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Présence et Action Culturelles

Points de vue

Nouvelles radicalités et voies du changement social en Amérique latine

Par Bernard Duterme 1

Au-delà des luttes indigènes, les « nouveaux mouvements sociaux », les « nouvelles radicalités politiques
latino-américaines » pour reprendre l’expression d’Hernan Ouviña, posent d’importants défis aux acteurs
traditionnels de la gauche politique. De par leur composition sociale (plus hétérogène qu’auparavant et plus
populaire que celle de leurs alter ego européens), leurs formes d’organisation (démocratie directe, horizontalité,
etc.), leurs discours (autonomie, dignité, environnement, diversité, etc.), leurs répertoires d’action (expressifs,
symboliques, médiatiques, etc.), leurs pratiques alternatives (expérimentation, espaces autogérés de production
collective, etc.), ces mouvements ont renouvelé le panorama. Sans s’y réduire, ils assument toutefois leurs
filiations passées. Leur originalité n’est ni à essentialiser ni à idéaliser, elle est à relativiser ou plutôt à situer
dans l’articulation de nouvelles formes à d’anciennes, tant les conduites verticalistes et hiérarchiques, les
modes d’expression classiques, les aspirations égalitaires à la redistribution des richesses, les revendications
strictement socioéconomiques, l’attrait pour le pouvoir de l’État et les identités de classe sont demeurés
prégnants.

revendication d’égalité entre les hommes et les


Tentative originale mais fragile de renouveler et
femmes ; le lien étroit entre problèmes locaux
de combiner, dans les paroles comme dans les
et réalités mondiales ; la culture expérimentale
actes, une pluralité d’aspirations puisées dans
et participative, etc.
l’histoire des luttes, la portée utopique de ces
nouvelles radicalités restent néanmoins Bien sûr, ces mobilisations et cette prétention à
considérables. Si l’on retrouve dans les quartiers conjuguer l’ancien et le nouveau, une
de Buenos Aires comme dans les communautés inscription dans les luttes locales, nationales et
rurales de l’Équateur l’aspiration républicaine à internationales, des revendications particulières
la démocratie politique et à la citoyenneté, (contre un barrage ou la privatisation d’un
conjuguée à la quête socialiste et tiers-mondiste service public, pour une terre ou un emploi,
d’égalité entre les groupes sociaux et entre les pour des droits culturels) et un nouvel
peuples, la nouvelle perspective émancipatrice à internationalisme altermondialiste ne sont pas
l’oeuvre s’est enrichie, on le sait, d’accents plus apparues sui generis. Elles ont puisé tant dans
inattendus : le souci du sujet, du statut de les dynamiques singulières, provoquées
l’individu dans le collectif et de son notamment par la modernisation, des
émancipation ; l’appel à la reconnaissance des communautés urbaines ou rurales dont elles
diversités et des identités culturelles ; la sont issues (conflits générationnels, émergence
conscience écologique des limites du progrès ; la de jeunes élites novatrices, rupture
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8, rue Joseph Stevens - 1000 Bruxelles - Tél : 02/545 79 11 - Site : www.pac-g.be
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d’unanimismes traditionnels, etc.), que dans les Hardt et Antonio Negri dans Empire, ont ainsi
multiples influences culturelles et politiques trouvé dans la praxis des zapatistes du Chiapas
dont les acteurs de ces mobilisations ont été ou dans certaines composantes du mouvement
l’objet ces dernières décennies : que ce soit sur des piqueteros en Argentine, les éléments d’une
le plan religieux, de courants inspirés par les théorie révolutionnaire sans prise du pouvoir,
théologies de la libération, ou sur un plan plus formulée au prix d’une mise à distance assumée
sociopolitique, d’organisations paysannes, de l’histoire et du réel.
syndicales et de mouvements révolutionnaires
La seconde tradition d’inspiration sociale-
d’hier.
démocrate, jacobine ou marxiste-léniniste, plus
Sans s’appesantir ici sur les réponses et les centralisatrice et qui tend à reproduire un
stratégies mises en œuvre face à ces rapport hiérarchique entre partis politiques
mouvements par les États ou les pouvoirs en (haut) et mouvements sociaux (bas), est
cause – qui classiquement sont allées de la nettement moins frileuse à l’idée d’expressions
répression à la cooptation, en passant par des partisanes des luttes, de traduction politique des
manœuvres plus ou moins larvées de revendications du mouvement. Elle en fait
pourrissement des situations, de fragmentation même la condition de l’efficacité politique des
des acteurs, d’institutionnalisation des mobilisations sociales. A noter que des deux
revendications –, deux problématiques côtés, le propos peut être plus ou moins radical
d’importance méritent encore d’être évoquées : (antisystémique), plus ou moins conciliant
le rapport au politique de ces mouvements – (réformateur).
sans-terre brésiliens, piqueteros sans-emploi
Dans la réalité, les forces contestataires de ces
argentins, indigènes andins, fronts urbains
deux dernières décennies ont eu tendance à
mexicains, asambleas vecinales boliviennes, etc.
combiner les accents les plus complémentaires
– et leur potentiel transformateur. Un écho aux
de ces deux traditions (primat du social contre
lourds débats que ces thématiques suscitent en
primat du politique), avec des fortunes diverses
Amérique latine aide à relativiser ou à mieux
et selon des modalités particulières très
situer la portée de ces forces sociales. Des débats
dépendantes des configurations sociopolitiques
qui mettent en tension deux traditions déjà
nationales. Elles ont dû composer avec des
anciennes de l’action politique et des voies du
contextes sociaux variés dans lesquels les
changement social.
« secteurs populaires organisés », quelle que soit
La première, d’inspiration anarchosyndicale et leur vigueur, restent souvent minoritaires au
libertaire, qui, dans ses formes les plus sein de leur propre secteur social et où les
extrêmes, rejette toute idée de délégation du mobilisations populaires les plus fortes ne sont
pouvoir et de représentation institutionnelle, pas forcément « de gauche » ou contestataires
privilégie le développement, la (Stefanoni, 2004 ; Saint-Upéry, 2004). Sur la
« territorialisation » et la généralisation de scène politique, lorsqu’elles n’y ont pas porté
pratiques autogestionnaires, de contre-pouvoirs leurs propres candidats ou partis 2 , plus ou
civils, « par le bas », au nom d’une certaine moins rompus au jeu des coalitions pré- ou
fétichisation idéaliste de la « pureté du social ». postélectorales 3 , les luttes et organisations
John Holloway et son ouvrage Change the contestataires ont pu aussi opter pour un parti
world without taking power (2002) qui s’inscrit ou un candidat extérieur à elles-mêmes 4 , ou
dans le filon libertaire remis à jour par Michael encore tenter d’imposer aux autorités leur
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propre agenda, tout en refusant de se Argentine) ou faible (Venezuela, Nicaragua)
compromettre dans le jeu politique 5 . dans le basculement à gauche du pouvoir
national, le destin de ces mouvements (toujours
Dans tous les cas de figure, quelle que soit la
très présents en Bolivie ; plutôt en retrait au
stratégie choisie ou imposée par les
Brésil et en Argentine ; (ré)émergents ou
circonstances, la question éminemment
dynamisés au Venezuela) n’est donc pas
politique du meilleur moyen de produire du
forcément appelé à s’inscrire dans les mêmes
changement social est au centre des
tendances.
considérations. Les résultats obtenus
(aboutissement des revendications, Si globalement la réaffirmation du rôle de l’État
récupération, neutralisation, etc.) et les effets dans le pilotage de l’économie et de la société
sur la dynamique des mouvements (perte ou d’une part et la mise en cause de l’hégémonie
renforcement de l’autonomie, rivalités et états-unienne de l’autre – deux accents
différenciation sociale internes, épuisement, communs aux différentes gauches
etc.) sont eux aussi pluriels. Au-delà, le sort plus gouvernementales – impliquent sans doute un
ou moins heureux de ces forces protestataires certain reflux des gauches sociales enfin
dépend surtout des réponses structurelles entendues par les urnes, la vérité est moins
qu’elles sont parvenues ou qu’elles mécanique lorsqu’elle est observée aux échelons
parviendront à forcer, de la capacité des sociétés nationaux (Biekart, 2005). Là, le respect des
latino-américaines à partager la richesse et à promesses électorales, la nature des politiques
assumer la diversité, bref à se démocratiser sociales menées et les formes d’intégration ou
véritablement. Les modes d’intégration sociale d’instrumentalisation des demandes sociales et
et d’unité nationale dans un continent ouvert à des sociétés civiles par l’État s’avèrent
la mondialisation constituent désormais l’enjeu déterminants sur la dynamique des
des principaux conflits. mouvements. Au-delà, les marges de manœuvre
réellement existantes (gouvernement de
coalition ou non, loyauté de l’opposition,
dépendances externes du pays), la volonté
Gauches sociales au défi des gauches politique, la clarté des orientations, l’ancrage
gouvernementales social et l’assise populaire variable des différents
pouvoirs élus achèvent de complexifier le
L’impact sur les mouvements sociaux latino- panorama.
américains de la montée au pouvoir de diverses
formules de gauche dans les gouvernements A cette aune, on comprendra aisément les
nationaux diffère nécessairement d’un pays à variations entre situations nationales : en
l’autre. Les configurations politiques Uruguay, la reconfiguration des rapports entre
spécifiques, la variabilité du poids relatif des pouvoirs publics et mouvements sociaux opérée
acteurs sociaux protestataires au sein de la par le Frente Amplio a permis aux syndicats de
gauche et de la société dans son ensemble, leur gagner en reconnaissance et en poids politique,
autonomie plus ou moins affirmée ouvrent sur mais a accru les risques de subordination à
une pluralité de scénarios possibles. Là où les l’action du gouvernement (Zibechi, 2006) ; en
contestations sociales organisées ont joué un Argentine, les méthodes du gouvernement
rôle central (Bolivie), significatif (Brésil, Kirchner à l’égard des conflits sociaux ont eu
pour effet de semer le trouble dans le champ
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militant, en cooptant d’un côté et en stratégies individuelles d’engagement social et
diabolisant de l’autre (Svampa, 2006) ; en d’organisation collective dans des sociétés à
Bolivie, la confiance dont Evo Morales forte mobilité en est un autre. Contrairement à
continue à jouir parmi les mouvements ce que des lectures trop sommaires laissent
indigènes, populaires et syndicaux qui l’ont penser, les opinions publiques latino-
porté au pouvoir n’équivaut certainement pas à américaines, même populaires, ne coïncident
un chèque en blanc (Stefanoni et Do Alto, qu’épisodiquement avec les revendications des
2006) ; au Brésil, l’euphorie suscitée par la mouvements sociaux progressistes.
réélection de Lula à la présidence en 2006 n’a
Appuyons cette dernière remarque sur un seul
pas réussi à effacer l’espace de tensions ouvert
exemple pris à l’échelle du continent. Si la
durant le premier mandat entre le Parti des
remise en cause du projet de Zone de libre-
travailleurs et les mouvements proches
échange des Amériques (ALCA), d’abord
(Kunrath Silva et de Lima, 2006) ; au
portée par les forces sociales avant d’être
Venezuela, la dynamique sociale impulsée par
relayée par les gouvernements, a pu aussi
Hugo Chavez à travers diverses formes de
s’appuyer sur des opinions plutôt hostiles à
participation populaire et d’économie solidaire,
l’hégémonie états-unienne, il n’en va pas
s’accommode tant bien que mal avec la
toujours de même. Ainsi, début 2007, les
centralisation du pouvoir bolivarien et une
Brésiliens dans leur grande majorité n’ont pas
certaine confusion entre État et société civile
été très heureux d’apprendre que leur président
(Margarita López Maya, 2007 ; Mouvements,
venait d’accepter de payer plus cher le gaz
2006) ; en Équateur, le président de gauche élu
bolivien fraîchement nationalisé, alors que Lula
en 2006, porteur des revendications des
accédait pourtant par ce geste « solidaire » à une
mouvements sans pour autant y être lié
revendication historique et légitime des
organiquement, pourrait occasionner un reflux
mouvements progressistes, boliviens comme
des mobilisations ou, à l’inverse, s’appuyer sur
brésiliens. Même en Amérique latine, le
elles pour défendre son mandat.
« peuple » n’est pas forcément du côté de la
Ces quelques exemples le confirment, les gauche sociale.
acteurs sociaux contestataires qui ont précédé le
« virage à gauche » latino-américain, quand ils
ne l’ont pas eux-mêmes suscité, traversent
inévitablement une importante phase de
redéfinition, de reconfiguration et de
remobilisation durant laquelle l’autonomie à
l’égard des nouveaux pouvoirs qui les
représentent peu ou prou s’impose comme le
principal défi. L’importance toute relative des

2005 ; Editorial Laboratorio educativo, Caracas, 2006).


1 Sociologue, directeur du Centre tricontinental (Cetri, Extrait de l’ouvrage coédité par le GRIP-Editions
Louvain-la-Neuve, www.cetri.be), coordinateur de Complexe
Mouvements et pouvoirs de gauche en Amérique 2 Le Mouvement vers le socialisme (MAS) du président
latine (Syllepse, Paris, 2005) et Movimientos y poderes de bolivien Evo Morales est littéralement l’« instrument
izquierda en America latina (Editorial popular, Madrid, politique » créé par les syndicats cocaleros.
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3 Le Parti des travailleurs brésilien, longtemps soutenu par


le Mouvement des sans-terre et d’autres mouvements
sociaux, doit aussi son entrée au gouvernement national
dès 2002 à des alliances politiques diverses.
4 Le mouvement indigène équatorien Pachakutik,
incapable en 2002 de se mettre d’accord sur son propre
candidat à la présidence du pays, choisit de soutenir le
colonel Gutierrez (élu puis destitué deux ans plus tard) et
en 2006, participa en rangs divisés à l’élection
présidentielle du « sans-parti » Rafael Correa.
5 Les zapatistes mexicains ou certains mouvements
urbains argentins.

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