Sunteți pe pagina 1din 154

Traduit de l'anglais (U.S.

)
par Gilles Vaugeois
AFIN DE PROTÉGER LES INNOCENTS, UN CERTAIN
À UNE ÉPOQUE PLUS FORTE QUE CE PRÉSENT POURRI ET DÉSESPÉRÉ
NOMBRE DE NOMS ET DE DÉTAILS PERSONNELS DE SOI, IL VIENDRA BIEN L'HOMME RÉDEMPTEUR DU GRAND AMOUR
ONT ÉTÉ CHANGÉS DANS CE LIVRE ET PLUSIEURS ET DU GRAND MÉPRIS, L'ESPRIT CRÉATEUR QUE SA FORCE IRRÉPRESSIBLE
PERSONNAGES REGROUPÉS EN UN SEUL. NE CESSE DE DÉLOGER DE TOUS LES REFUGES ET DE TOUS LES AU-DELA,
DONT LA SOLITUDE EST MAL COMPRISE PAR LE PEUPLE PARCE QU'ELLE
SEMBLE UNE FUITE DEVANT LA RÉALITÉ : TANDIS QU'ELLE N'EST
QUE SON IMMERSION, SON ENFOUISSEMENT, SON ENFONCEMENT DANS
LA RÉALITÉ, DE SORTE QU'UNE FOIS SORTI, LORSQU'IL REVIENT
À LA LUMIÈRE, IL APPORTE LE SALUT À CETTE RÉALITÉ, LE SALUT
DE LA MALÉDICTION QUE L'IDÉAL ANTÉRIEUR LUI AVAIT JETÉE. CET HOMME
DE L'AVENIR QUI NOUS SAUVERA DE L'IDÉAL ANTÉRIEUR AUTANT QUE DE
CE QUI DEVAIT SORTIR DE LUI, DU GRAND DÉGOÛT, DE LA VOLONTÉ
DU NÉANT, DU NIHILISME, LUI, CETTE CLOCHE DE MIDI ET DE LA GRANDE
DÉCISION, QUI REND SA LIBERTÉ AU VOULOIR, QUI RESTITUE À LA TERRE
SON BUT ET À L'HOMME SON ESPÉRANCE, CET ANTICHRÉTIEN
ET ANTINIHILISTE, CE VAINQUEUR DE DIEU ET DU NÉANT
- IL VIENDRA BIEN UN JOUR.

TITRE ORIGINAL : THE LONG HARD ROAD O U T OF HELL


ÉDITEUR ORIGINAL : HARPERCOLLINS, NEW YORK
© 1998 BY MARILYN MANSON AND NEIL STRAUSS

ET POUR LA TRADUCTION FRANÇAISE :


© 2000 BY ÉDITIONS DENOËL
9, RUE DU CHERCHE-MIDI, 75006 PARIS
ISBN 2 207 24910.7
B 24910.8
INTRODUCTION DE DAVID LYNCH

PREMIÈRE PARTIE :

L'HOMME DONT ON A PEUR

NOUS PUNIRONS TOUS CEUX QUI AIMENT LE ROCK

LE FANZINEUX

LA ROUTE VERS L'ENFER EST PAVÉE DE LETTRES DE REFUS

J'AIMERAIS N'AVOIR QUE DES MAJEURS EN GUISE DE DOIGTS

DEUXIÈME PARTIE :

THE SPOOKY KIDS

SALOPE DE ROCK-STAR

À TOUS CEUX QUI NE SONT PAS MORTS

LES RÈGLES

TOUT POUR RIEN

ON EST PARTIS VOIR LE MAGICIEN

MAUVAIS TRAITEMENTS : PREMIÈRE ET DEUXIÈME PARTIE

ENVIANDER LES FANS ; MEAT AND GREET

TROISIÈME PARTIE :

LE DIEU-MIROIR [RÊVES]

ANTICHRIST SUPERSTAR

CINQUANTE MILLIONS DE CHRÉTIENS QUI HURLENT NE PEUVENT PAS SE TROMPER

REMERCIEMENTS

CRÉDITS PHOTOS
INTRODUCTION
DEHORS, IL TOMBAIT DES CORDES.
À PEINE SORTI DE SA COQUILLE, REJETON DE L'HUMANITÉ TOUT ENTIÈRE,
MARILYN MANSON EST ENTRÉ SANS SE PRESSER. PAS DE DOUTE :
IL COMMENÇAIT À RESSEMBLER À ELVIS ET À SONNER COMME LUI.

DAVID LYNCH, LA NOUVELLE-ORLÉANS 2 H 50


À BARB ET HUGH WARNER
QUE DIEU LEUR PARDONNE DE M'AVOIR MIS AU MONDE
PARMI TOUTES LES CHOSES QUE L'ON PEUT CONTEMPLER SOUS LA
VOÛTE CÉLESTE, ON NE PEUT RIEN VOIR QUI STIMULE PLUS L'ESPRIT
HUMAIN, QUI ENCHANTE PLUS LES SENS, QUI TERRIFIE DAVANTAGE,
QUI PROVOQUE PLUS DE TERREUR ET D'ADMIRATION QUE LES
MONSTRES, LES PRODIGES ET LES ABOMINATIONS AU TRAVERS
DESQUELS NOUS VOYONS LES ŒUVRES DE LA NATURE INVERSÉES,
MUTILÉES ET TRONQUÉES.

L'ENFER , pour moi, c'était la cave de mon


grand-père. Cette pièce puait autant que des toilettes publiques et était
au moins aussi sale. Le sol humide en béton était jonché de cannettes
de bière vides ; tout était recouvert d'une pellicule de graisse qui n'avait
probablement pas été essuyée depuis que mon père était môme. On y
accédait uniquement par un escalier branlant en bois, fixé sur un mur
de pierre rugueux ; seul mon grand-père avait le droit d'aller à la cave.
C'était son univers.
Bien en évidence sur le mur, pendait une poire à lavement d'un rouge
fatigué ; Jack Angus Warner se trompait s'il pensait que même ses petits-
enfants n'oseraient pas s'y aventurer. Plus à droite, dans une armoire à
pharmacie blanche et déformée, il y avait une douzaine de vieilles boîtes
de préservatifs sans marque, achetées par correspondance et dans un état
de décomposition avancé, un vaporisateur rouillé plein de déodorant
pour femme, une poignée de doigts en latex auxquels ont recours les
médecins pour les touchers rectaux, ainsi qu'un Frère Tuck qui bande
lorsqu'on lui appuie sur la tête. Derrière l'escalier se trouvait une étagère
sur laquelle était posée une dizaine de pots de peinture remplis — comme
je l'ai découvert plus tard — de films pornos en 16 mm. Et pour cou- tenaient à une autre catégorie. Ce n'étaient pas tant leur obscénité que
ronner le tout, une petite fenêtre carrée qui ressemblait à un vitrail, mais leur caractère irréel : toutes ces femmes arboraient un sourire innocent
qui était en fait grise de crasse. Regarder au travers revenait à essayer de de jeunes hippies tandis qu'elles suçaient et montaient ces animaux !...
percer la noirceur de l'enfer. Il y avait également des magazines fétichistes planqués derrière le
Ce qui m'intriguait le plus dans cette cave, c'était l'établi. Vieillot et miroir, tel Watersports et Black Beauty. Plutôt que de piquer les numé-
grossier, il donnait l'impression d'avoir été fabriqué des siècles aupara- ros entiers, nous préférions découper soigneusement les pages qui nous
vant. Il était recouvert d'une sorte de moquette en peluche orange fon- intéressaient avec une lame de rasoir. Puis nous pliions les pages en petits
cée, un peu comme les cheveux des poupées Raggedy Ann, à la différence carrés pour les cacher sous les gros galets blancs qui encadraient l'allée
près que la moquette, elle, avait été souillée au fil des années par les nom- en gravier menant chez ma grand-mère. Des années plus tard, quand nous
breux outils qui avaient été posés dessus. Sous l'établi se trouvait un tiroir sommes revenus les chercher, elles étaient toujours là, usées, abîmées et
de guingois, mais toujours fermé à clé. Sur des chevrons au-dessus de recouvertes de vers de terre et de limaces.
l'établi, on avait accroché un miroir bon marché fait pour se voir en pied : Un après-midi d'automne, Chad et moi étions assis autour de la table
le genre d'objet avec un cadre en bois que l'on fixe généralement derrière de la salle à manger de ma grand-mère. La journée avait été particuliè-
une porte. Mais, pour une raison qui m'échappait, il était cloué au pla- rement morne à l'école et nous avions décidé de découvrir ce que pou-
fond : à moi d'imaginer pourquoi. C'est donc là qu'avec mon cousin vait cacher le tiroir sous l'établi. Toujours déterminée à gaver sa progé-
Chad, nous avons commencé à nous immiscer jour après jour plus har- niture, ma grand-mère Béatrice nous forçait à avaler des pains de viande
diment dans l'intimité de mon grand-père. et du Jell-O, gelée composée principalement d'eau. Elle était issue d'une
J'avais treize ans, des taches de rousseur, j'étais maigre et j'arborais famille riche et avait énormément d'argent en banque, mais elle était tel-
une coupe au bol, œuvre des ciseaux de ma mère. Aussi efflanqué que lement radine qu'un seul paquet de gelée pouvait durer des mois. Elle
moi, Chad avait douze ans, des taches de rousseur et des dents de lapin. portait des bas à mi-genoux qu'elle roulait en boule sur ses chevilles et
Nous rêvions de devenir flics, espions ou détectives privés lorsque nous de curieuses perruques grises qui, à l'évidence, étaient trop grandes. Les
serions grands. C'est en essayant de développer en cachette les talents qui gens ont toujours trouvé que j'avais hérité de sa maigreur, mais aussi de
nous seraient nécessaires, que nous nous sommes retrouvés exposés à son visage en lame de couteau.
toute cette iniquité. Dans la cuisine, rien n'a jamais changé tout ce temps où j'ai avalé ses
Au départ, nous voulions simplement nous glisser en bas afin d'es- immangeables repas. Au-dessus de la table était accrochée une photo jau-
pionner Grand-père sans qu'il s'en rende compte. Mais lorsque nous nissante du pape, enchâssée dans un cadre en laiton bon marché. Un
avons peu à peu découvert ce qui se cachait dans cette cave, notre optique imposant arbre généalogique familial était placardé sur le mur voisin :
changea du tout au tout. Nos incursions dans la cave, dès que nous ren- on pouvait y suivre toute la lignée des Warner depuis la Pologne et l'Al-
trions de l'école, étaient motivées à la fois par l'envie de deux pré-ados lemagne, à l'époque où ils s'appelaient les Wanamaker. Enfin, surplom-
de se branler devant des photos pornos et par la fascination morbide bant le tout, un imposant crucifix en bois creux, avec un Jésus en or enve-
qu'exerçait sur nous notre grand-père. loppé dans une feuille de palmier desséchée, avec, tout en haut, un petit
Presque tous les jours, nous faisions des découvertes plus choquantes tiroir escamotable renfermant un cierge ainsi qu'une fiole d'eau bénite.
les unes que les autres. Je n'étais pas très grand, mais si je me mettais pru- Sous la table de la cuisine, il y avait une bouche d'aération donnant
demment en équilibre sur la vieille chaise en bois de Grand-père, j'arri- directement sur l'établi de la cave. Au travers, nous pouvions entendre
vais à atteindre l'espace entre le miroir et le plafond. C'est là que j'ai mon grand-père cracher ses poumons au sous-sol. Il branchait sa CB sans
découvert une pile de photos zoophiles en noir et blanc. Elles ne prove- jamais parler dedans. Il se contentait d'écouter. Quand j'étais petit, il avait
naient pas d'un magazine, c'étaient simplement des photos numérotées, été hospitalisé pour un cancer de la gorge, et du plus loin que je m'en
qui semblaient avoir été sélectionnées dans un catalogue de vente par cor- souvienne je n'ai jamais entendu sa vraie voix : je n'ai connu que le sif-
respondance. Elles dataient du début des années soixante-dix et mon- flement irrégulier qu'il sortait péniblement de sa trachéo.
traient des femmes enfourchant la bite géante de chevaux, suçant un Nous attendions qu'il quitte la cave, laissions notre viande sur la table,
cochon dont la bite ressemblait d'ailleurs à un tire-bouchon doux et versions le Jell-O dans le conduit du chauffage, puis nous partions en
charnu. J'avais déjà vu Play boy et Penthouse, mais ces photos-là appar- exploration au sous-sol, poursuivis par la voix de notre grand-mère qui
s'époumonait en vain : « Chad ! Brian ! Finissez vos assiettes ! » Cet nous ne pouvions pas voir plus haut que ses genoux, mais nous savions
après-midi-là, on a eu de la chance qu'elle se contente de crier. D'habi- qu'il était assis. Petit à petit, il s'est mis à gratter le sol avec ses pieds
tude, si elle nous attrapait à voler de la nourriture, à répondre avec inso- comme si on le secouait violemment sur son siège ; il toussait si fort qu'il
lence ou à tirer au flanc, elle nous obligeait à nous mettre à genoux sur en couvrait le bruit du train. Je suis incapable de trouver les mots pour
un manche à balai, dans la cuisine, entre un quart d'heure et une heure. décrire le son qui sortait de son inutile larynx. Ça ne m'évoque que le
Bref, nous en ressortions avec les genoux continuellement couverts de bruit d'une vieille tondeuse à gazon abandonnée que l'on essaie de faire
bleus et de croûtes. redémarrer. Mais provenant d'un être humain, ce bruit semblait mons-
Chad et moi, nous travaillions promptement et en silence : nous savions trueux.
ce que nous avions à faire. Nous avons ramassé un tournevis rouillé qui Au bout d'une dizaine de
traînait par terre ; en faisant levier, nous avons suffisamment ouvert le minutes très inconfortables, une
tiroir pour y jeter un coup d'œil. En premier, nous avons aperçu de la cel- voix a appelé du haut de l'esca-
lophane : une masse incroyable de cellophane enveloppant quelque chose. lier. « T'as la chiasse ? » C'était
Impossible de voir quoi. Chad a enfoncé le tournevis plus profondément ma grand-mère et, apparem-
dans le tiroir. Il y avait des cheveux, de la dentelle. Il a poussé encore plus ment, cela faisait un moment
fort, pendant que je tirais le tiroir vers moi jusqu'à ce que celui-ci cède. qu'elle s'époumonait. Le train
Et là, nous sommes tombés sur des bustiers, des soutiens-gorge, des s'est arrêté, les pieds aussi.
jupons, des culottes, plusieurs perruques de femme aux cheveux raides, « Jack, qu'est-ce que tu fabriques
emmêlés et mouchetés. Puis nous avons commencé à déballer la cello- en bas », hurlait-elle.
phane, mais dès que nous avons aperçu ce qu'elle cachait, nous avons Agacé, mon grand-père gueu-
jeté le tout par terre. Aucun de nous n'osait y toucher. Il y avait là une lait au travers de sa trachéo.
collection de godemichés surmontés par des mini-pompes aspirantes. « Jack ? Tu pourrais courir chez Heinie ? On n'a plus de soda. »
J'étais jeune, mais ils me paraissaient d'une taille monstrueuse. De plus, Encore plus agacé, Grand-père lui a répondu en aboyant. Il est resté
ils étaient recouverts d'une couche visqueuse, durcie et orange foncé. un moment immobile, comme s'il se posait la question de savoir s'il fal-
Comme la gélatine qui recouvre une dinde au fur et à mesure qu'elle cuit. lait l'aider ou pas. Puis il s'est lentement levé. Nous étions sauvés, pour
Nous avons compris beaucoup plus tard qu'il s'agissait de vieille vase- l'instant.
line. Après avoir fait de notre mieux pour réparer les dommages que nous
J'ai ordonné à Chad de remballer les godemichés et de les remettre avions commis au niveau du tiroir, Chad et moi sommes remontés pour
dans le tiroir. Assez d'exploration pour cette fois. Au moment précis où nous glisser dans l'appentis près du garage, là où nous rangions nos jouets.
nous allions utiliser la force pour remettre le tiroir en place, la poignée Nos jouets ! En fait, il s'agissait de deux carabines à air comprimé. À part
de la cave a tourné. Nous sommes restés tétanisés, mais Chad m'a immé- espionner mon grand-père, la maison offrait deux autres distractions : la
diatement pris par la main et nous avons plongé sous une table en contre- première était d'aller dans les bois d'à côté et de tirer sur les animaux.
plaqué sur laquelle mon grand-père avait monté son train électrique. Juste La seconde était les filles du voisinage avec lesquelles nous voulions cou-
à temps : nous entendions ses pas en bas de l'escalier. Le sol était jonché cher, mais nous avons dû attendre quelques années avant de parvenir à
de décorations pour le train, surtout un mélange d'aiguilles de pin et de nos fins.
fausse neige qui me faisait penser à des beignets saupoudrés de sucre puis Nous allions parfois dans le parc municipal, juste derrière les bois,
piétines. Les aiguilles de pin nous piquaient les coudes, l'odeur était insup- pour essayer d'abattre les mômes qui jouaient au football. À ce jour, Chad
portable et nous avions du mal à respirer. Grand-père ne semblait avoir a toujours un plomb logé sous la peau de sa poitrine ; en effet, quand
remarqué ni notre présence, ni le tiroir à moitié ouvert. Nous l'enten- nous ne trouvions pas de cible, il nous arrivait de tirer l'un sur l'autre.
dions traîner des pieds dans la pièce et tousser par le trou dans sa gorge. Cette fois-là, nous sommes restés près de la maison et avons essayé de
Nous avons écouté un déclic et son train électrique s'est mis à tourner descendre les oiseaux dans les arbres. C'était par pure méchanceté, mais
dans un bruit de ferraille sur les larges voies. Ses chaussures vernies en nous étions jeunes et nous n'en avions rien à foutre. Cet après-midi-là,
cuir noir se sont retrouvées juste devant notre nez. En levant les yeux, j'étais assoiffé de sang : un lapin blanc a eu le malheur de croiser notre
route. Le plaisir que j'ai éprouvé en le tirant a été démesuré. Mais quand qui, à part Chad et de bien des manières, était ma seule vraie amie : je
je suis allé constater les dégâts, il était toujours vivant ; le sang qui sor- veux parler d'Aleusha, un chien de traîneau de la taille d'un loup, recon-
tait de ses yeux imbibait sa fourrure blanche. Sa bouche s'ouvrait et se naissable à ses yeux vairons, un vert et un bleu. Mais jouer à la maison
refermait docilement ; il essayait désespérément me mettait dans un état proche de la paranoïa, surtout depuis que mon
de retrouver son souffle avant de mou- voisin Mark était revenu de son école militaire pour les vacances de
rir. Pour la première fois de ma vie, Thanksgiving.
cela me rendait malade d'avoir Mark avait toujours été un gros patapouf aux cheveux blonds et gras
tiré sur un animal. J'ai coupés au bol. Pourtant, je l'avais longtemps admiré parce qu'il avait
ramassé une grosse pierre trois ans de plus que moi et qu'il était beaucoup plus dévergondé. Je
plate pour l'achever d'un l'avais souvent vu dans son jardin jeter des pierres à son berger allemand
coup rapide et violent. ou lui enfoncer des bâtons dans le cul. On a commencé à traîner ensemble
Je n'étais pas loin lorsque j'avais huit ou neuf ans ; surtout parce qu'il avait le câble et que
d'apprendre une leçon j'adorais Flipper le Dauphin. La télé était au sous-sol, là où se trouvait
encore plus cruelle sur le monte-charge qui servait à descendre le linge sale. Une fois Flipper ter-
la manière de tuer les miné, Mark inventait des jeux comme celui de « la Prison », qui consis-
animaux. tait à se serrer dans le monte-charge et à faire comme si nous étions en
Nous sommes retour- prison. Ce n'était pas une prison ordinaire : les gardiens étaient si sévères
nés à la maison en cou- qu'ils ne laissaient rien à leurs prisonniers, pas même leurs vêtements.
rant. Mes parents m'atten- Lorsque nous nous retrouvions nus dans le monte-charge, Mark faisait
daient, garés devant, dans la courir ses mains sur ma peau, essayait d'attraper et de caresser ma bite.
Cadillac Coupe de Ville mar- Très rapidement, j'ai craqué et tout raconté à ma mère. Elle a foncé direc-
ron, fierté et joie de mon père tement chez ses parents qui, même s'ils m'ont traité de menteur, l'ont
depuis qu'il avait trouvé un job de immédiatement envoyé dans une école militaire. Depuis, nos deux familles
directeur dans un magasin de moquette. Il se haïssent et je me suis toujours dit que Mark m'en voulait d'avoir cafardé
ne venait jamais me chercher à l'intérieur de la maison, à moins d'y être et qu'il me tenait pour responsable s'il avait atterri dans cette école. Depuis
absolument obligé, et il parlait très peu à ses parents. Mal à l'aise, il pré- son retour, il ne m'avait pas adressé la parole. Il me jetait juste des regards
férait m'attendre dehors comme s'il avait peur de retrouver dans cette en biais par la fenêtre de sa chambre ou par-dessus la barrière. Je vivais
vieille maison certaines choses qu'il avait vécues pendant son enfance. donc dans la peur de sa vengeance ; j'imaginais qu'il allait s'en prendre
Le duplex dans lequel nous vivions se trouvait à quelques minutes de à moi ou à mes parents, voire à mon chien.
là : l'ambiance y était aussi oppressante que chez Grand-père et Grand- La semaine suivante, j'ai été, pour ainsi dire, soulagé de retourner chez
mère Warner. Au lieu de couper le cordon après son mariage, ma mère mes grands-parents et d'aller jouer au détective avec Chad. Nous étions
avait fait venir son père et sa mère à Canton, Ohio. Du coup, les Wyer alors bien déterminés à percer le secret de Grand-père une bonne fois
(ma mère était née Barb Wyer) vivaient juste à côté. C'étaient des pay- pour toutes. Après nous être forcés à avaler la moitié d'une assiette pleine
sans affables de l'ouest de la Virginie (mon père les surnommait les ploucs). à ras bord préparée par Grand-mère, nous nous sommes excusés avant
Lui était mécanicien, elle femme au foyer, très grosse, et avalait d'énormes de nous diriger vers la cave. Du haut de la cage d'escalier, nous pouvions
quantités de pilules parce qu'elle avait passé une partie de son enfance entendre les trains rouler. Il était bien en bas.
enfermée dans le placard de la maison familiale. Nous avons jeté un œil dans la pièce en retenant notre souffle. Il nous
Chad est tombé malade et, du coup, je ne suis pas retourné chez mes tournait le dos, nous pouvions voir sa chemise en flanelle bleu et gris qu'il
grands-parents paternels pendant environ une semaine. Bien qu'écœuré ne quittait jamais. Lorsqu'il tendait le cou, le col de sa chemise souligné
et dégoûté, je n'avais pas encore assouvi la curiosité qu'éveillaient en moi de jaune et de marron laissait apparaître un maillot de corps taché de
mon grand-père et ses perversions. Pour tuer le temps, en attendant de transpiration. Un élastique blanc, noirci par la crasse, entourait sa gorge
pouvoir reprendre l'enquête, je jouais dans la cour de derrière avec celle de façon à maintenir le cathéter en metal au-dessus de sa pomme d'Adam.
oscillait entre le gris et le blanc, comme une merde d'oiseau ; seul son
nez, déformé par des années passées à boire, était violacé. Ses mains cal-
leuses avaient été durcies par une vie de labeur, ses ongles étaient noirs
et cassants comme les ailes d'un scarabée.
Grand-père ne s'intéressait absolument pas aux trains qui tournaient
sans fin autour de lui. Son pantalon sur les genoux, un magazine étalé
sur les cuisses, il crachait et frottait rapidement sa main droite entre ses
cuisses. En même temps, de sa main gauche, il essuyait toutes les glaires
sortant de sa trachéo à l'aide d'un mouchoir qui n'était plus qu'une croûte
jaune. Comprenant ce qu'il était en train de faire, nous avons voulu remon-
ter illico presto. Mais nous étions coincés derrière l'escalier et avions bien
trop peur pour en ressortir.
Soudain, sa toux s'est transformée en toussotement avant de s'arrê-
ter. Grand-père a alors pivoté sur son fauteuil et s'est retrouvé pile en face
de la montée d'escalier. Notre sang n'a fait qu'un tour. Il s'est levé et le
pantalon a glissé sur ses chevilles : nous aurions voulu disparaître dans
le mur moisi. Nous ne pouvions plus voir ce qu'il était en train de faire.
C'était comme si on m'avait frappé avec des tessons de bouteilles en plein
cœur ; trop pétrifié, j'étais incapable de crier. Des centaines de châtiments
plus pervers et plus violents les uns que les autres m'ont traversé l'esprit.
En fait, le simple fait de me toucher m'aurait immédiatement laissé raide
mort de peur.
Sa toux a repris en même temps que le frottement de ses pieds sur le
sol. Nous pouvions reprendre notre souffle. C'était le moment de jeter
un coup d'œil entre les marches de l'escalier. Nous n'en avions pas vrai-
ment envie, mais c'était maintenant ou jamais.
JACK WARNER Après quelques interminables secondes, un son épouvantable a jailli
de sa gorge. On aurait dit le bruit d'un moteur de voiture lorsqu'on tourne
la clé alors que le contact a déjà été mis. J'ai rapidement tourné la tête,
Nos corps frissonnaient de peur, doucement, nerveusement. Le moment mais trop tard pour ne pas m'imaginer, sortant de son pénis jaune et ridé,
était venu. Nous avons descendu l'escalier qui craquait en essayant de un pus blanchâtre ressemblant aux boyaux d'un cafard écrasé. Lorsque
faire le moins de bruit possible : nous espérions que le bruit des trains j'ai à nouveau regardé, il utilisait son mouchoir, celui dont il se servait
couvrirait nos pas. Une fois en bas, nous sommes allés nous cacher dans pour éponger ses miasmes, afin d'effacer toute trace de pollution. Nous
le renfoncement puant le moisi derrière l'escalier, en évitant de cracher avons attendu qu'il s'en aille avant de grimper l'escalier, tout en nous
et de crier lorsque les toiles d'araignée s'accrochaient à notre visage. jurant de ne plus jamais remettre les pieds dans cette cave. Si Grand-père
De notre cachette, nous pouvions voir le circuit. Il y avait deux voies s'est aperçu de notre présence, s'il a remarqué que nous avions forcé le
ferrées : sur chacune d'elles, un train cahotait sur des rails posés un peu tiroir, il ne nous en a jamais rien dit.
au hasard ; il se dégageait une odeur toxique d'électricité, comme si le Pendant le trajet du retour, j'ai tout raconté à mes parents. J'ai l'im-
metal des voies était en train de brûler. Grand-père était assis à côté du pression que ma mère m'a plus ou moins cru et que mon père, ayant
transformateur noir permettant d'actionner les trains. Sa nuque m'avait grandi là, savait déjà. Mon père n'a pas décroché un mot, mais ma mère
toujours fait penser à un prépuce : la chair y était tellement ridée, telle- nous a raconté que plusieurs années auparavant, lorsque Grand-père était
ment rouge, aussi usée et tannée que celle d'un lézard. Le reste de sa peau routier, il avait eu un accident. En arrivant à l'hôpital, les médecins l'avaient
déshabillé et avaient découvert des vêtements de femme sous les siens.
Cela avait fait un véritable scandale dans la famille, mais personne n'était
censé en parler ; nous devions bien évidemment nous aussi garder tout
cela secret. Jusqu'à ce jour, ils nient tous catégoriquement. Chad a dû lui
aussi tout raconter à sa mère, car pendant des années il n'a plus jamais
eu le droit de traîner avec moi.
De retour à la maison, je suis allé dans le jardin pour jouer avec Aleu-
sha. Elle était étendue sur la pelouse contre la barrière : prise de convul-
sions, elle vomissait. Le temps que le vétérinaire arrive, Aleusha était
morte et moi en larmes. Le veto nous a simplement dit qu'elle avait été
empoisonnée : curieusement, il me semblait connaître le coupable.

[BRIAN WARNER] ÉTAIT UN ÉLÈVE MOYEN. IL A TOUJOURS ÉTÉ MAIGRE


COMME UN CLOU. J'AVAIS L'HABITUDE D'ALLER CHEZ LUI POUR ÉCOUTER
DES DISQUES, DES TRUCS COMME QUEENSRYCHE, IRON MAIDEN
ET SURTOUT JUDAS PRIEST. J'ÉTAIS PLUS DANS CE TRIP QUE LUI... JE NE
PENSAIS PAS QUE [MUSICALEMENT] IL AVAIT VRAIMENT DU TALENT ET
PEUT-ÊTRE QU'IL N'EN A PAS. IL A PEUT-ÊTRE JUSTE EU DU POT.

J'ÉTAIS DANS LA MÊME CLASSE QUE BRIAN WARNER À LA CHRISTIAN


SCHOOL DE CANTON, OHIO. NOUS REJETIONS VIGOUREUSEMENT TOUS
LES DEUX LA PRESSION EXERCÉE PAR L'ÉDUCATION RELIGIEUSE. LUI, BIEN
ALEUSHA ÉVIDEMMENT, SE PRÉTEND SATANISTE. PERSONNELLEMENT, JE REFUSE
LA NOTION MÊME DE DIEU ET DE SATAN, AU DÉPART PARCE QUE J'ÉTAIS
AGNOSTIQUE, ET APRÈS PARCE QUE JE SUIS DEVENUE UNE SORCIÈRE.

J'AIMERAIS DEMANDER À MARILYN MANSON : « AI-JE INFLUENCÉ QUELQUE


PART TA FAÇON DE VIVRE ? » JE NE CESSE DE M'INTERROGER :
« HÉ, AURAIS-TU DÛ AGIR AUTREMENT ? »

JERRY, PARFOIS IL M'ARRIVE DE PENSER QUE L'ON SE DIRIGE DROIT


VERS LA CIVILISATION D'ARMAGEDDON.
mais comme une évidence décrétée par la Bible. Ils n'avaient besoin d'au-
LA fin du monde n'a pas
eu lieu à la date prévue.
cune preuve, et savourer à l'avance l'imminence de l'apocalypse les fai-
sait quasiment jubiler, car ils allaient être sauvés... morts, mais aux cieux,
libérés de toute souffrance.
À l'Héritage Christian School, C'est à cette époque que j'ai commencé à faire des cauchemars, cau-
chaque vendredi, pendant les chemars qui n'ont jamais cessé depuis. J'étais totalement terrifié par l'idée
séminaires, on m'avait fait croire de la fin du monde et par l'Antéchrist. C'était devenu une véritable obses-
que tous les signes étaient sion et je commençais à regarder des films comme L'Exorciste et La Malé-
réunis. « Vous saurez que la diction, à lire des livres comme Les Prophéties de Nostradamus, 1984 de
bête va jaillir lorsque vous George Orwell et la novélisation du film Un mendiant dans la nuit, qui
entendrez ses dents grincer », décrit à grand renfort de détails des gens dont on coupait la tête parce
assenait Mlle Price de sa voix la qu'ils n'avaient pas de tatouage 666 sur le front. Tout cela se mélangeait
plus sévère, la plus menaçante à avec les harangues hebdomadaires à l'école chrétienne et, du coup, l'apo-
des rangées de sixièmes tremblo- calypse m'apparaissait si réelle, si palpable, si proche que j'étais constam-
tants. « Et tous, enfants comme ment hanté par des rêves et des angoisses : que se passerait-il si je décou-
parents, tous souffriront. Et ceux qui ne vrais qui était l'Antéchrist ? Faudrait-il que je risque ma vie pour sauver
ront pas la marque, le chiffre de leur nom, celle des autres ? Et si j'avais déjà la marque de la Bête sur ma peau, là
seront décapités devant leurs familles et leurs voisins. » où je ne pouvais pas voir, par exemple sous mon cuir chevelu ou sur mon
À cet instant, Mlle Price s'arrêtait pour plonger dans sa pile de fiches cul ? Et si l'Antéchrist c'était moi ? Je vivais dans la peur et la confusion,
sur l'apocalypse et brandissait une photocopie agrandie d'un code barres car à l'époque, même sans l'influence de l'école chrétienne, ma puberté
dont le chiffre avait été trafiqué de manière qu'on lise 666. C'est comme provoquait quelques bouleversements.
ça que nous avons appris que l'apocalypse était au coin de la rue : le code La preuve : malgré les cours terrifiants pendant lesquels Mlle Price
barres était la marque de la bête dont il est question dans l'Apocalypse ; nous détaillait l'inéluctable fin du monde, je lui trouvais quelque chose
c'était ce que l'on nous apprenait, et les machines pour les lire, installées de sexy. En la regardant dominer la classe comme un chat siamois, ses
dans les supermarchés, allaient être utilisées pour contrôler le cerveau lèvres faisant une légère moue, ses cheveux parfaitement coiffés, ses che-
des gens. Bientôt, prévenaient-ils, ce code satanique allait remplacer misiers en soie dissimulant un corps bandant et une démarche qui don-
l'argent et tout le monde serait obligé d'avoir la marque de la bête sur la nait envie de la baiser : je pourrais dire qu'il y avait quelque chose de
main pour acheter quoi que ce soit. vivant, d'humain et de passionné qui n'attendait que d'exploser sous la
« Si vous reniez le Christ, continuait Mlle Price, et portez ce tatouage façade chrétienne refoulée. Je la hais pour m'avoir fait faire des cauche-
sur la main ou sur le front, vous aurez le droit de vivre. Par contre, vous mars tout au long de mon adolescence. Mais je pense que je la hais encore
perdrez... » À ce moment précis, elle brandissait une carte montrant le plus pour les nombreuses pollutions nocturnes qu'elle a provoquées.
Christ descendant des cieux... « la vie éternelle. »
Lors des autres séminaires, elle avait une coupure de journal donnant
tous les détails de la vie de John Hinckley Jr, celui-là même qui venait de
tenter d'assassiner Ronald Wilson Reagan. Elle la brandissait en lisant le Je faisais partie de l'Église épiscopalienne qui, au fond, est une ver-
verset 13 de l'Apocalypse : « C'est ici qu'il faut de la finesse ! Que l'homme sion light du catholicisme (mêmes grands dogmes, certaines règles en
doué d'esprit calcule le chiffre de la Bête, c'est un chiffre d'homme : son moins), et l'école n'était pas confessionnelle. Mais cela n'arrêtait pas
chiffre, c'est 666. » Le fait est qu'il y a six lettres dans les deux prénoms Mlle Price. Parfois, elle débutait ses cours d'instruction religieuse en
et dans le nom de famille de Reagan : signe supplémentaire que la fin du demandant : « Y a-t-il des catholiques dans la salle ? » Lorsque personne
monde allait arriver, que l'Antéchrist était bien parmi nous, que nous ne répondait, elle critiquait violemment les catholiques et les épiscopa-
devions nous préparer à la venue du Christ et à l'extase. Mes professeurs liens ; dans son cours, elle expliquait qu'ils interprétaient mal la Bible et
expliquaient cela, non pas comme une opinion sujette à interprétation, vénéraient de fausses idoles en priant le pape et la Vierge Marie. Je res-
tais assis, muet, exclu : devais-je lui en vouloir à elle ou à mes parents de révérend nous brossait un horrible tableau de l'apocalypse toute proche
m'avoir élevé au sein de l'Église épiscopalienne ? — la différence étant qu'ici les gens hurlaient, tombaient dans les pommes
Mon humiliation était à son comble au cours des conférences du ven- et s'exprimaient dans des langues inconnues autour de moi. À ce moment
dredi : des invités venaient nous expliquer qu'ils avaient été prostitués, de l'office, tous lançaient de l'argent sur l'estrade. Des centaines de pièces
junkies et adeptes de la magie noire jusqu'à ce qu'ils rencontrent Dieu et de 25 cents pleuvaient, ainsi que des dollars d'argent et des liasses de
choisissent de suivre Son droit chemin pour renaître à la vie. On aurait billets tandis que le révérend continuait à témoigner sur les limbes et l'ire
dit un meeting des Satanistes Anonymes. Lorsqu'ils avaient terminé, tout divine. Il vendait des lithographies numérotées accrochées aux murs de
le monde devait baisser la tête et prier. Le pasteur raté qui animait la l'église. Ce n'étaient que des scènes macabres : par exemple, les quatre
réunion demandait à ceux qui n'avaient pas réussi à renaître de venir sur Cavaliers de l'Apocalypse traversant une petite ville pas très différente
l'estrade et de se tenir par la main pour être sauvés. À chaque fois, je de Canton au coucher du soleil et laissant derrière eux une traînée de
savais que j'aurais dû y aller, mais j'étais trop pétrifié pour me retrouver gorges tranchées.
sur l'estrade devant toute l'école et, bien sûr, trop embêté pour admettre Les services duraient entre trois et cinq heures. Si je m'endormais,
que moralement, spirituellement et religieusement, j'étais en retard sur j'étais puni et emmené dans une pièce à part dans laquelle se tenaient des
tous les autres. séminaires spéciaux pour les jeunes. Et là, devant une douzaine d'autres
Le seul endroit où j'excellais, c'était au skate-park, bien que ce soit jeunes, ils critiquaient sévèrement le sexe, les drogues, le rock et le monde
devenu très vite inextricablement apocalyptique. Mon rêve était de deve- matériel jusqu'à en vomir. Cela ressemblait à un lavage de cerveau : nous
nir champion de patin à roulettes, et pour y arriver j'avais harcelé mes étions épuisés et ils ne nous donnaient rien à manger pour nous fragili-
parents afin qu'ils gaspillent dans des patins professionnels, qui valaient ser en nous affamant.
plus de 400 dollars, l'argent qu'ils avaient mis de côté pour partir en Lisa et sa mère étaient entièrement dévouées à cette église. En grande
week-end. Ma partenaire s'appelait Lisa, une fille maladive, perpétuel- partie parce que Lisa était née à moitié sourde et que, paraît-il, au cours
lement congestionnée, mais néanmoins l'un de mes premiers grands d'un service, le révérend aurait pointé son doigt en direction de son oreille
béguins. Elle venait d'une famille stricte et croyante. Sa mère était l'une et lui aurait permis de recouvrer l'ouïe. Parce qu'elle était pratiquante et
des secrétaires du révérend Ernest Angley, un des plus célèbres guéris- que sa fille avait guéri grâce à un miracle de Dieu, la mère de Lisa se mon-
seurs télévangélistes à l'époque. Nos pseudo-rendez-vous après les entraî- trait toujours condescendante envers moi, comme si elle et sa famille
nements consistaient généralement à se suicider à la fontaine à soda du étaient meilleures et plus vertueuses. À chaque fois qu'elles me raccom-
skate-park — mélanges décolorés de Coca, de Seven-Up, de Sunkist et pagnaient chez moi après le service, j'imaginais que la mère de Lisa l'obli-
de différentes boissons gazeuses — pour finir par un crochet à l'église geait à se laver les mains sous prétexte qu'elles avaient touché les miennes.
ultra-opulente du révérend Angley. J'étais toujours abattu par ces séances, mais j'allais malgré tout à l'église
Le révérend était l'une des personnes les plus effrayantes que j'aie avec elles, car c'était pour moi la seule occasion de voir Lisa en dehors
jamais rencontrées : ses dents parfaitement alignées brillaient comme des de la piste de skate.
carreaux de salle de bains, une moumoute était ramassée sur le haut de Cependant, notre relation a tourné court. Il arrive parfois qu'un évé-
son crâne tel un chapeau fabriqué avec des cheveux mouillés récupérés nement change définitivement l'opinion que vous pouvez avoir sur quel-
dans la canalisation d'une baignoire ; il portait toujours un costume bleu qu'un et détruise l'idéal que vous avez bâti autour de cette personne, vous
pastel et une cravate vert menthe. Chez lui, tout puait l'artificiel : de son obligeant ainsi à voir la créature faillible et humaine qu'elle est réelle-
apparence siliconée et manucurée à son nom supposé évoquer l'expres- ment. C'est ce qui s'est passé un jour où elle me raccompagnait chez moi
sion « l'ange sérieux ». après l'église. Nous étions écroulés sur le siège arrière de la voiture de sa
Chaque semaine, il faisait venir sur l'estrade des personnes souffrant mère et Lisa se moquait de ma maigreur : j'ai alors mis ma main sur sa
de divers handicaps et, apparemment, les guérissait devant des millions bouche pour la faire taire. En éclatant de rire, elle a rejeté dans ma main
de téléspectateurs. Il pointait son doigt vers l'oreille d'un sourd ou l'œil une boulette d'une épaisse morve vert citron. Je n'en croyais pas mes
d'un aveugle, en hurlant « Que les esprits du Diable sortent de toi » ou yeux. Et, encore plus répugnant, lorsque j'ai retiré ma main un long fil
« Parle, bébé », puis il agitait le doigt jusqu'à ce que la personne sur de cette matière est resté accroché entre mes doigts et sur son visage
l'estrade s'évanouisse. Ses sermons ressemblaient à ceux de l'école : le comme un bonbon à la pomme. Lisa, sa mère et moi étions tous les trois
horrifiés, gênés. Je n'arrivais pas à Les graines de ce que je suis devenu avaient été semées.
me débarrasser de la sensation de « Les fous ne sont pas nés. » J'ai griffonné cette phrase dans mon car-
cette morve qui s'étalait et for- net de notes pendant un cours de morale. « On les arrose et ils grandis-
mait une toile entre mes doigts. sent comme de la mauvaise herbe à cause d'institutions comme le chris-
Elle venait de s'avilir et de me tianisme. » Ce soir-là, au cours du dîner, j'ai tout avoué à mes parents.
montrer sa vraie nature, « Écoutez, leur ai-je expliqué, je veux aller à l'école publique, je ne me
révélant le monstre caché sens pas chez moi dans cette école. Ils sont contre tout ce que j'aime. »
derrière le masque, un peu Mais ils n'ont rien voulu entendre. Ils ne tenaient pas spécialement à
comme j'imaginais le révé- ce que j'aie une éducation religieuse, mais ils désiraient que je sois dans
rend Angley. Elle n'était pas une bonne école. L'école publique la plus proche, GlenOak East, crai-
mieux élevée que moi, mal- gnait. Je voulais y aller.
gré ce que sa mère avait essayé Et la révolte commença. Ce n'était pas à la Christian Héritage School
de me faire croire. Je n'ai fait que je pouvais me rebeller. L'endroit était régi par des règles traditiona-
aucun commentaire... et ne lui listes. On nous imposait des lois étranges pour nous habiller : les lundi,
ai plus jamais adressé la parole. mercredi et vendredi, nous devions porter un pantalon bleu, une chemise
À l'école chrétienne, je commen- blanche boutonnée et, si nous le désirions, une touche de rouge. Les mardi
çais aussi à perdre mes illusions. Un et jeudi, nous devions porter un pantalon vert foncé, ainsi qu'une che-
ANGE DANS LES NUAGES jour, au CM1, j'ai apporté une photo mise blanche ou jaune. Nous devions passer chez le coiffeur dès que nos
que Grand-mère Wyer avait prise au cheveux touchaient nos oreilles. Tout était réglementé, ritualisé. Aucun
cours d'un vol entre la Virginie-Occidentale et l'Ohio et, sur ce cliché, il d'entre nous n'avait le droit d'afficher la moindre différence, la moindre
semble y avoir un ange au milieu des nuages. C'était l'un de mes objets supériorité. Lâcher dans la nature tous ces diplômés en leur faisant croire
préférés : j'étais excité de le partager avec mes professeurs, car je croyais que la vie était juste et qu'ils seraient tous traités sur un pied d'égalité
encore à tout ce qu'ils m'enseignaient à propos des cieux. Je voulais donc n'était pas une très bonne manière de préparer leur entrée dans le monde.
leur montrer ce que ma grand-mère avait vu. Mais ils ont soutenu qu'il Dès l'âge de douze ans, je me suis embarqué dans une campagne
s'agissait d'un canular, ils m'ont passé un savon et m'ont renvoyé à la toujours plus virulente pour être viré de l'école. J'ai très naïvement
maison en m'accusant de blasphémer. C'était ma tentative la plus sincère commencé avec des sucreries. J'avais toujours ressenti une parenté avec
de coller à leur idée du christianisme, de leur prouver que j'adhérais à Willy Wonka. Même à cet âge, j'avais déjà compris qu'il était un anti-
leurs croyances, et ils me punissaient pour ça. héros, une icône de l'interdit. Et dans mon cas l'interdit était le chocolat,
Tout cela confirmait ce que je savais depuis le début : que je ne serais symbole de plaisir et de tout ce que vous n'êtes pas censé posséder, que
pas sauvé comme tout un chacun. J'y pensais tous les jours en quittant ce soit le sexe, les drogues, l'alcool ou la pornographie. À chaque fois
l'école ; je tremblais de peur en attendant la fin du monde, car évidem- que Willy Wonka and the Chocolate Factory passait sur Star Channel,
ment je n'irais jamais au ciel et je ne reverrais jamais mes parents. Une ou dans le miteux cinéma du quartier, je le regardais à en être obsédé,
année a passé, puis une autre et encore une autre, et le monde, Mlle Price, tout en vidant des sacs et des sacs de sucreries.
Brian Warner et les prostituées qui s'étaient régénérées étaient toujours À l'école, sucreries et bonbons étaient de la contrebande. Par consé-
là : je me sentais floué et trahi. quent, j'allais au Five and Ten de Ben Franklin, un magasin voisin qui
Petit à petit, j'ai commencé à éprouver du ressentiment, à me méfier ressemblait à une ancienne cafétéria et qui était bourré de Pop Rocks,
de ce que l'on me racontait dans cette école. Il devenait clair que toute Zotz, Lik-M-Stix et autres comprimés pastel ressemblant à des pilules et
cette souffrance dont ils voulaient se libérer en priant, ils se l'imposaient collant si bien à l'emballage qu'il est impossible de les manger sans ava-
à eux-mêmes, mais aussi à nous par la même occasion. La Bête dont ils ler en même temps des lambeaux de papier. En y repensant, j'étais attiré
avaient si peur, c'était eux : c'est-à-dire l'Homme, et non pas quelque par les sucreries qui ressemblaient le plus à des drogues. La plupart n'étaient
démon mythologique qui allait venir détruire l'espèce humaine. Leur pas de simples bonbons : ils produisaient également une réaction chi-
propre peur avait créé la Bête. mique. Ils pétillaient dans la bouche ou rendaient les dents toutes noires.
Tout naturellement, je suis devenu dealer de bonbons, fourguant au
prix que je voulais ma marchandise à l'heure du déjeuner, car personne
d'autre n'y avait accès pendant l'école. Rien que le premier mois, je me
suis fait une petite fortune — au moins quinze dollars en pièces de vingt-
cinq et dix cents. Et puis on m'a balancé. Il m'a fallu rendre tous mes
bonbons et tout mon argent aux autorités. Malheureusement je n'ai pas
été viré de l'école, juste exclu temporairement
Mon second projet consistait en un magazine. Dans l'esprit de Mad
et de Cracked, il s'appelait Stupid. La mascotte me ressemblait assez : un
môme aux dents en avant, avec un gros nez. Il avait de l'acné et portait
une casquette de base-bail. Je le vendais vingt-cinq cents, ce qui était tout
bénéfice car je le tirais gratuitement chez Carpet Barn, là où mon père
travaillait. La machine était un appareil bas de gamme qui tombait en
morceaux. Il s'en dégageait une odeur âcre proche de celle du carbone,
et immanquablement les six pages que comportait le magazine se retrou-
vaient maculées. À l'école, où les obscénités et autres blagues graveleuses
manquaient, Stupid a toutefois remporté un rapide succès — jusqu'à ce
qu'on me dénonce à nouveau.
La directrice, Carolyn Cole — une grande femme bégueule et voûtée,
avec des lunettes sur le nez, dont le visage surmonté d'une touffe de che-
veux bruns frisés ressemblait à un oiseau —, m'a convoqué dans son
bureau rempli d'administrateurs. Elle m'a fourré le magazine entre les
mains en exigeant des explications à propos des dessins sur les Mexi-
cains, la scatologie, et surtout sur le Kuwatch Sex Aid Adventure Kit,
dont la publicité annonçait qu'il contenait un fouet, deux vibromasseurs
de très grande taille, une canne à pêche, deux pince-tétons à pompon,
des lunettes de plongée en metal, des bas résille, ainsi qu'un collier repré-
sentant une bite de chien en bronze. Comme cela m'est très souvent arrivé
depuis, ils n'ont pas arrêté de m'interroger sur mon œuvre — sans cher-
cher à savoir s'il pouvait s'agir d'art, de distraction ou d'un gag — et de
me demander une explication. Là, exaspéré, j'ai explosé et j'ai balancé
les papiers en l'air. Avant même que le dernier n'ait eu le temps de tou-
cher le sol, Mme Cole, rouge de colère, m'a ordonné de me baisser et de
m'attraper les chevilles. Elle a saisi dans le coin de la pièce une badine
qui avait été dessinée en atelier par un copain, si sadiquement qu'elle était
percée de trous pour réduire sa résistance à l'air. J'en ai reçu trois coups
rapides, dans la grande tradition chrétienne.
À partir de ce moment, il n'y avait plus rien à faire pour moi. Au cours
des séminaires du vendredi, les filles gardaient leurs sacs sous la chaise
en bois sur laquelle elles étaient assises. Lorsqu'elles inclinaient la tête, déjà appris que Robert Plant racontait la même chose dans Stairway to
je plongeais au sol pour voler l'argent de leur déjeuner. Si, en plus, je Heaven, Freddie Mercury chantant mon doux Satan était définitivement
découvrais des lettres d'amour ou des notes intimes, je les dérobais éga- implanté dans nos têtes et nous entendions cette phrase partout. Faisaient
lement et, au nom de l'honnêteté et de la libre parole, je les donnais aux également partie de leur collection d'albums sataniques : Electric Light
personnes concernées. Avec un peu de chance, cela provoquait des bagarres, Orchestra, David Bowie, Adam Ant, et tout ce qui pouvait contenir des
des tensions et des scènes de terreur. thèmes gays, car c'était pour eux l'occasion de mettre l'homosexualité et
J'écoutais du rock and roll depuis bien des années déjà — et j'ai décidé le mal sur un pied d'égalité.
que cela devait aussi me rapporter de l'argent. C'était Keith Cost qui Bientôt, les lambris et le plafond de ma chambre, au sous-sol, ont été
m'avait prêté mon premier album de rock : Keith était un gros abruti couverts de photos découpées dans Hit Parader, Circus ou Creem. Tous
doublé d'un mufle. Il paraissait avoir trente ans, mais n'était en fait qu'en les matins, je me réveillais en regardant Kiss, Judas Priest, Iron Maiden,
troisième. Après avoir écouté le Love Gun de Kiss et joué avec le revol- David Bowie, Motley Crue, Rush et Black
ver en plastique qui l'accompagnait, je suis devenu membre adhérent de Sabbath. Leurs messages subliminaux
la Kiss Army, ainsi que le fier propriétaire d'un nombre incroyable de m'avaient atteint.
poupées, de bandes dessinées, de T-shirts et de paniers-repas Kiss, que je Le côté fantastique de ce
n'avais bien évidemment pas le droit d'emporter à l'école. Mon père m'a genre de musique m'a
même emmené les voir en concert — mon premier concert — en 1979. conduit tout droit à
Une dizaine d'adolescents lui ont demandé un autographe parce qu'il Donjons et Dragons.
s'était déguisé comme Gene Simmons sur la couverture de l'album Dres- Si chaque cigarette
sed to Kill : costume vert, perruque noire et maquillage blanc. que vous fumez vous
La personne qui m'a définitivement introduit au rock and roll et au enlève sept minutes
style de vie qui va avec s'appelle Neil Ruble : il fumait des cigarettes, avait de vie, chaque partie
une vraie moustache et prétendait ne plus être puceau. Donc, tout natu- de Donjons et Dra-
rellement, je l'idolâtrais. Moitié ami, moitié tyran, il a ouvert les vannes gons repousse de
à Dio, Black Sabbath, Rainbow — en fait n'importe quoi, pourvu qu'on sept heures la perte
y entende Ronnie James Dio. de votre virginité.
Mon autre source imperturbable d'informations a été l'école chré- J'étais un tel loser que
tienne. Tandis que Nick me branchait sur le heavy metal, l'école organi- j'avais pour habitude de
sait des séminaires sur les messages subliminaux. Ils apportaient des marcher autour de l'école
disques de Led Zeppelin, de Black Sabbath et d'Alice Cooper et les pas- avec un dé à vingt faces dans
saient à fond sur la sono. Différents professeurs se mettaient à tour de ma poche et de concevoir mes
rôle devant la platine pour, de l'index, faire tourner les disques à l'envers propres modules comme le Laby-
afin de nous expliquer le contenu de ces messages cachés. Bien évidem- rinthe de la Terreur, Château Tenemouse
ment, la musique la plus extrême, celle qui contenait les messages les plus et Cavernes de Koshtra : j'utilise aujourd'hui cette expression de manière
sataniques, était exactement celle que je voulais entendre... puisque c'était argotique lorsque j'ai l'impression d'avoir sniffé trop de coke.
interdit. Ils brandissaient des photos des groupes pour nous faire peur, Bien évidemment, aucun des mômes de l'école ne m'aimait parce que
mais tout ce qu'ils ont réussi à obtenir, c'est de me décider à porter les je jouais à Donjons et Dragons, que j'aimais le heavy metal, que je n'al-
cheveux longs et une boucle d'oreille pour ressembler aux musiciens des lais pas à leurs rassemblements et ne participais pas aux séances au cours
pochettes. desquelles, par exemple, ils brûlaient des albums de rock. Je ne m'en-
Le principal ennemi de mes profs était Queen. Ils détestaient spécia- tendais pas mieux avec les gamins de l'école publique qui, tous les jours,
lement We are the Champions parce qu'il y avait un hymne en faveur des me bottaient les fesses en me traitant de tapette, tout ça parce que je venais
homosexuels, et en le passant à l'envers on pouvait entendre Freddie Mer- d'une école privée. De plus, je n'étais pas retourné faire de skate depuis
cury blasphémer « Mon doux Satan ». Peu importait s'ils nous avaient que Lisa m'avait bavé dessus. Le seul autre endroit où je pouvais me faire
des amis était un centre d'études et de loisirs réservé aux enfants dont les en commun. Il ne s'intéressait qu'à la Bible. Je ne m'intéressais qu'au rock
parents avaient été en contact avec l'Agent Orange 1 durant la guerre du et au sexe. Le cadet, Tim, avait un caractère plus rebelle. Donc, tout
Vietnam. Mon père, Hugh, avait été mécanicien d'hélicoptère et membre comme Neil Rubble m'avait branché sur le rock, j'ai initié Tim au heavy
des Ranch Hands, le groupe d'intervention responsable d'avoir balancé metal et, le reste du temps, je le maltraitais. Il n'avait pas le droit d'écou-
cet herbicide à haut risque sur tout le Vietnam. Ainsi, une fois par an, de ter de musique chez lui, alors je lui ai vendu un magnétophone noir, bon
ma naissance à la fin de mon adolescence, le gouvernement nous envoyait, marché, avec de gros boutons-poussoirs rectangulaires et une poignée
mon père et moi, dans un centre de recherche pour faire des études sur pour le transporter.
d'éventuels troubles physiques et psychologiques. Je ne pense pas en Ensuite, il a eu besoin de cassettes pour les cacher sous son lit avec
avoir : mes ennemis diront le contraire. Un des effets secondaires que ce son magnétophone. J'ai donc commencé à aller régulièrement à bicyclette
produit chimique a eus sur mon père, c'est qu'il a livré l'affaire à la presse dans un endroit nommé Quonset Hut. L'entrée en était interdite aux
et a fait la une du Akron Beacon Journal. mineurs puisque c'était une boutique hippie ainsi qu'un magasin de
Par la suite, le gouvernement l'a sou- disques. Je faisais exactement mon âge — c'est-à-dire quinze ans — mais
mis à des contrôles fiscaux quatre personne ne m'a arrêté. De toute façon, les shiloms, les pinces à joints et
ans de suite. les pipes à eau m'étaient totalement inconnus.
Comme je n'étais pas dif- Lorsque Tim s'est mis à acheter les cassettes à prix gonflé — prix coû-
forme, je ne m'intégrais pas tant, je lui affirmais —, je me suis rendu compte qu'il y avait au moins
avec les autres enfants dans une centaine de clients potentiels à l'école. J'ai donc acheté tous les albums
ce groupe de recherche du qui passaient au cours des fameuses conférences sur les messages subli-
gouvernement ou dans minaux et je les ai revendus à mes camarades d'école, de la troisième à
ces retraites régulières en la terminale. Un album de W.A.S.P. acheté sept dollars chez Quonset Hut
faveur des enfants dont les se revendait vingt dollars à l'Heritage Christian School.
parents poursuivaient le Plutôt que de gaspiller les bénéfices en m'offrant des cassettes, je déci-
gouvernement en justice dais un peu plus tard de simplement voler les disques que j'avais vendus.
pour avoir été exposés à
des produits toxiques. Les
autres enfants portaient des
prothèses, avaient des handicaps À l'époque, le code d'honneur de l'école était de ne pas fermer nos
moteurs ou des maladies dégéné- casiers. Or, comme il était interdit d'écouter du rock'n'roll, si quelqu'un
rantes. Non seulement j'étais à peu me dénonçait, par la même occasion, il se dénonçait. Donc, pendant les
près normal en comparaison, mais mon cours, je demandais la permission de sortir et j'allais voler les cassettes
père était l'un de ceux qui avaient balancé cette merde sur leurs pères : dans les casiers.
la plupart d'entre eux avaient fait partie de l'infanterie américaine. Le système était parfait, mais n'a pas duré longtemps. Tim avait décidé
Afin de glisser un peu plus vite dans la délinquance et d'assouvir ma que, même s'il devait être puni, je plongerais avec lui. Je me suis donc à
soif grandissante d'argent, je suis passé à la vitesse supérieure : du trafic nouveau retrouvé face à Mme Cole et à sa bande d'administrateurs et de
de bonbons et de fanzines au trafic de musique. Les seuls autres mômes surveillants dans son bureau. Sauf que, cette fois, je n'ai pas eu besoin
de mon voisinage à aller à l'Héritage Christian School étaient deux frères, d'expliquer la musique — puisqu'ils pensaient déjà savoir de quoi il s'agis-
américains à cent pour cent, tous deux maigrichons, coiffés en brosse et sait. Ils m'avaient attrapé à acheter des cassettes de rock, à les revendre
membres des Saints des Derniers Jours. Jay, l'aîné, et moi n'avions rien puis à les voler : ils savaient que je continuais à faire des fanzines, et que
mes activités s'étaient étendues à la production de mes propres cassettes
(remplies de coups de fil bidon et de chansons crades, parlant de mas-
turbation et de pétomanie, que j'avais enregistrées avec mon cousin Chad
sous le nom de Big Bert and the Uglies). Au cours des mois précédents,
j'avais déjà été puni à deux reprises par la directrice. La première fois
pour avoir accidentellement frappé, à l'entrejambe, Mme Burdick, mon
professeur de musique, avec un lance-pierres fait de ruban adhésif épais,
d'une règle en bois, avec pour munitions des morceaux de Crayola piqués
dans la salle de dessin. La seconde fois, Mme Burdick avait demandé
d'apporter un album en cours de chant et j'étais venu avec Highway to
Hell d'AC/DC. Ça n'avait encore pas suffi pour me faire expulser.
Je tentai une dernière farce desespérée : je suis retourné dans le terri-
fiant sous-sol de Grand-père afin d'y voler un godemiché au fond du tiroir
secret de son établi. J'ai mis des gants pour ne pas me tacher avec la vieille
vaseline. Le lendemain, à la fin des cours, je suis entré subrepticement en
compagnie de Neil Ruble dans la salle de classe de Mlle Price pour for-
cer le tiroir de son bureau. Il contenait quelques secrets personnels, cer-
tainement aussi tabous dans cette école que ceux de Grand-père dans sa
banlieue : des romans d'amour semi-érotiques. Il y avait aussi un petit
miroir, normal vu que Mlle Price faisait très attention à son image. À
cette époque, Chad et moi essayions régulièrement d'attirer l'attention
de deux sœurs qui vivaient à côté de chez nos grands-parents, en lançant
des pierres sur les voitures pour provoquer des accidents, tout ça pour
les faire sortir de chez elles. C'est la même démarche malsaine et tordue
qui m'avait fait mettre un godemiché dans le tiroir de Mlle Price : je
n'avais trouvé que cela pour exprimer ma frustration et le désir latent
que j'avais pour elle.
Le lendemain, à notre grande déception, personne n'en a parlé à l'école. « JE CONNAIS QUELQUES NOUVEAUX TRUCS », DIT LE CHAT
Mais j'étais assurément le suspect numéro un : Mme Cole avait convo- DANS LE CHAPEAU. « UN TAS DE BONS TRUCS. JE TE LES MONTRERAI.
qué mes parents. Elle n'a pas mentionné le godemiché mais s'est conten- TA MÈRE N'AURA SÛREMENT RIEN CONTRE SI JE LE FAIS. »
tée de leur faire un sermon sur la discipline et l'inculcation de la crainte
de Dieu au délinquant juvénile que j'étais. C'est à ce moment précis que
j'ai compris que je ne serais jamais viré. La moitié des gamins de l'Heri-
tage Christian School était issue de familles défavorisées, l'école recevait
de l'État une somme dérisoire pour les inscrire. Je faisais partie de ceux
qui pouvaient payer, ils avaient besoin d'argent — même s'ils étaient obli-
ALLONGÉ sur mon lit dans le sous-sol de la
maison de mes parents, les mains jointes derrière mon cou sous mes longs
gés de supporter mes godemichés, mes cassettes de heavy metal, mes cheveux châtains, j'écoutais le ronflement de la machine à laver. C'était
sucreries, mes fanzines cochons et mes enregistrements obscènes. J'ai pris ma dernière nuit à Canton, Ohio. J'avais décidé de la passer seul pour
conscience que si je voulais quitter cette école religieuse, cela ne dépen- réfléchir à mes trois dernières années en école publique. Tout était emballé
dait plus que de moi. Deux mois en première m'ont suffi. pour le déménagement à Fort Lauderdale : disques, livres, T-shirts, jour-
naux, photos, lettres d'amour, lettres de haine. L'école chrétienne m'avait
bien préparé à l'école publique. Elle définissait les tabous, puis les main-
tenait à portée de main, juste assez loin pour m'empêcher de les attraper.
En changeant d'école, tout était à ma portée — le sexe, les drogues, le
rock, le surnaturel. Je n'ai même pas eu à les chercher. Ce sont eux qui
m'ont trouvé.
J'ai toujours pensé que l'être humain est intelligent et que les gens, faisait sombre et elle ne pouvait donc pas voir mes plaques), et je l'ai pelo-
eux, sont stupides. Et peu de chose le confirme autant que les guerres, tée sans problème. Jusque-là, je n'avais jamais été très loin avec les filles.
les religions organisées, la bureaucratie, le lycée, là où la majorité décide Il y avait eu Jill Tucker, une blonde, fille de pasteur, aux pauvres dents de
impitoyablement. Lorsque je repense à mes premiers jours là-bas, je me travers : je l'avais embrassée sur le terrain de jeu de l'école religieuse.
rappelle un sentiment d'insécurité et de doute si écra- Mais j'étais en CM2. Trois ans plus tard, j'étais tombé fou amoureux de
sant qu'un simple bouton d'acné était capable Michelle Gill, une jolie fille aux doux cheveux châtains : elle avait un
de faire basculer ma vie. petit nez plat et une bouche très large qui a dû certainement tailler des
Ce dernier soir à Canton, j'ai compris pipes de très bonne qualité au lycée. Mais mes chances avec elle se sont
que Brian Warner était en train de mou- évanouies pendant une marche organisée par l'école pour collecter des
rir. On me donnait une chance de fonds, au cours de laquelle elle a essayé de m'apprendre à rouler des
renaître, dans un nouvel endroit, pour patins. Je n'en ai compris ni le but ni la technique, ce qui m'a valu de
le meilleur ou pour le pire. Mais je devenir la risée de toute l'école.
n'arrivais pas à savoir si le lycée Malgré mon manque total d'expérience, j'étais déterminé à perdre ma
m'avait dépravé ou éclairé. Peut-être virginité, dans ce placard, avec Jennifer. Or, j'avais beau essayer, elle m'a
les deux à la fois, peut-être que dépra- seulement laissé tripoter sa poitrine plate. La semaine suivante, elle en a
vation et lumière sont inséparables. eu marre et m'a jeté.
À ce moment de ma vie, les hôpitaux et les expériences ratées avec les
L'INTRONISATION DU VER filles, la sexualité et mes parties génitales m'étaient totalement familiers.
Lorsque j'avais quatre ans, ma mère m'avait emmené à l'hôpital pour faire
Dès ma deuxième semaine de lycée, je savais que agrandir mon urètre parce qu'il n'était pas assez large pour que je puisse
j'étais condamné. Non seulement je commençais la première avec deux pisser normalement. Je n'oublierai jamais cela : le médecin a pris une longue
mois de retard, alors que la plupart des groupes de copains s'étaient for- mèche coupante très affilée et l'a plantée au bout de ma bite. Après ça,
més, mais après mon huitième jour de classe j'ai fait une allergie à un pendant des mois, j'ai eu l'impression de pisser des lames de rasoir.
antibiotique contre la grippe. Mes mains et mes pieds gonflaient comme Mes années de primaire ont été gâchées par une pneumonie qui m'a
des ballons, des plaques rouges apparaissaient sur mon cou, j'avais du obligé à faire trois longs séjours à l'hôpital. En troisième, je me suis à nou-
mal à respirer à cause d'une inflammation des poumons. Les médecins veau retrouvé à l'hôpital. Ayant décidé de retourner sur la piste de skate
m'ont dit que j'aurais pu en mourir. après une longue absence, j'avais empenné mes cheveux, enfilé ma boucle
À ce moment-là, à l'école, je m'étais fait une amie et un ennemi. L'amie de ceinturon à l'effigie de ELO et passé une chemise boutonnée rosé. Une
s'appelait Jennifer : elle était mignonne, malgré son visage allongé comme fille avec un gros nez, des cheveux frisottés et un rimmel bien épais, m'a
celui d'un poisson et ses lèvres naturellement grosses mais gonflées par demandé de faire du skate avec elle : je me souviens de son visage, mais
un appareil orthodontique. Je l'avais rencontrée dans le bus et elle est son nom... À la fin, un grand Noir avec des lunettes épaisses, connu dans
devenue ma première petite amie. Mon ennemi était John Crowell, le quartier sous le nom de Frog, s'est approché de nous. Il l'a poussée sur
l'exemple même du banlieusard décontracté. C'était un type gros et trapu, le côté et, sans dire un mot, m'a violemment balancé son poing dans la
toujours épuisé, vêtu d'une veste en toile, d'un T-shirt d'Iron Maiden et figure. Je me suis écroulé, il m'a regardé de haut et a craché : « C'est MA
d'un jean. Son entrejambe avait une couleur plus pâle, sans doute parce petite amie. » Étourdi, je suis resté assis là, la bouche en sang, les dents de
que son jean était trop serré. Lorsqu'il passait dans les couloirs, les autres devant suspendues au filet rouge me barrant les gencives.
mômes se montaient les uns sur les autres pour ne pas croiser son che- Je n'aimais même pas cette fille et elle a failli me coûter ma carrière
min. Il se trouvait également qu'il était l'ex-petit ami de Jennifer, ce qui de chanteur. Aux urgences, ils m'ont dit que les dégâts étaient définitifs.
m'avait propulsé en première position sur la liste de ceux à qui il avait Encore aujourd'hui, je souffre toujours d'un syndrome algo-dysfonc-
envie de casser la figure. tionnel de l'axe temporo-mandibulaire, un trouble qui provoque des maux
Au cours de ma première semaine d'hôpital, Jennifer est venue me de tête et rend la mâchoire raide et douloureuse. Le stress et les drogues
voir presque tous les jours. Je l'ai persuadée d'aller dans la penderie (il y n'arrangent pas l'affaire.
Je ne sais pas trop comment, mais Frog s'est procuré mon numéro de
téléphone ; il m'a appelé le lendemain pour s'excuser et savoir si je vou-
lais m'entraîner avec lui. J'ai décliné l'offre. L'idée de soulever des poids
en. compagnie d'un type qui venait de me casser la figure et la perspec-
tive de me doucher avec lui après l'entraînement ne me disaient pas grand-
chose cet après-midi-là.
Jennifer a été à l'origine de mon passage suivant aux urgences. J'étais
retourné à l'école après avoir passé deux semaines à l'hôpital, je traînais
dans les couloirs, seul et humilié. Personne ne veut être copain avec un
type bizarre aux cheveux longs couleur écureuil, le cou recouvert de
plaques sortant de son sweat Judas Priest. Le tout agrémenté de très longs
lobes d'oreilles, qui pendaient de manière visible sous mes cheveux comme
des testicules mal placés. Mais un matin, alors que je sortais de la salle
de classe, John Crowell m'a arrêté. Il se trouvait que nous avions quelque
chose en commun : notre haine de Jennifer. Nous avons donc décidé de
nous associer contre elle et avons commencé à discuter des différentes
façons de la persécuter.
Une nuit, je suis passé prendre John et mon cousin Chad avec ma Ford
Galaxie 500 bleu clair, et nous sommes allés dans une épicerie ouverte
24 heures sur 24 pour y voler une vingtaine de rouleaux de papier toi-
lette. Nous les avons jetés sur le siège arrière de la voiture avant de fon-
cer chez Jennifer. Nous nous sommes glissés sans bruit dans le jardin et
avons commencé à accrocher du papier toilette partout où nous le pou-
vions. Je me suis dirigé vers la fenêtre de sa chambre pour y taguer des
obscénités. Mais, tandis que je réfléchissais à un truc vraiment offensant,
quelqu'un a allumé la lumière. J'ai piqué un sprint pour gagner un chêne
gargantuesque, au moment précis où Chad sautait de l'une de ses branches.
Il m'est tombé directement sur le crâne, et je me suis écroulé sur le sol.
Chad et John ont dû me traîner : une de mes épaules s'était déboîtée, mon
menton pissait le sang et j'avais subi un choc à la mâchoire, qui — c'est
ce qu'ils m'ont appris aux urgences — n'a fait qu'aggraver les choses.
De retour à l'école, j'avais mille raisons pressantes de m'envoyer en
l'air : humilier Jennifer, être sur un pied d'égalité avec John — qui pré-
tendait avoir baisé Jennifer — et surtout ne permettre à personne de se
moquer de moi parce que j'étais encore puceau. Pour rencontrer des filles,
j'ai même rejoint l'orchestre de l'école. J'ai commencé par jouer des ins-
truments que je considérais comme machos : basse, caisse claire. Pour
finalement me borner à l'instrument parfait pour ceux qui ne se sentent
pas sûr d'eux : le triangle.
Finalement, vers la fin de la seconde, John m'a proposé un plan à toute
épreuve : Tina Potts. Tina ressemblait davantage à un poisson que Jen-
nifer. Elle avait des lèvres encore plus épaisses et n'était vraiment pas
mince. C'était l'une des filles les plus pauvres de l'école, elle était toute du retour, je n'ai cessé de renifler ma main qui semblait devoir être mar-
voûtée et tassée ; cette posture dénotait un sentiment d'insécurité et une quée à vie par l'odeur de chatte d'une lycéenne. Dans sa tête, nous n'avions
misère intérieure, comme si, enfant, elle avait été violée. Les seules choses pas baisé. Mais pour moi et mes copains, je n'étais plus un garçon déses-
qui jouaient en sa faveur étaient ses gros nichons, ses jeans serrés mou- péré. J'étais un homme désespéré.
lant son cul de vache et, selon John, le fait qu'elle baisait — ce qui était Je n'ai pas beaucoup parlé à Tina après cette histoire. Mais bientôt,
grandement suffisant pour moi. Du coup, je me suis mis à parler avec je me suis rendu la monnaie de ma pièce — grâce à la courtoisie de la fille
Tina. Mais, comme j'étais désespérément obsédé par mon standing, je ne la plus riche et la plus populaire de l'école, Mary Beth Kroger. Après
lui parlais qu'après l'école, lorsque nous pouvions être seuls. l'avoir matée de manière éhontée pendant trois ans, j'ai rassemblé mes
Au bout de quelques semaines, j'ai pris mon courage à deux mains et forces et je lui ai demandé de m'accompagner à une fête de terminale. À
je suis allé lui demander de me rejoindre dans le parc. Chad et moi, nous ma grande surprise, elle a accepté. La soirée s'est finie chez moi à boire
nous sommes rendus chez mes grands-parents pour y voler une des capotes de la bière ; assis à côté d'elle, j'étais mal à l'aise, trop paniqué pour faire
sans nom et délabrées que contenait l'armoire de la cave. Dans la foulée, le moindre geste : elle avait l'air tellement coincée. Mais l'image idéali-
nous avons vidé dans mon thermos Kiss la moitié d'une bouteille de Jim sée que j'avais de Mary Beth Kroger s'est désintégrée aussitôt qu'elle a
Beam trouvée dans le placard de Grand-mère. Je savais que je n'avais pas arraché ses vêtements, avant de me sauter dessus ; en se foutant complè-
besoin de saouler Tina... mais plutôt moi. Le temps qu'on tement d'utiliser une capote, elle m'a baisé comme une nymphe monte
arrive chez Tina — ce qui nous a pris environ une un étalon. Le lendemain, à l'école, Mary Beth avait repris sa tête de
demi-heure — le thermos était vide : j'étais prati- bêcheuse et m'a ignoré comme elle l'avait toujours fait. Tout ce qui me
quement bourré. Chad est rentré chez lui et j'ai restait de cette histoire, c'étaient de profondes griffures dans le dos que
sonné à la porte. je montrais fièrement à mes copains. Du coup, en hommage à Freddy
Nous avons marché ensemble jusqu'au parc, Krueger dans Les Griffes de la nuit, ils ont décidé de la rebaptiser Mary
puis nous nous sommes assis à flanc de col- Beth Krueger.
line. On a très vite commencé à se peloter et, À cette époque, Tina, mon premier coup, était enceinte de sept mois.
en moins de quelques minutes, j'avais ma main Le plus drôle, c'est que le père était John Crowell, celui qui m'avait bran-
dans sa culotte. La première pensée qui m'a tra- ché avec elle. Je n'ai plus beaucoup vu John après ça, car il n'avait pas
versé l'esprit, c'est qu'elle était très poilue. Peut- utilisé de capote et s'en mordait les doigts. Je me demande parfois s'ils se
être n'avait-elle pas de mère pour lui apprendre à se sont mariés, se sont installés pour élever ensemble d'autres accidents de
raser le maillot. Ma seconde pensée, tandis que je parcours à gros nichons.
lui branlais la chatte et lui titillais les nichons, a
été que j'étais sur le point de tout lâcher dans mon pantalon, parce que
je n'étais pas loin de me la faire. Pour éviter de tout gâcher, je lui ai pro- PUNIR LE VER
posé d'aller faire un tour dans le parc. Tina ayant ouvert les vannes, je me suis déchaîné. Pas déchaîné pour
Nous sommes allés jusqu'au terrain de base-bail et, sous un arbre juste baiser, mais pour essayer de baiser. Après des mois passés à me faire jeter
derrière la base de départ, je l'ai fait glisser sur le sol sans prêter atten-
tion à l'endroit où nous étions. Je me suis débattu avec son étroit panta-
lon et j'ai fini par l'arracher. Ensuite, j'ai baissé mon pantalon sur mes
genoux avant de déchirer l'emballage flétri contenant le caoutchouc croû- et à me masturber, un jour où je m'étais saoulé au Colt 45 pendant un
teux de Grand-père, tel un cadeau de pochette surprise. Je me suis placé match de football américain du lycée qui se déroulait à Louisville, un vil-
entre ses jambes et j'ai commencé à me glisser en elle. La simple émotion lage de fermiers à côté de Canton, j'ai rencontré une pom-pom girl blonde
de la pénétrer m'a fait décharger. Afin de préserver le peu de dignité qui du nom de Louise. Je ne l'ai pas compris tout de suite, mais c'était la Tina
me restait, je lui ai affirmé que je n'avais pas eu d'éjaculation précoce. Potts de Louisville. La salope locale. Elle avait des lèvres épaisses, un gros
«Tina, ai-je glapi, nous ne devrions pas faire ça... c'est trop tôt. » Elle nez épaté, des yeux aguichants, une espèce de mélange entre une mulâtre
n'a pas protesté. Elle a renfilé son pantalon sans un mot. Sur le chemin et Susanna Hoffs des Bangles. Elle avait également un côté Shirley Temple
- petite avec des cheveux bouclés — à la différence près qu'elle semblait s'est écrasée comme un petit coquillage. Ne sachant pas quoi faire, je l'ai
plus apte à faire des branlettes que des claquettes. Elle a été la première apportée à ma mère pour lui demander ce que c'était.
fille à me tailler une pipe. Malheureusement, ce n'est pas la seule chose « Oh, tu as des poux, a-t-elle soupiré tout naturellement, tu as dû les
qu'elle m'a fait découvrir.
attraper à l'institut de bronzage. »
On se voyait pratiquement tous les jours. On écoutait Moving Pic- À ma grande honte, je dois avouer qu'à cette époque je me payais régu-
tures de Rush ou Scary Monsters de David Bowie et, comme j'avais appris
lièrement des séances de bronzage dans un institut de beauté. J'étais ter-
à mieux contrôler mes orgasmes, nous avions des relations sexuelles nor-
riblement complexé — mon visage était littéralement envahi par l'acné
males pour des adolescents. Elle me faisait des suçons sans arrêt, mon
— et le dermatologue m'avait dit qu'il existait une nouvelle formule de
cou était tellement endolori que je n'arrivais plus à tourner la tête. Mais
bronzage qui m'assécherait la peau et me soulagerait la vie.
à l'école je les portais comme des trophées. Et puis elle avalait : ce qui
Il était clair que ma mère ne voulait pas envisager que son fils ait pu
me permettait de me vanter un peu plus. Un jour, elle m'a offert un nœud
baiser avec une fille et attraper des morpions. Même mon père, qui m'avait
papillon bleu électrique, un peu semblable à ceux que portent les Chip-
pourtant promis de sabler le Champagne le jour où je me dépucellerais,
pendales. Je suppose qu'elle voulait jouer à une espèce de jeu de rôles,
n'a pas voulu l'admettre. La raison principale de ce comportement était
mais le seul que je connaissais était Donjons et Dragons.
qu'il voulait absolument m'emmener voir une prostituée pour que je perde
Après une bonne semaine passée à baiser, Louise a cessé de m'appe- mon pucelage, depuis que j'avais touché des seins au collège. Du coup,
ler. J'avais peur de l'avoir mise enceinte, car je n'avais pas systématique- j'ai fait semblant de croire à cette histoire d'institut de beauté.
ment utilisé de capote. J'imaginais sa mère l'envoyant au couvent et fai- Ma mère m'a acheté des médicaments contre les poux, mais, dans le
sant adopter son enfant... notre enfant. Ou alors Louise allait me faire
secret de ma salle de bains, je me suis rasé les poils pubiens afin de gérer
payer une pension jusqu'à la fin de mes jours. Il y avait aussi la possibi-
tout seul mes morpions. (À cette époque, je n'avais pas encore l'habitude
lité qu'elle se soit fait avorter, qu'elle en soit morte, et que ses parents
de me raser les poils du corps.)
veuillent m'assassiner. Après quelques semaines de silence, je me suis
D'après ce que j'en sais, je n'ai plus jamais attrapé de maladie véné-
décidé à l'appeler, en déguisant ma voix avec un torchon, au cas où ses
rienne. Et mes parents pensent que je suis toujours vierge.
parents répondraient.
Heureusement, c'est elle qui a décroché. Elle s'est excusée : « Je suis
désolée de ne pas t'avoir téléphoné. J'ai été malade. »
CHARMER LE VER
J'ai paniqué : « Malade ? T'as eu de la fièvre ? Tu vomis tous les matins J'étais, en compagnie de John Crowell, en haut de la colline en face
ou un truc dans le genre ? » de sa maison et nous étions occupés à descendre une bouteille de Mad
En fait, elle m'évitait parce qu'elle n'était qu'une salope et avoir un Dog 20/20 que nous avions fait acheter par un pote plus âgé que nous.
petit ami aurait ruiné sa réputation. Elle ne me l'a pas dit exactement en Nous étions là depuis au moins une heure, défoncés, laissant traîner nos
ces termes, mais c'est ce qu'elle m'a fait comprendre. regards autour de nous sur les champs endormis, le ciel meurtri, enflé par
Quelques jours plus tard, pendant un cours de maths, j'ai ressenti de la pluie menaçante, et sur une des rares voitures qui passaient, en route
violentes démangeaisons aux couilles. Ce phénomène a duré toute la jour- vers la civilisation. Un peu éméchés et contents de nous, nous étions tom-
née, s'étendant même jusqu'aux poils pubiens. Une fois rentré à la mai- bés dans un état d'ahurissement total, lorsque soudain les gravillons ont
son, je suis directement allé à la salle de bains, j'ai baissé mon pantalon jailli dans tous les sens.
et, debout contre le lavabo, j'ai regardé ce qui m'arrivait. J'ai immédia- Dans un nuage de poussière, une GTO verte a viré imprudemment
tement repéré la présence de trois ou quatre croûtes noires juste au-des- dans l'allée et s'est arrêtée en dérapant. La portière s'est lentement ouverte,
sus de ma bite. J'en ai enlevé une et, en regardant de plus près, un peu une botte noire a touché le sol. Une grosse tête est apparue au-dessus de
de sang en est sorti. la portière, un énorme crâne recouvert d'une peau bien tendue. Les che-
Je supposais toujours qu'il s'agissait d'une peau morte, mais en l'ap- veux étaient bouclés et ébouriffés. Les yeux, profondément enfoncés dans
prochant de la lumière j'ai remarqué qu'elle avait des pattes et qu'elles les orbites, brillaient comme des têtes d'épingles au centre de deux cercles
bougeaient. Choqué, j'ai poussé un hurlement de dégoût et je l'ai balan- sombres. Tandis qu'il s'éloignait, j'ai remarqué que, comme Richard
cée dans le lavabo, mais elle n'a pas éclaté comme je l'aurais pensé. Elle Ramirez, le désaxé nocturne, ses mains, ses pieds et son torse étaient dis-
proportionnés et très longs. Il portait une veste en jean au dos de laquelle quels des asticots et des scarabées se disputaient le moindre lambeau de
était imprimé le symbole universel de la rébellion : une feuille de hasch. chair traînant sur les os.
De sa main droite, il a sorti un revolver accroché à la ceinture de son « C'est ici, m'a annoncé John en me montrant le pentacle géant et
pantalon. Il a violemment levé son bras vers le ciel et vidé le chargeur : dégoulinant de rouge dessiné sur le sol, c'est ici que mon frère tient ses
à chaque tir, le recul faisait tourner son bras un peu plus dans notre direc- messes noires. »
tion. Une fois le barillet vide, il s'est dirigé vers nous à grands pas. J'étais La scène semblait sortir d'un mauvais film d'horreur, dans lequel un
totalement abasourdi : il m'a bousculé et je suis tombé par terre, il a adolescent un peu dérangé pratique la magie noire en amateur. Il y avait
poussé John et attrapé la bouteille de Mad Dog qu'il a vidée en quelques même des photos de profs et d'anciennes petites amies, couvertes de sang
secondes avant de la balancer dans l'herbe. Il s'est essuyé la bouche du coagulé, punaisées aux murs et recouvertes d'obscénités écrites au mar-
revers de sa manche, et a marmonné quelque chose qui sonnait comme queur. Et comme s'il allait jouer la vedette du film, John s'est tourné vers
les paroles de Suicide Solution d'Ozzy Osbourne. Il est finalement entré moi et m'a dit : « Tu veux voir un truc encore plus effrayant ? »
dans la maison à grands pas. J'étais tiraillé. J'en avais sans doute assez vu pour cette fois. Mais la
« C'est mon frère, mec », m'a fièrement annoncé John ; mort de peur curiosité m'a poussé à accepter. John a ramassé par terre un exemplaire
quelques instants auparavant, son visage rayonnait de fierté. taché et tout déchiré du Necronomicon, livre d'incantations remontant,
Nous avons suivi son frère au premier où il a claqué la porte avant de selon lui, à l'âge des ténèbres. Nous sommes retournés à la maison, où
la fermer à clé. John n'avait pas le droit de mettre les pieds dans la chambre John a rempli un sac à dos de lampes électriques, de couteaux de chasse,
de son frère sous peine de représailles. Mais il savait ce qu'il s'y passait : de casse-croûte et de babioles qui, selon lui, avaient des pouvoirs magiques.
magie noire, heavy metal, automutilation et consommation manifeste de Il m'a dit que nous allions là où son frère avait vendu son âme au diable.
drogue. Tout comme la cave de Grand-père, cette pièce symbolisait à la Pour y arriver, nous avons dû traverser un égout qui partait de la mai-
fois mes peurs et mes envies. Et, bien qu'effrayé, je voulais plus que tout son de John et passait sous un cimetière. Sans apercevoir ni l'entrée ni la
au monde voir ce qu'il se passait à l'intérieur. sortie, nous avons marché, courbés dans une eau boueuse infestée de rats,
En espérant que son frère quitterait la maison un peu plus tard dans en ayant conscience à chaque instant que, dans cette boue qui envelop-
la soirée, John et moi sommes allés dans l'écurie — enfin, dans la car- pait la canalisation, il y avait des cadavres. Je ne pense pas avoir eu, de
casse en bois de ce qui avait été une écurie —, où nous avions planqué ma vie, aussi peur du surnaturel. À mi-parcours de notre odyssée d'un
une bouteille de Southern Comfort. bon kilomètre, l'écho amplifiait le moindre petit bruit qui devenait énorme
« Tu veux voir un truc vraiment cool ? m'a demandé John. et menaçant : je croyais entendre des squelettes qui cognaient contre le
- Bien sûr », ai-je rétorqué. conduit, des créatures encore vivantes essayant de percer le metal, prêtes
J'étais toujours prêt à faire des trucs cool, surtout avec John. à m'attraper et à m'enterrer vivant.
« Putain, t'as vraiment intérêt à rien dire à personne. Lorsque nous avons finalement atteint l'autre côté, nous étions cou-
- Promis. verts, de la tête aux pieds, d'une pellicule d'eaux usées, de toiles d'arai-
- Des promesses, c'est pas assez, a brusquement dit John. Je veux que gnée et de boue. Nous étions dans une forêt sombre au milieu de nulle
tu jures sur ta putain de mère... Non. Tu dois jurer que si jamais t'en part. Après encore un kilomètre dans la végétation sauvage, une énorme
parles, ta bite flétrira avant de pourrir et de tomber. maison a surgi devant nos yeux. Elle était envahie par les mauvaises
- Je jure que ma bite tombera et disparaîtra, lui ai-je dit solennelle- herbes, comme si la forêt essayait de reprendre ce qui lui appartenait : la
ment, tout en sachant parfaitement que j'en aurais besoin dans les années moindre parcelle visible de béton était recouverte de pentacles, de croix
à venir. renversées, de phrases sataniques, de logos de groupes heavy metal, et de
- La bite dirige le monde, a ricané John en me donnant un grand coup mots et expressions comme « pédé » ou « nique ta mère ».
de poing sous l'épaule. Alors viens, couillon. » Nous avons dégagé les plantes grimpantes et les feuilles mortes qui
Il m'a entraîné derrière l'écurie et nous avons grimpé au grenier en recouvraient une fenêtre ouverte, avant de grimper à l'intérieur pour
empruntant une échelle. La paille était maculée de sang séché. Éparpillés, fouiller la pièce à la lumière de nos lampes électriques. Il y avait des rats,
il y avait des carcasses d'oiseaux, des moitiés de cadavres de serpents et des toiles d'araignée, du verre brisé et des vieilles cannettes de bière. Dans
de lézards, des lièvres en état de décomposition avancée sur le corps des- un coin, les braises d'un feu mourant nous indiquaient que quelqu'un
était récemment venu ici. Je me suis retourné, John avait disparu. Angoissé,
je l'ai appelé.
« Là-haut, a-t-il hurlé du haut des escaliers. Vise un peu. »
Je paniquais, mais je l'ai quand même rejoint en haut par l'embrasure
de la porte encombrée. La pièce semblait habitée. Un matelas d'un jaune
putride traînait par terre : il était recouvert de seringues hypodermiques,
d'une cuillère au manche tordu et de tout un attirail pour se droguer.
Autour du matelas, on pouvait voir au milieu de magazines pornos gays
désintégrés, qu'on avait jetés là, une demi-douzaine de capotes usagées
qui ressemblaient à des peaux de serpent séchées.
Nous sommes allés dans la pièce suivante, quasiment vide, mis à part
un pentacle, entouré de caractères runiques indéchiffrables, dessiné sur
le mur sud. John a sorti son exemplaire du Necronomicon.
« Qu'est-ce que tu fous ?
- J'ouvre les portes de l'enfer pour convoquer les esprits qui vivaient
autrefois dans cette maison », a-t-il répondu de sa voix la plus sinistre.
Avec son doigt, il a tracé un cercle sur la poussière du sol. Au moment
où il le bouclait, un bruit perçant est venu du rez-de-chaussée. Nous
sommes restés sans bouger, presque sans respirer, à écouter les ténèbres.
Rien, à part le bruit de mon pouls battant dans mon cou.
John s'est placé au milieu du cercle et a tourné les pages du livre pour
trouver la bonne incantation. Un fracas métallique, bien plus fort que le
bruit précédent, a alors retenti en bas. Si ce que nous faisions produisait
quelque effet, nous n'y étions pas préparés. L'alcool qui courait dans
notre sang s'est transformé en adrénaline ; nous avons dévalé les esca-
liers, avant de passer par la fenêtre pour regagner la forêt, hors d'haleine,
en sueur et la bouche sèche. La nuit s'était installée, des gouttes de pluie
commençaient à tomber. Nous avons coupé par les bois, en silence et
aussi vite que possible, bien que trébuchant à chaque pas.
Lorsque nous sommes arrivés sains et saufs chez John ; son frère était
complètement défoncé : hébété, les yeux rouges, il errait dans la maison.
Les drogues avaient calmé son agressivité. Il semblait presque serein, ce
qui n'était pas plus rassurant que lorsqu'il piquait sa crise. Il tenait dans
les bras une chatte d'un blanc immaculé et il n'arrêtait pas de la caresser.
« Ce chat est son démon familier, m'a murmuré John.
- Son démon familier ?
- Ouais, c'est comme un démon qui a pris l'apparence d'un chat. Il
l'aide lorsqu'il fait de la magie. »
Instantanément, cette chatte blanche et innocente s'est transformée,
dans ma tête, en une créature dangereuse et malveillante. Le frère de John
l'a posée sur le sol et elle est restée assise, les oreilles en arrière, ses yeux
verts braqués sur moi. Elle m'a montré les dents et a commencé à siffler.
« Mec, cette chatte va te tuer, m'a dit John pour me faire encore plus s'est entaillé toute la surface du pouce et l'a laissé goutter dans un petit
peur. Elle viendra dans ton sommeil te griffer les yeux et, d'un coup de bol rempli d'une poudre croûteuse tachetée de brun.
dents, elle t'arrachera la langue avant que t'aies le temps de crier. » « Angarru le Mauvais ! a-t-il commencé à psalmodier. Ninnghizhidda !
Son frère nous a examinés tous les deux de la tête aux pieds, puis a Je t'invoque, Toi le Serpent des Profondeurs ! Je t'invoque, Ninnghiz-
jeté un regard au chat avant de tranquillement nous proposer de le suivre hidda, Toi le Serpent Cornu des Profondeurs ! Je t'invoque, Toi le Ser-
en haut. Et finalement, c'était mieux comme ça : pas besoin de faire les pent à Plumes des Profondeurs ! Ninnghizhidda ! »
choses en douce ou de jouer au détective. Nous étions autorisés à péné- Il s'est arrêté pour tirer sur la pipe, puis a frotté la poudre ensanglan-
trer dans la chambre interdite : les formules magiques de John pour ouvrir tée contre ses lèvres, sans vraiment se soucier de notre présence.
les portes de l'enfer avaient peut-être marché. « Je Te convoque, Créature de l'Ombre, par les œuvres de l'ombre !
Bien que tout cela soit nouveau et excitant pour moi, sa chambre res- Je Te convoque, Créature de la Haine, par les œuvres de la haine ! Je Te
semblait à l'image que je me faisais de celle d'un péquenot camé adepte convoque, Créature des Déchets, par les rites du déchet ! Je Te convoque,
de Satan. Il y avait une lumière noire braquée sur un poster de la grande Créature de la Douleur, par les paroles de la douleur ! »
faucheuse sur un cheval, une demi-douzaine de photos d'Ozzy Osbourne Si le hasch mettait dans des états pareils, cela ne m'intéressait pas.
et des bougies rouges partout. Au fond de la pièce, il y avait un petit autel J'avais les yeux fixés sur le revolver, en espérant que le frère de John ne
drapé de velours noir, également entouré de bougies allumées. Mais au- l'attrape pas. Et en même temps, j'essayais de ne pas lui montrer que je
dessus, à la place d'un crâne, d'un pentacle ou d'un lièvre sacrifié, il y fixais le revolver parce que je ne voulais pas qu'il y prête attention. Il était
avait un grand cylindre en verre dont le contenu jaunâtre ressemblait à visiblement fêlé et, s'il n'avait pas déjà tué quelqu'un, il n'y avait aucune
de l'urine. Le revolver était posé sur la table à côté du lit. raison pour qu'il ne le fasse pas avant le lever du soleil.
« Tu veux fumer ? m'a demandé le frère de John, en soulevant le Les minutes et les heures se sont écoulées. La pipe continuait à tour-
cylindre posé sur l'autel. ner, mais l'eau à l'intérieur avait été remplacée par du Southern Comfort,
- Fumer quoi ? » ai-je stupidement répondu. histoire de nous bousiller un peu plus. Black Sabbath jouait Paranoïa sur
Je n'avais jamais touché une pipe à eau, ni fumé d'herbe de ma vie. la chaîne ou dans ma tête, le chat me sifflait après, la pièce tournait, le
« De l'herbe qui rend fou, m'a dit John avec un sourire diabolique. frère de John me mettait au défi d'aspirer le Southern Comfort contenu
- Non merci, mec. J'ai arrêté », ai-je menti. dans la pipe et John scandait « cul sec ». En minable invertébré que j'étais,
Malheureusement, je n'avais pas le choix. J'ai vite compris que John j'ai approché la pipe de mes lèvres desséchées par le hasch, j'ai retenu
et son frère m'auraient passé à tabac si je n'avais pas fumé leur drogue. mon souffle et j'ai vidé ce qui a peut-être été le coup le plus infect jamais
Le frère de John a allumé la pipe à eau, qui était déjà remplie de feuilles concocté. Et puis... je ne sais pas ce qui s'est passé. Je suppose simple-
brunes pilées, et a tiré une bouffée herculéenne, remplissant, en exhalant, ment que je suis tombé dans les pommes et que je suis devenu le terrain
la pièce d'une fumée douceâtre. J'ai toussé, craché en tirant mes premières idéal des sévices subtils et variés des frères Crowell.
bouffées : l'effet ne s'est pas fait attendre. Mélangé avec le Mad Dog J'ai été réveillé par un sifflement à cinq heures de l'après-midi. Le chat
20/20, le Southern Comfort, la bouteille de vin qui circulait et Blizzard me surveillait toujours. J'ai posé les mains sur mes yeux : ils étaient tou-
of Ozz qui passait sur la chaîne, ça m'a fait tourner la tête. Le fait que jours là. Et puis j'ai vomi et vomi. Et encore. Mais tandis que je me tor-
personne ne m'aimait à l'école a commencé à me sortir de l'esprit. dais à genoux au-dessus des toilettes, j'ai réalisé que j'avais appris quelque
Étourdi, présent et absent, je restais assis là tandis que le frère de John chose la nuit précédente : je pouvais utiliser la magie noire pour changer
commençait à divaguer. Son visage agité de tics était tout rouge, il invo- la modeste vie que je menais. J'ai également appris que je n'aimais ni
quait des douzaines d'esprits et de démons ancestraux à qui il ordonnait fumer de l'herbe, ni le goût de l'eau de la pipe.
de tuer un certain nombre de gens : des profs qui l'avaient recalé, des
petites amies qui l'avaient largué, des amis qui l'avaient trompé, des
parents qui l'avaient maltraité, des patrons qui l'avaient viré — prati-
LE VER SORT DE SON COCON
quement tous ceux ayant croisé son chemin depuis qu'il était assez grand La première fois que j'ai compris que quelque chose n'allait pas dans
pour savoir ce qu'était la haine. notre famille, j'avais six ans. Mon père m'avait rapporté un livre qui par-
Ensuite, le frère de John a sorti un couteau à cran d'arrêt de sa poche, lait d'une girafe : ce livre avait été personnalisé, et du coup j'étais l'un
des personnages de l'histoire et je partageais donc les aventures de l'ani- m'a affirmé que je faisais une allergie au blanc d'œuf (qui lui donnaient
mal. Le seul problème était que mon nom avait été orthographié Brain de l'urticaire) et je l'ai longtemps crue. Elle voulait que je sois comme
(cerveau) dans tout le livre, ce qui suscitait l'image curieuse d'une girafe elle, que je sois dépendant d'elle pour que je ne la quitte jamais. Lorsque
chevauchée par un cerveau. Je ne pense pas que mon père se soit jamais
j'ai fini par le faire à l'âge de vingt-deux ans, elle allait s'asseoir tous les
rendu compte de cette erreur.
jours dans ma chambre et pleurait, jusqu'à ce qu'un soir elle ait cru voir
C'était symbolique de la manière dont il s'était toujours occupé de la silhouette de Jésus dans l'encadrement de la porte. Grâce à cette vision,
moi, ou plutôt dont il ne s'était jamais occupé de moi. J'étais le cadet de elle s'est dit que j'étais protégé, a cessé de se lamenter et s'est mise à trai-
ses soucis. Ses marques d'attention consistaient à plier une ceinture en ter comme des animaux de compagnie les rats dont elle était censée nour-
deux et à la faire bruyamment claquer sur mon postérieur. Quand il ren- rir mon serpent. Pour exprimer son côté surprotecteur, elle m'a remplacé
trait du travail et que je traînais dans ses pieds, il trouvait toujours une par le plus souffreteux des rats qu'elle a appelé Marilyn et elle est même
excuse — la pelouse à tondre ou le lave-vaisselle à vider — pour m'en- allée jusqu'à ranimer le rongeur en lui faisant du bouche à bouche, puis
gueuler. J'ai donc appris très vite à paraître toujours sérieux et occupé en le gardant dans une grossière tente à oxygène en film alimentaire pour
lorsqu'il rentrait. Ma mère mettait ses violents accès de colère sur le prolonger ses jours.
compte des séquelles d'un stress post-traumatique dû à la guerre du Viet-
Lorsque l'on est enfant, tout ce qui se passe dans sa famille paraît nor-
nam, ce qui expliquait qu'il se réveillait au milieu de la nuit en hurlant
mal. Mais lorsque la puberté arrive, le phénomène s'inverse et on remet
et en cognant sur tout ce qui lui tombait sous la main. Adolescent, quand
en question ce qu'on a accepté. En troisième, j'ai commencé à me sentir
je ramenais des copains à la maison, il leur demandait à chaque fois :
de plus en plus isolé, je n'avais pas d'ami et je ressentais une terrible frus-
« As-tu déjà sucé une bite plus douce que la mienne ? » C'était une ques-
tration sexuelle. J'avais pris l'habitude de m'asseoir à ma table dans la
tion piège : qu'ils répondent oui ou non, ils finissaient toujours avec sa
salle de classe et de me taillader l'avant-bras avec un couteau de poche.
bite dans leur bouche, au moins de façon allégorique.
(J'ai encore des dizaines de cicatrices sous mes tatouages.) La plupart du
De temps en temps, mon père me promettait de m'emmener me pro- temps, je me fichais totalement d'être bon à l'école. Lorsque les cours
mener, mais le plus souvent il avait un travail urgent à régler à la dernière étaient terminés, j'apprenais à m'évader dans mon monde, ce qui consis-
minute. Nous n'avons fait des choses ensemble qu'en de très rares occa- tait surtout à faire des jeux de rôles, à lire des bouquins comme la bio de
sions. En général, il m'emmenait sur sa moto dans une mine à ciel ouvert Jim Morrison, Personne ne sortira d'ici vivant, à écrire des nouvelles, des
près de la maison, où il m'apprenait à tirer avec un fusil qu'il avait récu- poèmes macabres et à écouter des disques. Je commençais à apprécier la
péré sur le cadavre d'un soldat vietcong. J'ai hérité du don de visée de musique comme s'il s'agissait d'une potion magique menant
mon père, ce qui m'a bien servi pour tirer sur les animaux avec une cara- dans un univers où je serais accepté, un monde
bine à air comprimé ou pour lancer des pierres sur les flics. J'ai égale- sans règles ni jugement.
ment hérité de son mauvais caractère (je me mets facilement en rogne),
Ma mère est la personne qui a dû sup-
d'une ambition à toute épreuve que seuls des balles ou des gros bras peu-
porter le plus lourdement ma frustration.
vent arrêter, d'un sens de l'humour acéré, d'un appétit insatiable pour les
Les crises venimeuses que je piquais contre
tétons, ainsi que d'un rythme cardiaque irrégulier qu'une forte consom-
elle, je les tenais peut-être aussi de mon
mation de drogues n'a pas arrangé.
père. Mes parents n'arrêtaient pas de
Je n'ai jamais voulu reconnaître que j'avais autant de choses en com- s'engueuler parce que mon père l'accu-
mun avec mon père. J'avais passé la majorité de mon enfance et de mon sait de le tromper avec un ex-flic devenu
adolescence à avoir peur de lui. Il me menaçait sans arrêt de me foutre détective privé. Mon père avait toujours
dehors et n'oubliait jamais de me rappeler que j'étais inutile et que je été d'un caractère soupçonneux et n'est
n'arriverais jamais à rien. Par conséquent, j'ai grandi dans les jupes de jamais arrivé à se débarrasser d'une jalou-
ma mère. Elle me pourrissait et je ne lui en étais pas reconnaissant. Pour sie maladive, même vis-à-vis de Dick Reed, le
être sûre que je me cramponne bien à elle, afin de me garder à la maison premier petit ami de ma mère, un type efflanqué
et de s'occuper de moi, ma mère essayait de me convaincre que j'étais dont mon père avait botté le cul le jour où il avait MAMAN
plus maladif qu'en réalité. Lorsque j'ai commencé à avoir de l'acné, elle rencontré ma mère à l'âge de quinze ans. Une de
leurs plus violentes engueulades a eu lieu lorsque, en fouillant dans son
sac à main, mon père a sorti un gant de toilette roulé en boule et lui a
demandé des explications. Je n'ai jamais compris ce que cet objet avait
de louche — s'il venait d'un hôtel inconnu ou avait été utilisé pour net-
toyer du sperme. Je me souviens avoir vu le détective en question à la
maison à plusieurs reprises : il avait des armes à feu et des numéros de
Soldier of Fortune, ce qui m'impressionnait beaucoup car je pensais à
l'époque faire carrière dans l'espionnage. La haine et la colère étant conta-
gieuses, je commençais à en vouloir à ma mère parce que je pensais qu'elle
voulait briser son couple. Je m'asseyais sur mon lit et pleurais en pensant
à ce qui se passerait si mes parents se séparaient. J'avais peur d'être obligé
de choisir entre les deux et, comme mon père me terrifiait, de finir par
suivre ma mère pour vivre chichement avec elle.
Dans ma chambre, au milieu des posters de Kiss, des caricatures et
des albums de rock, je possédais une collection de flacons d'eau de Cologne
Avon que ma grand-mère m'avait offerte. Elles avaient toutes la forme
d'une voiture et je crois bien que c'est une Excalibur qui a envoyé ma
mère à l'hôpital un soir. Elle était rentrée tard et ne voulait pas me dire
d'où elle venait. Je sentais qu'elle me mentait, alors j'ai explosé — héri-
tage du caractère impulsif de mon père. Je lui ai lancé la bouteille au
visage, lui entaillant la lèvre ; le parfum bon marché s'est répandu sur le
sol au milieu d'éclats de verre bleu.

Elle a toujours une cicatrice, comme une mise en garde permanente


de ne pas avoir d'autre enfant. Au cours de l'engueulade qui a suivi, je
l'ai frappée, lui ai craché dessus et ai essayé de l'étrangler. Elle s'est conten- CERTES J'ÉTAIS SOLITAIRE ET, TRÈS VITE, JE PRIS DES ATTITUDES
tée de pleurer et je n'ai jamais eu le moindre remords. DÉSAGRÉABLES QUI ME RENDIRENT IMPOPULAIRE. J'ÉTAIS À L'ÉCOLE.
La colère réprimée à l'école religieuse s'est dissipée plus tard à l'école COMME TOUS LES ENFANTS UNIQUES, JE ME RACONTAIS DES HISTOIRES
publique. Ma mère acceptait de me faire un mot d'absence si, par exemple, ET JE PARLAIS TOUT SEUL À DES PERSONNAGES TOUT DROIT SORTIS
je n'arrivais pas à me peigner bien à plat (je ne voulais pas être la risée DE MON IMAGINATION. J'AVAIS TOUJOURS EU DES AMBITIONS
des filles). Je commençais à l'apprécier pour ça, pas pour longtemps. LITTÉRAIRES, MAIS J'ÉTAIS SEUL ET JE PENSAIS QU'ON NE ME JUGEAIT
Allongé sur mon lit cette dernière nuit à Canton, j'ai haï mes parents PAS À MA JUSTE VALEUR. JE SAVAIS QUE J'AVAIS UNE CERTAINE FACILITÉ
comme jamais. Je commençais à me faire à la vie à Canton et il fallait À ALIGNER LES MOTS, AINSI QU'UNE CAPACITÉ INDISCUTABLE
maintenant que j'aille vivre dans la banlieue bien clean de Fort Lauder- À FAIRE FACE AUX SITUATIONS LES PLUS ÉTRANGES. JE M'ÉTAIS CRÉÉ
dale parce que mon père y avait trouvé un nouveau boulot chiant de MON PROPRE MONDE DANS LEQUEL J'ARRIVAIS À FAIRE FACE
vendeur de meubles. J'avais connu les endroits les plus bizarres — des À MES PROPRES ANGOISSES.
maisons hantées aux salles de gym du lycée. J'avais pris plein de mau-
vaises drogues, vécu une sexualité minable, et je n'avais aucune estime
pour ma propre personne. Tout cela était terminé, c'était mon passé, et
il allait falloir que je reparte de zéro. Je n'avais aucune envie de démé-
nager. J'étais amer et en colère : j'en voulais à la terre entière.
UNE FAMILLE UNIE
par Brian Warner

Il espérait que le magnétophone marcherait toujours. C'était


un modèle portable couramment utilise dans les écoles et les
bibliothèques. Teddy ne réalisait même pas l'ironie de la situa-
tion — c'était bien Angie qui le lui avait offert. Il essuya
les cheveux et le sang sur le coin en poussant un soupir de
frustration. Maman va certainement me priver de télévision, se
dit-il en pensant au désordre qu'il avait mis.
20 janvier 1988 «Qu'elle aille se faire foutre. Qu'ils aillent tous se faire
foutre. Pourquoi avait-elle fait du mal à Peg? Pourquoi? »
Brian Warner En lui jetant un regard torve, il donna un coup de pied dans
3450 Banks Rd. #207 le cadavre qui était à ses côtés. Les yeux vitreux étaient posés
Margate, FL 33063 sur lui, fascinés, dans le vide.
John Glazer, rédacteur en chef « Salope ! Tu as tué Peg. »
Night Terrors Magazine Le regard mort de sa sœur ne lui donna aucune réponse. (Il
1007 Union Street se demandait bien pourquoi.) Son visage semblait si ombragé.
Schenectady, NY 12308 Il souleva sa tête en saisissant ses cheveux poisseux de sang
et s'aperçut que c'était le sang séché sur sa joue qui créait
Cher John Glazer, cette fausse impression d'ombre. Il vit également que l'en-
taille dans son crâne ne saignait plus. Le sang coagulé avait
Veuillez trouver ci-joint une nouvelle jusqu'à pre'sent formé un bouchon gélatineux.
inédite intitule'e Une famille unie. Je vous laisse Maman allait bientôt rentrer. Il allait devoir creuser une
l'exclusivité de ce texte, et j'aimerais savoir si vous tombe.
accepteriez de le publier dans votre magazine. Je vous Teddy se releva et se dirigea dans sa chambre où le corps
remercie de consacrer du temps à ce texte. En attendant de en plastique de Peg traînait, dégonflé. Sur le haut de sa poi-
vous lire. trine qui ne saignait pas, un couteau de cuisine était planté;
elle regardait le plafond avec son éternelle expression — la
Amicalement, bouche en forme de 0. Comme si elle allait crier.
Brian Warner Il attrapa la tête de la poupée et, les larmes aux yeux,
regarda sans trembler la surface plate de cet être grandeur
nature privé d'air. Il commença à la bercer et se mit à pleu-
rer — à chaque larme qui coulait, il faisait des milliers de
vœux pour qu'elle revienne à la vie. Il était heureux qu'An-
gie soit morte : elle avait mérité chaque coup assené. En cares-
sant ses cheveux artificiels, il sentit la puanteur qui par-
venait du corps de sa sœur gisant à quelques mètres de là. Il
savait que c'était de l'urine — il avait entendu sa vessie se
libérer lorsqu'il avait donné le coup fatal. Pour plus de
sûreté, il lui avait porté un dernier coup : elle avait tué
Peg. Il avait tous les droits.
Il reposa délicatement la tête de Peg sur le tapis. Il se Il alla dans le garage pour y chercher une pelle, et com-
pencha, lui embrassa la joue et essuya un truc poisseux colle mença à creuser dans le jardin. Il fallait qu'il ait fini avant
sur les lèvres en caoutchouc. Maman lui avait déjà dit de ne qu elle rentre.
pas toucher Peg et de ne pas faire de saletés dans sa bouche, la terre était tendre et il mit à peu près une demi-heure
mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il l'aimait trop pour
pour creuser la tombe.
la laisser tranquille. Si maman découvrait qu'il faisait des
Son temps était précieux, alors il retourna dans la maison
saletés, elle lui enlèverait Peg, comme avant — elle aussi,
pour nettoyer. Il s'empara d'une serviette et se dirigea dans
il faudrait qu'il la trouve.
la chambre d'Angie. Il l'attrapa sous les bras pour la dépla-
lorsque Teddy retourna auprès du corps d'Angie, il s'arrêta cer de quelques mètres — la flaque avait maculé la moquette,
quelques instants, émerveille par sa nudité. Planque dans le laissant une tache sombre. Il l'épongea avec précaution et remit
placard, il l'avait toujours regardée s'habiller, mais il ne
la serviette dans le placard.
l'avait jamais vue d'aussi près. Il était fascine par la touffe
En la traînant dans le salon, une idée lui vint à l'esprit,
noire entre ses jambes — Peg n'avait pas ça. Avec précaution,
la meilleure idée qu'il ait jamais eue de toute sa vie. Si
il lui toucha la cuisse avant de faire un bond en arrière comme
jamais maman avait aimé les saletés, elle aurait été fière de
si sa chair était brûlante. Bien au contraire, évidemment. En
cette idée.
fait, elle commençait à se refroidir. Cela faisait quand même
Il lâcha les bras d'Angie et retourna dans sa propre chambre.
quatre heures.
Il avait de la peine en regardant le corps atrophié de Peg;
«Je te hais», dit-il, s'adressant aux yeux du cadavre. l'entaille dans sa poitrine semblait s'être agrandie et lui
Puis il lui toucha à nouveau la cuisse, mais cette fois il faire mal. Il se dit qu'elle était vieille. C'était peut-être
ne retira pas sa main. Doucement, il laissa ses doigts glis- mieux pour elle qu'elle soit morte.
ser le long de sa hanche pour se rapprocher de son entrejambe. Teddy jeta le couteau et, en passant par la cuisine, trans-
Avec son autre main, il écarta ses jambes musclées. Une flaque porta le buste flasque de la poupée en plastique derrière la
d'urine de la taille d'une galette apparut. Bizarrement, il lui maison. Peg, je suis désolé, dit-il au visage peinturluré. Il
donna un petit coup dans les parties génitales. Elle était beau- n'allait pas l'enterrer juste comme ça, il allait essayer son
coup plus douce que Peg et, attends... bien qu'elle soit froide
idée. Si ça marchait, ensuite seulement il la recouvrirait.
et blanche, elle était chaude à l'intérieur. Cette divinité
Il fallait qu'il se dépêche, ça allait être l'heure. Il
sexuelle et macabre l'excitait.
retourna dans la chambre de sa sœur, retira son jean et s'age-
Il fallait qu'il s'arrête —maman se mettrait en colère s'il nouilla près du corps, l'odeur de mort était acre et écœurante,
faisait des saletés. Elle haïssait les saletés. Papa l'avait mais la vie lui faisait trop peur. Il était plutôt un specta-
appris à ses dépens. Tout ce qu'elle aimait, c'était faire de teur. Mais il était trop tard pour regarder et elle allait être
la couture et regarder Family Feud. Richard Dawson, elle ado- parfaite. Il pourrait la cacher. Tout comme Peg.
rait ce type. Tandis que Teddy grimpait sur sa sœur dans un acte de nécro-
Mais elle était si souple, si malléable, la peau de Peg, à philie maladroit et incestueux, la voiture de maman pénétra
l'intérieur, était dure et cireuse — cela faisait dix ans qu'il dans l'allée défoncée. Au travers du pare-brise crasseux, elle
l'avait (il l'avait commandée à un magazine porno à l'âge de vit les sacs d'ordures pourrissants, entassés au milieu des
dix-huit ans). À l'époque, Angie n'avait que cinq ans, et depuis mauvaises herbes près du porche. Ce sacré Teddy. Il était comme
elle s était transformée en une superbe jeune femme. Il n'avait son père.
jamais eu vraiment de raison de la haïr, mais elle n'aurait Après seulement quatre lamentables aller—retour, Teddy, hon-
jamais dû tuer Peg. Il l'avait simplement regardée prendre sa teux, ne put se retenir; il resta en elle encore un peu — il
douche. Ce n'était pas la première fois. Mais, là, elle l'au- aimait le contact visqueux sur sa peau. Il était gêné, mais
rait dit à maman, et maman ne supportait pas ce genre d'obs- il aimait tellement les saletés. Pourquoi maman ne comprenait-
cénités chez elle. C'est pourquoi il avait dû cacher Peg au elle pas ses besoins?
début : maman était tellement vieux jeu, il devait lui cacher «Teddy, je t'avais demandé de vider les poubelles», beu-
le plus de choses possible. gla-t-elle en ouvrant la porte d'entrée qui alla claquer contre
le mur. Elle grimaça tel un rat qui cherche à s'échapper. En « Les méchants garçons doivent être punis. C'est la seule
traversant le salon, la liste des châtiments possibles lui façon pour qu'une famille reste unie. »
brouilla l'esprit. Brusquement, avec une violence étonnante, elle lui frappa
Teddy se figea. Comment allait-il expliquer ça à maman? Il la tête encore et encore jusqu'à ce qu'il s'évanouisse, comme
lui fallait cacher Angie : si maman voyait ce que... une vieille chiffe étalée sur la moquette.
« Teddy. »
Maman traversa l'entrée en boitillant ; depuis sa position
déshonorante, il leva les yeux.
Elle le dominait, elle lui semblait très vieille et géante, Lorsque Teddy se réveilla, ses paupières le firent grima-
sa canne brandie au—dessus de lui comme un tronc d'arbre. cer de douleur — il aurait beau essayer de toutes ses forces,
Sa panique se dissipant, Teddy se leva d'un bond, cachant il ne pourrait pas les soulever. Sur son aine nue, il sentit
ses parties honteuses. le froid rassurant du corps de Peg, et sous lui le sol grume-
«Teddy, pourquoi t'as pas sorti les poubelles ? leux. Maman et ses talents de couturière... Il tâta ses pau-
- Hein ? » pières, sachant qu'il allait sentir les petits points de suture
Cette question déplacée le troubla, tout comme son banal qui l'empêchaient de voir. Il entendit sa voix au-dessus de
manque d'amour maternel. lui.
« Bon, ce n'est pas grave. » «Teddy. Tu as été un vilain garçon. Tu n'espionneras plus
Par simple curiosité, elle donna un coup de canne à Angie. jamais Angie, j'y ai veillé. T'es vraiment comme ton père. À
« Remets ton caleçon. lui aussi, il a fallu que je lui donne une leçon. »
- Maman, c'est pas de ma faute, elle a tué... » Il entendit racler la terre au—dessus de lui et demanda par-
Il ne termina pas sa phrase — maman ne pouvait pas comprendre don.
à propos de Peg. Elle haïssait Peg. «Maman, s'il te plaît, je n'ai jamais voulu l'espionner.
«Elle est morte, c'est ça ? Je suis désolé. Maman, je t'en supplie... »
- Maman, je voulais pas la tuer. » Une pelletée lui atterrit sur le visage, lui bouchant le nez
Mensonge. et la bouche : ses bras, coincés dans la tombe, l'empêchaient
« T'étais encore en train de l'espionner, lui dit maman en de réagir.
lui faisant un large sourire. « Il faut que la famille reste unie. »
- Non, maman. Je l'ai jamais espionnée. Je te jure. Teddy essayait de se débattre pendant que maman continuait
- Si. Elle me l'a dit. à combler la tombe ; il voulait cracher, mais il avait telle-
- Non maman. » ment de terre dans la bouche qu'il n'y arrivait pas. Au-
La salope, elle lui avait dit. Il avait envie de la tuer dessus de lui, maman bafouillait des trucs à propos de la
une seconde fois ; elle n'avait pas assez souffert. discipline : Teddy était puni, il étouffait tandis que ses yeux
«Je t'ai déjà dit de pas faire de saletés. Et voilà que je laissaient couler des larmes de sang.
t'attrape en train d'en faire autant avec ta sœur. Qu'est-ce
que je vais faire d'un garçon aussi irrespectueux ? »
Son discours le pétrifia. Elle allait quand même pas lui
confisquer sa télévision ? Et si elle l'obligeait à reprendre
ces pilules — comment elle les appelait déjà ? Du salpêtre ?
Il pouvait se débrouiller avec ça. Il savait très bien s'y
prendre pour les planquer sous sa langue et ensuite les cra-
cher par la fenêtre.
Teddy était plus grand que sa mère, mais sa seule présence
le déstabilisait. Elle enjamba le corps d'Angie et leva sa canne
vers lui ; elle était élégante malgré ses varices.
15 mars 1988 28 mars 1988

Night Terrors Magazine Brian Warner


1007 Union Street 3450 Banks Ed. #207
Schenectady, NY 12308 Margate, PL 33063
Brian Warner
3450 Banks Rd. #207 John Glazer, rédacteur en chef
Margate, FL 33063 Night Terrors Magazine
1007 Union Street
Salut Brian, Schenectady, NY 12308

Merci pour Une famille unie. J'aime l'idée, mais je préfère les histoires plus Cher John Glazer,
complexes. Vous écrivez cependant très bien et votre style est très convain-
cant. J'attends avec beaucoup d'impatience d'autres textes de votre part. Merci beaucoup pour votre réponse encourageante.
Mais, Brian, avant tout, je vous conseille vivement de mieux vous Ci-joint un chèque pour quatre numéros de NT, Je suis très
familiariser avec le style de fiction que nous publions en souscrivant impatient de recevoir mes premiers exemplaires.
un abonnement à NT. Je peux vous faire parvenir les quatre prochains J'en profite pour vous envoyer trois nouveaux poèmes que
numéros pour seulement 12 $ la première année et 16 $ les années suivantes. j'ai écrits : Plat de résistance, Le Vitrail, et Hôtel
hallucinogène. J'espère vraiment que, cette fois,
J'espère que vous saurez profiter de ces tarifs — vous ferez plus de 35 %
ils vous plairont.
d'économie par numéro — et vous ferez ainsi partie de notre bande d'allumés
sanguinaires. Si vous désirez vraiment vendre votre travail à NT— deux cents
Merci beaucoup pour les propositions que vous m'avez
et demi le mot, paiement en deux fois — mieux vous connaîtrez notre faites, et j'attends avec impatience de recevoir
magazine, plus vite vous vendrez vos textes. mon abonnement à Night Terrors Magazine.

Bien à vous, Bien à vous,


John Glazer Brian Warner
rédacteur en chef
PLAT LE RÉSISTANCE en haut sous des angles bizarres
qui m'observent discrètement ; et
Lorsque la fourchette mange la cuillère, je sens mon regard partir loin
et que le couteau frappe de l'écran blanc
le visage réfléchi dans l'assiette, devant mes yeux et se diriger
le dîner est fini. en direction des huit cannettes de bière vides
formant par hasard une pyramide.

LE VITRAIL Et je ferme les paupières pour penser —


Combien d'heures ont passé
Dans un silence de plomb depuis que j'ai construit cet
les fornicateurs à genoux impeccable édifice en fer-blanc ?
cherchent à obtenir pénitence et C'est moi qui ai fait ça ?
les idéalistes en dentier Ou était-ce les spectateurs ?
lancent des steaks avariés sur l'autel du sacrifice.
j'ouvre les yeux et les porte sur la pyramide.
allumez une bougie pour les pécheurs Mais la pyramide s'est à présent
allumez un feu transformée en bûcher ardent, et
le visage en plein milieu est le mien.
Le prophète autoproclamé, le protestant s'exprimant Quelle est cette prophétie qui
par paraboles vient à moi comme un coursier,
prêche ses théories musicales diatoniques froid et inattentif,
s'éviscérant imprudemment ne demandant qu'à être reconnu ?
Mais je ne deviendrai pas la proie
implorez de cette révélation hors sujet
rassemblez—vous je ne reconnaîtrai pas cette perversion
le monde est plus beau au travers d'un vitrail de la pensée.

allumez un cierge pour les pécheurs Certainement pas.


mettez le feu au monde
Je lance mon oreiller vers
la tombe infernale, comme pour sauver mes
Infidélités
yeux d'une horrible réalité,
Infidélités
et j'entends le son creux
Des aptitudes à l'infidélité ;
de sept cannettes vides,
Tous assis comme des éponges avides,
pas huit
absorbant les réalités tertiaires de la vie.
le destin veut-il qu'il en reste
une debout ?
Pourquoi ce petit soldat solitaire en fer-blanc
HÔTEL HALLUCINOGENE résiste-t-il au message de mon oreiller
annihilant ?
Allongé sur le lit, contemplant
demain, me contentant de méditer, Et puis, pour une raison bizarre, stupide,
je fixe une seule tache et surtout énigmatique
vide, et je remarque deux yeux la cannette commence à exploser dans un déluge de
perçants regardant de bas pleurs et de gémissements.
Pleure—t—elle parce que ses
amis et sa famille sont partis Intimidé, je baisse la tête sans le vouloir
ou parce qu'elle n'a personne et il me ferme les yeux.
avec qui se reproduire ?
Ils étaient partis...
Non.

Mais non, la raison n'est pas là. Il me donne une paire de lunettes de soleil
Ce ne sont que les pleurs d'un bébé trahi par sa mère. aphrodisiaques,
Le hurlement de peur d'être abandonné. et je m'endors dans l'obscurité.
Et ces gémissements, ces cris, ces plaintes
forcent les cannettes mortes à se lever Endormi dans un champ de jacinthes et de jade.
et je n'en crois pas mes yeux,
cette concession de Lorsque je m'extirpe du sommeil
cannettes de boisson en train de psalmodier je me lève,
dans une cacophonie de rébellion superficielle mes cheveux sont un enchevêtrement de boucles dorées.
ma Doctrine de l'Anéantissement Je vais dans la cuisine,
dont j'avais discuté au cours de mon je vais dans le freezer.
Sommet de 1'Oreiller (qui est à présent J'en sors une seule cannette de bière, et lorsque
perdu au milieu de ces anarchistes en alliage je commence à boire
d'aluminium marquant le rythme).
j 'entends

j'ai peur, peur de ces les pleurs d'un enfant abandonné.


cannettes, de ces rebelles nihilistes.
Tandis qu'une d'elles s'approche — le bébé pleure,
je suppose que c'est là que ma peur
augmente, construit un mur
autour de mon lit, essaie de faire taire
tout ce qu'il y a autour
mais sans aucun doute
le pleurnicheur escalade sans gêne ce que
je pensais être un Grand Mur
un peu comme celui de Berlin.

Il commence à parler.

Ses paroles coulent laconiquement du


trou dans sa tête
telle une musique funéraire : profonde, sonore,
et pleine de tristesse.

Il me dit : Tu dois
capituler face à tes rêves, c'est juste.
Nous restons toute la journée assis à l'attendre
et lorsque tu arrives,
tu nous ignores.
C'est terriblement malpoli.
5 juin, 1988
Brian Warner
3450 Banks Rd. #207
Margate, FL 33063
John Glazer, rédacteur en chef
Night Terrors Magazine
1007 Union Street
Schenectady, NY 12308

Cher John Glazer,

Il y a deux semaines, j'ai reçu, par courrier, le


premier exemplaire de Night Terrors et j 'ai fini de le
lire. Ça m'a beaucoup plu, surtout la nouvelle de Clive
Barker. Je n'ai pas eu de nouvelles de vous, et je me
demande si vous avez reçu les poèmes que j'avais joints
avec le chèque de mon abonnement, j'ai de plus en plus
envie d'être publie dans Night Terrors Magazine» Je pense
que cette publication est celle qui convient le mieux
à mon travail, j'attends très vite une réponse de votre
part, et je voudrais savoir si vous avez reçu mes derniers
textes, et sinon je vous les enverrai à nouveau.

Bien à vous,
Brian Warner

8 juillet 1988
Night Terrors Magazine
1007 Union Street
Schenectady, NY 12308
Brian Warner
3450 Banks Rd. #207
Margate, FL 33063

Salut Brian,
Content d'avoir de tes nouvelles. Merci pour les compliments à propos
de NT. Oui, j'ai lu tes poèmes, je les ai beaucoup aimés, mais je ne pense pas ALLEZ LES FILLES, HUILEZ VOS LÈVRES
qu'ils conviennent pour NT. Je suis désolé, j'ai dû oublier de t'envoyer ENFILEZ VOS CHAPEAUX ET BALANCEZ DES HANCHES
ma réponse. Mais j'attends de nouveaux textes de ta part. J'aime réellement N'OUBLIEZ PAS VOS FOUETS
ton travail. NOUS ALLONS AU BAL DES HORREURS

À bientôt,
John Glazer
rédacteur en chef
de Los Angeles à sniffer en compagnie de Dave Navarro, le guitariste de
LORSQUE vous avez des amis, vous montez un groupe. Jane's Addiction, tout en l'empêchant de me tailler une pipe. (Si ma
mémoire est bonne, Dave a fini dans la chambre de mon bassiste, Twiggy
Lorsque vous êtes seul, vous écrivez. C'est ainsi que j'ai passé mes pre- Ramirez, qui avait commandé deux prostituées très chères et était occupé
miers mois à Fort Lauderdale. Tandis que mon père bossait chez Levitz à les baiser sur le rythme d'Eliminator de ZZ Top.)
Furniture, ce qui était censé être une bonne place pour lui, je restais seul Ce que j'ai regretté le plus lorsque je me suis fait virer du magasin de
à la maison et je laissais libre cours à mes délires les plus tordus en écrivant disques comme tire-au-flanc (jamais je ne me suis fait prendre à voler),
des poèmes, des récits et des nouvelles. Je les envoyais partout, aussi bien c'était que je ne sortirais sans doute jamais avec Eden. Cependant, une
à Penthouse qu'à The Horror Show ou à The American Atheist. Tous les nouvelle fois, le temps et la renommée ont joué en ma faveur : un an et
matins, dès que j'entendais le facteur, je me précipitais à la porte. Mais demi plus tard, je suis tombé sur elle après un concert de Marilyn Man-
ce qu'il trimbalait dans sa besace n'était que déception : silence ou lettres son and the Spooky Kids. Avant de me voir sur scène, elle ne savait même
de refus. Un seul texte, Reflet au clair de lune — l'histoire d'un écrivain pas que je jouais dans un groupe et, soudain, elle a voulu sortir avec moi.
alcoolique vivant avec un chat surnommé Jimi Hendrix et d'un puits qui Vous pensez bien que je l'ai baisée... et que je ne l'ai jamais rappelée.
avalait tous ceux qu'il aimait —, a été publié dans une petite revue, The
Après avoir été viré, j'ai travaillé comme critique rock pour Tonight
Writer's Block.
Today, un guide de spectacles gratuit dirigé par Richard Kent, un hippie
Au cours de cette première année passée en Floride, je traînais ma usé et terrifiant, qui ne m'a jamais payé un centime. Il était complètement
déconvenue comme un boulet. Plus je travaillais, moins je recevais en chauve à l'exception d'une touffe de cheveux gris avec laquelle il se fai-
retour. Ma vie me navrait : je vivais chez mes parents, fréquentais le Bro- sait une queue de cheval et il portait d'épaisses lunettes noires. Il n'arrê-
ward Community College où je suivais des cours de journalisme et de tait pas de tourner en rond dans son bureau en secouant la tête d'avant
théâtre. Pour me faire un peu d'argent, je tenais, la nuit, le Spec's local, en arrière, comme un perroquet trop gras qui cherche quelque chose à
une chaîne de magasins de disques où je me suis mis rapidement à m'at- dire. À chaque fois que je lui posais une question, le regard vide, il me
tirer les mêmes ennuis qu'à l'école chrétienne. fixait pendant plusieurs minutes. Je ne savais jamais ce qu'il avait der-
Deux filles mignonnes travaillaient au magasin. Bien évidement, celle rière la tête, m'agresser peut-être...
à qui je plaisais prenait des tonnes de médicaments et était obsédée par Je me suis bientôt infiltré dans 25th Parallel, une revue luxueuse qui
le suicide. Celle qui m'attirait s'appelait Eden, du nom du Jardin des démarrait, en racontant aux patrons, deux amants du nom de Paul et
Délices, mais elle refusait d'en partager le moindre plaisir terrestre avec Richard, que j'avais un diplôme de journaliste et que j'avais déjà travaillé
moi. Jeune blanc-bec essayant d'être cool, j'ai passé un marché avec elles : pour de nombreuses publications nationales. Ils ont avalé mes mensonges
elles auraient le droit de fumer des joints dans l'arrière-boutique si elles et m'ont nommé rédacteur en chef. J'ai toujours essayé d'imaginer Paul
acceptaient de voler des cassettes pour moi. Un agent de sécurité fouillait et Richard au lit, mais je n'y suis jamais arrivé. Paul, un petit Italien potelé
nos sacs lorsque nous quittions les locaux. Alors je suis allé chez Sbarro de New York, était comme une version déformée de Richard, un grand
acheter des cannettes de limonade géantes aux filles et je leur ai demandé type décharné couvert d'acné et à la denture monstrueuse. Un des trucs
de remplir les récipients de cassettes des Cramps, de Cure, de Skinny qui me terrifiaient le plus était une photo posée sur le bureau de Paul où
Puppy et de tout ce qui pourrait y entrer. La semaine au cours de laquelle on voyait Slash évanoui dans sa baignoire. Je me suis toujours demandé
le Nothing's Shocking de Jane's Addiction est sorti, Eden l'a volé pour dans quelles circonstances cette photo a été prise.
moi et, malgré toutes mes cajoleries, elle a refusé de m'accompagner au
Paul et Richard formaient un couple sans espoir. La plupart du temps,
Woody's on the Beach où ils passaient en concert.
ils étaient assis au bureau, fauchés, déprimés et en larmes. Si la revue réus-
Mon premier article dans The Observer, le journal du lycée, était une sissait à sortir tous les mois, c'était grâce à l'argent qu'ils gagnaient en
critique de leur spectacle, titré « Jane's Addiction revient pour choquer revendant les disques qu'ils recevaient en service de presse. Et comme
le public du Woody's ». Je ne savais pas encore qu'il y avait un mot dans tous ceux qui ne payent pas leurs disques, ils n'aimaient pas la musique.
ce titre qui allait être utilisé plusieurs milliers de fois pour décrire ma Je travaillais non-stop sur la section spectacles, et la rubrique que j'ap-
musique, et ce n'était pas « Woody ». Et le plus imprévisible, c'est que, préciais le plus n'était pas celle concernant le rock. C'était celle où mon
bien des années plus tard, je me retrouverais dans une chambre d'hôtel amour du journalisme et des récits d'horreur se combinaient.
25TH PARALLEL, AVRIL 1990 chaque fois qu'ils mangent des escar- cuir, de masques, de bâillons, de
ON FAIT TOUJOURS DU MAL À CEUX QU'ON AIME gots, ils pensent à moi. » (Avertisse- pompons pour mamelons et/ou
ment au lecteur : 25th Parallel recom- pénis. Elle attrape ces derniers en
(UN VOYAGE DANS LE MONDE DU B & D) mande de ne pas s'en servir de cette expliquant :
façon, ni chez soi ni chez Joe's Stone « J'oblige les hommes à porter ces
par Brian Warner Crab.) pompons et à danser en les faisant

L e parfum écœurant et confiné de


vieux sexe et de cuir agresse immé-
sur les gens. Je pratique la torture
[génitale], le piercing et le bondage
Encore plus bas, une bonne tren-
taine de cerceaux en caoutchouc, en
cuir et en metal sont classés par taille,
bouger dans le même sens. »
En plus de ces trésors de jouets
grivois, il y a aussi une queue de che-
diatement mes sens lorsque j'entre — je les attache dans des positions de trois à dix centimètres de dia- val (améliorée par une fermeture
en trébuchant dans le donjon de Maî- extrêmement inconfortables et je les mètre. Ils ont apparemment été « bouche-trou » pour les aficionados
tresse Barbara. Après que son esclave laisse pendant de longs moments. Si inventés par les Chinois pour favori- de la série TV Mr Ed) et un vrai bou-
personnel m'a bandé les yeux et la séance a été bonne et s'ils se sont ser l'endurance sexuelle. Je trouve let qu'elle prétend avoir acheté en
escorté jusque-là, je mets un certain montrés des esclaves disciplinés, que ça ressemble plutôt à des boucles solde dans une brocante.
temps à ajuster ma vision au faible alors je leur permets de se mastur- d'oreilles de pirates ; normal, que En face, sur l'autre mur. Maîtresse
éclairage de ce salon devenu salle ber. » peut connaître un type comme moi Barbara entrepose, si l'on peut dire,
des tortures ; sans prendre aucune Sur le mur en face de la porte se dont la vie sexuelle est normale et ses armes les plus dangereuses : un
précaution, je glisse le bandeau trouve une rangée d'immenses qui attend les vacances pour se gaver tas de chaînes bien sûr, mais aussi
adhésif dans la poche de ma chemise, miroirs encadrés par ses instruments de Jell-0 ? une cane en bouleau, différents types
Lorsque l'image est enfin nette, je de travail. Je la suis vers le casier Tout en bas, elle me montre un de raquettes (en osier, en chêne, en
m'aperçois de la coexistence char- de droite où elle me montre deux petit parachute en cuir
nelle au sein de cet appartement de casques de jockey, un équipement de avec des chaînes. On « Pour les anniversaires
Fort Lauderdale. cavalier, du matériel électrifié pour dirait un jouet pour
La petite femme corpulente qui dresser les chiens, des colliers anti- enfant : voilà ce que et pour le 4 juillet
se fait appeler Maîtresse Barbara est, puces, une paire d'éperons, ainsi j'imagine être un authen-
en fait, une spécialiste du B & D (ce que des menottes en metal conçues tique accessoire bondage j'en pose un sur
pour Tortues Ninjas ado-
pour entraver aussi bien les
lescentes et perverses. le bout de leur pénis et
« J'exécute tous jambes que les poignets ou
les pouces. Elle explique que ce gad-
je l'allume. »
les fantasmes, quels « Je ne m'en sers pas que get sert à « distendre les
parties génitales ». Je ne pense pas caoutchouc, en cuir et en plastique),
pour les poignets, les chevilles
qu'ils soient » ou les pouces », dit-elle en que vous trouviez ce modèle chez
Toys « R » Us.
un mètre de jardin, une règle, un
fouet hollandais, un fléau moyen-
riant.
qui signifie bondage et discipline, Plus bas sur le mur, je vois une Encore plus étrange, cette glace âgeux couvert de pointes qu'elle a
pour ceux qui pensaient que la posi- pléthore de pinces et de poids utili- grossissante sous un harnachement surnommé le « casse-couilles »,
tion du missionnaire était encore la sés pour étirer les parties les plus de parachutiste freudien et cauche- quelques chats à neuf queues ainsi
norme) et sa maison de mauvaise tendres du corps. En dessous, un mardesque. Elle l'enlève de sa patère que suffisamment de fouets pour
réputation est plus intime que vous ensemble d'ustensiles d'aspect fami- et se moque : qu'lndiana Jones en perde la tête. En
le penseriez. lier qu'elle désigne sous le nom de « Ainsi, les hommes dont je m'oc- outre, les tiroirs alignés sur le plan-
« J'exécute tous les fantasmes, « pinces à escargot ». cupe ont une bonne idée de ce qu'ils cher contiennent des stimulateurs
quels qu'ils soient », affirme-t-elle en « Elles sont merveilleuses pour les possèdent ; ils peuvent se voir de musculaires électroniques, des poires
désignant une pièce remplie d'ac- tortures [génitales]. » Elle sourit en leurs yeux comme ils se voient men- à lavement jetables, des bougies, des
cessoires de films pornos sadomasos attrapant les pinces affectueusement talement. » gants en caoutchouc, des capotes (de
et de tout un bazar pornographique, et en les faisant claquer dans les airs En bas du mur est planquée une la marque Traditional Dry et Natura-
« Dans mes séances commerciales, comme s'il s'agissait d'une sorte collection de colliers d'esclaves gar- lube Trojan), du sang de bœuf, du
j'utilise des instruments de torture de homard en metal. Et en plus, à nis de pointes, de soutiens-gorge en plâtre de moulage, du film alimen-
taire transparent, un fer à souder, des fait 45 ans qu'elle le pratique à titre pas rare que j'aie des pompiers, des leur vie. Ils n'ont jamais été heureux
lacets de sac-poubelle, de l'Icy Hot personnel : elle en a aujourd'hui 57. officiers de police, des avoués, des avec aucune femme. Du coup je
contre le mal de dos, des plumes, des Son premier contact avec le monde juges, des pilotes de ligne et des prends les choses en main, ils n'ont
fourrures, des brosses, du talc pour du « fouette-moi, frappe-moi, plante footballeurs. » même pas besoin de penser. »
bébé, de la lotion à la vitamine E, de des épingles de nourrice dans mon Elle ajoute en riant : Apparemment, des hommes
la vaseline, un tiroir plein de gode- sexe », a eu lieu à l'âge vénérable et « La plupart des coups de télé- comme Stan vivent avec elle et satis-
miches (de différentes couleurs, incertain de 12 ans. phone que je reçois, c'est après des font tous ses désirs, qu'ils soient
formes et tailles), de la lingerie en « Je vivais en Californie et il y week-ends de trois jours pendant les- d'ordre sexuel ou non. En échange,
plus grande quantité que chez Vic- avait un homme de 21 ans qui venait quels ces hommes sont restés à la chaque semaine, ils lui donnent une
tout le temps à la mai- maison avec leur femme ; ils n'ont certaine somme dont elle se sert pour
« Je lui ai pris sa son, se rappelle-t-elle en
allumant une cigarette.
pas l'habitude de passer autant de
temps en famille. Du coup, je reçois
payer ses factures. Une mère pour
ainsi dire. Ce qu'ils ne savent pas,
cravache, je l'ai obligé Un jour il m'a taquiné des appels plutôt frénétiques m'ex- c'est qu'elle met de côté une partie
avec sa cravache et ça pliquant qu'ils ont été de "méchants de leur argent qu'elle leur reverse
à se déshabiller et à m'a rendue folle. Je lui garçons" et qu'ils méritent une fes- lorsqu'ils décident de s'en aller : elle
ai pris sa cravache, je l'ai sée. » aime les aider à prendre un nouveau
repartir tout nu chez obligé à se déshabiller Non seulement elle fournit ses départ.
et à repartir tout nu services à des clients sexuellement Finalement Stan revient. Je suis
lui, en voiture. » chez lui en voiture. » pervers, mais ses esclaves résidant à plus que surpris par son entrée. En
À partir de ce jour-là, demeure lui donnent tout ce qu'ils dehors du fait qu'il est totalement
toria's Secret et Frederik's of Holly- elle a abusé des hommes pour leur possèdent. Aujourd'hui, le péon de nu, il s'est intégralement rasé le corps
wood réunis, enfin une boîte de plaisir. Cependant, elle n'a perdu sa cette maison close est un homme et porte quatre ou cinq (je ne suis pas
cierges magiques. Étant profane et virginité qu'à 16 ans. Par la suite, en décharné entre deux âges du nom de assez près pour compter le nombre
naïf, je demande à quoi servent ces 1980, elle a déménagé en Floride où Stan. Malgré ses deux têtes de plus exact) de ces très chic cerceaux en
derniers — je n'aurais pas dû. elle a continué ses occupations en que Maîtresse Barbara, le comporte- metal, que j'ai décrits 27 paragraphes
« Pour les anniversaires et pour privé. Elle s'est finalement rendu ment tyrannique de celle-ci le fait se plus haut, et qui cliquettent lorsqu'il
le 4 juillet, j'en pose un sur le bout compte qu'avec un peu de publicité ratatiner comme un chat blessé. Tan- entre dans la pièce. D'un air penaud,
de leur pénis, puis je l'allume, elle pouvait faire, contre de l'argent, dis que mon photographe, Marc il rampe sur la chaise de chiroprac-
m'avoue-t-elle sans le moindre sar- la même chose avec des étrangers, Serota, installe des éclairages sup- teur en cuir sur laquelle elle va le cru-
casme. La plupart de ces objets sont À ce jour, à 200 $ la séance (qui peut plémentaires, elle ordonne à Stan de cifier contre le mur. Après lui avoir
des accessoires mais beaucoup durer de 12 minutes à 13 heures), elle se déshabiller pour la photo ; l'es- attaché fermement le cou, les poi-
d'hommes aiment s'habiller en gagne environ 25 000 $ par an, net clave déguerpit docilement de la gnets et les chevilles, elle lui met
femme. Ils viennent ici pour être d'impôts. pièce. Elle m'explique en se tournant négligemment des pinces chirurgi-
féminins. » Ses clients, qui ont entre 19 et 74 vers moi : cales sur les mamelons.
Je me suis assis, en faisant bien ans, la repèrent grâce à une annonce « On ne peut pas être une bonne « Ça fait mal ? lui demande-t-elle
attention, sur la couette en fourrure ainsi rédigée : « Femme dominante, dominatrice si l'on ne comprend pas avec une timidité feinte.
noire recouvrant son immense lit sur- sincère et mûre, possède domicile ce qu'est la soumission. Le jeu auquel
élevé. En dessous, là où la plupart pour esclaves : séjours de toute nous jouons est : je joue tout en me
des gens cachent, disons, leur Mono-
poly ou à la limite leurs poupées Kiss,
durée. » La plupart de sa clientèle est
composée d'hommes d'affaires ayant
contrôlant et je les oblige à faire ce « Ça fait mal ? »
genre de choses. Mais en fait, c'est
je remarque une cage pour dormir. une famille, dont elle affirme : « Je ce qu'ils veulent recevoir. Ils ne pren-
Bien que Maîtresse Barbara ne crois que plus ils ont de responsabi- nent aucune décision. Ils ne choisis- - Eh bien... », commence-t-il,
fasse commerce du B & D (pas au lités et subissent de pression, plus ils sent pas comment s'habiller ou mais avant qu'il ait le temps de finir
sens habituel du terme commerce, ont recours à ce genre de pratiques, quand ils ont le droit de parler. Je suis sa phrase, elle empoigne ses parties
puisque cette pratique est des plus Je vois des visages et je les reconnais tout pour eux. Ce sont des gens qui génitales et les tord comme un vul-
illégales) que depuis trois ans, cela sur les affiches électorales. Il n'est n'ont pas été capables de contrôler gaire sac à provisions.
« Il faut que ce soit moins confor- et que j'aime ça. Tant qu'elle sait chez
table », commande-t-elle, et son qui je suis, et que les gens y sont sains
jouet meurtri répond immédiate- et discrets, tout va bien. Je ne menti-
ment. Il tend sa jambe à l'oblique rai jamais à ma femme, je ne la trom-
dans un angle étrange. perai jamais. Je ne couche pas avec
Tandis que des marques rouges d'autres femmes. On ne s'envoie pas
de la taille d'une crêpe se forment vraiment en l'air ici. »
sur les seins mutilés de Stan, je lui Que ce soit avec Bob, Stan ou les
demande comment il se sent. Il mar- autres. Maîtresse Barbara mène une
monne lentement... prudemment : vie hédoniste. Elle passe son temps
« Je contrôle... je ressens quelque libre à faire du bateau, de l'avion, ou
chose mais c'est difficile de trouver de la plongée. Elle mange quand et
un nom à cette émotion. où elle veut, elle n'a aucun problème
- Stan ne sait pas bien s'expri- pour assouvir ses besoins sexuels :
mer et il minimise toujours tout, elle les a entraînés pour ça.
lance la gourou secoueuse de « Stan n'a pas le droit de bander
bourses. J'ai toujours agi de cette sans mon autorisation. Il a appris à
façon avec les hommes. Je me suis fonctionner à la demande. »
toujours dit que les hommes Elle a tout d'une femme équili-
devraient être enfermés dans des brée, même si son comportement est
niches et des écuries comme les totalement contradictoire avec l'idée
chiens et les chevaux, et qu'il fau- que l'on se fait d'une femme équili-
drait ne les laisser sortir que lorsque brée. De plus, elle se fait un maxi-
l'on a envie de s'amuser avec eux. mum de pognon sans jamais avoir
C'est très commode. » été inquiétée.
Le flash de l'appareil photo com- Je décide que c'est le moment de
mence à crépiter, Stan grimace de retourner dans le monde de l'Amé-
douleur devant le paparazzi, tandis rique « de la tarte aux pommes pour
que Maîtresse Barbara va ouvrir la le dessert et de la sexualité interdite
porte. C'est Bob, son esclave à temps en dehors des liens du mariage ». Je
partiel. Il apporte une grande boîte remets donc mon bandeau pour la
qui, selon ses dires, contient des suivre dans la lumière moite de
vidéos de travestis provenant du l'après-midi. Comme nous marchons
marché noir. Bob est un grand-père en aveugle en direction de la voiture,
à la retraite qui sert Maîtresse Bar- elle conclut en me chuchotant ces
bara avec l'autorisation mitigée de mots :
sa femme. « Ils pensent tous que je suis mer-
« Ma femme l'accepte, mais c'est veilleuse. D'autres peuvent croire que
pas son truc, explique Bob en remuant je suis complètement cintrée. Mais
la monnaie dans ses poches. Elle sait pourquoi ne pas vivre dans un
que c'est un de mes grands fantasmes monde où l'on vous adore ? »
Peu de temps après, j'ai rencontré une femme qui m'a infligé des tor-
tures beaucoup plus subtiles et douloureuses que tout ce que Maîtresse
Barbara pouvait imaginer avec ses instruments diabolico-sadiques. Elle
s'appelait Rachelle. J'avais dix-neuf ans, elle vingt-deux lors de notre ren-
contre au Reunion Room, une boîte locale dans laquelle, bien que n'ayant
pas l'âge, je pouvais entrer grâce à mon statut de journaliste. Elle était si
belle que ça me faisait du mal de la regarder parce que je savais que je
ne l'aurais jamais. Elle était mannequin, rousse, avec une coupe de che-
veux à la Betty Page, un corps aux formes doucement généreuses, un
visage parfait aux pommettes délicates.
Au cours de la conversation, Rachelle m'a expliqué qu'elle venait juste
de rompre avec son petit ami qui vivait toujours avec elle mais essayait
de se trouver une chambre. Après avoir compris qu'elle était sous le coup
d'un échec, une certaine assurance a lentement commencé à me gagner.
Elle allait partir dans un mois à Paris pour y passer l'été ; j'avais donc du
temps pour la draguer et, miraculeusement, la posséder. Les lettres que
nous avons échangées par-delà l'Atlantique étaient aussi érotiques qu'ins-
pirées. J'étais amoureux. À son retour, notre relation a repris avec encore
plus de passion qu'avant. Une nuit où j'avais besoin de tendresse (ou sim-
plement envie de baiser), je l'ai appelée et lui ai laissé un message. Quelques
minutes plus tard, mon téléphone a retenti et j'ai décroché.
« Pourquoi tu laisses des messages à ce numéro ? m'a demandé une
voix masculine hostile.
- C'est celui de ma petite amie, lui ai-je répondu sur un ton tout aussi
agressif.
- C'est aussi le numéro de ma fiancée », a-t-il rétorqué.
À cet instant j'ai senti mon cœur se glacer, mille morceaux se sont bri-
sés dans mes entrailles.
« Tu sais qu'elle couche avec moi ? »
Je bégayais. Il ne s'est pas mis en colère et n'a pas menacé de me tuer.
Il était, tout comme moi, sous le choc. Pendant des semaines, j'ai erré,
hébété, le cœur brisé. Juste au moment où je commençais à m'en remettre,'
elle m'a appelé.
« Je ne sais pas comment te l'annoncer... je suis enceinte.
- Pourquoi tu me racontes ça ? lui ai-je demandé le plus calmement
possible.
- Je ne sais pas si le bébé est de toi ou de lui.
- Bon... eh ben... on va dire qu'il est de lui », lui ai-je répondu d'un
ton brusque.
Et j'ai raccroché avant qu'elle n'ait le temps d'ajouter quoi que ce soit.
Je l'ai rencontrée deux ans plus tard, au cours d'un dîner. Elle était
toujours la même — vachement somptueuse — mais elle n'avait pas réussi
sa carrière de mannequin. Elle était devenue officier de police et ressem-
blait, dans son uniforme bleu, avec sa casquette et sa matraque, à tout
fantasme masculin de femme dominatrice.
« Il faut que tu rencontres mon fils. Il te ressemble. »
Je suis devenu livide, j'ai ouvert grande la bouche, incapable de pro-
noncer autre chose qu'un « Quoi ? ! » tandis que défilaient dans ma tête
les pensions alimentaires, les week-ends à faire du baby-sitting, ainsi que
l'image d'un mari mûrissant une vengeance cruelle.
Après avoir savouré cet instant, elle a retiré le poignard de ma poi-
trine, aussi rapidement et cruellement qu'elle l'y avait planté.
« Mais je sais qu'il n'est pas de toi. J'ai fait faire des tests sanguins. »
En réalisant que Rachelle m'avait trahi et vivait avec un autre, je me
suis promis de me détacher de tout ce qui pouvait être de l'ordre des sen-
timents et de ne plus jamais faire confiance à qui que ce soit. Il fallait que
je cesse d'être la victime de ma propre faiblesse et de mon sentiment d'in-
sécurité vis-à-vis des autres, en particulier des femmes. Rachelle m'a laissé
une cicatrice beaucoup plus profonde que celles que je me suis infligées
depuis. C'est en grande partie la colère et la vengeance qui m'ont poussé
à devenir célèbre, pour qu'elle regrette de m'avoir jeté. De plus, j'étais
frustré de n'être qu'un journaliste musical. Le problème ne venait pas des
magazines ni de mes articles, mais des musiciens eux-mêmes. Plus je fai-
sais d'interviews, plus je perdais mes illusions. Ils n'avaient rien à dire.
Je sentais que j'aurais mieux fait de répondre aux questions plutôt que
de les poser. Je voulais passer de l'autre côté du miroir.
J'avais interviewé Debbie Harry, Malcolm McLaren et les Red Hot
Chili Peppers. J'avais écris des biographies promotionnelles pour Yng-
wie Malmsteen et d'autres trous du cul de hardeux dans le même genre.
J'avais même publié un article sur Trent Reznor de Nine Inch Nails, sans
me douter que c'était entre nous le début d'une relation qui allait res-
sembler à ce que j'aurais pu vivre en faisant un stage dans le donjon de
Maîtresse Barbara, parsemée de pics imprévisibles.
La première fois que j'ai vu Trent, il boudait
dans un coin pendant une prise de son, tandis que
son manager, Sean Beavan, coiffé de dreadlocks,
tournait autour de lui d'un air protecteur. Une
fois la conversation engagée, il s'est déridé et est
devenu aimable. Je n'étais qu'un journaliste de
plus. Dans cette ville où il ne connaissait personne,
parler avec moi lui permettait de tuer le temps
avant le concert.
La fois suivante où Trent Reznor est passé en
ville, j'assurais la première partie.
IL LEVA LES BRAS. « JE NE SUIS PAS SARCASTIQUE, J'ESSAIE
UN TRAITEMENT DE CHOC AVEC DES MOTS POUR QUE VOUS
COMPRENIEZ QUE VOUS RACONTEZ DES CONNERIES !
VOUS ÊTES EN TRAIN DE ME PARLER D'UN PSEUDONYME EN TRAIN
DE PRENDRE FORME HUMAINE ! »

MARILYN Manson était un parfait héros


de roman pour un écrivain frustré comme moi. C'est un personnage qui,
à cause du mépris qu'il a pour le monde dans lequel il vit et, encore pire,
pour lui-même, utilise toutes les ruses pour que les gens l'aiment. Et une
fois qu'il a gagné leur confiance, il s'en sert pour les détruire.
Il aurait dû être le héros d'une assez longue nouvelle d'une soixan-
U N E DE MES PREMIÈRES ILLUSTRATIONS
taine de pages. Le titre en aurait été La Monnaie de sa pièce et elle aurait
été refusée par dix-sept magazines. Et aujourd'hui elle serait dans la mai- en faire sérieusement. Tout ce dont j'avais besoin était de quelques âmes
son de mes parents en Floride en train de jaunir et de moisir dans le garage résistantes pour se rendre en enfer en ma compagnie.
au milieu des autres textes. Le Kitchen Club était l'épicentre de la scène underground de Miami.
Mais l'idée était trop bonne pour la laisser pourrir. C'était en 1989 et C'est un lieu que j'ai fréquenté régulièrement dès l'année où il a ouvert
les 2 Live Crew de Miami commençaient à faire les gros titres des jour- ses portes : ce club était niché dans un hôtel miteux peuplé de prostituées,
naux parce que, dans tout le pays, les propriétaires de magasins étaient de junkies et de clochards. Derrière, il y avait une piscine dont l'eau était
arrêtés pour avoir vendu leur disque — catalogué comme obscène — à répugnante à force de servir de baignoire et de laverie aux alcooliques
des mineurs. Des pontes et des célébrités se bousculaient pour soutenir qui s'étaient pissé et chié dessus. J'arrivais à l'hôtel le vendredi soir, j'y
le groupe, en démontrant que leurs textes n'étaient pas de la provoca- louais une chambre et, à la fin du week-end, je m'y retrouvais seul et mal-
tion, mais de l'art. Des comptines un peu cochonnes avec des paroles heureux, en train de vomir dans la baignoire après avoir avalé trop d'am-
telles que « La p'tite Miss Cramouillette était assise sur une touffe d'her- phétamines et trop de vodka orange.
bette, les jambes écartées/Une araignée arriva, le nez elle y fourra et dit : Un vendredi, j'ai débarqué au club en compagnie de Brian Tutunick,
"Sacrée Cramouillette" » avaient suscité un événement culturel. un copain de mon cours de théâtre. J'étais vêtu d'un trench-coat bleu
À cette époque je lisais des ouvrages sur la philosophie, l'hypnose, la marine avec, peint dans le dos, « Jésus Notre Sauveur », des bas rayés et
psychologie des criminels et des masses (en plus de quelques livres sur des rangers. À cette époque, j'avais l'impression d'être cool, mais main-
l'occultisme et le crime). Sans compter que j'en avais vraiment marre de tenant je me dis que je devais ressembler à un trou du cul. (« Jésus Notre
regarder à la télé les débats et les rediffusions sans fin des Années coup Sauveur » ?) En entrant, nous avons remarqué un type blond adossé à un
de cœur : je réalisais que les Américains étaient vraiment des crétins. Bref, pilier; ses cheveux style Pulp Fiction pendaient sur son visage. Il fumait
toutes ces influences mélangées m'ont donné l'idée de créer mon propre une cigarette et riait. Je croyais qu'il se foutait de moi, mais lorsque je
projet scientifique et de prouver qu'un groupe blanc qui ne ferait pas de suis passé devant lui il n'a même pas tourné la tête. Il regardait juste dans
rap pourrait se révéler plus choquant et plus immoral que 2 Live Crew le vide en gloussant comme un malade.
et ses comptines salaces. En tant qu'artiste, je voulais être le signal d'alarme Tandis que la sono crachait Life is Life de Laibach, version marche
le plus bruyant et le plus tenace qui existe, parce que je ne voyais pas militaire yougoslave, j'ai repéré une fille aux cheveux noirs avec des seins
d'autre issue : il fallait briser les liens de notre société avec le christia- énormes (chez les filles au look gothique, on appelle ça les biscuits de
nisme et la faire sortir du coma dans lequel nous plongent les médias. Dracula). En hurlant par-dessus la musique, je lui ai expliqué que j'avais
une chambre à l'hôtel au-dessus et j'ai essayé de la convaincre d'y mon-
ter avec moi. Mais, pour la quatre-vingt-dix-neuvième fois cet été-là, je
me suis pris un râteau parce qu'elle était venue au club avec un garçon
Comme je n'arrivais pas à faire publier mes poèmes, j'ai réussi à qui s'est révélé être le type qui se marrait. Je l'ai suivie jusqu'à son pilier
convaincre Jack Kearnie, propriétaire du Squeeze, un petit club dans une et je lui ai demandé pourquoi il se marrait. Il m'a expliqué, comme s'il
rue piétonne, d'organiser des soirées à micro ouvert. Pour moi, c'était faisait un cours de travaux pratiques, comment se suicider proprement ;
une façon de faire connaître mes textes. Je me suis donc retrouvé tous les en me donnant des quantités de détails essentiels, comme l'angle exact
lundis, mal à l'aise et désarmé, planté derrière le micro sur cette minus- sous lequel il faut tenir le fusil, quel type de munitions utiliser... Il ne ces-
cule scène à réciter une poignée de textes en tout genre devant une assis- sait de rire bizarrement à chacune de ses paroles et, tout en gloussant, il
tance clairsemée. Les gens bizarres qui étaient présents me disaient que répétait ce qu'il venait de dire — calibre douze ou cortex cérébral, etc.
je ne racontais que des conneries, mais que j'avais une bonne voix. Ils me — de façon qu'on sache bien ce qu'il y avait de si drôle.
conseillaient tous de monter un groupe. Mais au fond de moi-même, je Il s'appelait Stephen, et il m'a expliqué au cours suivant que ça le fai-
savais que personne n'aime la poésie et que leur conseil était juste — en sait chier qu'on l'appelle Steve. Et que ça le faisait également chier qu'on
plus, tous ceux que j'avais écoutés ou interviewés écrivaient des chan- épèle son nom avec un v à la place d'un ph. Il a continué à discuter sur
sons qui ne voulaient rien dire. J'avais toujours rêvé de faire de la musique la question des prénoms jusqu'à ce que Stigmata de Ministry passe et que
parce que c'était une part très importante de ma vie, mais jusque-là je les gothiques et les pseudo-punks s'arrêtent de danser pour se lancer dans
n'avais jamais eu la confiance et la foi suffisante dans mes capacités pour un violent pogo. Tout ce cirque était le fait d'un mec efféminé, une sorte
de Crispin Glover à la chevelure pourpre, habillé d'une minijupe et d'un
collant en peau de léopard. Par la suite, il est finalement devenu notre
second bassiste. Complètement inconscient de ce qui se passait autour
de lui, Stephen m'a expliqué que si j'aimais Ministry, je devais écouter
Big Black. Puis, avec force détails, il s'est mis à analyser le jeu de guitare
de Steve Albini — les techniques qu'il utilisait, les tonalités qu'il produi-
sait — pour enchaîner sur les méthodes de production d'Albini et les
paroles de son album Songs About Fucking.
Cette nuit-là je n'ai pas baisé, ce qui m'a fait bien chier, mais ce n'était
pas nouveau. Nous avons échangé nos numéros de téléphone. Il m'a
appelé la semaine suivante pour me dire qu'il voulait me faire une cas-
sette de Songs About Fucking et m'apporter un autre truc qui m'intéres-
serait énormément. Il n'a pas voulu me dire ce que c'était. Il voulait juste
venir me voir et me le donner.
À la place de Big Black, il m'a apporté la cassette d'un groupe du nom
de Rapeman et il a passé plusieurs heures à improviser sur la filiation
entre les deux groupes, sans cesser de se balancer d'avant en arrière. Un
peu comme un autiste. J'ai appris plus tard qu'enfant il avait eu un pro-
blème d'hyperactivité et que ses parents l'avaient soigné au Ritalin. Il ne
prenait plus ce médicament, mais il partait souvent dans des états de
confusion assez impressionnants. Sa mystérieuse surprise consistait en
une boîte de sardines rouillée dont la date de péremption remontait à
juin 1986. Il ne m'a jamais donné d'explication pour ce geste. Il pensait
peut-être que j'allais en faire du Andy Warhol et en tirer des sérigraphies.
Nous avons commencé à passer beaucoup de temps ensemble, à traî-
ner dans mes lectures de poésie et à aller aux concerts de groupes mer-
diques du sud de la Floride qu'à l'époque je ne trouvais pas trop mal. Un
soir, à la fin d'un concert, nous sommes rentrés chez moi et je me suis
mis à fouiller dans les poèmes dont je voulais faire des chansons et les
bouts de paroles que j'avais écrites. J'espérais qu'il jouait d'un instru-
ment car il me semblait tout savoir question électricité, mécanique et
pharmacologie. Je lui ai donc demandé. La réponse m'est parvenue sous
forme d'un long monologue emberlificoté à propos de son frère qui était
musicien de jazz et jouait de tout un tas d'instruments à anche, de cla-
viers et de percussions.
« Je sais jouer de la batterie — hé, hé, hé, de la batterie, hé, hé — enfin
dans le genre — hé, hé, dans le genre, hé », a-t-il fini par avouer.
Mais je ne comptais pas avoir de batteur. Je voulais démarrer un groupe
de rock qui utiliserait un synthé, ce qui me semblait quelque part origi-
nal à une époque où seuls les groupes de musique industrielle, de danse
et de hip-hop utilisaient ce genre de matériel.
« Contente-toi d'acheter un clavier et on démarre un groupe », lui
ai-je répondu.
Stephen n'a pas fait partie de la première mouture du groupe, pas plus
que la personne suivante que j'ai rencontrée et appréciée. J'étais dans un
magasin de disques du centre commercial de Coral Square en train d'ache-
ter des cassettes de Judas Priest et de Mission U.K. pour l'anniversaire de
mon cousin Chad. Un employé bien bronzé, ressemblant à un exotique
squelette du Moyen-Orient surmonté d'une coiffure afro plus imposante
que celle de Brian May, est venu à ma rencontre et a essayé de me refiler
des albums de Love and Rockets. Son badge l'identifiait comme Jeordie
White. Une de ses collègues avait taillé des pipes, voire plus, à pratique-
ment tous ceux qui appartenaient à la scène du sud de la Floride, moi
exclu, mais Jeordie inclus (bien qu'il le nie toujours aujourd'hui). Presque
un an après, Jeordie et moi allions former un groupe parodique appelé
Mrs. Scabtree et interpréter une chanson célébrant la contribution de Lynn J'ai trouvé le membre suivant du groupe au cours d'une soirée où tout
à la scène musicale. Le titre en était Herpes. Jeordie chantait habillé comme le monde était bourré. Un crétin à face de rat, totalement parti, avec des
Diana Ross pendant que je jouais de la batterie en utilisant un pot de cheveux bruns et gras et de longs bras de singe, s'est écroulé sur le canapé
chambre en guise de tabouret. Jeordie allait prendre le nom de Twiggy à côté de moi en affirmant être gay, avant de commencer à étaler sa science.
Ramirez. Mais pour l'instant, il n'était qu'un sympathique doux-dingue Il s'est présenté : Scott Putesky. Il semblait avoir de grandes connaissances
affublé d'un T-shirt Bauhaus qui cherchait quelqu'un qui le comprenne. techniques sur la manière de faire de la musique. Encore mieux, il pos-
Lorsque j'ai rencontré Jeordie au centre commercial la fois suivante, sédait un magnétophone à quatre pistes. J'avais un concept mais pas de
il jouait de la basse pour Amboog-A-Lard, un groupe de death metal. véritables connaissances musicales; de plus j'étais facilement impres-
Inutile d'essayer de le persuader de les quitter. Je me suis contenté de lui sionnable. Scott était le premier véritable musicien avec qui j'étais entré
demander s'il connaissait un bon bassiste. Il m'a soutenu qu'il n'en exis- en contact, alors je lui ai demandé de rejoindre le groupe. Un peu plus
tait pas un seul dans tout le sud de la Floride. Et il avait raison. J'ai fini tard je l'ai rebaptisé Daisy Berkowitz. Il s'est immédiatement révélé être
par en parler à Brian Tutunik, mon copain du cours de théâtre. Dès le un fouteur de merde, car lorsque je l'ai appelé le lendemain, sa mère m'a
départ, je savais que j'avais tort car cela faisait un moment qu'il parlait répondu d'une voix nasale et caustique : « Désolé, Scott n'est pas là. Il
de former son propre groupe et il n'avait aucune intention que j'en fasse est en taule. » Je me suis dit qu'elle plaisantait mais, en fait, en revenant
partie. Il pensait sûrement me faire une faveur en intégrant la section
de la soirée, il s'était fait choper pour conduite en état d'ébriété.
rythmique de Marilyn Manson and the Spooky Kids plutôt que le devant
Auparavant, Scott avait fait partie de différents groupes locaux de
de la scène comme il le désirait, mais c'était le contraire, car il était un
rock et de new wave, et presque tous ceux avec qui il avait travaillé avaient
piètre bassiste, un lourdaud de garçon coiffeur, futur végétarien et ado-
envie de le tuer parce qu'il était très prétentieux et se berçait d'illusions
rateur de Boy George. Tout cela le plaçant à des années-lumière de l'agres-
en pensant qu'il avait beaucoup de talent. Certaines personnes parlent
sivité recherchée. Il a tenu deux shows avant que nous le foutions dehors.
mieux qu'elles ne jouent, mais Scott ne réussissait ni l'un ni l'autre. Il
Il s'est consolé en formant Collapsing Lungs, un mauvais groupe de metal
savait juste faire ce qu'il fallait pour emmerder le monde. C'était le genre
industriel édulcoré avec des titres comme Wbo Put a Hole in My Rub-
de type à dire aux filles : « Tu serais splendide, si seulement on ne voyait
ber? (Qui a fait un trou dans ma capote ?) Ils pensaient être un don de
Dieu pour le sud de la Floride, surtout après avoir signé à Atlantic Records. pas ta tête. » Et il pensait leur faire un compliment.
Je leur ai jeté un sort. Aujourd'hui Dieu les fait pointer au chômage (je J'aurais pu faire de la scène sous mon véritable nom, mais j'avais besoin
suis pas entièrement responsable de leur chute). Être de mauvais musi- d'une identité secrète pour pouvoir écrire sur ma musique dans 25th
ciens et écrire de mauvaises chansons de metal industriel sur la façon de Parallel. J'ai donc soigneusement choisi ce pseudo, un surnom qui sonne
sauver les tortues de mer n'a pas du tout aidé leur carrière. magique comme charabia ou abracadabra. Les mots Marilyn Manson
me semblaient être un symbole correct pour désigner l'Amérique moderne :
à la minute même où je les ai jetés sur le papier, j'ai su ce que je voulais
devenir. Tous les hypocrites que j'avais croisés dans ma vie, de Mlle Price
à Mary Beth Kroger, m'avaient aidé à prendre conscience que chacun
d'entre nous possède une face claire et une face sombre et que l'une ne
peut vivre sans l'autre. Je me rappelle avoir lu Le Paradis perdu au lycée ;
j'avais été frappé par le fait qu'après que Satan et ses compagnons se sont
révoltés contre les cieux, Dieu a réagi à cet outrage en créant l'homme
de façon qu'il puisse avoir une créature à son image mais qui ne possède
pas son pouvoir. En d'autres termes, pour John Milton, l'existence de
l'homme n'est pas simplement le résultat de la bienveillance de Dieu, mais
également de la malveillance de Satan.
En tant que bipède, l'homme est par nature attiré (que vous appeliez
ça instinct ou péché originel) du côté de sa face démoniaque, ce qui doit
être la raison pour laquelle on me pose toujours des questions sur la par-
tie la plus sombre de mon nom, mais jamais sur Marilyn Monroe. Bien
qu'elle reste le symbole de la beauté et du glamour, Marilyn Monroe avait
une face sombre exactement comme Charles Manson possédait une face
bonne et intelligente. L'équilibre entre le bien et le mal, et les choix que
nous faisons entre les deux, sont probablement l'un des aspects les plus
importants qui forgent notre personnalité et l'humanité. Je pourrais déve-
lopper davantage, mais tout est sur Internet (essayez le alt.life's-only-
worth-living-if-you-can-post-it-online-later newsgroup). Tout ce que je
peux ajouter, c'est que le premier article sur Marilyn Manson a été écrit
par Brian Warner. Et qu'il n'a rien compris à ce que je voulais faire.
À cette époque, Charles Manson avait été ramené sur le devant de
l'actualité : on avait fait sur lui une émission spéciale au nom du sacro-
saint indice d'écoute. Lorsque j'étais au lycée, j'avais acheté son album
Lie, sur lequel il chantait bizarrement des chansons originales presque
comiques comme Garbage Dump et Mechanical Man que j'ai incorporé
dans My Monkey, l'un de mes poèmes. « J'avais un petit singe/Je l'ai
envoyé à la campagne et je lui ai donné à manger du pain d'épice/Alors
est arrivé un teuf-teuf, qui a rendu mon singe fou-fou/Et maintenant mon
singe est mort/Enfin c'est ce qu'il paraît, mais de toute façon, nous aussi,
hein ?/(Ce que je fais, c'est ce que je suis, je ne suis pas éternel.) »
Mechanical Man marquait le début de mon identification à Manson.
C'était un philosophe doué, plus fort intellectuellement que ceux qui l'ont
condamné. Mais en même temps, son intelligence (et ce n'est pas peu dire,
puisqu'il réussissait à charger les autres d'agir à sa place) le faisait pas-
ser pour un type excentrique et fou, parce que les extrêmes — qu'il s'agisse
du bien ou du mal — ne rentrent pas dans la définition que la société a
de la normalité. Bien que Mechanical Man soit apparemment une comp-
tine, c'était également une métaphore sur le sida, dernière des manifes-
tarions de la vieille habitude que l'homme a de se détruire à cause de sa possible dès que je suis rentré chez moi. Mes premiers nouveaux hobbies
propre ignorance, que ce soit dû à la science, la religion, le sexe ou les en tant que Marilyn Manson étaient nés : la scarification et la modifica-
drogues. tion du corps, que je prolongeai, plus tard, grâce à un chirurgien esthé-
Après avoir adapté cinq ou six de mes poèmes et diverses notes en tique qui a ramené les lobes de mes oreilles à des proportions plus
chansons, nous étions prêts à affronter le sud de la Floride pour leur mon- humaines.
trer nos sales gueules que, pour des raisons stratégiques, nous avions
entièrement recouvertes de maquillage. Stephen n'ayant malheureuse-
ment toujours pas acheté de clavier, nous avons récupéré un pauvre mec
du nom de Perry, au visage couvert d'acné.
J'avais un autre problème : une des nombreuses névroses que l'école La scène du Churchill's Hideaway consistait en plusieurs planches de
chrétienne m'avait léguées était une peur panique de la scène. En CM2, contreplaqué posées sur des rangées de briques et la sono revenait prati-
le professeur d'art dramatique m'avait choisi pour jouer le rôle de Jésus quement à une paire d'écouteurs de walkman séparés l'un de l'autre et
dans une pièce de l'école. Pour la scène de la crucifixion, il avait voulu scotchés sur le mur de chaque côté de la scène. Nous avons ouvert avec
que je porte un pagne. Oubliant la cruauté dont les enfants sont capables, un de mes poèmes favoris, The Telephone.
j'ai emprunté à mon père une vieille serviette éponge tout effilochée que « Je suis réveillé par la sonnerie incessante du téléphone », ai-je com-
j'ai portée sans rien dessous. Après être mort sur la croix, je suis retourné mencé, mon croassement se changeant en grognement tandis que je me
dans les coulisses, où plusieurs élèves plus âgés m'ont arraché la serviette, demandais s'il y avait assez de bordel sur scène pour retenir l'attention
avec laquelle ils ont commencé à me fouetter en me poursuivant dans le du public.
hall. C'est un classique parmi les cauchemars préadolescents : courir nu « J'ai encore des croûtes de rêve dans le coin de mes yeux, ma bouche
dans un couloir devant toutes les filles que vous aimez et tous les garçons est sèche, pâteuse et a un goût de merde.
que vous haïssez. Bizarrement, j'ai réussi à chasser cette peur en montant « Encore la sonnerie. Lentement, je sors du lit. Les vestiges d'une érec-
sur scène, mais je ne suis jamais arrivé à me débarrasser du ressentiment tion persistent dans mon caleçon tel un invité gênant.
que j'ai à l'égard de Jésus pour m'avoir traumatisé. « Encore la sonnerie. Avec précaution, je m'enfuis dans la salle de
Notre premier show a eu lieu au Churchill Hideaway de Miami. Vingt bains pour ne pas exhiber ma virilité aux autres. Là, pour la forme, je
personnes se sont pointées, même si maintenant que nous sommes célèbres, fais les grimaces du matin, qui semblent toujours précéder ma contribu-
il y a au moins vingt et une personnes qui prétendent avoir été présentes. tion quotidienne à l'eau autrefois bleue des toilettes que j'ai toujours plai-
Brian, alias Olivia Newton Bundy (il avait changé de nom suivant notre sir à rendre verte.
marque de fabrique qui consiste à combiner une starlette à un tueur en « Encore la sonnerie. Je secoue deux fois comme la plupart des gens,
série), le gros garçon coiffeur, tenait la basse. Perry le boutonneux (qui car je suis contrarié par la petite goutte qui semble toujours rester et qui
s'est lui-même rebaptisé Zsa Zsa Speck sans se rendre compte du calem- crée une petite surface d'humidité sur le devant de mes slips. Alangui,
bour sur son visage spectaculairement boutonneux) jouait du clavier. paresseux, je trébuche lentement dans la turne où mon père fume tout le
Scott le fasciste du quatre-pistes (Daisy Berkowitz) jouait de la guitare. temps. Des cigares dans son fauteuil rembourré.
Nous utilisions le synthé Yamaha RX-8 de Scott (machine qui, tout comme « Oh, ça pue ! »
Scott, nous quitterait un jour, à la différence près que nous n'avons plus La chanson s'est déroulée, tout comme le show, et je ne sais pas ce que
jamais entendu parler d'elle). j'ai fait ensuite, si ce n'est que je me suis retrouvé dans les toilettes du
Étant très prosaïque, je portais un T-shirt Marilyn Monroe, auquel club en train de vomir. Je me disais que le show avait été épouvantable
j'avais ajouté une croix gammée style Manson sur le front. Comme on pour les spectateurs aussi bien que pour les musiciens. Mais une chose
venait récemment de m'enlever un grain de beauté présentant des risques curieuse s'est produite tandis que je me penchais au-dessus de mon amal-
de cancer près du mamelon, à l'endroit même où le Christ avait été blessé, game putride composé de pizza, de bière et de pilules. J'ai entendu des
des gouttelettes de sang avaient traversé le tissu et taché l'œil gauche de applaudissements et j'ai aussitôt senti monter en moi quelque chose qui
Marilyn Monroe. Bien que le médecin m'ait bien ordonné de ne pas tou- n'avait rien à voir avec l'envie de vomir. C'était un sentiment de fierté,
cher la zone autour de l'incision, j'ai étiré la peau aussi violemment que d'accomplissement et d'autosatisfaction suffisamment fort pour éclipser
l'image dégradante que j'avais de moi-même et mon passé de souffre- difficile (même s'il jouait de la guitare dans Insanity Assassin) car, musi-
douleur. C'était la première fois de ma vie que je ressentais ça. Et je vou- calement, nous poursuivions les mêmes buts et nous avions de meilleurs
lais encore ressentir ça. Je voulais être applaudi, je voulais être sifflé, je noms de scène. Il est devenu Gidget Gein. Nous avons laissé Stephen
voulais en mettre plein la gueule aux gens. rejoindre le groupe en tant que Madonna Wayne Gacy, même s'il n'avait
Rares sont les anecdotes de ma vie qui se sont terminées banalement pas de clavier. Sur scène il jouait avec des soldats de plomb.
et cet incident-ci est arrivé à trois heures du matin lorsque je rentrais à Pour le meilleur et pour le pire, un personnage supplémentaire est venu
Fort Lauderdale dans la Fiero rouge de ma mère. En passant sur l'auto- agrémenter notre galerie des horreurs. Elle s'appelait Nancy et était psy-
pont au-dessus de Little Havana et son ghetto rongé par la criminalité, chotique dans tous les mauvais sens du terme. Elle connaissait ma petite
l'autoradio est tombé en panne. Je me suis garé sur le bas-côté pour voir amie Teresa, une des premières personnes que j'avais rencontrées après
ce qui n'allait pas et j'ai découvert que je ne pouvais pas redémarrer la que Rachel s'était payé ma tête. Je recherchais une image maternelle plu-
voiture. La courroie de l'alternateur avait cassé net, et moins d'une heure tôt qu'une image de top model. Je l'ai rencontrée à un concert de Saigon
après avoir compris quelle était ma vocation, j'étais planté là, tout seul, Kick au Button South. Teresa travaillait dans la même usine que Tina
à essayer de trouver un téléphone dans Little Havana, où les chances d'un Potts, Jennifer et la plupart des filles avec qui je me suis retrouvé dans
clown barbouillé de maquillage du nom de Marilyn Manson de ne pas l'Ohio. Elle avait un léger embonpoint, des mains fines et une petite mèche
se faire casser la gueule étaient vraiment très minces. La seule bonne chose blonde comme celle de Stephen. On les prenait toujours pour des jumeaux.
qui est ressortie de cette expérience, alors que le camion de dépannage J'avais déjà croisé Nancy quand je travaillais dans le magasin de
n'est arrivé qu'à dix heures du matin, c'est que, tôt dans ma carrière, j'ai disques : c'était une énorme fille style gothique, qui ne ressemblait à rien
définitivement perdu l'habitude de me coucher après un concert. dans sa robe de mariée noire. Lorsque Teresa me l'a présentée un an plus
Notre premier vrai show a eu lieu au Reunion Room. J'avais réservé tard, Nancy avait perdu vingt-cinq kilos et avait une attitude qui voulait
en disant à Tim, manager et DJ de l'endroit : « Écoute, j'ai ce groupe, dire : je-suis-mince-et-je-vais-faire-payer-à-la-terre-entière-toutes-ces-
nous allons jouer ici et nous voulons 500 dollars. » Les groupes étaient années-pendant-lesquelles-j 'ai-pas-baisé-parce-que-j 'étais-grosse. Ses che-
en général payés entre 50 dollars et 150 dollars. Tim a pourtant accepté veux bouclés noirs tombaient sur ses épaules, ses nichons tombaient en
mon prix. Leçon numéro un intitulée « Comment manipuler l'industrie gants de toilette sous un débardeur provocant, ses traits étaient hispani-
de la musique » : se comporter comme une rock-star pour être traité sants, son visage pâle et elle sentait fort, une odeur mi-fleurie mi-nocive.
comme telle. À la fin du show, nous avons viré du groupe le boutonneux Un jour, je lui ai expliqué mes idées de spectacle total; je comptais les
et le gros type : il ne fait aucun doute qu'aujourd'hui ils doivent vendre inclure dans les prochains shows. Impossible ensuite de lui échapper. Elle
des sandwiches, se presser les boutons ou être les vedettes d'un sitcom, s'est imposée dans le groupe comme une tique qui a décidé de faire sa vie
Le Boutonneux et le Gros Type, qui a sous la peau d'un éléphant. À chaque idée dans laquelle une fille était
duré deux épisodes. impliquée (et peu importait le degré extrême d'humiliation), elle était
Nous avons alors débauché immédiatement volontaire pour y participer. Puisqu'elle était volontaire
Brad Stewart, le sosie de Cris- et que j'étais désespéré — et puisque surtout elle me semblait être quel-
pin Glover, qui bossait au qu'un que les autres allaient détester autant qu'ils me détestaient, je me
Kitchen Club. Il jouait dans suis avoué vaincu.
Insanity Assassin, un groupe Nos singeries ont très vite tourné au dépravé. La première fois que
concurrent qui comprenait nous sommes montés sur scène ensemble, je chantais en la tenant en laisse
Joey Vomit à la basse et Nick tout au long du show — bien évidemment pour exprimer mon point de
Rage au chant. Ce dernier était vue sur notre société patriarcale, et pas du tout parce que ça m'excitait
un type courtaud, qui pensait de traîner une femme vêtue du strict minimum autour de la scène avec
cependant être un grand une laisse en cuir. Peu de temps après, Nancy m'a demandé de la frapper
mec maigrichon et séduisant. au visage : j'ai donc commencé, show après show, à la frapper de plus en
Convaincre Brad de jouer de plus fort.
la basse avec nous n'a pas été
du public attrapaient systématiquement le bâton et frappaient sur la
pinata, obligeant tout le monde à en subir les conséquences : au lieu des
cadeaux, une pluie de cervelles de vaches, de foies de poulets et d'intes-
Ça a dû lui provoquer des dégâts au cerveau car elle est tombée amou- tins de porcs dégringolait du baudet étripé. En plein pogo, les gens glis-
reuse de moi. Je sortais pourtant avec Teresa, elle-même très amie avec saient sur cette masse de viande avariée et se fendaient le crâne dans une
Cari, le petit ami de Nancy. Cari était un grand type, débile mais bien totale débauche intestinale. Cependant, les exploits les plus scabreux sont
intentionné, avec de larges hanches et un visage très doux, presque effé- venus plus tard, à la suite d'un voyage catastrophique à Manhattan, au
miné. Cette situation boiteuse s'est encore aggravée lorsque Nancy et moi cours duquel j'ai écrit ma première vraie chanson.
avons commencé sur scène à explorer la sexualité en plus de la douleur Une fille, au prénom prétentieux style Asia, que j'avais rencontrée lors-
et de la domination. Je la pelotais, je lui suçais les seins, elle se mettait à qu'elle travaillait au McDonald de Fort Lauderdale, passait l'été à New
genoux en caressant tout ce qui lui passait à portée de la main. Sans jamais York et m'a offert un billet d'avion pour un week-end. Je sortais avec
baiser, nous allions aussi loin que possible pour n'avoir aucun problème Teresa, mais j'ai quand même accepté — je n'étais pas amoureux d'Asia,
avec ma copine, son mec ou la loi. tout ce qui m'intéressait, c'était un voyage gratuit à New York. Je pen-
Pendant un concert, nous l'avons enfermée dans une cage et, tandis sais que je pouvais y trouver un contrat d'enregistrement pour notre
que le groupe jouait People Who Died du Jim Carroll Band, j'ai fait groupe et j'ai donc pris sur moi une démo rudimentaire. Je n'étais jamais
démarrer une tronçonneuse et j'ai essayé de broyer le métal. Mais la content de nos démos, que Scott ne manquait jamais d'enregistrer, parce
chaîne a sauté et m'a frappé entre les deux yeux, m'entaillant profondé- que nous y faisions l'effet d'un petit groupe industriel, et que je nous ima-
ment le front : le sang maculait mon visage. J'ai tout juste réussi à finir ginais jouer du punk plus immédiat, plus écorché.
le show, car je voyais tout en rouge. Le séjour à Manhattan a tourné à la catastrophe. J'ai découvert qu'Asia
Comme dans tout bon spectacle m'avait menti sur son nom et son âge. J'étais fou furieux — j'étais encore
total, il y avait un message derrière la tombé sur une fille qui me décevait — et je suis sorti de l'appartement
violence. La plupart du temps, ça ne comme une tornade. Je ne saurai jamais si c'était par hasard, mais une
m'intéressait pas de faire du mal fois dans la rue, je suis tombé sur Andrew et Suzie, deux nightclubers de
aux autres ou à moi, ou alors Floride du Sud à la sexualité douteuse. Dans les clubs, j'avais toujours
cela servait à faire réfléchir les trouvé le couple classe et élégant, mais cet après-midi-là, à les voir pour
gens sur leur manière la première fois à la lumière du jour, ils ressemblaient à des cadavres en
d'agir, la société dans décomposition et paraissaient avoir dix ans de plus que moi.
laquelle ils vivent ou les choses qu'ils trouvent comme allant de soi. Par- Dans leur chambre d'hôtel, il y avait une télé câblée avec toutes les
fois, pour mettre en application mes hypothèses, il m'arrivait de lancer chaînes, phénomène nouveau pour moi. Je passais des heures à zapper
au public des douzaines de petits sacs hermétiques : une moitié d'entre d'un canal à l'autre, regardant Pat Robertson prêcher sur les maux de la
eux était remplie de cookies au chocolat, l'autre moitié de merde de chat. société, avant de demander aux gens de l'appeler pour lui donner leur
Ou bien j'exploitais le côté dangereux et menaçant des films pour numéro de carte de crédit. Sur la chaîne suivante, un type s'enduisait la
enfants apparemment inoffensifs, des livres ou des objets du quotidien bite avec de la vaseline, puis demandait aux gens de l'appeler pour lui
comme un simple panier-repas en métal. Ces fameux paniers qui ont été donner leur numéro de carte de crédit. J'ai attrapé le bloc-notes de
interdits dans les écoles de Floride, par peur que les mômes les utilisent l'hôtel et commencé à écrire des phrases comme : « Du cash dans la main
pour s'assommer. Pendant Lunchbox, je mettais régulièrement le feu à et une bite sur l'écran, qui a dit que Dieu était toujours reluisant ? »
un de ces paniers-repas, je me déshabillais et dansais autour pour tenter J'imaginais Pat Roberston finissant son baratin plus-droit-que-moi-
d'en chasser les démons. Au cours de certains shows, je tentais à ma tu-meurs, avant d'appeler 1-900-VASELINE. « La Bible Belt achève les
manière de réitérer la leçon de Willy Wonka : je pendais une pinata en Américains, en remettant les pécheurs à leur place/Ouais, d'accord, c'est
forme de baudet au-dessus de la foule, et posais un bâton sur le bord de bien, si t'es si bon explique-moi pourquoi la merde te colle au visage ? »
la scène. Ensuite, je les avertissais : « S'il vous plaît, ne l'ouvrez pas. Je C'est ainsi que Cake and Sodomy est né.
vous en supplie. » La psychologie humaine étant ce qu'elle est, des gamins J'avais déjà écrit des chansons que je trouvais plutôt bonnes, mais
Cake and Sodomy était beaucoup plus qu'une bonne chanson. Véritable
hymne sur une Amérique hypocrite bavant devant les nichons du chris-
tianisme, c'était le schéma directeur de notre futur message. Si les télé-
vangélistes voulaient nous faire croire que le monde était si malsain, avec
moi ils allaient savoir pourquoi ils pleuraient. Et des années plus tard, ils
l'ont su. La même personne qui m'avait inspiré Cake and Sodomy, Pat
Robertson, s'est mis à citer les paroles de la chanson et à les interpréter
de travers devant son troupeau du 700 Club.
Lorsque je suis revenu de New York, mes véritables ennuis ont démarré.
Teresa était censée m'attendre à l'aéroport, mais elle ne s'est jamais poin-
tée et son téléphone sonnait dans le vide. J'ai donc appelé Cari et Nancy
qui habitaient près de l'aéroport.
« Tu sais où est cette salope de Teresa ? C'était merdique à New York,
je suis planté à l'aéroport, j'ai pas une tune, et tout ce que je veux c'est
rentrer chez moi pour dormir.
- Teresa est sortie avec Cari », m'a répondu Nancy sur un ton froid
qui laissait transparaître la jalousie que je ressentais aussi.
Nancy m'a proposé de venir me chercher et de me raccompagner chez
moi. Nous sommes arrivés et elle m'a suivi à l'intérieur. J'avais juste envie
de m'écrouler, mais comme elle était venue à l'aéroport, je n'ai pas voulu
paraître mesquin. Je me suis écroulé sur le lit et elle sur moi plus lour-
dement (dans tous les sens du terme) qu'elle ne l'avait jamais fait. Elle a
enfoncé sa langue dans ma gorge et attrapé ma bite. J'étais très inquiet,
disons que je ne voulais pas être pris en flagrant délit. Ma culpabilité
n'était pas motivée par les notions de bien et de mal, mais plutôt par la
peur de me faire prendre.
Teresa ne m'en faisant jamais, j'ai fini par la laisser me tailler une pipe.
Mais, comme sur scène, je n'ai pas voulu qu'on baise. Lorsque Teresa et
Cari ont débarqué moins de quinze minutes plus tard, nous étions inno-
cemment assis sur le lit en train de regarder la télévision. Cari s'est tout
naturellement dirigé vers Nancy et l'a embrassée sur la bouche, sans savoir
que, quelques minutes plus tôt, ce même orifice avait reçu plusieurs mil-
lions de mes spermatozoïdes.
Sur le moment, je pensais que c'était marrant, comme un bon
moyen de me venger; je ne savais pas que cette simple fellation était le LE DÉSIR D'AIMER, POUSSÉ À SES LIMITES,
commencement de six mois de terreur gothique. EST UN DÉSIR DE MORT.
J'ai vraiment besoin d'avoir quelqu'un qui soit sur la même longueur

FORT Lauderdale, Floride, le 4 juillet 1990. Le truc


dans la paume d'une main tendue vers moi est une dose d'acide qui,
d'onde sinon je vais péter les plombs. Mais je ne veux pas que ce soit elle.
Oh, mon Dieu, surtout pas elle !
Légèrement désorienté, je me lève, et déambule dans la maison à la
dans un instant, va oblitérer toutes ces informations. recherche de Teresa. Ils discutent dans tous les coins, réunis en petits
Teresa, ma petite amie, a déjà pris de l'acide auparavant. Nancy, la groupes qui me sourient et me font signe de me joindre à eux. Je conti-
psychotique, également. Moi, jamais. Je le laisse faire effet dans ma bouche nue à avancer. La maison me semble sans fin. J'explore environ une cen-
jusqu'à ce que j'en aie marre, puis je l'avale et retourne plier les vestiges taine de pièces sans être vraiment sûr que ce ne soient pas les mêmes,
du premier concert privé de Marilyn Manson and the Spooky Kids, j'ai avant de laisser tomber, persuadé que ma petite amie passe du bon temps
confiance dans ma volonté qui sera forcément plus forte que tout ce que à un endroit où je ne suis pas. Je me retrouve dans le jardin. Mais ce n'est
ce minuscule carré de papier peut me réserver. Andrew et Suzie, le couple pas le même jardin. Il fait sombre, il est vide, quelque chose ne va pas. Je
qui m'avait donné l'acide, sourient avec un air de conspirateurs. Je leur ne suis pas sûr du temps que j'ai passé à l'intérieur.
fais un clin d'œil, sans être très sûr de ce qu'ils veulent me faire com- J'avance, j'erre. Des dessins compliqués, comme des esquisses au crayon,
prendre. apparaissent dans les airs, pour disparaître quelques instants après. Je
Les minutes passent... rien. Je m'allonge dans l'herbe et je me concentre flashe sur eux en les regardant pendant un temps incertain avant de réa-
pour savoir si l'acide fait effet — si mon corps est différent, si ma per- liser qu'il pleut. Ça n'a pas vraiment d'importance. Je me sens si léger et
ception a changé, si mes pensées se voilent. si incorporel que la pluie semble rebondir à l'intérieur de moi, pénétrant
« Ça y est ? Tu le sens ? » me dit une voix gluante et maladive qui les couches de lumière qui émanent de mon corps. Nancy s'approche de
souffle près de mon oreille. J'ouvre les yeux pour voir Nancy qui, au tra- moi, essaie de me toucher et comprend. Maintenant, je suis définitive-
vers de ses cheveux bruns, me lance un sourire masochiste. ment parti.
« Non, ça m'fait rien, je réponds rapidement pour me débarrasser Avec Nancy à la remorque, remplissant l'atmosphère de son odeur de
d'elle, surtout que ma petite amie traîne dans les parages. fleurs mortes, je descends la pente jusqu'à un petit ruisseau artificiel. Tout
- Il faut que je te parle, insiste-t-elle. ici n'est que crapauds à la peau grise sautant sur les rochers et dans l'herbe.
- O.K. À chaque pas, j'en écrase plusieurs en faisant jaillir leur sang gris-bleu.
- Je suis en train de prendre conscience de pas mal de choses. À pro- Leurs entrailles décolorées me collent aux chaussures, mortes et jaunes
pos de nous. Enfin... j'veux dire... Teresa est mon amie, et Cari... à pré- comme des brins d'herbe coincés sous les pieds en métal de meubles de
sent j'en ai plus rien à foutre de Cari. Mais nous avons besoin de leur jardin. Essayer de ne pas tuer ces choses qui ont des parents, des enfants,
dire ce que nous ressentons l'un pour l'autre. Parce que je t'aime. Et je une vie à retrouver, me rend fou. Nancy essaie de m'expliquer, j'aimerais
sais que tu m'aimes, même si toi tu le sais pas. Ça n'a pas besoin d'être faire semblant de l'écouter. Mais je ne cesse de penser aux crapauds morts.
pour toujours. Je connais pas ton avis sur ce genre de choses. Je veux pas Je suis persuadé de vivre un mauvais trip parce que si ça, c'est un bon
que ça interfère avec notre groupe » — notre groupe ! — « et l'osmose trip, alors Timothy Leary a des explications à nous fournir.
que nous avons sur scène. Mais nous pouvons essayer. Je veux dire, notre Je m'assois sur une pierre pour tenter de me reprendre, de me dire que
amour... » c'est juste la drogue qui pense à ma place, que le vrai Marilyn Manson
Au moment même où elle a prononcé le mot amour la dernière fois, va être de retour dans quelques instants. Ou bien suis-je maintenant en
son visage s'est éclairé dans le décor herbeux, tel un panneau d'affichage présence du véritable Marilyn Manson, dont l'autre n'est qu'une repré-
faisant de la pub pour l'aveuglement. Le mot amour semble suspendu sentation superficielle ?
dans les airs un sacré moment, cachant tout le reste de la phrase. Tout Mon esprit tourne autour de ma conscience comme la roue d'une
cela est très subtil. Mais je réalise que je suis en plein trip et que je ne machine à sous. Je reconnais quelques images — le terrifiant escalier qui
peux pas faire demi-tour. descend dans mon vieux sous-sol, Nancy jouant à la morte dans une cage,
« Tu sens ça... la différence, je lui demande, embarrassé. les cartes de Mlle Price. Les autres, je ne sais pas — un officier de police
- Oui, bien sûr », dit-elle avec empressement, comme si nous étions au regard mauvais portant un habit de prêtre baptiste, des photographies
sur la même longueur d'onde. de chattes inondées de sang, une femme couverte d'escarres, ligotée, dans
tous les sens, une bande de mômes déchirant un drapeau américain. Brus-
quement, la roue s'arrête sur une image. Elle monte et descend en bouillon-
nant confusément dans mon esprit à plusieurs reprises avant que j'arrive
à la distinguer. C'est un visage, large, sans expression. Sa peau est ter-
reuse et jaunâtre, comme s'il avait une hépatite. Ses lèvres sont complè-
tement noires, autour de chaque œil une épaisse forme noire, comme une
rune, a été dessinée. Lentement, il m'apparaît que ce visage est le mien.
Mon visage est posé sur une table près d'un lit. Je tends le bras pour
le toucher, je me rends compte que mes bras sont tatoués avec les motifs
que j'avais décidé de me faire faire. Mon visage est en papier, il est sur la
couverture d'un célèbre, d'un important magazine, c'est pour ça que le
téléphone sonne. Je décroche en me rendant compte que je suis dans un
endroit que je ne connais pas. Quelqu'un qui prétend s'appeler Tracy
essaie de me dire qu'elle a vu le magazine avec mon visage en couverture
et que ça l'a excitée. Je suis censé la connaître, car elle s'excuse de ne pas
avoir donné de ses nouvelles depuis longtemps. Elle veut me voir sur scène
ce soir dans un grand auditorium dont je n'ai jamais entendu parler. Je
lui réponds que je m'en occuperai, je suis content qu'elle vienne, bien que
déçu si c'est uniquement parce qu'elle a vu mon visage de papier. Puis je
me roule sur un lit qui n'est pas le mien et je m'endors.
« Les flics sont là ! »
Quelqu'un hurle à mes oreilles, j'ouvre les yeux. J'espère que c'est le
matin, que tout est terminé, mais je suis encore assis sur un rocher entouré
de crapauds morts. Nancy et un type crient que les flics font une descente.
La police m'a toujours rendu paranoïaque, car même quand je ne fais
rien d'illégal, je pense à faire quelque chose d'illégal. Donc, dès qu'un flic
est proche de moi, je suis mal à l'aise, nerveux, je m'angoisse à l'idée de
dire un mot de travers ou de paraître si assurément coupable que, de
toute façon, ils vont m'arrêter. Et avoir la tête bouffée par les drogues
n'arrange rien à l'affaire.
Nous nous enfuyons en courant. La pluie s'est arrêtée, tout est humide
et doux sous mes pieds. Du coup, plutôt que de courir, j'ai l'impression
de m'enfoncer dans le sol. Ma tête étant complètement embrouillée par
l'acide, la situation prend d'énormes proportions, je sens qu'il faut que
je sauve ma peau. Mon avenir tout entier dépend du fait que je me fasse
prendre ou non. Nous arrivons et stoppons net devant une Chevrolet
recouverte de sang frais et ruisselant, du capot jusqu'au coffre. Je suis
dans de sales draps.
« Qu'est-c'est c'bordel ? (Je pose la question à tout le monde autour
de moi.) Qu'est-ce que c'est? Qu'est-c'qui s'passe? Quelqu'un! ! »
Nancy s'approche de moi, je la repousse et trouve Teresa. Elle m'em-
mène dans sa voiture — sombre, odeur d'usine et claustrophobique. Elle
essaie de me calmer en me disant que l'autre voiture est juste peinte en
rouge, que le rouge ressemble à du sang à cause des gouttes de pluie. Mais
je suis complètement paranoïaque : des crapauds morts, des flics, une
voiture ensanglantée. Je fais la liaison. Ils m'en veulent tous. Je peux m'en-
tendre crier, sans savoir ce que je dis. J'essaie de sortir de la voiture. Je
cogne sur le pare-brise, passant le poing au travers du verre prétendu
incassable. Les bris de glace m'enveloppent la main comme une toile
d'araignée, mes jointures saignent et ressemblent à une rangée de conduites
d'égout ouvertes et vomissant des déchets.
Puis nous nous asseyons, Teresa me murmure des trucs à l'oreille en
me disant qu'elle sait ce que je ressens. Je la crois, je pense qu'elle aussi
croit en ce qu'elle dit. Nous entrons dans la phase hallucinogène du trip
pendant laquelle nous n'avons plus besoin de parler pour savoir ce que
l'autre pense. Je commence à me calmer.
Nous retournons à la soirée. Bien qu'ils soient moins nombreux, des
gens sont encore là, rien ne prouve que les flics sont venus. Au moment
où je suis en train de passer d'un mauvais trip à un trip supportable, quel-
qu'un — qui ne se rend pas compte que je me tue à redescendre — essaie
de me pousser dans la piscine. Juste pour rire. Pas la peine d'être agrégé
de maths pour se rendre compte qu'acide plus piscine égale mort cer-
taine. Du coup, je panique, je commence à battre l'air avec mes bras.
Nous engageons bientôt un combat de boxe, je vais le mettre en mor-
ceaux comme s'il était une poupée que j'essaie de mutiler. Je lui envoie
mon poing en pleine gueule, avec mes phalanges à vif et à nu, qui ne me
font même pas mal. baignoire. Dans un bref instant de lucidité, je réalise qu'il s'agit du bruit
d'un crayon rageur sur une feuille de papier. Le son devient de plus en
Il trébuche, hors de ma portée, je remarque que tout le monde me
regarde, abasourdi. « Allez, on va tous chez moi. » Je m'adresse aux gens plus fort, submergeant celui de la télé, Stephen et tout le reste dans la
qui m'entourent. On s'entasse dans la voiture — moi, ma petite amie, pièce. Je sais que Nancy est en train d'écrire un truc qui va me rendre
Nancy et son petit ami — soit les quatre ingrédients nécessaires à la recette malheureux et ruiner ma vie. Plus le son enfle, plus j'imagine que ce qu'elle
de la détresse personnelle. De retour en ville, dans la maison de mes écrit est dément, tordu.
parents, nous allons directement dans ma chambre où nous retrouvons, Nancy ressort de la salle de bains, resplendissante d'une gloire vindi-
allongé sur mon lit, telle une mèche qui attend une allumette, Stephen, cative : elle me tend le papier. Personne d'autre ne semble remarquer.
mon clavier sans clavier. Il essaie de nous intéresser à la vidéo qu'il regarde : C'est entre nous. Pour rassembler mes forces, je regarde le poste de télé.
Abattoir 5. Le genre de film étrange, décousu et prise de tête qu'on n'a Je le regarde si intensément que j'en oublie le film. De toute façon, ça ne
pas envie de regarder lorsqu'on est sous acide. ressemble pas du tout à une télévision. Ça ressemble à une lumière stro-
Cari est immédiatement absorbé par le film, la télévision rayonne sur boscopique. Je me retourne pour regarder Nancy. Mais je ne la vois pas.
sa bouche qui bave d'admiration. Sans dire un mot, Nancy se lève à la Je vois une belle femme qui fait la moue, elle a de longs cheveux blonds.
hâte — d'une manière agaçante — et se dirige vers la salle de bains. Je Elle vient de se faire un brushing, elle porte un T-shirt Alien Sex Fiend
suis assis sur le lit avec ma petite amie, mon cerveau clignote, de la même qui cache ses courbes. Ce doit être Traci, la fille du téléphone...
manière que le film danse sur Cari. Stephen bredouille un truc à propos Le bruit du crayon est remplacé par la voix de David Bowie : « I. I
des effets spéciaux. J'entends des grattements spasmodiques provenant will be king. And you. You will be queen. » (Moi, je serai roi. Et toi. Tu
de la salle de bains, comme des griffes de dizaines de rats frôlant la seras reine.)
Je tiens les doigts de Traci dans une main, une bouteille de Jack Daniel's les choses évoluaient avec Teresa (merde, c'est Nancy). Je te rendrai tel-
dans l'autre. Nous sommes debout sur un balcon dominant une soirée lement heureux. Je sais que je le peux. Personne ne s'occupera de toi
qui semble être en mon honneur. « Je ne savais pas que tu étais aussi comme je le ferai. Personne ne te baisera comme je le ferai. J'ai tant à te
célèbre que ça », ronronne-t-elle, s'excusant pour un événement du passé donner. »
dont j'ignore tout. « Je pensais que tu étais quelque chose de différent. » Je l'ai reposé. Je ne peux pas m'en occuper pour l'instant, pas tant que
Il y a des lumières, des flashs. Bowie chante « We could be heroes just je suis en plein trip. Mais est-ce que je redescendrai un jour ? Nancy est
for a day. » (Nous pourrions être des héros, juste une journée.) Tout le debout devant la porte de la salle de bains, elle me regarde, sa taille nue
monde nous sourit doucereusement. Elle semble être aussi célèbre que je est légèrement distendue sous son T-shirt moulant bleu marine. Son pouce
semble l'être. est enfoncé dans la ceinture de son jean, elle se mord la lèvre inférieure.
« J'ai passé mon adolescence à me masturber en pensant à cette salope, Elle n'est pas sexy. Elle est bizarre et difforme, comme une photographie
caquette un roadie — un des miens ? de Joel-Peter Witkin. Je me lève, je me dirige vers elle. Teresa et Cari sont
- Qui ? je lui demande. assis sur mon lit, ils regardent le film : ils ont totalement oublié notre pré-
-Ça. sence ainsi que le babillage bizarre de Stephen.
- Quoi ça ? La brise fraîche souffle naturellement, en toute logique, par la fenêtre
- Traci Lords, mon sacré salopard. » ouverte de ma salle de bains qui est noire comme du charbon, bien que
À côté de nous, il y a un grand type affalé sur le sol : il a de longs che- les lumières dans ma tête fonctionnent comme un stroboscope. Je cherche
veux noirs, son visage est peint en blanc. Il porte des platform-boots, des en tâtonnant le bord en porcelaine de la baignoire, je m'y assois en essayant
bas résille déchirés, un short en cuir noir ainsi qu'un T-shirt noir en lam- d'empêcher ma tête de tournoyer et de me rappeler ce que je voulais dire
beaux. Il me ressemble, ou bien il ressemble à ma caricature. Je me à Nancy. J'entends de la musique, à présent beaucoup trop forte, beau-
demande si c'est moi. coup trop puissante pour ma salle de bains. Je sens que je tourne de l'œil,
Une grosse fille, avec des tiges et des anneaux en métal enfoncés dans j'essaie de résister.
la moitié de son visage et du rouge à lèvres maculant l'autre moitié, La musique est encore plus forte dans ma tête. « Ce n'est pas ma jolie
remarque que j'observe le grand type. Elle monte, pousse un garde du maison ! Ce n'est pas ma jolie femme ! »
corps trapu — le mien ? — et, tandis que son visage ressemble à un stro- À présent, la musique n'est plus seulement dans ma tête. Ce sont les
boscope grotesque dans la lumière, elle explique : Talking Heads, Once in a Lifetime. Elle m'enveloppe, elle vibre dans mon
« Tu veux savoir qui est ce type ? Personne ne connaît vraiment son dos. Je m'allonge sur le sol, j'essaie de garder les yeux ouverts pour
nom. Il est sans domicile fixe. Il gagne sa vie en faisant le tapin, puis il reprendre conscience.
dépense l'argent qu'il a gagné à essayer de te ressembler. Il vient toujours « Et tu te demandes : "Comment j'en suis arrivé là ?" »
ici, il danse sur tes disques. » Elle — Traci — est penchée sur moi, elle retire ma chemise, décou-
J'écoute à nouveau la musique. Le DJ a mis Sweet Dreams des Euryth- vrant des lacérations en forme de papillon que je ne me connaissais pas.
mies. Mais c'est plus lent, plus sombre, plus vicieux. La voix qui chante Son autre main s'active sur les boutons de mon pantalon. Sa bouche est
est la mienne. J'ai besoin de m'éloigner de cette scène surréaliste, de tous chaude, sirupeuse : je sens le goût de la cigarette et du Jack Daniel's. Elle
ces gens qui me traitent comme si j'étais une sorte de star dont ils pour- commence à faire des choses avec cette bouche, ces petites mains et ces
raient sucer un peu d'intelligence. Traci me prend la main et m'entraîne, ongles rouge grenade que des millions d'hommes regardent depuis des
se déplaçant comme des billes de mercure dans les décombres d'un années sur des vidéos d'occase — des films qui ne m'avaient jamais inté-
immeuble. Nous passons derrière un rideau blanc et vaporeux, jusqu'à ressé, malgré la fascination que j'ai pour sa vie. Elle baisse mon panta-
une pièce vide réservée aux VIP, remplie de sandwiches que personne n'a lon et, en gardant les bras bien croisés, elle enlève son haut. Elle remonte
touchés, et nous nous asseyons. Je tiens quelque chose dans les mains... sa jupe, non pas pour l'enlever, mais pour me montrer qu'elle ne porte
un bout de papier. J'essaie de me concentrer sur l'écriture épaisse et rien en dessous. Je suis cloué sur place. Elle ne semble pas malsaine,
baveuse. « Mon cher et adorable Brian (ça commence comme ça). Je veux comme si elle jouait dans un film porno, même lorsqu'elle me taille une
virer mon petit ami, et je veux que tu viennes habiter avec moi. La semaine pipe. Elle est délicate, protectrice, angélique comme une plume suspen-
dernière, tu m'as dit que tu n'étais pas très satisfait de la manière dont due en plein ciel au-dessus d'un enfer d'abjection et de viandographie. Je
suis bourré, et, l'espace d'une seconde, je suis aussi amoureux. Au tra-
vers du mince rideau de dentelle séparant l'enchevêtrement de langues,
d'ongles et de chair du reste du club, j'aperçois la silhouette du garde du
corps dans les stroboscopes : il garde la porte comme saint Pierre.
« Une fois dans une vie... »
À présent, je m'enfonce en elle. Elle crie. J'attrape ses cheveux, mais
au lieu de longues boucles blondes, je saisis quelque chose de court, de
touffu et rigide qui m'échappe des mains. Mes bras sont vierges de
tatouages, les gémissements, étouffés par ma main, résonnent dans le
silence. Merde, je suis en train de baiser Nancy. Qu'est-ce que je fais ?
C'est le genre d'erreur qu'on ne peut pas oublier. Baiser une psychotique
équivaut à en tuer une. Il y a des conséquences, des répercussions, un
prix à payer. À chaque flash stroboscopique, le visage de Nancy se lève
vers moi tandis qu'elle s'assoit sur la baignoire, en ouvrant et serrant ses
jambes, écumante et humide comme les babines d'un chien affamé. Flash
après flash, son visage devient de plus en plus déformé, tordu, inhumain,
plus... démoniaque. C'est le terme exact. Mon corps continue à bouger,
je la baise fort, mais ma conscience me crie d'arrêter.
C'est bien ça. Je suis baisé. Je nique le diable. J'ai vendu mon âme.

« Et tu dois te demander : "Où mène cette autoroute ?" »


Quelqu'un me mord le cartilage de l'oreille. J'aime ça, je pense que
c'est Traci. Elle attrape mon collier de chien et attire ma tête vers elle. J'ÉTABLIRAI DANS QUELQUES LIGNES COMMENT MALDOROR FUT BON
Son souffle chaud et moite murmure à mon oreille : « Je veux que tu PENDANT SES PREMIÈRES ANNÉES, OÙ IL VÉCUT HEUREUX; C'EST FAIT.
viennes en moi. » IL S'APERÇUT ENSUITE QU'IL ÉTAIT NÉ MÉCHANT : FATALITÉ
La musique s'arrête, les lumières s'arrêtent : je jouis comme un bou- EXTRAORDINAIRE ! IL CACHA SON CARACTÈRE TANT QU'IL PUT,
quet de lys d'un blanc laiteux explose dans une fosse funéraire. Son visage PENDANT UN GRAND NOMBRE D'ANNÉES ; MAIS, À LA FIN, À CAUSE DE
est mort, sans émotion. Ses yeux ressemblent à des lampes de spots grillées. CETTE CONCENTRATION QUI NE LUI ÉTAIT PAS NATURELLE, CHAQUE
Les lumières venaient donc de là ? JOUR LE SANG LUI MONTAIT À LA TÊTE ; JUSQU'À CE QUE, NE POUVANT
« Et tu dois te demander : "Ai-je raison ? Ai-je tort ?" Et tu dois te PLUS SUPPORTER UNE PAREILLE VIE, IL SE JETÂT RÉSOLUMENT
dire : "Mon Dieu ! Qu'est-ce que j'ai fait ?" » DANS LA CARRIÈRE DU MAL... ATMOSPHÈRE DOUCE ! QUI L'AURAIT DIT !
LORSQU'IL EMBRASSAIT UN PETIT ENFANT AU VISAGE ROSE, IL AURAIT
VOULU LUI ENLEVER SES JOUES AVEC UN RASOIR, ET IL L'AURAIT
FAIT TRÈS SOUVENT, SI JUSTICE, AVEC SON LONG CORTÈGE
DE CHÂTIMENTS, NE L'EN EÛT CHAQUE FOIS EMPÊCHÉ.
le démon dans ses yeux. Pourtant, je n'avais pas peur. Nous commen-

PENDANT les semaines qui ont suivi le trip,


je me suis senti déprimé, terrorisé, traqué, pris dans les filets de Nancy.
cions à bien nous connaître.
L'affaire terminée, nous avons rajusté nos robes avant de nous diriger
dans le hall où nous sommes tombés sur Cari, le mec de Nancy, et Teresa,
Je la laissais prendre certaines décisions artistiques pour le groupe et, ma copine. Le temps a semblé s'arrêter pendant cet étrange instant de
pire, je n'arrêtais pas de la baiser dans le dos de Teresa. C'était bon, mais reconnaissance. Personne n'a dit un mot. Nous savions ou croyions savoir.
ce n'était pas ça que je voulais. Cependant, chaque fois qu'on se voyait, Mais quelque chose m'embêtait chez Teresa : depuis le début de notre
elle voulait se mettre à poil. J'étais complètement possédé. Elle me fai- relation, il y avait chez elle un mystère que je n'arrivais pas à percer, comme
sait faire des trucs que je n'aurais pas dû, par exemple reprendre de l'acide. s'il y avait un cadavre enfermé dans le sombre placard de son cerveau.
Cette fois, c'était avant un concert. Elle vivait dans une minuscule maison, avec sa mère qui dormait sur le
J'avais reçu un coup de fil de Bob Slade, un DJ punk-rock de Miami canapé du salon et son frère, une contradiction ambulante. C'était un
avec une coupe au bol à la Monkees. Nous n'avions pas de manager à plouc de routier, constamment saoul, branché culture hip-hop et b-boy.
l'époque, alors je m'occupais de nos affaires, tant bien que mal. En théorie, il aurait dû passer son temps à se casser lui-même la gueule.
« Écoute, m'a-t-il dit de sa voix nasillarde et odieuse d'animateur de Ce n'était jamais très drôle de dormir chez Teresa, car son frère était
radio. On a besoin de vous les mecs au Club Nu en première partie de quelqu'un de violent qui cognait sur sa porte à en faire des trous, et son
Nine Inch Nails. » chien avait des puces, du coup je passais la moitié de la nuit debout, à
Le Club Nu était un bar de camés de Miami que nous haïssions tous. me gratter. Bien qu'il eût mieux valu pour tous les deux que nous nous
J'ai accepté, bien que nous n'ayons que sept morceaux, que Brad soit séparions, j'étais trop instable, j'avais trop peur de me retrouver seul et
toujours en train d'apprendre à jouer de la basse et que Stephen n'ait tou- de ne plus l'avoir pour béquille. Il ne s'agissait pas de sexe, mais de sou-
jours pas acheté de clavier. L'occasion était trop bonne pour la laisser tien — elle payait tout, me conseillait, me traitait comme un enfant et
passer simplement parce que nous avions la frousse. Avant le show, Nancy tolérait mon harcèlement moral. Elle était douce, simple et nourricière,
m'a refilé un acide. Comme si ce fameux 4 juillet n'avait été qu'un mau- exactement ce que je recherchais après mon expérience avec Rachelle qui
vais rêve n'ayant rien à voir avec les drogues, je l'ai coincé sous ma langue avait un cœur de pierre, qui était splendide mais manipulatrice.
sans arrière-pensée — sauf qu'après... Mais lorsque je suis allé voir Teresa chez elle, le jour de la fête des
Sur scène, je portais une robe orange courte et je baladais Nancy avec mères, ses yeux étaient déjà bien cernés : ils semblaient encore plus sombres
sa laisse et son collier habituels. Pour une raison inconnue, je n'ai pas et opaques que d'habitude. Je lui ai demandé ce qui n'allait pas et, après
décollé fort sur l'acide : par contre Nancy... Pendant tout le spectacle, avoir essayé d'éviter de répondre, elle m'a confessé qu'elle était tombée
elle a pleuré et hurlé en me suppliant de la frapper de plus en plus fort, enceinte au lycée, avait accouché, puis qu'elle avait fait adopter l'enfant.
jusqu'à ce que des zébrures apparaissent sur son dos pâle et anémique. Après ces aveux, je l'ai regardée différemment : je remarquais les verge-
Je me voyais faire et j'étais effrayé, mais aussi excité, principalement parce tures sur ses hanches, sa façon de materner tout le monde. Lorsque je
que la foule semblait prendre beaucoup de plaisir à notre drame psy- couchais avec elle, j'avais l'impression de baiser ma propre mère. Même
chédélico-sadomasochiste. si je la trompais avec Nancy, je ne pouvais pas m'empêcher d'être hypo-
Le show terminé, je me suis précipité backstage pour voir Trent Rez- crite et de me sentir rancunier, car comme toutes les femmes avec qui
nor qui, je pense, n'avait pas regardé le spectacle. j'étais sorti — de la prétentieuse Asia à l'infidèle Rachelle — Teresa m'avait
« Tu t'souviens de moi ? » J'essayais de faire comme si je n'étais pas menti et trahi. Depuis ce jour, j'ai toujours l'angoisse que les femmes que
défoncé, bien que mes pupilles ultra-dilatées aient dû me trahir. « Je t'ai je rencontre aient déjà un enfant, ou qu'elles veuillent en avoir un avec
interviewé pour 25th Parallel. » moi. En général, c'est le cas.
Poliment, il a fait semblant de se souvenir de moi, je lui ai donné une J'ai également commencé à remarquer que Teresa et Nancy étaient
bande, puis j'ai filé avant de dire un truc trop stupide. Rendu fou par les reliées par une sorte d'équilibre de leurs deux poids. Teresa grossissait,
drogues, toujours envoûté par Nancy, je suis allé en trébuchant vers un Nancy maigrissait. Ce qui m'envoûtait c'était que Nancy voyait les trous
endroit plus hospitalier du backstage — très probablement la loge de qui parsemaient mon armure et faisait tout pour s'y frayer un chemin
Nine Inch Nails — où elle m'attendait. On a baisé et j'ai à nouveau vu comme la rouille corrosive qu'elle était.
Lorsque je suis redescendu de mon trip d'acide, le lendemain du concert Jamais personne ne m'avait mis dans une telle colère. Elle démolissait
de Nine Inch Nails, j'ai également échappé à l'envoûtement de Nancy. ma vie lorsque nous couchions ensemble, et maintenant que nous avions
J'avais l'impression que, depuis le 4 juillet, je n'avais vécu qu'un long arrêté, elle la détruisait de fond en comble. Toutes les nuits lorsque je ren-
trip. Je m'endormais en colère et troublé, essayant de comprendre ce qui, trais chez moi, de nouvelles menaces de mort m'attendaient. J'avais déjà
les mois précédents, n'allait pas chez moi. Elle m'a appelé en fin d'après- éprouvé tout un tas de sentiments différents envers Nancy : la répugnance,
midi. Je venais juste de me réveiller avec dans la tête le refrain de la pire la peur, le désir, l'ennui, l'exaspération et la certitude que toutes les filles
des chansons que j'ai pu écrire : « Ce n'est pas ma petite amie/Je ne suis qui m'aimaient devaient être folles. Mais ils étaient à présent supplantés
pas celui que tu crois. » Elle a attaqué avec son discours de merde habi- par une haine sombre, profonde et lancinante, une haine au vitriol qui
tuel comme quoi elle allait mettre Cari dehors pour m'installer chez elle. bouillonnait dans mes veines à chaque fois que son nom était prononcé.
Mais cette fois-ci, ça n'a pas pris. J'ai fini par l'appeler et je n'y suis pas allé par quatre chemins.
« Non, jamais ! j'ai explosé. Ce ne sont que des conneries. Première- « Non seulement tu feras plus jamais partie du groupe, mais si tu
ment, ce truc avec le groupe, c'est ter-mi-né. Je te vire. quittes pas la ville, je te fais descendre. »
- Mais c'est aussi mon groupe, a-t-elle insisté. Je n'exagérais pas : j'étais fou furieux, je n'avais rien à perdre et j'étais
- Non, c'est MON groupe. Ça n'a jamais été ton groupe. T'as même tellement emberlificoté dans cette situation que je ne voyais pas d'issue.
jamais fait partie du groupe. Tu es un extra, un accessoire, et j'apprécie Ce n'était pas seulement Nancy et sa ressemblance avec John Crowell ;
ce que tu as fait pour nous sur scène, mais c'est le moment de te barrer. cela venait aussi de moi, je perdais ma personnalité en haïssant les gens
- Mais... et nous ? Enfin qu'est-ce qu'on va... qui, pensais-je, essayaient de la détruire.
- Non. C'est fini aussi. Quoi qu'il se soit passé, c'était une erreur. Cela faisait un moment que je n'avais plus trop de respect pour la vie.
C'est terminé maintenant. Teresa est et restera ma petite amie. Je suis Je l'avais compris quelques semaines auparavant en sortant du Reunion
désolé si je me comporte comme un salopard, mais tout est terminé. » Club, lorsque, en traversant la rue, j'avais été témoin d'un accident de la
Alors, elle est devenue dingue, encore pire que lorsqu'elle était sous circulation. Un homme entre deux âges était sorti en trébuchant d'une
acide la nuit précédente. Elle a hurlé et pleuré jusqu'à s'enrouer, me trai- voiture — une Chevrolet Celebrity bleue — en se tenant la tête et en hur-
tant de tous les noms qui lui passaient par la tête. La conversation s'est lant au secours. Il titubait dans la rue, désorienté, en état de choc, puis il
achevée alors que j'essayais de la convaincre de ne rien dire de notre his- a lâché son front. La peau recouvrant son crâne lui est tombée sur le
toire ni à Cari ni à Teresa. Elle a accepté. Mais, quelques heures plus tard, visage et il s'est écroulé dans la flaque formée par son propre sang, pris
Teresa m'appelait. de tremblements et de convulsions jusqu'à ce que la mort le fauche et
« Écoute ça », m'a-t-elle dit en posant le combiné près du répondeur. l'apaise. En arrivant de l'autre côté de la rue, là où l'autre véhicule s'était
Il y avait un message de Nancy qui hurlait si frénétiquement qu'il était écrasé, j'ai vu une femme, étendue sur le sol, le crâne fendu en deux. Elle
difficile de tout saisir. souffrait, c'était clair, mais semblait calme et consciente, comme si elle
« Salope... quel bordel t'as... je te l'avais dit... jamais... je vais te avait compris qu'elle allait quitter ce monde. Au moment où je suis passé
tuer... si je te vois... te brise... j'étends ta sale... bordel... du sang par- à côté d'elle, elle a lentement tourné la tête vers moi en me suppliant de
tout sur les murs (clic). » la soutenir. « Je vous en prie... quelqu'un... » Elle implorait tout en trem-
À partir de là, ça a été le cirque. Nancy appelait les clubs pour blant. « Où suis-je ? Ne dites rien à ma sœur... s'il vous plaît. Aidez-moi. »
annuler les concerts de Marilyn Manson and the Spooky Kids ; elle venait Je voyais l'humanité et le désespoir dans ses yeux noisette. En fait, elle
à nos shows, menaçait les spectateurs, et allait jusqu'à monter sur scène avait juste besoin d'un simple contact physique, nourricier, avant de mou-
pour agresser Missi, la fille qui l'avait remplacée. Elle appelait tous ceux rir. Mais j'ai poursuivi mon chemin. Cela ne me concernait pas, et je ne
que je connaissais pour leur dire que j'étais un salopard et elle s'est mise voulais surtout pas être concerné. J'avais l'impression d'être déconnecté,
à me laisser des messages et des paquets obscènes. Un matin, j'ai trouvé comme au cinéma. Je savais que je me comportais comme un salopard,
devant ma porte un collier qu'elle m'avait emprunté. Il avait été brisé en mais je me demandais si elle — ou n'importe qui d'autre — se serait arrê-
mille morceaux et recouvert d'un truc qui ressemblait à du sang, le tout tée si j'avais été à sa place. Auraient-ils eu peur pour eux-mêmes ? Peur
rituellement assemblé dans un bocal scellé à l'aide de cheveux. Le frère de tacher leurs vêtements avec mon sang, peur d'arriver en retard à un
de John Crowell aurait pu lancer ce genre de malédiction. rendez-vous, peur d'attraper le sida, une hépatite ou un truc pire encore.
En ce qui concernait Nancy, d'un côté je pensais que ce n'était pas Elle vivait dans un quartier de la ville du nom de New River, sous un
correct de prendre une vie humaine, d'un autre je pensais que ce n'était pont où squattaient la plupart des sans-abri de Fort Lauderdale. Nous
pas correct de me refuser une pareille occasion de tuer quelqu'un, si cette étions près de sa maison, lorsqu'un vagabond noir s'est mis à nous cou-
existence n'avait aucun intérêt, ni pour le monde, ni pour elle-même. À rir après. Son haleine fétide nous avait déjà signalé son arrivée. Il portait
cette époque, il me semblait que voler la vie de quelqu'un pouvait être une énorme bague dorée qui courait sur ses articulations et où était ins-
une expérience initiatique, nécessaire, un peu comme la perte de son puce- crit son nom, Hollywood, et il ne cessait de nous dresser la liste des drogues
lage ou avoir un enfant. Je commençais à réfléchir aux différentes façons qu'il avait à vendre. Il ressemblait à Frog, le môme qui m'avait agressé
dont je pourrais me débarrasser de Nancy en prenant le minimum de sur la piste de skate, ce qui a eu pour effet de démultiplier ma colère, ma
risque. Est-ce que je connaissais quelqu'un qui avait suffisamment tou- haine et ma détermination à tuer cette fille.
ché le fond pour accepter de la tuer pour cinquante dollars ? Est-ce que Mais Hollywood ne nous lâchait pas. Il nous a suivis jusqu'à la porte
je devais le faire moi-même, par exemple en la poussant dans un lac et de Nancy. Avec Pogo, on s'est regardés. On n'avait pas envisagé la pré-
faire croire à un accident ? Ou bien m'introduire discrètement chez elle sence d'un témoin dans cet endroit désert. Dans notre regard, il y avait
pour empoisonner sa nourriture ? C'était la première fois que j'envisa- un point d'interrogation. Fallait-il le tuer lui aussi ? Fallait-il abandon-
geais sérieusement de commettre un meurtre. Je ne savais pas quoi faire. ner notre projet pour cette nuit ?
Alors, j'ai appelé le seul, parmi mes connaissances, expert en ce domaine : On a décidé de faire le tour du pâté de maisons pour ne pas faire voir
Stephen, notre clavier, que nous appelions à présent Pogo parce que ni que nous allions chez Nancy. Mais il continuait à nous coller aux bas-
Madonna ni Gacy ne correspondaient à sa personnalité, et Pogo était le kets pour essayer de nous vendre du crack. Si, à cette époque, j'avais su
surnom de clown de John Wayne Gacy. de quoi il s'agissait, j'aurais certainement accepté son offre.
J'ai demandé à Pogo tout ce qu'il fallait savoir sur la façon de com- Souain des sirènes ont retenti. Deux véhicules de pompiers nous ont
mettre un meurtre et de faire disparaître un corps. Je ne voyais pas d'autre dépassés, suivis par une voiture de police et une ambulance. On était si
solution. Il fallait qu'elle meure. Dans ma tête, elle était devenue le sym- bien encerclés qu'on a immédiatement fait demi-tour, plantant là Holly-
bole de LA personne qui essayait de me possé- wood, Nancy et New River, vivants et indemnes.
der et d'avoir une emprise sur moi, que ce Je me suis toujours demandé si Hollywood n'avait pas été une sorte
soit par la religion ou par le sexe. Je de messager, de présage m'indiquant que j'avais mieux à faire. Après cette
tenais à me venger — une sorte de fameuse nuit, je suis devenu trop paranoïaque pour tuer Nancy, surtout
compensation — en souvenir du petit par peur de me faire prendre et de finir en prison. J'ai pris conscience que
garçon qu'ils avaient perverti et j'avais dit du mal d'elle à pas mal de gens, et même si, avec Pogo, nous
détruit. Pogo et moi, on s'est mis à étions capables de monter un plan d'enfer, nous ne serions jamais à l'abri
réfléchir méticuleusement à l'ac- des éléments extérieurs comme des patrouilles de police. Du coup, je cher-
complissement de cette tâche. Nos chais un moyen pour blesser Nancy de manière que personne ne remonte
complots ont abouti au crime par- jusqu'à moi. Dans mes moments de lucidité et de malveillance, j'imagi-
fait : nous ne laisserions aucun nais comment l'anéantir, lui faire mal, la faire disparaître de Fort Lau-
indice, nous ne serions pas soupçon- derdale et de ma vie. Je parcourais les rues, enveloppé dans un nuage de
nés et cela passerait pour un accident. haine. Pour lui jeter un sort, je n'avais besoin ni de Satan ni du Necro-
On l'a suivie, on a surveillé sa maison pour nomicon : j'avais en moi la force nécessaire. Le lendemain après-midi,
bien connaître ses habitudes, avant de trou- j'ai appelé Cari (son seul et dernier ami) pour lui dire qu'elle le laissait
ver la solution : l'incendie criminel. tomber. Nancy a alors disparu de la circulation.
Ce jeudi soir-là, Pogo et moi, on s'est habillés en noir (comme d'ha- Au lieu de m'en vouloir, Cari a essayé de m'égaler. Peut-être refusait-
bitude). On a pris un sac en bandoulière contenant un bidon d'essence, il de voir que j'avais couché avec sa petite amie. Estimant que Nancy était
des allumettes et des chiffons. On a bu plusieurs verres au Squeeze. Avant folle, Teresa a été assez stupide pour me pardonner. Toute cette histoire
de quitter la boîte, j'ai téléphoné chez Nancy pour être sûr qu'elle était aurait pu bien se terminer, mais je commençais à me poser des questions
bien là. Dès qu'elle a décroché, j'ai raccroché. C'était parti. sur le temps que Carl et Teresa passaient ensemble.
Un après-midi, j'ai montré à Teresa un dessin que j'avais fait pour une
cassette démo : ce dessin représentait un arbre tordu et noueux qui sem- de nos concerts en compagnie
blait sorti du Magicien d'Oz. Quelques jours plus tard, des affiches annon- de Brad. C'était un bon truc
çant le concert d'un autre groupe étaient placardées dans toute la ville pour rencontrer des filles,
avec, dessus, exactement le même arbre. J'étais furieux : comment Teresa car, si on leur plaisait, elles
(qui commençait à me fatiguer en général) avait-elle pu refiler l'idée à savaient où nous trouver.
Cari ? J'étais tout aussi dégoûté par le comportement flagorneur de Cari Mais, avec Missi, ça ne
Je me suis arrangé pour qu'ils soient tous les deux présents au concert s'est pas passé comme
suivant au cours duquel j'ai interprété Thingmaker, une longue diatribe ça. On a échangé nos
au cours de laquelle j'expliquais que j'en avais marre qu'il essaie de m'imi- numéros de téléphone
ter et surtout de me piquer mes idées. Mais le vol ne s'est pas arrêté là : et deux soirs après,
il a commencé à sortir ouvertement avec Teresa peu de temps après une nous étions assis sur la
abomination qui continue encore aujourd'hui. Frustré et trahi, le jour de plage en train de boire de
mes vingt et un ans, je suis allé me faire faire mes premiers tatouages : la Coït 45 par litres entiers.
une tête de chèvre sur un bras et, sur l'autre, le même arbre que celui qu'il Je lui ai parlé de mes projets
avait plagié. Une sorte de dépôt légal. pour le groupe. Elle m'a écouté
Pendant quatre ans, je n'ai plus vu Nancy : j'entendais juste parfois attentivement, comme elle allait
parler d elle et, un soir, je l'ai revue au Squeeze. Mon premier réflexe a le faire pendant des années.
été de faire la paix avec elle. Elle était seule et, à chaque fois qu'elle pas- Dans un premier temps, j'étais trop
sait devant moi, elle projetait violemment son corps contre le mien sans instable pour rompre avec Teresa ; Missi MISSI
dire un mot. Ma petite amie, qui devait encore être en primaire lors de et moi sommes d'abord devenus amis. Je
mes déboires avec Nancy, était d'un caractère jaloux et en a vite eu marre n'avais pas de voiture, pas de boulot, pas trop de vie, alors elle passait
<< La prochaine fois qu'elle fait ça, je lui botte le cul », m'a-t-elle dit me prendre et nous allions au ciné, pendant que Teresa travaillait au res-
après la quatrième provocation. taurant.
Lorsque Nancy est repassée devant nous, ma copine lui a barré la Cet hiver-là, notre amitié s'est transformée en une relation plus intime
route en lui hurlant en pleine face : « C'est quoi ton problème, espèce de et j'ai demandé à Missi si elle accepterait de faire partie du show. Dès nos
grosse salope ? » Nancy a attrapé une bouteille qu'elle lui a brisée sur la tout premiers concerts, nous avions pris l'habitude d'appeler l'arrière de
tête. Ma copine devait avoir une certaine habitude de ce genre de situa- la scène le « terrain de jeu de Pogo » : il y entreposait des tas de gadgets
tion car e e n'a pas paru sidérée. Elle m'a arraché ma bague à griffes artisanaux, des trucs en tout genre, dont des instruments de torture. Parmi
avec laquelle elle a frappé Nancy cinq fois de suite en pleine figure Elle ceux-là, il y avait une grande cage à lion rectangulaire, sur laquelle il
a frappé si fort que je suis étonné qu'elle n'en porte pas de traces aujour- posait toujours son clavier. Il avait appris à en jouer en moins de temps
d'hui. Comme je commençais à avoir le bras long, les videurs ont éjecté qu'il n'avait fait les économies pour l'acheter. La première fois que Missi
Nancy de la boite. La haine enfouie est remontée à la surface : je me suis est montée sur scène avec nous, on l'a enfermée dans la cage en compa-
mis en tête de lui faire un truc odieux qui la poursuive longtemps, mais gnie de poulets. Elle était merveilleuse : une fille de dix-huit ans aux longs
impossible de découvrir où elle habitait. cheveux bruns, pâle, topless, juste vêtue de sous-vêtements blancs, avec
les plumes d'une demi-douzaine de poulets qui volaient autour d'elle.
Missi, la remplaçante de Nancy, n'a pas seulement comblé le vide laissé
par Nancy sur scène, mais également dans ma vie. Je l'ai rencontrée au
moment ou le psychodrame avec Nancy était à son paroxysme : c'était
a l'entrée d'un concert de Amboog-A-Lard au Button South, une salle
spécialisée dans le heavy metal où il doit encore être cool d'apprécier des Lorsque le public s'est aperçu que Nancy avait quitté le groupe, des
groupes comme Slaughter ou Skid Row. Je distribuais des flyers pour un dingues ont débarqué de toute la Floride pour faire partie du spectacle.
Nous les laissions faire. Il arrivait que nous les embauchions juste pour
provoquer : par exemple, nous avions deux énormes femmes nues qui, Sur scène, seuls les droits de l'homme étaient violés — nous-mêmes, les
s'inspirant du film de John Waters Pink Flamingos, se pelotaient dans un filles que nous enfermions dans des cages, les fans —, mais ça, personne
parc à bébés. Parfois, nous trouvions un thème pour le show. Au cours ne s'en souciait.
d'un de nos concerts, une fille est montée sur scène avec des bigoudis Chaque concert était une nouvelle performance artistique. Les clubs
dans les cheveux et un oreiller planqué sous sa chemise pour faire croire nous engageaient surtout pendant les vacances et on essayait de se renou-
qu'elle était enceinte. Elle était debout devant une planche à repasser, et veler à chaque fois. Pour le jour de l'an, au cours de la première partie,
pendant que nous jouions, elle défroissait un drapeau nazi. Un peu plus je portais un smoking et un haut-de-forme. Pour la seconde, une fille du
tard au cours du show, elle s'est vautrée sur la table à repasser et a mimé nom de Terri s'est habillée comme moi, perruque noire, smoking, haut-
un avortement. Puis elle a enveloppé un faux fœtus dans le drapeau à de-forme et godemiché très réaliste scotché autour de sa taille. Lorsqu'elle
croix gammée et l'a présenté en offrande à une télévision allumée devant est montée sur scène, tout le monde a cru qu'il s'agissait de moi, la bite
elle. C'était tout simplement pour faire comprendre que la télévision est à l'air, ce qui n'était pas vraiment une nouveauté. Tandis que le groupe
un moyen de communication fasciste, et que la famille américaine moyenne balançait Cake and Sodomy, j'ai rampé vers elle et je lui ai taillé une pipe.
sacrifie ses enfants devant l'autel de cette baby-sitter bon marché et C'est peut-être ce soir-là que la rumeur est née, comme quoi je m'étais
ennuyeuse à mourir : ou du moins nous essayions de le faire comprendre. fait retirer des côtes afin de me sucer tout seul.
Les shows ne se déroulaient pas tous comme prévu. Au cours d'un de Le 14 février, avec Missi, on a essayé de se faire arrêter dans une boîte
nos premiers concerts à Tampa, nous avions rempli une boîte géante avec du coin, afin de passer la Saint-Valentin en prison. La boîte appartenait
500 grillons dont je voulais me recouvrir le corps. Mais, lorsque j'ai ouvert à un type de la mafia qui croulait sous les bijoux en or et dont les employés
la boîte, ils étaient tous morts. La puanteur qui s'en dégageait est une des avaient tous des casiers judiciaires beaucoup plus longs
odeurs les plus rances que j'aie jamais respirées, et cette odeur a impré- que notre play-list. Ce soir-là, les flics étaient partout :
gné mes mains aussi longtemps que celle de la chatte de Tina Pott. J'ai Missi est arrivée, topless, avec un loup sur le visage.
instantanément vomi, tout comme la demi-douzaine de personnes col- Cette fois, j'étais du bon côté de la pipe. J'ai provo-
lées à la scène (dont Jeordie White, notre futur bassiste). J'avais com- qué les flics en leur demandant de m'arrêter au nom
mencé le concert sans idée particulière en tête, j'en tenais une pour finir : des lois en vigueur en Floride. Mais ils ne l'ont pas
le dégoût est contagieux. fait. Ils avaient la patte trop bien graissée.
Les défenseurs des droits des animaux s'acharnaient constamment Missi s'est révélée une parfaite collaboratrice,
contre nous; d'ailleurs, ils ne nous ont jamais lâchés. Pourtant, à part le même en dehors de la scène. (Comme la fois où
malheureux incident des grillons, nous n'avons jamais tué aucun animal elle avait frappé Nancy au Squeeze.) Notre rela-
— juste des effigies d'animaux. Lors d'un de nos spectacles les plus humo- tion est devenue intime au mois de décembre :
ristiques, il y avait une vache grandeur nature que nous avions mis une j'étais déterminé à changer de conduite et, pour
semaine à construire avec du papier mâché et du grillage. Influencé par une fois, à être fidèle. Surtout qu'au départ, à la
Willy Wonka, Apocalypse Now et un des magazines zoophiles de Grand- différence de mes autres relations amoureuses, celle-là était basée sur une
père, j'ai enfoncé mon poing dans le cul de la vache pour en extirper des solide amitié. Étant aussi plus âgé, je me sentais obligé de l'éduquer et de
litres de chocolat dont j'aspergeais les spectateurs tandis que Pogo jouait la façonner comme si elle était ma protégée.
un sample des déclamations de Marlon Brando dans Le Dernier Tango Notre relation a débuté à peu près au moment des meurtres de Gai-
à Paris : « Tant que tu n'es pas dans le cul de la mort, bien profond, vas- nesville, lorsque huit lycéens ont été poignardés. À la suite de cette his-
tu trouver les entrailles de la peur? Et alors, peut-être... » Pour contra- toire, j'ai pris des photos de Missi, nue, recouverte de sang, exactement
rier davantage les défenseurs des droits des animaux, on a acheté des comme si elle venait de se faire brutalement égorger. J'ai fait des pola-
chats et des cochons articulés qui réagissent au son de la voix et on a roïds de ses tétons, de sa chatte, de sa bouche — comme si tout son corps
pendu au-dessus de la scène des sacs-poubelle remplis d'intestins : les tailladé trempait dans le sang. Sur certains clichés, je lui ai recouvert la
jouets bougeaient de façon spasmodique, au rythme de la musique, presque tête avec un sac en plastique noir pour faire croire qu'elle avait été
comme des êtres vivants, le sang coulait. Les militants pensaient que nous asphyxiée, ou bien je lui dissimulais la tête à l'aide d'une étoffe également
torturions les animaux, alors qu'en fait, c'était eux que nous torturions. noire et je lui grimais le cou pour faire croire qu'elle avait été décapitée.
Nous laissions nos clichés dans les restaurants ou dans les bus, là où les tout celles fréquentées par des enfants, comme Toys « R » Us et Disney
gens pouvaient tomber dessus et agir selon leur conscience. World. Un jour, j'ai débarqué à Disney World en compagnie de Missi et
Nous avions quand même un problème : nous ne pouvions pas voir Jeordie après avoir acheté de nouveaux jouets dans un magasin de farces
le résultat de nos travaux. Nous avons donc imaginé de nouvelles farces et attrapes, un flingue qui lançait des flammes au niveau des paumes, une
lorsque nous avons remarqué que des gens installaient des crèches sur lame de rasoir attachée à un tube rempli de sang, de quoi faire de fausses
leur pelouse à l'époque de Noël. Malgré mon animosité envers tout céré- blessures. Étant tous trois sous acide, nous étions certains que tous les
monial religieux, j'ai toujours aimé Noël, sans doute parce que mes parents gens présents dans le parc faisaient partie des services secrets. Ils sem-
m'ont élevé dans une tradition laïque (le seul geste religieux qu'ils aient blaient tous parler dans leur barbe, comme s'ils transmettaient nos
accompli, c'est de m'inscrire dans une école religieuse), si bien que je n'ai moindres faits et gestes à leur quartier général, alors qu'en fait ils essayaient
jamais fait l'association entre Noël et la naissance du Christ. Ça voulait d'éloigner leurs enfants. Nous étions persuadés qu'ils savaient tous que
dire accrocher des merdes dans un arbre, recevoir des cadeaux et regar- nous avions pris du LSD. Cela s'est confirmé (du moins dans nos têtes)
der les rues entrer dans un chaos de lumières et de décorations. lorsque, en plein milieu du circuit dans la maison hantée, les voitures ont
Quelques jours avant Noël, je suis allé avec Missi à l'épicerie Albert- calé et une voix a annoncé : « Faites bien attention qu'il n'y ait pas d'es-
son qui, entre une heure et trois heures du matin, est surtout fréquentée pions dans vos buggies », ce qui nous a semblé être une allusion directe
par des adolescents qui viennent chercher du matériel pour réussir leurs à Dune Buggy, l'un des titres de Marilyn Manson and the Spooky Kids.
sales coups. J'avais les moyens de me payer tout ce que je voulais, mais Lorsque le buggie est reparti dans un sursaut, ils ont clamé (ou nous avons
je préférais voler, uniquement pour montrer que j'étais plus fort que les cru entendre) : « Profitez bien de la fin de votre trip. » Juste après, on
trous du cul qui travaillaient dans ce magasin. Par ailleurs, j'ai toujours s'est arrêtés dans un zoo rempli d'animaux familiers et, tandis que Jeor-
pensé que le vol à l'étalage devrait être puni par la peine de mort, car die essayait d'engager la conversation avec des poulets, je suis resté, pen-
c'est tellement facile, et si on est suffisamment stupide pour se faire prendre, dant au moins une heure, captivé devant l'énorme chatte palpitante d'une
on ne mérite que d'être exécuté. truie, rosé et recouverte de boue, qui n'était pas sans ressemblance avec
Cette nuit-là, nous avons volé des cisailles et des spots. Nous avons celle que j'ai chevauchée quelques années plus tard dans la vidéo de Sweet
fait le tour du quartier dans le pick-up de Missi, en s'arrêtant devant Dreams.
toutes les pelouses où il y avait une crèche pour y voler deux choses : le Dans un de ces mondes imaginaires de plastique, des dizaines de familles
petit Jésus et le roi mage africain. Notre but était de saboter un maxi- étaient assises autour de tables de pique-nique, heureux et satisfaits d'y
mum de crèches dans un seul quartier pour qu'on croie à une conspira- rogner leurs cuisses de dinde géantes. La scène ressemblait à un rite bar-
tion. Ensuite, on avait prévu d'envoyer dans chaque maison un message bare célébrant le carnassier, situation d'autant plus ironique que des
de rançon censé provenir d'un groupe bidon de militants noirs. Son pigeons et des mouettes planaient au-dessus de leurs têtes, inconscients
contenu était : « L'Amérique a truqué et figé la sagesse de l'homme noir du carnage perpétré juste en dessous sur leurs frères de sang. Je ne suis
par une propagande raciste à l'occasion de ce qu'elle appelle son "Noël pas végétarien, mais ce spectacle joyeusement violent m'a semblé déplacé
Blanc". » Le seul problème, c'est que personne n'a prêté attention et qu'il et écœurant. Du coup, je me suis dirigé vers un couple de jumeaux, habillés
n'y a même pas eu une ligne dans les journaux. pareils, qui semblaient tout droit sortis de Children ofthe Damned. Tan-
Le Noël suivant, on a décidé de faire un truc encore plus blasphéma- dis qu'ils étaient assis là, dévorant leur cuisse de dinde, je me suis posté
toire et, pour ça, on a acheté chez Alberston un lot d'énormes jambons en face d'eux, j'ai retiré mes lunettes de soleil pour leur montrer mes yeux
salés. Malheureusement, ils étaient trop gros pour qu'on puisse les voler, vairons, je leur ai décoché un sourire aussi funeste qu'il m'était possible
mais j'étais toujours prêt à payer pour faire évoluer mon art. On les a dans mon état et j'ai sorti mon rasoir pour me taillader le bras. J'ai laissé
déballés, puis on est retournés devant les mêmes maisons, pour rempla- le sang couler de mon poignet et goutter sur les tickets usagés et le pop-
cer les petits Jésus par la viande en train de pourrir. Spectacle magnifique, corn qui traînaient par terre. Ils ont laissé tomber leur viande, avant de
surtout lorsque, avec les jambons qui nous restaient, on a saboté les scènes se sauver en courant et en hurlant, pendant que je poursuivais mon che-
de nativité dans les églises du coin et, dans un coup de grâce symbolique, min, grisé par mon exploit, car il n'y a pas de meilleure sensation dans
on a laissé de la viande de porc dans la crèche du poste de police local. la vie que de savoir que vous avez modifié la vie de quelqu'un, même si
Peu d'entreprises du sud de la Floride ont échappé à nos frasques, sur- le résultat est une fortune dépensée en thérapie.
Le lendemain sur la route de Fort Lauderdale, on est passés devant le repas. Mais c'était un peu comme l'histoire du chaudron d'or au bout de
Reunion Room, au carrefour même où j'avais vu l'accident de voiture. l'arc-en-ciel, il n'a jamais pu mettre la main dessus, si tant est qu'il ait
Il y avait un manifestant anti-avortement, un type squelettique aux che- jamais existé.
veux gris, habillé d'une chemise d'ouvrier à manches courtes avec un Jeordie et moi avons aussi découvert que nous avions flashé sur la
marcel dessous, et d'un bleu de travail. Tel un vieux travailleur en grève, même fille, une brunette un peu chaude qui ressemblait à une de ces filles
il passait ses après-midi à déambuler dans le quartier et, au lieu d'arbo- qui travaillent au centre commercial. Et c'était le cas — elle bossait à la
rer une pancarte pour demander une augmentation de l'allocation santé, pagode du piercing. Mais elle ne voulait rien savoir de nos sentiments,
la sienne était décorée de photos de fœtus après avortement. Il sermon- quelle que soit la partie de notre corps que nous lui demandions de per-
nait haut et fort tous ceux qui voulaient l'entendre, en leur expliquant cer. Mon naturel est immédiatement revenu au galop et j'ai utilisé toutes
que tuer un fœtus menait directement en enfer. mes ruses habituelles et déviantes pour capter l'attention des filles : une
Encore sous la malveillante influence des substances avalées la veille, méchanceté agrémentée d'une attitude stupide. Tous les jours pendant
aussi hideux, pâles et sales que des cadavres, on s'est garés en lui deman- près d'un mois, Jeordie et moi, on se retrouvait près d'une cabine télé-
dant de s'approcher de la voiture. Croyant qu'il allait trouver quelqu'un phonique située à deux pas de la pagode, où nous pouvions la voir sans
avec qui discuter de son point de vue sur la damnation, il s'est approché être vus. Au début, nos appels n'étaient pas méchants. Mais ils sont rapi-
de nous. Lorsqu'il a été assez près pour nous voir à travers la vitre ouverte, dement devenus de plus en plus mesquins. « On t'a à l'œil... » et autres
je lui ai tendu la main. « Aujourd'hui j'ai parlé avec le diable, et il m'a menaces proférées au pic de notre désir sous un masque de rancune. « T'as
dit de te saluer. » En grognant, j'ai tiré un pétard dans sa direction. Quand pas intérêt à quitter ton boulot ce soir, parce qu'on va te violer dans le
il lui a éclaté au visage, il a poussé un hurlement impie, a jeté sa pancarte parking et puis t'écraser avec ta propre voiture. » Je savais ce qu'elle
en l'air avant de partir en courant. Je ne l'ai plus trop revu dans les parages devait ressentir, car c'était le genre de message que Nancy me laissait.
après cela. Avec le recul, je pense que je lui ai rendu service, car il a dû
devenir un héros populaire dans l'église de son quartier ; tout le monde
sait bien que, comme Job, il faut être sacrement saint et vertueux pour
mériter l'attention du diable.
Même si Jeordie ne faisait toujours pas partie du groupe, on est deve- Jeordie tournait en rond avec les Amboog-A-Lard, car il était le seul
nus de plus en plus proches. Nous étions liés par la musique, nous ado- à avoir une véritable présence sur scène et un peu plus d'ambition que de
rions faire des ravages, nous étions tous les deux obsédés par les vieux n'être qu'une version lourdingue de Metallica. Je lui avais toujours dit
jouets d'enfants, particulièrement les produits dérivés autour de Star que je voulais qu'il fasse partie des Spooky Kids, et il m'avait toujours
Wars, Drôles de dames et Kiss. J'avais déjà parlé plusieurs fois avec Jeor- répondu qu'il se sentait plus proche de mon groupe que du sien. Mais
die, mais nous sommes devenus amis à un concert que je donnais avec j'avais tous les musiciens dont j'avais besoin, et il était coincé avec Amboog-
Pogo. J'avais à la main un de ces fameux paniers-repas en métal de ma A-Lard, dont les membres commençaient à se retourner contre lui, car il
collection, lorsque Jeordie s'est précipité pour me dire : « Je connais un nous ressemblait un peu trop. Du coup, on a dû se contenter de projets
type qui en a plein. Si tu veux, je t'emmène chez lui. Il a des tonnes de parallèles comme Satan on Fire, un faux groupe de Christian death mrtal
paniers-repas. » On a échangé nos numéros de téléphone, et le lendemain dans lequel nous jouions des titres comme Mosb for Jesus. Notre but était
il me conduisait dans un magasin tenu par un mastodonte à la gueule d'infiltrer la communauté chrétienne (un fantasme que j'ai toujours), mais
d'assassin, du nom de John Jacobas. Sa boutique était un paradis rempli la boîte chrétienne du coin n'a jamais voulu nous signer.
de figurines Star Wars, de poupées Mohammed Ali, de singes en peluche Sans doute parce qu'il ne pouvait pas faire partie de Marilyn Manson
articulés et rouilles qui jouaient des cymbales et, également, d'un tas d'ob- and the Spooky Kids, Jeordie a fini par provoquer lui-même le grabuge
jets nazis dont il devait tirer la majorité de ses revenus. Il se contentait à la fin de nos concerts les plus importants. Nous jouions dans un club
de vous regarder, d'évaluer à quel point vous désespériez d'acquérir un du nom de Weekends situé à Boca Raton, l'équivalent de Beverly Hills
objet, puis annonçait le prix le plus haut qu'il pensait que vous pouviez en Floride : la salle était remplie de riches filles de Boca, de sportifs conser-
mettre. C'était un vrai professionnel et il m'a attiré plusieurs semaines vateurs et d'une section rebelle de piètres surfeurs. Tandis que nous jouions,
de suite en me promettant d'apporter son trésor en matière de paniers- Jeordie grimpait sur la scène et baissait son pantalon, rien de plus nor-
mal chez lui. Bien qu'il se soit toujours foutu que les gens le prennent pour me murmurer des conseils dans le genre : « Vous savez quoi les mecs,
pour une fille, il avait parfois besoin de prouver qu'il n'en était pas une. vous devriez jouer un peu moins fort, ça vous permettrait d'aller aux
Le seul truc curieux, c'est qu'il n'a pas essayé de mettre le feu à ses poils Slammy Awards. Et même que vous pourriez être à l'affiche avec les
pubiens, comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il baissait son froc Amboog-A-Lard, ces mecs qui font du boogie. » (Les Slammy Awards
en public sans avoir de relation sexuelle. Puisqu'il était à côté de moi et sont, en Floride, les récompenses du hard-rock.)
que j'avais une main libre, j'ai commencé à le branler. Les snobs de Boca La seule chose qu'on lui ait concédée a été de réduire notre nom à
étaient atterrés et c'est depuis cette période que tout le monde croit que Marilyn Manson et de virer notre boîte à rythmes pour la remplacer par
nous sommes un couple gay. On a fait de notre mieux pour laisser cou- un vrai batteur. La seule personne qui s'est présentée aux auditions s'ap-
rir et entretenir cette rumeur. pelle Freddy Streithors, un petit bonhomme boitillant. Notre guitariste,
Au cours d'un autre show, Jeordie a amené son petit frère de dix ans. Scott Putesky, a insisté pour que nous l'engagions, car ils avaient joué
Pour qu'il puisse entrer dans la boîte, on a affirmé qu'il faisait partie du ensemble dans un groupe pop efféminé : India Loves You. Comme à peu
spectacle et on l'a installé dans la cage du clavier de Pogo. Derrière lui, près tous les membres du groupe, Freddy a bientôt eu plusieurs surnoms.
Missi, attachée à une croix, ne portait qu'un masque noir et tenait une Sur scène, il s'appelait Sara Lee Lucas. Entre nous, nous l'appelions Freddy
pinte de sang. Je voyais en cette scène l'illustration que l'humanité n'a the Wheel. Ce nom nous avait été inspiré par une de nos premières grou-
pu naître dans l'espoir de l'innocence et de la rédemption qu'en traver- pies, Jessicka. Elle a, par la suite, monté un groupe, Jack and Jill, que j'ai
sant de telles horreurs et de telles violences. Le mythe de la crucifixion pris sous mon aile, avec lequel j'ai joué quelquefois, et que j'ai rebaptisé
chez les chrétiens ne semblait pas très éloigné de certains sacrifices païens Jack Off Jill. Adolescent, Freddy avait eu un accident et, à la suite de son
au cours desquels les gens pensaient qu'ils pouvaient améliorer leur sort hospitalisation, les muscles s'étaient atrophiés à tel point que sa jambe
en versant le sang des autres, concept qui me plaisait tout particulière- s'était déformée. En fait, il avait appris à jouer de la batterie au cours de
ment depuis que j'avais envie de savoir Nancy morte. À la fin du show, sa rééducation.
le frère de Jeordie avait une telle envie d'ajouter sa touche à notre per- Freddy était un brave type et je ne l'ai jamais traité différemment des
formance artistique qu'il est sorti de la cage et a montré ses fesses au autres. Mais je m'en veux de l'avoir poussé à mieux jouer — c'était un
public. Ce show a créé une autre légende persistante autour de nous, celle batteur merdique, et à part Scott, tout le monde s'en rendait compte. Jes-
qui prétend que nous exhibons des enfants nus sur scène. sicka, elle, n'avait aucun scrupule à se moquer de lui. Elle avait décidé
Un jour plus prometteur, Jeordie nous a présenté celui qui allait deve- que Freddy avait une roue à la place du pied et que, dorénavant, il s'ap-
nir notre premier manager, John Tovar, qui s'occupait déjà tant bien que pellerait Freddy the Wheel (Freddy la Roue). Bien sûr, elle s'est rendu
mal de Amboog-A-Lard. C'était un Cubain taillé comme une armoire à compte après avoir baisé avec lui qu'elle ne pouvait plus se permettre de
glace, toujours en sueur, gros mâchouilleur de cigares, constamment vêtu se moquer de qui que ce soit, car elle avait poussé à la roue et s'était
d'un costume noir, d'une cravate noire, et qui s'aspergeait d'eau de Cologne retrouvée dessous.
bon marché pour camoufler l'odeur de son corps. Il ressemblait à un croi- Finalement, Freddy a atterri dans les bras de Shana, une sorte de sosie
sement entre Fidel Castro et Jabba the Hutt. Comme si la nature ne l'avait sioux de Siouxsie, avec laquelle j'avais eu une brève aventure avant de
pas suffisamment gâté, il était gros consommateur de narcoleptiques, à connaître Teresa. Notre relation n'avait pas duré très longtemps parce
en être capable de s'endormir pendant une prise de son en s'écroulant que j'avais eu la grippe (elle était venue prendre soin de moi et nous avions
devant une enceinte. Nous avons profité de l'occasion pour faire certaines baisé). Il n'était pas évident d'avoir des relations intimes avec elle en plein
experiences et recherches médicales précieuses, en lui parlant pour essayer jour parce qu'elle faisait partie des nombreux adeptes de l'illusion gothique
de le réveiller, par exemple nous lui hurlions dans les oreilles qu'il n'était dans le sud de la Floride. Et ce n'était pas uniquement à cause du
qu'un tas de merde, ou que le bâtiment était en train de brûler. Mais ça maquillage qui cachait les crevasses qui se desquamaient sur son visage
ne l'empêchait pas de continuer à ronfler en soulevant son bide gigan- à cause du soleil; j'avais également remarqué un mystérieux anneau blanc
tesque. Seuls les mots « milkshake à la vanille » et « Lou Gramm » arri- autour de son vagin. Je n'ai jamais été capable de savoir s'il s'agissait
vaient à le réveiller. Alors il soulevait ses lourdes paupières aux veines d'une infection vénérienne, d'une sorte de champignon, de levure, d'un
épaisses, ses yeux ronds comme des billes roulant vers le ciel avant de bout de croûte de pudding ou d'un morceau de beignet glacé que quel-
retrouver leur position normale. Puis, en général, il me prenait à part qu'un aurait malencontreusement oublié après une relation. Cette décou-
verte est devenue un événement aussi effroyable et dérangeant que ma et de dégoût. Tout ce que j'essaie de faire passer est à l'opposé de ce que
rencontre de gamin avec la morve de Lisa. J'ai donc cessé de la voir. Scott représente un type comme Brad. Je voulais être fort et indépendant, pen-
Putessky, un obsédé de la chatte qui avait déjà essayé de se faire Teresa, ser par moi-même et aider les gens à penser par eux-mêmes. Je n'ai jamais
est tombé amoureux d'elle, mais il s'est fait jeter lorsque Freddy s'est pu (et je ne peux toujours pas) supporter ces minables enculés qui ne
esquivé à la manière d'un Hobbit et est devenu de cette manière Seigneur vivent qu'au travers d'une cuillère et d'une seringue.
des Anneaux. Une nuit, j'ai été réveillé par un coup de fil de Jeanine. « Brad est
mort ! » Elle n'arrêtait pas de hurler. « J'aurais dû l'obliger à arrêter.
Comme une vieille voiture tombe en panne à chaque fois qu'elle sort Il est mort ! Il s'est foutu en l'air ! Il est mort ! Je sais plus où j'en suis !
de chez le garagiste, le groupe semblait se souder lorsque nous avons Aide-moi. »
commencé à avoir des problèmes avec Brad, notre bassiste. Au fur et à Je me suis précipité chez elle, mais c'était trop tard. L'ambulance venait
mesure que nous alignions les concerts, les gens venaient me voir pour juste de partir. Jeanine était au téléphone avec ses avocats, car, si quel-
se plaindre : « Ce type n'est qu'un junkie. » Je prenais systématiquement qu'un meurt par overdose ou si les toubibs trouvent des seringues hypo-
sa défense car j'étais vraiment naïf, vu que je n'avais jamais pris de drogues dermiques ou du matériel pour se droguer, ils ont obligation de télépho-
en dehors des pilules, de l'herbe, de l'acide et, parfois, de la colle. Peu sûr ner à la police. J'ai passé une partie de la nuit avec Jeanine, jusqu'à ce
de lui, Brad essayait d'impressionner les gens autour de lui. Je pensais que nous apprenions que Brad avait été ressuscité et, dans la foulée, arrêté.
donc que lorsqu'il parlait de drogues, c'était juste pour avoir l'air cool. On a passé des heures à en parler. J'étais vraiment désolé pour Brad, car
Brad était stupide mais, contrairement à Scott, il le savait. Je l'aimais c'était un type gentil et créatif; de plus, j'adorais écrire des chansons avec
bien, et j'avais pris l'habitude de lui prêter de l'argent et de le prendre en lui. Mais, d'un autre côté, c'était un junkie et un salopard. Je ne pouvais
charge. Finalement, j'ai trouvé quelqu'un pour le materner, une riche avo- m'empêcher de penser qu'il aurait dû y rester, pour sa propre paix inté-
cate, plus âgée que lui, du nom de Jeanine. J'avais plusieurs fois couché rieure et la mienne. Mais sa vie ne tournait qu'autour de l'héroïne. Jouer
avec elle, et bien qu'elle m'ait offert tout ce que je désirais, j'ai décidé que de la basse n'était qu'un passe-temps entre deux shoots.
Brad avait plus besoin d'elle que moi. Lorsque j'ai revu Brad, je l'ai fait s'asseoir et, pour la première fois,
Moins de deux mois plus tard, ils vivaient ensemble. Mais à chaque j'ai compris combien ce groupe était important pour moi, et qu'il était
fois que je passais le voir dans l'après-midi, pendant que Jeanine était au hors de question que j'accepte qu'on le foute en l'air. Il n'était plus ques-
boulot, il semblait mal à l'aise comme si je le dérangeais. Un jour où il tion de déconner. « Ecoute-moi bien, je te donne une dernière chance. Tu
était encore plus bizarre que d'habitude, il a essayé de me mettre dehors. fais le ménage ou t'es viré du groupe. »
Je ne voulais bien évidemment pas partir, car je voulais savoir ce qu'il Brad s'est écroulé en larmes, n'arrêtant pas de s'excuser entre deux
cachait. J'ai donc passé un quart d'heure à le regarder tripoter nerveu- sanglots, me promettant de ne plus jamais se shooter. Comme je n'avais
sement ses dreadlocks vertes et violettes, lorsque deux belles Blacks sont jamais fréquenté de junkies, je l'ai cru. Je l'ai cru la seconde fois et même
sorties d'un placard dans un nuage de fumée, des petits tubes en verre à la troisième. Il a mis le doigt sur le dernier point faible d'un homme au
la main. En les entendant parler, il m'est venu à l'esprit que les tubes cœur de pierre : la pitié, mot qui, au cours des difficiles années à venir,
étaient des pipes à crack, les filles des prostituées et Brad un junkie. Une allait être rayé de mon vocabulaire.
fois de plus, j'étais face à une personne que je croyais connaître mais qui, Quelques mois plus tard, nous sommes allés à Orlando pour partici-
je le réalisais un peu tard, avait une vie secrète. per à une importante opération organisée par différents labels qui envi-
Maintenant que je savais qu'il était accro à l'héroïne, les symptômes sageaient de nous signer. La nuit précédant cet événement, j'ai reçu un
me paraissaient évidents. Il ressemblait à un tas de merde, ses change- coup de fil désespéré de Jeanine : elle était terrifiée, car Brad avait replongé
ments d'humeur étaient terrifiants, il était incroyablement paranoïaque, et taillé des pipes à un mec cette nuit-là. J'ai confronté Brad, mais il a nié
buvait comme un trou, ratait certains shows, perdait du poids, arrivait avoir pris de la drogue : il ne pouvait s'empêcher de se vanter d'avoir réa-
en retard aux répétitions, n'avait aucune énergie et empruntait du fric à lisé un de ses fantasmes, sucer un type, un shampouineur aux mœurs
tout le monde. Avec Trish, sa précédente petite amie, ils se prenaient pour légères, qui bossait dans le salon de coiffure à côté de chez lui, où il allait
Sid et Nancy, mais je n'aurais jamais pensé que leur hommage allait aussi se faire teindre les cheveux (ce qui était quand même étrange, car ses
loin. Lorsque je le regarde à présent, je n'ai que des sentiments de haine dreadlocks étaient toujours sales et puantes).
Sur scène, Brad m'a semblé totalement ailleurs, mais j'avais d'autres
soucis que ses marques sur les bras. Il a disparu juste à la fin du show et,
une fois de plus, j'avais d'autres choses plus importantes en tête, car nous
étions entourés de filles très mignonnes. J'aurais dû me sentir concerné,
mais j'en avais marre de faire du baby-sitting.
Il a débarqué à trois heures du matin en compagnie de trois strip-
teaseuses que personne ne connaissait. Il portait toujours son costume
de scène — une chemise pourpre sans manches des années soixante-dix
avec des étoiles argentées, un short moulant de femme brillant, avec, en
dessous, des collants rouges décorés de revolvers, ainsi que des rangers.
Il était plus que raide. Ses yeux partaient dans tous les sens et si rapide-
ment que son regard était complètement brouillé ; il tripotait mécani-
quement l'anneau piercé sur une de ses lèvres et bafouillait de manière
incohérente à propos d'un truc qui semblait capital pour lui. Juste à côté,
les strip-teaseuses avaient les jambes, les bras et le cou bleuis et décolo-
rés comme si elles étaient à court de veine pour se shooter. Il leur man-
quait des dents, et celles qui restaient ressemblaient à des petites bougies
blanches qui fondent sur un gâteau au caramel plus très frais. En chan-
celant de manière indécente dans la pièce, elles offraient à tout le monde
de l'héroïne, du Valium, et plein d'autres trucs qui peluchaient dans leurs
poches. Brad semblait se recroqueviller en lui-même, il se ratatinait sur
le canapé et perdait tellement les pédales qu'il ne savait même plus
comment il s'appelait. Son visage était inondé par la transpiration et des
gouttes de sueur tombaient sur ses vêtements. L'espace d'une seconde, il
a semblé retrouver ses esprits. Il m'a regardé droit dans les yeux, puis il
s'est écroulé sur le sol avant de perdre connaissance. Son visage était vert
pâle à cause de la teinture de ses cheveux qui dégoulinait, huileuse sur
son front ridé en sueur, et ses ongles, qu'il ne vernissait jamais, avaient
viré en un mélange de violet et de bleu.
Les strip-teaseuses, par habitude sans doute, se sont enfuies. Dans un
premier temps, j'ai essayé de réveiller Brad — en aidant les autres à le
faire bouger, en lui donnant des claques et lui balançant des bassines
d'eau. Mais en fait, ce dont j'avais vraiment envie, c'était de lui flanquer
des coups de pompe dans les côtes. J'étais fou de colère contre lui et le
cliché qu'était devenue sa vie. Ayant aimé Brad comme on peut aimer un
petit frère, il était d'autant plus facile pour moi de le haïr. Non seulement
l'amour et la haine sont des sentiments proches, mais il est tellement facile
de haïr quelqu'un dont on s'est occupé.
On s'est éloignés de son corps inerte aux couleurs de l'arc-en-ciel et
on a commencé à discuter — non pas pour savoir comment on pouvait
l'aider, mais comment on pouvait lui faire du mal. J'ai proposé de le
retourner et le laisser s'étouffer dans son vomi. Le coroner ne pourrait
pas nous reprocher de l'avoir bougé, la mort de Brad serait attribuée à
sa propre stupidité. On s'est assis, le débat était engagé : pouvions-nous
être arrêtés et accusés d'homicide par imprudence ? Il me restait encore
une once de pitié, pourtant je voyais sa mort comme une sorte de suicide
accompagné. Pour être franc, je pensais qu'il s'était effectivement suicidé,
car le Brad que j'avais rencontré au Kitchen Club lorsque j'avais conçu
le groupe quelques années auparavant était mort, étranger pour lui
et pour moi.
Mais je ne voulais pas qu'une fois mort il mette le groupe en péril
comme il l'avait fait de son vivant. Finalement, c'est uniquement la peur
de se faire arrêter qui nous a empêchés de le laisser mourir. C'était mons-
trueux, mais je ne pouvais pas penser autrement. J'étais en train de deve-
nir le monstre froid dépourvu d'émotion que j'avais toujours voulu être,
et je n'étais pas vraiment certain d'aimer ça. Mais c'était trop tard. La
métamorphose était en bonne voie.
Le lendemain, j'ai appelé le studio où Jeordie était en train d'enregis-
trer le premier album indépendant de Amboog-A-Lard. C'était une grande
responsabilité pour Jeordie, parce que non seulement il jouait de la basse
et de la guitare, mais en plus c'était lui qui produisait l'album. Mais je
savais qu'il avait envie de rejoindre Marilyn Manson au point de copi-
ner avec Brad et de sortir avec lui pour le pousser à boire et à se droguer,
alors qu'on avait dit à Brad d'arrêter les frais.
« Tu veux faire partie du groupe ?
- E h ben... je suis en plein milieu de l'enregistrement, a soupiré
Jeordie.
- Tu as toujours fait partie du groupe.
- Ouais, je sais.
- Et ton groupe peut pas te blairer, ils essayent juste de te pomper au FAIRE CE QUE TU VEUX SERA LA LOI.
maximum.
- J'te rappelle », a-t-il dit. Je le tenais.

Pour moi, Brad était mort, Nancy était morte, et mon sens moral éga-
lement. Marilyn Manson était enfin en train de devenir le groupe que veulent toujours savoir quelles
j'avais toujours voulu qu'il soit. sont mes convictions philosophiques et religieuses. Mais peu me deman-
dent ce qu'est mon éthique au quotidien — les règles que je me fixe pour
faire face au monde de tous les jours. Voici quelques clés, ne vous gênez
pas pour les découper, puis les coller sur le frigo de votre mère pour qu'elle
ne perde pas de temps.
DROGUES

Le stéréotype qui traîne chez les gens qui ne se sont jamais défoncés,
c'est que tous les gens qui se droguent sont accros, quelle que soit la dope.
En vérité, être accro n'a quasiment rien à voir avec le type de drogue ou
la périodicité à laquelle vous les prenez. D'autres facteurs entrent en ligne
de compte : à partir de quel moment prennent-elles le dessus ? Êtes-vous
capable de mener une vie normale sans en prendre ? Je ne me suis jamais
caché de consommer de la drogue. Mais, cela dit, je n'ai que du mépris
pour les accros. En effet, ceux qui en abusent donnent une mauvaise
image de ceux qui en usent simplement. Je vous propose quelques règles
simples afin que vous puissiez savoir si vous usez ou abusez de la cocaïne,
du hasch ou d'autres substances. Réfléchissez bien, vous êtes accros si...

1 VOUS VOUS PAYEZ DE LA DROGUE.


2 VOUS UTILISEZ UNE PAILLE PLUTÔT QU'UN DOLLAR ROULÉ.
3 VOUS UTILISEZ LE MOT PÉTARD.
4 VOUS ÊTES UN GARÇON ET VOUS ÊTES BACKSTAGE À UN CONCERT
DE MARILYN MANSON (À MOINS QUE VOUS SOYEZ
DEALER OU OFFICIER DE POUCE).
5 VOUS POSSÉDEZ PLUS D'UN DISQUE DE PINK FLOYD.
6 VOUS PRENEZ DE LA COCAÏNE PENDANT UN SHOW (SI VOUS EN PRE-
NEZ APRÈS, TOUT VA BIEN. SI VOUS EN PRENEZ AVANT, VOUS ÊTES
PRÊT À TOMBER DEDANS).
7 LA SIMPLE MENTION DE LA COCAÏNE VOUS FAIT FRISSONNER OU
BIEN EN VOIR VOUS DONNE ENVIE DE CHIER.
8 VOUS AVEZ ÉCRIT PLUS DE DEUX CHANSONS FAISANT RÉFÉRENCE À
LA DROGUE.
9 VOUS AVEZ DÉJÀ ÉTÉ VIRÉ D'UN GROUPE POUR USAGE
MASSIF DE DROGUE.
10 UNE DE VOS COPINES EST MANNEQUIN.
11 VOUS HABITEZ LA NOUVELLE- ORLÉANS.
12 VOUS PAYEZ VOTRE ÉPICIER AVEC DES DOLLARS ROULÉS.
13 VOUS AVEZ FAIT PARTIE DE DR HOOK, OU VOUS CONNAISSEZ
PAR CŒUR UNE DES CHANSONS DE DR H O O K
14 LES CHIFFRES EN RELIEF DE VOTRE CARTE DE CRÉDIT, SURTOUT LE
o, LE 6 ET LE 9, SONT RECOUVERTS D'UNE MYSTÉRIEUSE POUDRE
BLANCHE.
15 VOUS ÊTES SEUL DANS VOTRE CHAMBRE D'HÔTEL AU COURS D'UNE
TOURNÉE, ET VOUS VOUS DÉFONCEZ.
16 VOUS PRENEZ DE LA DROGUE AVANT SIX HEURES DU SOIR OU APRÈS
SIX HEURES DU MATIN.
17 VOUS HAÏSSEZ LA TERRE ENTIÈRE. (SI VOUS AIMEZ TOUT LE MONDE,
C'EST QUE VOUS PRENEZ DE L'ECSTASY ET ÇA, J'AIME PAS.)
18 VOUS CONNAISSEZ LE NOM DU BOUT DE PEAU SITUÉ ENTRE LE
POUCE ET L'INDEX.
19 VOUS AVEZ DÉJÀ DIT « C'EST MA DERNIÈRE LIGNE », OU
À L'INVERSE : « QUELLE LIGNE EST LA PLUS GROSSE ? »
20 VOUS INVITEZ DES GENS À VENIR CHEZ VOUS ALORS QUE VOUS ÊTES
DÉFONCÉ.
21 LORSQUE VOUS ÊTES DÉFONCÉ, VOUS PARLEZ DE VOTRE ENFANCE À
TOUT LE MONDE.
22 À CET INSTANT PRÉCIS, VOUS NE PENSEZ PAS À UNE PAIRE
DE SEINS.
23 VOUS AVEZ POUR HABITUDE DE DIRE : « JE NE FAIS ÇA QUE LORSQUE
JE SUIS AVEC TOI. »
24 VOUS AVEZ UN GARDE DU CORPS QUI SURVEILLE LA PORTE
LORSQUE VOUS ALLEZ DANS LA SALLE DE BAINS.
25 VOUS ÊTES UN MEC ET VOUS PARLEZ PLUS DE CINQ MINUTES À UNE
FILLE QUI A UN PETIT AMI, PARCE QU'ELLE A DE LA DROGUE.
26 VOUS ÊTES UN ENFANT DE LA BALLE.
27 SI EN LISANT CE LIVRE VOUS VOUS FAITES UNE LIGNE À CHAQUE
FOIS QUE LE MOT DROGUE EST MENTIONNÉ, NON SEULEMENT VOUS
ÊTES ACCRO, MAIS IL SE PEUT QUE VOUS SOYEZ DÉJÀ MORT.

LES RÈGLES QUE J'AI TRANSGRESSÉES : 1, 4 (mais ça ne


compte pas), 5, 6 (et je suis retourné sur scène avec un billet d'un dollar
coincé dans une narine), 7, 8 (j'en ai écrit des douzaines), 12, 13, 14
(sauf si j'ai fait le ménage parce que je passe une frontière), 15, 16, 17,
19, 20, 21 (mais seulement pour ce livre), 24, 25.
HOMOSEXUALITÉ 17 SI VOUS ÊTES COPAIN AVEC QUELQU'UN QUI S'APPELLE POPAUL.
18 SI VOUS NE TROMPEZ PAS VOTRE FEMME ET SI VOUS VOUS EN SERVEZ
Ma philosophie en ce qui concerne la sexualité est que tout le monde UNIQUEMENT COMME PRÉTEXTE POUR QUE LES GENS PENSENT QUE
fait ce qu'il a envie de faire. Tout ce que je demande c'est que vous en VOUS N'ÊTES PAS GAY.
connaissiez les règles. J'ai sucé la bite de plusieurs types, ce qu'un paquet 19 SI UNE DE VOS COPINES EST MANNEQUIN.
d'hétéros n'admettront pas avoir fait ou avoir eu envie de faire. De la 20 SI VOUS BAISEZ UNE FILLE QUI AIME LES SMITHS.
même façon qu'on ne met pas une fille enceinte en l'embrassant, on ne 21 SI VOUS NE MANGEZ PAS DE VIANDE PARCE QUE L'ALBUM DES SMITHS
devient pas gay en suçant la bite d'un type (à moins de violer la règle MEAT IS MURDERA CHANGÉ VOTRE VIE.
n° 3). Je n'ai rien contre le fait d'être gay — je veux juste mettre à plat 22 SI VOUS FAITES QUOI QUE CE SOIT DE RELIGIEUX.
les raisons qui amènent à être gay. Il est important de noter que cette liste 23 SI VOUS BAISEZ AVEC UNE FEMME ENCEINTE QUI ATTEND UN GARÇON,
ne concerne que les hommes, les femmes étant toutes lesbiennes par nature. VOUS ÊTES GAY. SI VOUS BALANCEZ VOTRE SPERME SUR LA POCHE DES
Regardons les choses en face (sans faire d'ironie) — si vous remplissez EAUX, LE BÉBÉ AUSSI SERA GAY LORSQU'IL SERA GRAND.
l'une des conditions ci-dessous, alors vous êtes gay. 24 SI VOUS AVEZ DÉJÀ EU UNE COUPE DE CHEVEUX COMME CELLE DE
MORRISSEY.
1 SI VOUS AVEZ SUR VOUS LE SPERME D'UN AUTRE. 25 SI VOUS VOUS ÊTES DÉJÀ FAIT COUPER LES CHEVEUX PENDANT QU'UN
2 SI VOUS AVEZ DÉJÀ POSSÉDÉ UN ALBUM DES SMTTHS. ALBUM DE MORRISSEY OU DES SMITHS PASSAIT.
3 SI VOUS BANDEZ LORSQUE VOUS SUCEZ LA BITE D'UN MEC. 26 SI VOUS AVEZ DÉJÀ EU DES CONVERSATIONS SUR LES CRISTAUX, SI VOUS
SI VOUS NE BANDEZ PAS, TOUT VA BIEN - À MOINS QU'IL NE BALANCE EN AVEZ DÉJÀ POSSÉDÉ - SURTOUT S'IL S'AGIT DE CRISTAUX
SON SPERME SUR VOUS. DE MÉTHADONE.
4 SI MICHAEL STIPE EST DANS UNE PIÈCE AVEC VOUS ET QUE VOUS 27 SI VOUS VOUS ÊTES DÉJÀ MIS DES PANSEMENTS AU BOUT DES SEINS
SOYEZ EN TRAIN DE BAISER UNE FEMME, VOUS ÊTES BISEXUEL. PARCE QUE VOUS TROUVIEZ ÇA CHIC.
5 SI VOUS ÊTES DANS UN BAR GAY, VOUS N'ÊTES PAS GAY. PAR CONTRE, 28 SI VOUS AVEZ PASSÉ PLUS D'UNE SEMAINE À SOUTH BEACH.
SI VOUS ÊTES DANS UN BAR HÉTÉRO ET SI VOUS PARLEZ AVEC UN 29 SI, À CE MOMENT PRÉCIS, VOUS NE PENSEZ PAS À UNE PAIRE DE SEINS.
TYPE PLUS LONGTEMPS QUE VOUS NE LE FERIEZ AVEC UNE FEMME, 30 SI VOUS AIMEZ TOUJOURS JUDAS PRIEST ALORS QUE VOUS CONNAISSEZ
ALORS VOUS ÊTES GAY. LA RUMEUR COMME QUOI ROB HALFORD SERAIT GAY.
6 SI VOUS BATTEZ LA MESURE EN ÉCOUTANT LES SMITHS. 31 SI VOUS BANDEZ EN CHIANT.
7 SI VOUS PARLEZ D'ART PENDANT PLUS DE TROIS QUARTS D'HEURE. 32 SI VOUS SAVEZ QUEL GOÛT A LE SPERME (SURTOUT LE VÔTRE).
8 SI VOUS AVEZ DÉJÀ PORTÉ UN BÉRET. 33 SI VOUS EMBRASSEZ UNE FILLE AVEC LA LANGUE APRÈS QU'ELLE A AVALÉ
9 SI VOUS EMBRASSEZ UN GARÇON ET QU'IL BANDE, VOUS N'ÊTES PAS VOTRE SPERME.
GAY, À MOINS QUE VOUS NE VOUS METTIEZ À BANDER ÉGALEMENT. 34 SI LIRE CECI VOUS FAIT BANDER.
10 SI VOUS BAISEZ - AVEC UN HOMME OU UNE FEMME - EN 35 SI VOUS CONNAISSEZ LE NOM DE N'IMPORTE QUEL DES MUSICIENS
ÉCOUTANT LES SMITHS, VOUS ÊTES GAY. AYANT FAIT PARTIE DES SMITHS, EN DEHORS DE MORRISSEY ET DE
11 SI VOTRE SEUL BUT DANS LA VIE EST DE METTRE LES FILLES JOHNNYMARR.
ENCEINTES POUR QU'IL Y AIT ENCORE PLUS DE FILLES QUI AIENT DES 36 SI VOUS ÊTES UN MANNEQUIN HOMME.
RELATIONS HOMOSEXUELLES. 37 SI VOUS VOUS ÊTES ÉTRANGLÉ EN ÉCOUTANT BOYS DON'T CRYBES
12 SI EN VOUS MASTURBANT VOUS BALANCEZ LE SPERME SUR VOUS. CURE.
13 SI VOUS AVEZ UNE ÉRECTION EN REGARDANT L'ÎLE AUX NAUFRAGÉS. 38 SI VOUS ÊTES STYLISTE.
14 SI VOUS N'AVEZ PAS D'ÉRECTION EN REGARDANT MA SORCIÈRE BIEN- 39 SI VOTRE PRÉNOM, VOTRE NOM OU VOTRE SURNOM EST MORRISSEY.
AIMÉE.
15 SI VOUS ÊTES DANS LES TOILETTES D'UN BAR, LA BITE À LA MAIN,
PENDANT QUE PASSE UNE CHANSON DES SMITHS. LES RÈGLES QUE J'AI TRANSGRESSÉES : 1, 2, 12 (celles qui
16 SI VOUS VOUS APPELEZ PAUL ET QUE L'ON VOUS SURNOMME POPAUL. font que, probablement, nous sommes tous gays), 20 (sans le faire
exprès), 26, 30, 33, 38 (je dessine moi-même mes vêtements).
INFIDÉLITÉ

Bien que les rock stars aient une réputation de pillards éhontés dès
qu'ils aperçoivent une paire de seins libre et onéreuse, la vérité est que
nous sommes complètement fidèles à nos petites amies. Je peux dire hon-
nêtement que je n'ai jamais trompé ma petite amie. Et tout ça parce que
j'ai respecté les règles listées ci-dessous : elles sont ici pour que vous vous
en serviez, et aussi pour faire votre éducation.

1 VOUS POUVEZ PELOTER DES FAUX SEINS CAR, JUSTEMENT, ILS NE


SONT PAS VRAIS : IL N'Y A DONC PAS INFIDÉLITÉ.
2 SI VOUS NE VOUS SOUVENENEZ PAS DE LEUR NOM, ÇA NE
COMPTE PAS.
3 SI VOUS NE LES RAPPELEZ JAMAIS APRÈS, ÇA NE COMPTE PAS. 12 SI VOUS VOUS RAPPELEZ LE NOM D'UNE FILLE QUI A JUSTE TIRÉ UN
4 LES PIPES NE COMPTENT PAS - C'EST COMME DONNER UNE COUP AVEC UN AUTRE, DANS CE CAS VOUS ÊTES INFIDÈLE PARCE QUE
POIGNÉE DE MAIN OU SIGNER DES AUTOGRAPHES. VOUS Y PENSEZ PLUS QUE LE TYPE QUI A COUCHÉ AVEC ELLE. SI VOUS
5 SI VOUS LA CÂLINEZ, IL Y A INFIDÉLITÉ. N'AVEZ PAS DE PETITE AMIE, CETTE SITUATION VOUS DÉPRIME : VOUS
6 SI VOUS ÊTES DANS UN FUSEAU HORAIRE QUI EST EN AVANCE SUR AVEZ DONC TROMPÉ VOTRE PROCHAINE PETITE AMIE.
LE FUSEAU HORAIRE DANS LEQUEL SE TROUVE VOTRE PETITE AMIE, 13 SI C'EST L'ANNIVERSAIRE DE QUELQU'UN, ÇA NE COMPTE PAS
SERVEZ-VOUS DE L'ÉQUATION SUIVANTE : SOIT X LE DÉCALAGE (SURTOUT SI C'EST LE VÔTRE).
HORAIRE ENTRE LES DEUX PAYS, SOIT Y LE NOMBRE D'HEURES 14 SI LA FILLE A UN TATOUAGE AVEC VOTRE NOM, C'EST LA MOINDRE
ÉCOULÉES DEPUIS LA DERNIÈRE FOIS QUE VOUS AVEZ COUCHÉ DES COURTOISIES QUE DE BAISER AVEC ELLE.
AVEC UNE AUTRE FEMME. SI VOUS AVEZ VOTRE PETITE AMIE 15 SI VOUS AVEZ UNE RELATION ANALE AVEC QUELQU'UN D'AUTRE, ÇA
AU TÉLÉPHONE ET QUE Y EST INFÉRIEUR À X, VOUS NE L'AVEZ NE COMPTE PAS, PARCE QU'IL N'Y A PAS EU COÏT (À MOINS QUE VOUS
PAS TROMPÉE, PARCE QUE ÇA NE S'EST PAS ENCORE PRODUIT. PAR NE SORTIEZ AVEC MORRISSEY).
CONTRE, SI Y EST SUPÉRIEUR À X, VOUS L'AVEZ TROMPÉE. 16 SI ELLE PORTE LE MÊME PRÉNOM QUE VOTRE PETITE AMIE, ÇA NE
7 SI VOUS ÊTES EN EUROPE, AU CANADA, EN AMÉRIQUE DU SUD OU AU COMPTE PAS - IL SUFFIT EN FAIT QUE LA PREMIÈRE LETTRE DE SON
JAPON, VOTRE CONTRAT DE MARIAGE N'EST PAS VALABLE. VOUS PRÉNOM SOIT LA MÊME. DANS LES AUTRES CAS, ASPERGEZ-LA AVANT
POUVEZ DONC COUCHER AVEC QUI VOUS VOULEZ. AVEC LE MÊME PARFUM QUE CELUI DE VOTRE PETITE AMIE : VOUS
8 SI VOUS BAISEZ AVEC QUELQU'UN LA VEILLE DE REVOIR VOTRE SEREZ TOTALEMENT DÉDOUANÉ.
PETITE AMIE, PAS DE PROBLÈME, VOUS ÊTES JUSTE EN TRAIN DE 17 SI, LE MATIN, VOUS LEUR EXPLIQUEZ QUE VOUS LES RESPECTEZ
VÉRIFIER QUE VOUS N'AUREZ PAS D'ÉJACULATION PRÉCOCE ET QU'EN PLUS VOUS CROYEZ EN CE QUE VOUS DITES, ALORS, VOUS
LORSQUE VOUS LA REVERREZ. ÊTES GAY.
10 SI C'EST AU COURS D'UN SHOW, ÇA NE COMPTE PAS.
11 SI VOUS FAITES ÇA PAR INTÉRÊT POUR VOTRE CARRIÈRE, ÇA NE
COMPTE PAS. PAR CONTRE, SI C'EST POUR AIDER SA CARRIÈRE, IL Y A LES RÈGLES QUE J'AI TRANSGRESSÉES : Aucune.
INFIDÉLITÉ.
J'AI VU UN GÉNIE DE LA SOUFFRANCE TEL QU'IL EST DÉCRIT PAR
NIETZSCHE LORSQU'IL LES DÉPEINT, CAPABLES DE DÉVELOPPER DE
MANIÈRE ILLIMITÉE ET EFFRAYANTE LEUR PROPRE DOULEUR. J'AI VU EN
MÊME TEMPS QUE LES RACINES DE CE PESSIMISME N'ÉTAIENT PAS DUES
À UN MÉPRIS DE L'HUMANITÉ MAIS À UN MÉPRIS DE SOI-MÊME ;
CEPENDANT, IL A DÛ SANS PITIÉ ANÉANTIR LES INSTITUTIONS
ET LES GENS PAR UN DISCOURS DONT LUI-MÊME SE TENAIT À L'ÉCART.
C'ÉTAIT TOUJOURS LUI LE PREMIER ET LE PLUS EN VUE QUI TIRAIT
LA FLÈCHE DE CUPIDON, D'ABORD SUR LUI-MÊME ET ENSUITE
SUR LES GENS QU'IL HAÏSSAIT OU MÉPRISAIT.
LE ROI DES ORDURES DEVIENT PROPRE : Il y a quelque chose qui cloche avec les gens qui m'aiment, alors que je ne
PREMIÈRE PARTIE D'UNE HISTOIRE EN DEUX PARTIES suis vraiment pas un type aimable.
par Sarah Fim
Empyrean Magazine, 1995 1 Ça te dit, une ligne ?
Je pourrais me faire une ligne, et puis...

Des images de garçons nus et de corps en décomposition scintillent sur ... voir si t'en as besoin d'une autre ?
l'écran de la télé dans la chambre d'hôtel de Marilyn Manson, tandis qu'il En fait, y faut pas commencer.
retire ses lunettes de soleil et s'installe sur le canapé. Des photos, des vête-
Mais tu en as toujours besoin d'une autre.
ments et des journaux sont éparpillés sur le sol, tels les débris d'une année
chargée pour Manson, leader du groupe de rock à scandale et controversé Ouais, si on commence, on peut pas s'arrêter, question d'équilibre [reni-
du même nom. Pratiquement du jour au lendemain, le quintette a été flements].
catapulté directement du statut de petit groupe local de Floride à une
Raconte-nous comment t'as fini par quitter Fort Lauderdale.
machine à remplir les stades, après avoir signé sur Nothing Records, le
Bon, ça s'est passé au moment où j'ai décidé de raccourcir le nom du
label de Trent Reznor de Nine Inch Nails. Depuis, Manson, dont le véri-
groupe en Marilyn Manson, en fait tout le monde nous appelait comme
table nom est Brian Warner, a été arrêté, interdit et battu. Il a été accusé
ça. Le groupe commençait à sortir de sa période BD pour prendre une
de torturer des femmes, de tuer des animaux et d'immoler son batteur
tonalité plus sérieuse. Différents labels s'intéressaient à nous. Epic nous
par le feu. Aujourd'hui, pour la première fois, il accepte de parler fran-
avait fait venir à New York pour un showcase. On avait été dragués
chement devant un magnétophone de ses deux dernières années de folie.
par Michael Goldstone, le type qui, à l'époque, venait juste de signer Pearl
Pour être certain qu'il ne revienne pas sur sa promesse, nous avions fait
Jam. Leur album était pas encore sorti : je suis tombé dessus et j'ai trouvé
le plein d'alcool et de drogues et, de plus, loué l'un de ses films préférés,
ça très médiocre. C'est vrai qu'en même temps j'idéalisais notre musique,
le western spaghetti hallucinogène d'Alexandre Jodorowsky, El Topo.
j'anticipais notre succès. Mon ego en a pris un coup lorsque Epic a fini
Sur la table en verre, pile devant lui, traîne le CD de Judas Priest, Bri-
par nous dire qu'ils n'aimaient pas ce qu'on faisait. La déception a été
tish Steel, celui où il y a une lame de rasoir sur la pochette. Cette photo
énorme, parce qu'on avait craqué les trois quarts de notre pognon pour
est parfaitement appropriée, car dessus sont disposées plusieurs lignes de
aller à New York.
la cocaïne la plus pure que les directeurs d'Empyrean puissent s'offrir. Man-
son roule un billet de 20 dollars et s'enfile la moitié d'une des lignes dans
Comment en es-tu arrivé à travailler avec Trent Reznor ?
la narine droite. Il rejette la tête en arrière en secouant ses longs cheveux
Tout a commencé le jour de notre retour, on était presque fauchés.
noirs, penche à nouveau la tête en avant, et sniffe le reste de la ligne par
Missi et moi, on est passés au magasin de disques où j'avais travaillé pour
l'autre narine. En musique, comme dans la vie, Marilyn Manson ne joue
acheter Broken de Nine Inch Nails qui était sorti le jour même. Je me disais
pas les bons élèves. Il aime tout détruire sans faire de concession.
que ça faisait un moment que je n'avais pas eu de nouvelles de Trent ; on
EMPYREAN : T'as l'air épuisé. avait pourtant l'habitude de s'appeler de temps en temps, juste histoire
de se dire bonjour, de garder le contact. Pendant que j'écoutais le disque,
MANSON : Ouais. Je me suis réveillé à sept heures ce matin et j'ai essayé
j'ai reçu un coup de téléphone du manager de Trent, qui me demandait
de trouver quelqu'un avec qui parler, mais y avait personne. J'ai tourné
de lui envoyer des démos. (Ce genre de coïncidence m'arrive toujours et
en rond comme un lion en cage. Alors, j'ai appelé Missi [sa petite amie].
me porte à croire que tout vient à point.) Je savais pas pourquoi il voulait
une démo. Peut-être simplement pour l'écouter.
Quelques jours plus tard, j'ai reçu un coup de fil.
1. Cette série d'articles a, au départ, été écrite pour Empyrean Magazine, vol. 7, n° 2 « Salut, c'est Trent. »
et 3, de mai et juin 1995. Ils n'ont jamais été publiés suite à une décision de l'éditeur
d'Empyrean, Centaur Enterprises, qui a estimé que l'interview n'avait pas respecté
Et j'réponds un truc comme : « Hé, qu'est-ce qui se passe ? »
l'éthique professionnelle, et ce dans le but d'arracher des informations à M. Manson. Et il me répond : « Bon, tu devineras jamais où j'suis. J'habite dans la
Le magazine a cessé de paraître peu de temps après. maison de Sharon Tate. » C'était marrant, parce que la première fois que
je l'avais rencontré, je lui avais dit que l'un de mes rêves était d'enregis- marsouin femelle et elle ressemblait à un monstre marin. Pour essayer
trer My Monkey, version très personnelle d'une chanson de Charles d'animer la soirée, j'ai proposé : « Et si on jouait à colin-maillard, on vous
Manson, dans la maison de Sharon Tate. Je n'y croyais pas : voilà que Trent met un bandeau sur les yeux, et vous essayez de reconnaître les gens qui
y était.
vous touchent. » Du coup Trent et moi, on attire notre morue dans le salon,
Il me dit : « Pointe-toi. On est en train de tourner une vidéo pour un tandis que l'autre fille s'est déjà évanouie et, avec un peu de chance, noyée
de mes titres, je voudrais que t'y joues de la guitare. » dans son vomi.
Je lui réponds : « Eh bien, je sais pas vraiment jouer de la guitare. » On a bandé les yeux de la créature marine. Non. En fait, on lui a juste
Mais j'y suis quand même allé et j'ai fait semblant de jouer de la guitare noué une serviette autour de la tête, son visage était recouvert et nous
sur un clip qui n'est toujours pas sorti. Le morceau s'appelait Gave Up. nous sentions plus à l'aise. Non pas que son corps était mieux que sa gueule.
C'était terrible, j'en ai encore honte rien que d'en reparler.
Et du coup, tu as signé sur Nothing ? On a commencé à lui pincer le bout des seins tout en lui caressant l'en-
En fait, je savais pas encore que Trent démarrait un label. Nous avons trecuisse pour voir ce qu'il s'y passait. On rigolait parce qu'on était tous
juste traîné, passé du bon temps, c'est comme ça qu'on est devenus de les deux bourrés certes, mais pas autant qu'elle. En fond sonore passait un
plus en plus proches, et que notre amitié a commencé. album de Ween dont les paroles étaient : « C'est ta pointure, fais-la jouir... »
tandis que le jeune Trent Reznor et moi-même fourrions nos doigts dans
Tu as des souvenirs précis de cette époque ? la cavité fertile d'une étrange femme-poisson à la recherche de caviar. On
Je me rappelle le soir où Trent a plaqué sa copine, une riche adoles- a fini par se retrouver confrontés à un nodule étrange — un duvet blanc
cente tellement entichée de lui qu'elle s'était fait tatouer ses initiales sur ou un grain de mais — qu'elle avait sur la partie extérieure du rectum. On
le cul. Nous sommes allés au Smalls, un bar de LA. où on a rencontré des était horrifiés, on s'est regardés, choqués, dégoûtés. Mais il fallait qu'on
filles (aujourd'hui, je voudrais même pas qu'elles sortent mes poubelles). avilisse jusqu'au bout cette pauvre créature innocente. J'ai donc pris un
Mais, à cette époque, elles me semblaient être le genre de gonzesses qui briquet et j'ai commencé à lui brûler les poils du pubis. Ça lui faisait pas
valaient le coup parce que je ne connaissais pas mieux. mal, mais l'odeur qui s'en dégageait n'a amélioré en rien la qualité de l'air
En fait, on était pas spécialement attirés par le sexe. On voulait juste ambiant.
s'amuser comme deux nouveaux copains. On a donc ramené ces deux hor- Malheureusement, il n'y a eu aucune apogée à cette histoire, si ce n'est,
reurs chez lui ; je me souviens que l'une d'entre elles s'appelait Kelly, ce je pense, qu'elle avait seulement besoin de se faire cajoler, et on est alors
que j'avais trouvé intéressant, car ce prénom, tout comme son visage, pou- partis en courant.
vait appartenir à une fille ou à un garçon. On a tourné une vidéo que j'ai
perdue depuis. Je sais juste qu'elle s'appelait Le Trou du cul de Kelly. Tu A-t-elle fini par vous avoir ?
dois deviner pourquoi. Je crois que Trent aurait pu finir par se la faire parce qu'il a une cer-
taine attirance pour les femmes douteuses. On a tous un penchant à embar-
Non. Explique-moi. quer des filles moches en se disant qu'elles seront moins moches le
Ben, on leur a joué un des mauvais tours qui m'ont rendu assez célèbre. lendemain matin. Mais, immanquablement, elles se révèlent encore pires.
Il faut remplir à ras bord un grand verre de tequila pour ton adversaire, Là, je suis allé me coucher en espérant oublier cette histoire. C'est ce
ou ta victime, puis tu te remplis un verre de bière en faisant croire à l'autre qui s'est passé le lendemain, et ça nous a rapprochés, Trent et moi : il m'a
que c'est aussi de la tequila. Tu le persuades de boire son verre cul sec à expliqué qu'il démarrait son propre label « Nothing », au travers d'Inter-
en vomir, à en perdre connaissance, et puis tu le laisses souffrir le martyre. scope Records, et qu'il voulait que sa première signature soit Marilyn Man-
On m'a fait ce genre de blague lorsque j'étais plus jeune. son. Je pensais que c'était le meilleur label possible pour nous, car Trent
Comme d'habitude, cette sale blague a marché ; Kelly et sa copine en avait tellement marre des mauvaises expériences avec son ancienne
étaient bourrées, elles couraient autour de la pelouse où Sharon Tate et maison de disques, TVT, que l'une de ses priorités était de ne jamais déce-
ses amis avaient été assassinés. Elles ont sauté dans la piscine et, bizarre- voir ou maltraiter les groupes accueillis sur Nothing.
ment, j'ai suivi. C'est pourtant un truc que j'aime pas faire parce que je ne Trent m'a dit avoir été particulièrement impressionné par Live as Hell,
sais pas nager. Bref, j'étais dans la piscine en compagnie d'une morue, il une des démos qui étaient sorties à l'époque. Nous l'avions enregistrée
n'y a que comme ça que je peux la décrire. Elle sentait aussi fort qu'un dans une station de radio de Tampa Bay, et le son était complètement
pourri. Notre batteur de l'époque, Freddy the Wheel [Sara Lee Lucas], avait Y avait-il des tensions dans le groupe à cette époque ?
un rythme aussi impressionnant que le trou du cul de Kelly. C'est Trent qui m'a vite fait observer qu'il y avait des problèmes dans le
groupe. Il avait remarqué, comme tous ceux qui travaillaient avec lui, que
Parle-moi de l'enregistrement de ton premier album. Portrait of an Freddy the Wheel était un de nos points faibles. Brad Stewart [au départ
American Family, qui, l'année dernière, a été élu meilleur album de l'an- bassiste de Gidget Gein] était lui aussi encore dans le groupe, et je savais
née par nos lecteurs. qu'il était un autre point faible surtout depuis ses trois ou quatre overdoses.
Au départ, ça a été une véritable catastrophe. On est allés enregistrer J'étais sur le point de le virer pour le remplacer par Twiggy Ramirez.
à Hollywood, en Floride, aux studios Criteria qui appartiennent aux Bee D'autre part, pas mal de gens aimaient pas Daisy, non seulement à cause
Gees. Le type avec qui on travaillait s'appelait Roli Mossiman, un person- de son caractère caustique, mais ils trouvaient également qu'il n'avait pas
nage plutôt étrange. Je sais plus s'il était suisse ou allemand — en tout une technique extraordinaire — personnellement, je trouvais qu'il jouait
cas, il venait d'un pays où la brosse à dents n'existe pas. Il lui restait six pas mal et j'avais jamais de problèmes avec lui. Je savais que nous étions
— peut-être sept — dents dans la bouche. Et il en a perdu deux au cours aux portes du succès, mais je n'étais pas satisfait. Marilyn Manson n'était
de l'enregistrement. Pourries, elles tombaient tout naturellement et ça pas le groupe qu'il pouvait être. Je savais que je devais faire un tour en
l'empêchait pas de fumer. Et tu sais ce que je ressentais ? enfer pour amener le groupe là où je voulais. Je ne suis toujours pas revenu
de l'enfer. Vous savez, la seule façon d'en sortir, c'est de vraiment toucher
Ton manager m'a dit que tu le méprisais. le fond.
Exact. En studio, Roli s'amenait la cigarette au bec et cherchait à par-
tir le plus rapidement possible. Il arrêtait pas de nous raconter comment Je suis désolé. Une autre ligne ?
c'était lorsqu'il faisait partie des Swans, ce qui était une des raisons pour Sniffer la poudre ? OK ? [Bruits de couteau, reniflements.]
lesquelles nous l'avions choisi. En fait, il travaillait entre cinq et six minutes On en était où ?
par jour.
Lorsqu'on a enfin fini, Roli a fait exactement le contraire de ce que On parlait de Daisy.
j'attendais de lui. Je pensais qu'il allait ajouter une touche sombre. Mais Lorsque Daisy est sorti de l'hôpital, on lui a dit : « Ramène-toi. Viens
il essayait d'arrondir les angles, pour nous faire ressembler à un groupe écouter les mixes. Il faut qu'on cale les autres chansons. » Le jour où il était
pop, ce qui ne m'intéressait pas du tout, à l'époque. Le disque que nous censé venir, il a raté son avion et est arrivé en retard. Il est entré dans le
étions en train de faire avec lui allait être terne et sans âme. Trent, pen- studio, c'était la première fois que Trent se trouvait face à lui. Trent lui a
sant la même chose, s'est porté volontaire pour nous aider à réparer ce dit bonjour, et Daisy, agressif, a commencé à jouer au lèche-cul. Comme
qui avait été abîmé. d'habitude, on avait l'impression qu'il s'était passé de la graisse sur le visage
et les cheveux. Le gamin avait besoin de Stridex. Bon, il entre, avec sa tête
Et le groupe est parti à Los Angeles ? d'adolescent boutonneux et coléreux. Trent lui balance : « Tu veux écou-
Non, dans un premier temps, j'y suis allé tout seul pour essayer de ter les mixes ? »
remixer les morceaux qui me semblaient récupérables. Il m'est arrivé un Et Daisy lui répond : « Non, je vais fumer une dope. » Il s'est montré
truc bizarre un jour où je me suis senti prêt. J'ai appelé en Floride pour crétin d'entrée de jeu et ça me rendait mal à l'aise parce qu'il fallait que
parler à Daisy [Berkowitz, guitariste], et je suis tombé sur Pogo [clavier je prenne sa défense. Lorsqu'il a enfin entendu les mixes, Daisy ne leur a
connu sous le nom de Madonna Wayne Gacy]. Il m'a dit qu'ils étaient au prêté aucune attention et n'a fait aucun commentaire. Il s'est contenté de
Squeeze et raides d'équerre. Daisy ne tenant pas l'alcool, il s'était écroulé nous prendre la tête avec ses foutus projets musicaux.
et éclaté la tronche. Il s'était ouvert le menton et avait perdu la mémoire. On a quasiment passé le mois suivant à essayer de réenregistrer des
En se réveillant, il ne savait plus qui il était et n'arrêtait pas de dire : « Où chansons et à arranger les choses. Et on a tous compris qu'il n'était pas
est ma voiture ? Où est ma voiture ? » Il était persuadé d'avoir eu un acci- facile de travailler avec Daisy. Il était têtu, incapable de se souvenir d'au-
dent de voiture. Quand je l'ai appelé, on aurait dit quelqu'un d'autre. Je cune chanson de l'album. Il se contentait de gérer son agenda personnel
pouvais pas communiquer avec lui. Il comprenait pas ce que j'essayais de de musicien. Il voulait nous déballer toutes ses qualités. Faire ce disque a
lui dire et savait probablement pas qui j'étais. Les médecins lui ont annoncé parfois été frustrant. Mais on s'est surtout bien amusés. C'était nouveau.
qu'il avait une bulle d'air dans le cerveau. La vie semblait valoir la peine d'être vécue.
Pendant que nous travaillions sur Portrait, Trent commençait son album, Finalement, elle était plus maligne que nous ne pensions. Elle savait
The Downward Spiral. On a passé de bons moments à bosser ensemble. qu'on était en train de mater et a demandé une rallonge. On n'était pas
C'était exactement comme ça que j'avais envisagé de faire de la musique. d'accord, alors Pogo a disparu dans une autre pièce et, d'après ce que j'en
Tout le monde était relativement sobre, nous ne buvions que lorsque la sais, il s'est branlé sur les seins d'un homme — je ne sais pas dans quelle
nuit était bien avancée et, à part Brad Stewart qui était à fond dans l'hé- catégorie le placer... autre que dépravé, bien sûr.
roïne, je ne me souviens pas que quiconque se soit drogué. J'en avais marre
du monde entier, de tout ce qui ne faisait pas partie de ma vie, de ma C'était pas angoissant de travailler dans la maison de Sharon Tate ?
façon de voir la vie des autres. C'était bien d'être idéaliste. Je n'avais pas Un truc bizarre est arrivé pendant que nous mixions Wrapped in Plas-
encore été balafré par les maladies vénériennes, les drogues et les tour- tic. Cette chanson parle d'une famille américaine moyenne qui recouvre
nées qui allaient suivre. son canapé d'une housse en plastique et se pose la question : « La pous-
sière sera-t-elle dehors ou dedans ? » Il arrive souvent que les gens qui
En as-tu gardé de bons souvenirs ? semblent être propres sur eux soient en fait très sales. On utilisait un ordi-
Ouais. Dans le studio, il y avait une grande baie vitrée d'où on pouvait nateur parce qu'on avait beaucoup de samples et de séquences. Pendant
voir la salle d'enregistrement et une nuit, on a eu envie de s'amuser un qu'on travaillait sur ce titre, des samples de Monkey, une chanson de
peu. On a scotché 150 dollars sur la porte intérieure du studio — en fait Charles Manson, se sont incrustés dans le mix. Brusquement, on entendait
Trent et moi avions chacun mis 75 dollars. Pour remporter cette somme, la phrase : « Pourquoi un enfant grandit-il, et finit par tuer maman et
il suffisait de sortir du studio qui se trouvait sur Santa Monica Boulevard, papa ? » On ne comprenait pas ce que ça venait faire là. Le refrain de
là où dès la tombée de la nuit se retrouvaient, telles des blattes herma- Wrapped in Plastic étant : « Viens chez moi, on espère que tu vas rester ? »
phrodites, tous les prostitués, travestis ou transsexuels. Le jeu consistait à J'étais seul dans la maison de Sharon Tate en compagnie de Sean Beavan
en lever un (ou une), et à le ramener au studio. [le producteur assistant du disque]. On était totalement paniqués et on se
disait des trucs du genre : « Cette nuit est la dernière. » Le lendemain, tout
était rentré dans l'ordre. Les samples de Charles Manson n'étaient plus sur
la bande. Il n'y avait aucune explication logique ou technique au fait
qu'elles y aient été. Ce simple événement surnaturel m'avait fait flipper.

On est donc tous sortis faire un tour. Il y avait énormément de clients Pourquoi penses-tu que ce soit si branché pour des musiciens de faire
en voiture qui semblaient n'avoir aucun problème pour en lever. Mais, les référence à Charles Manson ?
putes ayant visiblement peur de nous, on est rentrés, frustrés, et on a Ça me gonfle. Axl Rose a été attaqué de toutes parts parce qu'il avait
mangé. enregistré une chanson de Charles Manson ; je vais vous expliquer com-
Pogo, qui avait un look de skinhead agrémenté d'une longue barbiche, ment il en a eu l'idée dans une minute. Lorsque Trent vivait dans la mai-
est allé dans la salle de bains pour se raser la tête. Il trimbalait toujours son de Sharon Tate, j'avais l'impression d'être le Marilyn Manson qui pre-
sur lui du maquillage de clown, car il lui arrivait souvent d'aller se bala- nait en marche le train de Trent Reznor, ce qui est assez drôle. Mais je n'en
der déguisé. Il s'est grimé comme Gene Simmons et est sorti tout seul. voulais pas à la terre entière. Je m'en foutais. En effet, c'était une occa-
Nous avions commencé à enregistrer quelques morceaux, lorsque soudain sion unique d'enregistrer là, de dormir là et de flipper à cause des fan-
Pogo est entré dans le studio au bras d'un être androgyne. Dans la cabine, tômes qui vivaient là.
on a eu juste besoin d'ouvrir les micros de la batterie pour entendre leur
conversation. Cette personne s'appelait apparemment Marie, et d'où on C'est une bonne raison. Encore une petite ligne ?
était, elle ressemblait plutôt à une femme, pas mal en plus, du moins pour D'accord, mais c'est la dernière. [Bruits de succion.]
une prostituée. Mais en la regardant plus attentivement, on pouvait voir Alors ce qui s'est passé avec Guns N'Roses : un soir, Trent m'avait traîné
sous ses bas résille des plaies sur ses jambes qui ressemblaient à des brû- à un concert de U2 et, backstage, j'ai rencontré Axl Rose. Il était névrosé,
lures d'énormes cigares ou d'autres sévices dont nous ne voulions pas il me parlait de ses problèmes psychologiques, de son dédoublement de
entendre parler. personnalité, pendant que je me disais : « Ce mec est complètement naze. »
Mais comme je suis du genre plus que fervent, j'ai commencé à lui parler sortir un album sur n'importe quel autre label, ce qui faisait partie de son
de mon groupe et je lui ai dit : « Tu sais, on fait une chanson qui s'appelle contrat à Interscope, même si, techniquement, Interscope possédait Nothing.
My Monkey, c'est une adaptation d'un titre de Lie, l'album de Charles Guy Oseary, de Maverick Records [le label de Madonna], est donc venu nous
Manson. » voir, accompagné de Freddy DeMan, le manager de Madonna. Le truc le
Et il me fait : « Jamais entendu parler. » plus marrant qui s'est passé avec ces deux types, c'est la première question
Je lui réponds : « Tu devrais le trouver, c'est cool. » Et puis, environ six qu'ils m'ont posée après le show : « Eh, les mecs, vous êtes juifs ? » Notre
mois plus tard, Guns N'Roses sort The Spaghetti Incident, où Axl Rose fait clavier leur a dit : « Ouais, j'suis juif, mais j'suis pas croyant, et pas prati-
une reprise de Look at Your Game, Girl tiré de l'album Lie. quant. » Et ils ont répondu : « Ouais, OK, c'est cool, ça va coller entre nous. »
Il s'était mis tout le monde à dos, surtout la sœur de Sharon Tate. On Ça semblait rouler. Ils sont repartis pour New York et ont appelé notre
a fini notre album peu de temps après. Dessus, il y avait My Monkey, le manager deux jours plus tard en lui disant : « Nous n'avons aucun pro-
titre sur lequel chante Robert Pierce, un môme de cinq ans. L'ironie se blème avec l'image de Marilyn Manson, ni avec ses tatouages, ni avec son
trouve là : pour lui, il ne s'agissait que d'une innocente comptine, alors mélange d'occultisme et de satanisme. Mais il faut qu'on sache un truc.
que pour tout le monde, c'était une histoire horrible. Manson a-t-il des tatouages de croix gammées ? » Il leur a répondu : « Non.
Une fois l'album plié, j'ai reçu ce coup de fil de Trent et de John Malm, Vous parlez de quoi ? »
le manager de Trent et le responsable de Nothing Records. Ils étaient du Ils ont dit : « On voulait vérifier qu'il n'y ait pas de message antisémite
genre : « Écoute, t'es d'accord pour sortir l'album en virant My Monkey ? » parce qu'on ne veut pas les cautionner. »
Je leur ai demandé pourquoi. Alors que je m'acharnais à mettre en évidence les opprimés, je ne com-
Ils m'ont répondu : « Interscope a eu des problèmes à cause de la ver- prenais pas comment il pouvait se tromper à ce point sur le sens de mon
sion merdique d'AxI Rose et ils sont obligés de verser tous les bénéfices message. La situation était vraiment étrange. Après avoir contrôlé mes
du titre aux familles des victimes. » tatouages, ils nous ont proposé un deal. Chez Interscope, ça a dû être
J'ai dit : « Ça ne me pose aucun problème. Expliquez-moi simplement comme si on leur avait mis un pétard dans le cul, parce qu'ils sont revenus
ce qui va se passer. » (Le texte n'était pas entièrement de Charles Manson. immédiatement à la charge, en nous disant : « Écoutez, on est d'accord
Je lui avais juste emprunté quelques phrases, le reste était de moi.) pour sortir le disque et vous donner une grosse avance. » On a accepté
Finalement, Interscope a insisté pour virer ce titre, j'ai fini par leur dire parce que, depuis le début, on voulait être sur Interscope, j'avais confiance
« Non », si bien qu'ils n'ont plus voulu sortir l'album. Tout d'un coup, on dans ce label. J'ai d'ailleurs toujours confiance. En fait, ils avaient un deal
était passé du statut d'espoir de la scène du sud de la Floride, à celui de avec Time Warner et c'est eux qui nous ont mis des bâtons dans les roues.
seul groupe qui ne sortirait jamais, de nouveau un groupe local sans label.
Ça craignait. C'est la pire période de ma vie parce que le disque était fait Et du coup, Interscope t'a autorisé à mettre My Monkey sur l'album ?
et que tout le monde l'attendait dans les bacs. Oui, mais on a continué à avoir des problèmes. Je voulais mettre dans
Pendant ce temps, mon premier bassiste [Brian Tutunik, plus connu le livret une photo de moi enfant, allongé nu sur un canapé. Lorsque tu
sous le nom d'Olivia Newton Bundy], avait monté un groupe, Collapsing veux expliquer quelque chose aux gens, leur première réaction est de sai-
Lungs, signé par Atlantic. Ils nous prenaient de haut parce qu'ils étaient sir en quoi ça les concerne. Et c'est ce qui s'est passé avec les avocats d'In-
persuadés de devenir d'énormes rock stars. C'est à la même période qu'on terscope lorsqu'ils m'ont dit : « D'abord, cette photo va être considérée
a viré Brad, son remplaçant. Il était dans l'héroïne jusqu'au cou et on pas- comme de la pornographie pédophile, et non seulement les magasins qui
sait plus de temps à s'occuper de lui qu'à répéter. À cette époque, je me vendront l'album auront des ennuis, mais nous allons devoir payer pour
sentais vraiment frustré. J'étais prêt à tout arrêter. Je pensais que c'était ça. » Ils m'ont expliqué que si un juge tombait là-dessus, il prétendrait qu'il
terminé, que mes idées étaient trop fortes pour les gens. J'ai même pensé s'agit du cliché d'un mineur pouvant inciter à des pratiques sexuelles inter-
trouver une autre forme d'expression, tout en sachant qu'une année ou dites, donc considéré comme acte de pédophilie. J'ai répondu : « Je suis
deux seraient bénéfiques à ma musique. complètement d'accord. Cette photo a été prise en toute innocence par
ma mère, un acte très naturel. Mais si vous considérez ça comme de la por-
Comment Interscope est-il revenu à la charge ? nographie, en quoi suis-je coupable ? C'est vous que ça fait bander. Pour-
Lorsque tout allait de travers, Trent nous a soutenus et nous a pas lais- quoi on vous punit pas vous ? » C'est exactement ce que je veux montrer.
sés tomber. Il nous disait de ne pas nous en faire car il avait la possibilité de La morale populaire est stupide. Dès que ça les excite, c'est pas bien.
[Manson fouille dans ses bagages et sort le livret original de l'album.
Il n'y a aucun texte, juste la reproduction d'une peinture d'un clown en
couverture.]
Tu vois, on avait une toile de John Wayne Gacy représentant un clown
sur la couverture. Regarde l'autre photo à l'intérieur. Une de mes photos
préférées et je ne m'en suis jamais servi. C'est une de ces poupées des
années soixante, on tire une ficelle qui est dans son dos et ses yeux s'agran-
dissent en changeant de couleur. Autour d'elle, il y a un cercle composé
de dents de sagesse, de bonbons, de pastilles de menthe et de polaroïds
d'une fille mutilée. J'avais truqué la photo sans que ça se voie. Ils m'ont
tout de suite appelé pour me dire : « Écoute. D'abord, on ne va pas impri-
mer ce genre de photo et, surtout, on ne peut pas le faire à moins que tu
nous fournisses un nom et une déclaration sous serment de la personne
qui est sur le cliché. Sinon, on va finir en taule. » Ils étaient persuadés que
la photo était vraie : alors j'ai donné mon accord pour ne pas l'utiliser. Je
crois que ça les a rassurés de penser que la photo n'était pas truquée. Ça
a toujours été un jeu de ne pas se compromettre, mais aussi de connaître
ses limites et de faire du mieux qu'on peut à l'intérieur de ces limites.

Tes premières expériences avec Interscope ne t'ont pas rendu amer ?


L'AMÉRIQUE RENCONTRE MARILYN MANSON
En fait, on en veut toujours à la terre entière lorsqu'on a la sensation SECONDE PARTIE D'UNE HISTOIRE EN DEUX PARTIES
qu'un label ne soutient pas un artiste jusqu'au bout, alors qu'il le mérite. par Sarah Fim
C'était à nous de nous bouger le cul, de faire des tournées. On a tourné Empyrean Magazine, 1995
pendant deux bonnes années : un an en première partie de Nine Inch Nails,
et l'année suivante on a écumé tous les clubs. Il fallait juste être persévé- La dernière fois, nous avons laissé Marilyn Manson dans sa chambre
rant. d'hôtel : il sniffait de la coke en donnant une interview exclusive à Empy-
rean à propos de la tornade qu'avait été l'année précédente. Nous sommes
Avec le recul, es-tu satisfait de cet album ? le même jour, il est quatre heures du matin, et il se prépare à se lancer
Eh bien, en fait, dans cet album je voulais mettre tout un tas de trucs dans les aventures dévastatrices vécues au cours de ses tournées avec Nine
que j'avais déjà déclarés dans des interviews. Mais aujourd'hui, je crois Inch Nails (avec le Jim Rose Circus Sideshow, et plus tard avec Hole en ouver-
que je suis un peu passé à côté, comme si je m'étais pas bien fait com- ture), lorsqu'on frappe à la porte. Il cache le CD de Judas Priest recouvert
prendre. Je suis peut-être trop resté dans le flou, ou peut-être que les de dope derrière une boîte en carton, puis se lève en arrangeant son T-
chansons n'étaient pas assez bonnes. Qu'importe, je voulais dénoncer shirt Friend or Foe d'Adam Ant. Il regarde longuement par le judas, crai-
l'Amérique du talk-show qui, à force d'être propre sur soi, passe finale- gnant sans doute de découvrir certaines de ces fugueuses psychotiques
ment son temps à blablater plutôt qu'agir. qui le suivent servilement, tout en surveillant le moindre de ses gestes, et
J'étais obsédé par la manière dont les mômes grandissaient, ce qui nous couchent avec son équipe (et parfois avec les musiciens lorsque ceux-ci
était présenté se trouvait beaucoup plus chargé de sens que ce que nos sont vraiment au bord du désespoir) pour apprendre de nouveaux ragots
parents pensaient, du style Willy Wonka ou les frères Grimm. Ce que j'avais sur lui.
choisi de montrer du doigt, c'était que nos parents nous cachaient la vérité Mais la vision qui lui fait face lorsqu'il ouvre la porte est encore plus
et cela faisait davantage de dégâts que de montrer d'entrée de jeu Mari- épouvantable : c'est Twiggy Ramirez, son bassiste, une bouteille de vin à
lyn Manson par exemple. Je pense que, vu sous cet angle, je suis un anti- la main. Il a l'air de revenir de l'enfer. Il se plaint d'être vraiment très mal
héros. Je pense que je réussirai à mieux l'exprimer sur le prochain album. par-ce qu'il a sniffé trop de cocaïne. Puis il se fait une autre ligne avant de
s'asseoir dans un fauteuil dans un coin de la pièce en remontant ses genoux Cette tournée a dû être ahurissante. Tu sors de nulle part et tu vis
sur sa chemise rouge et blanc grande ouverte. Au lieu de le rendre volu- comme une rock star sur le circuit des stades !
bile, la coke le casse. À chaque question qu'on lui pose, il n'a qu'une seule Personne n'avait entendu parler de nous, et notre album n'était pas
réponse : « du whisky et du speed. » encore sorti. Des rumeurs couraient, nous avions eu quelques papiers grâce
J'espère que sa présence ne va pas empêcher Manson de parler en toute à notre agent, Sioux Z., qui était très excitée par notre projet, bien que je
liberté et de rester honnête. Tout en se servant un grand verre de vin, sois persuadé qu'elle n'y comprenait rien. J'en voulais toujours plus. C'était
Manson me dit qu'il n'y a pas de problème. mon problème : j'en voulais toujours plus. Et à chaque fois que j'en par-
lais à mon agent de publicité, à ma maison de disques ou à mon produc-
EMPYREAN : Sniffe un peu avant qu'on reprenne. teur, ils me disaient tous que je devais être patient et qu'il fallait que j'ar-
MANSON : Cette poudre sait faire parler. [Reniflements.] Beurk ! (Il sur- rête de rêver. Même Trent et son manager, le jour où ils nous ont signés,
saute en voyant sur la vidéo une scène au cours de laquelle des handica- nous ont dit un truc du genre : « Les mecs, je pense qu'un de ces jours vous
pés se font mutiler.] vendrez autant que Ministry. »

Quand as-tu commencé à prendre de la cocaïne ? Ça veut dire 200 000 albums.
Ça fait pas très longtemps. La première fois, c'était sur la tournée de Exact. Et ça me brisait le moral. Je veux être plus gros que Kiss. Je veux
Nine Inch Nails. On venait de finir un show à Chicago et un des roadies pas passer inaperçu. Je devrais pas le dire, mais merde, personne ne lit ton
m'a dit de passer avec Twiggy dans la loge de Trent. Il était là avec un de magazine. [Il se fait une ligne et en sniffe la moitié.]
ses musiciens. La pièce était dévastée, il y avait de la nourriture partout. En tout cas, depuis le début, j'ai toujours eu l'impression de participer
De la merde était écrasée sur le sol. Des fringues sales traînaient dans tous à une compétition. Pas de mon côté, mais du leur. Ils n'arrivaient pas à me
les coins. Tout était recouvert de farine, car ces types avaient l'habitude suivre, j'avais toujours une longueur d'avance dans ma tête, j'étais certain
de se balancer de la farine. d'y arriver, mais j'étais le seul. C'était très décevant. Y a un truc que
Au milieu des débris, il y avait un type étrange aux cheveux gris, une personne comprenait alors : la seule façon d'arriver là où vous voulez, de
espèce de hippie vérolé qui avait pu passer backstage en refilant de la réaliser vos rêves et de devenir important, c'est d'exiger ce type d'atten-
dope : il avait préparé une trentaine de lignes sur le lavabo en alu de la tion. C'est à vous d'y croire. Et je pense qu'à l'époque personne n'y croyait
salle de bains. C'était la caricature de la drogue chez les rock stars, il y en à part moi et mon groupe, enfin tout du moins le noyau du groupe,
avait au moins 500 grammes. Il nous a fait : « Vous en voulez ? » Et nous : c'est-à-dire Pogo, Twiggy et moi.
« On n'en a jamais pris. » Alors il nous a dit : « Essayez. » On a essayé et
ça nous a explosé la tête. On s'est fait ligne sur ligne. Revenons-en à la tournée.
Je portais des sous-vêtements en caoutchouc qui n'avaient qu'une seule Ouais, d'accord. Il s'est passé plein de choses intéressantes avec Jim Rose
ouverture pour laisser passer ma bite. Je n'ai porté que ça pendant cette [leader d'une troupe itinérante de monstres et de contorsionnistes appe-
tournée. Et il y avait ces deux nanas qui attendaient backstage, une blonde lée The Jim Rose Circus Sideshow]. C'était toujours une grande émotion
et une rousse : les deux étaient bien roulées. L'une faisait des études de de l'avoir à côté de nous parce qu'il avait une idée à la seconde. Il y avait
psychiatrie, l'autre n'était qu'une traînée. Je me rappelle que j'étais très une fille qui nous suivait de ville en ville pendant la tournée, un peu grosse,
stoned, et que j'avais toujours mon pantalon que je ne retirais que lorsque mais mignonne : elle ressemblait à ce que pourrait être une femelle koala
j'allais me coucher. Et je les ai baisées toutes les deux tout habillé, dans avec des mamelles de style gothique. Un soir, on l'a convaincue de se mettre
l'antichambre, une sorte de version crade de Superman. Ma peau ne les nue, de se pencher en avant tandis que, tour à tour, tout le monde cra-
a pas touchées. C'était comme si je portais une capote intégrale. chait en visant son trou du cul. Je n'ai pas participé à ce jeu que je trou-
vais vulgaire.
Tu n'avais pas peur que ton cœur lâche à cause de la cocaïne ?
À l'époque, je m'en foutais complètement. On pensait que c'était drôle, Tu dis ça juste pour moi.
juste un cliché, qu'il n'y avait que des crétins comme John Belushi et Corey Non, c'est vrai. Effectivement, à un moment je me suis dit : « Pourquoi
Feldman pour se foutre en l'air avec ça. pas ? » Mais j'étais gêné, j'avais un peu honte pour elle. Elle semblait être
le type de personne qui voulait simplement se faire accepter. On profitait toilettes où, traditionnellement, nous planquions la dope. Par chance, ils
de son anxiété et de son dénuement, et j'ai un faible pour les gens comme n'ont jamais envoyé de mandat d'arrêt ni engagé de poursuites pour cet
ça, parce que j'ai un tel besoin de reconnaissance que j'ai souvent laissé événement particulier.
les gens profiter de moi. J'ai moi-même établi certaines limites à ne pas On a recommencé quelques jours plus tard, en privé. On racontait cette
dépasser. Je ne pense pas détenir la vérité. Je prenais ça pour une simple anecdote pour la vingtième fois à la fête qui a suivi le concert de Nine Inch
distraction. Sauf que je n'y participais pas. Nails, où traînaient toutes sortes de gens sélectionnés par Jim Rose en
Par contre, j'ai participé à d'autres trucs. Celui qui m'a le plus marqué personne — beaucoup de superbes filles qui semblaient suffisamment
s'est passé à la fin de la collaboration de Jim Rose à la tournée. On avait idiotes pour faire tout ce qu'il voudrait. On m'a demandé de refaire la per-
envie de déconner. Jim Rose avait rassemblé des gens très différents les formance : je ne me suis pas dégonflé et j'ai recommencé pour prouver
uns des autres. Il avait bien fait les choses. Il avait amené une dizaine de que ce n'était pas uniquement pour l'art, mais également pour le plaisir.
filles nubiles et toutes prêtes à se faire sauter. Malheureusement, ce n'est Cette fois, je m'y suis mieux pris et, contrairement à lui, je pense, je ne
pas ce qui s'est passé, et je suis certain qu'elles ont été déçues. bandais toujours pas.
À la place, il a inventé un concours de mouvements d'intestins, dont le
but était de s'enfiler une poire à lavement et de la garder le plus long- Qu'est-ce qui s'est passé d'autre au cours de cette tournée ?
temps possible. La première personne qui la rejetait avait perdu. Trois des Je crois que ma première vraie expérience dans le monde du rock'n'roll,
filles ont accepté d'y participer. Elles étaient pas mal pour des filles qui ça a été à Cleveland, le jour où Hole a rejoint la tournée. La programma-
participent à ce genre de truc. Moi, je donnais les poires à lavement et je tion était : Marilyn Manson, Hole et Nine Inch Nails. Courtney est montée
tenais un bol de céréales Fruit Loops sous leur cul. La première des filles sur scène en retard. Elle descendait à peine de l'avion et était complète-
l'a immédiatement expulsé — en rejetant une espèce de liquide brunâtre ment en vrac en arrivant au concert. Elle a certainement fait l'un des pires
qui n'était pas tout à fait de la merde. Juste un liquide d'une couleur concerts de sa vie. Je suis certain qu'elle le reconnaîtrait. Elle a enlevé le
étrange. Du coup Mr. Lifto, qui jouait le costaud dans le Jim Rose Show et haut et a fait une réflexion sarcastique sur Trent Reznor, comme quoi il
qui avait une bite à la place du cerveau, a avalé le bol de céréales. La fille était le champion ou le pire pour faire chier le public, avant de se jeter
qui a fini par gagner n'a pas rejeté la poire, ni même chié. dans la foule. Les gens essayaient de lui tripoter les seins et de la désha-
biller entièrement.
Et qu'est-ce qu'elle a gagné ? Une fois sortie de scène, elle s'est pointée dans notre loge qui était
Notre respect et notre admiration. juste à côté de la sienne. Elle n'avait plus que sa culotte et son soutien-
gorge, et elle traînassait, étalée là, soit défoncée, soit bourrée. Peut-être
Tu t'es senti vengé quand tu es revenu à Fort Lauderdale avec le sta- les deux. J'étais troublé par la situation car — en dehors de Trent — c'était
tut de rock star ? une des premières personnes de (mauvaise) réputation que j'avais jamais
En fait, notre premier grand show a eu lieu à Miami. Tout le monde croisées. J'ai donc gardé mes distances. Je ne sais pas si c'est parce que
était là : mes parents, toutes les filles avec qui j'avais couché, toutes les j'étais effrayé ou si je ne voulais pas être mis en cause.
filles avec qui j'avais eu envie de coucher, ainsi que tous ceux que j'avais Elle a essayé les fringues de tout le monde. Je me souviens que Daisy
virés du groupe. Et pendant que nous étions sur scène, Robin [Finck], le m'a gonflé parce que, avec son mauvais goût habituel, il essayait d'échan-
guitariste de Nine Inch Nails, est arrivé en courant, vêtu d'un cache-sexe ger ses vêtements contre une des guitares de Kurt Cobain. Elle a été très
avec, à la main, un gâteau recouvert de poudre qu'il avait l'intention, cool à ce sujet et n'a pas été choquée.
pour une raison qui m'échappe, de m'écraser sur la tête. Pour contrer ce
sabotage, je l'ai attrapé, j'ai baissé son froc et mis son pénis flasque et salé Encore un peu de vin ?
dans ma bouche. Et... euh... je l'ai sucé pendant quelques instants, mais Oui. Il faudrait que je dorme, en fin de compte. [Il remplit son verre.]
pas suffisamment pour que ce soit une vraie pipe. Il faut que je signale
que ça ne m'a pas fait bander, juste pour faire taire tous ceux qui Courtney a toujours prétendu avoir eu une relation avec Trent, Trent
prétendent que je suis gay. Ensuite, très emmerdé, il est sorti de scène à l'a toujours nié. Quelle est la vérité ?
toute allure et, dès la fin du show, il a fallu que j'échappe aux flics. Ils sont Je ne devrais pas en parler. Tout ce que je dirai c'est qu'il me semble
venus backstage pour m'interpeller, alors que j'étais caché dans les que Trent avait amené Hole sur la tournée pour apporter un peu de nou-
veauté. Il semblait la détester et je pense qu'il l'avait prise sur la tournée, qu'il avait reçu un coup de fil hystérique en plein milieu de la nuit. Court-
soit pour se moquer d'elle, soit plus simplement pour l'étudier. Mais au ney était apparemment en ville et lui avait dit : « Ramène-toi, je flippe ! »
fur et à mesure, j'ai remarqué que Trent et Courtney passaient de plus en Il est réapparu le lendemain matin à sept heures. Je lui ai demandé ce
plus de temps ensemble ; d'ailleurs, à ce moment de la tournée, Trent ne qui s'était passé. Il a enlevé sa chemise et m'a montré des traces géantes
nous parlait plus beaucoup. Il semblait avoir disparu dans son propre de griffures rouges qu'il avait dans le dos. Penaud, il m'a avoué s'être
monde — ou dans celui de Courtney. adonné à des actes sexuels particulièrement obscènes et très graphiques.
Très excitants. Je laisse le reste à ton imagination.
Bref, tu ne sais pas s'ils couchaient ensemble. Ils ont continué leur liaison en la gardant secrète, sans doute parce qu'à
Eh bien, les choses ont commencé à devenir bizarres un peu plus d'un l'époque Twiggy n'était pas assez connu pour que Courtney reconnaisse
mois après, vers la fin de la tournée. Courtney s'est pointée au bungalow qu'elle baisait avec lui.
de Trent, a essayé de forcer la porte et de faire d'autres trucs dont je me
souviens pas parce que j'étais bourré. Mais elle piquait une crise comme Penses-tu qu'elle le manipulait pour avoir Trent ?
seule peut le faire une fille que t'as baisée. J'ai donc pensé qu'il se passait MANSON : Je ne sais pas, mais Trent semblait le penser. Et ça a marché.
quelque chose dont Trent ne nous avait pas parlé, surtout qu'il rôdait Peu de temps après, on a reçu
autour de sa chambre d'hôtel à des heures bizarres de la nuit. Encore un coup de fil de John Malm,
aujourd'hui, il n'admettra devant aucun d'entre nous ce qui s'est passé. À le président de Nothing. Pen-
toi de juger. dant la tournée, on avait viré
notre manager de Floride, bien
Je pensais que tu devais me dire la vérité sur tous les événements de trop occupé avec le groupe de
l'année dernière. country Mavericks pour s'inté-
Je dis la vérité. Twiggy peut t'en dire plus parce que, par la suite, il a resser à nous. Il a passé le relais
eu avec elle une relation discrète, non officielle, dont personne n'a entendu à Nothing. Alors, John Malm,
parler. notre nouveau manager, nous
a dit : « Écoutez, ne traînez pas
C'est vrai Twiggy ? avec Courtney. Elle est en train
TWIGGY : La vérité, c'est que j'ai de chercher où Trent se trouve,
besoin de whisky et de speed. elle se sert de vous pour le
MANSON : Ce qui est arrivé, quand savoir. »
Hole a quitté la tournée, c'est qu'on
n'arrêtait pas de tomber sur Court- Alors, Twiggy, qu'as-tu choisi ? La paix de Trent ou ta relation nouvelle
ney. À chaque fois qu'elle se pointait, avec Courtney ?
cela mettait Trent dans un état de TWIGGY : Du whisky et du speed.
stress pas possible. C'est un type qui MANSON : Il est resté avec elle, mais pas du tout pour provoquer qui
n'aime pas les conflits, alors plutôt que ce soit. Il était juste fou d'elle. Je pense aussi qu'il était fasciné par
que de les affronter, il se ronge les Courtney parce qu'il n'avait pas vécu d'aventure avec quelqu'un de cette
sangs. stature. Pendant cette période, je ne comprenais pas vraiment Courtney,
Une nuit, nous sommes partis en virée. Je crois que c'était à Huston : je me rangeais du côté de Trent. J'ai sympathisé avec lui et j'ai cru sa ver-
Trent travaillait sur la bande-son de Natural Born Killers. Twiggy et moi, sion de l'histoire. Je ne sentais pas du tout Courtney et je n'avais pas envie
on est entrés dans un bar et un type nous a refilé de la dope. On a connu de m'en mêler. [Soudain, Twiggy a bondi de sa chaise en rougissant]
un de nos premiers grands flips. J'avais la sensation que j'allais mourir, je TWIGGY : Tout le monde m'accusait de me faire manipuler, mais à cette
voulais appeler tous ceux que je connaissais pour leur dire que je les aimais, époque c'était une vraie histoire. Elle avait une signification. J'ai plus appris
que j'avais peur. Pendant que j'étais en plein flip, Twiggy a disparu parce avec cette relation qu'avec aucune autre. Elle m'inspirait. Plus nous étions
proches l'un de l'autre, plus la pression était grande pour qu'on s'éloigne. backstage que je lui enfonce mon poing dans le cul ? » Ils s'étaient dit :
Je pense qu'au début il y avait aussi l'idée que je discréditais le trophée « Ah, ah, on va lui montrer. On va lui ramener un mec et il se dégon-
de Trent. [Il s'écroule à nouveau sur sa chaise.] Le timing n'était pas bon. flera. » Mais, plus pour détruire leur plan que par peur de passer pour
un hypocrite, j'ai répondu : « D'accord, pas de problème. » J'ai enfilé un
Twiggy, veux-tu ajouter quelque chose ? énorme gant en caoutchouc jusqu'au poignet et, ne trouvant qu'une
TWIGGY : Du whisky et du speed. plaquette de margarine en guise de lubrifiant, j'en ai enduit mon poing
MANSON : Jusqu'à récemment, je n'avais jamais eu de vraie conversa- et puis j'ai essayé d'enfoncer ma main le plus profondément possible,
tion avec Courtney, et là, j'ai découvert que c'était quelqu'un de très bien, sans doute au-delà de mes phalanges, dans le rectum béant et angoissé
et de beaucoup plus stable que ne le pense la majorité des gens. Nous de ce type.
jouions quelque part sur la côte ouest, lorsqu'on a frappé à la porte de Je pensais que ça allait être terminé. Mais, lorsque cinq minutes plus
notre bus. J'ai entendu cette voix alcoolisée et râpeuse en train de hur- tard je suis monté sur scène, Nine Inch Nails nous ont tendu un guet-
ler : « Jeordie ! Jeordie ! Où est cet enculé de Jeordie ? » Et Courtney est apens et nous ont recouverts de toutes les substances dégoûtantes qui
montée dans le bus en boitant, car, apparemment, elle était tombée la leur tombaient sous la main — farine, sauce tomate, vaseline, guaca-
nuit précédente et s'était blessée à la jambe. Elle a vu une fille assise et mole, ketchup, talc pour bébé. On a donc été obligés de monter sur scène
l'a immédiatement prise à partie en hurlant : « T'as aucune raison d'être avec toute cette merde sur nous et, pendant qu'on jouait, cinq strip-
dans ce bus. Tu frais mieux de te trouver un clavier et de démarrer ton teaseurs sont arrivés en courant sur la scène et ont commencé à danser.
propre groupe. Ça serait ces mecs qui seraient dans ton bus. » Je trouvais que ça allait trop loin : ils nous sabotaient notre show, je ne
Puis elle nous a regardés et nous a demandé si nous avions des bei- voulais pas que les spectateurs pensent que je puisse être responsable
gnets. J'en avais une douzaine, elle en a pris quatre et les a dévorés avant d'un truc aussi stupide.
même d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouché. Alors elle a viré son ban- On est sortis de scène avec une énorme envie de faire payer à Trent
dage et l'a balancé à notre directeur de tournée qui commençait à criser et à sa bande ce bizutage qui avait été trop loin. Mais ce n'était pas ter-
parce qu'il avait du sang sur lui. Même si c'était le sang d'une star, ça n'était miné. Je portais un short en cuir et des chaussettes trempées, et nous
pas dans son contrat. Lorsque Twiggy a déboulé de l'arrière du bus, où il étions tous recouverts de bière, de sueur, de rouge à lèvres et de tous les
avait sans doute planqué plusieurs adolescentes, il semblait à la fois embar- condiments qui traînaient backstage. On est tombés dans une nouvelle
rassé et amusé par la situation. C'est à cet instant précis que j'ai commencé embuscade, sans avoir le temps de nous réfugier dans notre loge : on
à bien aimer Courtney et à avoir du respect pour elle, parce qu'elle m'avait était couverts de crème fouettée. Des gardes de la sécurité nous ont sauté
fait rire : je la trouvais cool. dessus pour nous passer les menottes dans le dos, nous ont entraînés vers
une sortie de secours, puis nous ont forcés à monter dans un pick-up.
Je me suis laissé dire que, pendant le dernier concert de la tournée, Ils ont fermé les portières avant de démarrer : il ne s'agissait plus d'une
les Nine Inch Nails se sont vengés. C'est vrai ? plaisanterie. Avec le recul, je suis impressionné par l'organisation qu'ils
Ils ne se sont pas vraiment vengés. C'est une tradition pendant le der- avaient mise en place. Mais, sur le moment, j'avais une trouille terrible
nier concert d'une tournée. Le groupe qui ouvre se fait emmerder par la parce qu'on a roulé pendant une demi-heure. On a atterri dans le centre
tête d'affiche. Donc, à Philadelphie, lors de notre dernier show, je sortais de Philly où ils nous ont fait descendre de la camionnette, puis ils ont
des toilettes en backstage avant de monter sur scène et, là, j'ai vu deux jeté les clés des menottes dans une poubelle. Ils ont froissé un billet d'un
filles nues enlacées qui se caressaient. À côté d'elles, il y avait, à poil, un dollar qu'ils ont lancé par terre en éclatant de rire : « Ça vous aidera à
étrange bisexuel. Tout le monde — notre groupe et Nine Inch Nails — les retourner au concert. »
regardait. C'est alors que le type s'est approché de moi : « J'ai entendu Il devait faire dans les cinq degrés, on était pratiquement nus, gre-
dire que tu étais prêt à faire un fist-fucking backstage à tous ceux qui lottant de froid, trempés et couverts de crasse. Nous étions si effrayants,
avaient des couilles. Je voudrais savoir si je peux profiter de cette propo- pathétiques et dégénérés que personne n'aurait voulu marcher sur le
sition. » même trottoir que nous. On a quand même fini par tomber sur des étu-
Nine Inch Nails me l'avait mis dans les pattes parce que, sur scène, diants que nous avons suppliés de nous reconduire au stade.
j'avais pris pour habitude de lancer cette phrase : « Qui veut me suivre
Tu leur en veux ? vait tenter un truc différent. Twiggy avait mis un costume, moi un cha-
Non. Lorsqu'on est capable de passer un savon, il faut savoir en rece- peau de cow-boy noir, un long manteau noir, et je m'étais peint une ligne
voir. À cette époque, j'avais beaucoup de mal à garder mon sang-froid, noire qui partait de mon front pour finir sur ma bite. Pogo était torse nu,
mais à présent je vois ça comme une bonne farce, beaucoup plus subtile il portait mon sous-vêtement avec l'ouverture pour la bite, ainsi qu'une
et cruelle que tout ce que j'aurais pu inventer. En fait c'était comme un énorme ceinture cloutée sur laquelle le mot Hate flamboyait en grandes
bizutage de première année. On pouvait passer dans la classe supérieure. lettres rouges. Il ressemblait à une sorte de grand bébé poilu et terrifiant
surmonté d'une tête de fœtus chauve, une large poitrine broussailleuse,
Il y a quand même bien eu un peu de sang versé en cours de route, une ceinture de force de catcheur olympique, bourré aux stéroïdes, une
dont ont été victimes votre batteur et un certain nombre de poulets ? bite flasque entourée de vinyle noir et des bottes de combat. C'était lui,
Bon, il faut que je mette les choses au point. Il y a des gens qui pré- parmi nous tous, qui avait le look le plus gay. J'ai essayé de convaincre
tendent que nous avons tué un poulet au cours d'un show au Texas, d'autres Daisy de faire quelque chose de différent et de prendre davantage de plai-
qu'il n'est pas mort. En vérité, une fois la tournée avec Nine Inch Nails ter- sir ; il m'a répondu un truc stupide du genre [parlant lentement, d'une
minée, nous avons fait quelques shows de notre côté avant d'aller à La voix traînante] : « Ouais, pigé. Je devrais ressembler davantage à Daisy
Nouvelle-Orléans pour bosser sur le single Smells Like Children. Pour plai- Berkowitz. »
santer, j'avais suggéré que nous ayons un poulet vivant dans notre show. Tout le monde savait que Freddy allait être viré sauf lui, car une semaine
Je pense qu'au Texas il est tout à fait normal d'avoir des poulets qui cou- plus tôt, pendant que Freddy the Wheel bricolait dans son coin, on avait
rent partout, parce qu'un soir, backstage, au milieu des pousses de céleri auditionné Kenny Wilson, un batteur de Las Vegas, un type calme et plus
et des bouteilles de Jack Daniel's, on a trouvé un poulet en train de glous- âgé, à qui on avait demandé de rejoindre le groupe sous le nom de Gin-
ser dans une cage. Je l'avais baptisé Jebediah et je me suis rapidement ger Fish. Il avait passé une nuit avec nous dans le bus, on avait juste raconté
attaché à lui. Je n'avais aucune intention de le tuer. Or le décor de notre à Freddy que c'était un copain de notre manager. Il a gobé ça.
spectacle étant un croisement bizarre entre Ziggy Stardust et Massacre à On ne voulait pas faire de peine à Freddy, on l'aimait bien en tant qu'in-
la tronçonneuse, je trouvais visuellement intéressant d'intégrer le poulet dividu. Il fallait bien qu'on fasse un truc exceptionnel pour son dernier
à ce que nous essayions de représenter. Il a donc fait la tournée avec nous, show avec Le groupe. Twiggy et moi, on s'était rasé les sourcils, lui avait
et de temps en temps je lui tendais le micro pour qu'il chante avec nous. toujours sa barbichette ainsi qu'une coupe de cheveux qui consistait en
Mais au cours d'un show au Trees à Dallas, la porte de la cage s'est brus- quelques mèches brunes et rebelles sur l'avant d'un crâne rasé. Je pense
quement ouverte, le poulet s'est envolé dans la foule qui le lançait dans qu'il faisait ça parce qu'il commençait à devenir chauve sur l'arrière du
toutes les directions, mais il n'est pas mort. Il est retourné dans sa ferme crâne. Il était très conscient de ce qu'il était. Cependant, on a réussi à le
et, depuis, a certainement dû être transformé en Nuggets. Dieu m'inter- convaincre de se raser intégralement la tête et le visage ; il a fini par res-
dit de tuer un poulet, mais Ronald McDonald a le droit de le faire. sembler à ce cancer sur pattes qu'est Oncle Fester dans La Famille Addams.
Du coup, « tuons le poulet » est devenu une expression que nous uti- Il avait l'air tellement cool que, pendant quelques secondes, on a regretté
lisons soit pour se défoncer, soit pour avancer. Lorsque nous sommes prêts qu'il quitte le groupe.
à monter sur scène, plutôt que de s'en taper cinq ou de se dire : « Allons Dès qu'on est montés sur scène, on a compris que ça allait mal se pas-
nous éclater », on se dit : « Allons tuer le poulet. » ser. Les techniciens, pour fêter la fin de la tournée, avaient décidé de faire
une farce mémorable en plaçant des pattes de poulet crues sur scène. J'ai
Il reste une ligne. Qui la veut ? glissé dessus et me suis étalé sur une bouteille de bière qui s'est fracassée.
Je pense que je vais pas tarder à me coucher. Je préférerais un Valium. Ça m'a fait tellement chier que je l'ai prise et m'en suis lacéré la poitrine
[Il ouvre un compartiment secret d'une bague de son index gauche et en en travers. C'était mon premier geste d'automutilation en public. On a
sort une pilule bleue qu'il avale avec une gorgée de vin.] sacrifié Freddy en mettant le feu à sa grosse caisse, mais le feu s'est pro-
pagé à toute la batterie, ainsi qu'à Freddy. Celui-ci s'est précipité backs-
Avant que je te laisse dormir, qu'est-il arrivé à Freddy ? tage à la recherche d'un extincteur pendant que nous commencions à tout
Le dernier show de la tournée était dans un bar gay de Caroline du saccager. C'est ainsi que le dernier jour de la tournée a été la chrysalide
Sud. Il n'y avait pas grand monde dans la salle, alors on s'est dit qu'on pou- d'une nouvelle étape de notre évolution, une sorte d'effusion de sang
rituelle, suivie par un sacrifice à ce que nous étions en train de devenir :
je ne pourrais pas expliquer en quoi parce que je n'ai pas encore compris
moi-même.

En fait, tu n'as jamais vraiment viré Freddy ?


Non. On lui a jamais dit qu'il était viré, il nous a jamais dit qu'il partait.
Je pense qu'il savait qu'il était sacrifié parce que, le lendemain, il a sim-
plement pris l'avion pour rentrer chez lui. Je n'ai pas eu à lui dire au revoir,
je ne lui ai plus jamais reparlé. Il a fait les choses dans le calme, et j'ai beau-
coup de respect pour son attitude. Alors s'il veut à présent me faire un
procès, je lui brise les rotules.

POUR AUTANT QUE JE SACHE, IL N'Y A PAS UN SEUL MOT


DANS LES ÉVANGILES QUI FASSE L'ÉLOGE DE L'INTELLIGENCE.
Je ne suis pas et je n'ai jamais été un porte-parole du satanisme. C'est

J AVAIS écrit, j'avais appelé, j'avais supplié. Pour


finalement obtenir un rendez-vous. Un jour de relâche en octobre
seulement une des choses en lesquelles je crois, tout comme je crois en
Dr Seuss, Dr Hook, Nietzsche et la Bible. J'en ai juste une vision per-
sonnelle. Cette nuit-là, à San Francisco, je n'ai dit à personne où j'allais.
pendant la tournée 94 de Nine Inch Nails, le téléphone de l'hôtel a J'ai pris un taxi pour aller chez LaVey, qui habitait dans une des grandes
sonné. artères de la ville. Il vivait dans un immeuble noir anonyme, protégé par
« Le docteur veut vous rencontrer », m'a dit une femme d'une voix une haute et cruelle grille en fil de fer barbelé. Après avoir payé le chauf-
sévère et enrouée. feur de taxi, je me suis dirigé vers le portail qui n'avait pas de sonnette.
Je lui ai demandé si le docteur aimerait venir voir notre show le len- J'allais repartir lorsque la grille s'est ouverte en grinçant. J'étais aussi ner-
demain. Je connaissais tout ce qu'il fallait sur le docteur, mais il savait veux qu'excité car, contrairement à la plupart des occasions où on ren-
très peu de chose sur moi. Elle m'a répondu sur un ton glacial : contre quelqu'un qu'on idolâtre, je savais déjà que je ne serais pas déçu.
« Le docteur ne sort jamais de chez lui. Je suis timidement entré dans la maison et, jusqu'à mi-escalier, je n'ai
- D'accord. Quand voulez-vous que je vienne ? Je suis en ville quelques vu personne. Un gros type en costume, avec une touffe noire de cheveux
jours. graisseux dissimulant un début de calvitie en haut du crâne, se tenait en
- Le docteur tient vraiment à vous rencontrer. Pouvez-vous venir cette haut des marches ; sans dire un mot, il m'a fait signe de le suivre. Par la
nuit entre une et deux heures ? » suite, à chaque fois que je suis allé voir LaVey, le gros homme ne s'est
Je me foutais complètement de savoir à quelle heure le docteur m'ap- jamais présenté et ne m'a jamais adressé la parole.
pelait, où il me convoquait : je m'organisais pour être au rendez-vous. Je Il m'a entraîné dans un couloir où il a fermé violemment une lourde
l'admirais, je le respectais. Nous avions beaucoup de choses en commun : porte, nous plongeant dans le noir. Je ne pouvais plus voir le gros bon-
notre expérience d'organisateurs de shows délirants, notre brillante capa- homme, encore moins le suivre. J'étais pris de panique, quand tout à coup
cité à jeter des sorts, une certaine connaissance de la criminologie et des il m'a attrapé par le bras pour me guider le restant du chemin. En tour-
tueurs en série, une parenté d'esprit au travers des écrits de Nietzsche, nant dans le couloir, ma hanche a heurté la poignée d'une porte, l'abais-
ainsi que l'idée de l'élaboration d'une philosophie tournée contre la répres- sant légèrement. En colère, le gros bonhomme m'a violemment tiré en
sion et en faveur de l'anticonformisme. Bref, nous avions tous deux consa- arrière. Ce qui se trouvait derrière cette porte était interdit aux visiteurs.
cré la meilleure partie de notre vie à faire basculer le christianisme grâce Finalement, il a ouvert une porte, me laissant seul dans un cabinet de
au poids de sa propre hypocrisie et, par conséquent, nous nous étions travail faiblement éclairé. À côté de la porte, il y avait un portrait somp-
retrouvés en position de bouc émissaire, justifiant l'existence même du tueusement détaillé de LaVey posé à côté du lion qui lui servait d'animal
christianisme. de compagnie. Le mur en face était couvert de livres — un mélange de
Avant de raccrocher, mon interlocutrice a ajouté : biographies d'Hitler et de Staline, des romans d'épouvante de Bram Sto-
« Ah oui, surtout, venez seul. » ker et Mary Shelley, des livres philosophiques de Nietzsche et d'Hegel,
Le titre de docteur était le privilège d'Anton Szandor LaVey, fonda- ainsi que des manuels sur l'hypnose et le contrôle de l'esprit. L'espace
teur et grand prêtre de l'Église de Satan. Ce que pratiquement tous ceux était largement occupé par un canapé rococo, au-dessus duquel étaient
que j'avais croisés dans ma vie — de John Crowell à Mlle Price — avaient accrochées de nombreuses peintures macabres qui semblaient tout droit
compris de travers : le satanisme ne consiste pas à faire des sacrifices sorties du Night Gallery de Rod Sterling. Dans la pièce, les objets les plus
rituels, à retourner des tombes ou à vénérer le diable. Le diable n'existe étranges étaient un immense parc pour bébé posé dans un coin et une télé
pas. Le satanisme consiste à se vénérer soi-même, parce que c'est à vous qui semblait totalement déplacée dans cet endroit. Objet de consomma-
de faire la différence entre le bien et le mal. La guerre du christianisme tion dans un monde fait de contemplation et de mépris.
contre le diable a toujours été un combat contre les instincts les plus natu- Pour certaines personnes, ce décor semblerait ringard, pour d'autres,
rels de l'être humain — le sexe, la violence, la satisfaction de ses propres terrifiant. Pour moi, c'était très excitant. Quelques années auparavant,
désirs — et la négation de l'appartenance de l'homme à l'espèce animale. j'avais lu la biographie de LaVey par Blanche Barton : l'intelligence de ce
L'idée du paradis est tout simplement la seule manière pour les chrétiens type m'avait impressionné. (Avec le recul, je crois que ce livre n'était pas
de créer l'enfer sur terre. objectif, car l'auteur était la mère d'un de ses enfants.) Le pouvoir que
LaVey détenait, il l'obtenait par la peur ; la peur des gens tenait en un magicien, photographe pour la police, pianiste dans une comédie musi-
seul mot : Satan. En disant qu'il était sataniste, à leurs yeux, LaVey était cale, et arnaqueur en tout genre —, me laissait espérer une entrée gran-
devenu Satan — j'avais eu la même attitude lorsque j'avais décidé d'être diose. Je n'ai pas été déçu.
une rock star. « On craint ce qu'on déteste, avait écrit LaVey. J'ai acquis LaVey n'est pas entré dans la pièce, j'ai eu droit à une apparition. Il
mon pouvoir sans faire aucun effort, je me suis contenté d'être. » J'au- ne manquait que le bruit d'une explosion et le nuage de fumée. Il portait
rais pu écrire ces lignes. Tout aussi important, l'humour, qui n'a aucune une casquette de marin noire, un costume noir taillé sur mesure et, bien
place dans le dogme chrétien, est une des valeurs essentielles du sata- qu'il soit deux heures et demie du matin, à l'intérieur d'une maison, des
nisme, en réaction à un monde grotesque et difforme dominé par une lunettes noires. Il s'est approché de moi, m'a tendu la main en me disant
race de crétins. immédiatement de sa voix grinçante :
LaVey a été accusé d'être nazi, raciste, alors que sa quête était l'éli- « J'aime le nom de Marilyn Manson parce qu'il rassemble deux
tisme, le principe de base caché derrière la misanthropie. D'une certaine extrêmes ; c'est ce dont parle le satanisme. Mais je ne peux pas vous appe-
façon, sa notion d'élitisme intellectuel (qui est également la mienne) est ler Marilyn. Puis-je vous appeler Brian ?
de nos jours politiquement correcte, parce qu'il ne juge pas les gens en - Bien sûr, comme vous voulez.
fonction de leur race ou de leurs convictions, mais en fonction des cri- - C'est à cause de ma relation avec Marilyn dans les années soixante.
tères d'intelligence à la portée de tout le monde. Pour un sataniste, le plus Cela me rend mal à l'aise. Elle tient une place particulière dans mon
grand des péchés n'est ni le meurtre ni la bonté : c'est la bêtise. Au départ, cœur », m'a expliqué LaVey en fermant doucement les yeux. Il a enchaîné
j'avais écrit à LaVey non pas pour lui parler de la nature humaine, mais en me racontant la relation sexuelle qu'il avait eue avec Monroe à l'époque
pour lui demander s'il accepterait de jouer du theremin sur Portrait of a où il était pianiste dans un bar et elle strip-teaseuse. Au cours de la conver-
American Family, car il était le seul joueur de theremin répertorié par sation, il a semé des petits cailloux, selon quoi son association avec elle
l'association des musiciens américains. Il n'a jamais répondu à ma demande avait lancé sa carrière d'actrice. Cela faisait partie de la personnalité de
directement. LaVey de faire croire à ce genre de choses, mais il n'était jamais arrogant.
Cela faisait plusieurs minutes que j'étais assis seul, lorsqu'une femme Il racontait ça de manière naturelle, comme si c'était de notoriété publique.
est entrée. Son eye-liner était d'un bleu criard, sa coiffure peu naturelle Il a ôté les lunettes de soleil de sa tête de gargouille à barbichette,
faite de cheveux platine brushés, et son rouge à lèvres rose débordait bien connue de milliers d'adolescents amateurs, grâce au dos de la Bible
comme les couleurs peuvent déborder sur les coloriages d'enfants. Elle satanique. Instantanément, nous nous sommes lancés dans une conver-
portait un pull serré en cachemire bleu layette, une minijupe, des collants sation intense. Je venais juste de rencontrer Traci Lords après un show
couleur chair, des porte-jarretelles des années quarante et des talons hauts. à l'Universal Amphitheater de Los Angeles, et elle m'avait invité à une
Elle était accompagnée d'un petit garçon, Xerxes Satan LaVey, qui s'est soirée, le lendemain. Sexuellement, il ne s'était rien passé, mais cette expé-
précipité sur moi pour essayer de m'enlever mes bagues. rience a été très impressionnante car elle était comme une version fémi-
« J'espère que vous allez bien, m'a dit Blanche sur un ton froid et for- nine de moi-même — très autoritaire, faisant constamment des mots
mel. Je suis Blanche, la femme que vous avez eue au téléphone. Salut à d'esprit. Maintenant que je savais que LaVey avait eu une relation avec
Satan ! » un autre sex symbol, j'ai cru qu'il pourrait me conseiller en ce qui concer-
Je savais que je devais répondre par une phrase-cliché se terminant nait Traci, qui, à la fois, me troublait et me captivait.
par « Salut à Satan ! », mais je ne pouvais pas m'y résoudre. Ça me sem- Le conseil qu'il m'a donné reste très énigmatique, sans doute une
blait vide de sens, trop rituel, exactement comme porter un uniforme à manière de garder le pouvoir. Moins les gens vous comprennent, plus
l'école chrétienne. Je me suis donc contenté de regarder le gamin et de vous les fascinez. « Je sens que vous vous appartenez, et je pense que
lâcher : « II a les yeux de son père », une phrase tirée de Rosemary's Baby quelque chose de très important va déboucher de votre relation. » Telle
qu'elle devait très certainement connaître. était sa conclusion. J'avais l'impression d'avoir passé cinq minutes sur le
Avant de me laisser, visiblement déçue par mes manières, Blanche m'a site web Psychic Friends pour cinquante dollars, sans avoir entendu une
informé que le docteur allait arriver dans une minute. des réponses que j'attendais de sa part. Mais j'ai fait semblant d'être
Le cérémonial que j'avais vu jusque-là, agrémenté de tout ce que je reconnaissant et impressionné, car LaVey n'était pas quelqu'un que l'on
savais sur le passé de LaVey — dresseur dans un cirque, assistant d'un pouvait se permettre de critiquer.
étaient bonnes pour l'humanité, ou encore que le concept d'égalité n'était
qu'un énorme bobard, il était prêt à soutenir ses arguments avec intelli-
gence. Elle a quitté la maison sans dire un mot, des dizaines de nouvelles
idées se bousculant dans sa tête.
Il a continué à me débiter des détails sordides sur sa vie sexuelle avec Au cours de cette entrevue, LaVey m'a fait visiter sa maison plus à
Jane Mansfield, en m'expliquant qu'après tout ce temps il se sentait tou- fond : la salle de bains, dans laquelle s'étalaient des toiles d'araignée,
jours responsable de sa mort dans un accident de voiture, parce que, après fausses et vraies. La cuisine, remplie de serpents, d'instruments électro-
qu'ils s'étaient disputés, il avait jeté un sort à Sam Brody, son manager niques ancestraux et de mazagrans recouverts de pentacles. Comme tout
et amant. Malheureusement, Jane Mansfield s'était trouvée avec lui cette bon artiste, LaVey ne confiait que de petits morceaux de sa vie et, lors-
nuit-là à La Nouvelle-Orléans lorsqu'un camion de dératisation s'était qu'il semblait vous livrer des informations, c'était pour vous faire com-
écrasé sur la voiture, les tuant tous les deux sur le coup. Bien qu'ayant prendre que vous ne connaissiez que peu de chose sur lui. Nous allions
un doute sur les déclarations de LaVey, ses mots et son aplomb le ren- le quitter, quand il m'a proposé de me faire révérend ; il m'a donné une
daient très convaincant. Le service le plus précieux qu'il m'ait rendu ce carte cramoisie qui m'intronisait ministre de l'Église de Satan. Je ne savais
soir-là a été de m'aider à comprendre et à accepter les sentiments d'iner- pas à l'époque qu'en acceptant cette carte je faisais l'un des gestes les plus
tie, de rigueur et d'apathie, des sentiments que je ressentais pour moi- controversés de ma vie ; il me semblait alors (et aujourd'hui encore) que
même et pour le monde qui m'entourait. Il m'a expliqué que c'était une cette ordination n'était qu'une simple marque de respect. Comme un
étape nécessaire qui m'aiderait à passer de l'état d'enfant innocent à celui diplôme universitaire.
d'adulte intelligent et fort, capable de laisser une empreinte de son pas- Pour LaVey, c'était également une façon de passer le flambeau : il était
sage sur terre. presque à la retraite, fatigué de délivrer le même argument depuis des
Un des aspects les plus folkloriques de la personnalité de LaVey était années. Aucun groupe de rock important n'avait prôné le satanisme d'une
qu'il aimait s'aligner avec des personnalités comme Jane Mansfield, manière aussi lucide, intelligente et accessible, depuis peut-être les Rol-
Sammy Davis Jr. et Tina Louise de L'île aux naufragés, qui faisaient tous ling Stones, qui dans Monkey Man ont écrit ce qui pourrait être mon
partie de l'Église de Satan. Je n'ai donc pas été surpris lorsque, comme credo : « J'espère que nous ne sommes pas trop messianiques/Ou un peu
je partais, il m'a encouragé à amener Traci chez lui. trop sataniques. » En partant, LaVey a posé sa main osseuse sur mon
Il s'est trouvé que, le lendemain, Traci prenait l'avion à Los Angeles épaule. Son geste n'avait rien de chaleureux, mais il m'a dit : « Tu vas
pour nous voir jouer à Oakland. J'étais salement couvert de bleus et amo- faire ton trou. Tu vas laisser ton empreinte sur le monde. »
ché après le concert : alors elle est revenue à l'hôtel où elle m'a fait prendre Les prophéties et les prédictions de LaVey se sont rapidement révélées
un bain et m'a materné. Une fois de plus, je n'ai pas couché avec elle : exactes. Ma relation avec Traci commençait à marcher fort.
j'étais déterminé à rester fidèle à Missi, quoique Traci soit la première Le jour où je suis devenu sataniste a aussi été celui où les forces du
personne que j'ai rencontrée capable de me faire revenir sur cette réso- christianisme et du conservatisme ont commencé à se mobiliser contre
lution. Je lui ai parlé de ma rencontre avec LaVey et elle m'a sorti l'inté- moi. Juste après notre rencontre, j'ai appris que le Delta Center, où nous
grale de Deepak Chopra, Celestine Prophecy, un cristal qui guérit, du devions passer à Sait Lake City, nous interdisait de jouer en première par-
rap New Age qui parlait du destin, de résurrection et de la vie après la tie de Nine Inch Nails. La première fois, mais pas la dernière, où on nous
mort. Elle ne semblait pas très bien comprendre ce qu'il représentait, alors a offert de l'argent pour ne pas jouer. En l'occurrence 10 000 dollars.
j'ai essayé de la mettre au parfum tout en essayant de ne pas m'écrouler Bien que nous soyons retirés de l'affiche, Trent Reznor m'a quand même
de fatigue : « Ce type est vraiment intéressant. Tu devrais l'écouter. » invité et j'ai passé toute ma partie du show à faire un geste répétitif en
Lorsque le lendemain je l'ai emmenée chez lui, elle était beaucoup plus psalmodiant « Il m'aime, il ne m'aime pas », tout en déchirant les pages
sûre d'elle et cynique que je ne l'avais été... la première fois. Elle a débar- du Livre des mormons.
qué là-bas comme s'il n'était qu'un déconneur amateur de canulars et Depuis que l'espèce humaine a créé les premières lois et les codes de
s'est mise à discuter avec lui à chaque fois qu'elle n'était pas d'accord, conduite en communauté, ceux qui ne les respectent pas n'ont qu'une
même légèrement. Mais lorsqu'il lui a expliqué qu'un pou avait davan- solution à leur disposition : partir en courant. C'est donc ce que nous
tage le droit de vivre qu'un être humain, que les catastrophes naturelles avons fait après le show en nous réfugiant dans le bus de la tournée pour
éviter de passer une nuit sous les verrous, au centre pénitentiaire de Salt L'un d'entre eux en particulier, un type râblé avec une épaisse mous-
Lake City. On n'a jamais touché nos 10 000 dollars, mais il valait mieux tache noire et une casquette sur laquelle était inscrit PREMIÈRE ÉGLISE
rester libres que toucher ce fric. BAPTISTE DE JACKSONVILLE, semblait particulièrement m'en vouloir. Avec
On avait déjà vécu ce genre de situation au cours de la tournée à Jack- ses copains flics, ils ont commencé à m'envoyer des vannes très vaseuses,
sonville, une des villes les plus conservatrices de Floride, où les baptistes pour finir par prendre des polaroïds à mes côtés, sans doute pour mon-
qui dirigent la ville avaient menacé de venir m'arrêter après le concert. trer à leur femme avec quel genre de singe ils avaient joué pendant leurs
À notre visite suivante à Jacksonville pour notre première tête d'affiche, heures de service. La nuit promettant d'être calme, je leur servais de dis-
à la suite de la tournée avec Nine Inch Nails, je n'ai pas eu la même chance. traction.
Sous mon pantalon, je portais mon slip en caoutchouc, celui avec une Bon, je n'avais aucune raison de me plaindre, car, après tout, je suis
fente pour laisser passer ma bite, sur lequel s'était accumulé son lot de un amuseur public. C'est alors qu'est entré un colosse noir, sans doute le
taches de sang, de crachat et de sperme. À mi-show, comme d'habitude, type le plus baraqué que j'aie jamais vu de ma vie. L'ombre de ses mains
j'ai baissé mon pantalon et je me suis aspergé d'eau en faisant des mou- semblait pouvoir recouvrir tout mon corps, chacune des veines de son
vements convulsifs : j'ai rejeté mes cheveux en arrière, je me suis secoué cou était aussi large que mon propre cou. Il m'a poussé dans une minus-
d'avant en arrière pour envoyer de l'eau sur le public. Ma bite étant soi- cule cellule où il y avait un étrange système en acier inoxydable censé être
gneusement enfermée dans son carcan en caoutchouc, aucune partie à la fois un lavabo, les toilettes et une fontaine d'eau potable. J'étais en
inconvenante de mon corps n'était exposée. Mais la brigade des mœurs, train de calculer où étaient le lavabo et les toilettes, lorsque le colosse m'a
placée à chacune des sorties du Club Five, a vu ce qu'elle a bien voulu ordonné d'enlever mon maquillage. Je ne disposais que d'eau et de papier
voir et m'a accusé de me branler avec un godemiché attaché à ma taille toilette, autrement dit rien. Après m'avoir observé en train de me débattre
(que je n'avais même pas) et de pisser sur le public. avec ça, il a ouvert la porte et a grondé un « sers-toi de ça », en lançant
Vers la fin de nos spectacles, j'avais pour habitude de m'enduire le un bidon rempli d'un détergent rose
visage de rouge à lèvres rouge, et, si je voyais des filles sur le bord de la pour le sol.
scène que j'avais envie de rencontrer, je les attrapais pour les peloter afin Après avoir récuré mon visage rosi
de laisser sur leur visage le signe de la bête, qui devait leur servir de pas- et à vif, je me suis assis dans la cellule,
seport pour l'enfer qu'étaient, et seront toujours, les coulisses. abattu et abandonné, n'ayant plus qu'à
Une fois le show terminé, j'ai quitté la scène pour monter dans la loge. attendre d'être sauvé par le monde exté-
Notre directeur de tournée, Frankie, m'a couru après. C'était un junkie rieur. Le colosse est réapparu en cla-
ou un ex-junkie, ça dépendait à qui on parlait. Il ressemblait à Vince Neil quant la porte derrière lui. « Très bien »,
de Môtley Crue, les cernes noirs en plus. Pris de panique, il bafouillait : a-t-il ordonné d'une voix de sergent en
« Les flics sont là. Ils vont t'arrêter. » exercice qui résonnait dans la pièce. « Il
Je me suis précipité en haut pour paraître à peu près respectable, ce va falloir enlever tous ces habits. »
qui se résumait à enlever mon slip en caoutchouc pour enfiler un jean et Même si vous avez une tendance à
un T-shirt noir à manches longues. Dans le hall, il y avait un boucan d'en- l'exhibitionnisme, lorsque vous vous
Fig. 313. TALISMAN FOR DELIVERANCE
fer, deux flics en civil sont entrés en trombe et ont hurlé : « Vous êtes en retrouvez nu face à un individu qui FR0M PRISON
état d'arrestation pour violation des lois concernant le divertissement des mesure plusieurs fois votre taille et qui
adultes », une formule qui sonnait comme « divers glissements des sales a le pouvoir de vous faire tout ce qu'il veut sans être inquiété, vous com-
putes » et qui couvrait le bruit de la musique disco que la sono crachait. mencez à apprécier la rayonne, le coton, le polyester, bref ces merveilleux
Ils m'ont passé les menottes dans le dos, m'ont sorti de la boîte pour me tissus qui protègent le corps de tout contact physique direct. Lentement,
traîner au poste de police. Je ne m'inquiétais pas plus que ça car ils ne minutieusement, sous la menace d'un accès de violence de ses mains rustres
m'en voulaient pas particulièrement. Ils se contentaient de faire leur bou- et calleuses, il m'a fouillé de haut en bas ainsi que dans mon intimité.
lot. Par contre, en arrivant au commissariat, les choses ont changé lorsque Lorsqu'il est sorti, une engueulade a démarré de l'autre côté de la porte
je me suis retrouvé face à plusieurs ploucs baraqués en uniforme de flics de ma cellule. Le colosse discutait ferme avec deux autres officiers. Dans
qui, eux, semblaient vouloir faire un peu plus que leur boulot. mon esprit, j'essayais de deviner de quoi ils parlaient, sachant que mon
sort dépendait de cette violente discussion. J'ai fini par me persuader que, questions du genre « Que pensez-vous de l'autorité ? » « Croyez-vous en
soit l'un d'eux voulait me relâcher pour manque de preuve, soit l'autre Dieu ? » « Est-ce normal de faire du mal à quelqu'un qui vous a fait du
voulait faire de moi son nouveau petit ami. mal ?» — et j'ai répondu comme ils voulaient que je réponde, afin de
La discussion a pris fin, le colosse est revenu. Je le sentais embarrassé m'éviter un séjour en hôpital psychiatrique.
lorsqu'il m'a demandé d'un ton cassant : « Où est le godemiché ? » Avant
même d'avoir pu ravaler mes instincts de bêcheur, je lui ai demandé avec
coquetterie ce qu'il voulait faire avec un godemiché. C'est à cet instant
que les foudres de l'enfer se sont abattues.
Son visage est devenu cramoisi comme s'il avait été marqué au fer
rouge, sa poitrine s'est gonflée comme celle de l'Incroyable Hulk, il a pla- Après m'avoir déclaré normal, on m'a dirigé vers un médecin qui m'a
qué mon corps nu, pâle et tremblant contre le mur. L'autre flic, le traîne- fait passer des tests physiques. Il a commencé par me présenter une paire
la-merde de baptiste a collé son visage contre le mien et a commencé à de tenailles et m'a expliqué : « Il faudrait retirer ça », en désignant l'an-
m'interroger en soufflant sur moi sa chaude haleine de porc. La confron- neau transperçant ma lèvre.
tation a duré aussi longtemps que le concert : il voulait savoir où était « Ça ne s'enlève pas vraiment.
passé le godemiché avec lequel j'avais, prétendument, commis des actes - Si on ne le retire pas, on va vous l'arracher dès la première bagarre »,
lubriques et obscènes. Au bout d'un moment, ils ont semblé se calmer et, m'a-t-il dit sur un ton très calme, le visage barré par un sourire sadique
une fois de plus, se sont remis à discuter entre eux, essayant d'imaginer qu'il avait du mal à dissimuler.
qu'ils aient pu commettre une erreur.
Ils ont sectionné l'anneau et m'ont conduit dans le couloir. Il y avait
Lorsqu'ils ont eu terminé, le colosse m'a ordonné de me rhabiller. Ils deux types de population chez les droits communs : un troupeau de bêtes
m'ont mis dans un panier à salade en compagnie d'une demi-douzaine s'entraînant à soulever des poids tout en matant les types à cheveux longs
de personnes qui, à cause de mon apparence, étaient trop effarées pour qu'ils pourraient sodomiser, puis la lie de notre société — des ivrognes,
s'asseoir sur la même banquette que moi. Mon seul compagnon avait des clochards et des junkies. Pour une raison qui m'échappe, les flics qui
l'aspect et le mental d'un enfant de huit ans, le corps épais d'un pédo- m'accompagnaient ont enfreint leur code tacite de sadisme et m'ont épar-
phile obèse. En fait, c'était comme ça que j'imaginais Lenny dans Des gné le chemin épineux. Personne n'a essayé de me baiser : soulagé, je me
souris et des hommes. Il m'a raconté que sa mère, avec qui il vivait encore, suis instantanément endormi.
l'avait dénoncé pour avoir signé un chèque à sa place. J'avais envie de Je me suis réveillé je ne sais pas combien de temps après, pour décou-
lui demander s'il avait été pris sur le fait à la pâtisserie Dunkin'Donuts, vrir un plateau sur lequel il y avait des feuilles de laitue fanées arrosées
mais je me suis retenu et le bon sens a triomphé. Notre conversation m'a d'un mélange d'eau et de vinaigre, un morceau de pain rassis, et pour
rappelé celle que j'avais eue avec Pogo la première fois que je l'avais ren- dessert la nouvelle selon laquelle quelqu'un avait payé la caution. On m'a
contré : Lenny commençait à me donner des tuyaux pratiques pour gagner
dit que cela faisait seize heures que j'étais en prison. Le pire, c'est que
du temps quand on veut se débarrasser d'un cadavre. La seule différence
mon manager avait versé la caution à la minute même où j'avais été empri-
était que ce type avait effectivement tué quelqu'un et sa méthode avait
sonné. Mais c'est le genre d'information qui voyage lentement lorsque la
été celle que nous avions envisagée pour Nancy : le feu.
police vous hait. En temps normal, ce scandale aurait dû être l'occasion
Pendant neuf heures, Lenny m'a flatté et m'a fait la cour, régulière- de s'offrir une publicité gratuite, ce dont à l'époque nous avions vraiment
ment interrompu par les flics qui, pour frimer, me faisaient défiler dans besoin. Malheureusement, les journaux n'en ont jamais parlé car, par
le commissariat. Au bout de la huitième fois, ils ne m'ont pas ramené en précaution, le juge avait conclu un accord avec mes avocats, leur conseillant
cellule de détention, mais m'ont annoncé que j'allais être transféré avec de passer ce fait divers sous silence afin de m'éviter une peine maximale.
les droits communs. Sur le chemin, ils m'ont confié à une infirmière qui La police ne possédant aucune preuve, je ne pouvais qu'être libéré.
m'a fait passer un test psychologique. N'importe quel psychopathe de Lorsque, un an et demi plus tard, j'ai de nouveau rencontré LaVey au
base sait se débrouiller avec ce genre de test : il y a les réponses pour les cours de notre tournée Antichrist Superstar de 1996, nous avions beau-
gens normaux, les réponses pour les fous et les questions pièges afin de coup de choses à nous dire. J'avais compris qui étaient mes ennemis : non
démasquer les fous qui font semblant d'être normaux. J'ai examiné les seulement ils étaient capables d'interrompre des shows ou de contrôler
leur déroulement, mais ils étaient également capables, sans aucune rai-
son, de nous prendre la seule chose pour laquelle LaVey et moi nous nous
battions : la liberté individuelle. Tout comme LaVey, j'avais découvert ce
qui peut arriver lorsque l'on dit un truc un peu puissant qui amène les
gens à penser. On neutralise votre message en vous collant une image
réductrice — comme fasciste, adorateur du diable ou avocat du viol et
de la violence.
On a parlé religion, comme d'une coutume servant à préserver des
codes pratiques de santé, de morale et de justice, valeurs qui n'ont plus
de raison d'être pour la survie de l'espèce (par exemple ne pas manger
d'animaux aux pieds fourchus). Lire et comprendre La Bible de Satan a
davantage de sens, avec le XXe siècle en perspective, que lire une œuvre
écrite pour accompagner une culture depuis longtemps disparue. Qui
sait : dans un siècle peut-être un crétin trouvera-t-il un T-Shirt Marilyn
Manson — ou une casquette de base-bail des Collapsing Lungs — et le
clouera sur un mur pour en faire un objet de dévotion.
LaVey, au cours de la conversation, quittait la pièce toutes les dix
minutes. J'avais la sensation qu'il nous observait par les yeux des chats
représentés sur ses peintures à l'huile ; alors, je restais totalement calme
lorsqu'il n'était pas là.
LaVey m'a demandé ce qui s'était passé avec Traci Lords. Je lui ai dit
qu'elle m'avait jeté et que ses prédictions optimistes sur notre relation
s'étaient révélées inexactes. Mais le lendemain après notre show, j'ai
découvert qu'elle me courait après depuis un moment. J'avais un album
dans les dix premiers des charts, j'avais fait la couverture de Rolling Stone
et, comme l'avait prédit LaVey, notre relation s'est inversée. Lorsque JE TROUVE TERRIBLE L'IDÉE QUE LES AUTRES
j'avais rencontré Traci la première fois, c'était une star distante et inabor-
PEUVENT ME FAIRE CE QUE JE LEUR FAIS.
dable. Certes, cela m'avait anéanti, mais aussi rendu plus fort. Cette fois,
j'étais aux commandes et je n'en avais rien à foutre : je voulais d'elle uni-
quement quand je ne pouvais pas l'avoir.
L'année suivante, quelques jours après Halloween, j'ai reçu un coup
de téléphone à quatre heures du matin m'annonçant la mort de LaVey. MAUVAIS TRAITEMENTS : INFLIGÉS
J'étais surpris par la tristesse que je ressentais : il était devenu une image
paternelle et je n'avais pas eu l'occasion de lui dire au revoir, ni même Avec ses cent kilos de chair maltraitée, de muscles atrophiés et ses os
de le remercier pour son inspiration. Mais par ailleurs, je savais que si sclérosés, Tony Wiggins était un aspirateur à péchés. Ses yeux bleus
le monde avait perdu un grand philosophe, l'Enfer avait gagné un nou- brillaient de l'éclat d'une fête perpétuelle, et ses lèvres cyanosées exhi-
veau chef. baient une moue menaçante. Le seul charme de ce plouc émanait de sa
queue de cheval blonde et de sa barbiche à la colonel Sanders, qui lui
donnaient un vague vernis de bonnes manières, de décence et de morale.
Peu importe où il était et à quelle heure — plus la ville était petite, plus
les circonstances étaient improbables —, Tony Wiggins réussissait tou-
jours à sucer la crasse, la corruption et la décadence des rues dans le but
de nous les restituer.
Nous avons rencontré Tony Wiggins au bon moment, à l'époque où de Ginger, qui est partie en morceaux. Ginger m'a regardé, partagé entre
nous étions fragiles et vulnérables. Cette première année passée sur la la colère et la confusion — ce n'était que son second concert avec nous
route avait fait pas mal de dégâts, pas seulement en ce qui concernait depuis qu'il avait remplacé Freddy the Wheel — mais, pigeant vite, il a
notre santé physique et mentale, mais également parmi nos amis et nos transpercé un de ses tambours à timbre. Twiggy a levé sa basse au-des-
relations. Dans le même temps, nos singles n'avaient pas marché, on n'en- sus de sa tête et l'a écrasée sur le moniteur. Daisy a fait de même avec sa
tendait pas nos disques à la radio, personne ne nous connaissait à part guitare qu'il a lâchée sur son pied. Bref, on a détruit ce qui se trouvait
une poignée de fans de Nine Inch Nails et quelques marginaux çà et là. sur scène.
Nous avions un nouveau batteur, Ginger Fish, nous étions prêts à retour- En sortant de scène après un show réduit à quatorze minutes, on a
ner en studio pour enregistrer une nouvelle salve et, si jamais on se plan- croisé Glenn Danzig, qui est deux fois plus petit que moi (bien que sa
tait aussi, nous étions prêts à faire les chœurs chez Collapsing Lungs. masse musculaire soit sans doute dix fois supérieure à la mienne). Je lui
Nous n'avions aucune envie d'être éternellement un groupe underground. ai lancé un sourire malicieux comme pour lui dire : « Tu nous as voulus,
Nous méritions mieux que ça. ça va te coûter cher. »
Pendant que nous nous préparions à enregistrer de nouveaux titres à On ne voulait plus jouer de musique sur scène. On n'en a plus joué.
La Nouvelle-Orléans, on nous a invités à faire la première partie de la Les shows ont continué à être de brefs exercices de brutalité et de nihi-
tournée de printemps 1995 de Danzig. Nous ne pouvions pas refuser car lisme, et la carte routière sur ma poitrine s'est agrémentée de nouvelles
notre label considérait que c'était une excellente occasion de faire la cicatrices, ecchymoses et autres zébrures. Nous étions tous lamentables,
promo de Portrait of an American Family, un album que, pour notre épuisés, vidés — un peu comme les automates de Mondwest lorsqu'ils
part, nous avions déjà enterré. La tournée Danzig a démarré sans enthou- perdent les pédales. On commençait à se fatiguer de notre propre vio-
siasme : nous étions amers, désabusés. De plus, au cours de notre der- lence et j'étais au fin fond du trou à la suite d'un coup de fil de Missi qui
nier tour de chauffe dans le Nevada, une fille m'avait refilé des cristaux mettait fin à notre relation — la première relation qui avait compté pour
de méthadone en me faisant croire que c'était de la coke, ce qui n'a pas moi — parce que je n'étais jamais là. C'est alors que nous avons fait la
arrangé les choses. J'ai vomi pendant tout le show et n'ai pu fermer l'œil connaissance de Tony Wiggins.
pendant tout le voyage en bus qui nous conduisait à San Francisco pour Il sortait du bus de Danzig, vêtu d'un jean noir, d'un T-shirt noir et
notre première date avec Danzig. d'une paire de lunettes noires brillantes et panoramiques. Il ressemblait
Le premier soir, je suis monté sur scène habillé d'une camisole de force, à un mec capable de vous casser la gueule pour rien, avant de se confondre
d'un suspensoir noir et de bottes. À cause de trois nuits sans sommeil, en excuses. Je l'ai complimenté sur ses lunettes. Il les a aussitôt retirées
j'avais les yeux rouges et larmoyants. D'entrée, j'ai senti un truc froid et et m'a dit sans aucune hésitation : « Tiens, elles sont à toi. »
dur me frapper au visage. Je pensais que c'était le micro, mais le truc s'est À partir de ce jour-là, nous n'avons plus tourné avec Danzig, mais
fracassé sur le sol et j'ai senti des éclats de verre se briser sur mes jambes. avec Tony Wiggins, le type qui conduisait leur bus. Tous les matins, il
C'était une bouteille lancée par le public. Dès le second titre, la scène était frappait à la porte du bus ou de la chambre d'hôtel et nous réveillait avec
recouverte de bouteilles et de détritus en tout genre, tandis qu'une bande une bouteille de Jagermeister et une poignée de drogues. Lorsqu'il por-
de costauds tatoués s'était amassée devant la scène et me demandait de tait une queue de cheval, chose rare, cela signifiait qu'il travaillait et
venir me battre. J'étais fou furieux. J'ai attrapé une des bouteilles de bière conduisait le bus de Danzig. Lorsque ses cheveux étaient détachés, il s'oc-
qui traînaient sur la scène, je l'ai fracassée sur la batterie, avant d'arrê- cupait de nous, s'assurant que notre autodestruction ne se limitait pas à
ter de chanter. J'ai hurlé : « Si tu veux te battre, monte sur scène, mon la scène. Une nuit, dans un hôtel miteux de Norfolk en Virginie, il est
chou. » Et j'ai pris le tesson que j'ai plongé dans un de mes flancs, le entré comme un fou dans la chambre, a fait quelques lignes à même le
tirant sur ma peau jusqu'à l'autre côté, créant ainsi une des pires cica- sol recouvert de poussière et de poudre anti-cafards et les a sniffées. Puis
trices du treillis qu'est devenu mon torse. il a ordonné : « Monte sur mon dos. » Twiggy a attrapé une bouteille de
Pissant le sang, je me suis jeté dans la foule et j'ai atterri sur le chef de Jack Daniel's qui traînait par terre et a obéi. Je ne faisais pas attention à
la confrérie. Lorsque la sécurité m'a ramené sur scène, j'étais complète- eux car j'étais en train d'écrire les paroles de The Beautiful People. Ils
ment nu et presque tout le monde au premier rang était recouvert de sang. ont passé tranquillement le seuil de la porte, bête bourrée à deux culs
J'ai saisi le pied du micro et l'ai violemment balancé sur la grosse caisse — plus tard, nous les avons surnommés « les frères Twiggins » —, et se
sont dirigés vers l'escalier extérieur. Soudain, j'ai entendu un fracas et daient. Nous ne savions absolument pas si le plan que nous avions monté
une bordée de jurons. J'ai retrouvé Twiggy en bas des escaliers, le visage pour extorquer des confessions allait fonctionner et, à ce moment-là, nous
baignant dans une flaque d'eau de pluie et de sang. On s'est précipités ne comprenions pas ce que porter en fardeau les secrets les plus glauques
aux urgences, mais comme on ressemblait à des fous — dégoulinant de des autres signifiait. Les gens ne se confessent pas nécessairement pour
maquillage, de pluie et de sang — personne ne s'est occupé de nous. Wig- se libérer d'un poids. Ils veulent avant tout être rassurés et ce n'est pas
gins aurait pu se plaindre, mais il s'est contenté d'attraper un plateau simple de le faire avec conviction.
métallique pour encore se faire des lignes. Les nuits finissaient en géné- Sous le feu nourri des questions de Wiggins, la première fille a craqué
ral comme ça avec Wiggins. Ça l'amusait de jouer les fauteurs de troubles et nous a avoué qu'à onze ans, plusieurs garçons du voisinage la harce-
et il ne lâchait jamais le morceau, jusqu'à ce que quelqu'un meure, se laient régulièrement. Une nuit, elle s'est réveillée et a trouvé la fenêtre
retrouve à l'hôpital ou s'écroule dans son vomi. Et il continuait à faire ouverte ainsi que quatre d'entre eux dans sa chambre. Sans dire un mot,
la fête jusqu'à ce que cette personne soit lui. ils ont enlevé les draps, lui ont arraché son pyjama et l'ont violée à tour
En fin de compte, Wiggins, Twiggy et moi, on a compris qu'il fallait de rôle. Le lendemain, elle en a parlé à son père qui est resté indifférent.
tirer le meilleur parti possible de la situation, en essayant d'apprendre et Il faut dire qu'il abusait d'elle depuis un an. Elle nous racontait ça, age-
d'accumuler les expériences de valeur sur la route. On a commencé à nouillée sur le sol humide qu'elle fixait. Lorsqu'elle a terminé, elle m'a
mener diverses expériences psychologiques : du genre, on se dirigeait vers jeté un regard implorant, ses yeux étaient humides, ses joues étaient mar-
un couple et on ne donnait un passe pour aller backstage qu'à la fille, brées de mascara noir. Je me devais de faire quelque chose, dire quelque
juste pour tester leur relation. chose, au moins l'aider. Au travers de ma musique et de mes interviews,
je n'avais jamais eu aucun problème pour dire aux gens ce que je pensais
de la vie qu'ils devaient mener et de l'indépendance qu'ils devaient acqué-
rir. Mais, à l'époque, je m'adressais à une foule, une masse, un groupe de
gens anonymes. Et là, me retrouvant face à une personne dont je pouvais
Petit à petit, la tournée, de misérable, est passée à mémorable. Au changer la vie, j'étais pétrifié. J'ai pu seulement lui dire que le simple fait
cours de la tournée avec Nine Inch Nails et Jim Rose, je m'étais retenu qu'elle soit là, devant moi, et puisse parler de tout ça, était la preuve
de jouer les farces parmi les plus stupides dont ils se repaissaient, mais qu'elle était suffisamment forte pour vivre avec et l'accepter.
là, je m'en foutais totalement. Nous étions assis en haut d'une tour en Je me demande encore si ce que j'ai pu lui dire lui avait apporté quelque
acier de dix mètres de haut à l'extérieur du Sloss Furnaces, un club de chose, où si je n'avais fait que répéter les mêmes clichés qu'elle avait enten-
Biloxi, dans le Mississippi, en train de nous chauffer avant le show à dus toute sa vie. Elle m'a dit qu'elle voulait échanger des vêtements avec
coups de Jagermeister et de dope. Avec Wiggins et Twiggy, nous avons moi, puis elle a retiré son T-shirt, sur lequel était imprimé la phrase de
juré d'arrêter d'exploiter et d'humilier les filles qui traînaient backstage. Nietzsche « Dieu est mort », suivie de la réponse de Dieu : « Nietzsche
On a décidé de créer une sorte de nouvelle thérapie pour les aider. Pour est mort. » Où que j'aille, j'emporte toujours ce T-shirt avec moi.
cela, nous n'avions besoin que d'une simple caméra et de quelques filles Cette première histoire était si déchirante que je n'ai aucun souvenir
acceptant de confesser leurs péchés les plus enfouis et les plus intimes. de la confession de la seconde fille. Je me rappelle simplement qu'il s'agis-
Nous ne doutions pas que la vie de nos fans était des plus sombres et des sait d'une belle blonde qui avait le mot échec gravé sur le bras.
plus perturbées. Wiggins affinait sa méthode inquisitoire à chaque show. Son art était
Wiggins a préparé le terrain pendant que nous jouions. Sous le club, à la fois brutal et sophistiqué et, parfois, très certainement contraire à
il avait découvert un réseau de catacombes obscures avec des grilles en l'éthique de la psychanalyse. Il était arrivé si loin qu'afin de continuer ses
métal, de l'eau qui gouttait et une ambiance tout droit sortie d'une scène recherches il a dû créer son propre système d'investigation, qu'il a dévoilé
de La Revanche de Freddy. À la fin du spectacle, j'ai couru le rejoindre, après un show dans l'Indiana.
non seulement parce que j'étais excité, mais également parce que je devais Backstage, à la fin du show de Danzig, on a découvert notre équipe
me planquer, les flics cherchant à m'arrêter pour attitude indécente. Pen- en train de filmer une petite nana bien en chair à la peau très pâle et aux
dant que notre manager les retenait, Wiggins nous a entraînés dans les cheveux blancs. Un garçon d'environ dix-neuf ans — soit son frère, soit
catacombes, où nos deux premières patientes éventuelles nous atten- son petit ami — efféminé, maigrelet, les cheveux roux coupés au bol, le
visage légèrement parsemé de taches de rousseur et un bleu décoloré sur on avait besoin de fric pour les tickets. Pour aller au concert. Et puis pour
la joue, était à côté d'elle et tournait nerveusement une cigarette éteinte d'autres trucs. On a fait du stop pour se rendre sur une sorte de parking
entre ses doigts. Une odeur de crème à raser emplissait l'atmosphère : à pour routiers. Je voulais la vendre. Vendre son corps.
force de cajoleries, ils avaient convaincu la fille de se raser et de faire - Elle était habillée comment ? » Wiggins, curieux comme une fouine,
d'autres choses inavouables. C'était le genre d'exploitation que Wiggins voulait savoir.
et moi essayions d'éviter. « Des chaussures à talons qu'on avait trouvées. Un bustier. Un jean.
Dès qu'ils m'ont vu, la fille et le garçon sont tombés à genoux. Elle Du maquillage volé. Mais c'était pas pour baiser. Juste des pipes.
hurlait : « Les dieux ont entendu nos prières. » - C'était la première fois que tu jouais au maquereau ?
Lui, plus simple : « Je voulais juste te rencontrer. C'est pour ça que - En quelque sorte.
nous sommes ici. » Alors, tout naturellement, Wiggins et moi, nous leur - Oui ou non ? » Wiggins était un maître.
avons demandé s'ils avaient des choses à confesser, en dehors des atro- « Pour du fric, ouais.
cités auxquelles la fille venait de participer avec nos roadies. La fille a - Et puis, qu'est-ce qui s'est passé ?
immédiatement jeté un regard au garçon qui, honteux ou plein de tris- - Ce routier. » Le môme s'est mis à pleurer et, par l'action combinée
tesse, a baissé la tête. On venait de tomber sur la personne idéale pour de l'émotion et des cordes lui serrant le cou, il est devenu cramoisi. Il a flé-
tester la nouvelle invention de Tony. chi ses cuisses couvertes de taches de rousseur pour éviter de s'étouffer.
Wiggins a demandé au type si cela ne le dérangeait pas d'être ficelé et « Ce camionneur, il l'a emmenée à l'intérieur de son camion. Et j'ai
ligoté, puis il l'a emmené derrière, dans les loges, car il lui fallait quelques entendu ma sœur hurler, alors j'ai grimpé. Jusqu'à la glace. Mais avant
minutes pour le préparer. Lorsque je suis entré, il était pieds et poings que je puisse... » Il a eu des haut-le-cœur pendant un moment avant de
liés, les mains dans le dos, dans un appareil qui l'obligeait à maintenir retrouver son équilibre.
ses jambes à quatre-vingt-dix degrés. Le mécanisme était prévu pour des « Il m'a frappé, frappé. Et... » Il pleurait, ses jambes tremblaient. « Et
femmes et c'était d'autant plus troublant de voir un type nu étendu de je sais pas où elle est...
cette façon. S'il bougeait ne serait-ce que très légèrement de cette posi- - Tu veux dire qu'il l'a embarquée ? »
tion acrobatique, la corde autour de son cou se resserrait et l'étouffait. Wiggins a posé la question sans y croire. Il ne faisait plus attention à
Pour éviter de s'étrangler, il fallait absolument qu'il reste dans cette posi- la caméra. Je ne l'avais jamais vu s'étonner de quoi que ce soit et ça n'est
tion difficile et délicate. Une caméra à la main, Tony se tenait au-dessus plus jamais arrivé depuis. On savait très bien que cela dépassait nos espé^
de lui, filmant cette strangulation sous tous les angles. rances et que le môme n'allait pas résister très longtemps aux cordes.
« T'as quelque chose à confesser ? » Wiggins parlait avec un élégant Puis dehors, la musique s'est arrêtée d'un seul coup pour laisser place
accent du Sud sous lequel se cachait comme une sorte de menace. Der- à des voix aboyant des ordres. J'ai entrouvert la porte pour espionner ce
rière la porte, le Master of Puppets de Metallica servait de bande-son à qui se passait dans la loge, où deux flics fouillaient nos trousses à
cette confession bidon. maquillage et contrôlaient le permis de conduire des filles qui étaient là.
Il hésitait et essayait de se tortiller pour se mettre dans une position J'ai refermé la porte, tourné la clé et jeté un regard affolé autour de moi.
plus confortable, ce qui était totalement impossible. De sa main libre, Mes poches étaient bourrées de drogues, un fugueur à poil était attaché
Tony lui a relevé le menton en direction de la caméra et il a commencé à dans un appareil de torture et tout était enregistré sur vidéo. On s'est
parler. empressés de le détacher et il a roulé sur le côté en se mettant en position
« Ça fait à peu près deux ans que ma sœur et moi, on s'est barrés de fœtale. Pendant qu'il reprenait sa respiration et ses esprits, on l'a aidé
la maison. Afin de... » Il parlait de manière hachée à cause des cordes tant bien que mal à rapidement enfiler ses vêtements. J'écoutais à la porte.
qui l'étranglaient. Les gens riaient à nouveau, signe que les flics étaient repartis. Par le plus
« C'est ta sœur qui est derrière la porte ? » lui a demandé Wiggins. Il grand des hasards, ils ne connaissaient pas l'existence de cette pièce cachée.
ne laissait jamais les choses dans le flou. Ils recherchaient la fille d'un politicien local. Le môme voulait qu'on
« Non. C'est juste une copine. On fait la manche ensemble. l'aide, mais, comme les flics étaient encore dans la boîte, on a poussé
- Pourquoi tu t'es barré ? notre nouvel ami à aller les trouver pour leur raconter son histoire qui
- Maltraités. On était maltraités. Surtout par notre beau-père. Et puis me hante encore aujourd'hui.
J'avais une vie beaucoup plus facile que la plupart de mes fans. Je m'en
suis rendu compte grâce à Zepp que j'ai rencontré lors d'un show à Phi-
ladelphie. Alors que nous rejoignions notre bus après le concert, un petit
bonhomme trapu à la mâchoire carrée, aux cheveux longs avec une barbe
à la Anton LaVey nous a fait signe de l'autre côté du parking en nous
promettant de nous donner une cannette d'oxyde de nitrate contre quelques
autographes. Comme je n'avais jamais inhalé de gaz hilarant auparavant,
j'ai accepté. Il s'est présenté sous le nom de Zepp, à cause d'un vieux
tatouage Led Zeppelin sur l'épaule droite qu'il regrettait. Pendant les
douzaines de shows qui ont suivi, Zepp s'est pointé backstage avec soit
de l'oxyde de nitrate, soit des pizzas, soit des photos d'adolescentes.
Comme il passait de plus en plus de temps avec nous, on s'est dit qu'il
pouvait tout aussi bien travailler pour nous. Je lui ai offert une caméra,
je l'ai payé et il a continué la tournée avec nous. J'ai su qu'il n'y aurait
pas de problème le jour où, en ouvrant la porte du salon à l'arrière du
bus, je l'ai vu filmer Twiggy et Pogo en train de baiser une poupée gon-
flable que j'avais achetée pour plaisanter. Dans son cul, elle avait la bite
de Pogo et, dans sa bouche, celle de Twiggy, et j'ai oublié de regarder si
Zepp avait la sienne dans sa main.
Petit à petit, on a appris que Zepp n'était pas un simple type origi-
naire de Pennsylvanie. Il répétait haut et fort qu'il avait baisé trois cents
filles dans sa ville natale, et un jour, en ouvrant la soute du bus, on l'a
trouvé sur la trois cent unième. Avec sa tante, ils s'injectaient du speed et
il nous a raconté des histoires exotiques comme, au plus haut de leur folle
dépendance, quand ils se shootaient avec de la boue ramassée dans des
flaques ou du whisky. C'était un petit miracle qu'il soit encore en vie et
un vrai coup de pot, car c'est Zepp qui nous a présenté les pisseuses, deux
filles qui nous ont suivis à travers tout le pays. Elles me faisaient penser
aux filles de Charles Manson en 1969, car elles ressemblaient à des ado-
lescentes américaines, des banlieusardes classiques ayant légèrement
dérapé. Cette fois, l'une d'entre elles était une fille à l'air innocent qui
rougissait facilement. Elle avait des sourcils blancs, s'appelait Jeanette et
aimait se graver le mot Marilyn sur la poitrine avant chaque concert.
L'autre fille était calme avec de longs cheveux bruns et une demi-dou-
zaine d'anneaux dans les lèvres. Elle s'appelait Alison et se gravait Man-
son sur la poitrine, avec le S à l'envers. Depuis, à presque tous les shows,
je les ai vues collées contre les barrières, chantant en chœur, du sang cou-
lant sur le devant de leur robe ou leur débardeur à cause des blessures
qu'elles venaient de s'infliger.
Entre Zepp, Tony Wiggins et ma propre folie qui gagnait du terrain,
la tournée est devenue l'une des périodes les plus chaotiques, troublées
et décadentes de ma vie. Un des incidents les plus inquiétants a eu lieu
après un show à Boston. J'étais dans la loge en train de boire du Jack Je ne sais pas si je croyais ce qu'elle disait, mais, elle, semblait y croire.
Daniel's avec le reste du groupe, lorsque Wiggins m'a fait signe par l'en- Le dernier mot, « baisé », avait jailli de sa bouche comme une fléchette
trebâillement de la porte. de sarbacane. Elle était tellement bouleversée par ce souvenir qu'elle avait
« Il y a quelqu'un qui veut te dire quelque chose », a-t-il murmuré relâché la tension de ses mains et ses jambes, ce qui avait permis au
sournoisement. bidouillage de Wiggins de se resserrer autour de son cou. Elle a perdu
Il m'a emmené dans une pièce à l'écart dans laquelle m'attendait une connaissance et sa tête est allée heurter le sol. Encore sous le choc de sa
fille en slip blanc, soutien-gorge blanc et chaussettes roses, attachée et confession, complètement ahuri, je me suis baissé et j'ai commencé à me
ficelée dans le « suce-péché » de Wiggins. Elle aurait pu être séduisante, débattre avec les nœuds et la corde, incapable d'empêcher son visage de
mais tout son corps, particulièrement sa nuque et l'arrière de ses jambes, passer du rouge au violet. Wiggins a sorti de sa poche un couteau de l'ar-
était recouvert de taches rouges d'où émergeaient des îlots blanchâtres. mée et a coupé la corde qui lui serrait le cou, relâchant ainsi la pression.
Ce n'était pas très agréable à regarder, et avant qu'elle ait prononcé le Mais elle ne se réveillait toujours pas. On lui a donné des claques, on lui
moindre mot j'avais déjà pitié d'elle. En dépit de moi, j'étais encore plus a crié dessus, on lui a balancé de l'eau : rien n'y faisait. On était mal bar-
bouleversé parce qu'elle ressemblait à la Belle qui aurait été molestée par rés. Je ne voulais pas être le premier rock-and-roller à avoir tué une fille
la Bête. Et une beauté défigurée peut très bien être bandante. Encore plus backstage pour cause d'hédonisme.
étrange, elle me rappelait quelqu'un, comme si je l'avais déjà rencontrée. Au bout de trois minutes, elle s'est mise à grogner et à cligner des yeux.
« Qu'est-ce qui t'est arrivé ? » » C'était à moi de poser les questions. C'est sans doute la dernière fois qu'elle a eu envie de passer backstage.
« J'ai une maladie de peau. Mais ce n'est pas contagieux.
- C'est ça que tu veux confesser ? MAUVAIS TRAITEMENTS : REÇUS
- Non, a-t-elle dit en essayant de prendre
des forces pour s'exprimer. Ma confes- Lorsque, après la tournée, on est revenus à La Nouvelle-Orléans pour
sion a un rapport avec toi. enregistrer, on s'est dit que la vie allait redevenir normale. Mais tout
- Les fantasmes ne comptent pas. comme Wiggins nous avait montré la signification du mot indulgence,
- Non. Je t'ai rencontré il y a un an. un mot que nous pensions jusqu'à présent connaître, La Nouvelle-Orléans
Tu tournais avec Nine Inch Nails. » nous a appris les mots haine, dépression et frustration. Les gens aiment
Elle s'est arrêtée pour se débattre penser que la haine et la misanthropie sont des remparts contre le monde.
avec ses liens. Elle était chétive et Pour ma part, ils ne viennent pas de ma dureté, mais du vide, du fait que
faible. je me vidais de mon humanité tout comme mon sang s'échappait des bles-
« Continue. » Je savais que si j'avais sures que je m'étais infligées. Afin de ne rien ressentir — ni plaisir ni dou-
commis des actes inavouables avec elle, leur — j'étais à la recherche d'expériences plus normales, plus humaines.
je n'aurais pas oublié ses taches. La Nouvelle-Orléans, qui ne prêtait à sourire que par son aspect dépres-
« J'étais backstage et tu m'as dit salut. C'est sif, allait se révéler le pire des endroits pour partir à la recherche du sens
moi qui suis rentrée avec Trent ce soir-là. et de l'humanité. C'était comme essayer de trouver de la chaleur dans les
TONY WIGGINS _ Ouais, je m'en souviens. » Et c'était vrai. bras d'une pute. Si tourner avait épuisé ce qu'il me restait de morale, La
« En fait, à cette époque, je sortais avec quel- Nouvelle-Orléans, elle, a dévoré mon âme.
qu'un et il était en colère contre moi parce que je voulais aller backstage Plus vous passez de temps à La Nouvelle-Orléans, plus vous devenez
et passer la nuit avec Trent. Ce que j'ai fait. répugnant. Et les gens que nous fréquentions là-bas étaient parmi les plus
- Et il t'a larguée ? répugnants : des dealers, des invalides et des ordures. Dans cette ville, les
- Oui. Mais... c'est pas ce que... ce que j'essaie de dire. Le lendemain, seuls gens intéressants étaient ceux qui se rendaient à l'aéroport et ceux
j'ai commencé à avoir mal au ventre, de vraies douleurs. Je suis allée chez qui en arrivaient. Les seules planches que nous foulions étaient des bouges
le médecin qui m'a annoncé que j'étais enceinte de plusieurs mois. Mais », comme The Vault, un bar gothique-industriel de la taille d'une chambre
elle a fondu en larmes, « que je n'aurais jamais ce bébé. J'ai fait une fausse d'hôtel. Le sol était recouvert d'un dépôt visqueux fait d'urine congelée,
couche parce que j'avais baisé. » de bière et de condensation due au climat humide et fétide de la ville. Les
toilettes, utilisées uniquement pour la consommation de substances pro- passant à l'appartement pour me changer avant le dîner. Mais elle a com-
hibées, n'avaient pas de chiottes. On passait des nuits entières dans le mencé à me parler de crack et à faire des allusions à la prostitution, ce
club à sniffer avec le disc-jockey et à le convaincre de passer intégrale- qui m'a fait peur. On l'a emmenée chez Brennan, un des restaurants les
ment le Number of the Beast d'Iron Maiden pour qu'on puisse regarder plus chers de la ville. Trent s'est dit que c'était ma gonzesse et on n'a fait
les jeunes gothiques essayer de danser dessus. À l'aube, on rentrait dans aucune allusion à son anniversaire. À la fin du dîner, Trent était en train
notre appartement, un minable deux-pièces situé dans un quartier mer- de parler lorsqu'elle est nonchalamment montée sur la table, a retiré ses
dique où, récemment, deux flics s'étaient fait descendre. Nous dormions vêtements, ce qui a scandalisé — mais aussi émoustillé — la riche clien-
tous dans la même chambre sordide, respirant la puanteur des fringues tèle de ce restaurant très chic. Elle ressemblait à Brooke Shields dans La
sales tout en repoussant les punaises et les rats. Lorsqu'on en a eu marre, Petite et elle a réussi à mettre tout le monde dans l'embarras en nous fai-
on a loué les services d'une femme de ménage guatémaltèque, qui virait sant passer pour une bande de pédophiles. Cela a provoqué un beau cha-
tout ce qui traînait pour dix dollars de l'heure. hut : on était saouls et défoncés et on s'est mis à discuter avec des gens
À La Nouvelle-Orléans, tout le monde nous traitait comme de la merde auxquels nous n'aurions, en temps normal, jamais adressé la parole si
et on les méprisait tous, en les traitant à notre tour comme de la merde. nous n'avions pas été dans cet état-là. Pour mettre un point d'orgue à
Une fille nous poursuivait afin d'obtenir une interview pour son fanzine, cette soirée bordélique, nous sommes retournés à la maison et, en ouvrant
et un soir j'ai craqué : je lui ai pris son magnétophone que j'ai fait pas- la porte, on est tombés sur le large dos nu de Big Darla. Écrasé sous elle,
ser de main en main en demandant à tous ce qu'ils pensaient d'Iron Mai- il y avait une paire de jambes maigrichonnes dont les pieds dépassaient
den. Puis j'ai pissé sur le micro et le lui ai balancé dans la gueule. Nos juste devant la porte. C'était celles de Scott et elle semblait beaucoup plus
nuits devenaient une accumulation d'actes nihilistes. embarrassée que lui d'être prise sur le fait. Comme des lycéens qui sur-
Une autre fille nous filait, Trent me l'avait présentée lorsque nous tour- prennent un de leurs camarades en train de se masturber dans les chiottes,
nions avec lui. On la connaissait sous le nom de Big Darla, ce qui lui allait Trent et moi, on a profité du spectacle, ajoutant ce souvenir à notre liste
très bien. Elle faisait partie des vampires qui rôdaient autour de moi dans toujours plus grande de blagues perso — bien que Trent ait été peu dis-
les bars, cherchant à capter mon regard pour réussir à me sucer à fond. posé à se moquer d'eux car, pour des raisons différentes, il avait un faible
Le premier soir où nous étions à La Nouvelle-Orléans, elle s'est présen- aussi bien pour Scott que pour Big Darla, quelles qu'en soient les raisons.
tée à la porte vêtue d'un vieux T-Shirt Marilyn Manson peu connu. Elle La vie n'était pas moins étrange en studio. Le chaos qu'avait été la
nous apportait une boîte de friandises de La Nouvelle-Orléans qui res- tournée avec Tony Wiggins et la corruption de La Nouvelle-Orléans nous
semblaient à des bouses de vache écrasées recouvertes d'olives, de mou- avaient lancés dans une orgie d'écriture : j'ai pondu treize titres avec
tarde et de pisse de chat. Pendant tout notre séjour à La Nouvelle-Orléans, Twiggy. On était en pleine osmose et on n'avait même pas besoin de se
ni elle ni ses sandwichs ne nous ont lâchés d'une semelle. parler pour s'échanger des idées. Lorsqu'on a réuni les chansons sur une
Le jour de l'anniversaire de Trent Reznor, on marchait sur les rives du bande démo, on s'est aperçus qu'on avait créé une métaphore géante
Mississippi en cherchant ce qu'on pourrait bien lui offrir : il a tout et a autour de notre passé, de notre présent et de notre futur. Ça parlait de
pour habitude de balancer les cadeaux dans un coin et de ne plus y prê- l'évolution d'une créature sombre, tordue et viciée, de son enfance pas-
ter attention. J'ai alors remarqué un mendiant unijambiste et je me suis sée dans la peur à une vie d'adulte passée à semer la peur, de son passage
mis en tête de récupérer sa prothèse pour en faire cadeau à Trent. Pen- de l'état de mauviette à celui de mégalomane, de celui de mangeur de
dant que j'essayais de le convaincre de me la céder, une jolie fille sque- merde à celui de fouteur de merde, d'asticot à destructeur du monde.
lettique est passée près de nous et j'ai commencé à lui parler. Je lui ai Nous avions une vision, nous avions un concept, et même si personne ne
demandé si elle connaissait la musique de Nine Inch Nails et elle m'a croyait en notre musique, nous savions que nous tenions là plusieurs de
répondu que oui. Puis elle m'a montré une coupure qu'elle avait sur le nos meilleures chansons. Nous étions prêts à faire un résumé de nos vies
bras comme s'il y avait un rapport. qui allait tenir sur un disque parfaitement achevé.
« C'est l'anniversaire de Trent Reznor aujourd'hui. Tu veux Mais lorsqu'on a fait écouter à Trent la bande pour lui demander son
m'accompagner pour lui faire une surprise ? » avis, sa première réaction a été de nous faire remarquer que Scott ne jouait
Elle semblait avoir dix ans, même si elle devait en avoir beaucoup pas de guitare dessus.
plus. En fait, elle était strip-teaseuse et j'avais très envie de la sauter en « Écoute, ai-je essayé de lui expliquer. On ne sait même pas si on est
capables de jouer avec ce type. Il ne comprend pas du tout dans quelle
direction nous allons. C'était la première fois que je voyais Wiggins se retenir.
- C'est l'épine dorsale de Marilyn Manson. » Trent était enthousiaste. Sur l'album, au moment où elle commence à dire que vivre ne l'inté-
« Marilyn Manson est connu pour ses guitares. » resse pas et supplie d'en finir, il y a un bruit cataclysmique suivi d'une
John Malm, notre manager et directeur du label, l'approuvait. Une ligne de basse introduisant Diary of a Dope Fiend. C'était l'ouverture
vague de frustration m'a envahi. Je me pinçais, je croyais rêver. idéale pour un album sur les abus en tous genres : sexe ou drogue, domes-
« J'ai lu des centaines d'articles, et personne n'a jamais mentionné les tiques ou mentaux. Au milieu de l'album, on a introduit une autre des
guitares. » J'avais les boules. « C'est vrai, personne non plus n'a parlé confessions que nous avions enregistrées, celle d'une fille qui avait mar-
des chansons. Je veux écrire de bonnes chansons dont les gens parle- tyrisé son petit cousin âgé de sept ans. Ça mettait en valeur le fil conduc-
ront. » teur du disque : la cible la plus facile pour les abus est l'innocence. J'ai
Je leur ai proposé de leur montrer les paroles, de resserrer les chan- toujours aimé le syndrome de Peter Pan qui reste un enfant dans un corps
sons, d'y ajouter des lignes mélodiques, mais personne ne croyait à ce d'adulte, et Smells Like Children était supposé être un disque pour enfants
projet. Par contre, ils voulaient tous que nous continuions la promo de adressé à ceux qui n'en sont plus, des gens comme moi qui veulent retrou-
Portrait ofan American Family. En fait, je n'avais toujours pas confiance ver leur innocence maintenant qu'ils sont suffisamment corrompus pour
en moi et j'étais mon pire ennemi, parce que j'étais trop naïf. Ne connais- apprécier cette innocence. Nous étant récemment fait avoir par Frankie,
sant pas les ficelles du métier, je croyais tout ce que disaient les publici- notre organisateur de tournée, que nous venions de virer pour avoir piqué
taires, les avocats et les directeurs de label. Je suivais leur instinct plutôt dans la caisse 20 000 dollars en notes de frais qu'il était incapable de jus-
que le mien, alors j'en oubliais les chansons que j'avais écrites et, pour tifier, nous avons enregistré une chanson intitulée Fuck Frankie.
la première fois de ma vie mais sûrement la dernière, j'ai fait des conces- Le tout tenait debout grâce à des dialogues extraits de Willy Wonka
sions. On a commencé à travailler sur un single de remixes, de reprises and the Chocolaté Factory qui, sortis de leur contexte, étaient porteurs
et d'expérimentations en tout genre, afin de résumer ce que nous étions de connotations sexuelles. L'axe central du disque était la reprise de Sweet
à l'époque, c'est-à-dire ténèbres, chaos et drogue. Dreams d'Eurythmics, que nous jouions déjà sur scène. En une seule
Les défauts qui me sautaient aux yeux dans Portrait n'étaient rien en phrase, la chanson résumait parfaitement non seulement l'album, mais
comparaison du désastre qu'était ce single. C'était comme quand, après la mentalité de tous ceux que j'avais croisés depuis que j'avais monté le
avoir cousu un costume compliqué pour une fête, en sortant de la mai- groupe : « Certains d'entre eux veulent vous maltraiter/Certains d'entre
son, on accroche l'ourlet à un clou : il ne reste plus qu'à regarder le cos- eux veulent être maltraités. » Notre label fait partie de la première caté-
tume s'effilocher et tomber en morceaux. En l'occurrence, le clou s'ap- gorie. Ils nous ont fait enlever les samples extraits de Willy Wonka and
pelait Time Warner, la compagnie mère d'Interscope/Nothing. the Chocolaté Factory en prétendant que nous n'aurions jamais l'auto-
L'album qu'on a enregistré pour ce label commençait par une des pires risation d'utiliser ce texte et — si j'avais retenu la leçon — que, de plus,
nous avions besoin de l'autorisation écrite des personnes enregistrées par
bandes que j'aie jamais enregistrées. Évidemment, Tony Wiggins était
Tony Wiggins. La plupart des labels auraient réagi de la même façon, ce
dans le coup. Grâce à une fille qu'il avait ramassée backstage au cours
qui prouve bien que, par essence, l'art et la culture sont incompatibles.
de la tournée avec Danzig. Elle l'avait supplié de l'humilier et d'abuser
d'elle. Wiggins avait commencé, pour plaisanter, par lui couper les poils Enfin, sans nous avertir, Nothing a pris une décision qui allait à l'en-
du pubis en la fouettant avec délicatesse, et, plus menaçant, il lui avait contre de n'importe quel instinct commercial. Ils ne voulaient pas sortir
passé une chaîne autour du cou. Mais elle en voulait toujours plus : elle Sweet Dreams en single, alors que je savais que même ceux qui n'aimaient
a fini par hurler que sa vie ne valait rien et l'a supplié de la tuer sur place. pas le groupe aimeraient ce titre. Le label préférait sortir notre version
La bande montrait Wiggins emmerdé d'avoir poussé le bouchon trop de I Put a Spell on You de Screamin'Jay Hawkins, morceau beaucoup
loin. « T'es sûre que ça va ? » lui demandait-il tandis qu'elle n'arrêtait trop sombre et ésotérique même pour certains de nos fans. Là, on s'est
pas de crier de douleur et de plaisir, on ne faisait plus la différence. battus avec le label et c'est comme ça qu'on a appris qu'on pouvait gagner.
« Tu sais bien que je ne vais pas te tuer, lui disait-il en essayant de la J'ai aussi appris à me fier à mon instinct. Cette expérience a été démo-
calmer. ralisante mais m'a moins atteint que le fait que personne au sein du label
- Je m'en tape, lui répondait-elle. C'est si bon. » ne nous ait jamais félicités pour le succès de la chanson. Ce disque très
bordélique a fini par créer le bordel uniquement dans ma tête.
avions sorti nos carnets de bal, prêts à être poinçonnés. À part une per-
Ma seule consolation a été l'erreur malencontreusement commise au
ruque blonde, un masque de coq avec des yeux clignotants et une cou-
moment du pressage du disque : plusieurs milliers d'exemplaires ont été
ronne en papier crépon rouge, j'étais nu. Twiggy portait une robe en tissu
fabriqués d'après notre première version de l'album, alors qu'ils pen-
écossais bleu qui ressemblait à une nappe de cuisine, des collants mar-
saient travailler sur la nouvelle. La maison de disques a envoyé des copies
ron, une perruque auburn et un chapeau de cow-boy. Il ressemblait au
aux stations de radio et aux journalistes sans même avoir écouté le disque.
zombie d'une souillon du Texas.
Ils n'ont réalisé leur erreur que plus tard. On peut aujourd'hui trouver
cette version sur Internet. Bien que certaines personnes au sein du label On a appelé Wiggins sur son portable et, dès qu'il a décroché, on a
m'aient accusé d'avoir monté le coup, j'aimerais bien en être l'auteur. Les communié à notre façon, ce qui consistait à essayer de transsubstantier le
voies du Seigneur, même si je n'en tiens pas compte, sont impénétrables. corps et le sang de Tony Wiggins en notre repas de substances toxiques.
Un autre miracle s'est produit : certes on nous a obligés à retirer les On s'est fait une ligne, puis on a léché la tête d'Huggy les Bons Tuyaux
bandes live de la tournée, mais les avocats ayant donné leur accord, on qu'on a plongée dans le reste de coke pour s'en tartiner les gencives. Et
a pu y mettre les enregistrements réalisés par Tony Wiggins. L'un des ins- on s'est envoyé une rasade de Jagermeister tout en se calant une tranche
tants les plus étonnants et les plus amusants du disque est la version acous- de poulet entre les dents. Avec Twiggy, ça nous a pris quarante-cinq secondes
tique de Cake and Sodomy. Puisque la chanson critique les inepties pour accomplir ce rite sacré. Wiggins nous a immédiatement reconnus.
blanches et chrétiennes du Sud, on s'est immédiatement dit qu'il fallait
remixer avec Wiggins pianotant et fredonnant une version plouc.
Au cours de notre séjour à La Nouvelle-Orléans, on a passé un seul
bon moment. Et il faut en remercier Tony Wiggins.
Comme si j'avais croqué dans le fruit de la connaissance, j'ai tout à
La drogue coulait à flots, au point qu'on en avait marre de seulement
coup réalisé qu'il fallait que je recouvre mon intimité. J'ai donc pris le
se droguer. Pour s'amuser, il nous fallait ajouter d'autres jeux, rituels et
tube cartonné d'un rouleau de papier toilette que j'ai scotché autour de
mises en scène autour de la drogue. Pour l'anniversaire de Twiggy, un
ma bite. Pour que ça ressemble à un suspensoir bricolé,, en titubant, j'ai
barman à l'air un peu débile et à la tête de boxeur qui travaillait dans un
bouge du Quartier français est venu avec un copain musicien qui n'avait arraché la télé du mur pour en attacher le câble autour de ma taille afin
qu'un bras et jouait de la contrebasse en faisant claquer les cordes avec de m'en faire une ceinture. Ensuite, on a essayé en vain de convaincre
son crochet. Comme sa principale source de revenus provenait de la Pogo de se déguiser ou de faire quelque chose pour nous faire rire. Pen-
revente de drogue, il avait dans ses poches plusieurs doses de cocaïne. dant une heure, on a regardé une vieille sorcière bourrée, aux jambes
Mais nous ne voulions pas uniquement de la drogue. Nous avions besoin recouvertes de croûtes, à genoux sur le visage de Pogo, les bas descendus
d'un mélange de drogues, de rites et de situations que seul Wiggins était sur ses genoux, essayant anxieusement et lentement d'uriner dans sa
capable d'organiser. bouche avide. Ensuite, on a mis Pogo au défi de se taillader le poignet
avec un couteau — ce qu'il a fait à plusieurs reprises — avant de s'en-
Avec Twiggy, on a fait une esquisse de Wiggins au crayon à papier et
duire les parties de baume du tigre et de se masturber — ce qu'il a éga-
au crayon de couleur rouge, en train de mourir comme le Christ sur la
lement fait — mais sans provoquer la moindre excitation ni chez lui ni
croix, de présider la Cène, avec au menu des asticots et du sang, et de
chez nous.
descendre sur terre sous l'apparence de l'Ange de la Mort. Sur un pla-
Nuit typique : on avait pris trop de drogues et commencé à péter les
teau posé par terre, on a disposé des lignes de cocaïne à côté de bouteilles
plombs avec une énergie fébrile bien après le lever du jour. Twiggy a
de Jagermeister et de poulet en croûte (histoire de symboliser la mort fic-
attrapé sa guitare acoustique et mis le magnétophone sur vitesse rapide,
tive du poulet et notre batteur en train de prendre feu sur scène). Der-
ce qui a donné un résultat comparable à des versions tordues des chan-
rière tout ça, on a installé une poupée cabossée d'Huggy les Bons Tuyaux,
sons des Chipmunks. Comme ce n'est pas très drôle de jouer sans public
l'indic dans Starsky et Hutch, à laquelle il manquait une jambe. C'était
(et pas drôle du tout si on n'est pas complètement défoncé), toujours
dans la cavité de cette chose en plastique que nous avions pris l'habitude
habillés avec nos vêtements bricolés, on a déboulé dans les rues en hur-
de planquer la dope au cours de la tournée avec Tony Wiggins. À chaque
lant pour finir par trébucher sur un S.D.F. qui dormait sur le trottoir.
fois que nous tapions dedans, on se passait un code qui était « aller dan-
« Hey mec, qu'est-c'que tu branles ? » lui a demandé Twiggy pour être
ser avec l'indic unijambiste ». Le soir de l'anniversaire de Twiggy, nous
sympa. Mais, soit le type avait trop peur pour répondre, soit il avait envie
d'être seul. tombales, ce que je n'approuvais pas.
Non pas par respect des morts —
L'alcool étant la meilleure manière de se faire des copains, on lui a
. j'avais déjà perdu tout respect
offert une bouteille de vodka. Maintenant qu'on était sur la même lon-
pour les vivants, alors les
gueur d'onde, on lui a proposé de nous suivre dans notre délire. On lui
morts... — mais parce qu'elles
a fait mettre une perruque, on l'a poussé à danser et chanter avec nous.
étaient trop lourdes à trans-
On avait l'impression d'avoir quatre ans : c'était très agréable.
porter. On en a quand même
Twiggy s'est mis à chanter Hey Joe pour que le gentleman entre en
rapporté à l'appartement et on
action. « Hey Joe, qu'est-ce que tu fais aujourd'hui ? Tu penses que tu
les a rangées dans le placard à
pourrais nous suivre ? » Mais Joe n'a pas dansé et n'est allé nulle part.
balais de l'entrée. Ce qui explique
Il s'est pissé dessus, inondant nos pieds nus de son urine à 120° d'alcool.
certainement la réaction étrange
On était tellement interloqués par cette performance impromptue de notre femme de ménage le len-
qu'on n'a pas fait attention aux sirènes qui hurlaient derrière nous. Quel- demain, qui non seulement nous a
qu'un avait dû appeler la police. Sur la tournée avec Danzig, j'avais eu mystérieusement quittés, mais a laissé son
un accrochage correct avec les flics : ils m'avaient arrêté pour avoir mon- chapelet à la poignée du placard.
tré mon cul en public et, au lieu de m'humilier au poste, ils s'étaient
Au cours de la tournée Smells Like Children, Twiggy trimbalait les os
contentés de me mettre un P.V., avant de s'excuser pour le dérangement.
de ville en ville, en clamant bien haut à tous ceux qui le lui demandaient
Enfin, l'un d'entre eux m'avait demandé la permission de se faire prendre
qu'il s'agissait des restes de Freddy, notre premier batteur, celui que nous
en photo avec moi : c'était l'un de mes fans. Mais je savais très bien que
avions brûlé vivant. On a baptisé le sac d'os « Freddy » et il a fini par
j'avais eu de la chance, que ça ne deviendrait pas une habitude. Je ne
brûler une seconde fois à Los Angeles. Une fois de plus, Tony Wiggins
tenais pas à prendre de risques à La Nouvelle-Orléans, surtout le jour où
était dans le coup.
je ne portais rien d'autre qu'un vague cache-sexe en carton.
Quand on se faisait plaisir, c'était en général en hommage à Wiggins
« Ne bougez plus, mettez les mains contre le mur », a craché un haut-
qui nous avait montré que les limites n'existaient pas. Et c'est ainsi que,
parleur placé sur le toit d'un des véhicules de police. J'ai regardé Twiggy,
lorsque nous étions en miettes et au bout du rouleau, on l'appelait, et tel
Twiggy a regardé Pogo, Pogo a regardé Joe. Joe était encore en train de
un esprit frappeur sybarite il sautait dans un avion pour nous rejoindre.
se pisser dessus.
La tournée tirait à sa fin lorsqu'il s'est matérialisé backstage avant un
Alors on a fait ce que ferait n'importe quel citoyen respectueux de lui- concert au Palace de Los Angeles. Il était saoul, énervé, sûrement à cause
même face à l'autorité : sans même nous retourner, on a pris nos jambes du speed. Pour prouver qu'il était capable d'être bourreau aussi bien que
à notre cou. Après une petite interruption qui consistait à s'écrouler victime, il a insisté pour que je le taillade. Comme je n'avais jamais fait
quelques heures, on est repartis vers de nouvelles aventures. de scarification sur un autre corps que le mien, j'ai accepté et je lui ai fait
En compagnie d'un couple ressemblant à un cliché tellement ils étaient ' un tatouage temporaire en forme d'étoile. Il a passé tout le show sur le
tatoués et piercés, on est allés en voiture jusqu'au cimetière, à la sortie côté de la scène, à saigner et à essayer de nous faire boire du whisky à
de la ville. On nous avait dit que les os y poussaient comme des fleurs. chaque fois que nous passions à côté de lui. C'était le genre de compor-
Au lieu des statues, des sépulcres et des rangées de pierres tombales bien tement que nous attendions de lui.
droites que nous pensions trouver, nous avons débarqué dans un endroit
Ensuite, on s'est rendus à une fête dans la chambre d'hôtel de Wig-
qui avait tout l'air d'un charnier datant du dix-neuvième siècle. Il y avait
gins sur Sunset Boulevard. Le siège des toilettes était entièrement recou-
des dents au milieu de la poussière et des cailloux, des os brisés de bras
vert de cocaïne et la chambre remplie de prétentieux de L.A.
et de jambes saillant à l'air libre telles des herses sur un parking. On a
On est tombés à court de bière, ce qui a entraîné une expédition sans
traîné là pendant une demi-heure, le temps de remplir des sacs plastiques
succès de la part de Wiggins chez Ralphs, le supermarché voisin, où il a
d'os. Je suppose qu'on voulait en faire des cadeaux à nos petites amies
proposé à plusieurs reprises 500 dollars aux flics pour qu'ils achètent de
ou aux filles qu'on pourrait brancher au prochain anniversaire de Twiggy.
la bière à sa place. En rentrant à l'hôtel, il a fait don de l'argent à Twiggy
Twiggy, qui était encore bourré, voulait emporter quelques pierres et tout est allé mieux jusqu'à ce qu'on manque de dope. Avec Twiggy, la
seule chose qu'on avait en tête était de faire fumer les os de Freddy à ces Heureusement, une issue de secours m'a vite été offerte grâce à un
gens de L.A. très cools et très branchés. En leur racontant que c'étaient type à l'air sympathique qui s'est approché de moi pour me dire qu'il me
les dernières cigarettes à la mode en France. On a pris une des côtes de connaissait. Je me souvenais vaguement de lui : c'était le barman du Reu-
Freddy, on en a réduit une partie en petits morceaux qu'on a mis dans nion Room où nous avions joué nos premiers shows.
une pipe. On l'a allumée et on a tiré chacun une bouffée, laissant nos « Cette boîte est à moi, a-t-il dit. C'est moi le patron.
poumons se remplir de la fumée de ce cadavre inconnu. Tandis que la - Super, ai-je répondu, tu peux m'emmener ailleurs qu'ici ? Je vais
chambre se remplissait d'une puanteur de cadavre en train de brûler, on péter les plombs. »
a réussi à convaincre deux chieuses de tirer sur la pipe. Elles se sont toutes Il m'a donc emmené à l'arrière du club et a ouvert une porte donnant
les deux retrouvées malades et ont quitté la chambre, ce qui était notre sur une immense glacière. Je suis entré et il m'a suivi, puis a refermé la
but premier. Twiggy a passé le reste de la nuit à vomir dans les toilettes porte derrière lui.
et j'ai terminé la mienne en rêvant que j'étais possédé par un prêtre bap- « Tu sais, m'a-t-il dit, tu es sorti avec l'une de mes ex. »
tiste louisianais de la fin du siècle dernier. Je me suis senti piégé. J'essayais de ne pas l'entendre et je regardais les
Avec le recul, l'expérience a presque été aussi mauvaise que certaines murs sur lesquels des gargouilles grotesques me dévisageaient d'un air
rencontres que j'avais faites avec d'autres drogues normales à base de menaçant. J'essayais de penser à autre chose, et je ne pouvais qu'imagi-
plantes. Alors que nous nous traînions en compagnie de Nine Inch Nails, ner Pogo sans doute en train de tuer quelqu'un à l'instant précis ; il fau-
peu de temps avant l'incident de l'os fumé, ils m'ont offert l'un des rares drait que j'appelle les flics. Je me foutais totalement de savoir qui il était
narcotiques auxquels je n'avais jamais touché : des champignons. Pogo, en train de tuer ou s'il allait finir sur la chaise électrique pour ça. Tout ce
Twiggy, la plupart des membres de Nine inch Nails et moi-même, on a que je voulais c'était ne pas me retrouver face aux flics tant que les cham-
ingurgité plusieurs capsules avant d'aller dans un endroit du nom de Mars pignons feraient leur effet.
Bar. On a mis une heure pour y arriver alors qu'il était supposé être juste La porte de la glacière s'est ouverte et une douzaine de personnes s'y
à côté. En chemin, on a lentement bu de grandes gorgées de Budweiser. sont entassées. « Ça va ? » m'a demandé quelqu'un qui semblait s'en pré-
Mais peu importe la quantité, nous étions incapables de finir la moindre occuper. Je ne pouvais pas parler. J'étais terrorisé, totalement embrouillé.
d'entre elles. Soit quelqu'un chez Budweiser était un génie, soit les cham- Il fallait que je pisse, que je chie, que je fasse quelque chose. Twiggy était
pignons nous avaient vraiment assommés. avec eux, mais il ne cessait de raconter des conneries à propos d'un canoë
Le Mars Bar était exactement le mauvais endroit où aller vu l'état dans qu'il voulait voler pour faire le tour du port.
lequel nous étions. Il était situé dans un centre commercial abandonné Je me suis enfui dans une autre pièce où se trouvait une alcôve sous
situé sur le front de mer, qui donnait la chair de poule, et la seule façon l'escalier qui, pour une raison inconnue, était remplie d'oreillers. Je me
d'y accéder était d'emprunter un ascenseur délabré plongé dans le noir. suis allongé dessus et j'ai profité de la solitude. J'entendais les autres
On était avec Bill Kennedy, un célèbre producteur de heavy métal qui, en dehors, en particulier Twiggy qui essayait de sauter dans l'eau, à la
me rentrant dedans, s'est transformé en diable dont les cheveux étaient recherche d'un canoë. J'étais très inquiet : et s'il se noyait ? Il faudrait
des flammes, les dents des grains de blé, et dont la taille était entourée que je raconte tout aux flics. J'étais obsédé par cette question et je me
de serpents en train de se contorsionner. Lorsqu'il gloussait, des mégots foutais royalement de savoir qui était mort ou assassiné. Je ne voulais
de cigarettes entraient et sortaient de sa bouche comme du pop-corn qui surtout pas avoir affaire aux flics.
rebondit dans un distributeur. Ce véritable cauchemar me rappelait trop Lorsque le soleil s'est levé, j'ai commencé à retrouver une partie de
tard pourquoi je ne devais jamais prendre de drogues psychédéliques. ma lucidité. Je suis sorti en trébuchant dans l'air humide du matin pour
La porte de l'ascenseur a fini par s'ouvrir... sur une pièce remplie de découvrir quatorze personnes entassées dans un minibus prévu pour dix.
squelettes marron. Tout le monde y était décharné, bronzé et dans la Sur le chemin du retour, Trent a proposé de s'arrêter dans un McDo Drive
pénombre, d'un marron d'outre-tombe. Les meubles étaient tous trop In où il a commandé suffisamment d'Eggs McMuffin, de pommes de terre
petits, un peu comme dans Alice aux pays des Merveilles. J'ai regardé sautées, de jus d'orange, de Cocas, de cafés et de friands pour nourrir
Pogo : une petite lumière rouge était pointée sur lui comme s'il allait être tout le pénitencier de Jacksonville.
enlevé par des aliens. Je lui ai demandé si ça allait. Il m'a souri. « Je vais Avant même d'avoir eu le temps de manger, Trent a lancé une pomme
tuer quelqu'un. » J'étais terrifié car il pensait ce qu'il disait. de terre sautée détrempée sur Twiggy. En essuyant la pomme de terre
écrasée sur son visage, Twiggy a attrapé un Egg McMuffin, qu'il a balancé
sur Trent. Immédiatement tout ce que ce bus bondé contenait de viande,
d'œufs, de boissons, de pain, de sirop et de morceaux de nourriture à
différents stades de digestion, a été lancé ou craché. C'était une sorte de
MacGuerre, le ketchup remplaçant juste le sang. Pendant ce temps, le
véhicule tanguait d'une file à l'autre et notre chauffeur, qui lui était sobre,
essayait de maintenir le cap.
Si Trent est un démarreur, Twiggy est un accélérateur toujours en train
d'en rajouter. Il a donc vomi sur ses genoux à plusieurs reprises. Robin,
le guitariste de Nine Inch Nails à qui j'avais sucé la bite sur scène, était
assis à côté de lui. Il a fait ce que n'importe qui aurait fait à sa place : il
a récupéré le vomi et l'a balancé sur moi. Je l'ai relancé sur quelqu'un
d'autre et, ce qui aurait dû être une bataille de bouffe prédigestion a
tourné en une bataille de bouffe post-digestion. Twiggy vomissait direc-
tement dans les mains de Robin qui partageait le gâteau avec nous. Lors-
qu'on est rentrés à l'hôtel, tous ceux qui n'avaient pas encore vomi n'en
étaient pas loin.
À peine descendus, on est tombés sur une drag-queen qui sortait de
boîte, style M. Propre black chauve, habillé d'un tutu et de gants dorés.
Il nous a interpellés : « Salut, mes choux. » L'un d'entre nous lui a répondu :
« Salut la folasse », puis on l'a invité à venir se défoncer avec nous dans
notre chambre.
Une fois dans la chambre et sans perdre de temps, j'ai sauté sur le télé-
phone pour appeler Missi, qui avait décidé de ressortir avec moi. Il n'est
jamais facile de rompre une relation d'un coup. Exactement comme lors-
qu'on casse un vase de grande valeur : on le recolle, puis il se brise encore,
on le recolle, il se brise... on le recolle... et... au bout d'un moment, ça
devient impossible de recoller les morceaux. J'étais couvert de pommes [LE BIFTECK] C'EST LE CŒUR DE LA VIANDE, C'EST DE LA VIANDE
de terre sautées et de vomi, un sac d'os était glissé sous mon lit, sur la À L'ÉTAT PUR, ET QUICONQUE EN PREND, S'ASSIMILE
table traînait une poupée bourrée de cocaïne, et je m'étais rendu compte À LA FORCE TAURINE. DE TOUTE ÉVIDENCE, LE PRESTIGE DU BIFTECK
que je me foutais complètement d'apprendre qu'un proche claquait tant TIENT À SA QUASI-CRUDITÉ : LE SANG Y EST VISIBLE, NATUREL,
qu'on ne m'emmerdait pas avec ça. Et, cerise sur le gâteau, un travesti DENSE, COMPACT ET SÉCABLE À LA FOIS ; ON IMAGINE BIEN
en tutu était en train de fumer du crack sur le lit à côté de moi. Je n'en L'AMBROISIE ANTIQUE SOUS CETTE ESPÈCE DE MATIÈRE LOURDE
ai pas parlé à Missi. Je lui ai juste dit que j'étais défoncé. QUI DIMINUE SOUS LA DENT DE FAÇON À BIEN FAIRE SENTIR
« Tu sais quoi ? Il faut que tu réfléchisses à la manière dont tu veux DANS LE MÊME TEMPS SA FORCE D'ORIGINE ET SA PLASTICITÉ
mener ta vie. » À S'ÉPANCHER DANS LE SANG MÊME DE L'HOMME.
C'était vraiment la dernière chose que je voulais entendre à cet ins-
tant précis.
Q : Acceptes-tu à présent de parler de l'incident de la viande ?
R : Oui. En fait, j'ai rencontré Alyssa à l'occasion d'un showcase pour
Freddy DeMann chez Maverick Records. C'était la dernière fois que Brad
Stewart jouait avec nous. Elle s'est pointée backstage : une petite blonde.
Mignonne. Elle avait un joli visage, mais surtout des seins d'une taille
exceptionnelle. Une poitrine incroyable. Le genre de fille qu'on peut remar-
quer dans un concert de Warrant, juste à sa façon de s'habiller et de se
comporter. Au son de sa voix, j'ai immédiatement remarqué qu'elle était
sourde. Elle m'a expliqué qu'elle était capable de ressentir la musique et
de l'apprécier lorsqu'elle était collée à la scène. Elle avait eu une telle
façon de me brancher, comme si elle voulait baiser avec moi. Mais, à ce
moment-là, ça ne m'intéressait pas. Sans doute parce que ma petite amie
était derrière la porte. Si elle n'avait pas été là, ça m'aurait certainement
intéressé.
Un an plus tard, on est allés enregistrer la face B du single Lunch Box
aux studios South Beach de Miami. Nine Inch Nails avait loué mes ser-
vices, ceux de mon groupe, de Trent [Reznor], de Sean Beavan [notre pro-
ducteur assistant] et Jonathan pour être documentaliste sur leur vidéo.
Si je me souviens bien, je devais avoir un statut genre directeur de la photo.
Ou celui d'Officier en Chef Chargé des Obscénités.
Je suis simplement sorti chercher un truc à manger, lorsque je me suis
cogné à Alyssa. Pensant que ça pourrait être marrant de la présenter à
tout le monde, je lui ai proposé d'entrer dans le studio. La situation était
étrange car Pogo venait de nous dire que l'un de ses fantasmes était de
baiser avec une sourde pour pouvoir lui dire tout ce dont il avait envie
sans l'emmerder et sans lui-même se sentir gêné. Je l'ai donc emmenée
au studio pour la présenter à tout le monde. Afin de briser la glace, j'avais
pris comme habitude de dire tout ce qui me passait par la tête, dans l'es-
poir de faire rire les autres ou d'engager une joute verbale. Je lui ai donc
demandé de se déshabiller. Elle a éclaté de rire, puis a retiré tout ce qu'elle
avait sur elle, sauf ses bottes. Dans le studio, on était tous à la fois cho-
qués et troublés d'avoir un tel impact sexuel sur cette fille sourde et nue.

Q : Comment arrivait-elle à comprendre ce que vous disiez ?


R : Elle lisait sur les lèvres à la perfection, une technique qu'elle avait
certainement acquise au cours des années passées au premier rang des
concerts de heavy métal à apprendre les paroles de chansons merdiques
comme Fuck Like a Beast, qui nous apportait de la chair fraîche sur un
plateau puisque j'étais en compagnie de l'auteur du récent refrain heavy
metal, « I want to fuck you like an animal » (Je veux te baiser comme ceau de boudin. Ensuite il a commencé à la baiser par-derrière, ce qui
une bête). allait très bien parce qu'elle avait une laisse pour chien et lui tenait la
Plus tôt dans la journée, on avait récupéré toutes sortes de viandes. laisse, si bien qu'il pouvait lui hurler toutes les insanités qu'il voulait...
D'énormes os à moelle, des hot dogs, biftecks, des steaks hachés, du Il faut que je précise qu'à aucun moment je n'ai eu la sensation qu'on
salami, de la saucisse, du bacon, des tripes, des pieds de cochon, des abusait d'elle. Certes, dans la pièce, il y avait plusieurs caméras, des musi-
pattes, des cuisses, du blanc, des ailes et des gésiers de poulet. Toutes ces ciens et des dessinateurs qui tapaient dans leurs mains et dansaient sur...
viandes étaient crues. On a construit un casque en viande à partir d'un Slayer ou un autre morceau. Enfin, peu importe, elle semblait très exci-
énorme jambon, complété par des bouts de bacon, des chapelets de sau- tée de participer à tout ça. Je crois qu'en plus elle avait le sentiment de
cisses et d'autres morceaux du même genre qui pendouillaient un peu faire de l'art et de passer un bon moment. D'ailleurs, tout le monde pas-
partout. On a couronné la fille avec le casque et je me suis servi de pains sait un bon moment — à part les types de Nine Inch Nails qui gardaient
aux piments pour lui cacher le bout des seins. Ensuite, on lui a passé plu- leurs distances.
sieurs couches de lasagnes sur le dos. Ce jour-là, on a tous gagné notre Pendant ce temps-là, Pogo a dit un truc plutôt offensant qu'il vaudrait
passeport pour les coulisses de l'enfer. peut-être mieux ne pas mentionner ici.
Dès le début de l'opération, j'avais enfilé des gants en latex jaunes,
uniquement pour ne pas toucher le salami à main nue. C'était l'unique Q : Continue. On pourra toujours l'enlever du bouquin plus tard.
raison. R : Il a hurlé : « Je vais te baiser ton oreille crevée. » Cette phrase a
On avait passé une demi-heure à s'amuser avec la viande, à la mani- résonné dans la pièce comme une des choses les plus sombres qu'on ait
puler, la travailler, la caresser, la tripoter. jamais entendues. Je me disais que ce que j'avais fait avec les petits Jésus
était vraiment très anodin.
Q : On pourrait appeler ce chapitre « Comment enviander les fans ». Ensuite, Alyssa a voulu prendre une douche : elle était recouverte de
R : Je pensais plutôt à « Meat and greet ». viande et puait. Pendant qu'elle se dirigeait vers la douche, je lui ai demandé
si on pouvait lui pisser dessus. Elle a alors dit un truc encore plus sombre
Q : Impeccable. Continuons. et profond que ce qu'avait dit Pogo : « D'accord, mais pas sur mes bottes. »
R : On a immortalisé l'événement sous différentes formes. Des cro- On s'est regardés tous comme vous êtes en train de me regarder. « Ouah ! »
quis au crayon, des photos, des vidéos, tout ce qu'on pouvait trouver Finalement, elle possédait un certain sens moral. Et puis, la cerise sur le
pour garder une trace de ce grand moment de l'histoire de l'art. Jusque- gâteau — ou sur la viande —, elle nous a dit : « Et pas dans mes yeux
là, je ne voyais rien de sexuel dans tout ça. C'était une simple sculpture non plus, ça brûle. » Elle avait visiblement de l'expérience en la matière.
en viande vivante. Ce qui s'est ensuite passé est typiquement représenta- Elle est entrée dans la cabine de douche, l'équipe du film regardait
tif de mon besoin d'aller toujours plus loin. J'ai demandé à Pogo et à tandis que, un pied dans la cabine et l'autre sur la lunette des toilettes,
Twiggy de scotcher leurs bites ensemble pour voir si elle pouvait mettre Twiggy et moi, on l'a arrosée d'urine. Elle avait l'air ravie, les seins écla-
deux pénis dans sa bouche à la fois. Mais ça n'a pas marché car ils ne boussés par les jets d'urine qui décollaient des morceaux de viande de sa
pouvaient pas se tenir l'un à côté de l'autre et réaliser cet exploit. À la poitrine.
fin, ils ont mis leur bite l'une en face de l'autre, en une sorte de bras de Enfin est arrivé ce qui devait arriver, Twiggy a raté sa cible et l'a tou-
fer. Elle s'est mise à lécher ce qui ressemblait en fait à un harmonica en chée au visage, ce qui a paralysé tous ceux qui étaient présents : nous
forme de bite. Un harmonica géant. Et c'est là que ça a commencé à déra- avions été trop loin.
per. Car c'est à cet instant qu'on a décidé de laisser Pogo donner libre
cours à ses fantasmes et baiser la sourde...
Alors, il a enfilé une capote...

Q : Attends. Comment a-t-il fait pour se séparer de Twiggy ? Sean Beavan a trouvé une formule qui résume parfaitement la situa-
R : Elle a rongé la bande adhésive comme un rat ronge un bout de tion. Cette phrase est devenue une sorte de rengaine pendant tout le reste
fromage. Et lorsque Pogo a enfilé la capote, sa bite ressemblait à un mor- de la tournée. Mais j'arrive pas à m'en souvenir. Twiggy doit savoir.
[Il attrape le téléphone, compose le numéro, attend.]
Il n'est pas là. Ça me reviendra plus tard.
L'urine coulait le long de son menton, lorsque le Gardien du Sexe
[Daisy Berkowitz] est entré et s'est approché : « Qu'est-ce qui se passe ?
Qu'est-ce que vous faites ? »
On lui a répondu qu'Alyssa prenait simplement une douche. Ce n'était
pas notre devoir de lui raconter tout ce qui s'était passé auparavant, parce
que c'était lui le Gardien du Sexe et que ça pouvait être amusant. On a
ajouté : « Alyssa est dans la douche, elle voudrait que tu la rejoignes. »
Je pense que son peu d'expérience avec les filles, qu'elles soient belles
ou moches, l'a poussé à aller sous la douche. Daisy s'est déshabillé devant
nous — ce qui ne l'a pas dérangé — et a sauté la rejoindre. Elle n'avait
pas eu le temps de se rincer qu'il commençait à embrasser ses lèvres encore
couvertes d'urine. On était dans un mauvais trip. Et lui, bien sûr, s'était
dit que nous étions dans un mauvais trip parce que nous étions impres-
sionnés par son énergie et ses capacités sexuelles, ainsi que par la taille
de sa bite. De toute façon, même s'il avait su qu'elle était recouverte
d'urine, je crois bien qu'il n'en aurait rien eu à foutre.
On a conclu cette petite séquence cinématographique en prenant le
dernier morceau de viande qu'il nous restait — un énorme saumon cru,
avec la tête, les yeux, les écailles et tout le reste — qu'on a lancé dans la
douche avant de bloquer la porte. Fin du film.

Q : Tu te souviens de ce qu'a dit Sean Beavan ?


R : Ouais, il a dit : « Ce n'est pas bien », et mettez bien l'accent sur
le « pas » quand vous sortirez cette interview.
[RÊVES]

TANDIS QUE JE MARCHAIS SUR L'ÉTENDUE DU MONDE,


JE ME SUIS TROUVÉ PAR HASARD DANS UN ENDROIT OÙ IL Y AVAIT
UN REPAIRE ; JE ME SUIS ALLONGÉ À CET ENDROIT POUR Y DORMIR :
ET, TANDIS QUE JE DORMAIS, J'AI FAIT UN RÊVE. J'AI RÊVÉ, J'AI VU
UN HOMME HABILLÉ DE GUENILLES, DEBOUT À UN ENDROIT PRÉCIS,
SON VISAGE DÉTOURNÉ DE SA PROPRE MAISON, UN LIVRE À LA MAIN,
UN LOURD FARDEAU SUR LE DOS. J'AI REGARDÉ, JE L'AI VU OUVRIR LE
LIVRE ET LE LIRE ; ET TANDIS QU'IL LISAIT, IL PLEURAIT ET TREMBLAIT :
ET, INCAPABLE DE SE RETENIR DAVANTAGE, IL A LANCÉ UN CRI
DE LAMENTATION : « QUE VAIS-JE FAIRE ? »
pour m'enfermer à l'intérieur. Ou alors, O.J. mon chat, un matou orange
tigré que j'avais trouvé sur les marches de l'école chrétienne, m'attaque
une chose que je n'ai jamais dite à personne, je dès que j'essaie de m'enfuir. Dans un autre rêve, les ampoules du sous-
m'en suis souvenu récemment lorsque je suis allé chez le chiropracteur ; sol grillent. Je tente de les changer le plus rapidement possible : j'ai peur
il m'a redressé le cou et je me suis évanoui en moins d'une seconde. À cet de rester seul dans le noir. Mais à chaque fois que je change une ampoule,
instant, je me suis retrouvé à Canton, Ohio. Je descendais la trente- elle grille immédiatement. Je suis coincé, je n'arrête pas de courir afin de
cinquième rue, dans le quartier où j'avais vécu : au milieu de la route, il ne pas rester dans l'obscurité pour toujours.
y avait des centaines de cadavres en train de pourrir qui essayaient de Il existe des explications psychologiques très simples pour analyser
m'arrêter. Leur peau était jaune, le vent balançait leurs dents nacrées et ces rêves. Aucune d'entre elles ne me convient. Je me rappelle un seul
branlantes d'avant en arrière dans leur bouche. Je n'arrêtais pas de leur rêve dans lequel j'arrive en haut de l'escalier ; le sol de ma chambre n'est
rentrer dedans et, à chaque fois que mon véhicule les heurtait, ils se dés- pas, comme d'habitude, recouvert de moquette bricolée avec des pièces
intégraient. Missi était dans la voiture, les cadavres essayaient de l'en de verts différents récupérées par mon père dans le magasin où il tra-
faire sortir en la tirant vers l'extérieur : il fallait que je la sauve. J'ai arrêté vaillait. C'est du ciment, je me rends dans le coin de la pièce qui me
la voiture, je suis descendu pour l'aider, mais des molosses tachetés et faisait tant peur, enfant, là où la machine à laver et le sèche-linge sont
musclés partout me sautaient dessus, au ralenti, tous crocs dehors. Au
plongés dans le noir, à cause du plafond qui est bas. Je fouille dans les
bout de la rue, une manifestation se dirigeait dans ma direction, comme
boîtes moisies et recouvertes de toiles d'araignée qui contiennent de vieux
une tribu. À leur tête, Traci Lords. Sa peau était encore plus jaune que
souvenirs personnels : je suis nerveux, un animal — une araignée, un
celle des cadavres, une croix rose lumineuse était peinte sur son visage.
rat, un serpent, voire un lion, car tout peut arriver, me semble-t-il — va
Elle se déplaçait comme un personnage animatronique. Ses yeux bougeaient
me mordre. Dans une petite boîte, je trouve une poupée Curious George.
mécaniquement d'avant en arrière dans ses orbites, sa bouche s'ouvrait
Lorsque j'essaie de la prendre, quelque chose bouge dans la pièce — une
et se refermait comme celle d'un pantin ventriloque.
force chaude, indescriptible, incorporelle qui, pour une raison qui
Dans mes rêves, je retourne toujours à Canton, Ohio. En général, je m'échappe, est blanche. Elle me colle contre le mur pendant que Curious
suis dans ma chambre au sous-sol, ce sous-sol qui me terrifiait autant George devient vivant, court partout, fait tomber tout ce qui traîne sur
que celui de mon grand-père. Sauf que la peur que je ressentais n'était les étagères, met le feu à une des boîtes. J'essaie de l'éteindre, quand je
pas palpable, elle n'existait que dans ma tête. Lorsque j'étais enfant, sans n'y arrive pas, je cours. Je tente de m'enfuir par les escaliers : la force
aucune raison particulière, j'avais régulièrement peur lorsque j'étais en me retient. Je la repousse de plus en plus fort, finalement, j'arrive en
bas, du coup je me réfugiais souvent en haut. Pas seulement au milieu de
haut. J'ouvre la porte, derrière il y a une femme. Elle ressemble à la fois
la nuit, même en pleine journée. Je n'étais jamais à l'aise lorsque j'étais
à ma mère et à la fille qui m'avait refilé des morpions au lycée. Des mots
seul dans ma chambre : je dormais toujours avec la télévision allumée,
sont inscrits sur ses bras, au rouge à lèvres, à la peinture, en décalco-
juste pour couvrir les bruits que je croyais entendre. S'il y a bien un fan-
manie. Je suis incapable de les lire.
tôme de mon passé qui me poursuit ou un cadavre dans mon placard,
Dans un autre de mes rêves, je suis au sous-sol avec ma mère. On
il se trouve dans ce vieux sous-sol. La nuit, mon esprit se débat désespé-
trouve une boîte dont on force le couvercle. On y découvre des dizaines
rément pour m'y faire revenir, pour me faire croire que je n'en suis jamais
d'insectes de différentes espèces que je suis incapable de reconnaître. On
parti, que je suis condamné à vivre éternellement dans ce sous-sol. Les
enlève carrément le couvercle, une mante religieuse s'en échappe pour se
gens que j'ai connus après l'avoir quitté et ceux que je vais rencontrer
poser sur un des chevrons au-dessus de ma tête. On regarde à nouveau
sont dans cette chambre ; et là, ils se tordent, se contorsionnent, ils devien-
dans la boîte, on y découvre une araignée en cristal. Elle est complète-
nent monstrueux et malveillants. Puis mon esprit bloque la sortie,
rendant impossible l'accès à l'escalier en colimaçon. J'essaie de monter ment transparente : ses pattes sont comme des glaçons, on voit tous ses
l'escalier en courant, mais je n'arrive jamais en haut car des mains pas- organes. Je demande à ma mère d'aller chercher une bombe insecticide
sent entre les marches et m'attrapent les jambes. avant qu'elle ne sorte de la boîte et m'attaque. Et lorsque je la vaporise,
elle se transforme en femme. Elle est habillée en noir, elle me poursuit
Dans un autre rêve récurrent, je n'arrive pas à quitter le sous-sol parce dans le sous-sol jusqu'à une plage de galets. Chacun des galets renferme
qu'une force ou un être invisible ne cesse de me pousser contre le mur une araignée qui veut s'échapper.
La même nuit — il m'arrive souvent de faire des cauchemars à la
chaîne, phénomène à la fois redouté et espéré — je trouve, dans ma Je crois aux rêves. Je crois que, chaque nuit sur cette planète, tout ce
chambre, ma grand-mère au côté de ma mère. Elle est couchée dans un qui est, a été et sera, est rêvé. Je crois que tout ce qui arrive dans les rêves
lit d'hôpital, des tubes sont branchés sur tout son corps enchevêtré dans n'est ni différent ni moins important que tout ce qui se passe dans le
des fils de fer eux-mêmes retenus par des straps pour trachée artère. Un monde éveillé. Je crois que, pour le genre humain contemporain, rêver
caisson rond et flexible à côté du lit est en train de pomper de l'air dans est ce qui se rapproche le plus des voyages dans le temps. Je crois qu'on
ses poumons, le matériel qui la maintient en vie ronronne tout en pro- peut visiter son présent, son passé et son avenir en rêve. Je crois que j'ai
duisant des pulsations électroniques. J'entends un bruit sourd dans le pla- vécu en rêve une partie de ma vie qui n'est pas encore arrivée.
card, la porte s'ouvre, je découvre mon père allongé sur un lit. Il n'a que Je ne crois ni au hasard ni aux accidents, encore moins aux coïnci-
trente ans, les cheveux en bataille, il semble être devenu fou. Je parle à dences. Je crois au Moi Délusionnel, je crois que mes paroles et mes
pensées changent le monde autour de moi et ont pour résultat des évé-
nements qui semblent le fruit d'une coïncidence. Je suis persuadé que ma
vie a une telle importance qu'elle influence celle des autres. Je crois que
je suis Dieu. J'ai rêvé que j'étais l'Antéchrist. Je le crois encore.

J'avais pensé être l'Antéchrist avant même qu'on m'explique le monde


à l'école chrétienne. Dans la Bible, le terme d'Antéchrist est utilisé
uniquement pour désigner les gens qui ne croient pas en l'enseignement
de Jésus de Nazareth. Il ne désigne pas une entité satanique — la bête de
l'apocalypse, comme la plupart des gens le croient — mais une personne,
n'importe quelle personne, qui s'écarte de l'orthodoxie chrétienne.
Mais après des années passées à bâtir des mythes et à semer la peur,
le christianisme a métamorphosé les antéchrists en une entité unique :
l'Antéchrist, mélange de scélérat apocalyptique et de démon chrétien,
capable de terrifier les gens, tout comme le Père Noël sert à réguler
le comportement des enfants. Après avoir étudié ce concept pendant des
années, j'ai commencé à réaliser que l'Antéchrist est un personnage
— une métaphore — qui existe sous différents noms dans presque toutes
les religions. Il y a peut-être une vérité derrière tout ça, un besoin. Mais,
vu sous un autre angle, ce personnage peut être perçu non pas comme
un vaurien, mais comme l'ultime héros qui va sauver le monde de sa
propre ignorance. L'apocalypse ne se résume pas aux tourments de
l'enfer. Elle peut se situer à un niveau individuel. Si vous pensez être le
centre de votre monde et que vous vouliez le détruire, il suffit de mettre
ma grand-mère, elle cherche à me rassurer en me disant que tout va bien, une seule balle dans le chargeur.
que j'ai réussi dans la vie et qu'elle n'est pas en colère après moi. Le grand Quand, plus tard, je me suis mis à rêver de plus en plus souvent à
bandeau qu'elle a sur les yeux tombe. Du pus coule, lui dégouline sur le l'Antéchrist, j'ai compris que j'étais son incarnation. Lorsque, enfant, je
visage et imprègne l'oreiller, en faisant une auréole jaune. Je me penche rêvais que je jouais devant des milliers de personnes, cela paraissait assez
sur elle et m'aperçois qu'elle n'a pas d'œil. improbable. À présent, je ne doute plus de rien. Après tout, les bêtes et
les dragons de l'apocalypse sont tous nés d'un rêve, un rêve fait par Jean
l'apôtre, connu de nos jours sous le nom d'Apocalypse et raconté comme
un fait réel. Au cours d'une de mes révélations — nous en avons tous —,
c'était la fin du monde, le Jugement dernier. Il y avait à New York une
parade géante avec lancer de confettis et de serpentins. Mais à la place
du papier, les gens lançaient des légumes et de la viande pourrie. J'étais
sur un crucifix géant monté sur un char construit avec de la peau humaine
et animale. Nous approchions de Times Square, le ciel était très sombre,
zébré par des bandes irrégulières de couleur orange, jaune, rouge et vio-
lette. Toute la foule priait. Ils étaient heureux de mourir, enfin.
Une autre révélation se passait en Floride, dans le futur. La plupart
des êtres humains avaient été transformés en zombies pour le plaisir d'une
petite élite. Dans une boîte de strip-tease, ils avaient réanimé des cadavres
de femmes et les faisaient danser nues dans des cages aux épaisses barres
métalliques. Leur chair était recouverte de furoncles, de veines noueuses,
leurs cheveux tombaient par touffes entières. On leur avait attaché la
mâchoire pour qu'elles ne puissent pas arracher la bite des types qui se
masturbaient autour d'elles. Un monde dégénéré, sorte de Sodome et
Gomorrhe : il était clair que l'heure de l'Antéchrist et du second avène-
ment du Messie était venue.
J'ai rêvé que des petites filles exécutaient un strip-tease en dansant
tandis que des petits garçons (ou des nains) les frappaient avec des ser-
pents en caoutchouc, des camions Majorette et des sucettes au lieu de
leur lancer des pièces de monnaie. Puis j'ai rêvé que je récupérais les dents
et les cheveux de mon enfance, que ma mère avait gardés, afin de les uti-
liser de façon très rituelle pour me créer un compagnon artificiel. On
retrouve tout ça dans l'album Antichrist Superstar. De mes rêves ou de
ma musique, je ne peux pas dire ce qui est le plus réel.
Je vais vous laisser avec un dernier rêve, celui que j'ai fait la nuit der-
nière. Il y avait des scarificateurs, ces fans qui se tailladent le nom du
groupe sur la poitrine. Dans mon cauchemar, je suis au lit avec Jeanette,
celle qui ressemble à un chérubin. Elle s'est tailladé Marilyn sur le corps,
toutes les lettres coulent sur ses seins comme de la peinture fraîche, tachant
son débardeur blanc. Je la baise et on se marre parce qu'il nous semble
que nous sommes en train de faire un truc que nous ne devrions pas faire.
Sa copine Alison est assise à côté d'elle, le mot Manson saigne sur sa poi-
trine. L'un de ses sourcils est décoloré, les bagues incrustées dans ses lèvres
cliquettent l'une contre l'autre, elle porte une robe noire, des bas et des
bottes noires qui s'arrêtent aux genoux. Elle semble en colère contre moi
parce que je ne devrais pas faire ça avec sa copine et elle en veut à sa
copine parce que la situation la fait rire.
Une fois l'affaire conclue, elles m'invitent à dîner. On descend dans
un lieu humide et caverneux, les murs sont en pierre, comme un donjon.
Ça pourrait être le sous-sol de mes parents, sauf que c'est aussi un
restaurant. De l'eau suinte du plafond tandis que, par une ouverture au-
dessus de nos têtes, la lumière pénètre à flots. Le serveur est un homo
immense, genre aryen maigrelet. Il nous apporte de grands bols en métal
noir qui contiennent tous un oiseau vivant. Ils ressemblent à des cor-
beaux, ce n'en sont pourtant pas. Ce sont juste des oiseaux noirs recou-
verts d'une pellicule de graisse luisante. Un autre type blond vient à notre
table, attrape des pinces géantes qui servent à couper les antivols de vélo :
il les décapite, les pèle. Il ne leur reste plus que la viande sur les os. Et les
oiseaux sont toujours en vie. Le type attrape la tête d'un des animaux, il
en boit le sang, puis me propose de goûter à sa chair. Je ne veux pas parce
que j'ai peur d'attraper une maladie bizarre, mais j'accepte quand même.
Je bois tout le sang de l'oiseau. Lorsque j'ai fini, je ressens une violente
douleur dans la nuque. Je me retourne, le serveur est en train d'essayer
de se servir de ses pinces sur moi pour le plaisir de clients assis sur des
tabourets au bar au-dessus de moi. Par contre, les pinces ne ressemblent
plus à des pinces, mais à un croisement entre un bec d'oiseau et des
mâchoires de crocodile. J'essaie de protester, je comprends que c'est inutile,
car tout ce que je regarde est à l'envers, puisque l'un d'entre eux porte à
ses lèvres le bord de mon cou pour boire mon sang.
Je me suis déjà vu mourir en rêve, c'est sans doute pour ça que j'ap-
précie la vie. Je me suis également vu vivre en rêve et c'est sans doute
pour ça que j'apprécie la mort.

POUR MOI, L'APOCALYPSE... DOIT EN TOUT PREMIER LIEU


ÊTRE UN ÉVÉNEMENT INTIME ET SPIRITUEL ET, EN SECOND LIEU
SEULEMENT, UNE CATASTROPHE EXTÉRIEURE. LES GRILLES
DES TOURS DE GUET... SONT DES CONSTRUCTIONS MENTALES.
LORSQU'ELLES S'OUVRENT, ELLES PERMETTENT [À SATAN],
NON PAS D'ÊTRE DANS LE MONDE PHYSIQUE MAIS DANS NOTRE
SUBCONSCIENT... L'APOCALYPSE EST UNE TRANSFORMATION
MENTALE QUI SURVIENDRA, OU QUI EST EN TRAIN •
DE SURVENIR, À L'INTÉRIEUR DE L'INCONSCIENT COLLECTIF
DE L'ESPÈCE HUMAINE.
Malgré une douleur qui me secouait les côtes, j'ai réussi à tendre
la main jusqu'à la table. Dans le sac, il y avait une brosse à dents, du
dentifrice, un stylo, une boîte à maquillage et un calepin noir — mon
homme est mort. » journal intime.
Une voix masculine parlait quelque part au-dessus de moi. Ses paroles Je l'ai ouvert à la première page en essayant de fixer mon attention
étaient les premiers sons que j'entendais depuis des heures, ou peut-être
sur les lignes bleues qui tanguaient.
des jours. Je ne savais pas depuis combien de temps j'étais allongé là.
Je ne savais même pas où j'étais, si je vivais encore. J'essayais de me Au restaurant, je n'arrive pas à supporter les gens qui rient, qui
libérer, mais je n'y arrivais pas. Mon bras gauche me picotait. Tout le s'amusent, qui profitent de la vie. Leur pitoyable bonheur me
reste de mon corps était engourdi et faible, comme les membres en bois rend malade. Et quand je regarde la télé, c'est la vraie vie qu'on
d'une marionnette désarticulée, à qui on aurait coupé les fils. J'essayais me montre ? C'est une blague ? On élève des enfants pour leur
d'ouvrir les yeux, de soulever les paupières, en vain. Il fallait que je me
faire croire que la vie, c'est Alerte à Malibu, des rires enregis-
réveille pour leur dire que je n'étais pas mort. J'étais toujours en vie. Mon
trés, Jenny Jones et ses reality-shows ? De stupides ménagères
heure n'était pas venue. Il me restait tant de choses à accomplir.
secouant leurs jambes flasques pour maigrir grâce au Thigh-
Mes paupières se sont mises à battre, découvrant une pellicule bleue master de Suzanne Somer ? C'est elle qui a participé à la créa-
et floue qui troublait ma vision. Tout ce que je percevais, c'était une tion du stéréotype de la gourde blonde et elle a fini par devenir
lumière blanche aveuglante qui pénétrait mon corps, ou du moins ce qui cette espèce d'héroïne populo-médiatisée qui essaie de nous
en restait. Mon heure n'était pas venue. Je le savais.
vendre un appareil inutile et dont le discours ressemble aux dia-
Le revers d'une main osseuse et variqueuse m'a caressé le front. Je ne logues d'un film porno ou aux paroles d'une chanson d'Aeros-
sais pas depuis combien de temps elle est là. Une ombre hideuse, vieille, mith. Saloperie de consumérisme aveugle. Les cons n'ont que
corpulente, sentant le fromage aigre et le bois humide me cachait la ce qu'ils méritent. Ils sont capables de porter des T-shirts sur
lumière. Elle s'est mise à parler : « Dieu t'aimera toujours. » La voix était lesquels est inscrit « Je suis très con », uniquement parce que
celle d'une femme toussant calmement dans le creux de sa main, en Cindy Crawford leur a expliqué que c'était cool. J'aimerais les
secouant son habit de nonne, avant de continuer de me caresser le front tuer tous, mais ce serait leur rendre service. La pire punition
du revers de la main dans laquelle elle venait de cracher. qu'ils méritent est de se lever tous les matins pour mener leur
J'arrivais à présent à sentir ma poitrine. J'étais oppressé, mon cœur vie à la con, élever leurs connards de môrnes dans leurs baraques
me faisait mal. Il y avait un peu de tapage à mes côtés. Un vieil homme de merde et, bien sûr, que je fasse un album intitulé Antichrist
émacié, recouvert d'escarres à cause du matelas, de l'âge ou de ses os Superstar qui les emmerdera et les anéantira tous les uns après
pointus, venait de mourir dans le lit près du mien. les autres. Que l'Amérique aille se faire foutre. Et moi aussi. Le
Une main plus douce m'a attrapé la mâchoire et me l'a maintenue monde écarte les jambes pour une autre putain de star...
ouverte. « Vous allez avoir très mal à la tête, mais ça permettra à votre
cœur de mieux fonctionner. » Elle a placé quelque chose sous ma langue, J'avais écrit ces lignes le jour de mon arrivée à La Nouvelle-Orléans
un truc qui faisait des bulles, pétillait et me chatouillait. Puis elle a éteint quatre mois auparavant. Je m'en souvenais comme si c'était hier, car,
la lumière violente au-dessus de mon lit. Mon corps s'est tassé un peu depuis que j'avais mis les pieds ici, tout avait été de mal en pis, et finale-
plus dans le lit, mon sang a de nouveau circulé dans ma tête, m'enve-
ment j'étais démoli par les drogues, la fatigue, la paranoïa et la dépres-
loppant d'une douce chaleur tandis que je me rendormais.
sion ; mon corps avait fini par me lâcher et m'abandonner dans cet hôpi-
Lorsque je me réveillai, j'étais dans le noir et la pièce était vide. Mes tal à l'odeur fétide et aux murs blancs. J'étais pourtant optimiste après
tempes battaient fort sous ma peau, mon bras gauche était toujours avoir assuré la promotion de Smells Like Children. Je ne doutais plus de
engourdi. Par contre, j'avais l'impression de recouvrer mes forces. Je ne
moi — enfin, je le croyais — même si cela m'avait pris deux années de
portais qu'une blouse d'hôpital verte ouverte dans le dos. Mes habits for-
tournée. De ce cocon avait émergé une gargouille maléfique, dure et sans
maient un tas noir, soigneusement plié par terre, et sur la table de chevet
âme, confortable et terrifiante, couverte de cicatrices et engourdie, prête
il y avait un grand sac-poubelle jaune citron. J'essayais de me rappeler
pourquoi j'étais là. à déployer ses ailes rugueuses. Mon but était d'écrire un album sur la
transformation qui s'était opérée en moi depuis vingt-sept ans, mais je
Une BMW noire s'est arrêtée en dérapant dans le garage, une porte a
ne savais pas que j'allais endurer le pire au moment où je prenais des
claqué, annonçant Trent qui est entré en coup de vent, nous a fait un
notes dans mon journal, assis dans la voiture de Missi alors qu'elle tour-
nait sur Decatur Street par un moite après-midi de février. signe de tête comme le font les types au feu rouge ou à l'entrée d'un centre
commercial. Puis il s'est dirigé vers la cuisine. Le reste du groupe est arrivé
Sur le siège arrière, il y avait notre unique « enfant », un chien noir
et blanc, croisé dalmatien et boxer, du nom de Lydia. Elle s'est mise à peu de temps après au studio et a commencé à monter son matériel.
aboyer de plaisir ou de peur lorsque je suis descendu de la voiture après Twiggy Ramirez, une sorte de môme remuant et espiègle enfermé dans
avoir embrassé Missi. la peau d'un psychopathe taciturne. Daisy Berkowitz, fournisseur en restes
de nourriture, équipements en tout genre et filles. Ginger Fish, le plus
« Ne m'attends pas, vas te coucher. » J'essayais d'être convaincant.
« La journée va être longue. » silencieux et le plus dangereux de tous, une bombe à retardement prête
à déclencher avec délicatesse une explosion cataclysmique. Enfin Pogo,
J'ai ouvert la grille en fer forgé, appuyé sur l'interphone, et j'ai attendu
que le directeur du studio me laisse entrer. J'ai été accueilli — comme un génie trop fou pour se servir de son intelligence de manière construc-
tous ceux qui arrivaient au studio — par une meute de chiens apparte- tive. Il m'a toujours fait penser au prof dans L'île aux naufragés : capable
nant à Trent Reznor, le propriétaire des lieux. Ils aboyaient, sautaient et de fabriquer une télévision à partir d'une noix de coco, mais une barque
se battaient entre eux, avant de décider ce qu'ils allaient déchirer ou à qui ramènerait tout le monde à la maison... Si on le défiait, Pogo était
quel endroit ils allaient chier. heureux de faire n'importe quoi : par exemple boire son urine. Par contre,
il était malade comme un chien si jamais quelqu'un faisait quelque chose
« Cet été, tout le monde semble avoir un chien. » Je parlais tout seul.
« Sans doute parce qu'ils connaissent nos secrets, et que malgré ça ils ne d'aussi insignifiant que mettre de la mayonnaise sur un plat.
nous jugent pas. » Tandis que Trent et Dave jouaient aux jeux vidéo, nous étions assis à
nous regarder dans le blanc des yeux. Nous avions un maximum d'idées,
Je me suis assis sur un canapé en cuir noir dans l'entrée. Un écran de
télé géant emplissait la pièce de bruit et de lumière avec le jeu vidéo tiré nous jouions gros, et nous ne savions pas par quel bout commencer. Daisy
de la trilogie d'Alien. Dave Ogilvie, l'ingénieur du son engagé pour copro- était le seul à parler. Il était excité et inquiet parce qu'il pensait avoir
duire l'album avec Trent Reznor, était à genoux devant, comme s'il finalement compris l'album qui, nous a-t-il expliqué, était comme une
faisait sa prière. C'était un petit Canadien à lunettes, le genre de type qui comédie musicale racontant l'histoire de Jésus-Christ en train de faire
avait dû se faire taper dessus à l'école, pas très différent de Corey Haim une tournée de rock star. Il avait même apporté une bande démo avec six
dans le film Lucas, bien qu'il ait la même attitude enfantine qui me titres qu'il avait enregistrés, mais son concept ne tenait pas la route. L'écou-
plaît. Pour tuer le temps en attendant Trent — il était toujours le dernier ter nous a rendus encore plus dépressifs.
arrivé —, j'ai oblitéré les xénomorphes et les chiens en train d'aboyer ; J'ai quitté la pièce et j'ai grimpé l'escalier — suffisamment large pour
je me suis demandé pourquoi j'étais là et dans quelle aventure j'étais en laisser passer les cercueils autrefois entreposés dans cette ancienne morgue
train de m'embarquer. Je n'étais pas libéré de mes cauchemars. En fait, — pour filer dans le bureau et attraper le téléphone. Je connaissais le
depuis que j'étais à La Nouvelle-Orléans, j'en faisais de plus en plus sou- numéro de Casey par cœur. Je l'avais tant de fois composé lors de notre
vent, contrecoup de l'histoire sombre et secrète qui se tortillait dans le dernière visite à La Nouvelle-Orléans. Casey s'est pointé avant même que
ventre de la ville comme un ver solitaire. La vie en avait été aspirée et j'aie eu le temps de rouler un billet de vingt dollars. C'était une espèce de
réduite à néant. Rien de positif ne semblait pouvoir sortir d'ici. sangsue éblouie qui vendait de la dope aux stars, non pas pour gagner
de l'argent, mais pour faire partie de l'entourage des musiciens et des célé-
J'en étais venu à accepter le fait que l'acquisition de trop de connais-
brités. Pour les croiser, certains deviennent roadies, journalistes ou décou-
sances m'avait entraîné à consommer trop de drogues, tout en ayant
vreurs de talents dans une maison de disques. Casey, lui, était devenu
conscience que la consommation de drogues m'avait amené sur le che-
min de la connaissance. En tant que groupe, nous étions d'accord pour dealer. Les murs de son appartement étaient recouverts de disques d'or
arrêter nos conneries. Fini la dope, les femmes et les aventures. Nous et de platine, testament de différentes stars du rock tellement accros et
étions à La Nouvelle-Orléans pour travailler. Je voulais me concentrer désespérées qu'elles avaient échangé ces trophées contre de la dope.
sur ma haine, affûter mon mépris, même si ces deux sentiments, c'était Casey a coupé une énorme ligne sinueuse sur le bureau en contrepla-
d'abord à moi que je les réservais. qué et m'a invité à en profiter. J'ai appelé Twiggy pour qu'il me rejoigne.
Je n'avais pas envie de me défoncer tout seul : je me disais que c'était une
occasion de fêter nos retrouvailles à La Nouvelle-Orléans. Sniffer me sem-
blait aussi être une bonne manière de se détendre et de prendre du recul
par rapport à notre vaste projet. En fait ce n'était qu'une excuse : dans
les mois qui ont suivi, la plupart des réunions n'ont été que des prétextes
pour se défoncer.
On est retournés en studio pour enregistrer le morceau titre. Mais
Dave était de nouveau devant sa Playstation, totalement absorbé par la
trilogie d'Alien. En total manque de respect, depuis qu'il faisait prati-
quement partie des Skinny Puppy, un groupe beaucoup plus ancien que
nous, on attendait qu'il meure. Le temps qu'il nous rejoigne, Twiggy était
reparti en haut pour se faire une autre ligne. Puis Pogo a dû sortir prendre
l'air : la coke ne l'intéressait pas, il préférait fumer son propre stock
d'herbe exotique dans une cannette de Coca écrasée dont il avait percé
les bords. Ensuite, Daisy a disparu dans le foyer pour jouer de la guitare
sur son magnéto à quatre pistes. Lorsqu'on a réussi à être tous ensemble,
Dave nous a abandonnés, impatient de regarder l'équipe de hockey des
Toronto Maple Leafs. C'était foutu pour la nuit.
Les jours, les semaines ont passé. Notre enthousiasme s'est transformé
en ennui lorsqu'on a commencé à réaliser que notre première journée de
studio ne nous avait pas servi d'échauffement, mais d'exemple de totale
inactivité. À chaque fois que l'un d'entre nous avait un éclair d'inspira-
tion, soit il n'y avait personne autour, soit il y avait trop de dope. Et, dans
les deux cas, nous étions comme des poissons hors de l'eau, notre inspi-
ration s'épuisait.
Dans les mois qui ont suivi, une nuit parmi d'autres, j'étais allongé
dans mon lit en train de fixer le plafond, incapable de m'endormir à cause
de la quantité de cocaïne qui courait dans mon sang profané. Missi était
allongée à côté de moi : elle dormait à poings fermés. Elle ne se rendait
pas compte que si nous ne baisions plus depuis des semaines, ce n'était
pas parce que j'avais trop de travail, mais parce que j'étais constamment
défoncé. Comme tous les membres du groupe, j'avais passé plus de temps
à me déchirer et à parler de faire de la musique qu'à en faire vraiment.
Je me suis glissé hors du lit le plus discrètement possible, le parquet
poussiéreux craquait sous mes pieds nus jusqu'au salon et j'essayais de
ne pas trébucher sur les pots de peinture noire et rouge. Je vivais dans
une grande maison traditionnelle de La Nouvelle-Orléans située dans le
Garden District que l'agent immobilier de Trent, une vieille rombière
sévère, m'avait loué. Elle m'avait récemment autorisé à repeindre le salon
miteux, mais depuis que j'avais commencé, le téléphone n'avait pas arrêté
de sonner : des directeurs de maisons de disques, des managers, des agents
immobiliers et surtout des gratte-papier que je ne connaissais pas, me
disaient que je n'avais pas le droit de toucher à la maison. Un jour, j'ai
reçu un appel de Dave, un crétin spécialiste en échafaudages de scène firmament. « Priez pour que votre vie ne soit qu'un rêve. » Et la terre m'a
atteint d'amblyopie qui s'était arrangé pour faire toujours partie du per- répondu dans un hurlement sonore et fracassant qui résonnait si fort dans
sonnel de Nine Inch Nails, bien que la tournée soit terminée depuis plus ma tête que j'ai été obligé de la prendre entre mes mains pour garder ma
d'un an. Son nouveau job consistait en général à démarcher des sociétés santé mentale, ou ma folie.
pour obtenir tout un tas d'articles gratuits pour le groupe — T-shirts, C'était le téléphone qui sonnait. J'ai décroché en chancelant.
chaussures, bongs, jeux vidéos — mais sa mission ce jour-là incluait l'hon- « Hé, qu'est-ce qui se passe ? m'a dit une voix que je ne reconnaissais
neur de m'appeler et de m'informer que je devais verser 5 000 dollars pas.
aux propriétaires de la maison pour qu'ils puissent remettre le salon dans - Qui est-ce ?
son état d'origine. - C'est moi, Chad. » Il semblait vexé que je ne l'aie pas reconnu
À chaque fois que je voyais les murs à moitié peints en rouge foncé et — après tout nous étions cousins et nous avions été les meilleurs amis du
les plinthes en noir brillant, la haine assombrissait mon esprit, j'en vou- monde — mais depuis beaucoup d'eau était passée sous les ponts. « T'as
lais à tous ceux qui m'avaient dit quelque chose alors qu'ils voulaient reçu mon invitation ?
dire l'inverse, à tous ceux qui avaient menti intentionnellement tout en - Quelle invitation, tronche de cake ?
sachant qu'ils seraient pris plus tard, à tous ceux qui s'arrangeaient pour - À mon mariage. Je me marie en septembre et ça me ferait vraiment
traverser la vie indemnes tout en laissant une traînée de mensonges et plaisir si tu venais.
trahisons se coaguler derrière eux. La Nouvelle-Orléans était peuplée de - Je suis en plein milieu de mon nouvel album, mais je peux peut-être
gens hypocrites qui vous souriaient par-devant et étaient prêts à vous trouver le temps. J'vais essayer, d'accord ?
enfoncer un couteau dans le dos. La plupart des problèrhes du monde - Ouais, ça m'ferait vraiment plaisir. »
n'existeraient pas si les gens disaient ce qu'ils pensaient. Je ne devais pas avoir l'air sincère, comme les trous du cul souriants
Je me suis installé dans le fauteuil métallique de barbier au cuir rouge et fourbes que je haïssais lorsque j'étais môme, mais je ne savais pas quoi
craquelé du salon qui me servait de cocon et de protection loin de ce stu- dire. Je ne voulais pas retourner à Canton, Ohio, pour découvrir la vie
dio qui était devenu un instrument de vengeance et loin de cette ville qui normale et merdique d'un couple marié. Mais pourquoi pas — la vie à
m'en voulait. J'ai souvent imaginé qu'il s'agissait d'un siège de pilote La Nouvelle-Orléans commençait vraiment à me prendre la tête.
piqué dans un hélicoptère comme celui de mon père au Vietnam. J'ai Une fois réveillée, Missi m'a conduit au studio. Y travailler revenait
fermé les yeux et mon attention s'est portée sur mon cœur qui battait à essayer de se libérer de menottes dont on a perdu les clés : plus on force,
trois fois plus vite que d'habitude. J'ai laissé la pulsation, le rythme, la plus on sent de résistance. J'étais à peine entré que Twiggy, qui était de
chaleur m'envelopper, puis je me suis concentré pour faire sortir cette plus en plus manipulé par Casey, est sorti comme une furie de l'anti-
essence chaude et enveloppante du container maltraité et balafré qu'est chambre, une photo dans un cadre en bois à la main. Il hurlait : « Le
mon corps, comme je l'avais lu dans de nombreux ouvrages de projec- capitaine Larry Paul est prêt à décoller. » Capitaine Larry Paul était le
tion astrale. Je me suis laissé emporter de plus en plus haut dans la nuit, surnom que Twiggy avait donné à une photo reproduisant une esquisse
jusqu'à être immergé dans une sorte de blancheur radieuse et brûlante. au crayon de Trent dessinée par un fan. Twiggy trouvait qu'il ressemblait
Je me suis senti grandir, un corps m'enveloppait, des ailes me poussaient au gérant débile d'un magasin de disques dans lequel il avait travaillé en
dans le dos, mes côtes me transperçaient la peau comme autant de lames Floride, et où, tout comme moi, il volait des disques. Cette photo était
de couteau-scie, mon visage se déformait pour prendre l'aspect du monstre devenue le plateau idéal pour se faire des lignes, et on la cachait de manière
que j'étais devenu. Je me suis entendu rire, d'un rire horrible et retentis- rituelle dans un vieux placard renfermant les tuyaux de l'air conditionné
sant, ma bouche, dans une grimace malfaisante, s'ouvrait si largement et le chauffe-eau : ce placard avait aussi une odeur de moisi et de miasmes
qu'elle aurait pu avaler la terre qui était sous mes pieds, cette terre qui me rappelait la cave de mon grand-père.
accueillant des vies ordinaires avec leurs problèmes ordinaires et leurs Croiser le capitaine Larry Paul, ça voulait dire une journée sans bos-
plaisirs ordinaires. Je pouvais l'avaler tout entière si j'en avais envie, je ser. Je ne m'étais jamais mis autant de poudre blanche dans les narines.
pouvais en faire ce que je voulais, maintenant et à tout jamais. Ils priaient Les jours passaient et nous étions tellement raides que nous étions
tous pour ça. Et je péchais pour ça. « Priez maintenant, bande d'encu- incapables d'enregistrer quoi que ce soit, situation qui nous contrariait
lés. » J'entendais ma voix beugler, comme un bruit de ferraille dans le tellement qu'elle nous rendait encore plus paranoïaques et inutiles.
Dans le studio, plus personne ne semblait s'intéresser à l'album. Trent
devenait de plus en plus mécontent parce qu'il devait écrire et enregis- figurine Vénom (l'un des méchants dans la BD Spider Man, qui avait été
trer la suite de The Downward Spinal ; Dave n'était jamais là lorsqu'il retiré du marché parce qu'elle disait : « Je vais vous manger le cerveau »)
fallait travailler. Ginger ne semblait plus faire partie du groupe, trop — un peu comme les drogues qui étaient en train de nous bousiller. Le
occupé qu'il était à amuser son harem obscène de strip-teaseuses qu'il seul fil conducteur de la soirée était de balancer régulièrement des bou-
avait racolées à côté du studio. Daisy n'était quasiment jamais dans la teilles sur Ginger — non pas par franche rigolade, mais parce qu'on lui
cabine. Il passait la plupart de son temps dans l'entrée du studio avec un en voulait d'avoir trouvé un semblant de bonheur avec ses strip-teaseuses
casque sur les oreilles, à jouer des riffs de hard rock rebattus qu'il enre- de dernière zone. La seule compagne qui nous restait était la déprime. À
gistrait sur son magnétophone quatre-pistes. Lorsqu'il était adolescent, l'aube, Twiggy cherchait des marshmallows pour les faire griller sur la
il n'avait jamais écouté de heavy metal, alors il prenait constamment console de mixage que Trent avait prévu de brûler. Ce n'était pas uni-
ses clichés pour des morceaux originaux. Il jouait sur une vieille Jaguar quement de la destruction : c'était une forme très violente de procrasti-
— le même modèle que celle de Kurt Cobain — non pas parce qu'elle nation.
avait un bon son, mais parce il l'avait réparée lui-même. Cette guitare Notre matériel était comme nous : totalement démoli. En quelques
était censée avoir été démolie au cours du tournage du clip de Sweet semaines, Daisy avait quitté le groupe. Pour la première fois de sa vie,
Dreams, mais Daisy était fier de l'avoir sauvée. « Qu'est-ce que ça peut cette chochotte avait bougé ses fesses, avait provoqué une réunion et avait
faire si elle ne cesse de faire des larsens, expliquait-il. J'ai passé tellement quitté le groupe. Cette réunion s'est étonnamment bien déroulée. D'une
de temps à la réparer que ce serait du gâchis de ne pas s'en servir. » certaine façon, je le respecte car il était resté fidèle à lui-même et avait
préféré partir. J'ai d'ailleurs cru que c'était une blague, j'ai même dit aux
Daisy était tellement excité par les progrès qu'il faisait avec son quatre-
autres que ça me manquerait de ne plus regarder Daisy, le Gardien du
pistes qu'il voulait vraiment en sortir quelque chose et enregistrer quelques
Sexe, ramasser des capotes usagées lorsqu'il suivait le groupe et les tech-
riffs sur l'album, peut-être sur Wormboy, le titre auquel il avait le plus
niciens, aller acheter des chocolats et des fleurs pour séduire des filles que
participé. Il est entré dans la salle d'enregistrement, nerveux à l'idée que
nous nous étions déjà faites. Mais, en réalité, j'étais plus mal que jamais.
Trent s'y trouve. Le reste du groupe tramait autour de la console de
Toutes les personnes avec lesquelles j'avais formé le groupe étaient par-
mixage, on surveillait ce qui se passait dans le studio grâce à deux cir-
ties, et ceux qui restaient essayaient de se retourner contre moi. J'étais le
cuits de télévision internes. Sur l'écran, on voyait Daisy, tout excité, qui
seul à avoir une petite amie à La Nouvelle-Orléans, et le seul qui sem-
montrait à Trent sa guitare remise à neuf. Trent semblait s'y intéresser.
blait avoir envie de travailler. Même Twiggy était en train de devenir un
On a vu Trent attraper la guitare, la mettre sous son bras, grattouiller les
étranger pour moi, pris en étau entre la dope que lui procurait Casey et
cordes un moment avant de la fracasser impitoyablement contre l'ampli,
son désir de se rapprocher de Trent, pour qui intégrer Nine Inch Nails
la renvoyant au sort qui lui était destiné six mois auparavant. Trent est
semblait plus intéressant que de faire partie de Marilyn Manson. Il avait
sorti de la pièce avec un air détaché, laissant Daisy ébahi pendant un long
pris l'habitude de m'appeler Arch Deluxe, du nom du hamburger, et bien-
moment avant de sortir à son tour, comme une furie, et de passer le reste
tôt tout le monde a suivi. J'avais l'impression d'être un père de famille
de la journée dehors à essayer de comprendre ce qui était arrivé.
haï par ses gosses lorsqu'il leur demande de faire leurs devoirs.
On venait de franchir un nouveau cap sur le travail en cours sur Anti-
christ Superstar. Après avoir été improductifs, arrivait la phase de des- Quand je voulais leur parler des livres que j'avais lus sur l'apocalypse,
truction. Les jours suivants, notre première boîte à rythmes est passée la numérologie, l'Antéchrist ou la Cabale, personne n'en avait rien à
par la fenêtre, on donnait des coups de poing dans les murs de Trent, on foutre. Lorsque j'avais fini d'enregistrer un titre, systématiquement, per-
a fracassé le matériel de Twiggy et on a placé le quatre-pistes de Daisy sonne ne l'aimait, ou ils voulaient le faire plus bruyant, plus dur — et
dans un four à micro-ondes en position maximum, grillant ainsi pour de même parfois utiliser une boîte à rythmes plutôt qu'un vrai batteur. Ce
bon tout le circuit. n'était plus de la production, c'était du sabotage. Je ne savais plus quoi
penser. La seule fois où tout le monde a été d'accord avec moi, c'est quand
Le 4 juillet, on est restés en studio, histoire de se bourrer la gueule,
j'ai proposé d'appeler Casey.
pendant que Trent et moi allumions des feux d'artifice qu'on balançait
dans le micro-ondes, avant de jeter les vestiges irradiés dans la rue. En dehors du studio, La Nouvelle-Orléans n'était qu'un cloaque. Tous
S'est ensuivie la destruction systématique de mes jouets Spawn et d'une les endroits que nous avions fréquentés l'été précédent étaient remplis de
touristes gothiques. La ville s'était transformée : avant, personne ne nous
connaissait, à présent nous étions des clichés ambulants, des parodies de annoncé en préparant une
nous-mêmes. Tous les soirs je buvais, j'avalais et sniffais tout ce qui pas- ligne de coke sur la
sait pour m'évader. Un soir, Missi et moi, on a fini la soirée dans un bar, chasse d'eau des toi-
The Hideout, qui, l'année d'avant, était un repaire de bikers où traînaient lettes. Je l'avais à
deux ou trois consommateurs et un juke-box qui jouait Whitesnake et peine sniffée que mes
Styx. On aimait aller boire un coup là-bas, parce que c'était vide, facile narines ont com-
d'accès et que la porte des toilettes fermait à clef. mencé à me brûler,
Quand je suis retourné au Hideout avec Missi, l'endroit était devenu suivies. par mes
LE lieu branché. Tout le monde semblait froid et indifférent, comme s'ils yeux qui se rem-
étaient trop cools pour ne pas nous reconnaître, alors qu'ils étaient venus plissaient de larmes.
là uniquement pour nous croiser. Au milieu de gens habillés en noir, Sa dope était incon-
maquillés et aux cheveux décolorés, j'ai aperçu comme une enseigne lumi- testablement coupée
neuse couleur argent ressemblant à une boule à facettes humaine, une avec du speed, du verre
brune recouverte de paillettes, avec du rimmel et du rouge à lèvres métal- pilé, du Pop Rocks ou
lisé. Elle était debout au milieu de la salle, telle une sorte de feu cligno- autre chose. J'étais assis là,
tant, témoin vivant de mon infidélité : elle m'avait taillé une pipe l'été assommé par l'alcool et la
précédent. Si les filles ont des antennes, celles de Missi étaient spéciale- dope de mauvaise qualité, lors-
ment bien déployées ce soir-là : elle a immédiatement saisi la tension exis- qu'elle a saisi mon visage entre ses
tant entre moi et la boule à facettes style Clayderman. Plus on picolait, mains et a commencé à me peloter
plus la situation devenait explosive. Missi n'arrêtait pas de me deman- en me couvrant de maquillage. Mon
der qui était cette fille, si j'avais couché avec elle, et bien sûr je lui répon- pantalon était à moitié descendu et elle tirait sur ma bite molle. Me faire
dais que non. Dans le même temps, la fille me dévorait des yeux, comme prendre était le dernier de mes soucis : j'étais totalement obsédé par l'urine.
si Missi était transparente, ce qui de toute façon n'était pas faux. J'avais l'impression d'en avoir inhalé, je ne sentais que ça ; en plus, j'avais
Je me suis levé pour aller aux toilettes, la fille s'est faufilée avec moi une énorme envie de pisser. La puanteur me prenait la tête et imprégnait
alors que j'allais fermer la porte. J'étais saoul, pris de vertiges et coincé tout mon corps. J'avais envie de vomir. J'ai plongé ma main dans son
avec cette fille puante dans cet endroit puant dont le carrelage blanc n'était pantalon et j'ai tiré d'un coup sec sur l'anneau de son clitoris, en la fai-
qu'un ramassis d'urine et de poils pubiens coagulés. Elle s'est d'abord sant hurler : de douleur, de surprise ou de plaisir ? Puis j'ai enfoncé mon
assise directement sur les chiottes pour pisser. J'essayais de ne pas regar- pouce en elle et mon majeur dans son cul. Je me demandais pourquoi je
der, de ne pas faire attention, mais elle m'a appelé. « Vise un peu », m'a- faisais ça. Je n'avais aucune intention de nous exciter. Je n'avais qu'une
t-elle dit, en secouant un anneau piercé dans son clitoris et un autre à la envie, faire quelque chose de dégueulasse. La situation semblait idéale.
limite de sa cuisse et de son entrejambe. « Je me les suis fait mettre quand J'aurais tout aussi bien pu plonger ma main dans une poubelle.
j'avais quinze ans. J'ai retiré mes doigts aussi rapidement que je les avais enfoncés, j'ai
- C'est génial », ai-je répondu, dégoûté par la peau rouge et infectée pissé et je suis sorti des toilettes pour aller rejoindre Missi. Mais elle était
autour de ses piercings, mais aussi à vif et irritée autour de ses parties partie, sans doute folle de rage, me laissant coincé avec la reine de la boîte.
génitales qui avaient été récemment rasées. Je ne savais pas si j'étais sup- J'en voulais tellement à Missi que j'ai décidé de plonger encore un peu
posé la lécher, lui mettre un doigt ou la baiser ; je me tenais là, comme plus dans la tranchée sordide où je m'étais enlisé. Alors que je deman-
un abruti, ne trouvant qu'à lui dire que j'allais me faire prendre. Au lieu dais à tout le monde où Missi était passée, une petite grosse dont le ventre
de partir, elle a remonté son pantalon et a fouillé dans sa poche pour en mou débordait de son jean trop serré et dont le débardeur blanc trempé
sortir un minuscule sac à zip. Je me suis toujours demandé qui pouvait de sueur révélait des seins affaissés et l'absence de soutien-gorge, est venue
bien fabriquer ce genre de sac. Quelle sorte de sandwich peut-on mettre à moi et, les yeux dans les yeux, s'est postée à quelques centimètres de
là-dedans ? mon visage.
« Tous mes petits amis sont soit morts, soit en prison », m'a-t-elle « Pardon ? » ai-je demandé, embarrassé et mal à l'aise.
Comme réponse, elle m'a balancé son verre en pleine figure — et pas de ne pas me voir. Mais, lorsque du coin de l'œil elle a vu que j'allais
seulement le contenu, mais le contenant aussi. Je lui ai expédié ma bou- décalquer le chat contre le mur, elle a vite raccroché et a commencé à me
teille de bière et j'ai aussitôt senti des mains me retenir avant de me virer hurler dessus. Ce qui n'a fait qu'empirer lorsqu'elle a vu sur mon visage
du bar. Elle m'a suivi à l'extérieur en hurlant quelque chose d'inintelli-
le sang mélangé au maquillage.
gible : j'étais certainement un traître, un salaud ou un type trop bien pour
Tout le monde dans la maison m'en voulait, même le chien qui comme
elle. Elle fantasmait sur le fait que sa propre existence était d'une telle
d'habitude s'était attaqué au livre que j'étais en train de lire (le Tetra-
importance que je ne pouvais pas l'ignorer.
grammaton) et l'avait mis en lambeaux. Mon cœur battait de plus en plus
Avec la boule à facettes roulant encore à mes côtés, je suis entré en vite, de plus en plus fort, je me suis précipité dans la salle de bains où je
courant et en zigzaguant dans une ruelle proche qui longeait une grande me suis enfermé. De l'autre côté de la porte, Missi m'entendait vomir et
église espagnole blanche et je me suis caché dans un coin. Un lieu de culte
vomir : elle s'est calmée et ses assauts se sont transformés en compassion,
était certainement le dernier endroit où les flics me chercheraient. J'avais
ce que je ne méritais vraiment pas. La panique m'envahissait, chose nor-
coincé le sac à zip dans mon poudrier. je l'ai sorti pour nous faire quelques
male, car plus on est inquiet d'être trop défoncé, plus la situation empire
lignes avec les clefs de la maison. Je ne sais pas pourquoi j'ai sniffé la
puisque le stress fait battre le cœur de plus en plus vite. Et pour en rajou-
coke de cette fille, si ce n'est parce qu'elle en avait. Je l'ai immédiatement
ter une couche, je ne pensais qu'au fait que, comme mon père, j'étais
regretté. J'ai eu l'impression que mon cœur allait exploser. Je suis reparti
atteint du syndrome de Wolf-Parkinson-White, qui provoque des accé-
en courant, abandonnant la fille derrière moi, à la décennie à laquelle
lérations cardiaques irrégulières : je ne passerais sûrement pas la nuit.
elle semblait appartenir, et j'ai hélé un taxi. Le chauffeur, un balourd
J'essayais de me détendre en m'allongeant sur le sol et en buvant de
blanc en marcel aux cheveux graisseux et à l'immense moustache brune,
l'eau, mais mon cœur m'oppressait trop pour je puisse me relaxer ; je le
a aussitôt entamé la conversation.
voyais donner de grands coups sous ma poitrine lacérée. Je n'avais pas
« Vous avez vu La Planète des singes ? On n'est pas dans La Planète peur de mourir. J'étais surtout effrayé d'être arrêté par les flics et qu'ils
des singes, avec tous ces nègres partout ?
m'interrogent. Pendant que Missi essayait de trouver une solution pour
- De quoi vous parlez ?
m'emmener à l'hôpital sans que la presse et la police soient au courant,
- Eh ben, regardez autour de vous.
j'ai jeté le petit sac vide dans les toilettes et nettoyé mes cartes de crédit.
- Le Sud peut avoir tant de charme, lui ai-je répondu avec un air Puis je me suis penché sur les toilettes, j'avais des haut-le-cœur. Ensuite
dégoûté qui ne lui a pas échappé.
j'ai enfilé des vêtements propres et ordinaires, et j'ai demandé à Missi de
- T'es pédé ou quoi ? » m'a-t-il balancé méchamment.
me conduire à l'hôpital. Ce n'était pas moi-même qui agissais, on aurait
Je ne sais plus exactement ce que je lui ai répondu, mais il devait y dit que quelqu'un d'autre faisait ces préparatifs. De cette position avan-
avoir un truc du genre « va te faire mettre », « trou du cul » ou « suce- tageuse, j'étais impressionné de me voir agir aussi rationnellement qu'un
moi la bite » — parce qu'il s'est arrêté au milieu de la rue en faisant type qui a pris une trop grosse cuite et dont le cœur tambourine vite et
crisser les pneus, m'a collé son poing de singe velu en pleine figure au lourd. La crise cardiaque était proche. Mon bras gauche me lançait et je
travers de la glace de séparation et m'a dit de dégager de son taxi. me rappelais que, quelques années plus tôt, on m'avait dit que c'était les
J'ai fini à pied les quelques centaines de mètres qui me séparaient de signes avant-coureurs d'un infarctus.
chez moi, le nez en sang, mon cœur et ma tête battaient à l'unisson et Je me suis réveillé dans un état de confusion totale sur un lit d'hôpi-
le mélange de mauvaise dope et de coups m'a fait penser à cette phrase tal aux côtés d'un mort. De la nuit précédente, je ne me souvenais que
de Charlton Heston : « Enlève tes sales pattes de moi, salopard de singe. » d'une suite d'images. Au début, ce n'était que quelques instantanés qui
Lorsque j'ai ouvert la porte d'entrée, une tornade était passée par là. Mes ont doucement commencé à se multiplier pour finalement former un film
disques avaient été balancés dans tout l'appartement et griffés par Polly, entier. Le seul chaînon qui manquait vraiment à l'histoire était mon arri-
la chatte blanche de Missi, qui ressemblait à s'y méprendre à celle du vée à l'hôpital : je me souviens d'une grosse femme noire qui s'est occu-
frère de John Crowell, sauf que l'un de ses yeux était bleu et l'autre vert. pée de mon admission, je me souviens d'une perfusion, et je me souviens
J'ai posé mes clefs sur la table, Polly s'est jetée sur ma main en déchirant d'avoir pensé : « À présent je sais ce qu'a ressenti Brad Stewart. »
la peau sur mes tendons. Je l'ai saisie violemment par le cou. Missi était Cette nuit-là, au fur et à mesure que je reprenais connaissance dans
au téléphone, en train de se plaindre à une copine ; elle faisait semblant ce lit d'hôpital, j'essayais de comprendre pourquoi ça m'avait traversé
l'esprit. Brad Stewart — l'homme, pas le junkie — était un être abject, En même temps, jour après jour, Trent se montrait de plus en plus dis-
un type totalement à l'opposé de ce que je voulais être. Il ne contrôlait tant, aussi bien en tant qu'ami que comme producteur, certainement parce
pas sa vie. Je pensais être différent, parce que je pouvais arrêter. Mais qu'on traînait tellement sur ce projet qu'il n'y croyait plus. Au détour
pourquoi n'avais-je pas arrêté ? Pourquoi avais-je besoin de drogues pour d'une conversation au début de l'enregistrement du disque, il avait dit
travailler, jouer, dormir, pour tout ? Je m'étais toujours dit que c'était très qu'il était impossible de faire un grand disque sans perdre des amis, et à
bien de prendre des drogues, mais qu'être accro ne l'était pas. l'époque je n'avais pas fait attention à cette réflexion. À présent je ne pou-
Allongé dans mon lit, j'ai cependant réussi à me convaincre que je vais que m'en souvenir, car j'étais en train de perdre les trois personnes
n'étais pas Brad Stewart, que je me contrôlais toujours. Cette overdose qui comptaient le plus pour moi : Missi, Trent et Twiggy. Il ne me restait
ne serait pas une épiphanie ni un signal d'alarme pour remettre de l'ordre. plus que ma famille.
C'était juste une erreur. Trop de trucs clochaient dans ma vie pour tout
mettre sur le dos des drogues. Cela aurait été trop facile. Les drogues
À ma sortie de l'hôpital, j'ai réservé une place sur un vol pour Can-
n'étaient pas la raison du problème, elles n'en étaient que le symptôme.
ton, Ohio, afin d'assister au mariage de Chad. Je me suis toujours senti
Antichrist Superstar était devenu un produit de notre imagination, un
responsable de Chad, comme si je l'avais détourné de sa vocation
conte de fées qui n'avait pas d'autre but que celui de nous faire peur, un
d'acteur ou de comédien. Je n'avais aucune raison de penser ça, sauf que
peu comme le père fouettard ou Corey Feldman. Non seulement rien
je me sentais coupable de m'être échappé de Canton pendant que sa vie
n'avait été fait, mais tout le monde me disait que c'était faiblard, mal
à lui stagnait là-bas. Il s'était lui-même enterré dans la vie d'un Améri-
joué et une pâle imitation de ce que Trent avait déjà fait avec The Down-
cain moyen : il était allé au lycée, avait engrossé sa petite amie, et main-
ward Spiral. Et ils avaient peut-être raison. J'avais sans doute trop eu
tenant il allait l'épouser et être malheureux ou, encore pire, heureux.
confiance dans le concept d'Antichrist Superstar. Peut-être que tout le
monde essayait de me sauver de moi-même. Il n'avait pas changé, toujours les dents en avant, le visage couvert de
taches de rousseur, il avait juste un bouc en plus. En lui parlant, je me
Mais il était possible qu'ils n'aient jamais pris le temps de l'écouter et suis senti très loin de son univers. Comment aurait-il pu comprendre ce
d'en comprendre l'idée. L'album qu'ils pensaient que Marilyn Manson que ça fait d'être sur scène devant des milliers de personnes qui hurlent
devait faire n'était sans doute pas celui que j'avais en tête. J'avais l'im- votre nom ? Comprendre ce que signifiait de passer trois nuits blanches
pression que Trent et moi n'étions pas d'accord sur le disque à faire. Je de suite à se défoncer en regardant des gens pisser, chier, se fouetter et
voyais essentiellement Antichrist Superstar comme un album pop — bien pratiquer le fist-fucking, simplement pour s'amuser ? Comprendre ce que
qu'intelligent, complexe et sombre. Je voulais faire un album qui res- c'était d'essayer de s'endormir avec la poitrine ensanglantée, tailladée par
semblerait aux classiques avec lesquels j'avais grandi. Trent, quant à lui, des tessons de bouteilles, et la tête fendue par un pied de micro ? On ne
semblait vouloir explorer de nouveaux terrains, en tant que producteur, pouvait parler que de banalités : la surprise de son mariage, la robe de
en enregistrant de la musique expérimentale, un projet qui allait totale- sa femme et l'étrange concept d'avoir des enfants.
ment à l'inverse de la mélodie, de la cohérence et de la portée que je dési- Ce mariage a été pour moi la première occasion d'entrer dans une
rais. En studio, je m'étais toujours fié à Trent, mais qu'étais-je censé faire église depuis que j'étais môme, je me suis senti mal à l'aise tout au long
maintenant que nos opinions divergeaient ? Peu importe ce que les autres de la cérémonie. Je portais mon costume noir, une chemise rouge, une
disaient, je savais qu'Antichrist Superstar ne ressemblait pas à The Down- cravate noire et des lunettes noires. Toute l'assistance me jetait un regard
ward Spiral, qui était le récit de la descente de Trent dans un monde intime réprobateur. Il n'y avait pas que le prêtre qui me regardait de travers, ma
et nombriliste, dans lequel il exprimait ses propres tourments et ses mal- famille aussi. Tandis qu'ils récitaient pieusement leurs prières et chan-
heurs. Antichrist Superstar parlait d'utiliser son pouvoir et non pas sa taient hymne après hymne, je les étudiais froidement un par un. Je m'ima-
souffrance, d'expliquer que ce pouvoir peut nous détruire ainsi que ceux ginais en train de descendre l'allée à la place de Chad au bras d'une femme
qui nous entourent. Ce qui était en train de m'arriver était un mélange noire ou d'un homo tout en observant le trouble et la colère qui en résul-
pervers de deux sortes d'autodestruction. Cela faisait presque quatre mois taient. Je m'imaginais répondre à la question du prêtre, « Voulez-vous
et il fallait bien admettre que le résultat se résumait à cinq titres à moi- prendre cette femme pour épouse, jusqu'à ce que la mort vous sépare ? »,
tié enregistrés, des narines bousillées et une facture d'hôpital. Personne en m'arrosant d'essence avant d'y mettre le feu. Je ne comprenais pas
ne semblait se rendre compte que le groupe se désintégrait. pour quelle raison j'étais différent des autres. J'avais reçu la même édu-
cation, profité des mêmes avantages, des mêmes inconvénients. C'est la lingerie féminine et je pratiquais des actes sexuels beaucoup plus per-
comme ça que m'est venue la phrase qui clôture l'album : « L'enfant que vers que ceux montrés dans des magazines du style Watersports et Anal
vous avez aimé est l'homme dont vous avez peur. » Only. Grand-père avait été l'image la plus laide, sombre, obscène et dépra-
À la sortie, je suis allé à la rencontre du frère et de la mère de Chad, vée de mon enfance, une bête plus qu'un homme, et j'avais grandi pour
scandalisés que j'aie osé mentionner le nom de Grand-père dans la presse. lui ressembler, enfermé à la cave avec mes secrets tandis que tout le monde
Sa mère m'a réprimandé sèchement : « Pourquoi te sens-tu obligé de faisait banalement la fête à l'étage au-dessus. Dans cette cave, je voyais
raconter nos secrets de famille ? » mon moi inéluctable, noir et antique, comme un crabe qui essaie de sor-
Je lui ai répondu sèchement : « De toute façon personne ne croit ce tir de sa carapace : je me sentais sale, fragile, obscène. Pour la première
que je dis. » Grand-père était décédé le jour du dernier Thanksgiving : fois de ma vie, j'étais vraiment seul.
j'avais décidé de ne pas assister à son enterrement et ma famille avait
alors tacitement conclu un pacte pour m'excommunier. Les premières semaines qui ont suivi mon retour à La Nouvelle-Orléans
ont servi à me prouver une chose : la situation était pire que ce que j'avais
imaginé. Cette pause avait détruit le dernier appui qui me retenait et,
pour aggraver le tout, je me retrouvais au studio, exactement dans la
même situation d'autodestruction et d'inutilité. J'allais à des orgies de
Tous les gens à qui je parlais me demandaient si j'étais homo, junkie drogue qui duraient des jours et se terminaient en évanouissements,-en
ou adepte de Satan. Aucune parole gentille ; personne ne cherchait à me bagarres, et détruisaient tout ce que je possédais et aimais. Ma vie, mon
comprendre. Je n'étais plus Brian Warner, j'étais un pauvre type repous- groupe, le disque partaient en morceaux. Je n'étais plus qu'un cliché du
sant et indéfinissable, qui était lentement sorti d'un égout pour polluer milieu du rock'n'roll et je n'avais toujours pas percé.
leur vie trop lisse. Chad était trop jeune et trop intelligent pour tomber Assis dans le studio en compagnie de Twiggy pour enregistrer The
dans ce piège, et je ne voulais pas grandir et avoir à supporter cette exis- Minute of Decay, j'ai été écrasé par la futilité d'un tel projet. Certes, je
tence réglée d'avance. Certes ma vie n'était pas plus brillante. Il devait m'étais absenté, mais je m'étais dit que tout allait continuer à marcher
exister une troisième voie.
sans moi. Le grand disque que nous pensions enregistrer s'est révélé être
Après la cérémonie, on est retournés chez Grand-mère. Tout le monde de la merde. J'allais chanter sur un ampli de guitare, sur une batterie qui
était assis, buvait du vin et mangeait des petits gâteaux, luttant pour n'était qu'une boîte à rythmes fixée à une radiocassette, avec Twiggy à
essayer de trouver quelque chose d'intéressant à dire. Je me suis éclipsé la basse sur un ampli pourri. La seule chose de valeur dans le studio était
pour explorer la cave de Grand-père. Apparemment, rien n'avait beau- le tas de coke bien attaqué que nous avions en face de nous. Comme un
coup changé : mais le train électrique s'était volatilisé ainsi que la poire oiseau au milieu de l'océan, j'avais beau battre des ailes, me tortiller et
à lavement. L'armoire à pharmacie blanche avait également été vidée. Les batailler, je n'avais aucun moyen de m'en sortir. J'étais suspendu à un fil
photos pornos cachées derrière le miroir du plafond n'étaient plus là. Par que je n'arrivais pas à couper. Ces dernières années, j'avais travaillé si
contre, quand j'ai ouvert une des boîtes de peinture, je suis tombé sur les dur et je me retrouvais coincé là, à douter de mon projet artistique et de
films seize millimètres. J'ai attrapé le premier de la pile pour le regarder ma propre existence. Le seul truc dont j'étais sûr — et dont j'avais tou-
par transparence dans la lumière jaunâtre qui passait par la fenêtre pous- jours été sûr — était qu'il y avait une porte de sortie. Mais je refusais d'y
siéreuse : un Black était en train de faire l'amour avec une grosse blonde. penser. La vérité ? J'étais trop égoïste pour me suicider et avouer — non
J'ai pris une autre bobine au hasard que j'ai glissée avec l'autre sous la seulement aux gens présents dans le studio, mais à toute ma famille, mes
ceinture de mon pantalon.
professeurs, mes ennemis, au monde entier — qu'ils avaient gagné.
Je ne me voyais plus petit et effrayé dans cette cave. En fait, c'était la J'ai commencé à chanter. « Il n'y a plus de place pour l'amour. » Puis,
première fois que je me sentais chez moi depuis que j'étais revenu à Can- par simple réflexe, j'ai sniffé une ligne de coke avant d'enchaîner : « Trop
ton. Je me trouvais désormais beaucoup de points communs avec Grand- fatigué pour haïr. » La dope ne me faisait plus aucun effet. « Je sens le
père : je n'étais plus le môme innocent qui explorait sa cave, ce qui allait vide. » Un truc mouillé s'est écrasé en plein milieu du tas de poudre
totalement à l'encontre des promesses que je venais de faire à l'église blanche. « Je sens le début de la fin. » C'était une larme. « Je perds pied. »
comme quoi je ne grandirais jamais. Comme Grand-père, je portais de Je pleurais. « Je voudrais t'entraîner avec moi. » Je ne me rappelais même
plus la dernière fois où j'avais pleuré — ou même lorsque j'en avais eu
envie. « Je perds pied. » J'ai éclaté en sanglots. rière lui une nouvelle journée de représailles, deux médecins ont accom-
pagné Missi dans la salle d'attente où je me tenais avec Trent, toujours à
« Tu peux venir dans la cabine ? » grésillait la voix dans les retours.
mes côtés. Trent n'avait aucune raison d'être là : il n'y était pour rien.
« Bon, m'a directement dit Trent, tu en fais un peu trop. »
Mais il avait tenu à rester. Je m'étais peut-être trompé sur l'amitié qu'il
Dave a ajouté : « Tu ajoutes un peu trop d'émotion. On va faire une
me portait. Après tout, depuis trois ans que je le connaissais, Trent était
nouvelle prise, mais laisse tomber les trémolos. C'est pas du Shakespeare.
devenu le frère que je n'avais jamais eu.
- Attendez, j'y crois pas... », avant de m'interrompre : cela n'aurait
Les médecins m'ont expliqué que Missi était enceinte de trois mois,
rien changé si je leur avais annoncé que s'ils étaient mes amis, comme je
l'avais cru, ils auraient compris que mon désespoir était bien réel. et si elle décidait d'avorter, il lui faudrait attendre que sa grippe soit soi-
gnée. Je savais qu'au cours de notre relation j'avais déformé sa person-
J'aurais dû rentrer immédiatement à la maison — et je l'ai regretté
tant de fois par la suite — mais je suis resté. Non, je me suis auto-puni nalité pour qu'elle convienne à la mienne. Je me rendais compte à pré-
en avalant alcool, médicaments, drogues, en plus grande quantité et de sent que j'avais aussi déformé son corps.
plus en plus souvent, comme je le faisais depuis mon retour à Canton. J'ai passé la nuit suivante seul dans la cabine du studio à réécouter les
Mais cette nuit était particulière. J'avais retrouvé une ombre d'humanité mixes non travaillés de Tourniquet, un titre qui m'avait été inspiré par
dans le studio et j'étais terrifié. Je n'en avais pas l'habitude, je ne voulais l'un de mes cauchemars apocalyptiques. Je n'arrivais pas à me décider
pas savoir. Le soleil se levait lorsque Trent m'a déposé chez moi : je suis s'il fallait le refaire ou pas. En réalité, j'essayais de me trouver dans cette
entré dans la maison à pas de loup pour ne pas réveiller Missi. La lumière chanson, de découvrir un fil conducteur, une réponse ou une solution,
de la chambre était allumée, Missi était au lit, allongée sur le dos sans une issue de secours au bordel qu'étaient devenues ma vie et ma carrière.
aucune couverture sur elle. Elle tremblait et transpirait tellement qu'elle J'écoutais le morceau en boucle à en avoir la nausée, incapable de juger
avait trempé les draps. Elle ne s'est même pas rendu compte de ma pré- si c'était bon ou pas : je ne savais même plus si c'était moi qui l'avais
sence, ses yeux roulaient dans ses orbites. écrit. Hébété, j'ai saisi le micro branché sur l'ordinateur, terrassé par un
de ces évanouissements qui me prenaient régulièrement. Doucement, cal-
Je l'ai secouée, je lui ai parlé, tout en posant la main sur son front brû-
lant. Mais elle restait inconsciente. Je m'en voulais de ne pas être rentré mement, je tapais de ma main gauche sur la table comme les signaux en
plus tôt, de ne pas avoir prêté attention quand elle m'avait dit qu'elle morse du S.O.S. tout en murmurant : « Je... me... sens... très... vulné-
couvait la grippe, d'avoir totalement oublié d'acheter des médicaments rable. » J'ai repassé la bande à l'envers et j'ai ajouté au début de la chan-
et de toutes les fois où je m'étais bagarré avec elle et où j'avais maudit son cet appel de détresse que personne sauf moi ne pouvait entendre.
son existence depuis six mois. Je me demandais si la satisfaction de mes Je me suis écroulé sur la chaise tournante en essayant de mettre mes
plaisirs personnels n'était pas en train de la tuer. idées au clair. Les mots me venaient d'eux-mêmes aussi roses et sensibles
que la tête d'un nouveau-né. Je me demandais si le monstre avili, amo-
C'était la seule personne au monde pour qui je ressentais de l'amour,
ral et dégradé que j'étais devenu était en train de mourir (ou avait été
et si je la perdais, je détruisais en même temps ma seule chance de rede-
venir un être humain normal, avec ses sensations, ses sentiments, ses pas- assassiné), et cédait la place, comme Anton LaVey me l'avait prédit un
sions ; je détruisais essentiellement ma propre personne. an auparavant, à un être nouveau, sûr de lui, rempli d'émotions, à un
être terrifiant, mais beau et puissant, à Antichrist Superstar — rédemp-
J'ai paniqué. Non seulement j'étais trop blindé pour conduire, mais
teur dont personne ne permettrait la naissance. Ce que ni moi ni personne
même si j'avais voulu, la voiture de Missi n'était pas automatique. Mal-
à mes côtés n'avait su, c'est que le même agent corrosif qui m'avait décapé
gré nos récents différends, Trent était la seule personne sur laquelle je
de mon humanité était aussi responsable de la tentative de meurtre sur
pouvais compter à La Nouvelle-Orléans. Je l'ai appelé sur son portable,
Antichrist Superstar à peine né. Autrement dit : la trahison. Trahison était
et, ensemble, nous avons rapidement emmené Missi à l'hôpital où elle
le seul mot que ressassait mon esprit, comme on remue un couteau dans
m'avait conduit lorsque j'avais fait mon overdose. Les infirmières l'ont
une plaie. Mes grands-parents, Chad, mes profs de l'école chrétienne,
transportée en fauteuil roulant jusqu'à la salle des urgences et lui ont
mes premières petites amies, personne n'avait jamais appliqué ce qu'il
immédiatement fait une piqûre d'adrénaline pour la maintenir en vie. Sa
disait. Ils avaient gâché leur temps à essayer de vivre dans un monde de
température atteignait les 42°, ce qui aurait bousillé le cerveau de la plu-
mensonges dont ils étaient les seuls responsables. Il n'y avait qu'en privé
part des gens. Plusieurs heures plus tard, le soleil se levait, laissant der-
qu'ils se révélaient être les démons, les hypocrites et les pécheurs qu'ils
étaient en vérité, et malheur à tous ceux qui les prenaient la main dans lendemain matin, Twiggy m'attendait devant la porte du studio. Il était
le sac, car le pire des mensonges est un mensonge démasqué. Je pensais
hors de lui.
avoir appris à me protéger de la trahison en ne faisant plus confiance à
« Y a un problème ? ai-je commencé.
personne. Pourtant, au cours des semaines qui ont suivi, je devais subir
- Tu te rappelles que David Lynch nous avait proposé de travailler
plus de trahisons que je ne l'aurais cru possible. Chaque trahison était
sur la bande-son de son film ?
un poignard planté plus profondément encore dans mon dos.
- Ouais, Lost Highway.
Tout a commencé lorsque j'ai décidé de nous sortir de cette impasse.
J'ai convoqué le groupe, Trent et John Malm, et nous avons essayé de - Eh bien..., il est dans le studio avec Trent qui est en train de faire
trouver une solution pour sauver à la fois l'album et nous-mêmes. À la TOUTE la bande-son.
fin de la réunion, on est tombés d'accord : nous avions besoin de quel- - Je vais tuer quelqu'un. » J'étais enragé.
qu'un d'autre que Dave pour nous aider à produire l'album, et cela fai- « J'i'aurais déjà fait, mais on n'a pas le
sait plus d'un mois que Trent tentait de nous l'expliquer. Nous avions droit d'entrer dans le studio, a répli-
besoin de quelqu'un qui nous pousse à travailler, et non pas de Dave qui qué Twiggy.
rentrait dans notre propre système d'autodestruction léthargique. Certes, - On n'est pas censés
comme tout le monde, il voulait que l'album soit bouclé. Mais pour ce finir notre disque ?
faire, il ne voulait pas se passer de ses jeux vidéos et de ses matches de - C'est encore pire.
hockey sur glace à la télé. On a fini par tous tomber d'accord : il fallait Cet enculé de Dave
parler à Dave dès le lendemain après-midi et le laisser partir. Ogilvie est là en train
Mais, lorsque le lendemain je me suis rendu au studio pour le mee- de bosser avec
ting, je me suis retrouvé seul face à Dave. Vraiment seul. J'avais l'habi- Trent. »
tude de passer pour un salaud auprès de mes parents et des chrétiens, On avait croisé
mais jamais auprès des musiciens que je respecte, surtout quand ce musi- David Lynch deux
cien ne travaille pas techniquement pour moi. Bref, le meeting qui a eu ans auparavant grâce
lieu dans le bureau s'est déroulé aussi mal que je l'avais pressenti et s'est à Jennifer, une fille
terminé sur Dave qui, avant de claquer la porte, m'a lancé un : « Ça ne qui prétendait être son
me surprend pas... Tout le monde agit de la même manière dans ce busi- assistante. À l'époque,
ness. » Cette phrase a rebondi sur les murs. J'étais le seul à passer pour tout le monde l'avait
un enculé, et effectivement j'en étais un. prise pour une groupie de
Je n'ai pas remis les pieds au studio pendant plusieurs jours, m'aban- base. Puis finalement, c'était
donnant à une bringue incroyable qui transformait tous mes faits et gestes la vérité. Il nous proposait non
à La Nouvelle-Orléans en simple attraction. J'en ai profité pour expéri- seulement de collaborer à la bande-
menter différentes drogues — Moscatin, Percocets, Lorcets — et me plan- son de son nouveau film, Lost Highway,
ter des aiguilles sous les ongles pour tester mon seuil de douleur, car je mais également d'y faire une apparition. Et là, on nous interdisait tout
connaissais déjà mes limites côté mental. Je me rappelais l'époque où contact avec Lynch, et en plus son film nous empêchait de finir l'album.
Twiggy et moi étions si proches que nous n'avions même pas besoin de Lorsque j'ai appelé les autres membres du groupe, j'ai découvert que
nous parler pour composer — ensemble — les meilleurs morceaux que même Pogo m'avait trahi, sans le savoir, et travaillait sur des bourdons
nous ayons jamais faits, ces moments me semblaient si loin et impossibles pour la bande-son du film alors que nous étions temporairement exclus
à atteindre. J'essayais de me souvenir comment ces morceaux sonnaient du studio.
et ce qu'ils étaient devenus. J'ai décidé de revenir plus tard dans l'après-midi et d'en toucher deux
Dans un éclair de lucidité, du genre les cinq premières minutes qui ont mots à Lynch. J'ai poussé les grilles en fer et on s'est presque rentré dedans !
suivi mon réveil, j'ai appelé Twiggy pour lui faire part de mes sentiments. « Comment ça va ? » J'essayais de rester le plus calme possible.
On s'est promis de se retrouver au studio pour rebosser ensemble. Le « Content de vous revoir.
- Alors, quand vous mettez-vous au boulot ? » m'a demandé Lynch.
Il n'était visiblement pas au courant que l'entrée du studio m'était
interdite.
« Je ne peux pas tant que j'ai pas fini mon album. » Je mentais à m'en
mordre la langue. Trent était juste à côté.
Je suis sorti du studio en courant, aussi gêné qu'une fille qui aurait
croisé son petit ami avec une autre. Je m'étais mis le doigt dans l'œil pen-
dant tout ce temps ? J'avais suivi le conseil des autres alors que personne
au monde n'avait pu leur faire confiance, si ce n'est eux-mêmes. Je ne
m'étais jamais trompé de cap avant. J'essayais de comprendre où je m'étais
planté dans le concept d''Antichrist Superstar : le choix de Dave Olgilvie,
Twiggy, Trent ? En fait, je n'avais même pas envisagé que mon pire ennemi
était moi-même. C'était sans doute le bon moment pour arrêter la dope
et m'occuper de moi.

J'étais assis dans la salle d'attente de la clinique, essayant d'imaginer


ce qu'il se passait trois chambres plus loin, là où les médecins étaient en
train de placer dans le col de l'utérus de Missi une baguette de la taille
d'une allumette, avec au bout deux petits brins de la taille d'un fil, afin
de dilater son col avant d'en extraire le cerveau de notre enfant à l'aide
de forceps.
« Une tasse de café ? » m'a demandé une infirmière aux cheveux poivre
et sel en traversant la salle d'attente pour se rendre à son comptoir blanc.
J'ai levé les yeux et vu qu'elle tenait à la main une tass de Folger. J'ai
baissé la tête en frissonnant et sans même lui répondre. Je ne bois pas de
café. « Moi Délusionnel », ai-je pensé. J'ai replongé dans l'univers de
Canton, Ohio, à l'époque où je m'amusais à fabriquer des maisons avec
des billots dans l'herbe, de l'autre côté de la rue. Un après-midi, par
hasard, j'étais tombé sur une boîte métallique de café Folger contenant
une matière de couleur rouge foncé en train de pourrir et de se décom-
poser. Je l'avais apportée à ma mère qui m'avait dit qu'il devait s'agir
d'un bout de viande avariée. Elle ne m'avait avoué que très récemment
qu'il s'agissait d'un fœtus. J'ai brutalement compris pourquoi je ne buvais
pas de café.
Missi était paniquée par son avortement — elle entrait dans son qua-
trième mois. J'étais tout aussi paniqué, non seulement pour sa santé,
mais également pour moi. Personne au monde ne m'avait aussi bien
compris et accepté, de manière aussi absolue, je n'avais jamais été aussi
proche d'une femme, il n'y avait personne d'autre avec qui partager ma
musique et ma vie lorsque je rentrais à la maison. Mais pourquoi je
pensais à elle au passé ? Est-ce que j'avançais plus vite qu'elle ? Je
m'inquiétais pour elle tout en sachant que j'allais m'écrouler si un mal-
heur lui arrivait. Et pourtant, parallèlement, une question sordide et tor-
due me tournait dans la tête : pouvait-elle demander la permission au L'avais-je jamais appliqué ? En fait, est-ce que j'avais déjà montré que je
médecin de garder le fœtus ? croyais en moi ?
La nuit suivante, je suis resté à la maison — chose que j'avais beau- Le lendemain, je suis tombé sur Sean Beavan, l'ingénieur du son que
coup pratiqué récemment. Missi commençait à récupérer. J'avais laissé nous avions embauché pour coproduire l'album à la place de Dave Ogil-
tomber les drogues et décroché complètement, et je savais que j'étais 1 vie. Nous avions déjà travaillé ensemble depuis Portrait of an American
capable de le faire. J'en étais venu à me dire que les souvenirs de défonce Family, et en dépit de son penchant pour les cappuccinos et les rollers,
et les quêtes de drogue étaient en fait beaucoup plus drôles que l'état de nous avions beaucoup de choses en commun, comme la musique et le
défonce lui-même. Je n'avais peut-être pas toujours contrôlé ma vie, transvestisme. Même si on travaillait dans le studio voisin de celui dans
mais, lorsqu'il le fallait, je trouvais en moi la volonté nécessaire et lequel Nine Inch Nails terminait le mixage de The Perfect Drug pour la
une capacité d'abnégation que n'avaient pas la plupart des gens que je bande-son du film de David Lynch, on s'en foutait complètement. On
rencontrais. J'avais également de l'ambition, une ambition hors du bossait, pas sur notre meilleur titre, mais sur le premier depuis que j'avais
commun, et la dope s'était mise en travers du chemin de mon ambition. laissé tomber la cocaïne et l'alcool. Certaines chansons de l'album fai-
Je devais choisir entre les deux. saient allusion soit au passé, soit au futur, mais celle-ci était l'une des
Une fois Missi endormie, je me suis glissé hors du lit, je me suis ins- seules parlant du présent. « Coupe tous tes doigts. /Vends-les pour quelques
tallé dans le fauteuil de barbier, pour regarder l'ombre des gouttes de dollars/Rajoute du maquillage pour cacher toutes ces rides/Réveille-toi,
pluie éclaboussant une tête de bélier blanc surmontant un squelette humain arrête de trembler/Sinon, tu perds ton temps. » C'était le titre le plus auto-
de plus d'un mètre quatre-vingts, vestige de l'autel dans la Process Church critique que j'aie jamais écrit et je ne parlais pas que de moi. J'avais été
originelle en Angleterre. Derrière moi, il y avait deux crânes de gorilles emporté dans un tourbillon de dénigrement et de manque de sincérité qui
noircis et tachés dont les orbites vides me fixaient, énervées et colériques. semblait avoir touché tous ceux que j'avais rencontrés à La Nouvelle-
Il fallait que je me concentre. Lorsque j'ai conçu Antichrist Superstar, Orléans. « Je vais être ton amant, je le serai pour toujours, je le serai
j'avais pensé créer une apocalypse, et l'idée ne m'avait même pas effleuré demain, je suis capable de tout quand je suis raide. »
qu'il s'agissait uniquement de la mienne. Enfant, j'avais été un gringalet, Lorsqu'on a fait écouter ce titre à la maison de disques, ils ont détesté.
un asticot, un disciple, une petite ombre essayant de trouver sa place Non seulement ils ne voulaient pas utiliser les roughs, mais en plus ils
dans un monde infini de lumière. Au bout du compte, pour trouver cet voulaient virer Sean. On m'a dit : « Écoute bien. On va trouver quelqu'un
endroit, il me faudrait sacrifier mon humanité — si on peut appeler huma- d'autre pour mixer l'album et on repousse la sortie. Pourquoi pas jan-
nité une vie fondée sur l'insécurité et la culpabilité. Il me faudrait opérer vier plutôt qu'octobre ?
une mue, libérer mes émotions et expérimenter chaque extrême. Il - Pas question, ai-je insisté, fier de pouvoir faire la loi, MA loi. C'est
me faudrait continuer à me taper la tête contre les murs jusqu'à ne plus le moment de le sortir et vous le savez très bien. »
rien ressentir.
C'est la dernière fois où j'ai demandé l'opinion de quelqu'un sur mon
Mais à chaque tentative, je ne cessais de découvrir que je n'avais pas travail.
besoin de tout ça. J'étais face à une situation très simple : soit je mettais
un pied dans la tombe, soit je devenais plus humain. Je sortais de sept
mois de stress à force de travailler (ou de ne pas travailler) sur l'album
et de m'occuper de Missi, j'avais commencé à émerger de ce cocon
d'indifférence dépourvu d'âme. Plus les drogues me bousillaient le cer- Au cours des semaines suivantes, je me sentais de plus en plus heu-
veau, plus mon humanité — larmes, amour, haine, respect de soi-même, reux à chaque fois que j'entrais dans le studio : je faisais cet album tout
culpabilité — remontait à la surface tout en prenant une nouvelle dimen- seul, sans conseiller, sans manager, sans flagorneur. Plus on avançait dans
sion qui m'était inconnue. Mes faiblesses se transformaient en force, ma l'enregistrement, plus l'album servait d'aimant, attirant le groupe au stu-
laideur en beauté, mon indifférence pour le monde en envie de le sauver. dio, d'abord pour voir, puis pour travailler. On avait trouvé un rempla-
J'étais devenu un paradoxe vivant. Pour la première fois de ma vie, je çant à Daisy, un type de Chicago trompeusement affable, végétarien et
commençais à croire en moi. Je l'avais toujours exprimé dans ma musique, qui avait un mauvais goût notoire question femmes. Il est aujourd'hui
mais l'avais-je appliqué depuis mon arrivée à La Nouvelle-Orléans ? connu sous le nom de Zim Zum : il passait ses journées à regarder des
vidéos où des guitaristes de hard nuls donnaient des coups de pied à des
cadavres de biches tout en mangeant des excréments humains, et portait
des costumes ridicules en pensant que cela allait nous plaire. J'ai même
trouvé le moyen de rembourser les 5 000 dollars nécessaires pour repeindre
mon salon, en facturant à Interscope une fausse séance photo.
Les drogues ne me manquaient pas et je me foutais totalement des
trahisons auxquelles j'avais à faire face en bouclant l'album que je devais
à Interscope Records. Je m'étais habitué aux défections, aux désertions,
au manque de loyauté et à la duplicité. Je devenais au-dessus de tout ça.
Je n'étais pas indifférent et insensible, j'avais simplement appris à faire
la part des choses et, pour la première fois de ma vie, à vingt-sept ans, je
savais qui j'étais.
Tout ça parce que je commençais à voir le monde d'un œil nouveau,
à comprendre que le monde, tout comme Antichrist Superstar, était plus
grand que ce simple studio de La Nouvelle-Orléans. Peu importent les
gens ou les circonstances qui avaient essayé de descendre l'album, ils
m'avaient aidé à construire un disque plus fort, plus puissant et efficace.
L'album est entré dans les charts directement à la troisième place, j'étais
désormais plus puissant que les clubs de rock, que la cocaïne ou le rock
à papa ; plus puissant que les coups de couteau dans le dos, les conne-
ries et les gens avec ou sans leurs petits bonheurs ; plus puissant que les
sous-vêtements en caoutchouc, Willy Wonka, la viande, Night Terrors
Magazine, la chatte de Tina Pott ou la première Église baptiste de Jack-
sonville ; plus puissant que tous ceux qui avaient déjà réussi, plus fort
que tous les musiciens que je vénérais. Pour certains, j'étais même plus
puissant que Satan.

[SA] MUSIQUE EST FAITE PAR DES CRÉTINS [QUI CHANTENT]


DE MANIÈRE SOURNOISE ET OBSCÈNE DES PAROLES CRUES
ET IMMONDES. ELLE EST CONÇUE COMME DE LA MUSIQUE MILITAIRE
À DESTINATION DE TOUS LES DÉLINQUANTS DE LA PLANÈTE.
C'EST LA FORME D'EXPRESSION LA PLUS VIOLENTE, LA PLUS LAIDE,
LA PLUS DÉSESPÉRÉE ET LA PLUS VICIEUSE QUE J'AIE JAMAIS EU
LE MALHEUR D'ÉCOUTER.
PIÈCE À CONVICTION NUMÉRO UN : PIÈCE À CONVICTION NUMÉRO DEUX :
LA PROPAGANDE ANTI-MANSON JOURNAL DE TOURNÉE
DÉCLARATION S O U S SERMENT DE NON DATÉ
[ N O M DISSIMULÉ] Les gens qui tiennent un journal ne le font pas pour eux-mêmes. En fait, ils le conservent pour
ÉTAT D'OKLAHOMA les autres, comme s'il s'agissait d'un secret ; ils ne veulent pas en parler mais ils veulent que tout
C O M T É D'OKLAHOMA le monde le sache. Les seuls secrets que l'on peut garder sont ceux qui restent inscrits dans la
mémoire ; là, les gens ne peuvent pas se les procurer et les lire en cachette — enfin pas dans l'état
JE [NOM DISSIMULÉ] JURE PAR LA PRÉSENTE, AFFIRME ET DÉCLARE QUE : actuel des choses. Je commence à penser que si Internet est la C.B. des années quatre-vingt-dix,
l'ordinateur familial est le camping de l'âme, un outil dangereux mis à la disposition de crétins.
1. JE SUIS UN INDIVIDU DE SEXE MÂLE HABITANT [ADRESSE DISSIMULÉE] À Il pourrait arriver que le fascisme auto-imposé détruise l'espèce humaine, car il arrivera bien un
OKLAHOMA CITY, ÉTAT D'OKLAHOMA [CODE POSTAL DISSIMULÉ]. jour où l'homme sera persuadé qu'il n'a plus besoin de penser par lui-même.

2. LE JEUDI 19 DÉCEMBRE 1996, J'AI PERSONNELLEMENT ASSISTÉ À DALLAS, NEW YORK, SEPTEMBRE 1996
TEXAS, AU CONCERT DE MARILYN MANSON. Personne n'avait vraiment envie de participer au show-case organisé par Nothing Records,
3. LORSQUE LE GROUPE EST MONTÉ SUR SCÈNE, LA GUITARISTE NE PORTAIT et voilà que j'ai accidentellement blessé mon batteur en lui balançant un pied de micro sur la tête,
SUR ELLE QU'UN COLLANT TRÈS FIN ET TRANSPARENT. ELLE SE FAISAIT DES direction l'hôpital. Nous voulions faire un show de Marilyn Manson pour lancer la tournée d'An-
CHOSES AVEC UN VIBROMASSEUR ET D'AUTRES OBJETS. MANSON A AMENÉ UN tichrist Superstar, mais il avait dégénéré en une sorte de satisfaction narcissique qui a dû nous
CHIEN SUR SCÈNE ET A EU DES RELATIONS AVEC LUI. LE GROUPE A DEMANDÉ AU faire passer pour des fous furieux.
PUBLIC DE S'ALLONGER SUR LE SOL ET DE BAISER. JE LES AI ENTENDUS DEMANDER
CLEVELAND, LE 19 OCTOBRE 1996
À LA FOULE DE VIOLER LES PETITES FILLES ET LES PETITS GARÇONS.
Tony Ciulla, notre nouveau manager, est venu me voir et m'a demandé si je savais à quelle
4. DANS LE PUBLIC, LES PLUS JEUNES AVAIENT ENTRE NEUF ET DIX ANS. LES place Antichrist Superstar était dans les charts aujourd'hui. Je lui ai répondu : « Numéro trois »,
DROGUES CIRCULAIENT DE L'AVANT À L'ARRIÈRE DE LA SALLE. LE SERVICE DE et je ne m'étais pas trompé. Il n'y avait pas d'autre chiffre possible. Sur le dos de la pochette, nous
SÉCURITÉ ENCOURAGEAIT LE PUBLIC À FAIRE CE QUE MANSON DEMANDAIT. EL N'Y étions trois. Le disque était monté en trois parties. Que des trois. Le chiffre trois avait une autre
AVAIT AUCUNE FORCE DE POLICE PRÉSENTE DANS LA SALLE DE CONCERT. LA signification, un truc qui allait se passer dans un futur proche, sans doute changer l'avenir...
POLICE ÉTAIT RETENUE À L'EXTÉRIEUR. J'AI COMMENCÉ À CRAINDRE POUR MA
PROPRE SÉCURITÉ LORSQUE LA FOULE S'EST MISE À DÉLIRER.
TORONTO, LE 22 OCTOBRE 1996
Aujourd'hui, on a reçu des menaces de mort au téléphone. On nous a menacés de bombar-
5. J'AI VU LES MEMBRES DU GROUPE SIMULER OU AVOIR DES RELATIONS der l'immeuble et ses occupants avec du gaz moutarde. Ce n'est pas un condiment ? Je dois recon-
SEXUELLES ENTRE EUX. AU COURS D'UNE CÉRÉMONIE SATANIQUE, MANSON A naître qu'ils ne manquent pas d'imagination. Et apparemment je suis toujours en vie.
PARLÉ DE SACRIFIER DES ANIMAUX EN CITANT DES PASSAGES DE LA BIBLE
SATANIQUE ET A INVITÉ CEUX QUI ACCEPTAIENT SATAN COMME MAÎTRE À NON DATÉ
S'APPROCHER DE L'AUTEL. PUIS EL A ASPERGÉ LE PUBLIC AVEC UN LIQUIDE Pendant un instant ce soir, je me suis pris pour le Christ. Il neigeait sur moi, et j'aurais pu me
BIZARRE. trouver n'importe où — à Wichita, à Berlin, au Golgotha. Il y avait un miroir accroché sur le mur
derrière la foule et je m'y voyais comme une peinture, gelé. L'entaille sur mon flanc n'arrêtait pas
6. J'AI ÉTÉ TÉMOIN DE SPECTATEURS AYANT DES ACTIVITÉS ET DES RELATIONS de saigner. C'était si beau que je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer devant les cinq mille specta-
SEXUELLES PENDANT LE CONCERT, ET PAS SEULEMENT SUR SCÈNE. J'AI teurs. Je laissais sortir le môme qui, à l'école primaire, était mort sur une croix en plastique. Il
ÉGALEMENT ASSISTÉ À L'ÉVACUATION D'AU MOINS VINGT PERSONNES POUR CAUSE s'échappait par le trou de mes côtes.
DE BLESSURES.
7. JE N'AI PAS ASSISTÉ AU CONCERT JUSQU'AU BOUT. NEW JERSEY, HALLOWEEN 1996
Ce soir, une rumeur a couru comme quoi j'allais me suicider. Mais je suis mort tant de fois
8. POUR LA SUITE, VOTRE SERVITEUR NE PEUT CONFIRMER. au cours de l'année passée qu'il ne reste plus grand-chose à tuer.
FAIT LE 17 JANVIER 1997. NON DATÉ
Je suis en train de devenir ce dont j'avais peur. Lorsque le monde entier veut vous détruire,
chaque jour est votre dernier jour et chaque spectacle est votre dernier spectacle. L'Antéchrist
DÉCLARATION FAITE SOUS SERMENT, FAUSSE n'est pas juste moi, ou une personne précise. C'est nous tous, un état d'esprit collectif dont les
ET DIFFAMATOIRE, DISTRIBUÉE PAR L'AMERICAN FAMILY Américains ont besoin pour se réveiller. Je veux le réveiller en eux. C'est le but de cette tournée,
peut-être même de ma vie : faire comprendre aux Américains qu'ils n'ont pas à croire en des
ASSOCIATION. choses sous prétexte qu'on les a sermonnés toute leur vie. Ceux qui n'ont jamais baisé ni pris de
drogues n'ont pas à dire si c'est mal. On ne peut se forger une morale qu'au travers des expé-
riences vécues. L'humanité n'a pas à demander constamment pardon parce qu'elle est humaine.
L'humanité vit une existence irréprochable en tant qu'individu. C'est ça Armageddon, car pour
le christianisme, si vous renoncez à l'idée de Dieu et que vous croyez en vous, c'est la fin du monde.
ÉTANT DONNÉ QUE NOUS CROYONS EN JÉSUS-CHRIST ET QUE NOUS AVONS ET
NEW JERSEY, LE 2 NOVEMBRE 1996
AURONS TOUJOURS À COMBATTRE LES DÉMONS ET LES ESPRITS DU MAL.
Jouer dans des clubs et des petites salles est à la fois excitant et terrifiant mais les stades
ÉTANT DONNÉ QUE LE GROUPE DE « ROCK » MARILYN MANSON EST CONSTITUÉ
conviennent tellement à Antichrist Superstar. Et ce soir, en voyant six mille personnes lever le
DE DÉMONS OU D'ESPRITS DU MAL QUI ADHÈRENT À DES CROYANCES HÉRÉTIQUES,
poing pendant Beautiful People, je me suis un peu senti comme Néron : si puissant, grandi-
S'AUTOPROCLAMENT ANTÉCHRISTS ET SATANISTES, ET QU'ILS ESSAIENT D'ENTRAÎNER
loquent, fascisant, rock and roll. Ça me dégoûte, mais j'aime ça.
LES ENFANTS SUR LA VOIE DU PÉCHÉ POUR LES ÉLOIGNER DE LA FOI CHRÉTIENNE.
LE CHRIST NOUS A DÉLÉGUÉ UNE PARTIE DE SON POUVOIR POUR LUTTER CONTRE
WASHINGTON, D.C., LE 6 NOVEMBRE 1996
LES DÉMONS GRÂCE À LA PRIÈRE, CE QUI NOUS PERMET DE COMBATTRE, DE MAÎTRI-
SER ET D'ENTRAVER LES ACTIONS DES ESPRITS DU MAL.
Avec Twiggy, on a essayé de joindre Trent. Pas de réponse. Je ne sais pas ce que j'ai fait
pour qu'on me haïsse autant. S'il s'agit de ma conduite, je suppose que c'est le prix à payer.
CETTE PRIÈRE EST LE RÉSULTAT D'UN APPEL À L'AIDE LANCÉ PAR DES ÉTUDIANTS
Tout cela est derrière moi maintenant et je n'en garde aucune rancune, j'espère simplement
DE NOMBREUSES ÉCOLES CHRÉTIENNES DE FLORIDE. CE N'EST EN AUCUN CAS POUR
NUIRE AUX MEMBRES DU GROUPE MARELYN MANSON. L'ATTAQUE SE PORTE SUR LE que la tension va s'estomper.
CONCERT AFIN DE CHASSER CES DÉMONS DE LA COMMUNAUTÉ D'ORLANDO UNI-
QUEMENT. FORT LAUDERDALE, LE 15 NOVEMBRE 1996
C'est drôle, depuis deux ans, avec Twiggy, on écoute rituellement Cover of the Rolling
AU TRAVERS DE LA PRIÈRE CI-DESSOUS, NOUS COMBATTONS LES DÉMONS ET LES
Stone de Dr Hook, comme si cela allait nous aider à ce qu'on parle de nous dans le magazine.
ESPRITS DU MAL QUI ONT DOMINÉ LE SPECTACLE DE MARILYN MANSON LE QUINZIÈME
Et c'est curieusement aujourd'hui que je viens de faire une interview pour ce journal. Je ne sais
JOUR DU ONZIÈME MOIS DE L'ANNÉE QUATRE-VINGT-SEIZE.
pas si le journaliste est gay, mais j'ai fait la plus grande partie de l'interview dans le jacuzzi
pour voir si ça le gênait ou l'excitait. Les deux, je pense. Je lui ai juste signalé qu'il était en
À VOUS LES ESPRITS DIABOLIQUES ET IMMONDES QUI AVEZ AMENÉ
train de faire l'interview la plus importante de sa vie, et je sais que j'ai raison.
LE GROUPE DE MARILYN MANSON À ORLANDO
ET QUI AVEZ ENVAHI LE CORPS ET L'ESPRIT
FORT LAUDERDALE, LE 16 NOVEMBRE 1996
DE TOUS LES MEMBRES DU GROUPE ET DE TOUS CEUX QUI PARTICIPENT À
Notre show de retour a été meilleur que je ne l'espérais. Je pensais que les gens allaient
LEURS DÉPLACEMENTS
être négatifs et amers parce qu'ils se diraient que je leur suis redevable ou parce qu'ils me
AU NOM DE JÉSUS-CHRIST FILS DE DIEU, connaissent. En fait, je n'y avais jamais eu beaucoup d'amis, personne n'ayant jamais vrai-
NOUS IMMOBILISONS LES CARS ET LES CAMIONS QUI VONT TRANSPORTER ment cru en ce que je faisais. Les seules personnes envers lesquelles je me sens redevable sont
MARILYN MANSON ET SA MUSIQUE DANS NOTRE COMMUNAUTÉ, mes parents, qui m'ont toujours soutenu même quand je n'avais pas de boulot. Tous ceux dont
NOUS ALLONS BLOQUER LE MOTEUR DE LEURS VÉHICULES, je me suis peut-être servi devraient se sentir fiers d'avoir servi à quelque chose. C'est quand
ET CONFISQUER L'ESSENCE QUI LES FAIT ROULER. même mieux que d'être inutile.
NOUS ALLONS CONFISQUER LES ÉCLAIRAGES ET LES AMPLIS,
LES MICROS AINSI QUE TOUS LES INSTRUMENTS
AMÉRIQUE DU SUD, LE 23 NOVEMBRE 1996
NÉCESSAIRES À LEUR INFÂME SPECTACLE BLASPHÉMATOIRE
Ce soir, nous sommes allés dans un bar de Santiago. Le sol en Plexiglas laissait passer des
NOUS ALLONS LIER LES PIEDS ET LES POINGS
lumières étranges et nous avons vraiment abusé du vin chilien. Un type bizarre s'est approché
DES MEMBRES DE MARILYN MANSON
de moi et m'a demandé si j'aimais Ziggy Stardust. Je lui ai répondu que c'était un grand disque.
AFIN QU'ILS ARRÊTENT DE SEMER DES MENSONGES
Il semblait très énervé ; il n'arrêtait pas de répéter Ziggy Stardust en reniflant de manière
ET LE TROUBLE DANS NOTRE JEUNESSE,
étrange. Il m'a expliqué qu'il voulait nous vendre de la cocaïne sud-américaine non coupée.
DEJOUER AVEC LEURS INSTRUMENTS,
On n'avait jamais vraiment retouché à la poudre depuis l'enregistrement d'Antichrist Super-
DE S'INTRODUIRE DANS NOTRE COMMUNAUTÉ
star. Et comme il ne faut pas être plus royaliste que le roi, on s'est dit qu'étant en Amérique
AU NOM DE JÉSUS-CHRIST, NOUS ALLONS COMBATTRE CES DÉMONS,
du Sud, il fallait adopter les coutumes locales et sniffer le plus possible de cette cocaïne de pre-
ET GRÂCE À LUI NOUS LES EMPÊCHERONS DE NUIRE.
mière qualité. Puis quelqu'un a signalé que les flics étaient dehors. Au Chili, les flics ne por-
tent pas d'uniforme bleu et n'ont pas de matraque. Non, ils se déplacent par escadrons entiers,
POUR CE, NOTRE AUTORITÉ SCRIPTURALE EST LA SUIVANTE :
mitraillette au poing. On a quand même réussi à s'échapper. On a passé la nuit dehors, à boire
ÉVANGILE SELON SAINT MARC 16, VERSETS 15 À 18.
du vin et à faire sniffer aux gens une étrange poudre rose qu'un des roadies avait achetée à la
15 : ET LEUR DIT : « ALLEZ DANS LE MONDE ENTIER, PROCLAMEZ L'ÉVANGILE DANS sortie d'un concert de death métal. On a bien sûr repris l'avion le lendemain matin, et c'est de
TOUTE LA CRÉATION
là que j'écris. Je ne me sens pas bien.
16 : CELUI QUI CROIRA ET SERA BAPTISÉ SERA SAUVÉ ; CELUI QUI NE CROIRA PAS
SERA CONDAMNÉ.
ALLEMAGNE, LE 3 DÉCEMBRE 1996
17 : ET VOICI LES SIGNES QUI ACCOMPAGNERONT CEUX QUI AURONT CRU : EN
Hier, j'ai quitté Twiggy vers six heures du matin. Il n'a pas dû se coucher avant midi. Il
MON NOM ILS CHASSERONT LES DÉMONS, ILS PARLERONT EN LANGUES NOUVELLES,
18 : ILS SAISIRONT DES SERPENTS ET, S'ILS BOIVENT QUELQUE POISON MORTEL, n'a plus de cheveux sur le front.
IL NE LEUR FERA PAS DE MAL ; ILS IMPOSERONT LES MAINS AUX INFIRMES ET CEUX-
CI SERONT GUÉRIS. » RELÂCHE, LE 19 DÉCEMBRE 1996
Qu'est-ce qui va se passer si davantage de gens possèdent mon disque que la Bible ? Est-
ce que je vais devenir Dieu parce que plus de gens vont croire en moi qu'en lui ? Ce n'est qu'une
PRIÈRE DISTRIBUÉE PAR DES CONTESTATAIRES question de popularité. Il y a des tas de gens dans le monde qui n'ont jamais entendu parler
AVANT UN CONCERT DE MARILYN MANSON, À ORLANDO, FLORIDE. de Jésus, alors qu'en Amérique il fait partie du patrimoine. L'avis des gens change en fonction
de la mode. C'est pour ça que pour sortir de la masse, il faut en faire partie pour mieux la
vaincre.
LE 5 JANVIER 1997
Ce soir, c'était mon anniversaire. Je suis trop fatigué pour rentrer dans les détails, mais je
puis vous affirmer que depuis que Rolling Stone est sorti aujourd'hui — curieux hasard — on
s'est fait un maximum de lignes sur ma photo en couverture.
19 mars 1997
NON DATÉ
Aujourd'hui, on a essayé d'appeler Trent. On nous a donné des excuses bidon, le genre d'ex-
i l'attention des responsables du Mississippi Coast Coliseum cuses qu'il voulait qu'on donne lorsqu'il ne désirait pas répondre aux gens qu'il haïssait.
Aux bons soins de Bill Holmes, directeur ge'ne'ral
QUELQUE PART SUR L'AUTOROUTE, LE 16 JANVIER 1997
Hôtels de merde, drogues de merde, spectacles de merde suivis de fêtes de merde, discus-
Messieurs les responsables, sions de merde, pipes de merde, voyages de merde, bagarres de merde, rabibochages de merde,
télé de merde avec Spectravision de merde, bars gothiques de merde, interviews de merde, chré-
Je vous encourage à annuler le spectacle de Marilyn tiens de merde, athées de merde, démos de merde, humeurs de merde, bouffe de merde, merde
Manson au Coliseum. de merde.
Je crois que permettre à Manson d'apparaître et lui
SEATTLE, LE 17 JANVIER 1997
donner un forum pour cracher sa philosophie empoisonne'e
Jimmy a des verrues.
n est pas rendre service à la population de Mississippi
Coast. LOS ANGELES, LE 27 JANVIER 1997, 7 H DU MATIN
Pendant cette pe'riode des plus be'nies correspondant à Ce soir — ou ce matin — je ne peux pas dormir, comme d'habitude, et à vrai dire je me sens
la montée du Christ aux cieux, je pense sincèrement que ce heureux. Trent nous a fait la surprise de se pointer à notre show. Nous ne lui avions pas parlé
— ou il n'avait pas voulu nous parler — depuis que nous avions fini l'album. Le show terminé,
seraxt faire un affront aux contribuables qui ont permis la
je prenais une douche quand il est entré dans la loge : comme au bon vieux temps. On est tom-
construction et l'entretien du Coliseum. bés dans les bras l'un de l'autre et on a commencé à raconter des conneries. Nuit d'holocauste.
Dans un souci d'unité et de cohe'sion au sein de la On était complètement défoncés, et Quiet Riot jouait au Dragonfly pour la fête qui suivait notre
population de cette ville, je vous demande de faire tout ce show. Je crois que c'est ce soir-là qu'ils se sont reformés, un peu comme ça s'était passé pour
qui est en votre pouvoir pour annuler ce concert. W.A.S.P. On est donc responsables du retour de ce groupe de heavy métal rétro. J'en ai honte.
Mais je m'éloigne. Au petit matin, j'ai dit à Trent : « Le passé c'est le passé, faisons une croix
dessus. Je m'en fous. » Alors il m'a répondu : « Ouais, mais en ce qui concerne le disque, je n'ai
Bien à vous
pas... » Il s'est justifié pendant une bonne heure, je me suis justifié pendant une heure. Puis on
s'est regardés en face : « Écoute, ça n'a pas d'importance. C'est fini, je m'en fous, ça n'a pas
(signature) d'importance. » Et nous étions sincères. Tout ce qui s'était passé au cours de l'enregistrement
d''Antichrist Superstar avait été nécessaire à sa naissance. L'accouchement avait été difficile, mais
le maire, Ken Combs ça en valait la peine. Tout semble aller bien maintenant. Enfin je l'espère.

SAN DIEGO, LE 29 JANVIER 1997, 7 H DU MATIN


Une nuit horrible. Daniel Ash de Bauhaus et de Love and Rockets a frappé à la porte de ma
chambre d'hôtel pour me demander si on pouvait discuter un moment, ce qui m'a semblé étrange
car nous ne nous étions jamais adressé la parole. Twiggy avait préparé des lignes de coke dans
ma chambre, Daniel Ash était accompagné de six personnes. Aucun d'eux ne touchait à la
drogue. Ils se contentaient de poser leur verre d'alcool sur la table où la dope était étalée. J'étais
malade car j'étais en train de jouer au lèche-cul avec Daniel Ash, en lui racontant que son jeu
de guitare m'avait beaucoup influencé : lui aussi jouait au lèche-cul, en me disant qu'il aimerait
beaucoup remixer un titre de Marilyn Manson. Puis, sans que je sache pourquoi, il m'a bran-
ché.
Il a sifflé un truc du genre : « Je ne crois pas en ce que tu fais et je pense que ce n'est qu'un
tas de merde. Je ne connais pas ta musique mais ton message — j'ai travaillé avec des types qui
ont traîné avec toi quelques jours, et ils m'en ont parlé ! » Le reste du groupe était très cool —
Kevin Haskins, le batteur, m'avait demandé un autographe, et David J. est un branleur assez
terrifiant. La petite amie de Daniel Ash essayait juste de le calmer, mais en vain. « Je suis passé
par où tu passes et je ne veux plus jamais me retrouver à cette place. C'est un ticket vers le para-
dis. Mon album était basé là-dessus. Toi, tu ne vas nulle part. » Je pense qu'il croyait que nous
étions des adorateurs de Satan et que nous incitions au viol — sans doute à cause de ces salo-
peries de dépositions sous serment — et il a fini par nous engueuler et appeler le room-service
toute la nuit. Schizo complet, et une autre idole tombée de son piédestal.
LUBBOCK, TEXAS, LE 4 FÉVRIER 1997
Dieu doit être pour quelque chose dans le serment d'Hippocrate car, ici, les auxiliaires médi-
caux ont refusé de me mettre sous une tente à oxygène alors que j'étais totalement épuisé après
MONSTRUEUX!!! notre show. Ils m'ont expliqué qu'ils n'approuvaient pas mes valeurs morales et que je ne méri-
tais pas de recevoir les premiers soins. J'en conclus donc que Jésus est notre sauveur, contraire-
ment aux auxiliaires médicaux d'ici.
* « Tuez vos parents »
KANSAS, LE 7 FÉVRIER 1997
(sur les T-shirts) Je ne sais pas ce que je hais le plus : les alertes à la bombe ou les chiens qui détectent les
bombes. De toute façon, ce sont les mêmes qui reniflent la drogue, et je ne sais pas si j'ai plus
* « À toute époque, il y a eu au moins un individu courageux peur de mourir dans une explosion ou de me faire arrêter.
qui a essayé de mettre fin au christianisme.
14 FÉVRIER 1997
Personne n'y est encore parvenu, mais on pourra peut-être Aujourd'hui, j'ai perdu le dernier contact que j'avais avec mon passé : Missi. Elle a dû s'ima-
le faire grâce à la musique. » giner quelles étaient mes priorités lorsqu'elle a vu que je n'avais pas été avec elle de la journée :
elle ne veut plus me parler. Nous serons toujours très proches, car une part de moi est en elle.
* « Je suis l'Antéchrist made in America. » Mais c'est une part que je ne possède plus — et il s'agit de la part la plus sombre de moi-même.

* SUR SCÈNE, ils prennent des poses indécentes, racontent MASSACHUSETTS, LE 19 FÉVRIER 1997
Je n'arrive pas à savoir si l'Amérique me hait plus que je ne la hais.
les pires obscénités et tiennent des propos du genre
« Il faut tuer Dieu. » MASSACHUSETTS, 21 FÉVRIER 1997
Encore un show de merde. Je ne sais pas si l'Amérique me hait plus que je ne me hais moi-
* Des textes et des idées trop ésotériques pour même.
les responsables de MTV. Il faudrait la mention « Âmes
NON DATÉ
sensibles s'abstenir », comme le proclame Quelle ironie dans toute cette indignation chrétienne ! À certains égards, cette tournée est très
Fauteur-compositeur. soft. Les chrétiens se plaignent quand je les compare aux nazis. Ils ne se plaignent pas quand je
déchire la Bible, quand je me torche avec le drapeau américain. Je ne sais pas ce qui est le plus
ridicule : les histoires qu'ils ont inventées ou le fait que des gens les croient. Et qui les a inventées ?
Voilà les citations/les actes/le merchandising/de Marilyn Manson Tout simplement l'imagination de ceux qui m'accusent. Et dans l'histoire, qui est dans le péché ?
et son groupe de rock-metal du même nom qui passent au Fitchburg NEW YORK, MARS 1997
Civic Center le 21 février ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Hier soir, j'ai rencontré Fiona Apple au cours de la soirée qui a suivi les Grammy Awards.
C'est une petite chanteuse dont personne n'a entendu parler. Je suis un fan inconditionnel de sa
musique. Et elle est terriblement sexy et fragile. Lorsqu'elle est entrée dans la pièce, Apple of
Sodom, le titre que nous avions fait pour Lost Highway, passait à fond. Les paroles à cet instant
étaient : « Je possède quelque chose que tu ne pourras jamais manger. » Total Moi Délusionnel
ÇA VOUS ÉCŒURE AUSSI? Rejoignez-nous. car cette chanson parle des obsessions, des choses que nous ne pourrons jamais posséder, et c'est
un peu elle qui l'a inspirée.
Manifestation au Civic Center le 15 février à 17h 50 Elle était toute voûtée et timide, un peu comme une biche aux abois. J'avais l'impression
qu'elle allait se mettre à pleurer. Je lui ai demandé ce qui n'allait pas. Elle m'a expliqué qu'elle
\Aeeting au Fitchburg City Council, mardi 18 février à 19h 30. était dépassée par les événements, que la pression du show-business était trop forte. Je lui ai pro-
posé d'aller lui chercher à manger et à boire, mais elle est végétarienne et, contrairement à moi,
Nos enfants ont besoin de votre participation ne permet pas à son corps d'absorber n'importe quoi. Nous ne nous entendrons jamais. Pendant
Payé par Mass State Council, Knights of Columbus que je lui parlais, j'ai été distrait deux secondes par la fille ado et saoule d'une célébrité qui sau-
tait partout en l'air en chantant et en nommant toutes les rock stars qui l'avaient engrossée.
Encore une qui couche avec les stars, groupie qui me vampirise et me fait perdre le fil de la conver-
sation. Lorsque je me suis retourné, un type bizarre s'était glissé à côté de Fiona et lui faisait des
tours de cartes. Trop ringard. Dans le livre des trucs merdiques pour lever une fille, le tour de
cartes est au chapitre numéro un. Et je pense que ça a marché.
DÉCLARATION ÉCRITE FAITE SOUS SERMENT NEW YORK, MARS 1997
[NOM DISSIMULÉ] J'ai demandé à Fiona de m'accompagner à la première de Parties intimes de Howard Stern.
Il a choisi un de mes titres pour la bande-son. Je pense qu'Howard Stern et moi, on se ressemble :
ÉTAT D'OKLAHOMA il dit ce qu'il pense et rend les gens dingues tout en les distrayant. Je considère qu'il fait partie de
ceux qui ont poussé Sweet Dreams et ont vraiment aidé à son succès. Je pensais que Fiona allait
C O M T É D'OKLAHOMA
refuser, parce qu'elle s'est lancée dans le genre d'histoire que j'aurais pu inventer si j'avais voulu
JE SOUSSIGNÉ, [NOM DISSIMULÉ], JURE PAR LA PRÉSENTE, AFFIRME, DÉCLARE ET me débarrasser d'une corvée. Mais elle a accepté de m'accompagner. Je ne sais pas si ça fait de
CONFIRME QUE : moi un homo, mais j'ai vraiment envie que nous soyons amis.
1 JE SUIS UN INDIVIDU DE SEXE MÂLE DE DIX-SEPT ANS ET HABITE [ADRESSE DIS-
SIMULÉE] OKLAHOMA CITY, OKLAHOMA [CODE POSTAL DISSIMULÉ]. NEW YORK, MARS 1997
En véritable rock star, je suis passé prendre Fiona dans une limousine blanche. En véritable
2 IL Y A TROIS ANS, J'ÉTAIS UN FUGUEUR DE QUATORZE ANS QUAND J'AI REN- anti-rock star, elle ne s'était ni maquillée ni coiffée. C'était ma première sortie publique pour un
CONTRÉ MARILYN MANSON (BRIAN WARNER), IL M'A ACCEPTÉ DANS LE CERCLE DE
événement de cette importance et je ne savais pas du tout comment me comporter. Il y avait ce
SES AMIS, AUTREMENT DIT « SA FAMILLE ». AU COURS DES TROIS DERNIÈRES ANNÉES,
fameux tapis rouge que nous étions censés descendre, en nous arrêtant régulièrement pour les
J'AI VÉCU PAR PÉRIODES AUPRÈS DE MANSON, ENVIRON UNE VINGTAINE DE FOIS : LA
DERNIÈRE, C'ÉTAIT IL Y A DEUX MOIS. LE MOIS DERNIER, JE L'AI JUSTE CROISÉ. photos. J'étais totalement troublé. J'ai descendu quelques marches, et je me suis retourné en me
• disant que ce n'était pas le bon chemin. Un type m'a signalé qu'il fallait que je marche sur le tapis
3 JE ME SUIS TROUVÉ À PLUSIEURS REPRISES À SES CONCERTS, PARFOIS DANS LA rouge. J'ai donc parcouru la moitié du tapis, terrifié, car je ne savais pas si je devais m'arrêter.
SALLE, PARFOIS BACKSTAGE, PLUS (SIX FOIS BACKSTAGE) AU COURS DE LA TOURNÉE
D'ANTICHRIST SUPERSTAR Pendant ce temps, Fiona s'était fait coincer par les médias et s'est retrouvée à donner une inter-
view à Flavor Flav. Je n'en pouvais plus. Ce n'est pas mon truc de m'asseoir et de papoter avec
4 LES CONCERTS COMMENCENT TOUS DE FAÇON DIFFÉRENTE, LA PLUPART DU une bande de trous du cul qui ne savent même pas qui vous êtes, mais qui font semblant de le
TEMPS, IL Y A UN SHOW DE LUMIÈRE QUI LES PRÉCÈDE. MANSON ARRIVE SEUL SUR savoir. Fiona a décidé de partir et je n'étais même pas déçu parce que ça me faisait de la peine de
SCÈNE AVEC UN GRAND SAC À LA MAIN, JUSTE AVANT QUE LE GROUPE COMMENCE À
la voir aussi bouleversée.
JOUER OU À IMPROVISER ; MAIS QUELLE QUE SOIT LA SITUATION, ILS S'ARRÊTENT
DÈS QUE MANSON ARRIVE SUR SCÈNE AVEC SON GRAND SAC. JE ME PORTE TÉMOIN Je suis monté avec Twiggy qui nous avait accompagnés et je suis tombé par hasard sur Fla-
QUE MANSON EN SORT DES PETITS POULETS, DES CHIOTS ET DES CHATONS QU'IL vor Fav. On s'en est tapé cinq, on s'est tourné autour. Je ne pouvais pas voir ses yeux, mais si
LANCE DANS LE PUBLIC. CES ANIMAUX SONT VIVANTS. JE LE SAIS CAR J'ALLAIS LES j'avais pu, je suis certain qu'il m'aurait fait le petit clin d'œil que se font tous les camés. J'étais
CHERCHER À LA FOURRIÈRE POUR MANSON. EL DEMANDE AU PUBLIC DE LES SACRI- surpris qu'il n'ait jamais entendu parler de Marilyn Manson, à moins qu'il ait été tellement barré
FIER POUR LA MUSIQUE ET HURLE QU'ILS NE COMMENCERONT PAS À JOUER TANT dans sa tête qu'il ne sache même plus qui il était lui-même. À ce moment-là, je suis tombé sur
QUE LES ANIMAUX NE SERONT PAS TOUS MORTS. Billy Corgan à qui j'ai refilé quelques cachets relaxants que j'avais dans ma poche. On a décidé
5 JE TÉMOIGNE AVOIR VU LA FOULE DÉCHIRER LES ANIMAUX, LEUR ARRACHER qu'ils allaient nous rendre un peu « fruités », et on s'est dit que ce serait un nom idéal si on mon-
LES MEMBRES. ILS MEURENT DANS LES PERES SOUFFRANCES OU PIÉTINES SUR LE SOL. tait un groupe ensemble. Et on est partis dans un long délire approfondi inspiré par cette dope
MANSON M'A EXPLIQUÉ QU'ILS SYMBOLISENT LA MORT DE L'INNOCENCE. J'AI VU CE fruitée, où on allait créer une expérience pleine de fruits appelée Fruity, mais qui n'existerait
CAMION QUI RESSEMBLE À UN PICK-UP RECOUVERT D'UNE BÂCHE QUI TRANSPORTE jamais, tout simplement parce que je ne savais plus où j'avais rangé ces pilules.
DANS DES CAGES TOUTES SORTES D'ANIMAUX QUI VONT ÊTRE SACRIFIÉS EN CONCERT. J'étais étonné de voir Billy aussi cool, car ça faisait des années que je me disais qu'il n'était
JE SUIS ALLÉ [NOM DISSIMULÉ], AVEC UN AMI QUI S'OCCUPAIT DES LUMIÈRES ET DU qu'un connard, d'après les lettres de haine spirituelles qu'au fil des ans je recevais des mains de
SON, CHERCHER DOUZE CHIOTS, QUE L'ON N'A PAS PU METTRE DANS LE PICK-UP CAR
Trent qui, à ce qu'on prétend, méprise Billy depuis un prétendu différend concernant, à ce qu'on
MANSON L'AVAIT DÉJÀ REMPLI. MANSON DEMANDE TOUJOURS À LA FOULE DE TUER
LES CHIOTS AVANT DE COMMENCER LE CONCERT AFIN QUE DU SANG INNOCENT prétend, Courtney car, lorsque Trent a, à ce qu'on prétend, baisé Courtney (ce qu'il a toujours
SALISSE LES MAINS DU PUBLIC. nié), Billy a lui, à ce qu'on prétend, baisé la prétendue copine de Trent (c'est ce qu'il prétend).
Enfin, c'est ce que j'ai entendu dire.
6 TOUS LES CONCERTS DE MANSON AUXQUELS J'AI ASSISTÉ ÉTAIENT STRICTE- Ensuite, j'ai essayé de refiler des pilules fruitées à Conan O'Brien en lui disant qu'il s'agissait
MENT CONTRÔLÉS PAR LE SERVICE DE SÉCURITÉ DE MANSON. AUCUNE FORCE DE
de Prozac, et il avait vraiment l'air intéressé. Il s'est contenté de sourire avec sa drôle de tête de
POLICE N'ÉTAIT ADMISE DANS LES SALLES. S'IL ARRIVAIT QU'UN OFFICIER DE POUCE
S'APPROCHE D'UN VIGILE, MANSON ÉTAIT IMMÉDIATEMENT PRÉVENU PAR LES bébé effrayant, puis il s'est éloigné pour parler à un ami. C'est étonnant les choses auxquelles on
OREILLETTES QU'Dl PORTE SUR SCÈNE. MANSON POSSÈDE UNE ÉQUIPE SPÉCIALE, peut échapper lorsqu'il y a un truc qui cloche dans l'un de vos yeux, que votre maquillage déborde,
QU'IL APPELLE SES PÈRES NOËL, DIS S'APPROCHENT DE LA FOULE PAR LES CÔTÉS ET que vous mesurez 1,90 m, et que vous êtes accompagné par une espèce de cinglé qui s'est rasé le
DISTRIBUENT DE L'HERBE ET DE LA COCAÏNE AU PUBLIC EN COMMENÇANT PAR front pour finalement ressembler à un croisement entre Gregory Hines et un Klingon sorti de Star
DEVANT. LES GENS SONT TOUS SI DÉFONCÉS QUE ÇA SATURE L'AUDITORIUM. TOUS Trek et qui aurait pris du crack après une séance de chimiothérapie. (Twiggy, si tu lis ces lignes,
LES MEMBRES DE LA SÉCURITÉ SONT CLEAN, CAR MANSON A TOUJOURS VOULU QUE
je te prie de bien vouloir m'excuser.) Ensuite, je crois me rappeler que j'ai croisé Tom Arnold. Il
SON ROCK AND ROLL SHOW AIT L'AIR TOUT À FAIT INNOCENT AUX YEUX DE LA PRESSE
ET DU PUBLIC. m'a fait l'effet d'un type qui avait pris du speed. Je lui ai demandé où se trouvait la dope parce
que je lui faisais le même clin d'œil que je croyais avoir échangé un peu plus tôt avec Flavor Flav.
Il m'a juste fait un « chut » de connivence, auquel j'ai répondu : « Pas de problème, tu me rap-
[À SUIVRE] pelles plus tard. »
[À SUIVRE]
DÉCLARATION SOUS SERMENT [SUITE] NEW YORK [SUITE]
Quelqu'un m'a pris à part en me disant qu'il fallait absolument que je fasse cette interview.
7 JE TÉMOIGNE QUE MANSON EXHIBE SES PARTIES LES PLUS INTIMES SUR SCÈNE ET Je me suis donc retrouvé en compagnie de Billy, Twiggy et la copine de Billy, assis sur le canapé
JOUE CLAIREMENT AVEC ELLES DEVANT LA FOULE. SURTOUT AVEC SON PÉNIS : IL N'Y A depuis lequel Howard Stern faisait son émission de radio. Joan Rivers était debout en face de
RIEN D'ARTIFICIEL. JE L'AI VU S'APPROCHER DE SA GUITARISTE, QUI EST EN GÉNÉRAL TOTA- nous. C'était bruyant et chaotique : personne ne pouvait entendre ce que les autres disaient
LEMENT NUE, ET S'AMUSER AVEC SES PARTIES INTIMES DEVANT LA FOULE. MANSON FAIT (sauf nous parce que nous avions des casques sur les oreilles). Joan Rivers me montrait une
UN NUMÉRO D'EXHIBITIONNISTE À CHACUN DE SES CONCERTS, ET SYSTÉMATIQUEMENT
SA GUITARISTE EST NUE.
pancarte où elle avait écrit : « Il faut que je te parle. » Je me suis senti obligé d'expliquer à
Howard ce qui était en train de se passer, parce que en plus l'émission était filmée pour la télé.
8 JE TÉMOIGNE QUE LES MEMBRES DU GROUPE MARILYN MANSON ONT TOUS DES J'ai dit que Joan m'avait taillé une pipe dans les toilettes et que, depuis, elle ne me lâchait plus,
RAPPORTS ANAUX SUR SCÈNE DEVANT LA FOULE. elle voulait m'en faire une autre de meilleure qualité, enfin un truc dans le genre. Je lui ai fait
signe de me rejoindre et elle s'est approchée. Elle s'est agenouillée devant moi en me suppliant
9 JE TÉMOIGNE QUE DIFFÉRENTS MEMBRES DU GROUPE SE SONT APPROCHÉS DE MAN-
de lui accorder une interview. Tout ça collait à mon histoire — malgré ses gros seins lestés, elle
SON ET ONT PRATIQUÉ DES FELLATIONS SUR MANSON TOUT AU LONG DU CONCERT.
est encore pas mal pour son âge. Comme elle ne comprenait rien à ce que l'on disait, on l'a
10 JE TÉMOIGNE QUE MANSON ATTIRE LES SPECTATEURS SUR SCÈNE OU POUSSE LES humiliée jusqu'au bout.
SPECTATEURS, AVEC L'AIDE DE SON SERVICE DE SÉCURITÉ, À MONTER SUR SCÈNE ET À S'Y Après l'interview, on a traîné un moment, lorsque soudain une blonde bronzée s'est avan-
DÉSHABILLER. MANSON S'AMUSE AVEC EUX DE MANIÈRE SEXUELLE. ILS SONT EN GÉNÉ- cée vers moi — le contraire de ce que je recherche chez une femme — dans une robe jaune
RAL EMMENÉS BACKSTAGE OÙ MANSON POURRA ABUSER D'EUX À SA GUISE EN SORTANT
canari qu'elle semblait porter pour expier quelque chose qu'elle aurait fait dans une vie anté-
DE SCÈNE. MANSON RAMASSE AINSI LE PLUS DE FILLES POSSIBLE PENDANT SON SHOW. JE
rieure. Bien qu'elle ne soit pas le genre de fille qu'on tiendrait par la main en public, elle avait
TÉMOIGNE AVOIR VU PLUSIEURS FILLES SE BATTRE AVEC LE SERVICE DE SÉCURITÉ POUR
NE PAS MONTER SUR SCÈNE. JE CROIS QUE TOUT CELA ÉTAIT CONTRE LEUR VOLONTÉ. un côté glamour. Donc, cette femme jaune canari me demande un autographe car c'est une de
MAIS LA PLUPART SONT RAVIES À L'IDÉE D'ÊTRE CHOISIE POUR BAISER AVEC MANSON. mes grandes fans. Un peu agacé d'être interrompu, j'ai rapidement griffonné une signature,
tous les gens autour en moi me regardaient bizarrement, comme si j'étais en train de baiser la
11 JE TÉMOIGNE AVOIR VU MANSON FAIRE MONTER SUR SCÈNE UN PETIT GARÇON DE mère de quelqu'un ou de chier dans le bol à punch. Un peu plus tard, un type m'a appris qu'il
DIX ANS POUR LUI SOUHAITER UN BON ANNIVERSAIRE. MANSON A CHANTÉ « HAPPY
s'agissait de Jenna Jameson. Je lui ai demandé qui était Jenna Jameson et il m'a répondu qu'il
BIRTHDAY », PUIS L'A FAIT RESTER SUR SCÈNE TANDIS QU'IL PRATIQUAIT DES ACTES
SEXUELS (FELLATION...) TOUT EN DEMANDANT AU PETIT GARÇON S'IL AVAIT ENVIE DE s'agissait de la star du porno la plus célèbre du moment. Forcément, dans un coin de ma tête,
FAIRE LA MÊME CHOSE ET SI ÇA LUI PLAIRAIT. je me suis souvenu de mon trip d'acide à Fort Lauderdale, et qu'à l'époque Traci Lords avait
postulé pour jouer le rôle de la séductrice dans le film d'Howard Stern.
12 JE TÉMOIGNE AVOIR VU LE SERVICE D'ORDRE JETER DES PRÉSERVATIFS PAR DIZAINES Elle m'a demandé la permission de s'asseoir à côté de moi pendant la projection — elle
DANS LA FOULE TANDIS QUE MANSON DEMANDAIT AU PUBLIC D'AVOIR DES RELATIONS était soit vraiment innocente, soit une bonne actrice. On s'est donc dirigés vers la salle de pro-
SEXUELLES AVEC QUI ILS VOULAIENT. JE TÉMOIGNE AVOIR VU DES SPECTATEURS PRATI-
QUER DES ACTES SEXUELS DE TOUTES SORTES À TOUS LES CONCERTS DE MANSON AUX-
jection. Nous étions tellement mitraillés par les paparazzi que j'avais l'impression d'être dans
QUELS J'AI ASSISTÉ. JE CROIS QU'EN MOYENNE TRENTE POUR CENT DES SPECTATEURS SE ma salle de bains et de revivre mon premier trip d'acide sous les flashs. Pris de panique, j'ai
LIVRENT À CE GENRE DE PRATIQUE, OUVERTEMENT, AUX YEUX DE TOUS, À PRESQUE réussi à me calmer grâce à mes petites pilules fruitées. Lorsque je me suis assis, devant moi il
CHAQUE CONCERT. JE TÉMOIGNE AVOIR ASSISTÉ À DES VIOLS À LA PLUPART DES CONCERTS. y avait Kevin Bacon, derrière Sherman Helmsley. Corey Feldman a traversé la salle, et ce qui
LA FOULE DEVIENT FOLLE, LES FILLES SONT RETENUES CONTRE LEUR GRÉ ET VIOLÉES À est drôle, c'est qu'un membre du groupe s'était inscrit sous ce nom-là à l'hôtel. Corey Feldman
PLUSIEURS REPRISES À LA DEMANDE DE MANSON. m'a toujours amusé. Il avait fait un grand numéro d'acteur, dans Stand by Me, avec son oreille
difforme, lorsqu'il n'arrête pas de répéter : « Jeordie a baisé la chienne, Jeordie a baisé la
13 JE TÉMOIGNE QUE LE SERVICE DE SÉCURITÉ DE MANSON A DISTRIBUÉ DES ECSTA-
SIES LIQUIDES À DES ENFANTS QUI DEVAIENT AVOIR ENTRE NEUF ET ONZE ANS ET QUI, chienne. » Je répétais sans cesser cette phrase à Jeordie lorsqu'il baisait des chiennes, enfin des
SOUS L'EFFET DE CETTE « POTION D'AMOUR », ACCEPTAIENT D'AVOIR DES RELATIONS filles comme Courtney. (Je ne devrais sans doute pas écrire cela, car si quelqu'un me pique ce
SEXUELLES. J'AI DONC VU DES ENFANTS AVOIR DES RELATIONS SEXUELLES DANS LE PUBLIC journal et le détruit, ce sera certainement Courtney.)
PENDANT LES CONCERTS DE MARILYN MANSON. Corey était déguisé en Michael Jackson, et son costume le rendait encore plus stupide que
dans tous les films dans lesquels il avait tourné, ce qui était un véritable exploit surtout après
14 JE TÉMOIGNE AVOIR VU MANSON SE MASTURBER SUR SCÈNE ET ÉJACULER SUR LE
PUBLIC. sa prestation dans Dream a Little Dream (cinquième partie). Il me semblait normal de pré-
senter Corey Feldman à Sherman Helmsley car je connaissais leurs œuvres respectives depuis
15 JE TÉMOIGNE AVOIR VU À LA FIN DE SON SPECTACLE, MANSON FAIRE DES MESSES longtemps. Pour se serrer la main, ils ont été obligés de se pencher au-dessus de Billy Corgan
NOIRES AU COURS DESQUELLES IL PRÊCHE SUR UNE BIBLE SATANIQUE ET SUR DES LIVRES dont le crâne chauve est devenu le point de rencontre entre deux héros déchus de mon enfance :
TELS QUE ORANGE MAGIC, GREEN MAGIC ET BLACK MAGIC. LA LONGUEUR DE SES PRÊCHES
M. Jefferson et Dorky le Tueur de Vampire venaient de faire connaissance.
DÉPEND DE SON ÉTAT D'EXALTATION. MANSON PROPOSE ALORS D'ÊTRE BAPTISÉ AU NOM
DE SATAN TANDIS QU'UNE VOIX HYPNOTISANTE LE COUVRE SUR LA SONO EN DEMANDANT Par la suite, j'ai continué de harceler Corey en lui mettant du rouge à lèvres partout, en le
À TOUT LE MONDE DE SE RAPPROCHER DE L'AUTEL. CETTE ZONE SE SITUE AU NIVEAU DE présentant à des inconnus. Comme il est de mon devoir de taper en dessous de la ceinture, je
LA FOSSE. CETTE INVITATION EST PARTICULIÈREMENT EFFICACE PARCE QUE, À CE MOMENT- lui ai dit que j'étais un grand fan du rap qu'il avait fait à la télévision, alors que c'était une des
LÀ, LE PUBLIC EST TOTALEMENT DÉFONCÉ. pires merdes jamais enregistrées, et pourtant juste assez cool pour ne pas être la pire chanson
que j'aie jamais entendue.
[À SUIVRE]
DÉCLARATION SOUS SERMENT [SUITE] NEW YORK [SUITE]
Dès le début du film, Jenna Jameson n'a cessé de faire des commentaires du genre : « Alors
16 JE TÉMOIGNE AVOIR ENTENDU MANSON APPELER À UN SACRIFICE VIRGINAL qu'est-ce qu'on fait après ? On va boire un coup dans un bar ? On traîne ? Ouah, j'arrive pas à
AU COURS DUQUEL TOUS LES ENFANTS SONT POUSSÉS SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE croire que je suis assise à côté de toi... » Tout ça ponctué de tout un catalogue d'expressions
POUR ÊTRE OFFERTS À SATAN. comme : « J'suis une pute, j'suis vierge, j'suis ta maman, j'suis ta fille. » Elle avait toutes sortes
d'attitudes, style poupée gonflable. Il y a une scène dans le film au cours de laquelle Howard est
17 JE TÉMOIGNE AVOIR VU MANSON PSALMODIER UNE BIBLE SATANIQUE, PRO- au cinéma, assis à côté d'une célèbre actrice de série B qui lui pose la main sur la jambe. Au même
NONCER DES INCANTATIONS EN DIRECTION DES ENFANTS QUI SONT VENUS OU ONT instant, Jenna a posé la main sur ma jambe, ce qui m'a instantanément déstabilisé car le rôle joué
ÉTÉ POUSSÉS SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE ET ASPERGER TOUS LES ÉLÉMENTS DE CE par cette actrice de série B devait au départ être interprété par Traci Lords.
GROUPE AVEC DU SANG DE PORC. ENSUITE MANSON DEMANDE AUX « PRÊTRES » D'AS- La main de Jenna est lentement remontée le long de mon entrejambe, et comme je n'avais
SISTER CHAQUE PERSONNE, DE PRENDRE LEUR NOM, ADRESSE ET NUMÉRO DE TÉLÉ- pas pris de coke, j'ai eu une érection. En fait, j'en aurais eu une quand même, car elle avait une
PHONE POUR GARDER LE CONTACT AVEC EUX. MANSON LEUR OFFRE DES BIBLES façon tout à fait magique de se servir du bout de ses doigts. Après la projection, on est allés au
SATANIQUES ET L'ADRESSE DES ÉGLISES SATANIQUES DANS LESQUELLES ILS DOIVENT
Whiskey Bar dans ma limousine. Elle était accompagnée d'une amie à qui personne ne voulait
SE RENDRE.
parler parce qu'elle n'était pas star du porno, et le fait qu'elle ne soit pas habillée en jaune la fai-
18 JE TÉMOIGNE QUE, PENDANT LE CONCERT, MANSON FAIT VENIR SUR SCÈNE
sait paraître fade comparée à Jenna. Jenna avait peut-être décidé, par amitié, d'agir avec sa copine
DES ENFANTS MINEURS, ENTRE QUATORZE ET DIX-SEPT ANS, ET LES ENFERME DANS comme au golf, en la faisant partir avec un handicap.
UNE CAGE. CETTE CAGE EST ENSUITE PLACÉE AU MILDZU DE LA FOULE TANDIS QUE Au bar, on s'est assis entre Billy Corgan et Rick Rubin. Jenna ayant ma veste sur ses genoux,
MANSON DEMANDE AU PUBLIC DE TAPER SUR LES PRISONNIERS. CES ENFANTS FONT elle m'a pris la main pour la glisser sous sa jupe afin que je constate qu'elle ne portait pas de
PARTIE DE LA TROUPE DE MANSON. culotte. J'étais donc là, ma main en elle, tout en essayant de convaincre Billy Corgan assis à ma
gauche que s'il mettait une chemise jaune avec un zigzag noir dessus, il ressemblerait à Charlie
19 J'AI VOYAGÉ À BORD DU BUS DE TOURNÉE DE MANSON UNE DEMI-DOUZAINE Brown. Mais j'étais tellement saoul et raide que la barbe de Rick Rubin ressemblait à un nuage
DE FOIS, ET JE TÉMOIGNE AVOIR VU DES FILLES ET DES GARÇONS MINEURS recouvrant toute la pièce. Tout le monde avait sa barbe. J'ai regardé autour de moi. Jenna avait
ENTIÈREMENT NUS ET ATTACHÉS SUR LEUR SIÈGE AVEC DES MENOTTES. À CHAQUE une barbe, je sentais la barbe sous sa jupe, Billy Corgan a eu tout à coup la tête recouverte de
VOYAGE, LES VISAGES ÉTAIENT DIFFÉRENTS. JE SAIS JUSTE QUE J'AVAIS DÉJÀ VU LEURS poils de barbe de Rick Rubin. ZZ TOP est apparu dans la voiture d'Eliminator et une poignée
VISAGES À LA TÉLÉ, ET QU'ILS ÉTAIENT TOUS SIGNALÉS COMME AYANT DISPARU OU de filles chaudes en est descendue. Tous les gens avec qui j'avais baisé étaient là, ils portaient tous
FUGUÉ. la barbe. J'ai stressé, j'ai commencé à piquer une crise, surtout que pendant ce temps je ne savais
plus où était passé mon doigt. Lorsque je l'ai enfin récupéré, je n'osais ni le regarder ni le sentir
20 JE TÉMOIGNE AVOIR VU UNE VIDÉO QUE MANSON M'A MONTRÉE EN parce que, s'il sentait bon, je voudrais partager l'odeur avec Billy Corgan, mais s'il sentait mau-
NOVEMBRE 1996. LE TITRE ÉTAIT BAIN DE SANG. SUR LA VIDÉO ON POUVAIT VOIR MAN- vais, je ne voulais pas risquer de ruiner une soirée qui, je l'espérais, allait être sympa. J'ai donc
SON JOUER DE LA GUITARE. IL ÉTAIT ENTOURÉ DE GENS QUI SE PRENAIENT POUR choisi de glisser ma main sous mes fesses afin qu'aucune odeur ne s'en dégage.
DES VAMPIRES ET SE MORDAIENT LE COU. PUIS UN HOMME EST SORTI DU GROUPE
En remontant dans la limousine, je lui ai demandé si elle voulait venir chez moi. Mais elle
POUR POIGNARDER UNE FEMME À PLUSIEURS REPRISES. ENSUITE, UNE DIZAINE DE
m'a dit que quelqu'un l'attendait à son hôtel. Puis elle a fait des messes basses à sa copine, je ne
PERSONNES SE SONT APPROCHÉES DE LA FEMME ENSANGLANTÉE, L'ONT LITTÉRA-
LEMENT VIDÉE DE SON SANG ET SE SONT BAIGNÉES DEDANS. ILS SE SONT COUVERT
sais pas si c'était en ourdou, en hollandais, en sourd et muet ou en hiéroglyphes. Grâce à mes
LE CORPS DE SON SANG. C'ÉTAIT UNE OFFRANDE À SATAN. ILS SEMBLAIENT TOUS
années de recherche linguistique et archéologique sur les codes féminins, j'ai découvert qu'elle
SOUS L'EMPRISE DE LA DROGUE ET LA FEMME QU'ILS AVAIENT TUÉE SEMBLAIT VOU- était mariée et que son mari l'attendait : c'était fantastique, j'avais encore plus envie d'elle. Elle
LOIR MOURIR. est bien évidemment rentrée avec moi, et je me suis souvenu de la scène du film où le personnage
qui aurait dû être joué par Traci Lords prend un bain avec Howard Stern. Et pourquoi pas avec
21 LE VISIONNAGE DE BAIN DE SANG M'A FAIT CRAINDRE POUR MA PROPRE SANTÉ Jenna ? La seule chose dont je me souvienne vraiment de cette nuit-là, c'est qu'elle avait un
MENTALE : J'AI EU SI PEUR QUE J'AI PRIS LA DÉCISION DE NE PLUS VOIR CES GENS. ILS tatouage sur le cul : Brise-cœur. Mais ce n'était peut-être qu'un rêve, car aux États-Unis tous
M'ONT ENVOYÉ CINQ OU SIX BILLETS ET PASSES POUR ALLER BACKSTAGE AU CONCERT ceux qui ont eu l'occasion de voir l'un de ses films sont au courant. Par contre, si ça n'a été qu'un
DU 5 FÉVRIER 1997 À OKLAHOMA CITY. ILS NE SAVENT PAS QUE J'AI DÉCIDÉ DE CHAN- rêve, il a été très très pollué.
GER DE VIE, ET QUE JE SUIS TOTALEMENT IMPLIQUÉ À [NOM DISSIMULÉ], ET QUE JE
CONSACRE MA VIE À JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR. JAPON, LE 11 MARS
Je me sens dans la peau de quelqu'un qui aurait une fille et qui ne permettrait à personne de
2 2 JE TÉMOIGNE AVOIR VU MARILYN MANSON ARRIVER AVEC UNE BREBIS SUR
SCÈNE, ET, D'OÙ J'ÉTAIS PLACÉ, J'AI VU MANSON AVOIR DES RELATIONS SEXUELLES
la baiser (et surtout pas moi), et en même temps je me sens dans la peau de quelqu'un qui, si
AVEC ELLE. j'étais cette fille, aurait plus envie de la baiser que n'importe qui d'autre.

23 POUR LA SUITE, VOTRE SERVITEUR NE PEUT CONFIRMER. NON DATÉ


J'en ai ras le bol des gens qui nous reprochent d'avoir des T-shirts sur lesquels est inscrit :
FAIT CE JOUR, LE 21 JANVIER 1997 « Tuez vos parents et tuez un chien. » Sur le T-shirt, il y a en fait : « Attention : la musique de
Marilyn Manson peut contenir des messages qui vont TUER DIEU dans votre esprit immature.
[NOM DISSIMULÉ] [ADRESSE DISSIMULÉE] Au bout du compte, vous allez finir par être convaincu de tuer VOS PARENTS et finalement,
par un réflexe désespéré et très rock and roll, de VOUS SUICIDER »
DÉCLARATION FAUSSE ET DIFFAMATOIRE DISTRIBUÉE
PAR L'AMERICAN FAMILY ASSOCIATION [À SUIVRE]
*MARILYN MANSON VA SE SUICIDER AU COURS DE SON CONCERT DE HALLOWEEN
NON DATÉ [SUITE]
EN FAISANT SAUTER LA SALLE DÈS QU'ELLE SERA PLEINE.
Donc, s'il vous plaît, brûlez vos disques pendant qu'il y a encore de l'espoir. Ils ne s'aperçoi-
*MARILYN MANSON S'EST FAIT RETIRER TROIS CÔTES POUR POUVOIR SE SUCER LA BITE.
*J'AI ENTENDU DIRE QU'IL SE TAILLAIT UNE PIPE SUR SCÈNE ET QU'IL RECRACHAIT SON vent même pas que j'essaie de les aider. J'ai déjà dit des millions de fois que si plus de crétins se
SPERME SUR LE PUBLIC. suicidaient sur des chansons imbéciles, il y aurait moins de crétins sur terre. Les T-shirts et les
*J'AI ÉGALEMENT ENTENDU DIRE QU'AU COURS D'UN DE LEURS DERNIERS CONCERTS, ILS musiciens n'ont jamais tué de gens. Le manque d'éducation, oui. Si on veut condamner l'art, alors
SONT MONTÉS SUR SCÈNE AVEC DEUX DES CÔTES PRÉTENDUMENT ENLEVÉES, ET QU'ILS S'EN pourquoi fait-on étudier Roméo et Juliette à l'école ? Ce n'est jamais que l'histoire de deux mômes
SONT SERVIS POUR JOUER DE LA BATTERIE. EST-CE VRAI ? qui s'entre-tuent pour une raison capitale : leurs parents ne les comprennent pas.
*MON AMI AFFIRME QUE MANSON A TUÉ SA FEMME PARCE QU'ELLE ÉTAIT ENCEINTE, PUIS
IL A SORTI LE BÉBÉ QU'IL A APPELÉ LUCD7ER SATAN DAMIAN (LSD), AVANT DE LE METTRE DANS NON DATÉ
UNE CRÈCHE ABORTIVE. Si je m'étais vraiment fait retirer des côtes, j'aurais passé plus de temps à me sucer la bite dans
*MANSON JOUAIT PAUL DANS LES ANNÉES COUP DE CŒUR. Les Années coup de cœur qu'à cavaler derrière Winnie Cooper. Mais aussi sur scène, je n'aurais
*MANSON JOUAIT WINNIE COOPER DANS LES ANNÉES COUP DE CŒUR pas eu besoin de sucer la bite des autres. J'aurais sucé la mienne. De plus, qui perdrait son temps
*MANSON JOUAIT LE PETIT GARÇON DANS MR. BELVEDERE.
à tuer des chiots s'il arrive à sucer sa propre bite ? Je vais vite téléphoner à un chirurgien.
*J'AI ENTENDU DIRE QUE MARILYN MANSON ÉTAIT VRAIMENT LE TYPE DANS LES ANNÉES
COUP DE CŒUR, MAIS QU'IL A LUI-MÊME LANCÉ LA RUMEUR ET DÉCLARÉ QU'IL N'ÉTAIT PAS LÀ,
UNIQUEMENT POUR SE DÉBARRASSER DES GENS.
NON DATÉ
*MARILYN MANSON EST LE FILS DE CHARLES MANSON ET DE MARILYN MONROE. La nuit dernière, ou plutôt ce matin, une pute très laide, la quarantaine qui jouait à l'ado en
*J'AI ENTENDU DIRE QUE MARILYN MANSON FAISAIT PARTIE D'UN GROUPE CANNIBALE, racontant qu'elle était à la fois la cousine d'Anthony Kiedis, la sœur de Billy Corgan ou la mère
QU'EN FAIT C'EST UN NOIR QUI S'EST FAIT DÉCOLORER LA PEAU. de Shaquille O'Neal, est montée dans le bus. Elle était accompagnée d'une fille niaise et bronzée
*MARILYN S'EST FAIT FAIRE DES IMPLANTS MAMMAIRES - ET JE SAIS QUE C'EST VRAI. portant un appareil orthodontique qui me faisait penser qu'il s'agissait de sa fille. On a accepté
JE L'AI LU DANS UN MAGAZINE. qu'elles restent et on a réussi à les convaincre de sniffer de la poudre de singe des mers. Je leur ai
*MANSON EST UNE FEMME. ELLE S'HABILLE EN HOMME POUR POUVOIR raconté qu'il s'agissait de minuscules créatures ressemblant à des crevettes, et qui allaient gran-
COUCHER AVEC DES FEMMES. dir dans leur ventre. Je leur ai dit qu'il n'y avait rien de plus excitant que de sentir ces petites bêtes
*LE BUT DE MARILYN MANSON EST DE DÉMOLIR SAIGON. se balader dans le système sanguin — et qu'elles risquaient de planer comme jamais. À ma grande
*MARILYN MANSON S'EST COUPÉ UN ORTEIL POUR POUVOIR S'INJECTER DE L'HÉROÏNE
surprise, elles se sont jetées dessus. Et j'ai honte d'avouer que j'ai passé la nuit avec le laideron
DIRECTEMENT DANS LE MOIGNON.
qui essayait de me branler tandis qu'en bruit de fond il y avait une vidéo de Doom Génération.
*SA BITE EST TATOUÉE EN NOIR.
*LA SEULE RAISON POUR LAQUELLE TRENT A PRODUIT LE PREMIER ALBUM DE MARILYN J'ai essayé d'imaginer que Rose McGowan, la fille qui jouait dans le film, était à mes côtés. Je
MANSON EST QUE MANSON TAILLE DES PIPES D'ENFER. me souviens avoir lu une interview de Rose dans laquelle elle racontait son enfance de merde,
*UNE FILLE PRÉTEND QUE M. MANSON A EU DES RELATIONS SEXUELLES AVEC UN COCHON avec un père qui dirigeait une sorte de secte. Twiggy a fini par sauter « Face de métal » sur sa
DANS L'UNE DE SES VIDÉOS, MAIS JE N'AI JAMAIS VISIONNÉ CELLE-LÀ. couchette, ce qui n'a étonné personne. J'ai trop honte de faire partie de ce groupe.
*DES GENS DE MON ÉCOLE PRÉTENDENT QUE LE RÉVÉREND MANSON S'EST FAIT RETIRER
UNE PARTIE DES PIGMENTS DE SON ŒIL GAUCHE DE FAÇON À VOIR EN NOIR ET BLANC. NORMAL, ILLINOIS, LE 6 AVRIL 1997
*UNE FILLE AVEC QUI JE TRAVAILLE M'A DIT QUE MARILYN MANSON AVAIT VENDU SON ŒIL Je pourrais tuer le premier qui ose me dire que cette ville est tout ce qu'il y a de plus normal.
DROIT AU DIABLE ET QUE C'EST POUR CETTE RAISON QU'IL A TOUJOURS DU MAQUILLAGE Ça me laisse songeur : il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais je suis pourtant
ROUGE EN DESSOUS DE CET ŒIL. assez content de ce que j'ai fait sur cette tournée. Je voulais vraiment provoquer un choc sym-
*MANSON A FAIT RETIRER UN ŒIL À SA PETITE AMIE AFIN DE LA BAISER DANS L'ORBITE. bolique pour dénoncer le totalitarisme, je voulais qu'une partie du spectacle ressemble à une
*LE GRAND-PÈRE DE MARILYN MANSON LE VIOLAIT RÉGULIÈREMENT LORSQU'IL ÉTAIT réunion fasciste, pour bien faire comprendre que je suis contre la religion, etc., et aussi quelque
ENFANT, ET QUAND MANSON A TOUT RACONTÉ, SON GRAND-PÈRE LUI A ARRACHÉ L'ŒIL.
part contre le rock and roll, car le rock and roll peut être aussi aveugle que le christianisme. En
*ZIM ZUM A ACCEPTÉ DEJOUER DANS LE GROUPE UNIQUEMENT
POUR COUCHER AVEC MANSON. même temps, je voulais organiser un spectacle total, envers et contre tout, malgré tout ce qui
*DAISY ET MANSON ÉTAIENT AMANTS, MAIS MANSON L'A QUITTÉ POUR TWIGGY PARCE s'était passé avec les médias et les gens qui essayaient d'interdire nos shows. Comment Bowie a-
QUE CELUI-CI EST ANATOMIQUEMENT MIEUX LOTI QUE DAISY. t-il réussi à imposer des paroles comme « les Latinos, les Blacks... et les bars de pédés » ? Uni-
*J'AI ENTENDU DIRE QUE RÉV. À LA SUITE D'UNE INTERVIEW EST MONTÉ SUR SCÈNE ET A quement parce qu'il est conforme à ce qu'on attend de lui. La démarche d'Antichrist Superstar
RETIRÉ UNE BOUTEILLE DE COCA DE SON CUL. n'est pas du tout la même : j'y exprime tout ce que les gens ressentent mais n'osent pas extério-
*RÉV. SE FAISAIT DES ENTAILLES PROFONDES SUR LE COU AVEC UN COUTEAU, QUAND riser. C'est honnête. Je ne vise personne en particulier, je mets tout le monde dans le même sac, y
ACCIDENTELLEMENT IL A COUPÉ TROP PROFOND ET S'EST TRANCHÉ LA GORGE : TWIGGY A compris moi-même. Nous sommes tous des hypocrites, mais une fois qu'on l'a admis, on passe
ÉTÉ OBLIGÉ DE LUI TENIR LA GORGE SERRÉE JUSQU'À L'ARRIVÉE DU SERVICE D'URGENCE. outre pour être différents de ceux qui laissent diriger leur vie par des principes très stricts. Ça aide
*MANSON A TUÉ OU A EU DES RELATIONS SEXUELLES AVEC UN CHAT. JE ME SOUVIENS
à grandir. En tout cas, ça m'a aidé à grandir.
PLUS. (EN FAIT JE CROIS QU'IL L'A TUÉ.)
Je ne l'avouerai jamais, mais je vais l'écrire ici. Si je ne me suis jamais dégonflé au cours d'une
*MANSON A ENCULÉ UN ANE SUR SCÈNE ; LE MÊME SOIR, IL A AVALÉ UN CHAT ENTIER.
interview en racontant : « Ouais, c'est juste un personnage et cet album n'est qu'un concept »,
*MANSON A VOULU SE PRÉSENTER AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES,
MAIS IL S'EST INSCRIT TROP TARD. c'est que ce disque est beaucoup plus que ça pour moi. Quand les gens me demandent : « Vous
jouez un numéro ou non ?» je réponds oui et non. Ma vie est un numéro et c'est de cette façon
RUMEURS TRANSMISES PAR DES « FANS » VIA INTERNET. que j'exprime mon art.
« IL S'AGIT SANS DOUTE DU GROUPE LE PLUS ECŒURANT NON DATÉ
JAMAIS PRODUIT PAR UNE MAJOR. »
Je viens de recevoir un coup de téléphone de mon père. Il était en train de regarder Histoires
SÉNATEUR JOSEPH LIEBERMAN DU CONNECTICUT
vraies d'une patrouille sur l'autoroute et l'un des reportages relatait l'arrestation d'un type qui
« D'APRÈS CE QUE J'AI COMPRIS AU TRAVERS DES TEXTES ET DU MESSAGE, était recherché dans tout l'Ohio. Son coffre était rempli d'armes à feu. Il s'agissait d'un chré-
QUI ONT ÉTÉ CONFIRMÉS PAR LEUR COMPORTEMENT SUR SCÈNE, [MARILYN MANSON] tien fanatique édenté de vingt-cinq ans qui avait avoué se rendre en Floride pour tuer l'Anté-
ESSAIE DE DONNER SUR SCÈNE UNE IMAGE DÉGRADANTE DE LA FEMME, DE LA RELIGION christ. Cette émission est passée la semaine où nous devions jouer en Floride.
ET DE LA DÉCENCE TOUT EN FAISANT L'APOLOGIE DU SATANISME, DE LA DROGUE
ET DES MAUVAIS TRAITEMENTS AUX ENFANTS. CES GENS SONT DES POUBELLES AVRIL 1997
AMBULANTES. ILS SONT UNE PREUVE SUPPLÉMENTAIRE QUE LES VALEURS MORALES Je suis en train de plier la serviette en papier sur laquelle j'ai fait un brouillon pour expli-
DE NOTRE SOCIÉTÉ SONT EN TRAIN DE S'ÉCROULER. » quer sur MTV l'annulation, contre notre volonté, de notre concert en Caroline du Sud.
FRANK KEATING, GOUVERNEUR DE L'OKLAHOMA, LORS DU CONCERT
« Une fois de plus, les soi-disant serviteurs de Dieu ont confirmé qu'ils n'étaient que des
AU CHAMP DE FOIRE LOCAL
hypocrites. Ils ont illustré par leur hostilité que l'Église et l'État ressemblent de façon écœurante
« JE PENSE QU'IL EST TEMPS QUE LA NATION REJETTE MARILYN MANSON. CE QU'ILS à l'Allemagne nazie. Tout le monde en souffre : nous souffrons, nos fans souffrent, la consti-
FONT EST DES PLUS DÉGRADANTS. ILS INVITENT LES GENS À TUER ET À VIOLER. OSER tution des États-Unis souffre et nos culs bénis de politiciens de droite en Caroline du Sud souf-
AFFIRMER À UNE ÉPOQUE AUSSI PRÉOCCUPÉE PAR LE HARCÈLEMENT SEXUEL QUE LE frent parce qu'ils ne peuvent plus cacher à la population qu'ils ne sont que des connards de fas-
VIOL N'EST PAS TRÈS IMPORTANT - . . . C'EST INCROYABLE ! ET POURTANT ILS SONT EN cistes. Que peut-on espérer dans un État qui brandit encore le drapeau de la Confédération ?
TÊTE DES HIT-PARADES ET ROLLING ST0NE EXPI1QUE QUE CE SONT DES GENS TRÈS Vous voulez la révolution ? Vous allez l'avoir. »
CRÉATIFS. MAIS DE QUELLE SORTE DE CRÉATIVITÉ S'AGIT-IL ? »
PAT ROBERSTON, THE 700 CLUB 10 MAI 1997
Sean McGann, l'un de mes roadies, est mort la nuit dernière. Il avait picolé et a essayé de
« DE NOMBREUSES PERSONNES SAVENT QUEL NIVEAU DE DÉBAUCHE MARILYN descendre en rappel de la passerelle. Mais il avait oublié d'attacher les cordes. Je sais que je n'y
MANSON A ATTEINT : PORNOGRAPHIE INFANTILE, SODOMIE, SADOMASOCHISME,
suis pour rien, mais je me sens responsable, car s'il n'avait pas bossé pour moi, il serait sans
PÉDOPHILIE, SATANISME, ETC. LA POPULATION DU MINNESOTA EN EST CLAIREMENT
TROUBLÉE, MENACÉE ET DÉGOÛTÉE. NOTRE COMMUNAUTÉ MÉRITE MIEUX. doute toujours en vie.
« NOUS ESPÉRONS QU'À L'AVENIR VOUS CHOISIREZ LES ÉVÉNEMENTS CULTURELS J'ai sans doute vécu une vie relativement tranquille. À part ma chienne Aleusha, c'est la pre-
QUE VOUS SPONSORISEZ SUR DES CRITÈRES PLUS RAISONNABLES. PAR AILLEURS, mière personne proche de moi qui est morte. Ça me renvoie des années en arrière, lorsque je
NOUS PENSONS QUE CE SERAIT UNE EXCELLENTE CHOSE voulais tuer Nancy, ainsi que Bratt mon premier bassiste. Ça n'aurait servi à rien. La nature a
QUE VOUS ADRESSIEZ DES EXCUSES PUBLIQUES AUX VILLES DE MINNEAPOLIS toujours le dernier mot. Mais Sean méritait-il ça ?
ET DE ST PAUL QUI ONT DÛ SUBIR MARILYN MANSON. »
LETTRE DU MINNESOTA FAMILY COUNCIL À UNE CHAÎNE DE SUPERMARCHÉ ANTICHAMBRE, JOUR DE LA FÊTE DES MÈRES, 6 HEURES DU MATIN.
Aujourd'hui, j'ai appelé ma mère et pour la première fois je me suis rendu compte que j'avais
« NOUS LUTTONS POUR DIEU CONTRE SATAN. » dû être un môme très chiant et qu'elle avait dû en souffrir. Je lui ai dit que je l'aimais. J'ai sou-
FLORENCE HENSELL, DANS UNE LETTRE AU CONSEIL MUNICIPAL D'UTICA vent vu mon père ces derniers temps. Il est venu à plusieurs de mes spectacles. Il semble plus
À PROPOS DU CONCERT À L'AUDITORIUM DE LA VILLE sensible aux compliments que je ne le suis. Il se balade partout en disant qu'il est le père du Roi
de la Baise. Nous nous entendons beaucoup mieux que lorsque j'étais gamin. Quand les gens
«JE N'AI PAS L'HABITUDE D'INTERFÉRER AVEC LE LIBRE ARBITRE, ont commencé à accepter ma démarche, je crois que mes parents ont suivi.
MAIS DANS LE CAS PRÉSENT, JE NE COMPRENDS PAS POURQUOI
ON FAIT PAYER LES GENS POUR VOIR CETTE MERDE. »
PARIS, LE 29 MAI 1997
ALDERMAN RAY CLARK DE CALGARY À PROPOS DU CONCERT AU MAX BELL CENTER
Aujourd'hui, j'ai parlé à Snoop Doggy Dogg. Je ne sais pas si on peut appeler ça une conver-
« JE N'AVAIS JAMAIS ENTENDU PARLER D'UN GROUPE APPELÉ MARILYN MANSON sation, car j'avais beaucoup de mal à comprendre ce qu'il me disait. Je crois qu'il veut colla-
JUSQU'À IL Y A DEUX OU TROIS SEMAINES, LORSQUE J'AI ÉTÉ INONDÉ borer avec moi, d'une manière ou d'une autre ; il a parlé de marijuana aussi.
DE COUPS DE TÉLÉPHONE, AUSSI BIEN À MON BUREAU QU'À MON DOMICILE,
À PROPOS DU CONCERT QUI A LIEU CE SOIR AU WINGS STADIUM DE KALAMAZOO... NEW YORK, LE 15 JUIN 1997
LEUR MESSAGE EST UN APPEL À TUER DIEU, À TUER SES PARENTS ET À SE SUICIDER. Grâce à notre avocat Paul Cambria, nous avons gagné notre procès contre l'État du New
J'AI DISTRIBUÉ À TOUS MES COLLABORATEURS UN ARTICLE DE PRESSE Jersey, et ce soir nous allons pouvoir jouer à l'OzzFest au Giants Stadium, malgré les objections
DANS LEQUEL EST INSCRIT TOUT CE QUE M. MANSON RECONNAÎT AVOIR FAIT SUR de la direction du stade. (C'est amusant parce que j'ai vu le film Larry Flint il y a quelques jours,
SCÈNE : TOUT TYPE D'ACTES SEXUELS, AINSI QU'UN CERTAIN NOMBRE et mon copain Edward Norton — le petit ami de Courtney Love — y joue un mélange de Paul
DE VULGARITÉS AFIN DE PROMOUVOIR LA VIOLENCE DANS NOTRE SOCIÉTÉ. et de différents avocats ayant travaillé sur le procès Hustler.) Bien qu'on parle de cette affaire
NOUS AVONS DONC ÉTÉ AMENÉ À PRENDRE CETTE DÉCISION : TOUTE PERSONNE toutes les cinq minutes aux informations, je ne suis pas sûr que le public ait été au courant. On
DE MOINS DE DIX-HUIT ANS DEVRA ÊTRE ACCOMPAGNÉE DE SES PARENTS. DANS LA SEULE
a tout brisé, y compris nous-mêmes, par frustration, pour tenter de les faire sortir de leur apa-
VILLE DE KALAMAZOO, NOUS AVONS RECUEILLI PLUS DE DIX MILLE LETTRES
thie. J'ai fini par m'entailler gravement, et le personnel de santé présent n'a pas voulu me recoudre
POUR PROTESTER CONTRE LA TENUE DE CE CONCERT. »
DALE SHUGGARS, SÉNATEUR DU MICHIGAN sur place, pour une histoire d'assurance. Ils voulaient que j'aille à l'hôpital, mais j'ai préféré
rester backstage pour me soûler avec Pantera.
[À SUIVRE]
UNE REQUÊTE A ÉTÉ DÉPOSÉE POUR INTERDIRE LA NEW JERSEY SPORTS EXHIBITION
AUTHORITY ( « NJSEA ») DE PROGRAMMER MARILYN MANSON AU COURS DE LA « OZZFEST 97 »
NEW YORK [SUITE]
QUI SE TIENDRA AU GIANTS STADIUM LE 15 JUIN 1997. MARILYN MANSON EST UN GROUPE
DE HEAVY METAL QUE LE NJSEA A JUGÉ INADMISSIBLE. MARILYN MANSON N'AURA PAS LE
Il m'a ramené, ainsi que Twiggy et Pogo, dans sa maison de Dallas. Après avoir fait le
DROIT DEJOUER AU GIANTS STADIUM EN RAISON DES BARRAGES CRÉÉS SUITE À LA COLLI- tour des boîtes de strip-tease et s'être comportés comme les gens qui ont un autocollant « Je
SION AVEC LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS ET CONTRACTUELS BIEN ÉTABLIS... ' suis un rebelle » sur leur voiture sont censés le faire, je me rappelle vaguement que quelqu'un
LE 18 AVRIL 1997, LE NJSEA A PUBLIÉ UN COMMUNIQUÉ INTITULÉ « DÉCLARATION DU m'a glissé un acide dans la bouche et que je me suis réveillé dans une poubelle en essayant
NJSEA À PROPOS DE MARILYN MANSON ET DE L'OZZFEST ». CE COMMUNIQUÉ DÉCLARAIT d'empêcher un porc de me chier dessus.
QUE MARILYN MANSON N'AURAIT PAS LE DROIT DE JOUER AU GIANTS STADIUM ET QUE L'OZZ-
FEST SERAIT ANNULÉ POUR CAUSE DE PRÉSENCE DE MARDLYN MANSON À L'AFFICHE... CHICAGO, LE 19 JUIN 1997
LE NJSEA PRÉCISE QUE MARILYN MANSON EST RETIRÉ DE L'AFFICHE À CAUSE DES ANTÉCÉ- J'espérais que le public de l'OzzFest serait plus large d'esprit. C'est le type de public qui
DENTS DU GROUPE. D'APRÈS LE NJSEA, LA PRÉSENCE DE CE GROUPE PEUT REPRÉSENTER a grandi avec des groupes comme Black Sabbath et Alice Cooper, bref, des groupes qui se
DES RISQUES POUR LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET SALIR AINSI LA RÉPUTATION DU NJSEA ET
donnaient plus sur scène que la moyenne des groupes de rock and roll. Mais jusque-là, ce
L'EMPÊCHER PAR LA SUITE D'ÊTRE UN FORUM D'ORGANISATION LUCRATIVE DE CONCERTS...
LA MOTIVATION DU NJSEA EST CONFIRMÉE PAR LA CLAUSE SUR LAQUELLE LE NJSEA n'est qu'une bande de trous du cul habituels, bourrés et intimidés tellement ils sont embrouillés
APPUIE SON AUTORITÉ AFIN D'EXCLURE MARILYN MANSON DU CONCERT. DANS LE CONTRAT et veulent (peut-être) baiser avec moi, ce qui les emmerde vraiment. C'est une impression
QUE SOUMET LE NJSEA, UN ARTISTE PEUT ÊTRE EXCLU POUR « TERRAIN SUJET À OFFENSER étrange, je pense que je commence à aimer ça. Ça fait un bout de temps que nous ne sommes
LA MORALE PUBLIQUE, MANQUEMENT AUX PRÉTENTIONS EXIGÉES PAR LA PUBLICITÉ pas passés en tête d'affiche. Parfois une foule comme celle-là, qui me déteste autant, est aussi
AUTOUR DE L'ÉVÉNEMENT, VIOLATION DES RESTRICTIONS DANS LE CONTENU DE L'ÉVÉ- bonne qu'une foule qui m'adore : cela me donne envie de donner le meilleur de moi-même.
NEMENT, CLAUSES LUES ET APPROUVÉES PAR LES DEUX PARTIES À LA SIGNATURE DE L'AC-
CORD ». LE SEUL POINT DANS CETTE CHARTE SUR LEQUEL S'APPUIE LE NJSEA EST QUE LE
TORONTO, LE 31 JUILLET 1997
SPECTACLE DE MARILYN MANSON EST PAR AVANCE SOUPÇONNÉ D'ATTEINTE À LA MORALE
PUBLIQUE. CE QUI SEMBLE ÊTRE LA QUINTESSENCE DES RÉGLEMENTATIONS BASÉES SUR LE Aujourd'hui, la police m'a prévenu que, si je chantais la chanson de Patti Smith Rock and
CONTENU. Roll Nigger, je serais immédiatement arrêté pour incitation à la haine raciale. Pour déconner
avec ces crétins, je me suis rendu à leur convocation accompagné d'un ami noir, Corey, et
UN ARGUMENT SUPPLÉMENTAIRE DU NJSEA VEUT QUE LES PROBLÈMES DE SÉCURITÉ
LES AIENT POUSSÉS À REFUSER LA PARTICIPATION DE MARILYN MANSON AU GIANTS STA- d'Aaron, mon garde du corps. J'avais un képi de flic sur la tête et j'ai demandé à l'officier de
DIUM. MAIS LE NJSEA N'A APPORTÉ AUCUNE PREUVE QUE LA QUESTION DE LA SÉCURITÉ police ce qui le dérangeait dans notre spectacle. Nerveusement, il a feuilleté ses notes et m'a
ÉTAIT LÉGITIME ET NON PAS UN PRÉTEXTE. AU CONTRAIRE, AUCUNE ACTIVITÉ ILLÉGALE dit : « Il y a une chanson en particulier », comme s'il ne savait plus de laquelle il s'agissait. Il
OU VIOLENTE N'A ÉTÉ CONSTATÉE LORS DE L'ACTUELLE TOURNÉE DE MARILYN MANSON. finit par marmonner Rock and Roll Nigger, surtout pour ne pas offenser Corey qui semble
IL APPARAÎT QUE LES PLAIGNANTS ONT OBÉI AUX REQUÊTES DU NJSEA EN FAVEUR DE vouloir démonter tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un Blanc. Je me suis senti
CONCESSIONS AFIN DE RENFORCER LA SÉCURITÉ. obligé de lui expliquer que ce n'était pas moi, mais Patti Smith qui avait écrit cette chanson,
LE NJSEA A AVANCÉ ÉGALEMENT QUE LA PARTICIPATION DE MARILYN MANSON ALLAIT et qu'elle y dénonce justement la mise à l'écart et la discrimination des gens pour leurs idées,
NUIRE À SA RÉPUTATION ET À SA SOURCE DE REVENUS. PAR CONTRE, LE NJSEA A CONCÉDÉ leurs croyances ou leur art — ce que ce trou du cul était justement en train de faire. Comme
APRÈS CONFRONTATION VERBALE QUE LA DÉCISION D'EXCLURE MARILYN MANSON N'ÉTAIT
il ne semblait toujours pas comprendre, je me suis contenté de lui signifier que j'allais jouer
PAS BASÉE SUR L'ASPECT ÉCONOMIQUE DU SHOW EN QUESTION ; LE SHOW DEVAIT PAR
AVANCE APPORTER DES REVENUS SUBSTANTIELS. PAR CONTRE, LE NJSEA A AFFIRMÉ QU'À ce titre et qu'on verrait bien ce qu'il se passerait après.
CAUSE DE LA PRÉSENCE DE MARILYN MANSON IL NE POURRAIT SANS DOUTE PLUS UTILISER Bien que je lui aie affirmé que le show n'allait pas être modifié, j'en ai tout de même changé
LE STADE À L'AVENIR. L'ARGUMENT FOURNI PAR LE NJSEA N'EST PAS SUFFISAMMENT TAN- quelques petits trucs. J'ai enfilé un uniforme de policier, avec un badge qu'un fan m'avait
GIBLE POUR ÊTRE PERSUASIF. AUCUNE PREUVE ÉCRITE N'EST VERSÉE AU DOSSIER POUR JUS- offert et qui avait appartenu à un flic mort en service. J'ai également invité Corey sur scène
TIFIER CE QUI POURRAIT NUIRE À SA RÉPUTATION. LA COUR SE DÉCLARE DONC NON pour chanter, particulièrement les phrases dans lesquelles était cité le mot nègre.
CONVAINCUE. Pour le rappel et avant de commencer à chanter, j'ai fait cette déclaration au public : « Je
DE PLUS, IL APPARAÎT QUE LA REQUÊTE DU NJSEA DEMANDANT À TOUS LES ARTISTES DE vais vous raconter un truc qui vient de m'arriver. Il y a une chanson qui a été écrite il y a vingt
SIGNER UN CONTRAT AUTORISANT LE NJSEA À CONTRÔLER LA MORALITÉ DES CONCERTS ans par une femme qui s'appelle Patti Smith. Deux flics blancs sont venus me voir et m'ont
NE LEUR PERMET PAS DE RESTREINDRE L'ACCÈS, MÊME À UN FORUM PRIVÉ. IL PARAÎT CLAI- dit : «Vous ne pouvez pas chanter cette chanson.» Ils m'ont dit que c'était une chanson contre
REMENT DÉRAISONNABLE QUE LE GIANTS STADIUM ACCUEILLE TOUT UN CONCERT DE
les gens de couleur. C'est pourquoi je tiens à expliquer à ces deux idiots crétinisants que ce
GROUPES DE HEAVY METAL À L'EXCEPTION D'UN SEUL - MARILYN MANSON - QUI N'A
DÉMONTRÉ AUCUNE PROPENSION À COMMETTRE DES ACTIVITÉS ILLÉGALES SUR SCÈNE. titre parle de gens comme vous et moi, de gens qu'ils discriminent pour ce qu'ils sont. Comme
PAR CONSÉQUENT, LE NJSEA NE SOUFFRIRA AUCUN PRÉJUDICE IRRÉPARABLE EN AUTORI- ils nous ont discriminés aujourd'hui. Et ils sont incapables de comprendre. Ce sont vraiment
SANT MARILYN MANSON À JOUER AU GIANTS STADIUM... des connards de première. Je dédie cette chanson aux forces de police canadiennes. »
LE 7 MAI, IL A ÉTÉ ORDONNÉ QUE, EN ATTENDANT UNE AUDITION CONCERNANT UNE Tout le monde s'est rendu compte, le public comme le groupe, que personne ne haïssait
DEMANDE D'INJONCTION PERMANENTE, LE NJSEA EST PRÉLIMINAIREMENT ENJOINT ET les « nègres ». Par contre, nous haïssions tous les flics. Je n'ai pas été arrêté, je n'ai même pas
CONTRAINT À NE PAS INTERDIRE LES PLAIGNANTS DE PRÉSENTER AU CONCERT LEUR SHOW eu d'amende. Peut-être n'écoutaient-ils pas ? Ils devaient être plus occupés à chercher des
« MARILYN MANSON » AU GIANTS STADIUM LE 15 JUIN 1997. brosses dans les toilettes pour nous les mettre dans le cul.

DÉCISION RENDUE PAR LA COUR DE PREMIÈRE INSTANCE PORTUGAL, SEPTEMBRE 1997


DU NEW JERSEY, CONFIRMANT LE DROIT DU PLAIGNANT MARILYN Des tas de gens pourraient faire ce que je fais, même underground. C'est ce que nous avons
MANSON, INC. ET AUTRES DE JOUER AU CONCERT « OZZFEST »
fait pendant des années et personne ne faisait attention à nous. C'est uniquement lorsqu'on
AU GIANTS STADIUM, QUI AVAIT ÉTÉ ANNULÉ PAR L'ACCUSÉ LE NJSEA
entre dans les foyers que les gens s'intéressent. Mais ce que nous avons fait sur scène,
avec des bannières fascistes, les Bibles déchirées, la neige qui tombait du ciel, toutes les
. choses merveilleuses : le message est quand même plus sujet à controverse que de se mettre
à poil ou de tuer des chiens sur scène parce que c'est trop puissant et significatif. Je suis
fier, parce que au départ je n'osais pas le faire. Je ne savais pas si je pouvais m'en sortir.
J'aurais pu être démoli. Je me souviens de la première fois où nous avons fait écouter l'al-
bum à Jimmy [Lovine, le patron d'Interscope Records], il nous a dit : « C'est le meilleur
album de rock écrit depuis dix ans. Mais je ne veux pas que vous partiez sur de mau-
vaises bases, car personne ne va l'écouter. N'importe qui peut vendre 700 000 albums.
Sortez de votre garage. » Je lui ai répondu que la chose la plus importante pour moi était
d'avoir écrit des chansons que les gens chanteront, et dont ils se souviendront. Nous
avons pénétré le système d'une manière inattendue et ça, c'était une forme d'expression
artistique en soi.

BRÉSIL, SEPTEMBRE 1997


J'ai ouvert un biscuit chinois dans lequel la devise était : « Lorsque tous vos souhaits
auront été réalisés, nombreux seront les rêves qui s'écrouleront. » Bien, j'ai obtenu tout
ce que je voulais. Nous sommes le plus grand groupe des États-Unis. Nous avons reçu
des disques de platine. Nous avons fait la couverture de Rolling Stone, ce que Dr Hook
n'a jamais réussi à obtenir. Mais en chemin j'ai réussi à détruire et perdre tout ce que j'ai-
mais. Le monde me regarde comme moi je regardais mon grand-père. J'espère qu'ils
apprécient ce qu'ils voient, parce que moi, oui.

Je me sens comme un mélange d'Elvis Presley, de Jack Warner et du révérend Ernest


Angley, et ça me trouble. À force de bâtir mon succès sur mes échecs, je suis devenu ce
qui me faisait peur.

MEXICO, LE 17 SEPTEMBRE 1997


Le show de ce soir a été un véritable désastre, un soulagement, un fiasco, un combat
sans vainqueur, un mauvais trip. Twiggy s'est éclaté la main sur le dernier morceau de ce
tout dernier show en explosant sa basse. C'était l'illustration parfaite du rock and roll,
de ce que nous représentions. Nous avons vraiment progressé au cours de cette année et
je suis content que ça soit terminé. Je vois déjà l'Amérique, Nothing Records, nos amis
ainsi que les médias affirmer que nous sommes au sommet de notre carrière. Malheu-
reusement pour eux, cela ne fait que commencer.
REMERCIEMENTS
MERCI À ALEUSHA, ALYSSA, ANDREW ET SUZIE, LE RÉVÉREND ERNEST
ANGLEY, FIONA APPLE, TOM ARNOLD, DANIEL ASH, ASIA,
BIG DARLA, BLANCHE BARTON, SEAN BEAVAN, MRS. BURDICK,
PAUL CAMBRIA, CARL, CASEY, CHAD, CAROLYN COLE, COREY,
Muscular Artery of the Urethral Bulb.
BILLY CORGAN, KEITH COST, JOHN CROWELL ET SON FRÈRE, DAVE,
Inferior Hemorrhoidal. Urethral. FREDDY DEMANN, AARON DILKS, DIMEBAG DARRELL, EDEN,
Perineal. Deep Artery of the Penis. COREY FELDMAN, ROBIN FINCK, FLAVOR FLAV, FRANKIE, FROG,
Dorsal Artery of the Penis. MICHELLE GILL, JOHN GLAZER, SHERMAN HELMSLEY, JIMMY IOVINE,
JAY ET TIM, JOHN JACOBAS, JENNA JAMESON, JEANINE, JEBEDIAH,
JENNIFER, JESSICKA, JONATHAN, JACK KEARNIE, AU TROU DE BALLE DE
KELLY, BILL KENNEDY, RICHARD KENT, MARY BETH KROGER, XERXES
SATAN LAVEY, LENNY, MR. LIFTO, LISA, TRACI LORDS, LOUISE, COURTNEY
LOVE, DAVID LYNCH, LYNN, JOHN A. MALM JR., MARIE, MARK,
ROSE MC GOWAN, MISSI, MAÎTRESSE BARBARA, NANCY,

FIG. 561—The superficial branches of the internal pudendal artery.


CRÉDITS PHOTOS
p. ii Floria Sigismondi p. 207 Dean Karr
p. xiii Dean Karr p. 208 Myk Mishoe
p. 43 Floria Sigismondi p. 212 Floria Sigismondi
pp. 74-75 Dean Karr p. 214 Dean Karr
p. 77 Dean Karr p. 222 Dean Karr
p. 103 Joseph Cultice p. 229 Dean Karr
p. 112 Joseph Cultice p. 239 Joseph Cultice
p. 127 JefferyWeiss p. 264 Jen Syme (Navarro), Jim
pp. 128-129 Joseph Cultice Lanza (Papa et Zepp ;
p. 151 Jim Lanza Cambria et les autres),
p. 156 Kevin Mazur Melissa Au der Maur (Cor-
p. 157 Joseph Cultice gan), Jim Lanza (Ozzy)
pp. 166-167 Blanche Barton p. 268 Jim Lanza
p. 184 Joseph Cultice p. 270 Dean Karr
pp. 204-205 Dean Karr p. 271 Joseph Cultice

CAHIER PHOTOS COULEURS


p. 1 Joseph Cultice p. 8 Joseph Cultice
p. 2 Joseph Cultice p. 9 Dean Karr
p. 3 Dean Karr p. 12 Dean Karr
p. 4 Joseph Cultice p. 13 Jim Lanza
p. 5 Joseph Cultice p. 14 Dean Karr
p. 6 Dean Karr p. 15 Dean Karr
p. 7 Bob Mussell p. 16 Bob Mussell

FiG. 911.—Front of left eye with eyelids separated to show Toutes les autres photos font partie de la collection privée de l'auteur.
medial canthus.

Les illustrations page iv, tirées de L'Enfer de La Divine Comédie de Dante Alighieri,
sont d'Allen Mandelbaum (1980). Avec l'aimable autorisation de Bantam Books, divi-
sion de Bantam Doubleday Dell Publishing Group, Inc.

MARILYN MANSON FAMILY


25935 DÉTROIT RD., SUITE #329

S-ar putea să vă placă și