
Nous
une traduction en fran(;ais par le R. P. Bartlioulot, S. .F.,
en possédons maintenant
ancien missionnaire en Arn-.cnie \\ . Son œuvre était déjà sous presse quand il a

été rappelé à Dieu. M. Tixeront la présente au public dans une introduction. Quel-
ques notes qui précisent la théologie de saint Irénée sont aussi signées de lui. Les
textes scripturaires sont très nombreux, d'autant que le saint docteur esquisse une
apologie du christianisme d'après les prophéties. Voici ce qu'en dit .'NI.
Tixeront :

« Os
textes sont généralement empruntés à la version des Septante. Quelques-uns

cependant reproduisent des leçons de saint Justin ou se rapprochent davantage de


la signification à
l'original hébreu. L'auteur n'hésite pas, d'ailleurs, à en transporter
Jésus-Christ, lors même qu'ils ont littéralement une autre application immédiate,

dans la persuasion où il est que l'Église et Jésus-Christ sont partout figurés dans
l'Ancien Testament. Entre ces citations, on en remarquera une de Baruch (97).
Le
chapitre 9 contient une allusion au livre de la Sagesse ^1, 7). Une citation de
Jérémie (78), quitrouve aussi dans saint Justin {Dialog. lwii, 4), est apo-
se

cryphe; une autre du même prophète (43) l'est aussi; et enfin une troisième tirée
livre des prophètes » (77) ne se rencontre nulle p;irt dans leur
texte actuel »
du <'

(p. 366).
« dans les douze prophètes », est ainsi conçue
Cette dernière citation, censée :

n Ht V ayant enchaîné, ils l'offrirent en présent au roi ». On lit quelque chose


de semblable dans II Reg. 25, 7. Comme nous n'avons qu'une traduction
armé-
nienne comme garantie des citations, on comprend que les éditeurs aient renoncé
à préciser ce qui est des Septante et ce qu'ils croient plus
voisin de l'hébreu.

Pourtant on serait curieux de savoir si ces changements ne sont pas simplement


empruntés à des manuscrits des Septante rapprochés du texte massorétique. On
eut pu du moins indiquer les variations introduites dans le texte par Irénée lui-
même, par exemple lorsque par trois fois {20 et 21) il transporte à Cham la malé-
diction prononcée contre Canaan (Cen. 9, 25 s.). Et il est assez curieux que
c'est

toujours de la malédiction de Cham qu'on parle dans le grand public.

'
Ancien Testament. — En janvier 1913 la llevuc biblique avait annoncé la réédi-

tion ou refonte du iManuel {ISouveau Testament de M. Bacuez) et apprécié les


heu-

reuses transformations de ce livre classique dans les Grands Séminaires. M. Brassac

iV Saint Ir.ÉNÉE, Démonstration de ta prcdicalion apostolique, traduite de l'armcDien et


.losepli Bartiioulot, S. J., missionnaire en Arménie, avec une introduction et
des
annotée par
Extrait des
notes i)ar .1. Tixeuosi, doven de la Faculté catholique de Tliéoloi,'ie de Lyon.
Recherclies de Science religieuse, l'JUi, n" o-G, p. 3CI-4S-2. Paris, Beaucliesne, 1017.
nULLKTIN. 305

vient de terminer le même travail ponr le premier volume de VAncieii Testament à(^

.M. Vigonroux (I).

On a pu voir dans la même Revue, en janvier lOlô (p. 10I-I9.5 . comment, de-
puis 1879 jusqu'à sa mort, M. 'Vigouroux, dans les douze éditions qu'il donna de son
Manuel biblique, n'avait cessé de perfectionner son
œuvre, mais comment aussi les
occiipalions absorbantes de son Dictionnaire de Bible ne lui avaient permis de la

faire dans les dernières éditions que des améliorations de détail. Il sentait que son

Manuel, trop surchargé sur des points secondaires, avait besoin d'être refondu sur
d'autres plus importants, pour lesquels les nombreux travaux de ces dernières années
avaient réalisé des progrès appréciables. La mort l'a empêché de mener à bonne fin
son projet : ,M. Brassae s'en est chargé. Tout en conservant la meiliode et la doc-

trine comme l'esprit général du Manuel,


y a apporté des améliorations très notables,
il

si bien que 31. Vigouroux se reconnaîtrait dans cette nouvelle édition, mais très
heureusement rajeuni, f^a question si importante de l'inspiration a été complètement

refondue mise au point, avec succès. Par ailleurs, le volume se trouve allégé de
et

longs développements surannés, relatifs à des questions d'ordre scientifique (cosmo-


gonie, antiquité de l'homme, transformisme, concordisrae). On se contente de dire
l'essentiel,en renvoyant à des ouvrages spéciaux, et en marquant la tendance de
l'apologétique actuelle à recourir à des principes de solution plus simples.
Lui fera-ton reproche de ne pas doimer place assez large à certaines opinions de
la critique? On ne doit pas oublier qu'un Manuel n'est pas un ouvrage d'avant-
garde, mais qu'il lui convient de suivre les opinions catholiques les plus communé-
ment reçues. D'autre part, ceux qui cherchent dans la lecture de ia Bible surtout
consolai ionem. Scripturarum, ont regretté la suppression des pages préliminaires
consacrées dans les éditions précédentes à des Conseils pour l'étude de VÉcriturc
Sainte. C'est qu'il a fallu alléger un volume qui compte encore près de 600 pages;
et l'essentiel des conseils a été conservé et se retrouve en divers endroits du texte

ou des notes de l'Introduction générale. Du reste, l'auteur a conscience que son


œuvre doit s'améliorer encore : cette édition a dû être achevée « dans les a^ita-
lions, les multiples embarras et les fatigues de la vie d'infirmier militaire ». Un
manuel doit sans cesse se perfectionaer, se mettre au point. C'est ce que l'auteur
fera sans doute dans une prochaine édition poia- fortifier certaines réponses aux
assertions de la critique relativement aux sources du Pentateuque. On remontre, en

p. 338, 340, etc., des arguments qui pour porter coup auraient
effet, ici et là, v.g.

besoin d'être un peu modifiés. Telle qu'elle se présente, cette édition est en progrès
considérable sur les précédentes; il faut espérer que l'auteur pourra prochainement
donner une semblable révision du tome II de VAncien Testament.
Le premier volume de ce Manuel vient de courir une aventure qui mérite d'être
contée. Un archiprêtre en retraite d'une région du sud-est, pour occuper ses nou-
veaux loisirs, s'est mis à parcourir le Manuel, et, les notions qu'il y découvrit ne
cadrant pas avec ses théories grandiloquentes et passablement nébuleuses, il crut de
son devoir de protester et de publier un factum de six pages, richement émaillé de
fautes d'impression. Le 21 décembre 191(5, il l'a adressé aux évêqùes. De quoi donc
ce bon archiprêtre s'était-il scandalisé? Des définitions et explications données
p. 14 et 45 du Manuel, sur l'inspiration et la révélation. Il les croit nouvelles
et subversives et les attribue à M. Brassae : aussi contre l'invasion de telles

1,1) VigourouK-Brassac, Manuel Biblique, Ancien Testament, l. I, Introduction générale. -


Pentateuque, Paris, Roger et Chernoviz, 1<I17.
REVUE BIBLK.IUE 1917. — N. S., T. XIV, 20
:!00 ni:\i !•; luiu.ini i..

noiiveiUitos il a jugé oppoitmi d«' joler le oii d'alarme pour sauver le ('apilolel
Or, il se tnuive (jue ees delluilious el cxpliealions ne soûl pas de M. Urassae ; elles

ue se lisent point ni p. I( et !.">, ni à aueune autre p.ijie de sou édition, la 14'"" du


Manuel. Klles appartiennent à ISl. \ ii;ourou.\, secrétaire de la (lomniissiou l)il)li(|ue :

elles se voient non seulement dans sa l"_>"" édition ou sa 13""', (jui n'est qu'un tirage
de la |)réet'dente, mais dans toutes les éditions antérieures, y compris la |)remit"'re

remontant à IST!). Kt de ces éditions, (jui (.'onliendraient. au dire du hou arclii-

prètre, des notions subversives de l'inspiraliou et de la révélation, il s'est écoulé par


le monde ecclésiastique plus de soixante-cinq mille exemplaii-eà sans compter les
traductions en allemand, en espagnol, en italien. Kt la traduction italienne a paru
avec une lettre a|)probative du Cardinal Sarto (Pie X) et une autre du Cardinal
Parocclii. VA pendant ces :}.j ans, l'ouvrage était expliqué par de nombreux profes-
seurs d'Ecriture sainte, était loué par les Revues ecclésiastiques, et personne n'avait
aperçu dans l'œuvre du premier secrétaire de la Commission biltli(|ue les erreurs
qu'y découvre le bon arcbiprètre en retraite. Il est à croire (pie les soucis du
ministère ayant absorbé jusque-là tout son temps et lui ayant fait perdre con-
tact avec ces questions, il s'y est remis un peu brusquement. En ell'et, il lui arrive
malheureusement de confondre et de brouiller tout : révélation, inspiration, inter-

prétation des textes. Puisqu'il est maintenant en retraite et a des loisirs, il fera

bien de clarifier un peu ses idées sur la révélation et l'inspiration et de se délier du


syllogisme avant d'avoir mis ses notions bien au point. Car son lactum montre qu'il
n'y a rien de plus dangereux que la logique au service d'idées vagues et incomplètes.
La nouvelle éditiondu Manuel^ la 14'*'^, et celle-là de M. Brassac, conte4)ant, d'après
l'encvclique Providentimimis et d'après les meilleurs travaux de ces dernières
années, une excellente étude sur l'inspiration, pourra lui être très utile, et lue avec
réllexion et bien comprise elle fera tomber ses scandales. Et M. Brassac, injustement
accusé, ne demandera, je crois, pour toute vengeance que d'être lu et compris,
avant d'être jugé : car alors sa cause sera gagnée.
Ces lignes étaient envoyées quand nous avons reçu un second lac-
à l'impression

tum du même mieux que le premier les vraies no-


arcbiprètre, qui ne respecte pas
tions de l'inspiration et de la révélation, ni les lois de la saine logique. Nous avons
aussi appris que ce même M.C. était auteur d'un livre anonyme ha vraie science :

des Écritures ou les erreurs de la scolastiqv.e et de l'enseignement officiel sur le vrai


sens de la Bible. Il y a environ dix ans, la Cle de David, qui
a édité également, il

prétend ouvrir le vrai sens des Ecritures et n'ouvre rien du tout ce n'est qu'un :

fatras d'idées singulières, bizarres, cabalistiques, où l'on jette par-dessus bord le


sens littéral de la Bible, pour ne s'attacher qu'à un sens spirituel mal entendu. Pour
l'auteur la pensée divine n'est pas l'idée exprimée, mais la vérité que cette idée
svmbolise : M.C. y limite l'inspiration d'une façon qui ne saurait s'accorder avec
l'encvclique Providenlisslmus. Ce qu'il y a de caractéristique de l'état d'esprit de
cet arcbiprètre en retraite, c'est que dénonçant le Manuel biblique à l'index épis-

copal et pontifical, et par ailleurs n'ayant pu obtenir l'imprimatur de son ordinaire


pour ses livres et ses idées singulières, il se l'est donné à lui-même. Personne n'a
pris au sérieux ses élucubrations: mais le monde entier se trompe, lui seul a raison.

Il est donc inutile de faire plus d'attention à ces factums et à ces ouvrages.
[E.- L.l

'S^oici un petit volume qui, par son extérieur, sou impression nette, d'une simplicité
élégante, se présente d'une façon très avenante. Le contenu est une étude crititjue
BULLETIN. 307

sur le texte du Psautier de saint Hilaire (1), qui sera uue utile contribution à l'histoire
des versions latines antérieures à la Vulgate. On sait que cette histoire des versions
ou recensions diverses, qui circulaient dans l'Eglise latine avant saint Jérôme, est loin
d'être faite d'une façon définitive. On range actuellement les textes en trois classes :

les africains, les européens et les italiens; les manuscrits découverts jusqu'ici et
les Pères latins ont été rangés dans l'une ou l'autre de ces classes. Il est assez
délicat de retrouver par l'étude des œuvres des Pères le texte dont ils se servaient :

ilsne citent pas toujours mot à mot, souvent de mémoire. De plus les éditeurs de
leurs œuvres ont parfois modifié leurs citations pour les rendre plus conformes au
texte de leur préférence.
Le champ d'observation de M. Jeannotte a été très heureusement choisi. Dans
son commentaire des Psaumes saint Hilaire commente les mots du te.xte qu'il em-
ploie, les rapproche du grec ou d'autres manuscrits latins cette façon de procéder :

garantit l'état de la version latiue qu'il avait entre les mains. Son texte est le texte
ordinaire de la Gaule au milieu du iv siècle. « Ce texte gaulois n'a pas le relief et
les traits accusés du texte africain. Mais il a cependant une physionomie assez
caractéristique pour constituer un groupe à part. Il se sépare très nettement des
textes africains anciens et contemporains, il se dislingue moins nettement des textes
italiens ».
M. Jeannotte estime qu'il « faut diviser les textes en africains et européens et
ceux-ci en gaulois et italiens. Le type gaulois est le plus rapproché des deux, ou
plus exactement moins éloigné du texte africain >>. Il ne parait pas être une ver-
le

sion indigène, o Du
moins, si c'est une version indigène, elle a été tellement mo-
difiée et harmonisée avec les autres textes qu'il nous est absolument impossible de la
reconnaître. D'ailleurs l'unité remarquable de tous nos anciens textes est un fait

qui domine toute cette question, et c'est précisément ce qui constitue l'énigme de
leurs rapports réciproques, et nous laisse hésitant entre les deux hypothèses, de
versions multiples d'un même texte, ou de plusieurs recensions de la même version,
qui rendent à peu près également bien compte des faits observés ». Il ne faut pas
oublier qu'on voyageait alors beaucoup, que les relations entre les églises de (laule,
d'Italie, d'Afrique, étaient fréquentes : elles devaient favoriser la combinaison,
l'adaptation particulière des textes.
M. Jeannotte s'est servi principalement de la meilleure édition actuelle du Psautier
de saint Hilaire : Zingerle, .S. Hilarii^ cpiscopi Pictaviensis, Tractatu:< super Psalinos,
Vienne, 1891. Cette édition n'a malheureusement pas utilisé le manuscrit de Lyon,
connu trop tard. M. Jeannotte l'a étudié pour établir son texte du Psautier de
saint Hilaire. Tout en reconnaissant les mérites de l'édition de Zingerle, il en indique
les imperfections et rend justice à l'édition que le bénédictin dom Constant donna à
Paris en 1093. Son édition des oeuvres complètes de saint Hilaire surtout la réim-
pression de Vérone, en 17.50) reste encore la meilleure et la plus utile.
Il ne faut pas que M. Jeannotte s'arrête eu si bon chemin : puissc-t-il, par des
études de même genre aussi bien choisies et conduites, contribuer à procurer dans
un avenir prochain la solution du problème de l'Itala ou des versions latines anté-
rieures à saint Jérôme ! [E. L.]

On voudrait n'avoir à signaler que les conquêtes de la critique. Il faut cependant


aussi noter au passage ses écarts, surtout quand ils sont le fait d'un savant aussi

(1) Le Psautier de saint Hilaire d'- Poitiers, texle précède tl'une introduction par Henri Jean-
nette, professeur au Grand Séminaire de Montréal Canada . Paris, Gahalda, 1!»17.
;U)8 HKVIK IMHMOUK.

(Tutlil (luf P. Ilaupl. Il y .mciil en «'ll'cl ^r.md inlciôi ;i s"cnUMidr<' sur l;i inclliodc.

^"ûic•.i U' cas. l.a iiuiln/irtldn du scr}intl dans l.i (li-iH'sc (3. Il s.) l'iileiid le xcrlx-

chouf de deux m.inières dilVcreiites cVsl l.i Ir.idiiclion dt; la N'ulgale Conlerct : :

coput tuum, et tu insidiaberis cdicaneo dus. Celte dillV-rcMu-e de sons est imposée par
les deux régimes du verbe, la tète et le t ilon. l/liomme peut l)ris('r la tète du
serpent, mais le serpent ne saurait écraser le talon de riiommc. Kt si l'on répugne
absolument a .ulmeilrc ce jeu de mots, on pourrait s'aecommuder pour le verbe
du sens de « harceler, poursuivre », sans loulefois enlever au texte ce qui fait sa
pointe, l'opposition entre la lète et le talon, si caractéristique dans la lutte entre

l'homme et le serpent. C/e.sl eependanl à quoi se résout aujomd'hui Paul llaupt (1).

11 soutient, sans argument vraiment probable. (]ue l'hébreu chuuf dérive d'un
nom signifiant le « pied ». correspondant à lassyrien clicpou. (^e verbe dénominatil
aurait le sens de suivre à la piste, poursuivre, tendre des embilches, comme a

compris la >'ulgate la seconde fois, insidiaberis. Puis il examine quel peut être le

rvlhme de ce petit morceau qu'il contiiuie à nommer ijrotrriuifjciium. Il trouve


deux couplets de trois vers dont chacun a 2 1- 2 accents. H ne reste plus qu'à
obtenir un texte conforme par des retranchements et des déplacements. Voici le
résultat « Puisque tu as fait cela, tu es maudit parmi toutes les bêtes tous les jours
:

de ta vie. Tu ramperas sur ton ventre et tu mordras l<i poussière. Je mettrai de


l'inimitié entre toi et elle, entre ta progéniture et sa progéniture. Ils te poursuivront,
lu les poursuivras » [Tliei/ persécute thsc, l/iott ivill jjerseculc them). La
icill

suppression de « entre tous les animaux des champs » n'est pas heureuse, car le
serpent ne peut guère être compris dans hab-behemâ, qui s'oppose ici aux bêtes des
champs dont est le serpent (Gen. 3, 1) comme le bétail domestique. La transpo-
sition de « tous les jours de ta vie » estpurement arbitraire et peu conforme au
rythme de la pensée : le serpent est personne et dans
maudit absolument dans sa

sa postérité, et le châtiment de chaque individu durera autant que sou existence.


Remplacer « la femme » (n'C'N) par « entre elle » (njii), c'est diminuer la clarté
:

de l'antithèse, car il n'était question de la femme plus haut qu'avant la malédiction


du serpent. Enlin enlever « la tête et >> « le talon », c'est supprimer toute la poésie
plastique du morceau au proût (?) de la mesure (?) poétique. Et c'est la haute
signification de tout l'épisode qui disparaît si le serpent symbolise, comme le

déclare Haupt, le désir charnel, l'appétit sexuel, la concupiscence. Mais nous ne


voulions discuter ici que le problème textuel. Quand comprendra-t-on que ces resti-
tutions arbitraires ne ^out qu'un jeu assez puéril, et ne peuvent avoir aucune
prétention à s'imposer à la critique? Surtout lorsque le résultat est quelque chose
de moins énigmatique. de plus banal, de plus rationnel si l'on veut, trahissant
moderne dans les méandres de la pensée antique. Avant
l'intrusion de la pensée
de s'en prendre aux textes ou rien n'accuse du désordre, la critique textuelle a

assez à faire avec les textes mal transmis.

M. Harold M. Wiener est un légiste qui s'est fait une réputation comme défen-
seur résolu de l'authenticité du Pentateuque. Il traite aujourd'hui de la Date de
l'Exode (2;. Dans sa thèse, il y a une partie qui n'est pas neuve, mais qui conserve
sa solidité. L'Exode nous dit que les Israélites ont bâti pour le Pharaon les villes de
Pithom et de Ramsès (Ex. 1, 11). D'après les fouilles, surtout de MM. .Naville et

(1) Journal of biblical Literature, vol. XXXV, mars-juiu IftlO, p. I.Vi ss.

(•2) The daleof the Exodus, ExtraU de Bibliollu-ia sacra, juillet lOUi.
Ml I.[J:TIN. 30'J

Pétrie, les ruines de Pithom sont à Tell el-Maskutah, celles de llamsès à Tell Rotàb,
et, si elles remontent par leurs origines à une époque indéterminée, les deux cités
ont certainement été bâties sous Ramsès II.

Ce Pharaon est donc le monarque qui a persécuté les Israélites, et l'exode eut
lieu sous son successeur Ménephtah. Cet argument tient toujours, même depuis la

découverte par Pétrie de de Ménephtal). qui parle d'une défaite d'Israël,


la sièle
parce qu'il n'en résulte pas clairement que cette défaite a été essuyée par Israël en
Palestine (1). M. Wiener va plus loin, et prétend que la stèle de Ménephtah nous
permet de dater l'exode à une année près, relativement au règne du Pharaon, dont
la chronologie n'est pas absolument certaine, c'est-à-dire entre 1233 à 1223 av. J.-C.
C'est la partie neuve de l'argumentation, mais le lecteur jugera si elle est solide.

Elle consiste à identifier la déroute d'Israël avec son recul à Khormah, lorsqu'il
tenta, venant de Cadès, d'envahir la Palestine par le sud (Dt. 1, 43 ss.), à l'automne
de la troisième année après l'exode. Le roi Ménephtah aurait simplement voulu
dire que la Palestine n'avait plus rien à redouter des Israélites. Mais qui croira
que le Pharaon n'avait pas l'intention de se glorifier personnellement d'un suc-
cès? Il a pu travestir les faits jusqu'à changer une défaite en victoire-, il est tout
à fait invraisemblable qu'il compte le succès des Cananéens contre
ait pris à son
l'invasion d'Israël. Puis M. Wiener montre que rien n'oblige à placer l'exode avant
ou après le règne de Ménephtah, ce que nous admettons volontiers.

Nous avons en son temps JilL, 1914, p. (jlO ss.) signalé à nos lecteurs l'ouvrage
de M. Ed. .\aville : L'ancien Testament a-t-il été écrit en hébreu? La Revue laissait
pressentir l'opposition des sémitisants, qui n'a pas manqué de se produire. Mais
l'illustre égyptologue n'en a point été ému. Il annonce un nouvel ouvrage, où les
conclusions seront encore plus accentuées, contenant trois conférences ditt^s

Schiceich Lectures. En attendant, il répond spécialement aux objections de M. Gress-


raann (2), qui réplique à son tour (3). La polémique est très courtoise, et nous

serions désolé de changer quelque chose à ce ton, mais on est vraiment peiné de
voir pénétrer dans le domaine de la critique des opinions que l'auteur qualifie lui-
même de révolutionnaires et qui sont vraiment, lâchons le mot, des énorraités,
appuyées sur une logique trop capricieuse pour mériter encore le nom de logique.
On n'ose plus dire à M. Na ville qu'une discussion semblable est hérissée de pièges
pour ceux qui ne sont point au courant des antiquités sémitiques. Ne lui parlez pas
des experts, a Ce sont, dit-il, leurs métodes, et surtout leurs résultats que je repousse,
à l'aide d'autres méthodes que les leurs » (p. 192). Et c'est ce qui fait l'importance
du débat. M. Naville oppose aux savants bornés à l'horizon de leurs bibliothèques sa
connaissance de l'Orient et des documents archéologiques. Ce serait à merveille si
d'autres n'étaient pas mieux versés dans l'Orient sémitique, tel qu'on peut en juger
d'après les usages actuels et les découvertes récentes. Et comme il ne saurait être
question de produire des documents nouveaux dans le sens d'inédits, il faut toujours
en revenir à l'interprétation des textes et des monuments. Et si l'on ne veut pas
entrer dans les discussions philologiques, au moins faut-il que le système soit
cohérent.
On se rappelle que le système de M. N'avilie comprend deux thèses. Le Penta-

I Voir ViuKY, Soie sur le Pharaon Ménep/itah et les temps de l'Exode, H H., liioi), p. 585 ss.
li Archrologic de l'Ancien Testament, p. V.){ ss. dans la Revue de tliéologie et de philosophie,
sept.-oct. l!»lu.
"i) Les témoignages delà langue hébraïque, même endroit.
;;io iii:vi i: Kiiii.inri:.

touque a été écrit par Moïse daus la lanjïue assyro-hahylouienue et naturc.lleniciil tu


éorilure cnuiéiroiinc. Le reste de l'Aucien Tcslauicul a élr ccril en arami'eii, et Iri-
duit en lu'hrtMi aux environs de l'ère cluelieuue.
I.a preuiiere llièse pourra llatter eerlaiucs personnes connue un ddi hardi jeté à

la critique de l'école de Wellliausen. Mais en réalité cette critique n'est point direc-
tement en cause. l)'iuu> part M. Naville nous dit <|iu^ Moïse ne peut avoir écrit (|u"eu

babvi.inieu cunéiforme p. 'JO.'!), et d'autre part (jue récriture alpliabétiqiu^ est hien
antérieure à l'an 1000 (p. l'Oi)\ Alors poiu'(|uoi Moisc n.iurait-il pas écrit dans la

lanjiue de son peuple, et avec l'alpliabel? Ilepetons (pi'il n'est point ici (|ueslion de
tie l'évolution des lois, ou des idées, de thèmes oïi chacun |)eiii
critique littéraire,
soutenir son avis avec plus ou moins de vraisemblance. Les experts sont d'accord
sur ce fait manifeste qu'il a existé une lan;.;ue scniiti(|ue. (]u'on a jusqu'à préseat

nommée la langue de Canaan, parlée et écrite daus toute la rci;ion qui va d'Alep aux
frontières d'Kgyple de l'alphabet sont obscures, il est tout à l'ait
(1). Si les origines

certain que le même alphabet a servi dans toute cette réj^ion pour écrire luie même
langue, légèrement dillcrenciée selon les districts. \u nord-est on parlait une autre
langue, l'araméen, qne M. .\aville propose étrangement de regarder comme le par-
ier vulgaire des pays assyro-babylonicns, et qui était écrite 2) au moment oïi l'as-

syrien était une langue nationale parlée. VA il parait décidément que


encore
M. Naville ignore cet autre fait reconnu qu'un unique alphabet, dont les formes se
sont multipliées au cours des âges, a servi à l'origine pour l'araméen et le cananéen.
Entin la forme carrée de l'alphabet est précisément celle qui s'est développée en
écrivant la langue araméenne, tandis que le cananéen restait plus fidèle aux formes
anciennes. Ce ne sont point là des déductions a priori: ce sont les conclusions de
toute l'épigraphie sémitique. Et M. Naville continue à nous dire « que l'hébreu :

est lelangage populaire de Jérusalem, devenant langue écrite aux environs de l'ère
chrétienne par la formation de l'hébreu carré, une modification de l'araméen ima-
ginée expressément pour ce but. Je m'appuie avant tout sur ce fait, dont j'attends

la réfutation, prêt à m'y soumettre si elle m'est présentée : on ne connaît pas


d'hébreu écrit autrement qu'en hébreu carré » (p. 228). Et, en effet, cette position

est inexpugnable, parce que l'hébreu d'après un document biblique écrit en


lui c'est

hébreu carré. On lui oppose les tessons trouvés à Samarie par M. lleissner. Ré- —
ponse: ils ont été écrits par des Phéniciens. « Et si nous nous souvenons que, d'après
Hérodote, les Phéniciens faisaient un grand commerce de vin dans des jarres de
terre cuite, cela revient à dire qu'on peut juger de ce que sont les livres sacrés
d'un peuple d'après les étiquettes des marchands de vin » (p. 210). — Réplicjue la :

plaisanterie est de mauvaise grâce, car les étiquettes indiquent des crus de villages
voisins,comme nous l'avons constaté sur place avec M. Reissner. Et si la littérature
des marchands de vin n'a rien de religieux, leurs factures parlent la même langue
que les prédicateurs. —
On oppose le calendrier de Gézer. M. Naville répond enccu-e
que ce calendrier ne nous enseigne rien sur la littérature sacrée des Hébreux. Même
réplique. —
On oppose l'inscription de Siloé. M. Naville répond qu'Ézéchias a sans
doute appelé des ouvriers phéniciens. Et puis « qu'est-ce que cette inscription peut
nous apprendre sur les livres de la loi ou des prophètes » ? — Réplique : M. Naville
change toujours la question il a promis de céder si on
: lui citait de l'hébreu quel-
conque écrit autrement qu'en caractères carrés. Et que lui répliquer lorsqu'il voit

(Ij -Nos lecteurs savent qu'aux inscriptions de Mésa, de Hadad, de Panammou, il faut ajouter
maintenant celles de Kalamou (RB., l<Jl-i, p. 2;« ss.).
(2) Stèle de Zakir (Pognon, Inscriptions sémitiques; cf. RB., 4908, p. r;!»r. ss.).
BULLETIN. 311

encore « rinfluence phénicienne de Samarie » dans la stèle de Mésa ! D'autant que


ces quatre instances ne sont pas les seules, comme il semble le croire, et .M. Gress-

mann a pu citer encore les anses des jarres, y compris celles de Jéricho qui portent
lenom divin de laho et un nombre déjà considérable de sceaux incontestablement
israélites.

Il eut pu citer surtout les belles études du P. Dhorme sur l'ancienne langue de
Canaan (1), qui manifestent son unité en même temps que son évolution. Mais
n'est-ce pas ici VAcJiine'< de M. Naville? La langue de Canaan écrite en caractères
cunéiformes sur d'el-Amarna! Oui, mais les scribes éprouvent toute la
les tablettes

difficulté qu'il y a pour eux à écrire le cananéen avec des signes créés pour une
langue étrangère. L'invention de l'alphabet a probablement eu pour excitant le
désir de trouver une écriture appropriée à la langue, et, quoi qu'il en soit de ce
point, une fois l'alphabet inventé, il n'y avait plus lieu de conserver l'écriture cunéi-
forme, du moins pour les Cananéens, car les Assyriens ont dû continuer à s'en servir
pour leur langue, même à Gézer. parce que langue et écriture étaient liées. Et les
prophètes, parlant l'hébreu, dialecte du cananéen, ont écrit dans leur langue, comme
tout le monde faisait autour d'eux. Il est seulement très à déplorer qu'aucune de
leurs pages ne nous soit parvenue dans l'ancienne écriture.
Quant au phénomène des papyrus d'Assouàn, sur lequel M. Naville revient cons-
tamment, il s'explique par la rapide diffusion de l'araméen surtout dans le royaume
d'Israël. On a écrit en araméen. non pas parce que c'était la seule langue qui servît
à l'écriture, mais parce qu'on la parlait. Et c'est pourquoi aussi on se mit à expli-
quer les livres hébreux en araméen, au moment où M. Naville prétend qu'on les

traduisit de l'araméen en hébreu, \ussi bien ne sait-on que comment concilier ce

dit l'auteur, que le mot EosaVaTi de l'inscription de la croix signifie « en araméen, le

langage que parlait \otre-Seigneur, d'où est venu le mot Golgotha » (p. 19->:. et que
le langage parlé alors à Jérusalem et aux environs était le véritable hébreu ou le

judaïque (même page!). Le Golgotha était pourtant à Jérusalem et l'inscription


écrite pour ses habitants. Laissons Isaïe écrire en hébreu comme ses contemporains
et lescontemporains de Jésus parler araméen comme lui.
La réplique de M. Gressmann est telle qu'on devait l'attendre d'un sémitisant qui
connaît le sujet. Il remplace le mot de Cananéen par celui d'Amorrhéen et ce chan-
gement, désagréable comme tel, ne parait pas du tout exigé. On sait très bien que
le terme de Canaan est imprécis, mais il vaut l'autre, et il est plus suggéré par la

Bible.

Peuples voisins. Canaan. — —


Dans \ç. Journal of hiblical LUeraturr \\o\. XXX \ ,

mars-juin M. W. Carleton Wood a commencé une étude sur la Heliffion de


191G .

Canaan qui formera un véritable volume. Limité par la conquête des Hébreux, vers
l'an 1200, le sujet remonte aux premières origines. Comme tout le monde, M. Wood

admet une période paléolithique et néolithique antérieure à la présence des Sémites


dans le pays de Canaan. Les Sémites seraient venus en deux masses assez distinctes,
les Amorrhéens et les Cananéens proprement dits. Le premier article (p. 1 à 133) est
consacré aux plus anciennes époques l'époque pré-sémitique etl'époqueamorrhéenne.
:

Tout l'ouvrage est condamné d'avance à un médiocre succès par l'absence com-
plète d'illustrations. Parler des cavernes, des cupules, des piliers, des sépultures
sans moindre graphique, c'est décrire une cathédrale sans que jamais
le le crayon
rende intelligible ce que décrit la plume.

(1) La langue de Canaan. RI).. J!H3, p. 369 ss.: 191V. n- 37 ss.. !>. 344 ss.
M-2 RKM K HllM.lnl K.

Vnssi M. \N ()(ul n';! pas fiiwiurchose l\ dire do l.i [jncniicrc t|)i)(iu('. Les liabilaiits

sont censés ctioilcnieiit iipparnih-s à l.i [xipul.ilion oiiiitpiH'iun' des Ci'llu-I.iliyciis. I.a

prouve on aurait oto roiunie par l'aiialoiîio oiilro les nums du sud de l'iMirope el les
noms les pins anoions do la l'alcstino. Sur co point ires -ravo nous sommes ron-
voyés à M. Paton dont l'ouvrage : Tlir luirh/ llishni/ <>/' Si/ri'i nml l'alcaline o.sl

pour M. \Vood mi rooncil d'oraelos.


Cotto opoquo ost collo dos cavernes, a (iczor, à Mégiddo, à Taanacli. à Sarabit el-

Ivhadim dans la poninsnlo du Sinaï. Nos lecteurs n'ont pas besoin qu'on leur indique
les descriptions beaucnnp |)lus soii-néos du V. \inceni. d.ms sou ('(nm/ni (l'(i])frs

rexploratiim rvcculc. L'auteur se débarrasse des dolmens. uuMiliirs. cromlechs, on


révoquant en doute leur caractère religieux, il ne lui reste pour cette opo(iue primi-
tive (|ue les amulettes et les cupules. Il oxpli(pie les cupules comme, des récipients
pour recevoir les offrandes, sans menlionner leur caractère représentatif^ manifeste
dans des cas où il serait impossible do faire tenir dans ces peiits godets quoi que ce
soit.

Les premiers Palestiniens habitaient les grottes naturelles iVt'quentes dans le pays.

C'est pourquoi ils auraient imai;ino que leurs dieux habitaient dans des grottes, et
cette conception, étrangère aux Sémites, leur a imposé comme survivance les
cavernes sacrées. Il serait peut-être plus simple de dire que ces hommes, habitant les
cavernes, ont fait aux dieux — quels (juils fussent — une habitation semblable à
la leur, ce que les hommes ont toujours fait, sauf à rendre la demeure des dieux
plus belle.
J.a période sémitique est, avons-nous dit, divisée en deux parties assez distinctes
pour que M. Wood ait tenté une esquisse complète de chacune d'elles. Nous n'avons
encore sous les yeux que la première, dite amorrhéenne.
Comment l'auteur s'est-il cru sullisamment informé sur ces temps reculés, dé-
pourvus de toute manifestation littéraire.' Il ne peut guère s'appuyer que sur les

découvertes archéologiques, et il ne peut les interpréter que par des documents


plus récents, ou étrangers, s'ils sont contemporains, c'est-à-dire puisés à Babylone.
Or l'inUuence de Babylone ne exercée directement qu'à cette haute époque.
s'est

Elle cesse avec l'époque cananéenne, sauf les survivances. D'où le critère de
M. Wood les concepts et les usages qu'on retrouve dans la religion cananéenne
:

ou anciennement chez les Hébreux et qui ont des analogies en Babylonie doivent
appartenir à l'ancien fonds amorrhéen. On voit combien est délicat l'emploi d'un

pareil critère.
Quand donc commence l'invasion sémitique amorrhéenne? M. Wood dit 2.500 :

à 1800 ans avant J.-C. Mais la première date est évidemment trop basse, à s'en
tenir aux données mêmes de l'auteur. Il attribue à une invasion sémitique en

Egypte les troubles de ce pays de la septième à la dixième dynastie (2470-2100


av. J.-C). Mais si les Sémites ont envahi l'Egypte en 2475, ils étaient donc depuis
longtemps dans le pays de Canaan. Et voici que, presque dans la même page, nous
voyons Sargon d'Agadé (2775) conquérant de Martou, c'est-à-dire du pays des Amor-
rhéens. Mieux vaut donc dire avec le P. Vincent {Canaan, p. 435- que les Sémites
étaient en Canaan dès l'an 3000 av. J.-C.
Les chapitres qui suivent sont relatifs aux objets naturels sacrés, eaux, arbres,
montagnes et collines, à l'autel primitif, aux sanctuaires, aux rites, aux personnes
saintes, auPanthéon. Suivant toujours de très près M. Paton, l'auteur divise les
dieux en dieux de la nature, dieux de la perception interne, dieux des événements
de la vie. Les premiers sont Uadad, dieu de l'orage, Chamach ou le
soleil.
lîULLEÏIN. 313

Diigon, etc. La seconde catégorie ne comprend personne de nommé. Dans la


troisième, les noms de famille, 'Amm, f)od, tous deux signifiant le frère du père,
ah, le père, ah, le frère, melek, le roi, et Astarté qui ligure là comme Déesse mère,
mais dont le culte domine de si haut les précédents, et qui ne semble \y<\'s, ressortir

primitivement à des relations familiales ou sociales. Adon rentrerait bien dans ce

cadre, mais que dire de Ya, dieu cananéen prétendu, que les Israélites auraient
identifié à Yahweh, à cause de la ressemblance des sons! Kt M. Wood trouve toute
naturelle cette fusion d'un dieu des vaincus avec Yahwé qui ne supportait pas
de rival. ^ ient ensuite le culte des morts. Nous revenons aux dieux avec les

emprunts Cuits au panthéon babylonien proprement dit, Nabou, Nergal, nammàn, etc.

Les opinions sur la vie après la mort relèvent de deux courants dilTérents. Les
Sémites, d'après leurs idées à eux, mettaient les morts en relation avec leurs tombes,
mais ils avaient emprunté aux Suraériens le concept d'une grande réunion des morts
dans une sorte de royaume souterrain.
Le travail de M. Wood est un méritoire recueil de fiches, classées d'après telle
o|>inion régnante, sans que cet assemblage forme un tout organique. Et cela pourra
passer pour une qualité, car les anciens Sémites avaient-ils des idées religieuses

formant une synthèse, et sommes-nous à même de la reconstruire? Mais alors il

faudrait être moins afiirmatif sur certaines théories qui ne concordent guère avec
certains faits. M. Wood représente les Sémites comme adorant proprement le numen
des sources, mais dans Ln-Rimmôn et 'Eu-Chemech il faut donc que Ramm'àn
le dieu de Torage et Chamach le soleil soient des génies des sources? On sent que

l'auteur est gêné ici par une théorie trop étroite sur le lien qui peut exister entre

une source un dieu qui peut très bien n'en être pas le génie. Toujours a propos
et
(les sources, l'auteur nous dit que d'après les Sémites primitifs, l'acte de se baigner

dans des eaux courantes non seulement préservait des maladies, mais guérissait
des maladies (p. 19). C'est encore le principe de l'hydrothérapie. D'ailleurs les

témoignages positifs, beaucoup plus récents il est vrai que les Amorrhéens — mais
ce sont les seuls renseignements de l'auteur, parlent de certains cours d'eau, —
d'eaux particulièrement sacrées, non de toutes les sources ou de tous les fleuves.
Et il est assez imprudent d'aller tantôt des textes postérieurs aux Amorrhéens, tantôt
des concepts prétendus primitifs aux textes bibliques pour les expliquer, comme
si, par exemple, les sources, grâce à la vertu sacrée due à leur génie, avaient

inspiré le choix d'Adonias et de Salomon. Tous deux se sont fait couronner près
d'une source, parce que c'était un lieu naturel de rassemblement et de fête

l Reg. 1,9. De même pour les arbres. La divinité y est tellement incarnée d'après

M. Wood, que certains noms d'arbres, et ah, alon, dérivent directement de el, le
nom général des Sémites pour la divinité. Il serait beaucoup plus naturel de dire
(lue elah et el dérivent d'une racine commune qui signifierait la force. Et quand

l'auteur met lahweh — à propos des Amorrhéens! — en étroite relation avec le


buisson, il est d'autant plus embarrassé qu'il le met aussi dans un rapport non
moins étroit avec la fumée d'un volcan. Quand il ajoute que Yahweh a parlé à
Agar en se tenant dans un buisson p. 26 il ne prend pas garde que le texte dit
,

au contraire que l'ange de Dieu appela Agar du ciel (Gen. 21, 17\
Par ailleurs il faut féliciter M. Wood de n'avoir pas interprété d'une fa(^on trop
brutale et trop matérielle le culte des hauts lieux et des pierres sacrées. La desti-
nation des hauts lieux pour le culte vient du désir de se rapprocher de la divinité.

A la bonne heure; mais la divinité donc le ciel? De même pour les pierres
habitait
sacrées: la divinité est invitée à venir dans une pierre pour entrer en communication
31V itr.vui-: lUHi.ini K.

iivt'i' les hommes. Tirs bien, m.iis i-elii .s'iicoorde l-il avec Ir ()iiiici|ic {^t'iiciiil (|iic

les dieux oui été dicu\-r(''ti(.'lifs avant de devenir dieux dn ciel;' Qu'il y ail quelipu'
chose de représenlatil el d aiiilieicl d.ins les pierres sacrées, c'est ce que la Itrviir
a soutenu en son temps. Peut-être cependant faut-il faire une exception pour certains
rochers qui attiraient l'attention par leur forme siniïiilière, et l'auteur exagère dans
le sens de l'action humaine Iors(|u'il semble voir dans la colonne de sel de la

femme de Lot une pierre laillio |)our commémorer le souvenir d'une morte (p. :JÔ).

l/autpur n'aurait pas hasardé cette iiypolhèse s'il avait vu les blocs de sel du Dj.
Onsdoun), et s'il avait visité le Sinaï il n'aurait pas dit : « Au Sin.iï traditionnel .

alors qu'il parle en réalité de Sarabit el Khadim (p. 12). La théorie du sacrilice
forme im sini.'nlier mélange de la théorie de \N . Robertson Smith el de l'oiiiiiion

courante siu- le Kn quelque manière la vie de l'animal <-tait


iiuinrn de la pierre. «
censée résider dans le sang et être identique avec la vie dn dieu; et, (|uand le sang
du sacrilice était répandu sur la pierre sacrée, elle devenait une ollrande de boisson
pour le niimen i|ui l'habitait » p. 43). Alors le sacrilice. c'est le dieu animal qui
nourrit le dieu pierre? \on moins inexplicable pour le recenseur est cette |)hrase
sur le sabbat : « Le sabbat venait chaque septième Jour, et autant que nous le

sachions d'après de brèves allusions dans l'Ancien Testament, coïncidait avec les

quatre phases de la lune ». Les références de l'Écriture, ou le sait d'avance, n'ont


aucun rapport avec les phases de la lune.
On attend avec impatience la suite de ce travail. Ce ne sera pas en eOet une petite
difficulté de tracer maintenant un tableau de la religion des Cananéens vraiment
distinct de celui où figurent les Araorrhéens.

A.^si/i'iologif'. — Nous continuons à indiquer les modifications qui se produisent


au sujet du poème <' sumérien » sur la chute de Ihonune (1). Cette fois c'est
M. Langdon qui reprend la parole pour améliorer ses lectures et répondre à ses cri-
tiques (2). Nous n'avons pas à entrer ici dans le détail des nouvelles lectures.
AI. Langdon nous fait espérer qu'un texte définitif une traduction seront publiés à
et
Paris chez E. Leroux, aussitôt que les circonstances le permettront. Sans discuter
les raisons qui ont décidé MNL Prince et Jastrow à nier le fait d'un déluge, il

tient ferme sur ce point. Mais il reconnaît avoir nommé à tort la cassia comme la

plante interdite à l'homme. Ce végétal figure au contraire parmi les huit espèces dont
l'homme pouvait manger. Et il n'y aurait même aucune interdiction relative a la
manducation d'un fruit. Le dieu Enki .Éa) aurait planté un arbre fatal dont Tagtug
aurait mangé —
quoique cela ne soit pas dit expressément mais sans violer au- —
cune défense. Il aurait été victime de la jalousie du dieu. Et M. Langdon ne renonce
pas à cette étrange alliance de mots la chute de l'homme pour avoir mangé inno-
:

cemment le fruit d'un arbre enchanté, placé dans le Jardin par le jaloux dieu des
eaux. La déesse profère cependant cette malédiction : < H ne doit pas voir la face
de la vie jusqu'à ce qu'il meure », c'est-à-dire que Tagtug j)erd la longévité et la par-
faite santé de l'âge antédiluvien. — Attendons patiemment sous l'orme.

Bofjhaz-keui. — Les lecteurs de la lievue biblique savent quelles merveilleuses


découvertes ont été faites dans cette ville de l'Asie Mineure, capitale des ih'léeiis.

(1) Cl'. Rb.:i\)U,, p. 202 ss. et 6i:; ss.


(2) Critical Notes upon the Epie of Paradis, dans le Jnvrnal of Vie amsrican Oriental Soeiety.
septembre 1916. p. \¥) ss.
BULLETIN. ^1'

ou Khniti (1\ Commencées en l<J0(i-1907, les fouilles furent reprises et continuées

en 1911 et 1912. H. frincklcr. assisté de Macrldij lici/, s'occupa surtout de la par-


tie épigraphique, tandis que le D' Otto Puchslnn se livra à l'étude des
nioniunents.

Celui-ci publia le fruit de ses travaux en 1912 (2).

Les inscriptions hétéennes, cunéiformes et hiéroglyphes, restaient indéchillrables :

mais le résultat obtenu déjà était, pour l'histoire, la résurrection d'un peuple presque
inconnu jusqu'ici. Après les premières fouilles, quand les profanes pouvaient à peine-

soupçonner l'importance des découvertes, la Revue biblique écrivit (1908) « Les :

travaux seront continués —


(ils furent repris en effet en 1911-1912) mais dès à —
présent le résultat est considérable : c'est une véritable révélation sur l'histoire et la

géographie de cette partie de l'Asie et sur les relations des Ilétéens avec l'Egypte.
La Revue était bien placée pour avoir des informations
l'Assyrie, le Mittani etc. ».
sures,pmsque le distingué conservateur du Musée Ottoman de Constantinople Ma-
cridy Bey entretint des relations amicales avec l'École Biblique et honora même la
Revue de sa savante collaboration (3).
Au mois de décembre 1907 un numéro (le 35') des Comptes rendus de la Société
allemande d'Orient {M.D.O.G.) donua un aperçu rapide des découvertes et des pre-
miers résultats (iîB., 1908, p. 312). Depuis lors ce fut le mystère, et à propos de
Boghaz-keui, on ne parla que de Yénigme hétéenne. Aujourd'hui il parait que la so-
lution en est trouvée.
H. ^Vinckler, devenu malade, ne permit que rarement à d'autres l'examen de ces
mystérieuses inscriptions: jusqu'à sa mort, il voulut se réserver tous les droits de
publication.
La plupart des tablettes, environ 20.000, furent déposées au Musée Ottoman de
Constantinople; un plus petit nombre (praeclara .. rara?!) prit la route de Berlin. La
Tfieologisch TiJ<hchrift de Leiden nous a|)prit, au mois de janvier 191(), que l'on
avait conçu maintenant le dessein de les transporter toutes à Berlin; elles y trou- —
veront peut-être un abri plus sûr: en tout cas l'expérience de Louvain suffit.
Dans le même numéro de la Theol. Tijdschrift, F. M. Th. Bôbl, professeur à Gro-
ninghe. nous raconte qu'eu 1910 déjà il avait pu étudier et copier un bon nombre
des plus importantes inscriplious de Berlin; mais Winckler en interdit absolumeul
la publication.

Depuis la mort de Winckler du


1913), les droits de publication passèrent à
avril

la Société allemande d'Orient Sans tarder, dès le commencement de 1914,


i
.U.D.O.r;.;.

le DTigiilUi, attaché au Musée de Berlin, et le Prof. Jr Fr. Hrozmj, de l'Université

de Vienne, partirent pour Constantuiople dans le but de cataloguer les inscriptions


et d'en préparer la publication. Depuis la guerre mesure de prudence facile à —
comprendre —
le D'' Figulla travailla et prépara ses textes à Berlin. Bientôt deux

parties paraîtront, dont l'une comprendra les inscriptions babylo-assyriennes, et


l'autre les textes hétéens en autographie et transcription. Une troisième partie était
imprimée en partie, quand le D' Bohl écrivit sa note intéressante pour la Theol.
Tijdschrift (6 janvier 1916). Le Prof. D' Otto Weber, attaché au musée de Berliu,
se propose même de fonder, pour la publication et l'étude de ces textes, une revue
spéciale, qui paraîtra chez Uimichs (Leipzig) sous le titre de lioghazkoi-Stu-
dieit.

(1) ItB., l'.io", p. 158; 1908, p. iW. p. :Jl-2.

(-2) • Ausgrabungen dcr deulscheu orienlgesellscliaft uncl des kaiserliclien archaologischcn


instituts in Bogliazkoi », 1!K)7 : 1. Die Bauwerke, von Ono Pichstf.in, Leipzig, l!M-i.

(3) Cf. RD., 1002-1903-1904 Le temple d'Echmoun a


: Sidon
.10 IU.M h lUlJMUl l'"

[iu'w pins If D' llro/iiy a non sculciiH'nt copir les It'xlcs lu-téciis. m;iis il a lAclu'

(l'on [)i'iH'lier le secret, et il semble bien, nous dit Holil, qu'il y ait réussi.
Le des Comptes rendus de l.i Sucirte allem. d'Orient ^U. /<('.(;., Dec.
laseiciile .'>(!

donne une vue d'ensemble des résultais nbtenns. Il y a d'abord un article de


I1M:>^

Weber sur l'état actuel des travaux de Hoi;liaz-keui ensuite, après un mot d'in- ;

tr<Klnttion sur le décliill'rement des textes hétcens dil à la plinne d'A'i/. Mci/cr (1,,
l'étude intéressante du /k F/ii ilrich llrozin) intitulée . /.(( sohittdii du l'rn/ilrmc Ih'-

l'-cu. Meyer ne craint pas d'écrire de celte étude, qu'elle oflre le résultat le plus im-
portant de toutes les fouilles entreprises jusqu'à ce joiu- par la Société allemande
d'Orient.
Comme le remarque \V<h\ : > La conclusion à laqiu'lle \c \)' llrozny est arrivé, est
aussi étonnante (|ue simple-, i'hétt'cn appartient aux langues indogermaniqucs du
groupe occidental, dit du centre, et de toutes les langues indogermaniques de ce
groupe, riictéen est la langue qui se rapproche le plus du latin. »

La preuve In plus forte serait tirée des déclinaisons et conjugaisons. T-e D'' niilil

estime la preuve concluante.


Voici quehjues ressemblances entre l'hétéen d'un côté, et le latin ou le grec
d'un autre.
Liilin : ego '~ Uctéen : ug(a)
— : tuus = — : tuêl
— : nos — — : anzâ^î
— : nostrum (gén.) — : anzel
— : quis = — : kuis
— : quid = — : kuid
— : ubi [priniit. : cubi' — : kuwabi
— : ubique "
-- — : kuwabikki
— : quisque = — : kuiski
— : quodque = — : kuwatka
— : aqua = — : akuwanna
— : donura = — : danna
— : dantes {part, pi.) — : dante.-.

Grec : iaotys ^= Hétéen : ammug


— : hxo: =:— : ammêl
— : TJY£ = — : zig(a)
— : a::o - — : âppa
— : -aoa = — : para
— : /.ara = — : katta
— : lv8ov =z. — : anda
— : r.=pi = — : biran, piran,
— : «ï'oXiyo; = — : dalugasti
— : ip/.co) = — : arkuwar
— : c7rtcvÔ£t -- — : sipanti

Tous ces exemples sont tirés de la note du D"" Bohl (/. cit., p. 69).
Le D'' Hrozny donne à la fin de son étude la traduction de deux textes. Le pre-
mier est un texte historique sur les relations entre Ilétéens et Egyptiens; le second
un paragraphe du Code légal des Hétéens. Apres le Code de Hammourabi, voilà

(1) Ed. Meter publia en 1914 un volume sur les Hétéens Ro'ch und KuHur der Cheliter
:

(lierlin. K. Curtius\ avant même de connaître le résultat des travaux de HroznV.


BULLKTIiN. 317

donc encore uu code légal de l'époque de Moïse! Qui ne voit l'importance de cette
découverte?
Voici la loi traduite par Hrozny : « Si quelqu'un cause du doma)age à la main
ou au pied d'un homme libre, il lui payera, si l'autre en reste boiteux (?) (1),

20 sicles d'argent; si tel n'est pas le cas, il lui payera 10 sicles d'argent ». — La
ressemblance avec Ex. x\i, 18 s. est manifeste.

Le D"" Bohl termine sa note par deux remarques 1" Les exemples allégués par :

Hrozny ne prouvent pas que l'hétéen soit une langue iudogermanique pure.
Bôhl croit plutôt, avec Meyer, que nous avons affaire ici à une langue mélangée
'Misclu^prache). — 2° Les hiéroglyphes hétéens ne sont pas encore déchilîrés. Jusqu'ici
le D'' Hroznj" n'a essayé que la lecture et la traduction des textes cunéiformes hé-
téens. Et en cela il a réussi (2).

Dans la note si instructive (jue nous venons d'analyser, le D'' Bôhl nous rapporte
donc qu'il avait copié en 1910 (|uelques-unes des plus importantes inscriptions de
Boghaz-keui; mais H. \yinckler ne lui permit pas de les publier. Aujourd'hui Bôhl
est plus libre, et il nous livre dans la même revue hollandaise r.i) le fruit de ses
études.
Nous n'avons pas la compétence pour juger ces études du point de vue philolo-
gique. Un jour, après la victoire ou plus tôt, notre maître, le R. Père Dhormt-. s'en
emparera, 'les replacera dans leur cadre historique, et en reconstituera la grammaire
avec cette lucidité toute française, dont il a donné de si belles preuves dans l'élude
des tablettes d'el-Amarna. Le D' Bôhl nous avertit déjà que Boghaz-keui et el-
Amarna se complètent d'une façon étonnante (4;.

Voici les titres des documents transcrits et traduits par le D' Bôhl ; ils sont au
nombre de quatre.
I-II : Contrat entre Subbiluliuma (4), roi des Hétéens, et Maltiuza, prince de Mit-
tanni (1300 a. Chr.).
in : Contrat entre Chatiusil, roi des Hétéens, petit-fils du précédent, et Bente-
sina, roi des Amorrhéens.
La langue de ces trois documents n'est pas l'hétéen, mais le babylonien, en ces
temps la langue diplomatique de l'Orient.
Sous le n° IV l'auteur nous donne un essai de traduction d'un texte hétéen. Comme
Bôhl le remarque encore une fois, on a immédiatement l'impression de se trouver
en face d'une langue mélangée. Ou y rencontre couramment les déterminatifs Uu, :

màtù, alu, amêlu, etc. que suivent, comme en assyrien, des noms de divinités, de

pays, de villes ou d'hommes...


Malgré toutes les incertitudes d'interprétation, le document étudié est très impor-
tant pour l'histoire des religions.

(I) écrit
BiililUreupel {'!':. :

(2jM. Cuniont a exprimé la même conviction dans une communication écrite, lue a r.\cadé-
mie des Inscriptions et lîelles-Lettres le -20 avril 1917. Nous ne saurions émettre un jugement
sur les laits proposés par le R. p. Voslé. N'est-il pas étrange qu'on soit oblige de tenir compte
de yî pour al)0ulir à des ressemblances, et que cag{a] pour c(jo se transforme (au datil en ammuij i

pour correspondre à siioivî/cf. aussi tuil luus et zig{a) a-j^z (N.D.L.H.)~ =


.'{) [Leiden). fascicule dopble (n-iu), p. lfi!)--2l.';; fascicule double (iv-v)
Theol. Tijdsc/irifl
p. .'J03-326. — Ces
deux études sont écrites en allemand sous le titre AusiicauihUe Keilschrifllext :

ans Dogltaz-K'ii; elles portent deux dates Berlin, juillet litlO; (.roninghc, mai l'Jlo.
:

(4 . Die lieiden Kunde von El-Amarna und von Bogliaz-koi erganzen sich in geradezu stau-
nenswerler Weise > (L cit., ji. 1GI\
,5; RB., 1908, p. 313.
;{is UKVIIK lUm.lOl'K.

Voifi. (l'nprès r.iuleur liii-nirme. les coiistatiitions les plus iinportiiiUcs au pniiil
df vue lie l'ctiul»* îles irli;;iiuis et do riiistoiie pinfaiic : villr du soleil; — dirii cl
flcessc soleil : ~ tlicii Tcsii/i : ville Cluitli: — Tiauiras -
Diauwas =
Diaiis/Aivç,

If nom iiidoperinanique de Ditii :


- il y ;i loute uik- lislc de divinités, ;i noter à l:i

liu : t7« (iiiiiliiti ilii omrliiti sadr iidruli sii hiiil nii nom de villei. iîcihl tiMdiiil : di-

vinités milles et femelles des moMl;ii;nes, des Meuves ile...: e:;. ileiiie.nl iinr liste

de liiviintès baliiflonieiincs; — riiHe îles iiia)ies : divinités mâles et femelles du grand-


père du lils. du père du lils, de la grand'mère du lils; - Tou'H'hk' (<ierï. \, it); —
culte du roi.

fl'r. .I.-M. Vosri;.]

Juifs à home. —
Tout est à peser, ligne à ligne, dans l'article de A), (uimout inti-
tulé : !(/* de sarcophage judéo-paien (1). 'l'ont d'abord il signale, dans les
rr<i(jiiient

nouvelles salles du Mitseo vazionale des Thermes de nioelétieii Rome, la présence ;i

dune statuette d'un jeune homme assis, tenant deux volumes. » leuvrc précieuse
dont -M. Pariheni a eu le mérite de reconnaître la valeur et la bonne fortune de
pouvoir faire l'acquisition. Cet éphèbe aux longs cheveux bouclés, au visage d'une
douceur presque féminine, est une image nouvelle du Christ enseignant et la plus
ancienne ligure en ronde bosse qu'on possède an divin Maître » (p. 1).
Mais l'étude, très serrée et très érudite comme toujours, de l'éminent savant belge,
porte sur un fragment de sarcophage connu depuis longtemps et étudié par Garucci.
De ce qui reste on conclut aisément que les deux bouts de la platjue étaient occupés
par les génies des quatre saisons, sujet très commun sur les .sarcophages. Au centre
du sarcophage, un médaillon porté par deux victoires ailées, et immédiatement au-
dessous, « une représentation dionysiaque dans une cuve de pierre, ornée de mas- :

ques de lions, trois jeunes gens, dont deux portent le bâton recourbé des patres— les
l'îouxoÀo'. de Bacchus — dansant en se soutenant Tua l'autre, afin d'y fouler les grap-

pes de raisin qui en débordent » (p. 2). Or, et c'est l'intérêt de ce morceau, l'inté-
rieur du médaillon, au lieu de contenir le buste du défunt, renferme le chandelier à
sept branches, tel que le représentaient les Juifs. Et M. Cumont se réfère à ses bel-

les études sur les « relations qui s'établirent à l'époque hellénistique entre le ju-
daïsme de la Diaspora et les mystères de Dionysos ou Sabazios et dont une confusion
voulue du \ove)ii Sabazium avec le lahvé Sabaolh témoiane à Kome même, des le

ii-^- siècle avant notre ère » (p. 4). Le sarcophage des Thermes aurait été celui dun
Juif ou d'un Judaisant. Et en elfet, la fusion des éléments païens et d'un symbole
juif est incontestable.Mais les éléments païens l'emportent tellement, la défense de
figurer des êtres humains par la sculpture était si rigoureusement respectée même
dans le judaïsme hellénisé, que nous demandons à ce que le doute soit résolu. Ce
n'est pas un juif ayant encore quelques croyances mosaïques qui a accepté ce sar-
cophage pour lui-même ou pour un autre: c'est plutôt un païen devenu quelque peu
prosélyte. D'ailleurs, la combinaison des éléments se comprendrait mieux si on n'ex-
pliquait pas la composition dans un sens aussi strictement eschatologique que le fait
M. Cumont. Il voit dans le chandelier le symbole de la lumière, ce qui est assez

naturel ; mais il ajoute : du défunt, transformé en astre, puisqu'il allait habiter le


ciel. Et tandis que le défunt s'élevait vers les sphères supérieures, l'Océan et la Terre,

qui sont souvent figurés dans les sarcophages bachiques, ne sont là que comme le
point de départ qu'il abandonne dans son ascension. Nous ne voudrions pas nier les

(1) Revue archéologique, juillet aoûl iniG, cinquième série, t. IV, p. 1 ss.
BULLETIN. 319

rapports du culte de Baechus avec limmortalité, mais il faut aussi tenir compte du
sens réaliste des artistes une fois lancés dans le rendu d'un thème comme les ven-
:

danges, le cortège de Baechus, etc., ils ne se préoccupaient plus qivc médiocrement


du symbolisme eschatologique, et l'on pourrait regarder, avec M.INlichon, la Terre et
rOcéan comme le double domaine de la vie, la double source de la fécondité. Nous
venons de faire allusion à la description du sarcopiiage de Tourmous^di/a (1) par le
savant conservateur du Louvre il est étrange qu'un monument si caractéristique,
:

trouvé en Palestine, ait échappé à l'attention de M. Cumont. On se rappelle que les


faces latérales de. ce sarcophage représentent au naturel la vendange et la cueillette
des fruits.

le même article, M. Cumont reproduit l'épitaphe de Regina, trouvée dans


Dans la

catacombe de Monteverde, et qui peut être des débuts de cette catacombe, c'est-à-
dire du premier siècle de notre ère. Plusieurs savants s'en sont occupés; nous repro
duisons la ponctuation de M. Cumont, qui nous paraît la meilleure :

IlicRegina sita est, tali contecla sepulcro


quod coniunx slatuit respondens eius amori.
Haec post bis denos secum transegprat annaiii
et quarlum mensem restantibv.s octo diebus,
• rursum viclura, reditura ad luminn rursum.
Nam sperare polesl ideo quod surgat in aevoiii
promiasum {quae vera fides'i dignisque pîisque.,
quae meruit scdeni venerandi ruris Jiabere.
Hoc tibi pi-aeslileril pietas, hoc vita pudica,
hoc et amor generis, hoc observantia legis,
coniugii meritum, cuius tibi gloria curcw.
Uorum factorum libi sunt speranda fiUura,
de quibus et coniunx waeslus solacia quaeril.

Le résumé de M. Cumont est parlait « Une jeune femme, Regina, qui n'a vécu
:

que 21 ans, 3 mois et 22 ou 23 jours (2), s'est acquis par ses vertus, parmi lesquel-
les on relève lamour de sa race et l'observation de la Loi, le privilège « de
vivre de

nouveau, de revenir à la lumière ». Elle a mérité d'avoir pour demeure le paradis


{venerandum rus) et c'est pourquoi elle peut espérer ressusciter pour l'éternité pro-
mise « aux âmes pieuses et dignes du morceau l'aflirme, c'est là la
», car l'auteur

vraie foi. C'est dans cet espoir aussi que le mari affligé cherche des consolations à sa
douleur » p. 9). Il paraîtrait, d'après M. Cumont qui s'en étonne, que M. Bornmann
a cherché dans cette épitaphe des traces d'une influence paulinienne. Idée étrange
en effet! Car saint Paul aurait vu dans le mari survivant le type du juif qui suit la
loi des œuvres, factorum. C'était bien un orthodoxe celui-là, et
probablement teinté
de pharisaisnie. Sa foi en la résurrection n'avait pas besoin de se soutenir par des

symboles dionysiaques, et, pour le dire en passant, nous attendons encore un texte
émanant d'un sectateur de Dionysos ou d'Attis.
aussi précis sur la résurrection
Le sarcophage du chandelier devient ainsi lui-même un symbole historique. C'est
dans la foi robuste du judaïsme en la résurrection que les initiés de Dionysos ont
cherché à viviûer leurs antiques représentations et leurs légendes que les artistes
continuaient à reproduire avec leur végétation luxuriante, sans se préoccuper d'ac-
corder tous les éléments du thème avec les espérances eschatologiques qui s'y étaient
cependant greffées, hàtons-nous de le dire, avant l'influence du judaïsme.

Palestine. — Palestine Exploration Fund, Quart. Stat.. — octobre 191G. — Notes


- RB., VMS, p. 11-2.
(I)
(lu ne laut-il pas eiilciulrc les dates du temi)s du mariage? Autrement
(2)
Kegmu aurau e>»

peu de temps pour iiratiqucr tant de vertus noter secum. :


32(1 |{i;Vl'K IMIW.IOl'K.

ri iioiircllr^. —
Suite de \. nniitunhlr un, ut. par M. I'. .1. Biildciispcri^cr dcscripliou :

de Jérusalem qui date de (|uel<|ue.s aimées. —


.\iths dr {•irconstmicc sur 1rs liuhiltiiilt^

moiientes de lo Pulexlinr. par MM. Ma.slermau et Macalisler suile des légendes sur :

les aucieus cheikhs. —


/.'<nnrr ilr Lord Kitclunrr m
l'dirstinc, par Miss Kstelle IMvIli.

— Noies archr<do;fi<jfirs sur Irs nnrujnitcs jnivrs. par .1. Ollord une nouvelle coupe :

juive niaciiiue de Mésopotamie; le nom de /akarhaal; le poids /i((/(://(/ . inscriptions

latines du Liban et de l'Arabie; le site de Capharnaiiin ; le titre de Uni des rois.


VinscriptiLm mottiloirr siir le mitr au hniiqnrt dr liallacur, |!ar .1. (>n'or{l. — Rrcrn-
sions et nolcK rrhitires à (les pitfilico lions. — Noirs el iiuestiuiis.

— Notes nourcUrs. — Suile de L'imiiiKnldr Oririd. par M.


Jaiiv. 1917. et P. .1. lîal

densperger —: .lalTa. dr lU'iiaparlr en l'alrslinr tu


L'e.rj)édilioii par feu I7'.)[l, le

Col. "Watsou. — NnrI àBclhIrem. par lord Kitchener. Ce grand houinie de guerre
l'eu

assista en 1S7.") à la messe de minuit chantée par les Pères Franciscains dans la grotte
de la Nativité et di'crit les cérémonies qui lui laissèrent un de ses meilleurs souvenirs
de Terre Sainte. — Suile de L'œnrre dr Lard Kilclirncr m
l'itlrstiiir, par Miss ICstelle

lîlyth. — liecension.

Nécrologie. —
Le professeur .lames llope iMoullon a succombé en avril dans un
naufrage à son retour des Indes où il s'était rendu pour un voyage de mission. Cette
perte sera vivement ressentie dans le domaine des études grecques. Auteur d'une
excellente grammaire du grec du Nouveau Testament. M. Moultou avait commencé,
avec M. Milligan, un vocabulaire du Nouveau Testament d'après les nouvelles sour-
ces, surtout les papyrus, et enrichi le Dictionnaire de la Bible de Tlastings d'articles
d'une haute valeur. Il était en Angleterre le maître le plus estimé pour la connais-
sance du grec hellénistique. C'était aussi un houuue d'LgIise très actif et très zélé.
Né en 1863. il était devenu en 1886 ministre wesleyen, défenseur convaincu de la
divinité de Jésus.
Ou annonce aussi la mort du Rev. Henry Barclay Swete. mort en mai dans sa

8:3« année. Parmi ses travaux, toujours très distingués, son édition des Septante l'a

rendu populaire parmi les étudiants et les maîtres.

Le Gijrant : J. Gab.^lda.

Typographie Firmiu-Didot et C *. — Parie.


.

L'AUTEUR DE L'APOCALYPSE

C'est quand on possède des informations suffisantes sur le caractère


et l'esprit de l'auteur de l'Apocalypse, son but, ses procédés, sa
culture, sa langue et son style, qu'on peut aborder d'une façon pleine-

ment scientifique la grosse question, si débattue aux iii° et iV siècles,


et qui l'est encore davantage de nos jours : Quel était ce Prophète
Jean?
La tradition, il est vrai, est .ferme. Elle répond Jean l'Apôtre, le :

fils de Zébédée et le frère de Jacques, qui a écrit aussi le dernier

Évangile, Tu Evangile spirituel ». Pourtant, à une certaine époque,

dans nombre d'églises de l'antiquité, il y eut des négations et des flot-


tements. Puis la comparaison des deux écrits, l'Évangile et l'Apo-
calypse, vend incroyable à maint critique qu'ils puissent avoir le
même auteur. Saint Denys d'Alexandrie en faisait déjà ressortir les
profondes divergences, pour attribuer l'Apocalypse à « un autre Jean »
Serait-ce Jean-Marc? Jean le Presbytre? Quelque homonyme encore
moins connu que ce dernier? Pour Jean-Marc, auteur du deuxième
Évangile, la question ne peut sérieusement se poser. Sauf la tournure
hébraïsante de leur style, et les libertés qu'ils prennent à l'égard de
lagrammaire, —
encore sont-elles bien moins audacieuses chez Marc,
— l'auteur du second Évangile et celui de la Révélation n'ont à peu
près rien de commun, ni dans le caractère, ni dans le style; ils ne se
ressemblent que par leur attachement à la même vérité. Quant à Jean
le Presbytre, nous voulons bien- croire qu'il n'est pas un mythe, à
cause du guère pu mal interpréter (Eus.
texte de Papias qu'Eusèbc n'a
H. E. III, XKXix, 3 ss.). Mais je pense aussi que nous ignorons tout
de lui. à part son existence et ses relations avec Papias et les églises
d'Asie; il ne s'est introduit dans l'histoire littéraire, pour se faire
attribuer l'Apocalypse, que comme un postulat, un deus ex machina
))on à tirer d'embarras des docteurs qui savaient fort bien que la

comme auteur de ce livre,


tradition désignait le seul Jean l'Apôtre
mais continuaient à subir les conséquences de préjugés doctrinaux
développés jadis chez certains orthodoxes par la polémique anti-
millénariste. Il est d'ailleurs assez remarquable que le plus ancien
ItEVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. XI\. 21
:tj2 urvi i: liiui loi I.

adversaire noiUnuMiiont coiiiiii i\v V \\}oci\\\\)so. le lioiiiaiii (laïus, ait

\()ulu 1 attiilMii-r, iioii pas à un Jean (HM'Ifonqiie, mais à riirrrti(|iw'


Cérintlir, (lui aiii-ait pi-is lo niascjuc dim apAtrc. — de l'apùlrc .Ican,

il va sans din\
Notre premier»» tâche est (l'examiner des textes; ensuite nous pour-
rons, s'ils ne i»araissent pas drcisifs à tout le monde, recourir aux

critères intei-nes dOù pourra sortir (]uel([ue lumière.

rKMOiGNA(iES TRADmoNNKLS. — Lcs téuioiî^uages se présentent en


n(»mln'e imposant, et il suffira de signaler, en les discutant s'il est

l)esoiu, les plus anciens. Pour autant d'ailleurs qu'ils sont propre-
ment convergent tous. Davidso/i (1) déclarait
traditionnels », ils

justement « l>et it not be urged that the patristic tradition is not


:

unanimous... The historical tradition relative to the Apocalypse


seenis to habe been intei'rupted by doctrinal views alone. Had no
moutanism or millenarianism appeared, xve should hâve heard of no
voice raised against Jolm's authorship... The basis of the tradition
cannot be explained away without violating the principles of histo-
rical évidence. »
Le premier en date (2), et peut-être le plus important, des témoi-
g-nages que nous possédions, c'est la phrase de sai/it Justin, dans
son Dialogue avec Trijphon. k Kt. îr.s'-x T,y.p^ -rii^Tv àv/jp -riç, (o : -/.y).

iivc'j.a 'Io)âvvr, ç, î''.q "wv àzccti/viov tsj \p',7~c'ù. sv xzc"/.a Aj 6ît

-vK'^.vrr, a'j-.M y\LVJ. ï-r, r.zvr^fjv.^t sv 'l£pcuîaA-r,;j- tcùç tw r^'j-STÉpo) XptîTTOj

r.'.-TEjjavTaç r.pzzoTi'ZMrjz. y.'A ;j.s-à -y.\)-y. -.r,v 7.aOs/a7.-r;v -/.a!,, 7'jvé/.:vt', -^àvai,

x'.wvâv :;j,;Oj;Aacbv 3:;Aa r.h-or/ àvzTTaa-.v YcVYjTSîOa', v.y': v.pizvf. C'est la

plus claire des références au chap. xx de notre Apocalypse, d'ailleurs


mal compris. Il faut se souvenir que Justin avait fréquenté Éphèse,
où il Hadrien, vers 135, c'est-ù-dire une quarantaine
se convertit sous
d'années seulement après la date généralement assignée à l'Apo-

calypse.
Nous savons indirectement que, vers la même époque, Mélilun,
"^

évoque de Sardes, ville apocalyptique, a écrit sur l'Apocalypse de Jean:


MôAiTWvsç, -.y. r.ip'. -yj T.y.T/y. iùc v.y'.... -.y zcpi tcj oiaSi/.oj y.aî -.T^z

'A-cv.aA^Leo..: ''Iwâvvsu (Eusèbe, E. E. lY, xxvr, 2). Dc?i?/s de Co-


rintlie (^106-175), se plaignant que ses lettres aient
été falsifiées, em-

1886.
IntroduvHon, I, p. 319, cit.- par CoitNEi.v. Introductio, III, p. 6!)8,
(1)
Ignace d'An-
Les traces qu'on a cru retrouver de l'Apocalypse dans les lettres de S.
(2)
Philad. nous paraissent à tout le moins douteuses.
tioche, Eph. 15 et 6,
L'AUTELR DE LAPOCALYPSE. 323

prunte, semble-t-il. formellement des termes d'Apoc. tîxii, 18-19, et


ix-xi : Ky.'. -xj-t.; z'. -oj oixSôXcu x7:bGT0K0'. ZCx'nurf \'zyi'j.'.Y.y.^f (Mat. \Fii, 25),
y. [j.ïv èiaipsîiVTîç, x zï z p"c7T'-0£ vtîç, c'.ç ts oùal /.sï-rai (Elis. Jl . E.
IV. wiii, 12). Dans le Pasteur d'Hermas, relevons les images de la
' Bète » marine (Vis. rv', 1), des « vêtements blancs» (Sini. mii, 2, 3),

et cette allusion plus certaine, à la Vis. iv, 2 : jTravTic y-c. zapôï'voç


/.£/.c7;xr, ;j. Évrj cô; 6, mais aussi
£/. vjv.oûvoç à/.zcpcJoy.fvY; Ps. XMii,
Apoc. XXI, Chez ces deux auteurs,
2i, cXr, iv As'jy.cîç (Apoc. passim).
il est vrai, ce ne sont là que des allusions, qui ne disent rien sur

l'auteur; toutefois elles indiquent la considération dont jouissait déjà


. l'Apocalypse. Explicite est l'assertion du commentateur André de
Césarée touchant Papias, le vieil évêque d'Hiérapolis, antérieur à
.Instin : Ylzzl ^.vr.z<. -oX> htzr.-/zjz-o-j -f,ç '(Az'kz-^ (c.-à-d. de l'Apoca-
l\q3se de Jean) -xspiT-cv \yr;/:'r)v:t -zv Xi-'cv ^Y0'j[^,£6a, tuv [j.TAxpiinv Tpr-
yzpicu... 'zpZTiz'. zï v.y.\ twv xpya'.ziipuyj llxr.-'.Z'j. E!p-f,va''c-j, MsOsv'i'j
y.y.'. 'Ittttoa'jtcu -zj-t^ t. pz7[j.y z-'j zzj-j-m-^ ~z x^ibrAz-zv (Préface du
comni., P. G. CVI, 217 1; Or. André n'avait aucun doute sur l'identité
de Jean. — PoU/carpe, le disciple de Jean, martyrisé à Smyr)ie, ville
' apocalyptique (155-156?), se sert très vraisemblablement d'une expres-
sion qu'il avait lue maintes fois dans l'Apocalypse, quand, avant de
mourir, il s'adresse à Dieu en ces termes : K\>z<.z z Osbr z zx^^-zv.px-zMp,

qui se retrouvent littéralement avec leur irrégularité grammaticale


dans plusieurs passages de la Révélation [Mart. Pobjc. xivj Théo- —
phile, qui fut entre 169 et 177 évêque d'Antioche, c'est-à-dire —
dune église en étroites relations avec celles d'Asie Mineure, — dans
son Ilpbç TTjv yXptnvi 'Ep;AOYÉvci>;. écrit aujourd'hui perdu, s'esl servi

d'après Eus. H. E. IV, xxiv), « de témoignages tirés de l'Apocalypse


de Jean ». —
Ajoutons le témoignage du Canon de Miiratori (Rome,
• 155 et 200) aux lignes 57-58 « Ef Johannù enl in ajpocalebsy
litre :

licet septr eccleseis scînbat tamen omnibus dicit... », puis, aux lignes

71-72 « ... Apocalapse etiuîn Johanis et pe/tri tantum recipimus quam


:

(juidam ex nos/tris legi in ecclesia nolunt » (1). Dans la Lettre des —


'1 On sait que Zahx {Gescli. des neutest. Kanons, II, p. 142, 1890) croit le texte cor-
ompu, et propose celui-ci pour l'original grec présumé : Kal y, àitoxâXu-!/'.; 6è Hwàvvo-j
/.y.\ TCJtçoj '

â::'.cTOAYi \x\x i-v] Liôv/iv à.-v*Ztyô\j.z^:i.' [éçxi oà xal Ixîpa] r.v iivî; itô'/ r,[i£T£po)v

ivaYtvaxj/.cTfjai
£•/ Èy.y./.vi-jîao i 0£>ov<7'.v. —
Cf. Haknack, Die Enùste/iuiig des ?\etien Tes-

laments, pp. 56 suivantes, 1914, sur l'égale considération dont auraient joui à l'origine
trois Apocalypses, celles de .Jean, de Pierre, et le Pasteur : le frai^ment de Murafori mar-
(|uerait le moment tIc l'exclusion du Pasteur, et de la mise en doule île l'aulorité de celle
lie Pierre, laquelle de fait reparaîtra encore plus tard nommée ;i côté de celle de Jean. —
Toutefois cette assimilation ne pouvait être générale; et l'intention d Hermas de remettre
>on livre aux presbytres, et son désir d'être lu dans les églises (Vis. ii, 4), n'indiffue pas
3-24 UKVIK UIMI.IOUI-:.

<'(//ist's de Lijon et de Vienne, sans doiilc rrdi.^éc par Irriiéc eu la

dix-srptiî'mc auiiôc de Marc-Aurèle (177-178), nous lisons : r,v yicp xai

è-Tiv ^(^TiQizc XpiffTcCi [j.aOr^TY;;, ixcACuOrov tm àpvûi) c-ou av ûzâYV;


= Apoc. MV, V, et plus loin : tv^c r; Ypaçr, tcay;p(.)0'?5. « G avo;j.:r

àvo|A-f; aiTO) ïti. xa'. ; l'.y.xizz si/. a'.ioOr^Tt.) ëti = Apoc. xxii, 11,
appelée <> Kcriture, vp^r'^< " (Eus. 7/. E. V, i, 10 et 58). — Enfin Â/tol-
lonius d'Éphèse combattit Montan et ses prophétcsses vers l'an 200,

en se servant (toujours d'après Eusèbc, //. E. V, xviii, l^i-), [xapTup(aiç

à-c TYjç 'l(.)âvvcu Wr.z'/.x'kJ'bzb)^ », ct « il raconte qu'un mort, au


moyen d'une vertu divine, fut ressuscité par le même Jean à Ephèsc »

[ibidem).
Ed résumant ces j)remiers témoignages, nous constatons que l'Apo-
calypse était connue dans la généralité des églises au ii" siècle, et

considérée comme une écriture divine [Papius d'après André, Can.


Murât., Lyonnais). Le nom de son auteur, chaque fois qu'il est cité,

est Jean [Justin, M


élit on, Théophile, Apollonius) ce Jean est le Jean ;

d'Éphèse {Apollonius)] enfin le texte de Justin, le plus ancien que


nous possédions, range ce Jean parmi « les apôtres du Christ ». Il en
est de même, certainement, pour le Muratorianuni. « Plusieurs...
attribuent simplement l'Apocalypse à Jean, sans mentionner que c'est
de l'Apôtre quils parlent. On ne ])eut douter pourtant que c'est lui
qu'ils visent, car la tradition ecclésiastique, en dehors de Papias, de
Denys, d'Kusèbe, et de quelques autres, n'a pas connu d'autre Jean,
vivant à Éphèse, à la fin du i" siècle « (Jacoiieh, Hist. des livres du
N. T., IV, p. 3221.
Ces témoignages sont couronnés par ceux à'Irénée, de Clément
d'Alexandrie et de Tertullien. Ceux du premier ont la valeur toute
spéciale qui s'attache aunom de S. Irénée dans la question Johan-
nique; l'Alexandrin et l'Africain les confirment. Tous sont aussi exprès
qu'on peut le désirer. Irénée s'est beaucoup occupé de notre livre, et
a été le devancier des commentateurs [Cont. Haer., iv, 20, 21 v, 30, ;

35, et ailleurs). Pour lui. il est de Jean e le disciple du Seigneur »


(IV, 21, 11; V, 26, 1) lequel n'est autre que l'Apôtre [Cont. llaer., ii,

22, 5), —
Clément d' Alexandrie en parle (dans le Tîç h aojî^ôjj.svoç -rz'/.cù-
(7tcç, V2; dans le IlaioâvwYcç, ii, 10, 12; dans les ^Tpwy.a-a,* iv, 25 ; v, (>;

VI, 13), comme d'un écrit apostolique; et on sait qu'il avait recueilli
de belles traditions sur le séjour de l'Apôtre Jean à Ephèse. — Quant
à Tertidlien, il défend l'authenticité de l'Apocalypse Adv. Marcionem,

une conscience de son aulorilc comparable à celle de Jean, Apoc. xxii, 6-8 et 18-19 cf.

Harnack, op. laud., p. 59).


[/AUTEUR DE [/APOCALYPSE. 32")

Ml, H, 2V; De resiirrectionc carnis, 27 « Aposto-


IV, 5. Il dit, dans le :

'

lus Johannes in Apocabjpsi ensem describit ore Dei prodeuntem » ,

d'ailleurs, il s'en sert avec profusion.


Ainsi, jusque dans les premières années du lu" siècle, on peut parler
d'une unanimité de la tradition concernaDt l'auteur de notre livre.-

L'hérétique Marcion, ne l'admettait pas plus que la majeure


il est vrai,

partie du Nouveau Testament; mais son opinion n'a aucun poids


(levant la critique; d'ailleurs, l'origine apostolique n'était pas le

critérium de son canon.


Au m'" siècle, tandis que rx\pocalypse est pleinement acceptée
comme Joliannique et apostolique par Origène, qui semble ne
connaître aucune discussion sur ce point-là [in Joh. 1, 2, 6, 14; i. I,

V, 3; in Mat. XVI, 6) (1), et par S. Hippolyte, qui s'en est encore


t.

plus occupé qu'Irénée [De Christo et Antichristo, éd. Lagarde, p. 17 :

Aé-'s \hoi, ixay.âp'.s 'Io)avv/) àTîia-oXs /,a': [j.aO-^xà tcuKupiou, "J.


dit:; 7.ai fj/.oua-ac; T. = p\ BaêuAwvoç, V. Apoc. xvii), puis en Afrique par
S. Cyprien (Ep. XXVI, 4 De bono patienliae, 2'i-,
; et ailleurs), et enfin

qu'on la voit paraître dans les vieilles versions latines, les difficultés
apparaissent au jour de l'histoire avec le prêtre romain Caius, puis le

grand évèque S. Denys d'Alexandrie.
Gains, précurseur de Volter, attribue tout simplement la prophétie
à Cérinthe, ce gnostique contre qui, suivant d'anciens auteurs, l'apùtre
saint Jean aurait lutté à Éphèse, et dirigé l'enseignement de son
Évangile. Le texte de Gains, conservé par Eusèbe [H. E. II, xxviii, 2),
vaut k, peine d'être cité et traduit.
'AXXà xa'c K-^piv6o? h c'.' àTuoy.aX-j'iswv wç ûxb à-oaTÔÀo u [j.îYaXou
YîYpa;xy, £v(.)v TSpa-oXoYiaç •/);j,îv Cùq o\ àYT-"'^^''^ aÙTto 8 eg £',y;j, svotç

<jt\)ob]xviOz è-stcrâYci, Xévwy \i.i~(x tyîv àvica-aaiv eiriYctcv sJvat to jîao-iXetcv

t:j XpiTTcu -/.y), r.xkv) £T:tOuix''a^ y.at i^joovaîç iv 'IspC!Ua-aXr][^. Tr,v jâpxa r^oXi-

-fjziJ.vrçi o:uX£'J£iv. Kai kyJ)po^ ûrap^^tov ~y.Xq ypocpaXc icD 6cOli, àpt6[;.bv

•/'/A'.sv-astîa,; iv Yay.o) Éop-^ç. OsXwv zX'avxv, Xéyî^ Yivî-Oau « Mais Gérinthe,


au moyen de révélations (apocalypses) censées écrites par un grand
apôtre, nous présente mensongèrement- des récits de merveilles qne
des anges lui auraient jnontrées (cf. Apoc. r, 2; xxii, 8, etc.). Il dit

(t) Ce dernier texte est à signaler parliculièrement. Origène explique comment les fils de

Zébédée ont bu le calice du Seigneur ô ôâ 'Pwu.a{wv paT'./.sjç, w; rj itapâôosi; ôiôâ«7X£i,


:

/.xxto'vAOint XVI ^\iùVi'irci jxapfjpo-jvTa... e!; Hâxixov Trywr\r;o't. A'.îâTXît Sa xà uspl tou (lapfjpc'o'j

ia-jToO Mcoâvvriç, u./) Asytov xiç ayxôv xaTeôix-aTs, odc/wv âv xri 'A7:oxaXû<J/£t TaOxa' « 'Eyio
"Ifoâ-r/r,;, xt).. voirApoc. I, 1) i .Uigne, /^. £. Xllf, c. 1380). — Si l'opuscule publié par Harnack
et Diobouniolis en 1!)11 est vraiment un commentaire d'Origène sur l'Apocalypse^ comme
nous l'admetlons, on voit assez quelle foi avait le grand Alexandrin dans cet écrit
3-26 RKVl !•: miM.IOl'K.

que, après la rr.siirrootidii. l.i royauté <.lu (Mirist sera terrestre^ ; (|ue
la chair, de nouveau, organisée ou étal à .lérusalom cl". Aj>oc. x\ et
suiv."!, sora sous la servitude des passions et des plaisirs; ot, conime
il (>st ennemi des Écritures de l»iou, il dit, voulant éiiarer, (ju'il y
aura mille ans de l'êtes nui)tiales. »

Il est hien inutile de chercher à innocenter Caïus. comme des écri-


vains catholiques l'ont voulu autrefois. Il n'est iiuère grammatical
de traduire ô)- j-b x-z77z\ou y.z^^x/.zu YeYpay.j^.iv(.)v. « comme [les t'évé-

lations) qui «uil été écrites par un grand apôtre », puisque l'article

manque devant le participe. C'est à son opinion, entre autres, que


Denys d'Alexandrie lait allusion, quan^ il écrit « l'ivè; ;j.3v ouv twv :

T.po r^iJ-cov iOÉTïjJxv /.ai àvîo-y.îyajxv zâvrr; -ô li<A}J.o^ (l. e. -r,)/ à-s7.àX'j'!»tv l...

Iioâvvoj \'xp cjy. c?v3ct Xlvsujiv, à/.X ;jo y-zvS/.-j'iiVJ sivai ty;v a^ôopy.

'Ax\ "T.xyii x,£/.aAj;j.;j.£vr// t(0 -f,; à^rfoix: -y.zx-t-7.G]j.x-i. v.-A cjy 'czo)ç

T(ov xr. Z7-b'/.iiVf Tivâ, àz/A oùo" 'c/><o; :'T)v 3:Y''<'>v 'i;
' or/ ùizo -z-qç

ky.Y.\r,7ix: t^jtîj YSYivÉvat -c',r,-:ï;v -:;j Ypây-y-XT:;, K-/;ptvOov $s -cv y.a''

Tr.v à'::' ày.sîv^j y.Xr/j£l,'c7XV Kr^p'.vOiavr^v 7'j{rTTf;7â;;.îv::v arpî7'.v, à^iômo'TSV èTiç-/;-

jjLisai 6sXr,7avT3c tcT) ÉacuTCj '::Aâs''i/a-:i c;vo;j,a Eyo) ;è àôsT-^ucci ij.èv oùx
iv T2X;j.-(^7a'.;i.'. t2 ^i6ai:v. « Quelques-uns de ceux gui nous ont précédés
ont entièrement rejeté et récusé ce livre il' Apocalypse)... Ils disent
en pas de Jean, que ce ri est même pas une Apocalypse
effel qu'il n'est
(c'est-à-dire une révélation), enveloppé qu'il est tout à fait du voile -.

épais de Vinconnaissable ; que non seulement aucun des apùtres, mais


d'aucune façon un des saints ou des membres de lEylise n'a été
l'auteur de cet écrit; qUe c'est Cérinthe, celui qui fonda aussi l' hérésie
appelée de son nom, Cérinthienne, qui a voulu mettre sa propre
composition sous un nom
qui lui valût crédit... Pour moi, je n'aurais
pas l'audace de rejeter le livre » (Eusèbe, H. E. Vïi, xxv, 1 suiv.).
Denys parle certainement des « Aloges » mais Caïus était du ;

nombre (1).
Qu'était-ce que ce didascale, et comment avait-il été amené à un
jugement si contraire à la tradition, si inintelligent même dans son

(1) Toute cette ([uestion a été l'claircie par la découverte de fragments syriaques des
K£:f(x),aia y.aTà Taiov de saint Hippolyte, dans le coinmentaire sur l'Apocalypse de Denys
bar-Salibi (ms. syriaque 7185 du British Muséum). On y trouve les objections que Caïus
élevait contre l'Apocalypse. Par le même commenlaire, on sait que Caïus rejetait aussi le
IV" Évangile (G\vv.\, Hippolytus and his lieads ayuinsl Caius dans Hermatliena, Dublin,
1888. — Le comm. de Denys bar-Salibi a été édité Corpus Script, christ, orient., Paris.
Leipzig, 1910. t. CI). —
Ebedjesu (f 1318) le confirme (Assemam, Bibl. orient.. Script
neslorlani, t. IIJ, pars I, p. 15, 1725). C'est probablement aussi contre Caïus et consorts

qu'Hippolyte aurait écrit le TTièp to'j xaTà 'lojâwr,/ E'jayyî/to-^ -/.al à^îo/.aXO'lisw; mentionné
sur le siège de sa statue du Latran.
L'AUTEUR ni-: l.APOCA[.YrSE. 327

outrance et son injustice, qu'on ne peut l'expliquer que par Faveugle-


ment de la passion? C'était un orthodoxe, et un prêtre, puisque Ensèbc
l'appelle xvr,p [II, xxv, 6). Au temps du pape Zéphyrin
iy./,'Ar,7iac7T',/.o;

(199--217), un ouvrage de polémique, le Upl: llp6v.>wv, contre


il écrivit
un chef des Montanistes. On sait que ces fanatiques, avec leurs abus
du Parade et du prophétisme, avaient excité dans certains cercles
t

Aloges », une violente réaction contre les écrits


ecclésiasti<[ues, les «
Johanniques en général. Elle existait déjà au temps d'irénée, puisque
celui-ci (Cont. Hacr. m, 11, 9) parle déjà d'adversaires du IV" Évan-
gile. xMais on ne trouve ensuite de renseignements qui les concernent
que chez -^'. Épiphane dans son Ilavâpicv, li, où il les baptise « Aloges »
par sarcasme (a-ÀoYo?), et chez Philastre de Brescia, Haer. lx. Leurs
noms, leur degré dautorité, qui dut être assez modique, les formes de
leur activité, demeurent dans lenscmble ignorés. En tout cas, ces
Aloges n'aimaient pas les allégories, et ne se creusaient pas la tête
pour les comprendre « A quoi me sert, disaient-ils, l'Apocalypse
:

de Jean, quand elle vient me parler de sept anges et de sept trom-


pettes? » (Épiphane. li, 32). Ces gens trop raisonnables intitulaient

pourtant le livre « Apocalypse de .lean », parce que tout le monde


— bien qu'à tort d'après eux —
l'appelait ainsi; et Caïus aussi nous
esttémoin que les chrétiens jïioins informés le prenaient pour l'œuvre
« d'un grand apôtre ». C'est ainsi que, à leur corps défendant, ils

conlirment la tradition; on n'avait pas encore découvert « l'autre


Jean » ; aussi FÉvangile et l'Apocalypse demeuraient-ils toujours asso-
ciés dans la confiance ou la défaveur.
C'est S. Deni/s d'Alexandrie (évêque de 24.8 à 264) qui a le pre-
mier, à ce qu'il semble, postulé ce personnage. Dans un fameux texte
que nous devrons étudier (transmis par Eusèbe, H. E. YII, xxv), il
scrute le problème d'origine en pur criticjue, sans faire appel, notons-
le, à une tradition quelconque. Il est visible que l'Apocalypse effarou-

chait son intellectualisme alexandrin; il la goûtait d'autant moins


eu à combattre le millénarisme littéral de l'évêque Népos.
qu'il avait
Aussi, dans son livre II Ilsp^ èTraYveÀ-rwv, entama-t-il une discussion
serrée pour démontrer qu'elle n'est pas d'orig-ine apostolique. Tout
en rejetant l'opinion radicale de quelques docteurs antérieurs (Caïus?),
et en continuant à admettre que le livre est d'un auteur inspiré, qui
s'appelait véritablement « Jean », il ne croit pas que ce Jean puisse
être le fils de Zébédée, auteur de l'Évangile. Il s'exprime ainsi, avec
une modestie dont l'ironie, sans doute, n'est pas absente « Pour :

moi, je n'aurai pas l'audace de rejeter ce livre, un grand nombre


de frères l'ayant en faveur; je trouve bien que la pensée dépasse en
:t28 lU'.M !•: inm.ini K.

lai ma foire de coiiocptiou. mais jo conjecture (ju'il y a m cha<|iie

passade iiû sens cachr ri lies admiiahle. Car, an reste, si je ur le

comprends pas, je sonpi-oniit- du moins ([u'il \ a dans les mots une


sia^nilicatiou très profonde; je ne mesure ni n'apprécie ces choses
avec mon propre jugement, mais je donne la préférence h la foi et je

pense (pielles sont tro[> élevées pour que je puisse les saisir. De plus,
je ne que je n\ai pas embrassé du rci^ard, mais je l'ad-
rejette pas ce
mire d'autant plus que je ne le vois pas. » Cette admiration était pour
le moins nn peu froide, et nous nous expli(]nons bien que Tillustre doc-

teur ait clierchédes arguments contre ra[M>stolicilé. « .\la lin de toute


la prophétie ", continue-t-il, « le prophète proclame bienheureux ceux

qui la garderont, et aussi lui-même. B ii'n/icta'eu./ , d'd-\[, en eilct^ rciui

qui garde les paroles de la propluHie de ce livre, ainsi que moi Jean
qui vois et entends ces choses (Apoc. xxii, 7-8, avec une mauvaise
coupure) que Jean;
soit donc son nom, et que cet écrit soit de Jean, je

n'v contredis pas, et j'accorde qu'il est d'un homme saint et inspiré de
Dieu [àyiz'j [j.ï^ \'y.p thx'. t'.vc; -/.a-, bzcr.^nùa-z'j (jjvaivw). Cependant /e ne
serais pas facilement de l'avis (juc celui-ci est U Apôtre, le fils -de
Zébédée, le frère de .lacques, qui est l'auteur de FEvangile intitulé
Évangile de Jean et de l'Épître catholique. Je conjecture en effet
[-iy.^7.iç)0\}.œ). daprès le caractère de l'un et de l'autre, l'aspect des

discours, et ce qu'on appelle la conduite du livre, que l'auteur n'est


pas le Suivent des arguments de critique interne, sur les-
même. »

quels il faudra revenir, mais pas un seul témoignage d'auteur plus


ancien. Denys continue « Que ce soit donc Jean qui ait écrit cela, il
:

faut le croire sur parole (aÙToi /«évcvTf, 7;'.a-:ejTsov) mn.\^quel est ce Jean? ;

On ne sait pas... Je sais que les homonymes de l'Apôtre Jean sont


nombreux... v a bien aussi'un autre Jean dans les Actes des Apô-
Il

• très, qui est surnommé Marc... Est-ce lui qui a composé l'Apocalypse?
Il n'y parait pas, car il n'est pas écrit qu'il eût passé avec eux (Paul et

Barnabe en Asie... Je pense que l'auteur du livre en question est


quelqu'un de ceux qui étaient en Asie; on dit en effet quà Éphèse il y
avait deux tombeaux, et que l'un et l'autre étaient de Jean, kv.v. y.al
sJo oaa'tv èv 'EsÉfffo YsvîVia'. ;j.vr,;j.a-:a -/.y.': ày.i-îpcv 'Iwâvvou \i-;z<j^x\ » (Eus.

/oc, cit. trad. Grapin). C'est uniquement sur cet on-dit explicable —
de tant de manières —
que Denys s'appuie pour admettre la dualité
des Jean. ne pensait d'ailleurs pas à « Jean le Presbytre » qu'il était
Il

réservé à Eusèbe de découvrir. La preuve en est que, auparavant


(xxv, ll),îl oppose les petites épitres Johanniques à l'Apocalypse, parce
que l'auteur ne s'y nomme pas par son nom, mais seulement « le
Presbytre » : 'Aaa' z-jzï iv r^ oîJTspa 9sc:;xév/; 'Iwzvvcj -/.y), -zirr^, '/.y.i-z\
l.'AUTEUa DE [.'APOCALYPSE. 329

3,oa-/c(3ci? luTat; ÈTTUTcXaCç, i 'Iwâvvr;; ivo;j.x7T!. -pôy.s'.Tai, àXXà àvojvjij.o)^

Ce que valaient les arg-unients critiques, assez spécieux, de Denys,


nous le verrons plus lard. Il nous suffit d'avoir montré que son scepti-
cisme lui était purement personnel, sans base proprement historique.
Les discussions provoquées par les Millénaristes et les Aloges leurs
adversaires avaient préparé ces doutes dans sou esprit ; mais il

n'adopte pas les opinions exagérées de ses prédécesseurs, et c'est


une infércnce tout à fait originale qui l'a fait croire à cet « autre
Jean », dont la tradition, comme auteur de l'Apocalypse, ne parlait
pas plus que de Cérintlie.
Ces préventions contre le contenu de l'Apocalypse durèrent long-
temps encore après qu'il ne fut plus question des Aloges, principa-
lement dans l'école d'Antioclie, qui ne l'admit pas au Canon. Mais
presque toutes les églises, même Alexandrie, celle de Denys, conti-
nuèrent à la tenir pour inspirée et apostolique. Les avis sur l'origine
et lavaleur de ce livre étaient radicalement tranchés. C'est pourquoi
Eusèbe, dans son énumération des écrits néotestamentaires, ne songe
pas à la placer dans la classe intermédiaire des àvTrAevô;j,£va, ou
écrits contestés; qu'on peut l'ajouter, « si l'on veut », aux
il dit
incontestés, honiologoumènes (Évangiles, Actes, Paul, T*"' de Jean
et de Pierre) ï-\ -zùici: lay.-éc^^^ îl ';t 'Doiviir^. -};-> 'Axo7.aA'jd»iv 'Iwâv-
:

v:j ; et, peu après, il admet qu'on puisse aussi bien la ranger
jmrmi les apocryphes, viOa. avec les Actes de Paul, l'Apocalypse de
l*ierre, etc. : st', -'£, wç 2?r(V, r, 'hoawcj 'A-oxaAj'itç, ti saveC-r^, '^'v Ttve;,

wç iSTjV, àO£TOjcr',v, s-rspc'. oè èY"/.pcvc'ja''.v -oiq Q\).o\o^p\j[J.i^ioiq [H. E. III,

XXV, 2 et ï). Ce langage, qui parait d'abord si inconsistant, peut


s'expliquer par le seul fait qu'il n'y avait guère d'opinion moyenne
sur l'Apocalypse on la vénérait pleinement, à l'égal des autres écrits
:

du Nouveau Testament, ou bien on la rejetait, sans plus, ainsi qu'au


temps de Caïus, non comme une élucubration hérétique, mais proba-
blement comme un ouvrage pseudonyme (1). Qu'en pensait Eusèbe
personnellement? Son opinion, qu'il n'indique qu'avec réserve, offre
quelque analogie avec celle de S. Denys. Le fameux texte de Papias
lui ayant appris l'existence de « Jean le Presbytre », distinct de Jean
l'Apôtre, il en conclut que le premier pourrait bien être l'auteur
de l'Apocalypse: « Ainsi se trouverait confirmée l'assertion de ceux

fl' C'est ce quoii peut détliiire du fait quelle est mise sur le rang des Actes de Paul et
de l'Apocalypse de Pierre, — sans parler du l'aslcur, de la Diduck'e, et de lÉvang. selon
les Hébreux.
.^.{0 IJKVUK IMUI.IOI'E.

m
»
.. .

ijiii aHiniicul (ju il y iiuiail deux lioniiiir^ de cv nom en Asie, el


(|n il existe aussi à Kplièse deux ionihcaux portant encore mainte-
nant le nom de Jean » i^noler (|u il n'en |)ai'le que par om-diic,

comme henysi. « Il est indispensable de faire attention à ceci : car,


si l'on refuse de l'admettre du premier Jean 1 ApAtre), il serait rr/ti-
semhlahlr (fue ce soit le second (jui ait conlemptr la Hivrlalion aliri-
ï-'
buèe à Jean » (îiv.cç 73:0 tcv csÔTspov, 4 'J'f'i ~'t ^^^i'^''- "-'' ~p''>':;v, Tr,v

Wz'i.y.-zz zzoz'iéwr.-f 'I<oàvvcj .\7:z7Sk'J'Iv^ icpa%£va'.. III, XXXIX, 7. tr.

(ira])in .

Cette au mystérieux Jean le Prcsbytre eut qucl<|ue


attribution
succès auprès de ceux (jui ne goûtaient (ju'à moitié l'Apocalypse.

KUc parut si commode pour l'ésoudrc toute diliieulté soulevée autour


du nom de Jean, qu on Tétendit aux deux petits antiléyomènes, la
11' et la III' Johannis. S. Jérôme en est témoin (De ]'iri.s Hhtstri-
bus, 9, \^). Ce processus était assez naturel, puisque ces deux lettres
commencent par ; r.zi'::i'J-t^oz. Pourtant il péchait contre la logique
critique. Les deux petites Épîtres, en ell'et, avaient été opposées par
S. Denys {v. supra) à l'Apocalypse, avec laquelle elles ne présentent,
du reste, aucune affinité plus particulière que les autres écrits Johan-
niques, taudis qu'elles ont des rapports étroits avec la I" Epître,
donc avec l'Évanq-ile. Cela montre assez combien fut artificielle la
popularité relative dont l'hypothèse du a Prcsbytre » a pu jouir
dans l'antiquité. Ce n'est que chez les critiques modernes qu'elle est
arrivée à s'étayer d'un système d'arguments assez spécieux. File
n'avait aucune attache avec la tradition, et se présente comme une
induction pure, disons mieux, comme une divination critique, dont
nous avons pu suivre le progrès de Denys à Eusèbe.
Est-ce à cause de cette découverte, ou seulement par suite d'une
habitude de méfiance remontant aux Aloges oubliés, et à la réaction
antiraontaniste, que l'Apocalypse fut exclue de certains canons? On
ne la trouve pas dans la Syrie araméenne, ni chez Aphraates^ ni dans
la Psilta ilj. 6'. Cyrille de Jérusalem ne la nomme point dans sa
Catéchèse (iv, 36),_mi il énumère les écrits du Nouveau Testament.
Les Pères de l'école d'Antioche, Jean Chrysostome et Théodoret, ne
^'.

s'en servent jamais. Parmi lesCappadociens, S. Grégoire de Nazianze,


bien qu'il en ait fait ailleurs usage, s'abstient de la nommer dans son
Poème sur les vraies Écritures, et 5. Amphiloque dit : « Certains (-ivéç)

admettent bien l'Apocalypse de Jean, mais le plus grand nombre [z:

(1) A peine la trouverait-on une fois menlionnt-e dans les écrits de S. Éphreiii en
langue originale.
L'ALIKIR DE I/AI'OCALVI'SE. 331

rXei^vs;) assurent qu'elle est apocryphe » [ïambes ad Seleuc. Migrie,


P. G. XXXVIl, col. 1597). Il ne parlait sans doute que pour son pays.
Mêmes jugements entachés d'exagération chez Junilius (De partilione
divinai'um legum. Migne, LXVIII, 18), et dans un passage de S. .f<''-
rôme (Ép. CXXIX) (1), quand ils avancent, "un que l'Apocalypse
« est tout à fait révoquée en doute chez les Orientaux », l'autre que
« les églises des Grecs ne rec^'oivent pas l'Apocalypse ».

On ne peut croire en effet que la situation fût si défavorable pour


l'œuvre de Jean à la fin du i^ siècle et au v". Tout l'Occident l'admet,
depuis les tout premiers temps. En Orient, S. Athanase, S. Cyrille
d' Alexandrie et Didi/me, Méllwdius d'Olympe, S. Epiphane, ne sont
pas moins décidés que les Latins. Qui plus est, les Pères Cappadociens,
S. Basile et S. Grégoire deNysse en parlent, le premier comme d'une
œuvre de 1'» Évangéliste » (C. Eunomius, ii, li), l'autre comme d'une
« Écriture » iC. Apollinaire, 37) (2). Aussi ne faut-il pas s'étonner si

les Orientaux lés plus réfractaires ont fini par embrasser la convic-

tion de l'Église universelle; on eut des versions syriaques de l'Apo-


calypse, qui est aujourd'hui au canon des Monophysites comme au
nôtre. Chez les (irecs, André, évêque de Césarée, en écrit au vi** siècle
un commentaire célèbre. Et le Concile in Trullo l'admit implicite-
ment au nombre des écrits du Nouveau Testament (y. infra).
La tradition avait donc repris ses droits, malgré une éclipse par-
tielle et temporaire d'un à deux siècles. C'est que l'on n'avait trouvé

aucune contretradition » à camper en face. Toute cette opposition


<(

ne provenait que des préjugés doctrinaux d'une période de luttes


intenses, où certains orthodoxes n'avaient pas compris la prophétie
de Patmos. Elle ne continue dans l'école d'Antioche et en SVrie que
par vitesse acquise, peut-on dire, et peut-être en raison de la décou-
verte opportune du « Presbytre ».
Nous concluons donc que la tradition, très étendue, ne connaît
qu'un seul nom et un seul personnage pour l'auteur de l'Apocalypse :

c'est de Zébédée. Les raisonnements de la cri-


Jean, l'Apùtre, le fils

tique moderne ont pu paraître, un certain temps, dissoudre l'autorité


de celte tradition. Pour l'ancienne école de Tubingue, l'Apocalypse
représentait le Judéo-christianisme primitif, et elle était bien de
l'Apôtre Jean, auquel on refusait, naturellement, la paternité de
A côté des Tubingiens, de Baur à Hilgenfeld,
l'Évangile et des Épitres.
beaucoup d'autres critiques protestants ont estimé que, si l'apôtre

(1) Voir .lACi.iLlEH. //. L. N. T., IV, p. 315.


(2) Il faut aussi noter que dans les œuvres traduites en «rec de S. Éphrem, des passages
sont attribués à << Jean le Théologien » et à r« Apôtre ».
332 UKVri: IMIU.IQlt:.

JiMii est laiilour do ces derniers éci'ils, il ne saurait être celui de


l'Apocalypse, ou ricr ccrsa, tan( 1 étude interne révélerait (rincoin-
patihilité d'esprit et de culture entre l'Kvan^qéliste et le Propliéle.
Ainsi de Wette, Liicke, lileek, Kwald, Keuss, Diisterdieck, II. .1. lloll/-

niann, etc. (jui réservent l'Apocalypse à .leau lApùtre, tandis (pu-


d'autres prenaient la position inverse. .Mais une forte réaction se
dessine depuis vingt ans. Pour Jt/lic/icr [E'nil. 190()), l'auteur n'est
encore un Jean (pielconcjue, estimé comme prophète en Asie
«{u

Mineure, mais certainement ditVér(Mit de Tauteur du IV' Kvani^ile,


nialeré certains rapports accidentels de pensée et de langage dus à
ce que leurs écrits ont vu le jour dans le même pays. Jean W'ville
aussi {Le /F' hlvany. 1901) voulait deu.K auteurs, tous deux distincts
(le l'Apôtre. Mais d'autres critiques, de mêmes tendances j)hiloso-
phiques. sans aller jus([u'à reconnaître, avec les catholiques, et des
protestants orthodo.\es comme Godet, Westcott, H. Weiss ou Zahn,
Jean de Zébédée comme l'auteur commun, admettent cependant que
cet auteur est unique, et qu'il est bien « Jean d'Asie », c'est-à-dire le

Presbytre de Papias, celui qui s'intitule z zpscrSjTspc; dans Il-IIl Joh.


Harnack, qui patronne la théorie de Vischer, n'a pas hésité à écrire il

y a vingt ans Ich bekenne mich


: « zu der kritischen Ketzerei, die die
Apokalypse und das Evangelium auf einen Verfasser zuriickfuhrt...
Je professe rhérrsie critique qui l'apporte l' Apocalypse et l'Evangile
à un seul auteur, toutefois dans la supposition qu'on admettra de
voir dans l'Apocalypse le remaniement chrétien d'une Apocalypse
juive... J'y vois (dans les parties chrétiennes) le même esprit et la
même main qui nous ont donné l'Évangile » [Die altchristliche
Litteratur, Chronologie, I, p. 675, n. 1, 1897). Harnack, on le sait,
croit que Jean le Presbytre, auteur de l'Évangile, a subi grandement
l'influence de la personne, sinon de la doctrine, de Jean l'Apôtre. —
Bousset, qui s'évertue à faire valoir tous les arguments en vertu de
quoi Jean l'Apôtre eût été martyrisé longtemps avant la composition
de l'Apocalypse, croit devoir attribuer celle-ci « vraisemblablement n

au Presbytre-Jean de Papias, lequel ne serait autre que le « vieux


disciple » du IV'' Évang. xxi, le r.pifjc-j-zpo: de II-IIl Joh., le « témoin »
du 1V'= Évangile, et le maître de Polycarpe dont parle Irénée dans sa
lettre à Florinus; quoiqu'il n'eût pas composé lui-même le 1V° Évan-
gile, cet écrit serait du moins inspiré de son souvenir et de son
enseignement; en sorte qu'Évangile et Apocalypse seraient deux
ouvrages de la même « école Johannique » [Offenharung , 1906,
p. 49, al.). Voji Soden [Urchristl. Literaturgesch. 1905) a une opinion
assez voisine : l'Apocalypse et les Épîtres seraient de Jean le Près-
i;auteui^ de L'APOCAJ.YPSE. 33Î

bytre, TÉvangile d'un disciple de celui-ci; distinction qui n'est pas


très conséquente; car pourquoi rattacher les Épitres à l'Apocalypse
plutôt qu'à l'Évangile? Quant au commentateur /oA. Weiss [i90k), il

reconnaît aussi Jean le Presbytre comme auteur de son Apocalypse


fondamentale.
Nous pouvons arrêter ici la liste des opinions. Les dernières signa-
léesmontrent que les maîtres actuels de la critique « indépendante »
ont presque tous une tendance à faire droit à la tradition aftirmant
l'unité d'auteur de l'Apocalypse et de l'Évangile. Ils se rangent, plus
ou moins timidement, à l'» hérésie » professée par Harnack. Le vieux
dogme professé jusqu'à Holtzniann tombe donc en ruines. Jean le
Presbytre arrive encore bien opportunément, comme au temps d'Eu-
sèbe, mais avec des fonctions plus étendues, pour les dispenser de
recourir à Jean l'Apôtre, qui, d'après leur opinion générale, serait
mort avant de pouvoir paraître en Asie; mais ils reconnaissent, à tout
le moins, une parenté étroite et certaine communauté d'origine entre
l'Évangile et la Uévélation.
Est-ce que cette tradition unanime, qui regagne de nos jours tant
de terrain, serait complètement erronée, tant pour ce qui touche à
l'unité d'auteur qu'à l'identification du Prophète d'Asie avec l'Apôtre?
Il pour résoudre la question, établir une comparaison rigou-
faut,
reuse entre l'Évangile et les Épitres, d'une part, et l'Apocalypse de
l'autre, au point de vue de la langue, du style, de l'esprit, de la doc-
trine. Si cette étude comparée nous fait conclure à l'unité d'auteur,
alors nous croirons aussi que la tradition a raison sur toute la ligne,
et non seulement sur ce point-là. Car nous ne saurions reprendre ici,
ni môme résumer, toute la grosse « question Johannique » ; mais
nous tenons pour mise absolument hors de doute par les controver-
sistes qui ont réfuté Loisy, l'origine pleinement apostolique du
IV" Évangile, Si donc l'Apocalypse est du même auteur, alors le Pro-
phète Jean est le disciple bien-aimé, le fils de Zébédée (1).

(1) Pour nous, la queslion .lolianniiiue, en re qui concerne l'Évanjiile el les Épilres, est
aujourdluii vidée; et voici les résultats qui nous semblent s'imposer à la bonne critique,
à celle qui tient compte de tous les faits liistoriques et documentaires:
1° L'Kvangile a bien été composé (et intégralement,
y compris le chapitre xxi, en réser-
vant seulement la question de l'origine littéraire de vin, 1-11 et d'une ou deux gloses

par Jean, de Zébédée, en Asie, vers les dernières années du i"' siècle, ou les premières
fils

du jr. Les Épitres ont vu le jour dans la même région et la même période, el sont sorties
delà main du même auteur. Car ce n'est pas en s'appuyant sur un témoignage très douteux
de Papias, auquel ni Pliiiippe de Side,ni Georgios Ilamarlolos n'ont donné d'ailleurs la
portée que lui assigne aujourd'hui la critique radicale, qu'on arrivera jamais à rendre
vraisemblable, contre le témoignage de toute la tradition, ([uo l'Apôlre Jean ait été mis à
:yyt Hr.VlK lUIiLI^UK.

l.A IHISK l»l. l U.MTI-: DAUlKin DIS ICUITS JoilANNiyi KS DEVAM I.A

..KiiKHK iNTi-.RNi:. — l.a compai-aison doit irabord })orter sur rrlrmeiit


le i)liis matériel et le plus saisissahlc, la laniiue.

mort par les Juifs, cl en Palestine, à une époque antt'rieure. Ici, même l'argument «
sHenlio a beaucoup de poids.
L'Apôtre .lean voulait bien écrire un ouxrage hisloru/ui; et rapporter lidèlemenl des
•.>"

aciious et dos discours de Jésus. Son exactitude en une foule de détails concrets, qui ne
sont susceptibles d'aucune interprétation symbolique, son amour de la précision dans les
récits, la vie et le mouvement, la psycliologie très profonde et très réelle de
quelques-uns
d entre eux, ainsi que son sont i de la chronologie, si hUpérieur à celui des Synopli(|ues,
en font suflisamment foi.

3" Dautre part, il a voulu que de tout rééit sortit un enseignement spirituel. Aussi

presque chaque événement concret, considéré dans son ensemble, a-t-il été choisi parmi les
sou\enirs réels de la vie de Jésus en raison de la valeur symbolique que l'intelligence
contenqilative pouvait y découvrir. C'est rEOayysAiov Tiv£-..[iaTtzôv. L'histoire est là, tou-
jours et partout, mais pour la doctrine plus que pour elle-m^me.
4" On comprend par le fait même la manière dont il a traité les y)aroles du Seigneur. Il a

délibérément choisi celles qui fournissaient le meilleur objet à ses hautes méditations spi-
rituelles et presque abstraites; il a reproduit les discours qui les suivaient,
dans son pro-
pre style rythmique et transcendant, en sorte qu'on ne peut facilement distinguer, en
cer-

tains ]>assages, où linit la teneur ou le résumé des paroles de Jésus, et où commence


le

commentaire inspiré de l'Évangéliste. Car les mots, les tournures, sont exactement les
mêmes dans les réflexions de l'écrivain, et dans les sentences du Christ, ou môme du
~"
Baptiste.
Le sage exégète conservateur qu'était le P. Corluij disait déjà à ce sujet :

<( Quaeri... potest tdritm evangelisla retuleril s'ermones Jesu iisdcm omnino verbls
quibiis ex ore Marjistri prodierint, an vero eoruin generalem tantum sensuiii sive com-
pendium tradiderit. Respondendum videtur, in hac re dùtinyuendum esse inter cas
propositiones quae quasi capita doctrinae apparent, et eas quae marjis ad horum
capitum ecolutionem pertinent, nias ad verbum referri admillendtnn putamus ;

Itorum vero compendiusam tantum relationem tradi ex sequentibus argumentis osten-


ditur : a) d) ratio scribendi S. Jtyannis in sermonibns Jesu et in sua epistola
:

prima adeo concordat, ut vel discipulus modnm loquendi magistri sut sibi omiiino
proprium feceril, vel Magistri sermones suo proprio modo expresseril. Hoc alterum
et in se est probabilius, et con/irmatur
ex dicencà similitudine inter evangelistam et
Joannem IkipUstam, eis in îocis ubi Praecursor loquens inducitur » (Comment, in Ev.
S. Joannis, 1889, pp. l!)-20).
M. Lepin s'exprime avec la même netteté :

Les particularités littéraires des narrations du quatrième Évangile, qui pourraient repro-
duire plus directement la manière propre du rédacteur, « on les rencontre aussi bien
dans les discours qui sont placés dans la bouche du Christ, et dans ceux qui sont
attribués à Jean-Baptiste. Certaines peuvent, dans une certaine mesure, se mettre
au compte du génie de la langue sémitique, et l'on conçoit quelles se ijrésentent sem-
et dans ceux de
blatiles dans les discours du Christ, dans ceux de son précurseur,
l Évangéliste. Mais les autres sont tellement spéciales, elles indiquent une tournure
desprit, un mode de penser et de s'exprimer, si personnels, qu'elles ne peuvent vrai-
ment procrder-que d'une source unique. Il faut donc penser que les discours de
chose de
Jésus et du précurseur, relatés dans le quatrième Évangile, ont quelque
l'Évangéliste dans leur forme littéraire, qu'ils portent son cachet individuel dans la
LAUTEUIl l)K [.APOCALYPSE. 33o

— Comparaison au point de vue de la langue.


v^ I.

I. Vocabulaire. — L'Apocalypse, qui présente tantd' hapax légo- «

mcnes » relatifs, n'en a que Imil communs avec l'Évangile :

àpv'cv, s6paÏ7Ti, ix7.svT£^v, (/.•J7.A£Ôî'.v), ôdi'.g, Topçyjjîcç, 7-/.-/;vojv, ozvn\.


C'est peu. songe aux 33 communs avec S. Paul, ou aux 30
si l'on
avec S. Luc; il y en a mr-me un de moins qu'avec S. Matthieu. Et
encore, parmi ces mots communs, àpviov, toujours employé dans l'A-
pocalypse pour « agneau ». n'apparaît qu'une seule fois dans 1,'Évan-
gile,à l'Appendice (xxi, 15), contre deux fois à;j,vsç. L'adverbe sSpaïs-ri

est plus caractéristique, car l'Ëvangéliste use d'autres expressions


similaires, pojy.a-isTi, 'ùj:çr.i-J.. Mais ïv.y.vmv/ mérite une mention très
spéciale. Il apparaît dans l'Évangile xix, 37 : l'bzv-oi'. v.z :v ïlzY.h-r^^xy,
" videbunt in quem transfixerunt », citation de Zacharie, xii, 10,
pour traduire l'hébreu '.^p~. Dans l'Apocalypse, i, 7, on lit c^J/sTai

XJTOV -y.q csOa/.iJ.b; /.j). ivtivîç ajTOV è r î7. £vT-/;<ja v , ce qui est une
allusion évidente au même fait du crucifiement et du coup de lance,
d'après le même passage de l'A. T. Or, ce n'est pas ïv.y.vniM qui traduit
le verbe hébreu dans les LXX, où on lit : /.al ï-é\i'bz:/-y.\ r.po: [j.ï àvO'

h)'/ /.y:-'o)zyr,7y.v-o. deux


Pareille rencontre d'idées et de termes entre les
livres « johanniques », rencontre dont on ne trouve pas l'origine dans
un texte plus ancien [kv.v.zv-io) n'apparaît que dans la littérature pos-
térieure, qui peut dépendre de. Jean, par exemple chez Justin,
Dial. XIV, 8; xxxii, 2; lxiv, 7; cxvni, 3, avec relation erronée à Osée),
c'est assurément quelque chose de remarquable. Quant à la com- —
munauté des autres hapax légomènes, elle peut être en soi un efiet du

hasard; l'un d'eux, y.jy.XÉJciv. Joati. x, 2V, ne se trouve même que


dans le Cod. Vaticanus.
Denys d'Alexandrie, à comparer les deux vocabulaires dans leur

construction des phrases, la connexion des propositions, le groupeiucnt des pensées,


l'arrangement général de leurs divers éléments ». L'auteur- observe ensuite que les
SyQopfiques eux-mêmes groupent à leur manière des paroles ou fragments de discours du
Christ. « Il n'ij a donc pas lieu de s'rtonncr, continue-t-il, que la manière dont le ({ua-

friènie Kvangélistc combine les diverses sentences attribuées à Jésus, la façon dont il
les relie entre elles, la tournure qu'il donne à ses phrases et à ses arguments, reflètent
sa tournure d'esprit personnelle. Cela n'empêche pas nécessairement que les décla-
rations mises dans la bouche du .Sauveur aient été réellement prononcées par luij>
Lei'IX, La râleur historique du IV' Évangile. II. pp. 96-98}.
C'est bien le principe ((u'il faut tenir toujours présent à Tesprit dans linlerprétation
iiislorique du IV" Évangile, en adineltant de plus ceci, que certaines plirases. ifui parais-

sent au i)remier coup d œil faire corps avec les discours, peuvent êlre en réalité de brèves
explications du narrateur, qui, çà et là, se détaciieraient aisément pour, être mises entre
parenthèses.
3;u". MKVI'l': lUHLKU K.

ensemblo, était frappé de leur divcrsilé : « I.cs pensées et les expres-


sions, ainsi ([ue leur arrangement, feront aussi bon droit penser (juc
à

celui-ci n'est pas le même


que celui-là (il parle des deux Jean). Il y a
en eilel concordance entre rÉvangilc et l'Kpitre Il (l'auteur des

deux) se sert des mêmes pensées principales et des mêmes termes pour
toute son exposition; nous en citerons brièvement quelque chose;
d'autre part, celui qui y regardera avec soin trouvera souvent dans l'un
et dans l'autre écrit la vie, la lumu-re qui met en fuite les (rnrbt'eti,
constamment la vérité, la grdcc, la. joie, la chair et le sang du Sauveur,
le jugetncnt, le pardon des fautes, ïamoiir de Dieu pour nous, le

précepte de ramour envers chacun de nous, l'obligation de garder


tous les commandements (etc.).-. Et, pour tout dire d'un mot, à ceux,
qui notent d'un bout à l'autre les caractères de l'Évangile et de l'Épitre,
il est facile de voir clairement qu'ils ont une seule et même couleur.

L'Ajjocalgpse est tout à fait différente de ceux-là et leur est étrangère;


elle ne se rattache à aucun d'eux et ne s'en rapiDroche pas c'est éi ;

peine, pour ainsi dire, s'il y a entre eux une syllabe de commune,
Q'/ilcq, wç sîze'-v, \}.r^zï 7uAÀa6r,v -pb; yJj-.y. 7.:tVY)v ïyouax » (Eus. II. E. Vil,
XXV, 17. 22, trad. (Irapin; nous avons souligné).
Le docte évêque d'Alexandrie y regardé d'assez près? Il est
avait-il

étonnant au moins que la communauté des mots et des idées de Ltorj.


à'x/âfit'.y. (àA-/;6iv6;), d,es commandements (àvxoAaî) à
garder, àt juge-
ment, échappé. Mais regardons-y nous-mêmes.
etc., lui ait

Pour ce qui est d'abord des substantifs, adjectifs, verbes et adverbes,


il était naturel que la grande diversité de sujet entraînât une égale
diversité dans les termes; 410 mots seulement, sur 913, se retrouvent
dans l'Apocalypse et l'Évangile (1). Les termes évangéliques ou épis-
tolaires qui manquent ou qui sont rares dans la Prophétie, c'est
principalement : ly.zz pour le possessif (15 fois Évang.i; l'adverbe

[j.évTc. ; les mots cry.îTia, ténèbres, çw;, lumière, au sens spirituel,


excepté Apoc. xxi, i; /âpi;. grâce, sauf dans la formule finale; yapi.
joie; h[OL~T,. qu'on ne trouve que deux fois, au chap. ii, exclusivement
au sens d'amour de l'homm^ pour Dieu (mais àyaTrao) est dit du
Christ); ihy.ik-A .. ou p.Évsiv iv... au sens moral; y.ojij.c; qui n'apparaît
que trois fois dans l'Apoc, au simple sens d'» univers »; Tr/.va {-oj
esoj, -sj l\y.ob\o-j) OeiopsTv, qui ne se rencontre qu'Apoc. xi, 11-12.
:

Par contre, quelques termes usuels et non visionnels— de l'Apo- —

(1) Le ]V'=Évangile omet les mots qui n'onl qu'un intérêt local ou temporaire et fait des

variations sur un petit nombre de mots élémentaires avec leurs synonymes (Abbott). —
Il n'en saurait aller ainsi, évidemment, dans un livre de visions concrètes.
L'ALTELU DE L'APOCALYPSE. 337

calypse, comme o!-/.cj;;,év^. inonde habita, t-jy.';';tK'Zv.v i-'etOz'.), \).t--r)z-J.v.

se convertir, sont absents de l'^Évangile.


Les critiques remarquent —
encore que, entre deux synonymes, lÉvangile et l'Apocalypse ne
choisissent pas le même; tels ày.vôç et âpvicv; -isocr^ç Apoc, 'btù'7-r^ç
Evang.; 'l£psj7aAv-[j. Apoc.^ 'U^z^bX-j\j.x Évang.; \>yj Apoc, '(zi dans
Jautre écrit.
Cela n'empôche qu'un certain nombre de termes, très caractéris-
tiques et très johanniques, ne soient communs au\ deux
ouvrages,
ainsi qu'aux Épitres. Les plus notables sont àAf,0'.v6; (10 fois Apoc,
9 fois Evang., fois ÈpUres, ailleurs G fois seulement); oci/.vjfj.t, au
'i-

sens de révêler (8 fois Apoc, 5 fois Év.) ïî^oivs-i (2 fois Apoc, 5 fois ;

Ev.); y.apTupEîv (33 fois Év.. 1 fois / Joh., \ fois III Joh., i fois Apoc.)
et y.apTupia (14 fois Év., 5 îois I Jo/i., 1 fois 11/ Joh., 9 fois Apoc), qui
sont les mots « johanniques » par excellence; v'//.àv, vaincre, au sens
moral, plus rare, mais tout à fait caractéristique des idées de Jean;
T-r^psfv (tcv aîvov, -.y.q Apoc, 17 fois dans les autres
IvTîAiç, etc. 6 fois
Qu'on y ajoute :>•/;, Oxvxtoç, zvby.^>, vûy.s-^, z'zzy., en des sens
écrits).

métaphoriques et spirituels. Nous négligeons quelques autres mots,


moins caractéristiques, qu'a notés encore Bousset [Off. p. ITg). Les
rapprochements indiqués donnent déjà au vocabulaire apocalyptique
une « couleur johannique » assez accusée.
Le relevé des part iciùies est assez instructif aussi.

y a d'abord àes prépositions très usitées, fréquentes dans les autres


Il

écrits johanniques, qui manquent tout à fait dans l'Apocalypse. Ainsi


rpi (9 fois); b~iç, avec le génitif (13 fois y ; et surtout r,zç>i avec le
génitif (6G fois Év. ! 8 fois 1 Joh., 2 fois /// Joh. ). Inversement, ayz'. ne
se trouve que dans l'Apocalypse (11 fois). — 'Kvvûç, adverbe ou
préposition, qui apparaît 11 fois dans l'Évangile, n'est employé que
2 fois dans l'Apocalypse, et comme adverbe. Ilxpi avec le génitif
{Apoc 2 fois), ou avec le datif (.lyvoe. 1 fois), est bien plus fréquent
dans les autres écrits; de même od avec le génitif [Apoc 2 fois seu-
lement), rp;; avec l'accusatif seulement 8 fois). Par contre, àvtôz'.cv,.
si fréquent dans l'Apocalypse comme chez Luc, ne se rencontre qu'une

fois Evang., une fois / Joh., m, 23, et une fois /// Joh., 6. Cette
patticule, d'ailleurs rare chez Paul, et tout à fait absente de Matthieu
et de Marc, peut être usitée si fréquemment dans les visions de Patmos
;i cause de leur caractère dramatique, et signifier à la lettre, la
plupart du temps, « sous les yeux de »; cependant on trouve èvw-'.cv
-(T)v Ttisfov, ÈTToWiov Toj Opsvoj, etc. Plus remarquable cucore est l'extrême

rareté dans l'Évangile du àv instrumental, qui fait dans l'Apocalypse


comme une règle de style; il n'y en a pas d'autre exemple, et encore
UEVUE niRLIQUE 1917. — N. S., T. xn. 22
338 llKVliK lUIU.IOl'K.

appioxiinalil', (ju»* ^aziÇsiv h jsaT-., r.^rzJ\j.x-K \Jo/t. i, -iO) il). p:nliii izi

avec le génitiloii raccus.itif osl bien plus oi'dinaii'e clans rAi)ocalypso.


Les divergences sont iloiic noinhreascs <•! notables, surtout pour
-sst, vHùT.'.z-/ et iv insti'u mental. Mais les ressemblances remportent.
-xpx avec l'accusatif, et hv/.x man([ucnt égalemmt «lans tous
'Sliyp'..

les écrits johanniques (ce dernier aussi dans les l^:pitres calboli-,
([uesl; (jûv, préposition si usuelle, qui manque lotaleraeut A/joc, ne
se rencontre que 3 fois ailleurs cbez .lean; iv-:-. absent àWpoc, ne
se trouve quime l'ois Év. i, IG; y^piq, qui parait trois fois seulement
dans le IV* absent de l'Apocalypse et des Épitres,
Évangile, est

comme d'ailleurs de Pierre et de .Inde; àvi avec l'accusatil' (rare),


qui manque dans Joh., ne se trouve qu'une fois Apoc; l'un et l'autre
font usage, comme aussi les Synopticpies, de àvâ distributif [Joli.
1 fois, Apoc. 2 l'ois); 'j-'z avec l'accusatif, assez fréquent ailleui's, qui
manque dans l'Apocalypse, apparaît une seule fois Joli, i, V8; 0-£s

avec l'accusatif manque dans les deux, et chez Marc. ID.r.v se trouve
une seule fois respectivement ./o/^ et Apoc; j-ûô avec le génitif [par

ou par le moyen de) n'apparaît que 3 fois Ev., 1 fois IH JoJl., 3 fois
Apec; r.zpi avec l'accusatif (rare chez Paul), 1 fois respectivement
Apoc. et Év.; y.aiâ avec l'accusatif, si courant, ne se rencontre que
8 fois Év., 1 fois dans chaque Épitre, 6 fois dans l'Apocalypse. La
fréquence et l'emploi particulier de la préposition à/., i;, caractérise
toute la littérature johaunique indistinctement jrïV/. infra. Enfin la
formule de transition [j.i-x -.y.\i-y. ou toùto, rare ailleurs, est assez
habituelle dans les deux écrits^ (12 fois Év., 10 fois Apoc. —5 fois

Év. Luc, k fois AcL).

L'emploi des conjonctions donne lieu à des observations sembla-


bles, rip, qui remplit tout le Nouveau Testament, est relativement
rare dans le IV' Évangile, plus encore dans IxVpocalypse, et tout à
fait absent des Épîtres. Le IV^ Évangile, après l'Apocalypse, est l'écrit

qui se sert le plus volontiers de tbr pour marquer l'approximation.


Mév, fréquent chez Luc et Paul (excepté // Thess, I Tim. et Tite, où
il fait défaut), beaucoup moins chez Matthieu et Marc, ne se lit que
8 fois dans le IV" Évangile, et manque totalement dans l'Apocalypse
elles Épitres (ainsi du reste que // Pet.}. M remplit le IV Évangile;
mais, s'il n'apparaît que 6 fois dans l'Apocalypse, on ne le voit

jamais dans la //' Joh. Ts, alï'ectionné surtout de Luc, n'apparaît que

(1; On peut Abbott [Johannine Grammar, g 2332), parler d'un iv «quasi


toulefoLs, avec
instrumental dans des expressions comme èv tw ôvô[Ji.aTt, ày'*^^'-"' ^'' '^% i'/'f\^îia., èv xo-jim
»,

ytvwffx.E'.v ; mais ce sont plutôt des exemples de cette « localisation spirituelle » rjui carac-
térise le style du IV Évangile.
L'ALTEIR DE L'APOCALYPSE. 3:J9

deux lou ti'oisi fois dans l'Évanuile, et une seule fois dans l'Apoca-
lypse (comme dans Marc). Le plus curieux — c'est là encore un trait
commun à tous les écrits johanniques — est la prédilection pour -.'va,

qui remplace parfois o-i et toujours o-(.)ç : cette dernière particule


ne se voit nulle part dans l'Apocalypse, et une seule fois dans l'Évan-
gile. XI, 59, où de hoc.
elle est destinée à éviter la répétition
Seu- —
lement àXXi, qui est aussi caractéristique du style de l'Évangile et
des Épîtres que de celui de Paul, n'apparaît que 13 fois dans l'Apo-
calypse. De même qu on
lit à peu près 200 fois dans l'Évangile,
cjv.

ne se trouve que dans l'Apocalypse, aux trois premiers cha-


(J fois

pitres; il est vrai qu'il est absent de II Joh., douteux dans les deux
passages de I Joli, (ii, 24: iv, 19) où on le signale, et présent seule-
ment 1 fois /// Joh. (v. 8i. On peut donc croire que sa fréquence dans
l'Évangile tient uniquement au fait des nombreuses argumentations
développées ou sous-entendues dans cet écrit théologique.
Notons encore que l'adjectif â-spoç, J;oujours remplacé par a/.Acç
dans l'Apocalypse, et manquant aussi chez Pierre et chez Marc
-excepté Me. xvi, 2), ne se rencontre qu'une fois Joh. xix, 37, contre
à peu près 35 foisxXXsç.
Comme on le voit, le vocabulaire présente dans l'Apocalypse et
les autres écrits johanniques des ressemblances remarquables, à côté
de divergences qui ne le sont pas moins. L'étude du vocabulaire, à
elle seule, ne jetterait pas de lumière décisive sur la question de
l'unité d'auteur. Tout au plus peut-on dire que la Prophétie, à ce
point de vue, offre plus d'affinité d'ensemble avec la littérature johan-
nique qu'avec le reste du Nouveau Testament.
II. Grammaire. -^ « La forme du discours », écrivait Dénys d'A-
lexandrie [vid. siqwa), « peut encore aussi servir à déterminer la dif-
férence de l'Évangile et de l'Épitre avec l'Apocalypse. D'un côté,
en effet, non seulement le grec est sans faute, m^is l'auteur écrit son
exposition d'une façon tout à fait savante pour ce qui est de la langue,
du raisonnement composition; on y chercherait en vain un
et de la
terme barbare ou un solécisme, ou même un provincialisme ('.iuo-:'.!;-
;j,iv); il possédait en effet, à ce qu'il semble/ l'un et l'autre verbe; le

Seigneur l'avait gratifié de tous les deux, du verbe de la science et


du verbe de l'expression. Au contraire, pour l'auteur de l'Apocalypse,
qu'il ait eu des révélations, qu'il ait ret;u science et prophétie, je
n'y contredis pas: cependant je vois que son dialecte et sa langue
ne sont pas tout à fait grecs; mais qu'il se sert de termes fautifs
et de. barbarismes, et qu'il commet parfois des solécismes; il n'est
pas nécessaire d'en faire présentement la liste, car je ne dis point
340 Hi:\i E luni.iorE.

ceci pour railler, (ju'oii naillo pas Ir penser, mais sculeineut pour
ôtal)lir la dissenîi)lauc(' de ces écrits » Kus. 7/. JJ. VII, \xv, 2^-27,
tr. (Irapin).
La grande dillérence au de vue de la })ureté g-ramniaticale
[)(»iMt

saute en elFet aux yeux les plus myopes. Ce[)eudant il faut un peu
en rabattre des éloges décernés par le docteur alexandrin au grec du
IV° Évangile et des Épitres. Ce grec, qui est loin d'être classique,
ne peut être mis au niveau de celui de Luc, de l'Epitre aux Hébreux,
ni même de Paul. La correction matérielle des formes, des accords
et des constructions est sans doute assez partaite toutefois la grande ;

généralité des philologues estime encore (contre Wellhausen, J)as


Evanf/eiiuin Johannis, pp. 133 suivantes) que ces écrits sont pensés^
non en grec, mais en araméen. L'extrême simplicité de la phrase,
la préférence des verbes simples aux composés, contre l'usage de
Paul du grec en général, l'habitude de joindre les propositions
et

par simple parataxe [-/.-A... /.y.}...), quoique moins uniforme que dans
l'Apocalypse ou chez Marc, l'établissent aiuplement. A tout prendre,
la grammaire de l'Évangile indique bien un niveau de culture hel-

lénique supérieur à celui de l'Apocalypse mais il ne faut pas s'en ;

tenir à cette constatation générale; car la comparaison des détails


pourra influer beaucoup sur le jugement définitif (1).
Dans la conjin/aisoit, les formes hellénistiques en -av sont assez
fréquentes; les plus curieuses sont les deux imparfaits ilyz<j3.^t pour

îî'ycv, Joh. XV, 22-2i, et àoîcitrav pour ècîcojv, xix, 3. Elles se pré-
sentent plus souvent encore que dans l'Apocalypse; mais, à cette
époque, la chose est peu significative. Joh. connaît également -av
pour -a-'., mais non -zz pour -y.z.
V article, qui est omis devant 'Iy;^:^; dans| l'Apocalypse et les
Épitres, l'est plusieurs fois aussi dans le IV Évangile; pour les autres
noms propres, l'usage est fluctuant. — Il est digne de remarque que
l'article devant l'infinitif, qui n'apparaît, comme on sait, qu'une fois

dans l'Apocalypse (xii, 7), ne se trouve que 4 fois dans l'Évangile


i2i fois Matthieu, 15 fois Marc, TO fois Luc, Jacquier). — La répétition
de l'article devant l'épithète postposée est beaucoup moins fréquente

que dans l'Apocalypse; toutefois, il faut noter que, seul dans le


N. T., l'Évangéliste interpose l'article en règle, dans les quatre cin-
quièmes des cas, entre le nom et l'adjectif possessif yapà ï\^:r^, : y; y;

(1; Pour les renseignemenls généraux sur la langue du IV' Évangile, on peut voir Jac-
quier, H. L. N. T., IV, pp. 2G1-273; Wellhalsen, Bas Evanrj. Joh., pp. 133-146. — Étude
exhaustive dans Abiîott, Joliannine Vocnbulary et Johannine Grammar. Pour la —
langue de 1 Apocalypse, .TACouiEit, H. L. *N. T., IV, pp. 413-42U, Boussin, Ojf., pp. 159-17;».
L'AUTEUR DE L'APOCALYPSE. 341

m, 29, etc. Abbott croit qu'il le' fait avecune intention d'emph<ase :

« mienne », etc. Il serait difficile de le démon-


Cette joie qui est la
trer pour tous les cas. I^cmphase est très naturelle, par exemple dans
5 b /.aXc; du chap. X
7::'.i->.y;v
mais en quoi serait-elle justifiée dan!?"
;

l'expression twv r.tm oiç-nù'i -îwv -/.pifttvwv, «les cinq pains d'orge »,
de VI, 13? Cette habitude d'insister ainsi sur le sens déterminatil',
quoique plus modérée que dans la Prophétie, doit pourtant s'y expli-
quer de la même façon, soit par un liébraïsme, soit par une recherche
de solennité dans le style, devenue presque mécanique.
Dans les substantifs, il est possible que l'Évangile aussi offre un
exemple de nominatif avec l'article pour un vocatif (cas ordinaire
dans VApoc). Il se trouve à la célèbre confession de Thomas « Mon :

Seigneur et mon Dieu! b y.ùpibq \j.ou y.al ô Osoç [j.ou », xx, 58. Il est vrai
qu'on pourrait sous-entendre un verbe « [7« es] mon Seigneur et :

mon Dieu. » — L'accusatif pour la désignation du moment, non de


la durée, se rencontre Joh. iv, 52, cf. Apoc. m, 3 (et Act. xx, 16).
Les adjectifs possessifs, àij.ôç, aiç, etc., contrairement à l'usage
apocalyptique (1 seule fois i;j,ôç Apoc.), sont très répandus. Mais
l'Évangéliste fait aussi usage assez souvent des enclitiques [j.cu, cjij,

avec une particularité que nous noterons plus loin. Pour enlever —
l'indétermination jd'un substantif, l'Évangile use régulièrement de
(tic nondesl; comme/ljooc). —
Ilàç est également un terme très usité,
et souvent précède au singulier, parfois avec l'article, un participe
il

(tc5cç b 7:otwv, etc., 13 fois Évang., 14 iois I Joh., 1 fois Joh.). Cette H
tournure, fréquente aussi d'ailleurs chez Matthieu et Paul, apparaît
trois fois dans l'Apocalypse, xviii, 17, xxii, 18 et xxji, 15 [rSq oùmv
xa'. •:mwv 'isjooç, cf. / loh. ttSç c tîskov t-^v cr/.a'.ccJv^v, Tr,v à[;.apT(av, et

beaucoup d'expressions similaires).


Les pronoms personnels, au nominatif, Ï"^m. a'j, mis par emphase
en tète d'une proposition, ainsi que les démonstratifs outs;, èxsïvoç,
aÙTor, employés de la sorte ou bien placés, dans la même intention,
après un participe ou une proposition relative qui se rapporte au
même nombreux que dans l'Apocalypse.
sujet, sont encore plus
Pour ce qui est des verbes, l'optatif, comme dans l'Apocalypse,
n'est jamais employé. L'aoriste et le parfait pourraient, dans l'Évan-
gile aussi, s'équivaloir en quelques passages; ainsi Jo/^. m, 32, éoSpa-
y.Ev /.ai T^xouacv. Ce qui est plus net, c'est l'emploi du présent pour le

futur, Ex. XVI, 15 àx te./ iy.iii Aa!j.6âv£'., -/.ai àvaYVSAet 'j.aTv; il peut
:

y avoir là de iines nuances de sens, comme dans l'Apocalypse. Les


temps des participes sont plus variés que dans la Prophétie. Après
h'j.. on trouve le futur indicatif, ainsi vir, 3 '.rx 0£o)pr,(7cua',v, ou môme
3i2 ni-MK lUIU.lUL'li-

la coordiiiatiuii (luii pivsent .suljjouctif et crun futur indicatif csépr^te

•/.ai YEvr.a-aOc. xv. 8 (^texte de W esteott-Hort), coiumo dans l'Apoca-


lypse celle de l'aoriste et du futur.
Le rcf/ime des verbes présente dans trois ou (juatre cas les mômes
particulaiités que dans l'Apocalypse. Ainsi ()x\j[j.i'^s'/f oiz laccus. (au
lieu d'accus, simple, de ï-ri. T.tpi), A/ioc. wii, 7: Jo/i. vu, 21, cf.
Me. M, G; — AxXîîv \>.txx (au lieu du datif, ou de r.pbç accus.), Joh.
i\ , 27; i\, 37; \iv, .'JO ; Apoc. i, 12; iv, 1 ; x, 8; xvii, 1 ; x\i, 9, lô; —
Tipc-y.jvîtv admet le datif et l'accusatif, peut-être avec des nuances
de sens, dans les deux livres, et partout ailleurs le seul accusatif. —
Entin, après xv.cj-v^, l'usage du génitif ou de l'accusatif parait indif-
férent : Jo/l. X, 10 ço)vy5ç 7.Y.. :^XIX. 13 ày.cuj. to>v AÎ-'fov : lll, 8 T-i^v o(.)v^v

yJjzoX) ày.C'Js'.ç, etc.


Pour les vol/: des verbes, elles sont employées assez régulièiement.
Le passif est rare, contrairement à l'Apocalypse. Mais, comme dans
l'Apoc, le moyen est quelquefois remplacé par l'actif avec le pnmom
réfléchi, ainsi Joh. xiii, V. Nous trouvons aussi dans l'Évangile la
troisième personne du pluriel au sens impersonnel de " on » (xv, 0,

àjvâvjydtv, ^xKKz'j7i'r, XX, 2, r,px-r. cf. Apoc. ii, 24 et xii, 6), tournure
qui se trouve aussi respectivement une fois dans chacun des trois
synoptiques {Mat. vu, 16; Me. x, 13; Le. xvii, 23).
L'emploi des pai'tieules olfre des singularités communes, qui sont
très remar({uables. Ainsi l'Évangéliste affectionne également î'vx, qui
tient souvent la place de i-i, de wîne, de izwç [Joh. ix, 2, T^
ï;;/apT;V... ïva tusasç ^{z^n-q^ri'. I Joh. i, 9, xkitûç èariv y.'A Z<.y.aioç., tva

à^Y)...; cf. Apoc. IX, 20 zlzï [j-s-svâ^^av... l'va y.y; Trpccr/.'JVf^asu'ytv... et<î.).

On pourrait multiplier les exemples de cette anomalie; Bousset en


signale une dizaine. La plus remarquable est Joh. viii, 5() : r^-^aWiy.-

7aTC iva î'sy; ty;v r^iJ.Épav ty;v è-xYiv, que Swete rapproche à' Apoc. xiv,

13 (1). — 'Azi se trouve pour marquer les distances [Joh. xi, 18;
XXI, 8; cf. Apoc. xiv, 20). —
Mais il faut noter surtout l'emploi de
ïy. partitif sans « verbum regens » (Joh. i, 35, il; m, 1; xii, 21, 23;
XIII, 4; XX, 24; xxr, 2), et tout spécialement ïy. tenant lieu de sujet
[Joh. XVI. 17 ;j,a0-^-:(7jv, cf. Apoc. xi, 9 l'iXsxoua'.v à/, twv
zlr.O'i c'jv èv. twv
"/«3twv). — Par contre,
confondu plus d'une fois dans l'Evangile
£î.ç est
avec £v, selon l'abus hellénistique, ce qui n'arrive pas dans l'Apoca-
lypse, où on trouve une fois seulement èv pour stç, \i, 11, et jamais
l'inverse (2). Au reste, dans l'ensemble, de tous les écrivains du

(1) Voir aussi Welliiausen, op. cit., pp. 136-137.


Nous excluons de ces expressions ô fôv tU trjv y.6'/.~o^ toû irarpô; de
(2)
.fu/i. i, 18, qu
signifie une relation active du Verbe au Père, comme i, 2 r,/ Ttfô; tov Osôv.
L'AITEIK DE I;AI>0CAI.M>SE. 3i3

Nouveau Testament, c'est Jean qui évite le plus cette confusion, les
Kpitres ne lacommettent pas une seule fois, tandis quelle est très
fréquente chez Luc.
'

Passons à la construction des propositions et des phrases. Elle n'offre


pas dans l'Évangile de ces grosses irrégularités qui distinguent l'Apo-
calypse. On ne trouvera point, par exemple, le pléonasme hébraisant
du pronom démonstratif avec un relatif, non plus que le défaut
d'accord dans le g-cnre ou le cas du substantif et de l'épithète ou de
l'apposition. Les g-énitifs absolus abondent. De plus, il arrive souvent
que le génitif précède le nom qu'il détermine, et le complément direct
le verbe qui le rég-it. Il n'y a aucune trace d'« état construit »

sémitique. Ce sont là les principales différences à noter.


D'autre part, comme dans l'Apocalypse, la construction est unifor-
mément simple, plus simple encore que dans l'ensemble du Nouveau
Testament. Elle est aussi basée essentiellement sur la, parafaxe : dans
ne rencontre qu'une seule période, xiii, 1-3. Il n'est
tout l'Évangile, on
pas jusqu'aux pensées de comparaison que l'auteur n'exprime au
moyen de deux propositions unies par v.yA v, 17 c -0L-.r,p 'j.o'j Ïmç :

y-pzi ïp'fxZe-7.i xàYco kpyxZo'^.x'.. Assez souvent des propositions dont l'une
est subordonnée à l'autre dans la pensée sont dans l'expression
coordonnées; voir par exemple Joh. vi, 50; vu, i; xiv, 16. Au
chap. xvm, 16, poursignifier « 1/ dit à ia portière d'introduire Pierre »,
:

le grec portera : KyÀ dzv/ -r, fi-jpMpîh^ y.al ctjr^yaycv -r;v llëTpiv. On
reconnaît bien là la même habitude de composition qui se manifeste
d'une mapière si curieuse dans l'Apoc. xi, 3 Ky\ omgm tcîç ojtIv :

y.âpTj-'v !;.cj. /.y.', r. po ^r,- zj 0-j -'.v et, dans la lettre à Philadel-
'7 ,

pnie, III, y . izz-j c'.oco =•/. -r,: zny^f^r^z tcj Ly-y^/y '.cou T:oir,7M
yj-.yj: viy. r^zz'jzvi.

Nous avons parlé plus haut de la répétition de l'article devant


l'épithète, plusmécanique chez Jean qu'ailleurs, et qui triomphe dans
l'Apocalypse. Également de la quantité innombrable des pronoms
sujets, 7J, Jy.E^ç, habitude visible aussi dans la Révélation. Non
£-'(.').

moins caractéristique de l'un que de l'autre écrit est la fréquence des


pronoms démonstratifs y-j-'zz, zl-c:. ïv.tl^tzz. rappelant un substantif,
un pronom relatif placés précédemment. 11 arrive assez
Hîi participe,
souvent que le pronom régime possessif, quand il précède le nom du
possesseur, en soit séparé par l'article; par exemple Joh. ix, 10
Twç cjv r,wtMyf)r,jy.-^ t:j :•. zz>by'/.\).zi : 11 kniypi'^i-i \j.z-j -.z-jç, cç)OaA[j.cuç ;

IJl Joli 2 7Z-J r, Vj/y; : 10 y-j-zu -y ïp^;y.. Comparez plusieurs cas


semblables dans l'Apocalypse x, 9 : r.v/.py^-J. jcj ty;v /.s'.aixv, etc. Cette
tournure d'après Abbott Joli. Gr.. ^ -2784} « est caractéristique d'Aris-
314 IU:\l !•: lUIilJQUK.

topliano, de Paul, ^KpicIMe, et, séuéraleiiicnl, de ce qu'on peut


appeler le 'ivcc /tarir ». Onoitiue a^sez fi'i'(|uenle dans le N. T.,
liisage en est surtout noialde dans Paul, et dans tous les écrits
« johannicpies ». — Notons encore l'eniploi tout pareil de « nomina-
tifs ]>endants » : Joh. vu, 3S: \v. 2 etc. cf. Apoc. ii, 20; ni, 12, etc.
Joh. XVII, 2, l'va z3:v ; ziiiay.x^ ajTO) 2(i')7y; tl^j-zIc, i^o)ï;v a'uovicv, oflrc
deux ressemblances frappantes avec le style de la Propliétie, le
nominatif absolu, et le changement de genre et de nombre (aÙTcîç
par un accord ad scnsuui. De pareils changements de construction
apparaissent encore vi, 35; vu, 38. Knfin le verbe, dans l'Évangile —
comme dans l'Apocalypse, précède le plus souvent son sujet.
La tournure apocalyptique singulièie (jui coordonne un participe,
fùt-il à un cas oblique, avec un verbe fini (6 fois dans Apoc, par

exemple i, 5-6 t<o àYazwv-ii "ôl-'-Sç v.xl è-cir^Tev r^\}.y.z, i^xatAsiav).

que Charles considère comme hébraujue et étrangère au grec le plus


vulgaire, se trouverait quelques parallèles dans le N. T. On cite Coloss.
l, 20 : 7:X-/;pà)(7ai -rbv '/.z^'ov toj Oôcu, Tb [j/jjTrjpicv -b ic'::o/.cy.pj;x[j.£vcv.. .

— vjv se èœavspwOr, -oiq àyioiç ah'O'J ; I Cor. vil, 13 (simplement


analogue) : Kal yxrr, ff-i: 'iyv. x->cpy. a-msTov, v.al z-j'zç, cruvsuooxeî
o'.y.cïv txc-: ajT^ç, i).r, àstÉTW -bv à'vspa ;
7^^^. VIII, 10 otooù? vbf^.ou; [j.ou î'.ç

TTjv otâvoiav ajTtov, -/.a": £7:1 y.apcîaç jcjtcov è-r'-Ypi-j^o) aù-oûç; X, 16, même
texte. Mais, dans le passage de Coloss., il n'y a pas proprement
coordination; c'est plutôt une nouvelle idée, commencement d'une le
phrase nouvelle, le second membre d'une antithèse; celui de / Cor.,
qui n'oiïre qu'une ressemblance lointaine, peut être considéré comme
une simple parenthèse, une anacoluthe du style paulinien; enfin
celui à'Heb. n'est qu'une traduction de l'Ancien Testament [Jércmie,
XXXI .Sejîtante xxxviiij, 33). Ce ne sont donc pas de vrais parallèles,
ou ils ne sont pas néotestamentaires. Disons la même chose de
Joli. I, 32, où (( '/.%'. Ijj.etvsv » est coordonné au verbe fini xsOéaiAai, et
non au participe xaTaêaTvov. Mais, dans la 11° Épitrc de Jean, verset 2.
nous lisons : ... (ojç èyÔj àvaTrco...) otx -:y;v àAr/j£(av -:y;v [j.£vc'j7av iv

r,lxTv. y.at [j.st' r;[;.wv saxat v.z -rbv alwvx. Ici le parallèle à Apoc. i,

5-6, etc. est parfait, et ce parallèle, unique dans le N. T., se trouve


dans un écrit johannique (11.
Nous pourrions continuer ces comparaisons. Mais les précédentes
suffisent. Usuelle conclusion en tirer? Assurément, la langue de
l'Evangile (et des I^pitres) est bien plus soignée tjue celle de l'Apo-
calypse. Ni les vocabulaires, ni les grammaires n'autoriseraient à

(1) Cf. Charles, Studies on the Apocalypse, pp. 89-sqq., Edimbourg, 1913.
L'AUTELR DE L'APOCALYPSE. 34o

eux seuls à proclamer l'unité d'auteur. Toutefois ils présentent bien


de part et d'autre, un air de parenté, et ([uclques concordances sur-
prenantes. On voit donc combien était précipité le jugement de Denys,
affirmant qu'il n'y a guère entre ces écrits une syllabe de commune.
Il faudrait conclure, au moins, avec Bousset [Offenb., p. 179) « Les- :

parallèles linguistiques semblent autoriser l'iiypothèse que le cycle


total des écrits jobanniques procède de cercles qui se trouvaient sous
lintluence du Jean d'Asie Mineure... Et récemment Ion
a exprimé
si

rbypotbèse (v. der Goltz, Texte urcI Untersuchungen, XII, pp. 1 18-1 W)
qu il y eut en Asie .Mineure une école de langage Johannique déter-
minée, l'état de choses qui se montre dans l'Apocalypse me semble
confirmer cette hypothèse (1). »

§ II. — Comparaison au point de vue de la doctrine.

Jean Réville {op. cit.) s'était efforcé de prouver que la Christologie


de l'Evangile et celle de l'Apocalypse procèdent d'esprits tout à fait
difTérents. Pour ce qui est de la présentation extérieure de Jésus, il ne
pouvait cependant s'attendre à voir peindre exactement sous les mêmes
traits le Christ mortel, dans un ouvrage historique, et le Christ glori-
fié, entré en possession de toute sa puissance et de toute sa gloire,

dans un ouvrage allégorique. Nous traitons ailleurs de la doctrine de


1 Apocalypse en général: et il n'y a pas lieu d'entrer ici en trop de

détails. Reconnaissons seulement que les deux écrits enseignent, dans


les termes les plus exprès, la divinité de Jésus, comme les Épitres

pauliniennes de la captivité, et l'Ép, aux Hébreux. Dans l'un comme


dans l'aulre, c'est lui qui donne la vie à ses élus [IV Èv. passim),
et qui les conduit aux sources des eaux de la vie (Apoc. vu, 17), qui
teur distribue tous les biens spirituels et célestes fins des Lettres),
qui sera le flambeau de la Jérusalem céleste (Apoc. xxi, 23), comme
il est la « lumière » dans l'Évangile. Il est et sera leur Pasteur (7:ct[;.av£T

Apoc. VII, 17; — b -ciij.y;v ; v.y'hôq Jo/i. x) et, de part et d'autre,


;

il r« Agneau »; peu importe la différence toute matérielle des


est

termes k\):/'z: et ipvtov. Mais, bien plus, en dehors de l'Évangile et de la


P Joh., l'Apocalypse est le seul écrit du X. T. où le Christ soit appelé
Verbe, "acy^ç. Cette grande expression, dans Y Apoc. xix, 13, surgit
tout à fait isolée, sans rien qui la prépare ou l'explique, si ce n'est le
« glaive sortant de la bouche », image do la Parole toute-puissante,
penetrabilior omni gladio ancipiti {Ilt'h. . Pourtant, contre J. liévillo,

(1) C'est nous qui soulignons plusieurs termes.


i'n> . i{i;m !•; Kiui.inn-:.

ce n'est ccrtaiiicinent pas unr yloso. Au liiMi d'ôfrc appelé siniplcnienf


AÔYC-:, .l«isns est ici c Xi^oç tcO Osoj. ^Mais, poiii- tous les «'écrivains,
païens ou juifs, (jui ont parlé du Logos, c'était toujours le Verbe (firin ;

d'ailleurs, dans la 1" Kpître,


également <|iialilié par un génitif,
il est

: X:v-T ~t^ -'<'>>!;. sans qu'on songe pour cela à le distinguer de celui

de rÉvangiie; on peut comparer, inversement, l'àpv'cv apo(alypti((ue


et l'iy.vb; Tcy Oscj évangélicjue. « Verôe de Dieu », c'est là son nom
secret « que personne ne connaît [clc-v, connaît, comprend à fond) h\
te n'est lui-même », et que r« Évangile spirituel» fera comprendre
aux hommes élus, pour autant qu'ils en sont capables ici-bas. Inutile
de chercher deux origines différentes pour cette expression identique;
(juand même le « Prophète » eût pensé seulement au Memrd pales-
tinien, et l'Évangéliste au Lor/os philonien ou stoïcien, ces deux ou ces
trois idées présentaient une analogie assez étroite pour s'identifier
pleinement une fois élevées à leur plus haute puissance, à la transcen-
dance divine dans un monothéisme parfait; si c'est l'idée du Memrd
a inspiré l'expression du Prophète, le choix du mot montre ce-
(jiii

pendant que l'écrivain était tout disposé à adopter, en l'épurant et


en le sublimisant, le terme des stoïciens, pour présenter la personna-
litétranscendante du Christ sous un aspect inédit, plus précis et plus
philosophique encore que ceux de saint Paul. Pareille coïncidence est
absolument remarquable, et l'emporterait à elle seule sur une quantité
de divergences supposées.
Nous établissons ailleurs qu'il faut toujours prendre au sens spiri-
tuel le plus élevé les promesses des lettres, le Kègne millénaire, la
présence au ciel des fidèles (ch. vu). Cette « vie au ciel », comme
on pourrait l'appeler, commencée dès avant la mort, correspond par-
faitement à la notion de la « Yie éternelle » du IV Évangile. C'est
la grâce, dont Paul avait été le théologien inspiré, la grâce germe
de la gloire.
Faudra-t-il voir dans le caractère presque exclusivement eschalo-
logique de la Révélation un contraste avec le IV^' Évangile, qui écarte
si soigneusement toutes les conceptions matérielles des Juifs sur le
siècle à venir? Il y aurait opposition, sans doute, si le Prophète de
Patmos avait admis telles quelles les idées judaïques; mais il ne s'en
est jamais servi que comme d'expressions symboliques, dont il a

profondément transformé le sens. Que trouvera- t-on dans son escha-


tologie, sinon le développement imagé, et, dans la deuxième sec-
tion prophétique 'chap. xii-xx), mis en rapport avec les circons-
tances historiques de l'époque impériale, d'idées qui imprègnent,
dans le IV' Évangile, le long discours de la nuit suprême « Je vais :
1
i;alïelr de l'apo<:âf.ypsi:. 347

vous préparer une place; Je viens de nouveau, et je vous pren-


drai à moi, afin qu'où moi je suis, vous aussi vous soyez... Celui qui
m'aime,... je me manifesterai à lui (cf. lettre à Laodicée)... S'ils

m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi... Le prince de ce monde


est déjà jugé Apoc. xii)... bans le monde, vous aurez de la tri-,
bulation: mais ayez conlianee, moi jai vaincu le monde. » Enfin,
la 1" Épitre, qui est un peu plus eschatologique que l'Évangile, puis-
qu'elle entrevoit la tin des temps fii, 17-18), présente avec l'Apoca-
lypse une ressemblance négative qu'il ne faut pas négliger. Elle
nomme — seule dans le N. T. —
\ Antéchrist, mais sans en faire une
personnalité unique et future, comme dans l'attente juive « Petits :

enfants, c'est la dernière heure; et, comme vous avez entendu qu'il
vient un Antéchrist (traditions juives, // ThessalX maintenant beau-
coup sont devenus Antéchrists; d'où nous savons que c'est la dernière
heure... Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le
Christ? Celui-là est l'Antéchrist, qui nie le Père et le Fils (11, 18, 22;
cf. // Jo/i.)... Beaucoup de faux prophètes se sont produits dans le

monde... Et tout esprit qui ne confesse pas (ou « qui dissout », aùv.)
le Christ, n'est pas de Dieu; et cest celui de l'Antéchrist, dont vous

avez entendu qu'il vient; et maintenant déjà il est dans le monde.


Vous, vous êtes de Dieu, petits enfants; et vous les avez vaincus »
(iv, 1-i). On ne saurait spiritualiser davantage la vieille conception

judaïque. Or, dans l'Apocalypse aussi. l'Antéchrist — qui n'est point


nommé de ce nom —
est une collectivité, et une puissance imperson-
nelle, déjà partiellement présente ce sont les deux Bêtes, couple
:

auquel le pseudo-Agneau, ou « faux Prophète », donne aussi un


caractère spirituel. Pour nous, c'est là une similitude frappante.
Il importe encore de noter ceci : l'idéedu Christ Juge remplit
tout le N. T. Jésus juge le monde au cours du siècle présent (plusieurs
des manifestations du « Fils de l'Homme » annoncées dans les Synop-
tiques), et tiendra enfin des assises solennelles à sa Parousie, pour fixer

éternellement le sort des vivants et des morts. Mais les Synoptiques et


Paul insistent surtout sur ce jugement universel; l'autre demeure
dans l'ombre. Il en va tout autrement, et dans l'Évangile et dans

l'Apocali/pse. Dans le premier, le jugement, la •/.p''î'.ç, commence à


s'exercer, dans l'intérieur môme des âmes, dès que- le Verbe parait
et que sa parole les atteint. Il s'exercera par le l^araclet. Les assises

solennelles, annoncées brièvement \Joh. v, 28-20i, ne sont pourtant


décrites nulle part, ce f[ui contraste bien avec les Synoptiques et
S. Paul. L'Apocalypse aussi décrit avec beaucoup d'ampleur les juge-

ments historiques et continus, où la présence du Juge est voilée; ce


348 UKVl K lUIM.IOL't:.

n"('st uwmc tjiril faut comprendre celui du Millénaire.


pas auti-enieut
Les lettres mêmes du conimenccmcnt sont une sentence portée par le
Christ et ll^pril sur les Éi;lises; mais le Jugement universel nap-

parait t[ue très discrètement \i et \x), comme un acte iinal (|ue


tout a préparé, et qui. étant m parfaite continuité avec riiisloire,

ne pour ainsi dire ipie consacrer une situation acquise déjà;


fait

chose étrange, la personne et* la sentence du Christ ne sont même pas


mises en relief dans ce dernier acte. C'est une manière très spéciale
de présenter le Jugement; c'est la manière Johannique ». trans-
<*

cendante à toutes les phases temporaires et à toutes les réalisations


matérielles.
Nous pouvons conclure ce paragraphe en affirmant hardiment un
paradoxe il n'y a pas deux systématisations de la doctrine évangé-
:

lique, même en fait d'eschatologio, qui soient plus voisines, disons


plus identiques, que celle du IV' Évangile et desÉpitres Johanniques.
d'une part, et de l'Apocalypse, d'autre part.

5j 111. — Comparaison de l'esprit des deux livres.

Une mise en système de la commune doctrine s'expliquerait


même
suffisamment, en soi, par l'unité d'école. I*lus d'un critique, qui nous
aura volontiers suivi jusqu'ici, ne voudra pas aller plus loin. L'Evan-
géliste et Jean le Prophète ont deux caractères, deux psychologies
individuelles trop irréductibles, dira-t-il, pour que nous osions en
faire une seule et même personne.
Cette assertion nous semble résulter d'une étude superficielle, ou
plutôt d'une espèce de tradition critique mal fondée, qui se trans-
met automatiquement d'un écrivain à l'autre. Elle a encore beau-
coup moins de poids que les objections tirées de la langue.
Tout d'abord, ceux qui croient ta la théorie de Yischer ne devaient
avoir aucune peine à admettre, comme Harnack, l'identité. En effet,
ce n'est pas le « fond Juif » de l'Apocalypse, mais les additions » <-

de r « élaborateur chrétien », qui devraient le mieux nous renseigner


sur la psychologie de Jean. Or, toutes ces « additions » sont émi-
nemment « Johanniques ».

Mais, pour nous, n'y a pas, à proprement parler, de fond ni


il

d'emprunts juifs, sauf dans l'imagerie, que l'auteur a encore pro-


fondément transformée. Nous admettons que les visions sont toutes
bien à lui, et ne saisissons pas en vertu de quel apriorisme l'homme
qui a écrit 1' « Évangile spirituel », n'aurait pu connaître, et con-
naître sous cette forme-là, de telles expériences mystiques. Paul aussi
- L'ALTELR DE I.'APOr.Al.VPES. 349

avait des visions (// Cor. \ii, 1-i ;


il était « propliète » Act. xiii, 1),

et même glossolalc (/ Cor. xiv, 18j. S'il avait cherché à décrire ce


qu'il vit «au troisième ciel », il se serait probahlemcnt servi de
symboles du même genre que Jean cf. 7 Tliess. iv, 16 seq.; // Tliess.
[1, 1-1-2; / Cor. xv, 52i, et les critiques auraient eu à noter des dif-
férences aussi tranchées entre son « Apocalypse » et ses Épitres
qu'entre rÉvangile .lohannique et ^'Apocalypse de Jean. D'ailleurs
n'y a-t-il pas des différences énormes déjà, suivant le caractère des
lecteurs et le but visé, entre telle et telle page de ses œuvres, par
" exemple entre les chapitres de / Cor. sur les dons spirituels et l'Épi-
tre aux Éphésiens? L'argument psychologique, dans les questions
d'attribution littéraire, est assez délicat à manier. 11 exige une cul-
ture que ne possèdent pas tous les philologues, en Allemagne ni ail-
leurs. 11 que la nature de ces fondateurs
faut pourtant bien admettre
du christianisme possédait des virtualités assez multiples et assez
riches pour qu'une psychologie moyenne et mécanique éprouve quel-
que peine à les concilier, la psychologie moyenne étant faite pour
les hommes moyens, et non pour ces génies inspirés de Dieu. Au reste,
on n'a pas le droit d'oublier cette considération de toute évidence le :

même auteur, s'il est historien et prophète à la fois, n'écrira pas, à


moins d'être singulièrement borné dans ses moyens artistiques, l'his-
toire comme une prophétie ni la prophétie comme une histoire. Le
IV^ Évangile rapporte l'Avènement de Jésus dans le mystère, l'humi-
lité et ladouceur; il était naturel qu'il préférât* aux images vio-
lentes, aux tableaux grandioses qui n'eussent pas été de saison, un
' style uni et des métaphores rares et peu risquées; mais, dans l'Apo-
calypse, il ne s'agit plus d'humbles prédications en Palestine, dans
un cercle d'amis intimes ou devant une foule restreinte; c'est toute
la destinée du monde qui se déroule, ce sont toutes les puissances
célestes et infernales qu'il fautmontrer en lutte, à visage découvert:
c'est letriomphe du Christ, son Avènement dans la puissance et la
gloire; c'est tout ce que les disciples " n'auraient pu supporter en-
core » [Joh. XVI, 12 1, quand Jésus vivait au milieu d'eux, comme l'un
d'entre eux. Le ton tout différent ne prouve pas une différence de per-
sonnalité; mais, dans l'hypothèse d'un auteur unique, ilnous révélera
simplement la souplesse et l'exactitude d'adaptation de son esprit.
Ce n'est pas assez, dans la question qui nous occupe, d'invoquer
ces considérations générales. Nous avancerons sans hésiter, d'abord,
que l'Évangile, les Épitres et l'Apocalypse révèlent, également, une
mentalité très caractérisée, unique, qu'on peut appeler l'u I.hagi-
NATION JOUANMOLK ».
350 lŒVlK ISIin.KjLK.

La p.iit lies ilisscinhlaiicos est .ùsi'-c à l'aire : léfrivaiiK s il est iiiii-

qiie, so trouvait eu deux étals mentaux ti)iit à lait tranchés lors(|ue

ont été 0()Uij>osés le récit lnsl<»ii(|ue et la Kévclatiou. (le n'est pas la


même cliose d'avoir eu des extases, cl de chercher à en rendre la

profonde inipicssion. ou bien de travailler dans le calme, avec son


cœur mais aussi avec toute la maîtrise de son inlellig-ence. sur des
souvenirs ({iii, malgré leur grandeur, furent de la vie terrestre et
quotidienne. Dans ce dernier cas, l'auteur se montrera pleinement
lui-même, avec sa mentalité de tous les jours: dans le premier,
convaincu de l'insuflisance des termes ordinaires, il faudra hien qu'il'
fasse appel à des moyens d'expression exceptionnels. L apocalyp-
tique juive, et le souvenir de ses propres expériences extraordinaires,
les fournissaient au Prophète de Patmos. '

Mais l'Apocalypse et l'I-lvanuile ont toujours de commun, dahord,


leur caractère essentiellement dramatique. Si l'histoire du monde
est présentée comme une lutte perpétuelle entre des puissances con-
traires. Ciel et Enfer, Cités du Diable. Agneau et Dragon,
de Dieu et

celle du (Uirist dans l'Évangile n'est de même que le conflit entre


« la-lumière qui luit dans les ténèbres », et les ténèbres du monde,

du /.z'ij.:^;. qui cherchent en vain à l'étouli'er; car tout ce qui est dans
le monde, dit la /' Joh.^ est • concupiscence de la chair, concupiscence
des yeu.T et orgueil de la vie », et le ministère du Christ est la tra-

gique illustration de cette irréductibilité. De part et d'autre, il s'agit

donc en premieP lieu d'un conflit de groupes humains, de person-


nalités, non d'une lutte intérieure psychologique, comme chez Paul
entre la « chair » et !'« esprit ». \.'antithhe est une loi de l'Évangile
aussi bien (jue de l'Apocalypse: nulle i)art, même chez l*aul, elle

n'est si continue. Le style en prend tqut entier une coulcui- particu-


lière, là même où il ne s'agit pas de combats: ;j .. xù.y. est d'une très
grande fréquence: et la négation ij est plus répandue dans le seul
Évangile que dans Marc et Luc pris ensemble Abbott}. LÉvangéliste
conçoit tout par mode de conflit et d'opposition: son àme de « mys-
tique » est aussi bien celle d'un lutteur, d'un ^ Boanergès ».
Mais il y a son élévation sereine, sa tendresse. Est-ce que ces qua-
lités aimables seraient absentes de l'Apocalypse? Qu'on lise seulement

la findu chap. vu, ou les descriptions de la .lérusalem nouvelle. Il


est vraique la joie y est guerrière; elle apparaît comme le résultat
d'une v'ictoire chèrement disputée. Mais il en est ainsi de celle de
rÉvangile. qui n'est promise (fu'après des douleurs d'enfantement,
et le triomphe du Christ sur le monde, par la souffrance : BapffîtTs,

ivôj v£v{/.r,7.a t;v 7.;7;j.:v (xvir, 20-22, 33). L'Âpocalypse, elle, voit déjà
L'AUTKLR DE l'ai»0(:ai.vi>se. aljl

présents les résultats de cette victoire; la prophétie s'en délecte et


s'y plonge, au point que le mot vaincre, v./.xv, est devenu un de ses
mots-clés, comme dans la I"' Épitre de Jean; le chrétien fidèle s'ap-
pelle « le Vainqueur » (fins des Lettres). Ceux qui sont « marqués au

front du signe de Dieu » s'opposent aux séides du Dragon, qui ont


la marque de la Bête, comme s'opposent au monde les régénérés,
« qui sont de Dieu », « qui sont nés de Dieu ».

L'Évangile et l'Apocalypse ont encore de commun, pour le fond,


d'être deux livres essentiellement spirituels.
La matérialité des évé-
ments, ainsi que les détails visuels des apparitions, qui sont fluctuants
comme nous l'avons vu ailleurs, n'ont de part et d'autre qu'une
impoi'tance accessoire; je veux dire que le fait visible d'un côté,
conmie la perception imaginative de l'autre, sont appréciés surtout
au point de vue de l'interprétation intellectuelle à laquelle ils don-
nent occasion leur ; utilité est de nous introduire dans le monde supra-
sensible. « C'est l'esprit (c'est-à-dire la lumière surnaturelle donnée
par l'Esprit-Saint) qui vivifie; la chair (c'est-à-dire les connaissances
et les idées terrestres, qui ne se dépasseraient pas elles-mêmes) ne
sert de rien [Joh. vi, 03). L'Évangile dit que c'est l'Esprit qui nous
introduit dans toute vérité Joli, xvi, 13). Après la glorification du
Christ, ce Paraclet était descendu ;
il se manifestait de mille manières,
réalisant les promesses du discours après la Gène. De là vient l'estime
singuhère que le Voyant de Patmos manifeste pour le don de pro-
phétie, au sens néo-testamentaire.
L'auteur de l'Évangile se meut aussi, à peu près exclusivement,
dans le monde de l'Esprit. Sans doute il a voulu écrire vraiment
ïhisloire de Jésus; et cette histoire est consciencieuse, rigoureuse;
il n'a pas, malgré Loisy et les allégoristes, inventé ni idéalisé un seul
événement de la vie du Sauveur. Son souci d'exactitude, dans le peu
de narrations qu'il nous a données, était même plus grand que celui
des Synoptiques. Il aimait davantage la précision, ce « mystique abs- .

trait »; lui seul nous instruit suffisamment sur la chronologie du


ministère public de Jésus. Il note bien la succession des événements,

les distances données topographiques, tous les chiffres.


locales, les
C'était un homme pratique, quoi qu'on en dise, et, malgré ce que
cette affirmation a de paradoxal, un esprit très bien doué pour saisir
les nuances concrètes. Comme il sait peindre les mouvements d'opinion
des foules I Quelle vie, entre ses résumés de doctrine et ses commen-
laires mystiques, il apporte dans les questions et les répliques! comme
il saisit sur le vif les situations originales! Le débat, par exemple,
qui suit la guérison de laveugle-né [Jo/i. i\, 8-3'j-), est intéressant et
352 REVIJK UIIU-inilK.

vécu C(>iniut> la plus oxaclc comcilic de caractère, si Ion ncuI bien nie
passer une telle comparaison. Mais. î\ côté de son klent de peintre
et lie natralenr, le </oi)l f/r ralln/orio est cn<ore j)lus nianjué; et
d'une sorte d'allég-orie (|ui présente hi /dits yramlr ti/finifr ai^cc le
symbolisme de /'Apocal///)sr.
Il est clair dabord que la plupart des miracles racontés (au moins

quatre sur sept i


ont été choisis, parmi beaucoup d'autres, à cause du
sens syniboli(pie ((u'on pouvait lire dans les conditions matérielles de
leur accomplissement. La .çuérison du paralytique à la i)iscine, la

multiplication des pains, la cure de Taveugle-né, la résurrection de


Lazare, fournissent très directement matière à des enseignements
sur la « Vie Lumière « qui sont dans le Verbe, sur le bap-
» et la «

tême qui donne deux aux hommes, et sur l'Eucharistie qui les
les

entretient. Peut-être le miracle des noces de Cana, et surtout la gué-


rison du lils de l'officier royal et la marche sur les eaux, n'ont-ils pas
la même portée, destinés qu'ils sont avant tout à montrer la puis-

sance divine de Jésus. Mais un fait significatif, c'est que Jean, qui
aurait pu raconter bien d'autres merveilles, en ait choisi exactement
sept.
Ce n'est certes pas un pur hasard. Abbott, dont la subtilité est par-
fois trop ingénieuse, a raison ici d'affirmer que « l'Évangile est péné-
tré dans toute sa structure de l'idée de « Sept » (permeated structu-
rally with the idea of « Seven »), comme on pouvait s'y attendre de
la part d'un homme acceptant la tradition des « Sept esprits de Dieu »,

Apoc. in, 1 ». Le même critique relève encore les traits suivants les :

mots « Je suis » surviennent sept fois poux l'expression des rapports


du Christ à l'humanité vi, 35 viii, 1-2 \, 7, 11 xr, 25; xiv, (>; xV, 1).
; :
;

Sept fois, de xiv à xvi, revient l'expression -x'j-y. AsXâX-^xa G;xrv. De


même, sept fois « En mon nom
» sept fois h, unum, pour l'unité avec
;

Dieu; sept fois amour, un des mots-clés; dans la I^Joh., sept


i-;xT.r,,

fois çavspcîiiv, manifester, appliqué au Père ou au Fils [Joh. grammar,


%% 262^-2627). D'après Westcott (Abbott, § 2624 a), le Christ fait
appel à sept genres de témoignages 1° celui du Père; 2° le sien pro-
:

pre; 3" celui de ses œuvres; k" celui des Écritures; 5" celui du Précur-
seur; 6° celui des disciples; T celui de l'Esprit. Qu'on y joigne, dans
la bouche de Notre-Seigneur, la triple répétition de certains termes
caractéristiques le bon pasteur (ch. x), la vigne ich. xv), la porte
:

(ch. x), la lumière du monde (vni, 12; ix, 5; xii, 46), etc. (Abbott,
op. laud., §^5 2608 sqq.). Le « Paraclet » est nommé quatre fois (parce
qu'il remplira les quatre parties du monde?;, la « loi mentionnée >.

six fois (plénitude incomplète?). On hésite à suivre Abbott et Westcott


L'ALTEUR DE L'APOGi^LVl'SE. . 3:^:5

dans cette recherche des « intentions » johanni(|ues, on craiut qu'ils


n'exagèrent par tendance instinctive, au moins Abl^ott, Tauteur de
« Fro})i Lettei' 1o Sjnrit ». Mais on peut, dans l'ensemble, souscrire

à ce jugement : « Toutes réserves faites sur les cas douteux, et la dif-

férence des aspects, nous en trouvons assez pour être assurés que
l'auteur de cet Évangile subissait largement l'influence d'une habi-
tude de faire des groupements par sept, qui a affecté aussi bien l'en-
semble de son récit que des mots ou des phrases particulières »
(§ 2G27j. Il faut reconnaître « l'arrangement délibéré et poétique de
larges portions du IV'^ Évangile, la valeur et la signification mystique

attachées par l'auteur à certaines paroles et indiquées par lui au


moyen de doubles, de triples et septuples répétitions » (§ 2587).
Quelle raison pouvait porter l'Évangéliste à rechercher ces disposi-
tions artificielles, que ne lui imposait ni la fidélité historique, ni la
nature de son ouvrage, ni son but doctrinal? Quelle raison, si ce n'est
l'habitude d'attacher de l'importance à* la symbolique des nombres,
au point den user, pai^ goût, dans un sujet qui ne l'exigeait nulle-
ment? Si donc, par hasard, il avait écrit un livre d'allégorie, les sep-
ténaires, et les autresgroupements par chiffres, devaient à coup sûr
le remplir. Mais voyez l'Apocalypse. Abbott (§ 2625) nous dit que « le
quatrième Évangile fut probablement écrit par quelqu'un qui avait
des liens avec l'auteur de la Révélation ». On peut raisonnablement
aller plus loin, et l'on n'hésiterapas à le faire si l'on veut bien exa-
miner de près nature des symboles de l'Évangile, et la manière
la

très libre et très variable dont ces symboles sont employés.


Il est reconnu de tous, et il ne faut pas pour cela beaucoup de

pénétration, que l'Evangéliste affectionne les termes abstraits, presque


vagues, tandis que l'Apocalyptique recherche ceux qui sont le plus
hauts en couleur. Mais cela devait être, l'auteur fùt-il unique, en rai-
son de la différence du sujet, du but, et de l'état mental. Le Voyant
qui pénétrait les secrets du Ciel, de l'Enfer et de toute l'histoire
future, avait évidemment besoin d'aulres images qu'un narrateur qui
répétait les paroles tempérées de son Maître, et était tenu de respec-
ter la couleur locale et terrestre.
Il faut distinguer deux classes parmi les symboles apocalyptiques :

lapremière, et la plus nombreuse, est celle des lieux communs trans-


mis par la tradition biblique ou apocryphe; la seconde, celle des
symboles qui sont propres à l'écrivain, ou du moins dont il fait un —
usage bien plus caractéristique que ses prédécesseurs. Or, cette se-
conde catégorie ressemble extrêmement aux métaphores et aux mots-

clés de l'Évangile.
RF.VCF, BIP.IKJUF. 1917. — N. S., T. Xn . 23
•u» t REVIK IMIil.K.U

Relevons dans col orilrc riniayc du Messie-Agneau, et sa conti'C-


fat^on, le Faux PropliMe 1' «
Af/neau de Dieu » ôvant^élique). C'est
(
1'.

encore hvnoni mystérieux Azyzq -zj ôsoîi. C'est « l'eau de la vie », qui
j>eut bien venir de Hahyloue ou de FÉgypte, par rintcrniédiaire des
Prophètes, mais qui n'eu caiactérisc j)as moius et le IV" Kvang-ile
(baj>tème, illuiniuation, grAce), et rA])ocalypse, où elle a le môme
sens de la vie spirituelle et éternelle (jowp çiôiv, ïeau vivante, Jo/i. i \ , 10-
11; vu, IÎ8; r.T,yr, ijooc-z:. iv, l'i ; r.z-x'^.z'. joaioç, vu, 38 — ^cf. Apov. Joo)p
L(.)f;ç. TTYJYal ûBâtwv, viii, 10; vu, 18; xxi, 0; xxii, 17; etc.). La méta-

phore de la « Femme {Ajmc. xii) pour désigner l'Éq-lise, se retrouve


;j

équivalemment dans la y.-jpix ïy.Xiy-q àlaquelle est adressée la//',/o/i.^


comme si 1' « Ancien » avait eu un goût particulier pour cette person-
nilicaiion biblique. Kuiin riinage du « Pasteur ;>. apj)liquée au Christ
et à Pierre son vicaire {Jo/i. x, 1 sqq. 27. 28; kxi, 10 sqq.), apparaît
aussi, Apoc. vu, 17, appliquée à l'Agneau « L'Agneau qui est au :

milieu du trône les fera paUre' et les mènera aux sources des eaux de

la vie ». Qu'on se reporte encore aux termes communs du vocabulaire


que nous avons signalés dans un autre paragraphe; et qu'on se rap-
pelle aussi combien la métaphore de la « Lumière », sons des expres-
sions plus concrètes [flambeaux, etc.), est familière à l'Apocalypse, si

pleine de tableaux lumineux, et de processions en vêtements éclatants


de blancheur. Le séjour de Dieu, ou du Verbe incarné parmi les
hommes, est exprimé par le même mot, (7/.r,v:uv, ce qui est peut-
être une allusion au Tabernacle de l'Ancienne Alliance, contenant le
Saint des Saints [Joh. i, 14. — Apoc. vu, 15; xxi, 3; cf. xii, 12;
XIII, 6; C7y.r,vv7 Apoc.^m, 6; xv, 5; xxi, 3).
Notons encore que le IV Évangile, si « abstrait » qu'il puisse être,
dramatise, pour ainsi dire, « concrétise » dans l'abstraction. La
et,

Lumière, l'Amour sont comme des lieux, des régions où l'on entre,
où Ton demeure. De là l'usage du èv « quasi instrumental ». C'est un
autre monde, opposé à celui des ténèbres et du péché. Et ce trait est
au moins fort analogue à la conception générale de l'Apocalypse.
L' « imagination Johannique » a une autre note particulière. Si elle
concrétise fortement, par le mouvement, les idées les plus immaté-
n'assigne pas de sens immuable à ses métaphores, et fait
rielles, elle

alentour toutes les variations possibles. Il n'est pas dans les habi-
tudes de l'Ëvangéliste de préciser une fois pour touteâ.la valeur de
ses termes, quandpeuvent signifier plusieurs réalités voisines.
ils
C'est ainsi que même
/.ia;.».:? ne signifie point partout le monde hos-

tile. En somme, presque tous ses concepts et ses mots-clés sont « ana-
logiques »; sur le même terme, il passe sans cesse du sens matériel
L'AUTELK DE I/APOCALYPSE. 335

au sens spirituel, et vice versa. Zwr,, par exemple, au chap. v, signi-


fiera tour à tour la vie physique, la vie de la giVice, le bonheur éter-
nel, la vie ressuscitée, sans ordre apparent, d'une façon que détermi-
nera parfois le seul contexte (cf. versets 21, 2V, 25, 26, 28, 29j. De
même, au ch. vi, où l'idée de l'Eucharistie, du « pain duciel », com-

mande le choix de toutes les iuiages, allusions à la manne, expres-


sions fortes et réalistes telles que sapr, Tptoytov, l'Évangéliste, sans per-
dre de vue un seul instant l'idée de la communion sacramentelle,
passe du sacrement à llncarnation, à la Passion, du tout aux parties
potentielles, du général au particulier, de la grâce invisible à la
matière sensible; et il faut beaucoup d'attention pour se reconnaître
parmi tous ces aspects de « pain du ciel », dont la manne et les pains
multipliés au désert furent la figure. —
Mais les symboles de l'Apo-
calypse, si variables et si fluctuants sous leur matérialité apparente,
présentent absolument la même virtualité conceptuelle. Ils sont sujets
aux mêmes glissements, comme nous l'avons montré ailleurs. Nous
citions tout à l'heure V Agneau du ch. vu qui devient subitement un
berger, et y a bien d'autres exemples de faits semblables. De même,
il

au ch. X de lÉvaugile, Jésus est d'abord le berger qui « entre par la


porte » (x, 2), puis il devient lui-même, dans une Trapo'.ij.ta qui suit sans
intervalle, la porte par laquelle entrent et sortent les brebis (verset 7) ;

ensuite, il bon Pasteur » (x, 11, l'i) et s'arrête


déclare qu'il est « le

définitivement à cette allégorie. On sait que, dans l'arrangement des


idées du Seigneur, l'écrivain a bien pu avoir une part.
Ainsi les deux ouvrages offrent les mômes alternances de symboles.
Un traitanalogue qu'il faut relever dans l'Évangile, c'est la fixité
d'un seul et même mot qui ne varie pas avec la réalité qu'il représente
suivant les diverses phases de la progression de celle-ci. Jean ne dis-
tingue pas, dans son style, entre le germe et l'épanouissement. Ainsi
l'unique expression t-'.stsj^'.v, croire, lui sert à marquer tous les divers
degrés de foi qu'eurent en Jésus ses disciples et ses auditeurs, depuis
l'intuition confiante du
jusqu'à la reconnaissance de son origine
ch. i*"''

Nathanaël
céleste et de sa divinité. —
et les autres de même ont —
cru dès leur premier appel (i, 35-51) pourtant c'est le miracle de Cana
;

qui parait les faire commencer à croire (ii, 11 j. Il est évident que
cette « foi » s'intégrait lentement, par des déterminations successives
qui en élevaient et en approfondissaient l'objet. Les Synoptiques mon-
trent assez bien cette évolution; mais, chez Jean, il faut méditer sur
un contexte étendu pour saisir ces nuances que les mots ne distinguent
])as; TT'.TTSJw est un analogue qui se proportionne aux personnes, aux

circonstances. —
Ainsi, les visions de l'Apocalypse sont presque toutes
X\i\ RKVrK HIIM.inUK.

des schr. mes généraux de sitiialions futures, ([ui S(> succrdent sans
piogrcssion chronologique, sous \\v[\ d'aigle duu i)roj)li<'(e (jui voyail
Ir tout dans les i>arties et la lin dans le coniinrncemeut.

Knfin l'Kvanuéliste et le l»i'Oi»l)t'te, dans leurs i)assages les plus con-


crets, gardent le goût du niyst(''re. Qu'est-ce qui (Hait arrivé ;\ Natlia-

nael sous le liguier? Ju/i. i, V8). Qu'est-ce qu'avaient dit « les 7 ton-

nerres »? {Apoc. \, 3-'i.). L'un et l'autre éveillent là une curiosité


qu'ils ne j)0uvaient ou ne voulaient satisfaire; i)0urtant ils ont tenu
à conserver ces allusions mystérieuses, (jue des écrivains comme les

Synoptiques eussent probablement négligées.


Que résulte-l-il de cet ensemble de rai)procliements? C'est que la

même tournure diniagination et de coneei)tion se révèle à chaque


page de l'Apocalypse et de l'Évangile, dans une unité que voile seu-
lement la différence des sujets, entraînant celle des vocabulaires.
L' imagination .lohannique » est homogène,
(« et, de plus, ])arfaite-
ment caractéristique et individueUc.

§ IV. — Comparaison au point de vue du style et des procédés

de composition.

La même solennité de style (qui n'exclut cependant point la viva-

cité, même l'ironie, et comme une espèce d'humour de certaines


scènes du IV Évangile) se retrouve encore jdus tendue, comme on
pouvait s'y atiendre, dans les visions apocalyptiques. Une ressem-
blance encore plus significative, c'est que la composition des deux
écrits obéit aux formules d'un art très spécial, que nous pouvons
appeler I'art johaxmqi e.
Notons au préalable que la même agilité de pensée produit de

part et d'autre une pareille alternance, un semblable enchevêtrement


des temps des verbes, au cours d'un développement unique. Ce phé-
nomène n'est pas moins remarquable, par exemple, dans l'entretien
avec Nicodème [JoJi. m, 16-21 j, que dans FApocalypse vu, 9-19, ou
XI, 1-13, où nous montrons ailleurs que la précision des nuances,
et nonfimpéritie grammaticale, doit expliquer cet apparent désor-
dre. C'est aussi partout le même caractère synthétique, la mentalité
de l'Évangéliste portant à condenser, dans une notion générique
le

et sous une seule expression, des idées connexes qu'il développera


ensuite chacune sous son propre aspect. Or, c'est bien encore le
même principe qui commande la succession des péricopes, et toute

la marche du livre.

Le fondement de fart johannique est très hébraïque : c'est le


L'AUTEIH l)I- [/APOCALYPSE. 357

parallélisme continu. Ue même qu'un petit nombre de figures princi-


pales, les «symboles majeurs », cour céleste, Agneau, Dragon, Bêtes,
Femmes, relient entre eux les développements apocalyptiques les plus
disparates à première vue, ainsi, dans l'Évangile, deux ou trois idées
de très ample virtualité, lumière, vie, ténèbres, témoignage, tantôt'
expresses, tantôt latentes, font l'âme de toutes les narrations et de
tous les discours. La force et l'unité de conception du récit égalent
celles de l'Apocalypse, si elles ne les dépassent. Même goût des
répétitions, même jeu d'antithèses. Quand le parallélisme n'est pas
dans les mots de TÉvangile, — ou dans les symboles matériels de la
Révélation, — il n'en subsiste pas moins toujours dans l'idée. Tout
rÉvangile n'est que la lutte et le triomphe du Verbe à qui résiste le
monde des Ténèbres. Si l'Apocalypse tout entière, dans son eschato-
logie, n'a d'autre but que de faire voir, par des prophéties concrètes,
comment le seul Agneau, avec son Père, est devenu maître du « livre
scellé » des destinées (ch. iv-v), l'Évangile, lui, ne fait que justifier,
par des événements choisis dans la vie du Christ, les affirmations de
son Prologue, se ramenant à celle-ci qui, placée en tête» les résume
toutes « La lumière luit dans les ténèbres
: et les ténèbres ne Font —
pas arrêtée i, 5) (1). Ce dernier terme est au prétérit, -/.xts-
« [Joh.
Aacsv, parce que triomphe du Verbe a déjà été assuré par l'Incar-
le

nation, et la glorification de Jésus; de même l'Apocalypse représente


comme un événement passé la défaite essentielle du Dragon, due aux
mêmes causes (ch. xii), et dont les conséquences seulement se déve-
loppent à travers les âges.
La marche des deux livres offre le même genre de progression.
Ainsi le Prophète insiste sur les préparations (visions de vi,de xiv, etc.)
et ne décrit que brièvement le terme; la Parousie et le jugement
final (xi fin et x\) sont loin de se présenter avec le même luxe de
détails que tel ou tel fiéau historique. Semblablement l'Évangéliste,
qui s'est tant étendu sur le rôle du Précurseur, ne parlera du Baptême
du au Jourdain que par allusion (i, 32-33); après le long
Christ
discours sur l'Eucharistie au ch.. vi, il omettra à la dernière Cène
l'institution du sacrement, qui ne semble qu'obscurément indiquée
par les mots « Il les aima jusqu'au bout » (xiii, 1). Puis la progres-
:

sion va toujours du général au particulier. Par des considérations

(1) Car, d'après le parallèle de nous ne douions pas qu'il faille traduire xata/aix-
xii, 35,
fA-itvt par <
non par « coinprcndro ». Si les « ténèbres » sont
saisir, étouffer, arrêter », et
le Mal abstrait, il est évident quelles ne peuvent comprendre le Bien, se l'assimiler, mais

seulement lui céder la place en disparaissant; si elles signifient le monde livré au mal »,
rKvaniîile est justement l'histoire de cette délivrance virtuelle du monde, qui « comprend ».
3o8 lUJVUK HlHLlnl li.

plus abstraites ou [)lus universelles, l'Apôtro prépare le mol saisissant


ou souverain (pii va éclairei" et justilier ses spéculations préalables.

Tout ce qu'il a ilit de aux premiers versets du


l'activité ilii Loi^os

Prol<»i;ue alunitit au <> ». Dans le discours


Verbuin < aro l'actum est
après la multiplication dos pains, Jésus procède do même par appro-
clies successives, parlant de nourriture s[)irituelle on général avant

de dire Ma chair est véritablement une nourriture, etc. ». Dans


: -^

l'Apocalypse, les omboitcments » (1) ménagent des effets sembla-


'^

bles. Et il n'est pas jusqu'à la répétition des mots de valeur, qui sont

successivement prédicats d'une première phrase, puis sujets de l.i


suivante [Prul. \i'(z:, çcoç, etc.), qui n'oUre quelque analogie large
ii\cc ce procédé, puiscju'olle manifeste le môme besoin de mettre
toujours une idée en vedette avant d'en préciser le contenu. Toujours
l'auteur prépare, et d'assez loin, ses déclarations nettes, comme
r« autre Jean ses scènes capitales.
»

Jean intègre lentement sa pensée, il la donne d'abord en bloc,


puis il l'analyse, en variant à peine, ou pas du tout, ses expressions.
On dirait que l'Évangéliste n'a jamais épuisé ses concepts, tant ils
sont vastes, et ses moyens d'expression restreints ainsi les symboles ;

de lApocalypse servent facilement à plusieurs effets, qui varient avec


le contexte. Mais voici le rapprochement le plus curieux.
L'xVpocalypse, comme nous l'avons vu ailleurs, contient un genre
de développement très particulier, une espèce d'ordonnance « musi-
cale », des thèmes qui vont samplifiant comme en ondes, en volutes;
ce n'est qu'au bout de deux ou trois reprises que le sujet s'épanouit
dans toute son ampleur (2). On ne trouve guère de pareils exemples
en littérature, même dans les ouvrages rythmiques, composés de
strophes, à moins que ce ne soit chez certains prophètes bibliques,
comme dans la seconde partie du livre d'Isaïe. (^est un procédé
étranger au moins à tous les écrits non johanniques de N. T. Il con-
traste avec celui de Luc, qui, lorsqu'il introduit un personnage ou
un
sujet nouveau, se plait à épuiser d'un coup ce qu'il veut en dire.
Ailleurs, chez Paul Rinsi Bom. i, 16-17; m, 21-31), on trou-
comme
vera bien l'énoncé, le sommaire d'une thèse dans tous ses chefs, que
développera ensuite le corps de l'écrit. Mais ce procédé logique et
Elle re-
naturel, l'Apocalypse le systématise en séries rythmiques.
prend deux fois, trois fois une même idée, divisée en moments ou en
aspects qui reviennent toujours dans le môme ordre. En désignant

(1) Voir mon article de RB., octobre 1911.


1909.
(2) Nous avons étudié ce procédé à propos du chap, xu, RB., octobre
[/AUTEUR DE L'APOCALYPSE. 359

ces moments par des lettres, et leurs variations par des indices sura-
joutés, on pourrait figurer ainsi schématiquement ce procédé :

1" abc; — 2° a, bi c, — n" a„ b„ c„; le dernier groupe


étant toujours le plus développé, et les autres servant à le préparer.
C'est comme retentissement des volontés divines en marche, un
le

tonnerre dont les roulements partent, vagues ou assourdis, d'un


lointain liorizun, pour venir enfin éclater sur nos têtes. Or, malgré la
diversité du sujet et du but, on constate quelque chose de tout à fait

semJ>lablc dans le IV' Évangile,


Ainsi le Prologue contient trois idées : l'activité éternelle et pure-
ment divine du verbe divin; —
son action théandrique parmi les
hommes, dont il fait des fils de Dieu; la préparation de ses voies —
par Jean-Baptiste. Elles se succéderont à trois reprises, dans la dispo-
sition suivante :

1" a — Origine et activité divine du Verbe (i, 1-3), Dieu, éternel,


créateur;
b — 11 Lumière
est la et la Vie, qui (par l'Incarnation) ont
triomphé des ténèbres fr, 4-5);
c — Mission de Jean (i, 6-8).
Ta, — Le Verbe dans était le monde, qu'il a créé, et sur le point
d'y venir dune manière plus manifeste (v' ... IpyôiAsvsv...)

-(9-10"").

bj — Il est venu, a eu à lutter contre l'hostilité des siens, mais,


par une nouvelle naissance (Lumière du Baptême, Vie de
l'Eucharistie), a fait enfants de Dieu ceux qui l'ont reçu.
Il s'est fait chair, et nous avons vu sa gloire (10*^-14).

c, — Témoignage de Jean (15).


3° (Ici il y a interversion et entrelacement de a et b).
a* (b.) — Nous avons" tous reçu de sa plénitude, grâce pour
grâce, la Loi par l'intermédiaire de Moïse, la grâce
et la vérité par Jésus-Christ directement (16-17).
'(a.i) hi — Le unique qui
Fils dans sein du est le Pèi-e (a) nous

L'a connaîtrefait (b) (18).


Co — Témoignage détaillé de Jean (19-34), qui fait la tran-

au corps de l'Évangile.
sition
Et il faut remarquer que cet accord fondamental se prolonge à
travers tout l'Évangile Unité de Jésus avec le Père [passim).
: Lu- —
mière, seconde naissance. Vie (Nicodènie, Samaritaine, aveugle-né ;

— paralytique de Bethzatha, pain de vie, Lazare) témoignages (de ;



Jean, m, 22-36, auquel se joint celui des miracles, etc. passim).
Pour ne considérer qu'un seul autre passage, voyons la disposition
3C(» IIKM'I-: lUltl.lOUK.

(les juMiStcs dans le Miscours ajins la (amic (d'après 1 analyse donnée


par le conimcnfateur lleilniidler •l'i que nous résumons), 'l'ont loiile

autour de trois idées : W/nunir, la < itnsohtlion, ï unum.


1" a — Précepte de l'amour \in, 3V-35).
h — Jésus consolent siens de son dépari,
les eu les altiraul après
lui au Père, en revenant en cu\ et au milieu d'eux, en leur
envoyant l'Esprit (xiv, 1-31).
c — \.' union de' Jésus et des croyants, sous la ligure de la vigne
tt (les sarments (\v, 1-11);
12" a, — Connnimion (rameur des disciples entre eux, opposée à la
haine du monde (xv, 12-xvi, V).

h, — La consolation des disciples par l'Esprit, le Paraclet qui


viendra. Office du Saint-Esprit. Les disciples, après Jésus,
seront vaincjueurs du monde (xvi, 5-33).
c, — Prière sacerdotale, pour la consoinmation de l'unitr parfaite,
entre Dieti et le Christ et les croyants (xvii);
Nous pourrions apporter d'autres exemples ceux-là suffisent bien à ;

ce que nous voulions démontrer. Il y a, dans ce rythme ordinairement


ternaire des développements, et dans ces ondulations régulières, ces
accords et ces harmoniques, ce renforcement progressif de l'idée, une
loi qui est la formule même de V Art Johannique. La I''^ Kpître, si elle

est moins clairement ordonnée, en offre pourtant encore des traces fort
reconnaissables, avec ses refrains alternants sur la pureté des (ouvres,
la foi et l'amour. Et cette loi qui, à notre avis, caraclêrise absolument
ime personnalité littéraire, est appliquée également dans l'Apocalypse
et dans l'Évangile.

i; V. — Qiielfjîies autres traits personnels communs.

Est-il besoin d'en dire plus pour éclairer la question? Quels person-
nages, par exemple, étaient respectivement aux yeux des Églises
le Prophète et l'Évangéliste? Sur ce point encore, il est aisé de
relever des similitudes. Ni l'un ni l'autre ne se donne de titre hiérar-
chique ou officiel, tel qu'apàtrc. L'auteur de l'Évangile se tient dans
l'anonymat, et se désigne seulement à la troisième personne, comme
« que Jésus aimait »; dans la
le disciple Épître, il invoque seu- V
lement, toujours anonyme, sa qualité de témoin de la vie de Jésus;
dans les denx petites Lettres, il est 1'» Ancien » ou le « Vieillard » par

(1) Dans Die Schriften des Xeuen Testaments de .7. Weiss, II' Band, 3 Abschnitt,
pp. 283 et suivantes.
L'AUTELR DE L'APOCALYPSE. 301

excellence; dans lApocalypse, l'auteur se nomme bien, mais ne se


réclame d'aucun titre autre que « serviteur du Christ », et montre par
son récit qu'il est Prophète ». Ainsi, dans tous ces écrits^ l'auteur se
«

recommande, non d'une charge, mais d'une qualité personnelle, car


::psa8j-:£p:; même n'indique pas là une fonction hiérarchique. Cepen-

dant il est clair, comme nous l'établissons ailleurs, que le Prophète de


Patmos e.xerce sur les églises d'Asie une autorité incontestée, qu'il n'a
pas besoin de justifier, et qui assure la foi à sa Révélation; le
<(Presbytre » de la ///' Joh. parle de Diotréphès (qui, de l'avis commun,
est un chef ecclésiastique local), en supérieur qui a droit de blâmer,
de punir toute mauvaise volonté, et de réprimer toute résistance; dans
laT" Épitre, c'est un Père vénéré universellement qui s'adresse à ses
petits enfants, T£/.via. En tous ces écrits, le ton est bien le même :

celui d'un personnage d'un tel ascendant, que les Apôtres n'en avaient
pas davantage, .lacques non plus, ni Jude, ni Paul dans ses lettres les
plus intimes [Phi/ippiens, Plnlrtnon), ou dans celles qui furent écrites
avant qu'on eut commencé à contester son apostolat (/-// ThessaL),
ne se donnent leur titre le plus haut, sous lequel ils exerçaient leur
autorité. Ainsi l'auteur de l'Apocalypse pouvait bien être un apôtre
sans être obligé de le dire. Denys, parmi ses objections, insiste sur le
fait qu'il se nomme par son nom, ce que n'a point fait, dans l'Evangile
et l'Épitre, le fils de Zébédée; mais il était à Patmos, ses lecteurs sur

le continent, il leur écrivait pour la première fois sans doute, afin de


leur révéler des choses extraordinaires; il fallait bien que les Asiates
connussent avec toute la certitude possible de qui la lettre prophétique
émanait. Du moment qu'il s'y nomme Jean, tout simplement, c'est
qu'il n'y avait pas, vivant dans le même pays, d'autre Jean d'égçile
renommée et autorité, avec lequel on put le confondre. S'il était Jean
de Zébédée, aurait-il dû se désigner, au moins par allusion, comme
« le disciple que Jésus aimait »? Mais, devant la grandeur des secrets

célestes qui lui sont révélés sur le d'Homme^ » et l'a Agneau »,


u Fils

la vie terrestre du Christ ne lui apparaît plus que comme un commen-


cement, une enfance, ainsi qu'il ressorlira du commentaire du
chap. XII le Prophète s'oublie complètement lui-même, il s'abîme
;

dans son humilité, et, eùt-il été l'ami, se rappelle seulement c'est —
déjà un titre assez haut et assez rassurant qu'il est le « serviteur —
j>

de Celui qui lui est apparu dans sa majesté de « Hoi des Rois » et de
« Seigneur des Seigneurs » (cli. xix).

Rien, de ce chef, ne s'oppose donc à ce qu'il soit le même que l'Evan-


géliste et l'auteur des Épitres; tout contribue au contraire à faciliter

le rapprochement, leur effacement volontaire, leur autorité sur


362 UKM li lUlU.lOUE.

les nuMMOs t'i;list's d'Asie, leur assurance aussi iVnuc (pic modeste.
('oTuluons :

L'mi/cnr de /'.\/>o(a/i//)sc est bien le inrinc que relui <lr l'Eiuiin/ilr

et «/es l'Jpf'tres, c'est-n-flire saint Jean, fils Je Zébrdée.


La tradilion est uioraleuitMil uuaniiue A raflirmer; la critique in-
terne la couliiiue. Car la philologie, en dépit duu certain nondirc de
paitienlaiités divergentes dans la grauiniaire. et le vocabulaire sur-
tout, étahlit l'existonce langue .to/iannifjue
d'une « commune; la >

comparaison des doctrines (Loiros, points de vue synthétiques, trans-

cendance de l'eschatologie) révèle au moins une école de pensée


Johannique. La critique proprement littéraire nous mène plus loin;
elle nous fait découvrir une « i?nagination Johannique » sjjontanée,

et un « art Joliannique » réfléchi, tellement uns, tellement person-

nels, qu'elle achève de rendre tout à lait invraisemhlahlc Tattrihu-


tion des divers écrits jolianniqucs à deux homonymes. A Tanivre on
connaît l'ouvrier; cet ouvrier est unique, c'est celui que la tradition
a désigné toujours, quand des préjugés doctrinaux ne la faisaient pas
dévier de la ligne antique.
Cependant, l'identité d'auteur une fois reconnue, il reste encore un
gros problème à résoudre. Le groupe de l'Évangile et des Épitres
montre un art beaucoup plus avancé dans la même ligne, et beaucoup
plus sûr de lui-même, que n'est celui de l'Apocalypse. Si le même
genre de symbolisme l'imprègne, il y demeure beaucoup plus discret,
et même dissimulé; ainsi, malgré ses septénaires, l'Évangéliste n'écrit
pas une seule fois le mot
l'ordonnance est analogue, elle y
ïr.-y.. Si
est beaucoup plus difficile à reconnaître, car le parallélisme, qui y
régit à peu près toutes les idées, s'étale moins dans la forme exté-
rieure. Les deux écrits sont profondément réfléchis, calculés, dans
leurs moindres détails d'expression et de structure. Mais l'Évangib*
est bien plus soigné au point de vue de la composition; les éléments
divers y sont intimement fondus et unifiés (1), tandis que dans l'Apo-
calypse il reste des désordres apparents, des juxtapositions matérielles
qui donnent une impression de heurté. Et ce n'est pas là encore le
principal la langue, malgré son individualité « johannique » con-
:

(1) Cependant toule imperfeclioa accidentelle n'est pas absente du


groupement des
matériaux évangéliques. Ainsi le « Surgite, eamus hinc », qui clôt le chap. xi\, ne paraît
pas être à sa place; il est difficile d'imaginer que la « Prière sacerdotale » ait été pro-
noncée, non au Cénacle, mais dans la marche au mont des Oliviers (voir Lepin, Val.
hist., II, p. 100). L evangéliste, comme le Prophète, a donc pu quelquefois négliger la
systématisation complète d un récit ou d'un discours, en y laissant des traits que lui rap-
pelaient les associations de ses souvenirs, sans les adapter à la disposition générale du
contexte.
L'ALÏEUK DE L'APOCALYPSE. 363

parvenue à un état beaucoup plus parfait de bonne grécité


tiniie, est

dans l'Kvangile et les Epitres.


Plusieurs des critiques qui attribuent le tout à un seul Jean ont
une tendance à résoudre ce problème en mettant un long- inte>rvalle
de temps entre l'exil à Patmos et la rédaction de iKvangile à Éphèse;
ainsi l'Apôtre aurait eu le loisir de se familiariser avec l'usage du grec,
et de perfectionner ses moyens littéraires. U nous faut donc étudier
une question qui est solidaire de la précédente celle de la date de :

C Apocalypse. Nous ne pourrons donner qu'après ce travail notre solu-


tion complète.

Datk de composition i»e l'Apocalypse. — L'Apôtre nous apprend


lui-même qu'il a eu sa Kévélation dans l'île de Patmos (i, 9). Tout
porte à croire qu'il y rédigea son Apocalypse, et l'envoya aux* églises
avant de les revoir lui-même. La raison de ce séjour à Patmos, c'est,
pour toute la tradition, une déportation ou un exil; et cela ressort
avec clarté, quoi qu'en dise Bousset, des termes £Ysvô[;.r,v iv ... \\y.-\}M

ctà Tbv Asycv tcj Oîcj /.'jX tt.v ;j.ap-:u p-'av 'r^j^oO. A quelle époque
de la vie de Jean placer ces événements?
Justin n'a rien dit du lieu, des circonstances, ni de la date de
l'Apocalypse. Mais Irénée, qui devait être bien renseigné, a un texte
formel sur l'époque [Vont. haer. v, 30), à propos du chiffre de la
Bête et du nom de l'Antéchrist :

'H[j,£Î? ouv eux à';ro7.tvoBV£'js[j.£v xsp'. Tou ovi[j,aTOç TCO 'AvTi)rp(ff-3J àxoçat-
v£[^.£v;t '^=iy.\.{ii':\yXùq. Et yàp Bs'. àvaçavocv tm vîiv -/.aipo) /.•/jp-J-rTîcJÔx'. rouvot'.a

aù-cu, ot' èy.ôtvcu av àppsOr, tsj y.a'. tyjv '


Axcv.x A'j -V.v £0)pa-/.STOç.
Oùc£ Yijk-rrpb xoa). ou -/pivsj scopàÔY; , à a Xi ^-/eBsv \r.\ -f^c, •q[>.ZTépxq

Y£V£aç ~pbç To) xzKei ~r,: A o jxîTiav :o àpyf,ç. « ... S'il eût lallu
ouvertement de notre temps proclamer son nom (de l'Antéchrist),
// etU été dit par celui-là même qui a vu V Apoccdypse. Car il n'y a pas

si longtemps qu'elle a été vue, mais presque en notre génération, vers

la fin du règne de Domitien ». Le traducteur latin d'irénée a rendu

le mot àoipâOr, par « vision est » au neutre, et non par « visa est »,
féminin, (^est qu'il rapporte sans doute ce verbe à la < Bète », Or^pic-'/ (1),
ce que permettait à la rigueur le contexte. L'affirmation n'en perd
rien de sa force. Il est vrai que quelques auteurs, notamment le //. F.

(1) Cf. J. BovoN, L hypothèse de M. lischer sur l origine de l Apocalypse. Revue de


théologie et de philosophie, Lausanne, 1887; cité par Sandav, dans son édition de Hort,
.The Apocalypse of John, p. 42.
Ml HEvn-: liiiujori:.

H. Chn^p, évùque aui;li< an il'Kly, vciileut faire se lajtpoi'lor ètofiàOï;,

iinii pas à robjot (le la vision, niais à Jean lui-mùme : Irénéo dirait
tout simplement i\u(>ii d pu mir .hum, c'est-à-dire ([uc Jean a vécu,
jusqu'à 1(1 fin du i-rf/nr de Douiiticu: ainsi il n'aiïirmerait rien ton-

chant la date de l'Apocalypse. Kt, en cilet, les défenseurs de cette ((

idée ont fait remarquer cpie l'expression avftir vu Jean, dans le sens
de (ivoir connu .Iran, est familière à Irénéc » (Bovon). Mais, comme
l'dbjet de ïmzt/.z-z: est l'Apocalypse, Irénée aurait été singulièrement
négligent en fait de style, s'il avait donné un antre objet au même
verbe ÏMpiOr,. qui n'en est séparé que par cinq mots. Kn outre, — et
ceci est décisif, me semble, —
Irénée, s'il avait voulu parler seu-
il

lement de mort relativement récente de Jean, n'aurait pas écrit


la
tpi'il « a été vu jusque vers la lin du règne de Domitien », puis(]u'il

dit expressément ailleurs qu'il a vécu encore plus tard, Jusque sous
Trajan Cont. haer. ii, 2-2: m, 3) (1).
Ainsi, d'après le témoignage le plus ancien, lequel est de toute
première valeur, et sans ambiguïté, c'est sous Domitien (2) que Jean a
contemplé l'Apocalypse.
Des témoignages plus complets se produisent au iv'' siècle. Victorin
de Pettau, dans son Commentaire, dit que Jean fut condamné par
Domitien aux mines, à Patmos, assertion répétée par le commenta-
teur Primasim. Eusèbe (H. E. 111, xx, 9), parlant de l'abolition des
actes de Domitien sous son successeur Nerva, dit que, d'après la tra-
dition, c'est alors que l'apôtre Jean quitta l'île pour Éphèse : Tb-t
s-/; cùv y.x: tcv a-iiTTc'/.cv lojâvvr^v x-o ~f,q y.yr.y. ty;v vv;7:v ^.»Y?i? tt^v Ïtj. ~f^:^

Esî'g-ov staTp'.6-J;v à-ciÀTjÇc'vj:'. 6 tcov r.y.^ -qj.v/ y.p'/y.'Mr/ ::apaoioo)ai \ô^(Oz.


Eusèbe parle avec une certaine réserve ( « le dire des anciens de chez
nous !, bien naturelle à qui doutait comme lui de l'apostolicité de
l'Apocalypse, que cette tradition confirmait. Mais r^ç v.at» Tr/v v?;!7cv
çjY^ç signifie, non une fuite volontaire dans une île quelconque
(-r,v ^rf;7C'K « file », Eusèbe évite peut-être intentionnellement de
nommer Patmos, à cause de l'Apocalypse, sur laquelle
il n'entend

pas discuter en cet endroit/, mais bien d'un exil imposé suivant le sens
ordinaire de çuvy; chez les Stoïciens; car, dans la Démonstralion
èvangélique, m, 5, le même historien rapproche ce séjour forcé dans
une ile du supplice de Pierre et de Paul llÉTp^ç oè : -/.-A ï~\ 'P(.')[;.y;ç

(1) Cf. Chase, The date of the Apocalypxe ; the évidence of Irenaexm. The Journal of
theological Sludies, p. 431, Londres. 1!»07.

(2) Ce récit se trouvait-il originairement dans les du " Actes de Jean » i^nostiques
ir siècle? Alors il faudra supposer une lacune dans où un tel le ch. 113 de ces Acta,
martyre aurait dû être mentionné (Voir Hennecke, Neuteslamentliche Apocryphen, p. 429).
L'AUTELR DK L'APOCALYPSE. 365

•/.aTa y.ssjcAYjç G-x'jpo'j-w., llajA;ç te 3:7:;-:£;xv£-:a'.. Io)7.vvr;ç tî vy;7(;) r.xpy-

oi^o-y.'.. dans sa Chronù/ite, il place le bannissement


Kt, qui plus est,

à Patmos et la composition de rApocalypso à la quatorzième année


du règne de Domitien (94 ou 95).
S. Ji'rùmr a copié ces données dans le De Viris iUustribus, 9 :

persécution de Domitien en sa quatorzième année, relégation dans


Tile de Patmos, rescision des actes de Domitien par le Sénat, retoui-
de Jean à Éphèse sous Nerva. Le grand exégète parle encore de l'Apo-
calypse, avec le temps, le lieu, et l'exil par ordre de Domitien, dans
son I" livre Contre Jovinien, 2G. Le témoignage de Sulpice-Sévère
[Chrou. II, 31) est concordant. Puis les écrivains ecclésiastiques
suivent Eusèbe et Jérôme.
L'ensemble de la tradition, quant au lieu, à l'occasion et à la date,

parait donc solide. Entre Irénée et Eusèbe, l'exil de Jean à Patmos


est confirmé par Clément d'Alexandrie et Origène [Clém. AL Ti'ç 5
c7io':ô[;.£v=ç 'zKo'j'sizz. 42; Orig. Comm. sur le texte de Mat. xx, 22 seq.).

Le premier parle du départ de l'Apôtre pour Éphèse « après la mort


du tvran », -z\> Tjpâvvcj -fAsjrT^szv:;; le second, de la condamnation
;

portée, d'après la tradition, par « l'empereur des Romains », 6 oï

'Po);j.auov (Saj'.AcJç, wç r; Tcapzocstç O'.oâsy.c'., y.a-Éo'.y.xTE {vid. Slipra). Ni l'un


ni l'autre, toutefois, ne nomme Domitien; mais, d'après Clément, qui
raconte tout de suite après la touchante histoire de la conversion du
jeune brigand opérée par Jean dans sa vieillesse (tôv vlocv^a), il semble
que cet exil a dû avoir lieu dans les dernières années du i*"' siècle.

Mais au souvenir de mêle un autre récit qui, s'il parait


l'exil se

d'abord compléter la tradition, complique l'état du problème, celui


du martyre effectif que Jean aurait subi, pour y échapper d'ailleurs
miraculeusement. Nous n'avons pas à en discuter ici la valeur his-
torique, mais seulement à voir en quel rapport il se trouve avec la
tradition de l'exil à Patmos sous Domitien. Tertullien [De Praescrip-
tione haereticorum, 3G) en fait mention le premier « Ista quam felix :

ecclesia (i. e. romana)... ubi Petrus passioni dominicae adaequa-


tur, ubi Paulus Johannis exitu coronatur, ubi Aposlolus Johannes,
•posteaquam in oleum igneum demersus nihil passus est, in insulatn
relegalur! » Tertullien place bien semble en
la scène à Rome, et

indiquer la relégation dans une île comme une conséquence; il ne


dit pas sous quel empereur, et le rapprochement avec les martyres
de Pierre et de Paul pourrait porter à croire que le tout eût eu lieu
sous Néron (1). S. Jrrôme, dans le passage indiqué de I Cont. Jovi/t.,

(1) « AoDiAS » (vr siècle, aucune autorité} attribue les faits au proconsul d'Éphèse.
366 KKVIK nilU.IOLi:

lecture est douteuse, mais où la i)lui);ul des manus-


a un texte doiit la
llcleit autem Tcrtnllianus quod Komar
crits mentionnent Néron u :

(ailleurs o iVmmt') missus in IVncntis olei dolinm-i)urior et vegetior

quam iutraverit .; (1;. iMus tard, la version syriaque de


exiverit
Uévélation cpii a été
Dieu s'intitulera
l'Apocalypse éditée parL. de :

lile de Patmos, dans laquelle


faite à .têaii l'Évangéliste par Dieu dans
// fut jctrjmr Nrron Ccsar ». Les
Acfcs de Jean » {\f siècle) pla-
.<

caieut déjc\ le séjour à Kphèse, et l'exil, au temps


de Nérou; le Canon
prédécesseur de Paul >.,
de Muratori lui-même, en nommant Jean « le
allusion aux cliap. ii
le désigne ainsi à titre d'auteur de sept lettres,
Paulns sequens prodc-
et md'Apoc. u Cum ipse beatus apostulns
:

cessuris sais Johannis ordinr domcnatï sempLv eccleses sert-


non nisi

bat ». Il faut donc croire qu'une tradition secondaire, mêlée de traits


léiiendaires, plac.ait les visions de l'Apocalypse,
non sous Domitien,
mais sous Néron, .lean les eut rédigées au pins tard, en ce cas, durant
r Interrègne ou sous Vespasien.
l'Apoca-
Enfin S. Épiphane a une assertion étonnante. Selon
lui,

lypse eût été écrite sous l'empereur Claude mort en — 5V, avant

que Paul eût évaugélisé Éphèse! Dans son Panarion (i.i, 12 et 33),
il avance que Jean revint de Patmos sous Claude César, et un certain

nombre d'années plus tard i

-/.avic 'érr;), fut contraint par l'Esprit de


composer l'Évangile, à l'âge de 90 ans; plus loin, il parle de l'Apo-

calypse comme d'une prophétie sortie de la bouche de Jean r.fo


y.oai..ïl7so,.: aÙTOj,
« avant sa mort », l'Apôtre ayant prophétisé aux

temps de Claude César, et déjà auparavant, quand il était dans


l'île

de Patmos. Que peuvent vouloir dire ces textes? Est-ce pure confu-

sion ou distraction de l'érudit embrouillé qu'était Épiphane?


Aurait-
la vie de Jean, qui a dépassé
il pensé que Claude régnait à la fin de

les quatre-vingt-dix ans? Ou bien y a-t-il eu corruption de texte?


L'écrivain a-t-il de Claude César? ([Nero]
appelé Néron du nom
Claudius Caesar). En dont la deuxième semble
tout cas, ces assertions,
contredire la première, ne méritent pas la discussion. Claude n'a

jamais eu affaire à Jean, à moins qu'on ne suppose très gratuitement


que l'Apùtre, se trouvant à Rome vers l'an 50, n'en eût été expulsé

avec ou encore que, Jean ayant été martyrise


les Juifs (Act. xviii, 2) ;

avec son frère Jacques par Hérode Agrippa, sous Claude, vers 43, le
souvenir confus de cet événement se fût combiné avec l'autre tra-
dition, celle de son exil. Mais cette hypothèse du martyre de Jean
en Palestine est artificielle, pour ne pas dire absurde, et va contre

(1) Voir ent-ore Jérôme, comm. sur MaUb'ieu, x\, 23.


I/AUTELIK DE LAPOCALVPSE. 367

tout ce qui est le mieux étal)li dans la controverse Johannique (1).


En fin de compte, il faut choisir, pour lexil à Patnios, entre l'époque
de Néron et celle de Doraitien. Le texte formel d'irénée, et l'autorité
d'Eusèbe etJérôme, témoins critiques des plus anciennes tradi-
de S.

tions, font certainement pencher la balance du coté du second. De


plus, il n'est pas très sur que TertuUien ait voulu mettre en relation
chronologique étroite le martyre à la Porte Latine et le bannissement
dans une ile; ces deux faits, à l'origine, pouvaient être regardés
comme indépendants, et assignés à difleVentes époques. Mais la cri-

tiqueinterne décidera peut-être; voyons quel temps convient le


mieux aux conditions historiques indiquées par l'Apocalypse elle-
même.
Il faut considérer avant tout ce que nous apprennent les Sept
Lettres, car elles font corps avec le reste du livre; les parties pro-
phétiques n'ont certainement pas été publiées, antérieurement, et,
même au cas très. douteux où elles se seraient inspirées de visions
johanniques plus anciennes, nous établirons qu'elles auraient alors
été ramenées aux perspectives de Patmos. Or, lorsque .lean écrivit
les Lettres, certaines conditions sont faciles à constater.
Le pcTÏl judaïsa?it était déjà oublié, puisqu'il n'y est passait une
seule allusion; les Juifs n'étaient plus que des ennemis du dehors,
comme les païens. —
Ceux-ci avaient certainement co^mnencé déjà
leurs persécutions sanglantes, au moins à Pergatue (m'iriyre d'An-
tipes); le 5° sceau du ch. vi, ainsi que la description de Rome, « ivre
du sang des martyrs » (xvii, 6), montre qu'il y avait eu beaucoup de
morts violentes, mais sans déterminer si l'Asie aussi en avait été le
théâtre. Ces faits semblent appartenir au passé, en général; et plu-
sieurs églises, Laodicée, Sardes, se sont relâchées de leur ferveur
primitive, pour des raisons intérieures, semble-t-il, plutôt encore qu'à
cause des menaces du dehors; attendu que les lettres, si elles sup-
posent des vexations actuelles de la part des Juifs et des païens,
n'indiquent pas que les chrétiens, d'une façon légale et générale,
soient déjà mis en demeure de renoncer à leur foi, quoique ce soit
bien l'Évangile, « la parole de Dieu et le témoignage de Jésus », qUi
ait été cause de l'exil du Prophète. Celui-ci prévoit seulement que des

accusations juridiques sont imminentes à Smyrne (ii, 10) et qu'une


grande tentation (7:£'.pxcT;xôç, m, 10) va fondre sur le monde entier, il
est facile, par la comparaison avec le ch. xiii, de déterminer le carac-

(I) Celte date du règne de Claude se retrouve chez les commentateurs Apringius {sv s.),

'/Alllig (1834-1840). — Grotius l'admettait seulement pour la partie des prophéties censée
relative aux Juifs.
•MH REVl'K Mir.l.inri-

tère g-énéral tic ce -svpajtjiç. do cette OXî'I/t; : ce sera le conimuiide-


ment d'adorer la lU-te. c'est-.'t-dii'e (juc la généralisation du cuUc
impérial apparaît comme nii danger effroyable à l'horizon prophé-
tique; mais rien n'indique qu'il ait déjà fondu sur les fidèles. En
résumé, il y a eu déjà nue persécution sanglante et terrible, en Asie
ou ailleurs; elle a cessé ou s'est adoucie, au point que les Églises n'y
pensent plus assez, mais elle reprendra plus fjrave que jamais et
n'épari;nei'a pas les Asiatiques la lîéte qui était n'est plus, mais doit
:

remonter de l'Abîme (xvii. S. cf. 11), pour avoir sa Parousie


[-XpÛd'OC'.).

Knfin, l'auteur parait s'être servi, pour son symbolisme, de la

croyance populaire au retour de Néron (xiii et xvin. In dernier trait,


à rappeler il connaît à fond l'état matériel et moral des cités d'Asie,
:

et fait des allusions à leur histoire; pourtant il n'en a pas une au


fameux tremblement de terre de Laodicée, en l'an 60, rapporté par
Tacite.
Les critiques qui tiennent pour une date antérieure à 70 font valoir
comme arguments le calcul des tètes de la Béte (xvii), le chiffre de
son nom (xiii, 8), la vive préoccupation du retour de Néron, qui ferait

supposer que sa chute est récente, le ch. xi qui indiquerait que le


temple de Jérusalem existe encore. Mais leurs interprétations, ou bien
sont trop exclusives et « zcitgeschichtlich », ou bien ne tiennent pas
assezcompte du caractère allégorique de tout*cela. On pourrait aussi
faire valoir plusieurs de ces traits en sens contraire, et on l'a fait.
Nous n'insisterons pas sur ces points-là dans notre enquête; Hort (1),
qui penche personnellement vers la date la plus ancienne, garde au
moins une réserve que ne connaît pas l'imagination subjectiviste des
critiques germaniques et de leurs imitateurs, et concède cjue tous
ces passages n'ont pas une valeur bien déterminante dans la question
débattue'. Il faut, en effet, les mterpréter par ce qui est plus clair,
notamment par les Lettres, ce que nous ferons.
Quel temps, d'après l'histoire générale, convient donc le mieux aux
conditions énoncées? Est-ce celui qui va des dernières années de Xéron
aux premières de Vespasien, de 6V à 70, ou bien la fin de la dynastie
ilavienne, à partir de la quatorzième année de Domitien (9'»-96)?
La persécution néronienne qui se déchaîna à Rome, en 64, comme
un ouragan, est assez connue. Elle fit beaucoup de victimes, et ne
cessa pas complètement avant la mort de l'empereur, puisque Pierre

(1) Tlie Apocalijp»e of S. John i-iii (conférences de 1879, édité par Sanday en 1908,

Londres).
LAITELR DE L'APOCAl.YPSt). 369

et Paul, suivant la (radition, subirent le martyre en l'an 67 (1). Mais


ou ne peut savoir avec certitude, faute de documents, si elle gagna les
provinces. Panl Allard le croit, s'appuyant sur ce que les chrétiens
(d'après Suétone, Nero, 16) étaient considérés comme des hommes
« d'une superstition nouvelle et malfaisante », ce qui rendait naturel
de les pourchasser partout; de plus, la I'" Épitre de saint Pierre,
envoyée de Rome vers cette époque aux chrétiens d'Asie, montre que
ceux-ci étaient déjà persécutés pour leur nom. Nous ne croyons pas
que cette induction s'impose; le chef des Apôtres, selon nous, pressen-
tant très justement, au spectacle de la haine populaire, que des
violences allaient bientôt éclater à Rome (-/.aipsc ~z\> xplx-yO-jci -l Y,p'.\).x

à-b -zj cî'y.oj Tcj ()toj, I seulement mettre en garde


Pet. iv, 17), voulut
ses lointains lecteurs contre un pareil sort; du moins on ne peut du
texte conclure davantage. Mais l'exemple de Rome, le renom
qu'avaient les fidèles d'être « ennemis du genre humain » et adonnés
à une superstition malfaisante » {Tacite et Suétone), rendent fort
((

vraisemblable que, dans les provinces aussi, leur sort s'aggrava


depuis Néron, et que l'autorité ou la populace firent au moins quel-
ques martyrs isolés. Tertullien [Adv. Nationes, i, 7) dit que « per-
mansit, erasis omnibus, hoc solum instilutum neronianum ». En
somme, on en est réduit aux conjectures [-1).
Après une période de tranquillité relative, il est certain que la
persécution reprit à Rome sous Domitien, ce « morceau de Néron pour
la cruauté ». Mais nous savons peu de chose sur ses vrais motifs, et
surtout sur son extension. Méliton (Eus. H. E. IV, xxvi, 9), Tertullien
[ApoL 5), Lactance [De morte persec.
3), Eusèbe {H. E. III, xviii),
Sulpice-Sévère [Chronique, if, 31) et Orose (vu, 10) rangent Domitien
parmi les persécuteurs. D'ailleurs, nous avons la lettre de Clément de
Rome (96), qui parle (ch. i) « des malheurs, des catastrophes qui nous
sont survenus à l'improviste et l'un sur l'autre », ce qui est une
allusion assez claire. Dion Cassius (Xiphilin), lxvii, li, confirmé par
Suétone, a parlé de la mort des consulaires Flavius Clemens et Acilius
(ilabrio, lesquels étaient accusés d'athéisme (àO£2r/)ç) et de u vivre .à la
juive », le deuxième d'être un « molitor novarum rerum » (Suétone,
Domitien, 15). Kion Cassius (lxvhi, 1) nous apprend encore que

(1 Si toutefois la tradition a raison en plaçant le martyre des deux grands apôtres la


même année, ce qui n'est pas l'avis de
Duchesne, ni de plusieurs autres.
M-""

{1) En dehors d Allard, d'autres historiens sont convaincus que la religion chrétienne

a été prohibée comme telle déjà sous Néron, dès quelle fut distinguée nettement du ju-
daïsme Batiffol, RB.> 1894, pp. 503-521, « L'Église naissante et le Catliolicisme »,
ch. i-ii. —
Callewaerï, Rev. d'iiist. eccl. de Louvain, 1901 et 1902, et Revue des Ques-
lions historiques, 1903 et 1904. —A. d'Alès, Théologie de Tertullien, pp. 381, 388 (1905).
HEME niIÎLIQlE 1917. — N. S., T. XIV. 24
;nO REVUE RIHl.lOl'E.

Norvii lit cesser les poursuites conti'e ceux (|ui riaient accusés
d'impit'té (àjecsia), rappeler les bannis, et qu'il déiVndit aux esclaves-
et aux de dÔDoncor personne pour « im|»iét6 et vie à la
alTraiicliis

juive ". Ces deux termes d athéisme et d'impiété, rapj)rochés éj^ale-


ment de l'accusation de judaïser, doivent s'équivaloir. Mais, comme la
religion juive, en soi, n'était pas considérée comme un athéisme, et
qu'il est certain, par ailleurs, que la famille de Havius Clemens (les
deux Uomitilla), et aussi des membres de le Gens Acilia (qui
donnèrent aux chrétiens une calacombe), avaient embrassé la f<"i,
« mœurs juives » ne peut signitier, pour ces personnages, que

« christianisme » (l). D'après Dion Gassius, beaucoup d'autres que

ces illustres patriciens furent punis pour le môme crime (lwii, V),
Emrbe, dans sa (^ironique [ad aiimcm Abrahami 2110), affiime,
d'après un certain chronographc païen, Hrvittius, que beaucoup de
chrétiens souifrirent pour leur foi en la quinzième année de Domiticn.
On ne peut donc affirmer que la persécution se borna à l'aristocratie
chrétienne, ni à la ville de Rome. Toutefois, on n'a pas de jircuves
non en dehors de l'Apocalypse elle-même, qu'elle ait sévi
plus,
jusqu'en Asie Mineure il ne faut pas invoquer à cet effet le témoignage
;

du ch. \ui, car la mise hors la loi des fidèles qui refuseront d'adorer
la Béte, ou de pratiquer le culte impérial, se rapporte à l'avenir
plus qu'au présent (2). Il que Domitien a
faut pourtant se rappeler

fait des efforts reconnu


pour dieu
être de son vivant, quand il se
faisait appeler par sa chancellerie « dominus et deus noster » dans ;

l'Asie servile, ces tentatives auraient pu avoir un succès particulier,

et éveiller ainsi les vues prophétiques de saint Jean, qui n'en demeu-
raient pas moins prophétiques.
C'est bien là un argument d'un certain poids en faveur de l'époque
de Domitien. De même, s'il a paru un faux Néron dès l'an 69, ce n'est
qu'une vingtaine d'années plus tard, à partir de l'an 88 et jusque sous
Trajan, que limagination populaire s'est préocupée vivement de son
retour d'au delà de l'Euphrate, à la tête de l'armée des Parthes; on le
verrait au commentaire du ch. xvii. Il est peu probable qu'aux débuts
de Vespasien légende eût déjà pris cette forme et cette consistance.
la

En outre, la mention du Temple au ch. xi n'indique pas que Jérusa-

[V Voir Pall Allard, Le Christianisme et l'Empire romain de Néron à Théodose,

p. 20, 8' édit., 1908.


(2) Une tradition martyr de Pergame (Apoc. ii, 13), était évèque de celte
dit ({a'Antipas,

ville, et qu'il fut brûlé dans un taureau d'airain, sous Domitien [Métaphrasle, Bollan-
distes, 11 aTril). — André de Césarée dit avoir lu ses Actes; Tertuliien, Scorpiace, 12,
répète simplement les mots de l'Apocalypse.
i;alteur de l'apocalypsk. 371

lem un Temple idéal, image de l'Église


fût encore debout, car c'est
;

quant à la « 6' tète », cet empereur contemporain ne


ch. xvii, 5,
devrait être Vespasien que si l'on ajoute foi au calcul pénible qui
compte les têtes à partir d'Auguste, tandis qu'il est bien plus en
situation de faire coïncider la montée de la Bête à sept têtes avec le
commencement des persécutions romaines. Mais il y a des arguments
encore plus décisifs à mon avis :

1" Tout d'abord, indiquée par les Lettres (rapprochées


la situation
du 5^ sceau, etc., voir s'accorde mieux avec la fin de la
ci-dessus)
dynastie ilavienne. Elles supposent le soutenir, non l'actualité, d'une
persécution sanglante, suivie d'un apaisement relatif, que de nou-
velles menaces viennent troubler, menaces qui font présag-er à un
prophète de Dieu le terrible danger du culte impérial. La persécution,
qui n'a peut-être jamais entièrement cessé, a déjà un réveil, puis-
que Jean a Patmos, et que bientôt des Smyrniotes vont
été exilé à
être incarcérés: cependant elle ne parait encore ni très systématique
ni très sanglante, du moins en Asie. —
Or, la seconde persécution,
sur laquelle on est si peu documenté, semble avoir eu ce caractère-là,
tout en précisant mieux qu'au temps de Néron les griefs religieux
soulevés contre les chrétiens, et en faisant naître de plus sombres
perspectives encore, en raison de l'ambition divine affichée déjà
par l'empereur.
2" Certains traits relatifs à l'histoire locale portent à conclure dans
le même sens. Nous ne grand fond sur l'article de Salomon
faisons pas
Reinach [Revue arche'oioffique, 1901, nov.-déc, et Cultes, mythes et
religions. II, p. 356-380), qui découvre un rapport explicite entre le
3'' cavalier du ch. vi et les décrets de Domitien à propos 'de la
mévente des vins en l'atf 93. Mais, si l'Apocalypse eût été écrite
quelques années seulement après l'an 60, saint Jean, dans sa lettre
menaçante à Laodicée, n'aurait sans doute pas manqué de faire
allusion au tremblement de terre qui renversa la ville à cette date;
il avait dû s'écouler assez de temps pour que les insouciants Laodi-

céens eussent oublié la catastrophe.


Enhn, nous concédons bien que les sept églises d'Asie pouvaient
3"

exister toutes vers la findu règne de Néron. Quand Paul avait évan-
gélisé Éphèse pendant trois années, le christianisme s'était répandu
dans toute la province [Act. xix, 10 et Ép. aux Colossie?is). Mais les
Lettres montrent bien que ces églises ont un assez long passé derrière
elles pour que la charité et la foi y aient perdu de leur première
fraîcheur, et beaucoup plus, semble-t-il, qu'au temps des Épitres de
la captivité et des Pastorales. Saint Jean connaît à fond ces églises :
;r2 lŒvi'K iniu.ini i:.

il a cIdiic dû les IVéquentoi* un coilain nombre d'années. Or, quand


Jean a-t-il pu coniinoiuer son uunislère à Kphèse? Ce n'est toujours
pas avant 07; jus(jue-là Paul, puis Tiuiothée, avaient été les apôtres
et les chefs religieux de l'Asie, et Ion n'admettra guère »ju'un des

Douze ait travaillé à eôté d'eux. Saint Jean n'a pu s'établir en Asie
qu'après la mort de l'Apôtre des C.entils. Comme, dans ses Lettres,
il montre très familiarisé avec l'esprit et l'histoire de chaiiue ville,
se
on concédera bien qu'il lui avait fallu, pour en arriver lA, un certain
nombre d'années d'expérience, et cela nous éloigne assez du temps
de la mort de saint Paul, qui précéda peu celle de iNéron.
Aussi croyons-nous que la critique interne corrol>ore le témoignage
dirénée et la tradition commune; que, par conséquent,
l'exil à Pat-
mos composition de l'Àpocali/pse eurent lieu au cours des deux
et la

dernières années de Doinitien.

S'il en problème de la distance qui sépare l'Apocalypse


est ainsi, le
et l'Évangile,au point de vue de la grécité, devient vraiment ardu.
Car on ne saurait mettre au maxiiuum qu'une dizaine d'années entre
les deux ouvrages. Il faut renoncer à l'hypothèse d'un long inter-
valle qui eût permis à l'auteur, entre deux époques de sa vie, de
perfectionner sa connaissance du grec; c'était la solution, hélas! la
plus commode. xMais si saint Jean, en 95, ne savait pas encore bien
manier cette langue, après un séjour déjà long dans des villes où on
ne parlait quelle, ce n'est pas en quelques années de plus, à son
âge,' qu'il pouvait perfectionner beaucoup ses connaissances linguis-
tiques. Ceux-là ne me contrediront pas qui connaissent les milieux
bilingues ou polyglottes.
Mais d'autres solutions demeurent. Nous pouvons en imaginer deux.
L'une est que saint Jean n'aurait pas su beaucoup mieux la gram-
maire grecque quand il composa l'Évangile et les Épîtres qu'au temps
où il décrivit ses visions. Seulement, vivant désormais tranquille à
Ephèse, il y eût trouvé, ce qui lui manquait à Patmos, un secrétaire

dont calame eût corrigé les principales incorrections sortant de


le

la bouche du maître qui faisait la dictée. Ainsi la l' Pétri a été écrite
élégamment par Sylvanus. Cette solution n'a rien d'artilîciel, étant
donné les usages de l'époque. Plusieurs auteurs l'indiquent aujour-
d'hui comme une possibilité. Ainsi Swete [The Apocalypse 0/ Saint
John, CLXxxui-CLXxxiv) « Early tradition explicitly states that the
:

Cospel was written from dictation, and underwent some kind of revi-
LAITEUR DE I/APOCALYI'SE. 373

sion at the hands of those who received it », et il cite le prologue


du Codex Toletanus et un anonyme grec de la Catena de Corderius
qui nomment tous deux Papias lui-même comme ce secrétaire. Moul-
ton croirait, pour sa part, à une dualité d'auteurs; pourtant il pose
cette alternative,au cas où l'écrivain serait unique « Ou bien il :

nous faudra accepter pour l'Apocalypse la date la plus ancienne;..,


ou bien admettre que quelqu'un (mettons Fauteur de Joh. xxi, 2i)
a corrigé pour lui sa grammaire tout le long de l'Évangile » (Inirod.
à la langue du N. T., ch. i, Apocabjpsp, note). Jacquier [H. L.
N. ?'., IV, p. 18) : « Peut-être les deux écrits n'ont pas été rédigés
par le même secrétaire, auquel il faudrait attribuer une certaine
influence dans la facture du style ». Radermacher [Neutest Gram-
matik, 183 A i, avec faveur par Meinertz, Einleitiing, p.
cité 'i.J37,

note 1, 1913) : La supériorité de l'Évangile « konnte durch eine lite-


rarische Beihilfe erklart werden (s'expliquer par une aide littéraire) ».

Chapman et Belser admettent aussi cette hypothèse.


Une autre conjecture est celle-ci Saint .Jean, quoique pensant en
:

araméen, aurait été capable depuis de longues années décrire en


bon grec; bien qu"'< illettré », k-;^ÔL\j.-j.7.-zz \Act. iv, 13), il pouvait
avoir acquis dès sa jeunesse, en Galilée, quelque connaissance de
cette langue, et l'avoir développée dans la suite; mais il ne parlait
spontanément qu'un grec populaire, mêlé de sémitismes, et, pour
rendre littéraire son élocution, il lui eût fallu de la réflexion et des
loisirs. Il les eut à Éphèse pour composer l'Évangile; il ne les avait

point à Patmos, d'où il dut envoyer aux églises d'Asie un écrit rédigé
à la hâte, à peine relu, imparfait pour la composition comme pour
la langue, et que, n'ayant pas l'amour-propre d'un homme de lettres,

il n'a pas jugé nécessaire de corriger plus tard.


Quel pouvait être, en effet, le genre d'existence que lui faisait son
exil? Dans quelles conditions lui était-il permis de travailler? Les idées
de Ramsay (1) sur ce point-là paraissent fort plausibles; nous n'avons
qu'à nous en inspirer.
Patmos, on le sait par Pline l'Ancien 'Hist. nal., iv, 23), servait do
que d'autres iles de. la mer Egée. La pénalité romaine
lieu d'exil, ainsi
de la deporlatio in inmlam avait été fréquemment appliquée sous
Domitien à des chrétiens, ainsi aux deux Domitilles, et à d'autres
fidèles, d'après notre explication du texte de Dion Cassius (v, ci-
dessus . Elle n'entraînait point, par ailleurs, de contraintes ^erson-

(1) \S.R\MSA\, The Lelleis to Ihe seven Cfiurches, l'M'y.i, ch. vni; l'auteur s'appuie
lui-même sur Mommskn, Bomischcs SIrafrecht, 1899.
.r.'i
REVUE BIBLIQUE.

nelles trop dures. Mais cet oxil pur cl, simple, avec conliscatioii des

biens, était réservé à des personnages de marciue,


tels^uc ces i^rentes
des patrieiens, des citoyens notables; saint Paul, à la
de l'empereur,
riï^ueur, aurait pu 6tre condamné à une pénalité de ce genre, mais
saint Jean, aux yeux des autorités, n'était qu'un .luit: obscur. Or, la
déportation des « bumiliores )^ avait, dans le droit pénal romain, un
les travaux forcés,
caractère beaucoup plus rigoureux. C'étaient
notamment dans les carrières et les districts miniers, où tant de chré-
ultérieures; cela entraî-
tiens furent envoyés au cours des persécutions
nait la flagellation préalable, les chaînes, le logement dans une prison
commune, de gardes-chiournie pendant le travail. 11
la surveillance
et l'on ignore si l'on y
est vrai qu'il ny a pas de mines à Patmos,
envovait des forçats pour y exploiter par exemple des
carrières.

Cependant, croyons-nous, laflirmation de Victorin et de Primasius,


déformé
que Jean avait été condamné ad metalla, peut être l'écho
bien des formes de
d'une tradition vraie. Il y avait, dit Uamsay,
hard labour parmi les pénalités romaines, et d'ailleurs nous connais-

sons très peu de chose au sujet des lieux destinés


spécialement à ces
pénalités Patmos, îlot
:
sans importance, pouvait être du nombre

{Letters, p. 85).
Mais sipour avoir rendu témoignage au Christ, avait été
Jean,
ainsi condamné par quelque proconsul car il est peu probable —
que César se soit jamais occupé directement de lui à l'état de —
forçat, comment eût- il pu composer un parfait ouvrage
de style,
même faire aussi bien que pour l'Évangile? Écrivant en de rares
moments dérobés au labeur, en proie à la fois à l'émotion violente

de révélations surhumaines, et aux peines, aux craintes du dehors,


obligé peut-être de profiter de la première occasion pour
envoyer
son livre en cachette k Éphèse, comment aurait- il fait pour soigner

sa diction? Il faudrait plutôt admirer ce qu'il a pu y


mettre d'art, en

des circonstances si défavorables pour un écrivain; nous ne jugerons


pas qu'il n'aurait pu faire mieux s'il avait travaillé en liberté et en

repos.
Pour notre part, c'est vers cette deuxième conjecture que nous
inclinerions. L'Apocalypse, en effet, avec la part d'incohérence,
ou
du moins d'imparfaite harmonie qu'il faut reconnaître dans son
symbolisme, avec ses grossières fautes grammaticales, qui ne peuvent
cependant masquer sa puissance d'évocation et de structure, ni la
finesse de quelques-unes de ses nuances, ni la bonne grécité de
cer-
offre à
tains passages, est une œuvre littéraire si extraordinaire, elle
contradictoires, qu'on ne peut la croire
la critique des aspects si
F/AUTEUR DE L'APOCALYPSE. 375

sortie d'un travail accompli dans des conditions normales. L'ignorance


ou l'inexpérience littéraire ne suflisent pas à rendre compte de ses
défauts, puisque aucune faute n'y est constante, et que sa structure
est à la fois si subtile et si ferme. Elle porte les traces de la gêne, de
la précipitation, par-ci par-là de véritables distractions, dans le

désaccord des genres et des cas. C'est l'œuvre d'uii génie contrarié,
que des circonstances extérieures ont contraint de livrer à la publicité,
pour ainsi dire, son « brouillon ».
Quand Nerva eut fait casser par le Sénat les actes du tyran, saint
Jean, avec les autres bannis, put retourner à sa résidence. Dans ses
chères églises, il trouva son Apocalypse déjà lue en public. Son
génie à la fois systématique et fougueux les avait dotées, sous l'inspi-
ration d'en haut, d'une œuvre imparfaite si on la considère en cri-
tique littéraire, mais admirable au point de vue religieux, le plus
puissant manifeste de guerre à Satan et d'incoercible espérance où
FÉglise piit puiser la certitude de sa victoire sur le monde. Rentré
dans uue existence normale, et, comme a su bien l'exprimer Ramsay,
mûri définitivement par l'épreuve, élevé à la plus haute sérénité de
contemplation par les douleurs et les révélations de l'exil, le disciple
bien-aimé devait, peu d'années après, donner à l'Église et au monde
une œuvre plus sublime encore, son Évangile.
E. Bernard Allô.

Fiibourg, septembre 1917,


LES SYMBOLES D'OSEE

Tnc (Hudc sur paraboles appela' un travail sur les symboles,


les
les paraboles symboles étant deux genres littéraires étroitement
et les

apparentés, qui se complètent et s'éclairent mutuellement. Néan-


moins, tandis que les commentaires spéciaux des paraboles augmen-
tent chacjue année et sont déjà légion, on est surpris de ne pas ren-
contrer, dans la littérature exégétique, de monographie consacrée
aux symboles. Les grands dictionnaires de Vigouroux, de Cheyne et.
de Mastings mentionnent à peine ce mot ou l'omettent complètement.
La Realencyclopadie de Haupt réserve bien plusieurs colonnes à lé-
tude des symboles, mais elle les considère uniquement au point de
vue liturgique ou artistique. Il est permis d'estimer que c'est peu.
Pour expliquer un pareil silence, on peut alléguer ce fait que la
langue hébraïque ne possède pas de terme spécial pour désigner les
symboles, ou cet autre, que l'étude du mâchai ou de la parabole est
censée éclairer suffisamment la vraie nature du symbole, en raison
même de l'étroite affinité des deux genres. Ces excuses ne sont pas des
raisons, et la meilleure manière de pallier cette lacune sera peut-
être d'essayer de la combler.
que l'hébreu ne possède pas de terme spécial pour dési-
Je disais
gner les symboles. Il faut s'entendre. Si on leur applique la définiti(jn
du Dictionnaire de Littré « figure ou image employée comme signe
:

d'une chose », nous trouvons en hébreu deux termes correspondants


plutôt qu'un : ôth (niN) et môpheth (npi73); le premier, avec le sens
générique de signe, le second, avec le sens étymologique de signe

brillant,de manifeslalion éclatante. Pratiquement il n'est pas rare de


rencontrer ces deux mots accouplés comme des synonymes dans une
seule et même formule « Nous voici, jnoi et mes fils cjue Jahvé m'a
:

donnés, signes et présages {^^•T\zrài^. mmxS) en Israël, de la part de


Jahvé qui habite le mont Sion » (Is., viii, 18) (1). « De même que mon
serviteur Isaïe est allé nu et déchaussé trois ans, signe et jjrésage
{n2"2l n*,x) contre l'Egypte et contre l'Ethiopie... » [Ibid., xx, 3) (2).

(1) Trad. Condarnin.


(2) It.
LES SVMnOLES D'OSÉE. 377

Dans ces exemples et dans tous les cas similaires, le symbole n'est
qu'une personne ou une chose employée comme signe d'une autre.
Mais il est une autre catégorie de symboles où une action se
déroule,
en réalité ou en fiction, pour inculquer une leçon ou présager un évé-
nement futur. Dans ce sens, l'hébreu ne possède pas de terme spécial..
Pour désigner un symbole de cette nature, on est obligé de l'appeler
du nom générique de màchàl (1), v. gr. Ézéch., xxiv, 3 « Propose un :

mâchai k la maison rebelle », formule qui sert à introduire le sym-


bole de la chaudière. De fait, le symbole ainsi entendu rentre dans la
catégorie très conq^réhensive du màchàl. C'est en ce deuxième sens
qu'il sera question de symboles en toute cette monographie,
à moins
d'indication contraire.
Maispeut être utile de préciser l'étroite analogie qui règne entre
il

laparabole et le symbole. La parabole, on le sait, est un tableau géné-


ralement emprunté aux choses de la nature ou une histoire librement
imaginée, tableau ou histoire qui ont pour but d'éclairer une vérité
d'ordre supérieur. Le symbole est lui aussi un diptyque, dont la pre-
mière partie a pour fonction d'illustrer la seconde. Toutefois, la pre-
mière partie du symbole est un acir, au lieu d'êtreune description ou
une narration comme dans la parabole. — Autre ressemblance dans :

le symbole, comme dans la parabole, la deuxième partie correspond


à la première, se modèle sur elle, avec cette particularité que, lors-
qu'il s'agit de symboles prophétiques, cette deuxième partie contient
l'annonce d'un événement, au lieu d'être simplement l'illustration
d'une vérité. —
Une troisième analogie, que je tiens à signaler dès à
présent sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir, consiste dans la
et

manière dont la deuxième partie découle de la première et lui corres-


pond. C'est toujours là le point délicat de l'exégèse parabolique; là
aussi que se commettent le plus facilement des erreurs grosses de
fâcheuses conséquences. J'ai exposé ailleurs la manière dont la leçon
parabolique découle de la parabole. C'est par le même procédé que les
enseignements symboliques devront se déduire des symboles. Puisque
la parabole n'est qu'une comparaison développée, le mieux est de la
ramener dune manière schématique aux deux. termes dune compa-
raison, pour voir se dégager spontanément la leçon qu'elle recelait.
Le symbole, n'étant que le rapprochement intentionnel de deii.r valeurs
analoyues, à savoir le signe et la chose signifiée, pourra lui aussi se
ramener aux deux termes d'une comparaison, ce qui nous permettra

(1; Le inàcliàl a été délini


: « Un sujet de disccKiis comparatif ou un discours sapientiel,

ou domine en général l'élément comparatif » {Introduclion aux paraboles, p. 61).


MS lŒVl K HlBI.inn:.

d'appi-éci^'i' d'un simple coup d'uvil la coi'icspondanee (|ni existe entre

la leçon syniboIi(|UC et l'acte qui la contenait.


Kn deux exemples pour se l'emeltre en nirnioire le mécanisme
voici
du procédé. Soit le symltole de Va fjnrrjtmh'lle (VdrrjUc, que .lérémie
leçoii ordre d'acheter et qu'il va briser devant témoins dans la vallée
de Hinnom, au lieu appelé Topheth. Et Jahvé lui dit
«* .le briserai ce :

peuple et cette ville, comme on brise le vase du potier, de manière


qu'il ne puisse plus être réparé » (xix, 10). —
Nous avons dans ces
versets plus que les éléments d'une comparaison; pour que la com-
paraison soit explicite, il suffit d'en disposer les termes d'une manière
plus méthodique; on obtient dès lors ce qui suit « Aussi vrai que le
:

prophète brise cette gari;oulette, le Seigneur s'apprête à détruire


.lérusalem ». —
Dans Ézéchiel, le symbole des cheveux se ramène à
la comparaison suivante « De même que le prophète vient de faire
:

trois parts de ses cheveux rasés, les livrant au feu, à l'épée ou au


vent, ainsi le Seigneur va consumer les habitants de Jérusalem par la
peste, le glaive ou l'exil... » (v).
Puisqu'il est question de méthode, il convient en outre d'attirer
l'attention du lecteur sur quelques préceptes déjà exposés à propos
des paraboles, ou qui trouvent pour la première fois leur application
dans l'exégèse des symboles. Cette application est d'un emploi cons-
pour les avoir violés consciemment ou inconsciemment
tant, et c'est
que des exégètes, dont le mérite est d'ailleurs incontestable, arrivent
parfois à des conclusions surprenantes, contre lesquelles on n'aura
que trop l'occasion de protester. Voici les principales de ces obser-
vations :

1" // est funeste à la bonne interprétation des sijmboles, comme à


celle des paraboles, de se prononcer a priori sur la signification du
tableau, avant d'avoir observé minutieusement la véritaJale portée des
correspondance du signe avec la chose signifiée. Tout
faits et l'exacte
jugement a priori équivaut ici à une manifestation de haute fantaisie.
Avec cette manière de faire, on peut se flatter de trouver n'importe
quelle leçon dans n'importe quel symbole, surtout si à cette liberté
d'allure se joint la pratique de solliciter les textes originaux, en sup-
primant un petit mot, en ajoutant là un petit complément, en rem-
ici

plaçant une expression gênante par une autre plus conforme aux
vues personnelles. Nous rencontrerons sur notre route maints aveux
d'une savoureuse candeur, et, plus encore, maintes opérations d'une
hardiesse paiiiculièrement arbitraire. Les noms et les références
seront cités au fur et à mesure des rencontres.
2" On a déjà rappelé, à propos des paraboles, que l'exégète doit se
,

LES SYMBOLES D'OSÉE. 379


»

contenter de lénoncé transmis par la tradition textuelle, sûr que le


paraboliste y a exprimé tout ce qu'il avait à cœur do dire. Supposer
que les tirait s principaux d'une parojbole sont demeurés sous-entendus
c'est perdre contact avec les textes et s'engager à fond sur le terrain
des aventures, l.a même loi s'applique rigoureusement aux symboles.
Lorsque le prophète s'est proposé de mettre sous les yeux du peuple
un signe sensible d'un événement à venir, il va sans dire qu'il a
choisi convenablement son objet. Dans le cas contraire, sa démons-
tration fût restée inopérante. On verra cependant quelques exégètes,
et non des moindres, sous-entendre hardiment ce qu'ils se figurent
devoir être sous-entendu, et composer, à l'aide de ces restitutions,
des tableaux qui ne ressemblent plus que de fort loin aux symboles
des prophètes...
3" On a parlé encore du secours mutuel que se prêtent lesdeux
parties d'une parabole, à savoir le tableau et son application, pour la
détermination de la leçon parabolique. Il peut arriver, en efïét, que
le seul examen du tableau ne suffise pas à décider quels sont les élé-
ments principaux et quels sont les éléments secondaires. Dans ce cas,
l'application nous apporte une précieuse lumière ceux des éléments :

qui ne reparaissent d'aucune manière dans l'application, n'appar-


tiennent évidemment pas à l'essence de la parabole; on peut dès
lors les regarder comme un simple décor. En revanche, ceux qui
jouent un rôle dans la deuxième partie doivent être retenus comme
importants. —
Toutes proportions gardées, il en va de même pour
les symboles.
i" Une tendance naturelle, lorsqu'on a expliqué certains livres
prophétiques, est d'utiliser les résultats déjà obtenus pour éclairer
d autres livres encore non expliqués. Par exemple, si l'on connaît
déjà Osée, on voudra le mettre à profit pour commenter É«échiel,
ou vice versa; si l'on a approfondi Daniel, les réminiscences se pré-
senteront d'elles-mêmes pour résoudre certaines difficultés de Za-
charie. Cette tendance a du bon; mais, si on ne la soumet à un con-
trôle sévère, elle occasionnera bien des confusions regrettables.
Nous verrons notamment à quels inconvénients on s'expose, en voulant
expliquer les péripéties de la vie d'Osée d'après les allégories conju-
gales d'Ézéchiel. Le- mieux est incontestablement d'expliquer chaque
auteur par lui-même, en tenant compte de .ses données personnelles
et de l'horizon historique dans lequel il meut. Un symbole d'Osée
se
ne comporte pas nécessairement les mêmes leçons qu'une allégorie
d'Ézéchiel, malgré les promesses de certaines analogies plus exté-
rieures que profondes. Une vision de Zacharie no désigne pas néces-
3«0 IU:VIK lUIM.lOlIIi.

sairemont Jes mêmes porsoimagcs ou les mêmes peuples qu'un sym-


bole de Daniel, malgré certaines ressemblances d'allures nu de
nombres. In sxnibole, n'élanl en somme qu'un signe développé,
participe à toutes les prérogatives des signes, l-ne légère variation,
un rien sul'lit ;\ modifier un signe, en lui conférant une nouvelle
valeur sémantique. Dans tous les alphabets, il y a des lettres qui se
ressemblent; chacune possède néanmoins sa signification distincte,
parfaitement perceplihie pour un esprit entendu. C'est une raison
pour ne pas se laisser guider, dans le commentaire des symboles, par
certaines analogies suj^crficielles.
Est-ce à dire qu'un commerce prolongé avec les symboles ne soit
pas une bonne préparation pour commentaire de symboles nou-
le
veaux? Assurément non. Si elle ne nous livre pas a priori le symbo-
lisme de charpie tableau, cette fréquentation nous renseigne du moins
sur la véritable nature du symbole, en nous initiant aux principales
lois qui en régissent l'exégèse. En toute chose, il y a un apprentis-
sage. Les débuts sont toujours caractérisés par des tâtonnements qui
disparaissent à mesure qu'on s'assimile les règles de son métier.
5" Il est une dernière observation qui est de nature à rendre les

plus précieux services. On rappelait tout à l'heure qu'un symbole, à


l'instar de la parabole, se compose essentiellement de deux parties :

un acte et son application, en d'autres termes d'un symbole propre-


ment dit et d'une leçon symbolique. Mais il est à remarquer que sur
la leçon viennent parfois se greffer des développements qui paraissent
continuer le sujet déjà traité dans le symbole. J'appellerai ces déve-

loppements discours extrasymboUqiies Il importe extrêmement pour


.

diverses raisons de ne pas les confondre avec la leçon du symbole.


Celle-ci, on la dit assez, fait partie intégrante du symbole, tandis
que le discours extrasymbolique n'en fait nullement partie; il ne
s'y rattache c{ue d'une manière artificielle, comme un appendice, ba
leçon symbolique correspond exactement au symbole, comme au
sig"ne la chose sig'nifîée; elle se meut en conséquence dans le même
ordre didées, sans jamais en dépasser le cadre. Au contraire, le
discours extrasymbolique jouit d'une entière liberté d'allures; il
prend généralement son point de départ dans le thème du symbole;
mais rien ne l'oblige à se maintenir dans ses limites; il en sort à son
gré, se répand sur les terrains avoisinants ou même prend son élan
sur des routes nouvelles. Conséquence d'un intérêt majeur si l'on
:

peut et si l'on doit étudier la leçon symbolique pour établir ou


contrôler la teneur exacte du svmbole, on ne saurait attendre aucun
secours pour ce point particulier du discours extrasymbolique. On se
LES SYMBOLES D'OSÉE. 381

troiîiperait en allant chercher quelques traits dans ces développe-


ments surnuméraires poui' les introduire de force dans le symbole,
alléguant qu'ils doivent y jouer un rùle, sous prétexte qu'ils occupent
dans le discours une place de choix. Les exégètes ne se sont pas tou-
jours gardés de cet écueil. On le constatera bientôt à propos d'Osée.
Pour ch)re ces prolégomènes, je n'ajouterai qu'un mot sur la
marche générale de ce travail. On se propose d'étudier séparément
lessymboles, actes ou visions, qui se présentent dans les divers pro-
phètes Osée, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel, Joël, Zacharie. Ces
:

chapitres seront suivis d'une rapide synthèse où l'on tâchera de


grouper les conclusions générales relatives aux symboles.
Pour l'étude de chaque symbole, on mettra naturellement à profit
la méthode déjà préconisée pour les paraboles, en la faisant bénéfi-
cier des observations spéciales qu'on vient de lire.
Chaque symbole sera analysé d'après un plan uniforme qui com-
prendra deux parties i" le symbole proprement dit; 2" la leçon sym-
:

bolique. La première partie traitera de toutes les questions qui


intéressent la bonne intelligence de l'acte ou de la vision symbolique :

réalité ou fiction, circonstances de temps, de lieux, de personnes,


sans préjudice des problèmes philologiques ou archéologiques. La
deuxième partie sera spécialement consacrée à la leçon qui se dégage
du symbole, ainsi qu'à la manièTe de l'en déduire.
Il est naturel de commencer par Osée, le doyen par l'âge de tous

lesprophètes symboliques. Viendront ensuite les quatre grands pro-


phètes, suivis deJoël et de Zacharie. Comme la chose est ici sans
inconvénient, on fera abstraction des controverses classiques sur la
date de tel ou tel de ces ouvrases.

Au début de de son commentaire d'Osée, saint Jérôme a


la préface
écrit ces lignes maintes reproduites
fois « Si, dans l'explication de
:

tous les prophètes, nous avons besoin du secours du Saint-Esprit...,


combien plus dans le commentaire du prophète Osée n'avons-nous
pas à prier le Seigneur et à répéter ce mot de Pierre Expliquez- :

nous cette parabole! » A la suite de saint Jérôme, tous les commenta-


teurs ont senti la difficulté de leur tâche. Tous ont apporté à la solu-
tion de ces problèmes une incontestable bonne volonté; mais, s'il
faut en juger par le désaccord qui continue à les diviser, les difficul-
tés demeurent toujours pendantes. Oui plus est, il semble que le
^désaccord augmente à mesure que se multiplient les commentaires.
3H2 IU:\IK UIULIOL'K.

Par suite, il devient de plus en plus dillicilc de grouper les sentiments


particuliers sous quelques chefs généraux, il devient toujours plus
malaisé de faire la lumière dans cette lorêt d'opinions et dans ce
maijuis de raisons et objections eiitremôlécs.
Jadis, les exégètes n'étaient guère partagés que sur la fameuse
question de savoir si les faits racontés aux chapitres i et m devaient
être entendus au sens historique ou au sens allégorique. Mais en ces
dernières années a surgi un problème nouveau les faits racontés:

par le prophète se sont-ils passés dans l'ordre chronologique où on


nous les présente, ou bien ne faut-il pas plutôt les entendre dans un
ordre chronologique inverse? A s'en tenir aux apparences du récit,
r.omer, fille de Diblaïni, après avoir vécu dans le désordre, est épousée
régulièrement par le prophète, à qui elle ne cesse désormais de garder
sa tidélité conjugale. Mais ne vaudrait-il pas mieux interverlir l'ordre
des faits et dire que Gouier, de mœurs régulières avant son mariage,
se montra bien vite infidèle à Osée, ne lui donnant que des fils illégi-
times, tant et si bien que le prophète se vit contraint de la répudier?
A cette question se joint évidemment celle de l'origine des enfants
de Gomer. Légitimes dans la première interprétation, ils ne le sont
plus dans la seconde.
Cette diversité d'opinions rejaillit encore sur l'exégèse du cha-
pitre ni. La femme dont il est question doit-elle être identifiée avec
Gomer, ou bien est-ce une personne différente? Si c'est toujours Go-
mer, qu'était-elle donc devenue, pour qu'il faille la racheter? Avait-
elle été répudiée? Avait-elle quitté d'elle-même le foyer conjugal?
S'était-elle remariée? Était-elle devenue l'esclave de son nouveau
mari? Et après avoir été réintégrée dans la demeure du prophète,
a-t-elle repris purement et sinq^lement sa vie conjugale, ou bien
a-t-elle été soumise, au préalable, à une épreuve temporaire?
Toutes ces divergences, qu'on veuille bien le noter, n'affectent
encore que les symboles proprement dits. Il va sans dire que les

leçons symboliques se montrent elles-mêmes fort différentes, suivant


qu'on adopte telle ou telle opinion.
Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les travaux publiés sur

Osée dans ces vingt dernières années, notamment les commentaires de


Nowack (1) et de Marti (2), de Harper (3) et de van Hoonacker (4),

{i) Die Kleinen Prophelen (Ilandkomraenlan, 1897.


-
(2) Dodclnprophelon (Kurzer Hand-Commeiilar), 1903.
(3) A criticaland exegelical Commenlary on Amos and IJosea (The inlernalional criti-

cal Commentary), 1905.


(4) Les douze petits prophètes (Études
Bibliques), 1908.
LES SYMBOLES D'OSÉE. 383

rintroductiou de Lucien Gautier (1), les monographies de M. Cru-


veilliier (2) et de M. Desnoyers (3).
Je voudrais à mon tour reprendre l'examen de ces diverses ques-
tions. J'ai bon espoir, sinon d'arriver toujours à une solution détini-
tivc, au moins d'apporter dans la discussion un peu plus de méthode
et de clarté. Dans l'état actuel de la controverse, la perspective d'at-
teindre à ce résultat suffirait à légitimer ce nouvel eifort.
En terminant son commentaire des chapitres controversés, M. van
Hoonacker croyait ])resque devoir s'excuser d'être allé à l'encontre
de l'opinion alors plus commune (4). Pour ma part, j'estime qu'il
vaut autant annoncer tout de suite que mes conclusions sont franche-
ment opposées sur certains points à celles qui, depuis un quart de
siècle, ont toutes les sympathies, non seulement des critiques protes-
tants, mais encore des interprètes catholiques. En revanche, je n'ai
pas à dissimuler mes préférences, je ne dis pas pour les opinions
traditionnelles, puisqu'en matière si controversée il ne saurait être
question de tradition, mais pour celles qui avaient cours jusqu'au
siècle dernier inclusivement. xV ce point de vue, le présent chapitre
marquera une réaction; il pourra même paraître nouveau précisé-
ment parce qu'il revient à des positions anciennes.
Je suis persuadé en particulier que le petit roman de la vie fami-
liale d'Osée, qui est né en Allemagne, et de là fut importé en France

et en Angleterre, est démenti par les faits, en même temps qu'il con-
tredit les principes les mieux établis de l'exégèse parabolique et sym-
bolique. Il est peut-être temps de crier gare et que l'édifice est
ruineux.
Il A a sans dire que je fournirai en cours de route les preuves de
chacune de ces assertions. Averti, le lecteur pourra décider en con-
naissance de cause.

I. Le mariage d'Osée avec Gomer (i, 2, 3).

2. Jahvé dit à Osée : Va. prends une femme de prostitution et des enfants de
prostitution, car le pays ne fait que se prostituer loin de Jahvé. 3. Et il alla, et il

prit Gomer, fille de Diblaim...

(1) Introduction à l'Ancien Testament, 2' éd. 1914, t. I.


(2) De l'interprétation historique des événements de la vie familiale du prophète
Osée Revue Biblique, juillet-octobre 19tG.
:

(3) Le prophète Osée : Bulletin de littérature ecclésiastique, mars et avril 1917.


('() Il écrivait « Pour ces raisons, nous avouons, car c'est un aveu à faire
: vu l'état

actuel des opinions, que l'interprétalion allégorique a nos préférences » [op. cit., p. 40).
:{84 lŒVUK niijuuii:.

A. Sf/)))bolr.

Historicité. — Pour bien saisir le symholc, la première qiiesliou à


élucider est celle de son historicité. La controverse sur ce point est
tort ancienne. Saint .lérôme, qui soutenait avec conviction la thèse de
la non-hisforicité, croyait déjà devoir réfuter les interprHes chica-
neurs, contentiosus interpres (1), qui se prononçaient pour la réalité
des faits. Ses arguments n'ont pas découragé l'école adverse, qui s'est
continuée à traVers les siècles; si h\o\\ que les historiens des systèmes
peuvent dresser deux listes de noms d'auteurs qui se sont combattus
jadis ou qui tiennent encore les armes à la main. Pour la non-histo-
ricité, on peut mentionner, avec saint Jérôme, les protestants Calvin,

KeiL neng'stenberg, Ueuss, du coté catholique, Trochon,


lirustorf, et,

Crampon (2^, van lloonacker, l)(;snoyers. Dans le camp opposé, on


peut citer saint Augustin, Théodoret, saint Thomas, P^stius, a Lapide,
Calmet. Knabenbauer, Vigourouv, Nowack, Marti, llarper, (iautier,
Criiveilhier... Et les listes sont volontairement incomplètes.
On arguments allégués par les par-
n'a pas à rappeler en détail les
tisans de l'interprétation allégorique, M. Cruveilhier les ayant repro-
duits récemment dans la Revue Biblique. Il importe cependant d'en
rafraîchir le souvenir. Saint .Jérôme ne faisait guère valoir qu'une
preuve il prétendait qu'entendus au sens historique, les actes impo-
:

sés au prophète étaient entachés d'immoralité. Il faut qu'ils se pas-


sent en ligure, concluait-il, et hoc in tjjpo,quiay si fiât, liirpissimnm
est. —
On sait aujourd'hui ce qu'il faut penser de ces impossibilités
morales. En fait de répugnances, le prophète n'avait à marcher que
sur celles de son cœur; car, tout le monde en convient sans peine, les
propositions divines n'avaient rien d'attrayant pour la nature. Mais,
une surmontées ces légitimes répulsions, tout était profit pour la
fois

du côte d'Osée que du côté de Gomer. Saint Jérôme


vertu, aussi bien
a lui-même reconnu ailleurs que le prophète avait quelque mérite à
rappeler une courtisane au sens de la pudeur, à la ramener du mal
à la vertu (3). Il n'est donc pas nécessaire d'insister.
Le Docteur de Bethléem allait ensuite chercher des analoeies dans
les autres symboles de l'Ancien Testament pour étayer son interpréta-
tion allégorique; il produisait, entre autres, le cas de Jérémie cachant

(1) In 1, 8, 9. .

(2) d^ns La Sainte Bible traduite en français sur les textes oi'icjinaux.
In h. 1.,

(3) Nec culpandus propheta, intérim ut sequamurliistoriam, si meretricem converterit ad


pudicitiam, sed poilus laùdandus quod ex uia'a bonam fecerit fin i, 2).
LES SYMBOLES O'OSÉE. aSo

•sa ceinture sur les bords de l'Éuphrate et celui d'Ézéchiel restant


couché 390 jours sur le môme
On le reconnaît encore à pré-
coté. —
sent, ces analogies n'ont pas de valeur démonstrative; si elles prou-
vent une chose, c'est tout juste le contraire de ce que voulait saint
Jérôme, car ces faits doivent <jux-ràêmcs s'entendre au sens histori([ue
et littéral, on verra plus tard comment et pourquoi. Mais il est piquant
d'observer la manière légèrement exagérée dont saint Jérôme, en
bon avocat d'une mauvaise cause, accumulait les prétendues impos-
sibilités dans CCS derniers symboles, pour faire mieux ressortir l'im-
possibilité historique du mariage d'Osée. Ainsi, pour se rendre sur les
bords de l'Euphrate, Jérémie aurait eu à franchir les lignes des Chal-
déens, lesquels auraient déjà mis à cette époque le siège devant Jéru-
salem (1). Quant à Ézéchiel, c'est pis encore; il aurait dû dormir d'un
trait ses 390 jours, dormire perpétua, n'ouvrant qu'un tout petit peu
les yeux de temps à autre, nisi forte pauhdum aperuerit ociilos, pour
prendre sa misérable nourriture cuite in huraano stercore (2).
Les partisans de l'exégèse allégorique n'ont pas songé à repren-
dre les arguments de saint Jérôme, mais ils s'efforcent de leur en
substituer d'autres qu'on trouve résumés dans l'ouvrage de M. van
Hoouacker (3). Les voici en quelques mots, avec la réponse qu'ils
appellent : —
1. Si l'épouse d'Osée, nous dit-on, était réintégrée au

foyer conjugal (m) au moment où le prophète rédigeait ses chapitres


ï et II, comment peut-il qualifier toute sa famille, femme et enfants,
d'êtres prostitués, comme il le fait ii, V ss. ? — M. van
Hoonackor
oublie en cet endroit que le chap. n, étant un discours extrasymbo-
lique, ne doit pas intervenir dans l'explication des symboles. C'est la
première fois que se présente ici cette confusion; ce ne sera pas la
dernière. D'ailleurs, de l'avis général des critiques, le chap. ii traite
un autre sujet que les synd3oles du chap. r. 2. « 11 n'est pas dou- —
teux que les explications qui accompagnent les noms symboliques des
enfants de Gomer, renferment toute la raison d'être de ces noms (^i-). »
— A quoi M. Cruveilhier a déjà fort bien répondu que le symbo-
lisme des noms n'empêche pas la réalité des choses. 3. M. van —
Hoouacker pose un dilemme aux partisans de l'exégèse littérale. De
deux choses l'une ou bien Osée s'est laissé guider dans le choix de
:

son épouse « par la prévision *que celle-ci allait lui être infidèle et

il,; Préface d'Osée. — En réalité le fait s'est passé avant le début du siège.

(2J In I, 8, 9.

(3) Op. cit., i>. 39, 40.


('j ['. 39.
iii;\LF. miii-iniE 1917. — y. s., i. xn. 25
llKVl II IJlIlMUUt:.
3JJ6

lui onfantei- des bùtards » (1 )


— ce qui semble ù ben droit «c tout à

fait incomevable »; ou bien,


aprrs avoir épousr Gomcr sans le moin-
considérant l'inconduite
dre soupçon, il se sera imaginé plus lard, on
il avait timt prévu »,
de sa femme, « qu'au lieu de s\Hre trompé,
inconcevable (-2), cette
M. vau lloonack«n' estime o non moins
>.
ce que
fois encore ;\ juste titre. —
répondre que le dilemme est mal
Il faut

posé, puisque, entre les solutions justement écartées, il y en aune


troisième, colle qui consiste à dire ([ue le
prophète épousa une cour-
tisane, qui lui fut ensuite fidèle dans le
mariage. k. « De môme —
qu'au chap. m, 3, ï les conditions faites à la
femme ont pour fin
imposées à Israël,
dernière de représenter les conditions qui seront
exclusivement à représen-
ainsi, au cbap. i, le rôle de Gomer consiste
ter r'intîdèle nation d'Israël (3). » Le —
mot fi.rclusivonenl est de
trop.En tout cas, ce rôle symbolique peut être très bien remi)li par
joué par un
une femme réelle. Peut-être même le rôle est-il mieux
personnage vivant que par un être de rêve ou de vision.
ceux de
On voit si les nouveaux arguments sont plus efficaces que
saint Jérôme.
toujours en faveur de
Voici enfin les considérations que fait valoir,
partisan le plus récent
l'interprétation allégorique, M. Desnoyers, le
reconnaître dans ces
du système. M. Desnoyers serait assez disposé à
récits réalité. « Mais un prophète était à la fois un philo-
un fond de
sophe, si fou peut dire, et un poète, bien plus qu'un historien impas-

sible. Aussi n'est-il pas invraisemblable qu'Osée, ayant épousé une


femme qui le rendit malheureux, reconnut dans cet accident même
une intervention de Yahwè. Il ne se serait pas appliqué à nous
raconter l'histoire objective de ses infortunes privées.
En ayant beau-
beaucoup réfléchi, en ayant évalué la valeur
coup souffert, y ayant
représentative, il aurait plutôt cherché, sous la poussée de l'inspi-

impressions religieuses qu'il en


ration, à communiquer à d'autres les
ressenties. Par sa mission prophétique, les
souffrances qu'il
avait
éprouvait, les plaintes, les reproches, les menaces que lui arrachait
les plaintes, les reproches,
son malheur devenaient les souffrances,
les menaces de Yahwè abandonné par son peuple. Ce besoin en
s'effacer devant
quelque manière professionnel de servir à Yahwè, de
le prophète à transposer peu à
lui, de disparaître en lui, amenait
peu les faitspour leur donner une signification plus pleine ou pour
il vau-
les adapter aux besoins de ses divers auditoires. De la sorte,

(1) p. 40.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
LES SYMBOLES D'OSÉE. 387

drait peut-être mieux de ne pas voir dans les deux récits de mariage
l'histoire de deux mai-iages distincts soit avec deux femmes soit avec
la seule Gomer, mais plutôt deux récits allégorisants inspirés par lé
même fait réel (1). » —
tenu à reproduire en entier cette cita-
J'ai

tion, Jjien qu'elle déborde le sujet présentement envisagé, pour ne


pas dénaturer le contexte ni changer une nuance à des expressions
très étudiées. M. Desnoyers est partisan de la « transposition » ou de
l'inversion chronologique des faits.Nous reviendrons là-dessus. Pour
le moment, en faveur de l'interprétation allégorique, il ne signale que
le fait pour Osée d'harmoniser plus parfaitement ses sentiments avec

ceux de Jahvé. C'est peu. Il me semble que le prophète pouvait arri-


ver au même but plus complètement et à moins de frais. Au lieu
d'une identification de commande, postérieure aux énénements, obte-
nue à force de referions et de sentiments, il est infiniment plus
simple de dire que le prophète s'est identifié avec Jahvé, dès l'aurore
même de sa vie familiale, lorsque, sur l'ordre de Dieu, il a épousé
la courtisane Gomer. De la sorte. Osée ne s'imagine pas après coup
avoir joué un rôle qu'en somme il n'a pas joué; ce rôle, il l'a joué
réellement.
Ces réponses disent assez que je me prononce très nettement pour
la réalité historique de tous ces faits. Les preuves abondent et je les
crois décisives. — 1. C'est le sens naturel du texte. Il faut le respecter,

tant qu'on n'a pas de bonnes raisons de s'en écarter, et l'on vient de
constater que ces raisons n'existent pas. Cette preuve, déjà très forte
par elle-même, emprunte une singulière valeur démonstrative à
Y étude comparative des autres symboles. Il est loisible à chacun, en
parcourant les principaux de ces symboles, de constater que les for-
mules réalistes, annonçant des faits ou visant à l'action, abondent.
Dans haïe : Prends une tablette et écris A Maher-chàlâl-hach-baz :

(viii, 1 ss.)...; va, ôte ton manteau de tes reins, enlève ta chaussure

de tes pieds ("xx, 2 ss.). Dans Jérémie : Achète une ceinture de lin et
va la cacher dans une fente de rocher, sur les bords du Fara (xiii,
1 ss.)...; achète une gargoulette d'argile et va la briser dans la
vallée de Hinnom, au lieu dit Thopheth (xix) Dans Ezéchiel, tous les .

symboles des chap. iv et v Dessine une ville sur la brique...; reste


:

couché tant de jours sur le côté gauche et tant de jours sur le côté
droit...; ne prends (|u'une nourriture sévèrement rationnée...; parr
tage tes cheveux en trois parts, etc. On se familiarisera avec tous
ces exemples au cours de cette étude. — Or, c'est un fait que tous

(1) Art. cit., p. 99, 100.


38S MKVl'K IMIM.IOllli:.

ces symboles sans excopliiui doivenl se prendre comme des actions


historiques, dûment réalisées par les piopliétes sur l'ordre de Jalivé.
Les cxé£;étes ont pu hésiter parfois et pencher ici ou lA pour l'inter-
prétation allégorique. Aujouid'hui l'accord tend à de\enir unanime.
Et c'est à bon droit. Mais, ce (|ui vaut pour Isaïe, Jérémie, Kzéchiel,
Joël, Zacharie, pourquoi ne vaudrait-il pas également pour Osée? Si
l'induction repose jamais sur des bas(>s lai'g-es et sûres, c'est bien le
cas ici. i)'où la conclusion, que ces formules positives Va, fais ceci :

ou cela, et il alla el il le fit, constituent une tri's forte présomption


en faveur de la réalité de V histoire. —
Ce premier argument se trouve
2.
'

coulirmé pî(r la contre-épreuve. L'étude générale des symboles mon-


tre (encore que, lorsque ces faits du domaine de
ne doivent pas sortir
la vision, les prophètes nous en avertissent toujours par une fornmle
de ce genre Jalivé me fit voir, je vis en esprit, je vis ; ])ar où le lec-
:

teur est invité à ne pas transposer ces événements dans le domaine


des réalités. Les exemples abondent. Qu'on se rappelle les visions
du rameau d'amandier, de la chaudière, des deux couti'es de figues
dans Jèrèmie, celles du livre, de la chaudière au vert-de-gris, des
ossements dans Ezêchiel, celles des cavaliers, des forgerons, des
chars... dans Zacharie. Partout la vision est annoncée par une for-
mule explicite. Je ne connais qu'une exception, dans Jérémie, celle
de la coupe de vin que le prophète reçoit ordre de verser à tous les
peujdes de la terre (xxv, 15 ss.). Il s'agit là manifestement d'une
vision, laquelle n'est pas cependant précédée de l'avertissement cou-
tumier. Mais il est permis d'estimer que la formule d'introduction était
inutile en l'occurrence, ^/parce que le sujet disait assez par lui-même
qu'il ne pouvait être question d'un fait réel, ainsi que les commenta-
teurs modernes en conviennent volontiers. Ainsi, l'exception confirme
plutôt ja règle.. —
En résumé, loi-sque le symbole est réel, les pro-
phètes nous en avertissent ; lorsqu'il ne doit pas l'être, ils nous en pré-
viennent encore. La présomption demeure en faveur de leurs indica-
tions, et, après examen, de ratifier le sens
la critique se voit obligée

naturel des textes. quelqu'un


Après cela, prétendsidécouvrir une
vision où le texte annonce un fait réel, on est en droit de lui deman-
der qu'i) fournisse deux fois ses preuves plutôt qu'une.
Je ne sache pas que les arguments qui précèdent aient encore été
exposés comme on vient de les lire. En revanche, ceux qui suivent se
retrouvent sous la plume de tous les partisans de la réalité historique.
3. Si le symbole n'était qu'une allégorie. Osée n'eût pas manqué

de donner un nom symbolique à sa femme et à son beau-père,


comme il le fait un peu plus loin pour chacun des trois enfants. Or,
LES SYMBOLES D'OSÉE. 389

il faut le reconnaître, les noms de (iomer et de Diblaïm se sont montrés


jusqu'ici réfractaires à tous les eiibrts des allégoi-isants. Onpcuten
croire M. van^ Hoonacker qui que la
écrit : « Il n'est pas impossible
signification allégorique des noms comprendre, par le pul)lic fût à
auquel Osée s'adressait, moyennant une allusion à quelque fait parti-
culier, ou à quelque dicton populaire, dont la connaissance n'est plus
à notre portée (1). » En fait de symbolisme, on n'a guère trouvé pour
Gomer ([uc le sens de perfection, achèvement, consummata atque
perfecta, disait saint Jérôme, et pour Diblaïm, celui de gâteaux ou
masses de figues (2). Ce qui fait dire à M. Lucien Gautier « Il faut :

beaucoup de, bonne volonté pour tirer de ces noms une notion figu-
rée, plus ou moins appropriée à la circonstance (3). » 4. A cette —
preuve se joignent celles qui nous sont fournies par les enfants. Que
peut être un mariage qui donne des enfants à intervalles réguliers,
sinon un mariage réel, contracté par des personnes vivantes? Si le
prophète se composait une famille de fantaisie, toute à son gré,
pourquoi a-t-il mis une fille à côté des deux garçons? Pour un Orien-
tal, trois garrons valent toujours mieux que deux garçons et une

fille. Sans «-ompter que le but symbolique eût été pleinement atteint

si, au lieu d'une petite Lô ruhàmà, nous avions, eu un petit Lô ruliam.

Et pourquoi dire encore que la fille fut sevrée avant la conception du


deuxième garçon? Ces détails se comprennent dans l'histoire; ils
n'auraient plus de sens dans la vision. 5. Enfin, on peut faire —
valoir avec Xowack (4) que d^is le cas présent l'efficacité du sym-
bole postule sa réalité. Dans l'hypothèse allégoriste, le prophète
aurait en somme tenu ce langage à ses compatriotes « J'ai eu une :

vision étrange, ou bien j'ai fait un rêve des plus douloureux. Il me

semblait que, sur l'ordre de Jahvé, j'épousais une femme de mau-


vaise vie, du nom de Gomer. Et elle mettait au monde un premier
enfant, du nom de Jizre'ël, puis une fille du nom de Lô ruhàmà,
puis enfin un deuxième garçon du nom de Lô 'amnii. Et il me semblait
que ces enfants étaient les miens, mais bientôt je compris que cette
femme me trompait amèrement... » Combien plus éloquents les —
faits que toutes les visions ou tous les rêves!

Ces raisons, qui joignent les indications du contexte aux conclu-


sions d'une étude générale des symboles, nie paraissent décisives.

(1) Op. cit., p. 15, IG.

(2) M. van Ihionacker préférerait le sens : Gomer, consommation fille de fléaux accom-
plis. Mais il ajoute aussitôt : « Tout cela est évideinineat 1res incertain » (p. 15J.

(3) Op. cit., p. \<:a.

;4) Op. cit., p. 29.


.

300 HKVUE BiuMon:.

On peu/ tcni/' ru/ti/nr un rrsiiltat (h'/initivcmeiit acquis que le premier


!n/)nbntc<TOs('c est historique, que lo murinr/c du prophèlr avec Goiiier,
fille lie Dibluim, a été un fait réel
Cnnduite de Goiner. — Puiscjuc ç'csl tlf (iuincr suilouL (lue nous
vieunent les diflicultés, d'examiner ce qu'était celte reiiinic
il y a liou
avant le mariage et comment elle se comporta par la suite. Les deux

([iiostions étant connexes, il est préférable de -ne point les séparer.

Jusqu'à ces derniers temps, les commentateurs n'avaient ({u'une


voix pour caractériser la conduite de (iomer avant et pendant son
mariage. Avant le mariage, comme le dit Osée, c'était une courtisarte,
une « {çmma àe prostitutions », et saint .lérùme notait ce pluriel, où
ilvovait indiquée la multiplicité de ses fautes. Dans le mariage, elle
vivait en épouse lidèle et elle donnait trois enfants à Osée. Après
saint Jérôme, saint Augustin, Théodoret (1), tel est encore le sen-
timent de a Lapide, Calmct, Knabenbauer, Vig-ouroux. Mais, en ces
dernières a,nnées, les critiques d'outre-Rhin se sont inscrits en faux
contre cette manière d'entendre la carrière de Gomer. Leur nou-
velle thèse est que Gomer avait mené jusqu'à son mariage une vie
irréprochal)le : ce n'est qu'ensuite qu'elle se laissa entraîner à de
coupables infidélités. Si, au début, elle prit soin de sauvegarder
les apparences, au point qm'Osée put croire à la légitimité de son
premier fils, elle ne tarda pas à jeter le masque; le pi*ophète n'eut pas
de doute sur l'origine des deux autres enfants; les choses allèrent
même si loin que, perdant tout espoir de ramener l'épouse coupable
à son devoir, Osée se vit contraint de la répudier.
Vulgarisée par Nowack et Marti, cette thèse jouit aujourd'hui d'une
vogue plénière. Elle est adoptée sans discussion par Ilarper, Gautier,
van Hoonac^ver, Desnoyers, par d'autres encore. Il est inutile de
reproduire les citations de Nowack et de Marti, récemment alléguées
par M. Cruveilhier (2). J'aime mieux rappeler l'opinion de M. Gautier,
parce qu elle contient un essai de preuve qui ne manque pas d'intérêt
à certains égards, comme on le verra tout à l'heure : « Quon ré/lû-

chisse à Vhistoire d'Israël dans ses relations avec Jahvé, écrit-il, on


reconnaîtra sans peine que le parallélisme exige que Gomer fût encore
exempte de souillures quand le prophète Va épousée (comp. Éz., 16).

(1) Saint Thomas admet lui aussi la


réalité des personnages et des faits. Mais, induit

sans doute en erreur par le texte de la Vulgaie fac tibi filios fornicationum (i, 2), il a
:

cru qu'Osée n'avait jamais épousé Gomer, qu'il n'avait eu avec elle qu'un commerce dé
prostitution, lequel, par une dérogation divine aux lois ordinaires, perdait ici son caractère
2'".
d'illicéité. Cf. S. th. 1-2, qu. c, 8, S"-; 2-2, qu. civ, 4, 2"'; qu. cliv, 2,

(2) Reime Biblique, 1916, p. 357, 358.


LES SYMBOLES D USEE. :i91

Mais elle portait en elle le ses débordements futurs. C'est ce


germe de
que veut dire le texte hébreu qui emploie (i, 2) l'expression insolite

« femme de prostitution », et parle, immédiatement aprè.s, d' « en-


fants de prostitutions » (1). Et ailleurs : « L'épouse légitime d'Osée
s'abandonne aux pires égarements; elle se prostitue et se déshonore,
ellecourt après ses amants et abandonne son mari. Celui-ci la désa-
voue, la rejette el la laisse en proie aux privations 2). » M. Desnoyers,
tout en admettant la thèse nouvelle, tient à ne pas perdre tout contact
avec l'ancienne Par inspiration de Yahwè..., dit-il, il s'était marié
: <<

à une femme du nom de Gômer-bath-Dibhlayim, qui, même avant


son mariage, à ce qu'il semble, n'était pas fort recommandable.
Elle mit au monde trois enfants dont Osée finit par s'apercevoir qu'il
n'était pas le père et à chacun desquels il donna un nom destiné à
symboliser l'inhdélité du peuple d'Israël envers Yahwè, infidélité
dont Gùmer bâtards n'étaient que de trop vivaMes images (3). »
et ses
Aucun des partisans de cette conception n'ayant pris soin d'en
établir les preuves ex professo, le lecteur qui aime à se rendre compte
par lui-même des raisons des choses, se voit obligé de combler cette
lacune, en recueillant les moindres fragments d'une démonstration
éparse. Grâce à une lecture attentive de ces divers commentaires,
on arrive ainsi à découvrir quatre arguments le premier se tire des :

exigences du symbolisme; le second, de la comparaison avec Ézé-


chiel; le troisième, du qualificatif « enfants de prostitution » appli-
qué aux ftls de Gomer le quatrième, de diverses données empruntées
;

au chap. ii. Que valent ces arguments? Les discuter, c'est entrer dans
le cœur du problème.

1. Et d'abord, les exigences du symbolisme. En voici l'aveu sous la


plume de Nowack ; « Si la femme doit représenter l'infidélité d'isj-aël,
Osée ne pouvait mettre V accent sur ce qu'elle était avant son mariage
avec lui; il doit le devenue dans le ma-
mettre sur ce quelle est
riage (4). » Les déclarations de Harper ne sont pas moins claires. Il
est nécessaire, dit-il en substance, que Gomer ait vécu dans la chaslelé
avant son mariage, puisqu'elle représente Israël, lequel se montra
d'abord tidèle à Jahvé (5). M. van Hoonacker écrit de môme « La :

nation d'Israid, l'épouse de Jahvé, a été infidèle (v. 2' ; ii, 4, 7); elle
a engendré des enfants adultérins que Jahvé refuse de reconnaître

(1) Op. cit., p. 4f>4, 465, C'est moi qui souligne.


(2) P. '«fia.

(3) Art. cit., p. <J8.

(4) Die Kleinen l'rophelen. p. 14. C'est moi qui souligne.


(5) Op. cit., p. 207.
;v.L' RRVrK lillUJnl K.

pour siens (i, î>; ii, {\) : do mrmc 1 <'j)Oiisc (r(lsc«^ sera uik» rciiiino
iidiiKôro. rll(> cniiondirra desonfaiifs adultérins (1). »
1)0 tols avoux oui du moins le iiit'rito de la f'ran<-liisc. I\l;iis on a le

re£;ret de dire que cette nianiôro île |)rati(juor rexégV'se des symboles
constitue un i:ravc cofitrpsrns. Le contresens consiste à partir du
symbolisme pour détorminer a priori ce que doit être le symbole,
en supposant (juc lanaloiiie entre le signe et la chose signifiée est
nécessaii'oment tolulv. iMais, si le prophète n'a voulu envisager qu'un
aspect do sa tpiostion, était-il encore obligé d'aller cherchor un signe
adéquat à l'objet signihé? Ne pouvait-il passe contenter d'un signe
partiel, inadéquat? Sa liberté sur co point n'est-ollo pas pleine et
entière? Il me semble que poser la question, c'est la résoudre.
Le mariage d'Osée et de Gomer représente l'union de Jahvé et d'Is-
raol, soit ; pour s'en apercevoir, d'une lecture rapide. Mais
il suffit,

sous quel aspect et dans quelle mesure l'analogie est-elle ici j)ié-
sentée? Voilà où le coup dœil superficie^ ne suffit i)lus. Il y faut une
analyse attentive, minutieuse du texte. Si l'analogie est complète, il

faudra assurément que l'épouse d'Osée, chaste avant son mariage,


devienne ensuite infidèle et ne lui enfante que des fils illégitimes, de
même qu'Israël, dabordmontré par la suite prévarica-
fidèle, s'est
teur. Mais si que partielle, le symbole n'exprimera
l'analogie n'est
qu'un aspect de la réalité. Il marquera, par exemple, qu'à l'heure
actuelle, l'épouse de Jahvé, Israël, est engagée dans une voie de pros-
titution idolà trique, quelle qu'ait été d'ailleurs sa conduite au début
de son mariage, quelle que doive être aussi son attitude dans l'a-
venir.
Le contresens symbolique commis par la plupart des critiques
modernes donc à confondre l'analogie totale avec l'ana-
consiste
logie partielle,le symbole adéquat avec le symbole fragmentaire, à

partir de la chose signifiée, telle qu'elle, figure dans la réalité, pour


déterminer les proportions du signe. Au contraire, la méthode res-
pectueuse des textes observe les faits avant d'en tirer'la conclusion,
étudie le symbole avant de dégager la leçon symbolique. Ce n'est pas
que l'application symbolique ne puisse rendre de précieux services
pour préciser la valeur respective des divers traits qui composent le
tableau du symbole. Je me suis déjà exprimé sur ce point dans les ob-
servations préliminaires. Mais à une condition toutefois, c'est que l'on
envisage uniquement les aspects srjus lesquels la chose signifiée figure
dans cette application, puisque c'est là-dessus que le prophète veut

il) Op. cit., p. 14.


LES SYMBOLES D'OSÉE. 39;{

attirer notre attention.Par contre, dès que l'on néglige les indications
du symbole, pour nétudier la chose signifiée qu'en elle-même, telle
qu'elle figure dans la réalité, en dehors du symbole, on ne marche
plus qu'à l'aventure. C'est ainsi que, dans le premier symbole d'Osée,
l'aspect particulier sous lequel Israël est envisagé, e^i son état actuel
d'idolâtrie et rien que son état actuel. Quiconque, au lieu de s'en tenir
à cette simple donnée, va étudier l'histoire d'Israël, toute son histoire,
depuis l'Egypte jusqu'à l'exil, en passant par le Sinai et par toutes les
manifestations de sa vie religieuse, celui-là renonce évidemment aux
bénéfices de l'exégèse symbolique. Le symbole, comme la parabole, a

des limites bien déterminées, généralement restreintes; et ces limites,


c'est l'auteur qui les fixe, non l'interprète'; celui-ci n'a qu'à les obser-
ver, sans les franchir jamais. Autrement, il n'explique plus les sym-
boles des autres, il en compose de nouveaux.
•2. I>e second argument allégué par les critiques pour établir l'in-

fidélité conjugale de Gomer, est emprunté au symbolisme d'Ézéchiel.


« Qu'on rétléchisse à l'histoire d'Israël dans ses relatioris avec Jahvé,

disait tout à l'heure M. Gautier, on reconnaîtra sans peine que le pa-


rallélisme exige que Gomer fût encore exempte de souillures quand
le prophète l'a épousée », et Gautier nous renvoyait au chap. xvi

d'Ézéchiel. Je n'ai pas rencontré ailleurs de déclaration aussi for-


melle, mais il m'a semblé que cette comparaison avec Ézéchiel était
sous-jacente en plusieurs explications des autres partisans de la même
théorie.
A première vue, la référence ne semble pas trop mal choisie, et

le parallélisme parait impressionnant. Dans un langage empreint


d'amour et de tristesse, yeux de Jérusalem
Jahvé y remet sous les

toute son histoire; il lui rappelle comment de rien, re-


il l'a tirée

cueillie, adoptée, élevée, parée, comment elle est devenue son épouse,
et comment, délaissant son amour, elle s'est livrée avec les peuples
voisins à toute sorte de prostitutions idolàtriques, à l'exemple d'ail-
leurs de ses deux sœurs, Samarie et Sodome.
A cette allégorie on pourrait encore joindre celle d'Oholah, mé-
taphore d'Israël, et d'Oholibah, métaphore de Juda (xxiii). Mais la
preuve n'en deviendrait pas plus forte, car, au fond, il est temps de
le dire,ce parallélisme ne prouve rien non plus. On a déjà averti
dans les observations préliminaires que le parti pris d'expliquer les
symboles d'un prophète par ceux d'un autre réservait bien des mé-
comptes. Il peut y avoir entre ces diverses compositions comme un
air de famille; encore faut-il ne pas se laisser prendre aux appa-
rences. Et si les svmboles de divers auteurs traitent réellement le
:W4 UKM i: IMI5I.I01IE.

iiirino sujet, il faut se rappeler en tout cas que leurs poinis de vue
ne coïnoidtMil pas pour c«^la néoessairi-nicnt. non j)liis que leurs pro-
porti(^ns. En rps[)èco. il est hcsoin dune certaine lionne volonté [)onr
comparer le large et beau tal)leau d'Kzéchiel avec les inini;dnres
d'Osoe. Kzéchiel, lui, retrace toute Tliistoire de Jérusalem, tandis
qu'Osée n'en dessine «piun détail. Par exemple, on chercherai!
vainement dans ce dernier prophète les soins prodigues à l'épouse
de Jahvé depuis sa naissance jus(prà son mariage. Dès lors, com-
ment l'histoire de Gomer serait-elle calquée sur celle d'Oholah ou
d'Oholihah?
3. I.e argument est plus spécieux que les précédents.
troisième
« Va, disait Jahvé au prophète, va, prends une femme de prostitution
et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer
loin d(^ Jahvé. » Don le raisonnement suivant. (îes « enfants de
prostitution ne sont. pas nés avant le mariage de Gomer, de sa vie
»

libre; ils lui sont nés pendant son mariag-e avec Osée. D'autre part,
l'épithète qui les qualifie marque suffisamment leur origine : ce sont
. des enfants adultérins, dont Osée n'est pas le père. Voilà, n'est-ce pas,
qui établit sans conteste l'infidélité conjug-ale de Gomer? Mais, de
plus, puisque l'expression fils de prostitution s'emploie déjà par /)/v;-

thrseau moment du mariage, avant que les enfants ne soient nés,


pourquoi les termes femme de prostitution ne seraient-ils pas égale-
ment une anticipation pour marquer ce que Gomer sera prochaine-
ment, bien qu'à l'heure actuelle elle ne mérite pas encore ce quali-
ficatif injurieux?
Malgré ses apparences plus rigoureuses, je ne crois pas ce nouvel
argument mieux établi que les deux premiers. Je vais tâcher de le
montrer. J'avertis toutefois que, pour tenir la solution complète de
cette difficulté, il serait préférable d'avoir déjà expliqué tout au long
le symbole des enfants d'Osée. Pour ne pas faire attendre le lecteur,
j'aime mieux anticiper la démonstration en termes succincts, sauf à
la reprendre en son lieu avec tous les développements qu'elle com-
porte.
Observons d'abord une"* chose de première importance : quel est

de cette expression enfants de prostitution dans le


le rôle effectif
symbole du mariage? Est-ce un rôle essentiel, nécessaire? Non; car,
ces mots supprimés, le symbole est encore le même « Va, prends :

une femme de ne fait que se prostituer. »


prostitution, car le pays
Ignominie de Gomer d'un côté, idolâtrie du pays de l'autre, il y a
pleine correspondance, le symbole n'est pas modifié. C'est pourquoi,
ou bien la mention des enfants est surnuméraire, ou bien elle n'a
LES SYMBOLES ItOSÉE. 395

pour but que de mieux accentuer la honte de la mère. De toute ma-


nière, ce trait n'est pas capital. C'est un premier point.
En outre, que signifient ces mots enfants de prostitution? Saint
•lérôme, qui ce[)end.mt était partisan de l'interprétation allég-oriqufi,
et qui, à ce titre, aurait eu intérêt à y découvrir une métapliore à
l'adresse des Israélites idolâtres, n'hésitait pas à traduire fils de :

fornication, parce que fils d'une courtisane, idcirco fornicationis


appellandi sunt fllii, quod sint de meretricc generati, entendez d'une
ancienne courtisane, puisque le saint Docteur admet que Gomer se
convertit à son mariage. Telle est encore l'interprétation de Théodoret
et de la grande majorité des commentateurs. Mais aujourd'hui les

critiques préfèrent traduire des enfants adultérins, des bâtards, car


:

ils estiment que les trois enfants de Gomer, les deux derniers au

moins, furent illégitimes.


Ici me vois contraint de me séparer des modernes, parce
encore, je
qu'ils ne tiennent pas compte des règles de l'exégèse symbolique.
Ils admettent tous qu'aux versets 3-9, l'origine coupalile des enfants

joue un rôle dans le symbolisme, et môme un rôle important. Mais


alors, pourquoi ne pas dire en toutes lettres, aux vv. 3-9, que ces
enfants eurent un autre père? pourquoi ne pas parler d'un amant (•-;"i)

comme m, i? pourquoi laisser supposer que ce sont les fils d'Osée?


Les critiques répondent, et je ne leur attribue point gratuitement cet
aveu Tout cela est sous-entendu... Sous-entendre un trait essentiel
:

dans un symbole ou une parabole? Ceux qui voudront se donner la


peine de réfléchir quelques heures seulement au mécanisme de la
parabole et du symbole, se convaincront sans peine que cette prétêri-
tion n'est pas recevable. Dès lors, les trois fils de Gomer sont les en-
fants d'Osée et il vaut mieux s'en tenir à la vieille explication de
saint Jérôme : Fils do prostitution, parce que fils d'ancienne cour-
tisane, idcirco fornicationis appellandi sunt filii, quod sint de mere-
trice generati.
Pour revenir au verset 2 et à l'argument tiré de la prothèse, il

suffit de dire qu'il n'y a pas de parité entre les deux formules femme :

et mfants de prostitution. La mère et les fils ne méritent pas le même


qualificatif au même titre. Gomer est ainsi dénommée, parce qu'elle
vivait dans désordre jusqu'à son mariage; ses enfants reçoivent la
le

même épithète, parce qu'ils doivent naître d'elle. Le prophète a raison


de de la sorte, bien qu'ils ne soient pas encore nés, parce
les qualifier

que c'est l'état actuel de son épouse qui est cause de leur ignominie,
et parce que lui-même, à la lumière de Dieu, il perçoit et accepte
la honte d'avoir un jour des enfants qu'effleurera la tare maternelle.
;«96 IU-,Vl:E BIia.IOUE.

l'oiir toutes cts laisons, j<> ne crois pas le troisirme ariiument niell-
K'ur ([lie les premiers.

ï. Le (luali'ièmo ai)pli(iue les repi-oclies du clia|). ii à rinlidrlite


de (lOnier, on fout au moins il y recoiniait rindice de sa délec-liou
coniu£^•al<^

Discutiz avec votre mère, discutez.


Non. eIU> n'est pas mon ("poiise
Kt je ne suis pas son ni.iri —
Ponr qu'elle ôte de son visage son invite à la prostitution
Et d'entre ses seins sa provocation à l'adultère...
Quant à ses enfants, je ne les chérirai pas
l'nisqu'ils sont des enfants nés de la prostitution.
Oui, leur mère s'est livrée à la prostitution,
Celle qui les a conçus s'est couverte de honte,
Car elle a dit « Je veux aller à
: la suite de mes amants,
« Eux qui me donnent mon pain et mon eau,
« Ma laine et mon lin,

« Mon huile et tna boisson » 'ii, 2-5) {î\

Cet ai'gument se rencontre chez des critiques qui ont par ailleurs
des opinions fort divergentes sur les autres questions du syndiole.
« L'épouse légitime d'Osée, écrit M. Gautier, s'abandonne aux pires

égarements; elle se prostitue' et se déshonore, elle court après ses


amants et abandonne son mari. — Celui-ci la désavoue, la rejette
et la laisse en proie aux privations.
J*uis, après un temps d'épreuve,
un rapprochement une réconciliation s'opèrent... (2). » « La nation
et
d'Israël, l'épouse de .lahvé, dit M. van Iloonacker, a été infidèle (v. 2' ;

II, i, 7); elle a engendré des enfants adultérins que Jahvé refuse

de reconnaître pour siens (i, 9 u, 6) de même l'épouse d'Osée sera


; :

une femme adultère, elle engendrera des enfants adultérins {3). »


« Tantôt, ajoute M. Desnoyers, c'est la voix du prophète que l'on

perçoit et tantôt celle de Yahwè. Le plus souvent, leurs deux voix


se confondent et Ion entend à la fois l'homme qui se plaint de son
épouse dévoyée et le Dieu qui gémit sur l'idolâtrie de son peuple
oublieux. Finalement la pensée religieuse émerge, dépouillée des
voiles de l'allégorie, et Yahwè se dresse comme un juge devant les
Israélites prévaricateurs. Qu'on lise avec cette pensée le fragment
qui suit (il, 2-13) et l'on pénétrera, en le goûtant, l'art délié du
prophète qui sait ainsi formuler les griefs et les menaces de son

(1) Traduction Louis Desnoyers, art. cit., p. 101.


(2) Op. cit., p. 462.
(3: Op. cit., p. 14.
LES SYMBOLES DOSÉE. 397

Dieu en donnant libre cours à la peine et à l'angoisse de son propre


cœur (1). »

Les réponses déjà faites aux arguments précédents me permettront


d'être plus court avec celui-ci. On y retrouve derechef la conviction
erronée que la vie conjugale d'Osée doit symboliser adéquatement
les et de son peuple. Il faut se persuader au con.-
rapports de Jalivé
traire que Jahvé peut avoir à se plaindre de l'idolâtrie d'Israël,
Lien que le prophète n'ait plus rien à reprocher à Gomer; qu'Israël
peut donner à Jahvé des enfants illégitimes, bien qu'Osée soit le père
des fils de son épouse. —
De plus, on ne saurait oublier que le
chap. un discours extrasymbolique qui s'ajoute comme un ap-
II est
pendice au.x symboles déjà complets par eux-mêmes du chap. i, et
qui déborde le sujet précédemment traité. Il y est question d'Israël
et non plus de Gomer, ainsi qu'en conviennent tous les critiques.
Nous y trouvons le tableau pathétique 4es infidélités du peuple
choisi (2-5), sa punition (8-13), sa conversion (6-7) et sa récon-
ciliation (14-2'i.),. somme un
presque entièrement nou-
en sujet
veau. Ainsi qu'il a été dit, on ne saurait jamais s'appuyer sur un
discours extrasymbolique pour définir la teneur d'un symbole quel-
conque.
Ces raisons paraîtront suffisantes peut-être pour juger mal fondée
la thèse nouvelle sur l'infidélité conjugale de Gomer.
Cette thèse s'aggrave encore de toutes les complications qu'elle
suppose dans l'état d'esprit du prophète. On les connaît déjà par
l'exposé qu'en a fait naguère M. Cruveilhier d'après Nowack et Marti,
ou simplement par la citation de M. Desnoyers reproduite ci-dessus. On
pourrait y ajouter encore de copieux extraits empruntés à Harper (2),
à Gautier, etc. Je ne reproduirai que ces lignes de Gautier, -pour
rafraîchir les souvenirs : « Gomer, au moment de son mariage, dit-il,

n'était point encore déchue. C'est plus tard, après la naissance de son
troisième enfant, quelle abandonne définitivement son époux et que
la rupture se consomme. Alors Osée, brisé par l'épreuve, comprend
le sens, jusqu'alors caché, que son infortune doit avoir pour lui et
pour son entourage, il comprend aussi le devoir qui l'attend, et se
prépare, en accueillant de nouveau l'épouse coupable et humiliée, à
montrer à son peuple la grandeur du pardon et la puissance de
l'amour. La vocation prophétique d'Osée est née de ses propres mal-
heurs; ce qu'il a souffert a été une révélation; il a mesuré par sa

(! i Art. cil., p. lui.


(2) Op. cil., pp. r.i,iii-i:LV.
398 HEVUE BlIiLIOI E.

propre oxpérionce soit ringratitudr hiiiiiaino, soit la cloulciir et la


misi'i'ieorde de Dieu (1). »
A celte luanirrr de voir AI. Cinveilliier asurt3ii( opposé des raisons
d'ordre théoloeiqiie, en dénon(;ant le préjugé (jui, d'après lui, en
vicierait les ori,i;ines, i\ savoir la néi^atiou de toute intervention divine
dans la vie familiale d'Osée, et, en dernière analyse, la négation du
surnaturel. Ces raisons sont très i:ravos. Mais un catholique, tel que
M. Uosnoyers, partage cette opinion, répondra sans doute que
([ui

ces reproches sont exagérés et que son interprétation se concilie très


bien avec le dogme de l'inspiration. Il n'est pas invraisemblable, écrit
M. Hesnoyers, « qu'Osée, ayant épousé une femme qui le rendit mal-
heureux,, reconnut dans cet accident même une intervention de
Yahvvè (2) ». De fait, l'étude comparative des symboles achève d'éta-
blir que ce sentiment est conciliable avec une rigoureuse orthodoxie.
Dans Jéréniie, à un chapitre d'intervalle, nous lisons les deux sym-
boles du va.sc ))tanqué (xviii) et de la gargoulette brisée (xi\). La
gargoulette, c'est Jérémie qui va l'acheter tout exprès et qui la brise
à dessein, afin d'avoir sous la main un symbole de la ruine de Jéru-
salem. -Mais le vase, c'est le potier qui le manque par mégarde, assu-
rément contre son gré, sans que Jérémie soit lui-même pour rien
dans cet accident. Ce n'est qu'après coup, à la lumière de Dieu, que
le prophète perçoit dans ce fait banal une leçon et un symbole. Cela
nous montre que le prophète ne doit pas nécessairement prévoir le
symbolisme avant la réalisation de l'acte, ni môme le découvrir au
moment où l'acte se réalise; il suffit qu'il le constate après coup, à la
réflexion (3). Et c'est pourquoi il ne répugnerait pas, du point de
vue théologique, qu'Osée eût découvert plus tard seulement, à la
lumière des événements et du malheur, les hautes leçons de sa vie
familiale.
>Iais cette opinion suggère des objections d'un ordre plus positif. —
1 . On conviendra qu'elle est loin d'être favorisée par le texte, puisqu'elle

nous oblige à entendre les faits à rebours, ce qui ne constitue pas pour''
la thèse une présomption favorable. —
2. Si le prophète a voulu dire

ce qu'on lui prête, pourquoi s'est-il exprimé d'une manière aussi

défectueuse? A
supposer qu'il voulût. nous donner le change sur sa
véritable pensée, il ne pouvait guère l'énoncer différemment. 3. Les —
(1) Op. cit., p. 464, 465.

(2) Art. cit., p. 99.

(3) Pour ce qui est de Dieu, il va sans dire qu'il voit tout. On peut ajouter que Dieu a
Toulu d'une manière spéciale le symbolisme qui ne sera [>erçu que plus tard, puisque c'est
encore lui qui donne au prophète la lamière pour le découvrir et qui en inspire la
rédaction.
LES SYMBOLES D'OSÉE. 399

critiques ne vont pas jusqu'à attribuer au prophète une supercherie;


ils ne mettent pas en cause sa bonne foi. Mais tout de même il y a
plus qu'une nuance entre les faits tels qu'ils se seraient passés et les

faits tels qu'Osée nous les présente. Osée aurait acquis la conviction
tardive qu-Q ses malheurs répondaient aux desseins de Jahvé; en réa-
lité,il se serait marié comme tout le monde, en obéissant à ses attraits

ou aux circonstances. —
Or, dans sa prophétie, il s'exprime de la
sorte « Et Jahvé dit à Osée Va, prends une femme de prostitution...
: :

car le pays ne fait que se prostituer. Il alla et il prit Gomer. » La


différence entre l'histoire et le récit est sensible. On essaie de la
mettre sur le compte du procédé littéraire. Mais la figure n'est-elle

pas ici commune mesure, et même


trop forte, ne dépasse-t-elle pas la
les mesures permises par la stricte loyauté? Car il était loisible au
prophète de raconter ses aventures domestiques, en avouant qu'il n'en
percevait pas le symbolisme à l'époque des événements. Mais qu'a-
vait-il besoin de s'attribuer des ordres qu'en somme il n'avait point
,reçus? Dans une circonstance analogue, Jérémie n'ira pas de parti pris
changer la perspective historique; il dira simplement : Je me ren-
dis chez le potier; il manqua son vase; il le refit; après quoi Jahvé
me dit : De même que le potier fait et refait à son gré les vases d'ar-
gile, ainsimoi, je crée ou détruis les peuples... Et la loyauté prophé-
tique est sauve. Je crains que celle d'Osée ne le soit pas dans l'inter-
prétation des critiques; il y plane une ombre de suspicion qu'on ne
parvient pas à dissiper. M. van Hoonacker l'a parfaitement compris. Il

écrit :Il « vraiment pris le


n'est pas moins inconcevable qu'Osée ait

change, après coup, sur les motifs de son mariage. S'il s'était marié
à une femme du nom de Gomer, avec pleine confiance dans sa vertu
et sa future tidélité, il n'a pas pu s'imaginer plus tard, en considérant
l'inconduite de Gomer, qu'au lieu de s'être trompé, il avait tout
prévu (1). » Je souscris pleinement à ces sages paroles.
i. 11 est un quatrième argument qui se tire des noms symboliques

donnés aux enfants de Gomer. De deux choses l'une ou bien Osée :

leur imposa ces noms au fur et à mesure de leur venue au monde, et


alors il n'attendit pas la répudiation de Gomer pour entrevoir la por-
tée morale de ses disgrâces domestiques; ou bien il ne les leur imposa
qu'après la consommation de la rupture, mais alors les enfants
étaient grandelets, les aines du moins, et ils avaient déjà reçu à leur
naissance d'autres noms qui durent être remplacés par les noms
symboliques, ce qui n'est guère conforme non plus à la lettre des ver-

(1) Op. cit., p. 40.


'.()() \\K\V\i Hiiu.iorK.

sots :{-!). \)c toute manière, il y a là une difliciiili' (|iic les ( rilicjiies

n'ont pas envisagée ou qu'ils n'ont pas su résoudre.


Au terme de cette Ionique discussion, un croit avoir le droit de con-
clure que réponse d'Osée nemamjua i)as à ses (d)ligations conjui;ales.
— 1. Cette conclusion s'impos»', si la thèse nouvcU*' ne tient pas, et
l'on a démontré qu'ellectivemcnt
ne tenait point. 2. Le texte
elle —
nous api)rcnd qu'avant son mariage, (lonier vivait dans le désordre :

on n'a pas le droit d'éliminer cette donnée pour lui substituer l'anir-
malion fantaisiste que (lomer était une femme de bonne vie et mœurs.
— 3. Le texte nous dit en termes formels ou équivalents que Gomer
donna trois enfants à Osée : on n'a pas le droit d'élaguer ce récit pour
transformer ces enfants en \ ulgaires bâtards. — Le texte est muet
k.

sur les prétendus désordres de f.omer sous le régime matrimonial :

on n'a pas le droit de i)rofiter de ce silence pour écliafaudcr sur le


compte d'Osée tout un roman dans le goût des romans à la mode.
On sait que le respect des textes est la première loi d'une bonne
exégèse; mais, quand il s'agit d'exégèse parabolique ou symbolique,
c'est une condition impérieuse, en dehors de laquelle, s'il peut y
avoir encore de brillantes fantaisies, il n'y a sûrement plus de vérité.

B. Symbolisme.

Après avoir envisagé les questions se référant au symbole de Gomer,


il est temps d'en dégager la leçon symbolique. Les vv. 2 et 3, il faut
le rappeler, s'énonçaient en ces termes : « .lahvé dit à Osée : Va,
prends une femme de prostitution et des-enfants de prostitution, car
le pays ne fait que se prostituer loin de Jahvé. Et il alla, et il prit

Gomer, tille de Diblaïm... « Pour relever objectivement la leçon d'un


symbole, on note d'abord le trait essentiel du signe, ensuite l'appli-
cation qui en est faite à la chose signifiée. De cette comparaison jaillit
la leçon symbolique.

En l'espèce, le signe est exprimé par la phrase suivante Va, : o.

prends une femme de prostitution et des enfants de prostitution. » On


l'a déjà dit, les mots « enfants de prostitution » n'appartiennent pas
à l'essence ne reparaissent pas dans l'ap-
du symbole, attendu qu'ils
plication; seuls, les mots « femme de prostitution » forment le trait

capital. Du simple énoncé, du symbole et de toutes les discussions pré-


cédentes il ressort que Gomer était encore engagée dans cette vie de
courtisane à l'époque de son mariage. L'application du signe à la —
chose ^gnifiée est indiquée au même v. '2 « Car le pays ne fait que :

se prostituer loin de Jahvé ». On voit que l'applicit'on répète, en


LES SYMBOLES D'OSÉE. 401

l'einployant au figuré, le terme même du signe, prostitulion, au lieu


du terme propre qui convient à la réalité, idolâtrie. Ce n'est là qu'un
léger écart des règles idéales du symbolisme, écart du reste assez
fréquent dans la Bible comme dans auteurs profanes, et qui ne
les

nuit en rien cà la clarté. 11 n'est pas un lecteur de l'Ancion Testament


qui ne sache que l'Écriture désigne indistinctement les désordres
religieux d'israrl sous le terme propre d'idolâtrie ou sous les termes
figurés de prostitution et d'infidélité conjugale.
Les deux traits qui se répondent dans le symbole sont donc les
suivants : l'inconduite de Gomer et Fidolàtrie d'Israël. Inc'bufiuite de
Gomer, c'est le que le symbole met en plein relief, tandis que
fait

les .circonstances de temps sont reléguées à un plan secondaire. —


Idolâtrie d'Israël : ici Jahvé ne présente pas expressément la nation
coupable comme son épouse, bien qu'il le fasse ailleurs en termes for-
mels (v. gr. II).
Ces nuances, qui ont Tair de minuties, ne laissent pas d'avoir leur
prix. Elles nous montrent que le prophète n'a pas prêté la même
attention à tous les aspects de son sujet, qu'il n'a pas eu le dessein
d'épuiser par un premier symbole toute la question des rapports de
Jahvé et d'Israël, en un mot, que nous n'avons ici qu'un symbole par-
tiel, où une seule idée se détache, tandis que les autres détails restent

volontairement confondus dans la pénombre.


L'exégète a le devoir de ne compter qu'avec l'idée sailknte, parce
que seule elle est affirmée par l'auteur sacré. On ne saurait mieux
faire que de la ramener aux deux termes d'une comparaison :

De même que Gomer, choisie pour épouse d'Osée, est une femme de
mauvaise vie,
ainsi Israël est enfoncé dans son idolâtrie.
Symbole prophète n'envisage ici ni le
partiel, disions-nous, car le
passé ni l'avenir religieux d'Israël; en fait abstraction, pour ne
il

marquer que sa lamentable idolâtrie de l'heure actuelle. A cette fin,


il lui suffisait de considérer un seul état de la vie de Gomer, l'état

présent, en faisant abstraction, sinon de son passé, puisque cela


pas possible, du moins de son avenir.
n'était
Les critiques qui se plaisaient à retrouver dans ce symbole, long
de deux lignes à peine, toute l'histoire religieuse d'Israël, estimeront
sans doute que c'est ne garder de ces larges conceptions qu'un résidu
bien mesc[uin. Le lecteur se souvient peut-être que, dans l'exégèse
des paraboles, c'est la même déception qui attend certains exégètes
habitués â trouver tout dans tout, c'est-à-dire rien de moins ([ue le
catholicisme intégral dans un chapitre d'évangile et im exposé dog-
REVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. XIV, 2<i
402 KKVLK HlBl.igiiE.

malitiuo complet dans la paraliolo la j)lus oxiguO. Il faut poiiiiant s(

faire à cette idée qu'un auteur de paraboles et de symboles n'est pas


tenu de loul dire à la fois, (pril procède i^énéralement par petits
tableaux, lescpiels, du reste, doivent se joindre les uns aux autres,
pour composer ensuite un enseii:nenient de plus large en\ ergure. Mais
les satisfactions dv la synthèse tinale supposent nne stricte fidélitc
dans les analyses de détail.
Au reste, le du i)remier chapitre d'Osée, en raison
symbole partiel
même de son pénible réalisme,était de nature à frapper les esprits.

Pourquoi le prophète allait-il choisir pouréjjouse une femme perdue,


alors ([u'il y avait tant de vierges en Israël? Est-ce qu'Osée ne parta-
geait pas la délicatesse de ses concitoyens en pareille matière? A
Dieu ne plaise. Mais ce choix si pénible lui était imposé par .lahvc,
qui par là voulait dénoncer une fois de plus l'ignoble prostitution
idolAtrique de la nation. Le symbole n'allait pas au delà, mais on
devine qu'il pouvait servir de thème ou d'amorce à de plus amples
développements extrasymboliques, analogues à ceux qui remplissent
le chapitre u. Même réduite à ces proportions plus modestes et plus
vraies, la leçon du mariage d'Osée n'était donc pas négligeable...
Pour finir, je ne saurais mieux faire que de transcrire quelques
lignes de Cornélius a Lapide, dont l'exégèse, en matière de paraboles
et de symboles, par endroits très pénétrante. Je les dédie à ceux
est

qui regretteraient que le symbole de Gomer ne retraçât point toute


l'histoire religieuse d'Israël. « Un objet semblable, écrit-il, ne l'est
pas de;, tout point; il l'est uniquement sous le rapport spécial de sa
similitude.U n'est donc pas nécessaire, dans les allégories et les
figures,que toutes les circonstances de temps, de mode, d'action, etc.,
répondent à la chose signifiée cela n'est requis que de celles sur
;

lesquelles porte la similitude du signe avec là chose signifiée, par


exemple celle du type avec l'antitype. Simile per omnia non est

ùinile;sed in eo tantmn, in quo collocatur simililudo ; quocirca non


est necesse in allcgoriis omnes circiimstantiae temporis,
et typis, ut

modi, actiunis, etc., respondeant rei signiflcatae, sed eae tantum


in quibiis fit rçpraesentatio^ et comparatio significantis cum signi-
ficato; puta typi cum antitypo. C'est ainsi qu'en cet endroit le pro-
phète reçoit ordre d'épouser une courtisane, pour représenter que la
synagogue se livre à la fornication. Ita hic jubetur propheta ducere
fornicariam, utper hocrepraesentet synagogam essefornicariam (1). »

(1) In Os., I, 2.
LES. SYMBOLES DOSÉE. 403

II. Les enfants d'Osée et de Gomer (i, 3-9).

3. Il alla et prit Gomer, fille de Diblaïni: elle conçut et lui enfanta un fils. 4. Et
Jahvé lui dit : Appelle-le Jizre'ël. car encore un peu de temps, et je vengerai le san"
de Jizre'ël sur la maison de .Téhu, et je mettrai fin à la royauté de la maison d'Is-
raël. 5. Et il arrivera en ce jour que je briserai l'arc d'Israël dans la vallée de Jizre'ël.
6. Et elle conçut de nouveau
et elle enfanta une fille, et il lui dit Appelle-la Lô :

ruhâma, car compassion de la maison d'Israël, de manière à lui par-


je n'aurai plus
donner 1:. 8. Et elle sevra Lô ruhàmà. et elle conçut et enfanta un fils. 9. Et il
dit : Appelle-le Lô ammi, car vous n'êtes pas mon peuple, et moi, je ne suis pas
pour vous...

A. Symbole.

Après avoir longuement disserté sur les parents, il est permis d'être
plus bref sur la famille. Pourtant ici encore il se pose divers pro-
blèmes, dont on a déjà dit quelques mots et qu'il faut achever
d'éclaircir.
Historicité des enfants. —
Il va de soi que les écoles qui se parta-

geaient sur l'historicité du mariage, se retrouvent en présence quand


il s'agit de la réalité des enfants. Les arguments pour et contre n'ont

pas varié. Pour ma part, je tiens que ces enfants sont des êtres
vivants, en Chair et en os, non moins que leurs père et mère. On a
déjà pu lire ci-dessu&- l'énoncé des preuves sur lesquelles repose cette
assertion naissance des enfants à intervalles réguliers, mention d'une
:

filleauprès de deux garçons, sevrage de Lô ruhâmâ... Il n'y a pas


lieu d'insister davantage.
Légitimité des enfants. —
On rappellera pour mémoire une théorie
timidement proposée jadis par quelques auteurs, suivant laquelle les
enfants de Gomer étaient déjà nés au moment de son mariage avec
Osée. Ils étaient naturellement le fruit de l'inconduite de leur mère, •

Personne aujourd'hui, à ma connaissance, ne partage ce senti-


ment.
Le courant est ailleurs, ainsi que
Pour la le lecteur le sait déjà.
plupart des critiques modernes van Hoo-
: Marti, (iautier, Harper,
nackcr, Desnoyers, ces enfants sont encore illégitimes, mais ils sont ^

nés après le mariage de (iomei- et d'Osée, et ils sont le fruit de l'in-


fidélité conjugale de leur mère.
A vrai dire, les auteurs précités ne sont pas bien d'accord en la

(1) Le y. 7 dérange trop ouvertement le iiiouvement de la pensée pour qu'on puisse le


croire à sa place originelle. Les critiques, ^owack, Marli, Harper le tiennent généralement
pour une glose. Van llooaacker le reporte à la fin du chap. ii.
404 IU:VI I. HIULIQUK.

maliric. lis ue s'enlcMulcut ni sur rô[)0(jue où cominenci l'inconduito


de (iomor, ni siii' le moment on Osée s'en apeivut.
iNowack est d'avis, après Wellliauscn, que le prophète n"a soup-
»onn<'; lirrégularité de sa l'emnie fju'après la naissance de .lizre'fil,

puisque le nom de l'enfant ne l'ail pas la moindre allusion aux désor-


dres maternels (1). Peut-être même Nowack admet-il que les trois
enfants furent légitimes. Du reste, on chercherait vainement dans cet
autour une pensée bien arrêtée. Serait-ce que la théorie, qui venait
à peine d'être lancée, n'était j)as encore entièrement mûrie ou du
moins n'avait pas encore développé ses dernières conséquences?
Toujours est-il (|ue le système n'a pas mis de longues années à se
parachever. Pour Marti (2), les trois enfants sont adultérins, mais Osée
Jie la su qu'après le^ur naissance. S'il l'avait appris plus tôt, il n'au-
rait pas si longtemps toléré sous son toit l'épouse infidèle. Il n'aurait
pas davantage donné des noms symboliques aux enfants, s'il avait
soupçonné leur véritalWe origine.
Pour Harper, le symbolisme exige que les enfants naissent pendant
le mariage d'Osée et de Gomer (3). Tous les trois sont bâtards. Mais,
tandis que le prophète ignore l'origine de Jizre'ël, il connaît celle des
deux autres, d'où leurs noms (V). ,

M. Desnoyers écrit de son côté « Elle (Gomer) mit au monde trois


:

enfants dont Osée finit par s'apercevoir qu'il n'était pas le père et à
chacun desquels il donna un nom destiné à symboliser rinfidélité du
peuple d'Israël envers Jahvé, infidélité dont Gômer et ses bâtards n'é-
taient que de trop vivantes images (5). »
Mais c'est encore chez M. van Hoonacker que la théorie est le plus
développée, en même
temps qu'elle apparaît pour la première fois
étayée de quelques arguments. Voici ce qu'il dit au sujet du pre-
mier-né u Et elle conçut... Le lecteur se rappellera l'observation,
:

que la relation de la conception et de la naissance de l'enfant, ni en


cet endroit, ni vv. 6 et 8, n'est précédée de la mention des rapports
d'Osée avec sa femme; l'enfant n'est pas censé issu d'Osée lui-même...
Et elle lin engendra un fils. C'est le premier des « enfants de fornica-
tion annoncés v. â. Étant né après le mariage le fils est, juridique-
))

ment, enfanté à Osée. La formule iS~~Sm n'autorise pas à conclure,


avec un grand nombre d'interprètes, que dans l'idée de l'auteur Osée

(1) Op. cit., p. 14, 29.

(2) Op. Cïl., p. 15, 10.


(3) Op. cit.. p. 207. •

(4) Ibid., JntrodiKtion. p. cliii.

(5; A7-t. cit., \>. 08.


LES SYMBOLES D'OSÉE. 405

fût réellement le père de l'enfant...


Il est à noter d'ailleurs que iS est

absent de quelques manuscrits hébr. et gr. et qu'il ne figure pas aux


vv. 6, 8... Osée étant juridiquement le père de l'enfant, c'est lui qui
lui donne son nom (1). » Ces arguments pourraient se résumer ainsi :

1.La formule et elle lui enfanta » n'implique pas nécessairement


<(

une déclaration de paternité. 2. En revanche, le silence sur les rela-


tions du propiiète et de sa femme est un indice peu favorable à la
légitimité des enfants. 3. Il en est de même de la formule des vv. 6

et 8 « elle au lieu de « elle lui enfanta »...


enfanta »,

J'avoue qu'à la première lecture, ces arguments ont quelque chose


d'impressionnant. Mais, dès qu'on reprend en main sa Bible hébraï-
que pour contrôler le sens de ces formules et vérifier le bien-fondé
de ces allégations, on demeu-re surpris de la rapidité avec laquelle la
théorie se trouve démentie par les faits. 1 On assure que les termes — . :

elle lui enfanta n'impliquent pas une profession de paternité. Pour se

convaincre du contraire, il suffit de relire quelques textes de la


Genèse : Sa?'a conçut et enfanta à Abraham ?m fis dans sa vieillesse
(xxi, 2); on apporta k Abraham cette nouvelle Melc/ia a aussi en-
:

fante des fils à Nachor, ton frère (Gen., xxi, 20) ce sont là les huit fils ;

que Melcha enfanta à Naclior (ibid., 23); voici la postérité des fils
de Noé, Sem, Cham et.lapheth il leur naquit des fis après te déluge :

(Gen., X, 1). Le texte suivant est particulièrement suggestif, parce


qu'il est identique à celui d'Osée : Abraham prit encore une femme,
nommée Céthura. Et elle luienfanta Zamraji... (Gen., xxv, 1,2). Nous
lisons de même dans Osée // alla et prit Gomer ; elle conçut et lui
:

enfanta un fis (i, 3). — Peut-il encore subsister quelques doutes sur
le sens de ces formules? Et s'il n'est venu à personne l'idée de contes-
ter la paternité d'Abraham et de Nachor, de quel droit contester celle
d'Osée?
2. Mais le silence sur les relations conjugales du prophète n'est-il
pas significatif? —
Je laisse encore aux textes suivants le soin de
répondre. « Adam
connut sa femme, et elle conçut et enfanta Caïn...
Elle enfanta encore son frère Abel » (Gen., iv, 1, 2). L'enfantement
d'Abel n'étant pas accompagné de la mention des relations conju-
gales, conclura-t-on qu'Abel était illégitime? « Lamech prit deux
femmes : l'une s'appelait 'Ada et l'autre Sella. Et Ada enfanta Jabel :

il a été le père de ceux qui habitent sous les tentes... Sella de son
côté enfanta Tu])alcain,.. » (Gen., iv, 19-22). Voilà un texte singuliei' :

il ne nomme expressément que les mères; il ne présente le père que

(1) Op. cit., \). in.


-iOC HEM K IMhl.lClUK.

coiiiiiU! \o nuu-i des doux femmes; il nb mentionne ni les relations


conjuq-nles ni la conception. Voudra-t-on en conclure de nouveau <|ue
les enl'ants d'Ada et de Scll;i étaient illc.dtimes? — Le texte suivant
n'est pas moins intéressant en raison de ses prétéritions « Ce sont là :

les huit rnlants que Melcha enfanta A Naclior... Sa roncnbiiie, mniiint'e


lioma. rnfanka elle aussi Tclmh, Gaham, etc. » (Gen., xxii, 23, 2^t).
— he ces textes et de bien dautres encore il suit (jue, si les relations
conjugales sont mentionnées souvent dans l'Écriture, avant la con-
ception ou renfantement, il s'en faut qu'elles le soient toujours. Or,
personne n'a jamais songé à profiter de ce silence pour nier la pater-
nité du mari dont le nom ligure de quelque manière dans le con-
tf'xte. Je demande qu'il ne soit pas fait d'exception pour Osée, ou du
moins qu'on ne s'autorise pas de l'usaig'e scripturaire, qui ap])araît
tout autre que ce que l'on disait. —
3. Les citations précédentes éta-
blissent ^ncore la synonymie des expressions elle enfanta et elle lui :

enfanta.
On jugera, à la lumière de ces textes, si la thèse de l'illégitimité
des enfants conserve encore quelque apparence de vérité.
Par contre, la thèse de la, légitimité repose sur les deux preuves
suivantes, qui, à la vérité, ne sont que les deux aspects d'un même
argument. La première se tire du sens naturel de ces versets Il alla :

et prit Gomer, elle conçut et elle lui enfanta un fils... Elle conçut en-

core et enfanta une fille... Elle sevra L6 ruliâmn, pnia elle conçut et
enfanta un fils. — Ces textes, fortifiés des citations scripturaires qu'on
A'ient de lire, me
semblent décisifs; ils ne permettent pas la moin-
dre hésitation ils donnent
: Osée comme le père des enfants de
Gomer. —
La deuxième preuve, toute négative, se tire du silence du
texte. Puisque les formules employées impliquaient normalement la
paternité d'Osée, si en réalité le prophète n'eût pas été le père de ces
CTifants, le texte n'aurait-il pas dû nous en avertir? Il l'aurait dû d'au-
tant plus qu'au dire des critiques rillégitimité jouaitpn rôle impor-
tant dans le symliole... Voilàdonc ces auteurs derechef condamnés à
sous-entendre dans un symbole un des traits essentiels. Nous avons
vu que M. Harper ne s'en trouvait pas gêné. 31. van Hoonacker ne lest
pas davantage. Il écrit « Non seulement il est entendu dès l'abord
:

(v. 2) que Gomer sera une épouse coupable, mais dans la suite du

récit. Osée suppose (1) simplement, sans jamais dire à l'occasion de

la naissance des enfants, que ceux-ci n'étaient pas siens, il suppose,


disons-nous, que tous, du premier aii troisième, étaient des ])àtards.

(1) C'est M. V. H. lui-même qui souligne.


LES SYMBOLES D'OSÉE. 407

Cela devait être ainsi à cause du rôle représentatif des enfants (1)\ »

— On ne peut que le répéter, de telles suppositions, accompagnées de

tels raisonnements a priori, sont des contresens en exéyèse sijmbo-


l'ique.

Je ne reviendrai pas ici sur la formuler du v. 2 '( des enfants de


prostitution ^>, si ce^n'est pour rappeler qu'elle est susceptible d'un
sens mitig-é d'une ancienne prostituée, et que la signification
: fils :

enfants adultérins, n'est pas conciliable avec les versets 3-9, qui éta-
blissent la légitimité. Le sens d'enfants adultérins a donc été écarté à
bon droit.
C'est l'interprétation des anciens, saint Jérôme, Théodoret ;
plus
près de nous, de Cornélius a Lapide, dom Calmet; de nos jours, parmi
les catholiques, de Trochon, Knabcnbauer, Crampon, parmi les pro-
testants, sûrement de Gautier (2), peut-être aussi de Wellhausen et
de Nowack (3).

B. Symbolisme.

Le symbolisme réside dans le nom des enfants d'Osée, comme il

résidera bientôt dans le nom des enfants d'Isaïe. Le prophète l'exprime


d'une manière uniforme et brève, en indiquant à l'occasion des trois
noms l'événement que chacun présage.
Le symbolisme du premier nom est ainsi conçu : « Appelle-le
Jizre'ël, car encore un peu de temps, et je vengerai le sang de Jizre'ël

sur la maison de Jéhu, et je mettrai fin à la royauté de la maison


d'Israël. Et il arrivera en ce jour que je briserai l'arc d'Israël dans la
vallée de Jizre'ël » (vy. 4, 5). Jizre'ël signifie : Dieu disperse. Au
point de vue de la forme, l'oracle se déroule en une série d'allitéra-
tions ou jeux de mots (4), goût de l'époque
qui étaient dans le

(cf. Michée, i, 10-15). Au point de vue du fond, il est comminatoire .

il annonce la vengeance que Dieu s'apprête à tirer des cruautés dont

Jéhu se rendit coupable, à son avènement au trône, lorsqu'il n'épar-


gna ni les fils d'Achab ni les parents d'Ochozias. En punition de ces
crimes, Jahvé mettra fin prochainement à la dynastie d'Israël, ainsi
qu'au royaume lui-même. Cette exécution s'opérera, dit le prophète,

(Ij Op. cil., p. 40.

(2) « De cette union sont nés d'abord un (ils..., puis une fille..., enfin un troisième en-
fant, un fils » (op. cit., p. 462).
(3) Osée épouse Gomer qui lui donne trois enfants » iop. cit., p. 3).
(

(4) L'enfant porte exactement le même nom que la fameuse vallée, témoin des massa-
cres de Jéhu. Il faut garder cette identité dans les traductions, soit qu'on écrive Jizre'i-L
comme en hébreu, ou Jezraël, suivant l'usage plus reçu pour le nom de la plaine.
i08 HKVUE niin,l(.U)E.

dans la plaint' do .lizi'c fi, (|iii, aj)i('s avoir été le lien du ciinic, sera
aussi le lien du chAtinieiil.
CeUc vallée de Jizre'ol a donué bien du mal aux cttmmcnlatcurs.
imaginé, jadis, qu'avant de succomber sous les
('ertains n'out-ils pas
coups des Assyriens, en 1±1, Israël avait livre un combat mallieureux
dans la plaine d'Ksdrelon? i.a vraie solution nous est suggérée par le
symbolisme du style esehalologique, cher aux prophètes, dès qu'ils
viennent à parler des grandes catastrophes, nationales ou mondiales.
iMusieurs prophètes mentionnent des vallées où doivent s'accomplir
des événements pleins de mystères. Isaïe a sa ral/re de la vision,
•lérémie sa vallée d'Hinnoni ou dit carnage, Kzéchiel sa vallée des pas-
sants, .loël sa vallée de Josaphat , Zacharie sa vallée des montagnos,
tout comme Osée sa vallée de Jizre'él. Tantôt le nom de ces vallées est
purement imaginaire; tantôt il appartient à la topographie réelle de
l'époque, comme pour llinnom et .lizre'el. Sans entrer ici
c est le cas
dans tous les développements que comporterait la matière, on peut
dire du moins que, lorsque le nom est réel, il est choisi parce que
l'événement prédit a quelque relation avec le lieu désigné par ce
nom; mais on n'en saurait conclure que l'événement futur doive réel-
lement se passer au même lieu. Ainsi, Osée annonce que l'arc d'Is-
raël doit être brisé dans la plaine de Jizre.'ël, parce que c'est là, dans
la plaine histori({ue de Jizre'ël, qu'ont eu lieu les atrocités de Jéhu ;

mais il ne faut pas s'attendre que la catastrophe où s'effondrera le


royaume ait pour théiVtre la même plaine de .lizre ël. On doit plutôt
renverser les termes et dire que le lieu, quel qu'il soit, où Israël
recevra le coup de grâce, sera sa vallée de Jizre'ël.
Les critiques insistent sur un autre point. Osée, disent-ils, au
moment où il prononçait cette prophétie, soit vers 750, était per-
suadé de la ruine imminente d'Israël. Après coup, il a bien dû s'aper-
cevoir que l'événement ne lui avait pas donné raison. Comment dès
lors n'a-t-il pas retouché son oracle? Nowack trouve le fait étrange,
sans parvenir à se l'expliquer fl). Marti, plus avisé, suppose qu'après
la chute de Zacharie, dernier rejeton de la race de .léhu, vers 7i5, la
ruine du royaume était virtuellement consommée (2); dès lors Osée
n'avait aucun besoin de remanier sa prophétie. C'est une explication.
Il en est une autre, envisagée de préférence par les catholiques :

elle consiste à dire que ces prophéties, réputées imminentes, com-


portent toujours quelque délai, souvent fort long. En l'espèce, le
délai suprême ne fut pourtant pas trop prolongé, puisque le royaume

(1) Op. cit., p. 15. ^

(2) Op. Cit., p. 18.


LES SYMBOLES D'OSÉE. 400

(l'Israël s'effondrait décidément en 722 avec la cliute de Samarie,


un quart de siècle à peine après les prédictions d'Osée.
En somme, le symbolisme de ce premier nom revient à ceci :

.lizre'ël, premier-né d'Osée et de Goraer, est un gage que les cruau-

tés commises naguère dans la plaine de Jizre'ël, seront châtiées par


la ruine de la royauté et du royaume coupables.
Le second enfant, une fille du nom de Lô ruhàmà, venait peu après
signifier aux Israélites que .lahvé n'a^'clit plus compassion d'eux.
Enfin, le troisième enfant, un garçon nommé L6 ammi, leur annon-
«;ait qu'Israël n'était plus le peuple de Dieu (1).
Ces trois symboles sont autant de verdicts de la justice divine. Le
premier seul assigne, pour motif à Ja sentence la froide cruauté de
Jéhu. Les deux autres sont muets sur les causes du châtiment. Mais
il ne faut pas remonter bien haut pour se rappeler les prostitutions

idolàtriques qui souillaient le pays (v. 2)^ Tout le livre d'Osée énu-
fnève du reste les prévarications morales et sociales qui escortaient,
alors comme toujours, la défection religieuse.
Quant au châtiment, il est clairement annoncé : le royaume d'Is-
raël touche à sa fin; Jahvé ne lui fait plus miséricorde, ne lui par-
donne plus; il l'a répudié ; Israël n'est plus son peuple.
Par là même, les symboles des enfants se distinguent du symbole
de leur mère : celui-ci constatait u/t fait actuel : l'idolâtrie de la

nation: ceux-là prophétisent à venir : le châtiment par la itn fait

ruine. Il y a gradation du premier aux seconds. Mais, comme la mère


et les enfants, ces quatre symboles appartiennent bien à la même
famille.

III Deuxième mariage d'Osée (m).

1. Et Jahvé me dit : Une fois encore va, aime une femme qui « en aime » (2) un autre
et est adultère, de même que Jahvé aime les fils d'Israël, tandis qu'eux, ils se tour-

nent vers d'autres dieux et qu'ils aiment les gâteaux de raisin. 2. Et- je l'achetai

pour quinze sicles d'argent, un liomer d'orge et un léthék d'orge. 3. Et je lui dis :

Durant des jours nombreux tu me resteras, tu ne forniqueras point et tu ne seras à


personne, et moi, je ferai de même à ton égard. 4. Car duraut de nombreux
jours les fils d'Israël resteront sans roi ni chef, sans sacrifice ni stèle, sans l'phod ni
teraphim. .5. Après quoi les fils d'Israël se remettront à chercher Jahvé, leur Dieu,
et David, leur roi, et ils s'empresseront avec vénération vers Jahvé et sa bonté à la

fin des jours.

1 Pour rinlerprétatioii des détails, voir van Hoonacker [op. cit., pp. 17-19).
(2) Les critiques (Nowack, van Hoonacker) préfèrent généralement la leçon massoréti-
que : aini'.'e d'un autre (171 niilN) à celle des Septante aimant un autre (àYaTtwffav,
:

n2~S;. Mais cette deuxième leçon, qui ne change que la ponctuation du mot, a l'avantage
.

Un REVUK lum.iorK.

A. Sij)nli()lc.

<.e nouveau symbole suscite pi'i-sijue autant de conlroverscs (jue le


mariai^e de (iomer. La t'einnie dont il est question est-elle la nKMiic
que Gomer, on bien est-ce une personne diilerente? Pourquoi et
combien le prophète racbcta-t-il? Une fait-il d'elle après le mariaij;e :

la met-il en pénitence, ou vit-il a\ee elle? Enfin quelle est la sii;ni-


iication synd>olique de cette nouvelle union? Autant de problèmes
qui divisent de nouveau les commentateurs. Essayons de les résu-
mer le plus clairement possible. Il y aura lieu surtout de les apprécier
à la lumière des principes d'exégèse symbolique.

Est-ce la mhne personne que Gomcr? — Les uns le nient : saint


Jérôme. Tbéodoret. a Lapide, Calmet, Vigoureux, Knabeid^auer,
Crampon. Marti...; d'autres ral'firment : Trochon, Nowack, Ilarper,
(iautier, \ an Hoonacker, Desnoyers...

Pour ces derniers, le chap. m


continue simplement Thistoire du
chap. I. On connaît déjà les désordres auxquels, à les entendre, Gomer
se serait livrée, sitôt après son mariage. Cette inconduite aboutit
à la conséquence fatale que l'on pouvait prévoir. Gomer quitta le
foyer conjugal. Fut-ellerépudiée? S'enfuit-elle d'elle-même? Fut-
elle enlevée par son amant? Ici les auteurs précités déplorent une

lacune du texte. « Intentionnellement ou de toute autre manière,


écrit Ilarper, il quelque chose d'omis. Com-
est évident qu'il y a
ment Gomer en où elle se trouve au
est-elle arrivée à la situation
chap. m? A-t-elle abandonné son mari? A-t-elle été chassée de la
maison (1)? » Nowack est d'avis quelle s'est plutôt enfuie, car, d'après
le droit, une femme répudiée, qui s'était remariée, ne pouvait revenir

à son premier mari (Jér., m, 1). Peut-être cependant, ajoute-t-il,


pas encore au temps d'Osée... (2). Toujours
cette loi n'existait-elle
qu'au début du ehap. ni la femme était au pouvoir d'un autre,
est-il

quelques-uns vont même jusqu'à dire qu'elle était devenue son es-
clave. C'est alors que Dieu intervient. Il ordonne à Osée de racheter
l'infidèle et de la ramener au logis, ce que le prophète exécute, non

de cadrer beaucoup mieux avec l'application. Les Israélites se tournent vers d autres
dieux, on s'attend donc a trouver dans le symbole une femme qui ne tourne elle aussi
illégitimement vers un boinme. Avec Marti, je préfère cette lecture.
(1) Op. cit., p. 117, 118. « Il est à noter dans tous les cas qu'Osée a cru pouvoir se dis-
penser de raconter dans quelles conditions Gomer se serait séparée de lui » (van Hoona-
cker, p. 33).
(2) Op. cit., p. 25.
LES SWreOI.ES DOSÉE. 411

sans soumettre (Jonier à une épreuve salutaire pour s'assurer de sa


complète conversion...
J'orhets à dessein les nuances que revêt système des divers auteurs
le

pour ne retenir que le fond (jui leur est. commun à tous. M. Des-
noyers expose ces épisodes sous une forme attrayante « La femme :

qu'il (Osée) doit épouser symbolise les Benè-Israel qui se sont détour-

nés de Yahwè pour servir d'autres dieux. C'est une femme de mœurs
dissolues, adultère à l'éa-ard de son premier mari, infidèle envers son
amant. Il n'y a que deux moyens de Farracher à la honte l'aimer :

et réprouver. Le prophète l'achètera donc pour femme, poussé vers

elle par un amour profond; mais il ne la prendra auprès de lui


que le jour oîi, après une séquestration longue et résolument accep-
tée, sa fiancée sera redevenue digne de sa présence et de ses soins.
Cependant recluse et pénitente, cette femme sent peu à peu se refaire
son co'ur: ses désirs se tournent non sans impatience vers celui qui
l'attendit le premier et que maintenant elle attend, elle aussi. Le
jour de la rencontre enfin arrivé, elle se précipitera vers lui, trem-
blante d'une émotion où à la joie et à l'amour se mêle un reste de
honte qui la rend plus affectueusement soumise (1). »
Mais on sera heureux sans doute de connaître les raisons^ sur les-

quelles repose cette théorie. Harper est de tous les auteurs celui qui
nous les expose avec le plus de clarté (2). — 1. La femme du chap. m
a d'étonnantes ressemblances avec Corner : toutes deux sont qualifiées
de courtisanes; toutes deux représentent Israël. 2. De plus le suffixe —
féminin du v. 2 je /'achetai, elle, se rapporte à une personne déjà
:

connue. —
3. Enfin, s'il était question d'une nouvelle femme, c'en se-

rait fait de l'enseignement principal du symbole. Comment cela? Sur


ce dernier point les auteurs précités se retrouvent d'accord. « Si, par
son amour pour Nowack, Osée doit représenter
cette femme, écrit

l'amour de Jahvé pour Israël..., il faut absolument {.so forihrt das mit
Nothwcndigkeil) que \?i femme soit la même que (iomer bath Diblaim.
S'il s'agissait d'une autre femme, qui eût été infidèle à un autre, mais

non pas à lui, comment, avec cet amour pour une autre femme, le
prophète pourrait-il représenter l'amour constant de Jahvé pour le
mémo Israël infidèle (3)? » M. van Hoonacker écrit de son côté « La :

conduite d'Osée, qui doit symboliser les conditions de la réconcilia-

tionde .fahvé avec Israël, ne répondrait guère à cette fin, s'il fallait
entendre que le prophète abandonna définitivement Comer, qui re-

(1) Art. cil., p. 147, li8.

(2) Op. cit., p. 215.

(3) Op. cit., p. 25.


412 UKVl K lUHl.lUl'E.

pivsnilait Israël au cliap. i,pour sc.niarier avec une autre ionime (1). »
1)0 paivils ari;ameats, connue nu le pense bien, sout loin irètrc
(lécisils. — 1. Les analogies ne sout pas si étroites, qu'elles cMjuivail-

lont à lidenlité. Les deux femiucs ont en couiuiuu leur mauvaise vie,
elles représentent toutes deux Israël; mais jusijue-là elles j)cuvent
<^tre aussi bien deux personnes (ju'une seule. -i. Le suffixe ieminin —
du verbe achrlcr désigne une femme connue du lecteur; mais pour-
(juoi remonter jusiju'A Corner, au eliaj). i? Le suffixe ne peut-il se
rapporter à la femme dont il est (juestion au v. précédent (m, 1)? —
.{. Ouant aux prétendues nécessités du symbolisme, on remarquera
une fois de plus l'assurance de ceux (jui partent d'une réalité extra-
symbolique pour déterminer a priori la teneur du symbole (2), au
lieu d'étudier d'abord le symbole pour voir sous quel aspect la

réalité y est envisagée. Contresens d'e.rccjèse sijmhoUrjue, ai-je déjà dit


plusieurs fois je le répète et, à mes yeux, le reproche est très grave.
: ;

Par contre, voici les arguments qui établissent que la femme du


chap. m
est différente de Gomer. 1. D'abord les paroles de Jahvé —
au prophète « Va, aime une femme », et non la femme, ou ta
;

femme, comme on n'eût pas manqué de dire s'il se fût agi de Gomer.
Nowack (3) essayait de justifier l'expressicm indéterminée une femme,
en disant que c'était là une formule de stupeur ou de mépris une ;

telle femme! Mais il n'a pas été suivi et ne pouvait guère l'être.

2. Ce qui achève de dirimer le débat, c'est le moljar ou somme versée

par le prophète pour acheter celte femme, ce qui n'avait lieu que
dans les contrats de mariage. On ne rachète pas sa femme, on la
ramène purement simplement au logis, si elle l'a déserté. Et puis
et

à qui le mohar aurait-il été payé? Pas au concurrent du prophète :

c'eût été un comble; pas aux parents de la femme ils n'avaient plus :

aucun droit sur leur fille depuis le premier mariage; pas à


Gomer... Pourtant .M. van Hoonacker pense qu'Osée versa cette
somme à Gomer, non comme prix d'achat, mais comme don gracieux,
pour qu'elle consentît à réintégrer son foyer et se soumit à l'épreuve
exigée par son mari. Mais n'est-ce point là une combinaison com-
plexe et qui ne tient pas compte du sens normal des mots? En Orient,
quand on verse une somme dans une affaire matrimoniale, c'est qu'on

i; Op. cit., p. 35.

2) A ^1. van Hoonacker sur Osée m, 1 (p. 33).


ce point de vue, lire le coinmenlaire de
M. V. H. traduit : va et aime la femme aimée du conjoint et adul-
« Encore une fois
tère ». Or, pour lui, le conjoint n'est autre qu'Osée en personne, car « ils\igitde repré-
senter In réconciliation de Jafivé avec son épouse, la station d'Israël » fp. 33). Ce qui
donne Va, aime une femme que tu aimes.
:

(3) Op. cit., p. 25.


LES SYMBOLES DOSEE. 413

s'achète une femme... —


3. Dira-t-on que Gomer avait été canoui-

(juement répudiée et que le prophète la rachetait à son nouveau mari .'

Otte fois van Hoonacker et Marti observent avec raison que la loi
interdisait au premier mari de reprendre sa femme répudiée et re-
mariée. Et tout porte à croire que cette loi, consignée Deut., xxiv,
1-i, Jér., ur, 1, représente une coutume fort ancienne. Concluons :

la femme du chap. in est différente de Gomer.


Il va sans dire que cette conclusion se fortifie encore de toutes les

raisons par lesquelles on a montré ci-dessus que Gomer ne s'était pas


écartée de ses devoirs d'épouse fidèle. Si Gomer n'a pas été infidèle,
elle n'a pas quitté le foyer conjugal et Osée ne l'a pas répudiée; il

n'a donc pas eu à la racheter. — En outre, cette e.vplication supprime,


avec les violences imposées aux textes, les prétendues lacunes dont
plaignent à l'envi. Osée ne nous a pas raconté les pé-
les critiques se
nibles scènes domestiques où s'est consommée la séparation, et pour
cause. Il omis cet intéressant chapitre du roman, parce qu'il
n'a pas
n'a ni écrit ni encore moins vécu de roman celui-ci doit être laissé ;

pour comptv aux exégètes qui l'ont échafaudé de toutes pièces.


Mais alors, dira-t-on, Osée avait simultanément deux femmes?
Quand en serait ainsi, il ne^faudrait point -s'en étonmer, puisque la
il

polygamie était pratiquée par les Juifs, depuis l'époque patriarcale.


Sans parler des rois, David, Salomou..., qui se constituaient un popu-
leux harem, comme les autres monarques d'Orient, nous voyons
qu'Elqana. père de Samuel, avait aussi deux épouses. Pourtant rien
n'indique que Gomer fût encore en vie, à l'époque où Osée contrac-
tait un second mariage, comme aussi rien ne prouve qu'elle fût

décédée. En somme, la chose importe fort peu, car les deux récits
sont indépendants et, avec les récits, les symboles.
On ne peut une mention spéciale au sys-
se dispenser d'accorder
tème ingénieux de iM. Lucien Gautier. Pour lui, le chapitre ne serait m
qu'un doublet du chap. i. « 11 nous semble, écrit-il, que ce chapitre
(où Osée parle) (1) est la forme primitive, autobiographique, du
récit, et que les ch. et ii (où il est parlé d'Osée) sont un dévelop-
i

pement de seconde main, œuvre d'un disciple, opérant comme Baruc


l'a fait pour Jérémie; par conséquent, dans le livre d'Osée, le ch. m
devait précéder les deux "autres (2). » Élégante façon d'établir par une
autre méthode que la femme du chap, et Gomer ne sont qu'unem
seule et même personne.

(1) Le cbap. m.
(2) Op. vit., |>. 406,
414 iiKvri: mi{i.iQi!i:.

CeptMiilaiit. inalgrr lair srduisanl de l;i Ihéorii', on ne doit point


néyliii^er d'en inonh'cr les côtés drleclueux. — 1. riaulicr est visible-
ment erué par le premier mut du récit autol)iogi'aplii([ne : Knrorc
une fois (1*1^) va et aime vhk^. l(Mnme... C'est pourquoi il lui inllii:»' le

(l'iiitement éuerg'ique auqind ou a trop souvent recours dans les cas


désespérés : il le supprime. Mais n'est-ce pas une opération trop som-
maire que d'éliminei- ainsi un témoin gênant (ju'aucun indice du
texte original ou des versions n "autorise par ailleurs à faire dispa-
raître? —
La présence de ce mot dans Thébreu et les Septante (à'-i)
-2.

prouve que dans Tantiquité on ne songeait pas que le cliap. pût ètn' m
1(> doublet du chap. i. Si le mot est d'Osée, la cause est entendue s'il est ;

de l'auteur prétendu qui aurait composé les cbap. et ii, il prouve i

que ce disciple d'Osée w'k pas eu lintention de reprendre le récit de


son maître. Si on l'attribue à quelque scribe, il était [)0ur le moins
inutile, attendu que d'autres récits formant doublets ne sont f:uère
que juxtaposés. —
3. Si M. (îautier trouve qu'il y a ici un mot de trop,

en revanche il estime qu'il y a quelques versets de moins à la fin du


chap. II, versets qui primitivement devaient rendre l'harmonie plus
])arfaite entre les deux récits. « Il est d'ailleurs permis et même na-
turel, écrit-il,de supposer que ceux-ci (les chap. i et ii) contenaient,
dans le texte originaire, la fin de l'histoire du prophète et des vicis-
situdes de sa vie conjugale malheureusement il nous est parvenu:

tron({ué. Ainsi l'épreuve que doit subir la femme d'Osée (m, 3) et qui
est unirait important, étroitement lié à la donnée générale, a peut-
être figuré aussi dans le chap. ii, où le v. 13 en conserve la trace (1). »
— J'avoue que je ne sais pas voir dans le v. 13 (11 de la Vulgate)
le moindre vestige de l'épreuve indiquée. Mais cette manière de
préjuger la teneur originelle des textes d'après un système d'har-
monie préétablie, s'inspire-t-elle d'une méthode respectueuse et objec-
tive? A ce compte, à force de coupures et d'additions, et avec un peu
d'exercice, n'importe qui peut se flatter de trouver n'importe quoi
n'importe où. — i. Enfin, reproche plus sérieux encore pour qui
comprend bien la vraie nature des paraboles et des symboles, la
théorie de M. Gautier, en fusionnant les deux récits, fusionne deux
symboles en réalité fort distincts. y a là deux leçons bien différentes
Il

qu'il faut se garder de confondre sous prétexte de les simplifier.


L'unité est une bonne chose; mais parfois la diversité est préférable,
je veux dire quand elle s'impose au nom des faits. Ici elle s'impose.
Conclusion : le système de M. Gautier ne parait pas recevable : il

(1) Op. cit., p. 466.


LES SYMBOLES D'OSÉE. 41 o

n'est pas assez respectueux des textes et il trouble le symbolisme


admirablement gradué de ces récits prophétiques.

Le système de M. Marti mérite lui aussi une meution particulière. A


rencontre de M. Gautier, qui refuse à Osée la composition des chap. i

et 11, le commentateur allemand lui conteste le chap. m. A ses yeux,


en etlet, divers indices trahiraient une main étrangère ce symbole :

ne serait pas aussi soigné que les précédents, comme il arrive aux
morceaux secondaires; le fait que les Israélites aiment d'autres dieux
(m, 1) contredirait le chap. ii où les Be'alim ne sont pas des divinités;
lu, 1 s'adresserait uniquement à Israël tandis que les chap. i et ii

viseraient tout le peuple (1). D'autre part, Marti a ceci de très curieux
qu'après avoir interprété l'histoire de Gomer comme une réalité, il

ne voit dans le chap. m qu'une allégorie. De


pourquoi Osée fait,

aurait-il recommencé ses expériences matrimoniales...? Ajoutons qu'il


attribue à l'interpolateur une mentalité singulière. Ce rédacteur tardif
a dû entendre allégoriquement de .luda les chap. et ii puis, i
;

comme Ézéchiel parlait de deux épouses de Jahvé, Oholah (Israël) et


Oholibah iJuda), il a cru bien faire d'attribuer à Osée aussi une autre
femme, qui symbolLsât Israël. De là l'addition du chap. m.
Le système de Marti a déjà été réfuté de main de maître par Har-
per van Hoonacker (3).
(2) et —
Le lecteur, écrit ce dernier, jugera
(^

s'il est vraisemblable que i, 4 ait pu être jamais compris par un auteur

quelconque, si borné qu'on le suppose, comme une donnée relative


à l'histoire de luda I... Que les « dieux étrangers » de
. soient dune m
conception différente des Be'alim du chap. ii, lesquels ne seraient
autre chose que « des images cananéennes de Jahvé »r nous n'en
croyons rien; « le Baal » lui-même, c'est-à-dire la divinité étrangère
qui se concrétise dans les Be'alim, est nommé comme objet du culte
idolàtrique en vue ii, 10, dans l'incise finale qui n'est pas une
glose (i). » Il faut ajouter que les premiers symboles s'adressent au
« pays », ce qui dans la bouche de l'Israélite Osée désigne avant tout

le. pays dlsraël; de iion côté, le symbole du chap. s'adresse aux m


enfants d'Israël, expression qui du reste peut comprendre le royaume
du sud. —
En outre, si l'interpolateur avait voulu représenter Israël
au chap. m, par opposition à Juda, n'aurait-il pas su lui trouver un
nom propre, analogue à celui de Gomer? Il l'aurait dû d'autant mieux
que, d'après Marti, il aurait été très fortement influencé par les allé-

(1) Op. cil., p. 33.

(2) Op. cit., p. xcLiv (introduction).


(3) Op. cit., p. 32, 33.
(4) Ibid.
iir. lU'.vi K r.iiu.K.uK.

jiorics d'Oholah et d'i^liolibah. — Kiiliii, un int»M|»olatciit' ;ill(\i;()ristc


cùl-il soiiué M détormiiier en poids cl inesuic
le moliar paye j)ai'

Osée, alors que le symbole dr (ioiner ne contenait aucune précision


de ce genre?
Après toutes ces raisons, il est permis de regarder encor»? Ir vha-
ji'ilrr III d'O^i'r i) la fois comme (iiitlientifjKr et historique.

Prit (l'achat. — L hébreu massorétique j)orté Et je Tachetai pour


: «

(juinze siclcs d'argent, un liomer d'orge un léthék d'orge... » (m, 2).


et
.Nowack et Marti ont calculé la valeur de ce moliar. haprès Ézé-
chiel \i.v. 11, le honier valait dix éphas; de son coté, le léthék valait
undeini-homcr, soit cinq éphas; ce(|ui donne comme prestation en

nature quinze èpha.'i. Jlais que valait Tépha? A l'époque d'Elisée, à un


monu^nt où les soutl'rances du siège de Samarie avaient sans doute
occasionné une hausse des vivres (Il heg., vu, 1, 16, 18), deux séas
d'orge, soit les deux tiers d'un épha, se vendaient un sicle, d'où l'on
peut conclure qu'en temps normal, on avait un épha d'orge pour un
sicle. Les quinze éphas représenteraient donc ([uinze sicles, lesquels,

ajoutés aux quinze sicles d'argent, donneraient une somme de trente


sicles environ pour la valeur total du niohar. Trente sicles, le prix
ordinaire d'un esclave... (Ex., xxi, 32).
A ces calculs ingénieux M. van Hoonacker oppose plusieurs objec-
tions d'une logique serrée. La plus grave porte sur l'évaluation de
rc])ha d'orge au temps d'Elisée. « De quel droit suppose-t-ou que
II Keg. VII, 1, Elisée indique un prix supérieur,
et cela exactement
d'un sixième, au prix ordinaire? Le prophète ne voulait-il pas signi-
iierau contraire que les dépouilles du camp syrien seraient si abon-
dantes que l'orge se vendrait en dessous de sa valeur, malgré la disette
actuelle (1)?» On fait observer encore que la mention du léthék d'orge
à côté de Vhome'r d'orge a quelque chose de surprenant. D'autant
plus que les Septante, au lieu du léthék, lisent un nébeL une outre de
vin {'/.T.': vé6îA o'ivcu), indication qui a plutôt chance de représenter le texte
original, et qui a les sympathies des critiques. Ces observations —
tendent à montrer que l'opération laborieuse qui aboutit à la somme
de trente sicles n'a pas encorcrecu sa preuve par neuf. Mais ceux-là
seuls ont quelque raison de tenir à ce chiffre, prix d'un esclave, qui
réduisent la femme d'Osée à l'état d'esclavage. Je ne suis pas de ce
nombre. Il reste cependant que la somme de trente sicles une cen- —
taine de francs —
peut être regardée comme approximative, et l'on

(1, Op. cit. p. 34.


f.ES SYMBOLES DOSÉE. 417

conviendra avec M. Desnoyers que, si l'on peut faire fond sur ce mo-
deste prix d'achat, Osée « ne songeait guère à se marier dans les
hautes classes de la société (1) ».

Ce que devint la femme après le mariage. Nous touchons à iiu —


point du symbole sur lequel les avis sont aussi partagés que jamais.
Quelques anciens, suivis par Cornélius a Lapide et'dom Calmet, ont
pensé que cette personne ne devenait pas la femme d'Osée, mais que
le prophète la prenait simplement à son service, comme domestique,

tout au plus avec promesse de l'épouser quelque jour. Ils sont con-
duits à cette opinion par un scrupule philologique doublé d'un scru-
pule théologique. Puisque la femme est qualifiée adultère, c'est
donc quelle était déjà mariée à un autre; par suite, Osée ne pouvait
l'épouser, sous peine de commettre lui aussi un nouvel adultère. On —
répond que le infamant infligé à la femme {T\'^mr2), bien
qualificatif

([ue désignant d'ordinaire l'adultère au sens rigoureux du mot, peut


désigner aussi tous les désordres de mœurs, sans préciser l'espèce
morale du péché; en ce sens plus large, il serait synonyme du verbe
z'ànâh (n:~). qui, au chap. i, servait à spécifier l'inconduite de Gomer
et qui, ici même, m, appliqué à
épouse d'Osée.
3, est la nouvelle
D'ailleurs cette personne, bien que non mariée elle-même, pouvait
avoir des relations coupables avec un homme marié, ce qui suffirait à
justifier strictement le qualificatif. De toute manière, rien n'empê-
chait Osée d'épouser une telle femme, rien, si ce n'est les conve-
nances et sa répulsion personnelle. Mais les ordres divins l'avaient
habitué de bonne heure à marcher sur les sentiments les plus déli-
cats de son cœur.
D'autres auteurs, appartenant cette fois à toutes les écoles, saint
.lérome, Théodoret. Calmet, Trochon, Knabenbauer, Nowack, Marti,
Ilarper, Gautier, Desnoyers, quoi qu'il en soit d'ailleurs de leurs opi-
nions respectives sur l'historicité du récit, soutiennent que le pro-
phète soumit sa femme à l'épreuve d'une continence forcée pendant
un temps considérable. Ils croient en découvrir la prouve dans ces
paroles du v. 3 :Durant des jours nombreux tu me
« Et je lui dis :

resteras, tu ne forniqueras point et tu ne seras à personne, et moi,


je ferai de même à ton égard. » Tu ne seras à personne, mot à mot
tu ne seras pas à un homme c'est donc, disent-ils, que la femme
:

n'aura de commerce avec personne, pas même avec son mari,


Qiiando ahsolute dicitur : Non eris viro, écrit saint Jérôme, intelli-

(1j .]?•/. cU., I'. 97.


KEViE isnii.Kvji: 1917. —
.
\. s., t. \iv. 27
iI8 lŒMK mni.iQi'E.

f///)ii<s fjiual tudli jiuKjiiliir oDininu ri aùs</nc coi tu iiinrilali si/ (1).

Sans satlai'dcruqc démonslration (inils estiment sans doute


à

suporlluc, k's auteurs modernes s'appliquent de préjcrcnce à har-


moniser le texte avec leur convietion. A[»rès les mots et tu ne seras :

à personne, le texte porle : /:/ 7)ioi à loi ("TiSn iJS'-Dai); il est mani-
feste, disent-ils, ([ue le texte a souH'ert. (Comment le restituer dans sa
teneur primitive? NoN\ack, après Wellliauseu, jjropose délire : Et moi
non plus jr n'irai /uis vers t(»i, en y intercalant deux siniples mots :

NizN i'^. ^laiti préfèie ne rien ajouter, mais pour lui, les derniers
mots doivent être lus : Et moi non phisyV ?ie serai pas à toi, moi non
plus, je n'existeiai pas pour toi (da auch ich uicht cxistiere fUr
dich) (-2).

GrAce à ces retouches, la pensée devient tellement claire qu'on


s'étonne ensuite d'une chose, qu'Osée se soit arrêté en beau chemin
si

sans achever son histoire. Marti en fait candidement la remarque :

« Le montre combien peu le narrateur s'intéresse à l'his-


V. 3, dit-il,

toire de ce deuxième mariage... Il l'a si peu à cœur qu'il ne l'achève


pas et ne nous dit point ce que le mari a fait de sa femme après la
longue réclusion qu'il lui a imposée... (3). »
Laissons pour le moment ces regrets de côté, ainsi que les remanie-
ments du texte, et examinons la valeur de l'interprétation en elle-
même. —
l. Qu'on lise le v. 3 sans parti pris, sans hypothèse élaborée

d'avance, qu'y trouve-t-on? Uniquement ceci d'abord l'énoncé géné- :

ral que la femme appartient exclusivement au prophète, qu'elle doit


se tenir tranquille et se garder de toute infidélité. Vient ensuite l'ex-
plication détaillée de cette convention lu na forniqueras point et tu :

ne seras à personne. Les auteurs précités croient trouver dans ces


derniers mots le fondement de leur interprétation. Mais comment ne
voient-ils pas qu'ils s'attachent k traduire servilement la lettre sans
prendre garde au contexte immédiat? Puisque, d'un côté, la femme
doit se réserver pour son mari, et que, de l'autre, elle ne doit point
se prostituer, les derniers mots signifient et signifient uniquement :

et tu ne seras à aucun étranger, tu ne seras à personne autre que


moi (i). —
2. Et puis, si le prophète eût voulu marquer l'épreuve

d'une continence absolue, pense-t-on qu'il se fût contenté de ces \

termes vagues? Croit-on que ces termes suffisent à traduire cette pen-

(l.In III, 2.

(2) Op. cit., \K 3G.


(3) Ibid.
(4) C'est ce qu'exprime formellement une variante des Septante : oOSè [xr, yev/, àvôpl lie'pw,
*
nequc eris alleri viro, ainsi que le notait saint Jérôme.

I
LES SYMBOLES D'OSÉE. 419

sée surprenante d'une manière intelligible? Les efforts des critiques


répondent bien que non, puisqu'ils tendent à remanier un texte jugé

défectueux. L'exemple des grands prophètes, disaïe, de Jérémie


d'Ézéchiel, d'Osée lui-même, nous prou\ e qu'en matière de symboles
ils savent rendre clairement leur pensée, surtout lorsque l'intérêt

supérieur de la doctrine y est intéressé. —


3. Au surplus, l'interpré-

tation proposée contredit le contexte des versets précédents, où Jahvé


ordonne au prophète d'aimer femme, pour symboliser son
cette
amour envers exécuter les ordres divins que d'in-
les Israélites. Est-ce
iliger à la nouvelle mariée une épreuve de ce genre, et de la lui infli-
ger de son propre mouvement, puisque le Seigneur ne Ta ni com-
mandée ni suggérée? Est-ce vraiment témoigner son amour à la
nouvelle venue que de la tenir dans cette réclusion inouïe, non pas
provisoirement, mais de longs jours, à la perspective indéterminée?
On dira que prophète agit ainsi afin de mieux s'assurer du cœur
le

de l'infidèle. Mais le moyen qu'il prend est-il vraiment ordonné à la


fin qu'il poursuit? Il semble que la réintégrati^jn pure et simple dans
tous les droits d'épouse serait un moyen autrement efficace. C'est par
le cœur qu'on va au cœur. Avec la réclusion forcée, le prophète sup-
primera les fautes matérielles,
il n'obtiendra pas la conversion inté-

rieure. — manifeste que l'interprétation opposée


Par contre, il est
cadre harmonieusement avec ce contexte. Aussitôt après avoir reçu
l'ordre d'aimer cette femme. Osée l'achète; le mariage est conclu, et
les deux conjoints ne font d'autre convention que celle de se demeu-
rer fidèles l'un à l'autre et de s'aimer sans défaillance : Toi, tu me
resteras, tu ne forniqueras point; tu ne te donneras à aucun étranger,
etmoi, je ferai de même à ton égard. — k. Est-il besoin de répéter

encore que, si la continence absolue eût fait partie essentielle du


symbole, eût été nécessaire de l'exprimer en toutes lettres? Puis-
il

qu'elle n'est pas exprimée, on ne saurait lasous-entendre. 5. Enfin, —


toujours dans la même
hypothèse, l'application n'eût pas manqué de
noter expressément la réalité correspondant à un trait de cette nature.
Or le V. k insisteseulement sur l'abstention de toute pratique idolâ-
tri(|ue, ce qui correspond à l'abstention de tout commerce illégitime.
Mais il n'est pas dit que Jahvé impose à Israël de se tenir éloigné de
son culte ;
il est même évident que Jahvé ne pouvait tenir un pareil
langage.
J'avais été amené à ces conclusions par une élude directe du sym-
bole, lorsque je me
aperçu que je rne rencontrais avec M. van
suis
Hoonacker sur un point important de la démonstration, l'exégèse du
V. 3. Voici ce qu'écrit le savant professeur de Louvain : « Tu ne for-
420 \\\:\IV. lUHI.KU K

niçueras point vt In no serns à personne. Cest-A-dirc tu n'auras avec


aucun homjne un commorco illi'ujilime. C'est à cette idée que doit
répondre rengagement i[ue le prophète prend de son côt*' "':x-c:i :

ji^x. On suppose d'ordinaire que la parole doit avoir eu le sens :

et moi non plus je ne serai pas à toi. Pour oljtenir cette énonciation,
(jui est le contro-pied de celle du texte, on a recours à des opérations
arbitraires... Ce ne sont pas les rapports avec l'époux qui étaient
visés par ces paroles... Il nous parait évident <|ue la mesure vise exclu-
sivement les rapports avec d'autres hommes que l'époux... (1). » Il

est vraique M. van Hoonacker gâte en partie son explication en re-


courant encore à wn sotis-entendu : « 11 éisài supposé (2) que pendant
les longs jours de sa réclusion la femme n'aurait point de rapports
avec son époux (3). » Il ne reste pas moins que le leite n'envisage
que les rapports de la fenwie avec nullement ses rela- les étninrjers,

tions conjugales avec son mari. Cela seul importe, car, en exégèse
symbolique, les textes seuls comptent; les sous-entendus ne servent
de rien, si ce n'est à brouiller le symbolisme.
Il temps de conclure A s'eji tenir aux indications du symbole,
est :

Osée achète tine deuxième femme^ différente de Gomer, à laquelle il


ne demande que la fidélité conjugale, sans lui infliger d'autres
épreuves ni la soumettre à une réclusion forcée.

B. Symbolisme.

On remarqué qu'ici le symbolisme esta deux degrés,


n'a pas assez
tout comme le symbole est à deux parties. La première partie con-
cerne le mariage (v. 1, 2), la deuxième traite des conventions matri-
moniales (3, k).

La première partie ne soulève pas de difficulté, le prophète s'étant


clairement exprimé Va, aime une femme qui « en aime » un autre
:

et est adultère, de même que [2), c'est-à-dire pour marquer que Jahvé
aime toujours les Israélites, bien qu'ils se tournent vers d'autres dieux
et se livrent àdes pratiques idolàtriques. Le premier symbole signifie
donc que Jahvé aime toujours son peuple malgré son idolâtrie obs-
tinée. Les auteurs qui prétendent que le verVje aimer n'a pas ici le
sens àHépouser, n'ont pas observé, d'abord c[ue le sens à'épjouser est
réclamé par le v. 3 où il s'agit des négociations matrimoniales,
|

ensuite et surtout que le verbe aimer avait été choisi à dessein, de

(1) Op. cit., p. 33.

(2) C'est lui qui souligne. Supposé par qui ou par quoi ?

(3) Ibid.
LES SYMBOLES DOSÉE. 42i

préférence à épouser, dans un but symbolique, pour représenter


précisément l'amour divin. Ce qui nous montre une fois de plus que
les mots essentiels des symboles ont été choisis avec le plus grand

soin.
La deuxième partie est réputée plus difficile. Il importe ici de ne
pas perdre de vue les principes d'exégèse symbolique. Ainsi qu'on
ressort du v. 3 que la nouvelle épouse doit s'abs-
l'a éta])li ci-dessus, il

tenir désormais de toute relation illégitime ou fornication. La chose


signifiée, ainsi qu'il ressort du v. V, est qu'Israël, de son côté, s'abs-
tiendra dorénavant de toute pratique idolâtrique, attendu qu'il sera
privé à l'avenir des chefs perfides, rois et chefs (1), qui le poussaient
à l'idolâtrie, des sacrifices et des massébôth ou pierres levées, qui
entretenaient son apostasie, ainsi que de tout le mobilier, éphod ou
teraphim, du culte dissident.
De même que la femme doit s'abstenir de fornication, Israël s'abs-
tiendra de toute idolâtrie. C'est à cet enseignement que se borne le
symbole.
Sans doute le prophète ajoute au v. 5 « Après quoi les fils d'Israël
:

se remettront à chercher Jahvé, leur Dieu, et David, leur roi, et ils


s'empresseront avec vénération vers Jahvé et sa bonté, à la fin des
jours. » Mais il suffit d'un instant de réflexion pour se rendre compte
que cette phrase n'appartient plus à l'application du symbole. Nowack
et Ilarper l'ont fort bien compris, puisqu'ils regardent ce verset
comme une glose d'un âge postérieur. Sans aller jusqu'à cette con-
clusion, que rien ne légitime, il importe cependant de noter que le
V. en définitive un développement surnuméraire, un résidu de
5 est
discours extrasymbolique. —
1. Ce verset n'appartient pas à l'appli-

cation, parce que rien ne le prépare soit dans la première soit dans
la dernière partie du symbole. On pourrait d'abord croire que les
premiers mots du v. 1 lui correspondent : Va, aime une femme; mais
comment cet amour, qui précède
mariage et le motive, pour-
le
correspondre stjmboliquemenl au retour d'I^aël, qui ne doit
rait-il

se produire que de longs jours après qu'il aura commencé à fuir


lidolàtrie? Sans compter que le v, 5 devrait appartenir au deuxième
symbole plutôt qu'au premier. — Par ailleurs, ce verset n'est pas
davantage annoncé par le v. 3 : ni explicitement, c'est évident, ni
implicitement, puisque toutes les conventions passées entre les deux
conjoints se bornent à se promettre fidélité réciproque. 1. Non —
(1) Ces mois sont retenus à bon droit comme aulhentiriues par la majorité des critiques
Marti. Harper, van Hoonacker, contre Nowack.
4:22 Ri:VlIi: lUlJLlQLIÎ.

sciilcMiient la pers[)octive du v. 5 n'est pas conii)i'isc dans le symbole,


mais elle ne saurait IVHro. L«' rolour complot <risra(l n'aura lieu
q\i'(fp7'rs de lotu/s jours, j\ la lin des jours. Or le symbole visait |)ré-

cisément oc qui se ferai I durant ces jours nombreux duranl cette:

période la fenuue serait lidôlc et Israël aussi. — 3. Du moment que


de cette
la fornication ligure l'idolAtrie, Tabstention fautif doit mar-

quer en style symbolique la cessation <le l'idol.Urie, mais elle ne dé-


signe pas encore le retour positif ;\ la vraie religion. Celui-ci ne
serait convenablement représenté, dans cet ordre d'images, que |)ar
le mai'iagc; mais il se trouve que le second mariage d'Osée, (jui

ani-ait pu tliéoriqueraenl contenir cette leçon, a déjà reçu, au v. 1,


un symbolisme spécial, puisqu'il signifie lamour de .labvé pour son
peuple infidèle. —
Il reste donc établi que le retour à la religion

de .lalivé est, dans le symbole actuel, une valeur surnuméraire qui


s'ajoute au symbole comme une conclusion ou un appendice, mais
n'en fait pas directement partie c'est plutôt un vestige de discours
:

extrasymbolique.
Pour résumer, ramenons le symbole entier aux deux termes d'une
comparaison :

De même qu'Osée reçoit ordre d'aimer une femme de mœurs dé-


pravées,
ainsi Jahvé aime toujours les fils d'Israël malgré leur idolâtrie;
et de même qu'à partir de son mariage, la femme d'Osée doit
n'appartenir qu'à lui seul, en s'abstenant de toute infidélité conju-
gale,
ainsi le peuple d'Israël s'abstiendra pendant longtemps de toute
pratique idolâtrique, car il sera privé de tous les moyens de satisfaire

ses tristes pencbants polythéistes.


A la fin de cette abstention forcée, on entrevoit même le jour où
il se convertira définitivement au culte de Jahvé et où il reconnaîtra

ses attributs, en particulier sa miséricorde, si éloquemment prêchée


par tout le livre d'Osée. Quand luira ce beau jour? Le texte ne le
détermine point. Sans doute à l'époque messianique, puisque, avec
leur Dieu, les Israélites se remettront à rechercher David, leur roi,
terme qui, de l'aveu de tous, sert à désigner le Messie.

Le lecteur qui admettra les conclusions principales énoncées dans


les pages précédentes, sera en mesure d'apprécier leur judicieuse
gradation. Les symboles d'Osée forment une trilogie où se projettent
en raccourci tous les desseins de Jahvé à l'égard de son peuple.
Le premier symbole (mariage de Gomer) constate la lamentable
LES SYMBOLES D'OSÉE. 423

idolâtrie des tribus schismatiques, idolâtrie qui ne peut manquer


d'attirer sur la nation les pires chùtinients.
Le deuxième (enfants d'Osée et de Gomer) prophétise ces catas-
trophes : bientôt ce sera fait de la dynastie de Jéhu et de la royauté
elle-même; Jahvé est résolu à ne plus faire miséricorde aux ingrats;
ceux-ci ne méritent plus d'être regardéscomme son peuple.
Pourtant, malgré les menaces et les châtiments, la miséricorde
finitpar l'emporter. Le troisième symbole (deuxième mariage d'Osée)
nous assure que, malgré tout, Jahvé continue de chérir les idolâtres.
Il va seulement les priver systématiquement de tout ce qui favorise

leurs tristes penchants. Après quoi il espère, il est sur qu'ils se


convertiront de tout leur cœur et pour toujours.
Pour en passant, on voit maintenant que le chap.
le dire a son m
rôle obligé auprès des chap. i et ir. Sa place originelle n'est pas
avant le chap. i, comme le voudrait Gautier, ni avant le chap. ii,
comme le voudrait Harper; ce n'est pas un appendice artificiel et
isolé, comme le pense Marti. Il fait partie d'un tout et occupe har-
monieusement le sommet de la gradation où s'épanouit la trilogie
des symboles.
Péché, menaces, cbâtiments, miséricorde, contrition, relèvement,
c'est en résumé toute la théologie d'Osée, bien plus, toute la théo-
logie des prophètes. Et qui ne voit que ces perspectives symboliques
annoncent déjà les larges et sublimes aperçus de l'Épître aux Romains
sur les destinées du peuple choisi? Précurseur de saint Paul : c'est
le plus bel éloge qu'on puisse faire dOsée.
Il y a là de quoi se consoler de la perte du petit roman familial

cher à trop de critiques modernes.

Fontarabie.

Denis Buzv S. G. J.
Il

TA MiLGATE latim: m i;i:iMTUi: vrx (;aiati:s


i:t li: texti: (.ke(-

Le but de ces noies est crappli([ucr à l'cpUre aux Calâtes ce qui a


été essayé sur l'cpitre aux Romains (1).

Le résultat sei-a le mémo; mais ce n'est pas ti'op de deux exemples


pour se faire une conviction sur donner
la facilité qu'il y aurait à

de laVulgate des épîtres de saint Paul une recension beaucoup plus


conforme au texte grec, et par conséquent bien supérieure à celle
qu on pourra obtenir, avec des efforts considérables, en éditant sim-
plement ce qui passe avec raison, selon nous, pour être l'œuvre de
saint Jérôme. Et l'épîtrc aux Galates, à cause du commentaire
de
Jérôme, précisément l'occasion de préciser
est la situation du saint

Docteur par rapport à la Vulgate (2).

Nous propos des Romains, que le texte grec critique pou-


disions, à
vait être considéré comme à peu près fixé. Pour juger des
progrès
accomplis, il suffit de comparer les tâtonnements du P. Cornely
d'une part et les éditions de Nestlé et de von Soden d'autre part. On
sait que N^estle, avec une méthode trop empiri([ue pour être tout à fait
satisfaisante, avait aux étudiants une moyenne
cependant fourni
normale Weymouth..Tischendorf-Ge-
des travaux de Westcott-Ilort,
bhardt et B. Weiss. Leur œuvre a été complètement reprise par von

Soden, dont fédition repose sur des principes tout à fait nouveaux,
régissant un matériel de manuscrits plus considérable.
Or les différences sont très minimes. L'épître aux Galates étant très
courte, il est aisé de s'en rendre compte. Dans le tableau qui
suit,

Nestlé passe le premier; la variante est de Soden. Les mots entre

(1) RB., 1916, p. 225 SS.

(2) KB., 1915, p. 358 ss.


LA VULGAÏE LATINE DE LÉPITRE AUX GALATES ET LE TEXTE GREC. 425

crochets ne sont pas donnés comme certains par les éditeurs. Il n'est

pas tenu compte des variantes d'orthographe.


(1) I, k UTzep : TCspt.

(2) — 8 z'jay^zhKJTf.o^i [u[;.tv] : u;j.',v suaYYSA'.'C-^Toii.

(3) — 15 post £jS:y.Y;c7£V : addit c Ossç.

(5) — 16 Xpia-cs'j I-/)(J2U : Ir,TO'j Xp'.jTOU.

(6) m, 1 post eaTaupc.)[;.£vo(; : addit [sv up,ivj.

(7) 7 UWt £'.CriV : £t!Tt UIOU

(8)— li lY;aou Xpi7-to : Xpwro) Ir,(JOu. ,

(9)'— 19 av : eu.

(10) — 21 av -^v : r,v av.

(11) — 23 (juvy.A£ioîJ,£vot : cr'JYy.£y,Aeca[j.£voi.

(12) IV, 9 ocuÀsucat : SouXeuciv.

(13) — li post jij.ojv : addit Tsv.

(IV) — 19 T£y.vx : Tcxvia.

(15) — 25 c£ : vap.

(16) — 26 post \j:r~rtp : addit I-xvtojvI.


(17) — 30 7.A-/;povo;r^<7£t : y.Xr,p;v:;[rr(5'/;.

(18) V, 7 ante aAr,0£u : addit \-r,].

(19) — 17 TauTa yotp : rau-a c£.

(20) ^ 20 eptç : ecsiç.

(21) — ;'-r;Acç : C-^Act.

(22) — 21 post ç^ovcr. : addit [zz^r.i\.

(23) — post y.aOwç : addit [y.aij.

(24) VI, 10 s'/wy-ev : cy:;j.£v.

(25) — 17 ante Ir^zzj : y.-jp'.iu.

Plusieurs de ces variantes ne peuvent être appréciables dans une


traduction latine : on ne retiendra guère que les numéros (1), (2), (3),

(5), (6), (7), (8), (14), (15), (16), (19), (20), (21), (22), (23), (25). Plu-
sieurs sont de simples inversions sans aucune importance (2), (5), :

(7), La
(8). Vulgate, par où nous entendons l'édition mineure de
Wordsworth-White (1), va avec Nestlé pour (1), (2), (3), (6), (16),
(19), (23),(25),avecSodenpour(5),(7), (8), (14), (15), (20), (21), (22).
Or, sans prétendre discuter ici ces variantes en détail, qu'il soit per-
mis d(i dire que la Vulgate a une leçon que nous estimons la meil-
leure danslesn°«(5), (8), (14), (15), (20), (21), (22), (24). Dans les autres
cas, ses variantes demeurent plausibles, de sorte qu'elle peut bénéfi-
cier du doute, et qu'il ne doit pas être question de modifier son texte

(1) Cette éd. minor ne din'ère de la Vg.-Clétn. que pour (G), (25).
.

426 HKVllF lîini.inrE.

(juand Soilcn et Nostlo sont cii désaccord. S'ils sont d'accord, nous
deinanilcrions à [H'éfcrer oncoïc la leçon de la VuliJialo sur l'omis-
sion de Agar (^iv, -25) ; ce point tivs dclicat devrait ôtre réservai (1).

Mais, dans tous les autres cas, la Viilgate Clémentine stagnerait certain
nement à être rapprochée du texte grec criticpie, d'autant que dans
certains endroits où le texte grec n'a jamais été et ne peut j)araUre
douteux, elle s'en éloigne au détriment de la précision du sens. Ce
rapprochement, il est vrai, est opéré déjà par l'édition mineure de
WordsNNorth-White, on vertu du seul examen de la tradition latine
manuscrite. Mais le résultat obtenu est trop médiocre pour qu'il y ait
un espoir fondé d'arriver à une traduction plus conforme k l'original
par la seule tradition diplomatique. C'est ce qui résultera des listes
suivantes, conçues sur le même plan que pour l'épître aux Uomains.
Oui. signifie donc encore ce que >V\V. (Wordsworth-White cd. min.)
omettent; del. ce cpii devrait être rayé dans la Vg.-Clém.; add. ce
<|ui est en plus dans \VW. ou serait à ajouter à la Vg. Le mot placé

devant 1. (loco) est celui que WW. mettent à la place de celui qui suit
1. Le mot de la Vg. placé devant un trait (— pourrait être remplacé )

par celui qui suit ce signe; a. est ante; p. est posé; 1° o/^^i primo
loco, etc.

Première liste.

Cas où le texte de WW.


se rapproche du texte grec critique cl,

à ce giiil semble, du sens de l'original.


I, 10 aut 1, a7i 1°.
— aut an 1. 2°.

— om. meos.
II, om. aliquid
-1 esse.
— G om. aliquid esse 2°.

— 7 om. et.

— iï non iudaice
et non iudaice.
vivis 1. vivis et
— 18 haec iterum iterum haec. 1.

— 21 Chris tus gratis gratis Chris 1. tus.

III, om. non obedire veritati; om. in


1 vobis.
— 2 volo a vobis a vobis volo. 1.

— 3 coïisummamini consummemini 1.

— 6 om. scriptum est.

— 26 om. quae est.

(1) On pourra voir sur ces points notre commentaire de l'épître aux Galates.
.

LA VILGATE LATLNE DE L'ÉPITRE AUX CALATES ET LE TEXTE GREC. 427

IV, 2 est et actoribus 1. et actoribus est.

— 6 noslra vestra. 1.

— a monte in monte.
24- 1.

V,12 abscidantnr ahscindantur 1.

— 13 om. Spiritus.
— 16 desideriian desideria. 1.

— 17 om. sibi.
— 19 autem sunt sunt aiitem hnpudicitia.
\. ; oTCi.

— 22 om. pntientia long animitas, bonitas, benignitas


; \. ben. bon.
long.; Tordre est meilleur quant à longanimitas, mais il

faudrait ensuite benignitas, bonitas; om. castitas.


— 24 om. suam.
— 25 vivimus spiritu 1. sp. viv.

VI, 6 verbwn 1. verbo.


— 12 om. eniin:
— 17 om. domini.
Cette première révision n'est certes pas sans intérêt. On sait la pro-
pension des manuscrits bibliques à s'enfler grâce à des insertions
étrangères au texte. La révision anglaise a nettoyé le texte d'un grand

nombre de De plus, elle rapproche l'ordre des mots de


ces additions.
celui du grec. Mais, quant au sens, le profit est à peu près nul on ne ;

peut guère citer comme améliorations que les variantes de m, 3; iv,


6. 24.; V, 12. 16; vi, 6.

Deuxième liste.

Cas où le texte de WW. ne paraît pas améliorer la traduction.


I, 6 transferemini 1. transferimini.
— 7 om. sunt et aliqui, ajoutés en latin pour la clarté.
— 15 de 1. ex,
II, 5 siibiectioni 1. subiectione.
— 13 nia simulatione \. illani simulationem (cf. troisième liste).
— 20 seipsum 1. semetipsum.
m, 18 reproniissione 1. promissione.
IV, 12 si eut et 1. sicut.
— 25 ftliis eius 1. /iliis suis.
— 29 om. is.

V, 8 om. haec qui rend bien le sens démonstratif de l'article.


— 22 om. mansuetudo qu'il faudrait conserver et mettre après
fides.
VI, 3 sitni/iil]. nihil sit.
. ;

428 KKvi'b: niuLKjri:.

ThOISIKMF I.ISTK.

Cas où le texte tir la Vulgatr, commun à la Vahjatr i^lrmrntinc et


à irir. , /ir semble pas répondre assez exactement au texte yrec.
I, 3 et domino nostro — nostro et dojnino.
— 5 est — sit i^su[)[)léé par le latin).
— sic — à omcttrt'; in (jratiam — in gratia.
— 8 licet — etiain si.

— 13 expugtiabam — vas/abam.
— 15 ut revelaret — revclare.
— IG non acfjuievi carni el sangui/ti — non contuli cu7n carne et

sanguine (.1er. correction expresse).


— 17 ad antecessores meos apostolos — ad eos qui antc me fiie-

runt apostoli.
— 18 vider e — viser e.
— 19 vidi — non ridi (Xug.).
neminem
— 22 erant — sunt.
— 23 andituui habebant — audicntes erant; expugnabat — vasta-
bat.

II, 2 videbantur — aestimantur


— 6 videbantur — aestimantur qualcs aliquando — qualescum-
;

que; Deus personam /lominis — personam Deus hominis


Contulerunt conserve une certaine probabilité quoique
hnposuerunt soit préférable (cf. adposuerunt r et Aug'.).
— 8 inter — in.
— 9 videbantur — aestimantur.
— 13 siinulationi eius consenserunl — simulaverunt cum z7/o;add.
et ante ludaei (avec Jér.); duceretur ab eis m illam simu-
lationem n'est pas amélioré par illa simulatione, car Bar-
nabe n'est pas entraîné par la dissimulation mais par
l'autorité des autres et ab eis n'est pas conforme au grec;
i! faudrait consentiret eorum simulationi (Vict. Ambrst;
cf. Rom. XII, 16 : Jiumilibus consentienies).
— 16 in Christo lesu — in Christum lesiim ; credimus — credidl-
mw^ (Jér.) ;
propter quod — quoniam.
— 17 (luod si — si autem : — nuni
numquid igitur.
— 18 praevaricatorem — tramgressorem constituo — dcmonstro.
;

— 21 gratis peut être entendu au sens de frustra.


m, ^ an — aut.
— 3 stulti — insensati, afin de traduire hbr-.z^. comme au v. 1,
LA VULGATE LATINE DE L'ÊPITRE AUX CALATES ET LE TEXTE GREC. 429

OU bien mettre deux fois; sic stulli estis, ut


stulli les

cum Spiritu cœperitis, nunc carne consumtnemini sic —


stulli estis? Spiritu auspicati, nunc carne consumma-
mini? (cf. Am sic stulli estis? cum spiritu cœperitis, nunc
:

carne consumamini?).
— i si)ie causa —
frustra; au lieu de si tamen on proposerait
siquidem; mais le sens est controversé; sine causa —
frustra.
— o an — aut.
— G reputatum est illi ad iustitiam paraît moins bon que depu-
tatum est ei in iustitiam (Tert. Monog. vi).
— — cognoscitis
7 cognoscite controversable. (Jér. etc.),

— 9 benedicentur benedicuntur.
— 10 permanserit — permanet.
— 11 — vivit vivet.
— li in gentibus — in génies.
—^15 spernit — abjicit (ii, 21).
— 16 adde autem.
— 17 confirmaium — antea confirmation.
18 repromissionem — promissionem, comme dans les autres
'
cas.
— 19 posita — apposita ordinata —
est est; lata.

— 21 promissa — promissiones.
— in Christo — in C/wistum.
• 2i-

— 25 préférer l'ordre iam non sub paedagago siimus


:
(Jér.).

— 27 in Christo — in Chris tum.


— 28 îieque — (ante femina); unum — unus.
et

IV, 7 — est es.


— 8 serviebatis — servistis (Jér.).
— 9 denuo — rursus denuo.
— 11 sine causa — frustra.
— 12 — efficiamini.
estote
— 13 perinfirmitalem — pr opter infirmitatem, qui ne devrait pas
être controversé; iam pridem — priore vice.
— 15 beatitudo vestra — beatitudinis vestrae praedicatio; posset
— potuisset (Jér.).
— 1(3 vobis — inimicus
ininiiciis vester.
— 18 bonum autem aemulamini — bonwn autem aemulari. est

— 20 confundor — haesito.
— 21 — audilis.
legistis
— 23 repromissionem — promissionem.
,30 HEVUE lUnLH.)lJK.

IV, '1\ hac — huer.


— -2:1 Si l'on ailmct Aj;iir dans le texte grec, il faudra l inlroduiic

dans la Vnlï^ate; </u} roniiturfus es/ — rongruil aiilem;

<U servit— nu
serri/ tu.

— -y^ nos — vos; sumus — rslis.

qiKi Uberlate — libertatem.


in Le sens est chani^é ])ai' la
V, 1

présence du relatif, exclu des éditions grecques criti(iues;


adde igitur.
— 3 tcslifkor — contes/or (Jér.), avec Tacc. om?iem homincm
circnmcidentcm.
\ evacuati eslis — soluli estis (cf. Uoai. vu, 2. G).

9 massam corrumpit — conspersioiiem fermentât (Jér.).

— \\) In vobis — in vos.


— 11 evacnatwn — cessavit
est (Jér. correction expresse).

— 12 abscinc/antur — praecidantur (Tert.); conlurbant — sub-

vertunt (Tert.).
— 13 detis — om. Jér.); carnis — carni
(cf. (Jér.).

l'i. 07n7iis— to/a; adde in hoc.


— 15 quodsi — autem (Aug.).
si

— 18 (juodsi — autem.
si

21 consequentiir — haereditabimt.
— modestia — om. huiusmodi — talia. Pour les « fruits )>
23 ;

des versets 22 et 23 il suffirait de prendre le texte de


Jérôme; cf. ci-dessous.
— 24 adde lesii p. Christi; vitiis

passionibus (Jér. correction

expresse).
VI, 1 instruite — perficite (Jér., correction expresse) ou reconcin-
nate (Bèze).
_ j^ sic— tune; rjloriam — gloriandi materiam; in semetipso —
in sonetipswn in altero r—in allerwn.
;

5 omis suum — propriam sarcinam (Ambrst.).


— 7 quae — quod (Aug.); haec — hoc.
8 dele et ante metit V
— deficiamus — ignavi simus ou frangamur animo
(Bèze).
9
11 qualibus — quantis.
12 crucis — in cruce (Aug.).
13 adde ipsi ante legem ou hi (Jér.).
— \h per quern—per qiiam, par la
Croix, sens à peu près certain.

_ 15 dele in Christo enim lesu; valet est; les deux corrections —


avec Jérôme.
— 16 secuti fuerint — sectabuntur (Jér. sequuntur).
l.A VULGATE LATINE DE L'ÉPITHE AUX CALATES ET LE TEXTE GHEC. 431

VI, 17 de celero —
posthac; nemo mihi molestiis sit labores —
mihi nemo exhibeat (Jér. correction expresse).
On voit (jue cette liste contient très peu de mots à omettre. Le
principal nettoyage des additions peut se faire par l'examen des
meilleurs manuscrits; de même pour l'ordre des mots, comme calque
du grec. Le plus grand nombre des corrections proposées regarde
le sens. On ne nous reprochera pas de préférer nos élucubrations
à une version ancienne et sûre. Presque tous les changements sont
empruntés au P. Cornely, qui est lui-même un interprète autorisé
de l'exégèse catholique. Dans quelques cas, l'opinion n'est pas
unanime; le plus souvent il n'y a aucune hésitation. Quelques nuances
n'ont pas grande importance ;
mais certaines traductions de la Vulgate
sont trop éloignées du texte sacré, et avec évidence de ce texte,
comme lorsqu'un temps de verbe est rendu par un autre. Parmi les
changements les plus souhaitables on peut signaler : i, 3. 13. 16. 22.

23; 11, 2. 6. 9. 10. 18; m, î). 11; iv, 8. 13. 16. 18. 21. 25; v, 1. 4. 9.
11. 13; VI, l'V. Et pour citer les exemples les plus graves, il n'est
pas sans intérêt de mettre au présent, et non à l'imparfait, tout ce
qui regarde les « colonnes » ou les « notables » avec lesquels Paul
a conféré à Jérusalem (ii, 2. 6, etc.) ; la leçon boniim aemulamini (iv, 18)
est tout à fait à côté du sens. Au nom de l'esprit conservateur et
traditionnel, on peut soutenir que le texte doit demeurer intangible;
il ne risque de tromper que ceux qui ne lisent pas les bons commen-

taires catholiques. Soit! Mais lorsqu'on fait un effort qu'on peut


qualifier de gigantesque pour aboutir à une révision de la Vulgate, ne
faudrait-il pas obtenir un résultat aussi satisfaisant que possible? En
ce moment nous ne parlons que du Nouveau Testament. L'Église
aurait-elle mis en mouvement ses meilleurs ouvriers pour améliorer
seulement quelque peu une édition critique due à des savants angli-
cans? Leur œuvre à eux se comprend très bien, car ayant une ver-
sion anglaise du texte grec récemment révisée, ils font une édition
latine de pure érudition. Mais dans l'Église catholique, ce qu'on
souhaite surtout, c'est une édition latine aussi proche que possible
du texte inspiré.

D'ailleurs, il est assez piquant de constater que s. Jérôme a exercé


très largement son droit de critique sur les éditions latines qui ont
précédé la Vulgate.
Son commentaire de l'épitre aux Galates a été écrit en 386, après
432 KKVl r. lUIM.ini'K.

le temps où l'on plarail ordinairemcnl sa révision de t(ui( le Nouveau


Testament (3SV\ Nos lecteur nOnt pas oublié Tarticlc si merveilleu-
sement documenté de dom (1«> Uruyne (1), qui propose d'atlrihuor la
Vnluate des épitres paulines, non pas à saint .lérAme, mais l'élaqc. Or ;\

l'épître an\ (lalates est un terrain très favorable pour observer la posi-
tion d(> Jérùme. Cette étude a été laite par Corssen (2), mais outre
([ue son ouvrage, (|ue je connais uniquement par la citation de doni de
liruvne, est en ce moment bors de portée, la {itiblication de l'édition
mineure de White est un fait nouveau sur l'un des deux termes de
comparaison, la Vulgate. Non que les cboses soient tout;\ fait au point,
puisque cette édition n'indique pas les autorités manuscrites, et

puistjue l'on attend toujours l'édition critique de saint Jérôme. S'il

saisissaitd'une collation soignée et définitive, il faudrait surseoir.


Mais notre dessein porte surtout sur les dili'érences de sens et pour
cela une précision minutieuse n'est point nécessaire. Qu'on ne la chcr-
clie pas ici !

Saint Jérôme cite par parcelles tout le texte latin qu'il commente.
Puis il nous a paru avanta-
fait parfois ses réflexions sur ce texte. Il

ireux de relever en deux séries distinctes d'abord les variantes de

son texte par rapport à la Vulgate Clémentine et à l'édition Wliite,


ensuite les critiques yu'il fait de la traduction latine. On indique par
les lettres a. 1. (anciennes latines) les leçons conformes à l'édition de
Sabatier qui représente la tradition des mss. d e sur laquelle nous
aurons à revenir.

Première série.

Le texte que saint Jérôtne cite pour le commenter et la Vulgate.


1, 1 et per Deum patrem. per est en plus, mais simplement par
accommodation à la plirase, car plus haut Jérôme écrit :

jier Jesum Christum et Deum patrem.


— 4 malo {i^.\.)\.nequam.
— 6 transferimini [di. 1.) avec Vg.-Clém. (WW. tran'sfcremini).
— 7 Jiisi si (avec a. 1. et F) 1. nisi. Plus loin : nisi sunt aliqiii

qui vos conturbent.


— 10 an V avec Vg.-Clém. 1. aut (a. 1. et WW.); mais a?// (a. l.)l.

an 2" avec WW. contre Vg.-Clém.


— 13 om. illam (add. a. 1.).
— 14- om. (a. 1.; t?ieos.

[1)JIB., 1915, p. 358 ss.


'
(2) Epistula ad Galatas, Berlin, 1885.
.

LA VULGATE LATINE DE LÉPITRE AUX GALATES ET LE TEXTE GREC. 43:'.

I, 15 de (a. 1.) avec WW. (Vg-.-Clém. ex).


— 10 evangelizem (avec F') 1. evangelizarem (a. 1.).

— 22 add. Jesu post Christo.


— 23 quondam 1. aliquando (a. 1.), mais ensuite aliquando.
H, 1 nirsum 1. iterum (a. 1.).

— 2 eis (a. 1.) l. illis; his (avec a. 1. et WW.) 1. Us (Vg.-GIém.j;


om. aliquid esse (avec a. 1. et WW.); en revenant sur le

V. 2 il écrit vel au lieu de aut.


— ^ ex gentibus 1. gentilis (a. 1. graecus).
— i mitem [?c^vq,^ propter suhintroduclos) (a. 1.) 1. sed.
— 5 subiectioni [di.\ec a. ]. et WW.) 1. subiectione.
— ti his (a. 1.) 1. Us; add. (a. 1.) esse aliquid 2" (avec Vg.-Clém.).
— 7 contra (a. 1.) 1. e contra; om, et (avec a. 1. et WW.).
— 9 Petrus et lacobtis et loannes (avec a. 1. et F) 1. lacobus et

Cephas et loannes.
— 11 Petrus [Petrus Cephas F' Petrus a. 1. et F~) I. Cephas.
— 1'* add. et (avant ce^en), avec le grec et a. 1.; illa simulatione
(avec a. 1. et WW.) 1. in illam simulationein.
— li recto pede incedunt (a. 1. recte ingrectiuntiir) 1. recte ambii-
larent; Petro [Petro Ceph. F^ Petro a. 1. et F-') 1. Cephae;
gentiliter et non indaice vivis (avec WW.) 1. gentiliier vivis
et non indaice (a. 1. om. et non iudaice).
— 16 credidimiis (avec a. l. et F'~) 1. credimus; in [fide) 1. ex mais
le commentaire dit ex (a. 1.).

— 18 haec iterum (avec a. 1. et WW.) 1. iterum haec ; reaedificoA.


aedifico.
— 20 autem 2° loc. (a. 1.) 1. vero; semetipsum (avec Vg.-Clém.) 1.

s,eipsîim L se.(WW.); a.

III, 1 om. (a. 1. et WW.) non obedire veritati;prosc7nptus{^. 1. et F)


1. praescriptus, mais il commente uniquement praescrip-

tiis; in vobis (om. a. 1. et WW.); add. est (a. 1. om.) après


crucifixus.
— 6 om. scriptum est (avec a. 1. et WW.) ; illi (a. 1. WW. ei).

— 7 cognoscitis I. cognoscite (a. 1.); hi fîlii sunt 1. ii (a. 1. hi sunt


filii)

— 16 repromissiones 1. promissiones a. I.

— 19 promissiim erat \. promiserat (a. 1. repromissus est).

— 2i iustificaremiirl. iiistificemur (a. L).


— 25 iam non sub paedagogo sumus (a. 1.; ordre grec) 1. iam non
sumus sub p.
— 20 add. quae est (Vg.-Clém.); a. 1. om.
BEVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. \I\ .
28
'M HKVl'R niRIJOl'K.

III, 1\) Ahrahao sipmcn (a. \.) \. >irmen Abraluw.


IV, '2 est et ncloribus ^WW.j 1. d octorihits es/.
— :\ /iifli/s mundi (a. I. et F) 1. nwndi.
— - .') add. lui : a. 1. oin,
— i; y/o.s7/'a (a. I. (>l \V\V.) 1. rcsira.
— 7 /y(^/' Cln'islum (a. 1.) 1. ;>^/' Deum.
— S iirsrienfrs m. 1.) 1. ignorantes: srrvistia his qui nntiira non
eranf dii 1. ils (\^ \V. his) qui natura non sunl dit servir-
hatis. — Scrvistis avec grec: a. J. //?' (pour /tis) qui non
sunf dû srrvirbalis.
— vpi'o co(/îioscentes autem cum cognoveritis (a. 1. uii cogno-
1.

visiis); ?nagis (a. 1.) auiem (a. 1.) cognili {a. 1.) ab eo (a. J.
Deo) 1. immo cogniti sitis a Dm; rursum (a. 1. rursûs) 1.

denuo.
— 1-2 add. (a. 1.) et a. ego W
— 14 add. quae erat (a. 1. om.) a. m carne.
— 15 potuisset (mieux suppléé) 1. posset [di. l.i.

— 16 veritatem 1. verum (a. l.i.

— 21 audistis (grec auditis) 1. legistis (a. 1.).

— 24 « ?7îo?i^e (a. 1. et WW.) 1. m monte.


— 25 qui conterminus est 1. qui coniunctus est ; a. 1. ^««e consonat.
— 26 omnium nostrum 1. nostra (a. 1.).

— 30 c«m /Z/io meo Isaac (réminiscence de la Genèse dans a. 1.) 1.

cum filio liber ae.


V, 2 prodest (F^) 1. proderit (a. 1. grec).
— 3 contestor autem omnem hominem circumcidentem se 1. testi-
âcoir autem rursus (WW. rursum) omni homini circujnci-
denti se. On dirait que Jér. a voulu corriger testificor trop
littéral, et qui revient ensuite sous sa plume. Rursus est
omis avec a. 1.

10 quia 1. quod (a. 1.), mais aussitôt après le même texte estcité

avec quod.
11 om. adhuc 1° (avec quelques mss. grecs, a. I, Vict. Ambrst).
— 13 om. spiritus (avec WW.); a. 1. sjnritu.
16 desideriu?7i (avec WW.)1. desideria ; di. 1. concupiscentiam.
— 17 sibi avec Vg.-Clém. (WW. a. 1. om.). ;

— 19 om. imjmdicitia (avec grec); a. 1. add.


— 20 haereses (a. 1. et F) 1. sectae; om. homicidia (a. 1.).

— 21 add. ethaec 1. talia (a. \.j\possidebunt (a. l.)l. consequentur.


22 om. patientia idjyecVi'^ .)', longanirnitas, benignitas, boni-
tasl. ben. bon. long. (Cl.) ou long. bon. ben. (WW.); man-
,

LA YULGATE LATINE DE L'ÉPITRE AUX CALATES ET LE TEXTE GREC. 4:io

suetiido (avec Vg.-Clém.; om. WW.); om. modestia : om.


castitas (avec WW.). Le Jérôme est conforme au
texte de
grec et meilleur que celui de Vg.-Clém. ou même de
WW. ; il serait à reprendre, pour les termes et pour l'or-
dre. Il est probable qu'il l'a refait d'après le grec, comme
pour les fruits de la chair, quoiqu'il ne le dise pas. Dans
e : carilas, gaudium, pax, paùentia, bonilas, mansuetudo
fîdes, lenitas, conlinentia castitatis.
V, 24 om. (a. 1.) suam (avec WW.).
VI, 1 instruite hinusmodi (avec a. 1. et grec) 1. huiusmodi in-
struite; in spiritu mansuetudinis (a. 1. et F) 1. in sp.Jenitatis.
— 3 esse aliquid (a. 1. et grec) 1. aliquid esse ; seipsiun seducit 1.

ipse se seducit (a. 1.) ; mais ensuite Jérôme se ipse seducit. :

— 6 verbum (a. 1. et WW.) 1. verbo.


— 12 om. enim avec a. 1. et WW.
— 13 qui circitmcisi sunt (a. 1. et quelques grecs tîpitsti^-yjIasvci) 1.

qui circumciduntur ; add. hi ante legem (grec) ; a. 1. ipsi.

— 15 om. m Christ enim lesu (avec grec) (add. a. 1.); est {a. 1. et

grec) 1. valet.
— 17 add. Doinini (a. 1. et Vg.-Clém. i.

Deuxième série.

du texte latin par saint Jérôme.


Critique
I, 6 Continuo non acquievi carni et sangiiini. Sive ut in graeco
melius habet : Non contuli cum carne et sanguine. C'est
cette seconde traduction que Jérôme commente seule.
Elle n'a pas prévalu dans la Vulgate, et mériterait d'y

être introduite.
II, 2 Id quod supra latin us interpres acquievi àixev^i in go \oco
ubi scriptum est : Continuo non acquievi carni et safi-

guini, inpraesenti loco contuli magisquam acquievi iniev-


pretatus est. Donc Jérôme met le traducteur latin en
contradiction avec lui-même, tout en reconnaissant qu'il
était très difficile de traduire àvc6é;rr;v qui dit (|uelque
chose de plus que « conferre ».

A propos d'une explication de ce verset : et hoc esse quod in


codicibus legatur latinis : quibus ad horam cessimus
subiectioni (ii, 5).
— 5 En son propre lieu ce passage est écrit quibus neque. La
leçon sans négative est attribuée à quelques-uns : quo-
436 1U:VLIE HIBLIQUI'.

modo (|ui(laiii |)ut;iii( Ic^eiidiim osse, (jnihus ml horam


tessimus, mais cos (/uidam s'autorisent du texte latiu :

;Hit si latini (•\eni[)Iai'is Nous avons


alicui fides placet.
donc ici un cas où une correction de Jérôme d'après le
grec concord*; avec la Vulgate. Mais c'est une correction
non une nouvelle traduction, et il la suppose
textuelle,
déjà iutroduile dans le texte latin tel (ju'il le cite pour le
commenter.
Il, l'i La traduction recio pede incediint peut passer pour une
correction de rccte amhularent; mais Jérôme ne fait
aucune réflexion et ce changement n'a pas laissé de trace
dau!? la Vulgate.
m, 1 Legiturin quibusdam codicibus : i^aU vos fascinavit non cre-
dere veritati. Sed hoc [k savoir non cvedere veritati) quia
in exemplaribus Adamantis non habetur, omisimus. On
voit qu'il ne perdait pas de vue le texte grec.
IV, 20 11 ne parait pas d'abord satisfait de la traduction confnndor
et propose de la remplacer par indigeo. Puis il donne une
autre explication en retenant confundor, qu'il n'aurait
sans doute pas changé.
— 28 Le texte est lu comme
dans la Vulgate nos autem :

sumus. Jérôme remarque seulement qu'Origène a lu vos
autem —
estis, et commente ce texte par égard pour Ori-

gène, sans lui donner la préférence.


v, i Après avoir cité sous la formel evacuati estis a Christo,
Jérôme commente : et cum gratiam omiserit, a Christi fide
destituitur, et in eius opère conquiescit : •/.aTapYÔOY;-:£ enim
7.-0 -cj Xpiatoj non ut in latino maie interpretatum est :

evacuati eslis a Christo, sed m Christi opère cessastis

magis intelligitur.
7 Comme la Vulgate, puis Id quod nunc latinus posuit inter-
:

pres, veritati non obedire, et in graeco scriptum est, r^


cx.'/,rfitix [)/rt r.zihi'yOy.u in superiore loco ita interpretatus est,
noîi credere veritati. Quod quidem nos, in vetustis codi-
cibusnon haberi, in suo loco annotavimus; iicet et graeca
exemplaria hoc errore confusa sint. Ce passage précédent
ne peut être que m, 1, où la Vg.-Clém. ajoute avec quel-
ques mss. grecs (ty) aXr^Oc'.a ^siOs^Oai) non obedire veritati.
'^.r,

Il ajoute ensuite : Nemini consenseritis. Sed quia nec in.


.
graecis libris, nec in bis qui Apostolum commentât! sunt,
hoc scriptum invenimus, praetereundum videtur. Et
.

LA VIJLGATE LATINK DE LÉPITIŒ AUX GALATKS ET [.E TEXTE GKEC. 437

cependant cette leçon, purement latine (G grec latinise),


s'est perpétuée dans quelques mss. de la Vulgate (éd.

Sixtine).

V, 8 Pèrsuasio vestra [WW . om. vestra; Vg.-Glém. haec) non est

ex eo qui vocavit fVg. vocat, avec grec) vos. Sur quoi


Jérôme ajoute : in latinis codicibus ita scriptum reperi :

Pèrsuasio vestra ex Deo est, qui vocavit vos. Mais ce texte

est impossible. Melius igitur et verius sic legitur : pers.

vestra non ex eo qui voc. vos. On dirait qu'il corrige le


est

texte latin unique par une nouvelle traduction. Mais en


réalité il ne dit pas latinus interpres; il parle de codices
latini, pas recours au grec. Il choisii; donc une
et n'a

variante latine, peut-êtrq arrangée à sa façon, et qui n'est


pas celle qui a prévalu, et qui est plus conforme au grec.
— 9 Modicum fermentum totam conspersionem fermentât. Maie
in nostris codicibus habetur Modicum fermentum totam
:

massam corrumpit, et sensum potius interpres suum,


quam verba apostoli transtulit. Puis il rappelle que la
même allusion au levain se trouve ailleurs (I Cor. v, 6),

dans un passage totam massam corrumpit, sive


qu'il cite :

ut iam (Alii et iam) emendavimus totam conspersionem


:

fermentât. Le Père Cornely imagine que Jérôme renvoie


à une correction antérieure, à une recension de l'épitre
aux Corinthiens. Mais il se réfère simplement à la correc-
tion qu'il vient de proposer. Ici il attribue nettement l'édi-
tion tfu'il suit à un interprète antérieur. Il le corrige, et

note en passant qu'il faudrait faire la même correction

au passage ad Corinthios. Or dans aucun des deux pas-


sages la correction de Jérôme n'a prévalu dans la Vulgate.
— 11 Ergo evacuatum est sive ut in graeco melius habet, cessavit
scandalum crucis.
— 13 tantum ne liber tatem in occasionem carni, subauditur detis :
quod quia in graeco non habetur, latinus posuit interpres.
La Vg. lit à tort carnis (a. 1.), qu'il faudrait remplacer par
carni, peut-être correction tacite de Jérôme, et elle a con-
servé detis qui n'est pas inutile au sens, et que Jérôme lui-
même garde en citant une seconde lois le texte.
— 20 rixae 1. irritationes)
(a. quoque quos aliud Graeci signifi-
cantes Ip'.esîaç vocant, siquidem rixa ;j.a-/Y) dicitur, a regno

Dei prohibent. Et il définit ïp'Miy. une sorte d'esprit de


contradiction
438 RKVrK Him.IOUE.

V, 21 In latinis codicibiis niiiillrrittni qiiO(iiic, et impudicitia cl

homicidia in lioc cataloiro vitiorum scripta referunlur.


Scd sciendum ikui [»1us quain (juindccim cai-nis opcra
uoniinata ; cette critique s'appliquo à l'ancicnno latine.
— 2V Cas très curieux, .léi-. suit la Vul^ate. Il cite le mode dOri-
gèue : adrersus Indus modi non est Lex, qui Ckristi car-
nrm cruct/ixrrun/ rum r/tiis et, concupisccntlis, et le com-
mente. Puis il ajoute : Ubi latinus intei'pres ritia posuil,
in graeco r.i^)r,]i.y:-o. id est passiones leguntur. \.o mot de
passion pouvant être pris d'nne afl'ection sans péché, Paul
a ajouté desidcria (qui répond à concupiscentiis), de sorte
(ju'il n'était pas nécessaire de transformer passiones en
ritia. Cette explication était nécessaire si l'on préfère la
Valgate : admonitum sit, si Vulgatam editio-
Et hoc ita

ncm seifuimur, legentes qui autem sunt Chris ti carnem :

crucifixeruni cum vitiis et concupiscentiis. Où l'on voit


que Vulgate désigne l'édition courante, grecque ou
la
latine, en tant que distincte du texte origénien, et que
Jérôme ne prétend pas substituer une recension de son cru
à la version latine, pourvu qu'on en connaisse les défauts.
Il ne prétend pas non plus proposer formellement une

correction lorsqu'il note : pro l'ursus crucifîg entes, melius


unum verbum compositum in graeco est, àvaciaupouvxe
quod nos interpretari possumus recrucifigentes.
— 26 Sur inanis gloriae cupidi, Jér. note : unum verbum apud
graecos /.sviocEc,, trium verborum circuitu interpres lati-
nus expressit, et il se contente dans la suite de dire inanis

vel vacuae gloriae cupidi.


A propos de même verset, il cite
ce I Cor. xiii, 3 : si
Iradidero corpus meum ut glorier, et note ensuite : Scio
in latinis codicibus in eo testimonio quod supra posuimus :

si tradidero corpus meum


ardeam habere pro
ut glorier^
glorier; sed ad sirnilitudinem verbi, ({ua apud Graecos
ardeam et glorier, id est -/.auQ-zicoixa', et Krr/-r^zz\).7.\ una lit-
terae parte distinguitur, apud nostros error inolevit. Sed
et apud ipsos graecos exemplaria sunt diversa. Et en fait
y.au-/Y;7c;7.3:f. a dû être une leçon excessivement rare. Jérôme

aurait pu s'en apercevoir par la suite et ne pas persévérer


dans sa correction. Mais il est clair cependant qu'il n'avait
encore exécuté lui-même aucune recension, puisqu'il pro-
pose glorier seulement à lencontre de l'erreur latine.
LA VULGATE LATINE DE L'ÉPITHE AUX CALATES ET LE TEXTE GREC. 439

VI, 1 Après avoir lu instruite Imiusmodi in spiritu mansuetudinis,


il commente et note sive ut melius habetur in graeco
:

perficiat in spiritu lenitatis. La correction porte sur per-


ficere au lieu de instruere, car il parle ensuite de lenitatis
spiritum et mansuetudinis, synonymes auxquels il n'at-
tache pas d'importance, d'autant que spiritu lenitatis
revient constamment. semble donc que mansuetudinis
Il

est venu sous sa plume en lisant le texte, tandis que leni-


tatis restait dans sa mémoire.
— 3 Quod melius in graeco dicitur spîvaTCaTà, hoc est, mentem
suam decipit : pro quo latinus posuit interpres, se ipse
seducit.
— 11 Voici le cas le plus étrange. Jérôme sait que TCvaV.oiç devrait
se traduire littéralement de « grandes » lettres, mais le
sens lui parait être « quelles » lettres, et il garde le texte
latin! videte qualibus litteris scripsi vobis; non quod
grandes litterae fuerint (hoc quippe in graeco sonat

— 17 De caetero nemo mihi molestus sit... Melius ergo in graeco


legitur : De caetero labores mihi nemo exhibeat.
Que conclure de ces deux séries?
Il nous de la première que Jérôme avait sous les yeux
résulte selon
pour le commenter un texte qui est déjà assez semblable à notre Vul-
gate, mais qui n'est pas encore notre Vulgate, et il résulte .de la
seconde série qu'il ne se croyait pas, du moins à cette date, l'auteur
de cette recension.
Pour entendre ces deux points il faudrait, au préalable, être fixé
sur les versions latines antérieures à la Vulgate.
Les versions, ou la version?
A propos des évangiles, Soden n'hésite pas à reconnaître deux ver-
sions, l'une africaine (af.), l'autre européenne ou simplement italienne
(it.). Mais qu'en est-il de s. Paul? Rappelons les termes du problème.
Le texte latin de l'Apôtre est contenu dans les mss. d Claromontanus,
e Sangermanensis, f Augiensis, g Boernerianus, qui sont la partie
De ces mss. e est la copie de d, f dépend
latine de mss. gréco-latins.
de la même tradition; il ne reste en présence que d et g qui sont
manifestement de la même famille. Les fragments de Wolfenbiittler
(guelf. ou dans Sodcn \v) n'ont rien des Galates, Les extraits du
Spéculum (m; sont négligés à cause de l'incertitude du texte ori-
ginal.
Mais il reste en face de d ou ej et g le ms. des fragments de Frei-
iio HEVl E rJMLIQrR.

siiig-en [v), soit, pour les (lalates, d'après Sodcn, ii, ô-iv, :î; vi,

0-17(1).
0\\ d'après une collation assez restreinte, Soden conclut nette-
ment pour l'unité dn toxlc latin type de d-g m w r; h tout le moins
il ne voit aucune raison de supposer deux tradnctions dans l'ancienne
latine {'2 .

Entre traductions et recensions où est la limite? S'il s'agit de tra-


duction, ce qui compte ce sont les divergences de sens. Or elles
sont considérables entre d-e-f-g d'un viSié et r de l'autre. Les voici,

l^onr la partie si courte contenue dans l'édition de Ziegler, en pre-


nant e Mi pour représentant de d-e-f-g.

'
r e

II. () adposuerimt (A) contiderimt (J)

— le contrario (A) contra (J

— 10 studni (A) sollicitus fui (J)


— credimiis (A)
It) (4) credidimus (J) (A)
— 21 non inrilam facio \k} non ablcio (J)

III. 1 siulli (A) insensali (J)

— 3 conswnemini (A) perficiamini


Ces différences indiquent plutôt deux traductions diff'érentes.
Or nous avons constaté en même temps
deux faits très caractéris-
tiques. A désigne ici s. Augustin, qui va donc toujours avec r, sauf
sur II, 16 où il a les deux leçons chacune dans un ouvrage différent.
Et J désigne le texte commenté par s. Jérôme, toujours semblable à
d-e, sauf dans le dernier cas.
Du premier fait Ziegler avait conclu qu'Augustin suivait le texte
de r, qui était donc lltala, puisque Augustin préférait cette traduction.
Du second fait nous concluons que le texte commenté par Jérôme
n'est sûrement pas r. Mais est-ce d-e ou n'est-ce pas plutôt la Vul-
gate ?
Car la différence admise par tout le monde demeure ceitaine entre

(1) La première série, publiée par Ziegler Ilalufragmenle der Paulinisclien Bricfe,
:

Marburg, 1876. La seconde dans XVoi.filin. Sitziingsberichle der Mnnchener Ahade-


mie, 1893. D'après l'énumération de Soden, p. 201 :>, on s étonne qu'il ail cité r sur
Gai. IV, 2.j. D'après Zabn {Commentaire, p. 24), r comprend iir, 5''-iv, 3" et m, 5''-l8. Je ne
tiendrai compte dans ce qui suit que des fragments que j'ai eus sous les yeux, c'est-à-
dire ceux de Ziegler, comprenant Gai. ii, 2'-13; Ki-in, 5'.

(2; Soden, p. 2013.


(3 Epistulae pcmlinae ante Hieronymum latine Iranslalae ex Codice Sangerma-
nensi... eruit et edidit J. Belsheim, Christianiae, MDCCCLXXXV.
(4) La transcription en minuscules est credimus, comme si cre était lacuneux, mais il

n'y a pas de doute dans la transcription en capitales crEDlMUS.


LA VULGATE LATINE DE L'ÉPITRE AUX GALATES ET LE TEX'TE GREC. 4il

la Vulgate et d-e qui représentent une ancienne latine. Certes la Vul-


gate diffère moins de d-e que de r. Et l'on peut en déduire que ce

n'est pas r qui a servi à la correction qui est devenue la Vulgate,


mais d-e et la Vulgate sont à tout le moins deux recensions très dis-
tinctes d'aspect. On peut le constater soit par une collation de détail,
sur laquelle nous n'insistons pas (1), puisque le fait est
admis, soit
en notant de fortes divergences de traduction, par exemple i, 9 :

admmtiaverit 1. evangdizaverit [Amb.) (-2); i, il praecessores [Amb.)


I. antecessores ; i, 23 erant 1. habebant [Amb. audiebant)\ i, 23
adniin-
tiat 1. evangelizat [Amb. praedical)\ i, 24 magnificabant (Amb.) 1.

clarificabant; ii, 2 secreto [Amb.) i. seorsum; ii, 3 graecus 1. gentilis;


II, 5 ad horam cessimus [Amb.) 1. qiiibus neque ad horam cessimus;
II, 6 videutur 1. videbantur [A?nb. existimatitur) ; ii, 9. 11. 14 Petrus

[Amb.) 1. Cephas; ii, 11 reprehensus [Amb.) 1. reprehensibilis : ii, 16


çredidimus 1. credimus [Amh.)\ m, 15 inritum faciat [Amb.) 1.
spernit; m, 19 disposilum [Jmb. disposita) 1. ordinata; iv, 24 sigui-
ficmaia 1. per allegoriam dicta [Amb.); iv, 25 Agar enim \. Sina
[Amb.) enim; consonat 1. coniunclus est [Amb. coniungitur); v, 8
suasio ex eo est 1. permasio non [Amb.) est ex eo; v, 15 accusati>i
[Amb. criminatis) 1. comeditis. Ce sont bien là des indices de deux
recensions différentes, soit qu'on ait suivi un autre texte grec, soit

qu'on ait traduit le môme texte de deux façons.


Or, tandis qu'Ambrosiaster, comme nous l'avons indiqué, va le plus
souvent avec la tradition de d-e, le texte cité par Jérôme comme base
de son commentaire est toujours avec la Vulgate, sauf dans ii, 9. 11.
14, où Petrus est de l'ancienne latine; dans iv, 25 qui conterminus est
est une interprétation particulière, et peut-être ii, 16 çredidimus
est-il une traduction directe du grec. U n'y a donc pas à hésiter :

Jérôme est plus rapproché de la Vulgate que de l'ancienne latine


représentée par d-e. D'autre part, nous avons noté dans notre liste
bon nombre de cas où il est plus rapproché de l'ancienne latine que
de la Vulgate, ^t des cas, moins nombreux, où la Vulgate a gardé
plus que lui des leçons anciennes.
semble que nous n'ayons fait que confirmer le jugement som-
Il

maire de Zahn, exégète trop original pour être très sur, mais con-
naisseur hors ligne des textes chrétiens anciens « Le texte latin qu'il :

(Jérôme) prend pour base ne concorde pas entièrement, dans ce


commentaire comme dans les autres sur le N. T., avec la révision

(1) Pour le I
'
ch., voir la note p. 450.

1,2) C'est-à-dire Ainbrosiaster.


442 HEVl'K IMBl.IOUE.

mise à jour p;u' lui de rancicnne version, avec ce qu'on nomme la


Vulsrale,mais il en est plus rapproché que d'aucun autre texte latin
biblique, et plus rapproché que les textes de Victorin, d'Anibrosias-
ter et d'Augustin (1). »
Mais pouvons-nous dire avec Zalin — et l'opinion commune — que
Jérôme suit une révision (ju'il aurait publiée auparavant, et qui serait
notre Vulgate? Zahn aurait mis en garde par une observation
di\ être

qu'il a lui-même, et bien propre à lui inspirer ce doute. Il


faite

semble, dit-il en substance, que jér(^me ne s'est pas cru lié à sa propre
édition. —
en tant qu'elle était déjà publiée, mais qu'il a dicté —
un texte qu'il revisait librement d'après le texte grec et sous l'in-
fluence descommentateurs grecs.
Nous croyons, en ell'et, que Jérôme ne s'est pas tenu très étroitement

à un texte donné. C'est même un fait facile à constater lorsque le


même texte, cité deux fois, ne l'est pas de la même façon. Nous avons
relevé quelques cas dans notre liste sur i, 1 ; i, 7; i, 23 ;
ii, 2; m, 10;

VI, 3.

On le voit même, lorsque les termes latins étaient à peu près syno-
nvmes, mettre un mot pour un autre, comme lorsqu'il met contes/or
dans le texte et glose ^diVtestificor, qui est le mot de la Vulgate (v, 3);
de même pour mansuetudinis et lenitatis.
Mais cela suffit-il à expliquer l'écart entre son texte et celui de la
Vulgate?
Nous ne le pensons pas. Et d'abord, si Jérôme avait publié deux
ans auparavant une édition revue desépîtres pauliniennes, est-il con-
forme à ce que nous savons de sa psychologie qu'il se soit tu de cette
recension dans son conmientaire, et qu'il l'ait traitée avec tant de
désinvolture?
A argument de l'ordre moral, on peut en joindre un autre.
cet
L'hypothèse est que Jérôme a publié une révision qui serait notre
Vulgate. Et il est constant que notre Vulgate est en quelque manière*
à la base du commentaire de Jérôme. A moins de so^jUr de tout rai-
sonnement plausible, il faut admettre que Jérôme a commenté sa
révision, s'il en avait fait une. Dans ce cas son texte serait nécessaire-
ment plus pur de toute contamination avec l'ancienne latine que tout
autre manuscrit de la Vulgate.
Or ce n'est pas le fait. Donc il n'a pas commenté une révision qui
fût son œuvre, ou cette révision n'est pas encore la Vulgate.
On sait, en effet, que les manuscrits d'une révision sont naturelle-

(1) J)er Brief des Paulus an die Galater, 2' éd., 1907, p. 23.
LA VUlJiATE LATINE DE L'EPITRE ALX GALATES ET LE TEXTE GREC. 44o

ment contaminés par l'influence de la tradition ancienne. Que les


mss. de la Vulgate contiennent des leçons de l'ancienne latine que
le texte de Jérôme n'offre pas, cela n'a pas besoin d'explication, que
Jérôme soit ou non l'auteur de la Vuljsate. Mais ce qui ne s'explique
pas, s'il en était l'auteur, c'est que le texte qu'il a commenté soit plus
saturé qu'elle d'anciennes leçons.
Un manuscrit comme l'Amiatinus par exemple rapproché
est plus
de la Vulgute que le texte qui sert de base au commentaire de saint
Jérôme. Ce dernier n'est donc pas notre Vulgate, et si Jérôme s'en est
contenté, c'est qu'il n'avait pas publié de révision définitive des textes
anciens. Il les révise, mais en composant son commentaire.
La même conclusion ressort de notre seconde série de textes qui
contient la critique assez acerbe exercée par Jérôme sur les textes
latins. Cette critique porte soit sur les leçons, soit sur les traductions.
Les leçons que Jérôme a préférées ont toutes leur place dans la Vul-
gate (il, 5; m, l ; v, 7; v, 8). Et on serait tenté de voir dans ce fait
une preuve qu'il est l'auteur de cette recension.
Mais derechef conunent se que jamais il ne se vante d'avoir
l'ait-il

nag-uère rétabli le bon texte semble toujours faire ce tra-


(1), et qu'il
vail au moment même où il écrit le commentaire?
Ce n'est pas qu'il prétende toujours recourir au grec, et la bonne
leçon a pu se trouver déjà dans les mss. latins, mais il ne dit jamais
qu'il l'ait préférée auparavant. Il fait son choix au moment même :

praetereundiim videtur (v, 7), melius igitur et ver lus sic legitur (v, 8).
Il u'a donc pas sous les yeux
une recension qui s'impose à lui pour le
texte. Combien moins encore respecte-t-il le traducteur! M. Mange-
not (2) et le R. P. Durand (3) ont encore recours à la solution d'une
seconde correction de l'ancienne latine. Jérôme aurait d'abord corrigé
(en 38i) d'une manière très superficielle. Il aurait complété son tra-
vail en écrivant son commentaire. L'hypothèse ne peut être exclue
a priori, mais parait bien peu vraisemblable quand on lit les textes.
Jérôme a en face de lui non pas son œuvre à lui, mais l'interpres
latinus auquel il ne ménage pas les reproches. Ce ton détaché vis-à-
vis d'un texte qu'il aurait donné au monde chrétien serait déjà assez
étrange, mais il serait plus étrange encore que Jérôme ne se soit pas
expliqué, n'ait jamais'dit qu'il avait déjà amélioré un texte si fâcheux.
Dans cette hypothèse, le Commentaire serait une révision autorisée

(1) CorneJj l'a cru par erreur, comme on l'a indiqué plus haut sur v, 9.

(2) Snint Jérôme ou Pelage éditeur des épUres de saint Paul dans la Vulgate, extrait
de la Revue du Clergé français, V
avril et 1" mai 1916.
(3) Recherches de sciences religieuses, oct.-déc. 1916.
444 REVl'E BIHl.IOl'E.

d'une première révision. Si le monde chrétien croyait posséder dans


la première révision l'œuvre de Jérôme, comment se fait -il que les
secondes corrections n'aient pas été adoptées piu- la Vuiqatc?
Le R. P. Durand les jui;e assez sévèrement. Il parait supposer
qu'elles ont été examinées par un tribunal compétent et éliminées. Or
les choses ne se passaient pas ainsi. Bonnes ou mauvaises, ces correc-
tions auraient dû pénétrer dans l'œuvre de saint Jérôme. D'autant que
quelques-unes sont excellentes (i, 16; v, 0; v, 11; vi, 1 ;
vi, 17). Or
aucune n'a prévalu. Nous ne saurions affirmer qu'aucun manuscrit
n'en a reproduit aucune. Nous constatons seulement qu'aucune n'a
prévalu.
On na pas non plus, semble-t-il. tenu grand compte de ses chan-
gements implicites. Au premier abord on serait tentéde croire que le
fait s'est produit pour le codex Fuldensis^ mais il se trouve que dans

les cas où F. et Jérôme s'éloignent ensemble de la Vulgate, ils se rat-


tachent tous deux à l'ancienne latine! Il ne semble donc pas que le
Commentaire ait été beaucoup exploité par la tradition manuscrite de
la Vulgate, d'autant que d'excellents mss. [Amiatinus : veritati non/
oboedire Cavensis, Habertiamis, ValHcellanus : non credere veritati)
;

contiennent une addition (ni, 1) qu'il a formellement réprouvée.


De ce qui précède, il nous semble résulter que le commentaire des
Galates s'appuie sur une révision de l'ancienne latine qui est d'une
certaine façon l'œuvre de saint Jérôme, puisqu'il ne s'interdit pas de
retoucher le texte, mais son attitude vis-à-vis de la tradition latine
antérieure exclut l'hypothèse d'une recension publiée par lui anté-
rieurement. De plus, son texte est, par rapport à nos meilleurs mss.
de la Vulgate, plus rapproché de l'ancienne latine (d-g), de sorte que
la Vulgate, recension plus achevée, doit être postérieure au commen-
taire des Galates.
Cependant tout cela ne prouve pas que Jérôme ne soit pas l'auteur de
la révisiondevenue notre Vulgate. Distinguons deux questions bien
distinctes l'existence d'une révision par Jérôme, devenue notre Vul-
:

gate, et la date de cette révision.


Les textes qu'on a cités pour la lui attribuer doivent être examinés
de ces deux points de vue. Quelques-uns sont formels sur le fait de la
révision. En 392 dans le catalogue de ses ouvrages, il dit nettement :

Noviim testamentiim graecae fidei reddidi (1).


En 398, même affirmation dans la lettre à Lucinius (2) : Noviim
testamentum graecae reddidi auctoritati. La réponse à saint Augustin

(1) De viris... 135. P. L., t. XXllI, c. 717.

(2) Epist. LXXI,,n" 5. P. L., t. XXIL c. 671.


LA VULGATE LATINE DE L'ÉPIT^RE AUX CALATES ET LE TEXTE GREC. 445

en 40i moins claire. Augustin le félicitait de son œuvre


est quo :

Evangeliwn ex graeco interpretatus es. Il répond que si Ton recon-


naît son autorité in emendatione Nom Teslamenti (1), on doit recevoir
aussi sa traduction de l'Ancien Testament. Si ce teite était isolé, on
pourrait croire que Jérôme a pris la partie pour le tout, afin d'op-
poser les deux Testaments. Mais enfin les deux premiers textes suffi-
sent. Or aucun d'eux n'est antérieur au commentaire des Galates. Le
plus ancien est plus récent de six ans.
Comment donc a-t-on été amené à fixer pour la révision des épitres
paulines la date de 383 ou de 384? Jérôme n'a publié les évangiles
qu'en 383. Qu'il ait dès lors songé à continuer son travail sur le N. T.,
c'est vraisemblable, et c'est peut-être ce qu'insinue la lettre à Marcella,
de 384 (2). Mais elle ne prouve nullement que la révision ait été dès
lors exécutée. Dom de Bruyne me parait l'avoir établi solidement, et
l'on s'étonne que M. Mangenot en voie dans la lettre un témoignage
frappant, indéniable. Car enfin, on peut se prononcer contre une leçon
sans être éditeur d'une révision. On nous dit que par trois fois Jérôme
corrige trois passages des lettres paulines : Rom. xii, 11, il faut lire
domino au lieu de tempori servientes; I Tim. i, 15, il faut'
servientes
Mre sermo au lieu de humaniis sermo; v, 19 il faut lire adversus
fidelis
presbyterum actusationem ne receperis (Vg. noli recipere), nisi sub
duobus aut tribus testibus, tandis que ceux qui lisaient autrement ne
voulaient recevoir aucune accusation contre un prêtre. Que les autres

lisent : illi legant, lui lira autrement : nos legamus. Même à prendre
les choses ainsi, personne n'a le droit de conclure que Jérôme ait fait

une édition des épitres paulines parce qu'il avait manifesté dans trois
cas ses préférences. M. Mangenot éprouve le besoin de consolider un
peu l'argument « Nos legamus de saint Jérôme correspond à illi
: :

legant qu'il dit Ne dirait-on pas qu'il défend


de ses détracteurs. »

expressément son édition de l'Apôtre? M. Mangenot continue « Leurs :

leçons pourtant étaient prises d'une édition réelle celles de Jérôme ;

font partie d'une édition entreprise réellement et non pas intention-


nellement seulement (3). »
Mais d'abord la notion d'édition était-elle si claire dans la confusion
des mss. latins? Et enfin l'argument interdit tout choix de variantes
et toute correction à qui n'a pas édité le texte Le cercle vicieux est !

manifeste dans ces lignes : une plaisanterie de comparer les


« C'est

corrections de saint Jérôme,' éditeur du Nouveau Testament (!), à une

(1) Epist. CXII, n. 20. P. L.. I. XXII, c. 929.

(2) P. L.. l. XXIi, c. '>31 s.

(3) L. c, p. 7, note 2.
',V6 HKVIK MIBLlglF.

le<,'on nouvelle proposée eu passant par dom de Itruyiie lui-niruie qui,

chacun le sait, n"a pas encore fait jusqu'ici une édition grecque des
Kvangilos (1). »

Allons au fond des choses. Il y a bien une plaisanterie dans celte


aiiaire, mais elle est dans la lettre de saint .lérùme. On dirait, A suivre

les discussions auxi|uelles sa lettre a donné lieu, qu'il y traite sérieuse-

ment une question de critit|ue, justifiant par de bonnes raisons les

leçons qu'il a préférées. Mais d'abord ses détracteurs ne s'en sont pris
qu'à son édition des évangiles : (tliqiia in cvangeliis emeiidare ten-
taverim. Gomment pourrait-il les mettre dans leur tort en leur faisant
part des leçons qu'il a choisies dans saint Paul? Et aurait-il fait tant
d'honneur à ceux qu'il nomme tout uniment des Anes à deux pieds?
Non, c'est à Marcella qu'il s'adresse, il a commencé à se fAclier. et il

lit un reproche dans les yeux de sa douce correspondante.

Est-il donc si on lui en veut, c'est qu'il a pris la


grincheux? Si

défense des vierges. Ce sont donc là les véritables griefs contre lui,
et la critique biblique ou l'esprit traditionnel n'est qu'un prétexte. Mais
enfin puisque ces ânes veulent s'attaquer à lui sur ce terrain, a oyons
donc leurs variantes, et celles que préfère Jérôme! Illi legant, spe
gaudentes, tempori servientes; nos legamus spe gaudentes, Domino
servientes (Rom. xii, 11). Uli adversus presbyterum accusationem
omnino (2) putent recipiendam; nos legamus : adversus jjresbyterwn
accusatio7iem ne receperis, nisi sub duobus, aut tribus testibus; pec-
cantes autem coram omnibus argue (I Tim. v, 19). Illis placeat uuma- :

Nus serrno et omni acceptione dignus; nos cum graecis, idest, cum
apostolo, qui graece locutus est erremus fidelis sermo , et omni acce- :

ptione dignus (I Tim. i, 15 et iv, 19). Puis la plaisanterie sur les che-*
vaux châtrés et le petit âne de Zacharie, ce qui donne la clef du tout.

C'est-à-dire, si je comprends bien sa pensée Leurs variantes à eux :

conviennent en effet à des opportunistes, ou qui mettent l'ancienneté


au-dessus de tout, tempori servientes; nous préférons la variante de
ceux qui servent le Seigneur. Ils s'attaquent à un prêtre à tout propos;
nous demandons des témoins; d'ailleurs on a le droit de s'attaquer
publiquement aux pécheurs! Leur langage est fondé sur l'autorité et
le charme de la parole humaine; le nôtre sur la foi. Naturellement,
pour donner de l'agrément à la satire, il fallait supposer des leçons
courantes, et faire sonner le texte grec. Mais on peut bien se deman-

(1) L. c, p. :,-

^2) C'est la leçon des rass. conservée à bon droit par Vallarsi. Faute de comprendre l'al-
lusion à ses détracteurs, M. Mangenot après dom de Bruyne a corrigé (avec un mss.) comme
s'il y avait nnllaia omnino.
LA VULGATE LATINE DE L'RPITRE AI X CALATES ET LE TEXTE GREC. 447

der humanus sermo a jamais figuré dans un texte latin pour Tuiaxi;?
si

une édition supprimait nisi suh duoh\is, aut tribus testibus? dans
et si
ce cas Jérôme se garde de citer un texte biblique. Et au contraire la
Vulgate n'a pas i\e recepcrù, mais noli recipere ; autemn-Y ^'.-ure pas,
et a été ajouté ici par Jérôme de son cru afin de mettre plus d'opposi-

tion entre deux procédés. Qu'on cesse donc d'alléguer l'épitre à Mar-
cella pour prouver que Jérôme avait publié une révision de l'Apôtre
en 383 On n'aura plus aucun malaise à constater que le commen-
!

taire des Galates exclut cette révision.


Et .si par ailleurs les autres lextes sont probants, mais à partir de
392, une hypothèse pourrait tout concilier. On supposerait que, en
écrivant son commentaire, Jérôme préludait à une révision plus com-
plète que le texte qu'il prenait pour base en le transformant déjà, et
que cette révision a été achevée avant 392. Rien n'empêcherait qu'elle
soit notre Vulgate, selon l'opinion ancieuine et commune, mais il ne
faudrait pas dater cette Vulgate de 384.
Cependant une objection se présente. Jérôme a publié une
Si
révision du texte après avoir écrit ce commentaire, comment n'a-t-il
pas corrigé dans le texte les traductions qu'il blâmait? Cela est certes
assez étrange. Mais on sait combien il était prudent quand il ne se
donnait pour tâche que de rapprocher du grec des textes reçus, lus
dans l'Église. Sur les points de critique textuelle il n'avait pas à hési-
ter. Mais aussi toutes les corrections qui supposent un autre texte grec
figurent dans la Vulgate, comme nous
Beaucoup plus
l'avons constaté.
lourde était la responsabilité de corriger une traduction par une
autre, quand le texte n'était pas douteux. Dans ces cas, Jérôme a pu
sacrifier ses préférences à la tradition. Cela se comprend mieux de sa
part que de la part d'un copiste postérieur, admirateur de ses travaux.
Si ses corrections de traduction n'ont pas passé du commentaire dans
la Vulgate, c'est sans doute qu'on sut à l'origineque Jérôme lui-même
ne maintenues en donnant son édition au public. Nous ne
les avait pas
proposons cette hypothèse que sous toutes réserves, et il faudrait
l'éprouver sur un beaucoup plus grand nombre de textes.
Il est plus facile de se prononcer en ce qui concerne Pelage. En

eiïet il ne saurait être l'auteur de la Vulgate des Galates, et dom de

Bruyne a fourni lui-même très loyalement la facilité de le constater (1).


Il a noté en effet onze variantes pélagiennes. Les principales, celles
qui regardent le sens, sont vraiment la pierre de touche d'une édition.
Ce sont H, 6 qiiibiis au lieu de quibus negite; m, 1 prosa^iptus au

(1) RB., 1915, p. 390.


448 HRVUK BIBI.lOl E.

(omenserîth. om. par Vg.; v,«


lien de praescriptus [i)\ v, 7 /im/i/ii
lieu de ex eo.
persuasio est an lieu de persuasiurwn est: a Dro ['î) au
l'ancienne latine de la
Ces points majeurs sont ceux qui distinguent
Vulgate. Les levons de Pelage sont celles que
Jérôme a condamnées
expressément dans le texte ancien, sauf pour m, 1. Encore, dans ce
dernier cas, s'il lit pvoscriplus, il commente praescriptus.

D'ailleurs, pour le dire ne peut plus être question


en passant, il

d'attribuer la Vulgate des épitrcs paulines à Pelage.


Dom de liruyne
cci'tes le droit de faire état des travaux de M.
Souter, qui semble
avait
se consacrer à l'examen prolongé des questions de critique péla-
o-ienuc. En 1906, ce savant aftirmait, d'après un ms. de Ueichenau,
Vulgate
que Pelage avait choisi pour le commenter le texte de la
édité par saint Jérôme en 383 et 38V (3). Si
Pelage avait commenté la

Vuluate, il pouvait en être l'auteur. Mais il y a un


fait nouveau, la

découverte à Balliol, en 19t3, d'un ms. duxV^s., contenant un bon


saint Jérôme,
texte du commentaire de Pelage, attribué sans doute à
le texte biblique
mais qui n'est presque pas interpolé. Or, quel est
qu'il glose? un texte qui ne peut être
regardé que comme apparte-
précédentes conclu-
nant à l'ancienne latine (4) Et revenant sur ses
!

sions, M. Souter n'admet plus que le


texte du ms. de Reichenau soit

la Vulgate, mais seulement un texte plus rapproché de la Vulgate

que de l'ancienne latine.

Or il est tout à naturel que les textes commentés par Pelage,


fait

le plus souvent dénommé Jérôme,


aient été rapprochés de la Vulgate.

si Ion ne veut pas que Pelage ait commenté l'ancienne latine,


Mais,
d'après des
il faudra supposer que son texte biblique a été altéré
mss. irlandais par des leçons d'ancienne latine Dans ces conditions, !

et sous réserve des révélations que M.


Souter nous fera encore, il faut
simplement conclure que Pelage avant 410 commentait un texte sem-
et que ce dernier
blable à celui que commentait Jérôme en 383 (5),
proscripius pour Vulgate.
Je ne sais pourquoi dom de Bruyne lit la
(1)

(2) V, 8 a Deo avec Ambrosiaster.


The commentary of Pelagius on the epistles of Paul,
The problem of Us restora-
(3)
communication lue le 12 déc. 1906, dans les Proceedings of the British
Academy,
iion,

of St Paul,
The Character and History of Pelagius, Commentary
on the epistles
(4)
mars 1916, dans les Proc. brit. Ac, vol. VII, p. 3 olfers a text,
communication lue le 15 :

Avhich can harJly be described as


anything but Old-Latin... ^^e begin to ask the ciueslion
Pelagius did not after ail use an OlJ-Latin lext...
whether
Pelage, c'est-à-dire le
En groupant les textes qui paraissent représenter le texte de
(5,
les autres, et de plus le pseudo-.Jérôme, avec
ms de Reichenau, non pas seul, mais avec
M. Souter caractérise le texte biblique de Pelage comme nous avons
le pseudo-Primasius,
Jérôme The Pelagian text thus arrived at is far nearer to the
fait le texte commenté par
:

than is to any Old-Latin text ot wich we hâve knowledge. Yet every now and
Vulgate it
I.A VULGATE LATINE DE LÉPITRE AUX CALATES ET LE TEXTE GUEC. 449

était en train de modifier en attendant qu'il publiât sa révision, dont


Pélag-e n'a pas tenu compte.
Or, qu'était ce texte, commun à Pelage et à Jérôme, que nous avons
constaté pour Jérôme, que M. Souter a. constaté pour Pelage, être
plus semblable à la Vulgate que l'ancienne latine, beaucoup plus
semblable selon nous à l'ancienne latine dans Pelage que dans Jé-
rôme? Ce n'était ni le texte de r, ni celui de d-g, mais c'était un texte
plus semblable à d-g qu'à r. Ne serait-ce pas un troisième texte, dont
nous n'avons pas d'autre représentant?
Déjà Ziegler avait remarqué que toutes nos autorités, sauf r et le
Spéculum, —sans parler des commentateurs, —
sont tirées de mss.
gréco-latins. Nous avons cru vraisemblable que la traduction, latine ait
parfois réagi sur le texte grec (1). Mais le contraire a dû se produire, et
plus souvent. Il faut ici distinguer deux phénomènes qu'on ris([uerait
de confondre. Le mouvement général des réviseurs d'une traduction
est de se rapprocher du texte original. On le constate pour les tra-
ductions latines et syriaques par rapport au grec. C'est ainsi que
dans la liste donnée plus haut de divergences entre d-e et la Vulgate,
cette dernière se rapproche logiquement du grec en mettant i, 9
evaiK/elizaverit au lieu de adnunliaverit; i, 2'i- clariflcabant au lieu
de magnificabant ; u, ^ seorsum dM lieu de secreto, etc. Dans ces cas
on se rapproche à la fois du sens du grec et de l'expression qu'il
emploie. Mais dans d'autres cas le rapprochement est purement litté-
ral et matériel, non pas toujours sans détriment du sens ou de la
construction latine, par exemple i, 23 dans d-e auditum erant (-^(rav)
au lieu de auditum habebant; m, 3 graecus au lieu de gentilis. Dans
ces cas on peut croire que le latin a été rapproché du grec pour
figurer dans le même manuscrit.
Si ce fait est admis, la tradition des gréco-latins n'est donc pas la
meilleure ni surtout l'unique représentation de l'ancienne latine. Une
autre tradition du même type a dû exister parallèlement à r, et
entinun autre type a pu aussi prendre naissance. Il faudrait tenir
compte plus qu'on ne le fait du texte célèbre d'Augustin (2). Il a pu
exagérer le nombre des traducteurs, mais il a constaté des diver-
gences qui pouvaient venir de différentes révisions.
Nous postulons donc, d'après les faits, plusieurs textes latins, com-

again Pelagius is assuredly commenting on a reading which according to the best of oiir

knowledgc is not, and cannot be, Ihe Vulgate readiiig {The character etc., p. 2).
(1) Commentaiie de l'épilre aux Romains, p. i.\x.

(2) De doct. Christ. H, 11 qui scripturas ex hebraea lingua in graecam verterunl.


:

nuinerari possuni, lalini autem interprètes nuilo modo. Il enim cui(|uam primis (idei
temporibus in manus vénit codex graecus et aliquantuhim facultatis sibi utriustiue linguae
REVUE IJIliLIOUE 1917. —
N. s., T. XIV. 29
4;,o
HKVUK lUlîLinl'K.

montés [mw Ainltrosiastor, par .lén')nio, apparentés à d-e,


pal" Pélai;e,

colui de rapproché «los hoiis toxtos grecs, et


.lérùnie «Mant dcy\ j»lus

c'est ce texte que Jérôme aurait repris pour on faire la Vlll^ate (1).
Nous reconnaissons volontiers qu'il subsiste l)oauct)up do doutes
ces notes, (jucl que soil
sur ces points. Mais pour conclure toutes
l'auteur de la Vulgate, on voit qh'elle fut au terme
do nombreux
la plus reçue dans TÉglise. Et
ell'orts pour perfectionner la traduction

si Jérùme est Tauteur de la \ ulgate, comme nous le pensons, il faut


reconstituer son texte.
sans doute faire les plus grands ellbrts pour
Mais eniin il l'a critiqué plus d'une fois, soit après coup, soit d'avance,

et si plusieurs de ses corrections, tacites


ou expresses, ont la pleine
approbation dos exégètes catholiques, pourquoi no pas introduire
au
témoignage
moins ces corrections dans la Vulgate officielle, malgré le
des manuscrits qui sont censés représenter le mieux sa révision?
'

¥v. M.-J. Lagrange.

habere videbalur. ausus est interppetari.



Mais Ausiustin ne dit pas que ce fût sans

s'aider d'une traduction antérieure !

plus apparente sûrement a


Le texte d'Ambrosiaster est quelque chose de semblable,
eommentaire, mais plus rapproché de la
l'ancienne latine que le teNte de Jérùme dans le
citées plus haut, voici ce que
Vulgate que d-e. Outre les variantes très caractéristiques
donne le premier cliapitre.
Amb. vg.
e.

<eipsum semetipsum semetipsum


I, 'i

malo maligno nequam


— transferimini transferemini (WW.)
(, transferimini
Aocavit vos vocavit vos vos vocavit
per gratiam in gratiam
in gratia
Christi Chrisli
Jesu Christi
nisi nisi
nisi si

— 7 conturbant vos conturbant vos vos conturbant


— 8 evangelizaverit evangelizaverit evangelizet

om. quod quod quod


— 9 adnunliaverit evangelizaverit evangelizaverit
id id
om. id
— 13 quod quia quoniam
— 15 Deo ei ei

segregavit me me segregavit me segregavit

— K) eu m eura iilum

— 17 in Hierosolima Hierosolyraam Hierosolyraam


praecessores antecessores
praecessores
— 18 in (ante Hier.) om. om.
remansi mansi t
mansi
illurn eum eum
— 22 qui sunt quae erant ([uae erant

audiebant auditum habebant


auditum erant
— 23 quia quia quoniam
praedicat evangelizat
adnuntiat
— 24 magnificabant magnificabant clarificabant.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES
[Suite]

II

LES ORIGINES DE l'aME JUIVE.

Nous l'avons au début de cette étude les écrits que nous venons
dit :

de passer en revue sont à beaucoup près les principaux documents dont


nous disposions pour nous faire une idée de ce que fut l'àme juive au
cours de la période persane. Le premier but à poursuivre, en les uti-
lisant, est de remonter aux origines mêmes de ce changement pro-
fond qui devait rendre la vie intérieure des fils d'Israël,au lendemain
de leur retour de Chaldée, si différente de ce qu'elle avait été dans
les temps préexiliens. Sans doute le présent, surtout quand il s'agit
de la vie des âmes, plonge ses racines dans un passé parfois très loin-
tain. Il est naturel de penser que, même dans les premiers temps
du septième siècle, on verrait se dessiner quelques-uns des traits qui,
en se précisant et en s'accentuant, deviendront caractéristiques des
âges plus récents. Toutefois c'est bien au cours de l'exil que se réa-
lise, de la façon la plus sensible à la fois et la plus définitive, le chan-

gement sur lequel nous voulons concentrer notre attention c'est en ;

cette période qu'il faut rechercher les origines de ce que nous


appelons l'àme juive. Ce ne sera pas trop, si l'on veut procéder avec
méthode et clarté, que de distinguer en cette première phase de son
existence comme trois étapes. Nous envisagerons successivement :

r Les sentiments et dispositions qu'apportèrent en Chaldée les


déportés de 598 ;

2° les changements qui se produisirent dans leurs esprits entre les

deux sièges de Jérusalem ;

3" enfin ceux, beaucoup plus importants, qui suivirent la catas-

trophe de 587.
4:;2 HKViii!: himmouk.

1° Les de MIS.
rportes
il

n'iiiu^ pi\rt, le roi, sa iiiôic, ses femmes, ses eunuques, les princes,
les guerriers, des artisans, des forgerons (i); de l'autre, des anciens,
des prophètes, des prêtres, des homiue^ appartenant au « reste du
peuple >>
(2) : tels furent les éléments de la population judéenne qui, ^i

deux dates assez rajtprochées, prirent le clieniin <le Ualjylone. On


aimeraitxà savoir quelle était la mentalité, ([uelle la culture, <|uelles

les dispositions religieuses caj-actéristiques de chacun de ces groupes.


I.a donnée serait précieuse pour juger de la part respective (ju'ils

devaient prendre aumouvement qui allait se dessiner en terre d'exil.


Malheureusement les indices nous manquent qui nous permettraient
de nous faire quelque idée j)]'écise à ce sujet. La préoccupation qui
animait les monarques assyriens et chaldéens, dans leurs levées de
captifs, était de retirer de la ville assiégée et du pays conquis ceux
qui, parleur situation, apparaissaient comme l'àme de la résistance
et semblaient devoir être une menace perpétuelle pour les projets
d'annexion. N'allons pas en conclure que les déportés de 598 appar-
tenaient tous à ces groupes de politiciens contre lesquels les pro-

phètes protestaient depuis deux siècles et qui avaient poussé Joa-


chim à la révolte. Vraisemblablement, en effet, le conquérant sïns-
pirait des lois ordinaires de la vie des villes et des provinces, sans
trop se soucier de l'appréciation exacte et précise de chaque cas
concret. D'ailleurs, si la totalité ou la grande majorité de ces captifs
avaient compté parmi les agitateurs, ils n'auraient pas été jugés
dignes du rôle qu'en connaissance de cause, Jérémie leur devait attri-

buer dans la préparation de l'avenir. Ne l'oublions pas toutefois,


le jugement favorable que prononcera le voyant d'Anathoth aura
un caractère général et se conciliera avec les réserves expresses qu'à
l'occasion il ou tels groupes de la première cap-
formulera contre tels

tivité, avec les censures qu'il dirigera contre eux (3). Retenons que,

dans les caravanes qui prirent le chemin de Babylone à la suite de


Jéchonias, une part seulement était destinée à procurer le salut d'Is-
raël. Dès l'abord s'opérait cette œuvre d'élimination dont nous avons
plus haut signalé les phases successives.
Une autre question se présente encore à l'esprit dans quels rangs :

de cette société déracinée se recruteraient de préférence les âmes

(1) II Reg., XXIV, 14-16; Jer., xxix, 2.

(2j Jer'., XXIX, 1.

(3) Cf. Jer., XXIX, l.^»-;J2.


4">^
|;AML JLIVE au temps des I'ERSES.

dociles à la voix de Dieu? D'instinct on penserait aux directeurs spiri-


tuels du peuple, aux prêtres et aux prophètes. Il ne faut pas oublier
toutefois lesdémêlés que Jérémie aura dans la suite avec le prophé-
tisnieet le sacerdoce de Palestine {1), les protestations qu'il élèvera
contre certains prêtres et prophètes de la déportation '2), les contlits
quÉzéchiel engagera avec les faux vqyants de son entourage (3). Sa-
cerdoce et prophétismc ne semblent pas, à la période qui nous occupe,
ne compter que des membres dignes de leurs privilèges et de leur
mission. n'y a pas lieu de douter par ailleurs que, soit à la cour,
Il

soit parmi les princes et les anciens, soit dans les autres
classes de
tantôt primitives,
la nation, il y eût des âmes qui, tantôt cultivées et
étaient entièrement attachées à la foi traditionnelle telle que les
liomnies de l'esprit s'efforçaient de la faire revivre. Bref, chacun des
divers milieux entre lesquels se distribuaient les captifs allait fournir
des éléments au groupe fidèle; mais dès l'origine ce groupe, que
la

suite des événements devait encore réduire, était loin d'englober toutes

les victimes des mesures répressives de Nabuchodonosor.


iMais quelles idées remplissaient ces âmes droites, au cours de leurs
pénibles pérégrinations à travers les déserts et dans les premiers
temps de leur séjour en Chaldée?
On peut dire d'abord qu'elles emportaient le bénéfice d'une double
leçon leçon dun exemple et leçon d'un programme.
:

I. Il est dont l'influence a été d'une extraordinaire effica-


des hommes
cité et qui marquent des étapes précises dans l'histoire des
peuples.

Tel fut Jérémie au déclin du septième siècle. De nul autre prophète


le

passage n'est aussi sensible dans la vie rehgieuse du peuple de Dieu.

Des siècles se sont écoulés qu'on saisit encore l'empreinte de son âme;
longtemps après l'exil, le psautier insère des hymnes destinées à ser-
vir d'expression à la piété populaire et toutes pénétrées de la
prédi-

cation et de la prière du voyant d'Anathoth. Mais c'est sur ses


con-

temporains que tout d'abord sa personnalité a puissamment détemt.


Or un trait domine tous les autres dans la physionomie morale et
1 attitude religieuse de Jérémie. Il apparaît avant tout comme un
homme de contradiction. Certes la plupart des prophètes participent
caractère. Leur mission les appelle irrésistiblement à
prendre
à ce
ils censu-
attitude d'adversaire vis-à-vis de leurs compatriotes, dont
rent stigmatisent les désordres. Il n'en est pas moins
les vices et
prend un sens tout
vrai que, dans le cas de Jérémie, cette expression

(1) Jer., \xiii, 9-40; wvii; wviii.

(2) .1er., \xix, 15-32.

(3) Ez., xiii; Mv, 1-11.


spécial. Isnïc, par exemple, domine toutes les oppositions; nous ne
voyons nulle part qu'il ait été en hutte aux injures et aux voies de
fait de ses adversaires. La rencontre d'Amos et d'Aniasias(l) apparaît

comme un épisode unique dans l'histoire du hcrger de Tékué. H en


va autrement du lils dllelcias. Sa vie se déroulera dans un perpétuel
conflit, non seulement d'idées, mais d'oppositions personnelles.

Le prophète en eut le pressentiment dès le jour où il reçut son


appel de Yahweh. Celui-ci eutheau lui révéler, dans les termes les plus
solennels et les plus précis, le mystère de sa prédestination; Jérémie
poussa un cri d'épouvante « Ah! Seigneur Yahweh, je ne sais point
:

parler, je ne suis qu'un enfant (2) » Dieu eut beau le rassurer il fallut
! ;

qu'à maintes reprises, au cours de leurs premières entrevues, il s'ap-


pliquât à le réconforter (3). Yahweh ne dissimulait pas à son représen-
tant la réalité du danger que celui-ci avait entrevu. Les causes d'a-
battement seront réelles; mais le prophète devra se souvenir que son
Dieu est avec lui pour en faire comme une ville forte, une colonne de
fer et un mur d'airain. Et ce disant, YaliMeh semble renchérir encore
sur les craintes du voyant c'est tout le pays, ce sont les rois et les
:

princes, ce sont les prêtres qui se conjureront contre lui et lui feront
la guerre. A la vérité ils ne prévaudront pas, « car je suis avec toi
pour te délivrer (4) ».

Les prévisions de Jérémie n'étaient que trop justifiées. Sans doute,


l'entrée en scène du prophète et les huit premières années de son
ministère sous Josias ne donnèrent pas lieu, au moins à en juger par
son aucun de ces conflits tragiques qui survinrent dans la
livre, à
suite.Sans doute encore, les déportés de 598 ne virent pas les vio-
lences extrêmes dont les récits des Judéens demeurés en Palestine ou
les derniers écrits de Baruch devaient leur apporter l'écho. Mais plu-
sieurs fois déjà sous Joachim, Jérémie s'est vu en danger de mort.
Dès le début du règne et à l'occasion de ce discours dont Jer., xxvi
- nous a conservé la substance et décrit le contexte, que Jer., vu repro-
duit avec plus de détails, il a entendu prêtres et prophètes réclamer
des princes et du peuple un arrêt d'extermination contre lui (5). Ni la
noblesse de son attitude, ni ses menaces trop légitimes n'ont arrêté ses
adversaires ; il a fallu que les grands et le peuple opposassent la fermeté
de leur résistance à ceux qui semblaient tout désignés pour seconder

(1) Am. , vu, 10-17.


(2) Jer., I, 4-6.

(3) Jer., I, 7-10.

(4) Jer., I, 17-19.

(5) Jer., xwi, 7-11.


LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 455

du champion de Yahweh (1). Dans la suite, quand


les efforts- et le zèle
il parcourt les bourgs et les villages pour prêcher
l'observation de

l'alliance renouvelée par .losias, il apprend que ses compatriotes


d'Anathoth ont trame un complot contre lui, se proposant de le'

retrancher de la terre des vivants, de détruire l'arbro avec son fruit;


il entend crier à ses oreilles Ne prophétise pas au nom de Yahweh
: «.

si tu ne veux mourir de notre main (2). » Son angoisse a été vive. En des

termes qui portent encore l'empreinte des duretés de l'ancienne Loi,

il a réclamé la vengeance divine (3). Puis il s'en est pris à


Yahweh lui-

même, demandant comment il laisse accabler


lui l'innocent tout en

assurant la prospérité au méchant (4). Le Très-Haut, il est vrai, lui a pro-

mis d'intervenir; mais en même temps il lui a adressé des paroles


pleines des plus sombres perspectives « Si tu cours avec des pié-
:

tons et qu'ils te fatiguent, comment pourras-tu lutter avec les cava-


liers? S'il te faut une terre de paix pour avoir confiance, que feras-tu
contre les lions du Jourdain (5)? » Bientôt encore ses auditeurs forme-
ront des desseins contre lui(6). Bientôt il se verra frappé par le
prêtre

Pasliùr et par lui mettre aux ceps dans la Porte Haute de Benjamin,
qui est dans la maison de Yahweh (7). Enfin quand, en l'an i de Joa-
chim, il rédigera le rouleau des oracles que depuis vingt-trois ans il
aura prononcés en Juda, c'est à son secrétaire Baruch qu'il donnera
mission d'aller les lire au Temple (8) : tant est vive l'oppposition à
laquelle il se sent en butte !

Voilà bien l'homme de contradiction, et il est probable que ces


épisodes népuisent pas la liste des mauvais procédés dont il fut la
victime. Doué d'une sensibilité très délicate, le prophète en devait
grandement souffrir. Il lui en coûtait, à lui qui aimait son peuple
de toute son âme, de voir ses sentiments les plus chers totalement
méconnus. Nous l'avons déjà entendu s'en plaindre à Yahweh. A
maintes reprises il renouvellera ses doléances.- Il ne lui sufiit pas
d'appeler et d'appeler encore les fléaux de la colère divine sur ses
adversaires D). En conformité avec ces idées de l'antique Loi qui trou-
(

veront leur expression dans le livre de Job, il se demande pourquoi.

(1) Jer., XXVI, 12-19.


(2) Jer., XI, 19, 21.

(3) Jer.. XI, 18, 20, 21-23. '

(4) Jer., xn, 1-4.



(5) Jer., xn, 5,6.
(6) Jer., xvm, 18.

(7) Jer., XX, 1, 2.

(8) Jer., XXXVI, 1-8.


(9) Jer., XI, 20; XVII, 18; XVIII, l'.l-23; XX, 4-0, 11-13.
ir.O UKVUE BlBLIQUi:.

lualgi'é sou iimoccnce, Dion laisse les coups les plus rudes sabattrc
sur lui l). Le spectacle (le la prospérité des méchauts ses adversaires —
— al)outit à uu outraste qui Icxaspère ['2). Il rai)pellc à Valnveh (juo
(

c'est pour lui (|u il porte l'opprobre, pour lui qu'il s'est séparr du
peuple iusoiiciaut et que, sous sa niaiu, il s'est assis solitaire, tout
riMupli de courroux (3). A certaines heures, il est près de croire que
Vahwoh est pour lui un de ces ruisseaux trompeurs, aujourd'hui
iioutlés des pluies d'orage et qui demain refuseront la moindre tlaque
d'eau au voyageur épuisé {k). H en vient — Job reprendra ce langage
— à maudire le De chacune de ces crises
jour de sa naissance (5).

toutefois il sort vainqueur et, sinon rasséréné, prêt du moins à se


mettre vaillamment à l'œuvre. Non seulement il a confiance en la jus-
tice divine, mais il sent revivre en lui l'impression des premiers
appels d'en Kaut. Aujourd'hui encore, ils sont irrésistibles comme ils
le furent jadis. Il voudrait dire « Je ne ferai plus mention de lui,
:

je ne parlerai plus en son nom ». Mais il y a dans son cœur comme ,

un feu dévorant; il s'efforce de le contenir et il ne le peut (6). H se

souvient que, dès que son Dieu lui a conuuuniqué ses paroles, il les

a dévorées, quelles sont devenues la joie et l'allégresse de son


cœur Son parti est pris et il demeure tidèle à ses convictions.
(7).

Fort de son union avec Vahweh, il accepte d'être à l'écart, de mener sa


vie religieuse et morale en marge de son peuple. On a souvent
dit que, dans les siècles précédents, la vie des individus était comme
per<lue dans celle de la nation, que la religion apparaissait comme
une fonction avant tout sociale, que les responsabilités individuelles

étaient absorbées dans celles qui pesaient sur l'ensemble. Il y a


une part de vérité dans cette assertion; c'est en tant ([u'elle con-
cerne la masse, toujours prédisposée à se laisser entraîner dans les
mouvements généraux et à en suivre les vicissitudes. Mais, sous sa
forme universelle, la proposition est erronée. Il y eut alors des âmes
vigoureuses dont la vie religieuse fut aussi personnelle qu'à toute
autre époque; les noms d'Élie, d'Elisée, d'Isaïe, beaucoup d'autres
encore suffisent à le prouver. Une chose est vraie néanmoins. En un
temps où l'état du peuple ne semblait pas tout à fait désespéré, où
les arrêts divins môme les plus austères paraissaient susceptibles de

(1; Jer., w, l.=i-lS.

(2) Jer., XII, 1-4.



(3; Jer., xv, 15-17.
(4) Jer.,-.^v, 18.

(5) Jer., XX, 14-18.


(6) Jer., XX, 9.

(7) Jer., XV, 16.


L'AME JLIVE AU TEMPS DES PEKSES. 437

délais indéfinis, les réformateurs cherchaient à ramener dans la


honne voie la nation tout entière; tel fut, par exemple, l'objectif
d'Isaïe et d'Ézéchias. dans les jours de Jérémie, toutes les
Mais,
illusions étaient tombées; les règnes de Manassé et de .loachim
avaient révélé l'irrémédiable perversité, Tirréductible obstination
d'Israël. Avec la nation actuelle il n'y avait plus rien à faire;
on
ne pouvait compter, Jérémie se plait à le répéter, sur un retour

sincèfe et définitif. Dès lors les âmes religieuses n'ont qu'à se


replier sur elles-mêmes, qu'à se suffire à elles-mêmes. Résignées,
se sentant en pleine antithèse avec leurs contemporains, elles accep-
teront leur isolement, elles voudront en protiter pour rendre plus
intenses leur vie intérieure et leur attachement à celui qui s'est fait
leur appui.
L'exemple de Jérémie fut suivi par tous ceux qui, gémissant sur
les abominations dont Juda était le théâtre et qui trouvaient
accès

jusque dans le Temple, écoutaient avec respect et amour la parole

si sympathique du prophète. Il était particulièrement


opportun et
précieux à un moment où, par caravanes successives, uno partie
notable du |>euple de Dieu allait être transplantée en Chaldée. Loin
du sol natal, qui était aussi le sol de Yahweh, comment les captifs
allaient-ils chanter leurs cantiques sur la terredu dieu étranger? Loin
du Temple, leur vie religieuse allait être diminuée de tout ce qui

jusqu'à cette heure en avait été l'élément principal. C'en était fait
des sacrifices, des pèlerinages, des cérémonies somptueuses qui ne
pouvaient se dérouler que dans le grand sanctuaire et qui, plus que
tout le reste, contribuaient à donner au culte son caractère national.

N'ayant plus ces occasions de se réunir, isolés d'ailleurs dans les


villages où le vainqueur allait les fixer, force serait aux exilés de
se contenter d'un culte individuel ou, tout au plus, domestique et
familial. Cette nécessité s'imposerait surtout au début, avant que,
sous une forme nouvelle, des usages nés en terre de captivité vins-
sent satisfaire au besoin, inhérent à linstinct religieux, de s'affirmer
sous une forme extérieure et sociale. Il était donc très utile que
les déportés de 598 pussent garder le souvenir d'une personnalité,
éminenle entre toutes, qui, en dehors et à l'encontre du courant de
la vie religieuse si profondément dégénérée de la nation, avait su
garder son union avec Yahweh et satisfaire aux plus pures exi-
gences de sa piété.
Si, en effet, Jérémie ne prend qu'une part très restreinte aux
liturgies officielles, si la crainte de voir sa vie en péril l'éloigné des
pompes religieuses que président les piètres ses ennemis, s'il se soucie
458 UEM K lUBLlOliK.

peu dassistei' au\ ôvolutioiis d'un clcrj;r c[u"il .ju.^e drgradc, sa piété
persounellc n'est pas pour autant ou soullrance. Loin de là. Sou
livreuous le dit aucune autre Ame de voyant ne s'est épanchée
:

eu autant d'effusions en présence de Yahweli, eu autant d'oraisons


à son adresse, 11 se peut qu'à cet éyard, le livre du fils d'ilelcias soit
mieux documenté «[ue les autres recueils pro[)liétiques. rju'il donne
une plus tiraude place aux indications biographiques. Mais, à s'en
tenir à leurs o'uvres, on dirait ([u'uu Isaïe et, davantage encore,
un Ézéchiel revoiveut la parole de Dieu d'une mauicre absolument
passive. Ils semblent s'incliner devant d'iuéluctables arrêts sans
oser émettre une réflexion, formuler une remarque une fois ou ;

deux seulement ils hasardent un cri d'épouvante, une parole qui


traduit leur émotion (1). Us sont accablés, altérés par la présence et la
voix du Très-Haut. Bien différente est la manière de .lérémie; sou
sentiment de la présence divine est autrement vif et intime. La main
de Dieu s'appesantit sur lui, sans doute, et l'Esprit le contraint.
Mais Yahweh n'est pas seulement un maître dont l'autorité le domine;
c'est un ami, c'est un soutien, c'est un confident, avec lequel il
ne craint pas d'engager conversation; il le sent vivre, non seulement
dans les profondeurs terrifiantes du sanctuaire ou sur la plate-forme
du char symbolique; il le sent vivre à ses cotés, au dedans de son
àme. Il pourrait presque dire avec saint Paul " En lui nous vivons, :

nous nous mouvons en lui uous sommes (2)! » Et c'est ce qui exjdique
;

l'attitude pleine de confiance qu'il garde en présence de l'infinie


majesté. Il n'hésite jamais à lui faire part des sentiments qui rem-
plissent son cœur. Les formes de ces épanchements de son âme sont
des plus variées. Ici ce sont des élévations que l'on pourrait qualifier
d'abstraites sur le bonheur du juste et le malheur de l'impie (3).
Ailleurs, nous lavons déjà dit, ce sont des confidences toutes per-
sonnelles : plaintes au spectacle des persécutions auxquelles il est
en butte, réflexions austères sur le sort qui lui est fait et dans
lesquelles, avec une hardiesse inouïe, il va jusqu'à maudire ce jour
de sa naissance qui fut pourtant un jour de Dieu. Le plus souvent,
ce sont des prières. Et avec quels accents elles sont formulées! La
tendresse n'a jamais trouvé d'expressions plus persuasives, la con-
fiance n'a jamais été plus absolue, ni linsistance plus pressante.
Jérémie implore; il implore pour lui-même, demandant un allè-

(1) Is., VI, ïl; XXII, 4; Ez., IX, 8; XI, 13; etc.
(2) Act., xvn, 28.
rs} Jer., xvn, 5-8.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. . 439

gement à ses maux, réclamant vengeance contre ses ennemis (1 ); plus


souvent, nous y reviendrons bientôt, il intercède pour son peuple. Et

cette prière, il la fait avec une telle conscience de la présence divine


qu'à plusieurs reprises, elle devient un véritable dialogue il pose à ;

Yahweh des questions, il lui fait des remarques, il entend au fond de


son âme la réponse du Très-Haut, à l'occasion il plaide les circons-
tances atténuantes (2). Une sécheresse épouvantable ravage le pays. Le

prophète en fait la description (3). Puis il se met en prière. Il ne s'est

pas mépris sur le sens du fléau. Mais, si les iniquités de Juda


témoignent contre lui, qu'au moins Yahweh s'en souvienne Il habite :

au milieu de ce peuple sur lequel son nom est prononcé; que, pour
l'honneur de son nom, il mette un terme au châtiment et à l'é-
preuve (iH... La réponse ne se fait pas attendre et elle est double. Pour
le peuple, c est un message dans lequel Yahweh déclare qu'il ne met
plus son plaisir dans les enfants d'Israël, garde seulement,
qu'il

indélébile, le souvenir de leurs crimes (5). Pour Jérémie, c'est une invi-
tation à ne plus intercéder en faveur de Juda ni oraisons, ni jeûnes, :

peuvent rien faire (6). Le prophète ne se tient pas pour


ni sacrifices n'y
battu Si le peuple est coupable, il est avant tout la victime des
:

illusions que de faux voyants ne cessent de lui débiter!... Sans —


doute, mais les oracles de mensonge étaient faciles à discerner il :

n'y avait qu'à écouter les paroles authentiques de Y^ahweh. Aussi les
auditeurs seront-ils enveloppés dans le même châtiment que ceux
qui les ont déçus (7)... Rien à faire, semble-t-il, et Jérémie n'a qu'à

répandre son âme en une douloureuse lamentation (8). Mais non Il ne !

s'avoue pas entièrement vaincu; il ose encore intercéder. Il ne


s'arrêtera qu'après avoir entendu cet arrêt terrible et définitif :

« Uuand Moïse et Samuel se tiendraient devant moi, mon âme ne se

tournerait pas vers ce peuple (9) » Bref, il y a dans cette prière un tel
!

mouvement de va-et-vient de l'homme à Dieu et de Dieu à l'homme


qu'avec un sens très juste de la réalité, le rédacteur Jérémie lui- —
même ou son disciple — n'a pas hésité devant cette suscription :

(1) .Ter., XI, 20; xil, 3, 4; xvii, 18; Wiil, 19-23: A\. 11-13; etc.
(2) .1er., iv.lO, 19-21; vu, 16-19; vui, 18-I\, 1; xii. 1-6.

(3) Jer., XIV, 1-6.

(4) Jer., xn, 7-9.

(5) Jer., \iv, 10.

(6), Jer., XIV, 11,. 12.

(7) Jer., XIV, 13-16.

(8) Jer., XIV, 17, 18.

(9) Jer., XIV, 19-xv, 2.


« Parole de Valuveh qui lut adressée à .lérémie j\ l'occasion de la
sécheresse 1\
(
«>

On le comprend sans [»eiue. (irande devait être sur les Ames l'in-
tluence dune piété si haute
communieative. Les disciples
;\ la fois et si

de Jérémie ne seraient pas seuleuient les héritiers de sa doctrine, ils


subiraient une action plus complètement envahissante; (juelque chose
de l'Ame du maître et de sa vie intérieure passerait dans leur Ame
<>t

dans leur \ ie intérieure. Transportés en exil, isolés


du Temple, séparés
bien souvent de leurs frères, ils se souviendraient des magnitiques
paroles du voyant d'Aiiathoth faisant de leur cœur un sanctuaire
; en
l'honneur de leur Dieu qui n'avait plus d'autre asile, ils reprendraient
ces sublimes motifs d'intercession, ils les développeraient,
ils les
adapteraient aux circonstances et à la situation nouvelle de leur Ame.
On sest plu à rajeunir outre mesure la date du Psautier. De nom-
breux critiques n'y ont guère vu que le recueil des chants liturgiques
du second temple; ce n'était à leurs yeux qu'une collection de can-
tiques exiliens ou postexilicns. Tout au plus admettaient-ils la réalité
ou seulement la possibilité de quelques morceaux antérieurs à la
déportation, sans qu'aucun toutefois remontât, au moins dans son
état actuel, jusqu'à David. Les critiques catholiques ont dû,
une fois
encore, à l'intluence de la tradition un sens plus juste des réalités.
Si
les liturgies du temple de Zorobabel ont utilisé les psaumes, c'est
que l'emploi en était déjà justifié par l'usage séculaire du sanctuaire
salomonien. Il était d'ailleurs tout naturel qu'à
l'égard de ces chants,
dont le caractère sacré se manifestait par leur destination même,
ceux qui, pendant lexil, veillaient avec tant de soin à la conservation
de l'antique littérature témoignassent d'autant de zèle qu'à propos
des législations et des rituels. D'autre part, si ampliiiée, si exa-gérée
que puisse paraître la tradition représentée par les titres, surtout en
certaines versions, il est tout naturel de reconnaître que l'attribution
davidique repose sur quelque fondement solide, que plusieurs hymnes,
remontent par delà de longs siècles jusqu'au fils d'Isaï. Il n'en est
pas moins vrai que, soit dans les temps qui précédèrent immédia-
tement les déportations, soit au cours de
lui-même, soit dans lal'exil
'

période qui suivit, la littérature sacrée s'enrichit


de nombreux canti-
ques, le vieux recueil reçut d'importants développements. Abstraction
faite des hymnes dont le contenu indique avec précision
la date, ce
furent spécialement les psaumes qui. parlant des persécutions aux-
quelles les iustes sont en proie, nous reportent aux temps lugubres

(1) Jer., XIV, 1. ,


I.'AME JLIVE AU TEMPS DES PERSES. 461

de .loachim; ce furent encore ceux qui traduisent les sentiments de la


pénitence et surtout de la pénitence nationale. Or on a signalé à
maintes reprises les points de contact de ces hymnes avec les oracles
ou les prières de Jérémie. Il se peut qu'une fois ou l'autre, le prophète
ait étérimitateur. Mais il est incontestable que le cas contraire est le
plus fréquent. Les psaumes dont nous parlons apparaissent vraiment
comme le développement, la mise en forme littéraire, l'adaptation
à de nouvelles circonstances individuelles ou à l'usage populaire
des paroles incisives, prime-sautières, qui traduisaient les sentiments
subitement éclos dans l'âme du voyant. On peut dire ainsi qu'en une
foule de manières, grande a été l'influence de Jérémie sur la piété
juive et sur les productions qu'elle a inspirées.
Nous notions plus haut que Jérémie priait pour son peuple. Rien
de plus touchant en eifet et de plus frappant que ce nouveau trait
de l'attitude du prophète. Voué à la contradiction, objet de mépris et
de risée de la part de tous ceux qui l'entourent, rejeté et banni de
Jérémie n'en reste pas moins
la vie sociale et religieuse de la nation,
profondément attaché à Juda. A maintes reprises et en toutes sortes
de manières, il donne des preuves de son affection pour sa patrie.
Les plaies d'Israël ont la plus douloureuse répercussion dans son
Ame. Sans doute nous voyons annoncer les châtiments avec rigueur,
le

car il de la parole de Dieu. Mais combien de


est l'interprète fidèle
fois ces prédications pleines de menaces sont-elles interrompues par
des cris de douleur! Quand les Scythes lui apparaissent à l'horizon,
prêts à fondre sur le pays, il prononce ces paroles d'épouvante qu'il
répétera peut-être en voyant les Chaldéens se préparer à devenir
le fléau de Vahweh : « Mes entrailles ! mes entrailles ! Je souffre au
plus intime du cœur! Mon cœur s'agite; je ne puis me taire. Car tu
entends, ô mon âme, le son de la trompette, le cri de guerre... Jus-
ques à quand verrai-je l'étendard, entendrai-je le son de la trom-
pette (1)? La réforme de Josias a été le point de départ d'une
... »

trêve, d'un répit. Mais elle a été éphémère. Rejoignant, par delà le
règne du pieux roi, les prévarications du temps de Manassé, les désor-
dres que Joachim tolère et encourage ne permettent plus d'illusion :

les vengeances divines ne rencontreront plus rien qui les arrête.


Aussi la d(mleur de Jérémie ne connait-elle plus de boi'nes. Elle
trouve, pour s'exprimer, des accents d'une beauté, d'une grandeur
tragiques « Je suis meurtri de la meurtrissure de la fille de mon
:

peuple; je suis dans le deuil, l'épouvante m'a saisi. N'y a-t-il plus

(1) Jer.. i\, 19, 21.


»G-2 REVL'b: miUlOlK.

de haumc eu (ialaad? Ne s'y troiivc-l-il plus de médecin ? Poiirnudi


ê

donc n'a-t-on pas mis un l)anda,i;e à la lille do mon peuple? Qui


chanuera ma tète en eaux et mes yeux en source de la mer, pour que
je pleure nuit et Jour les morts de la lille de mon peuple (1)? » Davan-
ta,i:e encore, ces sentiments se traduisent dans l'intercession. Nous
avons vu l'ardeur de la prièi'«' du [)roph('te (piand il s'agissait d'un

tléau et d'un chAtimentau caractère nettement passager. A plus forte


raison exlialera-t-il devant Yahweli les plaintes et les as[)irations de
son Ame (piand il verra se dérouler la })erspective de l'inéluctahle
et délinitir désastre. Qu'on en juge [)ar un exemple. C'est à la suite
de cet oracle dans lequel Yaln\eh montre au terme de la peine la
violation et la destruction du Temple lui-même. La prière du pro-
phète n'est pas reproduite, mais on peut juger de sa vigueur par ces
paroles mômes du Très-Haut : u Et toi n'intercède pas en faveur de
ce peuple, n'élève pour lui ni plainte ni prière, et n'insiste pas auprès
de imn, car je ne t'écouterai pas (2)1 »
au spectacle du malheur de Juda, prier, intercéder alin
Soutlïir
que Dieu en allège les rigueurs exemples précieux pour ceux qui,
:

en quittant Jérusalem, garderaient le souvenir des maux que lui


aurait causés Nabuchodonosor, pour ceux qui, campés sur la terre
étrangère, apprendraient si rapidement que de plus terribles dangers
menacent la Ville Sainte. N'y a-t-il pas autre chose dans ces accents?
Il convient de faire attention à cette parole « Je suis meurtri de la :

meurtrissure de la tille de mon


Le sens obvie en paraît
peuple (3). »

assez clair :1e prophète est affligé de voir son peuple dans le malheur.
Faut-il song-er à des sens plus profonds? Jérémie se considérerait-il
conmie portant, dans cette peine même, le châtiment des crimes com-
mis autour de lui? Irait-il plus loin encore et verrait-il en sa propre
douleur une part de la rançon d'Israël? Se regarderait-il comme la
victime des iniquités de la nation et comme une victime expiatoire?...
On peut affirmer d'abord que rien, dans ses paroles, ne rappelle les
accents par lesquels, en Is., xl-lv, le prophète exprime le pouvoir
rédempteur des souffrances du peuple exilé, avant de concentrer son
attention sur la puissance cxpiatrice des épreuves et du supplice du
Serviteur individuel de Yahweh. Il est plus difficile de dire si, dans ses
propres calamités, dans celles-là même qui trouvent leur explica-
tion en son ardent patriotisme, il voit pesant sur lui une part du
châtiment national; il serait difficile, à ce qu'il semble, d'alléguer des

Jer., vin, 21-ix, 1.



(1)

(2) Jer., Yii,'l6.

(3) Jer., Mil, 21.


L'AMK JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 463

textes établissant clairement qu'il pousse jusque-là le sentiment de la


solidarité qui renchainc à son peuple. Peu importo d'ailleurs. Si les
exilés ne peuvent s'inspirer à cet ég-ard de l'attitude même du pro-
phète, ils trouveront dans son rouleau des enseignements précis et de
lumineux principes de conduite. Ce n'est pas seulement, en eiiet, la
leçon d'un exemple, c'est encore la leçon d'un programme qu'ils em-
portent en Chaidée. Kt ce programniq, c'est au voyant d'AnathotIr
qu'ils le doivent en grande partie Sophonie, Nahum et Habacuc ne
;

l'ont qu'en reprendre quelques traits.

II. Lorsqu'on parcourt les livres prophétiques, on a surtout l'im-

pression des points par lesquels ils ont contact et se ressemblent. Les
thèmes généraux culpabilité d'Israël et de Juda, châtiments abou-
:

tissant le plus souvent, par une série d'étapes, à la ruine nationale,


perspectives de délivrance et de salut, se retrouvent à peu près iden-
tiques en tous ces écrits. On serait tenté de dire qu'aucune famille
de documents littéraires n'est caractérisée par des traits communs
aussi sensibles et aussi fermes. A un regard plus attentif toutefois se
découvrent, en l'enseignement de chaque voyant, des notes person-
nelles non moins sig nificatives. Ce sont celles-là surtout qu'il nous faut
relever à propos de Jérémie, en indiquant quelle impression elles pou-
vaient faire sur les déportés, quelles conséquences ils en devaient
tirer.

Une idée dominante se fait jour dès l'origine. Elle n'est pas neuve,
héjà, par la bouche d'Amos, d'Osée, d'Isaïe, Yahweh a manifesté que
son action, loin d'être confinée dans les limites du seul peuple d'Israël
et du sol de Palestine, comme celles des autres dieux sont restreintes

aux domaines de leurs nations respectives, atteig-nait jusqu'aux extré-


mités du monde; il a proclamé que, depuis leurs origines jusqu'au
terme de leur existence, il tenait en main, avec une irrésistible auto-
rité, les destinées de tous les empires. Les uns après les autres, ces
prophètes nous montraient cette puissance souveraine convoquant pour
le châtiment d Israël les peuples les plus justement redoutés; bien
plus, Ainos et Isaïe avaient des (jracles touchant les nations (1), dans
lesquels Yahweh portait contre
elles des arrêts, sans tenir compte ni de
Hadad, ni de Baal, de Dagon, ni de Ghamos, ni de Milkom, qui
ni
étaient censés y régner en maîtres. Mais à ces vérités, c[ue les attitudes
pratiques des voyants enseignaient d'une façon si éloquente, il
manquait tout de même, serait-on tenté de dire, une formule précise.
Dès sa vision inaugurale, Jérémie se pose comme délégué de Dieu,

(Ij Am,, i-ii; Is., xiii-xxui.


404 KKVli; HIIU.IQUE.

établi par lui •> sur les nations ri sur les royaumes ». Il devient coniiuo
la représontalion vivante du pouvoir universel de Yalnveh; ce pouvoir
universel est (ju'il peut s'exercer pour l)àlir
d'ailleurs si absolu
et pour planter, tout que pour arraclier et abatire, ruiner et
aussi bien

détruire (IV Ainsi donc, au moment où .luda va être témoin des plus
grands bouleversements de peu[)les que ranti(]uité ait connus, à

riieure où il va lui-même civo em])orté dans le tourbillon, ceux <jui


oot loi en la parole prophétique vont trouver dans cette loi môme la
lumière qui éclairera les événements et la force qui leur permettra

d'en supporter le contre-coup.


La lumière se projette avant tout sur Thistoire du peuple de Dieu.
Kt c'est pour révéler que la toute-puissance de Yahweb ne s'exerce
pas ;\ l'aveugle ni avec l'arbitraire de la tyrannie, c'est pour dire
qu'elle a pour guide la plus impartiale justice. Or, un simple coup
d'o'il jeté sur son état religieux et moral suffit à révéler la culpa-

])ilité corruption de Juda, à montrer cpie son attitude est une


et la

provocation perpétuelle des vengeances divines. Dès sa vision inau-


s-urale. .lérémie caractérise cette prévarication. -Il la ramène à deux
termes qui saisissent tout ce qu'elle renferme de fondamental :

« Parce qu'ils m'ont abandonné et qu'ils ont offert de l'encens à

d'autres dieux ['1)1 » Combien de fois le fils d'Helcias reprendra-t-il


cette idée pour la préciser, pour dire, par exemple, que « Juda a
fait un double mal Ils m'ont abandonné, moi, la source des eaux
:

vives, pour se creuser des citernes crevassées qui ne retiennent pas


l'eau (3) ».y insistera à plusieurs reprises tant que Josias ne sera
11

pas en mesure de réprimer les abus du règne de Manassé; il s'ex-


primera avec plus de force encore lorsque, sous Joachim, il verra
tous les désordres d'antan jouir à nouveau de la pleine liberté, sinon
de la protection et du patronage officiels [k).
La pensée de l'abandon de Yahweb (5) l'obsédera, avec celle du rejet
qu'il comporte de la loi divine (6), avec celle de la résistance à la
parole authentique de la prophétie (7). Il n'y a pas lieu d'être sur-
pris de cette insistance; c'est en ce point, en effet, que se manifeste

peut-être de la façon la plus éclatante la gravité de la faute. Israël a


fait ce que ne font pas les autres peuples ceux-ci n'abandonnent :

(1) Jer., I, 10.

(2) .1er.. I, 16. .

(3) .fer., II, 13.

['i) Jer., II, 13; i\, 13, 14; Xili, 25; \vi, 11; xvili, 13-15; xui, 9; X\v, 3-7.

(5) Jer., II, 17, 19.

(6) Jer., vî, 19; ix, 13.

(7) Jer., V, 12, 13; VI, 19; \II, 23-26.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 463

jamais leurs dieux, qui pourtant ne sont pas des dieux (1) !... Or, celui
que les descendants de la famille de Jacob" ont délaissé, c'est le seul
vrai Dieu, c'est le Tout-Puissant; c'est en outre celui qui les avait
comblés de toutes sortes de bienfaits. Leur péclic est une rébellion
orgueilleuse envers le maître souverain dont ils veulent secouer,
briser le joug (2); c'est une infidélité envers celui qui a traité la
nation comme une épouse bien-aimée (3), une ingratitude envers celui
qui leur a multiplié ses dons et auquel ils tournent maintenant le

dos (4).
Mais en faveur de qui donc cet abandon si coupable? Reprenant

une métaphore chère à Osée, voyant d'Anathoth nous montre Juda le


se prostituant à de nombreux amants, accueillant tcxis ceux qui
viennent à sa recherche (5). Sous ces métaphores, les objets vers les-
quels se porte Israël ont tous des traitscommuns. Ce sont des vani-
du bois travaillé par les mains de l'homme, par celles
tés (6). C'est
des adorateurs eux-mêmes (7). Ce sont des êtres impuissants qui ne
peuvent secourir, qui demeureront parfaitement insensibles quand le
malheur fondra sur leurs fidèles (8), Pour tout dire, ce sont des dieux
étrangers (9). La nature de l'idole se' trouve ainsi précisée de manière
à faire apparaître plus coupable, parce que plus dénué de fondement,
le péché Jérémie ne s'en lient pas d'ailleurs à ces généra-
d'idolâtrie.
lités. Il s'en prend successivement aux désordres qui s'étalent en :

plein jour dans les sanctuaires qui couvrent le pays, tantôt établis
sur les hauteurs et tantôt profitant de l'ombrage des arbres et des
bosquets sacrés (10) à ces cultes dont on ne sait au juste s'ils s'adressent
;

à Yahweh méconnu ou à Milkom des Ammonites et qui, installés


dans la Vallée, à Topheth, au sud-est de la Ville Sainte, ont pour
riteprincipal l'immolation des enfants (il); à ces autels aussi nom-
breux que les rues et les places de la capitale et autour desquels
les femmes multiplient les hommages à l'adresse de toutes sortes de
divinités (12), avec une prédilection spéciale pour cette déesse d'impor-

(1) Jer., II, 9-11.


(2) Jer., II, 20.

(3) .1er., Il, 29, 32.

(4) Jer., II, 6, 7, 27, 31.

(5) Jer., II, 24; III, 1, 2.

(6) Jer., II, 5.

(7) Jer., II, 27; cf. X, 1-16.

(8) Jer., II, 28; IV, 30, 31.


(9) Jer., Il, 25.

(10) Jer., II, 20; XI, 13»; XIII, 27.


(11) Jer.. II, 23; Mî, 31-34.
(12)' Jer., XI, 13\
KEVUE BIUI.IQUE 1917. — N. S., T. \1\ .
30
KiO RKVUK BII?I,IUUK.

tatiou assyrienne, dresse de la i^ueirc et de la voliipt/', qu'ils dési-


gnent sous le nom de reine du ciel (1); à ces abominations enfin qui
ont accès jusque dans les parvis du Temple (2).
Si ces fautes sont plus grossières, pour être
il en est d'autres qui,

moins répugnantes, ue laissent pas d'être aussi déplaisantes j)our


Yalnveli. .Nous venons de laisser entendre qu'au jugement de cer-
tains exégètes, le culte de Topheth pouvait s'adresser à Yahweii
lui-même traité comme un vulgaire Baal. Ce qui est certain c'est
que de telles méprises existent, c'est que le paganisme est en voie
d'envahir la religion du vrai Dieu. Dès l'origine, et à la façon d'Amos
et d'isaïe, le fils d'Helcias insiste sur ces illusions de nombreux ado-
rateurs qui se croyaient quittes de toute autre obligation quand ils
avaient multiplié les sacrifices et les rites extérieurs, qui ne com-
prenaient pas que la religion eût des rapports quelconques avec
l'observation de la loi morale. De telles conceptions sont des pierres
d'achoppement qui font tomber les pères et les fils (3). I.e prophète
reviendra plus tard sur le sujet, mais en l'envisag-eant sous un jour
tout spécial. La réforme de 622 ,donna comme tout nîiturellement
au temple de Jérusalem, devenu l'unique sanctuaire, un prestig-e

incomparable, dont il n'avait pas joui auparavant.- Vite le peuple à


demi païen en conséquences néfastes. Le temple, la demeure
tira des
unique et par conséquent nécessaire d'un Dieu qu'ils s'imaginaient
liépar les mêmes contingences que là première venue des divinités
cananéennes, apparut à nombre de .ludéens comme indestructible,
comme assurant à la ville au sein de laquelle il se dressait toutes
sortes de gag-es d'éternité. C'était un palladium sur lequel on pou-
vait compter et qui mettait la capitale et le peuple à l'abri de tout
ce qui pouvait compromettre leur existence. Erreur!... répond le
prophète, et il convie ses auditeurs à se rendre à Silo pour voir
ce qui peut advenir d'un sanctuaire qui, à un moment donné, a été
la seule demeure terrestre du Très-Haut (V). Les formes extérieures
de la religion, les rites, les objets sacrés, les autels, le plus auguste
des sanctuaires lui-même, tout cela n'est rien, si Yahweh ne trouve en
son peuple ce qu'il considère comme l'élément primordial de la reli-
gion l'observation de la loi morale. Et, à son tour, Jérémie esquisse
:

le programme qu'ont esquissé Amos et Isaïe (5). Ce n'est, hélas!

(1) Jer., Ml, 16-19; cf. XLiv, 15-19.

(2) Jer.,„^n, 30.

(3) Jer., VI, 20, 21; VII, 21, 22; xi, 15,

(4) Jer., \ii. 1-15.

(5) Jer., MI, 5, 6.


L'AME JWVE AL TEMPS DES PERSES. 467

qu'avec trop d'à-propos. l/ambiauce de paganisme dans laquelle vit


le peuple de Dieu a favorisé réclosion de toutes sortes de désordres.
Parjures après des serments faits au nom des idoles (1); immoralité
proprement dite et sous toutes ses formes (2); fraudes et vols en vue
de s'enrichir (3); infidélité dans les amitiés et les
affections de fa-
mille (i); mensonge, duperie (5), péchés mauvaise
xie la lan- foi (6),

gue devenue un dard meurtrier (7); prévarications dans l'exercice


de la justice (8) violences de toutes sortes (9), de préférence au dé-
;

triment des faibles (10), mettant à leur service la puissance dont


jouissent les grands et le roi lui-même (11), pouvant aboutir jusqu'aux
sévices les plus cruels et à l'homicide (12) autant de spécimens des :

infractions auxquelles la loi morale est en butte.


Sans aucun doute, les âmes profondément religieuses étaient assez
délicates pour discerner par elles-mêmes la plupart de ces prévari-
cations. Mais, en y revenant sans cesse, le prophète, qui se propo-
sait en môme temps de provoquer cette susceptibilité morale en des
cœurs jusqu'alors moins sensibles aux intérêts de Yahweh, augmen-
tait encore et affinait cette sensibilité. Ceux qui l'entendaient et qui

acceptaient sa parole vivaient dans un perpétuel état de tristesse au


spectacle de tout ce qui blessait le sentiment des exigences divines
écrites au fond des cœurs. Ils gémissaient en voyant s'accumuler
les errements de toutes sortes; ils se demandaient vers quel abîme se
précipitait Juda. Mais ce n'était pas seulement aux instincts des con-
sciences droites que Jérémie faisait appel. A plusieurs reprises nous
l'avons vu insister sur les infamies du culte des hauts lieux. Il l'a

fait avant 622. Pas n'était besoin qu'il se rappelât alors les essais
de purification tentés par Ézéchias (13); les désordres parlaient assez
d'eux-mêmes. Mais quand, sous le règne de Joachim, il reprend le
même motif, nul doute qu'il ne s'inspire alors et de ses sentiments
personnels et de la loi promulguée par Josias : les fautes qu'il cen-

(1) Jer., V, 7; cf. V. 2; VII, 9.

(2) Jer., V, 7, 8; VII, 9.

(3) Jer., V, 26, 27; vii, 9.

(4) Jer., IX, 4.

(5) Jer., IX, 3, 5.

(6) Jer., IX, G.

(7) Jer., IV, 8.

(8) Jer., V, 28; VI, 6; MI, 5; xxi, 12.


(9) Jer., II, .34; m, 7; xxi, 12.

(10; Jer., mi. 6.

(11) Jer., xMi, 17. •

(12) Jer., VI, 7; MI, 9.


(13) Il Res., xMii, 4: cf. II Chron., \x\i, 1.


468 HKVUli lillH.IOl] .

lui apparaissent d'autant plus .graves <|u'ellcs sont eu con-


siii'c

tradiction tlaiirante avec les ordonnances (pii sont inscrites au livr«

du DeiUcronome et sur la base desquelles lalliancc a «Hé renouvelée.


De h\ la mission qu'il entreprend dans les rues de .lérusalem et dans
les villes d<> .ludapour tenter de ramener à l'observatioiv de l'al-
protestations
liance ceux (pii Tout indignement violée (1i; de là les
que plus tard encore il élèvera sur le même sujet (2). De là aussi ses
anathèmes contre le stylet mensonger des scribes qui, i)ar leurs com-
mentaires sans doute et par les conséquences (ju'ils en ont tirées,

ont dénaturé le vrai caractère de la I.oi (3). C'est ainsi que la


bol, sous

la forme spécifique quelle revêt dans le DeuW'ronomc prend une ,

importance (ju'elle u'avait ni dans Amos et Osée, ni dans Isaïe. Ce


croient à la
livre va^ désormais retenir lattention de tous ceux
cpii

parole prophétique. Ils ne se bornercmt pas à le lire comme


le docu-

leurs frères. Avant de quitter la patrie et sur la


ment accusateur de
terre d'exil, ceux qui bientôt seront les déportés y
verront comme
une sorte de manuel de la conformité à la \olonté divine, comme
l'abrégé dans lequel Yahweh a condensé ses exigences et tracé la

voie à suivre. Ils s'y attacheront, ils l'étudieront,


d'abord pour

demeurer fidèles au milieu de la corruption générale, ensuite pour


se rendre dignes, par la rectitude de leur vie,
de participer aux esiȎ-
rances aux restaurations futures. Mais gardons-nous des antici-
et

pations pour que le grand code promulgué en 62-2 prenne


toute sa
:

d'Ézéchiel
signification au regard des exilés, il faudra que l'action
vienne compléter celle du voyant d'Anathoth.
C'est beaucoup de retourner sous toutes ses formes le
péché de.tuda.
Sophonie confirmera à cet égard les déclarations de Jérémie. L'ar-
les scandales
rière-petit-fils du roi Ézéchias s'élève à son tour contre
des impies (i), détournent de Yahweh (.")) et, lohi
contre ceux cfui se

de le rechercher et de se soucier de lui, rendent leurs


hommages, ici
aux astres adorés des x\ssyriens (7). Mais
aux Baals cananéens i6), là

deux prophètes vont plus loin. Ils tentent d'apprécier cette


les
les frappe
culpabilité dont ils analysent les formes variées. Ce qui
avant tout, c'est son universalité. Sophonie voit conjurés dans
la

prévarication et les princes et les fils de roi, si empressés à adopter

(1) .1er., M, 1-11.


.
(2) Jer., vxii, 9.

(3) Jer., Yiu, 8, 9.

(4) So., I, 3.

(5) So^rl, 6.

(6) So., 1, 4.

(7) So., I, h.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 40!»

les coutumes étrangères (1), et les juges, violents et ravisseurs comme


les loups du soir qui ne gardent rien pour le matin (2) ; ce sont ensuite
les })rêtres dont les uns sont les ministres de Baal (3) ou offrent un
encens coupable à l'armée du ciel (i), dont les autres profanent les
choses saintes et violent la Loi (o) ce sont les prophètes qui ne sont ;

plus que des fanfarons et des imposteurs (6); le peuple n aura qu'à se
laisser entraîner par tous ces néfastes exemples. Le verdict de Jérémie
n'est pas moins compréhensif. Dès l'origine sa vision d'horreurs
englobe tout le pays, rois, princes, prêtres, peuple; ils sont tous
coupables Tous ont été infidèles (8), déclarera-t-il bientôt après;
(7).
du plus petit au plus grand, enfants, jeunes gens, mari et femme,
vieillard et homme chargé d'années, tous excitent la divine colère (9).
Jérusalem serait graciée si on y trouvait un seul honmie faisant le
bien; mais on a beau chercher, il n'y en a pas (10). La corruption
humbles qui ne connaissent pas la loi de Yahweh; mais,
atteint les
pour la mieux connaître, les puissants n'en sont que plus coupables,
puisque tous ensemble ils ont rompu le joug et brisé les liens (11).
Il n'y a pas à en être surpris. Les chefs sont à leur tête sur le che-
min du mal. Les rois d'abord, ces pasteurs stupides qui, pour n'avoir
pas recherché Yahweh, vont bientôt voir leur troupeau dispersé (12);
ce Joachim, inique et cruel (13), dont Jéchonias ne saura par sa
propre conduite désavouer les forfaits (14). Mais aussi les chefs
spirituels. Du prophète au prêtre, en effet, tous pratiquent le men-
songe (15). Dépositaires de la Loi, les prêtres ne connaissent pas les
véritables exigences du législateur (16) et s'arrêtent tout court aux
minuties routinières du rituel. L'attitude des prophètes est bien plus
funeste encore. Leur rôle était de porter au peuple la parole de vérité
(ju'ils tenaient directement, de Yahweh. Et les voilà qui se divisent

(1; So., I, 8-, lu, 3.

(2) So., III, 3.

(3) So., 1, 4.

(4i So., I, 5.

So., III. 4''.


(5)

;6) So., III, i\


(7) .Fer., I, 18.

(8) Jer., II, 29.

(0) Jer., VI, 11, 13.


(10, Jer., \, 1.

(11) Jer., \, 4, 5.
(12) .1er., \, 21; cf. II. 8.

(13) Jer., XXII, 13-23.

(14) Jer.. XXII, 24-30; cf. II lleg., xviv, 9.

(,15; Jer., II, 26; VI, 1.5; wiii, 11.


(16) Jer., Il, 8\

i
470 REVUE BIBLIQUE.

en deux gTouj)es conjurés pour le malheur cl lillusion de^ii nation.


D'aucuns, comme jadis ceux de Samaric, junuit par IJaal (1). Les
plus redoutables sont ceux qui, continuant à se réclamer du vrai
Dieu, corrompent lepcu|)le par leurs exemples (2) et leurs discours.
Ce sont ceux qui profèrent des oracles de niensonJ;e (;J), reudent des
verdicts de paix quand il s'agit de guerre (4); ce sont ceux (|ui,
[tarlant au nom de Valnveh sans qu'il les ait envoyés (5), s'obstinent
à raconter des visions et des songes d'origine suspecte, s'attribuent
des missions qu'ils n'ont pas reçues (6), abusent à ce point des for-
mules consacrées et traditionnelles qu'il en faut interdire l'emploi
aux messagers authentiques des oracles d'en haut (7).
On se rend aisément compte du retentissement profond qu'un tel
langage pouvait avoir au cœur de ceux qui, à un degré ])lus ou moins
élevé, demeuraient fidèles à la parole de Yahweh. Plus une âme
est pure, plus grande est sa délicatesse, plus aussi elle est prompte à
s'accuser. Non seulement les cœurs droits ne songeaient pas à se
désolidariser, par un étroit égoïsme, des responsabilités nationales,
à se mettre à l'écart du torrent de crimes qui emportait la nation
tout entière. Mais eux-mêmes se reconnaissaient coupables, loin de
recourir à la parole pharisaïque qui les eût exclus de la masse per-
verse. Sans doute ils n'avaient pas à la lettre commis toutes les
forfaitures que les voix prophétiques se plaisaient à énumérer; mais
combien d'infidélités de détail leur reprochait une conscience
prompte à signaler et à grossir tout ce qui contrevenait aux volontés
et au bon plaisir divins! En acceptant sur leurs épaules le fardeau
du péché national, ces pieux serviteurs le voyaient augmenté du poids
de leurs propres transgressions. Us n'en étaient que mieux préparés
à comprendre tout ce qui pouvait encore en accentuer la gravité.
Il propos une pensée qui semble, sinon se faire jour, au
est à ce
moins s'exprimer pour la première fois avec quelque ampleur dans
la prophétie. Pour comprendre le mal de Juda, il ne suffit pas de s'en
tenir au présent. Le péché national n'est pas seulement le péché de
tous à l'heure actuelle, c'est le péché des siècles. Certes le peuple
choisi n'a pas toujours été infidèle et .lérémie se plait à décrire et
à peindre sous les traits les plus séduisants cet âge d'or, cette époque

8'';
(1) Jer., II, xxiii, 13.

(2) Jer., xxiii, 14.

(3) Jer., XIV, l'5\

(4) Jer,, VI, 14; xn', ^5'; xxiii, 17-24,


(5) Jer., XIV, 14; xxiii, 32,
(6) Jer., XXIII, 25-32,
(7) Jer., XXIII, 33-40.
I;AME juive au temps des perses. 471

des origines, ce temps des fiançaill&s alors qu'au désert ïahweh


comblait de ses faveurs des enfants tendrement aimés, protégeait une
épouse chérie (1); il rejoint Osée dans révocation de ces souvenirs
d'un passé lointain. Mais les années de docilité furent brèves. Bien
qu'ils ne trouvassent en leur Dieu rien d'injuste, rien qui put motiver
un changement d'attitude, it^s s'éloignèrent bien vite de lui (2); ils
iabandounèrent dès leur entrée en Canaan. Peu à peu ils se familia-
risèrent avec les idoles, chancelant dans les sentiers de jadis pour
suivre des voies non frayées (^3), Les pères enseignèrent les Baals à
leurs fils (4) ; la prévarication devint héréditaire ;
elle alla se grossis-

sant des iniquités des générations successives. En vain, depuis la sortie


d'Egypte, Yahweh envoya-t-il ses prophètes, se plaisant à perpétuer
Leur ministère; les uns après les autres, ceux qui devaient les enten-
dre se montrèrent indifférents, fermèrent l'oreille et raidirent le
cou (5). D'à.ge en âge les fils étaient pires que les pères dans ce peuple
Le même verdict s'applique à la géné-
infidèle depuis sa jeunesse (6).
ration actuelle plus encore qu'aux anciennes. Il est, en effet, pour le
temps présent des circonstances singulièrement aggravantes. Le
prophète se plait à étal)lir un contraste entre l'iniquité de Juda et
celle du royaume du >ord. C'est pour déclarer celle-ci moindre
que la première Israël est juste en comparaison de sa sœur!... Le
:

royaume du Sud a été témoin des fautes de Samarie et elles ne lui ont
pas inspiré de répugnance (7)... Il a été témoin du châtiment qui a
frappé les coupables (8) il a vu Yahweh répudier le peuple prévari-
;

cateur et lui donner sa lettre de divorce il a vu la capitale tomber,


:

la nation disparaître, un très grand nombre de ses enfants prendre


le chemin de l'exil. Il a, avec tout cela, reçu des grâces plus abon-
dantes. Malgré tout, il n'a pas compris, il n'a pas été effrayé, il a con-
tinué de se livrer à ses bruyantes impudicités (9); il est plus coupable
que le royaume schismatique (10). Cette sentence, le prophète la voit
encore s'aggraver au temps de Joachim (11). La réforme de Josias avait
un instant arrêté le fleuve de boue. Mais elle n'a été acceptée que

(1) Jer., H, 2, :j.

(2) Jer., II, 5.

(3) Jer., wiii, 15.

(4) Jer., i\, 14.

(5) Jer., VII, 25, 26.

(6) Jer., \vi, 12.

(7) Jer., m, 6, 7.
(8) Jer., m, 8.
(9) Jer., m, 9, lo.

(10) Jer., m, 11.


(11) Jer., xxii, 21.
472 1{|:M'K BIBI.IOl'E.

d'une façon tout extéiicurc et superfieiclle. De même qu'après la mort


d'Ézéchias le peuple éfait retourné aux erreuients du temps d'Achaz,
de luème ravènement de .loachim a ameué le retour des iniquités
aceuuuilées sous Manassc. Le peuple n"a changé: c'est toujours j)as

le même esprit, celui des ancêtres pervers, qui domine. Aussi toutes

les fautes du passé pèsent-elles, en même temps que celles du présent,


sur la généj'alion à laquelle s'adresse le voyant (1). C'est ainsi «pie,
par ces premiers traits, Jérémie ébauche ces vues générales du péché
national que reprendra Ézéchiel et qui éclaireront les écrivains sacrés
lorsqu'ils feront l'histoire des deux royaumes.
Il faut le (lire toutefois au regard du Dieu des j)rophètes, il n'y a
:

pas de j)êché si graveinvétéré qu'un pardon miséricordieux ne


et si

puisse lui être accordé. Avec son âme très sensible, son cœur très ten-
dre, son patriotisme très ardent, le fils dllelcias seml)leraittout dési-
gné pour messager des divines indulgences. Mais Juda n'est
être le
pas seulement coupable: il est obstiné, il est endurci. De ce thème le
développement est bien plus sombre en Jérémie qu'en Isaïe. L'état
du peuple prévaricateur est tel qu'il n'y a aucune chance de retour.
Cette appréciation, le prophète la dit et la redit dès le début de sa
carrière. Juda a perdu toute sensibilité: rien ne le frappe plus. Les
châtiments ont beau se multiplier; il ne veuf pas s'instruire, il rend
sa face plus dure que le roc (2). Il n'est pas plus accessible aux témoi-
gnages les plus impressionnants de la majesté divine le Dieu qui gou- :

verne les flots et les tempêtes, qui fait se succéder les saisons, ne tixe
pas l'attention distraite de ces endurcis, n'émeut pas leur cœur indo-
cile et rebelle (3). Rien n'y fait. Leurs oreilles sont incirconcises (4).

Aux appels d'en haut qui leur montrent la voie du salut ils répon-
dent « Nous n'y marcherons pas (5
: » Ou encore « Nous sommes
) ! :

libres, nous ne reviendrons pas (6)! Ou encore « Je ne servi-


>> :

rai 2:)oint (7). » L'obstination est telle quelle a aboli la honte (8).
Juda a un front de courtisane, il ne sait plus rougir (9 Le voyant ,

d'Anathoth revient sur cette énergique métaphore. Il nous montre


la prostituée, impuissante à dissimuler ses pas dans la Vallée, alors

(1) Jer., XV, 4.


(2) .1er., V, 3.

(3) Jer., V, 20-24.

(4) Jer., M, 10.

(.5) Jer., -vi, 16.

(6) Jer., II, 31.


(7) Jer., II,, 20.

(8) Jer., VI, 15.

(9) Jer., III, 3.


LAME JUIVE Ai: TEMPS DES PERSES. 473

qu'elle court après ses amants, les Baals, sans que personne puisse
maîtriser ses désirs (1); il nous la fait voir étendue dans l'attente
sous tout arbre vert et sur toute colline élevée (2). A ceux qui
voudraient lui faire des remontrances elle répond avec impudence :

u Inutile, j'aime les étrangerset les suivrai (3). A certaines heures,


>y

il est vrai, le langage est autre. Elle feint l'innocence devant celui
qui voit à nu son péché ('i-); elle feint le repentir et l'espoir en celui
qui ne garde pas à jamais son courroux (5). Mais qui pourrait se
fier à des paroles que démentent si nettement les faits (6)? De là

le jugement sévère que, dès cette heure, le prophète porte sur Juda.
La vigne qui jadis avait été l'objet des sollicitudes si magnifiquement
décrites par Isaïe s'est changée en sarments bâtards d'un plant étran-
ger (7). Tout espoir semble impossible; la tache est trop profonde
pour être jamais effacée (8). Inutile d'insister pour le faire compren-
dre ces déclarations revinrent, plus rigoureuses encore, au temps de
:

.loachim. Cette fois toute illusion s'était évanouie. D'ordinaire ceux


qui tombent se relèvent, dit mélancoliquement le prophète, ceux
qui s'égarent reviennent sur leurs pas; les oiseaux migrateurs ob-
servent temps de leurs retours. Seul ce peuple de Jérusalem
le

s'égare d'un égarement continuel (9); il s'attache avec force au men-


songe, il refuse de revenir. Aux suprêmes exhortations, il répond :

« C'est on vain, nous suivrons nos pensées, nous agirons chacun selon

l'obstination de notre mauvais cœur (10). » L'iniquité leur est deve-


nue une seconde nature, elle est indélébile. Si l'Éthiopien changeait
la couleur de sa peau et le léopard ses taches, alors peut-être pour-
raient-ils faire le bien (11)!...
En tous sens Jérémie analyse et décrit le péché national. L'impres-
sion ne peut manquer d'être vive sur des âmes sensibles aux intérêts'
de Yahwefi. Une sorte d'angoisse les doit saisir à la pensée qu'elles
sont de "cette race justement maudite. Les voies sont ouvertes au
si

sentiment de la pénitence, conséquence toute logique de celui de la


culpabilité et de la responsabilité. Mais, en attendant, une autre

(Ij .Jer., Il, 23, 24.


(2) Jer., II. 20.

(3) Jer., Il, 25.

(4) Jer., II, 35.

(5) Jer., m, 4.

(fi) Jer., III, 5.

(7) Jer., II, 21.

(8) Jer., II, 22.

(9) Jer., vni, 4-7.

(10) Jer., XVIII, 11, 12.


(11) Jer., Mil, 2.3.
474 HEVn: Hll?l,10l!l'.

pensée remplit et les frappe de termir. Le Dieu tliupiel on se


les

détourne, ainpiel on préfère de vaines idoles, n"est-il pas linlinie


justice? N'y a-t-il pas tout à redouter de ses sanctions?
Le olK\timentl Cette idée assombrit presque toutes les pages du
livre de .lérémie. Dès le début de sa carrière, il sait (pi'il est
avant
tout appelé à arracher et à détruire, à ruiner et à abattre (1).
Bien

plus la vision de la
: branche d'amandier le persuade (pie l'heure des
proche (2). Aussi cette pensée va-t-elle être
terribles réalisations est
une obsession ])our son Ame. Avec cette persuasion que rien dans
les phénomènes de la nature et dans les mouvements; de
l'histoire

ne se produit sans une intervention immédiate d'en haut, avec cette


conviction que l'action divine est perpétuellement réglée \mr des
préoccupations de justice et d'équité, sans cesse il va voir Yahweh
en travail pour la manifestation de sa colère. Que l'ordre des saisons
soit bouleversé, que surviennent des années de disette,
ce sont les

iniquités d'Israël qui ont dérangé cet ordre, ses péchés ([ui l'ont
sevré des biens attendus (3) ; nous avons déjà dit les réflexions que lui

inspire une sécheresse particulièrement redoutable (4). Mais,


comme
pour ses prédécesseurs dans le prophétisme, ce sont surtout les

événements de l'histoire qui portent la marcjue des interventions


justicières de Yahweh. Tout d'abord il reprend les thèmes
généraux
que lui ont lég-ués un Amos, un Osée, un Isaie. Israël lui apparaît

comme voué à l'esclavage, déjà traité comme un vil butin; or les

lionceaux qui rugissent contre sont ces Égyptiens et ces Assy-


lui, ce

riens dans lesquels il a mis sa confiance ^et qui demain le couvriront


de confusion Mais bientôt sa pensée va se préciser. N'a-t-il pas
(5).

appris, ^au lendemain de son appel au ministère prophétique et dans


la vision de ^a chaudière bouillante (0), que c'est du iNord,
de
l'éternel chemin des invasions, que le châtiment s'appesantira sur

Israël? N'a-t-il pas vu alors toutes les familles des royaumes


du
septentrion, coalisées pour la punition de .luda, venant les unes
après les autres en anéantir les villes et assiéger la capitale (7)?
Or voici que précisément le Nord est en ébullition. Des hordes de
barbares, de Scythes, déferlent, telles des vagues menaçantes, sur

(1) Jer., 1, 10.

(2) Jer., I, 11, 12.

(3) Jer., V, 24, 25.


(4) Jer., XIV; \\.
(5) Jer., II, 14-19, 36, 3:

(6) Jer., I, 13, 14.

(7) Jer., 1, 15.


I;AME juive au temps. des perses. 475

l'Asie et ses empires. Il n'y a pas à s'y méprendre : voilà le lléau de

Dieu. Et les oracles se succèdent, dans lesquels le voyant signale le


lion qui sort de son fourré, le destructeur des nations qui lève sa
tente et quitte son campement, pour réduire en désert le pays de
Juda et ses villes en ruines (1); ailleurs, c'est un vent brûlant qui
montQ à l'ordre de Yahweh sur le chemin qui mène à la fille de
son peuple (2). L'ennemi s'avance, léger comme les nuées du ciel;
ses chars sont pareils à l'ouragan, ses chevaux plus rapides que
les

aigles (3). C'est la nation qui vient de loin, nation forte, nation
antique dont on ne connaît pas la langue, dont on n'entend pas le
parler, nation qui ne compte que des héros ['*). Le fléau est tel
qu'à sa description réelle se mêlent des traits apocalyptiques la :

nature tout entière s'associe à ces convulsions des peuples (5). En


présence du péril, la défaillance est universelle. Ce ne sont partout
que pleurs et lamentations. Le cœur manque aux rois et aux princes,
aux prêtres et aux prophètes (6). Les angoisses les saisissent, des dou-
leurs pareilles à celles de la femme qui enfante (7). Les uns se tapis-
sent loin de leurs demeures pour échapper à l'ennemi qui accourt (8).
D'autres, au contraire, à la voix du cavalier et de l'archer, s'enfuient
éperdus loin de leurs villes; ils entrent dans les bois, ils escaladent les
rochers; villages et cités sont bientôt déserts et sans habitants (9).
De fait, terrible est le carnage. L'envahisseur dévore la moisson et
le pain, les fils et les filles, les brebis et les bœufs (10) ;
il détruit les

citadelles dans lesquelles on met sa confiance. Tout le pays est ravagé;


tentes et pavillons sont mis à terre (il). Les unes après les autres tom-
bent les places fortes de Juda (12). Que les habitants de Jérusalem s'é-
chappent à leur tour du milieu de la Ville Sainte (13) Car à pas rapides !

l'ennemi se dirige contre la capitale (14) voici les bergers avec leurs
;

troupeaux qui campent tout alentour (15). Les voici qui inaugurent

(1) Jer., IV, 7.


(2) Jer., IV, 11, 12.

(3) Jer., IV, 13.

(4) Jer., V, 15, H>; cf. vi, 22-26.


(5) Jer., IV, 23-26, 28.
(6) Jer., IV, 8, 9.

(7) Jer., VI, 24.

(8) Jer., VI, 25.

(9) Jer., n, 29.

(10) .Jer., V, 17.


(11) Jer., IV, 20.
(12) .Jer., i\, 16.
(13) Jer., VI, 1.
(14) Jer., IV, 15-17.
(15) Jer., VI, 3; cf. IV, 17.
47C. RKVllE nil{|J(.,U'l<:.

le coml)al, monlenl à l'assaut en plein miili, ijAleiil le liavail (iiiaiid


s'alloiii^ent les oinhics du soir: les voici qui, de nuit, font l'escalade
et détruisent les palais (1). Il n'y a hientôl plus (pic des restes, qu'on
giappille comme on fait dans la vii^ne après la veudan^e (2). Déjà,
dans la capitale et daus tout le pays, les maisons, les champs et les
femmes passent à d'autres (;|). Ku multitudes, les liahitants s'aclie-
minent vers uue terre qui n'est pas à eux pour y servir des dieux
ctrau£;ers ("i-V

L'ironie linale l'indique suffisamment et la même pensée se fait


jour à chaque instant ces maux sont voulus de Dieu pour la punition
:

des coupables. N'est-ce pas Vahweh lui-même qui invite l'ennemi à


élever des terrasses contre Jérusalem, contre la Ville-à-punir
(5)?
Ne dit-il pas à maintes reprises au peui)le des paroles comme celles-ci :

« Voilà ce que t'ont valu ta conduite et tes actes criminels; voilà le


fruit de méchanceté. Oui. cela est amer; oui, cela atteint jusqu'au
ta
Cd'ur (6) »? En conséquence, même à cette heure si grave, tout ne
serait pas perdu si Juda voulait se repentir. Le prophète n'oublie pas
ce qui s'est passé au temps disaïe, ni comment les armées de Senua-
chérib ont été arrêtées aux portes de la Ville Sainte. De là ses appels
suprêmes à la pénitence « Fille de mon peuple, ceins le cilice,
:

roule-toi dans la cendre, prends le deuil comme pour un fils unique,


fais des lamentations amères, car le dévastateur est venu soudain sur
nous (7) ! »

Le prophète fut entendu ou, plus exactement, son influence contri-


bua à préparer le mouvement de réforme que devait accomplir Josias
et auquel la découverte du Deutéronome apporta le plus précieux
appui. De fait, le peuple revint à Vahweh et, chez un certain nombre
d'âmes droites, le retour fut sincère. Parallèlement ces Scythes dont
Sophonie avait, lui aussi, décrit les marches et les assauts irrésistibles,
montrant en leur invasion l'un de ces jours de la fureur de Vahweh
qui exècrent une influence catastrophique sur événements (8),
les —
les Scythes disparaissaient de l'horizon immédiat d'Israël. Jérémie
et le peuple de Dieu pouvaient jouir de la paix.
Ce ne devait pas être pour longtemps. Pour le malheur de Juda, le

(1) Jer., VI, 1-5.

(2) Jer.. VI, 9.

(3) Jer., VI, 12.

(4) Jer., A, 19.


(5) Jer., \i, 6.

(6) Jer., IV, 18.,-

(7) Jer., VI, 26.

(8) So., I, 7-18.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 477

pharaon mettait Joachim à sa tète (1). Le relâchement religieux et les


intrigues politiques allaient précipiter les événements. Les Scythes
avaient disparu ;
mais, aprrs la ruine de Ninive, les Chaldéens entraient
bruyamment dans l'histoire. Plus redoutables encore que les hordes
barbares, le prophète pouvait leur appliquer en les retouchant
nombre des oracles qu'il avait prononcés quelque vingt ans aupara-
vant. en proférait aussi de nouveaux, plus austères que les anciens.
Il

Dès ledébut du règne et dans le discours fait au Temple, il n'hé-


site pas à déclarer que cette maison de Yahweh sera comme Silo,
que la capitale sera dévastée et sans habitants (2) ; la colère et la
fureur divine se répandront sur ce lieu, sur les hommes et sur les
bêtes, sur larbre des champs et le fruit du sol : elle brûlera et ne
s'éteindra point (3). Désormais Jérémie va être tout entier à la vision
et à la description de cet inévitable désastre. On avait pu attendre la
paix lorsque Josias avait rétabli l'ordre et l'observance. Mais aujour-
d'hui, plus d'illusion il n'y a rien de bon et voici la terreur; les
:

temps s'écoulent, lesphases des années se succèdent, et il n'y a pas


d'allégement [ï). Plus encore que les Scythes, les Chaldéens, avec
leurs armées disciplinées" sont irrésistibles. Un bruit se fait enten-
dre, un grand tumulte arrive du pays du septentrion (5). C'est de
ses anciens amants, des descendants de ces Assvriens dont il avait
adopté les usages et les cultes, que le châtiment vient à Juda (6);
ils veulent faire des villes un désert, un repaire de chacals. Ils

approchent et, dans tout le pays, on entend le ronflement de leurs


chars, le hennissement de leurs chevaux qui fait trembler la terre (7).
Rien à faire : ce sont des serpents, des aspics contre lesquels il

n'y a pas d'enchantement (8). Les étapes se suivent avec une rapi-
dité foudroyante. Le pays est dévasté, les villes sont vidées de leurs
habitants. Aussi bien, c'est Yahweh lui-même qui les convoque :

« Venez, rassemblez toutes les bètes des champs, amenez-les à la

curée (9). » Et, dociles à l'appel, de nombreux bergers détruisent la


vigne de Yahweh, foulent son domaine, changent en désolation le lot

qui lui était cher. Sur toutes les collines de pâturages arrive l'exter-

(1) FI Reg., XMii, 31-35.


(2) Jer., XXVI, 6, 9.
(3) Jer., VII, 20.

(4j Jer., MU, 15, 20.


'

(5) Jer., X, 22; cf. Mil, 20. |

(6) .Ter., Mir, 21.

(7) Jer., Mil, IG.

(8) .1er., viii, 17.

(9) Jer., MI, 9.


478 KKVl'K IMIM.inUK.

minatii)ii. Le glaive de YalnvtUi tlévore d'un bout à l'autre; du


pays (1). C'est le temps du pillage biens et trésors sont enlevés sans
:

paiement [-2). Le pays est- détruit, brûlé comme un désert où on ne


passe pas (3). Llieure est sombre; Yabweh amène les ténèbres, il
change en nuage épais la lumière attendue (V). Les quatre fléaux des-
tructeurs sont mandés la peste, l'épée, la famine, Texil, ou <Micore
:

l'épée pour tuer, les chiens pour déchirer, les oiseaux du ciel et les

bétes des champs pour<lévorer et pour détruire (5h C'est qu'en ellct
l'ennemi prend le chemin de la capitale; il va faire de Jérusalem
un tas de pierres (G). Le temps est proche où la vallée de Tophelh
va être visitée et devenir la vallée du massacre on y va enterrer ;

faute de place et de nombreux cadavres vont demeurer sans sépul-


ture; les tombeaux eux-mêmes seront violés (7). A son tour la

Ville Sainte sera souillée comme ce lieu maudit (8), A l'heure de


l'attaque, le conseil de Juda et de Jérusalem sera vain (9). Rois, prêtres

et prophètes, avec tous les habitants, boiront à la coupe et seront pris

d'ivresse et de vertige (10). mains des


Les habitants tomberont par les

ennemis; dans l'angoisse et la détresse, les pères mangeront la chair


de leurs fils et de leurs filles (1 1). Et, après le désastre, quiconque pas-
sera près des grandes ruines sera stupéfait et rira de voir tant de
meurtrissures (12). Cependant les fils de Juda seront dispersés parmi
des nations que ni eux ni leurs pères n'ont connues et y attendront de
nouvelles exterminations (13) ils seront lancés au loin comme la paille
;

qu'emporte le vent du désert (li). Ah c'est que Yahweh n'est déjà plus
!

en Sion; il a abandonné sa demeure, délaissé son héritage; bien plus,


il l'a pris en haine (15). Et tous ces malheurs sont sur le point d'arriver.

L'heure est venue de commander les pleureuses pour la lamentation


suprême; la mort vient par les fenêtres, elle entre dans les palais,

(1) Jer., \li, 10-12; cf. wili, 16.


(2) Jer., XV, 13.
(3:) Jer., IX, 10.

(4) Jer., xiii, 16.

(5) Jer., XV, 2, 3.

(6) Jer., IX, 11.

(7) Jer., VII, 31-vin, 3; cf. xi\, 6, 7.

(8) Jer., XIX, 12, 13.

(9) Jer., XIX, 7.

(10) Jer., xui, 12, 13.


(11) Jer., XIX, 9.
(12) Jer., XIX, 8.
(13) Jer., ix-*16; XV, 14: xvi, 13.
(14) Jer., X, 18: XIII, 24; xviii,
(15) Jer., vni, 19; xn, 7, 8.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 479

elle s'en aux jeunes hommes des places


prend aux enfants des rues et

publiques (1). Déjà Jérusalem personnifiée fait entendre les soupirs de


Tagonie (2) elle est comme la ceinture gâtée que l'on a détachée de
;

ses reins et que Ton ne veut plus y remettre (3 Le sens mystique du 1.

célibat du prophète à quoi bon donner le jour à des enfants


s'éclaire :

dont les cadavres vont être la proie des oiseaux^u ciel et desbètes de la
terre, qui vont disparaître sans que personne accomplisse en leur
honneur de deuil (4)? Dieu ne convoque-t-il pas déjà les
les rites
pêcheurs habiles et les chasseurs experts auxquels ils ne pourront
échapper 5;? Le temps est venu de recourir aux symboles expressifs, de
briser le vase du potier en image de ce qui doit arriver à ce peuple
si mal roussi (6). Et le r-ouleau qui résume tous ces anathèmes et que

Baruch au temple se termine par cette conclusion très explicite


lira :

<( Parce que vous n'avez pas écouté mes paroles, j'enverrai et je
prendrai toutes les tribus du septentrion, dit Yahweh, et je les

amènerai à Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur: je les

ferai venir contre ce pays et contre ses habitants et contre toutes


les nations d'alentour que je frapperai d'anathème. et dont je ferai
une solitude, un objet de moquerie, une ruine éternelle. Je ferai
disparaître du milieu deux les accents de la joie et la voix de
l'allégresse, les chants du fiancé et les chants de la fiancée, le bruit
de la meule et la lumière de la lampe (7). » Vers la même époque,
Habacuc signalait de son dans un oracle énergique, les Chal-
côté,

déens comme les exécuteurs des vengeances divines (8).


Bientôt, en effet, les événements se succèdent rapides. Joachim
rompt imprudemment avec Nabuchodonosor, et celui-ci mande aux
voisins de Juda de lui prêter leur concours et de le devancer pour les

représailles (9). Jérémie, sans doute, maudira ces perfides et les

menacera de l'exil (10). Mais voici que le roi de Babylone lui-même


est approche. Devant son armée les Béchabites ont
en chemin. Il

pris peur et sont venus se réfugier dans Jérusalem. L'arrivée de ces


fils du désert, qui transportent dans la cité les usages les
plus purs

(1) Jer., IX, 17-21


(2) Jer., X, 19, 20.

(3) Jer., Mil, 1-11.

(4) Jer.. XM, i-i(.

(5) Jer., XVI, 16.


(G) Jer., XIX, 1, 2\ 10, 11% 12»; cf. xviii, 1-5.

(7) Jer., XXV, 8-10.


(8) Ilab., :, 5-11.

(9) II Keg., XXIV, 2.

(10) Jer., XII, 14.


4S0 HKVl K lilBl.lOl'K.

de la vie nomailo, excile la ruriosil«'> piibli(|ii<'. .Iriviiiic eu [noiiic


pour donner une lc(;on an peuple. Sui' l'ordre de Dieu il invite ces

bédouins à se dépai'tir de la simplicité de leur vie. Ils s'y iclusent,

alléii'uant l'ordre ([ue leur a donné leur ancêtre .lonadab, (ils de


Uécbab. Ainsi ces demi-civilisés respectent le commandement «l'un
homme; ,Iuda, au contraire, qui sans cesse a connu par ks prophètes
la volonté de Yalnveh, s'obstine dans la désobéissance, il n'écoute
pas son Dieu. Les Réchabites seront épargnés. Mais VahAveh, Dieu «'

des armées, Dieu dlsraël, parle ainsi: Je vais faire venir sur .luda et
sur tous les habitants de Jérusalem tous les maux dont je les ai me-
nacés, parce que je leur ai parlé et ils ne m'ont pas écouté; j<^ les ai
appelés et ils ne mont pas répondu (1) ».

L'accession de Jéchonias au trône ne va rien changer au cours des


désastres Dis au roi et à la reine
: <( Asseyez-vous à terre, car :

votre couronne de gloire tombe de votre tète (2). » Déjà commencée,


l'œuvre d'invasion se poursuit et la conversion sincère du peuple n'est
pas là pour l'arrêter « Les villes du midi sont fermées et personne
:

ne les ouvre; Juda tout entier est déporté, la déportation est com-
plète i3). » Le nouveau prince, pour coupable qu'il soit, n'est pas aussi
corrompu que son père. Peu importe la coupe déborde, la cause :

est jugée, lui-même aura sa part du châtiment. « Je suis vivant, dit


Yahweh quand Konias, fds de Joachim, roi de Juda, serait un
:

anneau à ma main droite, je l'arracherais de là! Je te livrerai aux


mains de ceux qui en veulent à ta vie, aux mains de Nabuchodonosor,
roi de Babylone, et aux mains des Chaldéens. Je te jetterai, toi et ta
mère qui t'a mis au monde, dans un autre pays où vous n'êtes pas nés,
et là vous mourrez. Et au pays où ils aspireront à revenir, ils ne
reviendront pas (i). » Avec ce malheureux souverain s'achèvera la
liste des rois de Juda : « Terre, terre, terre, écoute la parole de
Yahweh! Ainsi parle Yahweh Inscrivez-le comme stérile, comme
:

un homme qui ne réussit pas dans ses jours, car nul de ses descen-
dants ne réussira à s'asseoir sur le trône de David pour régner sur
Juda (5). »

Les esprits attentifs qui virent se dérouler les événements de 598


ne purent s'y tromper. Quand Nabuchodonosor arriva du septen-
trion dans la direction de Jérusalem, quand bientôt il mit le siège

(Ij .1er., wxv.


(2) Jer., Mil, 18.

(3) Jer., xlii, 10.

(4) Jer., xxn, 2 1-27.


i5) Jer., \xii, 29, 30.
I/A.ME JLIVE AL TEMPS DES PERSES. 481

devant la cité; lorsque les habitants connurent les extrémités de la


famine et peut-être les ravages de la peste, si fréquents en pareils
cas; lorsque enfin, cédant à la dure nécessité, .léchonias, la reine-mère
et les princes sortirent de pour se rendre à discrétion et enten-
la ville

dirent la sentence d'exil, aucun doute ne fut possible c'était à la :

lettre l'accomplissement des grandes lignes du programme de châti-


ment que Sophonie avait esquissé, que Jérémie avait développé avec
tant d'insistance. Aussi, à mesure que les déportés prenaient le che-
min de la Chaldée, les âmes pures et attachées à leur Dieu pou-
vaient-elles se dire en toute vérité : « Les pères ont mangé des rai-
sins verts et les dents des fils en sont agacées (1). » Le vieux dicton
s'appliquait à la lettre. C'était bien sur eux, en efïet, que retombait
de tout son poids la faute nationale. Non seulement ils en sentaient
l'impardonnable gravité non seulement ils
et la responsabilité;
étaient angoissés à la pensée de la souillure qui en résultait pour le
peuple choisi et à laquelle ils participaient non seulement ils fré- ;

missaient au sentiment de la colère et du déplaisir divins, du mur de


séparation qui s'élevait entre eux et Yahweh; mais ils avaient cons-
cience qu'à eux incombait le rude devoir de l'expiation. Les souf-
frances du voyage, la mélancolie et les tristesses du séjour en terre
étrangère, les incertitudes de l'avenir, les dangers qu'ils auraient à
affronter : autant de manifestations de la justice et de la fureur de
Yahweh autant d'éléments destinés à constituer le fardeau de peine
;

et de misère qui serait la rançon du crime séculaire. Leur devoir


était de s'y soumettre sans protestation et de payer la dette des an-
cêtres; leur rôle était d'accepter dans la résignation les maux du
présent et ceux de l'avenir. Ils n'y manqueraient pas, heureux de
hâter le temps du pardon et de la délivrance. Us feraient mieux en-
core. Eux enfin, ils entendraient ces appels à la pénitence que tant
de fois les pères avaient rejetés; ils aimeraient leur sort, leurs
épreuves et leurs larmes; ils les offriraient pour la rédemption du
péché du peuple. Eux enfin, ils se montreraient dociles et
et le salut
obéissants à la voix du ciel; ils suivraient toutes les directions qui
leur viendraient de ceux d entre leurs chefs spirituels qui se montre-
raient dignes de leur mission; ils méditeraient et, autant quïl leur
serait possible sur la terre étrangère, ils mettraient en pratique les

ordonnances divines écrites sur ces codes sacrés qui, à la lumière


des événements, avaient pris une si grande importance à leurs yeux.
Us prépareraient ainsi la race juste, sur laquelle Yahweh pourrait un

(1; JlT., VWF, 29.


uiivt'E bibuqi;e 1917. — n. s., t. xiv. 31
4^2 hkvuf; luni.TQi k.

jour jeter ses r(\i;ards miséricordieux en vue des futures restaura-


tions. Ainsi s'inclineraient-ils, résignés et vaillants, sous le poids des
événements et des yolonlés divines.
Ces bonnes dispositions toutefois n'allaient point sans quel(juc part
d'illusion. Les événements eux-mêmes étaient de nature à causer et à
entretenir certaines méprises. Ceux<iui avaient été les témoins et les
victimes de ces jours mauvais pouvaient-ils rêver d'une plus grande
épreuve poyr le peuple de Dieu, d'un plus grand désastre pour la
capitale odieusement violée et pour le temple privé de tant de ses
trésors? N'allaient-ils pas tout naturellement penser que les extrémités
prédites par les voyants étaient pleinement réalisées, que le temps
damertumo était accompli, qu'en récompense de leur zèle pour la
pénitence et l'expiation, ils allaient pouvoir saluer sur l'horizon
immédiat de Favenir la perspective des jours meilleurs? Sans doute
certains traits des oracles n'avaient pas leur stricte équivalent dans
les faits; les villes du territoire, par» exemple, n'avaient pas, à ce
qu'il semble, connu tous les désastres dont parlait .lérémie, la dé-
vastation du pays n'avait pas été aussi complète qu'il l'avait dit, la

capitale elle-même n'était pas devenue la ruine qu'il avait annoncée.


Mais, depuis longtemps, les enfants d'Israël étaient habitués à distin-
guer, dans le langage prophétique, l'essentiel de l'accessoire, le
et de ses amplifications; ils avaient appris à inter-
fonds de la forme
préter les puissantes hyperboles auxquelles se prêtait le génie de leur
langue. D'autre part, une foule de considérations étaient de nature
à entretenir leur optimisme.
Nous l'avons déjà noté. Dès sa vision inaugurale, .lérémie avait
reçu et proclamé la formule précise du souverain domaine de Yahweli

sur les nations et sur les royaumes le Dieu universel avait tout
:

pouvoir par toute la terre, pour arracher et pour abattre, pour rui-

ner et pour détruire, comme aussi pour bâtir et pour planter (1). Le
prophète d'ailleurs ne s'était pas contenté de dire une fois cette
vérité, puis de la traiter comme un de ces principes généraux qui
sont toujours à l'arrière-plan des jugements, mais que rarement on
invoque d'une façon explicite. Il l'avait rappelée à plusieurs reprises et,

une fois notamment, d'une façon très caractéristique. C'était à propos


de ce symbole du vase manqué que le potier remet au tour et reprend.
Il avait alors développé les vues qui dirigent l'action du Très-Haut :

(c Est-ee que je ne puis pas vous faire comme a fait ce potier, maison
d'Israël? Ce que l'argile est dans la main du potier, vous l'êtes dans

(1) Jer., I, 10.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PEUSES. 483

ma main, maison d'Israël, Tantôt je parle, tonchant une nation et


touchant un royaume, d'arracher, d'abattre et de détruire; mais cette
nation, contre laquelle j'ai parlé, revient-elle de sa méchanceté,
alors je me repcus du mal que j'avais voulu lui faire. Tantôt je
parle, touchant une nation et touchant un royaume, de bâtir et de plan-
ter; mais cette nation qui est mal à mes yeux, en n'écou-
fait-elle ce

tant pas ma voix, alors je me


repens du bien que j'avais dit que je
lui ferais (1). » Sans doute, dans Ja généralité du principe, on dis-
cerne facilement l'application qui en doit être faite à Juda; les dé-
portés ne savaient que trop la force avec laquelle Yahweh exécutait
ses volontés de châtiment même quand des titres spéciaux, peut-
être aussi des circonstances atténuantes, semblaient devoir en tem-
pérer les rigueurs. Mais le principe était universel. L'action divine
était loin d'être aveugle; toujours guidée par la justice, elle suivait

avec exactitude de la vie morale des peuples; les re-


les fluctuations

tours dans la bonne voie pouvaient arrêter le cours des fléaux et


pareillement les écarts étaient de nature à arrêter leffusion des ])éné-
dictions. Or, au vu et au su des .ïudéens, la perversité des autres
peuples, des petites nations voisines, vicieuses et impics, des grands
empires, dont le polythéisme savant ne pouvait dissimuler les turpitu-
des, était telle que ces étrangers ne sauraient manquer d'avoir leur
tour, tout peuple de Dieu. On pouvait d'ailleurs lire, à ce
comme le

sujet, des déclarations précises dans la conclusion du rouleau publié


en l'an i de Joachim. La coupe du vin de la colère que Yahweh lui
avait présentée, le prophète avait reçu l'ordre de la faire boire à
toutes les nations toutes y devaient puiser jusqu'à l'ivresse, jusqu'à
:

rétourdissement, jus([u'à la folie. Et la liste des peuples, représentés


par leurs rois, était longue. Or si, après la place de choix faite à .Jé-
rusalem et aux villes de Juda, elle commençait par le pharaon
d'Egypte, elle se terminait par le roi de Sésac, désignation crypto-
graphique —
par le procédé ai^'ba's —
du roi de Babylone (2). Ainsi
tous les peuples avaient à comparaître, à leur rang, devant le juge
suprême tous, celui-là même qui, à cette heure, servait d'instru-
:

ment aux vengeances de Yahweh sur sa nation choisie. Aussi bien,


est-il possible que, même avant 598, le prophète ait rendu plus

explicites les déclarations un peu sommaires de cette liste. Certains*


oracles contre les nations, le deuxième contre l'Egypte (3), tel ou tel

(1) .1er., wui, 1-10.

(2) Jer., \xv, 15-29.


(3) Jer., XLVI, 13-28.
(le ceux contre les Philistins il ;. contre Moab (-2 , conlic Amnioui^a),
contre Édoni (V). contre les ('cdar (oi, ou bien
tribus arabes de
encore des éléments de la ij;rando prophétie conire Habylone ((>),
peuvent remonter jusqu'au temps de .loachim.
Or .lérémie n'était pas seul à tenir ce langaiie et à publier de telles
(onlîdences divines. Lorscjue le fils d'ilelcias comnien<;ait son minis-
tère prophéli(iue, son contemporain Sophonie prononçait de son côté
plusieurs des oracles contre les nations qui sont contenus dans son
minuscule livret : Jugements contre les IMiilistins, les Moabites et les

Ammonites, les Éthiopiens et les Assyriens (7). Plus tard, vers le temps
peut-être où Baruch allait lire le rouleau au Temple, llabacuc reve-
nait sur le sujet des Chaldéens. Ce n'était plus cette lois pour les
signaler comme le tléau de Dieu dans le châtiment de .luda. (^es

fils de Habel, il les suivait maintenant à l'œuvre. Dignes successeurs


des Assyriens, il était témoin de leur orgueil, de leur rapacité, de
leurs crimes. En les voyant sans cesse porter en tout lieu la dévas-
tation et la mort, se préparera venir contre son propre pgiys, le pro-
phète se sentait saisi par langoisse et le trouble (8). Il posait à
Yahweh cette question Tes yeux sont trop purs pour voir le mal,
: <<

et tu ne peux contempler l'iniquité : pourquoi regarderais-tu les

perfides et te tairais-tu, quand le méchant dévore un plus juste que


lui (9)? » La réponse s'était fait attendre; mais enfin, précédée d'un
magnifique prologue qui en signalait l'importance, elle était venue aux
oreilles du voyant (^10). Réponse de patience et de confiance « Celui ;

dont l'àme s'entle au dedans de lui n'est pas dans le droit chemin;
mais vivra par sa foi (11). » Puis, à la suite de nouvelles révé-
le juste

lations, liabacuc avait, en une série d'oracles qui rappelaient ceux


d'Isaïe contre Assur, maudit et menacé de ruine le peuple orgueilleux
et insatiable, avide de conquêtes et d'agrandissement, pressurant les
vaincus et les humiliant, complétant du reste son œuvre de per-
versité par son asservissement à une ignoble idolâtrie (12).

(1) Jer., xLvii.

(2) Jer., xLviii.

(3) Jer., XLis, 1-6.

(4) Jer., xux, 7-22.


(5) Jer., xLix, 28-:i3.

(6) Jer., L, l-u, 58.


(7) So-, II, 4-13.
(8) llab., I, 2-4, l'i-17.

(i)) llab.,. F, 13.

(10) Hab., II, 1-3.


'
(11) Hab., II, 4.

(12) Ilab., H, 5-20.


I/AME Jl TVE AU TEMPS DES PERSES. 485

Les déportés recueillaient avec amour ces paroles enflammées qui


visaient si directement leur oppresseur, l'auteur immédiat et visi-
ble de tous leurs mau.v. Ils savaient d'ailleurs qu'en nombre de cir-

constances, pareilles annonces avaient eu une éclatante réalisation.


Ils n'oubliaient pas l'épisode d'Isaïe et de Sennachérib (1). Plus récem-

ment, la destruction de xNinive avait dépassé en horreur le tableau


que Nahum Quelques années auparavant, comme
en avait tracé (2).

l'avait signalé Jérémie lui-même, l'échec subi par Néchao sur les rives
de iKuphrate était-il autre chose que le commencement des maux
prédits par les voyants à la vallée du Nil (3)? On avait donc 'le droit,
en pliant sous le joug chaldéen, de penser qu'il serait un jour brisé :

le même Dieu qui soumettait son peuple à une sévère épreuve ferait
aussi justice des prévarications de l'ennemi.
Or cette espérance en entraînait une autre. L'humiliation des
adversaires marquerait pour Juda et Israël le retour de la faveur
divine et l'aurore Sans doute Jérémie n'avait
des restaurations.
pas encore reçu les brillantes promesses qui sont condensées dan&-les
chap. xxx-xxxm de son livre; tout au plus, comme Font prétendu
certains critiques, quelques éléments de ce programme pouvaient-
ils remonter jusqu'à la date qui nous occupe. Mais, en
dehors de
ces chapitres, on trouve des promesses qui, pour être moins déve-
loppées, ne laissent pas d'être significatives et parfois trAs expbcites.
L'exposé de principes qui se rattache au symbole du yase refait (4)
renferme, d'une façon suffisamment nette, l'assurance que Yahweh
reprendra son œuvre en faveur de son peuple, quand celui-ci aura
entendu les appels à la conversion; cette assurance figure déjà d'ail-
leurs, et presque dans les mêmes termes, en la vision inaugurale (5).
Les traits sont plus précis en plusieurs oracles du début du minis-
tère, au temps de .losias. A l'occasion, par exemple, si Yahweh
annonce le ravage du pays et de la nation, il ajoute : « Toutefois

jene les détruirai pas entièrement (6). » Une fois au moins si cette —
page du livre n'est pas un résumé de plusieurs prophéties la —
pensée reçoit de plus amples développements; c'est en un texte que
des critiques réputés tiennent comme authentique, au moins pour
sa plus grande partie. On sait qu'en comparant Juda à Israël, Jéré-

(1 Is., X\\\I-\\\VII.
(2) Na., II, m.
(;V, .1er., \lvi.

(4; Jlt., XVIII, t-10.

(5] Jer., I, 10 .

(()) Jer., IV, 27.


4sr. HEVUlî BIBLIQUE.

mie .1 jugé ce dernier lo moins coupable. Aussi est-ce surtout en


faveur des descendants de l'ancien royaume schisniatique (|uc les
[iromesses et les appels de la miséricorde se font tout d'abord enten-
dre et sont le plus multipliés : « Va et crie vers le septentrion (le

chemin des déportations comme celui de l'invasion^ : Hevicns, infi-

dèle Israël, ditVahweh; je ne veux pas vous montrer un visage


sévère, car je suis miséricordieux et je ne garde pas ma colère à
toujours (1). » Une condition est requise, un témoignage que la con-
version est sincère : coupable doit reconnaître sa faute et
le peu[>le
ses infidélités, il doit désavouer en particulier son zèle pour le culte
des faux dieux (2). Et bientôt le prophète nous signale la clameur qui
retentit sur les lieux élevés et qui est faite des pleurs des enfants
d'Israël demandant grâce, implorant le pardon de leur perversité
et de leurs oublis. Aux appels d'en haut ils répondent « Nous voici, :

nous ^enons vous êtes Yahwel^ notre Dieu (3).


à vous, car Et ce sont »>

ensuite des déclarations contrites sur la vanité des idoles et du culte


qu'on leur rendait; c'est la protestation qu'en Yahweh seul est le
salut; c'est le désaveu confus et honteux du péché séculaire, qui re-
monte jusqu'à la jeunesse de la nation (4). A ces conditions, preuve —
nouvelle de la haute spiritualité de l'espérance messianique, à ces —
conditions et sous le bénéfice d'une pratique de vie qui prouvera la
sincérité des sentiments exprimés, les promesses recevront leur plein
accomplissement; Israël sera un sujet de bénédiction et de gloire
pour les nations (5). D'autre part, à ce peuple converti sera donné à
nouveau le pays de délices, le plus beau joyau des territoires; Là les
rapatriés se réjouiront de faire la volonté de Celui qu'ils appelle-
ront Mon Père (6). Mais, conformément à une tradition de pensée et
:

de révélations qui s'expriment en Amos, en Osée, en Isaïe, le retour


et le rétablissement d'Israël ne se conçoivent qu'en participation
avec le retour et le rétablissement de Juda, considéré comme frappé,
lui aussi, et, lui aussi, libéré; il ne nous semble pas qu'il y ait de
raison décisive pour rejeter l'authenticité de ces oracles. Tout d'abord
e'est à Sion que prend, un d'une ville
Yahweh ramène ceux qu'il

et deux d'une famille (7). Ceux d'ailleurs qui reviennent du septentrion


au pays donné en héritage à leurs pères appartiennent à la maison
'

(1) Jer., III, 12.

(2) Jer., m, 13.

(3) Jer., m, 21, 22. ^

(4) Jer., 111, 23-25.

(5) Jer.," IV, 1, 2.

(6) Jer., m, 19.

(7) Jer., m, 14.


f/AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 487

de .liida tout aussi bien qu'à celle d'Israël; toutes deux marchent
ensemble dans une iVaternité parfaite (1). La capitale de l'unité anté-
rieure au schisme do Jéroboam sera aussi la capitale de l'unité à venir.
Capitale civile, dans laquelle Yahweh procurera aux siens des chefs
selon son cœur, des pasteurs qui les paîtront avec intelligence et
sag-esse (2). Mais capitale relig-ieuse surtout. Le prophète s'intéresse au
nouveau culte il sera si pur qu'il pourra se passer même des sym-
;

boles les plus augustes de Yahweh, de cette arche, par exemple, si


chère aux siècles passés et qui aura disparu dans la tourmente on ;

ne s'en souviendra plus, on ne la regrettera point, on ne songera


pas à en faire une autre. Jérusalem elle-même sera le trône de
Yahweh et c'est à ce titre qu'elle exercera sur les nations son pres-
tige et son pouvoir d'attraction (3),
Les exilés qui accompagnaient Jéchonias emportaient le souvenir
— et le texte —
de ces promesses, dont les unes avaient pour objet
l'humiliation de leurs ennemis, dont les autres parlaient de l'exal-
tation future de leur propre patrie. D'une manière générale, ces ora-
cles ne fixaient point de dates aux réalisations. Par une tendance
toute naturelle à rapprocher les temps favorables, sons l'influence
de cette conviction qu'un châtiment si terrible devait avoir une
exceptionnelle vertu d'expiation, persuadés aussi que la bonté de
Yahweh le pressait de re viser les arrêts de sa justice, les dépor-
tés auraient tendance à se persuader qu'ils seraient bientôt l'objet
d'un regard de miséricorde. De môme que dans les visions prophé-
tiques, il n'y aurait pas en leurs perspectives d'horizons bien délimités
ni de plans successifs; le salut attendu leur apparaîtrait dans l'ave-
nir le plus immédiat. Sans doute l'oracle qui terminait le rouleau
prophétique lu au Temple semblait bien fixer à soixante-dix ans la
durée de l'épreuve : u Tout ce pays sera une solitude, un désert, et
ces nations — Juda et ses voisins —seront asservis au roi de Baby-
lone pendant soixante-dix ans. Lorsque ces soixante-dix ans seront
accomplis, je ferai rendre compte de leur péché au roi de Babylone
et à cette nation, dit Yahweh,
au pays des Chaldéens, et j'en ferai
et
des solitudes éternelles (4). » Le langage est explicite et nous n'aurons
pas la mauvaise grâce de mettre en doute, à la suite de certains
critiques, l'authenticité de ces lignes. Mais on savait de reste que
beaucoup de prophéties, surtout d'oracles de menaces, renfermaient

(1) Jer., m, 18.

(2) .Jer., m, 15.

(3j Jer., m, 16, 17.

(4) Jer., XXV, 11, 12.


•i88 UEVUE lUIU.lOllE.

des éléments conditionnels. Ou eu concluait (jue^ la docilité hii


volonté de Dieu dans le diAtiinent, le repentir sincère, les bons pro
pos de fidélité à la loi divine étaient de nature à abréger le tenins
iîxé pour l'épreuve. On savait tout cela et l'on formulait des espoirs
à brève échéance :Hientôl on reviendrait au pays, bientôt la vie
nationale reprendrait son cours dans une société renouvelée et tidèle
à son Dieu.
L'éducation de ces Ames férues d'optimisme allait être longue et
pénible.

{A iuirre.)
,1. TOUZARI).
MÉLANGES

L'INSPIRATION DE L'ANCIEN TESTAMENT CHEZ SAINT IRÉNÉE

A qui lirait la littérature chrétienne des premiers siècles, pour


comparer le concept de l'inspiration biblique chez les Pères avec les
opinions reçues couramment aujourd'hui sur ce sujet celles par —
exemple qu'à la suite de saint Thomas, le P. Lagrange exposait dans
Ja Revue Biblique 1895-189G —
une distinction ne tardera pas de
s'imposer, tandis que se posera pour lui la question L'inspiration des :

livres du N. T. est-elle conçue par ces écrivains comme identique à


celle des livres de l'A. T.?
S'il s'agit du N. T., il reconnaîtra aisément chez les Pères la doc-

trine de l'inspiration communément reçue de nos jours une dis- :

tinction très nette entre la révélation qui vient du Christ, et l'inspi-

ration proprement dite, en vertu de laquelle les apôtres, ou mieux


peut-être ceux qui ont le charisme d'évangélistes, ont proclamé ce
message du Christ par la parole et par leurs écrits.
C'est tellement vrai que, de nos jours encore, des auteurs qui n'ar-
rivent pas à se dégager du vieux concept protestant, se refusent à
admettre que les Pères, antérieurs à 150, aient reconnu au N. T. le ca-
ractère de livres inspirés. On a soutenu que saint Irénée lui-même
refusait ce caractère aux épitres de saint Paul (1). Pour M. Leipholdt,
on n'aurait pas de citer un auteur ecclésiastique en faveur de
le droit

la canonicité ou de l'inspiration d'un écrit, à moins que cet auteur ne


fasse explicitement profession de reconnaître ce livre comme dicté
par Dieu de mot à mot, et de le considérer comme susceptible, autant
que l'A. T., d'interprétations allégoriques {2),

Le seul auteur du deuxième siècle qui ait interprété de cette façon


le N. T. parait être Iléracléon qui, pour trouver le gnoslicisme dans
saint Jean, a dû... l'y mettre.
Mais il suffit de faire abstraction de ce préjugé protestant, et l'on

(1) Dr. Johannes Werncr, Der PauUnismus des Irenaeus, dans Texle und i'nler-
suclmngen, MB. H. r, Leipzif;. 18S9.
(2) Gesch. d. N. T. Canons, Leip/.ig, 1907, t. I, p. 109.
100 REVLiK niuLioi i:

n'a pas de peine ;^ reconnaître (jne les Pères api)stoli((U('s el apolo-


iiisles (Mit sur l'inspiration tin N. T. substantiellement les in«>ines idées
que nous. Pas un inot chez eux qui i)uissc suggérer l'idée qu ils ne
regardaient pas comme inspirés les écrits du N. T. qu'ils citent ou
auxquels ils l'ont allusion; pas un mot qui puisse faire douter «ju'ils

les aient reçus des apôtres comme moins que,


des livres divins — à

suivant l'idée de M. Leiplioldt, on s'obstine à poser en thèse qu'il ne


faut regarder comme inspirés que les livres qui sont mis sur le même
pied que l'A. T.
Car il faut avouer ([ue pour les Pères de l'époque dont nous par-
lons, l'inspiration de ne correspond pas tout à fait à la notion
TA. T.
d'inspiration communément reçue par les théologiens et les exégètes
moderne;^. C'est ce que je me propose de montrer en me servant
surtout de VAdversus hœreses et de la Demonslratio (1) de saint Irénée.
Comme ces auteurs attribuent à des prophètes le Pentateuque,
les livres historiques et sapientiaux aussi bien que nos livres prophé-
tiques proprement dits, il est important de se rendre compte de
l'idée qu'ils se font du prophète pour comprendre la façon dont ils

entendent l'inspiration des livres de l'A. ï.

I. — Le Prophète d'Israël et ses écrits.

Ni dans le N. T., ni chez les Pères apostoliques nous ne trouvons


d'indications précises sur la nature de l'action exercée par le Saint-
Esprit sur les prophètes de l'A. T. Les passages oîi est décrit le don
de prophétie, tel qu'il existait dans l'Église primitive, jettent pour-
tant quelque lumière sur le sujet. Saint Paul dit que « l'esprit qui
inspire les prophètes reste soumis aux prophètes (2) », et il établit

certaines règles que doivent suivre les prophètes dans les assemblées
des fidèles ; d'où il résulte qu'ils étaient capables d'exercer un certain
empire sur leurs facultés. De la même Ëpître aux Corinthiens et des
récits que nous ont laissés les Apôtres, au livre des Actes, nous ap-

(1) Le sigle Dém. désigne déniomtrution de la prédication apostolique


: Pour la
(El; l7t;S£i|iv to-j àuoaroXty.oû dont une traduction arménienne fut découverte,
y./ipÛY'r>-aTo;),

en décembre 1904, par l'archimandrite Karapet Ter-MekerUscliian, dans un manuscrit de


l'église de la Mère de Dieu d'Erivan. Le texte de la version arménienne de la Démonstra-
tion accompagné d'une traduction allemande a été d'abord édité par deux évoques armé-
niens, K. Ter-Mekertlschian et E. Ter-Minassiantz. Ce texte était accompagné d'une
postface et de remarques d'Â. Harnack, Leipzig, 1907. Le regretté P. J. Barthoulot, S. J.,

longtemps missionnaire en Arménie, en a fait une traduction française que publie la

Revue Recherches de Science religieuse, oct.-déc. 1916. C'est d'après cette traduction que
nous citons.
(2) I Cor., XIV, 32.
MÉLANGES. 491

prenons que c'étaient des hommes divinement inspirés, poussés par


le Saint-Esprit à consoler et à fortifier les fidèles, favorisés de lumiè-
res surnaturelles qui leur font pénétrer les secrets des cœurs aussi
bien que ceux de l'avenir, mais pas du tout de passifs org-anes du
pouvoir d'en haut.
Hermas, comme saint Paul, met le vrai prophète en rapport avec
les assemblées des fidèles. Un des signes caractéristiquesdu faux pro-
phète qui a un esprit terrestre et est inspiré par le démon, est qu'il
répond à des individus qui l'ont consulté sur des choses de ce monde;
le vrai prophète, au contraire, ne parle que dans les assemblées des
frères : « L'homme rempli du Saint-Esprit parle à la multitude,
comme Dieu le veut, non pas suivant le sens humain, et quand Dieu
veut qu'il parle (1). »

Cela nous rappelle la description de la prophétie que nous a laissée


saint Irénée {Adv. haer., i, 3, k)'. Le saint évèque de Lyon nous ap-

prend que don de prophétie se rencontrait encore de son temps


le
(il, 32, V); il avait été témoin, lui-même, de manifestations prophé-

tiques comme celles décrites par saint Paul (v, 6, 1). Dans le passage
en question, il dénonce Marc qui a eu le prétention de communiquer le
don de prophétie Le don de prophétie ne vient pas de Marc le magi-
:

cien; ceux-là seuls en sont honorés qui l'ont reçu d'en haut; ils
parlent quand et où Dieu veut qu'ils parlent.
Rien ne montre mieux en quelle haute estime sont tenus les dons
du N. T. que la façon dont les premiers chrétiens, si pleins de véné-
ration pour les prophètes de l'A. T., mettent leurs prophètes à eux
sur le même pied que ceux-ci. Notre-Seigneur avait annoncé qu'il en-
verrait aux .luifs des prophètes, des sages et des scribes (2), et qu'ils
seraient persécutés comme lavaient été jadis les prophètes. Dans son
discours, au jour de la Pentecôte, saint Pierre avait rappelé la pré-
diction de Joël qu'aux derniers jours le don de prophétie serait com-
muniqué en abondance et rien dans les Actes ne montre que l'action
;

divine sur .lude etSilas(Act., xv, 32), sur Agabus [Ihid., ii, 28), sur les
filles de Philippe [Ibid., xxi, 10), ait été inférieure à celle exercée sur

les prophètes de l'A. ï.; que les Éphésiens qui pro-


rien n'indique
phétisèrent quand saint Paul leur eut imposé les mains [Ibid., xix, 6)
étaient moins complètement sous l'influence du Saint-Esprit que les
écrivains sacrés dont il exposait les oracles dans les synagogues et les
assemblées des premiers chrétiens. Que Paul pût donner à ces pro-
phètes des recommandations qu'il appelait les ordres du Seigneur

(1) Mand. xi, 5-;».

(2) Mat., wui, 34.


W-2 HKVl K lUMI.IorK.

(I montre i\m' l'apostolat était siipôriour A l.i qua-


Cor., \iv, 37); cola
litéde propiictc, mais ne jottc aucun discrédit sur cette fonction.
Comme on ne l'ait pas de distinction entre les préroqatives des pro-
phètes de l'A. T. et ceux du >'. T., nous avons le droit de penser
même idée des uns et des autres.
([u'on se faisait alors la
A première source d'information il nous faut ajouter ce qui
cette est
positivement affirmé des prophètes hébreux.
Pour bien comprendre les allusions et les descriptions se rappor-
tant aux prophètes, chez les auteurs chrétiens antérieurs à Irénée ou
ses contemporains, il ne sera pas inutile de remonter jusqu'à .losèphe
et <\ Pliilon, qui ont exercé, le second surtout, une influence incon-
testable sur bien des convertis au christianisme, et ont orienté plus
ou moins l'exégèse des plus éminents écrivains ecclésiastiques des
premiers siècles.
L'idée fondamentale de Philon comme de tous les Juifs qui —
avaient lu leur Bible —
prophète parlait à Israël au nom
est que le
de Dieu. Mais Philon n'avait pas seulement lu la Bible. Il savait l'idée
que les Grecs se faisaient du prophète et cela n"a pas été sans exercer
une influence sur l'idée qu'il se fit du prophète hébreu chargé d'ap-
porter aux hommes message de Dieu. Il en fait une combinaison
le
du [j.Tj-'.: — un homme en extase tandis qu'il profère les oracles
divins — et du r.pcoq-r,:, interprète, selon Platon, des oracles souvent
inintelligibles du
en extase (l), et ainsi il introduisit dans le
y.âvTu
concept prophétique un élément que la Bible ne donne jamais comme
essentiel ou ordinaire, l'extase prophétique. Le prophète, sous l'in-
fluence divine, est complètement privé de toute activité propre. « Le
prophète inspiré par Dieu exprime ses oracles et ses prophéties sans
qu'il y mette rien de soi. Celui qui est ainsi inspiré et ravi à la terre
n'est pas même conscient de ce qu'il dit, mais il exprime ce qui lui
est inspiré comme si le souffle qui l'inspire venait d'un autre (2) ».
« Le vrai prophète, nous dit-il ailleurs, est réellement silencieux quand
il semble parler un autre actionne ses organes, sa bouche et sa langue,
;

pour exprimer ce qu'il désire communiquer; et ainsi l'invisible mu-


sicien produit une vraie symphonie harmonieuse et sonore (3). » « Le
prophète n'annonce absolument rien de son crû; il est seulement un-
interprète un autre lui fournit tout ce qu'il exprime, et pendant
;

tout ce temps, il est divinement inspiré, il est sans connaissance

(1) Quis rer. div., o>; De spec. leg., 8. ("f. H. M. Gwalkin, Proplie/s in the N. 7"., dans
Diclionarij of tlie Bible dHaslings.
(2) De Monarchia, 3.
(3) Quis rerum div., 53. Cf. 259.
MELANGES. 403

(ysycvco; èv à-iziy.) parce que sa raison a abandonné la cidatellc de


rame et s'est éclipsée (1). » D'après ce concept de l'inspiration, Dieii se
sert du corps du prophète, non de son àme. Son rôle serait celui d'une
sorte de phonographe perfectionné (2).
Que cette notion de la propliétie n'ait pas été spéciale à Philon
dans le monde juif, et qu'elle n'ait pas été nécessairement regardée
par les Juifs comme païenne, nous pouvons le conclure
de Palestine
de la manière dont Josèphe parle de Balaam « 11 parlait, nous dit-il, :

non pas comme s'il eût été maître de lui, mais parce que l'Esprit
divin le poussait à parler. » Et quand le prophète fut en présence de
Balac, l'Esprit lui lit dire « Croyez-vous qu'il soit en notre pouvoir
:

de parler ou de garder le silence, lorsque l'Esprit de Dieu s'empare


de nous? L'Esprit prononce les mots et les discours qu'il lui plait sans
que nous en ayons conscience. Rien de nous ne demeure en nous,
quand la divinité y pénètre (3). » Ici, comme chez Philon, le prophète
est un pur instrument, un canal par lequel s'épanchent les communi-

cations divines.
Josèphe, comme son illustre contemporain d'Alexandrie, était entré
en contact intime avec la pensée grecque, e il n'est pas invraisem-
blable que ses vues sur ce point en aient été influencées. — Mais nous
n'avons aucun motif de rejeter son dire, quand il affirme avoir été
considéré par ses compatriotes de Palestine comme très versé dans
la connaissance de la tradition juive (4).

Le concept montaniste du prophète correspond à la description du


prophète hébreu, que nous venons de constater chez les deux auteurs
juifs. (( Les nouveaux prophètes, Montan et ses acolytes, prétendaient
être entre les mains de l'Esprit ce qu'est la lyre entre les mains du
musicien; l'homme dormait, mais l'Esprit veillait : c'est Dieu qui
parlait en son nom propre; le prophète ne faisait que prêter ses
organes prophètes du montanisme étaient des prophètes
(5). » iMais les

bien extraordinaires, il n'est pas proliable qu'ils aient répondu pleine-


ment au concept normal et chrétien de ce que doit être un prophète.
Sans doute le Saint-Esprit est maître de ses dons et on ne pouvait :

pas condamner a priori les prétentions de ces Phrygiens, en raison


de la façon dont ils se prétendaient inspirés. Je ne sache pasque leur
concept du prophète ait encouru de condanmation en Asie Mineure ou

(1) De spcc. legibus, iv, 49.

(2) Sur l'inspiration ciiez Philon, voir Cli. Pescli, De inspiraiione S. Scrip., p. 18 ss.

(3) Ant.jud., IV, VI, 5; Pescli, Ibid., p. 24 ss.

(4) Ant. jud., XX, xi, 2.


(5) J. Tixeront, Histoire des Dogmes, I, 217.
,^94
\\V:\m «IHLIOL'E.

Kome; mais nous pouvons nolrr du moins mi blAmo


sii;niri-
mrmc c\

Clémcni d'Aloxandric, (jui avait hérité de Philon t[uelqucs idées


catif.
très bonnes, dit que l'état dextase
incorrectes avec beaucoup .rautrcs
et son disciple Origénc
caractérise les faux prophètes (l). Clément
la production des livres
cxa^-éraient pourtant la part de Dieu dans
prophétiques 1*2).

retrouve chez Athénagorc


Le concept philonien de l'inspiration se
qui compare l'écrivani inspiré à une
tlùte (3).

Athénagore est un apologiste. Les Pères apostoliques ne se préoc-


pa"s d'analyser la nature de la prophétie plus que ne Favaient
cupent
fait les bien que le concept essentiel du prophète tel
auteurs du N. T.,

qu'il est conçu dans la Bible se


rencontre clairement dans leurs œuvres.

Mais quand les chrétiens eurent à rendre


compte des raisons de leur
foi, ils furent naturellement
conduits à insister sur les prédictions (|ue

firent les prophètes des événements de la vie du Christ et de l'histoire


de l'Église, et incidemment ils donnèrent leur pensée sur le rôle et

le caractère des prophètes.


Ces apologistes étaient des philosophes,

Grecs pour la plupart. Ils connaissaient Philon et Josèphe, et firent


de larges emprunts au Coyilra Apionem ou au
De Vita conlemplativa
Rien d'étonnant qu'ils trahissent par-
pour défendre le monothéisme.
môme sur d'autres sujets, comme par
fois l'influence de ces sources,
exemple la prophétie la comparaison du joueur de ilûte employée
:

L'auteur de la Cohor-
par Athénagore trahit son origine philonienne.
inspiré à une lyre sur laquelle
tatio ad Grœcos compare l'auteur
descend du divin qui la fait vibrer (4).
ciel l'archet

Saint Justin Martyr ne semble pas avoir évité


complètement ce
exagéré d'après lequel les prophètes seraient dans une pas-
concept
sivité trop absolue. Sans doute, on ne peut plus lui attribuer la
Cohortalio ad Grxcos — comme on l'a fait trop longtemps mais — ;

il ne manque pas de
passages dans des écrits les plus authentiques,
dans la composition
d'après lesquels la part d'activité du prophète
réduite presque à rien. Dans sa
de ses discours ou de ses livres est
d'un pro-
première Apologie adressée aux empereurs païens, il parle
phète d'une façon qui suppose un concept commun
entre lui et ses
pense, vous reconnaîtrez que les pro-
lecteurs. « Vous-mêmes, je
que par le Verbe de Dieu (5). » La
phètes ne peuvent être inspirés

strom., 1,
1".
(1)
cit., p. 60-68.
(2) Cf. Pesch, op.

(3) Legatio, 8.

(4)
/* Cohor latio ad Greecos, 8-9.

(5) / Apol., 33, 9 (éd. Hemmer-Lejay).


MÉLANGES. 49o

Sibylle et sont rangés sur la même ligne que les pro-


Hystaspe
phètes (1). Le texte le plus clair sur l'idée qu'il se fait du prophète
hébreu se trouve dans son Dialogue avec Tryphon, oh. 7. « Il y avait
autrefois des hommes ... qui parlaient par l'Esprit divin et prédi-
saient les choses futures qui maintenant sont accomplies. On les
appelle prophètes. Eux seuls virent la vérité et la prêchèrent aux
hommes, ne craignant personne, ne désirant nulle gloire; mais rem-
plis du Saint-Esprit, ils disaient ce qu'ils avaient vu et entendu. Leurs
écrits existent encore; quiconque les lit avec foi est sûr d'en retirer
grand profit; car ils enseignent le commencement et la fin des choses,
et tout ce qu'un philosophe doit connaître. » Il dit encore à ses lec-
teurs païens : «Quand vous entendez ainsi les prophètes s'exprimer
comme en leur propre nom, ce ne sont pas ces hommes inspirés qui
parlent, ne le croyez pas, mais le Verbe divin qui les meut. Tantôt
il annonce l'avenir par mode de prédiction; tantôt il fait parler
directement Dieu le père et le maître de toutes choses, tantôt le Christ,
tantôt les peuples qui répondent au Seigneur ou à son Père. N'est-ce
pas ce que vous voyez faire à vos écrivains? Le même auteur qui écrit
tout met en scène des interlocuteurs diÛ'érents (2). »
Saint Théophile d'Antioche parle aussi des prophètes comme des
organes de Dieu (3).
Si saint Justin s'était le Verbe de Dieu prenant une plume,
imaginé
et écrivant les livres du commencement à la fin, il n'aurait
de l'A. T.

pas fait plus complète abstraction de l'élément humain. Et sa con-


ception, qu'on veuille bien le remarquer, ne semble pas influencée
par la rhétorique ou exagérée par des métaphores. On peut en dire
autant de Théophile d'Antioche ou d'Athénagore. De nos jours, un
orateur peut librement comparer le Psalmiste à une harpe dont le
Tout-Puissant qui en fait vibrer les cordes tire une musique toute
divine; il peut affirmer en toute sécurité que les oracles d'Isaïe pro-
cèdent de Dieu, comme les sons que le flûtiste tire de son instrument
viennent de l'artiste, sans même éveiller chez ses auditeurs l'idée
quTsaïe ou les auteurs des Psaumes aient été complètement passifs
dans la composition de leurs œuvres. C'est maintenant une idée entrée
tout à fait dans nos habitudes de pensée que l'instrument dont Dieu

(1) Ibid., 20, 44. Quant à la connaissance de Dieu el la prciiiclion de l'avenir, la Si-
bylle ne le cède en rien aux grands prophètes d'Israël, d'après Clément d'Alexandrie, Slrom.,
M, h, k ss. Cf. Hermas, Vu., u, 4, 1; Alhan., Suppl., 30; Théophile, Ad Aut., ii, 36.
(2) Apol. I, 36, p. 2. Cf. saint Irénée, Demonslr., 49.

(3) Ad Autolijcum, ii, 9. Cf. ii, 10. « L'esprit do Dieu descendit sur les prophètes, et par
eux parla de la création du inonde et d'autres choses encore. »
4% UKVI K miMJOl K.

se servit pour produire les écrits inspirés, était un instrument liuuiain:


que riionime tout mlier, corps cl Ame. avec toutes ses facultés, a
coopéré activement avec raulcur piincipal de nos saints livres; «luc
lauteur Immain de ces livres a produit son ceuvre, sous l'inlluence
surnaturelle de Dieu, de telle sorte ((ue ce livre est vraiment son
livre, un écho de son âme el de sou e(eur, qu'il porte les traces de
son labeur et retlète le nnlieu où cette œuvre a vu le jour. Le livre
est divin sans doute: mais il est humain aussi. iNous admirons les
perspectives infinies et la supériorité incontestable de la doctrine
religieuse dont Dieu
a voulu (jue ces pages portent l'empreinte,
même sine contiennent pas de révélation i)roprement dite;
elles
mais nous n'hésitons pas à y reconnaître maintes traces d'humaine
imperfection. C'est ainsi que les théologiens de nos jours expli([uent
cette formule très juste la iiible est ime lettre envoyée par notre
:

l*èredes cieux à ses enfants d'ici-bas. Mais, autant du moins que je


peux m'en rendre compte, pas un seul écrivain du second siècle ne
semble intimer qu'on ait tiré aucune conséquence de ce fait que Dieu
s'était servi d'un instrument vivant et pensant pour produire les
livres de l'Ancien Testament.

L'idée du prophète hébreu et de ses écrits que nous trouvons dans


les œuvres de saint Irénée, ne dill'ère pas de celle de saint Justin.
Saint Irénée ne donne pas beaucoup de détails sur la nature précise
de l'inspiration ju'ophétique ou de l'état psychologique du prophète
pendant qu'il reçoit ou communique son messag-e, ni par conséquent
sur la nature précise de l'inspiration biblique. Il exphque que les
prophètes uont pas vu Dieu lui-même de cette vision face à face (jui
sera notre vie dans l'autre monde mais seulement comme il avait été
;

donné de le voir à Élie à qui « le murmure d'une brise légère » avait


appris la douceur (1), ou à Ézéchiel (2) dont il est dit expressément,
afin que nul ne put penser avoir vu Dieu « C'était une vision de:

l'image de la gloire de Dieu (3). » La vision du Fils de l'homme venant


sur les nuages, approchant l'Ancien des jours et recevant de lui toute
puissance, gloire et royauté, et la vision de la pierre détachant ^
toute seule de la montagne et écrasant les rovaumes de la terre, ins-
truisirent Daniel de la venue du Seigneur. Les visions de l'Apocalypse

(1) I Keg., iix, 11-12.


(2) Ez., I, 1 SS.

(3) Adv. hocr., IV, 20.


MÉFANGES. 497

sont encore des exemples de la manière dont Dieu s'est révélé aux
prophètes (1). Non seulement par des visions que l'œil percevait,
ou des mots qui étaient prononcés, mais par des actions, Dieu était'
vu par les prophètes, afin que par eux il pût annoncer et prédire
l'avenir. C'est pour cela que le prophète Osée prit une femme de
fornication, annonçant ainsi par cette action que « la terre serait infi-
dèle au Seigneur son époux (2), c'est-à-dire les hommes vivant sur
la terre; et que de ces mêmes hommes Dieu se formerait une Église
qui serait sanctifiée par l'union à son divin Fils, comme la femme
d'Osée fut sanctifiée par son union avec le Prophète ». Notre auteur
continue ensuite à montrer comment les actions des prophètes et des
patriarches étaient des figures de l'avenir, n'y ayant rien dans l'Écri-
ture qui n'ait un sens. Au cours de cette discussion de la manière
dont les prophètes pouvaient voir Dieu, il indique la façon dont ils

peuvent communiquer aux autres ce qu'ils savent. Paroles, visions,


actions u faites sous l'influence de l'Esprit (3) », tout cela peut servir
à communiquer le message divin tout aussi bien qu'à le percevoir.
Il y a un te^te qui semble montrer que les facultés humaines ne

sont pas sans exercice dans la composition des discours prophétiques.


Dans son Adv. luer. (ii, 33i, il argumente contre la théorie de la
transmigration de l'âme. L'âme, d'après lui, se rappellerait ce qui s'est
passé dans les états antérieurs. Répondant (n. 3) à ceux qui disent
que le corps est par lui-même une cause d'oubli, il dit entre autres
choses : u Mais les prophètes eux-mêmes, durant leur vie mortelle,
se rappellent tout ce qu'ils voient et entendent en esprit suivant
les visions des choses célestes, quand ils reviennent à eux (m ho-
minem conversi, c'est-à-dire, explique en note Massuet, ad selpsos ex
extasi reversi) et communiquent aux autres leur message ; le corps
ne fait pas oublier ces choses à l'âme; mais l'âme instruit le corps
et le fait participer à la vision spirituelle dont elle est favorisée. »
L'âme est donc en extase pendant la vision (ce qui, comme nous lavons
vu, n'est pas la seule façon dont la connaissance prophétique soit
donnée), mais après cela la mémoire entre en jeu et le prophète
semble communiquer sa science de façon normale. On attache pour-
tant très peu d'importance, semble-t-il, à ce rôle du prophète consi-
déré comme homme; dans l'idée de saint Irénée, il est presque exclu-
sivement un intermédiaire par le({ucl Dieu parle aux chrélieiis {4).

(1) Ibid., 11.

(2) Os., I, 1-3.

(3) Adv. hxr., IV, 23; u, 20, 3.

(4) Ibid., 20, 9.


REVUE BIBL.QUE 1917. — iN. S , T. IIV. 32
498 UKMJK mBI.lQUK.

Saint Irénée ne se préoccnpc i)as heauc^np des contemporains tin


prophète, ses auditeurs ol ses premiers lecteurs. Sans doute, il ne
regarde pas les prophètes comme des hommes (pii écrivaient uni-
quement pour les vénérations ;\ ^enir : ils prêchaient ha justice, et
leur mission était de préparer à IKvani^ile, nous dil-il dans son
livre V" deVAdv. /i.rr. Mais cependant en étudiant les textes en détails,
il se pose la (juestion, si naturelle à qui étudie un livre ancien :

Qu'est-ce que les auditeurs du prophète ont compris? Il nous donne


à penser parfois qu'ils n'ont pas très bien compris le vrai sens du
iTtessage. Ainsi (iv, 26) il nous dit que le^ prophéties étaient inintel-
ligibles avant d'avoir reçu leur accomplissement. Le (îhrist était un
trésor caché dans les Kcritures. La croix seule donne la clef de ce
qu'ils veulent dire.
11 ne dit pas explicitement si les prophètes com-

prenaient vraiment ce qu'ils disaient ou écrivaient, tant il relègue


an second plan leur humaine personnalité pour mettre l'accent sur
les communications que le Saint-Esprit nous fait à nous, dans leurs
écrits. Rien toutefois n'indique que, prophètes ne selon lui, les
comprenaient pas le messag-e qu'ils étaient charg-és de communiquer ;

il nous dit même qu' « il fallait que ceux qui annonçaient l'avenir

pussent voir le Dieu qu'ils annonçaient aux autres (1) ». Quelques


remarques incidentes nous permettent de conclure que, d'après lui,
ils avaient réellement la science merveilleuse que nous révèlent leurs
paroles et leurs actions. Quand Gédéon, par exemple, change l'objet
de sa prière et obtient que la rosée tombe, non plus sur la toison,
mais sur la terre, il prédit que l'Esprit qui était avec le peuple juif
va l'abandonner pour se répandre sur l'Église et, de là, sur le monde
entier. Cette prophétie est introduite par ces mots : Hanc muneris
gratiam prœvicîens Gedeo?i {'2).
L'action, divine exercée sur le prophète s'étendait à la communi-
cation de son message, particulièrement à la composition des Livres
sacrés. Les Ecritures sont par excellence l'œuvre des prophètes, ou
plutôt de l'Esprit qui parle par les prophètes. « L'Esprit dit », « Dieu
dit », « les Ecritures disent », « le prophète dit », sont autant
d'expressions synonymes. Ce caractère sacré se serait difticilement
si on n'avait pas cru que* Dieu était intervenu
attaché- à nos Écritures,
pour influencer cette communication que fait le prophète de sa
science. Ce que notre auteur dit des LXX (m, 21, 3) montre qu'il en
regardait chaque mot comme l'œuvre de Dieu. Il signale le miracle

(1) IV, 20, 8.


(2)111, 17,3.
MÉLANGES. 49!»

par lequel soixante-dix traducteurs avaient donné, chacun, exacte-


ment la même version comme un moyen par lequel « Dieu fut glo-
rifié et les Ecritures apparurent réellement divines », et il s'agit bien

dans sa pensée, semble-t-il, non pas de la version, mais des Écritures


elles-mêmes. Et même si ses expressions devaient s'entendre de la
traduction, elles prouveraient que notre auteur a dû penser que Dieu
avait une part dans la composition d'écrits qu'il faisait ainsi tra-
duire miraculeusement. La sainteté particulière de la composition
originelle peut encore se déduire de la restauration miraculeuse
qu'en fit Esdras, après l'exil. Mais à quoi bon insister là-dessus,
quand on a entendu Irénée conclure de de l'Esprit sur les
l'action
prophètes que les paroles de Moïse ou des autres écrivains de l'A. T.
étaient « les paroles du Christ » (iv, 2, 3)?

II. — V exégèse de l'A. T. chez saint Irénée.

Une étude de l'exégèse de l'A. T. chez saint Irénée montre que,


quelle que soit à ses yeux la grandeur du personnage, le prophète
n'avait après tout qu'un rôle très secondaire dans la prophétie. Les
paroles du prophète sont les paroles de Dieu purement et simple-
ment. La façon dont notre auteur traite chacun des textes de l'A. T.
est une interprétation du principe qu'il professe si clairement dans
sa Dém. (1) : « Ce n'est pas l'homme qui prophétise, c'est l'Esprit de
Dieu qui... parle. »

Avec cette idée de l'inspiration, il n'est pas surprenant que tous


les mots de l'Écriture soient pleins du sens religieux et doctrinal le
plus profond, d'un sens digne de Dieu. Certes, il aurait pu supposer

que les paroles divines passant par des lèvres humaines avaient un
sens plus ou moins limité par le milieu qu'elles traversaient et les
circonstances de temps et de lieu ;
mais dès lors qu'il faisait abstrac-
tion de ce dernier élément, il était plus naturel de se représenter
Celui dont la science infinie embrasse tous les temps et toutes les
conditions de l'humanité, qui dirige tous les événements vers leur
suprême accomplissement dans la nouvelle alliance, comme parlant,
non pas aux contemporains du prophète, mais à tous les hommes, aux
chrétiens en particulier; et c'est bien ainsi que l'a compris saint
Irénée. Cela exj)lique avec quelle facilité il trouve dans l'A. T. des

textes se rapportant au Père, au Fils et au Saint-Esprit, ou à la con-


dition du Fils avant et après l'Incarnation; et comment après avoir

(1) Ibid., 49.


KOO UKVUK lîlIlMOUK.

prouvé que existe et devait se Taire homme, il atli'il)uo au Fi/s


\c l'ils

(le que rKcrifinc dit du Sauveur altondu. Il suppose, par


Dieit tout ce
exemple, (jue Miellée <pii anuonce la naissanec du Sauveur à Heth-
léem ou Zaeliarie «[ui le représeutc pleiu de douceur, faisaut son en-
trée à Jérusalem sur nu àoe, savaient tout de sa double nature de
Dieu-Homme, H ne songe même pas à le prouver. Pour lui, limiter le
sens des mots en ce (pii toiulie la nature du C.hrist, serait limiter la
science divine. Conséquence il n'y a pas l'ombre de développement
:

doctrinal dans l'A. T.; les paroles de l^sprit-Saint sur les lèvres des
prophètes les plus anciens expriment tout aussi complètement, quoi-
que avec moins de clai-té, la vérité révélée que celles prononcées à
l'aube de l'ère chrétienne. La vie de Notre-Seigneur a éclairé tout ce
qui avant sa venue était énigme, mais à la lumière de sa croix, nous
pouvons lire dans les livres de l'A. T. toute sa doctrine, aussi bien que
toutes ses actions et toutes ses soulFrances.
Dans VAdv. hœr., iv, 34, 1, répondant à la question de Marcion :

qu'y a-t-il donc de nouveau dans le christianisme, si les prophètes

avaient une telle science? il ne'modifie en aucune façon sa position;


il se contente de dire que Notre-Seigneur a réellement apporté quel-

que chose de nouveau en venant, Lui-même, pour accomplir ce que


les Prophètes avaient dit de lui jadis, pour lenouveler et vivifier

l'homme (1).

Étudions de plus près le genre d'exégèse qu'emploie ïrénée en écri-


vant à Marcien, pour mieux saisir comment il découvre dans l'A. T.
tant de choses sur le Fils de Dieu.
Pour prouver sa préexistence, il trouve sa première preuve au pre-
mier verset de la Genèse. « Moyse, qui le premier l'a prédit, s'ex-
prime ainsi en hébreu Baresit bara Elovim basan bénouam samen-
:

tharès, ce qui signifie Le Fils [était) au commencement ; Dieu créa


:

ensuite le ciel et la terre ». En effet, le texte de la Genèse ainsi traduit

prouvera à Marcien « qu'il y a un Fils de Dieu, et qu'il existe non pas


seulement au moment où il va apparaître au monde, mais même
avant la création du monde ». Seulement, on ne voit pas bien com-
ment saint Irénée est arrivé à cette traduction de Gen. i, 1 qui cer-
tainement ne fait pas mention du Fils de Dieu (2).

(1) « Leg»e (liligentius id quod ab Apostolis est Evangelium nobis datum, et legite dili-

gentius prophetas, et invenielis universam actionem, et omnem doctrinam, et ornnem pas-


sioneraDomini nostri pnedictara in ipsis. Si autern subit vobis hujusmodi sensus ut dica-
tis Quid igitur attulit Dominus veniens? Cognoscite quoniam omnem verilalcm attulit
:

semetipsum afferens, qui fuerat annuntiatus. Hoc ipsum pnedicabatur quoniam novitas
veniet innovatura et viviflcalura hoininem. »

(2) M. Tixeront, dans une note ajoutée à la traduction du P. Baitiioulot, suggère cetle
iVIÉL\NGES. SOI

La preuve que sans cesser d'être auprès du Père, le Fils de Dieu


s'est uni et joint aux hommes, se trouve dans la conversation
entre

Abraham et ses visiteurs sous le térébinthe de Mambré. « Le patriarche

regarda et voilà que trois hommes se tenaient debout au-dessous de


lui. » Mais il parle àvraiment j'ai trouvé
un seul : « Seigneur, si

g-râce à tes yeux. » Saint Irénée poursuit « Or, deux de ces trois :

personnages étaient des anges; mais l'un était le Fils de Dieu, avec
lequel Abraham s'entretint, intercédant pour que les habitants de
Sodome ne fussent pas détruits au cas où l'on pourrait y compter au
moins dix justes... Ensuite, l'Écriture ajoute fit : Et le Seigneur
pleuvoir du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu de la

part du Seigneur, c'est-à-dire le Fils, celui-là même qui parla à


Abraham; en sa qualité de Seigneur, il reçut de la part du Seigneur
(lu ciel, du Père qui est le maître de tout, le pouvoir de sévir contre
les habitants de Sodome (1). »
« Jacob aussi allant en Mésopotamie, le vit en songe, montant et
descendant sur une échelle image de la croix qui allait de la — —
terre jusqu'au ciel. C'est par la croix que ceux qui croient en lui
montent au ciel. En effet, la passion de Notre-Seigneur est notre
ascension en haut. Or, toutes ces différentes visions représentent le
Fils de Dieu s'entretcnant avec les hommes et vivant au
miUeu
d'eux (2). »
Il une révélation du Fils préexistant faite
y a là, à n'en pas douter,
aux patriarches, vraiment —
le Fils qui leur a
si c'est apparu.
Comment savons-nous que c'est le Fils? Pour saint Irénée, il est évi-

dent que c'est ou le Verbe de Dieu, ou le Père. Il n'envisage pas


même l'alternalive que ce fussent des anges, hypothèse que com])at —
saint Justin dans son Dialogue, 56-62. Pour montrer que ce ne peut
pas être le Père, mais que ce doit être le Fils, il a recours au vieil
argument si familier aux Apologistes. « Ce n'est pas le Père de tous,
— le monde ne le voit pas —
ce n'est pas le Créateur de l'univers qui
;

disait : Le ciel est mon trône et la terre est l'escabeau de mes pieds.
Quelle maison me construire z-vous et quel sera le lieu de mon repos (3),
ni celui qui tient la terre dans sa main et mesure le ciel à l' empan [k)\

explication : « Plusieurs Pères ont vu, en ellet, dans ce premier verset, une mention du
Fils, mais ils la trouvent plutôt dans fiaresith qu'ils traduisent dans le principe,
le mol
dans le chef, dans le Fils. Saint Irénée la trouve dans le mot bara (en syriaque berâ,
pis) : c'est une autre tradition. » li. S. It., loco cil., p. 398, note.

(1) Dém., Vi.

(2) Déni., 45.


(3> Isaïe, Lvi, l ; Act.. vu, 'i9.

(4) Isa'ie, XL, 12.


•ioe • RFAUK IUliLlOUK.

non, ce n'est pas lui (jui rsl \cm\ en ce coin de terre parler avec

Vhraliam, c'est Verbe de Dien, qui ne quittait pas le ,i;enre humain,


le

prédisant ce qui devait arriver et enseignant aux hoinuies les choses


de Dieu (1). »
€efte preuve n a aucune valeur. Ouand une fois la doctrine do la
du Père et du Fils, et de leur égale dignité, eut été
consultstantialité
perçue par rKglise avec une pleine conscience, de pareils arguments
devaient nécessairement être discrédités (2).

Dans les textes cités aux ch. V3-'i-(), saint Irénée trouve, comme
il le dit au ch. 't7, raltirmation que le Fils coexistant avec le l*ère est

Seigneur et Dieu. H trouve cette doctrine afiirmée plus manifestement


et plus clairement par les paroles de David (Ps. xlv, Vulg. xliv) :

« pour les siècles des siècles. Tu as aimé


To7i trône, ô Dieu, est établi
la justice et haï Viniquité. C'est pourquoi Dieu t'a oint d'une huile
d'allégresse, de préférence à tes compagnons ». « Puisqu'il est Dieu, en
ell'et, le Fils doit recevoir du Père, c'est-à-dire
explique notre auteur,
de Dieu, le du ciel et être sacré de l'huile de l'onction,
trône éternel
bien plus que ses compagnons. L'huile de l'onction, c'est l'I^^sprit
répandu sur lui; et ses compagnons, ce sont les prophètes, les justes,
les apôtres et tous ceux qui reçoivent la participation à son royaume,
c'est-à-dire ses disciples [kl). » Les commentateurs chrétiens ont vu
généralement dans ce psaume unépithalame qui se rapporte directe-
ment ou indirectement à l'union du Christ'-avecson église. Saint Irénée
le rapporte directement au Christ. Il y a des difficultés à cette inter-
prétation, V. g. au ^-. 16 (17 de la Vulg.) où on dit au roi : Pro patri-
bus tuis nali sunt tibi filii. S'il s'agit dans ce verset des pères selon
la chair, il de croire qu'il s'agisse des fils selon l'esprit.
est difficile
D'autre part, si comme il est dans l'hébreu ou les LXX,
on lit le f. 7
peut-on l'appliquer à un être humain? Quelque idée qu'on se fasse de
la valeur des changements ou des suppressions pro])Osées par les
critiques, il que le texte dont se servait saint Irénée attribue
est certain

au Roi la divinité, et que jamais un psalmiste hébreu c'eût appelé


Dieu même le plus grand des rois humains (3).
Supposons qu'on ait demandé à saint Irénée s'il était possible qu'un
poète vivant plusieurs siècles avant N.-S., ait pu savoir qu'il y avait
un Fils de Dieu coexistant avec YahAveh, et que ce poète ait trouvé
naturel que ses lecteurs pussent comprendre cette idée, notre auteur
aurait répondu que le vrai poète était le Saint-Esprit, et que ce verset

{i)Dém., 45; cf. S. Justin, Dial., 60, 127; Théophile, ii, 22.

(2) Voir Tixeront, La théoiogie anténicéenne, p. 238.

(3) Cf. Corluy, Spicilcgium Dogmaticum, U, p. 19 s.


MÉLANGES. 503

pouvait bien être un de ces nombreux oracles prophétiques intelli-


gibles seulement à la lumière de la révélation chrétienne. U savait
que la doctrine chrétienne n'est pas à la surface de la doctrine de
l'A. T.

Le Fils de Dieu sera aussi de David; ce sera un roi juste qui


fils

établira la paix. Il naitra à Dethléem, et fera son entrée triomphale


à Jérusalem dans les circonstances décrites par le prophète.
Saint Irénée cite Isaïe xi, 1-10, qu'il commente ensuite [Dém., 59-61).
Ce sont les premiers mots du texte qui indiquent de qui le Messie
doit naître : « Un rameau sortira du tronc de Jessr et une fleur
s' épanouira de sa racine. »

Ce passage d'Isaïe 1-10 ne peut s'appliquer qu'au Messie et


xi,

nous apprenons dès début qu'il sera fils de Jessé. Cela, tous
le

les interprètes modernes peuvent le découvrir dans le texte, mais


ce serait trop peu pour notre auteur. Selon lui, u par ces paroles,
Isaïe annonce que le Christ naitra de celle qui est de la race de
David et d'.\braham. Car Jessé était descendant d'Abraham et père
de David; ki Vierge qui conçut le Christ était de cette race, elle
fut donc le rameau. Et c'est pour cela que Moyse se servait d'une
verge (d'un bâton) pour montrer sa puissance à Pharaon. Il est aussi
d'autres peuples pour qui le bâton est le signe du pouvoir. Par la

fleur, Isaïe entend la chair du Christ, qui a poussé par la vertu de


TEsprit-Saint, comme nous lavons dit précédemment » (50).

Chaque mot du un sens spécial très profond. Isaïe ne se


texte a
contente pas de montrer que celui qui naquit d'une vierge était
fils de David; il le désigne (le Fils de Dieu dont il est constamment

parlé aux chapitres précédents et à qui le texte s'applique si évidem-


ment pas besoin de le prouver) comme né de la Vierge.
qu'il n'est

Qu'il puissey avoir répétition paralléhque de la même idée dans


ces deux vers n'est pas venu un instant à la pensée de l'auteur; le
rameau signifie donc nécessairement la Vierge, et la fleur son fils.
Au chapitre suivant, fauteur, sans commenter le v. 3 Requiescet
super eum spiritus Domini, passe immédiatement aux fonctions de
juge qu'exercera le Messie. Il trouve une preuve de sa divinité dans
fintégrité qui le rend inaccessible à lintlueuce des grands, lui permet
de rendre justice aux humbles en toute égalité et équité, dans la misé-
ricorde qui peut prouver le salut; dans la sanction qu'il est capable
de donner à ses jugements, car frappe la terre d'une parole de
« il

sa bouche, et il fait périr l'impie d'un souffle de ses lèvres. Cela


n'appartient qu'à Dieu qui d'une parole a fait toutes choses ».
'< Par CCS mots : La Justice ceindra ses flancs, et la vérité sera
iOi RKVIK milLloL'E.

la (cinlurc de ses reins, le prtipliMc indique la lormo liiiinaine du


Christ d'après l'exténour et aussi sa vraie et souveraine justice » (60).

« Quant à la concorde, l'union et la pai\ qui doivent réjiner entre


des «Mros étrangers les uns aux autres, et naturellement opposés et
e^nnenus t>ntre eux, les preslntres croient que cela aura réellement
lieu ;\ Tavènement du Christ, quand son règne sera pleinement établi

sur tout et partout. Le prophète se sert d'un symbole (1), pour


insinuer qu'un ensemble de })euples et do nations aux m(eurs contraires
et opposées vivront cependant dans la paix du Christ. L'assemblée

des justes est comparée à un troupeau de faons, d'agneaux, de


chevreaux avec des petits enfants où nul ne fait de mal à personne.
(Ainsi deviendront paisibles et doux) des hommes qui auparavant
étaient par cupidité pareils à des bêtes fauves aux mœurs sauvages,
au point de ressembler à des loups ou à des lions qui dévorent les
faibles et se font entre ég-auxune guerre acharnée; ainsi en sera-t-il
des femmes naguère plus dangereuses que les aspics et les vipères,
capables de verser des poisons mortels à ceux qu'elles aimaient et
de les immoler à leur jalousie.... Une fois qu'ils ont connu le Christ,
ils ont cru en lui, et croyant en lui, ils ont été changés au point
de
pratiquer tout ce qu'il y a de plus excellent dans la justice. »

« Etprophète ajoute qu'une fois ressuscité, le Christ exercera


le

son pouvoir sur les Gentils. C'est qu'en effet, il devait mourir et res-
susciter, afin que l'on confessât et que l'on crût qu'il est le Fils de
Dieu et Roi. Après quoi le prophète déclare : Et sa résurrection sera
un honneur, c'est-à-dire une gloire. En effet, depuis qu'il est ressus-
cité, il Dieu » (61).
a été glorifié comme
Ce \\ 10 ne parle pas de la résurrection. Les LXX lisent Et en ce :

jour-là la racine de Jessé apparaîtra, et celui qui en sortira pour


gouverner les nalions; en lui les nations espéreront et [le lieu de) son
repos sera honneur. D'après l'hébreu Et en ce jour c'est [le reje- :

ton de] la racine de Jessé, qui se lève comme un étendard pour les
peuples : c'est lui que les nations chercheront et sa demeure sera
glorieuse (2).

Au ch. 62 une citation d'Amos, sans qu'on nous avertisse que ce

ffune manière littérale, con-


huer., \, 33, 4, saint Irénée interprète le texte
(1) Dans Adv.
formément à ce qu'il regarde comme des anciens. Les mots de notre traduc-
la tradition

tion compris dune manière stricte indiqueraient qu'il abandonne ici cette
manière de voir.
C'est ce qu'aflirrae M. Harnack dans son édition de la Dem., p. 62. Mais M. Tixeront [loc. cit..

p. 510, n. Ij a sans doute raison de croire que l'interprétation symbolique n'excluait pas,
'aux yeux d Irénée, linterprétalion dans Y Adv. h.rr.
littérale telle qu'il l'entend

(2) Traduction du P. Condamin,


Isaie, p. 01.
MÉLANGES. ciOo

n'est plus lemême prophète, dont on donne le témoignage Et en :

cejour je relèverai la tente de David, qui était tombée (1 ).


Amos, après avoir prédit les ruines que les péchés dlsraëi vont
accumuler sur la nation, esquisse une joyeuse description de son relè-
vement. Comme premier trait, la tente de David sera redressée, c'est
im symbole du rétal)lissement de la dynastie de David. Saint Irénée
jîeutdonc à juste titre voir dans cet oracle prophétique une annonce
de la venue de ce Fils de David dont le règne sur les intelligences et
sur les cœurs réalisera de la faron la plus sublime les plus grandes
espérances de cette maison; mais son interprétation ajoute au texte
d'Amos.
« Le prophète dit... En ce jour je relèverai la tente de David qui
:

était tombée, c'est-à-dire le corps du Christ, celui qui tire son origine
de David, comme nous l'avons dit plus haut; c'est évidemment décla-
rer qu'après sa mort, le Christ ressuscitera d'entre les morts; son
corps est appelé tente. »

Puis associant ce texte à celui d'Isaïe précédemment cité, et ayant


à l'esprit principalement ce dernier, notre auteur continue : « Tous
ces témoignages de l'Écriture établissent doue que le Christ qui, selon
la chair, doit être de la race de David, sera le Fils de Dieu; qu'après
être mort, il ressuscitera; qu'avec la forme et l'aspect d'un homme, il

sera cependant le Dieu tout-puissant; qu'il jugera lui-même tout


l'univers, qu'il n'exercera que la justice et sera sauveur. »
Au ch. 79, il cite Isaïe v, 2 : J'ai étendu les mains tout le jour
à une foule incrédule et rebelle. « Or, dit notre auteur, cela signifie
la croix. » Le contexte montre qu'il s'agit simplement d'une méta-

phore exprimant l'ardent amour de Vahweh pour son peuple.


« Et David parle encore plus clairement Des chiens cruels m'ont :

environné, une troupe de scélérats ont rôdé autour de moi; ils ont
percé mes pieds et mes mains (2). Ensuite il dit : Mon cœur est

comme de la cire, il se fond dans mes entrailles; et ils ont mis à


découvert tous mes os (3). Et puis il ajoute : Délivre mon âme de
Vépée et mon corps des clous; car une troupe de scélérats s'est levée
contre moi (4). Parla, il indique bien manifestement que le Christ
sera crucifié. »

Dans malheureux dont l'agonie est décrite dans ce psaume, les


le

écrivains du Nouveau Testament ont vu le Sauveur; et leur interpré-

(1 Amos, 9, 11.

(•2) Ps. XXII, 17 (Vulg. XXI, ir,).

(3) Ibid., 15.

f4) Und., 21.


;iOC. HKVUE IMUMOIK.

tiitioii a été très généralement suivie. Saint Iréuéc l'a fait et il a ])(>iir

lui rintcrprétation la plus obvie de raj)plication que les évangélistcs


ont faite du psaume.
David iiulique manifestement «jue le Christ sera orucilié. « Moïse
avait dit la même chose au peuple : Ta vie sera comme suspendue
devant toi, et tu trembleras le Jour et la nuit et tu ne croiras i)as A

ta vie (1). » Ce même dans Adv. lupr., iv, 10, 2


texte est cité VA ta :

vie sera suspendue devant ne croiras pas ài ta vie. Cette


tes yeux, et tu
interprétation de saint Ircnée a été suivie par quelques auteurs
ecclésiastiques. M. Fillion cite Tcrtullien, Contra Jadvos^ xi i^ac- ;

tance. De vera sapicntia, v, 18. « Belle interprétation, dit-il, mais


simplement accommodatice(2), » 11 s'agit de la longue et ali'reuse ago-
nie dans laquelle vivront les .Juifs tremblant nuit et jour pour leur
vie.

Conclusion.

D'après saint Irénée, qui en cela ne diffère pas des autres auteurs
du deuxième de Dieu dans la composition des livres de
siècle, l'action

l'A. T. est telleque chacune des propositions qu'ils renferment doit


être considérée comme un oracle divin. Pour en mesurer la profon-
deur théologique et la valeur religieuse, il ne suffirait pas de leur
appliquer les règlei^ employées usuellement pour déterminer le sens
des paroles humaines.
iNon, ces oracles émanent d'une intelligence inhnie. Leur sens est
celui qu'ils ont dans l'intelligence divine.
Si l'auteur inspiré parle, du Messie par exemple, on ne saurait
comprendre autrement ses paroles qu'en supposant dans cet auteur
une parfaite connaissance de la nature divine de ce Messie. On l'in-
terprète comme si vraiment Dieu avait dicté à son prophète. La dis-
tinction entre révélation et inspiration dans l'A. T. est inconnue aux
auteurs du deuxième siècle. En se faisant une telle idée de la con?po-
sitiond'un livre inspiré, ces auteurs sont portés tout naturellement
à donner aux textes de l'A. T. une profondeur qu'ils n'ont pas tou-
jours. Ainsi ils seront des guides peu sûrs quand il s'agit de déter-
miner le sens historique exact de ces textes.
Sans doute, on trouve, dans la DAmonstraùon de la prédication
apostolique du grand évoque de Lyon, une bonne exposition de la

(1) Dcul., wviii, 6G.


(2) La sainte Bible commentée, 1, G47.
MÉLAiNGES. 507

dociiiiie chrétienne. Les textes qu'il y a réunis nous permettent de


bien saisir le caractère du Messie tel que le concevaient les prophètes
chargés d'annoncer sa venue. Mais le sens exact de ces textes, inter-
prétés comme des oracles détachés émanant d'une intelHgencc infinie,
auxquels l'ensemble de la révélation sert de contexte, est souvent
mal défini.
11 en va tout autrement du N. T. Ici, la distinction est clairement
marquée entre la révélation qui vient du Christ, et linspiration dont

l'eflet est de nous transmettre par écrit la révélation du Sauveur.

Cette distinction importante permet de mieux comprendre comment


si

un homme peut être à la fois l'organe de Dieu et un véritable


écrivain humain qui emploie des mots dont le sens est à déterminer
d'après la nature de son intelligence finie et les circonstances qui
accompagnent la production de son œuvre.
La part qui reviendrait au Saint-Esprit dans la composition des
livres de l'A. T., d'après saint Irénée, saint .lustin et les autres écri-
vains des premiers siècles, est certainement exagérée. Mais l'Église
n'a jamais condamné la théorie de la dictée verbale qui inspirait
leur interprétation. Nous ne taxons pas d'hétérodoxie ces vénérables
docteurs de l'Église primitive en constatant qu'ils ne faisaient pas
assez considérable le rôle de l'auteur, instrument de Dieu dans la
rédaction de l'A. T. Mais nous croyons qu'il y a intérêt à remarquer
que l'idée qu'ils se faisaient de l'inspiration de l'A. T. se rattachait au
concept du prophète hébreu, concept qui ne s'était pas formé exclu-
sivement sous l'influence de la tradition juive et chrétienne.
Cette idée de l'inspiration, ne l'ont pas appliquée au N. T. qu'ils
ils

regardaient pourtant comme inspiré. Cela prouve que, pour eux,


l'inspiration n'exigeait pas essentiellement cette passivité de la part

de l'écrivain sacré ([u'ils lui supposent quand ils font l'exégèse des

textes prophétiques.

Baltimore, 19 mars 1917.


W. S. Reillv, s. s.
uOS REVUE lilULIUUE.

II

LA BÉNÉDICTION l>K .lOSKPH [Cm. XI.IX, 22-27)

On sait les nombreuses diltîcultés textuelles ([ue présentent les


textes poétiques du Pentateuque, la bénédiction de Jacob en parti-
culier, et l'intérêt tout spécial qui s'attache à leur solution : ces
premières et très anciennes productions littéraires d'Israël pouvaient
receler des allusions précieuses à un passé dont les événements
ne nous sont point connus par le détail. Dans certains cas, ces
allusions, si on les relève, s'expliqueront par l'histoire qu'elles
mettront au point et éclaireront d'un jour plus complet; parfois
aussi, elles viseront des faits qui ne nous sont point signalés ailleurs,
et le critique se trouvera en présence de problèmes nouveaux, pour
l'instant insolubles.
La prophétie concernant Joseph et ses tribus (Gen. xlix, 22-27)
s'ouvre sur une image que l'on estime manquer de netteté et être
d'un trait poussé insuffisamment. Joseph serait le rejeton d'une
plante fertile qui croit près d'une source et dont les pousses s'al-

longent sur un mur : il serait, par exemple, la vigne qui se développe


en espalier ou dont le plant grandit volontiers sur des terrasses bien
exposées. Ici, limage tombe subitement, et une image nouvelle paraît
a nos yeux. Joseph, peut-être un animal qui personnifie Joseph, est

épié par des chasseurs; ceux-ci se mettent à l'affût, tirent l'arc, en


viennent aux mains avec lui. Cette succession de tableaux est décon-
certante pour notre goiit : il que toute incohérence
se peut d'ailleurs
ne s'explique pas par des licences poétiques ou une négligence orien-
tale. Dans l'espèce, si l'on y regarde de près, la traduction courante
paraîtra prêter flanc à bien des critiques.
Et tout d'abord est-il bien question d'une plante? Le mot ms dé-
signe simplement un être — végétal ou animal — qui est apte à porter
du dans le cas présent a porté un fruit, à savoir
fruit (ns), et qui
Joseph. Si Fon restreint en te contexte au végétal le sens trop vague
du mot, c'est qu'on se croit forcé à cette précision par la mention
voisine de la source, du mur, près desquels se trouve l'être en cause
MÉLANGES. o09

et qui lui assurent vraisemblablement sa fécondité. Pourtant qui


garantira que yj est bien ime source, et ^n'cr un mu?'? Le rejeton
pousse à son tour des branches qui s'allongent. Ici, l'on sera surpris
qu'un masculin p
désigne le rejeton, et un féminin m:2 les branches;
qu'aucun suffixe ne rattache le second mot au premier; avant tout,
que le sujet du groupe que le verbe myy
nlzz soit un pluriel, tandis

demeure au singulier (1), car enfin deux noms conjoints (filles


d'avancement) ne sauraient ici donner un sens. Veut-on supposer —
un texte contourné, chercher au verbe un sujet dans la première
incise et traiter rn:2 en complément [elle, la plante, a avancé des
rejetons sur le 7nu7'), les choses n'en iront pas mieux, au contraire.
Quelle raison a pu pousser en avant le prétendu complément, si
ce n'est l'opposition entre p et t\^22, opposition qu'on passe main-
tenant sous silence? D'ailleurs, une avance du complément coupant
toute liaison entre n-'E et le verbe, il n'est guère vraisemblable que
n-!2 soit un sujet. Enfin, l'on remarquera que le verbe n'a point
un sens causatif analogue à notre français elle a avancé, pour
elle a fait avancer.
La traduction ordinaire n'est donc rien moins qu'assurée d'ailleurs, :

on l'a dit, le contexte immédiat et qui est très clair laisse apercevoir
une autre interprétation. Joseph est le produit d'une plante ou d'un
animal fécond : l'on tienne compte du vers. 23, et l'on conclura
que
qu'il est le fils d'un animal, d'un animal de la steppe que les chasseurs
guettent et qu'ils tirent à l'arc. Au vers. 24, on l'appelle ii:in, soit

l'animal robuste et fier, excellemment le taureau (2). Dès lors, le

mot n"'!: rapprocher


est à quant à sa forme extérieure, et à identifier
quant au sens avec le mot niE, génisse. Naturellement il s'agit de la
vache sauvage, et l'on aura quelque surprise d'une comparaison qui
conviendrait mieux au premier-né de Léa ns^, vache sauvage) qu'au
premier-né de Rachel (Sni, brebis). On pensera peut-être que cette
filiation différente de Joseph n'est point étrangère au remplacement
du terme trop précis nis par l'indéterminé nlï;, animal fécond.
La raison dernière de l'emploi de ce terme est pourtant l'allusion
évidente qu'il manifeste à l'emplacement séculaire des tribus d'É-

(1) Le latin, qui traduit correctement, se trouve ainsi obligé à un pluriel : filiae dis-

currerunt.
(2) Cf. C"^"'2N, en divers textes. Le lecteur, qui sur ce point fera facilement les
recherches désirables, voudra bien excuser la concision de cette référence, étant donné la
pénurie de livres dont je dispose au front. —
En Deut. xxxiii, 13-18, texte postérieur et
secondaire, Joseph est appelé de même, prcmler-né du taureau. (ri")S Ï2) «' possède
la fierté n''2X), ^^ ''<-'.? cornes d'aurochs sont ses cornes.
.

:;i() RKVl'E lUniJQUE.

phrnïm et Manassé ^Joseph) Joseph est fils de niE, aussi bien que
:

riioninie d'Éphraïm ou Manassé, riiabilant de m2(N), est (ils de


.losejih.

L'Israélite, Sémite d'ailleurs, allcctioime ces jeux de mots


le :

il recueillera une ou plusieurs étyniologies populaires, si peu fon-

dées (ju'elles soient en réalité, et les gardera comme autant de sou-


venirs d'événements reculés qu'on se raconte toujours dans la tribu

ou la ou bien comme des présages qui annoncent et dé-


famille,
terminent dans une certaine mesure l'avenir des personnes ou des
lieux désignés. C'est dans cette direction que Ton devrait chercher
le sens du mystérieux r^Tjs T\^22 (vers. 22). Ici, le parallélisme indique
nettement la contre-partie de niE ]i =]D1i si troublante ({ue soit ,

d ailleurs l'opposition du féminin pluriel au masculin singulier.


^p _
rn;2). Ce pluriel désigne-t-il les villages de Joseph,
alors que

le singulier s'applique à Joseph, la tribu considérée dans son ensemble,


immédiatement le nom ou le verbe singulier .-iTii* indiquera que
l'on s'engage sur une mauvaise piste les versions supposent d'ail-
:

leurs le texte actuel ou un texte très voisin. Cette opposition dans

le nombre du sujet et du verbe, si myï est un verbe, en tout cas,

le rapport d'une incise ta l'autre, exigent un premier mot au singulier.


Si, par analogie avec le premier groupe, on lit ici "s
et ï sera p — '

nécessairement un nom —, le sens fils d'avancement se fera jour


de suite. Mais justement Joseph (=^di celui qui croit), le fils de bonne
constitution qu'une mère féconde a engendré, n'est-il pas Joseph,
autrement dit, fils de progrès (1)? On peut être sûr que la prophétie
tient là un thème qu'elle saura varier elle suivra les pas en
:

avant du héros épouyme, soit le développement de la (des) tMbu(s)


de ce nom, et une vue d'ensemble sur l'histoire fera ressortir que
Joseph est qui grandit. Cette superposition de
bien Joseph, l'être

la tribu à l'ancêtre qui lui donne son nom, qui reçoit à sa


place

les bénédictions de Dieu, qui figure en quelque manière son tempé-


rament, ses mœurs, son sort général à travers les âges, cette super-
position sautait aux yeux de tous les lecteurs : là où le texte saint
parle de Joseph, l'individu qui se développe, "]:
]2, on savait entendre
Joseph, la tribu en développement, "ï nu. Les manuscrits ont vrai-
semblablement témoigné des deux lectures : chevauchant d'abord l'une

C'est ainsi que, dans toute la bénédiction de Jacob, le nom de chaque fils ou tribu
(1)

d'Israël est expliqué étymologiqueraent. aurait été surprenant dès lors qu'une étymo-
11

logie, si facile d'ailleurs, du nom de Joseph ne se fît pas jour dans la bénédiction
qui lui

est consacrée de ce côté, les Septante (ylôç ïi-j|iq(x.evo; 'Iwavi?) et le vieux traducteur latin
:

ifilius accrescens Joseph) étaient plus judicieux que nombre d'exégètes


du temps présent
MELANGES. 5H

sur l'autre pour que le lecteur puisse choisir entre elles '^"''''i-i, elles se

sont compénétrées par la suite [i), et de bonne heure sont devenues


riucompréhensible n*:::, crus interpretum. Entre les deux lectures
facultatives, le parallélisme indiquera suffisamment celle qu'il faut
retenir.
L'intérêt de tout le passage se concentre sur les deux groupes paral-
lèles ry-iS" ... 'WCj'-^h'j (22 . Ce sont ces expressions qui ont fait naître
la vigne féconde aux branches étendues que cultivent les exégètes;
on sera moins déçu à les considérer comme l'élément essentiel dont
l'intelligence fera comprendre toute la prophétie. Il se peut qnune
source et qxiun mur favorisent le bon rapport d'une plante vivace;
en tout cas, cela n'intéresse en rien la croissance d'un jeune veau.
De suite la vocalisation -|iï7, plus complètement, la lecture li'ky-iSay (2;
se présente à l'esprit : eu égard à l'autre incise, quoi de plus satisfai-
sant que l'apposition petit de taureau? Gardons-nous
fils de génisse —
pourtant dune ne s'oppose pas à "s p, mais bien à
illusion, 'r "v

jiy "y; or, dans l'hypothèse, ce dernier groupe demeure inexpliqué.

En parallèle l'un à l'autre et en contexte identique, yj et mu; ne


supportent qu'une même interprétation. Or ce contexte identique,
dans sa teneur présente, provoque tout d'abord l'idée de localisation
(iS:;, adv. loc). Mais une localisation indéterminée ne se conçoit
pas ici, on vient de le dire nous avons dont là des noms géogra-
:

phiques précis. En fait, le désert de Shûr se trouve dans le Négeb.


Aïn est manifestement une abréviation, mais ce ne peut être qu'une
abréviation comprise de tous et qui s'explique par la mention ulté-
rieure de Shùr. Si l'on cherche dans la Bible un texte où 'Aïn et
Sliùr, noms géographiques, se trouvent groupés, le second déter-
minant et premier, on tombe de suite sur Gen. xvi, 7
expliquant le :

l'histoire d'Ismaël est intimement liée à -nu piz ]i!;n. Le verset

devient immédiatement compréhensible; plus que cela, c'est toute


la prophétie qui s'éclaire d'un jour nouveau.
Les tireurs d'arc qui entrent en scène pour l'instant (vers. 23) ne
sont plus des anonymes, des figures indistinctes dont le groupement
fait une image aussi définis que le veau sauvage qu'ils poursuivent,
:

à savoir Joseph, ces chasseurs sont les fils d'Ismaël, ou plutôt c'est

(1) La leçon des Septante (-jlo; p-oC —


1:2) marque déjà une étape dans cette voie.

(2) Comp. Deul. x.vxiu, 16, 'yy\ts 1132. —


Le grec upô; \).ï (iSk) àvâ(7Tp£4;ov suppose la

lecture traditionnelle; inai.s, au lieu de "rly-i'-ij;, il semble bien avoir connu un texte

"S; r'2) (ïi'iAWTÔç), qui favorise la leçon iS:*^. Le latin [decorus aspectu, :iîr"1lS") ne

s'en écarte pas sensiblement.


;;i2 REviii; uiuli^l'e.

IsniîU'l lui-mcme (1), le nom.ule du dôserl «.le Paran, lo tircui- d'arc

(Gen. XXI, -21 E). que ses mains aient luttr avec
Kaut-il s'ôtonnci*
Joseph et qu'elles aient été plus fortes que les siennes (vers. 21p)? il
avait été dit de lui que ses mains se tourneraient contre tous oX (jue
les mains de tous se tourneraient contre lui (Gen, xvi, 12). Ismaël a

été béni de Dieu, et 'Elohhn a été avec lui (Gen. xxi, 20); Joseph
reçoit la bénédicticui particulière du Dieu de son père, d'El Shad-
dai(2) (vers. 25). La bénédiction divine transmise à Joseph par son
père Jacob-Israël contraste avec la bénédiction divine transnàse à
Isniaél par sa mère llagar (vers. 26, lire
,..*i -ian, au lieu de i-nn) (3).
Ce n'est plus tîne imai;e plus ou moins précise de la vie, c'est la vie
même d'une tribu qui se découvre à nous.
'

Maintenant la traduction de la prophétie de Joseph sera l'acile.

--
[ 1 JOSEPH (4),

Fils d'une (génisse) féconde CEphralh), veau de 'Ain,


Fils (var. : Maison) de progrès (Joseph), veau de Sliûr!

(1) L'expression "iT^ÎTa peut être un singulier aussi bien qu'un pluriel (cf. "|*'y"''"iiy
vers, préc, et les exemples connus d'iod compaginis). Le singulier est plus probable, si
l'on remar(|ue l'écriture des verbes inD-iStyil ... in'Tia''1; pour ce qui a Irait à 'ûll, la
dernière lettre peut s'expliquer par une dittographie de l'initiale du mot suivant (voir
ci-dessous, p. suiv., rem. 1): Enfin ce singulier probable est nécessité par le sullixe de
inUJp (2i), car il s'agit bien de l'arc du chasseur, non pas de l'arc de Joseph qui est J'ani-
mai chassé (en un autre sens Ps. Lxxvni, 9).
(2) Lire évidemment l"i\^*~7N*, le Dieu de Jacob, non ";27~nN' (Grec, à 6eô? 6 èjaôç, latin
correct, et Omnipotens). - â
(3) ^lln s'oppose à "Jl^N : c'est une expression isolée qu'on s'attendrait à voir remplac -e
par TlliX. Du reste, que la bénédiction donnée à Joseph dépasse dans ses
il est inexact
jtromesses les bénédictions données aux ancêtres de Jacob dans Gen. les bénédictions :

divines vont au contraire à se restreindre de plus en plus. C'est Abraham qui a reçu les
promesses les plus larges en sa personne ont été bénies, non pas deux tribus (Éphraïm,
:

Manasséj, mais toutes les tribus de l'Israël à venir, les familles de la terre (Gen. xi,
3, etc.); Dieu lui a promis non seulement un canton bien déterminé, soit Sichem
(Gen. XI, 7), mais le pays dans toute son étendue (Gen. xv, 8, etc.); pour tout dire, l'hé-
ritage qui lui revient, c'est la possession de lahvé même, tout le futur pays d'Israël
(Gen. XV, — L'atténuation graphique du i en a abouti dans mss. des Septante à une
1). "1
les

suppression complète (ôplwv = Comp. Deut. xxxiu, D7p~''Tin (Î5?~11"!n)


l*in). 16,

La répétition du groupe mS p dont témoigne


(4) texte peut être originaie. Si l'on le
remarque pourtant l'équilibre des membres parallèles, si l'on tient compte surtout de ce
.fait que, dans la prophétie de Jacob, le représentant de chaque tribu est appelé au début
même du fragment qui lui est consacré, il deviendra probable que le second "3 "2 seul
est primitif. Il est possible que le premier soit un titre placé ultérieurement, pour des
raisons de commodité, en tête d'une prophétie qui devait souvent être lue et commentée
dans le Royaume du Nord. Le nom même de Joseph pouvait un titre original, le
être
texte opposant nettement l'une à l'autre les deux appellations 'Ephrat et Fils de progrès
(Joseph).
MÉ LAxNGES. iil3

-^.11 se courrouce contre lui. l'archer (Ij; il l'épie, l'Iiabile aux flèches.
-'
Celui qui rapine 2, à perpétuité avec son arc :

Et plus souples sont les nerfs de ses mains que les mains du bouviilon de Jacob,
Et il recule du pâturage (3; le lils d'Israél.

-•'
Le Dieu de ton père te vient en aide, 'El Shaddai te bénit
Des bénédictions du ciel en haut, des bénédictions de ral)îme qui gît en bas,
Des bénédictions des mamelles et du sein.
-•^
Les bénédictions de ton père l'emportent sur les bénédictions d'Hagar :

L'ornement désiré (4), la colline des Incirconcis ^5)

(1) Voir déjà p. préc, rem. 1. Si la dernière lettre de 12*11 peut se rattacher au mot
suivant, la première peut provenir du mot qui précède. En tout cas, ce parfait entre
deux imparfaits est immotivé et incompréhensible. Ou l'original ()résentait ici un impar-
faitnouveau, et cette accumulation de verbes affaiblit bien le parallélisme, ou il mettait
uu participe (."12'^, cf. Gen. xxi. 21, peut-être ''21) en opposition directe à "n~'!7!/'2.

(2) 2ï7m ne peut être que l'imparf. apoc. de n2w.


(3) La fin du vers. 24 identifie évidemment If fils d'Israël ('"' 72 > et le bouviilon de
Jacob, comme le vers. 22 avait identifié le fils de progrès et le fils de la génisse. Eu
égard à la supériorité avouée do chasseur, le développement de l'image suggère, à la place
d'un texte aujourd'hui sans aucun sens, la probabilité d'un texte tout voi«in, ""1^^ Xm'^^
"' yz. Sans doute, Xegeb
le n'est pas un lieu de pâture des plus enviables : c'est, néan-
moins, le lieu ou paissait le iils de
génisse féconde. D'autres régions reçoivent plus
la

abondamment les pluies, bénédictions du ciel, et sont arrosées davantage par les sources
naturelles, bénédictions de l'abîmeles bestiaux, ceux-là surtout qui sont issus de mères
;

opulentes, auront certainement en ces pacagés le privilège d'une grande fécondité, béné-
dictions des mamelles et du sein. Pour tout dire, qui possédera ces pâturages de choix
sera béni du ciel plus que celui qui se sera assuré par les armes la possession absolue du
Negeb.
(4) Lire mNr~''"T>, au lieu de l'incompréhensible mxn~~" que déjà Deut. \\\ni. I."j-16

entend en deux sens différents. Voir les deux n. suiv., et comp. Is. xxvm, 1.
(5) Que signifie la {les] colliné's) d'éternité/ L'on entend généralement les collines
antiques ou les collines de jadis (Comp. Deut. xxxni, 1.5, les monts d'autrefois el...
les collinesde jadis). Mais de quelle antiquité veut-on parler? Il est vain .de chercher
ici littéral une abstraction quelconque
au sens on a bien en vue des collines ver- :

doyantes, bénies du ciel et de l'abîme par une humidité constante, favorisant les béné-
dictions des mamelles et du sein. D'ailleurs, il n'est point question en général des
collines possédées jadis par les ancêtres de Jacob. Pourquoi aurait-on parlé de col-
lines, étant donné la diversité des régions que fréquentèrent Abraham. Isaac et Jacob?
Les patriarches encore ne possédaient point ces pays, ils y faisaient des acquisitions, ils

y séjournaient quelque temps en qualité de 1i, puis passaient en d'autres contrées, pour
revenir par la suite. Il feut dire qu'en celte fin de prophétie une indétermination ne serait
pas compréhensible, en regard de la détermination précise des régions, 'A'in, Shùr, au
début du fragment; Ion a ici un nom de pays, tout au moins, une désignation com-
préhensible pour tous d'un pays donné. Heureusement le contexte immédia! nous évite
tout embarras. La colline en cause est la tête, la capitale de Joseph c'est donc Sichem :

où le patriarche fut enterré (Gen. l, 25), où plus tard Israël se réunissait pour couronner
le roi Roboam. I Ileg. xii, 1), 'l"* n"2; n'est donc rien autre chose qu'une
(du moins
corruption de D^ll" ";, la colline des Incirconcis, la colline de Sichem, Ilamor et
leurs compatriotes de jadis si le nom de Joseph, la tribu occupante, est remplacé par
:

REVUE lilULIOLE 1917. N. S., T. XIV. — ;', ',


OevientSIa tète de Joseph, le sommet du couronné (1) entre ses frères.

Après qui vicnuenl d'rtic données et les notes (jui


les e\|)lications

précisent, ceilains points de détail, la prophétie de Joseph n'a guère


besoin d'interprétation elle se comprend d'clie-mêmc.
:

Le nom même [de Joseph, de proç/rh, est un présage et aussi


fils

attend son peuple les tribus de Joseph


un garant de l'avenir ({ui :

seront favorisées d'un actroisscmeut tout particulier, accroissement


de territoire peut-être, sûrement accroissement de population (v. 25).

Déjà Joseph est le lils d'une (génisse) féconde, les bénédictions du


ciel rendront cette fécondité plus grande encore. 11 y aura dans ces
tribus évolution du moins au plus parfait, et la prophétie décrit ces
deux stades successifs. D'après le sens et d'après la forme, elle se

subdivise donc en deux parties bien distinctes vers. 22-2V : se rap-

portant à l'histoire primitive de Joseph, vers. 25-27 à son avenir plus


brillant.
Par une allusion adroite, le texte met déjà en regard les deux
noms, Joseph- 'Kphrath Joseph est conçu comme s'il possédait déjà
:

le pays d'Éphraïm, et encore d'une possession assez assurée pour


que le nom mômejde l'habitation équivale au nom de l'habitant.
D'un autre coté, Joseph réside dans les régions d"Aïn et de Shùr, soit
dans Negeb, où Abraham son aïeul avait déjà séjourné jadis
le
pacifiques et
(Gen. XX, 1, i^tl), où il avait entretenu des relations
conclu des accords avec les indigènes (Gen. xxi, 22), où Isaac avait

de progrès, \. 22), le nom de Sichein, la ville


une désignation basée sur l'étymologie {fils
par une désignation basée sur l'histoire. Il est intéressant de voir
occupée,°est remplacé
et de cette valeur l'histoire de Dina et Sichern
conlirmèr par un texte de cette antiquité
n'attribuaient pas unanimement au plus ancien fonds de
(Gen xxxiv), que les critiques
tradition. La ville est appelée
colline, bien qu'étant située au pied des collines, du Gari-
pass.), à cause de sa qualité de capitale, de point culminant
zim et de l'Ébal (cf. Jud. ix,
de la montagne
d'Éphraïm.
s'est séparé
1"'73 désigne le Nazîr, l'abstinent consacré, celui qui
essentiellement
(1)
vivre et la consécration divine qu'il a reçue Josepli
de la foui' par sa manière de
:

par analogie, être dit le Nazir de ses frères, parce ([ue le patriarche fut
pourrait
Pourtant ceUe analogie n'est pas frap-
vendu par ses frères et emmené loin d'eux.
il n'est point fait allusion, autant qu'il
semble,
pante; puis, dans la prophétie de Joseph,
à l'hiltoire du patriarche; enfin, le voisinage immédiat de tt7Nl, Tpip,
traditionnelle
tout autre signification. Si Tr3 est la couronne, TiTJ
sera le
met au premier plan une
couronne, en peut orner sa tête, le sommet de sa Me.
coiironné celui qui, ayant reçu la
xxviii, 1 (comp. la couronne de
_ Une fois de plus, nous sommes donc ramenés à Is.
qui est sur la. tèle de la grasse vallée) évidemment il n'y a
iierté l'ornement de gloire :

pas eu emprunt de la part du Prophète,


mais il semble bien qu'Isaïe se soit inspire du
appliqué à la capitale plus récente d'Israël, Sa.narie, laquelle domine
vieux texte et ait
du pays, ce qui visait à l'origine la capitale ancienne
en effet les grasses campagnes
Sichem.
MÉLANGES. 515

habité (1). Au peuplades qui, les unes avec les autres, les unes
reste, les

après les autres, se sont installées dans le Sud, ne se rattachent-


elles pas, en partie au moins, à Israël? Par sa femme Ketiirâ, Abraham
a engendré les Madianites et les tiil)us diverses d'Arabie (Geu. xxv);
par Rébecca, Isaac est le père d'Édoni. La région de Shûr et 'Ain se
rattache avant tout à Ismaël, qui est né ou qui a été protégé par
même.
Dieu en ce pays
On remarquera que si les ancêtres d'Israël ont entretenu des rela-
tions faciles, en tout cas convonaljles, à en juger les récits de la par
(ienèse, avec les habitants antérieurs du Negeb,
y a toujours eu il

hostilité entre eux et leurs frères venus par la suite dans ces régions :

il y a désaccord entre Ismacl et Isaac (Hagar et Sara), entre Ésaû et

Jacob; auparavant, les fils de Keturâ ont été envoyés vers l'Orient et
écartés du patrimoine d'Isaac. A son tour, Joseph habite aussi le

Negeb : un veau sauvage (v. 22), qui court sans doute à son
c'est
gré le pays et s'accommode de ses pâturages (v. 24 et p. 513, n. 3).
Pendant quelque temps, la (les) tribu(s) de Joseph a (onti donc mené
dans ces parages une vie errante, la vie des demi-nomades, demi-
agriculteurs qu'avaient connue leurs pères. Sur ces territoires ouverts,
Joseph rencontre les fils d'Ismaël, et des dissensions graves se pro-
duisent entre eux. Jaloux sans doute, Ismaël, le tireur d'arc (Gen.
XX, 21, etc.), entre en courroux et dresse des embûches à l'intrus.
L'image de la chasse est d'un beau coloris : l'arc et les flèches du
chasseur sont mis en un tel relief, la rapine, l'enlèvement par force
du butin ressort si nettement de reiisemble et du détail (2), que la
luttedans sa réalité a dû revêtir principalement ce caractère. Habi-
tués aux razzias du désert, pillards de nature, tireurs d'élite, agiles
et rusés, nomades l'emportent sur les demi-nomades
les Ismaélites
fils de Joseph incapable de se maintenir où il fréquentait d'ordi-
:

naire, le bouvillon, fils d'Israël, abandonne ses pâturages, et les


archers en lin de chasse demeurent seuls occupants du pays. Ainsi
le soitde Joseph a été décidé par Ismaël, tout de môme que le sort
de Joseph, père de la tribu, de Joseph le pasteur jeté par ses frères
dans la citerne qui est au désert ("i^inz "i^n "TH "iizn, Gen. xxxvii,
22, à comp. -nr -112 "j^yn, ^2ia3 ... '\^^, Gen. xvi, 7 et son paraît.
Proph. Jos. 22), avait été décidé par une bande d'Ismaélites (Madia-

(1) Uaac habitait au puits de Lahai-rô'i... au pays de Ner/eb (Gen. xmv, 62; xxv, 11).
Ismaël habile, au reste, la même région, jusquà Shûr qui est en avant de l'Egypte
(Gen. wv, 18). Gen. xxv, après Gen. x\i, rapproclie les noms géographiques de Lahai-rô'i
^*Aïn) et Shûr, comme le.s familles d'Isaac et d'Ismaël qui occupent ces territoires.

(2) au?n (v. 24), et ci-dessus, p. 5K!, n. 2.


:iio iu;m i: luiu.ioi' .

iiitos. Kl de passai;c, aiLvcjiu'Is ses IVôrcs l'avaienl vendu ((icii. xwn ii,

25, 28) et (jiii \v lirmt descondre en Éi;ypte.


Chassé de ses piUnraues, .losopli dans celle exlréniité invocpic le

Dieu d'Abi'alian», d'Isaac el de Jacob, et Kl Sha'ldai lui assure une


aide cflicace. Sous quelle l'orme se manifesta l'assistance divine, on
ne le dit pas. Au fait, la qnestion ne se posait guère, et il y avait
auti'(> chose à dire. Si la picmiri-e partie de la i)r()phétie avait insist<''

sur la colcre, la ruse, riiabilelc au tir, l'amour de la rapine, la sou-


plesse dlsmaël, c'est que la lutte avait été malheureuse pour Joseph,
et le désavantage moral d'un vaincu s'atténue dans la mesure où
croissent les passions, l'activité, toutes les qualités guerrières d'un
vainr|ueur. Nous sommes maintenant à une autre page de l'histoire.
La scène est toute dill'érente, la fortune du Fils de progrès (Joseph)
s'est notablement améliorée on en viendra donc à opposer les deux
:

moments et à établir un contraste discret entre les deux régions qu'a


occupées Joseph. Celle quil possède maintenant est le pays qu'El
Shaddai a béni, le pays dans lequel se dressent probablement ses
temples préférés. Il lui envoie sous forme de pluie les bénédictions
des cieux, sous forme d'eaux courantes les bénédictions de labîme
souterrain favorisées par une humidité bienfaisante, les prairies
:

deviennent particulièrement fertiles; le veau, fils d'une génisse de


race, se découvre particulièrement fécond. Voilée jusqu'ici, l'oppo-
sition entre les deux pays, l'ancien et le nouveau, se montre au clair,
V. 20 : les bénédictions de Jacob, c'est-à-dire les bénédictions d'El
Shaddai transmises par Jacob — s'entend c|u'on parle du pays,
il

objet de ces bénédictions, — l'emportent sur bénédictions les d'IIa-


gar, celles qui par Hagar atteignent Ismaël, soit lepays d'Ismaël
béni de Dieu. Le pays d'Ephrath (v. 22') est supérieur au Negeb.
Joseph a été vraiment un de progrès (22''). fils

On a tout dit sur la nouvelle habitation de Joseph, mais son non^


n'a point encore été prononcé comme il forme l'achèvement de toute
;

la prophétie, on Fa gardé pour la fin. En face d 'Ain et de Shùr


(v. 22i se dresse la colline des Incirconcis, Sichem (v. 26) : voilà
l'ornement ou la couronne qui se pose sur la tête de Joseph, voilà la

capitale de tout 'Ephrath. L'expression, orncjnent désiré, est assez


ambiguë. Il se peut que Sichem soit désirable et que sa possession
en fait ait été désirée de tous; il se peut aussi que Joseph ait éprouvé
de vieille date le désir d'en être maître. Étant donné la périphrase,
colline des Incirconcis, et l'allusion à Gen. xxxiv, le lecteur entendra
plutôt la colline de Sichem et ses concitoyens, que Siméon et Lévi
eu particulier ont désiré acquérir, qu'ils oiit pillée effectivement, mais
'^''
MÉLANGES.

dont ils n'ont pu s'assurer la possession de façon durable,


puisqu'elle

est maintenant aux mains de Joseph. Joseph, qui a pris ce diadème,


est donc le couronné entre ses frères, les tribus d'Israël, avant tout

le couronné entre ses deux frères Siméon et Lévi, les auteurs d'une
tentative ancienne sur la ville (1).
Pour qui Juge les choses d'un coup d'œil, la bénédiction de Joseph
que nous venons d'examiner en détail se place sur le même plan que
la bénédiction d'Éphraim et Manassé, soit de Joseph, en Gen. xlvih,
l'i.--22 (E) ici. c'est une promesse; là, une prophétie;
:
d'un côté, —
l allure traînante du narrateur, de l'autre, la liberté du poète. Gen.
XLix, 22-27 découvre en plus un arrière-horizon, mais la perspective

générale ne se modifie pas. « Et Israël dit à Joseph Me voici mou- :

rant, mais Dieu sera avec vous et vous fera revenir au paijs de vos
pères, etmoi je t'aurai donné Sichem, à toi) seul avant tes frères,
(Sichem) que j'avais pHse (2) aux mains de l'Amorite par le glaive et
par l'arc» (Gen. xlvih, 22).

Au point de vue de l'histoire primitive d'Israël, la bénédiction de


Joseph est de toute première importance. Par elle nous apprenons

qu'avant d'occuper à demeure Sichem et la montagne d'Éphraim,


les gens de Joseph séjournèrent quehjue temps au Negeb (3), et qu'ils
en lurent chassés par les Ismaélites pillards.
A quelle période de l'histoire appartiennent ces événements? Faut-
'î) Joseph est couronné avant ses frères, parce que seul entre tous il possède la cou-
ronne, Sichem (Gen. xLviir, 22). Rien n'indique d'ailleurs une allusion positive à l'histoire
de Joseph grand-vizir ou aux songes ambitieux de Joseph enfant (cf. ci-dessus p. 514, n. 1) :

l'allusion continue plutôt à l'aventure de Dîna, et c'est, non pas la suzeraineté de Joseph,
mais la qualité de Sichem qui forme la base de tout ce développement.
(2) La prise (sac) de Sichem par Siméon et
Lévi, désapprouvée au reste par Jacob, est

ici formellement altribuce à Jacob, lui-même dès lors, le père de Joseph peut disposer
:

cla son bien en faveur de son fils n'y a donc pas lieu, ce semble, de rappeler
privilégié. 11

positivement songe du jeune pasteur


ici le le soleil, la lune et onze étoiles, soit Jacob,
:

Rachel et leurs fils, se prosternant devant son astre glorieux (Gen. xxxvii, 8).
Ils pourraient s'être trouvés là en même temps que d'autres groupes de
(3)
même famille.
La bénédiction de Siméon et Lévi, allusion continue à la prise momentanée de Sichem
(Gen. xxMv), présente l'incise TTC'Tip" aJï"l2- La comparaison du «aw/ea» estropié avec
liamôr [âne) circoncis est plutôt déconcertante. Ne fait-on point allusion à deux expédi-
tions dift'érentes de Siméon-Lévi? L'ardeur et la violence qu'ils ont déployées contre Sichem
ne les ont-ils pas manifestées par la suite sur un autre terrain Ne joue-l-on pas enfin sur les
.'

mots liw* taureau, et des luttes incessantes contre


^IC Slnin' On comprendrait comment
les Ismaélites pillards ont pu affaiblir ces deux tribus qui, selon la prophétie, auront un
sort spécial en Israël. Au temps de Josué, nous retrouvons les gens de Siméon dans l'ex-
trême Sud; enfin, un séjour de Lévi dans ces parages a, pour d'autres motifs, quelque
vraisemblance. Les deux tribus auraient essayé île se maintenir dans ces régions occupées
par elles après leur succès temporaire à Sichem, et elles se seraient épuisées dans la lutte,
tandis (|uc Joseph, plus prudent, aurait abandonné la partie sur ce terrain pour la gagner
où elle avait été jouée déjà par des partenaires moins habiles ou moins tenaces.
il supposor avec un certain nombre de crili((ues ([u'uik' tribu de ce
nom. peu nombreuse sans doute (1), aurait existé avant le sé-
jour des Israélites en Éf;yple, et aurait fré(iuenté les déserts du Sud?
Si \c J-s-p-'-7' n" 78 de rinscription de Tljutniosis III au pylône du

srrand temple de Karnak eoirespond à Ihébreu '^sSîT"' et doit être,


comme (m souvent, mis en piu-allèlc du j-'-q-h-r n" 102 ib. (2),
le fait si

le premier point acquiert une certaine vraisemblance. Le séjour de

ce groupe, au xv" siècle du moins (3), serait pourtant à cbercher dans


le nord du pays, du côté de Megiddo.

En conséquence, nous sommes ramenés à une époque postérieure,


soit au temps du premier établissement des groupes israélites en
Canaan, soit à une période immédiatement antérieure, avant l'entrée
de la masse des Israélites dans la Terre promise et le passage du Jour-
dain. Il est fort suggestif que le livre de Josué suppose pour Joseph
une situation assez voisine de celle qu'annonce la seconde partie de
la bénédiction. En théorie, tout le pays est partagé entre les deux
groupes d'Éphraim et de Manassé (4) en fait, Éphraïm (Jos. xvi, 10)
:

et Manassé (Jos. xvu, 12) ont à lutter contre les gens du pays et la
lutte est particulièrement pénible, les Canaïuîens (5) s'y Iroiivenl
encore aujourdlmi (Jos. xvi, 10). Joseph, fds de la vache féconde,
Joseph qui a reçu les ])énédictions des mamelles et du sein, est alors
im peuple nombreux, qui se glorifie de sa force, mais qui est gêné
aussi par le nombre de ses sujets (Jos. xvii, \h). En cas de détresse,

de Jacob devait invoquer le Dieu de ses pères et appeler à son


le fils

aide ElShaddai. ÂSichem, au cœur même de Joseph, Josué demande


au peuple de renoncer aux dieux que leurs ancêtres avaient adorés
dans l'Aram Naharaïm et à ceux qu'eux-mêmes avaient connus en
Egypte désormais ils reviendront parfaitement et fidèlement àJahvé.
:

Une alliance (benth) se conclut sur ces bases entre Jahvé et son peuple,
une pierre du lieu devant servir et demeurer comme témoin du
contrat (Jos. xxui); et plus tard, au temps d'Abimélek, le temple du
Ba de ralliance [Baal berUh) sera célèbre à Sichem (Jud. ix, h).
al

La colline des Incirconcis deviendra plus tard la tête de Joseph :


c'est à Sichem, dans son lot, le champ que Jacob avait acquis des

(1) L'accroissement du fils de progrés est prévu pour l'avenir, dans la prophétie.

(2) Cf. Die Palostinaliste Thutmes' lll [MVAG. 1907).


est évident que ce groupe aura pu émi^rer vers le Sud par la suite, et se rencon-
(3) Il
trer avec des groupes similaires (voir p. préc. n. 3).

(4) On ne sera pas sans remarquer que


les D^'i*"'':! sont comptés parmi les descen-

dants directs de Manassé (Jos. xvu, 2J.


(5) Avec plus de précision. .lacob mourartt
parlait des Amorites (Gen. xi.viii, 22).
MÉLANGES. ol9

fils de Hamôr père de Sichem quest enterré Joseph, et ce territoire

devient la possession des fils de Joseph (Jos. xxiii, 32). — Est-ce à


dire que la capitale nouvelle soit leur propriété exclusive? Sans doute,
Sichem est comptée par Josué au nombre des villes de refuge (1)
(Jos. XX, 7; XXI, Î21-P), mais, au temps des Juges, la ville est encore

hahitée par un nombre imposant d'indigènes l'on sait bien dire :

qu'Abimélek et Zebul son préfet ont été au service des gens de llamor
père de Sichem (Jud. ix, 28). A cette époque, du reste, et bien avant,
sans doute, les pillards qui avaient chassé Joseph du Negeb ou des
pillards de race apparentée poursuivent leurs incursions en Éphraïm
même et gênent toute culture. Qu'Israël fasse des semences, et Mi-
dian, 'Amalek, les Benê-Kedem montaient contre lui : ils piquaient
leurs tentes, dévastaient les produits du sol jusqu'à l'arrivée de Gaza,
ne laissaient rien du hélcdl d'IsracL ni moutons, ni taureaux, ni ânes
de Midian sont des Ismaélites (Jud. vni, 24,
(Jud. VI, 3). Ces voleurs
à comp. 12), et Gédéon avait été obligé de poursuivre leurs chefs.
Il semble donc que ce soit au temps de Josué que la prophétie

concernant Joseph a reçu sa réalisation, et que les tribus primitive-


ment au Negeb, chassées ensuite par les pillards, ont réussi à prendre
pied en Éphraïm et à Sichem (2). Le souvenir d'une habitation pre-
mière dans les déserts du Sud ne s'effaça point chez elles. Débora —
et l'on sait quelles analogies présentent les prophéties de Jacob et
de Débora — dit encore ouvertement quËphraï?n a ses racines en
Wmalek (Jud. v, IV). Par delà le royaume de Juda (3) on ne se dé-

sintéressera point du Negeb : Élie fera une station à Bershéba en se

(1) Gezer l'est aussi, longtemps aux mai«s des étrangers.


laquelle resta si

(2) Il tempe de Josué, vers la même époque sans


est intéressant de constater (ju'au
doute, une fraction des tribus de Joseph, soit la demi-tribu de Manassé, occupe un coin de
la Transjordane. Avait-elle atteint cette région, alors qu'Éphraïin et ses frères s'implan-
taient à Sichem? N'est-elle pas plutôt un rameau plus ancien de Joseph, qui s'était séparé
antérieurement de la souche commune, et avait été transplanté de la rive droite à la rive

gauche du Jourdain? On se rappelle que Manassé était le fils aîné de Joseph, que néan-
moins .ïacob à sa mort modifia l'ordre naturel et croisa ses mains pour qu'Ephraïm fut à
(Jroite et Manassé à gauche (Gen. xl^th, 13). A la suite de cet éloignement, Manassé. par
son père, Joseph, l'aîné des fils de Rachel, vient à occuper dans la Terre promise un
territoire voisin de Ruben, l'aîné des fils de Léa. Éphraïm et Manassé sont à Jacob-
Israrl comme Ruben Siméon (Gen. xlvui, 5).
et

s (3) Dans le royaume de Juda même, le nom d'Éphratha porté par Belhli-hem (Gen. \xxv,
1<»; Mich. indique une relation étroite entre cette ville et les tribus de Joseph.
V, 1)

Je ne vois pourquoi cette dénomination ne serait pas originale. Je ne vois pas


pas
Bon plus pourquoi, en face de I Sam. x, Jer. xxxi, 15 qui connaissent le tombeau de
:> ;

Rachel dans le Nord, il faudrait considérer commr. secondaires Gen. \xxv, 19; xlix, 7
(Math, n, 17» qui le signalent prés de Bclhléhem ce sont là traditions différentes du
:

royaume d'Israël et du royaume de Juda, lesquelles fondent peut-être ou garantissent de^


;;-2o REVUE biblioie.

rendant ;\ l'IIpiob ;^l Koi:-. \i\. '.))


(1); ù côté des sanctuaires naliouauv
de Béthcl et (îilg-al, Bersliéha est toujours, au temps d'An.os (Am.
V, 5), fréquenté par les pèlerins. C'étaient là des visites pieuses, on
voit que c'étaient aussi des visites patriotiques (i).

Aux AriDccs.
Léon (îiiv.

MOiM.MKNTS lUNKUAIKKS ET lU:id{;iElJX


DE CÂSTELOUIZO

A non
soixante et (quelques milles dans l'est de lile de Uhodes,
loin de l'extrémité méridionale du promontoire compris entre le golf^
d'Adalia à l'est et le golfe de Makry à l'ouest, se trouve une série
d îlots dont le plus important est Castelorizo ou Meis. Le nom de Cas-
telorizo, le plus en vogue chez les Grecs et les Occidentaux, est rela-
tivement récent. Il dérive du fameux « Château Rouge », Castello
Rugr/io ou Castello Rosso, bâti à l'entrée du port par les chevaliers de
Rhodes au début du xiv'' siècle. En 1G37, on disait encore et l'on écri-

dijoits opposés (? Sichein et Bethléhein ])eut-êlre \illes royales, mais voir aussi Hébron
II Sam. XV, 7). La dénomination Betliléliem-Epliralha et la tradition judéenne du tombeau
de Racliel seraient faciles à comprendre, si cette ville avait été fondée ou plutôt occu-
pée par Joseph, lils de Rachel, lorsque, chassé du Negeb par les pillards, il remontait vers
le nord.
Élie, chassé par Jézabel, après une marche d'un jour dans le désert au sud de Ber-
(1)

shéba, se sent en proie à une dépression inouïe et appelle la mort, k Jahvé, prends mon
âme. car je ne suis pas meilleur que mes pères! « (\ Reg. xix, 4). Pensail-il à ses pères,
les Éphraïmites, pourchassés eux aussi de ces mêmes régions, et dont plusieurs, ayant,
succombé dans la lutte, étaient tombés sur ce même terrain? L'apparition du Mal'ak
Jahvé qui le console dans son épuisement, qui le restaure dans son besoin, est un paral-
èle de l'apparition en ces parages du Mal'ak à Hagar défaillante.

(2) D'après Josèphe {A.J., VI, vu, 3). Saùl aurait trouvé les Sichémites au milieu même des
Madianites, dans le pay.* entre Péluse et la mer Rouge, et il les aurait épargnés, alors

qu'il consacrait par le glaive les habitants du pays ici, le tevte bil)lique parle des
:

Kéintes habitant en 'AmaleU (I Sam. xv, 5). k supposer garanti le texte de A..J.. car il
faut compter avec ia possibilité d'une tradition défectueuse (crO'-'JJi-tTwv pour xyivitwv, sur
quoi repiose l'assertion ou l'assimilation de l'historien juif? Mystère. Elle est à retenir, en
tout cas, si, dans ces mêmes régions, au milieu d'Ismaélites (Madianites), ont séjourné
primitivement les fils de Joseph, possesseurs définitifs de Sichem.
MÉLANGES. 321

vait « Castelorozo » que cela apparaît d'une ins-


(y.acTTEXopotjc), ainsi
cription en grec moderne datée de cette époque.
Quant à l'appellation de Mets, usitée davantage chez les Turcs et
passée à la province du continent située en face de l'ile, province
(|ui constitua jadis le royaume de Lycie, ce ne peut être qu'une cor-

ruption deMETlCTll, nom ancien de Castelorizo que l'on retrouve


dans plusieurs inscriptions locales dont l'une, au moins, est encore
en place. Cette plus grande ile de ce qu'on pourrait appeler l'Archi-
pel lycien, dépasse à peine, d'un point extrême à l'autre, six kilomè-
tres en longueur et trois kilomètres en largeur.
Quoique habitée dès une haute antiquité, l'ile de Castelorizo ne fut
jamais très peuplée. La petite cité actuelle fut toujours l'unique centre
en dehors duquel il n'exista que la vieille forteresse du Palaeocastron
et quelques installations rurales dispersées un peu partout.
Les monuments les plus anciens de l'île, et peut-être aussi les plus
intéressants, sont les monuments funéraires, dont quelques-uns pa-
raissent revêtir en même temps un Dans les
caractère religieux.
notes qui vont suivre nous passerons simplement en revue un cer-
tain nombre des sépultures de l'île et nous dirons un mot, en ter-
minant, d'un vieux sanctuaire qui parait avoir existé à l'entrée du
port.
Il n'y a point à Castelorizo de nécropole proprement dite, mais sim-
plement des tombes éparses. situées un peu partout. Cependant la
montagne qui domine la ville au sud aurait offert maints emplace-
ments superbes pour y tailier à l'aise de magnitîques façades archi-
tecturales analogues à celles que l'on trouve en territoire lycien. C'est
à se demander si les gens de Mégistè ne faisaient pas inhumer leurs
morts sur le continent. Peut-être faudrait-il chercher leur véri-
table cimetière dans les nécropoles d' Antiphilo.
La seule tombe de Castelorizo qui rappelle de loin les sépultures
de Lycie est la tombe dite « lycienne » située dans la grande falaise
qui surplombe la mer, en dessous des ruines du « Château Rouge ».
Ce petit monument funéraire se compose d'une élégante façade grec-
que sculptée dans le roc (pi. I, 1, p. 53i) et d'une chambre creusée
en retrait à l'intérieur de la montagne.
La chambre sépulcrale (plan et coupes, fig. 1, 2) est de dimensions
restreintes; elle mesure en moyenne l'°,:J2 de large sur l"','i-Ode pro-
fondeur et 1'", 82 de hauteur. Dans la paroi du fond et sur les parois
latérales, on a dégagé de chaque côté, à 1'" du sol environ, une sorte
de table ou de banquette large de 0'",6() à 0"",75 et longue de 2'", 10 à
2™, 50, suivant les parois, rappelant les banquettes qui se trouvent
H9> KEVUK BIBIJOUK.

SOUS les arcosolia dans les tombes romaines. Mais ici il n'y a point

d'arcosolia. Le plafond a été taillé partout sur lo môme plan qu'au


centre de la
U-, salle, sauf dans
les angles où il

est légèrement
plus bas, ce
qui constitue
une faible cour-
bure (voir les
coupes CD et

KV, iig. 2).

Sur le devant
de chaque ban-
quette, à 0'",:i

du sol, est creu-


sée une grande
niche capable
de recevoir un
sarcophage
pour une per-

w sonne de gran-
deur moyenne.
La niche du
fond et celle de
gauche en en-
trant se rencon-
trent et se
fondent dans
l'angle en des-
sous de la J^an-
quette, de sorte
que celle-ci
affecte tout à
A B fait la forme
Fig. 1. — La « tombe lycienne ». Plan et coupe transversale. d'une table, ne
reposant sur
rien dans ce coin, mais simplement engagée sur un côté, dans le
rocher, avec lequel elle fait corps (voir le plan et les coupes). La

tombe ayant été violée depuis fort longtemps, il est difficile de se


rendre compte du mode de sépulture employé. D'après la disposition
MÉLANGES. 32Î

intérieure du monument, on songerait volontiers y l'emploi de sar-


cophages, quoiqu'il n'en reste aucune trace. Ces sarcophages auraient
été déposés dans les niches, sous les banquettes.
Comme danstombes lyciennes, l'entrée devait être fermée par
les

une dalle sculptée, sur le devant de laquelle on voyait représentés


les panneaux, les ferrures et les clous d'une véritable porte. Cette

Fis. '2. — La « lomhe lyr-ieniie ». Coupes longitudinales.

dalle glissait dans une double rainure creusée dans le seuil et au som-
met de la baie où l'on avait ménagé à cet effet une sorte de linteau
coupes AB et EP"). Quand on ouvrait, la dalle venait se coller contre

la paroi, où y a juste la place pour la loger, entre la banquette et


il

la porte. C'est pour cette raison que celle-ci a été placée dans
un angle et non au centre de la paroi; de telle sorte que la fa-
(;ade ne se trouve pas exactement dans l'axe de la tombe. Pour
UEVUK lUBLlOUK.

permettre (riiitroduiic la dalle dans sa ,i;lissière et la nietlre en plaec,


pvHi\ à i'onctioniier, lespace niancjuaiit sur le ((Ué, on a donDë une
[)rofoudeur double à la première moitié de la rainure du linteau et
Ton y engagé l'ortemcnl le sommet de la porte dont la partie
a
inférieure apu être dès lors facilement glissée dans la coulisse du
bas. Un coup dœil sur la coupe AH, où la profondeur des rai-
nures est marquée en pointillé, permettra de se rendre facilement
compte de la manoMi-
vre expliquée.
Tout le travail inté-
rieur a été fait avec
IT^V
un certain soin, mais
"N"
il manque cependant
de fini. Les angles sont
K_
mal équarris et la ré-
gularité est loin détre
parfaite, ([uoiqu'elle
porte principalement
sur des minuties dif-
ficiles sinon impossi-
bles à rendre dans
un plan à petite
échelle.
La façade se com-
pose d'un entablement
reposant sur deux pi-
lastres très en relief
(pi. I, 1, p. 53/|.). Au
La « tombe Ijcieiiue ». Moulures de la porte.
fond, entre deux
les
pilastres, s'ouvre une
porte encadrée d'une
série de moulures avec deux acrotères à chaque extrémité et, au cen-
tre, une
sorte de fleuron dont le dessin correspond aux deux acro-
tères accouplés fig. 3). En avant, il n"y avait point d'atrium propre-
ment mais une petite esplanade dont la plus grande largeur
dit,

un mètre. Viennent ensuite une marche assez haute, puis


n'atteint pas
un léger rebord et deux autres marches inégales.
Les pilastres sont légèrement tlùtés et ont un à deux centimètres de
moins au sommet qu'à la parlie inférieure. Ils reposent sur une base
(fig. 4 a) dont la moulure se poursuit sur toute la partie latérale de

l'atrium. De ce côté le pilastre est marqué par une légère saillie de


MÉLANGES. S2a

0™,025 seulement. Le chapiteau est composé d'un abaque, d'un cavet


et d'un talon reposant sur une baguette au-dessous de laquelle est
une plate-bande (fig. hb). Le sculpteur a négligé un peu les moulures
sur les côtés moins apparents. La photographie (pi. I, 1, p. 534) donne

^
^
r
/

jig. 4. _ i,a « tombe lycienne ». a base, b chapiteau des pilastres.

une idée suffisamment complète de l'entablement sans qu'il soit néces-


saire de le décrire par le menu.
Cette petite tombe est bien humble comparée aux superbes nécro-
poles de Myra, d'Ântiphilo et d'autres localités situées sur la côte pres-
que en face. Elle ne manque pas cependant de caractère ni d'intérêt
archéologique bonne figure au milieu de cette falaise abrupte.
et elle fait

Malgré son de tombe lycienne que lui a valu le voisinage de la


nom
Lycie, elle appartient plus à l'art grec qu'à Fart spécitiquement lycien.
Elle présente néanmoins avec ce dernier certaines affinités de détails,
autant du moins que nos souvenirs sont fidèles, car nous n'avons pas
sous la main les documents qui pourraient nous permettre d'établir
des termes de comparaison.
Les autres monuments funéraires de Castelorizo sont sur un type
tout à fait différent de celui que nous venons de décrire. Le plus
souvent ces tombes consistent en un sarcophage creusé à même le
roc et recouvert d'un énorme cube de pierre, parfois de deux ou
trois blocs juxtaposés s'emboîtant dans un léger rebord ménagé à la

surface du rocber tout autour de Le poids des blocs ser-


la fosse.

vant de couvercle était la seule garantie contre la violation de ces

tombes affleurant le sol et qui ne semblent pas avoir été, autrement

cachées au regard des jjassants. On a dans la pi. II, 2, p. 53.5, la vue


de l'un de ces sarcophages, à moitié dégagé du rocher et qu'il a été
plus facile de photographier à cause de cela. iMais généralement les
sarcophages ne se détachent pas ainsi et sont à peine à Ûeur de
terre.
Ces sépultures se rencontrent d'ordinaire par groupes de deux ou
trois dans le voisinage des installations rurales. On a l'impression que
52(i HEVIIK lUBLKH E.

c'était là le ciinctièic de la pauvre l'amillc insulaire, taudis (]ue le


g-iMs bourgeois de la cilc, enriclii par la navigation et le coinmorcc,
se faisait ensevelir dans qucdcju'une des belles nécropoles de Lycie.
Presque toujours, il \ a deu\ sépultures disposées côte à côte, sans
doute pour le mari
et la femme. Parfois
les deux morts
étaient alignés dans
zr la même fosse, lon-
gue alors de 3 à 4
A- mètres et divisée
en deux par une
dalle dressée en
travers, au milieu,
ainsi qu'on le voit
dans la figure 5.
Ce dernier mo-
es nument est situé au
bord du plateau
qui précède le Pa-
laeocastron, à
gauche du sentier
en montant du port.
11 y a là une fosse,

'"'^m. longue de 4.'°,04, et

large de 0™,60 en
moyenne,' divisée
Fis. o- — Castei,okizo. Tombe
à double compartiment,
avec plate-forme à côté. Plan et coupe. en deux parties iné-
gales par une dalle
épaisse de 0'°,22. Le rocher a été
un peu aplani autour de la fosse
et,au sud, s'étend une plate-forme sur laquelle est creusé un trou
rond de 0°',50 de diamètre sur 0",iO de profondeur. A Test, le de-
vant de la plate-forme est à pic sur une hauteur de 2 mètres
environ et parfaitement dressé; au pied sont taillées deux marches
larges de 0",50 sur une hauteur à peu près égale.
Un monument analogue au précédent, mais plus caractéristique
encore, se trouve tout près de la ville, au sud, sur les premières
pentes de la montagne (fig, 6). Tel qu'on le voyait au moment où je
l'ai visité et où j'en ai fait le plan, il consistait principalement en une
sorte de table spacieuse taillée dans le roc, large de l^'jSS et longue
de 3™, 50, dont l'extrémité à droite n'était pas complètement dégagée.
MELANGES. 527

Sur le dessus à gauche, il y a un premier bassin rectangulaire long


de 0"',40, large de 0"',26 et profond de 0'",13, entouré d'un petit
rebord de O^jOS. A 0"',65 de ce petit bassin, il y en a un second un
peu plus iirand et sans rebord.
En arrière de la table et'achevant de la détacher court une rigole
large de 0"',15 et profonde de 0"',10.
Sur le devant, une^'première marche, large de 0'",35 et haute de
0"',23, règne sur toute la longueur de la table. Vient ensuite une

Fis Castelorizo. Table funéraire avec tombe auprès. Plan et coupes.

seconde marche, large de O'^jiO et haute de 0'",38 existant sur 2 mètres


de long seulement puis une troisième, haute de 0"", 40, mais mal
;

taillée. A droite de la deuxième marche et devant la première, le

rocher est taillé à pic sur une hauteur de 0"',68 et une largeur de
3'", 80. On aperçoit dans l'angle, près de l'escalier, un léger rebord
marquant un commencement de fosse (1). Il y avait donc là des tombes
et nous avons un type de monument funéraire des plus intéressants.
A côté des sépultures se trouvait la table servant aux rites funé-

(1) L'existence de celte fosse a été attestée encore mieux par une petite fouille posté-
rieure exécutée par M. l'architecte Gabriel qui a si heureusement restauré la façade de

l'hôtellerie de France à Rhodes.


1128 REVLE BlIUJQLi:.

raii'cs. aux on déposait les ollVaiulcs lailcs


sacrifices, et sur laijiicUo

aux morts. De temps en temps, à des dates fixes selon toute vraisem-

blance, la lamiile se réunissait près de la tombe et venait y faire un

repas funéraire. La part du défunt était réservée et soigneusement


enlei-mée dane un des petits Ixissins que recouvrait ensuite un gros
bloc. Ici le couvercle n'existe pas, mais nous l'avons retrouvé ailleurs.
Sur le col qui fait suite au som-
met du Mounda au nord-est, il
y a une table analogue à celle
dont nous venons de parlei',
avec un petit bassin à rebord;
à côté se trouve le bloc qui re-
couvrait le bassin et qui est taillé

spécialement pour scnibolter au


dessus.
En suivant le sentier qui
grimpe dans ce dernier col, au
sud-est de la ville, à trois cents

mètres environ après s'être en-


gagé dans le col, laissant à
gauche le petit plateau d'Au-
lona et à droite une grande
falaise, on arrive à un champ
clôturé, à l'intérieur duquel,
sous la falaise, à l'angle, se trou-
vent deux tombes dun genre
nouveau (pi. II, 2 etfig. 7). Elles

sont creusées dans le roc toujours


''^*'
A ''^m^^mmémÊM
'"" B à ^i^^ «"^^^*' p^*^'^'' ^ "^' ^
de l'autre et séparées par une
7. — Castelorizo. Tombes jumelles creusées
.

Fig. r^n a." aï ++


dans le roc et couvertes par des dalles. étroite parOl de 0' ,2 IvlaiS Cette / .

Plan et coupe transversale.


^^.^ ^^^ ^^^^^^ ^^^^^ ouvertes SUr

le devant et, au lieu d'affecter la forme d'un


sarcophage, ressemblent
moitié couvertes par deux
à des sépultures à four. Les deux sont à
blocs, très bien taillés, s' ajustant admirablement
bien (1). Ils
énormes
étaient par des crampons en fer; les trous de scel-
même reliés
au fond.
lement existent encore, avec du plomb et des débris de fer
blocs iden-
Sur le devant des tombes, il devait y avoir deux autres
aura arrachés et débités, car le mo-
tiques aux précédents qu'on

marqué en poiniillé l'emplacement de ces deux blocs.


;i) Dans le plan par lerre ou a
MÉLANGES. S29

uiiment a été exploité comme carrière. Au-dessus de ces grosses


dalles, épaisses de 0°^,50, était placée une seconde assise, peut-être
une pyramide, destinée à rendre la sépulture plus inviolable,
petite
en mêmetemps qu'elle servait d'ornement. Sur la surface des deux
blocs encore en place, on disting-ue parfaitement, à la taille et à la
patine, l'alignement de l'assise venant au-dessus. Elle était en retrait
de 0'^,30 sur les côtés et de 0",55 en arrière et devait mesurer i"',bb
de largeur. Précisément en avant des tombes, git un énorme bloc
bien équarri, long de i'^J:>3, large de l'",08 et épais de 0"',95. Ce
cube de pierre n'aurait-il pas constitué l'assise en question? On est
tenté de le croire.
Ces tombes devaient être fermées par des portes en pierre ou des
dalles venant battre contre la paroi centrale où une rainure avait
été creusée pour les recevoir. Sur les côtés, une entaille profonde
servait à loger la porte lorsque celle-ci était ouverte. Cette disposition
rappelle celle des tombes juives fermées par une pierre roulante
ou une meule ronde. Ici l'entaille sur le côté est irrégulière, plus
large à l'entrée qu'au fond; on a arrondi les angles à l'intérieur
de la fosse pour donner plus de jeu à la dalle. L'entaille de droite
estsurmontée vers le fond d'une sorte de calotte ménagée dans le
roc et qui était destinée à recouvrir ce coin laissé à nu par la grande
dalle placée sur les tombes.
En avant de ces sépultures, le rocber est grossièrement taillé; il
a dû l'être postérieurement aux deux tombes, car l'on a coupé par
le milieu une troisième tombe, du reste inachevée. Il est possible qu'il

y ait encore d'autres sépultures qui auront disparu.


eu là
A une cinquantaine de mètres plus loin, dans le même champ,
au sud-est, de nombreuses grosses pierres taillées marquent sans
doute l'emplacement de quelques tombes construites. Tout cela a
été fouillé et bouleversé depuis longtemps.
En prenant l'embranchement du sentier à droite et en continuant
pendant une dizaine de minutes, on arrive au monastère de Saint-
(ieorges, où se trouve la petite grotte de saint Karalambos servant de
crypte à la chapelle du monastère. A deux cents mètres au sud de
ces constructions, dans un champ entouré de murs, près de l'entrée,
on peut voir un beau spécimen de vieille citerne aménagée dans une
faille de roc et recouverte de gros blocs mis en travers au-dessus. Les
parois de la citerne sont enduites d'une faible couche de crépissage.
Tout à côté se trouve un pressoir avec une petite citerne et un bassin
creusés dans le roc.
Des fouilles pratiquées dans le champ voisin, il y a quelques
BEVUE BIBLIQUE 1917. — N. S., T. XIV. 34
530 REVllF RlRI.lOllE.

annrcs, par des savants venus d' A thon es, dit-on, auraient mis an jour,

daprès la tradition locale, une tond)C de roi lycien renfermant une


couronne d'or aetuellemeul déposée au musée d'Athènes. Nous i,i^no-
rons le nom des savants «pii ont prali(iué ces fouilles ainsi i\\w, les

véritables résultats de leurs travaux. Mais, .raprès ce que nous avons


vu sur place, il a existé
certainement à cet endroit
un monumeni funéraire
quelconque. Nous avons
noté un sarcophage en
pierre, intact, avec son cou-
vercle, d'assez petites di-
mensions, 0"',53 de long
sur 0",30 de large à l'inté-
Fig. 8. — Casteloiuzo. Coïkpe rieur. Il est assez grossière-
d'un sarcophage.
ment taillé. Au sommet des
parois, épaisses de 0'",08,

existe tout autour un petit rebord dans lequel s'emboîtait le cou-


vercle (fig. 8). A côté gisent les débris d'un second sarcophage ana-
logue au premier, mais qui parait avoir été un peu plus grand.
Quelques mètres plus loin, à moitié ensevelis sous un amas de
terre bouleversée, se trouvent plusieurs gros bloc taillés, dont deux
avec des moulures qui feraient croire à des bases de petits pilas-
tres engagés. Ces blocs seraient à déblayer; peut-
être permettraient-ils la restitution d'un petit édi-
A
cule funéraire.
Sur le plateau exigu qui précède le Palaeocas-
troQ, à l'est, et non du château, au
loin des ruines
bord du nombreuses
sentier, se trouvent d'assez
tombes, plus modestes encore que celles que nous
venons de passer en revue et qui constituaient
peut-être le cimetière de la garnison. Dans leur en-
semble, ces tombes sont des espèces d'auges for-
mées par une assise de pierres devant une paroi de
rocher et recouvertes de dalles. Toutes ont été fouil-
lées et bouleversées de longue date ou récemment.
Celle dont le plan est donné (fig. 9) avait été cons-
truite avec un certain soin. Le rocher contre lequel
telle estappuyée est bien régularisé et les pierres qui forment la
bordure de devant ont été dressées et soigneusement alignées à l'in-
térieur. Cette tombe était à moitiébâtie et à moitié taillée dans le roc.
MÉLANGES. o3l

Pour servir d'appui aux dalles contre la paroi du roc, on avait dressé
une rangée de petites pierres épaisses de O"',^!) à 0"',22; deux sont
encore en place.
A deux mètres en contre-bas de la tombe précédente, il y en a
une seconde dans le môme genre, en avant
de laquelle le rocher a été aplani. Ces deux
exemples prouvent que le corps n'était pas en-
terré puisque le rocher affleure partout, mais
posé à même le roc dans cette sorte de sar-
cophage à moitié construit. Peut-être remplis-
sait-on avec de la terre les interstices entre le
corps et la paroi ; cependant cela n'est pas sûr,
car le peu de terre qui se trouve actuellement
dans ces tombes a pu y être entraîné par les
pluies.Une de ces sépultures a été fouillée assez
récemment; il y a quelques ossements épars à
l'intérieur.
La plupart des sépultures voisines sont en-
core plus simples que ces dernières. Souvent
on les avait accolées au rocher sans s'être
donné la peine de le dresser, se contentant
de b.Uir tout contre avec de petites pierres
pour régulariser la paroi (fig. 10). La fosse est KW^^êXTl^^i- ^'Y)
généralement aménagée pour une seule per- o i s

sonne; cependant y a des cas où, d'après les


il -«-r.

dimensions,
,
.
il semble bien qu'il y ait eu deux
,

sépultures juxtaposées, séparées par une simple


,
.de Fis- lo. —
castelokizo. Type
tombes communes.
pian et coupe transversale

dalle (fig. 10).

Au même endroit, un autre type de sépulture dont nous n'avons


constaté que cet exemple, consiste en une fosse bâtie avec de petites
pierres et un mortier abondant, en avant d'une paroi de rocher.
Ellemesure 2'", 25 de long sur une largeur moyenne de 0"\55; l'é-
paisseur du mur du côté opposé au rocher est de 0'",80. Ce type
semblerait plus récent.
Ces tombes ainsi appuyées contre le roc rappellent un mode de
sépulture analogue rencontré dans la péninsule sinuïtique et dont il a
été déjà question dans la Revue. Il est encore en usage parmi certai-
nes tribus du Négeb palestinien, en particulier du côté d"Aïn Qedeis,
la Cadès biblique.
A l'intérieur même
de l'enceinte du Palaeocastron, tout près d'un
superbe reste de construction ancienne, se trouve une tombe uni-
^32 REVUE RinilOUE.

que, elle aussi, en son genre à Gastelorizo (plan et coupe, fig. 11).
hans une paroi de rocher à pic, haute de H^ à •i"',50, on a prati(]ué

un (Mifoncement semhhihle à une pelik> abside et sous cette al)side


on a creusé, un peu en retrait, une lossc de r",53 de long sur 0"',8.r
de large et 0'",()0 de haut. Le corps du d«''l'unt
devait être déposé et muré dans cette cuve.
Au fond, vers le centre, il y a un trou rond
pratiqué vraisemblablement par les cher-
cheurs de trésors pour s'assurer qu'il n'y
avait pas en dessous une sépulture inviolée.
M. Michelier dans ses recherches et ses tra-
vaux de fouilles à travers l'île a eu la bonne

fortune de mettre la main sur deux sépul-


tures qui n'avaient pas été violées. C'est que
ces sépultures, à l'cncontre de celles qui ont
été décrites jusqu'ici, étaient cachées sous
terre. Elles sont situées sur la pente orientale

L ^ '^^^Mounda, à mi-hauteur. La vue de deux


gros blocs taillés, appuyés à la surface du sol
contre la paroi d'un rocher émergeant de
0™,60 environ, provoqua une petite fouille à
cet endroit. A un mètre sous terre, on dé-
couvrit dans une faille une tombe formée
castelokizo. Type
p^r des nierrcs plates
^ ^
placées de champ
^
et
de sépulture isolée. "^ "^
,.
Plan et coupe. rccouvcrtes de deux énormes dalles. A l'in-

térieur gisait un squelette d'homme de gran-


deur plus que moyenne, les ossements bien en place; mais aucun
objet. Développant un peu la fouille au chevet de cette tombe, on ne
tarda pas à en découvrir une seconde analogue à la précédente, un
peu plus petite cependant, dans laquelle on trouva, au milieu d'osse-
ments épars, un miroir en bronze, deux gros clous de bronze et cinq
ou six clous en fer. Ce fut, avec quelques fragments de poterie, tout
le butin archéologique que fournirent ces recherches. Les sépultures,

il est vrai, étaient des plus modestes.


Des fouilles ultérieures ont-elles quelque chance d'être plus fruc-
tueuses? On peut raisonnablement Néanmoins il ne faut pas
l'espérer.
oublier que l'île a été exploitée depuis longtemps par les chercheurs
d'antiquités et que les monuments découverts jusqu'ici sont, dans
leur ensemble, fort modestes. Malgré cela on jugera que ces monu-
ments ne sont pas dépourvus d'intérêt et le hasard des fouilles peut
en révéler d'autres plus intéressants encore.
MÉLANGES. ?)3:]

Près de l'entrée du port de Castelorizo, à gauche en venant de la


haute mer, et à une vingtaine de mètres environ du quai, se dresse
au bord de l'eau, un peu en avant de la falaise, un rocher portant
deux inscriptions grecques accompagnées de différents symboles re-
ligieux (pi. I, 2, p. 534). Le texte principal comprend huit lignes en
fort mauvais état : il a été l'objet d'une longue étude faite sur place

T (^O O L
hm A
I
.
\

MH A E 1 C
»^Hc hmhaeahaa' 'i' H
E I
^ E 1-1 H E C G O /' '0 -^ ^ '

.
TO Yz^ A'no^ Oc
K A|eEO'^ X0ON!O|^
l-'ig. 12. — CASTELonr/,0. lnscri|)tioii grecque sur le rocher à l'entrée du port.

par deux savants autrichiens, MM. Rudolph Heberdey et Ernst Kalinka,


qui l'ont publié dans leur recueil d'inscriptions grecques de Lycie
paru à Vienne en 1896. Le second texte figure dans le Corpus in-
scriplionum graecarwn, mais d'après une copie tout à fait défec-
tueuse. Nous en avons pris un estampage et fait une seconde copie
(fig. 12). A un ou deux mots près, la lecture suivante parait devoir
être considérée désormais comme certaine :

TIMniNlOC I

TOAE MNHMA
MHAEIi: AAI
KHCH MHAE AnAAI^H
EIAEMH ECOn AMAPT...
TOY AAIMONOC
KAI 0EOII X0ONIOI2

L. 1.La restitution du N s'impose. Après le C, il y a certainement


un trait gravé, mais il nous a été impossible de distinguer à la suite
aucun autre caractère.
l'LANCHl- I.

1. — Ca8tf.i.oui7,(). I''a-

(.ailo delà " u>inl)o ly


".
ciciinc
Plancue II.

1. — Castelorizo. Sarcophage creusé dans le roc.

2. — Castelorizo. Tombes jumelles creusées dans le roc el couvertes de grosses dalles.


;;:^6 RKVUE lîmi.I(1l'E.

L. "). La liii est ou fort mauvais «Hat; on pcul ariivor cojxMHlanl à

retrouver presque en entier le mot AMAPTnAOC. A au début est


assez nellemeut maniué; le galbe du M se trouve un peu déformé
parla forme circulaire de la seconde haste dans le troisième signe, ;

on reconnaît clairement la moitié d'un A dont l'autre moitié a été


détruite; la partie inférieure du P est aussi très visible; quant aux
dernières lettres, on les devine plus qu'on ne les voit.
L. 6. Le graveur avait probablement oublié le |,
qui parait avoir été
ajouté après coup.
L. 7. Le dernier mot X0ONIOII, qui ne ligurait pas sur la première
copie, ne fait aucun doute. A noter la forme spéciale des sigma dans
cette dernière ligne.
A droite de l'inscription (pi. 1,2, 1, p. 53V), dans un cadre en
creux, se trouvent deux petits personnages debout, très grossièrement
sculptés. Au-dessus et un peu à gauche, il y a un second relief repré-
sentant également un personnage debout, mais encore moins bien
dessiné que le précédent. A côté et juste au-dessus du texte, est
creusée une niche, vide aujourd'hui, mais dans laquelle était placé
autrefois un objet; on voit dans le bas de la niche la petite encoche
qui servait à en question. Vraisemblablement cet ex-voto
fixer l'objet

faisait partie du monument de Timon. Malgré la menace des dieux

infernaux, on l'aura brisé, ou volé, s'il avait réussi à échapper à la


destruction des siècles. •

Dans la partie y a encore trois autres niches,


supérieure du rocher, il

analogues à la précédente et dont la plus élevée a été à moitié


emportée par une cassure.
Cet ensemble de niches votives et de reliefs, avec les inscriptions
qui les accompagnent, constitue comme une sorte de petit sanc-
tuaire où les navigateurs venaient déposer leurs vœux et apporter
leurs actions de grâces, au départ et au retour des lointains et dan-
gereux périples. Nous ignorons à quelle divinité allaient principale-
ment ces prières et aussi la date précise de ces monuments, certai-
nement antérieurs à notre ère de plusieurs siècles.

M. R. Savignac.
MÉLANGES. 537

IV

SAUCOPIIÂGE AiNTIQlJE UE CASTELLOKIZO UEPHÉSEiNTANT


ARTÉMIS ET ENDYMION

L'inventaire, public dans le dernier fascicule de la Revue hihiiqiie


par M. le lieutenant de vaisseau Miclielier, des inscriptions de l'île de
m'engage à faire connaître aux lecteurs de la Revue
Castellorizo (1)
un curieux sarcophage antique provenant également de Castellorizo,
acquis en 1912 par le Musée du Louvre (2).

Il n'est pas inutile, avant tout, d'indiquer les raisons qui permet-
tent d'ajouter foi à l'origine attribuée au sarcophage.
L'ile de Castellorizo, ancienne Mégisté(3i, n'a jamais été beaucoup

visitéepar les archéologues et l'on ne citerait guère que Ross qui,


dans son livre Kleinasien und Deutschland remontant à 1850, lui
accorde quelques pages (4). MM. Renndorf et ISieniann, dans leurs
Rcisen in Lyideii und Karien, n'en parlent qu'à propos de la côte voi-

sine, de laquelle on la voit, et pour noter que des localités comme


Kalamaki, Antiphilo, Dembre et toute la région sont peuplées d'origi-
naires de Tîle qui y laissent femmes et enfants (5). Seul jusqu'à ces

(1) Inscriptions grecques de l'Ile de Castellorizo


[ancienne Mégisté), Revue biblique,
janvier et avril 1917, p. 286-297. Voy. aussi iVo^es aux inscriptions grecques publiées
par M. Mickelier par le P. Savignac, Ibid..'\>. 298-299.
(2) Inventaire MND. Musée du Louvre, Départe-
936; Héron de Villefosse et Michon,
ment des antiquités grecques romaines, Acquisitions de l'année 1912 (extrait du
et

Bulletin de la société nationale des Antiquaires de France, 1912), p. 5, n° 10. Le sar-


cophaî^e a déjà été, de ma part, l'objet d'une description, mais succincte cl accompagnée
d'une seule image, dans Les Musées de France, 1912, n° 5, p. 77-78 {Deux nouveaux
sarcophages antiques au Musée du Louvre, p. 77-78 et fig. 18-19).
(3) Strabon, xiv, p. 666; Pline, Ilist. nal., v, 15; Ptolémée, v, 3;
Tite-Live, xxxvii, 20,

24, 4.1 Stépliane de Bvzance, s. v. Le nom ancien, remarque entre autres Waddington
;

[Inscriptions grecques et romaines recueillies en Grèce et en Asie Mineure, t. III,


Asie Mineure, part. V, Lycie, vn, Megiste, n° 1268, p. 311), s'est perpétué dans le nom
turc, qui, alors que les Grecs disent Castelrosso ou Castellorizo, est Meïs.
(4) Kleinasien und Deutschland, Reisebriefe und Aufsntze mit Bezugnahme a%if

die Moglichkeit deutscher Niederlassungen in Kleinasien, p. 5-8 et 23-24. Il faut


mentionner pourtant Fr. Heaufort, Karamnnia or a brief description of Ihe soxithwest
coast of Asia Minor and of Ihe remains of antiquily (1817), p. 7-12.
(5) lieisen in Lyliien und Karien [lieisen in sUdwestlichen Kleinasien, t. 1), p. 26-27,

35, 127, 130. Il on est de même dans E. Pelersen et F. von Luschan, Reisen in Lykien,
5:îs RliVUl": lUUI.IUl'Iv

tout (loniiers mois, un des insulaires ([ui oui mieux inéi'ilé de


le

leur petite patrie, M. A. S. Diamaii taras, dans une lecture faite en


décembre 1893, lui a consacré une étude (1). Il on (ait la description
gô()gra})hi(iue ('i), surtout retrace son histoire, — sa prise par Mou-
rad II en septembre l't'jO et sa reprise la même année par les Che-
valiers de Khodes qui en relèvent la citadelle, l'occupation de
celle-ci d'abord par les Grecs, puis par une garnison turque, l'arrivée
des Vénitiens commandés par le Kranyais Grémonville (3), qui l'ont
sauter le fort à raulomne do lO.")!», eniin le retour des Turcs après le
départ de la flotte vénitienne ol la construction d'une nouvelle for-
teresse, — jusqu'aux lutt<'s aux
du temps de riudépendauce {h) et

questions de politique actuelle. Mais sa notice, soucieuse surtout, on


le voit, des temps modernes, —
sur l'histoire ancienne de Tile et sa
dépendance de l'empire rhodien, que confirment les poids et mesures
et les monnaies, sans parler de quelcpes inscriptions, nous n'avons
guère que le témoignage du Pseudo - Scylax (5), ne signale —
en fait d'antiquités, en dehors de douze colonnes de marbre lycien
de l'église de Saint-Constantin venant de Patara (6) et outre quatre
des inscriptions republiées par M. Michelier (7), que quelques an-

Milyas und Kibyratis [Ibid., \. II), p. m


cl 63. Les Discoveries in Lycia de Fdlows

(p. 188-190) ont sur eux l'avantage de donner (p. 188) un croquis de la ville de Castello-

rizo. Voy. aussi Leake, Journal of a tour in Asia Minor, p.


173-174 et 183-18'i, cl,
O. Dap-
avec quelques détails sur la géographie et l'iiistoire, mais uniquement moderne,
exacte des isles de l'Archipel (Amsterdam, 1703), p. 165-167.
per, Description
(1) 'Ayùlhji 1. AiaiiavTcxpaç,
'H v^aoç MÊyiairi, Iuvotitixt?) Ttcptypaori àvayvw-
çGeïffa èv t^
'
A8e)>:pÔT-/iTi twv KaaxeAAop tî;iwv xatà A8xé[j,6ptov !8!»3, Ka(iT£>,).o-

pt^tj), T-jiïOAiÔoyp. 1. K. Aa.-^o-j8iv.ri, 'A),£|avôpc£a, in-8", 32 jiages.

(2) ne sera pas inutile, à ce point de vue, de signaler l'excellente carte de lîle qui
Il

« Mer Méditerra-
vient dêlre donnée par le service hydrograplnque de la Marine (1917) :

née. Côte Sud d'Asie Mineure. Ile de Caslellori/o.


Plan levé en 1916 par M. Michelier,
enseigne de vaisseau. La ville et la rade de Caslellorizo sont
empruntées au levé exécuté
en 1916 par M. Bain de la Coquerie, lieutenant de vaisseau.
»

Jacques Brétel de Grémonville, chevalier de Malle, connu surtout par la mis-


(3)
sion, dont il fut chargé en 1667, de négocier à Vienne
un projet de partage des états de
Charles II d'Espagne.
allusion par M. Diamantaras, dont les parents prirent part à ces luttes, à
(4) 11 est lait

la publication par de celle période dans le AsÀirtov Trjç 'KJTopixyjç xal âôvo-
lui d'inscriptions

/.oytxTi; 'Era'.pia; in- 'EX/àoo;,


inscriptions qui feraient ainsi suite aux inscriptions grec-

ques modernes (xvir et xyiii" siècles) dont M. Michelier dit {Revue Inblique, 1917, p.
237)

que M. Diamantaras avait en août 1916 dressé une liste complète.


n" 1268;
(5) Périple, XCIX. Voy. Le Bas-Waddington, Inscr. gr. et latines,, t. III,
M. Holleaux, Bull, de côrresp. hellénique, 1893, p. 52 et surtout H. van Gelder, Geschichte
der alten Rhodier, p. 189-190.
(6) Sur ces colonnes et sur d'autres, apportées de Myra, et sur l'ensemble de celte église,

Ross, Klèinasien und Deutschland, p. 23-24.


(7) N<" 1, 2, 3 et 14. ^
MÉLAiNGES. 539

cicns tombeaux et des restes de murs cyclopéens, qui ont en effet

frappé nos marins quand ils ont pris possession de l'île (1).
La mise au jour du sarcophage devrait donc être postérieure
et n'est-il pas en ell'ct présumable que l'on n'a pas attendu près d'une
vingtaine d'années pour faire argent du sarcophage? De même
rien d'étonnant à ce que l'on ne rencontre pas d'allusion à une trou-
vaille d'antiquité passée dans le commerce.

Il ne serait d'ailleurs pas impossible qu'il y eût quelque relation à

établir entre la découverte et la mention suivante « Il y a quelques :

années, deux savants venus de Grèce pour explorer l'ile de Castelo-

rizo, mirent à jour sur le plateau, non loin du monastère de St-


Georges, une sépulture d'un type particulier. Les gens du pays ra-

content aux voyageurs que c'était là une sépulture de roi lycien dans
laquelle on trouva une couronne d'or actuellement déposée au Musée
d'Athènes. Nous ne sommes pas à même de contrôler la part de vérité
qu'il peut y avoir dans ce récit. A l'endroit où les fouilles ont été
exécutées, il y a encore un petit sarcophage intact et tout à côté gi-
sent les débris d'un second. Quelques gros blocs presque entièrement
ensevelis sous les décombres présentent certains caractères architec-
turaux et ont dû appartenir au monument funéraire érigé en ce
lieu. Nous ignorons si les chercheurs se sont occupés de ce monu-
ment. ))

L'indication est empruntée à une monographie de 1' u Ile de


Castelorizo » qui, quoique datée de « Castelorizo, janvier et juin
1016 », parait seulement maintenant au Caire, avec le millésime de
1917, sous les initiales J.-S., qui ne sont pas inconnues des habitués
de la Revue, et qui ne m'est parvenue qu'alors que cet article était
déjà rédigé (2).

Les auteurs, pour toute la seconde partie (3), déclarent se bor-


ner à passer en revue les principales phases historiques de l'île
d'après les documents recueillis par M. Diamantaras et mis aima-
blement à leur disposition. Leur chapitre ii, de toute manière, —
avec, d'une part, des observations sur l'origine du nom de Castel-

(1) 'H vrjdo; ^Lt^'\<st.ti, p. 6. Les restes de murs cyclopéens sont aussi menlionnés par
Fellows {Discov'eries in Lycia, p. 190) comme constituant les seules ruines subsistantes
à Castellorizo.
de Castelorizo (Le Caire, Imprimerie nationale, l!»17, grand in-S", 54 pages
(2) J.-S., L'ile
et 9 liguresformant planches), p. 22-23. [Les lecteurs de la Revue trouveront plus haut
certains passages de cette monographie, développés et enrichis de renseignements nou-
veaux dans l'article du P. Savignac, Monuments funéraires et religieux de Castelorizo.
Voy. en particulier, à propos des recherches mentionnées plus haut, p. 529-530.]
(3; Chapitre ii, Aperçu historique.
:-,4o
i\r.vn: imumoui:.

rosso (1), des détails relatifs à la domination des Clicvalicrs de Ulio-


des (2), la bulle pontilicale du (i (^ctohi-eVôO par huiuellc le pape Ni-
1

colas V fait donation de File au roi de Naplcs Alphonse d'Aragon (3);


d'autre part, de très intéressants documents sur l'état de Castellorizo
sous l'empire des Turcs (V), tels que le rapport de 189S (1(> l'ambassa-
deur d'Ani;leterre Sir Nicolas 0' Connor à son gouvernement accom-
pagné d'un second rapport transmis par les insulaires eux-mêmes
aux Puissances (5), un interview d'un délégué des mêmes insulaii-es
paru dans le journal Le Temps du 13 octobre 1913, la décision des
Puissances qui, à la suite du traité de Londres, proclama au début de
19U que les iles du Dodécanèse occupées par la Grèce resteraient en son
pouvoir, mais à l'exception d'Irabros, Ténédos et Castellorizo restituées
à la Turquie (G), —
est, non seulement le développement, mais, aussi

bien pour la période antérieure à la conquête ottomane que pour les


époques récentes, un très précieux complément de la brochure de
M. Diamantaras déjà signalée. Le premier chapitre (7), pour
lequel

des remerciements sont exprimés à M. Michelier et à M. le D^" Hé-


le mérite,
derer, médecin-major du corps d'occupation, a de plus
outre des pages consacrées aux habitants et à ce qui est appelé le
« règne pathologique que nous laisserons de côté, de donner une
»

description précise du pays et de ses monuments, monuments mé- —


diévaux ou modernes, maisons, églises, château, et monuments anti-

ques, ruines et citernes de Paléokastro, sépultures, tombeau à façade


sculptée dans la paroi du roc désigné sous le nom de tombe

renvoient entre autres 24-25) à Dapper, Description des isles de l'Arcliipel,


(1) Ils (|>.

Sonni), Voyage en Grèce et en Turquie (Paris, an IX,


p. 165 et C. S. Soiinini (dénaturé eti

1801), t. I, p. 131.
P. 26-29. Il y est fait usaj^e, non seulement d'ouvrages généraux comme V Histoire
(2)

des Chevaliers hospitaliers de St-Jean de Jérusalem de Verlot,


mais de récils médiévaux

et d'études récentes {Le saint voyage de Jherusalem du seigneur d'Anglure publié par
Bonnardol et Longnon, Société des anciens textes français, 1878; Un pèlerinage en
Chartes,
Terre-Sainte et au Sinai au AT" siècle, par Moran ville, Bibl. de l'École des
t. LXVI, 1905; C. Torr, Rhodes in modem times; Annnal of thc british School at
Athens, t. XVII, 1911, p. 166).
30, n. d'après Pauli, Codice diplomatico del sacro nnlttare
(3) Voir le texte, p.
1,

ordine Gerosolimitano, t. II, p. 121, n" Cil.

(4/ Le récit du siège du Castelrosso


et de sa prise par les Vénitiens et Grémonville
Brusoni, Historia deV
en 1659, par exemple, y est donné in extenso (p. 35-37) d'après G.
ultima'guerra ira' Veneziani e Turc hi {Yenise, 1673), 2» partie, p. 67-69. Voy. aussi,
pour le xviir et le xix- siècles, des extraits de Savary, Lettres sur la Grèce (p.
38-41)

et de la Correspondance d'Orient de Michaud et Poujoulat (p.


41-42).

(5) P. 42-51.
(6) P. 51-54.
(7) P. 1-23, Description de l'île.
MÉLANGES. 541

lyciciine (1), — ainsi que le texte ou la traduction des inscriptions

n-'M, 2, 3, 5, 12, 14 et 23 de M. Michelier (2).

me semble, enfin, pour revenir au sarcophage du Louvre, que le


Il

fait même de l'indication de Castellorizo, fournie par le marchand (3),

peut être regardé comme une garantie une provenance aussi peu :

naturellement désignée, aussi peu achalandée en quelque sorte,

n'aurait pas été faussement inventée.

Le sarcophage de Castellorizo diffère au premier coup d'oeil de la


série des sarcophages originaires de Rome et d'Italie, qui sont la
très grande majorité de la collection du Louvre, par son aspect
géométrique. par un rectangle de marbre aux arêtes
Il est constitué
toutes nues, sauf à la base où une moulure forme socle dans la :

cuve intérieure, une légère surélévation, avec cavité en épousant la


forme, marquait la place de la tête. Les reliefs, de plus, se déve-
loppent sur un fond rigoureusemenf plat, où les vides abondent,
sans rien qui les encadre, et au-dessus d'une ligne de terre nette-
ment tracée. Toute commune qu'elle soit, la légende dont s'inspire
la face principale, ne se présente pas non plus sous un type tout à
fait habituel.

Il s'agit de la fable d'Artémis et Endymion (fig. 1), qui, par le sym-


bole d'un être aimé insensible à la passion qu'il inspire et dont le

sommeil est comme une image de la mort, s'offrait d'elle-même aux


sculpteurs de sarcophages (4). Les recueils de modèles, dont l'exis-
tence apparaît comme certaine quand on sait à quel point se répètent
des sarcophages de provenances très diverses, l'avaient donc volontiers
accueillie et les fabricants n'avaient qu'à y puiser, si Ton peut dire.

(1) Le lecteur trouvera une étude plus complète encore de ces monuments funéraires et
de la tombe dite lycienne dans l'article du P. Savignac inséré plus haut.
(2) Il reste préférable, sur ce dernier point, de se reporter aux traductions accompa-
gnant le relevé de M. Miclielier et l'on doit de même se délier, à propos de quelques
débris de mur base en gros blocs d'une tour à Paléokastro, de
en bel appareil près de la

1opinion (p. 20) que « cet ensemble doit appartenir aux anciens propylées ornés des sta-
tues d'Artémis et d'Apollon dont fait mention une inscription grecque découverte en
ce lieu et transportée au Musée d'Athènes ».
(.3) Il pu y ajouter, pour répondre à nos questions, que le complément fort vague
n'avait
« région de Smyrne ». que j'ai eu le tort de reproduire tel quel dans la note sommaire

déjà consacrée par moi à ce sarcophage dans les Musées de France.


(4) ("icéron, TuscuL, 1, 38, '.)2 « Endijmion vero, si fabulas audire volumus, ul
:

nescio qiiando in Latmo obdormivit, nondum, opinor, est experrechis. A'uto igitiir
enm curare censés, cum Luna lahorel? A qua consopiius pufatur, ut eum dormien-
leni oscularelur. Quid curel aulcni, qui ne i>e?itit quidem Y Ilabes somnum iinaginem
morlis ».
-.42 HEM E nilM,IQl'E.

nii poiu'ir A (((picr. Ils

y IronvMiont inrmc: un
ccrlaiii choix, car M. C
U()l)crl, (|iii dans ses Ajt-
tihc Sarkop/iag-Jie/irfs a

réuni ciiKjuanto - ([iiati'c

exemplaires représen-
tant Arténiis et Kndy-
mion (1), y établit plu-
sieurs classes. Une
j
~ première division résulte
I du sens donné à l'en-
5. semble de la scène, selon
i qu'il vade gauche à droite

ou de droite à gauche (2).


5 La première classe com-
prend un certain nombre
I de sarcophages où ce
sens est de droite •
à
gauche et où seule se

voit l'arrivée d'Artémis


auprès d'Endymion.

(1) Die antil-en SaHopIiag-


lirliefs, t. m, Einzelmjlhen, l, T.,

Endyinion, p. 53-112, et pi. XII-


XXV. Le Louvre, outre un devant
de sarcophage el un fragment,
conserve le beau sarcopiiage en-
tier trouvé à Saint-Médard
d'Eyran près Bordeaux : Ihid.,

n" 65, 6G et 72 el pi. XVII-XVIII ;

Catalogue sommaire des mar-


bres antiques, n'" 302, 607 et
1335; Froliner, Notice de la
sculpture antique du Louvre,
n°' 426-428; Clarac, Musée de
sculpture, t. II, pi. 170,70 et
71,165, 72 et 166,73 (S. Reinacli,
Répertoire de la statuaire grec-
que et romaine, I, p. 63, n"' 1

et 3, 60, n-' 1 et 61, n° 2).

(2) Je suis M. Robert dans


l'emploi des mots « gauche » et
« droite ».
MELANGES. 543

Inversement, dans la deuxième classe, la scène se déroule de gauche


à droite et la classe se subdivise ellc-mènic en trois groupes, suivant
que les sarcophages ne comportent toujours que le même épisode
ou que s'y ajoute, à gauche ou à droite de l'arrivée, le départ de la
déesse. Une troisième classe, en outre, qui se rattache au premier
groupe de la seconde, peut être constituée, parmi les nombreux
sarcophages de ce sens, d'après le caractère de certains personnages
secondaires (1).
Le sarcophage du Louvre se rapproche de la première classe.
Sur les sarcophages de cette classe, toutefois, d'ordinaire Endi/mion
s'abandonne dans les bras mêmes du Sommeil personnifié. Ici, il
repose simplement, comme dans ceux des autres classes, sur un
rocher. On le reconnaît, — la chlamyde sur les épaules nouée autour
du cou, mais rejetée en arrière sauf un bout de pan sous
la main
gauche, qui ramenée en travers sur la cuisse et maintient plutôt
est
qu'elle ne tient un épieu, —
à demi étendu, les pieds touchant le sol,
la tête de profd à gauche détournée de sa céleste visiteuse. Un chien,
ramassé sur lui-même, devant le rocher, imite son maître et dort.
Vient d'arriver le char qui amène Artémis
les deux chevaux, dont :

les avant-corps empiètent l'un sur l'autre pour être tous deux vi-
sibles, ont encore une jambe de devant levée, mais une fîgui;e ailée
en tunique courte retroussée et serrée par une ceinture, Aura, dépo-
sitaire de l'arc et des flèches qu'on aperçoit dans sa main gauche,
le corps d'aplomb sur les jambes écartées qui s'arc-boutcnt, les arrête
en les regardant et en saisissant l'un d'eux aux naseaux. Artémis,

lescheveux ramenés en arrière et disposés en chignon sur la nuque


et surmontés d'un croissant, vêtue d'une longue robe avec partie
supérieure retombante à la taille, les deux avant-bras relevés symé-
triquement pour tenir une draperie que le souffle gonfle et qui fait
voile derrière sa tète, descend, le pied droit à peine posé. Ses yeux
sont curieusement fixés sur Endijmion, qu'encadrent deux Amours,
placés d'ordinaire autrement sur les sarcophages de la première
classe, jeunes garçons ailés de proportions inégales. Serviteurs com-
plaisants, l'un à droite, du côté du char d'Artémis, encore en plein
vol etpresque horizontal en l'air, porte une torche, l'autre à gauche,
de plus grande taille et prêt à toucher terre, tire par un bout le
manteau qui découvre le favori de la déesse. La scène est complète
avec ces seuls éléments, limitée de part et d'autre, à chaque extrémité
de la face, par un arbre, du tronc duquel se détache, pour revenir

(1) Die antiken Sarkophag- Reliefs, t. III, p. 54-â9.


544 REVUE lUBl.lOUE.

au-tlcssus(les has-rolicfs, une grosse branche. Mais, de plus, à gauche,


— la particularité, ((ui se rencontre tic mrnic sur un Iragmcnt aussi

au Louvre (1), mérite d'tMre mitée, parce qu'elle appartient plutôt


aux sarcophages des deuxième et troisième classes et (pu; dans la

première ou ne trouve guère comme figures accessoires aux deux


bouts que des bergers, on — voit, devant l'arbre, assis sur une

11
xT
#i^

'^'"^^

Fig. 2. — Sarcophage antique de Castellorizo. Côté gauche. Lion et sanglier.


(Musée du Louvre).

hauteur, de trois quarts à gauche avec la tète en sens inverse, un


petit personnage nu, sommairement traité, personnification du Mont
Latmos où l'aventure était localisée.
Deux sujets moins importants, deux de ces combats d'animaux
qui n'ont guère qu'une valeur décorative, occupent les faces laté-
rales. Sur l'une (fig. 2) un lion, à l'épaisse crinière, la tète presque
de face, étreint de ses gritîes un sanglier qui fonce en vain en
avant et qu'il déchire à belles dents. Sur l'autre (fig. 3) un ours,
la patte gauche de devant bizarrement implantée dans le flanc de
sa victime, dévore un cheval terrassé, qui, les membres du coté
gauche repliés sabot contre sabot, cherche par un effort de tout
son avant-corps à se redresser.

(1) Catalogue sommaire des marbres antiques, n° 66; Frohner, Notice de la sculpture
antique, n" 428; Clarac, Musée de sculpttire, t. II, pi. 170,71 (S. Reinach, Répertoire,
I, p. 63, u° 3); Die antilien Sarkophag-Retiefs, n° 66, |). 82-83 et pi. XVII.
.MKMNGES. 345

Kig. 3. — Sarcopliaje antique de Castellorizo. Côté gauche. Ours et cheval.


V
Musée du Louvre.

La sculpture du revers (fîg. 4), enfin, toute décorative, comprend


deux bucrânes, disposés en angles, et deux autres, uniformément
parés de rubans, reliés par trois retombées de guirlandes au-dessus
de la courbe desquelles s'inscrivent trois patères. Il n'est pas néces-
saire d'insister sur la fréquence dans Tart romain des bucrânes
accompagnés de guirlandes, qui se montrent parfois sur des sarco-
phages, par exemple sur le sarcophage du Musée de Berlin dit sar-
cophage Gaffarelli (1), mais le travail n'en a rien ici du nerveux et
de la grâce de la période augustéenne.
Les reliefs, d'ailleurs, d'une façon générale, et c'est la remarque
par laquelle il convient de terminer et peut-être la plus importante,
non pas seulement l'ornementation du revers, mais les groupes
des bas-côtés et plus encore les représentations de la face, qu'on —
y examine par exemple les chevaux, massifs animaux bien différents

des coursiers classiques, — se signalent par un faire lourd, trapu,


ramassé, une manière à la fois sèche et ronde, qui, si au point de
vue purement esthétique ils n'en font qu'une œuvre de style mé-
diocre, donnent un caractère particulier et distinctif au sarcophage
de Castellorizo.

(1) Konigliche Museen zu Berlin, Besclireilning der antilien S/culpluren, a° 84:} a.


REVUE nlBLlQUE 1917. — N. S., T. XIV. 35
t)40 RKVLIE Bini.IOUK.

La description du sar-
cophage de CastcUorizo
niollre roccasiou nalii-
relle dr' l'cvenir sur les

inscriptions récemment
pul)liécs par M. Michelier.
\ La division en trois clas-
ses laite par lui se justifie
I

t parfaitement en ce qui
I
J3 concerne la troisième
? dont les inscrip-
classe,
quoique ayant été
tion^,
momentanément au moins
conservées à Castellorizo
— où deux seulement sub-
sistent (1), où deux autres
ont disparu employées
dans des constructions (2)
3

(1) Inscription funéraire (lOlym-


pos, n° 26, au nom de Moles, à

joindre entre autres à toute une


nombreuse série d'inscriptions
funéraires d'Olympos publiées par
M. V. Bérarddans le Bulletin dr.
ce correspondance hellénique de
1892, p. 213-233, et épilaphe in-
complète de Sidymé, n" 30, avec
clause pénale d'une somme à payer

W ^
11
.>*,
en cas d'usage abusif de la sépul-
ture, dont il sera parlé plus loin.

- {'!) Inscription impériale muti-


"S.
o lée, n" 31, « rapportée du conti-
nent )), dit M. Michelier, et de
même M. Diamanlaras, " èx ty,ç

à-îvavTi ),-jx'. «•/•?) ; à"/.Tf,ç » {Bull,


de corr. hellén., 1894, p. 333,

n° 32), Iva]î(7apa 6£o[vi leêaJdTwv


•jI[6v] . . . a(7(TricrT . . . aïo-ja-J . . -

V ô 5^iJi[o;J —, venant de Sidymé


peut-être comme le n» 30, si à la
fin de la ligne 4 on devait cor-
rigeriï en 11 et rétablir i:i[Sj-

[jLéw]v ô ôf,[jLo;, — et ex-voto aux


Nymphes de Patara, n" 32, con-
sacré par la prèlresse Mausolis
fille de Chairippos {(bid., 1894,

p. 330, n" 22), de laquelle on


MÉLANGES. 547

et d'où les cinq dernières ont été en 1914 enlevées et transportées à


Athènes (1), — n'ont pas réellement cette provenance, ayant été
apportées du continent. Il est seulement permis de se demander si la
place de ces inscriptions était bien dans un relevé des inscriptions de
nie de Castellorizo, étant donné, dune part, que quatre au moins (2),
dont trois ont été déjà publié^es, ont pour origine bien établie Pa-
tara (3) et que, d'autre part, sur ce terrain, l'auteur risquait presque
fatalement de n'être pas complet, quelques autres inscriptions encore
ayant été signalées comme se trouvant à Castellorizo (k).
Il me paraît, au contraire, en ce qui concerne les inscriptions des

deux autres classes, qui seules méritent la dénomination d'inscrip-


tions de Castellorizo, inscriptions dont d'ailleurs bon nombre, plus
de la moitié, ont aussi été puldiées, qu'assez inutile est la sépara-
tion faite suivant qu'elles existent encore d^ns l'île ou qu'elles sont
conservées ailleurs ou ont disparu.
L'inscription n" 16, inscription latine médiévale dont M. Miche-
lier tout le premier a indiqué dans son préambule le caractère très
distinct et qu'il n'a insérée que pour mémoire, étant d'abord écar-

peut rapprocher une autre femme, elle aussi pnHresse des Nymphes, upa-eOsaGav .\jij.^Gliv,
mentionnée dans une épitaphe de provenance voisine, d'Antiphellos [Ibid., 1894, p. 323,
n" ly.

(1) N°^ 25, 27, 28, 29 et 33.


(2) Épitaphes de Kerdon, n" 28 Bull, de corr. hellén., 1894, p. 331-332, n" 23) et de"
Chrysio [Ibid., p. 331, n" 24), — sans doute une certaine Aurélia Chrysio Nemeso de Pa-
tara connue par ailleurs (Benndorf et Niemann, Reisen in Lykien, p. 68-70, n" 43, 45, 46),
— ex-voto de Mausolis déjà mentionné et épitaphe de Monimé. n° 33, ZwTtuo; tw îôîw
-£/.VW MovilJlT, (AVTjjXTi; é'VcXÎV.

(3) Il n'y a donc d'inédit, dans cette classe, avec le n" 33, dont nous venons de donner la
transcription, <|ui se fait sans aucune difficulté, et qui est d'ailleurs sans importance, et les
n " 26 et 30, dont il a aussi déjà été question et qui subsistent a Castellorizo, que les
n°* 25, règlement funéraire, de beaucoup l'inscription la plus importante du lot, et 27,
dédicace d'Archépolis aux Nymphes, desquels M. Michelier n'a pu donner qu'une transcrip-
tion en caractères cursifs insuffisante, surtout pour le n° 25, mais qui ayant été transpor-
tés à Athènes, de même que le n" 33, y seront vraiserablablemenf, s'ils ne l'ont été déjà,
l'objet d'une meilleure publication et d'une copie épigraphique qui permettra d'en établir
définitivement le texte.
Voy. Diamantaras, Bull, de corr. hellén., 1894, p. 333, n"" 33,
(4) fragment de —
reliefavec caractères dilficilement lisibles apporté de la côte voisine, à comparer avec
un autre fragment donné comme se trouvant à Antiphellos et portant plus nettement une
dédicace omoz/.x 0:oT;. fragments qui font partie d'une série de monuments dont MM. Pe-
tersen e( von Luschan, qui en signalent six exemplaires, ont publié un spécimen i;omplet
[Reisen in Lykien, Milyas und Kibijratis, p. 157, fig. 73), ex-voto de basse époque avec
douze personnages stylisés semblaides et un treizième au centre surmontant un adorant
et la légende ôojôï/.a 6ïoï; xa.-' ÈirtTayôv, —
et 34, venant de Cnide, avec le nom d Elei-
thya, selon les uns même divinité qu'invoqueraient sous le nom d"E>.ev6ï'pa plusieurs
inscriptions lycieones [Bull, de corr. hellén., 1886, p. 252, n° 5; 1892, p. 306; 1893,
p. 640), mais selon d'autres (II. van Oelder, Ad corpus inscriplionum Rhodiaruin, .Mue-
Îi4s HKVUK IUI5MQUK.

tJo y a lieu de laisser égalcnieiit de côté les fi'a,i;ments Ir-op


(1\ il

incomplets ii'^^ 7 (-2), 8 (.<), 9 (4) et 10 (5), i)nrmi;ilos textes déjà pu-
blics, et parmi les inédits les n^Ml (G), 13(7), 15 (8), —après y avoir
signalé présence de la clause pénale relative à l'abus de sépulture,
la

t<) (9) et 20, —


(Foù je ne vois guère à tirer que le nom des Uios-
curcs, dont la présence est certaine dans le n" "20 à l'avant- dernière
ligue de la première colonne, et 22, se -terminant après les noms —
propres par \c mot r,po-fova.zv qui mar(jue, on le sait, le caractère

familial de la sépulture.

Les inscriptions réunies, une fois cette élimination opérée, com-


prennent alors en premier lieu sept inscriptions funéraires, dont
quatre antérieurement publiées, les n"^ k (10), 6 (11), 17 (12j et

mosyne. t. XXIV, 1896, p. 188-18'J, n° 6) simple nofn de femme, 'EXstôûa;, à mettre en


pMidant du nom dhomme 'EXeiôOti; [Inscriplione.s graecae, XII, 1, n» 93:5). H l'aut ajouter
quoles 'i:7rtypaial ex Aj/.îaç de M. Diamantaras [Bull, de corr. hellén., 1894, p. 321-
333) contiennent en outre un fragment métallique portant un texte
diiïicilement compréhen-

sible (p. 332, n° 33), que celui-ci range parmi les « èîtiypa;pal èx MîyiffTrii:
r, eI; MeytffTViv

à).),w6:v (ACTaxopuTOeî'Tai », sans signaler qu'il ne soit pas réellement


originaire de Castel-

lorizo et dont pourtant M. Mi«helier n'a pas l'ait état.

(1) 11 n'est pas exact, comme le conjecturait le P. Savignac [Revue biblique, 1917,

p. 299). que M. Diamantaras l'ait publiée dans le Bulletin de correspondance hellénique.

(2) Bull, de corr. hellén., 189i, p. 332, n° 27.


(3) Ibid., n" 28.
'
(4) Ibid,. n" 29.

(r.) Ibid., 0° 30. La copie de M. Michelier ajoute à la fin de la 2" ligne le N final de

èçéSpxv et KAI, è^Éopav xal . - . à7ioxaT£crTyiiT£v èx tû[v lôîwv]. ..

(6) Il est évident riu'un Y a été sauté à la première ligne dans la copie et que, à la

seconde, il y a, non pas un 1 (les autres sigmas ont d'ailleurs la forme carrée C), mais

un Z, [r.lixwv ôpETiTofù]; xd [ejpejtxàî xaî xà ![?] à-jTwv, comme dans le n'' 13.

(7) ['H](jLÛ)v OpETTToù; xal [ÔpleTt-ràç xai Ta ii. aOtôiv.

semble bien que les iotas soient adscrits et que la transcription par suite doive
(8) Il

être xai tri G-jyaxpi 1^ èyyôvto p-ov . . . [iJ,]ri8£vi èàv oï.


aussi une lettre a dû être omise
(9) Ici
[Aio(j]xôpo[t]i; eùyiiv. :

Diamantaras, Bull, de corr. hellén., 1892, p. 305; H. van Gelder, Geschichte der
(10)
n" 32 c.
alten Rhodien, B, Inscbriften aus den rhodischen Insein, Megiste, p. 446,
La publication :i laquelle fait allusion M. Michelier est celle du Bericht iiber zwei
(11)
Reiseii in sudwestlichen Kleinasien ausgefiihrt im Aufirage
der Imiserlichen Aka-
demie der Wissenschaften [Widmung seiner Durchlaucht des regierenden Fiirsten
Johann von und zu Liechtenstein) de MM. R. Heberdey et E. Kalinka dans
les

Den/ischriften der hais. Akad. der Wissenschaften, philosophisch historische Classe,


t. 45, 1897, que les auteurs de Vile
de Castelorizo (p. 18) dénaturent en « Recueil des
insor'iplions grecques de Lycie publié à Vienne par Rudolf Eberdey et
Ernst Kalinka en

1896 L'inscription, objet d'une première tentative de copie par Benndorf en 1892, avait
)..

été relevée au cours du premier voyage exécuté du 11


septembre au 10 novembre 1894.
Il en avait été fait antérieurement une copie par M. Diamantaras [B%dl. de corr. hellén.,
1894, i>'.
331-332, n" 26), copie très incomplète et qui par endroit s'éloigne sensiblement de
la lecture de MM. Heberdey et Kalinka.
(12) James Kennedy Bailie, Fuse, inscriptionum
graecarum, III (Londres, 1849), p. 58;
MÉLANGES. oi9

18 (1), et de môme les n°" 21 (2) et 24. (3), simples épitaphes que je
me borne à transcrire, n'ont pas à nous arrêter.
Il de quelque commentaire que sur le n" 5, qui, quoi-
n'est besoin
que plusieurs fois reproduit, ne semble pas l'avoir jamais été correc-
tement. Le premier éditeur, Bailie (4), l'a copié sous la forme sui-
vante que répète le Vorpna :

T
TOYTOTOMNHMA
0E . . . . A
CAMENA
Al ... ET CTEH .

TOYAAIMONOC
KAI0EOIC
Il entendait, aux lignes 5-7, Aiôr, Msyiîî'^'wv "ou oa{[;.2v:; -/.al

OeoCç, (( conjicienSj dit le Corpus, sacerdotem sepulcrum Mercurio et


diis dedicasse ».Franz y substitua A-.îb:; M]£v[i]aTé(oi ;/.aJ 'AvaOjoj oacy.svcç
et, à la suggestion de Keil, [Aiî] vrA ()-oiq. « Immo, poursuit-il,
sacerdos est A-.b? MiY'.sTEw;, ut est 'Azîaaojv Mey-'Ittcuç, et ni faU
lor, àvaGoj oai;j.svoç, cujus cultus celeber Rhodi fuit metropoli m
Mcgistensium, ut docet mentio 'A y a o 5 a z^n.y.z~ wv « (5) Le texte com- i \). .

muniqué un peu plus tard par que les va-


Borrell à Le Bas n'offrait
riantes 1. 1, TIMO 0E; 1. 5, AI...
: EF. :SEQ (6). Waddington, se

fondant sur ce que cette copie et celle de Le Bas donnaient l'une et

Corp. iiiscr. (jraec, t. 111, Addenda, p. 1135 : « IIo>,e\aa, nisi est E\nzolé[>.(x. séria Lysi-
inachi )>; Le Bas-\Saddington, Inscr. gr. et lat., t. IH, n" 1270, avec renvoi à Bailie au
sujet de c.z<jr.6a-jwo:; et la reinaniue : « les passages qu'il cite et notamment Appien {Bell,

civ., IV, 4i) montrent qu'on disait osaTiô-r.; du maître de la maison, du cbef de la famille,
et &£(j7io(7-jv&; du jeune maître, du fils de famille »; H. van Gelder Die rhodiscken
Inschriflen (H. CoUitz et F. Bechtel, Sammlung der griechischen Dialekt-Inscfiriften,
UT, 1, Die Inschriften der dorischen Gebiete ausser Lakonien, Thera, Melos, Kreta,
Sicilien, viii, Rhodisches Reich, Die Insein, fi, Megiste, n» i334; Id., Geschichte der
alten Rhodier, n° 32 d.
(1) Diamantaras, Bull, de corr. hellén., 1894, p. 331, n" 25; H. van Gelder, Geschichte
(1er alten Rhodier, p. 446,, n" 32 b.
;2) iwT'ioct xat M'/j.T.. L'on tfouvera les mêmes noms de Sotadas Corp. inscr. graec,
t. Addenda, p. 1097, n» 2482 m, et III, n" 5408, et de Lalla Ibid., t. I!I, n" 4253 et
II,

Addenda, p. 1 129, n" 4300 f, ainsi (jue dans une inscription de Sidymé (Bcnnc'orf et Niemann,
Reisen in Ly/den und Karien, p. 78, n° 55) et dans une inscription de ïelmessos [Bidl-
de corr. hell., 1889, p. 178, n" 32).
(3l 'Eira:ppoocÎTo; za[i] 'AvTto-/o; TO/t, tt) àôep.sïi] {AVYiaï",; "/iv.v.

'4; Bailie, Fasc. inscr. graecarum, 111, p. 58.

Corp. inscr. graec, t. III, Addenda, n" 'i301 d, p. 1135-1136.


;5)

semble que ce soit aussi celte même inscription, avec ou ^ans le n" 6, que Ross
(6) Il

[Kleinasien und Deutschland , p. 24) essaya de copier en bar(|ue, snns y parvenir à cause
•i",o hkvi;e niiM.iQri:.

l'autre TOl'AAlMONOi:, lut 'W'^izUcu tcOt: t'c ivrr,ij.x 'V'.iJ.zhix •ipaax[).i^y

A'.:; Mi-:i--iu); /.ai t:j Aat;A:vcç Ail •/.«• Oscîç, loul cn notant (|ue la res-

titution était assez incertaine (1), et c'est cette transcription, avec la

seule (lilïërence d'une lacune indi(|uée entre v.-j.': et -riii îatV^vcç, qne
\\m trouve aussi dans les Griecliisclic Dialc/a-lnsc/wiffcn de Gollit/.

et liechtcl {'2\

11 \ a, on le voit, une grande ditlerencc avec le texte proposé par

M. Miclielier {:\) et que. je dois rappeler :

T\MCimou'3m
TOAEMNHMA
MHAEIIAAI
KHCHIVIHAEArAAIS'H
ElAEMHECenAMAPTOAOC
TOYAAIiVîONOC
KAIOEOlIXOONiOll

Le I*. Savie:nac observant que la 5' lettre de la ligne 1 est proha-


blement un N (4), nous aurions, pour les deux premières lignes,
Tiij.tovcç rice [jyf,[>.x. Il ne serait plus question ensuite d'une Timothéa,

prétresse, ni de Zeus Mégisteus. malgré la présence ailleurs de ce


surnom local de Mégisteus. L'épitaphe se continuerait par une dé-
fense, comme dans l'inscription de Sidymé n° 30, mais d'un caractère

dilterent, Ti[j.(,}vz: -zli \)^rr,\].y. [j.rfiziz alixT^ar, (5) \j.rfiï à[9]a[v]{[crjyi (6).

Viendrait ensuite la clause pénale proprement Le P. Savignac, dite.

il est vrai, faisait beaucoup de réserves sur la lecture « 1. 5. Le :

dernier mot est fort douteux; la première lettre de ce mot semble bien
un A, peut-être un A; la 2' ressemblerait tout autant à un Q qu'à un
M; la 3*^ doit être encore un A, le jambage de droite et le commence-
ment de la barre centrale sont assez caractéristiques; le k'' signe

(lu ttol, et au sujet de laquelle il signale une tentative


précédente de Danicll, le compa-
gnon de Sprati (T. A. B. Spratt et Fr. E. Forbes, Travcls in Lykia. Milyas and tlic
Cibyralvi, I, p. 78).
(1) Inscr. grecques et latines, t. ITI, n' 1269.

T. III, 1, H. van Gelder. Die rhodischcn Inschriften, n" 433;!; Id., Geschichte der
(2)
alten Rhodier, n" 322.
(3) Rev. biblique, 1917, p. 289.
(4) Ibid.. p. 298.
4224 épilapiie
(5)Voy. par exemple Corp. niscr. graec.. t. III, Addenda, p. 1120. n. f,

de Leveesy en Lycie âv -ziq, àà:v.r,a-fi xb jAvyiaa toùto.


:

moins paléogra-
(6) 'AsavîcTT,, que me suggère
M. HoUeaux, est le terme s'éloignant le

phiquement de la copie de M. Michclier AfAAiyH, que les auteurs de Ylle de Caste-

lorizo remplacent (p. 18) par AflAAIS'H. [Le P. Savignac, dans l'étude insérée plus,

haut, écrit de même AnAAI^H.]


MÉLANGES- 551

serait pris pour ua P dont la partie supérieure manquerait; tout le


reste est encore plus problématique (ava9-r];j-x pourrait en somme se
lire aussi bien que a;7.ap-sXoç) », (1) et de même la nouvelle mono-

i^raphie de Vl/e de Castelorizo ne donne que EIAE MH EZOflA...

A... (2), mais dans l'ensemble il paraît bien malgré tout que M. Mi-
chelier ait vu à peu près juste et que l'inscription continuât st oè \}.r^

£j(':ja) à;j.ap-({o)X6ç . . . 'zoXi Zxi\>.z^izç,'/Si 0£2fç y/isvr'cç (3).

Il serait hors de propos de s'étendre à cette place, aussi bien que


sur la question des réserves de propriété édictées par les construc-
teurs de tombeaux en faveur d'eux-mêmes, de leurs femmes, de leurs
enfants, de leurs alliés ou des membres de leur famille entendue
plus ou moins largement et de la défense par suite, sauf autorisation,
d'ouvrir la sépulture ou d'y introduire tout autre mort étranger, que
sur celle des sanctions ou menaces destinées à assurer l'observation
de ces défenses toute une série d'études ont été consacrées au
:

sujet (4).
Il suffira de rappeler que dans les inscriptions visées, propres à
certaines régions de l'Asie Mineure et qui ne se rencontrent guère
ailleurs que sporadiquement, deux genres de clauses peuvent être
distinguées, dont, —
alors même que les auteurs ne seraient pas d'ac-
cord sur la position respective du droit grec et du droit romain, —
je ne vois pas qu'il ait été donné un exposé de principes plus clair
et plus net que dans le passage suivant des Penalties: in lycian epi-
taphs de M.W. Arkwright, que je traduis « La série des épitaphes :

en question s'étend du début de la période hellénistique aux bas


temps romains. Durant cette période, l'objet poursuivi par le cons-
tructeur de la tombe, aussi bien que ses droits et ses pouvoirs,
demeure d'une manière générale invariable. Les abus contre lesquels

(1) Rev. biblique, 1917, p. 298.


(2) J.-S., L'ile de Castelorizo, p. 18.

(3) [La dernière lecture du P. Savignac (voy. plus haut, p. 533, semble d'ailleurs s'y
rallier puisqu'il transcrit cette fois EIAE MH ECGn AMAPT. L'état de la pierre
est tel que son estampage, qui m'est communiqué en dernière heure, au moins à un examen
rapide, n'apporte pas grand éclaircissement.]
(4) Vidal-LablacLe, Commentatio de funebrihus in Asia Minore (1872); G. Hirsch-
litulis
leld, Veber die griech. Geldslrafen anordnen, Kfinigsberger
Grabschriften loelche
Studien, I, 1887, p. 83-144; O. Treuber, Bntrarje zur Geschichtc der Lylàer, II, Wesen
der Griiberbussen Lykiens, ihrer Verhiiltniss zu den ùbrigen in griechischer Sprache und
zu den nimisclien (Tiibingen Progr. 1888); J. Merkol, IJeber die sogenannt. Sepulkrul-
Multen [Abhandlungen der Gritting. JuristenfakulUit fier R. v. Ihering, 1892); B. Keil,
Veber Kleihasialiscke Grabinschriften. Hermès, t. XLIII, 1908, p. 522-577; H. Steraicr,
I)ie griechischen Grabinschriften Kleinusiens, 190'J W. Arkwright, Penalties in hjcinn
;

epitaphs of hellenistic and roman times. Journal of hellenic studies, i. XXI, 1911,
p. 269-275. Voy. aussi B. Haussoullier, Journal des savants, 1917. p. 387-388.
.J.C lUCVl K lillU.lOlIK.

il t lici'cho à protcgei' sa propriété sont définis dans dos rormulcs


qni tliangcnt à peine de la promiérc à hi dci'nièrc. Les remèdes, au
contraire, auxquels il a recours sont de deux sortes entièrement
diflerent<^s. dérivant d'ordres d'idées eux-mêmes entièrement dil-
féreuts. l/une et l'autre, au surplus, j)araissent passer par plus
d'un stade d'évolution durant la période. Dans le pi-emier cas,
l'usurpation de la tombe est ret;ardée comme un péché. Le remède
est un appel à la vengeance des dieux offensés. Aux temps et dans
les régions où l'influence religieuse était puissante, une réparation
matérielle était sans doute obligée. Postérieurement, sous l'empire
romain, l'état intervient par un statut pénal contre le sacrilège et la
violation de la tombe. Le péché s'est transformé en crime. Dans le
second cas, l'usurpation est, non un péché ni un crime, mais un
tort. Il constitue une injure à la propriété privée et le remède est une

action civile eu dommages-intérêts, action qui, semble-t-il, d'abord


devait être engagée par le constructeur ou ses héritiers, puis plus
tard par ceux-ci ou à leur défaut par quiconque voudrait s'en char-
ger, enfin par une corporation désignée par le constructeur » (1).
Voyons-en l'application, en reprenant avec le n° 5 l'inscription de
Sidymé n° 30, dans les deux textes jiubliés par M. Michelier.
Violer une sépulture est une impiété et expose par suite à la peine
due La malédiction peut être générale et vague, me-
à toute faute.
naçant coupable des pires infortunes pour lui et ses descendants,
le
mais d'autre part souvent appel sera fait nommément k la divinité.
L'idée est restée vivace même chez les chrétiens et l'on trouve, notam-
ment dans les très nombreuses inscriptions de Phrygie, des mentions
comme 'é'j':y.i y.j-M r.poq tov ÇwvTa ©sbv v.3.1 vjv /.at îv -•?] y,piai\J.M -^[j-spa,

£7Tat ajTw T.pbq tsv 'I(r^c7ûlJv) X(pf,(7Tiv) (2). Il y est donné coursa l'époque
païenne en vouant le coupable à la colère d'un dieu, Déméter, Hécate,
Hélios, Héphaistos, Latone, Men, ou des dieux régionaux, Ihoiov/S:
Oscipar exemple en Pisidie, ou des dieux en général et en particulier
des dieux infernaux (3). 'A;j.apTo)Aiç est précisément alors une des
épithètes employées. Le nom de la divinité qui suit est le plus sou-
vent au datif et l'on pourrait par suite, en admettant ici une variante,
attendre un substantif au datif dont toj caf'ij.ovc; serait le complément.

(I) Journ. of hellen. studies, 1911, p. 272-273.


.^2) W. Rainsay, Ciliés and hishoprics of Phrygia, t. II, p. 515.
Les références seraient trop nombreuses pour qu'il y ait à les énumôrer. Il me sera
(3)
permis de renvoyer à une note sur des Stèles funéraires phrygiennes (extr. des Mémoires
de la socirtc nationale des Antiquaires de France, t. LXVI, 1907), p. 6, oii j'en ai indi-
qué incidemment quelques exemples.
MKLANGES. ^>o3

Il faut noter toutefois que, outre l'emploi de la préposition v.q., [à;j,ap-


T(o]Xbç l[aT(o v.q tï;v A-^to) v.t. 7:]âv-a,- -où; asittoùç ôsi'jç (1), les
exemples
ne manquent pas non plus du génitif, à Myra par exemple ây.ap-wAbç
£cr-(a)) Oewv (2), à Monastiri â;j.ap-wAb; scttco Oswv -xvtwv (3), et, dans l'épi-

taphe de Télésias à Pinara que Ton considère comme la première


en date des inscriptions de ce type, à;j,ap-:o)Vo; é'ato) Ôsôiv T:âvTwv -/.ai
Ayjtoj; xat twv t£7.vo)v (4). Il ne serait donc peut-être pas impossible, s'il
estprouvé que rien ne manque à la pierre, de rattacher tsj oa-ixovoç,
malgré son caractère insolite, à ày.apxojXi; (5) et d'admettre que par
une inconséquence, après ce génitif, le rédacteur de l'inscription eiit
continué au datif -/.al Oesi; -/Osvisi;, dont l'emploi dans à;j.apTa)Abç £jt(o
'Oie, y.aTX70ovbcç Os:-; était de règle.
L'inscription de Sidymé n°30, au contraire, —
dont la transcription
se peut faire à peu près ainsi \J:^^zï èv-:a?^
: [èv tsjtw -w [;.v*r,ix£t]<i>? ^^ o-
;j/ô b[T.z-]tiGX-^,i (6). 0â[6]a; (7) -/.a't ayv7w[p]-/i7a; (8) rw !::iou[ixé]o)[v]

$-ritx(o (sr.vâpia) A '!>


(9), [o îs] lAÉv^aç Aa6s[T0) T]b Tp-lTSV (10), — a recours,
sinon à une amende, à une somme à payer. Il s'agit en réalité de
dommages-intérêts. Ce dont on était passible, écrit M. Arkwright,
'<

n'était pas, comme on pourrait le supposer, une amende imposée


par en pmiition d'une faute criminelle. Il est bien vrai que
l'état
l'ensevelissement illégal était, au moins sous la domination romaine,
un crime prévu par la loi et punissable par une amende; mais cette

(1) Corp. inscr. graec, t. III, n" 4303' a et Addenda, p. 113;». Voy. aussi Ibid., n" 4303
et Addenda, p. 1138, et n" 4308.
(2) Ibid., t. III, n° 4303'^ b.

(3) Petersen et von Luschan, Reisen, in Lyhien, Milijas und Kibyraiis, p. 36, n" 58.

(4) Corp. inscr. (jraec, t. III, n" 4259.


Il est question dans une inscription de Smyrne {Revue
archéologique, 1875, t. XXX,
(5)

p. 51, n" IV) des oai'iiovE; -/.e/o^.wiiïvoi a-jTfo y.ai -ii'iti a-jTOÛ.

(6) La forme la plus ordinaire est la forme active, è-xteisî:, àKoxscffEt, mais il ne
manque pas d'exemples de l'emploi du moyen, àTC0T£t<7âTM, irpocrairoTîtirâTco, par exemple
Corp. imcr. graec, t. II, n- 2771, 2830 et Addend., p. 1115, 2834, 2839, 2843, 2850 b et e II
gr. et lat.,
et Addend., p. 1117-1118, et t. III, n" 4259 et 4300; Le Bas-Waddington, Inscr.
t. III, n° 1631; Bull, de corr. hellén., 1881, p. 344; Journ. of hellen. studies, t. XV,
1895, p. 104.
Journ. of hellenic studies, 1S95. p. 104, à-oTtuâiw ô irapà xà 7rfOY=Yp»!A|J.£vx
(7)
ôpa/aà; Tpiiy.iAta;; Petersen et von Luschan, Reise.il in Lylàen, Mihjas und
6[à.{^]a;...

Kibyratis, p. 56-57, n" 108, ô?Et),yi<7ît ô Tcapà xa^xa Ooé'^ia;... opaxixà; -/ù:a;.
(8) Il y a de même amende frappant le (TJY/wpri^a;,
entre autres Corp. inscr. graec,
t. 2829 et 2837 et Addenda, p. 1117, et t. III, n"' 4244, 4245, 4246.
II, n"'

(9)' 1.500 deniers est peut-èlre la plus fréquemment édictée, au moins en


La somme de
Lycie. Sur les différents chiffres et le montant énorme de <iueli|ues-uns, voy. Hirschfeld,
Ueber die griech. Grabschriftcn welche Geldstrafcn anordnen, p. 119-120 et 13G-144.
(10) Inscription funéraire d'Aurelios Pigres d'Olympos, Corp. itiscr.
grâce, t. III,
n" 4305 : ô 6è èXÉvCac àix^oTÉpMv tô tp-Tov XaêÉTw.
:,54 REVl lî BinMQUE.

aiueiulo est expresse lueiil distiai;uéo duc à la -iXi; et d(3 la soininc

au zf,[j.c:. La pénalité on question, en fait, ne représente nullement une


amende, mais des dommages à recouvrer par une action civile » (1).
11 est tout naturel par suite ([ue le montant, 1.500 deniers, mais —
réchelle varie entre !250 et 10.000 et même -20.000 deniers, en —
soit lixé par le constructeur de la tombe, laquelle est comme une
autre maison du vivant, dont il peut avant sa mort disposer et qu'il
laisse à ses descendants en propriété héréditaire. Aux héritiers tout
naturellement devait donc être dévolu d'abord le droit de poursuite

et à eux aussi devaient revenir les dommages obtenus, mais l'expé-


rience montra que par négligence, timidité, voire môme corruption,
ils pouvaient négliger leur devoir : d'où dans un premier stade trans-
fertde l'action à quiconque voudra l'exercer. Les particuliers, ce-
pendant, quels qu'ils fussent, pouvaient comme les héritiers eux-
mêmes être intimidables en face d'un coupable puissant, un corps
:

public moins de prise à la crainte (2). Le changoment, ajoute


offrait

M. .Xrkwrig-ht, qui y voit un développement ultérieur, a pu être aidé


par une réforme de la procédure, et il cite comme exemples, d'abord
l'épitaphe de Télésias, la plus ancienne de beaucoup et dont un
long intervalle sépare les autres, donnant le droit à quiconque vou-
dra, 7.21 è;£7To) -0) [âo'jAo;j.sv(o h;ovAiLZ'y(ioci zepl tcûtiov (3), puis le sarco-
phage d'Hermoas à Assarjik où, la somme étant toujours stipulée
payable à l'héritier, une somme égale, soit la moitié du total, revient
au démos, x-z-'.zx-m 6 Oâd^a; ~m j-.wvw [j.ou 'Ep[j.sAâo) ^pxyiJ.kç ipi'jyùdy.c...

y.y}. Tw c-fi\j.oy ts hzv •:tAy;6oç (4), et enfin celui de Sérisalus à Siména, on


les 0.000 drachmes sont attribuables au démos, àTuo-iGaTo) k'Kix{\j.io^ -zo)
ov^;j-w ipxy[).aç k^oLYj.ayOdxq (5). Il n'était pas mauvais, d'autre part,

que les dommag-es-intérêts servissent d'appât ou de séduction (6).


T-^ç -pz-y^r;ùdy.q cj7ï;ç 7:avT'. to) (io'jAo[ji,£V(o izi tw r([x{a3i, lit-on dans la

dernière de ces inscriptions. 'O es èAévçaç AaSsToi -rb -ptTcv, dit notre
inscription, et telle devient la règle commune, qui, avec une variante
de rédaction, s'exprime par la clause de style mv ô IXé-f^aq \T,\vhfzy.^

iz 'zpi-cv.
Les deux ordres d'idées ont sans aucun doute eu cours simultané-
ment et les mêmes épitaphes s'adressent aux deux sortes de remèdes.

(1) Journ. of hellen. studies, 1911, p. 269.

(2j Ibid., p. 270, 273.

(3) Corp. inscr. graec. t. III, n" 4259.

(4) Joiirn. of hellcnic studies, 1895, p. 104.

(5) Corp. inscr. rjruec. t. III, n° 4300.


(6) Journ. of hellen. studies, l'.»ll, p. 270 : « the damages claimed serving as an in-
ducement or bribe ».
MÉLANGES. 535

Mais, selon M. Arkwrig-ht, le système où il est fait appel à laction


div^ine est certainement plus on accord avec les manières primitives
de penser et plus caractéristique des races indigènes d'Asie Mineure,
autant que nous en savons quelque chose. « Il parait, écrit-il, pré-
valoir sur l'autre d'autant plus qu'on remonte davantage dans le
temps », et il conclut « Il est possible que le second système soit
:

le résultatde l'imposition par la conquête macédonienne des idées


grecques sur les idées asiatiques, une application des théories légales
grecques touchant la propriété privée et des habitudes processives
grecques- aux conceptions indigènes du droit absolu du mort sur la
tombe » (1).

Il en dernier lieu, dans la liste des inscriptions de Castel-


reste
lorizo eten terminant le contenu, six inscriptions votives consacrées
par des épistates, n'" 1, 2, 3, 12, 14 et 23, dont la majorité, n'^^1, 2,
3 et li ne sont pas non plus inédites, mais dont le nombre grossi
augmente ou du moins confirme la portée (2).
Il est bien certain, en efïet, et c'est ainsi que nous parlons de six

inscriptions votives, que le n* 3 (3), [B'jaa-rAcov 'Eqy.[7,]tz':ioivoç Aé/ao;


dont M. Michelier nous dijt qu'il est en partie masqué,
i-ic7TaTYi7a; (4),

même s'il ne comportait pas une dédicace exprimée, ne peut être


qu'un ex-voto, et d'autre part, pour le n" 12 (5), 'A-; (6)

ê
(1) Ibid., p. 275.

(2) Il apparaissait déjà à M. Holleaux, qui n'en connaissait pas alors davantage, pour
l'une des conclusions qu'il en tirait, qu' « on s'expliquerait mal autrement que cette

petite lie ait fourni a elle seule trois inscriptions relatives à des épistates » [Bull, de corr.
Iiellén.. 1893. p. .58, n. 1).
Diamantaras, Bull, de corr. helUnique, 1892, p. 305; Ibid., 1893, p. 52, n. 2;
(3)

'H vr,7o; Mr.-'icr-r,, p. 91; H. van Gelder, Mnemosyne, 1896, p. 248, n" 28; Id., Geschichle
der alten Hhodier, p. 446, n" 32.

(4) «La lecture de ce texte, écrivait M. Holleaux [Bull, de corr. hellén., 1893, p. 52, n. 2),

m'inspire, je l'avoue, qiiel(|ues doutes. L'éiliteiir n'explique pas très clairement si l'inscrip-
tion est complète ou fragmentaire. On ne voit guère comment Yn. à la première ligne,

peut avoir forme circulaire (C, de même CO), tandis ([u'il s'écrit 1 aux trois suivantes.
la
Enfin deux noms, ...ai'ù.w^ et Aé/io; paraîtront justement suspects. L'inscription
ces
peut dater de l'époque romaine >. H y a, en particulier dans notre n» 5, un exemple de
l'emploi simultané de deux formes de sigma, C et Z: et, quant à BaaîXtov et à AeXtoî,
M. van Gelder, d'abord hésitant pour le premier [Mnemosyne. 1896, p. 249), en a ensuite
fait la remarque (Geschichle der alten Rhodier, p. 446, n° 32), ils se retrouvent, liaci/wv
[Inscr. (jraec, XH, 1, n<- 46 et 702) et de même Ai/io; [Ibid., n" 201 et 204), qui est,
comme le répète justement M. MicheHer, un démotique «le Rhodes.
(5) Il ne m'a pas été possible de le retrouver
publié, malgré l'indication du P. Savi-

gnac (lieviie Inblitjue, 1917, p. 199) « publiée je ne sais où, ni par qui; peut-être par
:

M. Diamantaras dans le Bulletin de correspondance hellénique ».


(6) Ibid., 1. c. : « AfElIOl au début me parait une fausse lecture : d'après l'estam-
.

556 IIKVUK IMBI.IOLIE.

'lipwvcç ï->.7-x-T,7x;. y.x'. -y. (1) ffjjTpaTîuaiixîvc,. les caractèi'os incer-


tains (le la dernièr(» liii^ne, ainsi transcrits par M. Miclielicr ....
O 1 A . . . . 1 . . r et (lui (railleurs avaient fait penser aii\ Dios-
cures (2), invoqut's (k'jà, nous l'avons dit, sur deux fragments (.'}), —
l'inscription serait alors de tous points comparable au n" 2 {'*),

'Kzi7.px-izxç 'Ava^i'/.pxTîUc (5) ï-i7~x-qzy.: /.al -ci tTUJTpaTS'jaây.EVCf, Ai,oc;/.o-

pcu, — me paraissent sur l'cstampai^c donner A<1>P0AIT, 'A^pcci-fa].


Les deu.v n°" 14 et 23, le n" l'i- di^jà publié (6), 'Erj-^-à-cai jS^layi^x:;

Aiâvopo'j Ti;xi7TpaTc; Ivjxpâtîu? 'AzôXXwvr, Msvifï'sî, et le n" 23 inédit,


Kpa":i'3a|jLs;] KpaTtsâ;jL:!> èzuTaTr/aa^ (|)y.oo[5y.r, |jî y.af. èaTSYaTS tcv iruAcTjva

y,ai àv£0r,7.î t^ x'^x\[j.x-:x '.\.t:îa>v(ovi j


t:po]kUAX'(i) y.aî 'Ap-ây.iTi, sont de'
leur côté des ex-voto à Apollon, avec cette différence entre eux (|ue,
dans le premier, le dieu porte le nom m<''me de l'ile que l'on avait cru

page, il y a, après le T, MAX el non EZI »• U semble vain, dans ces conditions, de
chercher à restituer le nom propre. Voy. pourtant J.-S., L'île de Casielorizo, p. 20 :

« (Sym;maque tils de leron épislate et ses compagnons d'armes à... ».

(1) Il serait inutile de s'arrêter à faire remarquer cette forme dialectale du nominatif
pluriel s'il n'était vraisemblable (|ue c'est sa présence <iui a amené M. Diamantaras, dans
sa seconde publication du n» 2 (HuU. de corr. hellén., 1893, p. 632-640), à corriger ; xal
ToTç ojCTTpaTEjcraaivoi; A'.offxopot;. 11 absolument
est vrai qu'il déclare : « la lecture est
certaine et l'on doit supiioser avant les Dioscures un autre dieu qui partageait avec eux
la dédicace ». Mais, a déjà remarqué M. Holleaux [Ibid., 1894, p. 394, n. 2), « comme l'ins-
cription ne présente aucune lacune du moins dans les copies qui nous en sont données),

l'hypothèse me paraît peu vraisê*nblable; les deux Z qui terminent les lignes 4 et 5 ne
doivent être attribuées qu'à une faute du graveur », et de même M. H. van Gelder
déclare (Die rhodischen Inschriflen, n" 4331) que toî; ffjffTpaTEjffatxévoi;, à supposer <|ue
cette graphie existe réellement, ne peut être ([u'une faute ou du texte ou de la publica-

tion. [Il n'y a, en réalité, sur lestampage, aucune trace de ces deux Z '

(2) Voy. le P. Savignac, Revue biblique, 1917, p. 299 : « on songerait naturellement à


retrouver les Dioscures à la 4' ligne ; mais c'est très mauvais ».

(3) N»> 19 et 20.


Diamantaras, Bull, de corr. hellén., 1892, p. 304, 'H v?j(7o; MeyîffTïi, p. 8 et Bull, de
(4)

corr. hellén., 1893,p. 639-640; Holleaux, Ibid., 1893, p. 52, n" 1 et 1894, p. 394, n. 2;
H. van Gelder, Mnemosyne, 189G, p. 249, n 29 a Id., Die rhodischen Inschriflen, n° 4331 ; ;

Id.. Geschichte dcr alten Rhodier,]). 446, n° 31.


(5) Inutile, ici encore, de s'arrêter à la forme dialectale 'Ava|iy.pâT£j; pour 'Ava^txpâtoj;,
qu'on retrouve dans le n" 23, Ew.pâTôjç pour Eùy.pàTOj;, et dans la dédicace de Mughla rap-
pelée plus loin, Itov-pate-j; pour IwxpaTOjç.
(6) Ross, Hellenihaj Archiv archdologischer, philologisclier, historischer und epi-
graphischer Abhandlungen und Aufsiltze, I, erstes Heft (Halle, 1846), Inschriflen (p. 59-
68), 2, Inschriflen von der Insel Megisie, p. 66-67, n" 10, en caractères épigraphiques et
avec la division en sept lignes conforme aux indications de M. Michelier; Id., Kkinasien
und Deutschland, p. 6 et 23; Corp. inscr. graec, t. III, Addenda, p. 1135, n" 4301d;
Diamantaras, 'H v-^po; Meyic-/], p. 7,
*
sous la forme ETTIZTATAi | AÎZXINAZ
AlANAPOYl TIMOITPATOI EYKPATEYI; Holleaux, /,>*/;L rfe corr. /^c/Zen.,
1893, p. 52, n° 2; II. van Gelder, Maemosijnc, 18V)6, p. 248, n" 27; Id., Die rhodischen
Inschriflen, n° 4330; Id., Geschichte der alten Rhodier, p. 446, n° 30.
MÉLANGES. 557

lire aussi, on la vu, dans le n" 5, attril)ué à Zeus, MîYijtsy;, alors

que, dans le second, qui lui joint Artémis, il est qualifié seulement de
'ûpoTzÙAoï'.o:.

L'épithète ~pc--y/.y.:::, enlin, établit un lien entre le n" 23 et le

II" 1 (1). Sw;7r/.Aï;ç Niy.avôpa (2) "A;xcoç (3) STrio-Trar/^Taç ('i-) èv -z Kaaià-
êt (5) y.al èzi ~o'0 r.ùpyo'j toj iv MsYitrTa Epi^.5 T:poT:uAau;) /api7-r,pisv.

Il est évident que, dans tous ces textes, les èzw-x-ac mentionnés sont

Leake, A tour in Asia Minor, p. 184; Corp. Inscr. graec, t. III, n' i30l et Ad-
(1)
denda, p. 1135, d'après Hailie, Fasc. inscr, graec, IFI, p. 57; Le Bas-Waddinglon, Inscr.
gr. et lat., t. III, n" 1268; Diamantaras, 'H vPiao: Msycff-ï], p. 7; Holleaux, Bull, de corr.
Iiellén., 1894. p. 390-.'J91 H. van Gelder, Mnemosyne, 1896, p. 249, n° 27a; Id., Die
;

rhodischen Inschriflen, n° 4332; Geschichle der alten Rhodier, p. 446, n" 32 a.


Id.,

(2) Stxaydpa, au(iuel le M. Diamantaras ont eu le tort de substituer >ix3:-


Corpus et
yopa;, est, on le sait, la forme dialectale pour Ni-/.ay6ox;. Sur ces formes dialectales du géni-
tif, comme sur la forme -ol de L'article, voy. 0. Hoftmann, Grammalik vnd Wortregister

zu den rhodischen Inschriflen (CoUitz et IJechtel, Sammhmg der griechischen


Dialelil-Inschriflen. t; IV, 3, Grainmatilc und Wortregister zur ersten Halfte des dritten
Bandes), p. 601-605.
(3) Il n'est pas douteux que M. Miciielier, au début de la
2" ligne, a eu raison d'écrire

"Àfito; et non [Sjâfxto;. L'éditeur du Corpus disposait à la fois d'une copie de Beaufort

transcrite par Mueller, où le 2


manquait, et d'une copie de Cockereil reproduite par Leake,
sur la foi de qui. suivi plus tard par Waddington dans sa transcription, il l'a ajouté.
« Mais, remarque M. Holleaux [Bull, de corr. hellén., 1894, p. 391), comme Leake avoue in-

génument avoir corrigé en plus d'un endroit la copie de Cockereil, rien ne prouve que le Z
figurât sur l'original de cette copie, et tout indique, au contraire, que la présence de cette
lettre malencontreuse n'est due qu'à l'initiative indiscrète du correcteur. » 11 faut noter

d'ailleurs que,aux .\ddenda, Franz donne telle quelle la copie de Bailie, AMIOZ, qui est
aussi celle de M. Diamantaras. « L'ethnique lifiioc, continuait M. Holleaux, est bien fait
pour étonner. On cherdie en vain pour «luelle raison mystérieuse l'île de Mégisté, posses-
sion rhodienne, aurait été gouvernée par un épistate originaire de Samos; on se demande,
d'autre part, comment et pourquoi ce Samien aurait rédigé sa dédicace en dialecte dorien ;

bref, on soupçonne ici, dès le premier moment, quelque méprise, quelque erreur de lec-
ture ou de transcription... Sans aucun doute, la vraie leçon n'était pas lâfA^o;, mais 'Ajaio;.
Ce mot n'est pas nouveau et l'épigraphie rliodienne eu a fourni de nombreux exemples.
Au lieu d'être, comme on l'a voulu longtemps, un démotique de l'île de Rhodes, c'est
l'ethnique de la ville d'Araos... Amos, mentionnée par le Ps.-Aeschines et par .\lexandre
Polyhistor, se trouvait située non loin de Physkos, soit dans la Péraia proprement dite,
soit dans la région voisine, ([ui fut longtemps soumise aux Rhodiens ». « Heroevi aliquem
in Peraea Rhod. offendimus, ajoute M. van Gelder {Mnemosyne. 1896, p. 248), cui
'Av w nomen fuisse fertur, Diod., V, 62, 2. Ilomini nisi fnllor nomen re vera fuit 'A [i- w,
i

proavus mythicus twv 'A[;.îa)v fuisse videtur. » .

(4) L'autre remar([ue de M. Michelier relative à la lecture à la même ligne des lettres

AT est également fondée, au moins pour l'A. Ici Leake donnait justement sirtaTa-nÎTa:;,

mais, la copie de Beaufort-Mueller portant ETTI2T. N2AZ, — celles de Bailie et de


Le Bas plus voisines de la vérité pnrtent EfTIZT.. HZA2, — Kranz aval" restitué
£ii'.cTaT[£Û]ca;, forme certainement incorrecte et corrigée par Waddington. ETTI-
ZTATHZAZ sans lacune est déjà indiqué par M. Diamantaras.
(5) Il faut noter, enfm, à propos de Kastabis, que, si Franz avait d'abord transcrit
\

ob8 RKVLE iniîI.lurE.

des fonclioimaires du moine ordre. Los premiers éditeurs, Uoss dans


ses HcUenika (1) et Franz au Corpus (2) en publiant le ii" l'i, les
avaient regardés comme des administrateurs des temples des divinités
van (Iclder déclare que la
auxtjuelles étaient consacrés 'les ex-voto. M.
chose en soi n'aurait rien d'inadmissible, de nombreux exemples
pouvant en être cités (3), et il trouve M. Ilolleaux bien sévère pour
Uoss (4); mais sans hésitation, toutefois, il reconnaît que les épistates
dont il s'agit ici sont des fonctionnaires de l'état rhodien. M. lloUcaux,
dès 1893, avait en etFet rapproché des trois inscriptions n"' 2, 3 et IV,

dont deux premières venaient d'être signalées par M. Diamantaras


les

dans le Bulletin de correspondance hellénique (5), et l'année sui- —


vante il y joignait le n" \ dont la présence au Corpus lui avait d'abord
échappé (()), —
outre un décret de Syros exhumé à Milo, deux ins-
criptions découvertes à Mughla et à Bayakas, l'ancienne Panamara,
par MM. Cousin lîeschamps, une dédicace Jz£p Swy.pâ-rcuç 21o)(7',vi7,ou
et

Tcc'C'j -oX) £7:t(7Tâ-sj (7) et un décret concernant un rhodien aizi^o-oLkûq

ïrj.<^zx-r^q, ÛTCo Tcu cr,;/:j -'Jj 'Pcouov (8). Il remarquait (î)), à cette occa-
sion, que, quoique dans la langue politique des Grecs, peu de mots
aient un sens plus élastique et plus variable que le mot IziaTârfjÇ,
cependant, à l'époque hellénistique et dans les états fondés par les
héritiers d'Alexandre, ïr^-a-A-r^q a fréquemment cette signification par-
ticulière de représentant du pouvoir royal auprès de certaines villes

KaCTa6[wl en se référant à Diodore, v, sctti ô' èv KaaTaêw xy;; XEppovôao-j tepbv àytov
62,

'H|jLt8£a;, et s'il est sur ce point suivi par M. van Gelder {Die rhodischen Inschriften,
n" 4332), faisait déjà la réserve «
il quanquam poleral esse etiam Kâcrtaêiç forma usi-
Holleaux, Bull, de corr. hellén., 189't, p. 3i)2, n. 2 « Franz fait observer <iue :
tata (cf.

la leçon KaffTâi5[i] pourrait se défendre ») et que, aux Addenda (p. 1135),


d'accord

avec Bailie; il préfère KacrTàêi, qu'adopte Waddington. La question est aujourd'hui tran-
chée par l'estampage «Nous avons estampé à nouveau l'inscription qui est très nette; la
:

troisième ligne débute par EN TE KAITABI, lecture certaine « (J.-S., L'ile de Cas-

telorizo, p. 17, n. 1), et les auteurs ajoutent, ce qui est moins clair : « TOI n'exisle pas ».

(1) Hellenika, p. 67.


(2) Corp. inscr. graec, t. 111, Addenda, p. 1135.

Mnemosyne, 1896, p. 248. L'inscription Inscr. rjraecae, XII, 1, n" 731, par exemple,
(3)
mentionne des imniâi'Xi qui semblent bien n'être que les préposés au temple d'A])ollon
Erethimius.
(4) M. Holleaux s'était borné [Bull,
de corr. hellén., 1893, p. r>3, n" 1) à déclarer l'opi-
nion de Ross « médiocrement vraisemblable en elle-même et certainement démentie par
la comparaison de l'inscription [d'Eucralidas] ».

(5) Ibid., 1892, p.


304-305.

(6) Ihid.. 1894, p.


390-392.

(7) Ibid., 1886, p. 488, n" 2; Ch. Michel, Recueil d'inscriptions grecques, n° 479.

(8) Ibid., 18&3, p. 54-55. Il faut en rapprocher une liste d'èuttTxâxai lol irsfAçOévTS? Otto
Toy Sdc|j.oj [Inscr. grnec, XII, 1, n° 84i).

(9) Ibid., p. 55-56.


MÉLANGES. . o59

et que, d'aprèsPolybe (1), on appelait notamment irj.d-zâ-ai chez les


Lagides Antigonides
et les les gouverneurs des villes étrangères récem-

ment conquises et situées hors du domaine propre de la monarchie.


<( [Les] indications [ci-dessus], ajoute M. ILoUcaux, laissent entrevoir
quels pouvaient être l'emploi, le rôle et l'importance des itiG-ccicc^
rhodiens. [Ils] étaient des officiers publics, choisis sans doute à
. .

l'élection par le peuple de Rhodes, pour être envoyés hors de l'île

dans les possessions rhodiennes >->


(2).

Impossible de confier une telle charge à un étranger, sa patrie


fût-elle sujette de Rhodes. « x\ussi ^levons-nous, sans hésiter, continue
le môme auteur, considérer Sosiclès comme un citoyen rhodien de
plein droit. Le sens du mot "A[j.',cç doit être bien compris ici on :

aurait tort de lui attribuer une signification politique c'est plutôt une ;

simple indication d'origine. Hors de l'état rhodien, Sosiclès, disons —


aussi Basilon, —
eût porté le titre de 'PoSto? (3); à Mégisté, terre

rhodienne, une telle appellation n'était pas de mise Sosiclès y subs- :

tituait la mention de son pays natal. Sans être un démotique, —


ainsi que l'est ATàis; accolé au nom de Basilon dans le n" 3,

l'ethnique "A[j.wç n'a cependant, au point de vue des Rhodiens, qu'une
valeur analogue à celle des démotiques, il est exactement compara-
ble aux ethniques Bpu/.ojv-rwç, Niaupisç, Tr,/a:û;, XaX/.v^Taç, etc., qui dési-
gnent, dans quelques inscriptions de Rhodes, des personnes admises
dans la cité rhodienne, mais originaires soit des îles de Khalké ou de
Télos, soit des villes de Nisyros ou de Brykonte, dans l'île de Kar-
pathos. Notre inscription nous autorise à conclure que la ville d'Amos
faisait partie, non seulement de l'empire, mais encore de l'État
rhodien aussi bien que Télos, Khalké ou Karpathos » (4).
La mission des épistates semble avoir été d'ordinaire une mission
temporaire, mission de commandant militaire, de juge suprême,
d'administrateur en chef, selon les nécessités du moment ou les
instructions spéciales reçues; mais dans certaines localités, et —
Mégisté, qui nous occupe, est de celles-là, sans douté résidaient-ils —
à poste fixe « leurs attributions devaient être alors purement et
:

simplement celles d'un gouverneur » (5). Il y a plus. L'épistate installé

(1) V, 60, 1; XX, 5, 12.

(2) Bull, de corr. hellén., 1893, p. 56-57.


(3) H. van Gelder, Geschichte der alten Rhodier, p. 18!).

Bull, de corr. hellén., 1894, p. 392-393.


(4)

(5) HoUcAux, Ibid., 1893, p. 58, 60. Les auteurs de L ile


de Caslelarizo, p. 20, après avoir
renvoyé incidemment à l'article de M. llolieaux dans le Bullelin de correspondance
hellénique de 189'(, ajoutent : « ces textes font supposer que les épistates ou gouverneurs
militaires de la forteresse aimaient à inscrire leurs noms sur les murs des propylées ».
K60 REVUE Hlin.lOl K.

à Mégisté, ainsique permet de le jn'écisoi' le n° 1 « cominaiiclait la ,

tour ou le fort situé dans Vilo; une garnison, l'ormée de citoyens


rhodiens ou d'auxiliaires, devait se tenir sous ses ordres en temps :

de guerre, comme on le \oit par une des dédicaces qu'a décou-


vertes M. hiamantaras, —
le n" 2 de M. MiclicUer et nous pouvons

mainlcnanl y ajouter son n" il, il —


dirigeait la défense de la

place. L'épistate, en un mot, parait avoir, été, ;\ Mégisté, une sorte


de opcjpoLpycç » (1).

en résulte (|ue les épistates devaient résider à Még-isté pendant


Il

un temps lixe et se succéder sans interruption. Le n" 14 montre pour-


tant qu'il a pu s'y trouver deux épistates ensemble en fonctions :

(«le fait s'expliquait sans doute par des raisons particulières qui nous
échappent » (2).

m'a paru, et c'était l'objet do ces observations, que, en les


Il

groupant ainsi et en les éclairant de ces quelques commentaires, res-


sortirait mieux l'intérêt des inscriptions dont s'est si utilement oc-
cupé à faire le relevé M. le lieutenant de vaisseau Michelier.

Etienne Miciiox.

(1) Id., IbicL, 189i, p. 39'i.

(2) Ibid., 1893, p. CO; 1894, p. 394.


CHRONIOUE

UN SODVEMR DE JÉRUSALEM A SA1NT-PAUL-TR0IS-CUATEAU\ .

Puisque les circonstances actuelles nous interdisent de poursuivre


nos recherches sur le sol vénérable de la Ville sainte, nous devons
nous estimer heureux de rencontrer de soumettre à l'étude l'un et
des monuments français qui portent une empreinte
de l'influence
hiérosolymitaine. Si l'architecture médiévale de la Palestine a été
soumise en g-rande partie à la direction artistique de la France, il
est également vrai que notre pays n'a pas échappé au rayonnement
projeté par les régions transmarines qui attirèrent pendant des siècles
les multitudes occidentales. Aussi bien l'étude de l'art roman de nos

contrées ne peut que mettre en lumière les affinités qui unissent nos
monuments à ceux de la Terre Sainte et mettre un terme à certaines
tliéories émanant d'imaginations surcliaufïées par un fatras mytho-
philologique oublieux de tout élément objectif de comparaison. D'un
regard attentif fixé sur la décoration de la cathédrale de Saint-Paul-
Trois-Chàteaux ou sur l'élégante église de Saint-Piestitut située à une
lieue de la cité tricastine, naît rapidement la conviction que les sculp-
teurs des xi" et xii* siècles savaient s'inspirer des modèles de l'art
romain classique et en tirer le plus heureux parti. Ce que nos ouvriers
ont réalisé chez nous, pourquoi ne l'auraient-ils pas aussi bien exé-
cuté à .lérusalcm, et, en particulier, dans cette façade du Saint-Sépul-
cre dont l'origine a soulevé ({uelqucs controverses du fait des motifs
classiques de sa décoration? Il n'y aurait pas d'ailleurs à insister sur
cette renaissance romane du xii'' siècle après ce qu'en ont écrit des
autorités telles c^ue Revoit, Enlart, de Lasteyrie et le regretté marquis
de Vogué Mais les tentatives réitérées des théoriciens germaniques
(1).
d'effacer en Orient les traces les plus évidentes de la civilisation

(1) Voir sur celte discussion les arguments du P. Vincent dans notre ouvrage sur Jéru'
saleni Nouvelle, I, p. 141 et 151.
UEVIE BIBI.IO! E 1917. — N. S., T. XIV. 3(j
5()2 RKVUI-: RllUJnilî.

IVanoaise nous oldigent à rolovoi- une lois de plus cette coïK-lusion de


r.irehéologio éclairrc et impartiale.
Les sujets traités par le ciseau ue sont })as les seuls élénicnls de
comparaison : il faut y ajouter les particulaiités de la structure,
rappareillage, les marques de tâcherons, la taille en l'euillc de fougère
ou en stries, diagonales, les niosaï({ues et les peintures murales. Les
caractères de la taille et de la construction ont été soigneusement
étudiés [)ar M. Uevoil dans son Architecture romane du Midi de la n
France, mais on y chercherait vainement un relevé des fresques «^t
de la mosaïque de la cathédrale de Saint-Paul-Trois-Chàteaux. Pour
ce vestige de pavement historié, il est compréhensible qu'il ne
pouvait entrer dans un ouvrage édité en 186V puisque sa découverte
ne remonte qu'aux environs de 1900, époque où l'on eut l'idée de
dégager l'abside en avam-ant le maitre-autel sous l'arc triomphal.
Cette moditication apportée à la disposition du chœur amena en etlct

la suppression d'un dallage et de quelques degrés que l'on avait


malencontreusement placés sur une vieille mosaïque qui formait le
pavé de l'abside. Cette injure à l'égard d'un art réputé barbare fut
probablement une des conséquences des embellissements exécutés
dans le goût du grand siècle par l'évêque Louis-Albe de Ro([ue-
martine peu après 1683. Mais les divers travaux qui, au xix" siècle,
ont eu pour but de restituer à ce monument sa physionomie primi-
tive permettent d'y étudier tout à loisir à présent les vestiges de
l'art médiéval. Parmi ces vestiges, la mosaïque de l'abside a spéciale-
ment attiré notre attention au cours d'une visite faite à cette église
en juillet dernier et où nous avons eu la bonne fortune d'avoir pour
guide M. le chanoine Félix Vernet, directeur du Grand Séminaire,
bien connu par sa compétence en matière d'histoire et chargé ac-
tuellement de la paroisse de Saint-Paul >(1).
En dépit des lacunes qui déparent cette mosaïque, on y reconnaît
encore aisément quatre médaillons circulaires figurant les symboles
des quatre évangélistes et une vue synthétisée de Jérusalem.
A ffauche, se trouvait comme pendant à la Ville sainte, une autre cité
repvésentée également par un ou plusieurs édifices dont il ne reste

Aujourd'hui bourgade d'environ 2.000 habitants, située sur la ligne de Pierrelatte


(1)
à Nyons, Saint-Paul-Trois-Châteaux a joui d'une certaine notoriété jusqu'à la Révo-
lution. Signalée par Strabon, Ptolémée et Tite-Live, elle est mise par Pline au rang des
du bassin de
colonies romaines la Méditerranée, et porte sous Auguste le titre honorifique
^Augnsta Tricastinorum. De i)onne heure siège d'un évéché, elle perdit cette prérogative
en 1792, pour être rattachée au diocèse de Valence. Sur l'histoire de cette localité on pourra .

consulter le P. Boyer de Sainte-Marthe (1710) et la notice de l'abbé Jules Perrot (Valence,


1905).
CHRONIQUE. 563

malheureusement plus que la base. Il subsiste aussi quelques débris


de rinceaux faisant partie de l'encadrement des sujets traités par
l'artiste. Le fond de la mosaïque se compose de cubes blanchâtres;

les dessins sont exécutés à Faide de cubes ocre et bleu foncé tirant
sur le noir. Le relevé ci-joint (pi. I), qui se borne à la portion de
l'œuvre consacrée à Jérusalem, aidera le lecteur à suivre la des-
cription du tableau. Tout le monde reconnaîtra, au premier plan,
une ligne de remparts crénelés interrompue au milieu par une porte
à pentures visibles, surmontée d'une muraille que dentellent cinq
créneaux. En arrière du mur d'enceinte se dresse à droite une cons-
truction percée d'une fenêtre et qui parait découronnée. D'un redan
en saillie au centre de l'édifice en question s'élève une échelle ou
un escalier qui aboutit entre le monument à coupole et un chemin
de ronde protégé par une série de mâchicoulis ou de meurtrières
affectant la forme de moiicharahics. On entrevoit au-dessous de
l'escalier les arcades d'un portique qui vient buter lune des deux
tours massives du centre. Une porte verrouillée se dissimulant sous
un contrefort au-dessus duquel se lit le nom de lERCSALE(M) et une

tour d'angle crénelée occupent l'espace à droite des tours jumelles.


Au troisième plan on remarquera d'abord le personnage (quelque
veilleur sans doute) qui joue de la trompe, puis un monument circu-
laire surmonté d'une coupole hémisphérique. Le reste de ce môme
bandeau est rempli par une balustrade ajourée d'un motif assez
fréquent en Orient. La partie supérieure du dessin consiste en une
nef d'église avec fenêtres cintrées et toiture découpée eu plusieurs
pignons, en avant de laquelle se profile une tourelle terminée en
pointe.
On peut se demander en face de cette composition s'il s'agit d'un
produit fantaisiste de l'imagination du décorateur, analogue
à
certaines reproductions conventionnelles de Jérusalem et d'autres
villes que l'on relève dans les cartes palestiniennes du Moyen x\.gc,
ou bien si l'artiste a eu autant le souci de la réalité que les auteurs
de la mosaïque absidale de Sainte-Pudentienne et de la carte de
Màdabâ. L'examen des monuments reproduits par la mosaïque de
Saint-Paul-Trois-Chàtcaux nous fait pencher vers la seconde partie
de cette alternative. L'enceinte avec ses portes couronnées d'un
système de défense dominant le reste du rempart, avec ses tours, ses
créneaux et ses meurtrières rend assez exactement la physionomie
moyenâgeuse que l'extérieur de la Ville sainte a gardée jusqu'à nos
jours. Quant aux édifices superposés au centre du tableau et que des
notions rudimentaires de perspective ne permettaient pas au dessi-
r,f4 Hi:vrK miiîi.iouk.

nalcur de rejji't'seiitor [)lus fiilèlcjîicul, nous pensons y locoiinailrc


trois des monnnients qui s'imposaient pm-tieiilièrenieiit ;ï ralteniion
des dévots pèlerius, à savoir la Tour de David, la mosquée d'Omar et
la rotonde du S'.iint-Sépuh re.

Le voyai;eur qui pénètre dans Jérusalem par la porte occidenialc


se sent impressionné à la vhc des deux grosses tours qui font aujour-
d'hui [tartie de la citadelle. Il en était de même aux siècles passés,
car depuis les travaux exécutés par les légionnaires d'Aelia sur l'em-
placement du palais hérodien, tlanqué lui-même jadis de trois tours
dont deux étaient formidables, il a toujours existé en ce point de la
ville, proche des remparts, un appareil défensif plus considérable
qu'ailleurs. La fantaisie populaire se plut, dès l'époque byzantine, à
identifier ces constructions avec le palais de David. Des pèlerins
visitaient la tour où le roi-poète avait composé le psautier; des moines
avaient établi à proximité leurs modestes abris. Adoptant l'opinion
courante, les Arabes lui donnèrent le nom de Mirdb Dcioûd « Oratoire
de David », dénomination qui s'étendit même à la porte occidentale
voisine de la citadelle, notre moderne porte de Jafl'a. Les Latins du
wi" siècle suivirent naturellement l'usage local et décorèrent du nom
de Castellum David les tours élevées sur les bases encore imposantes
de Phasaël et d'Hippicos, où les rois du nouveau royaume de Jéru-
salem avaient La porte verrouillée sous le contre-
fixé leur résidence.

fort pourrait êtreune certaine poterne donnant accès de la citadelle


au fossé de la ville et qui fut murée au cours du siècle dernier. Ces
remarques nous autorisent à identifier les deux tours massives de
notre mosaïque avec le Chàleaii de David.
Le monument à coupole qui se voit au-dessus des deux tours
évoque laspect de la fameuse mosquée dite d'Omar élevée au-dessus
de la roche sacrée, base de l'autel des holocaustes. Transformée en
sanctuaire chrétien par les Croisés, la mosquée de la Sakhra fut
décorée par eux du nom de Temphwi Domini. On dirait que l'artiste,
combinant le plan perspectif avec le plan par terre, ait voulu re-
produire la colonnade circulaire de l'intérieur ainsi que la roche
sacrée enserrée dans sa clôture ronde. Temple du Seigneur, maison
de Dieu, l'église du I.Iaram était aussi devenue Béthel en vertu de
son appellation même. On y montrait au xii*" siècle l'échelle de la
vision de Jacob. L'échelle de notre plan a-t-elle pour but de commé-
morer ce souvenir? Je ne puis l'affirmer, d'autant moins qu'elle
pourrait figurer les marches d'un escalier conduisant de l'angle à
gros appareil du llaram, ou de la mosquée el-Aqsà, jusqu'à lespla-
nade surélevée de la mosquée d'Omar. L'angle du Haram avec ses
CHRONIQUE. 50",

substructions, reproduites peut-être aussi dans notre mosaïque, passait


pinna Templi du récit de la tentation du Sauveur.
jiour être la
El-Aqm, appelée par nos pères Templwn Salomonis, était le berceau
de Tordre militaire des Templiers, qui transformèrent les substruc-
tionsdu temple en écurie pour leurs chevaux. A ce propos une autre
question se présente ici, personnage sonnant de l'oli-
à savoir si le

fant jie un chevalier du Temple appelant la chrétienté


serait pas
au secours des Lieux Saints, ou donnant l'alarme à ses confrères de
la Ville sainte. Cette hypothèse nous est suggérée par la survivance
dss souvenirs de l'ordre du Temple dans le territoire tricastin,
notamment au petit village de Clansayes que domine le superbe
donjon d'une commanderie en ruines.
Par l'édifice terminé en pointe, le mosaïste a très probablement
eu l'intention de figurer la rotonde du Saint-Sépulcre. Pour être
plus exact le dessinateur aurait dû tronquer le cône de la toiture,
car on sait que la coupole de l'Anastasis a conservé la forme d'un
cône tronqué de 614 à 1810. Mais dans des reproductions de ce genre
on doit se contenter d'approximations (1). Le Calvaire parait marqué
par la croix insérée dans le médaillon de la seconde fenêtre à droite
de la rotonde.
La superposition des trois édifices contient peut-être un symbole.
Des imperfections et des figures de la Loi et des Prophètes concré-
tisées par le Château de David et le Temple du Seigneur, l'àme
s'élève jusqu'aux réalités du Nouveau Testament résumées dans la
croix et letombeau de Jésus. La voie à degrés représentée entre
lesdeux tours et qui répond au moderne Tariq-bdb-es-Silsileh, rue
amenant directement de la citadelle au Haram, est également suscep-
tible d'interprétation mystique, (juittant le profane figuré par les
remparts et les tours crénelées, le fidèle en avançant au cœur de la
cité sainte arrive au séjour sacré du divin. La présence de Dieu dans
son sanctuaire est une garantie de sécurité plus sérieuse que la vigi-
lance du guetteur qui sonne de la corne sur les remparts. Nid
Dominus ciistodierit civitatem, frustra vigilat qui custodit eam
Psaume cxxv', 1).
L'inscription placée au-dessus de la poterne ne laisse aucun doute
sur l'intention que l'artiste avait de représenter Jérusalem, ce qui
dispense d'apporter un plus ample bagage de preuves et de pour-
suivre une discussion que l'absence d'épigraphe saurait seule au-
toriser, comme c'est le cas pour la mosaïque de Sainte-Pudentienne

(1) Voir dans Jérusalem Nouvelle, I, les figures 110, 112, 118, 1 ÎO, Vl\.
Pi.ANciii: I,

* *^ ~*-V •-*«. -,.-># .t^ « * " .^*. -V - - " - «y-


* /
» .f»^ "'**>*« y*

^•»^?«j»«»<fc» ».»«.jj^«. •*(>«>••» «i.<<»»-«-i

^' :i!^

Fragment de la mosaiiiuc <lo j^aint-l'aul représentant Jérusalem.


rLAM:HK II.

•.*»«^-

KJu;. 1.

t '-.,-;„/

'"'^'- ^•
Kig. -2.

Fresques médiévales de la calliédralc de Sainl-l'aul-Tr(iis-Cli;Ueau\.

I
•iOS REVL'K IUliLlOUE.

à Rome (1). Notons, en passant, que les symboles des quatre évang-é-
listes la reproduction de .lérusaleni aussi l>ion dans
acconipagnont l.i

mosaïque romaine que dans celle de Saint-i'aul. lu indice à relever


en outre est la similitude du signe d'abréviation IVr cbe\al < ii ;i

placé sur lE liual de l'inscriplion IKKVSALE et du signe usité dans


les inscriptions tracées à cùté des peintures médiévales des colonnes
de la basilique de Bethl'éem ('2'. Ce dernier indice conlirmerait la
conclusion .i laquelle aboutit l'interprétation que nous avons donnée
plus haut des détails de cette u'uvre d'art, à savoir ({u'elle remonterait
au xii' siècle, et non au delà. Elle n'est pas nécessaiiement liée
aux origines de l'abside que M. Revoil date de la fin du ix'' ou du
X'' siècle. Vn pavage doit se réparer et se transformer plus d'une fois

au cours des générations.


Les peintures qui ornaient par endroit les murs et les piliers de
la cathédrale n'ont pas plus que la mosaïque et les sculptures du
porche échappé au vandalisme des Calvinistes du xvi*" siècle. Nous
avons pu néanmoins relever quelques sujets, les moins défigurés par
le grattage systématique des Réformés ennemis de l'art religieux. La

scène de la figure 1 (pi. II) représente un Sarrasin ou un Juif emmené


par un homme muni d'un glaive et d'un petit bouclier.
d'armes,
A côté, un personnage agenouillé tient un livre en main. Pour saisir
le sens de ce tableau il serait nécessaire de déchiffrer les sujets qui
se trouvent à proximité, ce qui est fort difficile. L'encadrement ins-
piré dn stylenous permet d'assigner cette fresque au
ogival
xni® siècle. Au-dessous de la Vierge Mère de la figure 2 on peut
encore suivre les vagues traits d'une Annonciation. Le baptême du
Christ dans le Jourdain est tout à fait selon la manière des primitifs.
On y remarquera les traits parallèles qui figurent les eaux du fleuve,
les vestiges de la colombe, et le personnage en prière, aux frais de
qui cette peinture a été faite. Il est aisé de saisir l'analogie existant
entre ce tibleau et certaines peintures de la basilique de Bethléem
datées de la seconde moitié du xii^ siècle (3).*

. F.-M. Abel, 0. P.

(1) On trouvera une reproduction de celte mosaïque dans Jérusalem Nouvelle, 1, p. 200,
(2) Vincent et Ap.el, Bethléem, Le Sanctuaire de la Nativité, pi. XX.
(3) Bethléem, fig. 43 et 44.
CHIiOMQUE. 569

LA MOSAÏQUE DK CIIELLAL K.\ PALESTINE.

On a l'ait beaucoup de bruit autour de cette découverte, d'ailleurs


intéressante. D'après certains journaux, les troupes anglaises, en
marche pour la conquête de la Palestine, auraient découvert les osse-
ments de saint (icorges. le patron de la cavalerie anglaise, le patron
du Souverain actuel des lies britanniques et des Indes. Quel glorieux:
présage !

Il nous a été impossible d'obtenir des renseignements très précis.


Les meilleurs sont dus à M. Massignon qui a vu les lieux avant que
la mosaïque ait été mise en morceaux pour être emportée au Caire.
Il a bien voulu s'informer de nouveau à l'intention de nos lecteurs,
mais mosaïque était déjà dans des caisses à destination d'un musée
la
australien, Sydney ou Melbourne.
M. Élie Batareikh. secrétaire de Sa Béatitude M'^' le Patriarche grec
catholique, a eu laimable attention de nous envoyer copie de l'ins-
cription principale qu'il a vue au Caire, mais elle avait déjà souffert,
et sa copie est moins complète que celle de M. Massignon. Il ne disait
rien d'une seconde inscription qui a peut-être été détruite. Quelques
détails sur le travail des troupes ont été empruntés à VEgyplian
Gazette du 22 septembre 1917,
Nous n'avons pu savoir quand a eu lieu la découverte. Elle fut
d'abord le fait des Turcs qui donnèrent dans une mosaïque en creu-

sant une tranchée pour établir un poste d'artillerie. Les troupes aus-
traliennes s'en étant emparées —
probablement à la lin de mars ou
au début d'avril, —
elle se firent un point d'honneur de nettoyer tout
l'espace nécessaire pour mettre à nu toute la mosaïque. L'endroit se
nomme Chelldl et est entre Bcrsabée et le Klidn Voimès, le long de
l'ouàdy GhazzcJi.
Les ruines sont sur une émincnce, à l'est de la source. D'après
VEgi/ptian Gazette, les troupes qui s'y occupèrent avec un zèle
empressé appartenaient à la cavalerie montée australienne. Le tra-
vail dura quatorze jours, sous la direction du Rev. W. Maitland
Woods, senior chaplain (Church of England) of the Anzac Mounted
division.
On mit à jour un rectangle d'environ 15 mètres sur 8 (M. Massi-
gnon) ou 27 pieds sur 18 {Egijptlan Gazette). Ce rectangle était
570 UEVUK lUHI.KU K

oricntr pal- les faces, et contenait deux inscriptions. Voici le schéma


de M. Massignon

En A, fragment «linscription : YMeMAP.


iAKAN...
HAAIO...
eiGON...

.le ne sais comment An premier moment


restaui-er ce fragment.
ce IAKAN m'a rappelé les Benè-Iacan de Nombres 33, 32 s. Ce n'est
pas mrme un mauvais mirage, car cette tribu était bien loin de là
sur passage des Israélites venant du Sinaï, et les principaux ma-
le

nuscrits grecs lisent autrement; le ms. F cependant a Bavtay.av. Le'


mot est sûrement la fin d'un verbe grec, et l'inscription était proba-
blement relative au personnage dont on a retrouvé les os, ce qui
est suggéré par stwv, soit le nombre des années qu'il avait
vécu.

VEgi/ptian Gazette dit que ces ossements étaient sous l'inscrip-


tion B, la seule qu'elle mentionne, mais il y a peut-être là une con-
fusion. /

Quoi qu'il en soit, le personnage a été retrouvé presque intact,


étendu les pieds tournés à l'est, les bras croisés sur la poitrine.
Un avant-bras avait été cassé et remis fort habilement durant sa vie.
Or absolument rien n'indique que ce fût, je ne dis pas saint (Georges,
mais un Georges quelconque, puisque le Georges que nous allons
rencontrer a fait bâtir la chapelle funéraire, sûrement pour une
autre personne, peut-être nommée dans l'inscription A.

L'inscription B, dans un cartouche brisé à droite, est ainsi conçue


d'après la copie de M. Massignon :

tTONAGTONNGONAAyiAG...
MHCANOTeOCICOT^HMOON
K,AiO0eO(|)lA^rGGOPriOCOI.
NAPIOCGNTGOBKXGTGIKAT
ne sais si M. Massignon a cru reproduire X3ar des points les lettres
.le

manquantes. Il semble qu'il faudrait mettre à droite à peu près le


même nombre de lettres par ligne, car le cartouche était terminé
par une perpendiculaire.
Si l'on compte pour une lettre la croix et chacune des abrévia-
z

CHROiNIQUE. o71

tions, on ca 19, 18, 20, 20 caractères, conservés. Il serait assez naturel


de compléter ainsi :

3V0£ TGV ve;v oa'V.A£[(i)^ i<yy.Z':iZ

]J.r^sy.-i o -t ijuô-raTOç r^\uùv [r.y.ir^p OU plutcM ïr.'.z7.z,-z

y,xl 5 OîC^cAÉTtaTOç TzMp^(io^ h [$:u-/.£

vapicç îv Tw ,j/.y stîf, •/,a":[a i aL,a.

« Ce qui donnerait à la ligne 26, 23 (ou 27), 25 et 26 caractères.


« Ligne 3, nous suppléons Gouy.£vâptcç, quoique la copie indique
un mais n'est-ce pas la première branche d'un A?
I,

«Nous suppléons l'ère de Gaza, citée de la même manière dans


une inscription déjà publiée (1), où cependant Gaza est écrit en
abrégé. On eût pu songer à l'ère d'Éleuthéropolis, mais, môme en
abrégeant, cela exigerait trop de caractères.
« Nous avons donc qu'en 561 ou en 560 après J.-C. (2) deux per-
sonnages, Tun ecclésiastique et par conséquent qualifié de très saint,
qui était l'évêque du lieu, et l'autre magistrat impérial ducenarius,
ont construit cette chapelle funéraire) magnifiquement ornée.
« La seule richesse dont on puisse encore juger est une très belle

mosaïque, dont nous n'avons aucune description détaillée. M. Ma^


signon a vu très juste dans sa courte note : médaillons profanes
isolés : flamant, léopard, oiseau en cage, etc.
« VEgyptian Gazette parle d'une très belle amphore d'où sort une
vigne qui embrasse dans ses cercles des animaux qui tous, sauf
deux, rendent hommage à un calice central, le chef-d'œuvre du
dessinateur. Parmi ces animaux, un lapin, poursuivi par un chien
rouge, serait le symbole d'une tribu qui aurait refusé d'adopter la
foi chrétienne. Un poisson que ÏEgijptian Gazette dit être coupé

et partagé entre deux panneaux, serait le symbole de Dagon, le


dieu-poisson de Gaza, détruit par l'avènement du Christ! Ce sym-
bolisme effarant est bien éloigné de la pensée de ces anciens artistes,
qui n'ont pas non plus pensé au Poisson eucharistique des catacombes,
et l'oiseauen cage n'est pas non plus le divin captif des Tal)ernacles.
Le thème de cet oiseau se retrouve par exemple dans la mosaïque
funéraire arménienne de Jérusalem (3). Comme le thème de la vigne
à laquelle, d'après l'abbé Batareikh, il faut ajouter des épis de blés,
est le motif qui encadre tout le reste, on peut admettre une vague

(1) Rente biblique, t. I, p. 2'(3.

(2) L'ère de Ga/.a date, comme on sait, du 25 octobre 61 av. J.-C. ; il faut donc retran-
cher de 622 le chiffre 61 avant le 25 oct., et le chiffre 62 après.
(3) RB., 1894, p. 627 8.
572 RKVL'E lUHMOUE.

allusion cucharisricjuc. avec une adaptation telle quelle d'anciens


poncifs d'ornementation profane.
Il est supertlu de parler d'éi^lise, de chercher la place de l'autel, etc.

La chapelle hAtie pour un défunt d'un rang distingué rappelle {»ar


exemple celle dKtienne dans le terrain des Pères Assomptionnistes
au Sion traditionnel (1).
Comme la mosaïque a été dessinée avant d'être mise en caisses,
nous espérons qu'on en donnera quelque jour une reproduction
fidèle. Nous n'avons pas voulu faire attendre nos lecteurs.

INSCRIPTION AU KHAX YOIXES.

Nos soldats ne montrent pas moins de zèle que les Anglais pour
archéologiques en Palestine.
les fouilles
Voici ce que veut bien nous écrire (2) le R. P. Benjamin, des
Augustins de l'Assomption, qui naguère a pris le goût des choses
antiques à Jérusalem sous la direction de notre ami et collaborateur
le R.P. (ilermer-Durand :

«Je vous envoie le résultat de nos recherches épigraphiques. J'au-


rais voulu découvrir l'inscription entière, mais j'ai la conviction que
ce qui manque n'existe plus, au moins à l'endroit où nous avons
trouvé les fragments qui nous ont donné les quelques mots ci-joints.
M. Tisserant nous a facilité les démarches et s'est lui-même intéressé
à la découverte.
Nous avons trouvé nos fragments à un endroit désigné par les
«

cartes sous le nom de Cheich Hamada. Il y a là six ou sept maisons


en ruines et un enclos entouré de cactus et planté d'arbres fruitiers.
Au nord-est des habitations, sur une élévation formée par des dé-
combres, se trouve un cimetière musulman. Sur le sommet, et domi-
nant le reste du cimetière, un tombeau isolé. Il y a un mois environ,
ce tombeau était intact.
Mes poilus du
« l'avaient vu en bon état. La plateforme
'

de l'édicule se composait de deux plaques en pierre légère et de notre


marbre, déjà partagé en trois morceaux comme l'indiquent les cas-
sures anciennes. Depuis, le tombeau a été violé et le marbre réduit
en miettes. Il n"a pas fallu moins de quatre séances de fouilles
minutieuses pour déterrer débris par débris ce que je vous' présente

(1) RB., 1908, p. 406 ss.


(2; Lettre du 30 sept. 1917 au R. P. Savigaac.
CHRONIQUE. 573

aujourd'liui. J'ai rajusté à leur place normale les plus petits frag-
ments. Le tout est maintenant dans un moule en planches de fabri-
cation très précaire, mais suffisant pour empêcher les morceaux d'être
dispersés. Voici ce que j'ai lu sur la pierre :

t eYXAPJCTcoNTGOAncorecopnco

A
A
p
I

« Après le mot r£o)p7''(o, l'inscription devait suivre la courbe du


dessin médial. D'après ces fragments, la pierre devait avoir environ
l™,50 de long sur 0,50 de large. A l'intérieur de l'encadrement
se trouvaient trois dessins, un au milieu et deux sur les côtés. Je
ne puis en dire davantage. M. Tisserant y reviendra d'une façon
scientifique. On m'a signalé une autre plaque qui serait complète.
Je tâcherai de la trouver; peut-être serons-nous plus heureux avec
celle-là. »

Nous serons bien de communiquer à nos lecteurs l'interpré-


aises
tation de M. Tisserant. Mais nous ne pouvions attendre pour remercier
celui qui est aujourd'hui M. C. Laurès, mobilisé pour le service de
la France. Cette fois nous avons bien une attestation du culte de
saint Georges. Pourquoi Hilarion —
car il faut sans doute suppléer un
N — lui rend-il grâce sur un marbre qui semble avoir appartenu à

un édicule funéraire? C'est ce que disait probablement la suite


de l'inscription.
Fr. M.-J. Lagrance.
RECENSIONS

Commentarius in Epistolas ad Thessalonicenses, auctore Fr. lacobo-


exegeseos INovi
Maria Vostk O. P., Lect. S. Tlieol. et S. Script. Lie, Professore
Teslamenti in Collegio Angelico de Urhe. Accedit Appendix in decretiini Commis-
sionis Biblicae (18 Junii 1915). In-8" de viii-304 pp. Rome, Ferrari; Paris, r,abal4a,

1917.
Par ce commentaire, le R. P. Vosté prend rang parmi les meilleurs interprètes
de la pensée de S. Paul. Il semble promettre une suite qu'on ne peut attendre
qu'avec svmpathie.
verso, le texte
La disposition extérieure est excellente. Sur le haut des pages, au
avec les variantes de von Soden; au recto, la Vulgate d'après
grec d'après ^'estle
corrections qui paraîtraient
rédition du R. P. Hetzenauer, avec l'indication des
souhaitables. Au-dessous le commentaire, verset par verset, en caractères plus fins,
comme Tintroduction et les appendices. Le tout est traité avec beaucoup
en latin,
un tact exégétique très sûr. L'auteur est très résolument tradi-
de précision et
tout routinier. tient compte des travaux les plus
tionnel, mais non point du Il

récents', spécialement dans le domaine


philologique. Il a traité la parole de Dieu
réflexions
comme un aliment pour les âmes, et su amener des citations et des
crainte que quelques théologiens lui repro-
utiles et pieuses. Lorsqu'il exprime sa
notes philologiques, n'a sûrement pas en vue les vrais théologiens
chent trop de il

profession qu'une explication très


qui ne demandent rien tant aux exégètes de
précise des textes, d'après toutes les ressources de la critique. Et le R. P. Vosté
que diffus dans son érudition, plus préoccupé des conclusions
est plutôt sobre
théologiques que des modalités historiques.
Pour enlever à ces éloges tout soupçon de partialité envers
un confrère, et
coutumes d'un Ordre qui a pour devise Vérité, je crois devoir
en suivant les us et
réussis, mais ceux qui me
noter ici non pas les passages qui me semblent le mieux
suggèrent des difficultés.

commente la Vulgate, ce qui est très à propos, surtout dans un commentaire


Il"

en latin, mais il annonce qu'il le fait secundim disciiAinam ecclesimticam (p. 40).
:

C'est encore très bien vu, à la condition de ne pas suggérer par ces mots qu'un
ecclesiasticam.
commentaire direct du texte écrit par S. Paul serait contra disciplhiam
On sait en effet que la loi du Concile de
Trente, ordonnant de suivre la Vulgate

in pv.bllcis disputa tionibus etc., fait allusion aux


documents officiels de l'Eglise, et
ne tranche pas le cas des commentaires particuliers, pourvu que ceux-ci ne s'écartent
le texte grec
pas de Vulgate in rébus fidei et morum. Puisque, d'après l'auteur,
la
version que ce soit pourquoi ne pas l'expliquer
original l'emporte sur quelque (p. 40),

précisément pour qu'on puisse ensuite l'employer dans un commen-


en lui-même,
taire de la Vulgate?
RECENSIONS. 575

L'usage du latin dans uu commentaire catholique est très recoramandable, et


dautant plus honorable qu'il offre plus de difficulté, avec la surcharge des discus-
sions historiques. Je ne veux pas éplucher le latin du P. Vosté qui dénote une
certaine aisance. Je pense que sti/liis gravidus (p. 107) est un synonyme de con-
sti-uctio iyr((eg)ian>^; mais comtructw est du moins du féminin, tandis que xtiilua

gravklus l'ait une étrange image.


L'introduction embrasse les deux épîtres : Dix chapitres : Thessalonica. De fun-
datione Ecclesiae Thessalonicensium. Locus et lempus composition^ epist. ad Thessal.
Occasio et scopns. Doctrina. Secimdus adventus Domini in epist. ad Thessal. Anlhen-
ticitas. TcxtvA. Bihliographia. Abbvevintiones.
P. 10. Lijstns in Galatia. C'est trancher avec beaucoup d'assurance la question
de la Galatie.
Le P. Vosté admet bien, et avec raison, que les épîtres aux Thessaloni-
P. 15.
ciens sont les premières lettres de Paul. Mais alors pourquoi montrer une certaine
faveur à l'opinion de M. Weber, qui place l'épître aux Galates avant le concile de
Jérusalem? Au moment où 11 écrivait aux Thessaloniciens, Paul n'avait pas encore
eu maille à partir avec les judaïsants, et cela aurait pu être noté pour la physio-

nomie de ces épîtres et même pour leur authenticité.


P. 33.Steck (Germ,) ». M. Stock était un Suisse écrivant en allemand- Je suis
«

peut-être responsable de cette fausse annotation de Germanus; raison de plus pour


la signaler. ^
pi 34, N'est-il pas exagéré de dire : ex recentioribus autem exegetis criticis nullus

omnino dabitat de authenticitalc iitriiisqiie ad Thessalom'censes. Quand


epistolae

commencent les reccntiores? A la même page, en note, l'opinion de M. Findiay est


beaucoup moins catégorique : the tendcncy ai présent is favorable to the hypothesis

of genuineness.
P. 38. La principale objection à l'authenticité de la seconde épître n'est pas
précisément relative au temps de la parousie, mais aux modalités de la parousie.
La première épître semble dire qu'elle viendra inopinément; la seconde annonce
des signes avant-coureurs. Le P. Vosté résout l'objection comme tout le monde :

malgré les signes du temps, on pourra être surpris sur le jour et l'heure.. Mais
siPaul avait dans son esprit cette distinction, ce qui est très plausible, n'a-t-il pas
pu aussi distinguer de la même façon quant à l'époque de la parousie.^ ignorance
du jour et de l'heure, mais opinion probable sur une parousie pus très éloignée.
Je note seulement qu'il eût fallu tenir compte de cette parité dans la discussion
sur la parousie.
P. 40. Secundum versionem antiquam dictant Ambrosiaster. est au moins équi-
voque. \" Ambrosiaf^ter a suivi un texte latin qu'aucun manuscrit ne nous fait con-
naître, mais rien n'indique qu'il soit l'auteur de cette version, et je ne sache pas
que modernes la désignent par son nom.
les
Primasim. Après les travaux de M. Souter, on ne peut guère douter que
P. 44.
Primasius ne soit un texte de Pelage révisé par Cassiodore. Il eût été du moins
prudent de dire pseudo-Primasim^, ou d'indiquer les raisons dun jugement con-
traire.
P. fi3. Je ne résiste pas au plaisir de signaler l'excellente note sur electionem
vestram.
P. 65. In virtute, non nlhidit ad iiuracnla, nuae Vaulus nunqnnm invocnt p?v>
credibiUtdte proprii operis; cependant (lai. 3, est bien quelque chose de sem-
.'i

blable.
576 RliVl K RIBMQLK.

P. 73. (cf. Cai.) oprès une citation de ('.ijetan, est siiperllu.

P. 89. Pourquoi s'étonner qu'Kstius ait connu le sens passif de Ivsp-jeraOai avant
jMilligan (plus loin ivspvsïaTat faute d'impression) ? Rien de plus courant dans l'exé-
gèse.
P. 100, et cela s'applique à I Thess. 1, 1; 3, 11; Il Tliess. 2, IG. Il y » quelque
exagération à dire que ces textes affirment la parfaite égalité de Dieu et de .lésus-

Clirist, parce que Dieu le Père et Jésus-Christ sont mis sur la même ligne. En elfet

on pourrait objecter : chacim selon son office. Dans II Thess. 2, 16, Jésus-Christ
est même nommé le premier, et c'est, dit le P. Vosté, parce qu'il est intcrmcdias et
vid ml Patrem. Il pourrait être pour la même raison nommé aprè.s le Père. Les
noms de de Srinneur pourraient par eux-mêmes indiquer une inégalité,
f>iev et

et il n'est pas aisé de prouver que Seigneur représente ici lahvé, car lahvé se disait

bien de Dieu le Père. Il suffirait donc de dire que la croyance de Paul à la divinité
du Fils de Dieu étant prouvée par d'autres textes, ceux-ci sont en parfaite harmonie
avec cette croyance. On conçoit que Chrysostome et Théodoret, peu après la con-
troverse arienne, aient insisti' sur ces textes, mais Targumentation théologique exige
plus de rigueur.
Après cela, je ne voudrais pas chicaner le R. P. Vosté lorsqu'il embrasse des
opinions assurément probables. Peut-être cependant se montre-t-il trop siir de son
fait lorsqu'il refuse d'entendre le pluriel de la première personne de Paul seul,
même dans 3, 1. Paul s'est associé pour écrire Silvanus (Silas) et Timothée (1, 1).

Mais à 3, 1, le pluriel ne comprend plus Timothée. L'auteur suppose qu'il s'entend

de Paul et de Silas. Mais Silas qui revint ensuite avec timothée (Act. 18, 5)
n'était-il pas parti avec lui? Et enfin le même verbe revient à 3, 5 au singulier.
Précisément, dit le P. Vosté; s'il parle maintenant au singulier, c'est donc que
tout à l'heure ils étaient deux! Pourtant Paul passe aisément du pluriel au singu-
lier : cf. II Cor. 1, 13; 5, 11 ; 7, 3; 10, 2 ss. ;
;ll, 2; Phil. 3, 17; on notera
l'accent personnel de plusieurs de ces passages, oij il ne saurait comprendre ses
collaborateurs. Paul était modeste assurément, mais il n'hésitait pas à mettre en
''
avant sa personne et son autorité.
Et l'interprétation de -o lauiou azsjo; /.racj9a: par « prendre femme », si ancienne
et si appuyée qu'elle soit, est vraiment bien bizarre. La seule analogie se trouve
dans les écrits rabbiniques; mais pour réaliste qu'il soit, le style de Paul évite leur
brutalité.Dans les Prov. 5, 15, bibe aquam de vusis tuis, i-b cywv àyys'fDV n'est
point une métaphore isolée; la comparaison de boire exigeait un terme semblable.
Dans I Pet. 3, 7, le i/.vjo'. féminin indique qu'il peut y avoir un a/.£uo; masculin,
bien connu de Paul II Cor. 4, 7. D'ailleurs le P. Vosté changerait peut-être de
camp si on pouvait lui prouver que KTàaOat signifie posséder, employer. Mais un
verbe de durée nest-il pas exigé par la tournure elle-même.' Que prétend-on dans

l'hypothèse du mariage? Que Paul met en garde contre un mariage contracté pour
satisfaire de mauvais désirs? Ce n'était pas ce qu'il y avait le plus à craindre dans
un temps oii les justes noces signifiaient renoncer à la licence. S'il a voulu dire
de ne pas abuser du mariage, xTZ'j^at ne signifie plus acquirere. Et Paul, lorsqu'il
parle de la luxure antique, s'attaque de coutume à nn autre vice qui menaçait la
dignité du proprium corpus. Acquirere pruprium ras au sens que l'on dit ne peut
vraiment pas se rendre en français, et l'on éprouve quelque répugnance à mettre
ce sens encore plus obscur qu'incongru au compte de Paul.
Passons à pieds joints la seconde épître, que d'ailleurs nous retrouvons dans
un des deux appendices Historia interpreîalionis II Thess. 2, 1-12 consacré au
:
.

RECENSIONS. 577

-6 y.aTÉ/ov, ô /.aTÉ/'ov apTi qui semble retarder la maiiifestatioa de l'Antéchrist.

Sur cette chose ou cette personne, je n'ai pas d'autre opinion que celle de saint Au-
gustin, citée avec déférence par saint Thomas Jù/o prorsus quid dixerit, nie faleor :

iymrin-e {De civ. Dei, w, 19j. Alors pourquoi insister? Parce qu'ici encore le

R. P. Voàté allègue une opinion qu'il déclare traditionnelle, ce qui n'est pas sans de
graves conséquences. Et d'abord nouS devrions nous entendre pour n'employer ce
mot que si l'opinion des Pères vient réellement d'une tradition. L'auteur l'insinue,
mais n'ose l'aMirmer, ce dont il faut lui tenir compte forte secundum aliquam tra- :

ditionem apOitnUcam, tain anliqua eniin et unaniinis est opinio haec; sed quis hoc —
probare aut cum certitudine affirmare uuderet? Si elle n'est pas apostolique, cette
prétendue tradition a donc commencé. Et, en effet, d'après le R. P. Vosté elle

a pour fondement la vision de Daniel (c. 7). Au lieu d'une tradition nous avons
donc à l'origine une conjecture exégétique qui apparaît dans TertuUien, le premier
témoin de la chaîne. Mais on parlera peut-être d'une exégèse traditionnelle. Quel en
était donc le sens.? Il suffit de lire Daniel. L'empire romain y est, d'après ces exé-
gètes, figuré par la dernière bête, la puissance la plus acharnée contre les saints. Font
allusion expressément à Daniel : TertuUien, Pelage, Chrysostome. Ambrosiaster, sans
citer Daniel, regarde l'empire comme un instrument de Satan. Jérôme lui-même ne
regarde l'empire que sous le signe de la Bète de l'Apocalypse. D'autres Pères, enten-
dant aussi l'obstacle de l'empire, se tiennent dans la ligne purement eschatologique :

on croyait l'empire éternel, c'est-à-dire prolongé jusqu'à la fin des temps; tout na-
turellement l'Antéchrist ne pouvait venir qu'après sa chute : saint Cyrille de Jéru-
salem, saint Jean Damascène.
Bref, aucun auteur ancien cité par le P. V'osté ne regarde l'empire romain comme
un obstacle à l'Antéchrist à cause de l'équité de son administration ou de la rectitude
de sa jurisprudence. Lorsque l'empire eut disparu, on voulut sauver la véracité de
Paul compromise par cette exégèse, sans renoncer à l'interprétation courante.
'Alors. —au douzième siècle! saint Bruno dit avec candeur— Romanum, id est :

Christianum imperium
D'autres avaient suivi une autre voie, et l'on ne peut pas même nommer una-
nime l'exégèse de l'empire rnmain. Saint Éphrem parle du culte des idoles, dont la
destruction de la cité marque le terme Théodore de Mopsueste et Théodoret allè- ;

guent le décret divin. Augustin refuse de se prononcer, et, rapportant les différentes
opinions dit seulement non absurde de ipso Romano imperlo creditur dictum.
:

Mais le plus étrange est que le R. P. Vosté estime suivre l'opinion unanime et
traditionnelle en désignant comme obstacle l'empire romain quatenus ordinatione :

sua aequa et mirabili est status ordinis, instUiae' ri pucis ip. 202)! Il y a bien accord
avec la plupart des Pères sur le nom de l'empire, mais nullement sur son rôle, ce
qui est le point capital. Que l'on soutienne l'opinion moderne à cause de la sym-
pathie de Paul pour l'empire, soit, mais ce n'est plus l'opinion des Pères. La note
juste est bien plutôt fournie par le P. Vosté qui reconnaît dans ce passage le style

apocalyptique p. 203). Il s'agit d'une chose mystérieuse, qu'on se disait dans l'inti-

mité des paroles, mais qu'on n'écrivait pas. Nous avons perdu le secret. Quant à
l'empire romain, c'était la chose la plus patente au soleil. Paul aura évité de le nom-
mer pour éviter les persécutions, répète le P. \ osté. iMais TertuUien n'a pas eu ce
souci, et quel Romain, croyant à l'éternité de l'empire, pouvait se scandaliser qu'on
ne le fit dîner que jusqu'à la fin du monde.'

Fr. M.-J. Lagrange.


REYUE BIBUQLE 1917. — N. S., T. XIV. 37
S78 UKVl !•: UlUl.lOl K.

Ephod and Ark, a stu>ly in \hc records aiul religion of the ancient llebrews,

l)v Willi;im II. Aiixoio, IlitcliorU professor ol' llebrew in Aiidover Iheolcj-ical
seminarv, in-S° de ITit p|). Cainbiid.Hi', ll.irvard Uiiiveisity l'ress, l!M7.

l\est.iit-il une oonjccluro à l';iiie sur \' i:i>hinl et sur \\\n:hr.' M. William IL Arnold,

peu siUislait. et à lion droit, des résullals de la crili(|ue moderne, a abordé à la

fois les di'ux problèmes.


Sur la ir.idition de l'A. T. est très lerniR. C'était, pour ne dire que
l'arelie,

l'essentiel, un coIVre en bois assez grand qui contenait les tables de b l.oi. Les cri-
ti(|iies. (lit M. Arnold, ne 'semblent d'aceord (]iie sur un point, c'est-à-dire pour

rejeter cette tradition. Les uns mettent dans l'arcbc mi bétyle, une image de
lalivé, etc.; les autres n'\ mettent rien du tout et la translormeut même en une sorte

de trône où lahvé était censé s'asseoir.


Quant à l'éphod, la tradition hébraïque est également très ferme pour en faire un
vêtement sacré propre au grand [u'ètre Es.. 28, ss.). Mais elle connaît aussi
un éphod laïc porté par David (II Sam. 6, 14), etdans deu.x passages au moins
l'eplnul fait figure d'un objet solide. C'est l'éphod de Gédéon, fabriqué avec 1.700 sicles
d'or Jud. et l'éphod de \od derrière lequel se trouvait l'épée de Goliath
8, 27
J Sam. 21. Depuis longtemps on clurche à concilier ces textes. La critique
10 .

a trop souvent regardé ce dernier épliod comme une idole, et regardé même cette
signitication comme le sens propre du mot éphod, dont elle cherchait l'élymologie
dans cette direction. M. Arnold n'admet qu'une seule espèce d'éphod, celui qui
était à l'origine une sorte de pagne, et qui est devenu une pièce luxueuse de l'Iiabil-

lement solennel du grand prêtre.


Cette opinion, si l'on s'en tenait à ces termes, serait extrêmement sympathique,
car on ne peut admettre aisément qu'un mot rare et technique ait eu deux sens
aussi opposés que « idole » et « pagne », tandis qu'on comprend très bien qu'un
vêtement même aussi primitif qu'un caleçon soit devenu une pièce importante d'un
habillement sacré.
On a déjà supposé que le mot éphod, dans les deux passages discordants, a été
introduit par la tradition rabbinique à la place d'un mot qu'elle jugeait choquant.
Pour ne pas dire que Gédéon avait fait une idole, on aurait dit qu'il avait fait un
éphod. C'est la solution qui a déjà été proposée par M. Moore.
Voici enfin quel est le système de M. Arnold et comment il résout à la fois la

question de l'éphod et problème soulevé par les modernes au sujet de l'arche.


le

A l'origine, —
au temps de Saiil et de David, il n'y avait pas qu'une arche de —
lahvé. Il v avait autant d'arches sacrées que de sanctuaires: le prêtre les employait
pour rendre les oracles, car elles contenaient les objets dont on se servait pour la
divination. Si l'on ne s'en est pas aperçu plus tôt, c'est qu'on n'avait pas compris
que. toutes les fois que le texte parle d'i-phod à propos des oracles, il faut lire /n-che

(VIN au de "lEX). Ce point admis, on n'aurait aucune répugnance à supposer


lieu

le même changement dans les deux cas où l'éphod est un objet solide.
Dans cette thèse, la nouveauté n'est pas que l'arche ait eu une relation avec
l'oracle. Il était assez naturel qu'on consultât lahvé en sa présence, que l'arche
rendait sensible. Mais en fait le texte Ar-
sacré rattache la divination à l'éphod. 31.
nold suppose que ce un artiQce des docteurs de la Loi du judaïsme pour voiler
fut

le fait de la multiplicité des arches. Il lui faut donc prouver cette multiplicité, et

nous confessons très nettement que ses arguments nous ont paru dépourvus de
valeur.
La thèse procède ainsi. Dans un cas (I Sam. 14, 18) au moins, nous avons une
RECE.\SIO?;S. 579

évidence textuelle du changement de arôn en épliotl : nous sommes donc autorisés à


supposer que le même changement a été introduit ailleurs.
Et enefiet. dans le texte cité, ou bien le grec qui lit éphod a changé arôn en

cphod ou bien le texte naassorétique qui lit arôn a changé cphocl en arôn. Pour
,

M. Arnold il est clair que c'est le grec qui a changé. Kt si cela était établi, on serait
en elfet assez porté à supposer que dans d'autres cas le même changement a pénétré
même dans le texte massorélique, car ces cas sont sur le même plan. Mais c'est
aussi ce qui a décidé tous les commentateurs critiques à préférer le texte grec. Et
M. Arnold est bien obligé de reconnaître sa supériorité dans l'ensemble, puisqu'il
lui faut d'abord corriger l'hébreu d'après le grec, smtf le mot drôn qu'il croit
authentique. Il lui faut de plus attaquer le v. 3, d'après lequel Achiya portait
le même objet qu'il faudra lire au v. 18. Le principal argu-
l'éphod, car c'est bien
ment en faveur du texte hébreu au v. 18, c'est qu'il n'y avait aucune raison de
remplacer éphod par arche. Au contraire, l'arche étant alors à Qiryath-Yearim, sa
présence au camp de Saiil a paru invraisemblable à un correcteur qui a remplacé
arche par c'phod. L'argument n'est pas sans valeur, mais faut-il assigner une raison
valable pour la -présence d'un non-sens dans le texte hébreu? La leçon difficile n'est
pas nécessairement la meilleure. Si la présence de l'arche à ce moment a paru into-
lérable, pourquoi n'a-t-on pas corrigé le texte massorétique? Tandis qu'un pieux
lecteur a pu se dire qu'une victoire signalée exigeait, la présence de l'arche il, n'a
pas réfléchi qu'alors elle était à Qiryat-Yearim, ou bien pu croire qu'on l'avait
il a
envoyé quérir. Et, comme le dira plus loin M. Arnold, qui eût supposé que l'arche
avait quitté son asile de Siou pour aller, sans le roi, faire campagne contre les

fils d'Ammon, si nous ne l'apprenions, tout à fait par hasard, par les paroles d'Urie
(H Sam. 11. 11)?
Le texte de I Sam. 14, 18 ne prouve donc ni le changement systématique de
arôn en rphod, ni la multiplicité des arches.
M. Arnold en vient à d'autres textes. Cinq passages prouvent la pluralité, trois autres
ne sont explicables que si l'on regarde Tarche comme l'instrument de la divination.
"

Nous suivrons cette argumentation de près, à cause de l'importance du sujet, et,


pourquoi ne pas le dire? à cause de la pénurie de la littérature exégétique.
Une remarque générale d'abord. L'auteur nous rappelle que dVt^n* •^i-'x n'a

pas la même portée que i.l'^Nn Le premier terme signifie « un homme de


Cn.
Dieu », le second, « l'homme de Dieu ». De même, dit-il, nTlSx "IX signifie « une
boîte de Dieu » ou plutôt a une boîte sacrée «, tandis que \~'^K~ "jnx sera « la
boîte sacrée », celle tlont il vient d'être question. Quant au terme n^ll, placé assez
souvent entre les deux mots, il est récusé comme appartenant à la rédaction deulé-

ronomienne. Nous n'insistons pas sur ce dernier point. Mais, tout en reconnaissant
le principe de grammaire rappelé par M. Arnold, nous contestons qu'il ait une

application constante dans le cas d'un objet que la tradition regardait comme unique.
Il prétend que les commentateurs font une pétition de principe. IMais ils s'appuient

sur la tradition de ceux qui ont rédigé et copié les textes. Pour établir d'après ces

textes un autre état des choses, il M. Arnold


faudrait apporter des preuves claires, et

se voit obligé, dans un cas au moins, de'corriger le texte précisément pour obtenir
la forme grammaticale qu'il postule (Jud. 20, 27 s.)! Lorsque le texte dit arôn

la.hvé, c'est l'unité qui est naturelle, et il faut beaucoup d'esprit de système pour

voir dans arôn lalivé Sebaoth « l'arche de lahvé militant », c'est la traduction —
de M. Arnold —
la boîte sacrée d'un sanctuaire particulier ayant un vocable spécial.

Sur ce, venons aux textes.


580 UliVl'K miMlUllE.

Le premier,Sam. 3. nesl siière ilt'monslralif, l'auleur le. concède ais«'menl. I.c


l :î

prec a compris « Samuel ti;iit couché dans le lomplc de lahvé où était l'ardie de
:

« où il y avait une hoîtc sacrée ». A quoi hon le dire


Dieu 1). M. Arnold traduit :

une dans cli,u|ue sanctuaire? Mais toute l'histoire qui suit indique assez
s'il y en avait
que celle arche était le palladium d'Israël, l'arche par excellence.
I Sam. 4, :J s. inditiucrait une arche particulière parce (pic l'auteur la nomme
l'arche de Silo. '^
<. l'arche (de l'alliance) de lahvé militant ». Mais c'est louj'ours
L'addition de .Sebaoth est
avait-il donc plusieurs arches dans un seul sanctuaire?
simplement eni|)hatiquedins cette i^rave circonstance. D'ailleurs elle ne ligure ((u'une

dans le texte qui dit « l'arche de l'alliance de lahvé », « l'arche de l'alliance de


fois :

lahvé Sebaoth », « l'arche de l'alliance de Dieu >> (DXlSxn), comme pour montrer

que ces termes ont le même sens.


.\rn(tld se donne beaucoup de
II Sam. 6, 2. Vraiment on ne comprend plus. jM.
la maison
mal pour expliquer à sa manière le transfert de l'arche de Qiryath-Yearim à
dObededum et de là dans la cité de David. Mais qu'est-ce que cela prouve pour la
n'est que cette arche
pluralité des arches? .le ne vois aucun indice de preuve, si ce
une arche particulière. Mais c'est aussi l'arche
étant celle de lahvé militant était

de lahvé, l'arche de Dieu. Et rien n'est propre à mettre en relief l'impoi tance
unique de l'arche comme cette translation solennelle. Il est vrai que M. Arnold y
prend garde et ses ciseaux lui permettent de faire du premier transfert un simple
épisode de la lutte contre les Philistins. Il enlève de l'épisode 5, 1>0-2<1 et 6, t. pour

souder 5, 19 à 6, 2. Puis la discussion se porte sur des questions topographiques


qu'il tranche avec- beaucoup d'assurance : la vallée des Raphaim était au nord-ouest

de Jérusalem; Qiryath-Baal est bien Qariet el-'Enab (ou Abou Gôch), mais
non point
identiGé à Qiryath-Yearim qui est placé à Qoubeibeh, avec une certitude
mathéma-
tique. La route moderne de Jérusalem à Jaffa n'existait pas au temps des Romains et
questions.
ne passait pas à Qariet el-'lùiab, etc. Je n'ai pas l'intention de discuter ici ces
Il est sûr que la voie romaine n'allait pas se
jeter dans la profonde vallée de Colonieh
Qaiiet
pour remonter ensuite. Elle passait plus au nord, mais longeait certainement
gagnait Amwâs et Lydda. On peut encore la suivre depuis l'éperon
el-'Enab, d'où elle
el-'Enab ou
qui se détache à droite de la route actuelle quand on a quitté Qariet.
Abou-Gôch pour descendre vers Dans les questions de topographie, nous
la plaine.

sommes bien aises de saint Jérôme ou d'Eusèbe. Combien plus


de connaître l'avis

sont appréciables les identifications qui se trouvent dans la Bible! A supposer


que
lidentité de Qiryath-Yearim et de Ba'alah ou Qiryath-Ba'alah soit l'œuvre d'un

glossateur (Jos. 15, 60-, 18, 14), ce glossateur avait la prétention de connaître le
pays, et il faut être bien osé pour lui donner un démenti. D'autant que
Qoubeibeh n'a
révélé jusqu'à présent aucun vestige d'une ville antique. Le site du village actuel n'est

point du tout semblable à celui des anciennes installations, et la colline qui le domine
à l'ouest n'a point de ruines. La vallée des Rephaïm n'est point en effet, croyons-nous,

la plaine que parcourt la voie ferrée en sortant de la gare, mais plutôt une petite
plaine située à l'ouest de Jérusalem et qui se termine par la vallée de Sainte-Croix.
Mais ce dernier point importe peu pour la question du transfert de l'arche.
Avec toutes ses coupures, M. Arnold aboutit à faire partir David de Guéba' qu'il
regarde comme la hauteur de Qiryath-Yearim (5, 2.5) et suppose que les mots « de
là ï dans 6, 2 se rapportent à Guéba'. Mais ce ne pouvait être la pensée du rédacteur,

qui regardait évidemment Ba'alé-Iehouda comme un nom de lieu (1). Il est permis de

(1) M.Arnold interprète .. les hommes de Juda .. et traduit nSyCS qu'il emprunte aux Septante
KKCliiNSlONS. 581

clierclier des documents dans les livres historiques, mais il l'aut toujours supposer
cjue le rédacteur avait im sens en vue.
Et enfin, quand on concéderait tout cela, quand il serait vrai qu'au lieu de toucher
l'arche pour l'empêcher de tomber, l'infortuné 'Ouzza a glissé parce que les bêtes ont
jeté du fumier sur la route et (ju'il s'est cassé la tête contre le rocher... qu'en résul-
terait-il pour Id pluralité des arches saintes? Si chaque sanctuaire avait son arche,
il n'y avait qu'à ramener celle-là à Silo, et à en faire fabriquer une pour la cité de
David.
Quatrième texte Reg. 2, "26. Salomon dit à Abiathar
: I « Va-t'en à Anathoth :

dans ton domaine, car tu mérites la mort. Mais je ne te ferai pas mourir aujourd'hui

parce que tu as porté l'arche du Seigneur lahvé devant David mon père, et parce
que tu as eu part à toutes les épreuves de mon père. » M. lirnold traduit « parce :

que tu as eu part à toutes les souffrances de mon père ». Il semble que le verbe r\2'J

indique plutôt des humiliations que des souCfrances, ce qui s'accorderait bien avec la

situation de II Sam. 17, 29 dans laquelle Abiathar, portant l'arche avec Sadoc,
voulait partager la fuite de David devant Absalom Mais le sens le plus naturel est
que Salomon épargne Abiathar pour deux mol ifs : parce qu'il avait porté l'arche
devant lui, et parce qu'il avait été associé à sa vie errante.
Or Abiathar, étant grand prêtre, a du coopérer au transfert de l'arche de lahvé
militant, et 1 Chr. 15. 11 le dit expressément. M. Arnold n'a donc pas le droit de
conclure àdeux arches.
Mais voici le comble censé adressé aux Israélites du nord, est
: Jér. 3, 16, qui est

ainsi traduit : que les hommes ne parleront plus désormais de « la


« Il arrivera...
boîte de lahvé », et ne s'en occuperont plus, et ne l'invoqueront plus, ni ne la visite-
ront plus; et ils ne la fabriqueront plus. » Tout cela est assez raide, car il en résul-
terait que « dans la pensée de Jérémie la boîte de lahvé était une superfétation

païenne qui ne pouvait être déracinée trop complètement » (p. 75). Jérémie n'avait
aucun soupçon de l'arche du temple de Salomon (I Reg. 8, 9). Il ne savait donc
rien de l'unité imaginée par le Deutéronome. Il regardait l'arche non comme un
objet, mais « comme une institution », ce qui permet à M. Arnold de conclure à la

pluralité, car il n'ose pas soutenir mordicus qi\e ce passage de Jérémie s'adresse aux
du Nord qui auraient eu leur arche. Aussi bien, une arche à Béthel, on le
captifs
comprend asse?, ne prouverait rien contre l'unité juridique de l'arche. Inutile de
discuter une interprétation aussi étrange. A qui est-il venu à l'esprit, dans l'ancien
Israël, qu'on invoquait l'arche.' On y a fabriqué des veaux d'or et des idoles, mais
une arche comme objet d'adoration?
On voit ce que valent les cinq arguments pour établir la pluralité de l'arche dans
l'ancien Israël.
Voici maintenant les trois textes qui ne s'expliquent bien que si l'arche ou, dans
le système de l'auteur, les arches, servaient à la divination.

II Sam. 11, 11 : « Ilrie répondit à David : L'arche et Israël et Juda habitent


sous des tentes », etc. L'arche était avec l'armée dans l'expédition contre Ammon et

nous ne le savons que par hasard. Elle accompagnait donc toujours l'armée. Sur quoi
M. Arnold demande était-ce, comme lors de la défaite par les Philistins (I Sam. 4,
:

3 ss.), pour sauver la nation d'un grand péril, ou pour servir à la divination? Pour lui,
il n'y a pas de milieu, et il tient la seconde hypothèse pour déjà appuyée par le texte

.<au retour ». On the ascent = on the retiira. Mais QoubeibeU est presque aussi élevé que
Jérusalem. Au surplus nous avons flcj;i entendu proposer de prendre le village de Biddou
comme représentant, même phonétiquement, la maison (l"OI(edédom I
:i82 HKVIK imiLlQUi;.

(le 1 Sjin. 14, is. M.iis nous .ivdus vu que ce deruior tc\lo duii plulôt rtre lu
d\iprès les SeptiUitc, qui ont l'éplioil et non Tarclie. Kt pouiquui auiMit-(»n mené

larclie au- combat seulement en cas d'extrême danger? David a pu inlioduire la


coutume de l'envoyer aux expéditions difliciles, cl celle d'Ammon l'était certainement.
Il l'aut noter aussi (|u'l rie dit « l'arrlie u, comme s'il s'agissait (V\m objet unique l't

bien connu.
Sam. 15,21-2!). Nous avons déjà rencontré ce texte. Voici comment M. Arnold
II

le traduit après l'avoir corrige : « Or voici que Sadoq et Abialliar portaient la boîte
sacrée {1,\ Et ils déposèrent la boite sacrée (sur le poI) jus(|u'à ce que le peuple ail
(iui de passer en sortant de la ville. Et le roi dit à Sado([ le prêtre Es-tu un :

voyant.' Iletourne dans la ville en paix, et laisse retourner Abiitbar, et Ahimaa.s


ton (ils, et Jonatlian le lils d'Abiathar, vos deux lils, avec vous. Voici, je vais errer
dans les plaines basses du désert jusqu'à ce (|u'une parole soit venue de votre part
pour minfornK-r. Ainsi Sadoq et Abiathar ramenèrent la boîte sacrée à .lérusalem
et y restèrent ».

.lusqu'à présent on a compris que les prêtres ne voulaient pas abandonner David,
et amenaient avec eux l'arcbe qu'ils ne devaient pas quitter. David pense qu'ils

serviront mieux sa cause eu lui transmettant des informations, et, comme ils retour-
nent, ils emmènent l'arcbe avec eux. On voit d'ailleurs ici que la « boite » était

assez considérable puisque les deux prêtres la portaient.


Il reste cependant un passage v. 27 que M. Arnold a
difficile : nnx* rîNl"!n du
rendu : a Es-tu un voyant? » Pouvez-vous venir avec moi
Et il parapbrase : «

et par le moyen de votre instrument découvrir, aussi bien que si vous demeuriez
sur les lieux, tout ce i|ue j'ai besoin de savoir sur les ressources d'.\bsalom, son
action, ses desseins contre moi? » La réponse est évidemment : >ion, n'est-ce pas?
Alors retournez! Le distingué critique rendu compte de l'impertinence de s'est-il

ces paroles vis-à-vis de l'arche et des oracles de labvé? David aurait tenu le lan-
gaiic d'un sceptique, et l'auteur biblique aurait enregistré sans sourciller ces propos
malsonnants, si déplacés dans la bouche de David, l'idéal du saint roi, et qui
témoigna dans cette épreuve de tant de confiance en labvé.
Assurément, après les corrections que M. Arnold s'est permises, il ne peut
trouver mauvais qu'on s'appuie 'sur les Septante pour traduire avec le P. Dborrae :

« Vjsyez! toi et Abiathar, retournez en paix à la ville >. Même si l'.on conserve le

texte massorétique, il n'est pas nécessaire de voir dans nxn un synonyme de


Voyant ou de Prophète. Pourquoi ne simplement « es-tu clairvoyant,
serait-ce pas :

sais-tu voir et observer »? D'ailleurs M. .Arnold a supprimé une première monition


de David à Sadoq qui faisait du moins partie de la rédaction définitive. Et c'est
cette rédaction qu'il faut expliquer. Les mots « vois-tu » peuvent s'expliquer
comme une nuance de reproche : « Ne comprends-tu pas? » Et quoi qu'il en soit
de ces mots, ils ne peuvent fournir la preuve que l'arche servait par elle-même à
la divination, comme une boîte contenant l'instrument des oracles.
Jud.20, 27 s. <• Et les enfants d'Israël consultèrent lahvé, — car l'arche de
l'alliance de Dieu se trouvait là dans ce temps, et Phinéès, lils d'Eléazar, fils

d'Aaron. se tenait à cette époque devant lui, — disant » etc. Cette fois il est clair

que l'arche a une relation avec l'oracle. Mais les critiques ont cru remarquer dans
la présence de l'arche, avec le grand prêtre descendant en ligne directe d'Aaron,
une conception parfaitement conforme à la tradition du Pentateuque, ou comme

vl) DNiSnH pN " l'arclie de Dieu », donc l'unique arche bien déterminée.
RECEiNSlONS. 583

iis distinguent,'' du Code Sacerdotal. Il est Impossible de supposer que dans ce


contexte l'arche ait été autre chose que ce qu'entend le Pentateuque. Le sens est
(lue les enfants d'Israël, s'ils ont consulté lalivé, l'ont fait d'une façon régulière, en
présence de l'arche et par le ministère du grand prêtre. S'il y a parenthèse, ou
introduction d'une addition postérieure, il est clair qu'elle sépare « iis consultèrent
— disant ». Et cela est si vrai que l'arche est déterminée (DXiSnh n''in 'JTIN),
c'est l'arche de l'alliance de Dieu.
Arnold ne l'entend pas ainsi il enlève le grand prêtre, mais il laisse l'arche,
^I. :

ou une boîte sacrée », en enlevant l'article devant Elohim. Avec ce


plutôt «
procédé, on peut arriver à tout résultat voulu, mais il ne sera pas solide.
On voit que M. Arnold n'est guère en droit de conclure qu'il y avait chez les
anciens Hébreux plusieurs boîtes sacrées employées comme instrument de divi-
nation. Dès lors il ne nous est guère suggéré de préférer le texte massorétique de
I Sam. 14, 18. Encore moins avons-nous le droit de lire arche dans d'autres pas-

sages où l'hébreu comme le grec lisent cphod lorsqu'il s'agit de divination dans
l'histoire de Saiil et de David I Sam. 2, 28; 14, 3; 21, 10; 23, 18; 23, 6. 9;
:

30, 7.

Spécialement pour I Sam, 2, 28, on fjit dire à lahvé : j'ai choisi la famille d'Eli
« pour porter une boite devant moi ». Mais nulle part la Bible ne contient rien
d'approchant, car l'arche était précisément représentative de la présence de Dieu,
et ne pouvait donc être portée devant lui. On objectera que- M. Arnold l'a dépouillée
de ce sens. Mais alors pourtjuoi : « devant moi x ? L'auteur sent si bien la nt^cessité
d'indiquer quelque chose d'analogue qu'il cite Deut. 10, 8, où l'office des Lévites
est « de porter l'arche (d'alliance) de lahvé, de se tenir devant lahvé etc. » ;

mais il arrête la citation trop tôt : il faisait ajouter « pour le servir » etc., car
Ci sont deux offices distincts que porter l'arche et se tenir devant lahvé pour
la liturgie.

Il faut avouer que I Sam. 23, 6 donne l'impression d'uaobjet solide, du moins
si l'on ne pénètre pas le sens de l'hébreu : « Il descendit ayant Téphod dans sa
main ». Mais M. Arnold a le bon goût de ne pas insister sur ce « dans sa main »,

d'autant que l'arche, qu'il met à la place de l'éphod, deviendrait un objet par trop
portatif. Il dit très bien que cette locution signifie simplement (amener « avec soi »

(cf. I Sam. 14, 34). Et l'on ne voit pas non plus qu'une arche divinatoire soit en
situation dans le cas de Gédéon. Que l'éphod dans ce cas (Jud. 8, 27) ne soit pas
authentique, on a assurément des raisons de le soupçonner. M. Arnold ne veut pas
le remplacer par « idole >, parce que Sd£ et HDDD se trouvent dans Juges 18,
ajoutés à rphod et à teraphim. Mais le culte des Danites était manifestement
réprouvé, et il a pu paraître dur de laisser sur le même rang Gédéon, quoique le
blâme demeuré dans le texte. En tout
soit cas, disposant d'une pareille quantité
d'or, Gédéon aurait-il employé tout cela à faire une arche? D'autant que l'arche
traditionnelle était en bois; Joseph, selon la coutume égyptienne, dut être mis dans
un cercueil (Gen. 50, 26) de bois. Le coffre pour les contributions du Temple
(II Reg. 12, 10 s.; II Chr. 24, 8. 10 s.) pouvait être aussi en bois. Et, pour le
dire en passant, dans tous ces cas on ne saurait traduire boîte, mais coffre, c'est-à-
dire que l'arche avait des dimensions trop considérables pour qu'on put qualifier
un prêtre comme un porte-arche, ainsi que le veut M. Arnold. O.i est bien tenté
de penser que si Gédéon a consacré tant d'or à son chef-d'œuvre, il n'a pas fait
un simple coffre d'or pour contenir l'instrument de la divination. D'autant que la
fornication (spirituelle) d'Israël s'explique naturellement d'im culte idolàtrique qui
584 REVUE BIIILIOLE

ne pouvail s'adresser au seul récipient des instruments de l'oracle. Dans l'his-


toire de Mika et de son UWite Jud. 17 s. , nous avons déjà dit qu'on ne peut
remplacer rpliod par idole; mais ce n'est pas une raison pour y mettre (irc/ic, à
moins qu'on n'ait été persuade par les ar;iumcnts de M. Arnold du parti pris d'un
recenseur autorisé. Et le cliau^emenl de ^1n en ^VN dans I S.mi. 15. l>:{ détruit le

parallélisme sans aboutir à un bon résultat, car on ne satu-ait être bien satisfait
de : car un péché contre l'oracle est une rébellion, cl boite et téraphim sont
fl

une obligation » !

Comment M. Arnold iuiagiue-t-il (pie le prêtre portail sa boite? « Nous pouvons


supposer qu'elle était portée au n)oyen d'une courroie passant par-dessus les épaules
et autour du cou, un peu à la manière d'un moderne tambour » (p. 13:1/. Et c'est
à peu près l'image (ju'on se fait d'un éphod fixé par une ceinture, elle-même sou- ^
tenue par deux épaulières ou bretelles, en y ajoutant une sorte de poche pour les
instruments de la divination.

Fr. M.-.I. L.v(; RANGE.

t > •j*XHC~' *—>


BULLETIN

Nouveau Testament. — Le professeur II. Ooit a décrit en deux volumes


l'iiistoire politi(|iie et religieuse des derniers siècles de l'indépendance d'Israël (1),
depuis la restauration sous Néhémie et Esdras jusqu'aux derniers soulèvements
désespérés du malheureux peuple juif contre la domination romaine.

L'intérêt du
ne provient pas seulement de sa relation avec le Nouveau Tes-
sujet
tament; on y voit en scène l'opposition tragique entre le renouveau intense d'une
vie religieuse pleine d'idéal et d'espoir, et la fatalité aveugle qui précipite le peuple

messianique vers sa ruine et son suicide politique et religieux.


L'auteur nous avertit modestement qu'il a eu l'intention d'écrire un livre de lec-
ture plutôt que de science het iverk is meer lees-dan leerboeh. Et en effet, l'ouvrage
:

du professeur de Leyde n'a pas l'extérieur scientifique du célèbre ouvrage de Scliii-


rer : Gescldc/ile des Jicd. Volkes im ZvUalti'r Christi, qui décrit la même époque.
Cependant, si l'ouvrage hollandais est bien un livre de lecture, c'est un livre de lec-
ture scientifique.
Nous ne reprocherons donc pas à l'auteur de n'avoir ni présenté ni indiqué les
sources avec assez de soin ; de propos délibéré tout apparat bibliographique
il a évité
inutile pour des lecteurs ordinaires, mais que d'autres, surtout des étudiants, jugent
indispensable pour une étude personnelle. Quelques indications jetées au hasard
au bas de la page sont une heureuse inconséquence. On pourrait également se
demander s'il n'eût pas été désirable de faire une distinction plus radicale entre
l'histoire politique et l'histoire religieuse de cette période si agitée et si importante
à ce double point de vue. L'ouvrage eut conservé toutes ses qualités, et eût gagné
en méthode et utilité, si l'auteur avait suivi l'ordre suivant : description des sources,
histoire politique, vie religieuse. Si c'est là àpeu près la division de l'ouvrage de
Schûrer, nous répondrons que Schiirer reste en cela un modèle... Et après tout, cette
division s'impose: la clarté n'est le monopole de personne.
Pour l'histoire, l'auteur a utilisé les documents les plus récemment découverts,
par exemple les papyrus d'Éléphantine ^I, p. 109 ss.).

Le premier chapitre intitulé : de Néliémie à Alexandre


le Grand, eût été plus
conforme nous paraît la suite réelle des faits, si l'auteur avait tenu compte
à ce qui
de la géniale hypothèse du prof. A. van Hoonacker, de Louvain, sur les livres et
l'œuvre de Néhémie et d'Esdras. Dans Oort, les événements sont enchevêtrés, on
ne voit pas bien quel est le rôle respectif du gouverneur et du sùpher dans la restau-

;t'; De aafste ceuwen van Isiaels volkbeslaan, par le M' H. Oor.T, professeur émérile tie l'uni-
versité de Leyde. s. C. van Doesbiirgli. - i-- édition (Kh;; . deuv volumes in-8« gr. pp. vni-38-2;
418).
^

;\HC, UKVLI-: IMIM.IQUE.

ralioii lie .Icriisalein. O.» sail que le V\. v,m lloonaclvr pr.ipuse de lire les (Idcii-

inouts (huis l'ordre suivant ;i :

1. Le eomineneeineiit du livre d'Ksdras (^1-6, sauf les piiroiitlièsesj,


2. I,n parenthèse (4, ()-23);

:>. l.e livre de Schcmie.


1. du livre d'Ksdras ^7-10).
L\ lin

Lors de la première arrivée de iNéhémie à .lérnsalem, eu l"an 20 d'Artaxerxès l

(44Ô), Esdras n'est qu'un simple sùpher, qui lit et expli(|ue la Loi (Néli. 7). Le peu-
ple s'engage à l'observer, et Nohémie retourne à Suse (en 433; cf. Neli. 5, Hf.
Quelque temps après, Xéhémio revient à .lerusiilem et y fait plusieurs réformes ;

en partieulier il reprend avee véhémence eeu\ qui ont contracté des ni;iriai;es avec
les païens (Néli. 13, (i ss.;. Ici Xéhéinie disparaît. Lsdras continue l'œuvre de
réforme avec une autorité plus grande et exécute les recommandations de son pré-

décesseur au sujet des mariages mixtes a\ec la dernière rigueur : les femmes sont
renvoyées avee leurs enfants 'Rsdras. 9 10\ La seconde arrivée d'Ksdras à Jérusalem
se place en \\\n 7 d'Artaxerxès II, vers 398.
Les faits se succèdent ainsi et s'enchaînent de la manière la plus naturelle.
Dans deuxième volume surtout (chap. xx.-x\vr), les questions religieuses ont
le

reçu tout le développement qu'elles méritent. Nous avons lu ces chapitres avec grand
intérêt et y avons admiré le talent d'exposition et l'érudition remarquable de
l'auteur.
Çà et là, quelques réflexions trahissent le protestant peu favorable à nos croyances,
et le critique avaiTcé et même rationaliste.

L'auteur traite avec assez de désinvoltiu-e les miracles du IL livre des Macchabées.
A propos de la manifestation de la puissance divine contre le profanateur Iléliodore
i^II Macch. 3 ,
il a des réflexions sur les miracles, qui sont pour le moins dépla-
cées : « Les miracles sont de pieux artifices {vrooin hcdrog) sans lesquels le prêtre
ne peut pas à la longue garder sou prestige! » (I, p. 63;.

La dénomination de deutih-ocnioniques, usitée chez les catholiques pour certains


synonyme de mnoniques de deunù^ine raivj hatiuniche ran dm liree-
livres, n'est pas

den rang (I, p. -48}. Cette dénomination n'a qu'une valeur historique. Dans la cano-
nicité. comme dans l'inspiration, il n'y a pas différents degrés.
Typique, et presque comique la réflexion sur l'imitation de la synagogue et de ses
pratiques au sein des communautés protestantes, par aversion pour la pompe et les
nombreuses cérémonies de l'Église catholique (11, p. 49;. Dans le chapitre intitulé :

te christianisme (II, p. 338), sur la personne de Jésus, sur sa doctrine et son œuvre,

l'auteur professe le scepticisme le plus radical. Nous le savions déjà par l'édition que
le D'^ Oort a faite du Nouveau Testament. [Fr. J.-M. Vostk.]

A QUOI FAUT-IL ATTRIBUER LE SILENCE DU QUATRIEME ÉvANGILE AU SUJET


DE LA RÉMISSION DES PÉCHÉS?
A cette intéressante question le D'' K. J. Proost répond dans la Theologisch Tyd
schrift (2) de Leyde par les quatre conclusions suivantes :

t. — La rémission des péchés est bien à sa place dans les évangiles synoptiques
mais elle ne cadre pas avec le système du quatrième évangile.
2. — L'idée capitale de ce système est que Dieu, par la mission de son Fils, con-

(1; Cf. RB., 10Û7. p. -258 SV., et 190S, p. 3:2o sr.


(-2) Fascicule III el IV, 1917, p. I'j7--2-27.
BULLETIN. 587

duit les élus d'une manière mystiriue et sacramentelle à l'impeccabilité et à la vie

éternelle.
3. — Le quatrième évangile prêche donc une sotériologie siu-naturelle dans la-

quelle la notion étliiqiie de n'mission de^ péchés rentre à l'arrière-plan.

4. — L'iniluence des mystères grecs est ici incontestable.


Cette dernière conclusion range l'auteur parmi les tenants de la nouvelle école
dite d'histoire des religions. On sait qu'elle se propose de voir dans le christianisme
— surtout dans le quatrième évangile —
l'influence de l'hellénisme et spécialement
de sa mystique.
Déterminons d'abord l'état de la question, tel qu'il est énoncé dans les trois

premières conclusions.
D'après M. Proost, c'est un fait reconnu par les exégètes que la notion de péni-
tence, de conversion et de rémission des péchés, essentielle dans les synoptiques^
du quatrième évangile.
s'efface à l'horizon —
C'est en effet, et à condition de ne pas
l'exagérer, une des nombreuses différences qui distinguent les évangiles du Règne
des Cieux de l'évangile du Verbe Incarné elle rentre dans la différence générale et
;

caractéristique qui existe entre les premiers évangiles messianiques des paraboles et
l'évangile plus spirituel de l'allégorie. Ce qui disparaît ici, c'est quelque chose de la

terminologie des synoptiques, mais non la doctrine: bien au contraire, les méta-
phores projettent sur la même réalité une lumière plus vive. Ce n'est pas la dis-
tance existant entre le monde juif et le monde ^ec, qui sépare les synoptiques de
S. Jean; mais bien la gloire du Verbe Incarné, dont S. Jean rend témoignage, la

gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité 1, 14).


Mais n'anticipons pas, et exposons dans toute sa force la différence qui règne entre
les évangiles sur le point en question.
D'après les récits des synoptiques, Jésus cherche les pécheurs (Me. 2, 14\ Jésus
mange avec les pécheurs ibid. 1.5; Le. 19, .5 sv. 18; Matlh. 11, 19 et Le. 7. 34
: :

l'ami des pécheurs!)-. Jésus prêche contre le péché {passim]; Dieu pardonne aux
pécheurs (cf. la parabole du Fils prodigue dans Le. 15 1.

Mais outre ces affirmations générales, il est aussi en particulier question de la


rémission des péchés. Déjà Zacharie, père de Jean-Baptiste, prophétise au sujet de
sou iils, qu'il précédera le Seigneur pour donner au peuple la connaissance du salut
par la rémissioi des pêcliés (Le. 1. 77 et Jean commence son ministère par la pré-

dicationdu baptême de pénitence pour la rémission des péchés (Me. 1, 4; Le. 3, 3).
Tout péché sera pardonné aux hommes et tout blasphème qu'ils pourront pro-
noncer (Me. 3, 28: Matth. 12, 31 sv.). Selon l'évangile de S. Matthieu le sang de la
nouvelle alliance est versé en rémission des péchés (26. 28). Dans le nom de Jésus,
les Apôtres devront prêcher à tous les peuples la pénitence et la rémission des péchés
(Le. 24, 47 et dans la prière dominicale nous demandons que nos péchés nous
. :

soient pardonnes Matth. 6, 12; Le. 11, 4). Jésus a le pouvoir de pardonner les
péchés passiin); et nous devons pardonner aux antres, pour que le Père,
qui est dans les cieux, nous pardonne aussi nos péchés (Me. 11, 25; comp. Matth. 6,
14i.

La rémission des péchés est donc une des idées dominantes des évangiles synop-
tiques: la pénitence ou la conversion est la condition essentielle pour entrer dans le

royaume des cieux Me. 1, 15 et par.). Jésus n'est pas venu appeler les justes, mais
les pécheurs, ceux qui sont bien portants n'ont pas besoin de médecin ,Mc. 2, 17'.
Que l'on compare à cela le quatrième évangile. — Ici il n'est qu'une seule fois
question de la rémission des péchés; or dans ce texte il ne s'agit pas du ministère
.

;;88 iu:vu[£ iuulu^u'e.

(le Jésus, mais du pouvoir iiccordt^ aux apôlrcs de retenir el de remcllre les p('cl»és

20, l!;i : '/ii'i)-u)/i ri'Duarnfis ficcniln , viiniKnnlttr t'/.s'. l't i/itnntiii reliiiurritis. retcnlii

sunt.
\ cela 011 doit cependant ajouter la parole du Baptiste indiquant Jésus et révélant
sa mission : « Voici l'agneau de Dieu, voici celm" qui enlève le péché du monde »

1, 291. Enfin aux récits de gucrison et de conversion des synopli(]ues, on |)cul com-
parer le récit de .S. Jean de la guérison du p;u'al\ti(iue de la porte probatique : « Ne

péchez plus, lui dit Jésus, pour qu'il ne vous arrive pas chose plus grave b (5, 14;
comp. 8, 11). La rémission des péchés et la conversion sont supposées, comme dans
les récits parallèles des synoptiques.
\ oilà du quatrième évangile à notre sujet; la diU'érence avec
les seules allusions

les là nous sommes dans le monde des pécheurs et des


synoptiques est énorme :

publicains; dans S. Jean nous nous sentons élevés avec les élus du Père à la con-
templation des plus grands mystères la sainteté du Père et de son Fils nous :

sanctilie.

D'où vient donc cette diilérence.^ Nous le comprendrons en examinant l'objet et

le but propre du quatrième évangile.


En terminant son écrit S. Jean en a indiqué le but : « Toutes ces choses sont
écrites, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, Fils de Dieu, et pour que, en
croyant, vous ayez la vie par son nom » (20, :jl).

Croire en Jésus, et en croyant vivre, voilà la thèse de saint Jean : quiconque croit
en lui, ne se perd pas, mais a la vie éternelle (3, IG, 3G). « Je suis la résurrection
et la vie; celui qui croit en moi, même s'il est mort, vivra » (11, 2.> sv.).

Et il faut croire que Jésus a été envoyé par le Père, pour que, en voyant Jésus,
on voie le Père. — Il faut chercher Jésus non pas pour le pain qu'il donne, mais pour
ses signes, et à travers ces signes voir l'envoyé de Dieu. Jésus révèle le Père par ses
actes et ses paroles : « Les paroles que je dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père,
qui est en moi, opère par moi » (14, 10).
Voilà ce que fait Jésus. Que doit faire l'homme ? Voir le Fils pour voir le Père.
C'est par cette vision que l'homme est divinisé " C'est : là la volonté du Père que
quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle » (6, 40). « Qui me voit, voit

le Père » 14, 23). Dieu a donc envoyé sou Fils pour qu'on voie et vive : c'est là

la vvwg-ç = Tcfan; du quatrième évangile, qui initie à la vie de Dieu.

Jésus est le sauveur de ceux qui croient il est la lumière du monde 8, 12 9, 5) ; ; :

« Marchez dans la lumière, tant que vous l'avez » (12, 35). « Je suis venu comme
une lumière dans ce monde, pour que celui qui croit en moi, ne reste pas dans les
ténèbres » (12, 46).
C'est par cette vision que se fait l'union entre le croyant et le Christ et le Père ;

« ^ ous connaîtrez que je suis dans le Père et vous en moi et moi en vous »

(14, 20: comp. 17, 22 sv.)

Voilà la divinisation du croyant ou voyant, par l'union mystique avec le Christ.


Mais outre cet élément mystique, y a aussi l'élément sacramentel qui nous initie
il

à la vie divine. I^e D'' Proost n'insiste pas sur la question de savoir si auteur du l

quatrième évangile a connu le baptême et la dernière cène; il incline à croire que


les chap, 3 et 6 sont interpolés (!...). L'élément sacramentel de la thèse johan-
nique apparaît manifeste dans des textes comme ceux-ci : « Déjà vous êtes purs à
cause des paroles que je vous ai dites » (15, 3). « SanctiQez-les dans la vérité, votre

parole est vérité » (17, 17). L'invocation du nom de Jésus est toute-puissante
(14, 14; 15, 16; 16, 24). Tandis que le protestantisme officiel ne voit de sacre-
BULLKTIN. 589

raents nulle part, M. Proost est d'accord avec W. Heitmiiller pour en voir un même
dans la prononciation du nom de Jésus.
L'homme est donc introduit dans la vie éternelle, il est initié à la vie divine d'une

manière mystique et sacramentelle. Les élus qui vont à Jésus, vont, par la foi en
Jésus, au Père; ils sont nés de Dieu. Chez les synoptiques. Dieu est le Père et nous
devons devenir parfaits comme le Père; chez saint Jean, Dieu nous transforme et
nous engendre à sa vie divine (p. 208).
Cette niiation divine met les croyants dans un état d'impeccahilité. L'évangile est
assez sobre sur ce point, mais la première épître de saint Jean est plus explicite.
Dans l'évangile l'impeccabilité est plutôt supposée, parce que les croyants 'sont
déclarés purs (15, 3); au contraire, ne pas connaître Jésus, c'est être dans le péché
(15, 22,\
Donc les croyants sont purs; tant qu'ils croient ils sont impeccables : la parole
les a purifiés.

Dans la première épître, avons-nous dit, il y a une affirmation plus explicite :

« Quiconque est né de Dieu, ne fait pas le péché... et il ne peut pas pécher, parce
qu'il est né de Dieu » (3, 9 .

Résumons Dans saint Jean il n'est pas question de pénitence, de péchés remis,
:

de pécheurs convertis. Il est vrai que le Christ de Jean, comme celui des synopti-
ques, vient pour sauver les hommes, mais ici le dualisme entre lumière et ténèbres,
entre le monde et les siens préexiste au ministère de Jésus. Jésus ne prie pas pour
le monde; il déclare en termes exprès qu'il ne prie que pour les siens, il n'a reçu

mission que de conserver les siens. Les siens ne sont pas de ce monde. D'où la dis-
parition de tout récit de conversion on peut négliger ici le chap. 7 et au chap. 4
:

il n'est pas dit que la Samaritaine se convertit Der Siinderheiland ist synoptisch, :

conclut l'auteur avec Holtzmann, am meisten lukanisch, am wenigsten johan-


neisch.
INous avons exposé longuement le système de M. Proost, parce que le lecteur
aura pu juger de lui-iuême combien cet exposé de la doctrine johannique est unila-
téral. Chose étrange! toute cette théorie de la Yvoiat; = rJ.axiç, (qui joue un si grand
rôle dans la dernière partie de l'étude du D'" Proost) aboutit à la formule luthérienne :

la foi seule suffit à la justification.

Non, dans saint Jean ce n'est pas une vision de surface, une connaissance abstraite
qui sanctifie et divinise, mais une foi qui rompt avec un passé d'ignorance et de
péché, et inaugure une vie selon l'esprit de Jésus; cette connaissance est- vie, con-
naissance et vie divines.
Le D'- Proost aurait été beaucoup plus près de la vérité en disant que saint Jean
ne s'arrête même pas à la pensée d'un croyant qui ne vive pas selon sa foi : ce
croyant serait un hypocrite et un menteur', croire oblige a réaliser sa foi dans si

vie, le croyant, le vrai croyant, vit de celte Le chap. 2 de la 1"= épître est par-
foi.

ticulièrement instructif sur ce point : « Nous savons que nous connaissons Jésus, sa
nous observons ses commandements. Celui qui prétend le connaître, et n'observe
pas ses commandeiuents, celui-là est un menteur et la vérité n'est pas en lui... C'est
à cela aussi que nous savons que nous sommes en lui celui qui prétend demeurer :

en lui, doit marcher comme Jésus a marché > 'I Joh. 2, 3-0).
Or, ces paroles si claires et si catégoriques de saint Jean ne sont que le commen-
taire des paroles de Jésus aux ch. 14 et 15 de l'évangile : « Si vous m'aimez,
observez mes commandements (14, 15). Celui qui a mes commandements et les
observe, celui-là m'aime » (21). Jésus se manifestera à ce croyant fidèle et prati-
r,\H) lU'Vl'K lUIM.lnl i;.

quont el lo l'ère l'ainiora et nous viendrons à lui. cl nous ferons notre demeure
chez lui ' (23. eiuup. 15, î»-lo:.
Donc croire et eonu;ulre inclut, dans la terniinolojïie et la doctrine de S. Jean,
Tobservance des conimandenu'nts de Jésus, la vie selon Jésus et selon Dieu; le

croyant est un pratiquant, coninu" le lidele est un (ils aimant du l'ère.

N'enons au (|uatrieme point de M. l'roost.


A (|uelle iniluence faut il attribuer le silence de S. Jean au sujet de la rémission
des péchés?
Cette question dépasse de beaucoup le point particulier qui la motive; de fait, elle

embrasse tout le du quatrième évangile. Nous pourrions écrire


problème de loriiiine :

Sous (luelles influences et dans quel milieu est né le ()ualrième évangile? Or la ré-
ponse du 1)"" Proosl est une des plus radicales que Ton ait proposées parmi ceux qui
en fout le. résultat du syncrétisme helléai(iue. Le (piatrième évani^ile est un écrit
mystique, dont les idées dominantes peuvent se résumer dans les ternies suivants ;

vision, foi. connaissance, vi-rité, lumière, vie. Or, note AI. Proost, cette mystique

n'est pas née du judaïsme, qui moins que mystique. Le peuple d'Israël
n'était rien

craignait de voir Dieu de peur de mourir. La religion mosaïque était une- religion
étbico-légale. Il en était tout autrement dans le monde des mystères grecs. La vision
de la une espèce d'extase est le point culminant de toutes les solennités et
divinité,

de toutes les initiations aux mystères ^1}.


Dans les mystères d'Isis, l'initié voit au moment de son iniiiation une lumière
merveilleuse-, cette contemplation l'élève à la divinité. Nous lisons de même dans —
la littérature hermétique que la Oeâ, ou contemplation, est pleine d'immortalité,

ceux qui v ont part, sont parfois arrachés à la vie terrestre du corps et transportés
dans la vision béatifique. Un des traités linit par cette prière signilicative XatGo;j.£v, :

ÔT'. h •3'..'j.a7iv Y,;j.aç ôvraç xr.oOvMjoii tt, osauroj Osa. Philon anssi célèbre cette vision —
supérieure, ce don de contemplation de la caste qu'il appelle : ôpaT-.^tov y^vo;, ô&a-

D'après le D' Proosl ou doit placer sur la même ligne Osa. yvo^i:. -tc7ii;; elles :

appartiennent aux éléments mystiques qui conduisent à la vie éternelle. Mais la —


ressemblance est trompeuse et l'identilicatiou n'est pas justifiée d'un côté on :

allègue une vision passagère, purement abstraite et naturelle; de l'autre, nous avons
une vision ou une connaissance fondée sur la parole divine de Jésus, l'envoyé du
Père, une connaissance qui est la foi vive et pratique. Après avoir réduit et res-
treint la doctrine johannique de la foi à un mot yvôi^t; -(tti;, le D- Proost : =
cherche dans la littérature religieuse grecque des mots maiérlellement synonymes,
et les met sur le même pied. Ce procédé, trop fréquent dans l'histoire
des religions,

e^t évidemment sophistique il faut comparer non pas les mots, mais les réalités
:

cachées sous les mots; il faut prendre et comparer les mots dans leur signilication

formelle.
Deux mondes, conclut l'auteur, séparent les évangiles synoptiques et l'évangile

de S. Jean le monde juif avec ses notions


:
éthiques et le monde grec avec son ini-

tiation surnaturelle. Les Synoptiques se rattachent au judaïsme, ils donnent aux


hommes un Sauveur qui remet les péchés. L'élément myslico-sacramentel de^. Jean
exclut cet élément éthique.
Celte dernière affirmation est manifestement fausse, puisque les notions mêmes de
connaUre i^i de croire, comme nous l'avons vu, incluent un
élément moral rupture :

I . De epoptie is liet lioogtepunt van aile mjsterieplecliliglieclen en gelieimzinnige inwijdings


rileii », p. -214.
RL'I.l.ETlN. 591

avec le péché, vie selon les comniiindements du Christ, c'est-à-dire conversion. Il


est vrai que les Synoptiques parlent plus souvent, disons même continuellement, de

pénitence, de conversion, de rémission des péchés, tandis que S. Jean se tient dans
une région plus élevée de la vie divine. Mais la dllférence ne vient p;)s seulement des
doctrines et du génie propre des auteurs, elle vient encore de la difterence des
temps. Les Synoptiques se trouvent sur le seuil de l'Église, S. Jean vit dans le

Sanctuaire: les Synoptiques invitent à entrer dans l'Eglise et à vivre de la vie de


Jésus, S. Jean suppose l'une et l'autre et décrit la vie chrétienne dans toute son inti-

mité avec Dieu, telle d'ailleurs qu'elle avait été esquissée par S. Paul, Le quatrième
évangile est l'évaugile mystique, on le savait assez, mais il faut se souvenir aussi

que le mystique, encore plus que le théologien, n'a pas de mots pour exprimer par-
laitement ses concepts, il faut (|u'il recoure à la métaphore, et il faut se défier, si

l'on veut aller au fond des doctrines, des rapprochements superficiels.


Le quatrième évangile est l'évangile de la lumière et de la vie, de la foi et des
croyants.
La lumière s'oppose aux ténèbres, la vie à la mort, la foi à Tincrédulité, les
croyants au monde.
Or, tous ces termes de l'ordre de la connaissance ont dans S. Jean une portée
morale qu'on ne trouve pas dans les écrits du paganisme.
Avant et sans Jésus, il n'y a que ténèbres et mort; le monde gît dans l'ignorance
et le péché.
Comment passe-t-ii des ténèbres à h lumière, de la mort à la vie?

Par la foi en Jésus; — mais cette foi qui sanctifie suppose la conversion des pé-
chés. — Encore une fois il faut comprendre S. Jean par S. Jean, voir la réalité sous

la métaphore.
Son évangile suppose la foi et l'incrédulité ;
l'apparition seule de .Tésus a causé

l'opposition entre la lumière et les ténèbres, c'est-à-dire entre le bien et le mal. On


passe au bien en renonçant au mal. en se convertissant des péché.e. Pour ceux qui
se convertissent à la lumière, Jésus est le Sauveur qui remet les péchés.
« .Te suis venu dans le monde comme une lumière, afin que quiconque croit en
moi ne reste pas dans les ténèbres. »

<i Si quelqu'un entend me.s paroles et ne /''•<; observe pas, ce n'est pas moi qui le
jugerai, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde >

(12, 46 47).
« Il est la propitiation pour nos péchés, et non pas pour nos péchés seulement,
mais pour les péchés du monde entier > (I Jeau, 2. 2).

Voilà donc bien Sauveur d-'s pécheurs, prêché également par S. Jean, le Sau-
le

veur du monde entier, mort pour les péchés de tous.


Si nous voulons avoir part au salut, il faut renoncer aux ténèbres et au monde,
croire en Jésus et observer ses commandements. Et nous voilà bien loin de la —
vvfôa;; :r^ r.'.z-:; abstraite, qui doit, selon le D' Proost. faire le joint entre le qua-

trième évangile et les mystères grecs. [Fr. J.-M. Vosxii.]

Nous avons déjà exposé aux Revue biblique janvier 1915, p. 262)
lecteurs de la

quel était le but poursuivi par MM.


dans The Vocabulanj of ihe
Moulton et Milligan

rjrecli Testament, et nous avons fait remarquer que ce n'était pas un dictionnaire de

tous les mots que l'on relève dans les écrits du Nouveau Testament, mais seulement
un recueil de ceux dont !• signification peut être expliquée à l'aide des papyrus, des
inscriptionset des autres documents littéraires ou non littéraires des temps avoisinant
.

592 IlKVl'K lillU.inUE.

l'époque néotestainciUaire. La seconde pnriio de ce Dictionnaire a été publiée l'année


dernière (I). Passons en revue les mots que l'on considérait comme des ànaÇ \i-{6[xi^tx

des écrivains du Nouveau Testament et que l'on a retrouvés dans les papyrus ou les

inscriptions : nous constaterons (|ue leur nombre diminue de plus en plus.


Uà-T'.jaa, "^xr.-irs'yt; et ,5a-T'.jTri; ne se retrouvent ni ciiez les écrivains classi(|ues,

ni dans les papyrus-, cependant [ianttaiioç et {ixr.uix'fii sont dans Joscphe, ce qui prouve
leur emploi au i" siècle. HaTToXoYÉw ou ^Xx'xoXofito (codex de Hèze) pourrait être
une abréviation de SxrTaXoXoYÉto et se rattaolierail à l'épitlièle {'A-zoim;, accolée au
nom de Demoslhène ou à l'araniéen buthil. vide, lutile. B^oa;; est dans rKcclésiasliquc
et dans une inscription juive de l'an GO-80 ap. J.-C, citée par llamsay, G. and /{.

II. p. 650. I .e sens de i'sK.jTixdç, Le. \\i, 34; I Cor. vi, 3, est illustré par un papyrus
de Tebtunis, 114 avant J.-C, et un papyrus de la collection Ryland, 28-2!» après J.-C.
Eustatliius, 1180 ap. J.-C, se sert du terme ,V)Xit'.), comme très employé dans le {^rec

ancien. On ne l'a trouvé jusqu'à présent que dans les .Actes, wvii, 28. lipaouTiAoito
est dans Artemidore, n" siècle après J.-C Un papyrus du Fayihn, environ l'an 100
aprèsJ.-C, rapporte le terme pupatû;. Appollouius, i''' siècle après J.-C, cite y«;-''Îw;
peut-être ce terme a-t-il le sens de -^aiiétu, se marier, et non donner en mariage.
AaiiAov(ro;j.at, au seus de « possédé du démon », ne se retrouve que dans le grec tardif.

Aaïuiov.foor,; est dans Symmaque, iii"^ siècle après J.-C. Ae'Yjjiai'î^a) se trouve dans un
papyrus de Tebtunis, 14-13 avant J.-C; SeajxoœûXaÇ dans un papyrus de la collection
Flinders Pétrie, iii^ siècle avant J.-C Le papyrus de Paris, contenant la Liturgie de
Mithra. porte ôriXrjyw; et non TyiXajyoK, qui serait une correction de Dieterich. llesy-
chius et Democritus ont employé ce terme or/Aajyoç. Atoaxn/.ôç se trouve dans Pliilon.
AtcsacVcUTr;? ne se retrouve que dans les écrivains byzantins. A-.et;?. qu'on a relevé
dans Pbilon est aussi dans quelques papyrus des i'"'' et ii*^ siècles après J.-C.
At/.aio/.piat'a que dans des papyrus du iif-iv" siècle après J.-C AiXoyoç n'est
n'est
pas employé dans les papyrus au même sens que dans Paul, I Thn. iir, 8. Aî^j/o; se
retrouve dans la Didachè. Clément Romain, Barnabe, Hermas. AtwxTrjç rappelle
ipYo5'.u)/.TT,; des Septante et d'un papyrus de l'an 253-254 avant J.-C, collection
Flinders Pétrie.
Nous ne trouvons pas relevés les termes suivants : [3i6Xaptôiov, yo^yuaTy;?

ô'.aYp/;Y0C3w. &'.xna07.p''Çw, ota/.XTcXiv/oaa'., ouvarito, oujvotjto;. Il est à croire .quC"


MM. Moulton et Milligan ne les ont trouvés ni dans les papyrus, ni dans les inscrip-
On peut doue les
tions. considéi'er jusqu'à nouvel ordre comme des ar.a.^lt^6[xivx.
F. Jacquieb.]

Mp'" Landrieux. actuellement évêque de Dijon, connaît admirablement la Terre


Sainte, comme le prouve son beau livre « Au pays du Christ ». Et tous ont pu voir,
les Français ramenés à la miséricorde, les Allemands blessés sauvés lors de l'incen-
die de la Cathédrale de Reims, qu'il avait dans le cœur le plus pur esprit de l'Evan-
gile. On le prendra donc volontiers comme guide en lisant les Courtes gloses sur les

Évfinr/iles du diinnmhe 2 . Et il faut souhaiter en particulier que le désir de l'au-


teur se réalise d'utiliser ces pages le dimanche « dans les paroisses, pour une lecture
de quelques minutes, en faveur des habitués si nombreux de la messe basse, qui
jamais n'entendent parler de Dieu ». -

'd J. HoPE MoL-i.wN and G. Milligax, The Vocabidanj of ihe i/reek Testament illuslrated l'rom
the papyri and otfier non literary sources : l'ârl II, in-i% I01-4"ii pp. London, Hodder and
Stoughton, 191C. 7 fr. :>0.

-2; lu 8^ écu de 4-29 \)\\. Paris, Beauchesne, 1917.


BULLETIN. o93

Dans la liivista di Filosofia },'eo-scolastica, M. Giovcinni Pepe a repris la question


de la philosophie religieuse d'Epictète et de ses rapports avec le christianisme (1).

Nous aimons à constater que ses conclusions sont semblables à celles qui ont été
proposées dans cette Revue, et à remercier le distingué auteur de sa sympathie. Il lui
semble que la notion d'un Dieu bon personnel, de l'apostolat des philosophes, de
l'encouragement au martyre, une idée très épurée de la chasteté, ne s'expliquent bien
que par la connaissance de la vie c^irétienne. Il conclut, en effet L'anima religiosa :

di Epitteto... non rimase estraaea del tutto al movimento niera viglioso de! pen-
siero e délia vita del cristianesimo primitivo. Stretto ed avvinto fortemente dai pre-
giudizi délia sua scuola e dei suoi tempi, l'ardente filosofo frigio non seppe ne potè
capire l'intimo spirito innovatore délia coscienza morale, nascosto nella dottrina
e neir atteggiamento pratico di quel dispregiati « Galilei »... (2"^ article, p. 19).

Ancien Testament. — M. Touzard o écrit pour le. Dictionnaire Apologétique


un article sur Le peuple juif dans rAiicieii Testament, qui a été tiré à part (2). Ce
n'est pas au.x lecteurs de apprendre comment ses travaux
cette lievuc qu'il faut
précédents l'ont mis au premier rang dans ce domaine, en France et ailleurs. Cette
lois, conditionnée par le but du Dictionnaire. Ce n'est
l'étude était naturellement
donc point une du peuple juif. Il est seulement appelé à fournir son témoi-
histoire
gnage sur l'origine du monothéisme et sur le messianisme, deux points d'une impor-
tance majeure et que l'auteur a coordonnés. Et cependant il a jugé à propos de
suivre deux marches différentes, A propos du monothéisme, le point de départ est le
Deutéronome. Isaïe 40-66 et Ezéchiel. Puis on passe au monothéisme des pro-
phètes après l'exil, et on remonte aux prophètes antérieurs, à Moïse, et enfin aux
patriarches. Un autre ordre, presque inverse, nous amène des plus anciennes allu-
sions messianiques dans les livres historiques aux prophètes préexiliens, à Isaïe 40-66,
aux prophètes postérieurs à aux apocalypses. Ce dernier ordre, qui
l'exil, enfin
est celui de l'histoire, s'imposait à propos du messianisme arrivé à son terme en
•lésus. La doctrine du monothéisme n'a pas été exposée plus clairement ni eu termes

plus sublimes que par le Deutéronome, Isaïe et Ezéchiel. C'est sans doute pour cela
que M. Touzard s'est placé dans ce foyer central pour suivre la lumière après l'exil
et en remontant aux origines. Dans les deux voies, et cela paraissait s'imposer dans
un dictionnaire d'apologétique, il a supposé la distinction des sources pour le Pen-
tateuque, sans d'ailleurs se prononcer sur leur âge, et il a traité Isaïe 40-66
comme source de renseignements sur la période qui est l'objet de ces prophéties,
c'est-à-dire le retour de Les deux thèmes sont coordonnés dans cette
la captivité.

conclusion que « l'idée messianique accentue la transcendance du monothéisme


juif », ce qu'il faut entendre en particulier de l'appui incontestable que le christia-
nisme, surtout dans son histoire et par ses effets, prête à la révélation accordée
aux Israélites. La beauté du fruit contribue à faire apprécier la racine; si le chris-
tianisme est surnaturel, le judaïsme lui aussi est de Dieu. Et c'est là une importante
acquisition de la méthode récente de l'apologétique Moïse reçoit de Jésus-Christ ;

plus qu'il ne lui donne.


Il n'en est pas moins vrai que l'argument des prophéties a toujours été regardé
dans l'Eglise comme capital et décisif : le concile du Vatican a donné plus de
poids encore à cette ancienne doctrine.

il) Mars ^!»16 : La /lloaofia religiosa di Epillelo; déc. 191C : E^jiHelo e il cristianesimo.
(2) Col, Iîi65-l(i31.
REVUE BIUM',)LE l'J17. — ?(. S., T. XIV. 38
594 RKVUK miM.IQUE.

Et il peut paraître plus diflicile d'établir le sens des prophéties messiciiiiques et leur

portéeque de montrer dans le nionotliéisrae juil' celle aelion de Dieu (|ue nous
nommons révélatiou. Aussi nous arrêterons-nous sur la seconde partie de l'ar-
ticle.

de M. Touzard est cerlaiiiement l'un des plus sérieux «pfou lit tentés. Si
l/elïort

on le lit avec (jnelque connaissance <lu sujet, on est frappé de la somnae énorme

de travail qu'il suppose, de la densité des ternies, pesés après une enquête a|)|)ro-
accepter
fondie sur le sens des documents et la date (|u\)n peut leur assigner, sans
uuiis aussi sans méconnaître les
les veux fermés le verdict d'une critique audacieuse,

avertissements d'une investigation inconnue aux anciens commentateurs. H est


extrê-

mement reirrettablc que M. Touzard n'ait pas écrit un gros volume au lien de ces
prises lui permettaient de le faire et la clarté y eût
quelques pages. Les notes (ju'il a

gagné. Un professeur qui le lirait à ses élèves ne pourrait s'empêcher de leur signaler

les écueils de droite et de gauche, les Charybde et les Scyila au milieu desquels
l'habile pilote poursuit son chemin sans toujours étaler ses cartes, c'est-à-dire les
éléments de ses appréciations.
où j'entends celle du siècle dernier, cherchait
L'ancienne apologétique, par
dans l'Ancien Testament presque uniquement les traits
particuliers relatifs à la

personne du Messie: elle les trouvait réalises dans la vie de Jésus.


On concluait que
puisque Dieu seul connaît l'avenir, Jésus le Messie ou Jésus-
Jésus est le Messie, et,
Christ était son envoyé, désigné par Lui pour être son
mandataire.
a été frappé des défauts qui s'étaient glissés dans cette
démonstration.
M. Touzard
que. parmi les passages cités « il en est à la vérité qui, au sens littéral,
11 reconnaît :

et à documenter la grande
sont réellement messianiques et concourent à exprimer
espérance » dont il a esquissé l'histoire (c. 1647). « Mais, en une foule d'autres cas, les
des et des doctrines évangéliques ont lieu avec des textes qui,
rapprochements faits

au sens littéral, ne se rapportent ni au Messie ni à son œuvre, ou qui, du moins, ne

rapportent pas selon la le Nouveau Testament -. Cette


signification indiquée dans
s'y

pensée est précisée par l'indication des textes 1) et du motif qui ne permet pas de
Ces appli-
regarder le rapprochement comme rigoureux au sens littéral {c. 1(547).
plus loin de « pure-
cations sont sans doute les mêmes que qualiOe
l'auteur (c. 1(548)

ment accommodatices ».

M. Touzard a donc préféré celle des


A la méthode des précisions détaillées.

grandes ligues, qui montrent « dans la religion chrétienne la réalisation des espé-
rances prêchées aux Juifs par les prophètes » (c. 1647).
c'est d'abord l'espérance que la religion
Si l'on comprend bien ces grandes lignes,
jour la religion de l'humanité. pro- Or les peuples civihsés
de lahvé deviendrait un
monothéisme, et ce monothéisme leur est venu non de la Grèce, mais
fessent tous le
d'Israël. L'espérance des prophètes était aussi
un programme de religion inté-
rieure, celle qui est pratiquée par le christianisme. Et M. Touzard ne s'en tient pas
termes, en la conformité de la réalisation et de l'espérance serait
là. Dansces effet,
tenté de voir dans l'espérance mono-
sans doute étonnante, mais ou pourrait être
théiste, moins une prophétie que le pressentiment d'àmes religieuses assurées de
posséder une conception supérieure à celles de leur temps, et assez conliantes dans

l'ascendant du vrai sur l'humanité pour en prévoir le triomphe. Ainsi la réalisation


ne porterait pas le sceau d'une volonté spéciale de Dieu, conduisant son œuvre par

Ps. 78, 2; Mt. 21, '<! et PS. 8,


fV Mt 2t, i-r, et Zach. 9, O; Mt. 3, 3 et Is. 40, 3; Mt. 13, 35 et
13-1,-. et Os. 11, 1 ; Mt. 27, «. 10 et Zach.
3; Mt 4, C et PS 91, HS.: Mt. 3, 3 et Is. 40, 3; Mt. 3,

11. 13.
BULLETIN. 505

une intervention surnaturelle. Aussi le savant maître n'a-t-il eu garde d'exclure le

Messie des prédictions messianiques, «Des prophètes avaient pndit que, pour la for-
mation et le gouvernement du royaume futur, Yainvch aurait un représentant,
véritable roi, descendant de David, tout pénétré d'influences divines, tout envahi par
l'Esprit pour accomplir Id'uvre merveilleuse à laquelle il était destiné. Or ce fut
un descendant de David qui, à un moment oii les espérances étaient les plus vives,
annonça que la plénitude des temps était arrivée » (c. 1(>4G). C'était bien le Servi-
teur soull'rant d'Isaie, et cependant « partout où le Dieu des Juifs a été prêché, on
salue Jésus de Nazareth comme le libérateur, le Sauveur, le roi éternel des siècles »
(c. 1647).
Cette fois, nous avons non seulement une preuve solide, mais une preuve topique,
puisque le pressentiment des prophètes ne pouvait s'élever si haut dans l'ordre
humain.
Il ne conviendrait pas de juger cet exposé d'après un résumé qui réduit encore ce

que l'auteur nommait avec raison des grandes lignes (1). Toutefois, je me demande
si ces fermes ne sont pas trop et trop peu. Que Jésus ait été réellement un descen-

dant de David, nous le tenons pour parfaitement certain, mais est-ce un point que
les Juifs concéderaient aisément? Et n'est-ce pas là un détail qu'il faudra prouver

assez péniblement, de manière que largumentatiou par grandes lignes perde de son
ampleur? D'autant que le Serviteur d'Isaie n'est point donné comme un descendant
de David, et que Jésus lui-même a appelé l'attention des scribes sur une filiation
beaucoup plus haute. Et Jésus de Nazareth, dans l'église catholique, qui est l'église
primitive continuée, n'est pas seulement le libérateur, le Sauveur, le roi des siècles;
il est adoré comme le Fils de Dieu, incarné parmi nous. De sorte qu'on peut se
demander si l'apologétique du xix*^ siècle n'était pas trop timide en distinguant si

nettement en Jésus-Christ deux aspects celui de l'envoyé de Dieu, et celui du Fils


:

de Dieu égal au Père. Les prophéties messianiques prouvaient seulement que Jésus
était l'envoyé de Dieu. L'envoyé de Dieu nous conduisait à l'Eglise, et l'Église nous
enseignait que cet envoyé de Dieu doit être adoré comme Dieu. Cette distinction
s'expliquait dans la méthode qui ne cherchait dans les prophéties que les points
relatifs à l'individualité du Christ, car il est assez malaisé de prouver que les pro-
phètes ont prédit sa divinité. Mais si l'on change de méthode, si l'on analyse l'espé-

rance d'Israël, on y voit au premier rang l'annonce assurée d'une intervention per-
sonnelle de Dieu dans le salut. Tandis que dans le passé il avait suscité des sauveurs, ^
c'est lui qui, dans la grande crise du salut, devait être le Sauveur. Que cette attente

ait été réalisée en Jésus, que cette foi ait conquis les âmes, c'est le trait le plus ex-

P traordinaire et le plus divin. Kt il est très remarquable que les trois synoptiques et
saint Jean aient compris de Jean-Baptiste le texte d'Isaie sur « la voix criant dans le

désert ». M. Touzard range ces textes parmi ceux qui ne concluent pas, parce que,
« relatifs à Yahweh », ils « sont appliqués au Messie ». Cette application dépasse en
r elfet le sens littéralque pouvaient comprendre les contemporains du prophète. Mais
les évangélistes qui l'ont faite d'un accord unanime, et dès le début, ont saisi dans

un texte expressif tout un ensemble de traits. D'après eux, le Baptiste résumait l'en-
L seignement des prophètes annonçant la venue de Dieu, et c'était bien Dieu qui
• venait en Jésus-Christ. De tels oracles étaient la plus haute espérance d'Israël, et le
^ culte de tant de chrétiens montre qu'elle n'a pas été trompée; elle a seulement été

(il Pour une convergence des grandes lignes prouvant un plan divin, on peut voir Le Messia-
nisme chez les Juifs, p. iioS ss.
i.96 IlliVl'E miU.lUl H.

d('|)assée. ce qui est la marque d'uur cruvre divine, prndipicusoninit iilx^rale. mani-
festation extrême de l)onlé. Sans doute n'y a-l-il pas là une. denionslration rigoureuse;
en tout cas l'accord entre l'espérance et la réalisation est encore plus frappant que
lorsqu'on s'en tient à l'humanité du Messie, envoyé de Dieu.
Tous les systèmes ont d'ailleurs une dillicidlf' commune. Quand nous disons aux
Juifs (]ue le christianisme réalise les prophéties de l'Ancien Testament, ils le pren-
draient volontiers pour une ironie déplaisante, car les espérances étaient celles du
peuple d'Israël, et il attend encore le triomphe que devait lui procurer le Messie.
En dehors du judaïsme on objecte que les voyants, s'ils avaient été inspin's de Dieu,
n'auraient pas dû |)rédire la restauration d'Israël pour les temps messianiques, notre
Messie ayant été pres(|ue contemporain de sa ruine. A vieilles objections il siiflit souvent
d'opposer d'anciennes réponses. La plus ancienne de ces réponses, — et il est étonnant
que M. Touzard n'y fasse pas illusion. —
c'est celle de saint Paul. 11 n'a rien rétracté

des promesses de Dieu, et, travaillant pour le salut des gentils, il était surtout bien
aise de contribuer au salut d'Israël. Quand le moment sera venu. Israël sera associé
au christianisme dans une gloire suprême, et tant qu'Israël n'a pas disparu comme
peuple, on n'a pas le droit de dire que Dieu a refusé de tenir sa promesse et fait
mentir ses envoyés. Or, Israël conserve personne n'en doute! — une prodigieuse —
vitalité nationale. Il se propose plus que jamais de se reconstituer comme nation sur

le sol de Palestine, et il croit toucher à la réalisation de cet espoir. Attendons!

M. Touzard enregistre une autre réponse souvent proposée et qui garde sa valeur,
que les promesses de Dieu étaient conditionnelles. Les Juifs y ont renoncé en
c'est
rejetant leur .Messie ic. 1G41). Mais, en dépit de leurs menaces, les prophètes ont
annoncé que Dieu sauverait son peuple, relèverait les ruines de la Cité et du Temple,
rassemblerait les tribus dispersées... On dirait bien qu'ils étaient convaincus de voir
ces choses sur le tableau mystérieux de l'avenir.
A cela Pascal a répondu que les promesses temporelles n'étaient que la flgure des
biens spirituels, seuls désirés des âmes religieuses, mais les prophètes savaient-ils
qu'ils se bornaient à donner un revêtement sensible à des perspectives avant tout
spirituelles »? Si oui, pourquoi ont-ils mis leur peuple sur la voie d'aspirations chi-
mériques? Si donc leur vision à eux qui a été chimérique, et ils se sont
non, c'est

trompés. C'est à ce problème délicat que M. Touzard s'est attaqué. D'ingénieuses


raisons suggèrent que les prophètes avaient conscience de tracer des tableaux plutôt
expressifs que réels. Voici une très bonne formule « En grandissant, en transfor- :

mant les phénomènes qu'ils empruntaient au monde actuel, les voyants avaient pour
but d'inculquer que. si les réalités présentes pouvaient suggérer quelque chose de ce
que Dieu produirait aux jours de ses interventions les plus solennelles, ce n'était que
d'une manière approximative, dans la mesure où ce qui est terrestre et imparfait
peut figurer ce qui est divin et parfait » (e. 1643^ La réponse est décisive quant au
détail des traits grandioses de la félicité future; les Pères s'en sont servis contre les
millénaristes. Mais il reste l'espérance générale de la prospérité. « iVe pourrait-on
pas croire que, tout en ayant l'impression générale de décrire des choses qui les
dépassaient, les prophètes n'ont pas toujours vu plus loin qu'ils ne le laissent en-

tendre etc.? » M. Touzard est évidemment de ceux-là l), et trouve la solution défi-

nitive dans une distinction entre l'idée révélée et son expression. L'idée des biens
messianiques, donnée par Dieu, pourrait être nettement orientée vers les réalités

(1)11 se refuse naturellement à dire: avec certains apologistes, que l'espérance et les prophéties
messianiques se sont réalisées tout autrement que les voyants les avaient conçues ». Singulière
apologétique en elfet 1
BULLKTIN. 597

spirituelles; dans ce cas, pas de difficulté. « Mais, en d'antres cas, l'idée restait plus
ou moins vague, plus ou moins indéterminée; sans doute elle n"ét;iit pas explicitement,
ni surtout exclusivement, dirigée dans le sens des biens temporels: mais elle n'évoquait
pas clairement les visions d'ordre spirituel ; elle restait neutre, pourrait-on dire.
C'est cette idée un peu imprécise que, sans se prononcer sur la valeur objective des
images, les prophètes ont exprimée en figure de biens temporels » c. 1644). — Je ne
sais si je comprends bien, mais j'appréhende que nous n'ayons là une application à la

révélation de la théorie de l'inspiration réduite aux idées. Or, sans parler de la diffi-

culté philosophique, ne serait-ce pas une conception théorique assez difficile à justifier

dans des faits concrets? Car les prophètes. — et parfois même ceux qui composaient
des apocalypses! — n'étaient point des écrivains méditant un sujet sans rapport
immédiat avec la vie, recevant de Dieu des idées dont ils chercheraient l'expression.
Ils étaient mêlés à des faits concrets. Ils souffraient des épreuves nationales, ils com-

battaient des abus, ils encourageaient des bonnes volontés vacillantes. C'est à toutes
ces circonstances, et à des circonstances semblables entrevues dans l'avenir qu'ils
appliquaient le secours de lahvé. Je préférerais donc une autre formule qui se rap-
proche davantage de celle que j'ai proposée naguère
'1) et que je trouve encore dans

M. Touzard : « époques lointaines, concevoir en dehors


Les Juifs ne pouvaient, à ces

du contexte de leur restauration nationale, le rôle qu'ils devaient jouer pour la diffu-
sion de la connaissance de Yahweh « 'c. î(j40). M. Touzard a mis à la fin quelques
considérations pour appuyer sur l'histoire d" Israël l'existence du sens spirituel : c'est

un appoint concret très utile à la doctrine de l'inspiration.


Voici quelques difficultés de détail que je soumets encore à notre éminent colla-
borateur.
C. 1619. A propos d'Isaïe 9, .5 : « L'épithète El veut au moins dire qu'il sera tout
pénétré d'influences divines, qu'il réalisera pleinement cette appellation de Fils de
Dieu que l'on donnait aux rois 89, 27. 28). » Je ne vois pas dans le psaume cité
(Ps.
que le titre donné couramment aux rois. Quant à El, il faut
de Fils de Dieu ait été

lui laisser son sens normal de Dieu. Ou il s'agit d'un nom composé (comme celui de

Is. 8, 3) « Dieu-héros-forme-un-dessein-mcrveilleux », et c'est peut-être ce que ren-


:

dent les Septante par « ange du grand conseil » comme un seul nom. Ou bien El est
un prédicat vraiment divin donné à l'enfant.
C. 1637. La victoire du représentant de Jahvé aurait été prédite « se réalisant
comme en deux étapes, l'une terrestre, l'autre céleste à la fin des temps ». Le terme
« les deux étapes » indique qu'un même voyant a distingué deux avènements. C'est, les

je crois, ce qu'il est impossible de prouver. Ezéchiel auquel M. Touzard fait honneur
d'une double perspective, terrestre et eschatologique (c. 1640), a seulement mêlé des
éléments nouveaux, d'allure apocalyptique, à l'espérance terrestre sur laquelle il
conclut tout (Ez. 39, 2.5 ss.j. Que des prophéties ou des apocalypses d'auteurs diffé-
rents aient compris le rôle du grand Israélite soit comme terrestre, soit comme
céleste, ce n'est pointune allusion à deux étapes; ce sont deux conceptions distinctes.
II serait de la plus haute importance de produire des textes prophétiques bien nets

sur la réprobation d'Israël. On lit comme un i»oint qui va de soi, que d'après les
prophètes, « la sanction des infidélités d'Israël irait jusqu'à sa ruine et à sa destruc-
tion, comme peuple » (c. 1638). Mais le petit reste d'Isaïe était encore un peuple, et
cette proposition s'accorde-t-elle avec ce que nous avons cité plus haut de la restau-
ration nationale qui était le contexte nécessaire du rôle religieux d'Israël? On lit

il) Pascal el les prophéties messianiques, RD., lîtoG. p. 533 ss.


398 Rl-:VUE Rini.lQL'U:.

encore e. l(i:5'J : « Bref, pour (iiie le règne de Dieu s'établisse, il fiml (jirisraël re-

unisse et que son culte soit restauré ». Les prophètes post«'rieurs ;i la eaptivilé ne

croyaient pas Israël détruit parce (|u'il était engagé dans la K>"ande monarcliie perse.

C. 1641. « La place faite par K/échiel à la justice individuelle, en vue de la parti-


cipation aux espérances, ne s'adapte plus qu'imparfait) ment au contexte du rélablis-
oineut du peuple un royaume terrestre (pli ne compterait que des justes est une
:

chimère. » Assurément, et nous le comprenons ainsi, mais on objecte précisément


que vues du prophète étaient chimériques.
les

Quoi qu'il en soit, je ne sache pas qu'on ait proposé encore aux catholi(iues aucun
svstème aussi étudié, aussi cohcicnt, aussi solide sur le sujet si complexe des pro-
phéties messianiques. Les doutes ici formulés n'ont d'autre intention que d'ap|)eler
l'attention sur cette étude magistrale. [L.]

Le Itrvpsic Collège de Philadelphie États-Unis) a conçu le projet de publier des


Index séparés pour les anciens traducteurs grecs de la Hible hébraïque en dehors
des Septante. Ils figurent déjà dans la Concordance de Hatch et Redpath, mais,
outre que ce travail peut être amélioré, on possède aujourd'hui de nouveaux frag-
ments, en particulier d'Aquila. C'est d'Aquila qu'a été chargé M. Joseph Reider.
Eu attendant la publication des Index, il expose le plan de cette publication dans
une thèse intitulée Prole<jomena to a Greek-JIebrew and Hebrexo-Greek index to
Aquila (1), L'ouvrage contient plus que ne promet le titre, car le titre ne s'applique
à proprement parler qu'à l'Introduction. Les autres chapitres sont une étude sur
Aquila, beaucoup plus complète que celles qu'on possédait jusqu'à présent. Atten-
dant pour juger le programme des Index qu'ils aient été donnés au public, nous
signalons dès à présent les diligentes études de M. Reider sur la manière dont
Aquila a traduit, sa connaissance de l'hébreu, son exégèse, le texte qu'il traduisait.
Sur la manière d'Aquila, le jeune critique a mis dans une lumière décisive le double
jugement de S. .Jérôme : Aquila était à la fois extrêmement littéral, et il connaissait

très bien le grec. Le problème d'une traduction aussi littérale et en même temps
élégante ne saurait être résolu. Aquila a sacriGé le grec, mais il en a employé toutes
les ressources, —
il y a même, hélas! ajouté, pour rendre les — moindres nuances
de Les introductions en donnent des exemples classiques. M. Reider
l'original.

a traité "le sujet plus à fond et avec méthode. Il signale la transcription des
noms
propres le plus près possible de la prononciation, même pour les gentilices, sans
tenir compte des cas, la création de mots grecs pour avoir une même échelle de dé-
rivés que dans l'hébreu, l'imitation du hé marquant le lieu par le grec ôÉ placé
après le mot, le soin de mettre autant de particules grecques
qu'il y a d'éléments

dans une particule de l'hébreu, de suivre la construction hébraïque de très près,


l'affectation de rendre l'hébreu par des mots grecs qui ont le même son, et de tra-
duire toujours un mot de la même façon. Tout cela est établi par les exemples les
plus clairs. Mais en ne voit pas pourquoi M. Reider a mis dans cette série les cas
où Aquila a coupé en deux des mots hébreux, comme Carmel, Azazel etc. (p. 22').
Car il ne semble pas qu'il ait eu alors pour but de se rapprocher le phis possible de
l'hébreu; simplement une fausse tradition d'interprétation.
il suivait
n'empêche pas les déviations. Aquila
D'ailleurs, le parti pris le plus énergique
n'a

pas tnnjours traduit aussi littéralement-, il est des cas où il est moins littéral que les

Septante !

(1) A Thesis submitted februarylo, i913, in-S" de 100 pp. Philadelphia, i91ti.
BULLETIN. 599

Aquila connaissait bien la grammaire et le lexique de la langue hébraïque, de


cette connaissance pratique qui précède toujours la rédaction des grammaires et des
dictionuuires; or, ce n'est qu'au \« siècle après J.-C. que commença pour l'hébreu
cette période de classiflcation. Il a confondu les racines, et son goilt de l'étymologie
lui a joué de mauvais tours. A juger par les exemples colligés par M. Reider,
S. Jérôme mieux l'hébreu que lui, et il a su se préserver de l'affectation de
savait
créer des verbes pour rendre les formes du verbe hébreu; Aquila avait une
perception assez nette du sens des temps du verbe, mais il s'est bien souvent mépris
sur leur valeur. Son exégèse est celle de la tradition juive, telle qu'on la retrouve
dans le Targum. le Midrach, le Talraud. M. Reider prouve une fois de plus que sa
version avait pour but de servir d'antidote à Taucii^nne version grecque.
Quel texte suivait Aquila.' C'est de son œuvre qu'on peut attendre quelque clarté
sur les origines du texte massorétique. On sait que, d'après Lagarde, ce texte dérive
d'une seule recension et même
d'un seul archétype du temps d'Hadrien, dû à l'in-
fluence de quelque exagération, car le texte massorétique, tel
R. Aqiba. Il y a là

que nous le possédons, n'a été fixé dans ses deraiers détails qu'à la fin de l'époque
talmudique, et peu avant le début de la Massore. >'éanmoins il représente un état
ferme du texte, distinct de celui que représentient les Septante. C'est celui que sui-
vait Aquila, contemporain d' Aqiba. Mais les divergences ne sont pas insignifian-
tes. En général, il préfère la leçon marginale dite Qré. La comparaison est d'autant

plus malaisée à poursuivre avec précision, que le texte d'Aquila a pu être conta-
miné par celui des Septante. Et ce sera l'un des intérêts de VIndex qu'on nous
promet, de fixer assez exactement le style d'Aquila pour qu'il soit possible d'en éli-

miner les éléments étrangers. On pourra aussi s'en servir pour la question de
savoir si !'« Hébreu » cité en grec dans les Hexaples n'est pas simplement Aquila.
M. Reider semble incliner vers cette opinion, assez paradoxale.
On comprend que les savants Israélites attachent quelque importance à la question
de savoir quelle est l'origine de certaines citations en grec dans le Talmud et le
Midrach. Mais à juger par les échantillons fournis par M. Reider. ces citations sont
présentées sous une forme si altérée qu'on ne saurait en tirer grand profit (1).

L'ouvrage se termine par des appendices. Le premier contient le vocabulairH


propre à Aquila, c'est-à-dire les mots qu'on n'a trouvés nulle part en grec, et ils
sont nombreux! Viennent ensuite les mots qui n'ont pas été employés par les autres
traducteurs de la Bible. Le deuxième appendice traite des restes d'Aquila conservés

en syriaque ou en latin seulement, dont il n'a pas été fait état dans l'ouvrage. On
ne saurait cependant les négliger. Appendice III : leçons d'Aquila dans le Talmud
et le Midrach. Appendice IV : dans le passage III Regn. 14, 110 qui est attribué
à Aquila dans la version syro-hexaplaire. Aquila n'a lourni qu'un fond, retouché
d'après d'autres textes.
M. Reider n'a point repris le problème de la personnalité d'Aquila. Il le tient
pour greiî d'origine et se contente de mettre en suspicion le détail donné par
S. Épiphane de ses relations avec l'empereur Hadrien. Mais il me paraît avoir dé-
montré sans le vouloir qu' Aquila était juif d'origine. Il lui fait un honneur d'avoir

In exemple, p. i;i-2. Gen. 17. i-'à S»S est cité dans Ber. r.. c. 4fi, comme rendu par Aquila
I

CipjN"; CT'CIN. I-e second mot est pour txavô; par métathése, passe encore. Mais il nous faut
admettre que DI^D-N est une corruption à'inyypô^, parce qu'.\i|nila rend ^x par ce mot ^rec.
Pourtant ces lettres hébraïques ne peuvent rcpn-sentcr en ^rec que à^o:. La corruption par la
faute (les copistes est peu probable. Il laut simplement supposer une bévue de l'auteur du
Midrach.
600 Ri-vn: nini.iouE.

employé — clans des textes en somme très courts — environ '200 mots inconnus de
riiellénisme.
Mais s'il les a forges presque tous? Il y a des airs de l'ainiile (|ii(' les étrangers
reconnaissent au premier coup d'o-il, et ()u'on ne perroit pas (juaiid on est de i:i

parenté. Ce souei de rendre les minuties aux dépens des concepts importants, de
sacrifier l'idée aux mots, la langiu' grecque à l'hébreu, sont des traits de race, ou
tout au moins de première éducation. Un prosélyte pouvait être aussi zélé qu'un
jiiir pour remplacer les Septante par une traduction plus purement juive: mais on ne
saurait croire (|u'ii ait choisi ces moyens, .lérôme n'était pas moins résolu à retrouver
Vhcbraica vcriids. mais il n'a pas renoncé à parler un latin intelligible, parce
qu'il l'aimait. Tous deux ont suivi parfois une tradition hébraïque divergente qui les
a conduits à traduire un nom pr(!pre par un nom commun, mais quand Jérôme
traduisait Aquila : cl finlum est ut mcntirctur in parlv, postfjiiam rjcunit eum, il se

croyait obligé de remplacer ce rébus par : qun nalo. parère xiUrn ccssdvit i^den. 38.
ô). Il est plus facile de changer de religion (]ue de genre d'esprit. Aquila a peut-être
eu plusieurs épisodes religieux dans sa vie, mais seul nn juif de naissance et d'édu-

cation a pu écrire la version qui porte son nom et l'applaudissement qu'elle a reçu
des cercles les plus rigides serait déjà un certilicat d'origine.

11 ne faut pas se lasser de dénoncer les témérités d'une critique fort érudite, mais

beaucoup trop personnelle. Les fantaisies de Cheyne l'ont ruinée en Angleterre,


parce que ses corrections revenant toujours à lerakhmeël, le subjectivisme se tour-
nait en manie intolérable. Pour être plus variées, les conjectures de Paul flaupt ne
sont guère plus solides, et ce serait merveille que les savants américains s'extasient
devant ces productions d'un esprit qui doit leur être étranger. Voici Amos. Paul
Haupt a d'abord proposé (1) de regarder bôlcs (Am. 7, 14) comme le participe du
verbe balàs avec le sens de percer, et se disant des figues du sycomore. C'était assez
inoiîeusif. Mais aujourd'hui prend au sens de nôqéd, qui ne signifierait
(2) il s'en
pas fastexir, mais quelqu'un qui pique, à savoir les figues du sycomore. Les deux

mots seraient à peu près synonymes. D'ailleurs Terreur qui consiste à traduire nôqéd
par pasteur est tellement ancienne qu'elle a déterminé une addition à l'Amos authen-
tique (1, 1) « l'un des pasteurs de Theqô'a ». Et comme Amos lui-même dit que
:

lahvé l'a pris derrière le il faut voir là encore une altération. Rien
troupeau (7, 15),
ne s'oppose plus à ce qu'Amos un prophète du nord d'Israël et non pas de
ait été

Juda. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que le distingué critique laisse subsister les
paroles d'Amazias à Osée « Fuis dans le pays de Juda, manges-y (ton) pain, et
:

fais-y des prophéties! » Car il semble bien que c'est une façon de renvoyer Amos chez
lui. Tout ce dialogue, qu'on regarde généralement comme de la prose, est mis en

vers, au moyen de petits coups de ciseaux qui ne suffisent pas à lui enlever son
cachet prosaïque ;

Le prêtre Amazias fit savoir


au roi Jéroboam fl'lsrai'l :

Amos conspire contre loi,


au milieu de la maison d'Israël.
Le pays n'est pas en état de supporter
toutes ses dénonciations.

Les gentillesses topographiques ne sont point absentes : « De l'entrée d'IIamath

fl^ Journal of BihUcal Literature, vol. XXVII (1908).


(2) Journal of Biblical Literature, vol. XXXV (I9l(i), p. 280--287.
BULLETIN. 601

au torrent du désert » (6, 14) signifie depuis les bains chauds de Ilaniatli, l'ancienne

capitale de la Galilée sur le lac de Tibériade, jusqu'à la mer Morte 'lire iam pour
îiahl.) Et à en juger par le ton très assuré de l'auteur, il prend tout cela fort au
sérieux. Autre gageure (1). Dans Amos, le passage 1, 6-S devient une interpolation
du temps des Macchabées, ajoutée six cents ans après la composition des passages,
authentiques (1, 3.5, 12-15). donc que cette addition récente soit très carac-
Il faut
térisée? Elle le serait à peine après les changements que lui impose Paul Haupt,
sans nous expliquer comment un passage écrit vers l'an 140, peu avant la traduction
en grec, aurait été transmis avec aussi peu de fidélité que les textes anciens. Quoi
qu'il en soit, la trouvaille de P. Haupt consiste à voir dans Am. 1, (i-8 une allusion

à la trahison qui permit aux Syriens de s'emparer de Jonathan à Ptolémaïs ou Acca


en 143 av. J.-C. (I Macch. 12, 48; 13, 12). Pour cela. Gaza est changé deux fois
en Acca, « une foule de captifs » devient « une mission pacifique », Edom est rem-
placé par Aram, les Syriens. Ce dernier changement est fort léger et il se justifie
dans d'autres passages, peut-être même dans Amos 1, 9, parce que Tyr au temps
d'Amos a pu livrer des captifs aux Syriens. Mais on ne comprend pas du tout Acca
au lieu de Gaza en compagnie d'Achdod, d'Ascalon et d'Éqrôn. Et quant à la situa-
tion qu temps des Macchabées, si les gens d'Acca ont exécuté la trahison, elle
avait été ourdie par le général syrien; à ce moment Ptolémaïs est une ville syrienne
qui ne pouvait livrer personne aux Syriens. Les anciens textes ne commettent pas
de pareils contresens. Il faut encore que nous interprétions : « .l'exterminerai les
habitants d'Ascalon » : par « je chasserai les habitants hellénistiques d'Ascalon et
des Juifs ». C'est pour cela aussi que dans Zacharie 9, 6 le mot bâtard
j'y établirai

estremplacé par juste; de sorte qu'au lieu de « une population bâtarde habitera
:

dans Achdod », on peut y installer « de braves gens », c'est-à-dire des .Tuifs. Mais
comment un Juifa-t-il fait cet étrange changement, peu flatteur pour sa race? C'est

qu'il a craint que ses coreligionnaires ne soient abâtardis à Achdod... Vous nous
en direz tant!
Cette pétulance dans les corrections textuelles n'est sans doute qu'un jeu d'esprit.
La virtuosité de Paul Haupt s'exerce plus utilement sur les rapports étymologiques
des mots dans les diflerents dialectes sémitiques. On en trouvera des échantillons
très brillants dans les brèves communications adressées à la même Revue (2).

Pays voisins. — Sardes n'est vraiment pas un pays voisin de la Palestine, et l'on
ne s'attendait guère à y rencontrer des inscriptions sémitiques. Voici cependant que
la mission américaine a découvert une inscription bilingue, lydienne et araméenne,

qui sera sans doute des plus utiles pour déchifï'rer les inscriptions lydiennes (3). Elle
a été traduite par M. Eimo Littmanu, et ;\l. Stanley A. Cook (4j l'a étudiée de nou-
veau. M. Haussoulier a commenté le texte lydien à l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres. Son intérêt biblique est de contenir le mot S-f-r-d (~"I2D), comme
forme sémitique de Sardes. En effet ce mot se trouve dans Abdias (v. 20) et déjà
plusieurs commentateurs avaient proposé de le rendre par Sardes « Les captifs de :

Jérusalem (|ui sont à Sépharad posséderont les villes du midi ». On ne voit cependant
pas très bien pourquoi le prophète ne cite que cette colonie de dispersés à propos

(1) Eod. loc, p. -iSs-'idâ.


(2) Eod. loc, p. .$19-3-24.
(3) Sardis. Puhlicatiuns of tlie anierican Society for the Excavation of Sardis, Vol. VI. Lydiau
inscriptions, l'art By Enno LrrrMASS. E. J. Brill, Ltd., Leyden, 1916.
1.

(4) A Lydiaii-Aramaic Bitingual, by Stanley A. Cook, Re|)rinted from tlie .lournal of Hellenic
Studies, vol. XXXVIl, 1917.

I
002 RKVUK lilIU.IorE.

d'Kdom. D'ailleurs rinscri|ilion de Sardes n'est pas l'œuvre d'un juif, à moins (|ii'il

n'ait renoncé complètement à la rcliiiion de ses ancêtres pour embrasser celle


d'Artomis. C'est une inscription juridico-lnnéraire, comme celle (jne le P. Vincent a
découverte à Pétra, et comnn' y en a eu un peu partout dans le monde sémitique.
il

Klle est datée du ."»


de iMarl.ieswàu. la di.xieine année d'un Arlaxerxès (pie M. Cook
croit être le deuxième de ce nom. et par couséquent de l'an :$!)<. I/énnmération des
parties du monument soutire des dii'licultés. Le propriétaire M-u-ij fils de K-m-l-//. ori
giuaire de S-r-w-k, appelle la malédiction d'Vrtémis de Colosses et d'I'^plièse sur celui
qui eudommai^erait son tombeau. D'après M. Littmaim, l;i traductitui est très littérale,
trop littérale, et meconnaissaut le i;énie de la langue araméenne, d'où la conclusion
que Faraméen n'avait à Sardes qu'une existence artificielle. M. Cook s'inscrit en Faux
contre ces observations et cette conclusion. La discussion ne peut être menée à bon
terme (pie par l'étude du lydien (pii nous échappe complètement. Kt l'inscription
araméenne elle-même n'est point sulfisamment claire pour (pi'ou puisse jui^er de la

langue. En tout cas sa présence à Sardes répond bien au fait si connu de la diffusion
de l'araraéen dans toute l'Asie Orientale, et atteste l'existence en ce lieu de personnes
qui le parlaient. Il est plus malaisé de trouver une relation entre ce fait et la parente
des Lydiens et des Sémites d'après la Genèse (10, T2). La présence d'une colonie
juive à Élépljantine n'a pas incité les Juifs à rattacher Cham ou Misraim à Sem. Le
texte de la Genèse doit s'entendre d'un temps plus ancien qu'aucune dispersion des
Juifs.

Canaan. —
M. >N Carleton 'Wood a terminé son exposé de la religion de Canaan
.

dans Journal ofBiblical Literature (1). Les Cananéens seraient venus en Palestine
le

vers l'an 1800 av. J.-C, les Araméens vers l'an 1400. Parmi les premiers sont rangés
les Hycsos, parmi les seconds les Hébreux ou llabiri, car M. Wood les identifie sans

dilliculté. C'étaient des Bédouins, rôdant au sud de la Palestine. Quelques-unes de

leurs tribus, ou Israël, c'est-à-dire les tribus que la Bible fait descendre de Lia,
c'est-à-dire Ruben, Siméon, Lévi et Juda, ont les premières pénétré en Canaan par
le sud. D'autres, campées dans la terre de Gosen, en Egypte, se sont évadées, pro-

bablement dans les temps d'anarchie qui ont suivi la mort de Séti II (vers 1205).
Sous la conduite de Moïse, deux tribus, Ephraim et Manassé, se sont rendues au Sina'i,
dans le pays de Madian où elles ont embrassé plus pleinement {more fulh/) la religion
de lahvé. Elles le connaissaient donc déjà? Tout cela est bien vague, et complète-
ment dénué de preuves. Les chapitres suivants énumèrent les sanctuaires où l'on a
fait des fouilles, avec de courtes descriptions, sans aucune illustration qu'un schéma

théorique, puis l'organisation des sanctuaires, les objets sacrés, les offrandes, les
rites, les fêtes, les dieux. C'est toujours avec la même candeur que M. Wood range
ses fiches, trèsnombreuses, à l'appui des théories les plus contestables, comme le
totémisme des Sémites, la polyandrie, etc. Cà et là quelques conjectures qui send)Ient
lui être personnelles, comme l'évolution de X'achera en i'ijIkhI, parce que l'éphod

devait être une statue dont le noyau était en bois, et revêtue de métaux précieux.
Il opine, d'après M. Paton, que si les Sémites ont atteint monothéisme, tandis que
le

les peuples indo-germaniques n'ont pas dépassé le panthéisme, c'est parce que les
premiers distinguaient le numen de la chose qu'il habitait (p. 231). Ce dernier point
est incontestable. Mais n'en était-il pas de même des Grecs? Et pourquoi ne sont-ils
pas parvenus au monothéisme religieux? Les Sémites, d'ailleurs, n'étaient pas plus
avancés, en dehors d'Israël, où les prophètes en attribuaient l'origine à la révélation.

(1) vol. XXXV, 1916, !>. ir,3--2-tl; cf. RU., IMIT. p. 311 ss.
nULLETI.N. 603

Syrie. — Dans une nécropole chrétienne de Carthage le P. Delattre a découvert


l'épitaphe en assez pauvre grec d'un Syrien au nom de Porphyre to-o[; riojp- :

sjpîoj Kav'oOr;vou ov /e {-= tou y.aà) Bo3pr,voij (1). L'expression tô-o;, pour indiquer le
lieu de sépulture, porte bien l'empreinte syrienne. Porphyre, originaire de Canatha
(Qanauudt), était en même temps citoyen de Bosra; à moins qu'il ne se soit
désigné, dans l'Afrique lointaine où il était sans doute venu trafiquer, par le nom
plus connu de la capitale de la Province d'Arabie. Cet humble document s'ajoute
à la série déjà longue de ceux qui attestent la tendance des Syriens à émigrer
vers les centres commerciaux d'Occident.

L'Itinéraire d'Éthérie (sainte Sylvie) et le récit de la campagne de Julien l'Apostat


rontre la Perse attestent qu'à la fin de l'Empire la voie la plus suivie pour se rendre
d'Antioche en Mésopotamie se dirigeait vers l'Euphrate par Batné et Hiérapolis. Par
l'étude très pénétrante de deux inscriptions latines gravées sur des bornes milliaires
découvertes naguère dans la Syrie septentrionale, au N.-E. d'Alep, M. Fr. Cumont (2)
a prouvé que cette route ou du moius achevée par Septirae Sévère, en 197.
fut construite,
Dans une première expédition, au cours de 196, le nouvel empereur, voulant
écraser la puissance des Parthes, avait poussé jusqu'à Nisibin. Contraint de revenir
en Occident pour faire face à l'insurrection d'Albinus, il ne veut pas interrompre les
préparatifs de sa grande campagne orientale et fait presser l'exécution d'une route
nouvelle qui lui permettra de transporter plus rapidement ses convois et ses troupes
d'Antioche en Mésopotamie, sans faire le long détour de la route ancienne qui
remontait par une région très accidentée jusqu'au pont de Zeugma (Bâlhis) sur l'Eu-
phrate pour éviter le désert syrien. La nouvelle chaussée était prête à l'automne de
197 et devait rester en usage aux temps byzantins et à l'époque musulmane, jusqu'à
ce que l'insécurité du désert envahissant l'ait fait abandonner.
Sur l'un des milliaires en question, les éditeurs signalent que l'inscription latine,
hâtive et négligée, a été grattée pour faire place à une « inscription arabe » qui
n'est pas reproduite et dont la teneur n'est pas autrement spécifiée. Il faut le re-

gretter, car il y a tout lieu de penser qu'il s'agit d'une inscription milliaire. Ce
document justifierait une fois de plus l'observation de M. Clermont-Ganneau, qu'après
les Byzantins, « les Arabes n'ont guère fait qu'entretenir, peut-être en les rectifiant
quelquefois, les anciennes voies romaines On y trouverait peut-être aussi un
» (3j.

élément de contrôle pour la détermination du mille arabe autrefois essayée par le


P. Lagrange, qui proposait de lui attribuer 2.592 mètres ;4).

Babylonic. — Voici encore un nouveau récit épique de la création de l'homme en


sumérien. Il a été découvert par M. George A. Barton au musée de l'I'niversité
de Philadelphie, parmi les tablettes non cataloguées venues en Amérique deXippour,
et publié par lui Journal of the American oriental Society (5). On y voit,
dans le
d'après la traduction de M. Barton, les dieux assemblés sur la montagne du ciel et
de la terre, et tenant conseil. A ce moment il n'y avait encore rien qui permît

IVoir Comptes rendus Acad. Inscr. et B.-L., 1!)1(>, pp. 434 ss.
Deu.r milUnires de SeiHime Sévère, dans Comptca rendus Acad. Inscr. et B.-L., lîUG,
[-2)

pp. .388 ss. Ces milliaires ont été puijlics par lliKiMiTu, Aminal of the lirit. Scliool at Atlietis,
XIV, I!K)T, p. I8.J et CiiAPoT, lii'tl. de corr. hellén., XXVl. \W-2, p. 191, ce derniej- d'aprcs un
estampage de M. l'ognon cil. d'après Cuinont).
(3) Cl.-{;an\f..\i kec. nrcli. or. I, 1888, p, 2(M> (cit. d'après Cumont).
,

1,4) /{/<., IH!)'», pp. I3ii s. Cf. d'autres milliaires arabes dans RU., 18»", pp. Kii ss. 1903, ;

p. 271 ss.
;5) vol. xxxvil, Part I, mai 1917.
ras;ricultui(\ et. selon un rvtlmie bien i-onnu, le poète énunière loul ce qui manquait.
Kn paitieulier il nv avait point d'iionimes, parce que le Seigneur ne les avait pas
pniduils avec Xiulou. Le dieu / ;/. qui est d'après les Sémites Chaniaeli ou le soleil,

lit le dessein de produire l'humanité et produisit en elVct beaucoup d'hommes.


M. lîartçn loujeelure (jue ce l'ut en s'unissant a la déesse Niiitou. Il sérail étonnant
que dans ce cas le poète n'ait pas indiqué le premier l'ruit de celle union. Il semble
plutôt que les hommes furent du premier coup créés nombreux Mankind hc pltin- :

)icd, maiii/ incii ucre hroi(;/ht forlh. Kl c'est le thème babylonien ordinaire, l'om- ces

hommes, le dieu avait trouvé la nourriture et le sommeil, qui sont es.sentiels à la

vie humaine, mais non point rnabillement et l'habitation que les hommes semblent
s'être procurés. On voit ensuite des orages qui détruisent les premières huttes de
roseaux, jusqu'à ce qu'un dieu (Knlil? descendît du ciel pour inaugurer sur la terre

la religion et la civilisation. Dès lors les hommes purent se multiplier en paix. « \h\

lieu d'habitation fut leur pays: la nourriture fit multiplier les hommes. La prospérité

entra dans le pays; elle les lit devenir une multitude, il mit dans la main de l'homme
le sceptre du commandement. Le Seigneur leur donna l'être et ils vinrent à l'existence.

Les noumiant compagnons, il lit habiter un homme avec sa femme. La nuit ils sont
l'unpour l'autre des compagnons bien adaptés ». "SI. Barton n'omet pas de rappro-
cher de son texte quelques passages de la Genèse d, :î. 28: 2. 18. 23 s.} qui sont
dans toutes les mémoires. Il ne présente d'ailleurs son interprétation du sumérien
qu'avec les réserves convenables. Le document appartiendrait à la période cassite de
la première dynastie de Babyloue.

M. Morris Jaslrow junior, de l'université de Pensylvanie, avait annoncé une revision


des lectures et des interprétations de M. Langdon sur le texte déjà célèbre que le
premier éditeur a intitulé assez légèrement Épopée sumérienne du Paradis, du :

hcluije et de la chute de l'homme. D'après les explications qu'il donne au Journal of


Semitic Lanr/unrje and Literatwes il), le morceau est plutôt une incantation qu'une
épopée, et il n'y est question ni du déluge, ni de la chute de l'homme. Peut-être
pourrait-on parler de Paradis, dans un sens très large, comme séjour où l'homme vit

des fruits d'un jardin sans travailler. Or précisément Adam devait travailler dans le

Paradis, d'après la Genèse.


Les lectures de M. Langdon ne s'appuyaient en partie que sur des photographies.
M. Jastrow a coUationné l'original et reconnu que cette tablette est la première d'une

série dont la tablette de M. Arno Poebel était la seconde. Le texte Poebel (cf. ED.,
1916. p. 259 ss.) raconte l'installation des hommes dans les cités, la création des
animaux, un déluge auquel Ziugiddu échappe dans un grand bateau. Il est donc
peu vraisemblable que la première tablette ait déjà traité du déluge. De plus,
grâce à sa revision du détail, M. Jastrow a interprété autrement bon nombre de
textes.Il n'admet pas que le théâtre des faits ait été Dilmoun, côte ou île du golfe

Persique, mais plutôt une région montagneuse, habitat primitif des Sumériens. Le
dieu principal est Enki, « seigneur du pays », devenu « Seigneur de l'océan » lorsque
les Sumériens sont descendus dans les basses plaines de la Chaldce. La tablette

contient divers épisodes, que M. Jaslro^v renonce à nouer étroitement, sinon comme
relatifs à l'origine des choses, servant de thème pour l'incantation Cnaie contre les

maladies ou plutôt contre les démons des maladies.


Le premier épisode n'est, ni une description de la sécheresse, ni l'expression de

Vol. WXIII, n° -2, l!ilT, p. !)l-li't : Sumerian myths of bcginnings; cl'. RB.. I'»l(., p. 61S ss.
vl)
BULLETIN. 605

l'innocence et du bonheur des premiers hommes, de leur perpétuelle jeunesse, de la


paix régnant entre les animaux. Si ie animaux de proie ne dé-
texte dit que les
chiraient pas leurs victimes, que les animaux domestiques ne paissaient pas, qu'où
ne parlait ni du mal de tét*^ ni de mal des yeux, qu'on ne se donnait pas les noms

de père et de mère, c'est tout simplement parce qu'il n'y avait ni animaux, ni
hommes, ni maladies naturellement.
Avant d'introduire la amener de l'eau pour fertiliser le sol et fournir
vie, il fallait

une boisson à l'homme. pourvu le dieu Enki par son union avec sa (ille
C'est à quoi a
et épouse Nintu. Le dieu suprême est donc la source de toute vie. Il l'a donnée d'abord

à sa fille, puis leur union a été .une cause magique amenant l'inondation nécessaire
pour la fécondité du sol. (]'est ce qui a paru à M. Langdou un déluge destructeur.
Ce qui suit est moins clair c'est peut-être une cérémonie de purification.
:

A JN'intu apparaît maintenant un autre être divin,


côté de Enki et de son épouse
qui est plutôtTakku que Tagtug. M. .Tastrow insiste beaucoup sur le signe de dieu
placé devant son nom. Il est cependant étrange dans ce cas que le dieu Enki vienne
à lui pour lui offrir des fruits. La scène se passe dans un jardin, et Enki a pris la
forme d'un jardinier. Son messager Usraû donne des instructions sur l'usage de
huit plantes dont les fruits doivent être cueillis et mangés, mais sans aucune inter-
diction relative à l'un de ces fruits.
Si donc l'on voit Thomme — mais d'où vient-il? — condamné èi mourir par un
décret d'Enki, ce n'est point que la mort soit une peine: c'est une suite naturelle

de sa condition. A ce propos, M. Jastrow est beaucoup trop absolu lorsqu'il prétend


que dans aucun récit des origines la mort n'est due à une désobéissance de l'homme.
Il se peut que le thème de la Genèse soit le seul de cette nature, mais il vaut qu'on

le compte. Même si l'on prétend distinguer au troisième chapitre deux thèmes

distincts, celui de l'arbre de vie et celui de l'arbre de la science, fusionnés en une

seule rédaction, le thème de l'arbre de la science contient l'interdiction de manger


du fruit et enfin le sens de la rédaction n'est pas douteux. D'après M. Jastrow. « ce
fut seulement la théologie paulinienne qui, combinant l'histoire des deux arbres, a lu
dans la légende la doctrine que la mort est venue comme une punition d'un péché
originel » (p. 138). En fait, la combinaison —
s'il y eut combinaison— existe dans la

Genèse, et le sens du récit est évidemment d'expliquer comment et pourquoi


Ihomme avait encouru la mort. Saint Paul a seulement déduit de cette mort,
encourue par tous, que tous avaient en eux quelque chose du premier péché.
En Babylouie. il n'était pas question de désobéissance, soit et la création de huit ;

dieux ayant vertu spécifique pour guérir huit maladies n'est donc pas un remède
contre la faute de l'homme et ses conséquences pour l'humanité. Il semble cependant
qu'il y ait une certaine corrélation entre les huit fruits et les huit divinités secourables.
L'invocation à ces huit divinités conclut le texte d'incantation dont elle forme le
point culminant.
].,e texte sous sa forme graphique ne peut être plus ancien que l'an 2000 av.
.I.-C, mais il semble représenter un thèmeprimitif, de beaucoup antérieur. Telles
sont les explications du distingué savant américain qui ne dissimule pas les diffi-

cultés du texte et ne prétend pas que sa version soit définitive.

M. le D'' Contenau s'est fait une spécialité de l'étude d'Umma (1 , ville qui dépen-
dait des rois d'Ur. Les tablettes qu'il publie, traduit et commente aujourd'hui sont

(1) Umma sous la dynastie d'Ur, par le D'' C. Contenu:, iii-8" de lOî) pp. Geiitliner, Paris, iOlc,
000 lŒVllK lUliLiniE.

rclalivos à la vie éconoiUKiuc : oéivales, vivres en a;éuéiMl, hclail, les salariés, la

batellerie, les achats et les ventes. On y voit même lij:;nrer le pntesi, représentant du
pouvoir royal. Ces tlocaments (|ui sont liii wiir siècle av. .!.-('. ont |)erniis à
M. Contenau de tracer mie esipiisse de la physionomie (iiTollVait alors le pays et la

ville. Les grandes villes de lOrii'ut aralie ont encore à peu près les mêmes traits ;

mais la campagne d'I'mma oIVre à peine des vestii:,es de Tadmirabie canalisation


antique (pii lui donnait la prospérité. Les sceaux reproduisent souvent les deux
scènes de laprét^enlution. Le dieu principal est assis sur un siège, tandis que le dieu
inférieur lui présente le dévot soit en l'amenant par la main, soit en se tenant derrière
lui dans l'altitude de la prière. .

Palestine. — t^tilesUne Exploration Fund, Qunvt. Stat., avril 1917. — Au mois


d'avril 1N75 les lieutenants Kitchener et Conder dressaient la carte du sud palesti-

nien, dans cette région dt- Gaza où l'armce anglaise est aujourd'hui aux prises avec
l'armée turque. Ils interrompirent quelques jours leur tâche pour venir assister, à.

Jérusalem, aux solennités de la Pàque orthodoxe. C'est le récit alerte et pittoresque


de cette excursion, trouvé dans les notes de feu lord Kitchener, cpii est publié sous
le titre Xolrc ckci'KKcItée de Gdza à .Ji'rusalem, avec une dcsci-lption du feu mci'r
:

des (îrecs. —
Mastkkman et Macalistkh, Notes de cirœnatanec sur les populations
modernes de Palestine : légendes de cheikh 'Abd et de ch. 'Aisa. Miss Estelle —
Blvth, L'avenir de la Palestine, — J. Offord, Documents èfjt/ptiens Ulustrant
Gen. 36 : pays de Lotan. les Horites, Ayah-n-N*. — Notes tirchéol. sur des antiquités
juives : phénicien et A. T.; le nom Chouza; communautés juives d'Egypte-, une
colonie juive au Fayoura au village nommé SajjLâo^'.a; un sarcophage Juif (cf. liB.,
1917, p. 318 s.); quelques noms de patriarches hébreux en Babylonie; les noms de

mois palestino-phéniciens.
Juillet 1917. —
Masterman et Macalistkr, Notes de circonstance... légendes :

au sujet des infidèles, de cheikh Loulou, de Sittna Ràbe'at el-'Alaouiyeh, de cheikh


Chàker. —
J. Offord, Éclaircissements nouveaux sur les papyrus araméens d'Élé-

phantine. — Miss Estelle Blvth, L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. — J. Of-


ford, Notes archéol... : Noms et idées sémitiques-, le nouveau « Catalogue des
antiquités palestiniennes » du Louvre; la patrie d'une des races des Bené Nouh de
Gen. 10. —
E. J. Pilcher, Le calendrier puniqve.
Octobre 1917. Notes et nouvelles. — Baldensperoer, L'immuable Orient —
{suite). —
Sir Charles Watson, Notes sur les églises de Jérusalem fondées avant
l'an J099 ap. J.-C —
Miss Estelle Biath, L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. —
Masterma.v et Macalister, Notes de circonstance... (fin). J. Offord, Notes —
archéol... —
Masterman, .Oèseri/Viritons sur la mer Morte [suite).

Communication. — A
dei « frammenti antichissimi Ravennati »
proposito
editi su copia mia dal Revmo
Abbate D. Ambrogio M. Amelli a p. .jO-62, mi
P.
preme far conoscere quanto doveva essere apertamente dichiarato, e cioè 1" che
quella copia e quel principio d'illustrazione dei frammenti risalgono a venti e più
anni fa e non furono, non che termioati, nemmeno piîi riveduti da me; 2° che io
avvertii di volere rispondere per quello solamente per cui il P. Abbate non poteva,
ossia per la copia e per la sostanziale guistezza délia descrizione dei fogli da lui non
veduti. Tanto avrei io stesso aggiunîo nella bozze, se mi fossero state comraunicate.

M^'' Giovanni Mercati.


NO-

TABLE DES MATIÈRES

*
ANNÉE 1917

N*'" 1 et 2. — Janvier et Avril.


Pages.

I. LE MARQUIS DE VOGUÉ. — R. P. Lagrange 5

II. AUTOTTR DU DE UTILITATE CREDENDI DE SAINT AUGUSTIN.


— Mg"- Batiffol 9

III. L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES (suite:.. — J. Touzard.. .54

IV. LES JUDAISANTS DE L'ÉPITRE AUX GALATES. — R. P. La-


grange 1 38

V. ENSEIGNEMENTS PARAROLIQUES. — R. P. D. Buzy 16S

VI. MÉLANGES. — 1° Inscription grecque de l'île de Rouad en Thonneur


de Julius Quadratus, É.Michon. — 2'^ Le prophète Araos, L.. Des-

noyers. — 3" Saint .Térôme et Jes prophéties messianiques,


R. P. Abel. —
4° La monogamie et le concubinat dans le code de
Hammourabi, P. Cruveilhier 208

VII. CHRONIQUE. — Relevé des inscriptions grecques de l'île de Castello-


rizo, M. Michelier 287

VIII. RECENSION. — C. C. Torrey, The composition and date of Acts


(R. P. Vostéj 300

IX. RULLETIN. — Nouveau Testament. — Ancien Testament. — Peuples


voisins. — Palestine 304

N°^ 3 et 4. — Juillet et Octobre.

I. L'AUTEUR DE L'APOCALYPSE. — R. P. Allô 321

II. LES SYMROLES D'OSÉE. — R. P. D. Buzy 370

'm. LA VULGATE LATINE DE L'ÉPITRE AUX GALATES ET LE


TEXTE GREC. — R. P. Lagrange 424
^
IV. L'AME JinVE AU TEMPS DES PERSES [suite). — J. Touzard.. . 4-31

V. MÉLANGES. — 1° L'inspiration de l'Ancien Testament chez Saint Irénée,


"W. S. Reilly. — 2"^ La bénédiction de Joseph (Gen. xlix, 22-27),
Léon Gry. — Monuments funéraires et religieu.x de Castelo-
Z"
rizo, R. P. R. Savignac. —
4" Sarcophage antique de l'ile de
608 lAlU.K liKS MAllKlUvS.
PitBM

(«istellorizo roprésenl.int Vrtéinis ot Kiulyinioii, É. Michon... . 18!)

W. CIlllOMQUE. — Unsoiivcniide.U'iusalemàSaiiil-l'aul Trois-Cli;)teniix,


R. P. F. -M. Abel. — I.a in()saï(|iie »le ('.licllAI en Palestine.
Insoiiptioii {.^ecque an R. P. Lagrange
Khàn Yaniiès. r>()l

\ II. IIKCK.NSIONS. — M. Vosté O. V Commcnhirùia in rpistohis ail Thrx-


,

stiloitia-iises. — \\ I\. Arnold, h'.i)hml aiiil Ark (R. P. La-


.

grange •'>74

VIII. BULLETIN. — Nouvean Testament. — Ancien Testament. — Peuples


voisins. — Palestine 58.>

Le Gérant : .1. GamaldA.

Typographie Kirmin-Diclot et C'«. — F'aris.


TABLES GÉNÉRALES
DU VOLUME XIV (nouvelle série)

1917

TABI.E DES RECENSIONS ET BUfJ.ETINS

Akxold (William K.). Ephod and Ark, a stud^ in the records and reli-

gion of the ancient Hebrews. 578

Barthoulot (R. p.). Démonstration de la prédication apostohque de S. Iré-


rénée traduite de l'arménien, annotée par J. Tixe-
ROXT. :304

Barton (George). Récit épique de la création d'après des tablettes de


Nippour dans Journal oi' the American oriental
Society. 603
BOEHL. Ausgewahlte Keilschrifttext aus Boghaz-Kôi. 3i:
Brassac. -Manuel Biblique. Ancien Testament, t. I, Introduc-
tion générale. — Pentateuque. 305

contenau (g.). Umma sous la dynastie d'Ur. eOo


CooK (Stanley A.), A Lydian-Aramaic Bilingual. 601
CUMOST. Deux milliaires de Septime Sévère. 603
Fragment de sarcophage judéo-païen. 318

Delattre (If. P.). Épitaphe syrienne à Carthage. 603

Haupt (Paul). Études sur Amos dans Journal ol' Biblical Literature. 600
Sur Genèse m, 14 s. dans J. of B. L. 308
La solution du problème hétéen. 31'j
Hrozny (Friedrich).

Jastrow (Morris Jr.). Sumerian myths of beginnings. G04


.Jeannoi TK. Le Psautier de saint Hilaire de Poitiers. 307
*

Landriel'x (M''). Courtes gloses sur les Évangiles du dimanche. 592


Langdùn. Critical Notes upon the Epie of Paradis. 314

MoLLTOs and Millkjan. The Vocabulary of the greek Testament illustrated


from the papyri and other nonjiterary sources. 592
Archéologie de l'Ancien Testament. .309
Navii.i.e.

UORT (H.). De aatste eeuwen van Israels volkbestaan. 585

La niosofia religiosa di Epittoto. Epitteto e il cris-


Pepe (Giovanni).
tianesimo. :m
Proost (K. J.). A quoi faut-il attribuer le silence du quatrième Évan-
gile au sujet de la rémission des péchés? (Theolo-
gisch Tydschrift). 580

Reider Joseph).
I
Prolegomena to a Greek-Hebrew and Hebrew-Greek
index to Aquila. 598
REVVE BlRLinVE.
II TAHl^E ALF>ll.\|{KT10l K OES MATIKURS PniNCIl'AI.ES.

TlXF.KONT. \ oir H\ii iiU'LLOT.


TOHIIEY (C). Tlio Composition and Haie d'Acts.
Tul/.ARn. Le dans l'AnciiMi 'IVstanuMit.
poiipli' jviir .0!»:',

VlGOlKOLX. Voir HiiAssxc.


Cummoilariiis in Epistolax ml 'l'he^salunicenseit. )71
VOSTÈ (R. ?.\

WiENF.H (Ilarold .M. The dato of the Exodiis. :!0S

WooD (Carlt'ton). La Religion de Canaan.

TABLE ALPHABETIQUK
DES MATIKRES PRINCIPAI.KS.

Abraliani et ses mariages, 28'-i, 280. Babylone début de la captivité, 65;,—


:

Achéménides, 124. son influence sur l'àme juive, 86 s.


Actes des Apôtres : accord avec S. Paul, Baptême du Christ d'après les prophéties
150. — composition et date d'après 249 s.
Torrey, 300 Bénédiction de .Joseph dans Genèse xi.ix,

Agar : situation matrimoniale, 284. 508-520.


Aggée, 125. Boghaz-Keuï : textes hétéens, 31,4 ss. • ;

Allégorisme dans l'interprétation d'Osée,


384. Caïus : sa théorie sur l'Apocalypse, 325 s.

Aniasyâ, adversaire d'Amos, 224 s. Cananéens, 311, 602.


Ame juive au temps des Perses, 54 ss., Cappadoce, province romaine, 210 ss.

451 ss. Captivité de Babylone, 80, 93.


Amos : son portrait, 218; — sa vocation, Castellorizo : monuments funéraires et

221-223; — sa doctrine, 227-24G: — religieux, 520-536; — sarcophage an-


d'après P. Haupt, 600 ss. tique, 537-560.
Antéchrist d'après les prophéties, 267 ss. Cérinthe et l'Apocalypse, 325.
Apocalypse son authenticité d'après la
:
Chaldéens : dans llabacuc, 62 s. dans ;

tradition, 322 s., 331; attribuée à Cé- — Isaïe, 107; -— s'emparent de Jérusalem,
rintlie,335; — au presbytre Jean, 328 ss. ;
71: — leur empire, 102 ss.

— et la critique indépendante, 332 s. ;


Chellal : mosaïque, 569.
— comparée au IV'""' évangile au point Chobar : identification, 94.

de vue de la langue, 335-345; au — Chronologie : de la captivité, 93; — d'Ézé-


point de vue de la doctrine, 345-348; — chiel, 93-97.

au point de vue de l'esprit 348-35G; — Citations des prophètes dans S. Irénéé,

style et procédé de composition, 356- 304.

360. Colonies juives : en Égygte, 77: — en

Apôtres, d'après les prophéties, 262 ss. Chaldée, 82.


Aquila, traducteur de la Bible, .598. Concubinat dans le code de llammourabi,
Aramaïsmes des Actes, 300 ss. 272, 279 ss.

Cornély son opinion sur les Judaïsants,


Araméen sa diffusion en Asie Mineure.
:
:

602. 141-151.
Création de l'homme, d'après les docu-
Arche d'alliance, 578 s.
Artémissur un sarcophage de Castellorizo, ments sumériens, 604 s.
542. Crésus, 104.
Asie Mineure au vi' siècle av. J.-C, 103- Cyrus, 104, 108, 123.

105.
Augustin (Saint) : analyse du De iililitate Darius, 124.
credendi, 9-16; — son estime pour Débiteurs (les deux), parabole (,Lc., vu),

l'A. T., 10; — ses motifs de crédibilité, 40-47, 184-188.

14-16; — et le principe d'autorité, 17; Décret des Apôtres à Jérusalem, 141, 150-
— et l'évolution des dogmes, .36. 156.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES PRINCIPALES. m
Denys d'Alexandrie et le presbytre Jean, — d'un Syrien à Carthage, 608; — ly-
327. dienne-araméenne de Sardes, 601 ;

Déportation d'Israël : prédite par Amos, arabe d'un milliaire, 603.
211 ;
— des Juifs en Chaldée, 79-80. Inspiration d'après S. Irénée, 489 s., 499 ss.
Deutero-Isaïe : d'après les indépendants, Ii'énée (S.) : sa doctrine de l'inspiration,
110-115; — d'après la tradition, 116 s.; 489 ss. ;
— sa Démonstration de la pré-
— d'après la Commission biblique, 121 s. dication apostolique, 304.
Di.x Vierges, parabole (Mt., xxv, 1-13), 17ô- Isaïe XL-LV : milieu auquel il s'adresse,
180. 108-110; — diffère du l" Isaïe, 111-113;
— date, 113; — lieu d'origine, 114 s.
Église, d'après les prophéties, 263 ss.
Isaïe Lvi-Lxvi : analyse, 133-136.
Egypte, colonisée par les Juifs, 75-77.
Israël : ses rapports avec Juda, 219 ss. ;

Élie comme précurseur, 248.
histoire de la période de son indépen-
Elqos : identification, 58.
dance, 585.
Empire romain dans Thessalon., 577.
Endymion sur un sarcophage de Castello- Jacob : son mariage avec Rachel et Lia,
rizo, 542 ss. 276 s.
Enfants capricieux, parabole (Mt., xr, 16- Jacques (S.) le Mineur : son attitude dans
19), 172-175. la querelle des Judaïsants, 153 ss. ;

Éphod,578. son rôle d'après Loisy, 161.
Épictéte et le christianisme,' 593. Jean (S.) l'Apôtre auteur de l'Apocalyp-se, :

Épopée sumérienne du Paradis, 604. 322 ss. —


sa relégation, 363-365;
; sa —
Évolution des dogmes et S. Augustin, 36 s. culture, 373; — et la foi, 589 s.
Exode : date, 309. Jean le Presbytre, 327 ss.
Ézéchiel : chronologie, 93-%; —sa per- Jérémie sa physionomie morale, 453-
:

sonne, 87-92 ;
— ses infirmités, 91 ;
— 460; —
son influence, 460; son pa- —
son départ pour la Chaldée, 94; — son triotisme, 461, étendue de son rôle, —
milieu, 82-87, 101 s.; son ministère — 464; —
son influence sur Ézéchiel, 90.
94-98; — composition de son livre, 98 Jérôme (S.) et les prophéties messianiques,
ss. ;
— correction.s, doublets et variantes, 247 ss. ;
— son texte des Galates, 432 ss. ;

99 s. — critique du texte latin des Galates, 435.


Jérusalem prise en 597 avant J.-C, 65 ss.;
:

Fils prodigue, parabole (Le, xv, 11-32), — en 587, 71; en 598, 480; d'après — —
188-192.
la mosaïque de S'-Paul-Trois-Chàteaux,
Foi et raison dans S. Augustin, 40 ss.
562-568; —
type de l'Église, 263, 267.
Fresques médiévales à S'-Paul-Trois-Châ-
Jésus son baptême et son ministère d'a-
:

teaux, 568.
près les prophéties, 249-253; — sa pas-
sion et sa résurrection, 253 262.
Galates : leur erreur^ 147 ss. ;
— Vulgate
Joachin sa captivité, 65.
:
latine et texte grec de l'épître, 424-450.
Joseph (bénédiction de), 508-520.
Galatie au i" siècle, 210 ss.
Judaïsants caractérisés par S. Paul,
:
Godolias, gouverneur de Judée, 72.
Gomer, femme d'Osée, 383, 389-391.
145 ss. ;

leur système mitigé par Loi-
sy etCornély, 139-142, 151.
Grec de l'Apocalypse, 335-315;
: du — N. T.
Judée son état après la déportation, 78.
:
et des papyrus", 592.
Judéo-chrétiens trois groupes, 164. :

llabacuc : analyse du livre, 61 ss.; —can- Juifs :leur situation en captivité, 69-80;
tique, 63 s.
— relâchement dans l'exil, 85 s. ap- ;

Hébraïques (documents anciens), 310. titude pour le commerce, 84 s.; ins- —
Ilétéens (documents), 315 s. tallations successives en Egypte, 75-77 ;

llilaire (S.) et le psautier latin, 307. — leur idolâtrie, 465 ss. ;


— leur en-
durcissement, 472; leur châtiment, —
Idolâtrie des Juifs avant la captivité, 464 ss. 474 s. ;

à Rome d'après document ar-
Inscriptions grecques de Castellorizo,
: chéologique, 318 s.

288-297; — du sud-palestinien, 569 .s.; Juge inique, parabole (Le, xvui, 1-8;, 19Sr
— de JuUus Quadratus à Rouad, 208 ss. ;
202.
IV TAHI.E ALlMIAHKTiniK DES MAilKKHS IMUNCIPALES.

.hilius Quadratus : son cursus Iwnorum, Prophéties ieui- relation avec


: le milieu
et l'époque de leur auteur, 106 ;
— d'après
la Commission biblique, 119-121; —
Lazare (le pauvre), parabole (l.r.. x\i. I!>-
messianiques traitées par S. Jérôme,
31), H>-M08. 247-269; —
traitées par S. renée, 496- !

Loi : principe de perfection, lo',t-l l.'.


506; —
d'après Athénagore, 494; —
Loisy : son opinion sur les .ludaïsants, 131V d'aprèsS. Justin, 491; — d'après Philon.
141. 492; —messianiques en général, 594 ss.

P.sautier latin gaulois, '.W.


Malachie : date, 137.
IMibii.-ain de Le. xvni, 914, 202-206.
Manichéens, et le canon des Écritures, 21-

Réforme religieuse de 622, 166-468, 471.


Manuel biblique réédité par Brassac, 304.
Rémission des péchés et le IV"" évangile,
Messianisme, 594.
587.
Milliaire arabe en Syrie, 603.
Résuirection d'après les prophéties, 261 s.
Monogamie, dans le Code de Hammoura-
Riche (mauvais), parabole, 192-198.
bi, 270.
Rois II, XXIV, 10-17 : critique littéraire,
Mosaïques : de S'-Paul-Trois-Chàteaux re-
présentant .Jérusalem, 562 ss. de ;
— 65 ss.

Rouad : inscription de Julius Quadratus,


Chellal, 569 s.
208.
Nabucliodonosor. 102.
Nahum :
— son caractère.
sa patrie, 58; Sardes-Sépharad, 601.
59: — sa prophétie, 60; — .son tombeau, Scythes dans les prophéties, .56.
57 note. Semence, parabole (Me, iv, 26-29), 180-184.
Négeb, 519. Semeur, parabole (Mt., xui, 18-23), 169-
Néron dans l'Apocalypse, 36S. 172.

Ninive sa ruine dans Nahum,


: 61. Serpent dans la Genèse, 308.
Nombre des Juifs déportés à Babylone, Sichem, 516 .s,
69-73. Sophonie sa personne, 54 s.
: ;
— ses écrits,
56 s. — ses reproches, 468.

;

Osée historicité du début, 387 s.


: ; sa Style du deutéro-Isaïe, 112.
femme, 383 ss. ses enfants, 403 : — ss. ; Syrie gouvernée par Julius Quadratus,
— son deuxième mariage, 409. '212.

Paraboles et symboles dans l'Écriture, Templiers, 565.


376 s.; — enseignement, 168; prin- — Thèbes d'Egypte : sa ruine par Nahum.
cipes d'interprétation, 378; — traits
60.
paraboliques, 173. Thessaloniciens commentaire du P. Vost^,
:

Passion d'après prophéties, 253-260. 574 ss.


Paul (S.) sa réfutation du système ju-
:
Tombe lycienne, 521.
daïsant, 145 ss. son accord avec les : — Trito-Isaïe, 134 s.

Actes sur les Judaïsants, 150 ss.


Pelage son texte de S. Paul, 448 s.
:
Umma, ville de Chaldée, 606.
Pergame patrie de Julius Quadratus, 210-
215. Véracité des Écritures d'après S. Augustin,
Pharisiens : dans les paraboles, 190, 204; 21-22.
— Pharisien et Publicain (Le, xvni, 9-
Vierges (Dix), parabole (Mt., xxv, 1-13).
14), 202-206. 175-180.
Philon : sa notion de la prophétie, 492 s. Vogiié (de), orientaliste, 7 ss.
Pierre (S.) son attitude dans la querelle
:
Voie romaine d'Antioche à la Mésopo-
des Judaïsants, 154-158. tamie, 603.
Précurseur d'après les prophéties messia- Vulgate latine de J'Épitre aux Galates,
niques et l'Évangile, 247 s. 424-450.
Prodigue, parabole (Le, xv, 11-32), 188-
192. Zacharie le prophète, 125-1.33.
TABLE DES INSCRIPTIONS

I. INSCRIPTIONS GRECQUES.

AyaOava^ P. 289, 11» 4, 1. I, -J. ()îOtç /Oovtoi; p. 289, n- 5, I. 7.

aya/ixara 1». 294, n° 23, 1. (i. P. 533, n» 1, I. 7.

Aysffto; P. 291, n" J2, 1. 1. ôpîTtTO; P. 291, n» 11, I, 2.

Atff^tva; P. 291, n« 14, 1. 2. — ir i:!, I. 1.

A),e$av6pw P. 292, n» 18, 1. 2.


ispaTe-joaca P. 297, n° 32, 1. :;.

P. 289, n" 5, 1. 5.
IspuJVOÇ P. 291, n" 12, 1. 1.
Ajiio; P. 288, n" 1, 1. 2.
I),apie«)(v) P. 573, n" 1.
AvaÇixpate-Jt P. 288, n" 2, i. 2.
louAiov Kouaôpatov P. 209, 1. 1.
AvTtoyoç P. 294, n" 24, 1. 3.
— n" 25, 1. 4. Kaiffttp (jeêadTOç P. 209, 1. 5.

Airo).).«i)vi P. 294, n° 23, 1. 6. KaKiwv P. 296, n° 28, 1. 1.

— n" 14, 1. 6. Kai.axa.6i P. 288, n" 1, 1. 3.

AptatiiTt P. 294, n" 23, 1. 7. KepÔMvi P. 296, n°28, I. 1.

Ap)(£7io/ii; P. 295, n" 27, 1. 1. KpaTiôafioç P. 293, n°23, 1. 1, 2.

auToxpatwp P. 209, 1. 3. K-jpto; (lit. inipér.) P. 209, 1. 6.

Aoçiavos P. 295, n» 26, 1. 2. P. 217, 1. U, 17.

Baapou P. 209, 1. 8. Aa/.Àa P. 293, n» 21, 1. 3.

Aeaio; P. 288, n» 3, 1. 3.
Y£p(iavixo; P. 209, 1. 6.
P. 292, n" 17, 1. 2.
FecopYtoç P. 570, n° 2, 1. 3.

rstopyioç (ayio;) P. 573, n» 1, 1. 1. Maffov P. 295, n» 26, 1. 1.

MajCTuXt; P. 296, n'>32, 1. 1.


P. 289, n° 5, 1. 6.
P. 288, n- 1, 1. 4.
ÔEffTCOffUVtO P. 292, n" 17, 1. 2.
P. 291, n" 14, 1. 7.
Aïip-YiTpa P. 293, n" 20, 1. 3.
MbXifi; P. 295, no26, 1. 1.
Atav6po-j P. 291, n" 14, I. 3.
P. 297, n° 33, 1. 5.
Aioffxopo; P. 293, n" 19, 1. 1.

P. 293, n» 20, 1. 4. va-jêaTa P. 290, n" 6, 1. 7.

Aiodvtopot; P. 288, n" 2, 1. 6. Nîpoua Tpatavo; P. 209, 1. 4.

oo'jxevapioc P. 570, n" 2, 1. 4. Ntxayopa P. 288, n» 1, I. l.

Noapo; P. 209, 1. 7.
P. 288, n» 3, 1. 1, 2.
P. 295, n° 25, 1. 24.
c|eSpav P. 291, n" 10, 2.

Eira^poSeiTo; P. 294, n" 24, 1.


1.

1.
— n» 27, 1. 2.

P. 297, n° 32, 1. 4.
EjtixpaTica; P. 288, n°2, 1. 1.
N-jptXa P. 296, n» 29, 1. 1.
P. 291, n- 14, 1. l.

cTttdTaTYidO; P. 288, nM, 1. 2. OXuvTnrivoc P. 295, n''26, 1. 1.

— 11° 2, 1. 3.

— 11° 3, 1. 3.
IIoAEpLK P. 292, n° 17, 1. 1.

P. 291, n- 12, 1. 2. P. 293, n" 22, 1. 2.

P. 293, n» 23, 1. 3. ]IoAe(itovû; P. 295, n- 26, 1. 4, 5.

P. 288, nM, 5. no>,e(Jwcp-/o; P. 293, n° 22, I. I, 5.


Epfiai 1.

eyepYeTKiç P. 209, 1. 8, 9. rioXuSwpo'j P. 292, nM8, 1. 1.

Eyxpate-Jî P. 291, n" 14, 1. 5. P. 294, n»23, I. 7.

TtuXwva P. 293, n" 23, 1. 4, 5.


ZuTtfxo; P. 297, n°33, I. 1.
•Kçizaëvjxi)^ P. 200. I. 2.

yipojt P. 292, n" 17, 1. 2. TCp07tU>at(i>t. P. 288, II' 1, I. 5.


ES Revue biblique

R3
t. 26

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