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OEUVRES COMPLÈTES
DE

SAINT AUGUSTIN

TOME QUATORZIEME
leurs droits. Toute, contrefaçon
•• •
A.. T?,ii.P,<rc oui se résejvent tous

ment, conformément aux


lois.
ŒUVRES COMPLÈTES
DE

SAINT AUGUSTIN
TRADUITES POUR LA TREMIERE FOIS EN FRANÇAIS

SOUS LA DIRECTION DE M. RAULX


Doyen de Vaucouleurs

rf

TOME QUATORZIÈME
/
^
'

ŒUVRES POLÉMIQUES Juifs, Manidiégns


/>'^'^
; , Priscillianistes , Ariens
;/ 0. M. 1

O'}...

Je voudrais joindre ensemble saint


Augustin et saint Chrysostome :

l'un élève l'esprit aux grandes


considérations; l'autre le ramène
à la capacité du peuple.
[Boss. Ed. de Bar, xi, Ml.)

•* dlBllOTHEOUeS O

O^ LIBRARIES
J>

BAR-LE-DUC, L. GUÉPJN & C'% ÉDITEURS

1869

BIBLIOTHECA
ŒUVRES

DE SAINT AUGUSTIN.

ŒUVRES POLÉMIQUES.

DES HERESIES.

Bien des fois, cher et saiut Quodviiltdeus ', essayer, demander, chercher, frapper, le ré-
tu m'as instamment prié d'écrire sur les , sultat me
semble toujours incertain une :

hérésies, un livre propre à intéresser ceux seule chose est pour moi hors de doute ;

qui veulent ne point tomber dans les erreurs c'est que je ne puis ni demander, ni chercher,

opposées à la foi chrétienne et capables de ni frapper suffisamment, si Dieu ne m'en ins-


séduire les âmes par leur faux air de chris- pire le désir et la volonté. J'entreprends donc
tianisme. Sois-en sûr, je n'avais pas attendu ce travail sur tes pressantes instances, et pour
jusqu'à ce jour pour y penser depuis long- : me conformer à la volonté de Dieu mais, :

temps j'aurais entrepris cette tâche, si, après pour m'aider à parvenir au terme, ce n'est
mûr examen, la difficulté et la grandeur d'un point assez, tu le vois, de me presser par d'in-
tel ouvrage ne m'avaient paru dépasser mes cessantes demandes ; il faut aussi me soutenir
forces mais comme tu m'as, plus que per-
; de tes ardentes prières de plus, en-
: il faut,
sonne, pressé de m'en charger^ j'ai pris en gager à intercéder auprès de Dieu en ma fa-
considération ton nom aussi bien que tes ins- veur ceux de tes frères que tu pourras déter-
tances, et je me suis dit: Je me mettrai à miner à le faire avec toi. Voilà pourquoi, le
l'œuvre, je ferai ce gîte Dieu veut, et j'aurai, Seigneur aidant, je me suis bâté d'envoyer à
ce me semble, la conscience d'avoir accompli ta Charité la première partie de mon livre et
son bon plaisir, si , avec le secours de sa ce prologue. Tous ceux d'entre vous qui pour-
grâce, je parviens au terme de mon travail, ront connaître, par ce moyen, que j'ai déjà mis
c'est-à-dire , soit à l'indiquer seulement la la main à l'œuvre, sauront combien ils doivent
difficultéd'une œuvre si importante soit à , m'assister (très de Dieu pour l'achèvement du
la surmonter complètement. Cette difficulté travail immense que vous désirez me voir
m'apparaît; je la médite et la retourne dans mener à bonne fin.

mon esprit: je la saisis, mais en Iriompherai- Si je juge de tes désirs par la teneur même
jc? Je n'ose me le promettre; car j'ai beau de ta première lettre de demande, tu voudrais
* Le nom de QuodvuUdeus signifie : Ce que Dieu veut. un traité court, concis et sommaire dans le-

S. AoG. — Tome XIV.


DES HÉRÉSIES.

quel je ferais connaître toutes les hérésies qui « ces matières par différents auteurs, et sur-
ont existé et qui existent encore, depuis l'ori- « tout par votre révérence ». En l'exprimant
gine de la religion chrétienne, héritage divin de la sorte, tu me demandes
comme un donc
promis à nos pères quelles erreurs les héré-
:
mémorial complet de toutes les erreurs et des
tiques ont soutenues et soutiennent ce qu'à : vérités que leur oppose l'Eglise. Voici ma ré-
rencontre de l'enseignement catholique ils ponse.
ont pensé autrefois et pensent aujourd'hui Un savant du nom de Celse a réuni en six ,

sur la foi, la Trinité, le baptême, la pénitence, volumes assez considérables, les opinions de
l'humanité et la divinité du Christ, la résur- tous les fondateurs des sectes philosoi)hique3
rection, Nouveau et l'Ancien Testament.
le qui ont paru jusqu'à son temps il ne pouvait :

Mais comprenant que la réponse à de telles aller plus loin ; mais il n'en a réfuté aucune :

questions serait de grande étendue, paru il t'a il exposées en assez peu de mots pour ne
les a
utile qu'on y joignît un abrégé contenant en point prendre à tâche de les blâmer ou de les
général, as-tu dit, tout ce en quoi ils s'écartent louer, de les soutenir ou de les défendre, se
de la vérité. Puis, tu as ajouté « Quelles sont : bornant à les énumérer et à les faire con-
a les sectes qui confèrent le baptême ou ne le naître : il parle d'une centaine de philoso-
« confèrent pas ? Celles dont l'Eglise baptise phes et pourtant tous n'ont pas établi une
, ,

« les anciens adeptes , sans néanmoins re- erreur nouvelle mais il a pensé qu'il fallait
:

« baptiser. Comment, enfin, reçoit-elle ceux citer même ceux qui avaient suivi les erreurs
«qui reviennent à elle? Que répond-elle à de leurs maîtres sans y rien changer. Nous
« chacun d'eux d'après la loi, l'autorité et la avops encore six livres, rédigés par un des
« raison ? » nôtres, Epiphane, évéque de Chypre. Cet
Ces diverses questions me font admirer auteur, mort depuis peu de temps, parle de
l'élévation d'un esprit qui souhaite si vive- quatre-vingts hérésies mais, à l'exemple de ;

ment connaître la vérité en tant de grandes Celse, il ne fait qu'un simple récit dépouillé
choses, et qui, néanmoins, réclame la brièveté de toute polémique eu faveur de la vérité
pour éviter l'ennui. Tu t'es aussi aperçu de ce contre l'erreur. Ces écrits sont très-succincts,
que pouvait me suggérer ce passage de ta lettre ; et si on voulait les réunir en un seul volume,
aussi, tu as couru au-devant de ma pensée en il serait loin d'équivaloir en étendue a tels
ajoutant : « Que votre béatitude le croie autres livres écrits par d'autres ou par nous.
« bien ;
je suis assez clairvoyant pour imagi- Si j'imite sa brièveté, tu n'auras ni ce que tu
« ner le nombre et la grandeur des volumes réclames de moi, ni ce que tu es en droit d'en
« qu'il faudra pour résoudre ces questions ; attendre. L'essentiel pour moi, en ce moment,
« mais ce n'est pas ce que je demande;, nous n'est donc pas de suivre les traces d'Epiphane;
« l'avons déjà ». Aussi, pour m'indiquer, sous les preuves que je l'en donnerai, et ta péné-
forme de conseil, la manière de demeurer tration d'esprit suffiront à te le faire com-
concis tout eu exposant la vérité, tu reviens à prendre , lorsque j'aurai terminé mon ou-
ta première recommandation « Surtout, que : vrage. En lisant les livres de cet écrivain, tu
« votre méthode soit brève et serrée dans ce verras tout ce qui leur manque pour ressem-
« coni]iendium, où vous exjjoserez, sufflsam- bler au travail que tu me demandes de faire,

« ment pour instruire, les opinions de chaque et à plus forte raison, que je con- à celui
« hérésie, et la doctrine de l'Eglise catholique çois moi-même. Tu demandes une réfutation
«opposée à chacune d'elles». Mais c'est de courte, concise et sommaire de toutes les
nouveau réclamer un long ouvrage; non pas hérésies qu'on énumérera; mais, enfin, tu
qu'on ne puisse ou qu'on ne doive l'exécuter veux qu'on les réfute c'est ce qu'Epiphane ;

avec concision, mais parce qu'il y a tant de n'a pas fait. Pour moi, Dieu aidant, je veux
sujets à traiter, qu'il est indispensable d'y con- aller plus loin : avec mon livre, il sera possible
sacrer un grand nombre de pages et pour- ; d'éviter toute hérésie connue ou inconnue :

tant tu me dis « Faites un résumé complet


: : on pourra devenir capable déjuger sainement
« si (|uel(iu'un veut connaître d'tuie manière de celles qui pourraient surgir. Sache-le bien :

« plus ample, plus claire et plus approfondie, toute erreur n'est pas une hérésie quoique ;

« l'objection et la réponse, il ira consulter les aucune opinion mauvaise ne puisse être une
« précieux et magniliijues ouvrages écrits sur hérésie qu'autant qu'elle s'appuie sur quel-
DES HÉRÉSIES.

que erreur. A mon avis, il est très-difficile, XXXI. Les Adamiens,


sinon impossible, de comprendre, d'une ma- XXXII. Les Elcéséens et les Sampséens,
nière précise, ce qui constitue l'hérésie : je XXXIII. Les Théodotiens,
m'efforcerai , néanmoins, de l'expliquer dans XXXIV. Les Melchisédéciens,
le cours de cet ouvrage, si le Seigneur daigne XXXV. Les Bardésanistes,
éclairer mon intelligence et diriger mon rai- XXXVI. Les Noétiens,
sonnement vers le but que je me propose XXXVII. Les Valésiens,
d'atteindre : lors même que nous ne par- XXXVIII. Les Cathares ou Novatiens,
viendrions point à connaître le caractère dis- XXXIX. Les Angéli<]ues,
tinctif de l'hérésie , nous verrons et nous XL. Les Apostoliques,
dirons en temps et lieu, de quelle utilité peu- XLI. Les Sabelliens ou Patripassiens,
vent être nos recherches ; car si nous réus- XLII. Les Origénistes,
sissons à avoir une idée juste, il est facile de XLIII. D'autres Origénistes,
comprendre quel avantage on en retirera. La XLIV. Les Paulinianistes,
première partie de cet ouvrage roulera donc XLV. Les Photiniens,
sur les hérésies qui ont attaqué la doctrine de XLVI. Les Manichéens,
Jésus-Christ, depuis sa venue en ce monde et XLVII. Les Hiéracites,
son ascension glorieuse, autant, du moins, XLVIII. Les Méléciens,
que nous avons pu les connaître dans la : XLIX. Les Ariens,
seconde nous chercherons à bien définir en
, L. Les Vadianitesou Anthropomorphiies,
quoi consiste l'hérésie. LI. Les Semi-Ariens,
Lorsque le Seigneur fut monté au ciel, on LU. Les Macédoniens,
vit paraître : LUI. Les Aériens,
L Les Simoniens, LIV. Les Aétiens ou Eunomiens,
II. Les Ménandriens, LV. Les Apollinaristes,
III. Les Saturniniens, LVI. Les Antidicomarites,
IV. Les Basilidiens, LVII. Les Massaliens ou Euchites,
V. Les Nicolaïtes, LVIII. Les Métangismoniles,
VI. Les Gnostiques, LIX. Les Séleuciens ou Hermiens,
VII. Les Carpocratiens, LX. Les Proclianites,
VIII. Les Cérinthiens ou Mérinlhiens, LXI. Les Patriciens,
IX. Les Nazaréens, LXII. Les Ascites,
X. Les Ebionites, LXIII. Les Passalorynchites,
XI. Les Valentiniens, LXIV. Les Aquariens,
XII. Les Sécundiens, LXV. Les Coluthiens,
XIII. Les Plolémaïtes, LXVI. Les Floriniens,
XIV. Les Marciles, LXVII. Ceux qui ne sont pas d'accord sur
XV. Les Colorbasiens, l'état du monde,
XVI. Les Héracléonites, LXVIII. Ceux qui marchent nu-pieds,
XVII. Les Ophites, LXIX. Les Donatistes ou Donatiens,
XVIII. Les Caïnites, LXX. Les Priscillianistes,
XIX. Les Séthiens, LXXI.Ceux qui ne mangent pas en société,
XX. Les Archonticiens, LXXII. Les Rhétoriens,
XXI. Les Cerdoniens, LXXIII. Ceux qui disent qu'en Jésus-Christ
XXII. Les Marcionites, la divinité a souffert,
XXIII. Les Apellites, LXXIV. Ceux qui reconnaissent trois formes
XXIV. Les Sévériens, en Dieu,
XXV. Les Tatianites ou Encratites, LXXV. Ceux qui disent l'eau coéternelle à
XXVI. Les Cataphrygiens, Dieu,
XXVII. Les Pépuzieus ou Quintilliens, LXXVI. Ceux qui ne veulent pas voir dans
XXVIII. Les Artotyrites, l'âme l'image de Dieu,
XXIX. Les Tessarescédécatites, LXXVII. Ceux qui pensent que les mondes
XXX. Les Alogiens, sont innombrables,
DES HERESIES.

LXXVIII. Ceux qui soutiennent que les âmes ca^,dont les lettres, suivant la manière de
se changent en démons ou en animaux, compter des Grecs, forment un pareil nombre.
LXXIX. Ceux qui prétendent que, par sa Il y en a sept a, p, p, a, a, a, l
: c'est-à-dire, un, ;

descente aux enfers, le Christ a délivré toutes deux, cent, un, deux cent, un, soixante : ce
les âmes, qui fait, en tout, trois cent soixante-cinq.
LXXX. Ceux qui soutiennent que la généra- V. Les Nicolaïtes tiraient leur nom de Ni-
tion divine du Christ a eu lieu dans le temps, colas, l'un des sept diacres qui avaient été or-
LXXXl. Les Lucifériens, donnés par les Apôtres '. Accusé d'un attache-
LXXXII. Les JovinianisteSj ment excessif à une très-belle femme qu'il

LXXXIII. Les Arabiques, avait épousée, Nicolas voulut dissiper ce soup-


LXXXIV. Les Helvidiuns, çon et offrit, dit-on, de la livrer à quiconque

LXXXV. Les Pateruiens ou Vénustiens, voudrait devenir son mari. Ce fait servit de
LXXXVL LesTertullianistes, prétexte à la formation d'une secte corrompue
LXXXVII. Les Abéloïtes, dans laquelle s'établit la communauté des
LXXXVUl. LesPélagiens ou Célestiens. femmes. Les Nicolaïtes ne font aucune diffi-
L Les Simoniens étaient attachés au parti culté de se nourrir de viandes immolées aux
de Simon le Magicien dont il est parlé aux , idoles, et pratiquent d'autres cérémonies du
Actes des Apôtres. Ce personnage reçut le culte païen. llsracontentencore,surle monde,
baptême de la main de saint Philippe et , des choses vraiment fabuleuses, mêlant à leurs
quand il vit queles Apôtres donnaient le Saint- discours je ne sais quels noms barbares de
Esprit par l'imposition des mains, il leur offrit princes, propres à effrayer leurs auditeurs ,

de l'argent pour obtenir d'eux le même pou- plus capables de faire rire que de faire trem-
voir. Ses magies lui avaient servi à trom- bler les personnes prudentes. Ils attribuent
per un grand nombre de personnes '; et il aussi la création, non à Dieu, mais à des es-
enseignait l'abominable communauté des prits auxquels ils croient réellement, ou que
femmes. Selon lui, Dieu n'a pas créé le leur folle vanité les porte à imaginer.
monde les corps ne doivent pas ressusciter.
: VI. Les Gnostiques se vantent d'avoir été ou
Il assurait qu'iT était le Christ, et se faisait dû être appelés de ce nom à cause de l'éten-
passer pour Jupiter : Minerve était person- due de leur science ils sont plus vaniteux et
:

nifiée par lui en une personne de mauvaise plus corrompus que ceux qui les ont précédés.
vie, nommée Hélène, dont il avait fait la com- Comme ils portent différents noms, selon qu'ils
plice de ses crimes ; il donnait à ses diciples habitent un pays ou un autre, appelés ici d'une
son portrait et celui de cette concubine, comme manière, et ailleurs d'une façon différente ,
des objets dignes d'adoration, et à Rome il quelques-uns les désignaient sous le nom de
les avait fait placer, par autorité publiijue ,
Borborites ou libertins, en raison des turpitu-
parmi les images des dieux. Ce fut dans cette des excessives auxquelles ils ont la réputation
ville que saint Pierre mit fin à ses magies, en de s'abandonner dans leurs mystères. D'autres
le faisant mourir, parla vertu toute-puissante supposent qu'ils tirent leur origine des Nico-
de Dieu. laïtes. D'autres encore en font les disciples

IL Le chef des Ménandriens fut Ménandre, de Carpocrate, dont nous allons parler. Leur
magicien lui-même comme Simoa, son maî- doctrine est rem|)lie des fictions les plus in-
tre : il attribuait la création du monde, non à vraisemblables. A l'exemple des Nicolaïtes, ils
Dieu, mais aux anges. séduisent les âmes faibles, en se servant de

III. Les Salurniniens reçurent leurnom de noms terribles d'angesou de princes, et ensei-
Saturnin, qui établit en Syrie l'hérésie de Si- gnenl,sur Dieu commesur la nature des choses,
mon. Suivant eux encore, septanges ont seuls des fables contraires au plus simple bon sens.
formé le monde à l'insu de Dieu le Père. D'après leur système, les âmes sont de même
La doctrine des Rasilidiens, disciples de
IV. nature que Dieu leur entrée dans le corps
:

Basilide, dillérait de celle des Simoniens, en humain et leur retour au sein de la divinité
ce qu'ils comptaient autant de cieux qu'il y a sont longuement expliqués, mais d'une façon
de jours dans l'année, trois cent soixante-cin(|. biHies(iue et conforme à leurs erreurs si leurs :

Aussi regardaient-ils comme saint le mot aëpa- disciples brillent par quelque endroit, c'est,

• Act. vm, »-19. ' Act. VI, 5.


DES HÉRÉSIES.

pour ainsi parler , moins par une grande tes charnels de la Loi, la circoncision et toutes
science, que par une grande et vaniteuse ma- les autres observances, dont nous a délivrés
nie de raconter des fables. On dit aussi qu'au le Nouveau Testament, étaient choses sacrées
nombre de leurs dogmes se trouve celui d'un pour eux. Epiphane assimile à ces hérétiques
Dieu bon et d'un Dieu mauvais. les Sampséens elles Elcéséens, au point d'en
VII. Les Carpocratiens suivent les enseigne- faire les membres d'une même secte, et de les
ments de Carpocrate : toute action honteuse, désigner sous le même numéro, quoiqu'il re-
tout raffinement d'immoralité leur sont con- marque entre eux quelques divergences d'opi-
nus. Il est, selon eux, impossible d'éviter les nion : néanmoins, dans la suite, il parle d'eux
principautés et les puissances, de traverser en particulier, et leur assigne un rang à part.
leurs légions pour atteindre à un ciel plus A en croire Eusèbe, les Elcéséens disaient
élevé, sans assouvir toutes les convoitises de la qu'en temps de persécution il est permis de
cbair, car elles plaisent à ces esprits. On raconte renier extérieurement la foi, pourvu qu'on y
aussi que, d'après l'opinion de Carpocrate ,
reste attaché dans le fond du cœur '.
Jésus n'avait été qu'un simple homme, né de XI. Les Valentiniens. Valentin, leur chef ,

Joseph de Marie, mais doué d'un esprit si


et avait imaginé une foule defablt-s sur la nature
élevé qu'il connaissait les choses célestes
,
des choses, entre autres, trente Eons ou siècles.
et devait les annoncer à ses semblables. La Le principe de tous les Eons étaient le silence
Loi et la résurrection des corps étaient, l'une et la profondeur, à laquelle il donnait le nom
et l'autre, une pure chimère, et la création de de père. De tous les deux, comme de deux
l'univers n'avait point Dieu pour cause : elle époux, étaient nés l'esprit et la vérité qui ,

n'avait eu lieu que par le pouvoir de je ne sais avaient produit huit Eons en l'honneur de
quelles intelligences. Cette secte a, dit-on, leurpère. L'espr tetlavéritéavaient,demême,
compté |)armi ses membres, une femme nom- deux enfants, la parole et la vie. qui avaient,
mée Marcelline, qui rendait un culte d'ado- à leur tour, engendré dix Eons : puis, la parole
ration à Jésus, à Homère et à Pythagore, et et la vie avaient mis au monde l'homme et
brûlait de l'encens devant leurs images. l'Eglise, qui avaient eux-mêmes enfanté douze
VHI. Les Cérintliiens, ainsi appelés de Cérin- Eons : d'où résultaient trente Eons, qui
ks mêmes que les Mérinthiens, à
Ihe, étaient avaient, comme nous l'avons fait remarquer ,
qui Mérinthe aurait donné son nom. Ils attri- pour premier principe, la profondeur et le
buaient aux anges la création du monde, et silence. Le Christ, envoyé par le père, c'est-à-
recommandaient la circoncision et l'observa- dire, par la profondeur, n'avait apporté en ce
tion loi Mosaïque
d'autres préceptes de la monde qu'un corps spirituel et céleste la :

pareils à celui-là. Suivant leurs assertions, Vierge Marie ne lui avait rien donné de sa
Jésus n'avait été qu'un homme ; il n'était pas substance elle avait été, pour lui
: comme ,

ressuscité, mais il devait, un jour, sortir d'en- un canal ou un vaisseau, où il était passé, sans
tre les morts. Après qu'il serait revenu à une y rien prendre de charnel. La résurrection de
nouvelle vie, commencerait son règne sur la la chair n'aura jamais lieu l'esprit et l'àme :

terre, et alors, pendant un espace de mille ans, de l'homme ne parviendront au salut que par
ses élus s'adonneraient à tous les plaisirs les mérites de Jésus-Christ.

de la table et de la débauche. Voilà pourquoi XII. A ce qu'on dit, les Sécundiens se con-
on les a nommés Chiliastes '. fondraient avec les Valentiniens, s'ils n'ajou-
Tout en reconnaissant que Jésus Christ
IX. taient à leurs erreurs des abominations de
est le Fils de Dieu, les Nazaréens accomplis- mœurs.
saient scrupuleusement les prescriptions de XIII. Ptolémée, aussi disciple de Valentin ,
l'ancienne Loi, dont les chrétiens ont appris ,
voulut fonder une nouvelle secte, et, pour
à l'école des Apôtres, à comprendre le sens cela, il préféra ne reconnaître que quatre Eons
spirituel , et à délaisser l'observance char- et quatre autres.
nelle -. XIV. Un je ne sais quel Marc devint héréti-
X. Aux yeux des Ebionites, Jésus-Christ que en niant aussi la résurrection des corps
n'était, non plus, qu'un homme : les précep- et la passion effective de Jésus-Christ. II recon-
naissait aussi deux principes opposés l'un à
'
Cité Je Dieu , liv. XX. rh. '
Liv. T , confe CrescoDius,
cb. xxsi. ' Eusèb. liv. VI, ch. xxsTiu.
DES HÉRÉSIES.

Eons, à peu près telle


l'autre, et l'existence des leurs yeux, Sem, fils de Noé, était le Christ.
que l'avait imaginée Valentin. XX. Les Archonticiens tiraient leur nom
XV. Colorbase suivit ces novateurs, et ajouta des principautés auxquelles ils attribuaient la
peu à leurs rêveries hérétiques selon lui, la : création de l'univers dont Dieu est l'auteur.
génération et la vie des hommes dépendent Ils s'abandonnaient à certains écarts de con-
des sept planètes. duite et niaient la résurrection future.
XVI. Les Héracléonites furent ainsi appelés XXI. Les Gerdonites. Cerdon, leur maître ,

de leur chef Héracléon, disciple de ceux que enseignait l'existence de deux principes, op-
nous venons de nommer. Ils soutenaient l'exis- posés l'un à l'autre dans le Dieu de la Loi et
:

tence de deux principes, dont l'un procédait des Prophètes il ne reconnaissait ni le Père
de l'autre, pour en produire ensemble une du Christ, ni le Dieu bon mais il lui attri-
;

foule d'autres. On raconte qu'ils rachetaient buait la justice : pour le Père du Christ, c'était
en quelque sorte leurs morts d'une manière le Dieu bon. A ses yeux, le Christ lui-même
nouvelle c'est-à-dire en répandant , sur la
, , ne s'était pas réellement revêtu de l'humanité,
tête du cadavre, de l'huile, du baume et de n'était pasné d'une femme, n'avait pas vérita-
l'eau, et en prononçant des invocations en blement enduré la souffrance et la mort dans :

langue hébraïque. sa passion,tout ne fut qu'apparence. Quelques-


XVII. Les Ophites. Leur nom vient du mot uns ont cru remarquer, que, par ses deux
serpent, qui se traduit en grec par ôçiç. Ils principes, Cerdon entendait deux dieux, l'un
prétendaient que le serpent n'était autre que bon et l'autre mauvais. Pour la résurrection
avaient un serpent apprivoisé
le Christ, et ils des morts et l'autorité de l'Ancien Testament,
qui venait se rouler sur leurs pains, et leur il les rejetait.

consacrer une sorte d'Eucharistie. Certains XXII. Marcion, auteur de la secte des Mar-
auteurs les font descendre des Nicolaïtes ou cioniles, embrassa aussi les erreurs de Cerdon,
des Gnostiques c'est dans les fabuleuses fic-
: relativement aux deux principes néanmoins, :

tions de ces sectaires qu'ils auraient puisé si l'on en croit Epiphane, il en admettait trois,

l'idée d'adorer le serpent. l'un bon, l'autre juste, et le troisième mau-


XVIII. Les Caïnites, ainsi nommés parce vais. Mais Eusèbe prête à un certain Sinérus,

qu'ils honoraient Gain, lui reconnaissaient un et non pas à Marcion, la doctrine des trois

courage éminent. A leur avis, le traître Judas principes et des trois natures '.
était presque un Dieu, et son crime un bienfait : XXIII. Les Apellites, successeurs d'Apelles.
il n'avaitlivré Jésus-Christ aux Juifs que parce Celui-ci admettait, il est vrai, deux dieux, l'un
qu'il avait prévu le bien immense qui devait bon, l'autre mauvais, mais, dans son idée, ces
résulter de sa mort pour les hommes de : plus, deux principes n'étaient, par nature, ni dif-
ilsrendaient un culte auxSodomites et même à férents l'un de l'autre, ni op()Osés l'un à l'autre.
ces malheureux engloutis sous terre pour avoir En réalité, il ne reconnaissait qu'un principe,
faitschisme chez le premier peuple de Dieu '. leDieu bon, par qui l'autre avait été formé.
La Loi et Dieu, auteur de la Loi, n'étaient Le second était méchant, et il arriva qu'en
d'ailleurs pour eux que des objets de blas- raison de sa méchanceté, il créa le monde.
phème, et la résurrection, une fable dérisoire. Apelles soutenait aussi de telles erreurs tou-
XIX. Les Séthiens étaient ainsi appelés du chant le Christ, que, d'après son système, le
fils d'Adam qui portait le nom de Seth : ils Fils de Dieu, descendant sur la terre, n'avait
l'honoraient, mais à leur culte se joignaient point sans doute apporté avec lui un corps cé-
des fables et des erreurs, fruits de leur vanité. leste, mais qu'il s'en était formé un, en le tirant

A les entendre, le patriarche Seth fut engendré des éléments du monde comme : il était ressus-

par une mère céleste ,


qui, disaient-ils, avait cité sansson corps, il l'avait rendu aux élé-
eu un commerce avec un père également cé- ments au moment de son ascension dans le ciel.
forma une nouvelle race
céleste, et ainsi se XXIV. Les Sévériens, disciples de Sévère,
divine, celle des enfants de Dieu, Du reste, ne buvaient pas de vin, parce qu'avec leur
nul ne saurait dire les rêveries qu'ils ont ridicule manie d'inventcrdes fables, ils regar-
imaginées par rapport aux principautés et daient la vigne comme produite par l'union
aux puissances. Quuhiues auteurs disent qu'à de Satan et de la terre. Leur doctrine malsaine
• Nomb. XVI, 31-33. '
Eusèb. liv. V, ch. ïlll.
DES HEKESIES.

était revêtue de noms de puissances retentis- jouissent d'une telle autorité, que par hon-
sants et inventés à plaisir, et chez eux n'é- neur on les élève au sacerdoce, parce qu'au
taient admis ni l'autorité de l'Ancien Testa- dire de Quintilla et de Priscilla, le Christ leur
ment, ni le dogme de la résurrection de la était apparu, dans la ville de Pépuze, sous les
chair. traits d'une femme : aussi, les nomme-t-on
XXV. Les Tatianistes, ainsi appelés de Ta- indifféremment Pépuziens ou Quintillieiis. Les
tien, leur maître, portent aussi le nom d'En- mystères sanglants dont j'ai parlé en expli-
cratites : à les entendre, les noces sont blâma- quant leserreurs des Cataphrygiens, se voient
bles ; ils mettent le mariage au nombre des aussi parmi eux, et paraissent indiquer l'ori-
fornications et des autres excès de la corrup- gine de leur secte. 11 parait enfin , d'après
tion, et aucune personne mariée, homme ou d'autres auteurs, que Pépuze était, non pas
femme, ne peut faire partie de leur secte. Ils une mais une maison de campagne, oii
ville,
ne font point usage de viandes, les condam- Montan, Priscilla et Quintilla vivaient ensem-
nent toutes, admettent certaines émanations ble de là est venu qu'on a cru devoir donner
:

ridicules des Eons, et nient le salut d'Adam. à cette maison le nom de Jérusalem.
Au dire d'Epiphane, les Encratites s'étaient XXVIII. Les Artotyrites tirent leur nom de
schismatiquement séparés des Tatianistes, et la nature de leurs offrandes, car ils offrent du
ne s'en distinguaient que par là. pain et du fromage, sous prétexte que les
XXVI. Les Cataphrygiens. Montan, en qualité premiers hommes offraient à Dieu, outre les
de Paraclet, et ses deux prophète sses, Priscilla fruitsde la terre, les prémices de leurs trou-
et Maximilla, établirent cette secte d'héré- peaux. Epiphane les range avec les Pépu-
tiques. Comme ils étaient nés dans la province ziens.
de Phrygie, et qu'ils y avaient vécu, ils en XXIX. Les Tessarescédécatites s'appellent
donnèrent le nomàleursadeptes. Aujourd'hui ainsi, parce qu'ils ne célèbrent de Pâ- la fête
encore les habitants de ce pays suivent leurs ques que le quatorzième jour de la lime,
erreurs. Selon eux, le Saint-Esprit, promis quel que soit d'ailleurs le jour de sou échéance ;

par Sauveur, était sans doute descendu


le et, si un dimanche,
c'est ils n'en veillent et
sur les Apôtres, mais ils en avaient eux-mêmes n'en jeûnent pas moins ce jour-là.
reçu une plus riche effusion. Les secondes XXX. Les Aloges, ou, comme qui dirait, les
noces étaient pour eux de vrais adultères. hommes sans verbe, (parce qu'en grec Ai-jo; ,

Saint Paul les avait autorisées, parce que, de signifie verbe), portent ce nom, parce qu'ils
son temps, on n'était point encore parvenu à nient que Jésus-Christ soit le Verbe éternel,
la perfection il ne connaissait donc la loi
: et rejettent comme apocryphes l'Evangile et

qu'à demi et ne prophétisait qu'à demi '. Us l'Apocalypse de saint Jean, parce que, disent-
poussent au point d'affirmer que le
le délire ils, cet Apôtre n'en est pas l'auteur.

règne de commencé avec Mon-


la perfection a XXXI. Les Adamites ont pris ce nom d'A-
tan et ses prophétesses. A ce qu'on dit, les dam, car ils imitent la nudité où il se trou-
Cataphrygiens s'adonnent a de mystérieuses et vait avant le péché aussi détestent-ils le
:

abominables cérémonies. Avec une lancette , mariage, soutenant que le premier homme a
ils pratiquent une foule de piqûres sur le connu son épouse seulement après son péché
corps d'un enfant d'un au le sang qui en : etson exclusion du paradis terrestre. A leur
sort, ils le mélangent avec de la farine, en font avis, l'union conjugale n'aurait jamais existé,
du pain, et se préparent ainsi une sorte d'eu- si personne n'avait commis le péché, et leur
charistie. Si l'enfant meurt de ses blessures ,
Eglise est, à leurs yeux,un vrai paradis, car
on le regarde comme un !• artyr : s'il y survit, les hommes et les femmes y entrent nus, y
comme un grand prêtre. écoutent les leçons, y prient, y célèbrent les
XXVIl.Les Pépuziens ou Quinlilliens, ainsi mystères dans un état de nudité complète.
nommés d'un endroit qu'EpipLane dit avoir XXXII. Les Elcéséens et les Sampséens ,

été autrefois une ville, maintenant déserte; dont Epiphane fait ensuite mention comme
ils la regardent comme chose en quelque si c'était ici leur place , furent, à ce qu'il pa-
sorte divine, et lui donnent conséquemment rait, les dupes d'un faux prophète : cet
le nom de Jérusalem ; chez eux, les femmes homme, du nom d'Elci, avait eu deux filles
• I Cor. xiu, 9, 10. qu'ils adoraient comme des déesses. Pour le
8 DES HÉRÉSIES.

reste,il y avait similitude d'erreurs entre ces XLI. Noet, dont il vient d'être question, eut
hérétiques et les Ebionites. pour disciple Sabellius , maître des Sabel-
XXXIII. Théodote établit la secte des Théo- liens ceux-ci furent donc une branche des
:

dotiens. Il enseigna que le Christ n'était qu'un Noéliens. Je ne sais, à vrai dire, pour quel
homme. Le motif de son hérésie se trouva, motif Epiphane a fait des Noétiens et des
dit-on, dans l'apostasie dont il s'était rendu Sabelliens deux sectes différentes, car il a pu
coupable au moment d'une persécution pour : arriver que Sabellius ait fait plus de bruit que
pallier son crime, il n'avait rien imaginé de Noet, et que cette hérésie ait conséquemment
mieux que de dire qu'il avait renié un homme, reçu de lui un nom plus célèbre. A peine
et non un Dieu. connaît-on les Noétiens pour les Sabelliens, :

XXXIV. Aux yeux des Melchisédéciens, le beaucoup de personnes en savent le nom. En


prêtre du Très-Haut, Melchisédech, n'était pas effet, les uns leur donnent le nom de Praxéa-

un homme, mais la grande vertu de Dieu. niens, de Praxéas ; les autres, celui d'Her-
XXXV. Les Bardésanistes furent ainsi nom- mogéniens, qui vient d'Hermogène ces deux :

més d'un certain Bardésane, qui fut d'abord personnages soutinrent la même doctrine, et
un cathohque très-distingué, mais qui tomba vécurent l'un et l'autre en Afrique. Ce ne
ensuite dans l'hérésie de Valentin, sans tou- sont donc pas plusieurs sectes, mais ce sont
tefois en suivre tous les errements. des noms donnés à une seule et
différents
Noétiens, disciples d'un certain
XXXVI. Les même en mémoire des hommes les
secte,

Noet, soutenaient que le Christ n'était autre plus célèbres qui en firent partie. Ainsi en est-
que le Père et le Saint-Esprit. il des Donalistes et des Parménianistes, des
XXXVII. Chez les Valésiens, tous sont eu- Pélagiens et des Célestiens. Comment donc
nuques ils mutilent aussi leurs hôtes, croyant
:
expliquer pourquoi Epiphane nous représente
devoir ainsi servir Dieu. Là. ne s'arrêtent ni les Sabelliens et les Noétiens comme deux
leurs turpitudes ni leurs erreurs: néanmoins sectes bien distinctes, taudis qu'ils appartien-

Epiphane n'a pas mentionné leurs autres nent à la même, sous diverses dénominations?
écarts de croyance et de mœurs, et moi, je Je ne le vois pas clairement car, s'il existe' :

n'ai jamais pu les connaître. entre eux une diiîérence essentielle, il en a


XXXVUI. Les Cathares, qui s'appelaient parléd'une manière si obscure, peut-être parce
aussi Novatiens, parce qu'ils avaient adhéré qu'il cherchait à être concis, et qu'il m'est

aux erreurs de Novat, s'étaient orgueilleuse- impossible de saisir sa pensée. Mettant les

ment et odieusement nommés ainsi, pour faire Sabelliens aurang où ils se trouvent ici, mais
parade de leur prétendu puritanisme ils : si loin des Noétiens, il s'exprime en ces ter-
condamnaient secondes noces, et refu-
les mes : « Les Sabelliens professent les mêmes
saient l'absolution aux pécheurs. « erreurs que les Noétiens, avec cette diffé-
XXXIX. D'après le témoignage d'Epiphane, u rence pourtant que, selon eux, le Père n'a
on ne rencontre plus d'Angéliques, c'est-à- «pas souffert '
». Est-il possible de croire
dire, de ces hérétiques qui adoraient les anges. qu'il est ici question des Sabelliens, puisque
XL. Les Apostoliques. Sous ce nom très- ceux-ci afQrment si ouvertement les souf-
prétentieux, on désigne ceux qui ne reçoivent frances du Père, qu'on les connaît plutôt sous
à leur communion ni les personnes mariées , le nom de Patripassiens que sous celui de
ni les chrétiens qui n'ont pas renoncé à leurs Sabelliens? Et en disant que, selon eux, le
si,

biens propres, comme font les moines et un Père n'a pas il a voulu parler des
souffert,
grand nombre de clercs dans l'Eglise catho- Noétiens, comment les reconnaître au milieu
lique. Leur hérésie consiste en ce que, con- de termes si ambigus? Enfin, Epiphane a-t-il
trairement à l'enseignement de cette Eglise , vraiment voulu dire, des uns et des autres,
ils enlèvent toute espérance de salut à ceux que, selon eux, le Père ti'a pas souffert, jiuis-
qui usent des choses dont ils s'abstiennent. qu'ils soutiennent également que le Père, le
Leurs erreurs sont les mêmes que celles des Fils et le Saint-Esprit ne forment ensemble
Encratites, car on les appelle aussi Apolacti- qu'uneseule et même personne? Mais Philastre,
tes '. Mais pour celles ((ui leur seraient \n'o- évêque de Brixiane, (jui a écrit sur les hérésies
pres, je ne les connais pas. un livre excessivement prolixe, et qui a compté
Renonçants.
' Epiphane en son Anacèphalêose.

Ce mol signifie : les
DES HÉUÉSIES. 9

cent vingt-huit sectes hérétiques, nomme les catholique instruit ou ignorant pourrait, en
Sabelliens immédiatement après les Noéliens, effet, ne pas condamner ce qu'Origène dit de
et s'exprime ainsi « Sabellius fut disciple de
: la purification des méchants dans l'enfer? Il
« Noël, et professa exactement la doctrine de prétend que les méchants, même ceux qui
« son maître c'est pourquoi les membres de
: auront terminé leur existence au milieu des
«cette secte furent indifféremment appelés, infamies, dans le crime, dans le sacrilège et
a dans la suite, Sabelliens , Patripassiens , l'impiété, qu'en dernier lieu le démon lui-
« Hermogéniens de Praxéas
Praxéaniens et ; même avec ses anges seront délivrés et puri-

«et d'Hermogène, qui habitèrent tous deux fiés après une infinité de siècles , et seront

l'Afrique : ces divers hérétiques furent reçus dans le royaume


lumière de Dieu et la :

« exclus de l'Eglise catholique avec tous ceux enfin, qu'après bien des temps, tous ceux qui
« comme eux
qui pensaient ». auront été délivrés, retomberont et retourne-
Evidemment, après avoir cité les Noétiens, ront dans les mêmes maux : que ces alter-
il a désigné, sous le de Sabelliens, tousnom natives de bonheur et de misères ont tou-
ceux qui marchaient sur les traces de Noet : jours été et seront toujours la destinée de la
il a indiqué les autres noms donnés aux mem- créature raisonnable. Dans le livre de la Cité
bres de la même secte ; et, pourtant, il dislin- de Dieu, je me suis efforcé de détruire ce vain
gue parfaitement les Noéliens des Sabelliens, et impie système, adopté par les philosophes,

conmie s'ils formaient deux sectes bien dis- et suivi par Origène '.

tinctes. Pourquoi? Lui seul le sait. XLIV. Les Pauliniens, sectateurs de Paul de
XLII. Les Origéuiens, disciples d'un Ori- Samosate, soutiennent que le Christ n'a pas tou-
gène, diffèrent de celui que presque tout le jours existé, maisqu'il a commencéau moment
monde connaît. Qui était cet Origène? Je l'i- oiiilestnéde la Vierge Marie: ils nevoientdonc
gnore : mais voici ce qu'Epiphane dit de lui en lui qu'un pur homme. Cette hérésie avait
et de ses sectateurs « Les Origéniens, ainsi
: été précédemment professée par un certain
« nommés d'Origène, leur maître, se livrent Artimon après avoir presque disparu, elle
:

« à des turpitudes et commettent des abomi- fut remise en scène par Paul de Samosate, et
« nations : leurs corps sont de vrais instru- soutenue par Photin, au point que ses secta-
a ments de corruption «.Puis parlant d'autres teurs furent bientôt plus connus sous le nom
Origéniens, il ajoute : de Photiniens que sous celui de Pauliniens.
XLlll. y a d'autres Origéniens, qui sui-
« Il Au Concile de Nicée, on décréta que ceux
« vent la doctrine d'Adamand ils nient la : d'entre ces Pauliniens qui voudraient rentrer
«résurrection des morts, et disent que le dans le giron de l'Eglise catholique, seraient
a Christ et le Saint-Esprit ont été créés pour : baptisés : d'oîi il est permis de conclure qu'ils
a eux, le paradis, le ciel et bien d'autres ob- n'avaient point conservé la vraie manière de
« jets de nos croyances ne doivent point être baptiser, à l'exemple de beaucoup d'autres
« pris à la lettre » . Voilà ce qu'Epiphane dit hérétiques, qui, en se séparant de la véritable
d'Origène. Ceux qui le défendent, soutiennent Eglise, ont néanmoins religieusement con-
que d'après lui, le Père, le Fils elle Saint- servé ses rites, qu'ils observent encore aujour-
Esprit ne forment qu'une seule et même sub- d'hui.
stance, et que la résurrection des morts aura XLV. Dans la liste des hérétiques dressée par
lieu. Ceux, au contraire, qui ont lu la plu- Epiphane, Photin n'est placé ni à côté de, Paul
part de ses écrits, persistent à l'attaquer, sous de Samosate, ni après lui, mais entre eux
divers rapports, comme hérétique. Mais Ori- se trouvent indiqués d'autres hérésiarques.
gène a professé d'autres points de doctrine Selon cet auteur, Photin professa certainement
que l'Eglise rejette d'une manière absolue, les mêmes erreurs que Paul, mais il s'en éloi-

dont elle le blâme ajuste titre, et sur lesquels gna à certains égards en quui consista la :

ses défenseurs ne |)euvent donner aucune divergence'de leurs opinions? Epiphane ne


explication plausible; particulièrement en ce le dit pas. Au contraire, dans la liste du Phi-
qui concerne la puriûcalion et la délivrance lastre, les noms de ces deux hérétiques se

des damnés et encore, pour les créatures


,
suivent immédiatement, désignés l'iui et

raisonnables, leur retour aux mêmes épreu- l'autre par un numéro d'ordre différent,

ves après un laps de temps considérable. Quel • Cl/.' de Dieu, liv. XXI.
10 DES HERESIES.

comme s'ils avaient professé des doctrines honteuse chez lesautreshonimes,


étroite et plus
diverses : et pourtant IMiilastre déclare que le et mêmechez leurs auditeurs. Quant aux
second a suivi en toutles errements du premier. portions de lumière purifiées dont la réfrac- ,

XLVI. Manès, originaire de Perse, futle chef tion a lieu de toutes parts, elles retournent
des Manichéens cependant, après qu'il eut
: à Dieu, comme à leur foyer naturel, transpor-
commencé à enseigner en Grèce sa doctrine tées dans les airs par des vaisseaux, c'est-à-dire,
insensée, ses disciples aimèrent mieux l'appe- par lalune et le soleil ces vaisseaux sont faits
:

ler Manichée que de lui donner un nom sy- de pure substance de Dieu et celte lumière
la ;

nonyme de celui de folie. Partant de là, quel- corporelle, dont les rayons frappent ici-bas les
ques-uns d'entre eux, comme plus savants et, regards de tous les êtres mortels animés, qui
par là même, plus menteurs, doublèrent l'N, et réside, non-seulement dans la lune et le soleil
prononcèrent Mannichée, c'est-à-dire, homme où elle est toute pure, mais encore dans tous
qui répand la manne. Manès imagina l'exis- les autres objets brillants au sein desquels elle
tence de deux principes, différents l'un de se trouve mélangée, et doit être puriûée; cette
l'autre, opposés l'un à l'autre, éternels et coé- lumière corporelle n'est autre que la nature
ternels, c'est-à-dire, ayant toujours existé ; et, divine. Les cinq éléments, c'est-à-dire, la
imitant en cela les anciens hérétiques, il admit fumée, les ténèbres, le feu, l'eau et le vent
deux natures et deux substances, celle du ont été formés par le peuple des ténèbres; ils
bien et celle du mal. Il serait trop long d'in- ont, à leur tour, engendré des princes parti-
sérer, dans cet ouvrage, les rêveries dont il a culiers. Dans la fumée, sont nés les animaux
enveloppé sa doctrine touchant l'opposition et bipèdes, et, -par conséquent, les hommes ;
le mélange du bien et du mal, la séparation dans les ténèbres, les serpents dans le feu, ;

complète du bien d'avec condam-le mal, et la les quadrupèdes; dans l'eau, les poissons;
nation éternelle réservée au mal, comme au dans le vent, les oiseaux. Pour détruire la puis-
bien qui ne pourra être séparé du mal. En sance de ces mauvais éléments, cinq autres,
conséquencede ces rêveries ridicules et impies, émanés de la substance divine, sont sortis du
les Manichéens sont forcés de reconnaître la royaume céleste, et, de leur lutte mutuelle,
même nature à Dieu et aux âmes bonnes, qui est résulté le mélange de
l'air avec la fumée,

doivent être délivrées de leur mélange d'avec de lalumière avec les ténèbres, du bon feu
les âmes mauvaises, c'est-à-dire, des âmes avec le mauvais, de la bonne eau avec la mau-
douces de la nature opposée à celle du bien. vaise, du vent mauvais avec le bon. Il y a.
C'est pourquoi, selon eux, la nature du bien, entre les deux vaisseaux, ou les deux grands
monde, il
c'est-à-dire la nature divine, a fait le luminaires du ciel, celte différence que la
est vrai, mais du mélange formé par
elle l'a fait lune a été faite avec la bonne eau, et que le
le bien elle mal au moment oîi les deux natures soleil a été fait avec le bon feu. En eux rési-
ont lutté l'une contre l'autre. Cependant la sé- dent les saintes vertus celles-ci se trans-
:

paration parfaite du bien d'avec le mal et sa forment en hommes pour attirer à eux les
délivrance, ce sont les vertusde Dieu qui l'effec- femmes du parti adverse, et puis, en femmes
tuent par tout le monde et dans tous les élé- l)0ur attirer les hommes de ce même parti,
ments, comme elles forment leurs élus parles afin que leur concu|)iscence, étant éveillée par
aliments dont ils se nourrissent. Ces aliments de telles excitations, la lumière, contenue et

et le monde entier sont mélangés avec la sub- mélangée dans leurs membres, s'en échappe^
stance divine, et cette substance est purifiée soit reçue par les anges de lumière pour être

dans les élus des Manichéens par le genre de vie purifiée , et , après cette iiurification , soil

que ceux-ci ont adopté et que leurs auditeurs chargée sur ces vaisseaux et reportée dans
observent encore d'une manière plus sainleet son |)ropre royaume. A cette occasion , ou
plus excellente. J'ai [irononcé les noms d'élus et plutôt ,
par une conséquence nécessaire de
d'auditeurs deux classes de fidèles dont se
; leur abominable superstition, leurs élus doi-
compose leur Eglise. A Icsen croire, celte partie vent recevoir une sorte d'eucharistie sur ,

de la nature bonne et divine qui se trouve laquelleon a préalablement répandu de la


mélangée et emprisonnée dans les aliments, semence humaine, pour (jue de là, comme de
et dans la boisson, et, surtout, dans ceux qui leurs aliments, la subilance divine se trouve
engendreni, l'est encore d'une façon |)lus délivrée. Les Manichéens affirment que jamais
DES HÉRÉSIES. 11

crime pareil n'a été commis parmi eux ils en ; En agissant de la sorte, pensent imiter de
ils

accusent je ne sais quels autres hérétiques leur mieux les par ce moyen,
vertus divines :

auxquels ils donnent leur propre nom. Pour- ils purifient cette portion de leur Dieu (]ui se

tant, tu le sais, au moment où tu étais diacre à trouve enfermée et toute souillée dans la
Cartilage, on les a convaincus dans une église semence humaine, comme dans tous les corps
de cette ville: car, après des poursuites diri- célestes et terrestres, et dans la semence de
gées contre eux par le tribun Ursus. préfet de la toutes choses. Ils doivent, par conséquent,
maison royale, quelques-uns d'entre eux y la délivrer de la semence humaine en se
furent amenés. Alors une jeune fille, du nom nourrissant de celle-ci, comme ils la délivrent
de Marguerite, à peine âgée de douze ans, de toutes les autres semences contenues dans
trahit leurs honteuses pratiques, et déclara les aliments dont ils font usage. De là leur
qu'elle avait été violée pour l'accomplissement est venu le nom
de Cathares ou purificateurs,
de leurs coupables mystères. On obtint assez car ils mettent à. purifier la substance divine
facilement le même aveu d'une sorte de un tel soin, qu'ils ne reculent pas même
nonne Manichéenne , appelée Eusébie ,
qui devant l'infamie d'une pareille nourriture.
avait souUert violence pour la même cause. Cependant ils ne mangent pas de viande,
De prime abord, elle avait soutenu qu'elle car, disent-ils, la substance divine est incom-
demandait à être visitée par une
était vierge, et patible avec n'importe quel être mort ou tué,
sage-femme lorsqu'elle eut été examinée et
: et le peu qu'il en reste dans ces corps, ne
qu'on sut à quoi s'en tenir sur son compte, mérite pas d'être purifié dans l'estomac des
elle fit connaître, comme Marguerite, qu'on élus. Les œufs n'entrent pas non plus dans
avait interrogée à part et dont elle n'avait pu leur alimentation, car le principe de la vie

entendre la déposition, tous les détails des s'éteint en eux dès qu'onen brise l'enveloppe :

criminelles turpitudes des Manichéens : on on ne peut se nourrir d'aucun corps mort,


faisait, disait-elle, coucher ensemble un et ce qui vient de la chair est mort, à moins
homme et une femme, après avoir étendu d'être mêlé à de la farine, parce que celle-ci
sous eux de la farine destinée à recevoir de lui conserve la vie. Les Manichéens ne se
la semence humaine mélangée avec
et à être servent pas davantage de lait, quoiqu'on le
elle. Les Actes épiscopaux que vous nous suce ou qu'on le tire d'un corps animal vivant ;

avez envoyés en font foi tout récemment


: non pas qu'à leurs yeux la substance divine
encore on trouva quelques Manichéens con- : ne s'y trouve point mêlée, mais parce que
duits à l'église, ils y furent minutieusement l'erreur ne se trouve pas toujours d'accord
interrogés, et découvrirent, non des mystères avec elle-même. Par la même anomalie, ils
sacrés, mais d'exécrables secrets. L'un d'eux, ne boivent pas de vin, parce que c'est le fiel du
nommé Viator, appelait Cathares ceux qui se prince des ténèbres : ils mangent du raisin ,

rendaient coupables de pareils forfaits : il et pourtant encore, ils n'usent pas même de
reconnaissait aussi, comme sectateurs de vin doux, si nouveau qu'il soit. Suivant eux,

Manès, les Maltariens et surtout les Mani- les âmes des auditeurs retournent dans les
chéens, avouant, toutefois malgré lui, qu'ils élus, ou, par une plus heureuse coïncidence,
étaient tous les disciples du même maître, et dans les aliments des élus, en sorte qu'étant,
de vrais Manichéens. Il est, en effet, certain et là, bien purifiées, elles ne sont pointobligées
indubitable qu'ils ont tous, entre les mains, les de transmigrer à nouveau dans un autre
livres manichéens où se trouve l'affreuse corps: mais toutes les autres âmes repassent
doctrine de la transformation des hommes en dans les troupeaux et dans tout ce (|ui tient
femmes, et 4es femmes en hommes, et dans par racines à la terre, et s'en nourrit. Les
lesquels on les excite à attirer et à détruire, herbes et les arbres vivent de telle fiçon
par la concupiscence, les princes des ténèbres qu'ils en ont le sentiment et qu'ils gémissent
inhérents aux deux sexes, afin que la sub- quand on les blesse : aussi, les Manichéens
stance divine, jusqu'alors retenue captive en éprouvent-ils une sorte de torture, dès qu'ils
eux, soit déhvrée et s'en éloigne : ils ont beau voient cueillir une herbe ou couper un arbre :

dire qu'on ne pratique [loint chez eux la en conséquence, il n'est point [tennis, cliez
doctrine contenue dans ces livres, toutes ces eux, même de défricher un champ; on doit,
abominations en découlent comme de source. ô folie regarder comme entache d'homicide.
!
12 DES HÉRÉSIES.

Fart le plus innocent de tous, l'agriculture, donné sa loi par le ministère de Moïse, qui
et, s'il est permis aux auditeurs de cultiver la a parlé par les Prophètes juifs, n'était pas le
terre, c'est uniquement parce qu'ils trouvent, vrai Dieu, c'était un prince des ténèbres. Les
dans la culture des champs, le moyen de Manichéens altèrent aussi les livres du Nou-
fournir des aliments aux élus, et que la sub- veau Testament, de manière à y prendre ce
stance divine, contenue dans ces aliments pour qui leur |ilaît, et à en rejeter ce qui ne leur
y être purifiée, demande grâce pour eux, lors- convient pas: pour s'y autoriser, ils prétendent
qu'elle est dégagée dans l'estomac des élus. que le texte en a été précédemment corrompu ;

C'estpourquoi ceux-ci ne travaillent jamais ils leur préfèrent des écritures apocryphes,
dans la campagne, ne cueillent pas de fruits, qui, à les en croire, renferment toute la vérité.
n'arrachent pas même une feuille, et attendent La promesse du Saint-Esprit, faite par Notre-
que les auditeurs leur apportent les différentes Seigneur Jésus-Christ ', s'est accomplie en la
recolles destinées à leur usage ainsi, ils : personne de Manichée, leur maître de là :

vivent d'une foule d'homicides, commis par vient que, dans toutes ses lettres, il prend le
les autres, imaginés parleur folle vanité. Si titre d'apôtre de Jésus-Christ, parce que le

les auditeurs se nourrissentde viande, recom- Sauveur avait promis de l'envoyer et lui avait
mandation expresse leur est faite de ne pas donné l'Esprit-Saint. Voilà aussi pourquoi
tuer eux-mêmes les animaux dont elle pro- Manichée se choisitdouzedisciples à l'exemple
vient, dans la crainte d'offenser les princes de Notre-Seigneur. Le nombre douzeest encore
des ténèbres retenus captifs dans les régions aujourd'hui respecté et conservé par ses sec-
célestes, car toute chair a été crééepar eux. tateurs. Chez eux on choisit, d'entre les élus,
S'ilsusent du mariage, ils doivent soigneu- douze hommes auxquels on donne le nom de
sement éviter de concevoir et d'engendrer, de maîtres, et à la tête desquels on en place un
peur que la substance divine, introduite en treizième en qualité de chef: il y a aussi soi-
eux par les aliments, ne se trouve enchaînée xante-douze évêques, ordonnés par les maîtres,
par des liens charnels dans leurs enfants. Us et des prêtres ordonnés par les évêques les :

se figurent, en effet, que toute chair reçoit évêques ont leurs diacres les autres membres
;

une âme par l'intermédiaire de la nourriture de la secte portent seulement le nom d'élus :

et de la boisson aussi parmi eux condamne-


: mais ceux d'entre eux qui paraissent capables,
t-on positivement les noces, et les empêche-t- on les envoie pour soutenir et développer
on le plus possible, puisqu'on ordonne d'é- l'erreur là où elle est déjà établie, pour la

viler la génération, qui est cependant la fin semer où elle n'existe pas encore. Ils n'attri-

légitime de l'union conjugale. A leur sens, buent au baptême d'eau aucune efficacité pour
Adam Eve ont eu pour parents les princes
et le salut, et pensent ne devoir le conférer à

de la fumée leur naissance remonte à l'épo-


: aucun de ceux qu'ils entraînent dans leur
que, après avoir dévoré tous les enfants de
oii, hérésie. Pendant le jour, ils se tournent, pour

ses compagnons et absorbé ainsi la portion de prier, vers le soleil, n'importe où il en soit de
substance divine qu'ils contenaient, Saclas, sa course : pendant la nuit, leur visage se
leur père, connut sa femme, et rendit de dirige du on la voit, et
côté de la lune, si

nouveau captive cette portion de divine sub- quand on ne l'aperçoit pas, du côté de l'aqui-
stance eu l'enfermant dans la chair de sa lon, par où le soleil revient du lieu de sou

propre race, connue dans une étroite prison. coucher à celui de son lever. Suivant leur doc-
Le Christ a existé c'était le serpent de l'Ecri-
: trine, le péché ne vient pas du libre choix de

ture, qui ouvrit les yeux de l'inlelligence à la volonté de l'homme c'est la substance du
;

nos premiers [jarenls, et leur fit connaître le parti contraire qui le produit. Parlant de là,
bien et le mal. Le Christ est revenu sur la que la substance du principe mauvais est
terre en ces derniers temps pour sauver les mêlée à tous les hommes, ils disent que toute
âmes et non les corps il n'a point réellement
: chair a été formée, non par Dieu, mais |)ar le

[irîs une chair mortelle, il ne s'est incarné mauvais esprit, qui, émané du principe con-
qu'eu apparence, et s'est ainsi joué des sens de traire, est coêternel à Dieu. Si nous ressen-
l'homme. Il a paru mourir et ressusciter, et, tons en nous la concupiscence de la chair,
dans sa morl connue dans sa résurrcclioii, il source des luttes du corps contre l'esprit, celle

n'y a eu (]ue de l'illusion. Le Dieu qui a "


Jean, xvi, 7.
DES HÉRÉSIES. 13

infirmité n'est point en nous le résultat de la sonne que je sache, n'a rien dit de certain à cet
corruption de la nature en Adam; c'est une égard il est néanmoins positif que telle est
:

substance contraire , tellement adhérente leur doctrine. Epiphane l'a reconnu je m'en ;

à notre être, que, quand nous en sommes suis moi-même assuré en lisant certains de
délivrés et purifiés, elle s'en sépare pour leurs écrits, en écoutant certains de leurs dis-
vivre elle-même éternellement dans sa pro- cours. Ils rebaptisent aussi les catholiques: en
pre nature. Entre ces deux âmes, ou ces deux usent-ils de même avec les non-catholiques ?
esprits, l'un bon, l'autre mauvais, se livre, Je l'ignore.
dans chaque homme, un combat, lorsque la L. Epiphane veut qu'on regarde comme
chair lutte contre l'esprit, et l'esprit contre la schismatiques, et non comme hérétiques ceux
chair '. Cette infirmité n'a jamais été et ne Vadiens
qu'il appelle et que d'autres nomment
sera jamais guérie en nous, de la manière Anthropomorphites ,
parce qu'ils adoptent
dont on l'enseigne dans l'Eglise catholique; des idées charnelles et représentent Dieu sous
mais, séparée de nous et enfermée pour tou- une figure humaine
corruptible. Pour les
jours dans un certain autre monde comme épargner ne point les faire considérer
et
dans une prison, cette substance du mal sera comme hérétiques Epiphane attribue cette ,

éternellement victorieuse quand seront arrivés erreur à leur rusticité. Voici ce qu'il en dit :

la fin des temps et le bouleversement de l'u- « Les Vadiens se sont séparés de notre com-

nivers. A ce monde viendront continuellement a munion, parce que les richesses des évêques

se joindre et s'attacher à la manière d'un « les offusquaient , et qu'ils célébraient la


vêtement ou d'un manteau, les âmes qui, « pàque en même temps que les Juifs ». Cer-
malgré leur bonté naturelle, n'auraient pu tains auteurs affirment pourtant qu'en Egypte
néanmoins se purifier de leur contact avec la ils sont en communion avec les Catholiques.
nature mauvaise. — Epiphane place les Photiniens en cet en-
XLVII. Les Hiéracites, disciples d'Hiêracas, droit de sa liste : nous en avons déjà suffisam-
nient la résurrection de la chair, ne reçoivent ment parlé plus haut.
dans leur société, que des moines, des reli- LI. Au dire de cet écrivain, les Semi-Ariens
gieuses et des personnes libres des liens du reconnaissent, dans le Fils , une essence pa-
mariage, et prétendent que les enfants morts reille à celle du Père, mais non la même :

avant l'âge de raison n'entrent pas dans le c|j.cii;i](iiov : ils sont par conséquent des Ariens
royaume des cieux, parce qu'ils n'ont mérité incomplets ,
puisque les vrais Ariens et les

ce bonheur par aucun combat contre le vice. Eunomiens n'acceptent pas même la simili-
XLVIII. Les Méléciens, ainsi nommés de tude de substance entre ces deux personnes.
Mélèce, leur chef, sont devenus schismatiques LU. Les Macédoniens, sectateurs de Macé-
en ne consentant pas à prier avec les conver- donius, sont appelés, chez les Grecs, mvjij.a.-tcf>.%-

tis, c'est-à-dire, avec ceux qui, ayant renié la xoj; ', parce qu'ils élèvent des contestations au
foi pendant la persécution, étaient revenus à sujet du Saint-Esprit. En ce qui concerne le
résipiscence. Ou dit qu'ils sont maintenant Père et le Fils, il n'y a rien à blâmer dans
réunis aux Ariens. leur doctrine, puisqu'ils confessent une seule
XLIX. Arius a donné son nom aux Ariens : et môme substance ou essence dans l'un et
tous connaissent parfaitement ces hérétiques dans l'autre mais ils ne veulent pas en croire
:

et leur erreur. A les entendre, le Père, le Fils autant du Saint-Esprit qu'ils regardent ,

et le Saint-Espritne sont pas d'une seule et comme une simple créature. Quelques-uns
même nature, d'une seule et même substance, leur donnent, avec plus de raison, le nom de
ou, pour parler plus clairement, n'ont pas la Semi-Ariens parce qu'ils sont d'accord à
,

même essence, en grec, oùoix; le Fils est une demi avec les Ariens, et d'accord à demi
créature, et le Saint-Esprit est une créature avec nous. Néanmoins, d'autres pensent que,
de créature, c'est-à-dire formée par le Fils.
, dans l'idée -des Macédoniens, le Saint-Esprit
En s'incarnant, le Christ a pris seulement un n'est pas Dieu, qu'il n'a pas de substance à lui
corps, sans s'unir en même temps à une âme. propre, mais qu'il est seulement la divinité du
Toutefois, sur ce dernier point, on connaît Père et du Fils.
moins leur doctrine que sur les autres, et per- LUI. Désolé de n'avoir pu devenir évêque,
• Gai. V, 17. '
Ce mot signifie : Ennemis de l'esprit.
M DES HÉRÉSIES.

le prêtre Aérius se jeta dans le parti des fasse mention, est celle des Massaliens, nom
Ariens, fonda la secte des Aériens en ajou- syrien que les Grecs rendent par celui d'Eu-
tant quelques erreurs à celles de l'arianisme. chites (tixiTOi) à cause de leur manière de
Ainsi, selon lui, on ne devait ni offrir le saint prier. Le Seigneur avait dit : « 11 faut prier
sacrifice pour les morts, ni établir ou obser- (( toujours et ne pas se lasser '
». L'Apôtre
ver des jeûnes solennels chacun pouvait :
avait dit aussi : « Priez sans cesse ^ ». Ce
jeûner à son gré, afin de ne point paraître qui signifie évidemment qu'il ne faut passer
soumis à une loi on ne devait, non plus,
: aucun jour sans consacrer à la prière quel-
voir aucune différence entre un évêque et un ques moments. Les Massaliens ont tellement
prêtre. Si l'on en croit certains auteurs, les pris à la lettre cette recommandation, qu'on a

Aériens, à l'exemple des Encratiles ou Apo- cru devoir, pour cela, les ranger parmi les
ne reçoivent, dans leur communion,
tactites, hérétiques. Néanmoins, si l'on ajoute foi au
que les continents et ceux qui ont renoncé dire de certains auteurs, ils racontaient, sur
au monde au point de ne plus rien posséder la purification des âmes, je ne sais quelle fable

en propre. Au dire d'Epiphane, ils mangent fantastique et ridicule : ainsi, par exemple,
de la viande Pbilastre, au contraire, assure
:
quand un homme est purifié, on lui voit

qu'ils s'en abstiennent. sortir de la bouche une laie avec ses petits, et,

LIV. Les Aéliens s'appellent ainsi d'Aélius, aussitôt après, un globe de feu entre visible-
et Eunomiens d'Eunomius, son disciple: mais ment en lui, et ne le consume pas. Epiphane
ils sont plus connus sous ce dernier nom. leur assimile et comprend dans la même

Dialecticien habile, mordant et renommé, secte les Euphémites, les Marlyriens et les
Eunomius soutint, avec plus de succès que Sataniens. Les Euchiles prétendent que les
son maître, l'erreur d'après laquelle le Fils moines ne peuvent et ne doivent rien faire,
serait tout différent du Père et le Saint-Esprit même pour subvenir aux nécessités de la vie,
tout différent du Les bonnes mœurs
Fils. et qu'on ne se montre véritablement moine
rencontrèrent aussi en lui un adversaire si qu'en s'abstenant de tout travail.
effronté, qu'il promettait à tous les sectateurs L'évêque de Chypre dont il a été tout à ,

fidèles de sa doctrine une impunité complète l'heure question, termine ici son ouvrage sur
pour les crimes les plus abominables et la les hérésies. Cet écrivain jouit d'une grande

persévérance dans le mal. réputation parmi les Grecs on le regarde ;

LV. Marchant sur les traces d'Apollinaire, généralement comme très-exact en fait de
les Apollinaristes s'éloignèreut, comme lui, doctrine catholique. Dans la nomenclature
de la foi catholique touchant l'âme du Christ, des hérétiques et l'exposition de leurs erreurs,
et prétendirent, à l'exemple des Ariens, que j'ai suivi l'ordre adopté par lui, mais non sa

le Dieu-Christ avait pris un corps sans âme. méthode; ajoutant ici, d'après d'autres, ce
Confondus par les textes de l'Evangile opposés qu'il n'a pas dit, retranchant ailleurs ce dont
à leur enseignement, ils répondirent que, si il a fait mention , m'étendant sur un point ,

le Sauveur avait pris une âme, elle était pri- abrégeant sur un autre, imitant parfois sa
vée de l'entendement qui rend raisonnable brièveté, suivant, en tout, le plan que je
l'âme humaine défaut, ajoutaient-ils, suppléé
: m'étais tracé. Selon sa manière de voir, les
par la Relativement au
présence du Verbe. hérésies sont au nombre de quatre-vingts il :

corps du ne s'accordaient pas da-


Christ, ils en compte vingt avant la naissance du Sau-
vantage avec l'enseignement de l'Eglise. Dans veur et soixante depuis son Ascension. A -ces
leur opinion le Verbe était une
,
seule et dernières il a consacré cinq livres extrême-
même substance avec son corps il s'était :
ment courts, et pour toutes il a fait les

fait chair en ce sens qu'une portion du Verbe six livresdont se compose son ouvrage tout
s'était convertie et changée en chair, mais son entier. Pour moi, je me suis conformé à ta

corps n'avait pas été formé de celui de Marie. demande, et je t'ai rappelé toutes les hérésies
LVL Les Anlidicomarites ne reconnaissent qui se sont déclarées, même sous ombre de
pas la virginité de Marie ils soutiennent, au : Christianisme, contre la doctrine de Jésus-
contraire, (ju'après la naissance du Christ, Clirisl, depuis le jour oîi il a été glorifié. De
elle a eu des rapports charnels avec son époux. toutes les hérésies citées iiar Epiphane, j'en
LVll. La dernière hérésie dont Epiphane '
Luc, XVIil, 1. — = 1 Thess. V, 17.
DES HERESIES. 15

ai cité de deux qui me


cinquante-sept, — qui, en latin, signifie outre, parce que.
àsz-.ç,

semblaient pareilles, n'en faisant qu'une, et dans leurs fêtes, véritables bacchanales, ils
indiquant, sous des chiffres différents, celles dansent autour d'une outre gonflée et recou-
qu'il avait réunies en une seule, mais qni me verte d'un voile, disant qu'ils sont les vases
paraissaient soutenir des erreurs diverses. Il neufs remplis de vin nouveau dont il est ,

me reste maintenant à énumérer toutes les parlé dans l'Evangile.


sectes indiquées par d'au 1res écrivains, ou LXIII. Les Passalorynchites s'étudient telle-
dont j'ai moi-même souvenance. Voici celles ment au silence, que, pour ne pas le rompre,
que nomme Philastre, et qu'Epiphane n'a pas quand ils jugent à propos de le garder, ils
mentionnées. mettent leur doigt dans le nez, et se ferment
LYlIl. Les Métangismonites, sectateurs du la bouche. Le mot -âasaXo; veut dire pieu, et
Métangismon, avaient, du Père et du Fils, des éj-;7.c; 7iez. Comme tu
ce nom de Passa- le vois,

idées toutes cliarnelles , les considéraient lorynchites est composé mais pourquoi ces :

presque comme deux corps, et disaient que hérétiques ont-ils remplacé le mot doigt par
le Fils est dans le Père, comme un vase est le mot pieu? Je n'en sais rien. Le mot doigt

dans un autre vase, en sorte que le Fils entre se traduisant en grec par Siy.TjXz;, ils auraient
dans son Père comme un vase plus petit pé- pu, avec plus d'à-propos, s'appeler Dacty-
nètre dans un vase plus grand. De là on a Ivryticlutes.
donné à cette erreur le nom grec de aïTa-y^isu.-:;, LXIV. Contrairement k l'usage de toute l'E-
parce que, dans la langue des Hellènes à-^-,£Tsv glise qui offredu vin au saint sacrifice, les
signifie vase on ne trouve pas, dans la lan-
: Aquariens ne mettent que de l'eau dans le ca-
gue latine, de mot qui puisse signifier, à lui lice.

seul, l'entrée d'un vase dans un autre, comme LXV. Les Coluthiens, sectateurs de Colu-
le mot grec a=Ta7i-.<7;j.':;. thus. Celui-ci enseigna que Dieu n'est pas
LIX. Les Séleucieus et les Hermiens, disci- l'auteur des maux qui nous affligent, contrai-

ples de Séleucus et d'Hermias, ont adopté un rement à ce qui est écrit « Je suis le Dieu :

système d'après lequel la matière des éléments « qui crée les maux ' ».

qui' constituent le monde, n'a pas été faite par LXVl. Les Floriniens, disciples d'un prêtre
Dieu, mais lui est coéternelle. A les en croire, nommé Florin, qui rapportait à Dieu la créa-
l'âme de l'homme n'a pas non plus Dieu pour tion du mal, et se mettait ainsi en opposition
auteur, mais les anges l'ont faite de feu et avec ce passage de l'Ecriture « Dieu créa :

Le mal puise son origine, tantôt


d'air subtil. « toutes choses, et voilà que tout était bon- ».

en Dieu, tantôt dans la matière. Jésus-Christ Tout en soutenant des doctrines opposées
n'est poii.t corporellement assis à la droite de l'une' à l'autre, ces deux sectes se mettaient
Dieu, mais, en remontant au ciel, il a quitté en contradiction avec la parole de Dieu car :

sa chair et l'a laissée dans le soleil, selon celte Dieu crée les maux en nous infligeant les

parole du Psalmiste : « Dans le soleil il a peines que nous méritons justement Colu- :

a placé sa tente '


». Il n'y aura pas de paradis thus ne le comprenait pas. Mais Dieu n'a pas
visible , le baptême d'eau est inutile : la ré- créé des natures et des substances mauvaises,
surrection future est un mythe : elle a lieu, considérées comme telles : Florin s'y trom-
tous les jours, dans la procréation des enfants. pait.

LX. La doctrine des Proclianites est la LXVII. Philastre parle d'une secte sans chef
même que celle des Séleucieus mais ils di- ;
et sans nom, d'après laquelle le monde reste-
sent que le Christ, venant en ce monde, ne rait toujours, même après la résurrection des
s'est pas incarné. morts, dans l'état où il se trouve aujourd'hui,

LXI. Selon les Patriciens, disciples de Patri- sans subir aucun changement de la sorte, il :

cius, la substance du corps humain a été n'y aurait ni ciel, ni eau, ni terre nouvelle,
créée, non par Dieu, mais par le diable aussi : malgré les-promesses de la sainte Ecriture K
en ont-ils un tel dégoût, une si vive horreur, LXVII. D'autres hérétiques marchent tou-
que plusieurs d'entre eux se donnent la mort jours nu-pieds, parce que le Seigneur a dit soit
pour en être débarrassés. à Moïse soit à Josué a Ote la chaussure de tes
:

LXII. Les Ascites tirent leur nom du grec —


* Isàie, XLV, 7. ' Gen. I, 31. ' Isaie, lït, 17 ; II Pieire, m
' Ps. iviii, 6. 13 Apoc. Xïl, 1.
16 DES HÉRÉSIES.

« pieds '
», et que le Prophète Isaïe a reçu seul, pour savoir ce que Donat pensait à ce ,

l'ordre de marcher ainsi -. Ces doctrinaires égard. A Rome, on les appelle Montar/nards :
ne seraient point répréhensibles s'ils agissaient leurs coreligionnaires d'Afrique leur envoient
de la sorte dans l'intention de mortifier leur un évêque de leur parti, et parfois, quand ils

corps mais ils le sont, parce qu'ils détournent


:
le jugent à propos, leurs évêques africains
de leur vrai sens les oracles divins. viennent en cette ville pour en ordonner un.
LXIX. Les Donatiens ou Donatistes com- On trouve encore en Afrique, comme secta-
mencèrent par faire un schisme à cause de teurs de Donat, les Circoncellions, hommes
l'ordination de Cécilien, comme évêque de grossiers, d'une audace peu commune) célè-

Carthage, ordination qui avait eu lieu contre bres par les crimes atroces qu'ils commettent
leur gré. Ils l'accusaient de crimes qu'ils ne contre les autres, follement cruels contre
prouvaient pas, et prétendaient que ses consé- eux-mêmes. Ces malheureux se font eux-
crateurs étaient des traditeurs des saintes mêmes mourir de différentes manières, sur-
Ecritures. Après un examen contradictoire et tout en se jetant dans des précipices, dans
qui mettait aux accusations, ils furent con-
fin l'eau ou dans le feu et ceux qu'ils peu-
:

vaincus de mensonge mais ils n'en persis- :


vent amener à leurs erreurs, ils les poussent,
tèrent pas moins dans leur schisme ils y : hommes et femmes, à se détruire, ou parfois,
ajoutèrent même l'hérésie, comme si les à se faire tuer par d'autres, les menaçant de
crimes réels de Cécilien, ou plutôt ses crimes mort, pour le cas où ils ne voudraient pas y
reconnus supposés par les juges avaient ,
consentir. Cependant les Circoncellions ne
fait disparaître l'Eglise d'un monde où ap- sont approuvés que d'un petit nombre de Do-
puyée sur les promesses de Jésus-Christ, elle natistes; mais ceux-ci ne se regardent point

doit subsister toujours : comme si, après avoir comme souillés par leur union avec de tels
été détruite dans l'univers entier par son union hommes eux qui reprochent follement à
,

avec les Cécilianistes, elle s'était réfugiée en l'univers chrétien les accusations élevées
Afrique pour ne plus subsister que dans le contre quelques africains inconnus. Plusieurs
parti de Donat. Chez eux, on rebaptise les ca- schismes se sont déclarés parmi les Dona-

tholiques, et c'est bien en cela qu'ils font une tistes : uns se sont séparés des autres
les

plus formelle profession d'hérésie, puisque, pour former des sociétés particulières et
du consentement de l'Eglise universelle, on différentes mais la plus grande partie de
;

ne réitère point le baptême donné par les hé- la secte est restée étrangère à ces divisions

rétiques comme on le donne ordinairement. intestines. Une centaine


d'évêques Dona-
Donat fut, dit-on, le chef de ce parti: il vint tistes ayant Primien ordonnèrent
écarté ,

de Numidie, souleva une partie des fidèles Maximien comme évêque de Carthage les :

contre Cécilien, et ordonna Majorin évêque trois cent dix autres, auxquels s'en étaient

de Carthage, avec l'assistance des évêques de joints douze, qui avaient assisté à cette ordi-
sa faction qu'il avait appelés autour de lui. A nation sans y donner leur consentement, le
Majorin succéda, dans le même parti héréti- condanmèrent pour une faute abominable.
que, un autre Donat, dont l'éloquence con- Maximien les força à apprendre que même
tribua puissamment à donner de l'importance hors de l'Eglise, on peut conférer le baptême
aux Donatistes peut-être leur nom vient-il
: de Jésus-Christ, car ils reçurent dans leur
plutôt de lui que du fondateur même de leur comnumion quelques évêques de son parti
secte. Nous avons de lui des écrits oîi l'on avec ceux qu'ils avaient baptisés en dehors de
voit qu'il proftssait aussi sur la Trinité des leur secte, sans leur interdire l'exercice de
principes opposés à l'enseignement catholi- leur dignité, sans réitérerle baptême à qui que
que. Bien qu'il reconnût la même sub- ce fût : ils ne cessèrent point d'agir auprès de
stance dans les trois personnes divines, il sup- la puissance séculière, pour les amener à rési-

posait le l'ère plus grand que le Fils, et le Fils piscence, et ils ne craignirent point de se souil-
plus grand que La majorité
le Saint-Esprit. leren vivant en communion avec des hommes
des Donatistes n'embrassa pas néanmoins son dont les crimes avaient été exagérés et flétris
erreur relative à ia sainte Trinité, et il serait, l)ar leur |)ro|)re concile.
je crois, dilliLilc d'en trouver parmi eux un LXX. La secte, des Priscillianistes, née eu
'
Exod. ni, Ti ; Josué, V, lli. — ' Isaie, xx, 2. Espagne, a été fondée par Priscillien. Elle
DES HÉRÉSIES. 17

professe des erreurs diverses, empruntées sur- sectaires évitent de manger, seulement avec
tout des Gnostiques et des Manichéens : ce- ceux qui n'appartiennent pas à leur secte, ou
pendant leur symbole est comme une sentine qu'ils évitent de le faire, même avec leurs
où sont venues converger, horriblement con- coreligionnaires ? Je ne saurais l'affirmer ,

fondues ensemble, lesaboniinations imaginées parce qu'il ne s'explique pas davantage à cet
par les autres hérétiques. Pour mieux déro- égard. Du reste, il ajoute que leur enseigne-
ber aux regards des profanes leurs souillures ment relatifau Père et au Fils est exact, mais
et leurs turpitudes, ils ne cr;.ignent pas de qu'ils ne sont pas catholiques au sujelduSaiut-
dire à leurs disciples : «Jurez, parjurez-vous; Esprit, parce qu'ilsle cousidèreut comme une
«mais ne dévoilez pas nos myslères ». Les simple créature.
âmes, disent-ils encore, sont de même nature LXXII. Un nommé Rhétorius a établi une
et de même substance que Dieu pour venir : doctrine d'une incroyable vanité : àl'entendre,
subir ici-bas des épreuves volontaires, elles tous les hérétiques suivent le chemin droit et
traversent sept cieux, et passent par sept priu- enseignent la vérité ; cela est si absurde, que
cipautés diverses : enfin, elles arrivent jus- je n'ose y croire.
qu'au prince mauvais qui a créé le monde, LXXIII. Une autre secte prétend qu'eu Jé-
et celui-ci les dissémine dans les différents sus-Christ la divinité a souffert au moment
corps animés. Certaines étoiles décident fata- où son corps était attaché à la croix.
lement du sort des hommes, et les douze LXXIV. Une autre soutient que Dieu a trois
signes du ciel concourent à la formation de figures, en ce sens, qu'une partie de la divi-
notre corps ainsi l'imaginaient déjà ceux
: nité est le Père, la seconde, le Fils, la troi-
qu'on nomme vulgairement mathématiciens. sième, le Saint-Esprit ; en d'autres termes, il

Ils voient le bélier dans la tète de l'homme, n'y a qu'un seul Dieu, mais en Dieu sont trois
le taureau dans son cerveau, les gémeaux parties qui forment la sainte Trinité, et dont
dans ses épaules, le cancer dans sa poitrine, la réunion a pour résultat la perfection de la
d'autres signes dans les différentes parties de Divinité, car ni le Père, ni le Fils, ni le Saint-
son corps, et enfin, dans ses pieds, les poissons, Esprit, séparés l'un de l'autre, ne sont parfaits
dernier signe indiqué par les astrologues de : en eux-mêmes.
toutes ces fables ridicules et sacrilèges, et de LXXV. Une autre voit, dans l'eau, une sub-
beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'é- stance, non pas créée par Dieu, mais coéter-
numérer, ces hérétiques ont fait un ensemble nelle à Dieu.
de doctrine. La viande ne fait point partie de LXXVI. Une autre soutient que le corps de
leurs aliments, parce qu'ils la regardent l'homme, non son âme, est l'image de Dieu.
comme une nourriture immonde, et, quand LXXVII. Au dire d'une autre, comme au
ils peuvent y parvenir, ils séparent les époux dire de certains philosophes païens, il y a un
des épouses, les femmes de leurs maris, eu nombre incalculable de mondes.
dépit des résistances qu'y opposent les uns et LXXVlll. Selon une autre, les âmes des mé-
les autres. Car, selon eux, ce n'est pas le Dieu chants deviennent des démons et des animaux
bon et vrai qui crée la chair; ce sont les mau- plus ou moins immondes, suivant qu'elles le
vais anges. Ces hérétiques doivent inspirer méritent.
plus de défiance que les Manichéens, parce LXXIX. Une autre prétend, qu'au moment
qu'ilsne rejettent en rien les Ecritures cano- où Jésus-Christ est descendu aux enfers, les
niques, et qu'ils accordent la même autorité incrédules ont eu la foi, et que tous ont été
aux livres apocryphes, interprétant et allégo- délivrés.
risant à leur gré les passages des livres saints, LXXX. D'autres sectaires ne comprennent
propres à ruiner leur système. L'erreur des point que le Fils ait été éternellement en-
Sabelliens est la leur, puisqu'ils soutiennent gendré ils pensent qu'il a eu un commence-
;

que le Christ est une même personne, non- ment dans le temps mais, voulant confesser
:

seulement avec le Fils, mais encore avec le qu'il est coélernel au Père, ils ajoutent qu'il a
Père et le Saint-Esprit. été dans le Père, avant de naître de lui en un :

LXXI. Philastre parle d'autres hérétiques mot, il a toujours existé, mais il n'a pas tou-
qui ne prennent aucun repas avec leurs sem- jours été le Fils ; il n'a commencé à l'être,
blables. Cet auteur a-t-il voulu dire que ces qu'au moment où il est né du Père.
S. Adg. — Tome XIV. 2
48 DES HÉRÉSIES.

J'ai cru devoir rapporter, dans mon ou- état pour se marier. Quant à Jovinien, il n'a-
vrage, ces hérésies, dont Pliilastre a fait men- vait nine voulait avoir d'épouse, non qu'il
tion dans le sien. Cet écrivain cite encore prétendît en avoir plus tard devant Dieu un
d'autres sectes, mais me il semble qu'on ne plus grand mérite pour la vie éternelle, mais
peut les regarder comme hérétiques quoi
: parce que, à cause de la nécessité présente,
qu'il en soit, toutes celles auxquelles je n'ai le célibat évite à l'homme les embarras et les
pas donné de nom, il ne les nomme pas lui- soucis du mariage. Cependant cette hérésie
même. fut étouffée et disparut bientôt, n'ayant pas
LXXXI. Les Lucifériens. Ce nom devenu cé- même réussi à tromper quelques prêtres.
lèbre fut donné à ceux qui adhérèrent aux LXXXlII.J'ai scrupuleusement étudié l'his-
erreurs de Lucifer, évêque de Cagliari : ni toire d'Eusèbe, traduite en latin par Rufin, et
Epiphane, ni Philastre ne comptent parmi les les deux livresque ce dernier y a joints pour la
les hérétiques si je ne trompe, ils les
: me continuer jusqu'à son temps. On n'y trouve
croyaient plutôt fauteurs de schisme, qu'au- mentionnées que les hérésies citées par Epi-
teurs d'hérésie. Toutefois, dans un opuscule phane et Philastre, à l'exception d'une qu'Eu-
anonyme, j'ai vu les Lucifériens rangés au sèbe rapporte, dans son sixième livre, comme
nombre des hérétiques, car j'y ai rencontré ayant existé en Arabie l'auteur n'en est pas
:

ce passage Quoiqu'attachésen tout à la foi


: « connu, aussi donnerons-nous à ses sectateurs
« catholique, les Lucifériens prétendent sotte- le nom d'Arabiques. Ils enseignaient que l'âme
« ment que les âmes puisent leur origine dans meurt et tombe en dissolution avec le corps,
« la transfusion du sang, et qu'ainsi elles pro- et qu'elle ressuscitera avec lui à la fin des
viennent de la chair, et sont de même sub- siècles.Eusèbe raconte', qu'ils furent bientôt
a stance ». L'auteur de cet opuscule a-t-il cru, désabusés de leurs erreurs par les raisonne-
et en cela a-t-il eu raison , qu'il devait ments d'Origène, qui s'était transporté au mi-
ranger les Lucifériens parmi les hérétiques à lieu d'eux pour les réfuter.
cause de leur doctrine erronée sur l'âme, si Maintenant, il nous reste à parler des héré-
vraiment leur doctrine
toutefois c'était ou : sies dont les différents auteurs précités n'ont
parce que, abstraction faite d'une doctrine pas mention, mais dont le nom est venu
fait

qui n'était ou n'est peut-être pas la leur, ils d'une manière quelconque à notre connais-
auraient soutenu, avec une opiniâtre animo- sance.
sité, le principe de leur schisme ? C'est là une LXXXIV. Les Helvidiens étaient disciples
question étrangère au but que je me propose : d'Helvidius : ils soutenaient une opinion tout
je ne dois donc pas, ce me semble, la traiter opposée à la virginité de Marie, car ils disaient
ici. qu'elle a eu plusieurs enfants de Joseph, son
LXXXII. J'ai trouvé, dansle même ouvrage, époux, après la naissance de Jésus-Christ. Epi-
le nom des Jovinianistes, que je connaissais phane admis de citer le nom d'Helvidius en
déjà. Un moine, appelé Jovinien, a établi parlant des Antidicomarites, mais je seraisbien
de notre temps, lorsque nous étions
cette secte étonné s'il n'a pas voulu désigner les Helvi-
encore jeune. Comme les Stoïciens, il soute- diens sous ce dernier titre.
naitque tous les péchés sont égaux que ;
LXXXV. Les Paterniens, que quelques-uns
l'homme ne peut plus commettre de péchés nomment aussi Vénustiens, attribuent au dia-
après avoir été régénéré dans les eaux du ble, et non à Dieu, la création des parties in-
bai)lême que le jeûne et l'abstinence de cer-
; férieures du corps humain, et, donnant à leurs
taines viandes ne sont d'aucune utilité. Il sens dépravés toute liberté d'action, ils s'aban-
anéantissait la virginité de Marie, puisqu'il donnent aux dernières infamies de l'impudi-
disait qu'elle avait été souillée par l'enfante- cité.
ment. La virginité religieuse et le célibat LXXXVI. Les Terlullianistes, sectateurs de
saintement observés n'ont pas plus de mérite Terlullien, qui a écrit, avec une admirable
devant Dieu pour ceux qui les embrassent, éloquence , un grand nombre d'opuscules.
que l'état du mariage, lorsqu'on s'y conduit Leur secte s'est peu à peu all'uiblie jusqu'à nos
avec chasteté et fidélité. Aussi vit-on à Koinc, jours, etc'estdanslaviiledeCarthagC(|u'ontpu
où il prêciiait cette doctrine, des vierges sa- se conserver leurs derniers débris : lorsque j'y
crées, déjà avancées en âge, renoncer à leur ' Liv. VI, ch. XXXVII.
DES HÉRÉSIES. 19

demeurais, il y a quelques années, tu dois l'en de leurs docteurs, il ne leur était point permis
souvenir, leur secte y a complètement disparu: de vivre dans le célibat. Aussi l'homme et la
le très-petit nombre d'adeptes qui en restaient, femme vivaient-ils sous le même toit, après
sont rentrés dans le giron de l'Eglise, et ont avoir fait vœu de
continence, et avoir, dans
donné aux Catholiques leur basilique, encoresi leur contrat de mariage, légué leur future suc-
connue de nos jours. Comme ses livres l'indi- cession à un jeune homme et à une jeune
quent, Tertullien croyait immortelle l'àme de fille, qu'ils adoptaient alors : si la mort enle-
l'homme, mais il enseignait que cette âme est vait ces jeunes gens avant le décès de leurs
un corps, et ce qu'il disait de Tàme, il le disait parents adoptifs, ceux-ci leur en substituaient
de Dieu. Cette manière de s'exprimer ne fai- que deux personnes
d'autres; l'essentiel était
sait pas de lui un hérétique, car on pourrait, de sexe différent succédassent à deux autres
jusqu'à un certain point, imaginer qu'il a pour continuer à former une société dans leur
donné le nom de corps à la nature ou sub- maison car, l'un ou l'autre des parents adop-
:

stance divine, sans vouloir sous cette dénomi- tifs venantàdécéder, cesjeunesgens prenaient
nation parler d'un corps pareil à ce que nous soin du survivant, avec une piété toute filiale,

appelons ainsi, et dont on puisse, ou dont on jusqu'à la fin de ses jours; puis, ils adoptaient,
doive supposer certaines parties plus grandes à leur tour, un garçon et une fille. Au miheu
ou plus petites que les autres. A la vérité, il a de voisins à qui permis d'avoir des en-
il était
eu de l'àme des idées trop matérielles, mais, fants, l'occasion d'en adopter ne fit jamais dé-
comme j'en ai faitia remarque, on a pu penser, faut aux Abéloites les chefs de famille s'em-
:

d'après son langage, que Dieu est un corps, pressaient, au contraire, de leur donner les
en ce sens qu'il n'est ni un néant ni un vide, leurs, dans l'espoir de les voir recueillir, un
ni un corps humain, ni une ànie d'homme ,
jour, un riche héritage.
mais qu'il est tout entier partout, non partagé LXXXYIII. Le moine Pelage fonda, il y a peu
suivant les lieux, demeurant toujours et d'une de temps, la dernière secte connue, celle des
manière immuable, dans sa nature et sa sub- Pélagiens, qui se nomment aussi Célestiens, de
stance. La doctrine de Tertullien n'est donc pas Célestius, disciple de leur maître. C'est par la
hérétique sous ce rapport : il n'a cessé d'être grâce de Dieu que nous avons été prédestinés
catholique qu'au moment où
embrassé le il a pour devenir ses entants adoptifs par Jésus-
parti des Cataphryges, auparavant confondus Christ '
: c'est elle qui nous a arrachés à la

par lui, et condamné les secondes noces comme puissance des ténèbres, qui nous a fait croire
un crime d'impudicité, malgré l'enseignement en lui, et passer dans le royaume de son Fils
de l'Apôtre '. Plus tard, d'ailleurs, il s'est sé- bien-aimé ^ Voilà pourquoi, il dit en saint
paré d'eux pour devenir lui-même chef de Jean ' « Personne ne peut venir à moi, s'il ne
:

secte. On ne peut le nier, il croyait que les a lui est donné par mon Père » Par elle encore, .

âmes des scélérats se changent en démons l'amour de Dieua été répandu dans noscœurs',
après la mort. afin que notre foi animée de la charité '.
soit

LXXXVII. Nous avons ou phitôt nous ,


Les Pélagiens se montrent à tel point ennemis
avons eu sur notre territoire d'Hippone une de cette grâce, qu'à les entendre, l'homme
secte hérétique composée de paysans, peu à peut, sans elle, observer tous les commande-
peu réduite à de faibles proportions; elle avait, ments de Dieu. S'il en était ainsi, le Seigneur
tout entière, trouvé un refuge dans une petite aurait inuhlement dit « Vous ne pouvez rien :

* ». Réprimandé par les frères


ferme les membres en étaient très-peu nom-
: « faire sans moi

breux, et c'était là tout ce que la secte comp- de ce qu'il ne laissait rien à l'action delà grâce

tait d'adeptes. Dans la langue punique, qui a dansl'observation des commandements, Pelage
corrompu leur nom, ils s'appelaient Abélo- céda à leurs remontrances, et admit cette grâce :

niens : certains auteurs remontent jusqu'à mais, loin de lui donner la préférence, il lui

Abel, fils d'Adam, pour trouver l'origine de attribuait, par uneindigne subtilité, moins de
ce nomnous pouvons donc les désigner sous
: puissance qu'au libre arbitre, car il disait :

celui d'Abéliens ou d'Abéloïtes. Ils s'abste- Dieu donne sa grâce aux hommes pour leur
naient de tout commerce conjugal avec leurs rendre plus facile l'accomplissement de ce qui
femmes, et pourtant, d'après l'enseignement — ' Coloîs. 13. — '
Jean, 7r, 66. — ' Rom. v, 5. —

Eph. I, 5. 1,

' Tim. IV, 3.


' Galat. V, 6. — ' Jean, ïv, 5.
-20
DES HÉRÉSIES.

estcommandé à leur libre arbitre. Il est bien d'un état bon à un état meilleur, mais non
évident, qu'en s'exprimanl ainsi, il entendait la délivrance d'un mal quelconque provenant
dire que, si l'observation des volontés divines de la chute du premier homme. S'ils ne sont
était plusdifficile,riiomme pourrait encore par point régénérés ils n'entreront pas
, à la ,

lui même
s'en acquitter. Cette grâce de Dieu, vérité , dans le royaume de Dieu néan- :

sans laquelle nous ne pouvons rien faire de moins, une vie éternelle et heureuse sera
bon, n'est autre que lelibrearbilre :1e Seigneur leur partage. Lors même qu'Adam n'eût pas
nous l'a donnée d'une manière toute gratuite, commis son péché, il serait mort a
mort : sa
et, par sa loi comme par sa doctrine, il nous été le résultat, non de mais de l'infir-
sa faute,
aideseulement à apprendre ce que nous devons mité de sa nature. On reproche aux Pélagiens
faire et espérer mais il ne nous aide aucune-
:
beaucoup d'autres erreurs mais, il est facile
:

ment, par le don de son Esprit, à faire ce que de le comprendre, toutes ou presque toutes
nousavons appris. Il avoue donc que lascience, découlent de celles dont je viens de parler.
par laquelle l'ignorance se dissipe, nous vient Voilà que j'ai énuméré un grand nombre
d'en haut pour la charité qui nous fait vivre
:
d'hérésies, et pourtant je n'ai pas accompli
saintement, il le nie en d'autres termes, Dieu :
ma tâche dans tout le sens de ta demande.
nous donne la science, qui enfle, si la charité Pour me servir de tes propres paroles « De- :

ne l'accompagne, mais il ne nous donne pas « puis l'origine de la religion chrétienne ,


la charité, qui empêche le science d'enfler, et « héritage divin promis à nos pères », quelles
qui édifie '. Les Pélagiens nient aussi la né- hérésies ont paru ? Comment aurais-je pu les
cessité delà prière. Pourquoi l'Eglise prie-t- citer toutes , moi qui n'ai pu les connaître
elle pour les infidèles et ceux qui résistent à toutes, à mon avis ? Aucun des auteurs que j'ai
l'enseignement divin, afin qu'ils se convertis- consultés, ne les a nommées intégralement :

sent au Seigneur, et pour les fldèles, afin qu'ils puisque j'ai trouvé, dans les livres de l'un ,

reçoivent l'accroissement de leur foi et persé- celles dont les autres ne font pas mention, et,
vèrent dans le bien ? C'est inutile ; l'homme dans les livres de ces derniers, celles dont le
ne reçoit point du ciel ces différents dons : il premier ne parle pas. Ma liste est beaucoup
les trouve en lui-même, et, s'il est favorisé de plus étendue que les leurs, parce que j'ai pris,
la grâce qui éloigne de lui l'impiélé, il ne la dans l'ouvrage de chacun d'eux, ce que je ne
reçoit qu'en conséquenee de ses propres mé- rencontrais pas ailleurs, y ajoutant même des
rites. noms que ma mémoire me rappelait, mais
Dans la crainte de voir condamner cette qui n'étaient indiqués par aucun d'eux. Je n'ai
doctrine par les évêqucs de Palestine réunis en pas été à mêmede lire tous les écrivains qui
concile, Pelage fut obligé de la désavouer lui- ont traité cette question aucun de ceux que
;

même ;
mais dans ses écrits postérieurs les j'ai lus, n'a épuisé son sujet d'où je conclus
:

mêmes erreurs se rencontrent. La vie des jus- avec justice que mon travail lui-même ne
tes sur la terre, ose-t-il encore dire, s'écoule doit pas être complet. Enfin, s'il est possible,
exempte de tout péché : c'est en eux que l'E- malgré ma répugnance à le croire, que j'aie
glise de Jésus-Christ acquiert ici-bas toute sa nommé tous les hérétiques, je ne puis sûre-
perfection, en sorte qu'elle y apparaît sans ta- ment affirmer que j'ai parlé de tous. Par con-
ches ni rides d'aucune sorte * : comme si elle séquent, ce que tu me demandes de parachever
n'était pascelteEglise de Jésus-Cbrist, qui, d'un par mes explications, je ne puis pas même
bout du monde à l'autre, adresse à Dieu cette parfaitement le comprendre, ni le savoir. J'ai
prière : « Remettez-nous nos dettes
«.Enfin, ^ entendu dire que saint Jérôme a fait un livre
les enfants naissent selon la cliair en
(|ui sur les hérésies, mais nous n'avons pas trouvé
Adam, ne contractent point, dans cette pre- son opuscule dans noire bibliothèque, et nous
mière naissance, legcrme de la mortéternelle ne savons, à vrai dire, par quel moyen
:

ilsviennentau monde tout à lait purs du péché nous le procurer. Si tu sais où il se trouve,
originel il n'y a donc en eux rien de piends-eu connaissance .tu y rencontreras
:
coupable, ;

qui exige une petonde naissance on les peut-être mieux A mon avis, cepen-
bap- : ([u'ici.
tise pour leur procurer l'adoption dant, et malgré l'étendue de ses connaissances,
divine, l'ad-
mission dans le royaume céleste, le lui a été impossible de tracer un tableau
passage il

• 1 Cor. VIII, 1. _ ' Epb. V, 1!7. — '


Malt, vi, 12. parfait de toutes les erreurs anlicatholiqucs.
DES HÉRÉSIES. 21

Ainsi, du moins je l'imagine, il n'a pas connu serait là une recherche inutile : il suffit, pour
les Abéloïtes, hérétiques de notre pays, ni cela, de savoir qu'elle professe des vérités op-
beaucoup d'autres peut-être, dont les erreurs posées à l'enseignement des hérétiques, et
circonscrites en des contrées retirées ont , qu'on ne peut suivre leurs erreurs comme ar-
échappé à ses investigations, à la faveur de ticles de foi. Quant aux arguments à employer
l'obscurité dans laquelle elles ont vécu en- pour le soutien et la défense de la saine doc-
veloppées. trine, les bornes de ce livre ne me permettent
Dans tes lettres tu me pries de l'indiquer pas de les indiquer. Mais, pour un cœur fidèle,
les points de doctrine sur lesquels les héré- c'est beaucoup de connaître ce qu'il faut ne
tiques sont en désaccord avec le caliiolicisme. pas croire, lors même qu'on ignorerait la ma-
Lors même que je saurais tout, je ne pourrais nière de raisonner pour réfuter l'erreur. Tout
le (aire : comment donc le ferais-je, moi, qui catholique doit donc ne pas croire ce qui est
ne puis tout savoir ? 11 faut l'avouer, certains opposé à sa foi ; mais, de ce qu'il n'admet pas
hérétiques, entre autres les Macédoniens, les ces erreurs comme articles de foi, il ne suit
Photiniens, et tous ceux qui marchent sur pas rigoureusement qu'il soit en droit de croire
leurs traces, n'attaquent la règle de notre foi ou de se dire catholique. En effet, des erreurs,
que sur un point particulier, ou peu s'en faut. différentes de cellesque j'ai énumérées dans
D'autres, à qui je donnerais volontiers le nom cet ouvrage, peuvent exister maintenant ou
de bouffons, ont inventé des fables aussi ridi- plus tard, etquiconque adhérera à quelqu'une
cules que longues et difficiles à comprendre : d'entre elles, tombera dans l'hérésie.
ceux-là soutiennent une telle multitude d'er- En quoi consiste l'hérésie ? Voilà l'objet de
reurs, qu'on ne pourrait que très-difticilement nos investigations ultérieures puissent ces :

en indiquer le nombre. Les membres des sectes recherches nous aidera éviter toujours, comme
hérétiques saisissent, mieux que personne, le nous le faisons aujourd'hui par la grâce de
sens de leurs hérésies : voilà pourquoi j'avoue Dieu, venin des hérésies présentes ou fu-
le

n'avoir ni connu ni énuméré tous leurs dog- tures, de celles que nous connaissons et de
mes. Tu imagines aisément ce qu'une entre- celles que nous ne connaissons pas Je termine !

prise de ce genre exigerait de travail et de ici ce volume j'ai pensé qu'il était expédient
:

pages mon livre mérite néanmoins d'être lu,


: de vous l'envoyer avant d'achever entièrement
car il est extrêmement important d'éviter les mon ouATMge, afin que tous ceux d'entre vous
erreurs dont il fait mention. Tu as pensé que qui le liront, m'accordent le secours de leurs
je dirais ce que l'Eglise catholique enseigne prières pour m'aider à mener à bonne fln ce
sur les points de foi attaqués par l'hérésie : ce travail dont vous sentez l'importance.

Traduction de M. l'abbé A UBERT.


.

CONTRE LES JUIFS.

CHAPITRE PREMIER. « royaume seront jetés dans les ténèbres


« extérieures ; là sera le pleur et le grince-
SÉVÉRITÉ DE PIEU MANIFESTÉE PAR tA DESTRUC- « ment de dents ». Mais aux nations qui per-
TION DU PEUPLE JUIF. SA BONTÉ DANS LA VOCA- bien, s'applique ce qui est
sévèrent dans le
TION DES GENTILS. l'AVEUGLEMENT DES JUIFS dit auparavant : « Plusieurs viendront d'o-
CONDAMNÉ PAR LES TEXTES DE l' ANCIEN TESTA-
« rient et d'occident, et prendront place dans
MENT. « le royaume des cieux avec Abraham Isaac ,

1. Le bienheureux apôtre Paul, docteur des « et Jacob ». Ainsi, par une juste sévérité de
'

Gentils dans la foi et la vérité, nous exhorte la partde Dieu, l'orgueilleuse infldéUlé des
à demeurer stables et termes dans une même branches naturelles leur a-t-elle mérité d'être
croyance, dans la croyance dont il s'est montré séparées de leur racine, c'est-à-dire des pa-

le Adèle ministre en cela, il nous donne un


:
triarches, tandis que la grâce divine a greffé
précepte qu'il conrirme par un exemple capa- l'oliviersauvage sur cette racine en récom-
ble de nous effrayer. « Tu vois », nous dit-il, pense de son humble fidélité.
8 la sévérité et la bonté de Dieu sa sévérité : 2. Quand on cite aux Juifs ces passages, ils

a envers ceux qui sont tombés et sa bonté ;


méprisent à la fois l'Evangile et l'Apôtre : ce
« envers toi, si toutefois tu demeures ferme que nous leur disons, ils ne l'entendent pas,
« dans cette même bonté ». Il est sûr, qu'en parce qu'ils ne comprennent point ce qu'ils
s'exprimant ainsi, il a voulu parler des Juifs : lisent car, évidemment, s'ils savaient de qui
;

]iareils aux branches d'olivier, violemment le Prophète a voulu parler en ce passage :

arrachées d'une souche fertile, ils ont été sé- G Je l'ai établi pour être la lumière des na-

parés de leurs saints patriarches en raison de « lions elle salut(iue j'envoie jusqu'aux extré-
leur infidélité : afm que les Gentils fussent, « mités de lane seraient ni
terre -
», ils

à cause de leur foi, comme un olivier sauvage, assez aveugles, ni assez malades pour ne pas
greffé sur un olivier fertile, et devinssent reconnaître, dans le Seigneur Jésus, la lu-
])articipants de la sève à la place des branches mière et le salut. Si encore ils comprenaient
naturelles qui en ont été privées. «Mais », dit- à quels hommes s'applique ce verset prophé-
il encore , « garde-toi de l'élever par pré- tique qu'ils chantent inutilement et sans
« somption, contre les branches naturelles : profit pour eux : « Leur voix a éclaté dans

« car, si tu penses t'élever au-dessus d'elles, « toute la terre, et leurs pai-oles se font en-
« considère que ce n'est pas toi qui portes la « tendre jusqu'aux extrémités du monde * » ;

« n lis que c'est la racine qui te porte »


racine, ils s'éveilleraient à la voix des apôtres : et

Et parce que quelques-uns d'entre les Juifs verraient que leur parole vient de Dieu.
arrivent au salut, il ajoute « Autrement, tu : Invoquons donc le témoignage des saintes
a seras toi-même retranché comme eux pour : Ecritures, car elles jouissent, aussi chez eux,
« eux, s'ils ne demeurent pas dans leur infi- d'une grande autorité, et si nous ne pouvons
« délité, ils seront greffés sur la tige, car Dieu les guérir de leur infidélité en leur offrant ce

a est tout-puissant pour les y enter de nou- moyen de salut, nous les convaincrons du
veau • » A ceux, au contraire, qui persé-
.
moins d'erreur par l'évidence de la vérité.
vèrent dans le mal, s'adresse cette sentence • MaU. vuî, l:;, U. — ' Isaie, XLix, 6. — ' Ps. svni, 5.

prononcée par l'Eternel « Les enfants de ce :

' Rom. XI, 18-23,


CONTRE LES JUIFS. 23

CHAPITRE II. nous observons véritablement le sabbat, et


pour nous la célébration de la nouvelle lune
LES LIVRES DE l'.4NCIEN TESTAMENT NOUS CON-
n'est autre chose que la sanctification d'une
CERNENT : NOUS EN OBSERVONS MIEUX LES PRÉ-
vie nouvelle : notre pâque, c'est le Christ ; la
CEPTES QUE LES JUIFS.
sincérité et la vérité, voilà nos azymes; le

3. Nous devons d'abord réfuter une erreur vieux levain ne s'y trouve pas, et s'il y a
commune parmi les .Tuifs : à les entendre, les d'autres mystères figurés par les présages an-
livres de l'Ancien Testament ne nous concer- tiques,nous ne nous arrêterons pas mainte-
neraient en aucune manière, puisque nous nant expliquer
à cela est inutile
les nous ; :

observons, non les anciens rites, mais des nous bornerons donc à dire qu'ils ont eu leur
rites nouveaux. A quoi vous sert la lecture perfection en Jésus-Christ, dont le règne n'aura
de la Loi et des Prophètes, puisque vous ne pas de fin. Toutes choses devaient, en effet, se

voulez point en observer les préceptes ? Voilà trouver accomplies en Celui qui est venu, non
ce qu'ils nous disent, parce que nous ne pra- pour détruire la Loi et les Prophètes, mais
tiquons pas la circoncision du prépuce sur les pour les accomplir '.
enfants mâles parce que nous mangeons des
;

viandesdéclarées immondes par la Loi parce


CHAPITRE III.
;

que nous n'observons point, d'une manière JÉSUS-CHRIST n'a POINT ABOLI LA LOI EN RAISON-
charnelle, leurs sabbats, leurs néoménies, et NANT IL l'a changée en l'accomplissant, le
:

leurs jours de fêtes ;


parce que nous n'immo- CHANGEMENT DES RITES ANCIENS A ÉTÉ PRÉDIT
lons à Dieu aucune victime tirée de nos trou- DANS LES PSAUMES.
peaux, et que nous ne célébrons point la
pâque avec un agneau et des pains azymes ;
4. Jésus-Christ n'a point aboli par le raison-
parce qu'enfin nous négligeons d'autres an- nement les anciens signes des choses futures,
ciens rites, que l'Apôtre désigne sous le nom mais il les a changés en faisant ce qu'ils pré-
générique d'ombres des choses futures. Saint disaient : car il voulait, pour annoncer que
Paul les appelait ainsi, car, de leur temps, ils le Christ était déjà venu, des rites différents
annonçaient la révélation des mystères à la de ceux qui annonçaient sa venue future. Mais
connaissance desquels nous avons été appelés, que signifie ce titre « Pour ce qui doit être :

afin que, dégagés des ombres anciennes, nous « changé », placé en tête de certains psaumes

jouissions de leur pure lumière. Il serait trop que les Juifs ont entre les mains, auxquels ils

long d'engager avec eux une discussion sur reconnaissent l'autorité des saintes lettres ?
chacun de ces points en particulier, de leurfaire (Le texte de ces mêmes psaumes a trait au
comprendre comment, en nous dépouillant Christ.) Evidemment il annonce le change-
du vieil homme, nous pratiquons la circonci- ment futur par le Christ de rites que nous
sion sans nous dépouiller de la chair de notre savons aujourd'hui, parce que nous voyons, le

corps; de leur dire que nous apportons, dans avoir été changés par lui. De manière,
cette

nos mœurs, la sévéritéqu'ils apportent dans le le peuple de Dieu, qui est maintenant le peu-
choix de leurs viandes en un mot, de leur
: ple chrétien, n'est point obligé d'observer les
montrer que nous ofirons nos corps à Dieu, lois des temps prophétiques non qu'elles ,

comme une hostie vivante, sainte et agréable; aient été condamnées, mais parce qu'elles ont
qu'au lieu du sang des brutes, nous répan- subi une transformation. Les mystères prédits
dons nos âmes intelligentes en de saints dé- par les anciens rites ne devaient point non
sirs, et que nous sommes purifiés de toute plus disparaître, mais il fallait que les signes

souillure par le sang de Jésus-Christ, comme de ces mystères fussent appropriés aux épo-
par le sang d'un agneau sans tache. A cause ques diverses auxquelles ils étaient destinés.
de la ressemblance de son corps avec un corps
CHAPITRE IV.
de péché, le Sauveur a été figuré par les boucs
des anciens sacrifices, et celui qui reconnaît LE CHRIST ANNONCÉ DANS LE PSAUME QUARANTE-
en sa personne la plus grande victime, ne QUATRIÈME.
fait point difficulté, en face des branches de

la croix, de le considérer comme le taureau 5. Le quarante-quatrième psaume est le

de la loi mosaïque. Trouvant en lui notre repos, ' Malt. T 17,


.

CONTRE LES JUIFS.

premier de ceux à la tête desquels on Ht ce vous pu apparaître belle à ses yeux, quand
litre : « Pour ce qui doit être changé », et ces vous portiez sur vous la souillure de vos pé-
autres paroles : « Cantique pour le bien-aimé » chés? Mais n'allez pas le croire: votre espé-
Le Christ s'y trouve Irès-clairement désigné : rance ne s'appuiera point sur un homme,
« Il est le plus beau des enfants des hommes : a parce que », ajoute-t-il encore, « il est lui-

9 ayant forme et la nature de Dieu, il n'a


la « même le Seigneur votre Dieu ». Ne mépri-
«point cru que ce fût pour lui une usurpation sez pas la forme d'esclave ne tournez en dé-
:

a de se dire égal à Dieu ». On lui dit dans ce rision, ni la faiblesse du Tout-Puissant, ni


psaume : a Ceignez-vous de votre épée et pla- l'humilité du Très-Haut, car « il est votre
B cez-la sur votre cuisse », parce qu'il devait « Dieu
Sous les apparences de la petitesse
».

s'incarner pour parler aux hommes. En se cache la grandeur dans les ombres de la ;

elîet, sous le nom d'épée on désigne le dis- mort, le soleil de justice; au milieu des abais-
cours, et sous celui de cuisse, la nature hu- sements de la croix, le Roi de gloire. Que ses
maine, car « il s'est anéanti en prenant la persécuteurs le fassent mourir, qu'il soit mé-
« forme d'un esclave », afin « qu'étant », par connu des infidèles, « il n'en est pas moins
sa divinité, « le plus beau des enfants des « le Seigneur votre Dieu » : par son incarna-
« homnies », il devînt, par sa faiblesse, celui tion, il substitue la réalité aux antiques
dont un autre prophète a dit « Nous l'avons : figures.
« vu, et il n'avait ni beauté ni éclat son vi- : CHAPITRE V.
« sage était abject, et son maintien sans di-
I.A TRANSFORMATION DES ANCIENS RITES PRÉDITE
« gnité ». Dans le même psaume, le Christ
'

AUSSI PAR LE TITRE DU SOIXANTE-HUITIÈME


nous apparaît positivement non-seulemenl ,
PSAUME, OU LE PROPHÈTE A PARLÉ DE LA PAS-
comme homme, mais aussi comme Dieu, car
SION DE JÉSUS-CHRIST.
le Prophète ajoute « Votre trône, ô mon :

« Dieu, est un trône éternel : le sceptre de G. Le psaume soixante-huitième porte encore


« votre royauté est un sceptre d'équité; vous ce titre « Pour ce qui doit être changé ». Le
:

a aimez la justice et vous haïssez l'iniquité ; Prophète y chante la passion de Notre-Sei-


« c'est pourcela, ô mon Dieu, que votre Dieu a gneur Jésus-Christ, et met dans la bouche du
« répandu sur vous l'onction de la joie, et vous Sauveur certaines paroles de ses membres,
« aélevé au-dessus de tous ceux qui doivent par- c'est-à-dire, de ses disciples. Le Christ n'a
ceticijier h votre gloire ». Le Christ est ainsi lui-même commis aucun péché, mais il a
nommé de cette onction, que le grec traduit par supporté le fardeau des nôtres; c'est pourquoi
le mot //i.'n'.o- : il est Dieu, et il a reçu de Dieu il est dit « Et mes péchés ne sont point ca-
:

son onction ; et comme tous les autres rites « chés à vos yeux » Nous trouvons écrit et
.

charnels, elle a été transformée par lui en un aimoncé d'avance, dans ce psaume, un fait rap-
rite spirituel. Le Psalmiste lui parle encore de porté dans l'Evangile ' « Ils m'ont donné du:

son Eglise «La reine s'est assise à votre droite,


: « fiel en guise de nourriture, et, pour étancher

« vêtue d'ornements précieux » par oij il : M ma soif, ils m'ont abreuvé de vinaigre». Sui-

indique la variété des langues au sein de tontes vant la prédiction énoncée au titre du psaume,
les nations unies , cependant par les liens Jésus-Christ a donc transformé cequi était an-
d'une même foi, simi)le et intérieure, car cien. Les Juifs lisent ces passages et ne les com-
« la véritable gloire de la fille du roi est in- prennent pas aussi croient-ils nous causer de
:

térieure ». Puis, s'adressant à cette Eglise, l'embarras, en nous demandant comment


le Prophète lui dit « Ecoutez, ma flUe, et : nous pouvons reconnaître l'autorité de la Loi
a voyez B écoutez la promesse
: voyez-en , cl des Prophètes, dès lors que nous ne pra-
l'accomplissement. « Et oubliez votre peu[ilc tiquons pas les rites qu'ils nous ont prescrits.
« et la maison de votre père ». Ainsi s'accom- Nous n'observons pas ces rites, parce qu'ils
j)lisscnt de nouvelles choses ainsi se trans- : ont été changés ils ont été changés, parce
:

forment les anciennes. « Parce que le roi a que leur transformation a été prédite, et nous
«été charmé de votre beauté ». La beauté croyons en Celui qui les a transformés par sa
qu'il a créée par lui-même, il ne l'a pas ren- venue en ce monde. Si donc nous n'obser-
contrée en vous : comment, en eflet, auriez- vons pas les rites prescrits par la Loi et les
* liiic, un, 2. '
Malt. X.ÏVI1, 31-18.
.

CONTRE LES JUIFS.

Prophètes, c'est que nous comprenons ce « ront acquise comme leur héritage, et la
qu'ils ont prédit, c'est que nous possédons la « race de ses serviteurs la possédera , et

réalité de ce qu'ils ont promis. Pour les Juifs, «ceux qui aiment son nom y établiront
,

qui nous adressent ces reproches, ils doivent «leur demeure ». Mais lorsque les Juifs
à leurs ancêtres de participer encore à l'à- lisent ces paroles, ils les entendent dans un
aiertume du fiel donné par eux en nourriture sens charnel pensent à la Jérusalem d'ici-
: ils

iu Seigneur ; ils se ressentent encore de l'à- bas, qui est esclave avec ses enfants, et non
creté du vinaigre qu'ils ont offert au Christ point à la Jérusalem éternelle et céleste, qui
pour apaiser sa soif : ils ne comprennent pas est notre mère '.

ces choses , car en eux se vérifle cet autre


passage du Psalmiste : « Que leur table soit CHAPITRE VT.

« devant eux comme un filet qu'elle leur soit


;
LE TITRE DU PSAUME SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME
« une juste rétribution, une pierre de scan- U TR.\NSF0RMAT10N DES ANCIENS
PRÉDIT EXCORE
« dale B. En abreuvant le pain vivant de fiel
RITES CETTE TRANSFORMATION FUTURE EST
:

et de vinaigre, ils se sont eux-mêmes saturés


PROUVÉE CONTRE LES JUIFS PAR DES TÉMOIGNA-
d'àcreté et d'amertume. Comment donc sai-
GES PLUS ÉCLATANTS.
siraient-ils le sens d'une prophétie qui pro-
nonce contre eux cette sentence « Que leurs : 7. Le psaume soixante-dix-neuvième porte,
« yeux soient aveuglés pour qu'ils ne voient comme le quarantième elle soixante-huitième,
«point?» Comment pourraient-ils se tenir ce litre : « Pour ce qui doit être changé »
droits,de manière à élever leurs cœurs vers Entre autres passages, on y lit celui-ci « Re- :

Dieu, eux dont il a été prédit « Faites que : gardez du haut du ciel, et voyez, et visitez
« leur dos soit toujours courbé? » Ces paroles « cette vigne donnez la perfection à celle que :

n'ont pas été prononcées contre eux tous, mais « votre droite a plantée, et jetez les yeux sur le
elles l'ont été contre tous ceux auxquels s'ap- « Fils de l'homme, que vous avez affermi pour
plique ce qui a été prédit. Elles ne concer- «vous ». Cette vigne est évidemment celle
nent point ceux d'entre eux qui ont cru alors dont il est dit « Vous avez transporté votre :

en Jésus Christ, ni ceux qui croient en lui « vigne de l'Egypte » car le Christ n'a point ;

aujourd'hui, ni ceux qui y croiront depuis ce planté une vigne autre que celle-là, mais en
jour jusqu'à la fin des siècles elles ne s'ap- : venant sur la terre, il l'a changée et rendue
pliquent aucunement au vrai peuple d'I-raël, plus parfaite. C'est pourquoi on lit aussi dans
c'est-à-dire, à ce peuple qui verra le Seigneur l'Evangile « Il fera périr misérablement ces
:

face à face « Car tous ceux qui descendent


: « méchants, et il louera sa vigne à d'autres
« d'Israël, ne sont pas pour cela Israélites, « vignerons* ». En effet, l'Evangéhste ne dit

« et tous ceux qui sont de la race d'Abraham, pas 11 l'arrachera et en plantera une autre,
:

« ne sont pas pour cela ses enfants mais : mais Il louera cette même vigne à d'autres
:

« Dieu lui dit C'est d'Isaac que sortira la


: vignerons. La cité de Dieu se compose de la
« race qui doit porter ton nom, c'est-à-dire, société des saints c'est la réunion des en- ;

« ceux qui sont enfants d'Abraham selon la fants de la promesse ils disparaissent tour à :

a chair, ne sont pas pour cela enfants de tour emportés par la mort, mais leur passage
a Dieu mais ce sont les enfants de la pro-
: successif ici-bas la conduira à sa perfection,
« messe qui sont léputés être les enfants d'A- et, à la fin des siècles, elle recevra en même
« braham ' ». Au contraire, ces Juifs appar- temps, dans chacun d'eux, l'immortalité que
tiennent à la Jérusalem spirituelle et aux le Seigneur lui réserve. Dans un autre pas-
villes de Juda, c'est-à-dire à l'Eglise ; c'est sage, la cité de Dieu nous est représentée,
d'eux que parlait l'Apôtre quand il disait : d'une manière différente, sous l'emblème
« Les églises de Judée qui croyaient en Jésus- d'un olivier fertile, et le Psalmiste lui prête
ci Christ, ne me connaissaient pas de visage - ». ce langage : .« Pour moi, je serai dans la mai-
Car, selon ce qui est écrit dans la suite du « sou du Seigneur comme un olivier qui porte
même psaume Dieu sauvera Sion, et les
, « « du fruit, parce que j'ai mis toute mon espé-
a villes de Juda seront bâties de nouveau, « rance dans la miséricorde de Dieu pour l'é-

« et ils y demeureront, après qu'ils l'au- « ternité, et pour tous les siècles des siè-
• Rom. IX, 6-8. — ' Galat. i, 22. • Galat. I, 22. — Matt. ixi, 41.
26 CONTRE LES JUIFS.

« clés '
». Si des rameaux infidèles, orgueil- « à luire, et que les ombres se dissipent '
»,
leux, et, par là même, stériles, ont été arrachés le sens spirituel doit briller de tout son éclat ;

du tronc pour permettre à l'olivier sauvage, le culte charnel doit finir. «Le Seigneur, Dieu
c'est-à-dire aux Gentils, d'y être greffé à « des dieux, a parlé, et il a appelé la terre de-
leur place, ce n'est point une raison pour que « puis le lever du
jusqu'à son cou- soleil
la racine de l'arbre, c'est-à-dire des patriar- « chant ». Oui, il a appelé toute la terre à
ches et des prophètes, ait pu se dessécher ; une nouvelle alliance, cette terre à laquelle
«parce que», dit Isaïe, «quand le nombre le Psalmiste dit ailleurs « Chantez au Sei- :

« des enfants d'Israël égalerait celui des grains « gneur un cantique nouveau; que toute la

a de sable de la mer , un petit reste sera « terre chante au Seigneur » Dieu n'a donc .

« sauvé ^ mais par celui dont il est dit une


», point parlé comme il a fait autrefois du haut
première fois « Et sur le Fils de l'homme
: du Sinaï alors il ne s'adressait qu'à un seul
:

« que vous avez affermi pour vous » et, une ; peuple d'Israël, appelé par lui du pays d'Egy-
seconde fois « Que votre main s'étende sur
: pte : depuis, il a appelé toute la terre à partir
« l'homme de votre droite et sur le Fils de du lever du soleil jusqu'à son couchant. Si les

« l'homme que vous avez affermi pour vous, Juifs voulaient comprendre cette parole du
« et nous ne nous éloignerons plus de vous ». Seigneur, ils entendraient son appel et il s'en
Ce Fils de l'homme, qui est Jésus-Christ, rend trouverait, parmi eux, à qui s'appliqueraient
parfaite la vigne sainte, en y adjoignant son ces autres paroles du même psaume : «Ecou-
petit reste, les Apôtres, et les autres hommes « tez, mon peuple, et je vous parlerai : Israël,
d'entre les Israélites, qui ont cru, en grand « écoutez-moi, et je vous attesterai la vérité :

nombre, au Christ-Dieu, puis la plénitude des « moi, Dieu, je suis votre Dieu. Je ne vous re-
nations : il a écarté les anciens rites, leur en « prendrai point pour vos sacrifices, car vos
a substitué de nouveaux , et ainsi se trouve « holocaustes sont toujours devant moi. Je
vérifié le titre de ce psaume : « Pour ce qui « n'ai pas besoin de prendre des veaux de votre
« doit être changé ». « maison, ni des boucs de vos troupeaux, parce
8. Nous allons donc apporter aux Juifs « que toutes les bêtes des forêts m'appartien-
des témoignages plus éclatants, et dont ils « nent, aussi bien que celles qui sont répan-
sentiront, bon gré, mal gré, toute la force. « dues sur les montagnes, et les bœufs je :

« Le temps vient », dit le Seigneur, où je « « connais tous les oiseaux du ciel, et la beauté
« confirmerai mon alliance avec la maison de « des champs est en ma puissance. Si j'ai
« Jacob non selon l'alliance que j'ai faite
: <i faim, je ne vous le dirai pas, puisque toute .

« avec leurs pères au jour où je les pris par la « la terre est à moi avec tout ce qu'elle ren-

«main pour les faire sortir de l'Egypte'». « ferme. Est-ce que je mangerai la chair des
La prédiction est certaine elle n'est plus ren- : « taureaux , ou boirai-je le sang des boucs ?
fermée en des titres de psaumes dont l'intel- « Immolez à Dieu un sacrifice de louanges,
ligence n'est à la portée que d'un petit nom- « et rendez vos vœux au Très-Haut ; invoquez-
bre tous peuvent entendre et comprendre
;
« moi au jour de vous enl'affliction , et je

cette voix prophétique. Une alliance nouvelle 8 vous m'honorerez ». Ici, la


délivrerai, et
a été promise : elle devait être toute différente transformation des sacrifices anciens est d'une
de celle qui avait été contractée uvec le peuple évidence incontestable, car Dieu annonce qu'il
d'Israël, lors de sa sortie d'Egypte. Nous ap- ne les acceptera plus, et il impose à ses ado-
partenons à cette nouvelle alliance et elle ne rateurs un sacrifice de louanges non pas, :

nous force point d'observer les rites prescrits qu'en cela, il nous demande nos hommages
sous l'emiiire de l'ancienne au lieu de nous : comme s'il en avait besoin, mais parce qu'il
reprocher l'abandon de l'antique Testament, veut faire servir à notre salut les louanges
à nous qui possédons le Nouveau promis à que nous lui adresserons, car voici la conclu-
nos pères, pourquoi les Juifs ne reconnais- sion du psaume précité « Le sacrifice de :

sent-ils pas qu'ils sont demeurés les observa- a m'honorera, et c'est la voie par
louange
teurs d'un culte devenu caduc et inutile? « laquelle je lui montrerai le salut qui
Aussi, puisque, suivant ce qui est écrit au « vient de Dieu » Mais (luel est le salut de
.

Cantique des cantiques, a le jour commence Dieu, sinon le Fils de Dieu, le Sauveur du
' Ps. LI, 10. — ' Isaie, X, 22. — ' Jéréœ. xxxt, 31,32. ' Gant. )I, 17.
.

CONTRE LES JUIFS.

monde, le jour. Fils du jour Père, c'est-à-dire, Occident. N'ètes-vouspasplutôtdu nombre des
la lumière de la lumière, dont la venue en ennemis de celui qui a dit dans le psaume :

ce monde a inauguré la nouvelle alliance? « MonDieu m'a fait voir la manière dont il veut

Voilà pourquoi encore, immédiatement après « traiter mes ennemis ne les faites pas mou- :

ces paroles « Chantez au Seigneur un can-


: « rir,de peur qu'on n'oublie votre loi dis- :

« tique nouveau que toute la teri'(? chante au


;
«persez-les par votre puissance ' ». C'est
« Seigneur bénissez son saint nom »
; le ,
pourquoi n'oubliant pas la loi de Dieu ,
Prophète déclare que le Sauveur sera bientôt vous la portez partout comme un enseigne-
annoncé ; puis il ajoute « Annoncez le : ment pour les Gentils, et un opprobre pour
«jour issu du jour, son Salut* ». Prêtre et vous : vous ne la connaissez pas, et vous la
victime tout ensemble, Jésus-Christ a donc transmettez au peuple, qui a été appelé de-
oflért le sacrifice de louange, accordant aux puis le lever du soleil jusqu'à son coucher.
méchants le pardon de leurs fautes, et aux Le nierez-vous? Si vous ne voyez point le
bons la grâce de bien faire. Pour adorer Dieu, manifeste et indubitable accomplissement
on lui offre le sacrifice de louange, « afin que d'une prédiction si autorisée, à quoi le devez-
«celui qui se glorifie, se glorifie dans le vous, sinon à un aveuglement plus complet?
« Seigneur- ». Et si, le voyant, vous ne l'avouez pas, n'est-ce
point le fait d'une rare impudence ? Que ré-
CHAPITRE VII. pondrez-vous donc à ce passage du prophète
Isaïe a Dans les derniers temps, la montagne
:
LES INTERPRETENT FAUSSEMENT EN LEUR
JUIFS
« sur laquelle se bâtira la maison du Sei-
FAVEUR CERTAINES PROPHÉTIES. ORACLES PRO-
« gneur, sera fondée sur le haut des monts,
PHÉTIQUES LES PLUS DÉFAVORABLES AUX JUIFS.
« et elle s'élèvera au-dessus des collines ;

Dès que les Juifs entendent les passages


9. a toutes les nations y accourront en foule, en

précités des psaumes, ils relèvent la tète et « disant : Allons, montous à la montagne du

répondent Nous voilà c'est de nous qu'il


: : « Seigneur, et à la maison du Dieu de Jacob :

est question dans ces psaumes ; c'est à nous « nous enseignera la voie du salut, et nous
il

que le Psalmiste a parlé, car nous sommes « y marcherons, parce que la loi sortira de

Israël, le peuple de Dieu ; nous nous reconnais- « Sion, et la parole du Seigneur de Jérusa-

sons dans ces paroles du Prophète: « Ecoutez, « lem - 0. Parce que vous avez entendu le

« mon peuple, et je vous parlerai Israël, : prophète parler de la maison de Jacob, de


a écoutez-moi, et je vous attesterai la vérité » Sion, et de Jérusalem, répondrez-vous : Nous
A cela que pouvons-nous répondre ? Nous voilà? Mais nous ne nions point que la race de
connaissons, il est vrai, un Israël spirituel dont Jacob soit la source d'où est sorti, selon la
parle l'Apôtre quand il dit : « Et tous ceux qui chair, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qu'Isaïe a
« se conduiront selon cette règle, la paix et la désigné sous l'emblème d'une montagne
« miséricorde à eux et à l'Israël de Dieu '». placée sur la cime des monts, parce que sa
Pour cet Israël, dont le même Apôtre nous grandeur surpasse toutes les grandeurs : nous
dit : « Considérez les Israélites selon la l'avouons, les apôtres et les églises de Judée,
« chair ' nous savons qu'il est charnel.
», qui ont cru en Jésus-Christ aussitôt après sa
Mais les Juifs ne le comprennent pas, et par résurrection, appartiennent à la maison de
là ils se donnent à eux-mêmes la preuve qu'ils Jacob : on ne doit voir spirituellement en Ja-
sont charnels. Entretenons-les quelques ins- cob que peuple chrétien; quoique d'origine
le
tants, comme s'ils étaient présents. plus nouvelle que le peuple juif, il le surpasse
Est-il possible que vous apparteniez à ce néanmoins en grandissant et il le subjugue et :

peuple que le Dieu des dieux a appelé depuis le ainsi se trouve accompli ce qui a été figurati-
lever jusqu'au coucher du soleil? N'ctes-vous vement deux fils d'Isaac
prédit des « L'aîné :

pas venus d'Egypte dans la terre de Chanaan ? «sera assujéti au plus jeune ' ». Dans
le sens

Vous n'avez pas été appelés des pays qui sont spirituel, Sion et Jérusalem servent à désigner
au levant et au couchant, mais vous êtes venus l'Eglise cependant ces deux noms servent
:

d'Egypte pour vous disperser en Orient et en plus encore à porter contre les Juifs un témoi-
gnage écrasant, car là ils ont crucifié le Sau-
' Ps. xcv, 1,2. — '
I Cor. I, 31. — ' Galat. vi, 16. — * I
Cor.
X, 18. • Ps. Lïui, 12. — ' Isaie, ii, 2, 3. — • Gen. iiv, 23.
28 CONTRE LES JUIFS.

veur, et c'est de là que se sont répandues, nous afm que vous vous heurtiez contre cette
:

parmi les peuples, la loi et la parole de Dieu. montagne, et qu'après vous être meurtri le
La loi qui leur a été donnée par Moïse, cette visage, vous brisiez plus honteusement votre
loi dont ils se gloriflent si orgueilleusement, front. Si vous voulez dire en toute vérité :

et d'oîi ils tirent leur plus formelle condam- C'est nous dites-le, quand vous entendrez ces
;

nation, ne leur est, tout le monde le sait, mots « 11 a été conduit à la mort, à cause des
:

venue ni de Sion,ni de Jérusalem, mais de la B iniquités de peuple ». Ces paroles ontmon '

montagne du Sinaï : ils l'avaient reçue depuis du Christ, que vous avez vous-mêmes
été dites
quarante ans, et ils l'apportèrent avec eux conduit à la mort dans la personne de vos
lorsqu'ils entrèrent dans la "terre promise, pères : il a été conduit, comme une brebis, au
où se trouve Sion, aussi nommée Jérusalem. sacrifice ; ainsi par votre cruauté ignorante,
Ce n'est donc ni là, ni de là qu'ils l'ont reçue, vous donniez une réaUté à la pâque que vous
et hors de doute que Sion a été le ber-
il est célébrez sans savoir pourquoi. Si vous voulez
ceau de l'Evangile de Jésus-Christ et de la loi dire en toute vérité C'est nous dites-le : ; ,

de foi. Après sa résurrection, le Sauveur lui- quand vous entendez ces mots « Endurcissez :

même, parlant à ses disciples et leur mon- a le cœur de ce peuple bouchez ses oreilles ;

trant que toutes les prophéties contenues « et fermez ses yeux ^ » Dites C'est nous . : ;

dans les divines Ecritures, s'étaient accom- quand vous entendez ce passage «J'ai étendu :

plies en sa personne, dit aussi : « C'est ainsi a mes mains pendant tout le jour vers un

« qu'il est écrit, et c'est ainsi qu'il fallait que « peuple incrédule et ennemi " ». Dites C'est :

le Christ souffrît et ressuscitât d'entre les nous quand vous entendrez ces paroles
;
:

« morts le troisième jour, et qu'on prêchât « Que leurs yeux soient tellement obscurcis

« en son nom la pénitence et la rémission des « qu'ils ne voient point, et faites que leur dos
« péchés parmi toutes les nations, en com- « soit toujours courbé * ». Quand vous enten-
« mençant par Jérusalem ». Isaïe l'avait déjà ' dez ces accents prophétiques et ceux qui leur
annoncé par ces paroles « De Sion sortira la : ressemblent, dites On ne peut en : C'est nous.
a loi, et de Jérusalem la parole du Seigneur». douter y : de
ilvous; mais vous
est question

Car le Saint-Esprit descendit à Jérusalem sur poussez l'aveuglement jusqu'à vous recon-
tous ceux qui étaient enfermés ensemble dans naître là où il ne s'agit pas de vous, et de vous
le Cénacle, les remplit de sa vertu, et leur méconnaître là où l'on vous désigne ouverte-
donna de parler les langues de toutes les na- ment.
tions ' et ils en sortirent pour prêcher et
: CHAPITRE VIII.

faire connaître l'Evangile à tous les peuples.


ISAÏE A PRÉDIT QUE DIEU ABANDONNERAIT
De même, en effet, que le cinquantième jour
LES JUIFS.
après la célébration de la pâque, le Seigneur
a écrit de sa propre main, emblème du Saint- M. Mais veuillez porter, pendant quelques
Esprit, Mosaïque promulguée sur le
la loi instants, votre attention sur des passages plus
mont Sinaï ainsi, le cinquantième jour
: précis que je vais vous citer. Lorsque vous
après la véritable pâque, c'est-à-dire, après entendez parler du bon Israël, vous dites :

la passion et la résurrection deNotre-Seigneur C'est nous quand il est question du bon Ja-
;

Jésus-Christ, l'Esprit-Saint a écrt, non sur des cob, vous dites encore Nous voilà. Et si l'on :

tables de pierre, mais dans le cœur des évan- vous en demande la raison, vous répondez :

gélistes, la loi chrétienne qui nous est venue c'est que le patriarche, de qui nous descen-

de Sion et de Jérusalem car en cejour fut en- : dons, s'appelait indifféremment Jacob et Israël:
voyé l'Esprit-Saint promis auparavant. voilà pourquoi on nous désigne avec justice
10. Israélites selon la chair, marchez par le nom de notre père. Vous êtes plongés
maintenant , non pas selon l'Esprit : allez dans un lourd et profond sommeil aussi ne ;

maintenant, et continuez à être en contradic- voulons-nous point vous insinuer des choses
tion avec la plus éclatante vérité, et en enten- spirituelles qui dépassent les limites de votre
dant cette invitation du Prophète : « Venez, intelligence. Nous ne prétendons point main-
a montons à la montagne du Seigneur, et à la tenant vous apprendre le sens spirituel de ces
« maison du Dieu de Jacob » dites ; : C'est deux mots, à cause de votre surdité et de votre
' Luc, XXIV, 16, 17. — '
Act. II, 1-6. •
Isaie, LUI, 8.— =
Id. vi, 10.- ' Id. l.xv, 2.— ' l's. l.wiii, 21.
CONTRE LES JUIFS. 2

cécité d'âme. Comme vous l'avouez, ea efiet, dernière heure. Mais si en qualité de maison
el comme on le voit clairement en lisant le de Jacob, vous avez suivi le prophète, et qu'à
livre de la Genèse, le même homme s'appelait votre sens, vous marchiez dans la lumière du
tout à la fois Jacob et Israël ; aussi vous glori- Seigneur, montrez-nous la maison d'Israël
flez-vous de ce que la maison de Jacob est eu qu'il a abandonnée. Pour nous, nous vous
même temps la maison d'Israël. montrons, d'une part, ceux que le Seigneur a
Expliquez -nous donc ceci le Prophète : appelés et séparés de cette maison et de ,

annonce d'abord qu'une montagne sera placée l'aulre, ceux qui ont voulu y rester et qu'il a
sur la cime des monts, et que toutes les na- rejetés. Du milieu d'Israël il a appelé non-seu-
tions se dirigeront vers elle, parce que la lement mais aussi, après la résur-
les Apôtres,
parole et la loi du Seigneur doivent sortir, rection du Christ, un peuple immense nous :

non du Sinaï pour éclairer un seul peuple, en avons déjà pai'lé plus haut; mais il a rejeté
mais de Sion et de Jérusalem pour illuminer ceux dont vous suivez les traces, en refusant
tous les peuples : ce qui a eu lieu évidemment de croire; il vous a rejetés vous-mêmes, car,
en Jésus-Christ, et pour les chrétiens. Un peu en les imitant, vous persévérez dans le même
plus loin, le même prophète dit encore a Et : égarement. Ou bien, si vous êtes vraiment
« maintenant, ô maison de Jacob, venez niar- : ceux qu'il a appelés, où sont ceux qu'il a re-
« chons à la lumière du Seigneur » Selon . jetés? Vous ne pouvez pas dire qu'il a rejeté
votre habitude, vous allez certainement dire : une autre maison quelconque, car le Prophète
Nous voilà. Mais arrêtez-vous un peu à ce qui dit clairement a II a rejeté son peuple, la
:

suit de la sorte vous entendrez ce que vous


: « maison d'Israël ». Voilà ce que vous êtes, et
ne voulez pas entendre, après avoir dit ce que vous n'êtes pas ce que vous prétendez être.
vous vouliez dire. Le prophète ajoute immé- Il a rejeté aussi la vigne dont il attendait des

diatement ces paroles a Car il a rejeté son : raisins et qui ne lui a donné que des épines,
o peuple, la maison d'Israël ». Ici, dites Nous '
: et il a défendu à ses nuées de laisser tomber
voilà ici, reconnaissez-vous, et pardonnez-
: sur elle une seule goutte de pluie. Mais il en
uous de vous avoir rappelé ces passages. Si, en a aussi appelé d'autres du même lieu, ce sont
effet, vous les entendez volontiers, ils ser\'i- ceux auxquels Jugez entre moi et ma
il dit : o

ront à vous attirer si, au contraire, ils vous


: «vigne ». Le Seigneur parle d'eux en ces
'

irritent, ils tourneront à votre honte. termes « Si c'est par Belzébuthqueje chasse
:

Consentez-y, n'y consentez pas, il faut que « les démons, par qui vos enfants les chasse-

vous Ce n'est pas moi qui vous


les entendiez. « ront-ils ? C'est pourquoi ils seront eux-

parle ; c'est un prophète dont vous lisez les « mêmes vos juges - ». Puis il leur fait cette

écrits par son organe, le Seigneur vous a


: promesse: Vous serez
aussi assis sur douze
a
certainement parlé sou livre jouit de l'auto-
;
« trônes
, vous jugerez
et les douze tribus
rité des saintes Ecritures, et vous ne pouvez « d'Israël'» La maison de Jacob, qui par fidélité
.

l'en dépouiller.Suivant le commandement du à la vocation divine a marché dans la lumière


Seigneur, il crie avec véhémence ; pareil à du Seigneur, s'assoira donc pour juger Israël,
une trompette, il élève la vois il vous ré- ; c'est-à-dire son peuple abandonné par lui.
primande en ces termes ^ « Et maintenant, ô : Comment d'ailleurs peut-il se faire que, selon
« maison de Jacob venez marchons à la , ; le même prophète, « la pierre rejetée par
« lumière du Seigneur ». Dans la personne de « ceux qui bâtissaient ait été placée à la tète
vos ancêtres, vous avez mis le Christ à mort. « de l'angle ' », sinon, parce que des peuples
Depuis lors, vous avez refusé de croire en lui : circoncis et des peuples Incirconcis , sem-
vous êtes restés en opposition avec lui; mais blables à des murs élevés en sens divers,
vous n'êtes point encore condamnés sans re- viennent se réunir dans l'angle comme dans
mède, parce que vous n'êtes pas encore sortis un baiser de paix ? Aussi r.4pôtre dit- il :

de ce monde vous avez maintenant facilité


: « C'est lui qui est notre paix, et qui, des deux
de vous repentir venez donc maintenant ; : « peuples, n'en a fait qu'un ' ». Ceux d'entre
vous deviez le faire autrefois; faites-le aujour- les enfants de Jacob ou d'Israël qui ont écouté
d'hui. Le temps propice n'est pas écoulé pour la voix qui les appelait, sont donc adhérents à
celui qui n'a pas encore entendu sonner sa — —
Isaîe, V, 2-6. Matu su , 27. ' Id. xii, 28. - * Isaïe,
' Isaîe, u, 5, 6. — Id, Lxviu, 1. ixviu, 16 ; Ps. Civn, 22. — ' Eph. ti, 14.
.

30 CONTRE LES JUIFS.

la pierre angulaire, et marchent dans la lu- « Mon affection n'est pas en vous, dit», non
mière du Seigneur ; mais ceux qui édiflent pas le premier venu, mais Seigneur tout- « le

des ruines et rejettent la pierre angulaire, « puissant». Toutes les fois que vous entendez

sont ceux dont le Prophète a prédit l'abandon. parler, d'une manière quelque peu avanta-
geuse, de Jacob ou d'Israël, de la maison de
CHAPITRE IX. Jacob ou de celle d'Israël , il semblerait à ,

vous croire, qu'il a été impossible de parler


ABANDON DES JUIFS PLUS CLAIREMENT PRÉDIT
d'autres que de vous. Pourquoi donc vous
PAR MALACHIE.
enorgueillir ainsi d'appartenir à la race d'A-
12. Le sacrifice des chrétiens est offert par- braham ,
quand le Seigneur tout-puissant
tout, sur la terre et dans le ciel. Enfln, ô vous dit : « Mon affection n'est point en vous,
Juifs, voulez-vous compromettre votre salut « et je ne recevrai pas de sacrifice de votre
en résiblant au Fils de Dieu, et détourner de « main ?
» Certes, vous ne pouvez le nier :

leur vrai sens ces paroles prophétiques pour non-seulement il ne reçoit point de sacrifice
les expliquer suivant les inclinations de votre de votre main, mais vos mains ne lui en
cœur ? Voulez-vous, dis-je, entendre ces pa- offrent pas même un. D'après la loi de Dieu,
roles en ce sens que la maison de Jacob et l'endroit où vous devez offrir des sacrifices
d'Israël désigne un même peuple, tout à la a été formellement désigné cet endroit est :

fois appelé et rejeté de Dieu, non un peuple unique, hors de là, tout sacrifice vous est in-
dont certains mertibres auraient été appelés, terdit aussi, parce que vos fautes vous ont
:

taudis que les autres auraient été rejetés, mais mérité d'en être exclus, vous n'osez, nulle
un peuple appelé dans tous ses membres, part ailleurs, offrir le sacrifice qu'il vous était
pour marcher dans la lumière du Seigneur, permis d'offrir en ce seul endroit, et ainsi
après avoir été rejeté pour n'y avoir pas mar- s'accomplit parfaitement la prédiction du
ché ou bien, une nation, de telle sorte ap-
: Prophète a Et je ne reccATai point de sacri-
:

pelée dans les uns et rejelée dans les autres, « fice de votre main ». Car, si dans la Jérusa-

que nulle division relative au sacrifice du lem terrestre il vous restait un temple et un
Christ n'ayant eu lieu dans la table du Sei- autel, vous pourriez dire que l'oracle de Mala-
gneur, on voit réunis, dans l'observance uni- chie a été accompli à l'égard de ceux d'entre
forme des anciens rites, ceux qui marchent vous dont Dieu rejette les sacrifices à cause
dans la lumière du Seigneur et observent ses de leurs iniquités, tandis qu'il accepte les
préceptes, et ceux qui ont méprisé sa justice offrandes de ceux qui, parmi vous, observent
et mérité d'en être abandonnés ? Si vous pré- ses commandements. Aucun motif ne vous
tendez interpréter ainsi ces prophéties, que autorise à tenir ce langage, puisqu'aucun de
direz-vous? Comment comprendrez-vous cet vous ne peut offrir de sa main un sacrifice
autre prophète qui vous coupe entièrement la selon la loi donnée sur le mont Sinaï. La pré-
parole, quand
vous adresse ces mots si
il diction et son accomplissement ne vous per-
clairs : « Mon en vous,
affection n'est point mettent pas non plus d'opposer à la sentence
« dit le Seigneur tout-puissant et je ne rece- ; du Prophète cetie réponse Nous n'offrons :

« vrai point de sacrifice de votre main, car, pas de nos mains la chair des animaux, mais
« depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, nous offrons, de cœur et de bouche, le tribut
« mon nom est devenu grand parmi les na- de nos louanges, selon cette parole du Psal-
« tiens et l'on me sacrifie en tous lieux, et l'on miste « Immolez à Dieu un sacrifice
: de
« offre à mon nom une oblation toute pure, « louange ». Ici encore, vous êtes démentis
'

a parce que mon nom est grand parmi les par Celui qui a dit : « Mon affection n'est pas
« nations, dit le Seigneur tout-puissant '
». A « en vous »
ce témoignage d'une évidence palpable, quel 43. Ensuite, de ce que vous n'offrez à Dieu
autre témoignage aussi éclatant pouvcz-vous aucun de ce qu'il n'en reçoit pas
sacrifice, et
opposer? Pourquoi vous élever encore avec de votre main, il ne suit nullement qu'on
une intolérable impudence ? Est-ce que vous ne lui en offre aucun. Celui qui n'a besoin
n'en périrez pas d'une manière plus malheu- d'aucun de nos biens, n'a pas, à la vérité,
reuse ? Votre chute n'en sera que plus lourde. plus besoin de nos offrandes ; elles lui sont
' Malach, i,IO,ll. ' Ps. ÏLl.\, 14.

CONTRE LES JUIFS. 31

inutiles, mais ellesnous procurent de grands l'accomplissement de la prophétie relative à


avantages. Cependant, comme on lui fait de ces ces deux sacerdoces dans aucun temple, en :

offrandes, le Seigneur ajoute ces paroles : effet, il n'y a plus trace du sacerdoce d'Aaron,
«Parce que, depuis le lever du soleil jus- et celui du Christ subsiste éternellement dans
qu'à son couchant, mon nom est devenu le ciel.

« grand parmi les nations, et l'on me sacrifie 14. Le Prophète vous appelle donc à cette
a en tous lieux, et l'on offre à mon nom une lumière du Seigneur lorsqu'il dit « Et main- :

o oblalion toute pure, car mon nom est grand « tenant, vous, maison de Jacob, venez, mar-
« parmi les nations, dit le Seigneur tout-puis- « chons dans la lumière du Seigneur Vous, :

« sant ». A cela que répondrez-vous? Ouvrez « maison de Jacob », qu'il a appelée et choi-
donc enfin les yeux et voyez on offre le sa- : sie, non pas « vous », qu'il a rejetés. « Car il a

crifice des chrétiens partout, et non pas en «rejeté son peuple, la maison d'Israël'».
un seul endroit, comme on vous l'avait com- Tous ceux d'entre vous qui voudront venir
mandé on l'offre, non à un Dieu quelcon-
: de cette maison d'Israël appartiendront à ,

que, mais à Celui qui a fait cette prédiction, au celle que le Seigneur a appelée ils seront :

Dieu d'Israël. C'est pourquoi il dit ailleurs, séparés de celle qu'il a rejetée. En effet, la
en parlant à son Eglise « Celui qui vous a : lumière du Seigneur, dans laquelle marchent
« sauvée, c'est le Dieu d'Israël qui sera appelé les nations, est celle dont le même Prophète
« le Dieu de toute la terre ». Vous lisez avec '
a parlé en disant «Voilà que je Vous ai :

soin les Ecritures, parce que vous croyez y « établi pour être la lumière des nations, et le

trouver la vie ^ Vous l'y trouveriez, en effet, salut que j'envoie jusqu'aux extrémités de
si vous compreniez qu'il est question du «la terre*». A qui ces paroles ont-elles été
Christ, si elles servaient à vous le faire recon- adressées, si ce n'est au Christ? En qui ont-
naître. Mais lisez-les avec plus d'attention en- elles reçu leur accomplissement, si ce n'est
core ; rendent témoignage de ce sacrifice
elles dans le Christ? Cette lumière ne se trouve
pur au Dieu d'Israël, non par votre seul
offert point en vous, car il est encore écrit de vous :

peuple, des mains duquel il a prédit qu'il « Dieu leur a donné, jusqu'à ce jour, un es-

n'en accepterait point, mais par toutes les « prit d'assoupissement , des yeux qui ne
nations qui disent « Venez, montons à la
: « voient point, et des oreilles qui n'entendent
« montagne du Seigneur ' » non en un seul : a pas ' ». Non, dis-je, cette lumière n'est point

endroit, dans la Jérusalem terrestre, comme en vous aussi, par excès d'aveuglement,
:

cela vous était prescrit, mais par toute la terre vous rejetez la pierre qui est devenue la tète
et jusque dans la Jérusalem véritable non : de l'angle. « Approchez-vous donc de lui ,

selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de « afin que vous en soyez éclairés * ». Qu'est-

Melchisédech, car il a été dit au Christ, et, aussi ce à dire « Approchez-vous », sinon, croyez;
:

longtemps d'avance, il a été prédit du Christ: car, pour vous approcher de lui, où irez-vous,
«Le Seigneur ajuré, et son serment demeu- puisqu'il est cette pierre dont parle le prophète
« rera immuable: Vous êtes le prêtre éternel Daniel, et qui, en grossissant est devenue une
a selon l'ordre de Melchisédech * ». Qu'est-ce montagne si grande, qu'elle a rempli toute la
à dire Le Seigneur a juré », sinon qu'il a
: « terre"? De là vient que les nations mêmes
affirmé sur son indéfectible vérité? » Et il ne qui disent Venez, montons à la montagne
: «

«se repentira pas », si ce n'est qu'il ne chan- a du Seigneur », ne font nulle part aucun

gera jamais, pour aucun motif, ce sacerdoce? effort pour marcher et parvenir au but elles :

Car Dieu ne se repent pas comme l'homme. montent là en tout


où elles se trouvent, car

On dit que Dieu se repent quand il change lieu on offre un sacrifice selon l'ordre de
une chose établie par lui et qui paraissait , Melchisédech et, selon ce passage d'un autre ;

devoir durer. Aussi, lorsqu'il dit «Il ne se re- : prophète « Dieu anéantit tous les dieux des
:

« pentira pas; Vous êtes le prêtre éternel selon « nations, et il est adoré par tout homme en

« l'ordre de Melchisédech » , il montre suffisam- «tout pays S). Lors donc qu'on vous dit :

ment qu'il s'est repenti, c'esl-à-dire, qu'il a «Approchez- vous de lui», on ne vous dit
voulu changer le sacerdoce établi par lui selon pas préparez vos vaisseaux ou vos bêtes de
:

l'ordred'Aaron. Nous avons sous les yeux ' 5,6. — ' Id. XLIX, 6. — ' Rom. si, 8. - '
Ps. xxxiu, 6.
Isa. II,

'Isa, Liv, 5. — 'Jean, v, 39. — '


ha. il, 3. — ' Ps. cix, 4. - ' Daniel, II, 35. — Soph. il, 11.
32 CONTRE LES JUIFS.

somme, chargez-les de vos victimes venez , racine nous avons été entés ne nous éle- :

d'une contrée si lointaine, et arrivez à l'endroit vons pas, mais tenons-nous dans l'humilité '.
où le Seigneur agréera les sacrifices offerts Ne les insultons pas présomptueusement ,

par votre piété. Mais on vous dit Approclioz- : mais tressaillons d'une joie mêlée de crainte,
vous de Celui que vos oreilles entendent an- et disons-leur « Venez et marchons dans la
:

noncer approchez- vous de Celui dont la


;
« lumière du Seigneur, parce que son nom est

gloire éclate à vos yeux vous ne vous fati-


: « grand parmi les nations ^ ». S'ils nous enten-

guerez point à marcher, car dès que vous dent et qu'ils nous écoulent, ils auront place
croirez, vous serez près de lui. parmi ceux à qui il a été dit « Approchez- :

vous de lui et il vous éclairera. Et vos


,

CHAPITRE X. « visages ne rougiront point de honte' ». Si,

AVEC QUELLE CHARITÉ IL FAUT ATTIRER LES JUIFS au contraire, ils nous entendent et ne nous
A LA FOI. écoutent pas, s'ils nous voient et nous portent
envie, ils sont du nombre de ceux dont il a
15. Que les Juifs écoutent volontiers ces di- été dit « Le pécheur verra et il en sera irrité;
:

vers témoignages, ou qu'ils en ressentent de « il grincera des dents et séchera de dépit ' ».

l'indignation, nous devons, très-chers frères, a Pour moi », dit l'Eglise au Christ, a je serai

quand nous le pouvons, les leur rappeler en « dans la maison du Seigneur comme un

leur montrant que nous les aimons. Ne nous « olivier qui porte du fruit j'ai mis mon :

élevons point avec orgueil contre les branches a espérance dans la miséricorde de Dieu pour

séparées du tronc ; souvenons-nous plutôt de a l'éternité et pour les siècles des siècles ^ ».

la racine sur laquelle nous avons été grelîés :



* Bède ou Florus , sur l'ép. aux Rom. XI.— ' Ps. II, 11.
rappelons-nous par grâce de qui, et avec
la ' Rom. xi. — * Ps. CXI, 10. — ' Ps. Li, 10.

quelle miséricordieuse bonté, et sur quelle

Traduction de M. Vabbé AVBERT.


DE L'UTILITÉ DE LA FOI.

Saint Augustin prouve que c'est aux Manichéens une témérité sacrilège de blâmer ceux qui, suivant l'autorité de la foi calbo-
lique, se préparent à l'inlelligence des mystères, en croyant ce qu'ils ne peuvent encore comprendre. — Il montre, en parti-
culier, que c'est bien à tort que ces sectaires critiquent l'Ancien Testament.

CHAPITRE PREMIER. de qui elles pourront tomber; et j'espère qu'il


en sera ainsi, si ma conscience ne me trompe
DESSEIN DE L AUTEUR.
pas, en me disant que j'ai enlrejjris cet ou-
1. Mon cher Honorât, si l'hérétique et celui vrage dans un esprit de piété et de charité, et
qui croit aux hérétiques n'étaient a mes yeux non par le désir d'une vaine renommée et
qu'une seule et même chose, je croirais ne d'une frivole ostentation.
devoir ni parler ni écrire sur cette question. 2. Mon but est donc de te prouver, si je puis,
Mais grande est enlre eux la différence. En effet, que c'est aux Manichéens une témérité sacri-
l'hérétique est, selon moi, celui qui, en vue lège de s'emporter contre ceux qui, suivant
de quelque intérêt temporel, et surtout dans l'autorité de la foi catholique, croient tout
un but de gloire et de domination^ émet ou d'abord la vérité, qu'une âme pure voit, mais
suit des opinions fausses et nouvelles; au con- qu'ils ne peuvent encore apercevoir; et qui se
traire, celui qui croit aux liérétiques, est un prédisposent et se préparent ainsi à recevoir
homme trompé par certaines apparences de lalumière divine. Tu sais, mon cher Honorât,
vérité et de piété. Ce point établi, je n'ai pas que si nous sommes tombés dans les pièges

cru devoir garder le silence, ni refuser de le de ces sectaires, c'est uniquement parce que,
dire mon opinion sur la manière de trouver écartant une autorité redoutable, ils disaient
et de garder la vérité; la vérité qui fut dès se servir de la raison pure et simple pour
notre première jeunesse, comme tu le sais ,
mener à Dieu ceux qui voudraient les enten-
l'objet de notre amour le plus ardent la ; dre, et pour les délivrer de toute espèce d'er-
vérité bien éloignée des vaines préoccupa- reur. En effet, quel motif m'a fait, pendant
tions des hommes, qui, trop adonnés à cette près de neuf ans, mépriser la religion que
vie matérielle, s'imaginent qu'il n'existe rien mes parents m'avaient inculquée dans ma
autre chose que ce que les cinq sens, ces première enfance, et suivre assidûment les
messagers ordinaires du corps, leur font con- leçons de ces docteurs? N'est-ce pas parce
naître, et dont l'esprit est troublé jiar les qu'ils prétendent qu'on nous inspire des ter-
impressions et les images qu'ils reçoivent de reurs superstitieuses, qu'on exige de nous la
ces sens, alorsmème qu'ils cherchent à sedéro- foi avant la raison, tandis que eux ne con-

ber à leur influence. C'est cependant avec cette traignent personne à croire, si l'on n'a pas
règle funeste et mensongère qu'ils croient d'abord discuté et vu clairement la vérité ?
mesurer très-fidèlement les impénétrables pro- Quel homme ne serait attiré par de telles pro-
fondeurs de la vérité. Il est on ne peut plus messes, surtout s'il est jeune, passionné pour
facile, moucher ami, non-seulement de dire, la vérité, et en outre formé à l'orgueil et au
mais encore de penser qu'on a trouvé la vérité; bavardage par les discussions des quelques
mais tu verras par cet écrit, je l'esiière, com- savants qu'il a entendus à l'école, tel enfin
bien en réalité c'est chose difficile. J'ai demandé qu'ils m'ont trouvé à cette époque, méprisant
et je demande à Dieu que ces lignes te profi- ce que j'appelais des contes de vieille femme,
tent, ou du moins qu'elles ne le nuisent pas, et désireux d'acquérir et de posséder ce qu'ils

à toi et en général a tous ceux entre les mains promettent, la vérité claire et sans mélange ?

S. AuG. — Tome XIV. 3


34 DE L'UTILITÉ DE LA FOI.

Mais d'un aiilre côté, quel motif m'engagea à dit Cicéron, bagatelles de lieux communs à
ne pas m'attaclier entièrement à eux, de sorte part, on ne voie plus que deux faits, deux
que je restais, comme
ils disent, au rang des causes, deux raisons en lutte l'une avec l'au-
auditeurs, et que ne renonçais pas aux es-
je tre. Ainsi, qu'ils ne viennent plus nous dire,
pérances et aux choses de ce monde? N'est-ce comme il le font souvent, que quiconque les
pas parce que je les trouvais, eux aussi, avec abandonne après avoir pris longtemps leurs
leur éloquence infatigable, [ilus habiles à ré- leçons, a nécessairement, en ]iassant par eux,
futer les doctrines des autres, qu'à prouver et éclairé son esprit. Tu vois. Honorât, toi si

asseoir solidement les leurs propres? Mais à cher à mon cœur ( car, pour eux, je ne veux
quoi bon parler de moi qui suis niainlcnant pas trop m'en inquiéter), tu vois combien
chrétien catholique? A cette source abondante cette prétention est vaine et facile à réfuter.
j'ai été retremper avec avidité mes lèvres ari- C'est |)ourquoi je laisse à ta sagesse le soin de
des et depuis bien longtemps desséchées; ces l'examiner. Je ne crains pas qu'à tes yeux
mamelles fécondes de l'Eglise, je les ai pres- j'aie paru nager dans la lumière, alors que
sées avec des pleurs et des gémissements pro- j'étaisengagé dans la vie du monde, nourris-
fonds, pour en faire couler le lait qui devait sant des espérances pleines de ténèbres sur la
soulager ma misère, et ramener en moi l'es- beauté d'une épouse, sur la pompe des ri-
poir de la vie et du salut. Ainsi donc ne par- chesses, sur la vanité des honneurs, sur tous
lons pas de moi-même : pour toi, qui n'es les autres plaisirs nuisibles et pernicieux.
pas encore chrétien ,
qui cédant, non sans Tons ces faux biens, comme tu le sais, alors
peine, à mes que tu avais pour
conseils, alors que je suivais avec ardeur les leçons de ces
ces sectaires une aversion profonde, as cru hérétiques, étaient le but continuel de mes
bien faire d'aller les entendre et voir ce qu'ils désirs et de mes espérances. Je n'en attribue
sont, rappelle tes souvenirs, et dis-moi, je te pas la faute à leurs leçons, j'avoue même
le demande, ce qui t'a charmé en eux, si ce qu'ilsprennent grand soin de tenir en garde
n'est une grande présomption, une facilité contre ces tentations. Mais dire que la lumière
extrême à [iromettre des raisons? Tu sais à m'a abandonné seulement quand je me suis
quelles longues et véhémentes discussions ils détourné de toutes ces ombres de la réalité, et
se livraient sans cesse sur les erreurs des igno- quanti j'ai résolu de me contenter de la seule
pour le premier
rants, ce qui est bien facile nourriture nécessaire à la santé du corps,
demi-savant venu, comme je l'ai reconnu un tandis que celte lumière m'entourait d'éclat
peu tard. S'ils nous infusaient en même etde splendeur alors que j'aimais ces vanités,
temps quelques-unes de leurs erreurs, nous etque j'étais retenu dans leurs liens ; c'est,
croyions devoir par nécessité les adopter, faute pour user de termes fort adoucis, le fait d'un
d'autres doctrines plus satisfaisantes. Ils fai- homme qui examine avec jieu d'attention les
saient ainsi pour nous ce que fait l'oiseleur choses dont il aime à discourir. Mais venons
perfide, qui plante près d'une source d'eau à notre sujet, situ le veux bien.
des pieux enduits do glu pour prendre les
oiseaux altérés cache et dérobe aux yeux,
: il
CHAPITRE II.

par tous les moyens, les autres sources qui


ACCUSATIONS ÉLEVÉES PAR LES MANICHÉENS CON-
sont dans le voisinage, ou bien il y place des
TRE l'ancien TESTAMENT.
épouvanlails (|ui détournent ses victimes, et
les obligent, n'ayant pas le choix d'un appui, A. Tu sais bien (jne c'est en blâmant la foi
à tomber dans ses i)iéges. catholique, et surtout en dénaturant et en
3. Ne pourrais-je pas me dire ici à n)oi- torturant l'Ancien Testament, que les Mani-
mcnie (jue ces comparaisons lleuries, ces cri- chéens troublent l'esprit des ignorants. Ceux-
tiques ingénieuses peuvent être adressées avec ci assurément ne savent pas jusqu'à (luel
beaucoup de finesse et d'esprit premier |)ar le point le contenu de ces livres est acce|)table,
adversaire venu à tous ceux mêlent (jui se et comment la nourriture (ju'on y puise, peut
d'enseigner? Mais si j'ai cru devoir mêler à descendre utilement dans la profondeur de
cet ouvrage quelque fantaisie de ce genre, nos âmes, pour ainsi dire encore vagissantes.
c'est pour avertir ces discoureurs de ne |)lus Et connue il y a la certains passages de nature
se servir de pareils moyens, aliu (jue, comme à blesser les esprits ignorants et peu attentifs,
DE LLTILITÉ DE LA FOI. 3b

et le nombre en est inimeuse, ces passages ce qu'on appelle l'Ancien Testament, il n'y a
prêtent à des accusations que la foule ac- que quatre manières de l'envisager au point :

cueille, tandis qu'en raison des mystères qui de vue de l'histoire, de l'étiologie, de l'analo-
y sont contenus, il est fort rare que cette gie et de l'allégorie. Ne crois pas qu'il y ait
même foule en accepte la justiûcatiou. Or, ceux rien d'étrange de ma jiart à me servir de
qui, en petit nombre, sont capables de faire termes grecs. D'abord, c'est ainsi qu'on a fait
cette apologie, n'aiment guère les discussions pour moi, et je n'ose pas avec toi suivre une
animées et retentissantes d'une joute en pu- autre méthode. Ensuite, tu remarqueras que
blic ; aussi sont-ils fort peu connus, si ce n'est chez nous ces idées n'ont pas de ternies usuels
des personnes empressées à les consulter. qui les expriment; si pour les traduire je for-
Au sujet de cette témérité desManic'néensà geais des mots, ce serait certainement une
blâmer l'Ancien Testament et la foi catholique, chose plus étrange encore. D'un autre côté, si
voici quel est mon sentiment. Je désire et je me servais de circonlocutions, je serais
j'espère le voir accueillir mes paroles avec le moins à l'aise pour développer mon sujet. Je
même esprit qui me les fait prononcer. Dieu, te prierai seulement de croire que si je pèche

qui dans les profondeurs de ma conscience,


lit en quelque point, ce ne sera ni par l'enflure
sait que dans cet entretien
, je n'apporte ,
ni par l'emphase. On explique l'Ecriture au
aucune intention mauvaise, mais que je dis point de vue de l'histoire, quand on montre
les choses comme je crois qu'on doit les en- ce qui a été écrit ou ce qui a été fait, et en-
tendre pour prouver la vérité, à laquelle seule core ce qui a été non fait, mais seulement
j'ai résolu depuis longtemps de consacrer ma écrit, comme si c'eût été fait au point de vue ;

vie, et qui fait mon unique préoccupation. de l'étiologie, quand on fait voir pour quel
Qu'il ne soit pas dit qu'après m'ètre égaré si motif telle chose a été dite ou faite au point ;

facilement avec vous, je ne puisse au con- de vue de l'analogie, quand on prouve qu'il
traire tenir avec vous le droit chemin que n'y a pas contradiction entre les deux Testa-
bien difficilement, pour ne rien dire de pis. ments, l'Ancien et leNouveau au point de ;

Mais je compte que, dans mon espoir de vous vue de l'allégorie, quand on montre qu'il ne
voir marcher avec moi au chemin de la sa- faut pas prendre à la lettre certains détails
gesse. Celui auquel j'ai été consacré ne m'a- écrits, mais qu'il faut les entendre flguré-
bandonnera pas. Nuit et jour je m'etforce de ment.
le contempler et comme par suite de mes
;
6. Toutes ces formes de langage ont été

fautes, par l'effet prolongé de mes vieilles er- employées par Notre-Seigneur Jésus-Christ et
reurs, je sens que mon intelligence est émous- par les Apôtres. C'est dans le sens historique
sée, comme je me connais faible, souvent je qu'on doit entendre la réponse du Christ à
le prieavec larmes. Quand on aétélongtem[)s l'objection qu'un jour de sabbat ses disciples
dans l'obscurité et les ténèbres, les yeux s'ou- avaient rompu N'avez-vous point
des épis : «

vrent avec peine, et tout en désirant la lu- « lu », dit-il, « ce que


David, lorsque lui
fit

mière, ils s'en détournent en tremblant et la « et ceux qui l'accompagnaient furent pressés

repoussent surtout si c'est le soleil qu'on


,
« de la faim, comme il entra dans la maison
cherche à leur montrer. C'est là mon image : « de Dieu et mangea des pains de proposition,
je ne nie plus qu'il y a pour l'âme un bien « dont il n'était permis de manger ni à lui, ni

ineffable et suprême que l'intelligence perçoit, « à ceux qui étaient avec lui, mais aux prêtres
et j'avoue en pleurant et en gémissant que je « seuls ' ? B Mais voici qui a rapport à l'étiolo-

suis encore impuissant à le contempler. Dieu gie. Le Christ ayant défendu qu'on répudiât

donc ne m'abandonnera pas, si je suis sincère, son épouse si ce n'est pour cause de fornica-
si je prends la charité pour guide, si j'aime la tion, ses interlocuteurs répliquèrent que Moïse
vérité, si je chéris l'amitié, si je tremble de avait permis qu'on renvoyât son épouse en lui
t'iuduire en erreur. donnant im écrit de séparation a Moïse a fait :

« cela », répondit le Christ, « à cause de la


CHAPITRE III.
a dureté de votre cœur * ». Ces expressions

l' ANCIEN TESTAMENT. montrent pourquoi Moïse fit bien en sou temps
SENS MULTIPLES DE
d'accorder cette permission, et le précepte que
5. Pour quiconque veut connaître à fond '
Malt, ill, 3, 4. Traduct. de Sacy. — ' Id. iiï, 8. Idem.
36 DE L'UTILITÉ DE LA FOL

donnait le Christ, indiquait que les temps faire passer pour des interpolations d'écrivains
n'étaient plus les mêmes. Ces changements corrupteurs ? Mais voici à ce sujet ce qu'il
de temps, cet ordre de choses arrangé et réglé m'en semble, et je te prie d'examiner avec
par une admirable disposition de la divine moi la chose tranquillement et avec tout le
Providence, exigeraient de trop longs dévelop- calme de la réflexion. Tu sais que les Mani-
pements. chéens, cherchant à faire mettre leur maître
7. Quant à l'analogie qui fait ressortir l'ac- Manichée au nombre des apôtres, disent que
cord entre les deux Testaments, dirai-je que l'Esprit-Sainf, que le Seigneur a promis d'en-
tous ceux dont les Manichéens reconnaissent voyer à ses disciples, est venu à nous eu la
l'autorité, s'en sont servis, quand eux-mêmes personne de Manichée lui-même. Mais en ad-
peuvent voir combien de choses ils disent mettant les Actes des Apôtres, où l'arrivée du
avoir été introduites dans les saintes Ecritures Saint-Esprit est clairement rapportée ', ils ne
par je ne sais quels corrupteurs de la vérité? sauraient comment prouver que ce passage a
Cette assertion m'a toujours paru même , été interpolé. Ils veulent, en effet, qu'il y ait eu
quand j'étais leur disciple, sans aucun fonde- avant Manichée même je ne sais quels cor-
ment, et non-seulement à moi, mais à toi rupteurs des Livres saints, corrupteurs qui
aussi, je me le rappelle, et à tous ceux qui, désiraient concilier la loi des Juifs avec
comme nous, mettaient à juger un soin un l'Exangile. Or, ils ne peuvent soutenir que le
peu plus grand que la foule des fidèles. Main- passage concernant le Saint-Esprit est cor-
tenant, qu'un grand nombre de questions, qui rompu, à moins d'affirmer que ces corrup-
me tenaient fort en peine, sont pour moi teurs ont lu dans l'avenir, et inséré dans leurs
éclaircies et résolues, celles par exemple où livres un fait qu'on invoquerait jilus tard contre

se complaît le plus souvent leur jactance, et Manichée, quand celui-ci déclarerait que le
qu'ils développent avec d'autant plus d'en- Saint-Esprit a été envoyé en sa personne. Mais
thousiasme que, n'ayant pas d'adversaire, ils nous parlerons du Saint-Esprit une autre fois
le font avec plus de sécurité je trouve que;
et plusen détail pour le moment, revenons;

c'est le comble de l'impudence, ou, en termes à notre sujet.


plus doux, de l'inadvertance et de la faiblesse 8. 11 a été assez démontré, je pense, que
d'esprit, d'aller direque les Ecritures saintes pour l'histoire, l'étiologie et l'analogie, 1 An-
sont falsifiées, quand ils ne peuvent prouver cien Testament est conforme au Nouveau ;

ce fait pour aucun des exemplaires publiés à reste à prouver qu'il en est de même pour
une é|)oque si rapprochée de nous. S'ils di- Tallégorie. Notre Sauveur lui-même se sert
saient qu'ils n'ont pas cru devoir les accepter dans l'Evangile d'une allégorie empruntée à
entièrement ,
qu'elles sont l'œuvre
parce l'Ancien Testament. « Celte race » , dit-il ,

d'hommes ne croient pas être des écri-


qu'ils « demande un prodige, et on ne lui en dou-
vains véridiques, ce serait eu définitive un « nera point d'autre que celui du prophète
faux-fuyant honnête, ou une erreur pardon- a comme Jouas fut trois jours et
Jouas. Car
nable. C'est là ce qu'ils ont fait pour le livre « trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi
intitulé les Actes des A|)ôtres. Mais leur des- a le Fils de l'homme sera trois jours et trois

sein, quand j'y réfléchis en moi-même, me « nuits dans le cœur de la terre - ». Cilerai-je

confond d'étonnement. Car ce que je désire l'Apôtri. Paul qui montre aussi, dans sa pre-
ici, c'est moins la sagesse dans ces hommes mière éjiître aux Corinthiens, que le récit

que la délérence. Ce livre, en elTet, renferme même de l'Exode était une allégorie du futur
tant de choses semblables à celles qu'ils ad- peuple chrétien? « Or, vous ne devez pas
mettent, qu'a mon avis il est bien étrange à « Ignorer, mes frères, ([ue nos pères ont tous

eux de ne pas l'accepter, sauf à dire que ce « été sous la nuée, qu'ils ont tous passé la mer
qui les y blesse est faux et interpolé. Ou, si un « Rouge, qu'ils ont tous été baptisés sous la
tel langage est inconvenant, connue il l'est en « coiidiiile de Moïse, ilans la nuée et dans la
ellèt, pourijuoi accordcul-ils (juelque vakur « mer, qu'ils ont tous mangé dune même
aux épitres de Paul et aux quatre évangiles, a viande spirituelle, et qu'ils ont tous bu d'un
où il y a peut-être proportionnellement beau- « même breuvage. Car ils buvaient de l'eau
coup plus (ju'il n'a pu s'en trouver dans les « de la |)ierre spirituelle qui les suivait, et
Actes des Apôtres, de ces choses qu'ils veulent ' Act. IJ, 2-4. — ' Mail. XII, 39, 10.
DE L'UTILITE DE LA FOI. 37

« Jésus-Christ était cette pierre. Mais il y en nous l'avouons, et celte Loi, nous ne la décla-
« avait peu d'un grand nombre qui fussent
si rons nécessaire que pour ceux à qui l'escla-
« agréables à Dieu, étant presque tous morts vage est encore utile. Ce qui a fait son utilité,
« dans le désert. Or, toutes ces choses ont été c'est que les hommes que la raison ne pouvait

« les nous regarde, afin que


figures de ce qui détourner du péché, avaient besoin d'être re-
« nous ne nous abandonnions pas aux maii- tenus par une pareille loi, c'est-à-dire par la
« vais désirs, comme ils s'y abandonnèrent. menace et la peur de ces châtiments qui
« Ne devenez point non plus idolâtres, connue peuvent frapper les yeux des insensés. Le
« quelques-uns d'entre eux dont il est écrit Le : Christ, en nous délivrant de ces terreurs, ne
« peuple s'assit pour manger et pour boire, et condamne pas cette loi il ne fait que nous ;

« ils se levèrent pour se divertir. Ne commet- inviter à obéir à son amour, et à ne pas être
« tons point de fornication, comme quelques- esclaves de la crainte de la Loi. C'est là la
« uns d'entre eux commirent ce crime, pour grâce même, bienfait dont ne comprennent
« lequel il y en eut vingt-trois mille qui furent point l'origine céleste ceux qui désirent encore
« frappés de mort en un seul jour. Ne tentons être sous les chaînes de la Loi. L'apôtre Paul
« point .lésus-Christ, comme le tentèrent quel- les blâme justement comme des infidèles,
« ques-uns d'entre eux, qui furent tués par les puisque cette servitude à laquelle ils étaient
« serpents. Ne murmurez point comme nun-- condamnés une certaine époque par une
à
« murèrent quelques-uns d'entre eux qui ,
juste disposition de Dieu, ils ne croient pas

« furent frappés de mort par l'ange extermina- en être délivrés maintenant par Notre-Sei-
« leur. Or, toutes ces choses qui leur arrivaient gneur Jésus-Christ. De là cette parole du môme
a étaient des figures, et elles ont été écrites apôtre « La Loi nous a servi de conducteur
:

« pour nous servir d'instruction, à nous autres « pour nous mener comme des enfants à

« qui nous trouvons à la fin des temps ». ' «Jésus-Christ'». Ainsi donc Dieu a donné
II y a encore dans l'Apôtre une allégorie qui aux hommes un conducteur qu'ils devaient
convient parfaitement à mon sujet, puisque craindre, pour leur donner ensuite un maître
nos adversaires eux-mêmes ont l'habitude d'en qu'ils devaient aimer. Toutefois ces préceptes
faire parade dans leurs discussions. Le même et ces commandements de la Loi, dont il n'est
Paul aux Galales « Car il est écrit (]u'Abra-
dit : plus permis aux chrétiens maintenant de faire
« ham a eu deux fils, l'un de la servante et usage, tels que le sabbat, la circoncision, les
« l'autre de la femme libre. Mais celui qui sacrifices et autres choses de ce genre, ren-
« naquit de la servante naquit selon la chair, ferment tant de mystères, que tout homme
et celui qui naquit de la femme libre, na- pieux comprend qu'il n'est rien de plus fu-
« quit en vertu de la promesse de Dieu. Tout neste que de prendre à la lettre, c'est-à-dire
« ceci est une allégorie car ces deux femmes ;
mot pour mot, tout ce qui s'y trouve, et rien
« sont les deux alliances, dont la première qui aussi de plus salutaire que d'en saisir l'esprit.
« a été établie sur le mont de Sina, et qui De là cette parole : «La lettre tue et l'esprit
« n'engendre que des esclaves, est figurée par « donne la vie - » ; et cette autre parole :

« Agar. Car Sina est une montagne d'Arabie, « Lorsqu'ils lisent le vieux Testament, ce voile
« qui représente la Jérusalem d'ici-bas, qui « demeure toujours sur leur cœur, sans être
« est esclave avec ses enfants au lieu que
; la « levé, parce qu'il ne s'ôte que par Jésus-
Jérusalem d'en haut est vraiment hbre, et « Christ ». En effet, ce qui s'ôte par Jésus-
^'

« c'est elle qui est notre mère - ». Christ, ce n'est pas l'Ancien Testament, mais
0. Ici donc ces hommes pervers, en voulant le voile qui le couvre, de sorte que par Jésus-
rendre la Loi inutile, nous obligent à approu- Christ l'on comprend et l'on voit, comme à nu,
ver ces Ecritures. Car ils relèvent soigneuse- ce qui sans le Christ est ob?cur et caché. Aussi
ment ce qui a été dit, que ceux-là sont dans le même apôtre ajoute-t-il aussitôt « Mais :

l'esclavage qui vivent sous la Loi, et ils ter- « quand leur cœur se tournera vers le Sei-

minent par ces paroles triomphantes « Vous : a le voile en sera ôté ' ». H ne dit
gneur, alors
«qui voulez être justifiés par la Loi, vous pas : ou bien l'Ancien Testament dis-
La Loi,
« n'avez plus de part à Jésus-Christ, vous êtes paraîtra. Ainsi donc, ce ne sont pas ces livres
« déchus de la grâce ' ». Tout cela est vrai, m, — —
'
Galat. 21. ' II Cor. ui, 6. Trad. de Sacy. II Cor. m,
'
1 Cor. X, 1-11. — ' Galal. iv, 22-26. ~ '
Id . v, 1. 14. - ' Id. 16.
38 DE L'UTILITÉ DE LA FOI.

que la grâce divine a supprimés comme ren- avec ces mêmes atomes et meurt, un lecteur
fermant des choses inutiles, mais bien l'enve- s'imaginera que c'est la vérité et qu'il doit le
loppe qui recouvrait des choses utiles. Voilà croire. Il n'en est pas moins malheureux si,

ce qu'où peut dire à ceux qui apportent un sur un sujet si important, il a pris pour cer-
soin |)ieux, et non un esprit brouillon et mé- tain ce qui est faux, bien que Lucrèce, dont
chant, à la recherche du sens de ces Ecri- l'ouvrage l'a trompé, ait eu cette opinion. A
tures ; on leur fait toucher du doigt et l'ordre quoi sert en effet à ce lecteur d'être sûr du
des choses, et les motifs des actes et des pa- sens de l'écrivain, quand cet écrivain qu'il
roles, et la conformité entre l'Ancien et le a choisi, au lieu de l'empêcher de tomber
Nouveau Testament, conformité si grande dans l'erreur, l'y entraîne avec lui? Voici qui
qu'il ne reste pas entre eux la moindre diffé- se ra|iporte à la troisième espèce. Après avoir
rence, et le secret de toutes ces figures qui, Ju quelque passage des œuvres d'Epicurc où il

une fois expliquées et comprises, nous forcent vante la continence, on affirmera que ce philo-
de déclarer que ceux-là sont bien malheu- sophe a placé le souverain bien dans la vertu, et
reux, qui veulent les condamner avant de les que par la suite il n'est pas blâmable. En quoi
connaître. nuit à ce nouveau lecteur l'erreur d'Epicure,
CHAPITRE IV. si ce dernier croit que le souverain bien de
l'homme est le plaisir des sens, i)uisque ce
A QUELLES ERREURS ON EST EXPOSÉ DANS LA
lecteur n'a pas adopté une maxime si hon-
LECTURE.
teuse et si funeste, et qu'Epicure ne lui plaît
10. Mais je veux laisser de côté les hauteurs que parce qu'il ne lui prête pas une opinion
de la science, et agir avec toi comme je crois qui ne doit pas être admise? Cette erreur non-
que je dois agir avec un ami intime, c'est-à- seulement est pardonnable , mais souvent
dire, exposer les choses comme je le peux, et même tout à fait digne d'un homme.
non comme j'ai vu avec admiration des Quoi! si l'on venait me dire d'un de mes
hommes très-savants pouvoir le faire. Il est amis qu'il a déclaré en présence de beaucoup
trois espèces d'erreurs auxquelles les hommes de monde, que malgré ses années déjà avan-
sont sujets en lisant. Je parlerai de chacune cées, il aime l'enfance et le premier âge au
d'elles. La première consiste à croire vrai ce point qu'il a juré d'y conformer sa vie, et si cela
qui est faux, quand l'écrivain a pensé autre- m'était prouvé de manière à ne pouvoir le nier
ment qu'il n'a écrit. La deuxième, pour être décemment serais-je blâmable de croire que
;

moins répandue, n'en est pas moins perni- cet ami, en parlant ainsi, a voulu montrer son
cieuse; elle consiste à croire vrai ce qui est goût pour l'innocence et son éloignement
faux, en croyant toutefois ce que l'écrivain à pour ces plaisirs où se plongent les hommes,
cru lui-même. La troisième consiste à croire et de l'affectionner bien plus encore que par
vrai dans un ouvrage ce qui n'a pas été tel le passé, n'eût-il par hasard sottement aimé

dans la pensée de l'écrivain. Dans ce dernier dans la vie des enfants qu'une certaine liberté
cas, l'erreur peut être très-utile, et même, à à jouer et à manger, et une molle oisiveté?
bien considérer, il n'y a alors que profit à Suppose en effet qu'il soit mort après ce qui
retirer de sa lecture. Un cas de la première m'a été dit de lui, et que je n'aie pu lui adres-
espèce, c'est, par exemple, si l'on disait et si ser aucune (jucstion pour connaître sa pensée,
l'on croyait que Rhadamantlie dans les enfers quel homme serait assez méchant pour m'en
fait comparaître les morts devant lui pour les vouloir, alors que je vanterais la résolution de
entendre et les juger, pirce qu'on a lu cela mon ami dans les termes mêmes qui me l'ont
dans un poënie de Virgile '. Il y a ici double fait connaître? N'est-il pas vrai qu'un juste
erreur, parce que l'on croit une chose qui appréciateur des choses n'hésiterait même pas
n'est i)as croyable, et parce (ju'on ne doit pas à louer ma manière de voir et mon attache-
se figurer que l'auteur l'ait crue. On peut don- ment, envoyant (juc j'aimerais l'innocence,
ner pour la seconde espèce l'exemple suivant : el iiue je une bonne 0|)iniou
préférerais avoir
Parce que Lucrèce dit <iue l'àine est compo- (le mon semblable, dans une circonstance
sée d'atomes, et qu'après la mort elle s'échappe douteuse où il me serait permis d'en juger
' Enéide, VI, 566-569. autrement?
DE L'UTILITE DE LA FOL 39

CHAPITRE V. rent, quand ils invectivent contre nous. Si


c'estdans la seconde, le fait n'tst pas moins
L" ÉGLISE CATHOLIQUE SAIT LIRE SASS SE TROMPER.
grave mais nous les réfuterons de la même
,

H. Les choses étant ainsi, tu vas voir que manière. Si c'est dans la troisième, on n'a rien
pour les il y a les mêmes dis-
Ecritures à nous reprocher. Mais examinons maintenant
Eu effet, on peut faire les
tinctions à établir. les Ecritures mêmes. Que reprCchent-ils aux
mêmes remarques. Ou bien l'ouvrage est bon, livres de ce qu'on appelle l'Ancien Testament?
et l'interprétation du lecteur est mauvaise; Serait-ce qu'ils sont bons, mais mal entendus
ou bien l'ouvrage et l'interprélalion sont tous par nous? Mais eux ne les admettent pas. Ou
deux mauvais; ou bien l'interprétation est bien qu'ils ne sont ni bons ni bien compris ?
bonne, et la pensée de l'écrivain ne l'est pas. De Mais la justification employée [ilus haut ré-
ces trois cbo?es je n'ai pas à désapprouver la pond assez à cette assertion. Diront-ils: Quoi-
première, et je m'inquiète peu de la dernière. qu'ils soient bien entendus par vous, ils n'en
Car je ne puis blâmer un homme qui, sans qu'il sont pas moins mauvais? Mais n'est-ce pas là
y ait de sa faute, a été mal compris, ni être fâ- absoudre des adversaires vivants à qui l'onaà
ché qu'on lise un écrivain qui n'a pas vu la vé- faire, et en accuser d'autres, morts depuis

rité, quand je vois que le lecteur n'en souffre longtemps, avec qui l'on n'a rien à démêler ?
pas. Un seul cas défle toute critique et tout Pour moi, je crois que ces hommes n'ont
reproche ; c'est quand l'ouvrage est bon et écrit que des choses utiles, et qu'ils ont été
interprété en bonne part par le lecteur. Tou- grands et divins je crois que cette loi a été
;

tefois ce cas se divise encore en deux, car il publiée et fondée par l'ordre et la volonté de
n'exclut pas radicalement l'erreur. En eff^t, il Dieu et, bien que je connaisse très-peu de
;

arrive souvent que l'écrivain pensant bien, le choses de ces livres-la , je puis facilement con-
lecteur aussi pense bien, mais autrement que le vaincre de cette vérité, si l'on m'écoute avec
premier, tantôt mieux, tantôt moins bien, quoi- un esprit calme et sans obstination et je le ;

que toujours utilement. Or, quand notre pen- ferai quand je trouverai en toi une attention

sée est conforme à celle de l'écrivain que nous bienveillante et un esprit bien disposé. Mais
lisons, et que celte pensée est utile pour la con- ce sera quand pour le moment,
je le pourrai ;

duite de la vie, alors ou est pleinement dans ne me sufflt-il quelque manière qu'il
pas, de
la vérité, et l'erreur n'est plus possible. Ce cas en soit, que je n'aie pas été trompé ?
se présente très-rarement, quand la lecture
roule sur des matières très-obscures ; et alors
CHAPITRE YI.

une connaissance nette est, à mon avis, im- SE DÉFIER DES COMMENTATEURS QUI SONT ESSEMIS
possible; tout ce qu'on peut faire, c'est de DES ÉCRITURES.
croire. En effet, l'auteur étant absent ou
mort, sur quelles preuves établirai-je ma con- 13. Mon cher Honorât, j'en atteste ma cons-
clusion, de manière à pouvoir jurer que telle cience et le Dieu qui habite dans les âmes
est sa manière de voir, puisque, fùt-il présent pures, rien n'est plus sage selon moi, plus
et interrogé, y aurait peut-être bien des
il chaste et plus religieux que toutes ces Ecri-
choses qu'il se ferait un devoir de cacher, s'il tures que l'Eglise catholique conserve sous le

n'était pas méchant ? Pour connaître une nom d'Ancien Testament. Cela t'étonne, je le
chose, je pense que peu importe la qualité de comprends. Car je ne puis dissimuler que
l'écrivain toutefois l'on fait très-bien de
;
nous en avons jugé d'une manière bien diffé-
croire bon celui qui, dans ses ouvrages, a rente. Mais il n'y a certainement rieu de plus
consulté l'intérêt du genre humain et de la téméraire, ce qui était le défaut de notre pre-
postérité. mière jeunesse, que d'abandonner les inter-
1-2. Je voudrais donc que nos adversaires prètes de tous ces livres, interprètes qui sont
nous disent dans quelle catégorie ils placent à même de les bien connaître et de les expli-
ce qu'ils appellent une erreur de l'Eglise ca- quer à leurs disciples, pour aller en demander
tholique. Si c'est dans la première, l'accusa- le sens à des hommes qui, poussés par je ne

tion est assurément grave, mais elle est bien- sais quel motif, ont déclaré une guerre achar-

tôt réfutée; car il sufflt de dire que nous n'en- née à ceux qui en sont les écrivains et les au-
tendons pas les choses comme ils se le figu- teurs. Qui jamais a cru que les ouvrages oîi
iO DE L'UTILITÉ DE LA FOL

Aristote traite de matières abstraites et obs- qui voudrait les résoudre à l'honneur de l'écri-

cures, dussent être exidiqués par un ennemi vain; notre sympathie serait jiour ceux qui
de ce philosoplie, pour parler de sciences dans chercheraient à faire voir par là que Virgile
lesquelles le lecteur peut faillir sans impiété? est tombé dans l'erreur et l'absurdité. Mais
Qui entin a songé à lire ou à étudier sous la aujourd'hui, des nombreux commentateurs
direction d'Epicure le traite de géométrie qui, chacun selon sa capacité, cherchent à
d'Arcbimède, traité contre lequel ce pbilo- élucider ces qut stions, les plus applaudis sont
sopbe dissertait avec beaucoup d'opiniâtreté, ceux dont les explications nous font trouver
sans y rien comprendre, autant que je puis le poète meilleur; et ce poète passe, même
croire? Mais sont-ils si faciles à entendre, ces aux yeux de ceux qui ne le comprennent pas,
traités de la Loi sur lesquels les Manicbéens non-seulement pour un écrivain irrépro-
se jettent bien en vain, comme s'ils étaient ac- ch^ible, mais encore pour n'avoir rien écrit
cessibles au vulgaire ? Ils ressemblent pour qui ne soit digne d'éloge. Aussi, que sur la
moi à une certaine femme dont eux-mêmes moindre question le maître reste court et n'ait
se moquent impatientée de voir une Mani-
: rien à répondre, nous lui en voulons plutôt
chéenne lui vanter le soleil et lui en recom- que d'attribuer son embarras à Virgile. S'il
mander le culte, cette femme, toute naïve allègue pour sa défense que ce grand écrivain
dans sa religion, se leva avec emportement, s'est trompé, ses disciples auront peine à rester

et frappant du pied à plusieurs reprises, l'en- près de lui, lui eussent-ils déjà payé ses leçons.
droit où se projetaient à travers la fenêtre les Que nous étions loin d'avoir ces dispositions
rayons du soleil, elle s'écria : Voilà comme je bienveillantes pour ceux à qui tant de siècles
foule aux pieds ton soleil et ton dieu. Trait ont rendu ce témoignage, que le Saint-Esprit
tout à fait ridicule et d'une vraie femme, qui avait parlé par leur bouche Mais, jeunes pro-
!

le nie? Mais ne te semblent-ils pas en faire diges d'intelligence que nous étions, merveil-
autant ceux qui, attaquant avec violence des leux appréciateurs de raisons, sans même par-
doctrines qu'ils ne comprennent pas, dont ils courir ces ouvrages, sans chercher des maîtres,
ne savent ni la raison ni le sens exact, doc- sans accuser en quoi que ce soit notre pesan-
trines vulgaires en apparence, mais profondes teur d'esprit, sans montrer enfin la moindre
et divines pour ceux qui les entendent, dé- déférence pour ceux qui ont voulu que ces
versent sur elles l'injure, et s'imaginent avoir ouvrages fussent dans tout l'univers, pendant
fait merveille parce qu'ils sont applaudis des si longtemps, lus, gardés, étudiés; nous
ignorants? Crois-moi, tout ce qu'il y a dans n'avons rien vu chez eux qui méritât d'être
ces Ecritures est élevé et divin; on y trouve cru tandis que leurs ennemis acharnés nous
;

la vérité absolue, et la science la plus propre séduisaient par leurs violences de langage, et,
à nourrir l'âme et à réparer ses forces; et en promettant faussement de satisfaire notre
cette science est si bien mise à notre por- raison, nous faisaient croire et respecter mille
tée, qu'il n'y a personne qui n'en puisse tirer fables de leur invention.
ce qui lui est nécessaire, pourvu qu'il s'en ap-
proche, pour 5' puiser avec la dévotion et la CHAPITRE Ml.
piétéque la vraie religion demande. ou CHERCHER LA RELIGION VÉRITABLE ?
Pour te le prouver, de nombreuses raisons
longuement développées sont nécessaires. Je 44. Maintenant j'achèverai ce que j'ai com-
dois d'abord l'engager à ne pas avoir d'aversion mencé ; mais, sans chercher à l'exposer en ce
pour les auteurs mômes de ces livres, et en- moment la foi catholique, je t'engagerai à en
suite à les aimer; cl je dois pour cela em- scruter les mystères, et pour cela je te ferai
ployer tout autre moyen que l'exposition de voir comment ceux qui s'intéressent à leur
leurs maximes et nous dé-
de leurs écrits. Si âme, peuvent espérer de la faveur divine trou-
testions Virgile, ou plutôt si, avant de le com- ver la vérité. Chacun sait que celui qui re-
prendre, l'estime que nos i)ères ont eue pour cherche la vraie religion, croit déjà à l'im-
lui, ne nous le faisait pas aimer jamais nous ;
Uiorlalité de l'ànie à qui cette religion est
ne trouverions de solution satisfaisante à ces utile, ou encore qu'il veut trouver cette im-
innombrables questions qui agitent et troublent morlalilé dans la religion même. Toute reli-
les savants. Nous aurions peine à écouler celui gion a donc lame pour cause ; car la nature
DE L'UTILITÉ DE LA FOI. a
du corps, quelle qu'elle soit, n'inspire ni souci haute éloquence, bien que dans tout l'univers
ni inquiétude, surtout après la mort, à celui les écoles des rhéteurs soient fré(inentées par
dont l'âme a en vue d'être heureuse. Ainsi une foule bruyante de jeunes gens? Est-ce
donc la reliiiion, même la plus vraie, s'il en que, effrayés de multitude des ignorants,
la
est une, a êlé établie à cause de l'âme et de ceux qui veulent devenir de bons orateurs,
l'âme seule. Mais celte âme, (nous verrons par croient devoir étudier les discours de Cécilius
quel motif, ce qui est fort obscur, je l'avoue), ou d'Erucius plutôt que ceux de Cicéron?
cette âme commet des erreurs et des fautes, Tous vont aux œuvres que le témoignage de
comme nous le voyons, jusqu'à ce qu'elle at- nos pères a consacrées. La foule des ignorants
teigne et possède la sagesse, et peut-être cette cherche à s'instruire des mêmes choses que le
sagesse est-elle la vraie religion. Est-ce là te nombre des savants a cru devoir ap-
petit
renvoyer à des fables ? Te forcé-je à croire prendre; mais fort peu les comprennent, bien
quelque chose sans motif, au hasard? Je dis moins encore les pratiquent quelques-uns ,

que notre âme, entourée, enveloppée de toutes seulement s'y distinguent. La vraie religion
parts d'erreur et d'ignorance, cherche le che- ne serait-elle pas quelque chose de semblable ?
min de la vérité, s'il en est un. Si les choses La multitude des ignorants ne fréquente-
ne se passent jjas ainsi en toi, pardonne-moi t-elle pas les églises, sans être pour cela une
mon langage, et fais-moi part de ta sagesse, je preuve que personne d'entre eux soit profondé-
te prie; mais si tu reconnais en toi ce que je ment versé dans les mystères de la foi ? Et cepen-
dis là, examinons la vérité ensemble. dant, si ceux qui étudient l'éloquence étaient
t5. Figure-toi que jusqu'ici nous n'avons aussi peu nombreux que leshommes éloquents,
entendu personne encore nous parler de la jamais nos parents ne croiraient devoir nous
religion. C'est là pour nous une chose nou- confier à de pareils maîtres. Ainsi donc, puis-
velle, une affaire à examiner. Sans doute que que la multitude qui se compose en grande par-
s'il existe une religion, il faut chercher des tie d'ignorants, nous invite à ces études, et nous
maîtres qui nous l'enseignent. Suppose que fait aimer ce qui ne peut être que le partage
nous en avons trouvé n'ayant pas les mêmes d'un petit nombre, pourquoi, quand il s'agit de
idées, et désirant nous attirer à eux par des la religion, ne pas accepter un motif sembla-
opinions différentes, mais qu'il en est quel- ble, et le mépriser peut être au grand préjudice
ques-uns dont la renommée pour le moment de notre âme ? Si le petit nombre de ceux qui
brille entre tous occupe l'attention de
, et pratiquent le culte de Dieu dans toute sa vé-
presque tous les peuples. C'est une grande rité et sa sincérité, voient cependant leurs opi-

question de savoir si ces derniers possèdent la nions partagées par la multitude, malgré les
vérité; mais ne faut-il pas tout d'abord les passions qui l'entraînent et l'obscurité de son
connaître, pour que notre erreur, bien natu- intelligence, ce dont on ne saurait douter; je
relle, puisque nous sommes mortels, semble, te le demande, que pourrions-nous répondre
tant qu'elle durera, partagée par le genre à celui qui blâmerait notre légèreté et notre
humain lui-même? indolence, et qui nous verrait si peu empres-
16. Mais, diras-tu, la vérité ne se trouve que sés à écouter les docteurs sur des vérités que
chez un petit nombre d'hommes. Tu sais donc nous avons à cœur de connaître ? La multitude
déjà ce qu'elle est, si tu sais chez qui elle est. m'a retenu ? Mais pourquoi, s'il s'agit d'étu-

Ne t'avais-je pas dit, il y a un instant, de la dier les arts libéraux, qui sont à peine de
chercher avec moi comme si nous étions des quelque utilité pour la vie présente ou ,

novices ? D'après la nature même de la vérité, d'amasser de l'argent, ou d'arriver aux hon-
tu penses donc que peu d'hommes la pos- neurs, ou d'acquérir et de conserver une
sèdent, mais tu ne sais pas qui ils sont; eh bonne santé, ou de jouir enfin des douceurs
quoi? ces hommes peu nombreux qui con- de la vie, pourquoi, quand tous se livrent à
naissent le vrai, n'exercenl-ils pas sur la mul- des soins si. rarement couronnés d'un plein
titude une autorité puissante, et ne voit-on succès, n'en est-on pas détourné par lamulti-
pas de celte multitude sortir un petit nombre tude?
d'hommes seulement, capables de pénétrer ces Mais dans ces livres il y a des absurdi-
17.

mystères? Ne voyons-nous pas combien est tés. Qui l'affirme? Des ennemis de l'Eglise
petit le nombre de ceux qui atteignent à la sans doute pour quel motif, pour quelle rai-
;
42 DE L'UTILITÉ DE LA FOI.

son, peu importe ; il ne s'agit pas de cela avoir fait un poëme erotique, signifie quelque
maintenant, il sulfit que ce soient des enne- chose de grand, mais qui échappe au discer-
mis.En les lisant, j'ai pu en juger par moi- nement des ignorants? On veut ainsi qu'un
même. Eh quoi si I tu n'entendais rien à l'art grand poète ait pu faire entendre sans aucune

des poètes, tu n'oserais pas toucher à Téren- impiété des chants licencieux.
tianus Maurus sans le secours d'un maître; L^. Mais qui pouvait réellement nous ar-
on a recours à Asper, à Cornutus, à Donatus, rêter et empêcher nos recherches? Etait-ce la
et à une foule d'autres, pour pouvoir entendre teneur de quelque loi, ou la j)uissance de nos
le premier veim de ces poètes dont les pièces adversaires, ou un caractère vil chez les prê-
ohtiennent applaudissements du théâtre;
les tres, ou un renom fâcheux, ou la nouveauté
et quand de ces livres qui, tout dé-
il s'agit de l'institution, ou un culte |)raliqué en se-
criés qu'ils peuvent être, n'en sont pas moins cret? Rien de tout cela. Toutes les lois divines
saints et remplis de choses divines, de l'aveu et humaines permettent de rechercher la foi
du genre humain tout entier; tu le jettes des- catholique. Quant à la conserver et à la prati-
sus sans guide, tu oses porter sur eux un ju- quer, c'est chose autorisée, du moins parla
gement sans consulter un maître ; et si tu loi humaine, si on ne sait encore ce que per-
rencontres certaines choses qui paraissent met la loi divine tant qu'on est dans l'erreur.
absurdes, tu n'en accuses pas ton incapacité Noire faiblesse n'a pas à craindre d'ennemi ;

et la corruption dont ce monde a souillé ton du reste, si en cherchant la vérité et le salut


âme et celle de tous les insensés tu préfères ; de notre âme par les voies les plus sûres, nous
l'en prendre à ces livres qui ne sauraient être ne pouvons y arriver, nous n'en devons pas
entendus par des personnes de ton caractère ! moins poursuivre ce but à travers tous les
Cherche un homme à la fois pieux et instruit, dangers. Toutes les dignités, toutes les charges
ou qui, de l'avis d'un grand nombre, soit ré- se dévouent avec ardeur à ce culte divin; le
puté tel que ses leçons puissent te rendre nom de la religion est ce qu'il y a de plus
meilleur et sa science plus habile. Tu ne le honorable et de plus éclatant. Qui empêche
trouves pas facilement? Donne-toi de la peine enfin de voir et d'examiner avec un soin pieux,
pour le trouver. 11 n'y en a pas dans le-pays si cette religion est celle que nécessairement

que tu habites ? Quel motif pourrait te faire peu d'hommes connaissent et gardent dans
entreprendre un voyage plus utilo? On n'en toute sa pureté, bien que tous les peuples ma-
connaît point du tout, ou bien il n'y en a pas nifestent pourelle des dispositions favorables?
sur le continent? Prends la mer. Si tu n'en 19. Les choses étant ainsi, suppose, comme
trouves point au rivage où tu débarqueras, je l'ai dit, que nous cherchions pour la pre-
va-t-en jusqu'en ces contrées oîi se sont passés, mière fois la religion qui doit purifier et for-
dit-on événements contenus dans ces
, les nos âmes
tifier ; sans aucun doute, il faut
que nous avons fait, mon
livres. Est-ce là ce commencer par l'Eglise catholique. En effet,
cher Honorât? Et cependant celte religion les chrétiens sont déjà plus nombreux que les
peul-ctre très-sainte (car j'en parle encore juifs réunis aux adorateurs des idoles. Or, ces
comme si c'était chose douteuse), dont le culte mêmes chrétiens, bien qu'il y ait parmi eux
a déjà envahi tout entier nous
l'univers , plusieurs hérésies, que tous les sectaires pré-
autres, cbétifs enfants,nous avons porté sur tendent être catholiques, et donnent lenom
elle une sentence de condamnation Mais si ! d'hérétiques à ceux qui ne pensent pas comme
ces détails qui, dans ces mêmes Ecritures, eux, ces chrétiens, d'un avis unanime, forment
semblent blesser quelques ignorants, ont été une seule Eglise ; et celle Eglise, à considérer
placés là pour que, en lisant des choses qui l'univers entier, est plus nombreuse, et,
répugnent au bon sens d'un homme quel- comme l'affirment ceux qui la connaissent,
conque', à plus forte raison d'un homme sage possède une vérité plus pure que toutes les
et saint, nous en cherchions avec beaucouj) autres. 11 ne s'agit pas ici de cette question
plus de soin la secrète signilication ? Ne de la vérité ; ce qui suffit pour nos recher-
vois-tu pas conunent on cherche à interpréter ches, c'est {]ne !a seule Eglise catlu)li(iue est
le mignon des lîucoliques, (|ui a dédaigné un celle à la<iuelle les autres sectes donnent des
berger grossier; et comme on prétend que le noms divers, tandis qu'elles-mêmes ont cha-
jeune Alexis, sur lequel Platon passe pour cune une désignation propre qu'elles n'osent
DE L'UTILITE DE LA FOI. 43

repousser. On peut voir par là. quand nulle main, si vif, si pénétrant, si perspicace, je me
influence n'agit sur nos jugements, à quelle disais que, si la vérité lui restait cachée ,
église doit être attribué ce nom de catholique, c'était uniquement parce que le moyen de la
objet de l'ambition de toutes. Mais, pour ne chercher restait caché en elle, et qu'il fallait

pas entrer inutilement dans une discussion demander ce moyen lui-même à quelque

fort longue et superflue, disons que TEglise autorité divine. Restait à savoir quelle était

catholique est certainement la seule où les cette autorité, puisque, dans ce conflit d'opi-
lois humaines elles-mêmes sont aussi en nions, chacun promettait de la faire con-
quelque façon des lois chrétiennes. Je ne veux naître. Devant moi se présentait donc une
tirer de là aucune conclusion préjudiciable ;
forêt d'opinions sans issue, dans laquelle je
je me borne à y voir un point de départ très- regrettais beaucoup de m'èlre engagé; et, pen-

favorable pour nos recherches. Il n'est pas à dant ce temps, mon esprit était tourmenté sans
craindre que le vrai culte de Dieu soit dépourvu repos ni trêve du désir de trouver la vérité.
de toute force propre et ait besoin d'être sou- Toutefois, je me détachais de plus en plus des
tenu par ceux qu'il doit au contraire soutenir; Manichéens que j'avais résolu d'abandonner.
et certainement il est très-heureux que l'on Dans une situation si périlleuse, il ne me
puisse trouver la vérité, là où il n'y a aucun restait qu'à supplier avec des larmes et d'une
danger ni à la chercher ni à la conserver; si voix lamentable la divine Providence de me
on ne peut la trouver là, c'est alors qu'il faut, prêter secours. C'est ce que je faisais assidû-
au mépris de tous les dangers, aller la cher- ment, et déjà quelques entretiens de l'évêque
cher ailleurs. de Milan m'avaient à peu près ébranlé, de
CHAPITRE VIII. sorte que je désirais, non sans quelque es-
poir, étudier dans l'Ancien Testament même,
COMMENT l'acteur EST DEVENU CATHOLIQUE. bien des passages qu'on nous avait fort mal
20. Les choses ainsi établies, et, à mon avis, présentés, comme tu le sais, et que nous avions

elles sont si justes que je dois gagner ma en horreur. J'avais enfin résolu d'être caté-
cause auprès de toi, quel que soit mon adver- chumène dans l'église où j'avais été élevé par
saire, je vais te faire connaître, autant que mes parents, jusqu'à ce que je pusse trouver
possible, la roule que j'ai suivie, alors que je ce que je désirais, ou me persuader qu'il fallait
cherchais la vraie religion dans cet esprit qui renoncer à mes recherches. Aussi eùt-il
doit, comme je viens de l'exposer, présider à trouvé en moi un disciple bien préparé et fort
cette recherche. Dès que je vous eus quittés docile, le maître qui, à cette époque, aurait

et que mer, je me sentis hési-


j'eus traversé la pu m'inslruire. Si donc tu vois que ton àme
tant, incertain de ce que je devais croire, de ait été agitée longtemps comme la mienne et

ce que je devais rejeter. Cette hésitation aug- par des soucis semblables, s'il te semble que
menta de jour en jour du moment où j'enten- tu aies déjà été assez ballotté, si enfin tu veux
dis cet homme, dont l'arrivée nous était pro- mettre un terme aux ennuis de cette espèce;
mise, tu le sais, comme celle d'un envoyé du suis la voie de la doctrine catholique, qui est

ciel^ destiné à lever tous nos doutes, cet venue de Jésus-Christ lui-même par les Apô-
homme enfin qu'à part une certaine élo- tres jusqu'à nous, et qui passera de nous aux

quence, j'ai reconnu être tel que les autres générations futures.
hommes. Je me mis à réfléchir en moi-même,
à délibérer longuement, dans cette Italie où
CHAPITRE IX.

j'habitais, me demandant, non pas si je reste- ÊTRE CROYANT ET ÊTRE CRÉDULE.


rais dans cette secte où je me repentais de
m'être engagé mais de quelle manière je
, 21. C'est là une chose ridicule, diras-tu,
trouverais la vérité, pour laquelle, tu le sais puisque tous prétendent posséder cette doc-
mieux que personne, j'ai versé tant de sou- trine et l'enseigner. — Que tous les hérétiques

pirs. Souvent cette vérité me semblait ne aient cette ne puis le nier


prétention, je ;

pouvoir être trouvée, et, dans le tumulte de mais en même temps ils promettent à ceux
mes pensées, je me sentais entraîner vers la qu'ils veulent séduire, de rendre raison des

philosophie académique. Puis, me reprenant choses les plus obscures, et par suite ils blâ-
à considérer de toutes mes forces l'esprit hu- ment surtout l'Eglise catholique d'imposer à
u DE L'UTILITE DE LA FOI.

ceux qui viennent à elle l'obligation de croire, eh bien cet homme, se trouvant en pays
1 que
tandis qu'eux se glorifient de ne pas imposer étranger, demande avec empressement à tous
le joug de la foi, et d'ouvrir au contraire les ceux qui arrivent, comment se portent et ce
sources de la science. Que peut-on avancer, me que font sa femme et ses enfants, assurément
diras-tu, qui soit plus à leur avantage? C'est ilest mû par un grand désir de connaître; et

une erreur. Leurs promesses ne reposent sur cependant nous ne l'appelons pas studieux cet ,

rien de solide ils n'ont en vue que de se con-


; homme qui désire vivement connaître, et con-
cilier la foule à l'aide de ce mot, la raison. naître des choses qui l'intéressent au plus haut
Naturellement l'esprit humain aime qu'on lui point.Tu vois donc que celte définition du
tienne ce langage, et sans considérer son état mot studieux, n'a rien de solide, puisque
de force et de santé, il veut vivre comme s'il tout homme studieux veut connaître, il est
était bien ]iortant, d'une nourriture qui ne vrai, des choses qui le concernent, mais que
convient qu'aux forts, et il court aux poisons tous ceux qui agissent ainsi, ne peuvent être
que lui verse le mensonge. Pour la vraie reli- appelés de ce nom ; il s'applique à celui qui
gion, à moins de croire d'abord ce que cha- s'emiuiert avecempressement de ce qui peut
cun admet ensuite et comprend, s'il se con- nourrir noblement et embellir son àme. Ce-
duit bien et s'il se montre digne d'elle, en un pendant, nous appelons bien quelqu'un stu-
mot, à moins de se soumettre à quelque au- dens surtout quand nous ajoutons ce qu'il
,

torité imposante, il est impossible de s'en bien désire entendre dire. On peut aussi appeler
pénétrer. studiosus morum , celui qui n'aime que les

2-2. Mais peut-être ici désires-tu avoir un siens; toutefois, si l'on n'ajoute pas un com-
motif pour te persuader que la foi doit avant plément, je ne pense pas que l'on puisse dire
la raison te servir de maître. La chose est en général studiosus. Je ne dirais pas d'un
facile, si toutefois tu m'écoutes sans préven- homme désireux d'apprendre ce que font les
tion. Mais,pour plus de commodité, je désire siens, qu'il est studiosus midiendi, à moins
que tu répondes à mes questions, et d'abord que la joie d'apprendre une bonne nouvelle
que tu me dises pourquoi il te semble que la ne lui fît souvent désirer qu'on la lui répétât;
foi doit être écartée. Parce que, diras-tu, la mais je dirais qu'il est studeiis, ne posât-il la
crédulité même, d'où vient le mot crédule, question qu'une fois. Revenons maintenant au
me semble être un défaut, sans quoi nous mot curiosus, et dis-moi si quelqu'un aimait :

n'emploierions pas ce terme comme nous le entendre un conte qui ne lui servît absolu-
faisons, dans un sens injurieux. Car si l'homme ment à rien, c'est-à-dire qui ne le concernât
soupçonneux est répréhensible en ce qu'il pas, et cela, sans le demander d'une façon

soupçonne ce qui ne lui est pas démontré, fatigante et souvent, mais fort rarement, fort
combien est plus l'homme cré-
répréhensible tranquillement à table
, ou dans quelque ,

dule, qui ne diffère du soupçonneux qu'en ce cercle, ou dans quelque réunion, te paraî-
que l'un hésite à admettre ce qu'il ne connaît trait-il curiosus? Je ne le pense pas; mais il
pas, tandis que l'autre n'hésitepoint. — Pour le te paraîtrait certainement soucieux de la chose
moment, j'admets celle opinion et cette dis- qu'il aimerait entendre raconter. La définition
que le mot curieux
tinction. Mais tu sais aussi du mot curiosité doit donc être modifiée aussi

ne s'emploie guère sans une idée de repro- de la même façon que celle du mot studiosus.
che tandis que le mot studieux implique au
,
Vois s'il n'en est pas de même des termes em-
contraire une idée d'éloge. Voyons donc, si tu ployés précédemment. Ne doit-on pas éviter

veux bien, la différence qu'il y a aussi pour d'appeler soupçonneux celui qui a quelque-
toientre ces deux termes. Tu répondras sans fois quehiue soupçon, et crédule celui qui
doute que bien que leur conduite à fous
,
croit quel(|uefois à quelque chose? Ainsi, de
deux un grand désir de sa-
soit inspirée par même qu'il y a une grande différence entre
voir cependant
,
curieux s'enquiert de
le riionime<|uiiiésire tjuelfiue chose, et l'honmie
choses qui ne le regardent pas, tandis que le généralement désireux, et aussi entre l'homme
studieux s'eniiuiert de choses qui le regar- qui s'occupe d'une chose et l'homme curieux,
dent. Mais un homme évidemment est inté- il y en a ime très-grande aussi, entre l'homme

ressé au salut de sa femme et de ses enfants; qui croit et l'homme crédule.


DE L'UTILITE DE LA FOL 45

CHAPITRE X. tout où celle raison me conduirait, je puisse


la suivre sans craindre de m'égarer? C'est pos-
LA FOI EST A LA PORTÉE DE TOUS.
sible, mais il est bien difficile que tu arrives à
23. Mais, diras-tu,voyons maintenant s'il la connaissance de Dieu par la raison. Dis-
faut croire quand il s'agit de la religion. Car moi en effet, crois-tu tous les hommes capa-
si nous accordons que croire et être crédule bles de saisir les raisonnements par lesquels
sont deux choses dilTérentes il ne s'ensuit,
on conduit l'esprit humain à l'intelligence de
pas que croire, quand il s'agit de religion, ne la divinité? ou bien y en a-t-il un certain
soit pas blâmable. Ne pourrait-on pas dire que nombre, ou seulement fort peu? Fort peu, je
croire et être crédule sont mauvais tous deux, crois, diras-tu. Crois-tu être du nombre? Tu
comme être ivre etjètre ivrogne? — Quand on diras : moi à répondre à cette
ce n'est pas à
a une pareille opinion, on ne peut selon moi question. Tu
donc que c'est encore ici
crois
avoir d'ami. Sien effet il est honteux de croire au maître à te croire, ce qu'il fait du reste.
quelque chose, ou bien on a tort de donner sa Rappelle-toi seulement qu'il t'a déjà cru deux
confiance à un ami, ou bien, en ne lui don- fois sans être certain de ta véracité, et toi,
nant pas sa conOance, je ne vois ]ias comment alors qu'il te parle de religion, tu ne veux
on appellera du nom d'ami ou soi-même ou même pas le croire une seule fois ! Mais sup-
quelque autre. Ici tu me diras peut-être j'a- : posons que tu viennes avec toute la sincérité
voue que quelquefois il faut croire mais fais- ; de l'âme prendre des leçons sur la religion,
moi voir qu'en fait de religion, il n'y a pas de et que tu sois du petit nombre de ces hommes
honte a croire avant de savoir. Je vais — capables de saisir les raisonnements par les-
essayer, si je puis. Je te demaiiderai donc ce quels on arrive à la connaissance certaine de
que tu crois être le plus blâmable, d'enseigner la nature divineles autres hommes qui ne
;

la religion à un homme indigne, ou de croire sont pas doués


d'un esprit aussi heureux,
ce que disent ceux qui l'enseignent. Tu ne devra-t-on leur refuser l'entrée de la religion,
comprends peut-être pas ce que j'entends par ou bien les conduire lentement et par degrés
indigne; j'appelle ainsi l'homme qui vient à jusqu'au fond du sanctuaire? Tu vois tout de
avec un cœur dissimulé. Tu m'ac-
la religion suite combien ce dernier parti est plus reli-
corderas, je pense, qu'il y a bien plus de mal gieux. En effet, nul homme,
désireux d'une
à découvrir à un tel homme les saints mys- ciiose aussi importante, ne saurait mériter à
en des hommes re-
tères, qu'à avoir conliance tes yeux qu'on l'abandonne ou qu'on le re-
hgieux qui affirment quelque chose sur la pousse. Mais n'es-tu pas d'avis que si cet
religion même. En effet, ce serait mal à toi de homme ne croit d'abord parvenir à son but,
répondre autrement. Sup|)osc maintenant que s'il ne recoure à la prière, et ne se purifie par

lu as devant toi un homme qui va t'appren- un certain genre de vie en se soumettant à quel-
dre la religion de quelle manière lui prou-
;
ques préceptes élevés et nécessaires, il ne sau-
veras-tu que tu vas l'écouter avec sincérité, rait comprendre une doctrine qui est la vérité
et qu'il n'y a en toi ni mauvaise foi ni feinie jiure? C'est ta pensée sans doute. Eh bien!
en ce qui a trait à la religion ? Tu diras, la ces autres hommes dans la classe desquels je
main sur la conscience, que lu es parfaite- veux bien te ranger, qui peuvent par une rai-
ment sincère, tu l'aflirmeras avec des paroles son infaillible saisir très-facilement les secrets

de toutes mais enfin ce ne seront


tes forces, divins, quel inconvénient [lour eux d'arriver
que des paroles. Car tu ne saurais ouvrir à par le chemin que suivent ceux qui commen-
ton semblable le fond de Ion âme i)Our qu'il cent par croire? Aucun assurément. Mais ce-
y lise dans les replis les i)lus inliines. Mais pendant, diras-tu, à quoi bon les retarder?
s'il te dit :En vérité je vous crois or n'est- ;
Parce que, si leur conduite ne leur nuit pas
il pas plus juste que vous mç croyiez aussi, à eux-mêmes, leur exemple ne laisserait pas
puisque vous allez recevoir de moi un bien- de nuire aux autres. Car bien peu d'hommes
fait, s'il est vrai que je possède quelque chose sentent ce dont ils sont vraiment capables :

de la vérité? Ne répoudras- lu pas que tu dois le pusillanime a besoin d'être poussé, le pré-
le croire ? somi)tueux, d'être retenu ; afin que l'un ne
24. Mais, diras-lu, ne vaudrait-il pas mieux succombe pas au désespoir, et que l'autre ne
me donner la raison des choses, afin que, par- soit pas emporté par sa témérité ce qui est ;
46 DE L'UTILITÉ DE LA FOL

facile à obtenir, si ceux mêmes qui peuvent vo- contraire une


action louable. Mais c'est une
ler, sont obligés, pour n'être pas un stimulant erreur. y a dans la religion deux sortes de
11

dangereux, de marcher quelque temps dans gens dignes d'éloge les uns qui ont déjà
:

la voie qui offre aux autres pleine sécurité. trouvé la vérité, et ceux-là, il faut les consi-
Telle est la prévoyance de la vraie religion ;
dérer aussi comme très-heureux; les autres
tel est l'ordre de la divinité, telle est la tradi- qui la cherchent avec beaucoup d'ardeur et de
tion de la bienheureuse antiquité, tradition loyauté. Les premiers sont donc déjà en pos-
conservée jusqu'à nous. Vouloir y porter le session de la vérité, les autres sont seulement
trouble et le désordre, c'est tout simplement sur le chemin, mais avec la certitude d'y ar-
chercher une voie sacrilège pour arriver à la river. Le reste des hommes forme trois clas-
vraie religion. Ceux qui agissent ainsi ne peu- ses, qui toutes ne méritent (]ue la réprobation
vent arriver à leur but, quand même on ad- et l'anathème. L'uneest celle des hommes qui
mettrait leurs prétentions. Eussent-ils en effet n'ont que des opinions, c'est-à-dire, qui croient
le génie le plus élevé, si Dieu ne les soutient, savoir ce qu'ils ne savent pas. La seconde
ils rampent à terre. Or, Dieu nous soutient si, comprend ceux qui sentent, il est vrai, qu'ils
quand nous cherchons à le connaître, nous ne savent pas, mais qui ne s'occupent pas
ne perdons pas de vue la société humaine. Il des moyens de trouver. La troisième se com-
n'y a pas pour pénétrer dans les secrets du pose de ceux qui, sans se figurer qu'ils sa-
ciel de moyen plus sûr que celui-là. Pour moi, vent ne veulent pas chercher. Il y a pareil-
,

je n'ai rien à répondre à une pareille raison. lement dans les esprits humains trois faits
Commeut dire en effet que l'on ne doit jamais analogues et bien dignes d'être remarqués ce ;

croire sans connaître, puisque, à moins de sont comprendre, croire, penser. A les consi-
croire quelque chose qui ne peut être démon- dérer en eux-mêmes, le premier n'est jamais
tré d'une manière positive, il n'y a pas d'a- blâmable, le second l'est quelquefois seule-
mitié possible et que souvent les maîtres
,
ment, le troisième toujours. En effet, il y a
ajoutent foi aux comptes de leurs esclaves un grand bonheur à comprendre les choses
sans encourir de reproche? Or, quand il s'a- grandes, honnêtes, divines. Comprendre des
git de la religion, quoi de plus étrange que de choses superflues ne nuit en rien ; seulement
voir les prêtres du Seigneur nous croire, alors on s'est peut-être fait tort en les apprenant,
que nous leur promettons de les écouter sin- parce qu'on leur a sacrifié des éludes néces-
cèrement, tandis que nous, nous ne voulons saires. Pour les choses nuisibles, il est mal-
pas croire à ce qu'ils enseignent ? Enfin peut-il heureux non de les comprendre, mais de les
y avoir une voie plus salutaire que de se met- commettre ou de les subir. Qu'un homme
tre d'abord en état de comprendre la vérité, sache comment ses ennemis peuvent être tués
en ajoutant foi à des choses que la volonté saus danger pour lui, ce n'est pas le fait de
divine a établies pour préparer et prédisposer savoir, c'est le désir qui le rend coupable; s'il
notre âme? ou bien, si l'on est déjà parfaite- n'a pas ce désir, qu'y a-t-il de plus innocent
ment i)ropre à comprendre la vérité, d'avan- que lui ? Quant au fait de croire, il est blâma-

cer quelque temps sur une voie parfaitement ble lorsque l'on croit sur Dieu quelque chose
sûre, plutôt que d'être pour soi-même une d'indigne de lui, ou que l'on croit sur l'homme
cause de danger, et pour les autres un exem- à la légère. Dans tout le reste on n'est pas

ple de témérité ? blâmable de croire quelque chose, si on com-


prend qu'on ne sait pas cette chose. Je crois,
CHAPITRE XL
par exemple, que des scélérats conjurés con-
l'intelligence, la foi et l'opinion. tre Rome ont péri jadis, grâce au courage de

2S. Reste à considérer pour quel motif ne Cicéron or non-seulement je ne sais pas cela,
;

doivent pas être suivis ceux qui promettent de mais même je .sais positivement qu'il m'est
nous conduire par la raison. Di jà nous avons impossible de le savoir. Quant à se faire des
dit comment on peut, sans être blâmable ,
opinions, c'est pour deux molifs une chose
suivre ceux qui nous ordonnent de croire ; très-blâmable, parce qu'on ne peul apprendre
quant à ces panégyristes <]e la raison, quel- quand on s'est i)ersuadé qu'on sait déjà, si
ques personnes pensent qu'eu allant a eux, louletois la chose peul être apprise; et que
loin de mériter des reproches, elles font au par elle-même la légèreté est le signe d'un
DE L'UTILITÉ DE LA FOL 47

esprit mal fait. Un homme a beau croire qu'il humaine, je l'ignore encore. Si je suis entré
sait le trait que je viens de citer sur Cicéron, dans ces détails, c'est pour que nous voyions
(du reste rien ne l'empêche d'apprendre ce bien qu'avec la foi même aux choses que
,

trait, bien qu'il soit impossible d'en constater nous ne comprenons pas encore, nous échap-
la certitude scientifique), comme il ne com- pons à la légèreté des sceptiques. Car ceux
prend pas y a une grande différence en-
qu'il qui disent qu'il ne faut rien croire que ce que
tre connaître une chose par un procédé cer- nous savons ne songent qu'à se prémunir
,

tain de l'intelligence, ce que nous appelons contre cette qualification de sceptiques, qua-
comprendre, utilement cette chose
et confier lification triste et honteuse, il faut l'avouer.
à la renommée ou aux pour qu'elle soit
lettres Mais considéraient attentivement qu'il y
s'ils

crue de la postérité, cet homme certainement a une grande différence entre se figurer que
se trompe, et il n'est pas d'erreur qui n'en- l'on sait et croire sur la foi de quelque au-
,

traîne un blâme. Ainsi donc , ce que nous torité ce qu'on voit que l'on ne sait pas, ils
comprenons, nous le devons à la raison ce ;
éviteraient certainement tout reproche d'er-
que nous croyons, à l'autorité ce que nous ;
reur, d'arrogance et d'orgueil.
nous figurons, à l'erreur. Mais tout homme
qui comprend, croit; il en est de même de CHAPITRE XII.

quiconque se figure une chose tandis que ;


LA SOCIÉTÉ HUMAINE REPOSE SUR UA FOI.
l'homme qui croit ne comprend pas toujours,
et que celui qui se figure une chose ne com- 26. Je le demande en effet : si l'on ne doit
prend jamais. Si donc nous rapprochons ces pas croire ce qu'on ne sait pas, des comment
trois choses des cinq espèces de gens dont enfants seront-ils soumis à leurs parents, et
nous avons parlé un peu plus haut, et dont rendront-ils affection pour affection à des per-
les deux premières méritent les éloges, tandis sonnes qu'ils ne croiront pas être les auteurs
que les trois autres sont blâmables nous ;
de leurs jours? Car c'est là une chose que la
trouvons que la première espèce, celle des raison est impuissante à faire connaître. En
heureux, croit h la vérité, et que la seconde ce qui concerne le père, on croit sur l'inter-
espèce, composée d'hommes désireux et ama- vention et l'autorité de la mère; pour la mère
teurs de la vérité, croit à l'autorité. Chez ces elle-même, on s'en rapporte non à son témoi-
deux espèces d'hommes lacroyance est louable. gnage, mais à celui des sages-femmes, des
Dans la première classe des gens blâma- nourrices, des serviteurs. Car celle à qui l'on
bles, composée de ceux qui se figurent savoir peut dérober son tils pour lui en substituer
ce qu'ils ne savent pas, il y a certainement un autre, ne peut-elle pas, étant trompée,
une crédulité répréhensible. Les deux au- tromper à son tour? Nous croyons cependant
tres classes qui méritent la réprobation, ne à ses paroles, et nous y croyons sans aucune
croient rien ce sont ceux qui cherchent la
: hésitation, parce que nous avouons que nous
vérité sans espoir de la trouver, et ceux qui ne pouvons savoir. Sans cela ne verrait-on
ne la cLerclient pas du tout. Il ne s'agit ici que pas la piélé filiale, ce lien sacré de la société,
de choses qui ont rapport à quelque science ;
dédaignée et outragée par le crime? En effet,
car dans tout le reste de la vie, je ne vois pas quel homme est assez insensé pour trouver
comment un homme pourrait ne rien croire. blâmable celui qui rendrait les devoirs d'u-
Du reste ceux qui dans leurs actes disent sage aux personnes qu'il croirait être ses pa-
qu'ils n'admettent que des probabilités, veu- rents, diit-il se tromper? Qui, au contraire,
lent plutôt passer pour ne pouvoir rien savoir ne jugerait digne d'extermination celui qui
que pour ne rien croire. Qui en effet ne croit n'aurait pas le moindre amour pour des per-
pas ce qu'il approuve? ou comment ce qu'on sonnes qui sont peut-être ses parents vérita-
admet, si on ne l'approuve pas, peut-il être bles, parce qu'il craint que son amour ne se
probable ? Ainsi donc on peut compter deux trompe d'objet? On peut donner bien des rai-
espèces d'ailversaires de la vérité : l'une com- sons ijui prouvent que rien absolument dans
prend ceux qui attaquent la science seule- la société ne reste debout, si nous sommes
ment, mais non la foi l'autre ceux qui con-
; décidés à ne rien croire, parce que nous ne
damnent ces deux choses. Ces derniers toute- [)ouvons pas avoir une connaissance exacte.
fois peuvent-ils se rencontrer dans la vie 27. Voici maintenent une chose dont j'espère
48 DE L'UTILITE DE LA FOL

te persuader plus facilement. Quand il s'agit gieuse, il ne nous reste qu'une chose à faire,
de la religion, c'est-à-dire du culte et de l'in- chercher des sages dont les conseils puissent
telligence de la divinité, il rie faut pas suivre nous servir à sentir vivement le joug de notre
ceux qui nous défendent de croire en nous folie, pendant qu'il pèse sur nous, et à nous

promettant si facilement la raison de tout. en débarrasser un jour.


Personne n'ignore que parmi les hommes il
n'y a que des insensés et des sages. J'appelle
CHAPITRE Xin.
sages non pas ceux qui sont ingénieux et ha- RECHERCHE DE LA SAGESSE ET DE LA RELIGION.
biles, mais ceux qui ont, autant qu'il soit pos-
sible à l'homme, une connaissance sûre et 28. Ici encore se présente une question
nette de l'homme lui-même et de Dieu, et très-difficile. De quelle manière en effet pour-
dont la vie et les mœurs sont conformes à rons-nous, nous auti'es insensés, découvrir le
cette connaissance ; tous les autres, au con- sage, puisque ce nom que presque personne
traire, quelle que soit leur manière de vivre, n'ose s'attribuer ouvertement, grand nombre
active ou désœuvrée, estimable ou blâmable, d'hommes le revendiquent cejiendant d'une
je les mets au rang des insensés. Les choses manière indirecte ,et que, sur les choses
étant ainsi, quel honnne est assez peu intelli- mêmes dont la connaissance constitue la sa-
gent pour ne pas voir clairement qu'il est plus gesse, ces hommes diffèrent tellement entre
utile pour les insensés et plus salutaire de se eux, que nécessairement il n'y en a pas un, ou

conformer aux préceptes des sages, que de du moins qu'il n'y en a qu'un seul de sage ?
vivre selon leurs propres lumières ? Car toute Mais quand l'insensé veut savoir quel est ce
action qui n'est pas bonne est un péché, et il sage, je ne vois pas du tout de quelle manière
est impossible que ce qui ne vient pas de la il pourra le distinguer et le reconnaître. Car
droite raison, soit bien. Or la droite raison, à des signes, quels qu'ils soient, il ne peut

c'est la vertu même. Et dans quel homme trou- pas reconnaître une chose, s'il ne connaît pas
vera-t-on la vertu, si elle n'est pas dans l'âme la chose même dont ces signes sont les mar-
du sage ? Ainsi donc le sage seul ne pèche ques. Or l'insensé ne connaît pas la sagesse.

pas. Par suite tout insensé pèche, si ce n'est Pour l'or, l'argent et les autres objets de ce
dans les actes où il obéit au sage car les actes ;
genre, qu'on les reconnaisse en les voyant
de ce genre viennent de la droite raison, et sans toutefois les posséder, je le veux bien;
l'insensé ne doit pas être considéré comme le mais pour la sagesse, l'intelligence qui en est
maître de son action, si je puis parler ainsi, dépourvue, ne saurait la voir. Tout ce que
quand il est comme l'instrument et le servi- nous atteignons à l'aide de nos sens, se pré-
teur du sage. Par conséquent, si pour tous les sente à nous extérieurement; voilà pourquoi
honunes il vaut mieux ne pas pécher que pé- nous pouvons aussi voir avec nos yeux des
cher; tous les insensés assurément vivraient objets qui nous sont étrangers, bien que au-
mieux, s'ils pouvaient être les serviteurs des cun de ces objets ou des objets de ce genre ne
sages. Si ce point est sans contredit d'une nous appartienne. Mais ce qui est saisi par
grande utilité quand il s'agit de choses l'intelligence, est au dedans de nous-mêmes,
moins importarites , comme d'acheter ou et ici voir et avoir, c'est tout un. Or l'insensé

cultiver un champ, de se marier, d'avoir est dépourvu de sagesse; il ne connaît donc

et d'élever des entants , enfin d'adminis- pas la sagesse. En effet, il ne pourrait la voir
trer sa fortune , combien n'est-il jias plus de ses yeux. D'ailleurs il ne peut pas la voir
utile quand il s'agit de la religion ? Car les sans la posséder, ni la posséder et être un in-
choses luiinaines sont plus faciles à con- sensé. Il ne la connaît donc pas, et ne la con-
naître que les choses divines, et dans toutes naissant pas, il ne peut pas la reconnaître ail-

celles qui ont un caractère plus prononcé de leurs. Tant qu'on est insensé, ou ne peut
sainteté et de grandeur, le péclié est d'autant découvrir d'une manière certaine un sage
plus criminel et plus à craindre (|iie nous dont les conseils puissent nous délivrer de ce
devons avoir pour ces choses plus de déférence triste mal de la folie.

et (le resi)ect. Tu vois donc immédiatement 29. A celte difficulté si redoutable, puisqu'il

que, tant que nous sommes insensés, si nous s'agitde la religion. Dieu seul peut porter
avons à cœur de mener une \ie pure et reli- remède. Si nous ne croyons ni qu'il existe, ni
DE L'I'ÏILlTt; DE LA FOI. 49

qu'il vienne en aide aux intelligences humai- nie détourner de croire comme d'une témé-
nes, nous ne devons même pas rechercher ce rité? S'il veut que je ne croie à rien, alors
(jue c'est que la vraie religion. Car enfin quel celte vraie religion elle-même, je ne croirai
est l'objet que nous désirons étudier avec tant pas qu'elle existe dans les choses humaines;
d'ardeur? A quel but visons-nous? Où vou- et, ne croyant pas qu'elle existe, je ne la cher-

lons-nous arriver? A quelque chose que nous cherai pas. Mais lui sans doute va me montrer
ne croyons pas exister ou nous concerner? la vérité; car il est écrit a Celui qui cherche
:

Rien n'est plus absurde qu'une telle pensée. « trouvera '». Il faut donc bien que je croie

Alors que tu n'oserais pas me demander un quelque chose pour aller trouver cet homme,
service, ou du moins que tu ne le ferais pas qui me défend de croire. Est-il une folie plus
sans rougir, lu viens demander qu'on te fasse grande que celle de cet homme auquel je dé-
connaître la religion quand tu penses que plais à cause seulement de ma foi, qui n'est
Dieu n'existe pas, ou que, s'il existe, il ne s'oc- appuyée sur aucune science, quand c'est ma
cupe pas de nous? Et si la question est si foi seule qui m'a conduit vers lui?

grande qu'elle exige, pour être résolue, tout 31. Ajoute que les hérétiques nous engagent
le soin et toutes les forces de notre intelli- tous à croire en Jésus-Christ. Peuvent-ils se
gence ? Et si la recherche de celte religion contredire davantage? Il y a ici deux raisons
est par ses difficultés mêmes un exercice qui à faire valoir contre eux. Prions-les d'abord
prépare l'esprit à comprendre ce qu'il aura de s'expliquer sur cette raison qu'ils promet-
découvert? Quoi de plus agréable et de plus tent, sur cette témérité qu'ils nous repro-
familier à nos regards que la lumière du chent, sur cette confiance ([u'ils ont dans leur
jour? Cependant l'on ne peut la supporter et science. Si, en effet, il est honteux de croire à
la souffrir quand on a été longtemps dans les quelque chose sans raison, pourquoi altendez-
ténèbres. Qu'est-ce qui convient mieux au vous, pourquoi exigez-vous que je croie à
corps épuisé par la maladie que le manger et quelque chose sans raison, afin de pouvoir
le boire ? Cependant nous voyons que l'on être plus facilement guidé par votre raison-
met un frein à l'appétit des convalescents, de nement? Votre raisonnement édifiera -t- il
crainte qu'ils ne se risquent à imiter les per- queliiue chose de solide sur ce fondement de
sonnes bien portantes, et qu'à force de manger ma témérité? Je parle d'après ces sectaires
ils ne reviennent à la maladie qui les quittait. auxquels déplaît notre foi. Car pour moi,
Je parle des convalescents mais les malatles
: croire avant le raisonnement, lorsque l'on
(iux-mêmes ne les obligeons-nous pas à pren- n'est pas capable île comprendre le raisonne-
dre quelque remède? Ces malades assurément ment, et préparer par la foi même son âme à
ne se soumettraient pas quand ils y ont tant recevoir les semences de la vérité, c'est là

de répugnance, à ce que nous exigeons d'eux, une chose non-seulement très-salutaire, mais
s'ils ne croyaient pas échapper ainsi à la ma- tellement nécessaire que sans elle les àines
ladie? Comment donc t'appliqueras-tu à une malades ne peuvent revenir à la santé. Quaml
recherche si laborieuse et si pénible ? comment eux trouvent cette conduite ridicule et pleine
voudras-tu l'imposer des soins et une applica- de témérité, certainement ils s'y prennent
tion proportionnée à la grandeur du but, iors- d'une façon étrange pour nOus faire croire au
ijue tu ne crois pas à l'existence de ce que lu Cliiist. Ensuite j'avoue (juc j'ai déjà foi au
cherches? Ainsi c'est avec raison que cette Christ, et(|ue je suis persuadé de la véiité de
doctrine si majestueuse de l'Eglise catholique ce qu'il a dit,bien que cette vérité ne soit
a établi que, pour arriver à la religion, il faut a(»(>uyée par aucune raison est-ce là, héréti-
:

avant tout avoir la foi. que, ce que tu veux m'appreiulre d'abord?


Permets un moment que je considère en moi-
CHAPITRE XIV. même (puisque je n'ai pas vu ce Christ, ni de
JÉSl'S-CHRIST EST l' APPUI DE NOTRE FOI. quelle mani.ère il voulut apparaître aux hom-
mes, ce Christ que l'on déclare avoir été vu
30. Ainsi cet hérétique (puisque nous par- même par les yeux de la foule) que je consi- ;

lons ici de ceux qui veulent être appelés chré- dère, dis-je, sur l'autorité de qui j'ai cru en
, liens), quelle raison me donnera-t-il, je le le Jésus-Christ, avant d'aller, muni ainsi de la
demande? Quel moyen eniploiera-t-il pour • Mail. VII, 8.

S. AcG. — Tome XIV.


50 DE L'UTILITÉ DE LA FOL

foi, prendre les leçons. Je vois que je n'ai cru petit nombre d'autorités, et si elle n'est confir-
qu'à l'opinion confirmée des nations et des mée par aucune raison, ce n'est pas à elle
peuples, et à une tradition extrêmement ré- qu'on donne sa croyance, mais à ceux qui la
pandue; que ces peuples ont adopté
je vois produisent. C'est pourquoi, si c'est vous qui

partout les mystères de l'Eglise catholique. produisez ces Ecritures, vous si peu nombreux
Pourquoi donc, quand je veux savoir ce que et si inconnus, il ne me plaît pas d'y croire.
le Christ a prescrit, n'irais-je pas m'adresser De plus, ici vous allez contre votre promesse,
de préférence aux hommes sur l'autorité des- puisque vous exigez plutôt la croyance que
quels j'ai déjà cru que le Christ avait laissé vous ne rendez raison des choses.
d'utiles préceptes? M'exphqueras-tu mieux la Tu me ramèneras de nouveau à la mul-
doctrine de ce Sauveur, à l'existence passée ou titude et à la tradition. Trêve enfin d'opi-
présente duquel je ne croirais pas, si en dehors niâtreté , et finis-en avec cette espèce de
de toi on me recommandait de n'y pas croire ? manie indomptable d'employer sans cesse
Ce qui m'a fait croire en .lésus-Christ, je le ce terme. Recommande-moi plutôt d'inter-
répète , c'est la tradition , tradition que le roger coryphées de celle multitude, et de
les
grand nombre des témoignages, leur unani- les interroger avec soin et avec empresse-
mité leur ancienneté a confirmée. Vous,
, ment, afin que je sache plutôt par eux quel-
au contraire qui êtes si peu nombreux ,
, que chose de ces Ecritures; car sans eux, je
si peu d'accord et de si fraîche date, vous ne saurais pas qu'il faut les connaître. Pour
n'avez au sentiment de tous, rien qui puisse
, toi, rentre dans ton obscurité, et ne déguise
établir votre autorité. Que signifie donc chez pas tesembûches sous l'apparence de la vérité
vous ce langage étrange? Crois, dit le sec- dont tu cherches à dépouiller ceux auxquels
taire, aux catholiques qui te disent qu'il tu accordes toi-même l'autorité.
faut croire au Christ, mais appi'ends de nous que l'on ne doit même pas
32. S'ils disent
ce qu'il a dit. Pourquoi, je le le demande ? croire au Christ à moins d'une raison irréfu-
Car enfin si les catholiques manquaient ou table, dès lors ce ne sont plus des chrétiens.
s'ilsne pouvaient rien m'apprendre, je serais C'est le nous font certains
reproche que
bien jilus disposé à ne pas croire au Christ, mais en cela ils ne
païens, à tort sans doute,
qu'a aller chercher des enseignements sur lui sont pas en désaccord avec eux-mêmes. Com-
ailleurs qu'auprès de ceux qui m'auraient fait ment dire qu'ils se reconnaissent appartenir
croire à son existence. Quelle présomption, ou au Christ, ces hommes qui prétendent que, à
plutôt quelle démence! Je t'enseigne, dit l'hé- moins d'avoir reçu d'eux la preuve très-nette
rétique, ce qu'a ordonné le Christ auquel tu de l'existence de Dieu, les insensés ne sont pas
crois. Et si je ne croyais pas en lui? Est-ce tenus de croire? Mais nous voyons par l'Evan-
que tu pourrais m'en parler? Mais il faut, gile, auquel eux-mêmes ajoutent confiance,

dit-il,que tu croies en lui. Est-ce vous qui comme le Christ nous apprend qu'il a voulu
m'apprenez à croire? Non, reprend-il; car avant tout et surtout qu'on crût en lui, alors
nous ne faisons que conduire par la raison que ceux avec lesquels il était en relation,
ceux qui croient en lui. Pourquoi donc croi- n'étaient pas encore à même de comprendre
rai-je en lui ? Parce que c'est la tradition ac- les mystères divins. Y a-t-il en effet un autre

créditée. Accréditée par vous on par d'autres? sens à attacher à tant de miracles éclatants,
Par d'autres, répond-il. Je croirai donc à ces quand lui-même dit qu'il ne faisait ces mi-
derniers pour que tu m'instruises ensuite? Je racles que pour qu'on eût confiance en lui ?
devrais le faire, c'est possible mais ils me ; Lui menait les insensés par la foi, vous, vous
recommandent instamment de bien me gar- les menez par la raison. H disait hautement
der d'aller à toi, disant que vous avez des doc- que l'on crût en lui, vous, vous criez le con-
trines perverses. Tu répondras : ils mentent. traire. Il louait les hommes de foi, vous, vous
Conmient donc les croirai-je, quand il s'agit les décriez. Eùt-il changé l'eau en vin ', pour

du Christ qu'ils n'ont pas vu, et ne les croirai- ne citer que ce trait, s'il eût pu par son en-
je pas, quand il s'agit de toi qu'ils ne veulent seignement seul et sans recourir à des actes
•pas voir? Crois aux Ecritures, dit-il. Mais de ce genre, entraîner les hommes à sa suite?
toute doctrine écrite, si elle est nouvelle, in- Ne faut-il tenir aucun compte de cette parole :
.

connue jus(iu'alors, appuyée seulement d'un '


Jean, xi, 7-9.
DE L'UTILITE DE LA FOI. SI

« Vous croyez en Dieu, croyez moi ? » aussi en '


et devinssent ainsi propres àrcccvoir la raison.
Ou encore faut-il accuser de témérité l'homme Comme il s'agissaitdoncd'imilerun homme,
qui ne voulut pas que le Christ entrât dans sa sans placer son espoi dans un homme, quelle
maison, croyant qu'à un mot de lui seulement preuve plus grande pouvions-nous recevoir
la maladie de son serviteur cesserait -? Ainsi de la bonté et de la générosité céleste, que de
donc le Christ, en apportant le remède qui voir la Sagesse même de Dieu, cette Sagesse
devait guérir l'effroyable corruption des pure, éternelle, immuable, daigner prendre
mœurs, s'est concilié l'autorité par des mi- la forme humaine, non-seulement pour faire
racles, a mérité la confiance par son autorité, des actions qui devaient nous engager à suivre
a rassemblé par la foi la multitude des Dieu, mais encore pour souffrir des tortures
peuples, par cette multitude a obtenu l'an- qui nous détournaient de suivre Ditu ? Car,
cienneté, par l'ancienneté a consolidé leur reli- comme on ne peut arriver au bien absolu et
gion ; de sorte que non-seulement les étranges certain qu'en l'aimant d'un amour entier et
innovations des hérétiques aidées de leur parfait ce qui est chose impossible tant que
,

fourberie, mais même les visibles erreurs des l'on redoute les maux physiques et les coups
peuples en lutte violente avec celte religion, du sort; le Christ par sa naissance merveil-
n'ont pu la renverser en partie. leuse et sa vie de labeurs s'est concilié l'affec-
tion, tandis mort et sa résurrection
que par sa
CHAPITRE XV. il a dissipé nos craintes.
Dans toutes les autres
LA SAGESSE DE DIEU INCARSÉE. circonstances, qu'il serait trop long d'énumé-
rer, il s'est conduit de manière à nous faire
33. Je ne suis pas à même de l'instruire, comprendre jusqu'où peut être poussée la clé-
mais je peux du moins te donner des avis. mence divine, et jusqu'où peut aller la fai-
Ainsi donc, comme beaucoup de gens veulent blesse humaine.
qu'on les prenne pour sages, et qu'il n'est pas
facile de distinguer si ce ne sont pas au con- CHAPITRE XVL
traire des insensés, je t'engagerai sans cesse à
LES MIRACLES.
prier Dieu de toutes tes forces, de tous tes
vœux, même avec des gémissements et des 3i. Voilà, crois-moi, l'autorité la plus salu-
pleurs, si c'est possible, pour qu'il te délivre taire ; voilà où notre esprit, de ce séjour ter-
du mal de l'erreur, si tu as à cœur de vivre restre, doit s'élever de préférence voilà com-
;

heureux. Tu atteindras plus facilement ce but, ment, renonçant à l'amour de ce monde, nous
situ obéis docilement à ses préceptes, qu'il a devons nous tourner vers Dieu. L'autorité
voulu confirmer par la haute autorité de est pour les insensés le seul moyen d'arriver
l'Eglise catholique. Car, comme le sage est promptement à la sagesse. Tant que nous ne
uni d'esprit avec Dieu, de manière qu'il n'y a pouvons comprendre la vérité pure, il serait
rien entre eux qui les sépare (Dieu en effet ;
malheureux sans doute d'être trompés par
est la vérité, et l'on ne peut être sage qu'au- l'autorité, mais il serait plus malheureux en-
tant que l'on atteint la vérité par l'intelli- core d'y rester insensibles. Si la Providence
gence) nous ne pouvons nier qu'entre la folie
; divine ne préside pas aux choses humaines,
de l'homme vérité divine et sans mé-
et la inutile de s'occuper de la religion. Mais si
lange, un intermédiaire qui est la sa-
il existe l'aspect de l'univers qu'il faut nécessairement
gesse humaine. Le sage en effet imite Dieu faire remonter à une source de beauté et de
autant qu'il est donné de le faire, l'insensé au vérité, si je ne sais quel sentiment intérieur
contraire n'a rien à imiter salutairement qui engage les meilleures âmes, soit réunies, soit
soit plus près de lui que le saj^e. Dieu, comme isolées, à chercher Dieu et à le servir, il faut
nous l'avons dit, n'étant fias facile à saisir par reconnaître que Dieu lui-môme a établi une
la raison, il yeux mêmes dont
fallait que les certaine autorité qui nous sert comme
,

l'insensé se sert plus facilement que de l'in- d'échelle assurée pour nous élever à lui. Cette
telligence, fussent frappés par certains mi- autorité où la raison n'est pour rien, et qu'il
racles, afin que les hommes, ébranlés par cette est bien difficile aux insensés, comme nous
autoi'ité, purifiassent leur vie et leurs mœurs, l'avons dit, de comprendre dans toute sa pu-
'
Jean, xiv, 1. ' Watt, viu, 8. reté, nous frappe de deux manières, soit par
S-2 DE L'UTILITE DE LA FOL

les miracles, soit par la multitude de ceux qui alors à soi les âmes égarées des mortels.
se soumettent à elle. Le sage n'a pas besoin Pourquoi, diras-tu, ces choses-là ne se voient-
d'être frappé ainsi, qui le nie ? Mais il s'agit elles plus? Parce qu'elles ne toucheraient pas
ici d'arriver à la sagesse, c'est-à-dire de se si elles n'étaient pas merveilleuses; or, si elles
rapprocher de la vérité, ce que l'àme souillée se reproduisaient d'habitude, elles ne seraient
assurément ne saurait faire. Or, les souillures plus merveilleuses. En effet, les alternatives
de l'àme sont, pour le dire en peu de mots, du jour et de la nuit, l'ordre si constant des
l'amour de toutes choses, excepté de l'àme et phénomènes célestes, le retour périodique des
de Dieu; plus on est puriûé de ces souillures, quatre saisons de l'année les feuilles qui ,

plus on aperçoit facilement la vérité. Aussi, tour à tour tombent des arbres et leur re-
vouloir voir pour purifier son àme,
la vérité viennent la quantité infinie des semences,
,

quand au contraire on purifie son àme pour la beauté de la lumière, les variétés des cou-
voir la vérité, c'est agir d'une façon étrange leurs, des sons, des odeurs et des saveurs,
et à contre-sens. Quand donc un homme ne suppose tout cela vu et senti pour la première
peut pasapercevoir le vrai, l'autorité est là pour fois par un homme, avec qui toutefois nous
le mettre à même de le faire et pour l'engager puissions converser le voilà interdit, stupéfié
;

à se purifier. Cette autorité, comme je viens de ces merveilles. Nous, au contraire, nous
de le dire, prend sa force et dans les miracles n'y faisons pas attention, non parce qu'il nous
et dans la multitude de ses adhérents; c'est là est facile d'en pénétrer les secrets quoi de ;

une chose incontestée. J'appelle miracle quel- plus obscur en etîet que les causes qui les
que chose de grand, d'extraordinaire, d'inat- produisent? mais parce que nous les voyons
tendu, et que nous admirons sans le com- constamment. Les miracles dont nous par-
prendre. En fait de miracles, il n'en est point lons, ont donc été faits à une époque fort op-
de plus propre à agir sur les peuples, et en portune, pour que, grâce à eux, la multitude
général sur les msensés, que ceux qui frappent des fidèles grandissant et s'étendant, leur au-
les sens. torité servit utilement à la conversion des
Mais ici encore il faut établir deux caté- mœurs.
gories : car il est des miracles qui n'excitent CHAPITRE XVll.
que l'admiration, tandis que d'autres pro-
ACTORITE DE L EGLISE CATHOLIQUE.
duisent en outre un vif sentiment de gratitude
et de bienveillance. Qu'on voie un homme 33. Les mœurs quelles qu'elles soient ,
,

voler dans les airs, comme il n'y a là qu'un exercent sur les âmes un pouvoir si grand
spectacle sans utilité pour le spectateur, on se que, même ce qu'il y a de mauvais en elles,
contente d'admirer. Mais qu'un homme, at- et qui est dû pour l'ordinaire à l'excès des
teint d'une maladie grave et sans remède, passions, nous sommes plus vite disposés à le
reprenne promptement ses forces sur l'ordre blâmer maudire qu'à le quitter ou à le
et à le
de quelqu'un, son étonnement d'avoir recou- changer. Te semble-t-il que la Providence
vré la santé sera moindre que son amour pour n'ait que médiocrement songé à nous, quand
son sauveur. Tels sont les faits qui se passèrent tu vois non-seulement quelques savants de
à l'époque où liieu apparaissait au monde en premier ordre démontrer que rien sur la
homme véritable, autant que celi était néces- terre, ni parmi les astres, rien enfin de ce qui
saire. rendue aux malades, la
La sauté fut touche nos sens, ne doit être adoré à la place
propreté aux lépreux, la marche aux boiteux, de Dieu, auquel il faut s'élever par l'intelli-
la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds. Les gence seule mais même la foule ignorante
;

hommes de ce temps-là ont vu l'eau changée des personnes des deux sexes, parmi tant de
en vin, cinq mille personnes rassasiées avec nations diverses, proclamer hautement la
cinq pains, les mers traversées à pied, les même croyance? Quand tu vois l'abstinence
morts rendus à la vie ainsi certains miracles
:
aller jusqu'à se refuser presque le pain et
avaient eu vue |)lus manifestement le bien du l'eau, le jeûne non-seulement prati(|ué chaque
cor|is, d'autres, dont le caractère était plus jour, mais encore prolongé pendant plusieurs
voilé, s'adressaient à l'àme, tous attestaient par jours consécutifs? Quand tu vois pousser la
leur grandeur (ju'ils avaient l'homme pour chasteté justju'a mépriser le mariage et la pos-
but. De cette façon, l'autorité divine ramenait térité, la patience jusqu'à se rire des tortures
DE L'UTILITE DE LA FOL 53

et des flammes, la libéralité jusqu'à distribuer parvenus à t'ébranlor, si, comme je le crois,
son |).ilrimoine aiix [laiivres, enfin le dcilain tii as un vrai souci de tes intérêts, daigne
pour tout ce qui est de ce monde jusqu'à dé- m'entendre ; abandonne-toi aux meilleurs
sirer la mort? eu est peu, dira-t-on, qui
Il maîtres de la doctrine chrétienne et catho-
tiennent cette conduite, moins encore qui la lique, avec une foi sincère, une espérance vive
tiennent d'une manière prudente et sage ;
et une charité simple, et ne cesse pas de prier
mais les peuples l'approuvent, les peuples en Dieu qui seul nous a créés par sa bonté, qui
entendent le récit avec plaisir, les peuples nous a châtiés par sa justice et délivrés par sa
l'aimeut enfin, les peuples s'en prennent à clémence. De cette manière, ni les leçons et
leur faiblesse de ne pouvoir l'imiter, ce qu'ils les discussions des hommes profondément sa-

ne font pas sans quelque élévation de leur vants et vraiment chrétiens, ni les livres ni
âme vers Dieu, et sans quelques étincelles de les pensées raisonnables même ne te manque-
vertu. ront pour arriver facilement à ton but. Quant
Voilà ce qu'a fait la divine Providence à ces docteurs bavards et pitoyables (c'est le
au moyen des prédictions des prophètes, de terme le plus doux que je puisse employer),
l'humanité et de la doctrine du Christ, des abandonne-les totalement; lout occupés de
voyages des Apôtres, des outrages, des tor- rechercher l'origine du mal, ils ne trouvent
tures, du sang et de la mort des martyrs, au que le mal. Leurs discussions à ce sujet ne
moyen de la vie admirable des saints, et, au font guère qu'exciter chez leurs auditeurs l'es-
milieu de tout cela, à l'aide des miracles prit de recherche, et ils éveillent les intelli-
dignes d'accompagner tant de grandes actions gences d'une manière si lâcheuse, que mieux
et de vertus, selon que les temps le deman- vaudrait dormir toujours que de veiller de
daient. A la vue de cette protection puissante cette façon. En effet, de léthargiques qu'ils
du ciel et des beaux résultats qu'elle a pro- sont, ils en font des frénétiques et bien que ;

duits, hésiterons-nous à nous réfugier dans le ces deux maladies soient le plus souvent mor-
sein de cette Eglise, qui s'est fait reconnaître telles, elles présentent toutefois cette diffé-
du genre humain tout entier par une cons- rence, que le léthargique meurt sans faire de
tante succession d'évèques, à commencer par mal aux awtres, tandis que le frénétique est
le Siège apostolique, malgré les aboiements dangereux pour beaucoup de personnes rai-
de l'hérésie condamnée soit par le jugement sonnables, pour celles surtout qui veulent le
du peuple lui-même, soit par l'autorité des secourir.
conciles, soit enûn par majesté des mi-
la Non, Dieu n'est point l'auteur du mal ;

racles? A cette Eglise revêtue d'une autorité jamais il ne s'est repenti de ce qu'il a
sans égale, ne pas vouloir donner le premier fait nulle passion ne jette le trouble et le dé-
;

rang, c'est certainement une impiété extrême, soi-dre dans son esprit son empire ne se
;

une téméraire arrogance. Car, s'il n'est point borne pas à une petite partie de la terre il ;

de voie qui mène plus sûrement à la sagesse n'est pas de crime, pas de forfait qu'il ap-
et au salut que de plier sa raison à la foi, prouve ou commande il ne ment jamais. Ces
;

n'est-ce pas de l'ingratitude envers un Dieu déclamations et d'autres de ce genre nous


secourable et bienfaisant, que de vouloir ré- émouvaient, alors que ces sectaires déclaraient
sister à une autorité qui se recommande par avec tant de violence que c'était là la doctrine
des motifs si puissants ? Et si toute science, de l'Ancien Testament; ce qui est de toute
quelque peu importante, quelque facile qu'elle fausseté. Aussi j'avoue qu'ils font bien de
soit, exige les leçons d'un maître pour être blâmer ces assertions. Qu'ai-je donc appris
comprise, n'est-ce pas le comble de la témé- avec eux? Le voici c'est qu'on peut blâmer
:

rité et de l'orgueil, quand il s'agit de livres certaines choses sans blâmer la doctrine ca-
remplis d'enseignements divins, de se refuser tholique. Ainsi ce que j'ai appris de vrai
à entendre leurs interprètes, et de vouloir les auprès d'etix, je le garde; ce qui m'a paru
condamner sans les connaître ? faux, je le repousse. Mais l'Eglise catholique
m'a appris bien d'autres choses, ce que ne
CHAPITRE XMII. ces hommes maigres de
pourraient faire
CONÇU SION. corps, mais épais d'esprit : elle m'a appris
36. Si donc la raison ou uies conseils sont que Dieu n'est point corjiorel, qu'aucune par-
54 DE L'UTILITÉ DE LA FOI.

tie de lui-même n'est sensible aux yeux de auquel il suffit de prêter l'oreille, et que com-
noire corps, que rien dans sa substance et sa prend l'intelligence du dernier entant. La vé-
nature n'est sujet à l'altération et au change- rité est loin, bien loin des folles idées des

ment, ni formé de parties unies entre elles. Manichéens.


Si tu m'accordes tout cela, et en effet on ne Mais cet entretien s'est prolongé déjà beau-
peut avoir une autre idée de la divinité, tout coup plus longtemps que je ne le pensais;
l'échafaudage de ces héréliiiues est renversé. mettons-y donc un terme. Souviens-toi néan-
Quant à ce fait, que Dieu n'a ni créé ni fait le moins, je te prie, que je n'ai pas encore
mal, qu'il n'y a présentement et qu'il n'y a commencé à réfuter les Manichéens, ni à
jamais eu ni nature ni substance que Dieu attaquer leurs rêveries , et que je n'ai rien

n'ait créée ou faite, et que cependant il nous montré des grandeurs de l'Eglise catholique

délivre du mal tout cela est prouvé par des


;
elle-même. J'ai voulu seulement te faire con-
raisons si péremptoires que personne ne sau- naître, s'il m'était possible, l'opinion fausse
rait en douter, surtout toi et ceux qui te res- que, par méchanceté ou par ignorance, on
semblent, si toutefois on apporte à cet exa- nous avait inspirée des vrais chrétiens, et te
men, outre une vive intelligence la piété
, donner le goût des choses grandes et divines.
et une certaine paix de l'àme, sans lesquelles C'e~t pourquoi finissons ici cet entrelien ;

il de rien comprendre à des


est impossible quand ton esprit sera devenu plus calme, je
matières si importantes. Il ne s'agit pas ici serai peut-être plus disposé à continuer.
d'un vain récit, de je ne sais quel conte [lersan

Tradticlion rie M. l'ICIIESET, iiiv/ciseur uu /i/cée de Nancy.


DES DEUX AMES.
Sysîtèine clés :^Xaiiicliéeixs ^ ictoriexiseriaent réfcité.

Les Manichéens soutenaient que cl]aque homme possède deux âmes, l'une honne, tirée de la substance divine, et
l'autre mau-
vaise sortie du sein des ténèbres.
,

Saint Augustin déplore l'aveuglement profond qui lui avait fait embrasser cette erreur,
quand il lui eût été si facile d'en percevoir la folie et l'extravagance. —
Nous n'avons qu'une àme, et elle vient de Dieu ;
pour démontrer cette vérité, le saint Docteur invoque successivement la nature de l'âme l'Eciilure sainte et le caractère
,

propre du péché.

CHAPITRE PREMIER. mais de quoi vivent-elle.», si ce n'est de la vie


véritable? Ecoutons Jésus-Christ nous décla-
, l'aME est t'NE SUBSTANCE VIVANTE.
rer formellement « Je suis la vie ' ». Pour-
:

i. L'infinie misoricorde de Dieu a daigné quoi dès lors ne pas confesser que toutes ces
rompre les liens qui m'enchaînaient à la secte âmes qui ne sont âmes que parce qu'elles vi-
manichéenne, me placer de nouveau dans
et vent, ont été créées par Jésus-Christ, c'est-à-
le sein de l'Eglise catholique. Devenu libre, je dire par la vie elle-même?
puis maintenant mesurer la profondeur de
l'abîme où j'étais , et déplorer mon ancien CHAPITRE II.

malheur. Si j'avais usé, comme je le devais, . LES AMES, BIEN SUPÉRIEUBES A LA LUMIÈRE.
de toutes les ressources qui étaient à ma dis-
position, je n'aurais pas laissé se dessécher si 2. Peut-être qu'à cette époque de mes mal-
facilement et en si peu de jours, tous ces heurs, ma pensée n'aurait pu envisager cette
germes de la religion véritable qui avaient été question de la vie et de la participation à la
déposés en moi, dès mon enfance; je les aurais vie; question, cependant, de la plus haute
abrités contre l'erreur et les mensonges de importance et qui mérite d'être , parmi les
ces hommes faux et trompeurs qui voulaient d'une discussion sérieuse.
docteurs, l'objet
les arracher de mon âme. Ils m'offraient d'a- Du moins je ne pouvais reculer devant cet
bord cette théorie de deux espèces d'âmes, dif- axiome qui s'impose de lui - même à tout
férentes par leur nature et leurs propriétés, homme, pour peu qu'il réfléchisse, à savoir :

l'une sortie de la substance même de Dieu, que tout ce que nous savons ou l'objet de
l'autre n'appartenant à Dieu par aucun côté, toutes nos connaissances, est perçu, ou par
pas même par la création. Or il me suffit ,
les sens corporels ou par l'intelligence. Cinq
pour repousser ces sophismes, de me rappeler sens sont vulgairement assignés au corps :

que toute vie, quelle qu'elle soit, par cela la vue, l'ouïe, l'odorat, le goiit et le toucher.
même qu'elle est vie, découle nécessairement Or, si je soutiens que tous ces sens sont de
de la source universelle et du principe unique beaucoup inférieurs à l'intelligence, qui osera
de la vie; et celte source, ce principe, que me le nier, fûl-il aveuglé par l'impiété la plus
peut-il être, si ce Dieu? Quant à ces
n'est ingiatc et la plus grossière? De ce principe
âmes, que les Manichéens appellent mauvai- incontestable, je conclus que perceptions
les

ses, ou elles n'ont pas la vie, et dès lors ce de la vue,, de l'ouïe et de tout autre sens cor-
ne sont pas des âmes, car alors elles ne sont porel, sont d'autant plus inférieures à la per-
capables ni de vouloir ni de ne pas vouloir, cei)tion qui se fait par rintelligence, que cette
ni d'aimer ni de haïr ou bien elles vivent et
;
intelligence l'emporte sur les sens. Or, toute
ont le pouvoir d'être des âmes et d'en faire vie, et par là même toute âme est perçue uni-

les fonctions, et c'est ce qu'ils prétendent; '


Jeau, XIV, C.
56 DES DEUX AMES.

qucnient par l'intelligence et nullement par qu'il fut un temps où je refusais à Dieu la

les sens corporels ; tandis que le soleil, la création d'une substance qui résume en elle

lune en général toute lumière est perçue


et tant de précieuses qualités ! Ces qualités si

jiar les yeux mortels. Voici iiourtanl que les nombreuses n'ont reçu de moi qu'un examen
Manichéens attribuent au Dieu véritable et négligent; c'est là ce qui ar-
inattentif et

bon, la création de la lumière, et ils lui refu- rache mes gémissements et mes larmes.
sent la création de la vie, quelle qu'elle soit, Ah maintenant, je roulerais en moi ces
!

c'est-à-dire de ce qui ne peut être perçu non- pensées , ces paroles ,


je les communiquerais
seulement que par l'esprit, mais parce qu'il y à d'autres, je demanderais quelle est cette

a de plus sublime dans l'âme, par l'entende- puissance intellectuelle à laquelle, dans
ment de l'intelligence. Si, après avoir invo- l'homme, rien ne saurait être comparé. Ces
qué Dieu, je me demande à moi-même ce que hommes, si toutefois ils sont hommes, sont-
c'est que la vie, celte chose qui échappe à ilsconvaincus de la vérité de cette parole ? je
tous les sens du corps et qui est absolument leur demanderais aussitôt si c'est par les yeux,
incorporelle, est-ce que je ne pourrai jjas ré- organes de la vue, qu'ils comprennent. Ils le
pondre? N'avouent-ils pas eux-mêmes que ces nieraient et alors je conclurais que l'entende-
âmes, qu'ils ont en horreur, non-seulement ment surpasse infiniment l'organe de la vue :

vivent, mais qu'elles ont une vie immortelle? j'ajouteraisque l'objet qui pour être perçu, ,

Cette parole de Jésus-Christ : « Laissez les exige un organe de beaucoup supérieur,


« morts ensevelirlcurs morts' », ne s'appli(iue doit être de beaucoup supérieur lui-même.
pas à ceux qui sont dépouillés de toute vie, De là j'arriverais à leur demander si cette
mais uniquement aux pécheurs, car le jié- âme, qu'ils disent mauvaise, est perçue par
ché est l'unique mort d'une âme immortelle, les yeux, ou seulement par l'intelligence. Par

suivant cette i)îrolede saint Paul « La veuve : l'intelligence, répondraient-ils. Ces prémisses
« qui vil dans les délices est morte - » il la ; me suffiraient et je serais pleinement autorisé
dit tout à la lois et morte et vivante. Je n'ai à conclure que cette âme ([u'ils ont en exécra-
l)Oiut à rechercher combien est honteuse la tion est de beaucoup supérieure à cette lu-
vie d'une âme pécheresse, il me suffit de sa- mière qu'ils vénèrent, puisque celle-ci tombe
voir qu'elle vit. Si donc ce n'est que par mon dans le domaine des sens, tandis que l'autre
intelligence que je puis percevoir une âme, ne relève que de l'entendement. Mais peut-être
comment ne pas attribuer à l'âme, sur la lu- s'arrêteraient-ils ici , et refuseraient-ils de
mière que nous percevons par les yeux, toute suivie la direction du bon sens; tant est irré-
la supériorité qui sépare l'intelligence des sislilile la puissance des anciennes opinions,
yeux eux-mêmes? el de l'erreur depuis longtemps acceptée et
Puisque les Manichéens font remonter jus- défendue ! Mais je battrais en brèche ces hési-
qu'au Père de Jésus-Christ le principe de lu tations ,
davantage , sans amer-
j'insisterais
lumière, comment donc ne reconnaîlrais-je tume, iiourtant, sans légèreté et sans aucune
jias que l'âme aussi a été créée jiar Dieu ? Si, iulenlion de blesser; je rappellerais tous les
malgré l'ignorance même el l'aveuglement concédés, et je montrerais ce qu'il
l)oiiits

où j'étais, à l'époque dont je parle, j'avais faut concéder encore. Je les inviterais à se
voulu réfléchir sérieusenicnt et étudier la concerter entre eux et à préparer en com-,

forme et ce qui est formé, l'espèce et sou ob- mun les réponses qu'ils auront à nous ojipo-
jet, j'aurais compris que le corps lui-même ne ser; acceptez- vous que rentendement soit

peut avoir d'autre principe que Dieu seul. sui)érieur à nos organes corporels, ou bien
niez-vous que ce qui est perçu par la partie
CHAPITIIE 111. la plus excellente de l'âme, soit supérieur à
ce qui n'est perçu que par un des vils sens du
. LE COUPS LL'l-MÊMli VIliM DE DIEU.
corps? Ou bien encore refuseraient-ils d'ad-
3. Mais je n'ai i)as à parler du corps; c'est mettre que ces âmes (ju'ils ont en horreur, ne
de l'âme qu'il s'agit, du mouvement spon- puissent être connues que par l'intelligence,
tané el vif, de l'acte, de la vie, de l'immorta- c'est-à-dire par ce qu'il y a dans l'âme de plus

lité. Comnieiit ne rougirais-je jias de penser excellent, tandis que la lime et le soleil pour-
Mail. VMI, T2. - ' I Tiui. V, (i. raient être perçus autrement que par nos
SYSTÈME DES MANICHÉENS. 87

yeux? S'ils ne pouvaient se refuser à procla- nous sont connus non pas par les sens, mais
mer l'absurdité et la folie de ces négations, je par l'intelligence. Ces vices, nous les réprou-
leur aurais prouvé, par là même, qu'ils doi- vons, nous les condamnons; et cependant, en
vent conclure indubitablement que cette lu- tant du moins qu'ils sont perçus par l'intelli-
mière pour laquelle ils ne nous inspirent que gence, nous (lisons qu'ils l'emportent sur la
de la vénération est de beaucoup inférieure à lumière qui dans son genre mérite tous les
cette âme dont ils proclamaient la bassesse, éloges. Tenons notre esprit sous une parfaite
et pour laquelle ils ne nous inspiraient que dépendance à l'égard de Dieu, et nous com-
de l'éloignement et de l'horreur. prendrons que de prime abord nous ne de-
vons pas préférer ce que nous louons à ce que
CHAPITRE lY. nous méprisons. Parce que je loue le plomb
à cause de son extrême pureté ce n'est pas
l'ame d cn insecte supérieure a la lumière ,

à dire pour cela que je l'estime plus que


corporelle.
l'or mêlé à l'alliage. Chaque chose, en effet,

4. Mais peut-être que troublés par la vi- doit être envisagée dans son genre particu-
gueur de ces conclusions ils me demande- lier. Je blâme un jurisconsulte pour qui un
raient l'âme d'une mouche me paraîtrait
si grand nombre de lois sont lettre morte, et
supérieure à la lumière. Ma réponse serait cependant je le crois encore tellement supé-
assurément affirmative, et sans me laisser ef- rieur au plus habile cordonnier, que je rou-
frayer par la petitesse de cet insecte, il me girais de les comparer l'un à l'autre. Mais je
suffirait desavoir qu'il est vivant. Je demande loue ce dernier à cause de l'aptitude qu'il dé-
donc, à mon tour, ce qui donne la vigueur à ploie dans son art, et je blâme l'autre de se
des membres si ce qui diriye un si
petits, montrer inférieur à sa profession. De même
petit corps selon son appétit naturel, ce qui je dis que l'on doit louer la lumière parce
imprime le mouvement et la cadence à tes quelle est parfaite en ce qu'elle est; mais
pieds, ce qui modère et fait vibrer ses petites parce qu'elle est de la catégorie des choses
ailes pendant son vol. Quel que soit ce prin- sensibles ,
qui le cèdent de beaucoup aux
cipe, quiconque l'étudié attentivement, voit, choses intelligibles, je dis qu'elle est infé-
dans ce petit être, briller quelque chose de si rieure, même aux âmes injustes et intempé-
grand, qu'il laisse à une dislance infinie la rantes, parce que ces âmes sont des substances
lumière la plus vive qui puisse frapper les spiri luelles et cependant je ne serais que j uste
:

yeux. en les jugeant dignes de damnation mais ;

Ce quelque chose, personne n'en doute, alors je ne cherche plus ce qui les rend supé-
ne peut être perçu que par l'intelligence, et rieures à la lumière, mais ce qu'elles de-
à ce titre il l'emporte de beaucoup sur tout te vraient être pour se rendre dignes de Dieu.
qui est sensible, et sur la lumière ellemèmu ;
Je me résume; si vous prétendez que cette
ainsi le veulent les lois divines. En effet, le lumière vient de Dieu, je suis d'accord avec
premier fondement de toute connaissance ne vous; mais je soutiens en même temps que
repose-l-il pas sur ce principe que nous met- nous sommes encore bien plus autorisés à
tons une différence essentielle entre percevoir dire que les âmes, même vicieuses, non pas
le corps, et que
par l'intelligence et sentir par en tant qu'elles sont vicieuses, mais en tant
la première de ces deux opérations l'emporte qu'elles sont âmes, ont dû nécessairement être
infiniment sur la seconde? Comment dès lois créées par Dieu.
ne pas préférer les choses intelligibles aux
choses sensibles, quand l'intelligence est elle-
CHAPITRE VI.

même si supérieure aux sens ? • LES VICES ET LA LUMIÈRE SENSIBLE.


CHAPITRE Y.
6. Un interlocuteur habile, mais plus cu-
LES AMES VICIEUSES, ET LA LUMIÈRE.
t
rieux que profond, m'arrête ici et me prie de
5. Tant extraordinaire qu'elle soit, voici parler, non pas des âmes vicieuses, mais des
une conséquence qui s'impose à nous avec vices eux-mêmes. Ces vices, en effet, n'étant
toute la force de l'évidence. L'injustice, l'in- point perçus par les sens du corps, le sont
tempérance et tous les autres vices du co'ur nécessairement par l'intelligence ; d'un autre
58 DES DEUX AMES.

côté les choses intelligibles sont supérieures ment à la lumière et je m'établirais sur ce
aux choses sensibles pourquoi donc, quand
;
premier degré de mon inquisition. Puis con-
nous sommes convenus réciproquement de tinuant ma marche, je me ferais à moi-même
regarder Dieu comme le créateur unique de le raisonnement suivant: Si ce soleil qui brille

la lumière, traiterions-nous de sacrilège celui d'un si vif éclat et qui suffit à la clarté du
qui oserait soutenir que Dieu est le créateur jour, pâlissait insensiblement à nos yeux jus-
des vices? A cet adversaire je ferais la réponse qu'à devenir semblable à la lune, est-ce que
que Dieu inspire d'ordinaire sur-le-champ à l'impression ressentie en nous ne serait pas
ceux qui le servent, sans qu'ils s'y soient au- l'impression produite par la lumière qui brille
cunement préparés ; ou bien je préparerais de toute part? Cherchant alors la lumière, ce
ma réponse. Si je n'avais ni mérité la lu- que nous verrions encore ne serait pas ce qui
mière divine, ni pu préparer ma réponse, je n'est plus, mais le peu qui resterait de ce qui
différerais, en avouant que la tâche com- était auparavant. Ce n'est donc pas le manque

mencée est rude et difficile. Je rentrerais en ou le défaut de lumière qui viendrait frapper
moi-même, je me prosternerais devant Dieu, mes yeux, mais la lumière qui serait restée
je gémirais profondément en lui demandant après la disparition de ce qui était. Or, puisque
avec ardeur la grâce de ne point permettre, nous ne verrions pas ce défaut de lumière,
ou que je manque de raisons solides pour nous ne le sentirions pas davantage car ce qui ;

achever ma démonstration commencée, ou ne vient pas frapper le sens de la vue, ne peut


que je me voie réduit à la nécessité de don- être vu. Dès lors, si ce défaut ne peut être perçu
ner aux choses sensibles la préférence sur les ni par la vue ni par aucun autre sens, j'ai le
choses intellectuelles, ou de dire qu'il est lui- droit de conclure qu'il n'est pas une chose
même l'auteur des vices ; cruelle alternative sensible. Une chose qui ne peut être sentie,
également empreinte d'erreur et d'impiété. peut-elle être sensible ? Appliquons mainte-
Jamais je ne pourrai croire que Dieu m'aban- nant ces considérations à la vertu, car c'est
donnerait dans cet état. Bien plutôt, illumi- avec raison que nous disons qu'elle illumine
nant mon esprit, par l'un de ces modes d'une lumière intelligible. Or, si cette
l'esprit

ineifables qui lui appartiennent, il m'averti- lumière de la vertu vient à faire défaut, ce
rait de considérer, de considérer encore, pour défaut est ce que nous appelons le vice il ;

voir s'il est bien vrai que ces vices, au sein ne tue pas l'âme mais il l'obscurcit. Si donc
desquels je me tourmente, doivent être assi- nous avons banni le défaut de lumière natu-
milés aux choses intelligibles. Dans ce but, rellede la catégorie des choses sensibles, nous
ellrayé d'ailleurs de la faiblesse de mon œil pouvons également exclure de ce qui est intel-
intérieur, faiblesse qui n'est que le juste châ- de l'âme; toutefois ce qui reste
ligible le vice

timent de mes péchés, j'essaierais, au moyen dansl'âme, c'est-à-dire ce qui faitqu'elle vit et
des choses visibles elles-mêmes, de faire un qu'elle est âme, est aussi intelligible qu'était

pas vers la connaissance des choses invisibles. sensible ce qui dans cette lumière sensible
Cettemanière de procéder ne nous donne nul- continuait à briller après sa disparition. J'en
lement une connaissance plus certaine, mais conclus que l'âme, en tant qu'elle était âme
elle mieux fondée sur l'expérience. Je
est et qu'elle participait à la vie, condition essen-
chercherais donc d'abord quel est l'objet du tielle de son existence, est de beaucoup supé-
sens de la vue ce sont les couleurs. En eifet,
: rieure à toutes les choses sensibles. N'est-ce
elles ne peuvent être perçues par aucun autre pas dès lors se condamner à l'erreur la plus

sens, elles sont l'objet propre de la vue ou de profondeque de soutenir que, parmi lésâmes,
la lumière; les mouvements des corps, la il en est qui n'ont pas été créées par Dieu,

grandeur, les intervalles, les figures, loutoela, quand d'ailleurs on célèbre la création divine

il est vrai, tombe sous le sens de la


vue, mais de lalune et du soleil?
ce n'est pas d'une manière exclusive, iniis(|iie 7. Si nous entreprenions d'énuniérer toutes

le toucher s'y trouve aussi dans sa sphère. De les choses sensibles, nous devrions parler,

là je conclurais que la lumière l'emporte non-seulement de ce que nous sentons, mais


d'autant plus sur les choses cori)orelles et sen- même de ce dont nous pouvons juger par le
sibles, ipie la vue l'emporte elle-même sur les corps, quoique nos sens n'en soient [Joint af-
autres sens. Je m'en tiendrais donc unique- fectés c'est ainsi que nous jugeons les lénè-
;
SYSTÈME DES MANICHÉENS. 59

bres par nos yeux et le silence par nos oreilles ;


8. Maintenant donc, osez, si vous le pouvez,
nous percevons les unes sans les voir et l'autre attribuer à Dieu la création du soleil, de la
sans l'entendre. De même les choses intelli- lime et de tout ce qui brille d'un éclat visible
ne sont pas seulement celles que nous
gibles dans les astres et dans notre feu terrestre et ;

percevons par la lumière de l'entendement, en même temps niez que Dieu soit le créateur
comme lu sagesse elle-même, mais aussi celles de toutes les âmes, qui ne sont telles que par
qui nous inspirent de l'horreur par la priva- la vie qui les anime et qui l'emporte de beau-
tion de cet éclat extérieur, par exemple la coup sur la lumière. 11 est dans la vérité celui
folie,que nous appelons avec raison les té- qui dit : En tant qu'il brille, cet objet est de
nèbres de l'âme. Quant à discuter sur les Dieu ; et moi, grand Dieu, je serais dans l'er-

mots, je m'en garderai bien, mais il me se- reur si je m'écrie : En tant qu'elle vit, cette

rait facile de partager la question en une âme est de Dieu De grâce n'exagérez pas !

multitude de subdivisions qui prouveraient à l'aveuglement de l'esprit et les supplices de


tout esprit attentif que, d'après les lois infail- l'entendement jusqu'à soutenir que les
libles de la vérité, les substances intelligibles hommes ne peuvent comprendre ces premiè-
doivent être préférées aux substances sensi- res notionsdu bon sens Mais quelles que soient !

bles, mais qu'on ne peut en dire autant des leur erreur et leur obstination, armé de mes
défauts de ces substances, quoique, parmi ces raisons invincibles, je puis sans hésiter étudier
défauts, nous appelions lesuns intelligibles et avec eux ce sujet, l'envisager sous toutes ses
les autres sensibles. Que si on veut ranger faces et le discuter avec calme, sans craindre
parmi les substances et ces lumières sensibles aucunement qu'aucun d'eux hésite un seul
et ces âmes intelligibles, sans aucun doute instant à reconnaître la supériorité de l'enten-
on sera forcé de reconnaître la supériorité dement ou de ce qui est perçu par l'intelli-
des âmes sur toutes les autres substances ;
gence, sur les sens ou sur tous les objets qui
tandis que parmi les défauts de tout genre il ne sont connus que par les sens. Cela posé,
n'y aura aucune préférence à établir, puisque qui donc aurait la hardiesse de soutenir que
ces défauts ne désignent que la privation et les âmes, si vicieuses fussent-elles, en tant
non l'être, et qu'ils n'ont d'autre valeur intrin- qu'elles sont âmes, ne doivent pas être rangées
sèque que celle d'une négation. Rapprochons dans la classe des choses intelligibles, et que
ces deux négations il n'y a pas d'or, il n'y a
: c'est par leurs défauts que nous les percevons ?

pas de vertu sans doute il y a une grande


; En efïét, ce qui constitue l'essence de l'âme ,

différence entre l'or et la vertu mais entre ; Sans doute, c'est par leurs défauts
c'est la vie.
ces deux négations, quelle différence pour- que nous les connaissons vicieuses, car c'est
rait-on trouver? 11 est certain, et personne parce qu'elles manquent de vertu qu'elles
n'en doute, qu'il est mille fois plus honteux sont vicieuses mais ce n'est pas par leurs dé-
:

de ne pas avoir de vertu, que de ne pas avoir fauts que nous percevons qu'elles sont des
d'or mais cette honte vient-elle de la néga-
; âmes; elles le sont par la vie qui les anime.
tion même ou de la chose dont on manque? On ne peut pas dire davantage que la présence
Plus la vertu l'emporte sur l'or, plus la honte de la vie en elles soit la cause de leur défail-
de manquer de vertu l'emporte sur celle lance car la défaillance dans un objet est
:

d'être pauvre. Donc puisque les choses intelli- toujours en proportion de la disparition de la
gibles l'emportent sur les choses sensibles, vie.
nous devons tolérer beaucoup plus difficile- 9. En face de celte évidence qui nous prouve
ment le défaut dans les choses intelligibles, (|ue, bien moins encore que la lumière, les
que dans les choses sensibles, non pas à cause âmes ne peuvent être séparées de leur auteur,
des défauts eux-mêmes, mais à cause de ce je repousserais , sans restriction aucune ,

qui en est l'objet. 11 suit de là que le défaut de toutes les objections qui me seraient faites, et
vie, laquelle est une chose intelligible, est je conjurerais mes adversaires d'imiter plutôt
beaucoup plus déplorable que le défaut de ceux qui avec moi proclament que Dieu est
lumière sensible, par la raison que la vie que nécessairement l'auteur unique de lout ce qui
nous percevons par l'intelligence est de beau- existe, parce qu'il existe et en tant qu'il existe.
coup supérieure à la lumière, puisque celle-
ci n'est perçue que par les sens.
60 DES DEUX AMES.

CHAPITRE VII. toutes ces qualités sont évidemment et par


elles-mêmes des dons du ciel. Quand, au con-
EN OUOl LES MÉCHANTS SONT l'CEUVRE DE DIEU.
traire, nous nous adressons aux méchants ,

Peut-être m'objectera-t-on ces paroles de comme en toute vérité que nous


tels, c'est

l'Evangile a Vous n'écoutez pas ma voix


: ,
leur disons « Vous n'êtes pas de Dieu » Nous
: .

« parce que vous n'êtes pas de Dieu vous ;


le disons à ceux qui repoussent la vérité, aux

« avez pour père le démon » Et moi j'op- '


.
infidèles, aux impudiques, aux criminels, en

poserai ces autres paroles : « Tout a été fait par un mot, aux pécheurs n'est-il pas certain que :

a lui et rien n'a été fait sans lui ' » ; et ces tous ces crimes n'ont pas Dieu pour auteur ?
autres de saint Paul : a 11 n'y a qu'un seul l^ourquoi, dès lors, nous étonner que Jésus-
Dieu de qui tout découle, et un seul Sei- Christ s'adressant aux pécheurs, en tant qu'ils
<tgneur Jésus-Clirist par qui fout a été fait ' » ;
sont pécheurs et qu'ils ne croient pas, leur
ou bien encore » C.'.oire à Celui de qui tout:
dise : «Vous n'êtes pas de Dieu » ; et cela, sans
«vient, par qui tout a été en qui tout fait, porter aucune atteinte à la véracité de cette
« existe '
«. Puis je conseillerai à mes adver- autre parole : « Tout a été fait par lui; tout
saires, si toutefois j'en rencontrais, de suspen- « vient de Dieu ?» Ne pas croire en Jésus-
dre tout jugement présomptif sur ces passages, Christ, repousser sa venue, ne pas le recevoir,

etde s'adresser à des docteurs en les priant sic'était là le caractère de toutes les âmes qui

de nous montrer l'accord qui existe entre ces ne sont pas créées par Dieu, en sorte qu'on
doive prendre à la lettre celte parole « Vous
textes qui nous paraissent se contredire. En :

a n'écoutez pas ma voix, parce que vous n'êtes


effet, c'est dans la même Ecriture que nous
« Tout vient de Dieu » et ailleurs '* « pas de Dieu », comment serait vraie cette pa-
lisons : ; :

«Vous n'cles pas de Dieu». Condamner les role de saint Jean au début remanpiable de son

Livres saints serait un crime et une témérité Evangile « 11 est venu chez les siens et les
:
;

pas plus sage de s'adresser à un docteur


n'est-il
« siens ne l'ont pas reçu' ?» Comment étaient-
habile qui nous donnera la solution de cette ils siens s'ils ne l'ont pas reçu comment dire
;

difflcullé ? Qu'il soit bon interprète, et, comme qu'ils n'étaient pas siens, parce qu'ils ne l'ont

parle l'Ecriture, un liomme spirituel ^ néces- pas reçu ; n'est-ce pas parce que les pécheurs,
sairement il appuiera tous les raisonnemens en tant qu'ils sont hommes, appartiennent à
que j'ai faits sur la nature intelligible et sensi- Dieu et en tant que pécheurs au démon ? II
ble, il les développera même beaucoup mieux avait donc en vue leur nature même, celui qui
en fera mieux ressortir l'évidence. a dit B Les siens ne l'ont pas reçu », tandis
que moi et :

Et savez-vous quelle serait sa conclusion ? C'est que Jésus-Christ ne parlait que de leur mau-
que toutes les âmes sont de Dieu, ce qui n'em- vaise volonté quand il leur disait: «Vous n'êtes

pêche pas que l'on ait pu dire en toute justice «pas de Dieu ». L'Evangéliste exaltait les
aux pécheurs et aux infidèles « Vous n'êtes :
œuvres de Dieu et Jésus-Christ reprochait aux
« pas de Dieu ». Nous-mêmes, avec le secours
hommes leurs péchés.

de Dieu, nous jiourrions facilement compren- CHAPITRE Vlll.


dre qu'autre chose est de vivre, autre chose de
ORIGINE DU MAL.
pécher. J'admets qu'en comparaison de la vie
du juste, celle du pécheur soit appelée la On me demandera peut-être D'où vient
10. :

mort ' cependant il n'est que trop vrai qu'un


; le péché? et d'une manière plus générale:
homme peut être en même temps et vivant et D'où vient le mal ? Si le mal vient de
|)écheur comme vivant, il est de Dieu, mais
: l'homme, d'où vient l'homme? S'il vient de
comme pécheur il n'est jias de Dieu. Ces deux l'ange, d'où vient l'ange ? C'est de Dieu, nous
choses sont parfaitement dislinctes; quand dit-on, et en cela on dit la vérité cependant ;

donc nous voulons exalter la toute- puissance cela ne suffit pas pour empêcher les ignorants
du Dieu créateur, nous pouvons dire aux pé- et les esprits faibles de croire que les maux et

cheurs (ju'ilssontde Dieu. Nous le leur disons les péchés sont liés à Dieu connue par une

en tant ([u'ils sont des êtres animés, raison- sorte de chaîne. C'est sur cette question que
nables et surtout en tant qu'ils ont la vie ;
les Manichéens se croient invincibles, comme
s'il suffisait d'interroger pour savoir? Oh ! s'il
' Jean, viil, 47, 44. — ' Id. i, 3. — ' I Cor. vin, 6. — '
Hom, XI,
30. — '
1 Cor. XI, 12, — ' Id. ii, 15. - M Tim. v, 6. ' Jean, I, U.
SYSTÈME DES MANICHÉENS. CI

en personne au monde ne serait


était ainsi, renonçant à ce monde. Mais pour moi, c'est
plus savant que moi Mais combien de fois il
! là une œuvre ardue et très-difficile; si pour

arrive, dans une discussion, que tel adversaire vous elle est facile. Dieu seul le sait. Je vou-
qui, pour jouer le personnage d'un grand drais bien le croire, mais je me sens arrèlé par
docteur, propose une grande question, est celte pensée que ce monde, auquel nous de-
plus ignorant sur la matière que celui-là vons renoncer est visible, qu'à lui dès lors
même à qui il veut en imposer. Il en est ainsi s'appliquent ces paroles de l'Apôtre : « Les
des Manichéens ;
pour se faire croire bien su- « choses que l'on peut voir sont temporelles;
périeurs à la multitude, ils proposent, les pre- « mais les choses qui ne se voient pas sont
miers, des questions qu'ils ignorent comme « éternelles ' » : et que pourtant vous attachez
la multitude. Quand je discutais avec eux (et plus d'imi)ortance au jugement de vos yeux (]u'à
je n'aurais pas à m'en repentir si je l'avais celui de l'intelligence, puisque vous déclarez
toujours comme je le fais maintenant), et
fait, que toute plume qui brille ne brille que parce
qu'au moment où je déclinais mes raisons, ils qu'elle est de Dieu, tandis ([ue vous proclamez
m'opposaient cette objection, je devais leur que ce n'est pas de Dieu que toute âme vi-
dire Voyons, ne vous est-il pas facile de con-
: vante a reçu la vie. Et combien de choses
venir avec moi, que si rien ne peut briller semblables je pourrais avancer combien de !

sans Dieu, à plus forte raison rien ne peut souvenirs pourraient se présenter à mon es-
vivre sans Dieu? Sortons enfin de ces mons- prit! Je pourrais, versant devant Dieu les
trueuses opinions qui veulent nous faire croire prières les plus ferventes et pieusement ,

que je ne sais quelles âmes jouissent de la vie altenlifaux enseignements de l'Ecriture, ou


sans la tenir de Dieu. A l'aide de ce principe, multiplier des témoignages semblables, ou
nous arriverons ensemble à connaître ce que trouver des moyens de m'assurer la victoire.
vous ignorez avec moi l'origine du mal. En :

l'homnie peut-il connaître le souverain


effet, CHAPITRE IX.

mal, s'il ne connaît pas le souverain bien? SAINT AUGUSTIN, VICTIME DE DÉCEPTIONS
Nous ne connaîtrions pas les ténèbres, si nous CRUELLES.
vivions toujours dans les ténèbres ; c'est la
connaissance de la lumière , qui nous fait il. Deux choses surtout, qui séduisent faci-
connaître son contraire. Or, le souverain bien, lement l'inexpérience de la jeunesse, me je-
c'est ce à quoi rien ne peut être supérieur ;
tèrent dans ce cercle inextricable d'erreurs.
Dieu est le bien, et comme rien ne peut être Ce fut d'abord la familiarité qui, sous je ne
supérieur à Dieu, il suit nécessairement que sais quelle forme extérieure de bonté, m'en-
Dieu est le souverain bien. laça de ses plis comme le fait une chaîne en-
Ayons donc de Dieu une véritable connais- roulée autour du cou. Ce fut ensuite lu funeste
sance, et nous aurons bientôt découvert ce que victoire dont je cueillais les lauriers, toutes
nous cherchons. Et cette connaissance de Dieu, les fois que je discutais avec des chrétiens
la regardez-vous comme une chose de mé- ignorants mais qui malgré leur ignorance
,

diocre importance? La récompense qui nous défendaient leur foi avec tous les efforts [)os-

est promise, n'est-ce pas la vie éternelle ? et sibles. Ces succès multipliés entlainmaient
la vie éternelle, qu'est-elle autre chose que la mon ardeur de jeune homme, et de plus eu
connaissance de Dieu ? Voici ce que dit le Sei- plus je me précipitais dans l'abime de l'ini-
gneur : « La vie éternelle consiste h vous quité. Ce genre aggressif fut en moi le fruit
a connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus- des leçons de mes maîtres, et j'attribuais vo-
« Christ que vous avez envoyé
». Notre ànie '
lontiers à eux seuls la gloire de toutes les res-

est immortelle par nature, et cependant, si sources que je puisais dans mon esprit ou
elle repousse la connaissance de Dieu, on dit dans mes lectures. De cette manière, leurs
d'elle qu'elle est morte au contraire, qu'elle : discours ne faisaient qu'enllamnier mon ar-
se convertisse à Dieu, aussitôt elle mérite la deur belliqueuse et mes victoires redou- ,

vie éternelle, parce que, comme je l'ai dit, la blaient sans cesse mon atTeclion pour mes
vie éternelle c'est la connaissance de Dieu. Or, maîtres. Aussi j'acceptais toujours comme
personne ne peut se convertir à Dieu qu'en vrai, sans le savoir, tout ce qu'ils me disaient,

'Jean, xvri, 3. ' II Cor. IV, 18.


02 DES DEUX AMES.

leurs paroles n'eussent-elles été que le poison une chose qu'il a faite sans le savoir, ou ne

le plus violent; il me suffisait de désirer que pouvant faire autrement. J'insiste de nouveau,
ce fùl la vérité, pour l'accepter comme vrai. et pour trouver plus facilement la solution

Aussi arriva-t-il que malgré la lenteur et les que je cherche, je presse la nature humaine
hésitations du début, je me fis pour long- dans ses derniers retranchements, et je de-
temps le disciple d'hommes qui mettent une mande si cet homme qui dormait, sachant par
paille brillante bien au-dessus d'une âme vi- avance l'usage qu'on devait faire de sa main,
vante. s'était enivré à dessein, afin de rendre son

d2. Disons la vérité, il m'était impossible, à sommeil plus profond et de tromper par son
cette époque, de discerner les choses sensibles serment, ce sommeil serait-il une preuve de
des choses intelligibles, les choses charnelles son innocence? Et tous me répondraient que
des choses spirituelles ; une telle opération cet hommeest coupable. Et si l'autre s'est fait

étaitentièrement en dehors de mon âge, de lier volontairement afin de trouver une justi-
mon instruction, de mes habitudes, et surtout fication dans l'impossibililé oii il était de
je ne m'y étais disposé par aucun mérite. Ce résister ; ces chaînes suffiront-elles pour
discernement, en effet, est la source d'une joie l'exempter de péché? Puisqu'il était lié, il

abondante et d'une grande satisfaction. Est-il ne pouvait résister; de même que l'autre qui
donc vrai que je ne pouvais saisir cette dis- dormait, ne pouvait savoir ce qu'il faisait. Et

tinction, que la nature elle-même, sous la l'on me répondrait unanimement que sans

garde souveraine des lois de Dieu, a gravée aucun doute, tous deux doivent être condam-
dans le jugement de tous les hommes ? nés comme coupables. De tout cela, je con-
clurais infailliblement, qu'il n'y a de péché

CHAPITRE X. que dans la volonté et en cela je pourrais


;

m'appuyer sur la justice elle-même qui punit


LE PÉCHÉ, ŒUVRE DE LA VOLONTÉ. ceux qui, ayant eu la volonté dépêcher, n'ont
pu réaliser leurs coupables desseins.
Je suppose des hommes quels qu'ils soient, 13. En m'entendant faire ces suppositions,
pourvu qu'ils ne soient pas atteints de folie, et pourrait-on m'accuser de traiter de choses
comme tels, séparés de la société humaine ;
obscures et cachées qui prêtent si facilement
qu'ils soient aussi légers, aussi ignorants, aussi lieu au soupçon de fraude ou d'ostentation,
lents d'esprit qu'on peut l'imaginer ;
je veux en raison même du petit nombre des personnes
savoir d'eux si une personne dont on a saisi qui peuvent les comprendre? Eh bien! arri-
la main, pendant son sommeil, pour lui faire vons peu à peu à la distinction des choses in-
écrire des choses criminelles, est coupable de telligibles et des choses sensibles, et tju'on
péché. Comment douter que tous me répon- ne m'accuse pas de mensonge ou d'orgueil
draient négativement, et se récrieraient assez comme si je prétendais accabler, par la subti-
énergiquement qu'une telle question ne peut litéde mes discussions, des âmes simples et
que les blesser par son ineptie? Je leur fais ignorantes. M'est-il permis de savoir que je
mes excuses et ne néglige rien pour me méri- vis? M'est-il permis de savoir que je veux
ter de leur part un pardon généreux et complet. vivre? Si le genre humain voit dans ces deux
Je suppose alors que la personne dont je parle propositions de simples données du bon sens,

ne dormait pas, qu'elle savait même ce que sa j'en conclus que nous avons la connaissance
main écrivait, mais que tous ses autres mem- etde notre volonté et de la vie. Et dans cette
bres étaient tellement enchaînés que riiomme science, nous n'avons i)as à craindre que quel-
le plus vigùurenxaurait été obligé de subircette qu'un puisse nous convaincre de mensonge :

coaction. Cette personne qui savait ce qu'elle comment en efTel faire croire faussement à
faisait , mais qui s'y opposait de toute la quelqu'un ou (ju^il ne vit pas, ou (juil ne veut
force de sa volonté, était-elle coupable de rien? Je ne crains pas non plus d'énoncer des
péché ? Et de nouveau, étonnés d'une sem- prémisses douteuses ou obscures; on m'accu-
blable question , tous ces hommes me ré- serait plutôt d'apporter trop de clarté dans la
pondraient encore négativement et sans la discussion. Mais voyons où elle va nous con-
moindre hésitation. Pourquoi donc? Parce duire. '

que personne ne i)eut être condamné pour 1 i. C'est donc par la volonté seule que l'on
SYSTÈME DES MANICHEENS. 03

pèche. Or, notre volonté nous est parfaitement par expérience la nécessité ? Et si ces notions
connue, car comment saurais-jcfjue je veux, sont la simple expression de la nature elle-
si je ne savais pas ce que c'est que la volonté. même, quelle obscurité peut-il rester encore
Voicicomment on la définit : la volonté est dans cette question? A moins peut-être que
un mouvement de l'àme qui, sans y être con- quelqu'un n'ignore que quand nous voulons,
trainte par quoi que ce soit, nous porte ou à nous voulons quelque chose, et que notre àme
conserver ou à acquérir quelque chose. se porte vers cet objet, soit pour le posséder
Pourquoi donc ne pouvais-je alors adopter ou ne pas le posséder, soit pour vouloir le

cette définition? Etait-il si difficile devoir que conserver si on le possède, soit pour l'obtenir
ce qui est forcé est contraire à la volonté? ne si on ne le possède pas? Donc du moment
disons-nous pas que ce qui est à gauche est le que l'on veut, on veut nécessairement acqué-
contraire de ce qui est à droite, mais dans un rir ou ne pas perdre. Et quand je réfléchis
autre sens que quand nous disons que le noir que ces notions sont plus claires que la lu-
est le contraire du blanc ? En effet, une chose mière, qu'elles ne sont pas de moi, mais
ne peut être à la fois noire et blanche, tandis qu'elles ont été gravées dans l'intelligence du
que quand un homme se trouve au milieu de genre humain tout entier, par l'effet de la
deux autres, à l'égard de l'un il est à gauche, libéralité de la vérité même, je me demande
et à droite à l'égard de l'autre ; il reste tou- pourquoi je ne pouvais dire alors la vo- :

jours un même homme, maisàl'égard


seul et lonté est un mouvement de l'àme, qui sans
d'un seul homme il ne peut être à la fois aucune coaction , uous porte vers quelque
et à droite et à gauche. De même une àme chose, pour ne pas le perdre ou pour l'ac-
peut en même temps vouloir et ne pas vou- quérir.
loir; mais par rapport à une seule et même CHAPITRE XI.
chose, elle ne peut en même temps et ne pas
qu'est-ce que le péché.
la vouloir et la vouloir. Interrogez quelqu'un
qui une chose sans la vouloir, il vous dira
fait 15. Mais, me dira quelqu'un, en quoi tout
qu'il ne veut pas la faire demandez-lui s'il
;
cela nous aide-t-il à combattre les Mani-
veut ne pas la faire il vous répondra qu'il le
;
chéens ? Attendez ; définissons d'abord le pé-
veut. Donc, faire une chose sans la vouloir ou ché, qui procède nécessairement de la volonté,
malgré soi, c'est vouloir ne pas la taire; ces comme nous l'atteste la loi divine elle-même
deux mouvements contraires se trouvent à la gravée dans la nature humaine, .le dis donc
fois dans une seule et même àme, mais sous que le péché est, à proprement parler, la vo-
des rapports différents. Mais pourquoi cette lonté de conserver ou d'obtenir ce que la jus-
observation ? C'est parce que, si de nouveau ticenous défend et ce dont il nous est hbre de
uous demandons pourquoi il fait cette chose nous abstenir. Et en effet, s'il n'y avait pas de
malgré lui, il nous dira qu'il y est contraint. liberté, il n'y aurait pas de volonté. Cette dé-
En effet, quiconque agit malgré lui, agit sous finition du péché, je l'avoue, est plus gros-
le coup d'une coaction, et quiconque agit sous sière que scrupuleuse. Ai-je donc besoin de
l'influence de la coaction, agit malgré lui. scruter tant de livres obscurs pour apprendre
Reste à montrer que celui qui veut, est, dans que personne ne peut être condamné ni au
sa volonté, toujours libre de la coaction, lors mépris ni au supplice, pour vouloir ce que la
même que quelqu'un se dirait contraint. Ainsi justice ne lui défend pas, ou pour ne pas faire
tout homme qui agit parce qu'il veut, n'est ce qui ne lui est pas permis ? N'est-ce pas là
point contraint, quiconque n'est pas con-
et ce que les bergers chantent sur les monta-
traint, agit ou n'agit pas, mais toujours volon- gnes, les poètes dans les théâtres, les igno-
tairement. Ce sont là des idées sur lesquelles, rants dans leurs cercles, les savants dans les
sans aucune absurdité possible, nous pouvons bibliothèques, les maîtres dans les écoles, les
interroger tous les hommes, depuis l'enfant évêques dans les temples et le genre humain
jusqu'au vieillard, depuis l'écolier jusqu'au sur la face'du monde tout entier? Que si per-
docteur ; la nature elle-même en proclame la sonne n'est digne ni de mépris ni de condam-
vérité ; pourquoi donc, en définissant la vo- nation, pour ne pas faire ce que lui défend la
lonté, n'ai-je pas alors mentionné l'absence de justice, ou ce qu'il ne peut faire, tandis que
toute coaction, dont aujourd'hui je connais tout péché est, par lui-même, digne de mé-
Ci DES DEUX AMES.

pris et de condamnation, doutera-t-on encore bien lui-même ? Dira-t-on qu'elles avaient


qu'il y ait péché quand on veut ce qui est in- une volonté? Alors il y avait donc en elles ce
juste et quand on est libre de ne pas le vou- mouvement qui, sans coaction aucune, porte
loir ? Voilà pourquoi je puis maintenant, et à ne pas perdre un objet ou à l'acquérir; cet
j'aurais toujours dû pouvoir donner du péché objet, à son tour, était un bien véritable ou

.cette définition tout à la fois vraie et facile à du moins était jugé tel; car il n'y a que le
saisir : le péché c'est la volonté de retenir ou bien qui puisse exciter la convoitise. Mais,
d'acquérir ce que la justice défend, quand on a\ant le mélange dont nous parlent, pou-
ils

est libre de s'en abstenir. vait-il, dans le souverain mal, y avoir quelque
bien? Comment dès lors ce souverain mal
CHAPITRE Xn. pouvait-il avoir la connaissance ou seule-

l'hérésie DESMANICnÉENS CONFONDUE.


ment la pensée du bien ? Ou bien ces âmes,
toutes pleines d'horreur pour ce qui était en
16. Maintenant voyons les avantages que elles, aspiraient-elles au bien véritable qui
nous avons obtenus. Ils sont si nombreux, leur était étranger Mais une volonté qui as-
?

(jue nous ne pouvons en désirer plus; et pire au bien suprême et véritable, est assuré-
(n effet ils tranchent toute la question. ment digne des plus brillants éloges. Et c'est
Consultez le fond même de notre conscience, dans le souverain mal que l'on surprend un
les lois divines gravées dans notre nature, mouvement de l'âme aussi louable ?
dans notre âme même où nous les retrouvons Direz-vous que leur convoitise n'avait d'au-
dans toute leur réalité et leur certitude, et tre but que de nuire? Mais d'abord c'est là un
vous reconnaîtrez combien sont vraies ces cercle vicieux. Car celui qui veut nuire, se pro-
deux délinitions de la volonté et du péché et ;
pose évidemment, pour son propre bien, de
cette vérité une fois reconnue, vous avez en priver quelqu'un de tel ou tel bien. Ces âmes
main des raisonnements aussi courts qu'in- avaient donc ou la science, ou au moins l'idée
A incibles qui renversent infailliblemeat tout du bien , science ou idée qui sont absolument
lesystème hérétique des Manichéens. Voyons incompatibles avec le souverain mal. Ensuite
en effet. Ils divisent les âmes en deux classes, ce bien qu'elles remarquaient au-dehors, et
l'une bonne et comme telle créée par Dieu, auquel elles voulaient luiire, comment pou-
toute spirituelle et tirée du néant, ils la regar- vaient-elles le connaître? Si elles le connais-

dent même comme une partie de la substance saient, que pouvez-vous voir de plus beau
divine émanée de Dieu lui-même; l'autre, dans une âme que cette connaissance ? Est-ce
essentiellement mauvaise, n'appartient à Dieu que le but constant de tous les efforts déployés
et ne se rapiirochede lui en aucune manière; par les bons, n'est pas de connaître ce bien
dès lors puisque Dieu est le souverain bien, suprême et véritable ? Et ce qui n'est mainte-
ces âmes sont par là même le souverain mal. nant le privilège que de quelques esprits
Ces deux classes d'âmes, autrefois parfaite- justes et bons, vous en faites la prérogative
ment sé|)arées, sont aujourd'hui confondues. du mal lui-même, en dehors de tout secours
Je n'avais jamais entendu parler de ce genre de la grâce ? De plus, si ces âmes gouver-
de mélange et je n'en connaissais jias la cause ;
naient les corps et voyaient par les yeux des
cependant je pouvais déjà demander si ces corps, quelles langues, quelles poitrines, quels
âmes mauvaises, avant leur mélanj^e avec les génies pourraient suffire à louer de tels yeux,
bonnes, jouissaient de quelque volonté. Si auxquels on oserait à peine comparer l'intel-
elles n'en avaient point, elles étaient sans pé- ligence même des justes? Que de biens nous
ché et et alors conmient pou-
innocentes, trouvons dans le souverain mal ! Si c'est un
vaient-elles être mauvaists ? Diru-t-on quelles m;d de voir Dieu, Dieu n'est plus le bien ; or,

n'avaient pas plus de volonté que le feu, mais Dieu est le bien, c'est donc un bien de voir
(|u'elles étaient mauvaises parce qu'il leur
,
Dieu nesais quel bien peut être comparé
et je

tutlisait de toucher le bien pour le suuiller et à celui-là. Si donc ce que l'on voit est bon,
le corromine? Mais alors quel crime n'est-ce comment peut-il se faire que la possibilité
|ias d'attribuer à lu nature du mal une puis- même de le voir soit un mal? Avoulz donc
sance telle (|u'il peut transformer une partie que pouvoir qu'il a
le donné à ces yeux et à
de llicn el rendie coriii|ililile le souverain ces intelligences, de contempler la substance
SYSTÈME DES MANICHÉENS.

divine est un bien qui surpasse toute louange C'est donc l'erreur la plus grossière de soute-
et toute admiration. Et si ce pouvoir n'est nir avec les Manichéens qu'il est une classe
point un pouvoir créé, mais un pouvoir es- d'âmes qui sont mauvaises par leur nature.
sentiel et éternel, trouvez-moi un bien qui 18. Maintenant examinons cette classe d'â-
soit préférable à ce mal. mes qu'ils disent si bonnes par leur nature,
17. Enfin, pour savoir au juste ce que nous qu'elles sont la substance de Dieu même. Je
devons penser de toutes ces brillantes qualités sais qu'il est bon que chacun connaisse le
qu'ils attribuent aux âmes, je demanderai si rang dans lequel il est placé et son propre
parmi ces âmes il en est que Dieu doit réprou- mérite mais, quand on se sent victime de
;

ver éternellement. S'il n'en doit condanuier changements si fréquents, n'est-ce pas un or-
aucune, les mérites ne sont donc rien, il n'y a gueil sacrilège de croire que l'on de la est
plus de Providence, et le monde n'est plus substance même
de ce bien suprême qu'une
gouverné que par le hasard et non par la raison droite nous montre essentiellement im-
raison, ou plutôt il n'est gouverné par rien, muable? Il nous a été clairement prouvé que
car une administration confiée au hasard, est ce n'est pas un péché pour les âmes de ne
une administration qui n'existe pas. Une telle pas être ce qu'elles ne peuvent être; il suit
conséijuence révolte ceux-là mêmes qui ont de là que les âmes mauvaises ne peuvent pas
secoué tout lien de religion concluons donc ou
; pécher et, dès lors, qu'elles ne peuvent point
que quelques âmes seront damnées ou que le ne pas être ce qu'elles sont. Dès lors il ne
péché n'existe pas. Si le péché n'existe pas, le peut y avoir de possibilité de pécher, que pour
mal lui-même n'est plus possible; et toute hé- les âmes qui non-seulement sont bonnes par
résie qui en est réduite à cette négation, a reçu nature, mais sont encore la substance même
le coup de mort, dont elle ne se relèverajamais. de Dieu.
Il faut donc que les Manichéens conviennent Maintenant invoquons l'autorité de la révé-
avec moi que certaines âmes tomberont in- lation chrétienne. Les Manichéens n'ont ja-
failliblement sous le coup du jugement et de mais nié qu'un Chrétien qui revient sincère-
la condamnation. Mais si ces âmes sont bon- ment à Dieu puisse obtenir le pardon de ses
nes, quelle est donc leur justice ? Si elles sont péchés; ils ont avancé blendes erreurs contre
mauvaises, est-ce par nature, est-ce par l'effet les saintes Ecritures, mais ils ont toujours re-
de leur volonté? Par nature, aucune amené fusé de suivre sur ce terrain un autre célèbre
peut être mauvaise. Pourquoi donc? En vertu imposteur. Or, à qui ces péchés sont-ils par-
des définitions que nous avons données pré- donnés? Est ce aux âmes mauvaises? mais
cédemment de la volonté et du péché. Dire alors elles peuvent devenir bonnes et posséder
que les âmes sont mauvaises et qu'elles ne le royaume de Dieu avec Jésus-Christ. Non,
pèchent pas, ce serait la plus insigne folie ;
disent-ils, ce ne peut être aux âmes mauvai-
dire qu'elles pèchent, sans aucune volonté de vaises. Alors c'est donc aux âmes qu'ils nous
leur part, c'est une absurdité plus grande en- présentent comme étant la substance de Dieu
core; enfin regarder quelqu'un comme cou- même. Ces âmes peuvent donc pécher ; bien
pable de péché parce qu'il n'a pas fait ce qu'il plus n'y a qu'elles qui aient le triste pou-
il

n'a pu faire, c'est le


comble de l'iniquité et du voir de pécher. Je n'ai pas à m'occuper de
délire. Si donc, dans tout ce qu'elles accom- savoir si elles sont seules pour pécher; il me

plissent, ces âmes obéissent à leur nature et surfitde savoir qu'elles pèchent. Est-ce le mé-
non à leur volonté, c'est-à-dire si elles ne sont lange du mal qui les nécessite à pécher?
pas libres d'agir ou de ne pas agir, nous ne Mais si la coaclion est telle qu'elles ne puis-
pouvons les regarder comme coupables de sent pas résister, il est clair qu'elles ne pè-
péché. Tous avouent cependant que ce n'est chent pas; si, pouvant résister, elles consentent
que justice de condamner les âmes mauvai- de leur volonté propre, pourquoi alors nous
ses tandis qu'une condamnation portée
, obliger de.découvrir de si grands biens dans
contre celles qui n'ont pas péché, serait de la le souverain mal, et le mal même du péché
plus criante injustice : n'est-ce pas annoncer dans le souverain bien? Mais peut-être que le
par là même qu'il n'y a d'âmes mauvaises que mal ne se trouve pas là où ils le soupçonnent,
celles qui pèchent tandis que les autres ne
; et le souverain bien là oîi le suppose leur
sont bonnes que parcequ'elles ne pèchent pas? coupable superstition?
S. AuG, — Tome XIV.
66 DES DEUX AMES.

CHAPITRE Xlll. tenir que parmi les âmes il en est une espèce
qui n'a pas Dieu pour créateur.
ABSURDITÉ DU SYSTÈME DES DEUX AMES. 20. Ces auteurs concèdent volontiers que
nous sommes attirés au mal par une autre es-
Après avoir signalé le coupable délire
19. [lèce d'âmes, mais ilsne vont pasjusqu'à sou-
qui seul a pu inventer le système de deux es- tenir que celles-ci sont mauvaises par nature
pèces d'âmes différentes, ai-je du moins pu et que les autres soient le souverain bien. Ces
saisir ce qu'au fond de tout cela il peut dernières, en désirant ce qui ne leur est pas
y
avoir à apprendre et à retenir? Cette classifi- permis, c'est-à-dire ce qui est péché, de bon-
cation signifle-t-elle seulement, qu'au mo- nes qu'elles étaient, deviennent mauvaises;
ment de délibérer, le consentement se porte elles peuvent cependant redevenir bonnes;
tantôt vers le mal et tantôt vers le bien? mais pendant qu'elles restent dans le péché,
Mais n'est il pas plus simple alors de voir en elles exercent sur les autres une sorte de per-
cela l'unité de l'âme, qui, armée de sa libre suasion occulte et les attirent à elles. Ces âmes
volonté, peut se porter d'un côlé et de l'autre, nous parlons, sans être abso-
tentatrices dont
et revenir également de sa première résolu- lument mauvaises par elles-mêmes, se trou-
tion? J'éprouve cela moi-même, mais je con- vent cependant dans un rang bien inférieur
serve parfaitement le sentiment de ma per- qui leur permet d'accomplir sans pécher les
sonnalité unique quand je considère les
,
œuvres qui leur sont propres. Quant aux
deux partis et quand je cboisis l'un ou l'au- âmes supérieures à qui la justice modératrice
tre. Or, souvent il arrive que l'un me plaît, de toutes choses a confié une action de beau-
tandis que l'autre convient nous bésitons
, coup supérieure, si elles veulent suivre et
alors. Je ne m'en étonne pas, car nous sommes imiter les ânîes inférieures, en péchant elles
constitués de telle sorte que le (ilaisir peut nous deviennent mauvaises, non pas parce qu'elles
attirer par la chair, et l'honneur par l'esprit. imitent des âmes mauvaises, mais parce
phénomène qui m'obligerait a ad-
Serait-ce ce qu'elles les imitent quand elles devraient ne
mettre l'existence de deux âmes? Mais il est jias les imiter. Celles-là, en eO'et, restent dans
bien plus simple et plus ralionnel d'admettre la sphère qui leur est propre
celles-ci veulent ;

dans ce qui est bien, deux catégories qui sortirde la leur les premières conservent
;

toutes deux se concilient parfaitement avec donc le degré où elles sont placées, les autres
l'idée d'un Dieu Créateur, le bien supérieur tendent à descendre. Voyez les hommes à la
et le bien inférieur, ou plutôt le bien extérieur poursuite d'animaux sauvages. La course du
et le bien intérieur, qui all'ectent diversement cheval est admirable; mais si un homme imi-
une seule et même âme. Ces deux catégories tant sa démarche, veut courir sur ses pieds et
ne sont rien autre chose que la distinction sur ses mains, le jugera-t-on digne même de
des choses sensibles et des choses intelligibles manger de la paille? Nous avons donc souvent
dont j'ai parlé précédemment et que nous le droit de désap|)rouver l'imitation, alors
appelons, en termes plus simples, les choses même que nous admirons le modèle. Nous
charnelles et les clioses spirituelles. Mais tan- condamnons l'imitateur, non point parce (ju'il
disque notre pain véritable est spirituel, il n'a jias réalisé la cojiie mais parce (ju'il a
,

nous est devenu difficile de nous abstenir des voulu y arriver. Dans un cheval nous ad m irons
choses charnelles, car c'est le ])ropre de notre sa course, mais autant nous exaltons la supé-
condition actuelle de manger notre pain dans l'homme sur le cheval, autant nous
riorité de
les larmes et le travail. Et en effet, ce ne nous indignons de le voir se dégrader. Prenons
peut être qu'au prix du plus cruel supplice un exemple parmi les hommes eux-mêmes un :

que nous avons pu, par le péché, échanger hérault s'acquitte parfaitementde sa mission;
notre immortalité contre la mort. Voilà ce siun sénateur jouait ce rôle, le jouât-il beau-
qui nous cx|)lique pourquoi nos eifortsvers le coup mieux, ne passerait-il pas pour un in-
bien sont aussitôt et vivement combattus par sensé? Prenons parmi les astres nous admi- :

Jes assauts babiluels de la chair et du i)écbé ;


rons la clarté de la lune, sa course et ses
de là pour nous la ditiicullé que nous ren- transformations; mais si le soleil voulait l'i-

controns dans le bien et sur laciuelle la folie miter ( nous supposons qu'il soit capable
de
de (|U(!l(jU('S auteurs veut s'appuyer pour sou- volonté) une telle détermination ne déplairait-
SYSTÈME DES MANICHÉENS. 0-

elle pas souyerainement et à bon droit? Eli ture nous offre à chacune de ses pages? C'est
bieu ! ces exem|iles rendent parfaitement ma là le cri de la nature; l'insensé lui-même n'a
pensée. Je suppose (et ma supposition est pas toujours perdu la connaissance d'une
toute gratuite) qu'il y ail des âmes livrées, vérité qui n'est gravée si profondément dans
non par du péché, mais par leur nature,
suite notre âme que pour nous arracher à une
à des fonctions toutes corporelles, et malgré perte certaine. On peut trouver des hommes
leur infériorité, jouissant avec nous d'un voi- qui diront qu'ils sont sans péché; mais dire
sinage intérieur, nous ne pourrions les re- qu'après avoir péché ou n'est pas obligé de
garder comme mauvaises par cela seul qu'en faire pénitence, un barbare lui-même n'oserait
les imitant et en aimant les choses corpo- aller jusque-là. S'il en est ainsi, je demande à
relles, nous devenons mauvais. Si nous i)é- laquelle des deux espèces d'àmes la pénitence
chons en aimant les choses corporelles, c'est est possible. 11 est certain, d'abord, qu'elle
parce qu'il nous est commandé et (]ue natu- n'est possible ni à celle qui ne peut pas faire
rellement nous avons le i>ouvoir d'aimer les lemal ni à celle qui ne peut pas faire le bien.
choses spirituelles et c'est en restant ainsi
, En conséquence, et pour me servir de leurs
dans la sphère qui nous est propre que nous propres expi'essions, je dis que si une âme des
trouvons la souveraine perfection et le souve- ténèbres fait pénitence de son péché , elle

rain bonheur. prouve par là même qu'elle n'est pas de la


21. Oui, sans doute, l'hésitation propre à substance du souverain mal si c'est une âme ;

notre esprit nous porte tantôt au péché, tan- de lumière, j'en conclus qu'elle n'est pas de
tôt au bien, mais comment ce phénomène lasubstance du souverain bien. En effet, celui
nous forcerait-il à conclure l'existence de qui éprouve la volonté sincère de se repentir,
deux espèces d'âmes, l'une créée par Dieu et affirme par là même qu'il a fait le mal et
l'autre étrangère à son action créatrice? N'a- qu'il pouvait faire le bien. Comment peut-il

vons-nous pas sous nos yeux une multitude n'y avoir en moi aucun mal, si j'ai mal agi,

de causes qui nous expliquent parfaitement et comment ma pénitence peut-elle être légi-
ces vicissitudes de la pensée? Tout homme, time, si aucun mal? Prenons en-
je n'ai fait
sérieux observateur, comprend que cette er- Conunent n'y a-t-il en
suite la contradictoire.
reur n'est qu'un tissu d'obscurités dans lequel moi aucun bien, puisque j'éprouve un bon
cherchent en vain un rayon
les esprits faibles désir? Ou comment puis-je me repentir, si je

de lumière. Attachons-nous plutôt à ce (]iii a suis incapable d'une volonté bonne? Voici le
été dit de la volonté et du péché ce sont là ; dilemme qu'ils ne peuvent éluder: ou bien
des notions que la souveraine justice ne laisse ils doivent nier l'utilité de la pénitence et i)ar

ignorer h aucun homme de bon sens; et là renoncer non-seulement à toute idée chré-

supposé quelles viennent à s'effacer sur , tienne, mais encore au simple bon sens ou ;

quel principe reposerait l'enseignement de la bien qu'ils ne disent plus que les âmes se di-
vertu? quel moyen de sortir de la mort des visent en deux classes, l'une essentiellement
vices ? Au contraire, qu'elles brillent dans bonne, l'autre essentiellement mauvaise. Mais
toute leur clarté et leur évidence, et aussitôt renoncer à cette classification, c'est renoncer
l'hérésie manichéenne est convaincue de faus- par le fait même au manichéisme car cette ;

seté et d'erreur. hérésie repose avant tout sur cette double ou


plutôt sur cette pernicieuse distinction des
CHAPITRE XIV. âmes.
l'I'TILITÉ de la PÉMTENCE PR0r\T2 QUE LES AMES 23. 11 me suffit dès lors de savoir que l'on
pour être convaincu que
doit faire pénitence,
NE SOM PAS MAUVAISES PAR KATURE.
les Manichéens sont dans l'erreur. Si donc,
22. Ce que je vais dire de la pénitence nous m'adressant à un de mes amis qui jusqu'ici a
fournira la même conclusion. Eu effet, tout cru pouvoir rester leur disciple, je l'interpelle
homme sage convient de l'utilité de faire pé- au nom de l'amitié et lui demande Penses- :

nitence de son péché ; les Manichéens vont tu qu'il soit utile de faire pénitence quand
même plus loin, ils en fout un précepte. A on a péché ? 11 me jure sans hésitation qu'il
quoi bon, dès lors, rassembler sur cette ma- est convaincu de cette utilité. Et si avec ce
tière les nombreux témoignages que l'Ecri- seul principe je te prouve la fausseté de
68 DES DEUX AMES.

l'hérésie manichéenne, que demanderas-tu de telligence et de raison, sachezque les con-


plus? Qu'il me réponde ce qu'il pourrait dé- séquences de ce inûniment
principe sont
sirer de plus sur ce point. C'est bien jusque-là. plus certaines, que ce que nous paraissions
Mais si je me mets en mesure de montrer les apprendre, ou plutôt ce que l'on nous for-
conséquences logiques qui découlent nécessai- çait à croire dans la secte des Manichéens.
rement de ce principe il en arrivera bientôt
, Dieu infiniment grand, tout-puissant, bonté
à nier cette utilité de la pénitence, malgré les infinie, vérité suprême et immuable, Tri-
unanimes des doctes et des igno-
protestations nité une, que prochmie
l'Eglise catholique
rants et pendant que nous discuterons il
; et adore, prosterné à vos pieds, je vous en
répondra à chaque partie de la question par supplie, moi qui ai éprouvé les effets de votre
ce principe qui lui est sicher Il y a en nous
: infinie miséricorde, ne souffrez pas que des
deux ànies. crui/lle habitude du éché ô i
! hommes avec qui, dès l'enfance, j'ai toujours
terriblechâtiment du péclié Vous m'arrachiez ! été si étroitement uni, restent séparés de moi
alors à la considération de vérités aussi évi- et du culte que je vous rends '.

dentes et je ne sentais pas vos coups meur-


; Ce que de moi, au sujet
l'on attend surtout
triers maintenant encore, mes amis ne sen-
: des Ecritures catholiques attaquées par les
tent pas les blessures que vous leur faites; et Manichéens, ce serait de me voir eu entre-
c'est moi qui gémis et qui souffre cruelle- prendre la justification, ce que, dit-on, je ne
ment des coups (jue vous leur portez. mancjuerais pas de faire, si ma cause était
aussi bonne que je l'assure ;
peut-être même
CHAPITRE XV. se montrerait-on satisfait , si du moins je

PRIÈRE POUR SES ANCIENS COMPAGNONS d'eRREUR. prouvais que ces Ecritures peuvent être justi-
fiées. Avec l'aide de Dieu, je l'entreprendrai
24. Je VOUS en conjure, mes chers amis, dans d'autres volumes pour ;
le moment je
réfléchissez-y profondément : je connais la crois avoir été d'une longueur suffisante.
droiture de votre intelligence. Si vous me ^ Voir 1 Metnict,, ch. xv, n. 8.

concédez que chaque homme est doué d'in-

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


CONFÉRENCES
Entre saint A.ixgiistin et le inaniclxéen For-tnnat.

Forlunat ,
prêtre d'Hippone , s'était laissé séduire par les Manichéens, ce qui avait produit un immense scandale. Les habitants
de la ville et les étrangers s'adressèrent à Augustin, qui n'était alors que prêtre, et le prièrent d'engager une discussion avec
Fortunat pour le dissuader de son erreur. Auguslin accepta volontiers ; Fortunat, malgré les craintes que lui inspirait la science
déjà connue d'Augustin, se vit contraint, par clameur publique, d'accepter à son tour. Au jour fixé, ils se réunirent à
la

Hippone en présence du peuple tout entier. La discussion ne dura que deux jours, car le second jour, Forlunat, réduit au
demanda une suspension qui lui permit de consulter les anciens. Mais
silence, il ne reparut pas, et cette défaite fut, pour le
manichéisme à Hippone, un coup dont il ne se releva jamais.

PREMIERE CONFÉRENCE.
LE CINQ DES KALENDES DE SEPTEMBRE, SOUS LE CONSULAT DES NODLES ET ILLUSTRES ARCADE AUGUSTE,
CONSUL POUR LA SECONDE FOIS, ET RUFIN. CETTE CONFÉRENCE FUT SOUTENUE CONTRE FORTUNAT, PRÊTRE
DES MANICHÉENS, DANS LA VILLE d'HIPPONE, AUX BAINS DE SOSSIUS, EN PRÉSENCE DU PEUPLE.

1. Augustin. Je considère aujourd'hui, donna naissance au monde. Voilà ce qui ex-


comme une erreur, ce que je croyais aupara- plique pourquoi ces âmes bonnes sont rédui-
vant la vérité : je désire savoir de vous-même tes à l'esclavage, à l'exil et à la corruption.
ce que vous en pensez. Avant tout, je regarde De là aussi pour elles la nécessité d'un libé-
comme une erreur de croire que le Dieu tout- rateur, qui les purifiât de toute erreur, les
puissant, notre unitiue espérance, soit soumis, retirât de tout mélange et les délivrât de la
dans une partie de sa substance à la souillure servitude. Eh bien I je regarde comme un
ou à la corruptibiIité.Or,je sais que c'est laie crime, de croire que le Dieu tout-puissant
rôle que vous jouer à Dieu dans votre
laites s'est vu dans la nécessité de trembler devant

hérésie. Sans doute, vous vous servez d'ex- une nation ennemie, ou qu'il a été forcé de
pressions différentes, car si je vous interroge, nous précipiter dans cet abîme de malheurs.
vous confessez aussitôt que Dieu est inviola- Fortunat. Je sais que vous avez été des
ble, incorruptible. Mais à peine entreprenez- nôtres, que vous avez même tenu une place
vous le développement de vos principes, que distinguée parmi les Manichéens, aussi j'avoue
vous vous trouvez réduits, par voie de consé- facilement que ce sont là les principaux ar-
quence, à professer qu'il est corruptible, pé- ticles de notre foi. Dans cette discussion, il
nétrable, voire même susceptible de souillure. s'agit des crimes que l'on nous attribue faus-
En effet, vous soutenez que je ne sais quelle sement. Tous les assistants, animés d'ailleurs
nation, fille des ténèbres, s'est révoltée contre des meilleures dispositions, apprendront de
le règne de Dieu. Voyant les ravages qui al- vous-même si les crimes dont on nous accuse
laient fondre sur son empire, s'il n'opiiosait sont vrais ou faux. Sur votre enseignement,
pas de résistance à cette nation rebelle, le votre exposition et vos preuves, ils pourront
Tout-Puissant envoya cette vertu qui, en se se faire une idée plus vraie de notre doctrine
mêlant au mal et à ces filles de ténèbres. et de notre vie, si vous voulez bien la dépein-
70 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET LE MANICHÉEN FORTUNAT.

dre. Vous avez pris part vous-même à notre Nous professons envoyé un Sauveur qu'il a

prière. semblable à Verbe né dès l'éta-


lui-même, le

2, Aiignstin. J'y ai pris part, sans doute. blissement du monde, an moment où il créait
Mais la question de croyance est toute dif- le monde, et qui est venu parmi les houunes

férente de la question de mœurs. C'est à la après la création de l'univers qu'il s'est choisi ;

première que je m'attache. Cependant si l'as- des âmes dignes de sa sainte volonté, sancti-
sistance préférait que je traitasse la question fiées par ses célestes préceptes, toutes remplies
des mœurs, j'y accéderais volontiers. de la foi etde la connaissance des choses divi-
Forlunat. Je veux d'abord me justifier nes. Nous croyons que , sous sa conduite, ces
aux yeux de votre conscience, devant laquelle mêmes âmes rentreront de nouveau dans le

nous sommes chargés de toute sorte de crimes ; royaume de Dieu, conformément à la pro-
et pour cela j'invoquerai le témoignage d'un messe qu'il en a faite : « Je suis la voie, la
homme compétent à mes yeux pour aujour- a vérité et la porte », et « personne ne peut
d'hui et pour le jugement futur de Jésus- « venir à mon Père si ce n'est par moi ». Nous
Christ souverain juge; il dira s'il a vu,
le croyons dès lors, qu'aucun autre médiateur
s'il a surpris eu nous les crimes dont on nous ne peut mériter à ces âmes de rentrer dans le
accuse. royaume de Dieu c'est lui qu'elles doivent ;

Augustin. Vous transportez la question


3. trouver, car lui seul est la voie, la vérité et la

ailleurs, quand je veux rester sur le terrain porte. Il a dit aussi : « Celui qui me voit, voit

de la foi. Quant à vos mœurs, elles sont par- « mon Père ' » ; « celui qui croira en moi, ne
faitement connues de vos initiés, mais vous « mourra jamais, mais il passe de la mort à
savez que je n'ai jamais été qu'auditeur parmi « la vie, et il ne viendra pas en jugement ^ ».

vous. Il est vrai, comme vous l'avez dit, que Telle est noire foi , et la vie de notre foi

j'ai assisté à votre prière en avez-vous uue


;
c'est d'accomplir ses commandements de
autre qui vous soit particulière, Dieu seul le toutes les forces de notre âme, nous atta-

sait et vous aussi. Toutefois, dans la prière à chant à la croyance de cette Trinité, du Père,
laquelle vu de contraire
j'ai assisté, je n'ai rien et du Fils et du Saint-Esprit.
à la décence mais j'ai pu remarquer et me
;
i. Augustin. Ces âmes qui , selon vous ,

convaincre qu'il y avait quelque chose de con- passent de la mort à la vie par Jésus-Christ,
traire à la foi, ne fût-ce que l'obligation de quelle cause a pu les précipiter dans la mort?
vous tourner en face du soleil pour prier. Furtunat. Vous plutôt daignez poursui-
Voilà tout ce que j'y ai remarqué d'insolite. vre et prouver le contraire, s'il est vrai qu'il
Si donc on veut vous questionner au sujet de n'y a rien d'éternel en dehors de Dieu.
vos mœurs, c'est aux initiés qu'il faut s'adres- 5. Angiistin. Mais daignez répondre à la

ser, car je ne puis savoir ce qui se passe question qui vous est posée, quelle cause a pu
entre eux. On m'a dit, par exemple, que vous livrer ces âmes à la mort '

recevez souvent l'Eucharistie ; à quel mo- Fortunat. Vous-même


veuillez nous dire

ment? que recevez-vous? je l'ignore absolu- s'il est quelque chose en dehors de Dieu, ou
ment. Ainsi donc, je vous en prie, réservez la si tout est en Dieu.
question des mœurs, pour la traiter entre (S.Arigustin.lii puis répondre, comme Dieu

vos initiés, si toutefois elle peut être discu- a voulu quej'en eusse la connaissance, qu'il ne
tée. Quant à votre foi, elle m'a été confiée par peut être soumis à aucune nécessité, ni à au-
vous, et je la désapprouve aujourd'hui. C'est cune corruption dans son inviolable sub-
donc là le seul point que je veux traiter; c'est stance. Puisque c'est là aussi votre croyance,
sur ce terrain que je vous prie de me répon- je vous demande par quelle nécessité Dieu a
dre. envoyé ici-bas ces âmes que vous dites devoir

rortimat. Nous enseignons que Dieu est retourner par Jésus-Christ.


incorruptible, lucide, inaccessible, insaisissa- Forlunat. Puisque vous avouez que Dieu
ble, impassible, qu'il habite une lumière éter- vous a révélé, à vous comme à moi, qu'il est
nelle cl particulière à lui seul; qu'il ne lire incorruptible, nous devons rechercher com-
de lui rien de corruptible, ni les ténèbres, ni ment et pour quelle raison ces âmes sont ve-
les démons, ni salan ;
que dans son royaume nues dans ce monde ;
je réponds que c'était

on ne i>eut rien découvrir qui lui soit o|i|iosé. '


Jean, XIV, (j, y. kl. V, 21; viLi, M.
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 71

pour que lui-inènie, puisqu'il n'y a rien en me dites comment nous sommes délivrés de
dehors de lui, les délivrât du monde par son la mort.
Fils unique et semblable à lui-même. Forlunat. L'Apôtre vient de nous dire com-
7. Augustin. Nous ne devons pas nous ment nous devons éprouver pour nos âmes
jouer de cette nombreuse assistance, ni quitter ce que Jésus-Christ a éprouvé pour nous.
la question proposée, pour passer à une autre. Jésus-Christ a goûté les souffrances et la
Nous sommes tous deux d'accord sur ce point, mort comme nous les goûtons nous-mêmes ;

c'est que Dieu est incorruptible, inviolable et par la volonté de son Père, il est descendu
impassible. D'où je conclus que votre hérésie jusqu'à la passion et jusqu'à la mort, comme
est complètement dans l'erreur quand elle nous y descendons nous-mêmes.
affirme que Dieu, voyant sou royaume me- 9. Augustin. Tous ceux qui ont la foi ca-
nacé par la dévastation et la ruine, envoya tholique croient que Notre-Seigneur, c'est-
une vertu pour combattre la nation des ténè- à-dire la vertu et la sagesse de Dieu', le
bres, et que c'est en conséquence de ce mé- Verbe par qui tout a été fait et sans qui rien
lange que nos âmes sont condamnées à la n'a été fait -, a revêtu notre humanité pour
soutfrance. Or, j'oppose à cela un argument notre salut. Dans l'hiunanité qu'il a prise,
très-court, et, je crois, à la portée de tous. Si s'est accompli tout ce que vous dites. Mais ce

Dieu, parce qu'il est inviolable, n'a rien à dont nous nous occupons en ce moment,
soutîrir de la part de la nation des ténèbres, c'est de la substance même de Dieu et de son

il aucune raison de nous envoyer ici-


n'avait ineffable majesté, et nous demandons si quel-
bas pour y être sujets à tant de misères. S'il que chose, oui ou non, peut lui porter atteinte.
n'est pas hors de toute atteinte, il n'est donc Si quelque chose peut nuire à sa substance,
pas inviolable, et vous trompez imlignement Dieu n'est donc pas inviolable. S'il est en
ceux à qui vous enseignez que Dieu est invio- dehors de toute atteinte, que pouvait contre
lable. Et en effet, dans le cours de votre expo- lui cette nation des ténèbres dans la guerre
sition, vous refusez à Dieu cette qualité. que, selon vous, elle fit à Dieu avant la créa-
Forlunat. Nous éprouvons ce que l'apôtre tion du monde, guerre dans laquelle, si nous
saint Paul nous a enseigné en disant: «Imitez vous en croyons, nos âmes qui ont aujour-
« les sentiments de Jésus-Christ qui étant , d'hui un si pressant besoin d'un libérateur,
a dans la forme de Dieu, a bien pu sans , furent mêlées au mal et condamnées à la
« usurpation, s'égaler à Dieu et pourtant
, mort? Je répète mon raisonnement dans toute
« s'est anéanti lui-même prenant la figure
, sa concision : Si cette nation pouvait nuire à
d'esclave, se rendant semblable aux hom- Dieu, il n'est donc pas inviolable; si elle ne
mes, et dans son extérieur ne différant point pouvait lui nuire, c'est cruauté de sa part de
d'un pur homme. Il s'est humilié lui-même, nous avoir placés ici-bas, pour y être victimes

ose rendant obéissant jusqu'à la mort'». de tant de souffrances.


Nous éprouvons donc en nous ce que Jésus- Forlunat. L'àme vient-elle de Dieu , ou
Christ a éprouvé en lui-même tout établi
; non?
qu'il était dans la forme de Dieu, il s'est fait 10. Augustin. Quoique vous croyiez con-
obéissant jusqu'à la mort, pour montrer sa venable de ne pas répondre à mes
et juste

ressemblance avec nos âmes. De même donc questions,moi je me ferai un devoir de ré-
qu'il a montré en lui la ressemblance de la pondre quand vous m'interrogerez.
mort, et qu'il a été ressuscité par son Père Forlunat. L'àme agit- elle de son propre
d'entre les morts; nous sentons qu'il en sera mouvement? Voilà ce que je vous demande.
de même pour nos âmes et que par lui
, il. Augustin. Je vous répondrai, mais
nous pourrons être délivrés de cette mort. En n'oubliez pas que vous n'avez pas voulu ré-
effet, cette mort ne peut pas être l'œuvre de pondre à mes questions, et que moi je vous
Dieu, car si elle est sou œuvre, sa miséricorde réponds. Me demander si l'àme vient de Dieu,
il perd son nom ainsi que
cesse à l'instant, c'est là une grande question. Mais soit qu'elle
sesœuvres de libérateur. en vienne, soit qu'elle n'en vienne pas, j'af-

8. Augustin. Je vous demande comment firme d'abord qu'elle n'est point Dieu, et qu'il
nous pouvons tomber dans la mort, et vous y a entre Dieu et l'àme une différence infinie
• Philip, u, 5-8. ' 1 Cor. I, 24. — ' Jean, i, 3.
.

72 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET LE MANICHÉEN FORTUNAT.

et substantielle. Dieu est inviolable ,


incor- dont il a fait l'âme, n'oubliez pas que je pro-
ruptible, impénétrable ; il ne peut être cor- clame avec vous que Dieu est tout-puissant.

rompu dans aucune de ses parties, et rien ne Or, serait-il tout-puissant celui qui aurait be-
peut lui nuire. Nous voyons au contraire, soin de s'aider de quelque matière préexistante
que l'âme est pécheresse, condamnée à la pour faire ce qu'il veut? D'où il suit, et c'est

souffrance, qu'elle cherche la vérité et qu'elle un point essentiel de notre foi, que Dieu a
a besoin d'un libérateur. Cette susceptibilité faitde rien tout ce qu'il a créé par son Verbe
de changements me prouve que l'àme n'est et sa sagesse. Nous lisons en effet « 11 a or- :

pas Dieu. Si l'àme est la substance même de « donné, et tout a été fait; il a commandé, et

Dieu, j'en conclus que la substance divine est « tout a été créé '
»

susceptible d'errer, d'être corrompue, d'être Fortunat. C'est sur son ordre que tout
violée, d'être trompée une telle conclusion
;
existe ?
ne fait-elle pas horreur? \^. Augustin. Assurément; mais j'entends
Fortunat. Vous affirmez que l'àme n'est parler de ce qui a été fait.

pas de Dieu, tant qu'elle se fait l'esclave du Fortunat. Tout ce qui a été fait devrait
péché, du vice, des choses mondaines et de s'harmoniser. Or, y a des choses qui sont il

l'erreur; or, il ne peut se faire que Dieu ou sa en contradiction évidente les unes avec les
substance soumis à ces vicissitudes déplo-
soit autres ; d'où il suit que l'unité de substance
rables. Maintenant vous demandez si l'âme est impossible, quoique l'ordre d'un seul ait
vient de Dieu, ou si elle n'en vient pas. Nous suffi pour créer le monde et ce qu'il renferme.
fondant sur la venue du Sauveur, sur sa L'évidence même nous prouve, en effet, qu'il

sainte prédication, sur son élection et sur la n'y a aucune similitude à établir entre les
commisération qu'il a eue pour les âmes, ténèbres et la lumière, entre la vérité et le
nous disons que l'àme n'est venue ici-bas que mensonge, entre la mort et la vie, entre l'àme
sur un acte formel de la volonté du Sauveur, et le corps, et beaucoup d'autres choses encore

qui avait résolu de la délivrer de la mort, de qui diffèrent entre elles, et par le nom, et par
la conduire à la gloire éternelle et la remettre l'esiièce. C'est donc en toute vérité que le Sei-

en la puissance de son Père. Et vous deman- gneur a dit « L'arbre que mon Père céleste
:

dez après cela, si l'àme vient de Dieu ou si «n'a pas planté, sera arraché et jeté au feu,
elle n'en vient pas ? Nulle souffrance ne peut « parce qu'il ne porte pas de bons fruits- ». Or

assurément atteindre la substance de Dieu, que l'arbre a été planté. Il suit de là que ce moude
vous niez être le principe de l'àme. et tout ce qui le compose a été formé de deux
12. Augustin. J'ai nié que l'àme fût la sub- substances, l'une corporelle et l'autre éter-
stance de Dieu, et qu'elle fût Dieu lui-même; nelle: cette dernière est la substance même du
mais je soutiens qu'elle vient de Dieu, puis- Père tout-puissant, et par là même de Dieu.
qu'elle a été créée par lui. Le Créateur et sa 15. Augustin. Dans ce qui vous paraît en
créature sont assurément deux choses essen- contradiction, nous ne voyons qu'une simple
tiellement distinctes. Le Créateur est absolu- opposition, résultant de notre péché, c'est-à-
ment incorruptible quant à la créature, elle
;
diredu péché de l'homme. En effet, tout ce
ne peut être égale à son auteur. que Dieu a fait est bon et en parfaite haruio-
Vortunal. Je n'ai pas dit non plus que l'âme nie quant au péché, il n'est pas l'œuvre de
;

fût semblable à Dieu. Et vous, vous préten- Dieu; aussi n'y a-t-il pour nous qu'un seul
dez que l'àme a été faite, quand cependant il mal, c'est notre péché volontaire. Cependant
n'y a rien en dehors de Dieu; ne puis-je pas il y a un autre genre de mal, c'est le châtiment

vous demander où Dieu a pris la substance du péché. Le péché et le châtiment du péché


dont il a formé l'àme ? sont donc deux genres de maux le premier :

13. Auçjuslin. Seulement n'oubliez pas que ne vient de Dieu en aucune manière; le
je réponds à vos (juestions et (jue vous ne second est son œuvre en tant qu'il est le
me répondez pas. Je dis donc que l'àme a suprême vengeur du mal. Dieu est bon, et
été créée par Dieu comme tout ce que Dieu a c'est par sa bonté qu'il a tout créé; mais il est
créé; et dans la série des créatures, l'àme juste aussi, et connue tel, il doit tirer ven-
assurément tient la (iremiero place. Si vous geance du péché. 11 est donc vrai de dire que
me demandez où Dieu a trouvé la substance '
l's. cxLviii, 5. — ' Malt. AV, la, et m. 11).
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 73

ce qui nous paraît maintenant en opposition, « ressuscites avec lui et nous a fait asseoir dans
et qui n'estle résultat que du péché de l'iiomme « le ciel en Jésus-Christ, pour faire éclater dans
révolté contre Dieu, ne contredit aucunement « les siècles avenir les richesses surabondantes

l'harmonie générale et parfaite de l'univers. « de sa grâce, par la bonté qu'il nousatémoi-


En effet, l'àme raisonnable de l'homme a été « gnée en Jésus-Christ. Car c'est par la grâce
douée par Dieu du libre arbitre. Voilà pour- « que vous en vertu de la foi et cela
êtes sauvés ;

quoi le mérite est possible, puisque si nous « ne vient pas de vous, puisque c'est un don de
sommes bons, ce n'est pas nécessairement, « Dieu. Cela ne vientpointde vos œuvres, afin
mais par l'effet de notre volonté. Mais pour « que nul ne se glorifie. Car nous sommes son
que nous parvenions à cette bonté volontaire, « ouvrage, étant créés en Jésus-Christ, dans les
il fallait que Dieu donnât à notre âme le libre « bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que
arbitre. Si cette âme eût obéi à ses lois, elle a nous puissions y marcher. C'est pourquoi,
aurait régné sans opposition sur la création « souvenez-vous qu'étant Gentils par votre ori-
tout entière; si elle avait voulu servir Dieu, e gine, et non du nombre de ceux qu'on appelle
elle aurait été servie par tout ce que Dieu a « circoncis selon la chair, à cause d'une circon-
créé. Par la même raison, si elle refusait d'o- « cision faite par la main des hommes, vous
béir à Dieu, tout ce qui devait la servir tour- « n'aviez point alors de part en Jésus-Christ ;

nait à son châtiment. Dieu a donc bien fait « vous étiez entièrement séparés de la société

toutes choses, toutes ses créatures sont bonnes, a d'Israël; vous étiez étrangers à l'égard des al-

et il ne peut approuver ni souffrir le mal. « liances divines vous n'aviez pas l'espérance
;

Fortunat. II ne souffre pas le mal, mais il a des biens promis et vous étiez sans Dieu en
;

le prévient. « ce monde. Mais maintenant que vous êtes en


IC. Augustin. Et de la part de qui le souffri- « Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés
rait-il ? a de Dieu, vous êtes devenus proche de lui par
Forliinat. Mon opinion à moi, que
c'est a le sang de Jésus-Christ. Car c'est lui qui est
Dieu a voulu prévenir le mal, non pas témé- « notre paix ; c'est lui qui, des deux peuples,
rairement, mais par sa vertu propre et par sa « n'en a fait qu'un; c'est lui qui a détruit en sa
prescience. Du reste, niez que tout autre mal a chair le mur de séparation, celte inimitié qui
soit en dehors de Dieu ; on peut vous montrer « les divisait ; c'est lui qui par sa doctrine, a
d'autres préceptes qui se posent en dehors de a aboli la loi de Moïse chargée de tant de pré-
sa volonté. En
il ne peut intervenir de
effet, « ceptes, afin de former en lui-même un seul
précepte que où il y a contrariélé. Pour
là « homme nouveau de ces deux peuples, en
qu'on puisse donner la libre faculté de vivre, a mettant la paix entre eux; et afin que tous
il faut que la chute ou la mort ait précédé, a deux, étant réunis en un seul corps, il les ré-
selon ce raisonnement de l'Apôlre « Dieu : a conciliât avec Dieu par sa croix, ayant dé-
« vous a rendu la vie, lorsque vous étiez morts a fruit en lui-même leur inimitié. Et ainsi,
a par vos dérèglements et par vos péchés, dans a étant venu, il a annoncé la paix^ tant à vous

« lesquels vous avez autrefois vécu, selon la a qui étiez éloignés de Dieu, qu'à ceux qui en
« coutume de ce monde, selon le prince des a étaient proche. Car c'est pai- lui que nous
« puissances de l'air, cet esprit qui exerce « avons accès les uns et les autres auprès du
« maintenant son pouvoir sur les incrédules a Père, dans un même esprit ' ».
« et les rebelles. Tous autrefois nous avons M. Augustin. Ce passage de l'Apôtre, tel
« été dans les mêmes desordres, vivant selon que vous avez daigné nous le citer, est tout en
« nos passions charnelles , nous abandon- ma faveur, si je ne me trompe, et par là même
« nant aux désirs de la chair et de notre es- contre vous. D'abord, parce que le libre ar-
« prit; et nuus étions, par la corruption de bitre, seul principe réel du péché, comme je
a notre nature, enfants de colère, aussi bien l'ai dit, est ici formellement proclamé, lorsque
a que les autres hommes. Mais Dieu, qui est l'Apôtre pa"rle des péchés et affirme que notre
«riche en miséricorde, poussé par l'amour réconciliation se fait avec Dieu par Jésus-
« extrême dont il nous a aimés , lorsque Christ. En péchant, nous nous sommes dé-
« nous étions morts par nos péchés nous tournés de Dieu, et en accomplissant les pré-
«a rendu la vie en J ésus-Chrisi par la ,
ceptes de Jésus-Christ, nous nous réconcilions
a grâce de qui vous êtes sauvés et il nous a ; *Ephes. u, 1-18.
74 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET LE MANICHÉEN FORTUNAT.

avec Dieu. Ainsi, après être morts par le pé- devait-elle pas être vaincue et moi rester in-
ché, nous revenons à la vie en observant les corruptible? Et voici qu'elle ne pouvait se
commandemenls, et nous rentrons en paix montrer satisfaite qu'au prix de ma propre
avec ce Dieu que nous avions quitté en refu- corruption comment donc suis-je une partie
!

sant d'obtemiiérer à ses ordres. Notre foi nous de vous-même, comment restez-vous invio-
enseigne que c'est là ce qui arriva pour le pre- lable,ou bien, comment ne pas vous accuser
mier homme. Maintenant je m'appuie sur ce de cruauté de me condamner à la tyrannie de
passage que vous nous avez rappelé, et je vous la nation des ténèbres pour sauver votre ,

demande comment le péché peut nous at- royaume auquel rien ne pourrait porter at-
teindre, si c'est sous la coaction d'une nature teinte? Répondez à cela, je vous en prie;
contraire que nous agissons? En effet, celui daignez aussi m'expliquer ces paroles de saint
qui agit sous coup de la nécessité ne pèche
le Paul « Nous étions naturellement des en-
:

pas. Si quelqu'un pèche, c'est par son libre « de colère », quand il assure en même
fants
arbitre qu'il pèche. Pourquoi donc nous im- temps que nous avons été réconciliés avec
poser le précepte de la pénitence, si nous ne Dieu. Si naturellement les hommes étaient
faisons aucun mal, si le mal n'est possible enfants de colère, comment pouvez-vous dire
qu'à la nation des ténèbres ? Etpardon des
le que naturellement l'âme est la fille et une por-
pécliés, à qui donc est-il accordé? est-ce à tion de Dieu ?
nous ou à la nation des ténèbres? Si la nation Forlunat. Si en disant que les hommes
des ténèbres reçoit le pardon de ses péchés, sont par nature enfants de colère, l'Apôtre eût
ellerégnera donc avec Dieu. Mais si c'est à parlé de Tàme, c'est qu'à ses yeux l'âme serait
nous que ce pardon est accordé, il faut con- séparée de Dieu. Vous auriez donc prouvé,
clure que le péché en nous est volontaire. Ne contre votre propre système, que l'âme n'est
serait-ce pas une folie de pardonner à quel- point l'œuvre de Dieu car, dit l'Apôtre, nous ;

qu'un qui n'aurait fait aucun mal ? Or, aucun sommes par nature enfants de colère. Toute-
mal n'est possible qu'autant qu'il procède de fois il est clair que l'Apôtre parlait ainsi, en
la volonté. Je suppose donc qu'en réponse à tant qu'il descendait de la race d'Abraham, et
la promesse qui lui est faite par Dieu d'obte- qu'à ce titre il était soumis à la loi judaïque ';
nir la rémission de ses péchés et la réconci- c'était dire clairement que nous sommes, par
liation, si elle suspend le cours de ses péchés notre corps, enfants de colère, comme le reste
et en pénitence, une âme, appuyée sur
fait des hommes. Quant à l'âme, il prouve qu'elle
votre doctrine, s'écrie Quel péché ai-je com-
: est une substance sortie de Dieu, et que nous
mis? Quel châtiment ai-je mérité? Pourquoi ne pouvons être réconciliés avec Dieu que par
m'avez-vous chassée de votre royaume et notre maître, Jésus-Cluist. Tant que l'âme
m'avez-vous condamnée à combattre contre était morte à l'amitié de Dieu, elle paraissait
je ne sais quelle nation? Je suis humiliée, indigne d'être sortie de la substance de Dieu
confondue avec le mal, corrompue, affaiblie, même. Mais nous
de savoir qu'elle a
il suffit

je n'ai iilus mon libre arbitre. Vous connais- été envoyée sur la terre pour faire la volonté
sez la dure nécessité qui m'oppresse pour- : de Dieu nous en concluons aussitôt qu'elle
;

quoi donc m'imputez-vous les blessures que est la fille substantielle du Dieu tout-puis-
j'ai reçues? Pouniuoi m'obligei à la péni- sant. De même nous croyons que le Christ
tence, quand c'est vous-même qui êtes la Sauveur est venu du ciel pour faire la volonté
cause de mes blessures? Ne savez-vous pas de son Père et cette volonté avait pour objet
;

que je ne suis réduite à cet état que par la la destruction de l'inimilié et la délivrance de
violence que vous avez permis à la nation des nos âmes. En eflèt, si cette âme n'eût [)as été
ténèbres d'exercer contre moi, vous qui tout en lutte avec Dieu, comment expliquer la
inviolable que vous êtes, m'avez précipitée coexistence de l'inimitié et de l'unité, de la
dans cet abîme de misèresde sauver l'in-
afin mort et de la vie?
tégrité de votre empire, auquel cependant 18. Augustin. N'oubliez pas que l'Apôtre
rien ne peut nuire? Si je suis une partie de soutient que c'est par nos œuvres que nous
vous-même, si je suis sortie de vos entr.iilles, nous sommes attiré la colère divine.
de votre royaume et de votre bouche, que Forlunat. Je soutiens donc la coexistence
pouvait contre niui la nation des ténèbres? ne ' Kom. XI, 1.
SECONDE CONFÉRENCE. 75

de deux substances. La substance de la lu- Dieu il fut prédestiné avant la chair, et que
mière , c'est Dieu , et Dieu incorruptible ,
selon la chair né de la race de David.
il est

comme je l'ai dit plus haut les ténèbres sont ;


Or, c'est là un point que vous vous obstinez
l'autre substance, substance ennemie, mais à nier; comment donc, quand nous discu-
aujourd'hui vaincue par la vertu de Dieu, et tons ensemble, pouvez-vous encore invoquer
c'est pour me délivrer de cette substance que l'autorité des Ecritures ?

le Christ Sauveur a été envoyé sur la terre. Fortunat. Vous dites que. selon la chair,

10. Augustin. par des raisons, que


C'est cepen-
Jésus-Clhrist est de la race de David, et

les assistants nous demandent de discuter nos dant on nous enseigne hautement qu'il est né
deux croyances, la vôtre et la mienne. Mais d'une Vierge ', et qu'il a été glorifié Fils de
puisque vous invoquez le témoignage des Dieu. N'est-il pas absolument nécessaire, que
Ecritures, je descends sur le même terrain ce qui vient de l'Esprit soit esprit, et que ce
et je ne veux laisser passer sans discussion qui vient de la chair, soit chair-? Or, voici

aucun texte qui puisse jeter dans l'erreur ceux que l'Evangile déclare d'une manière formelle
à qui les Ecritures ne sont pas assez connues. que a La chair et le sang ne posséderont pas
:

Commençons donc par l'épître de saint Paul « le royaume de Dieu, et la corruption nepos-
'
aux Romains. La première page est la con- « sédera pas l'incorruptibilité ».

damnation formelle de vos erreurs. Nous y En ce moment un tumulte s'éleva dans l'as-

lisons « Paul, serviteur du Christ Jésus, ap-


: semblée ; en effet, les assistants demandaient
« pelé à l'apostolat, séparé pour prêcher l'Evan- que l'on discutât par des raisonnements, et
« gile de Dieu, qu'il avait promis auparavant d'un autre côté ils remarquaient que Fortunat
par ses prophètes dans les Ecritures saintes, refusait d'accepter certaines parties des épî-
« touchant son Fils qui lui est né selon la chair tres de saint Paul. Bientôt une conversation
« du sang de David, qui a été prédestiné Fils de très-animée s'engagea de tous côtés, à tel point
« Dieu en puissance selon l'Esprit desanctifica- que Fortunat s'écria que la parole "de Dieu
« lion,par la résurrection d'entre les morts, de était enchaînée dans la nation des ténèbres.
«Jésus-Christ Notre-Seigneur ». L'Apôtre '
Un frémissement d'horreur accueillit cette
nous dit de Notre-Seigneur que par la vertu de parole et tous se retirèrent.
Rom. I, 1-4. ' Isaïe, VII. — ' Jean, m, I Cor. XV, 50.

SECONDE CONFÉRENCE.
LE LENDEMAIN, EN PRÉSENCE DU MÊME SECRÉTAIRE, VOICI COMMENT LES CHOSES SE PASSÈRENT.

Fortunat. Je dis que le Dieu tout-puissant celle des deux croyances qui leur paraît la

ne peut tirer de lui rien de mauvais, et que |)lus pure et la plus digne de la majesté de
tout ce qui est pur, découle de cette unique Dieu. La vôtre enseigne que la vertu de Dieu,

source inviolable. J'en conclus rigoureuse- ou une ou la parole de Dieu


partie de Dieu,
ment que tout ce qui, dans ce monde, est im- peut être changée, violée, corrompue, enchaî-
pur, ne vient pas de Dieu, n'a pas Dieu pour née la mienne affirme que Dieu est lout-
;

principe et pour cause. Le premier article de puissant, que toute sa nature et sa substance
notre foi, c'est de croire que le mal ne vient est essentiellement incompatible avec la moin-
pas de Dieu. dre corruption, et que si la nature humaine
20. Augustin. Nous croyons aussi que est mauvaise, c'est uniquement par le fait du
Dieu n'est pas l'auteur du mal, et qu'il n'a péché volontaire de l'âme que Dieu a douée
fait aucune nature mauvaise. iMais puisque du libre arbitre. Otez lu libre arbitre, et tout
vous et moi nous proclamons un Dieu incor- châtiment devient injuste, tout mérite im-
ruptible et inviolable, le devoir des savants possible, et inutile tout précepte divin de faire
et des simples fidèles est de se prononcer sur pénitence de ses péchés; le pardon même de
76 CONFERENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET LE MANICHÉEN FORTUNAT.

nos fautes, tel que Dieu nous l'accorde par dire franchement ou bien, si l'on ne peut
;

Notre-Seigneur Jésus-Christ, n'a plus de rai- admettre que le mal vienne de Dieu, ce prin-
son d'être. En effet, celui qui ne pèche pas par cipe doit être admis et médité par la foule
la volonté, ne pèche aucunement, c'est là une qui nous écoute. J'ai parlé des substances et
vérité de la dernière évidence. Ne nous éton- non du péché qui existe en nous. En effet, si
nons donc pas que Dieu, pour nous éprouver, la pensée que nous avons de faire le mal n'a-
permette à la souffrance de nous frapper ;
vait pas son origine en dehors de nous, rien
car si c'est par bonté qu'il a fait tout ce qui ne nous porterait au péché. Mais parce que
existe, sa justice demande qu'il n'é[iargne nous péchons malgré nous et que nous subis-
pas le péché. Or, comme je l'ai dit, le péché sons l'influence d'une substance contraire et
n'existe qu'autant qu'il est le fruit d'une ennemie, il est vrai de dire que nous suivons
volonté libre. Je suppose qu'un homme se l'enchaînement naturel de la science des
trouve garrotté dans tous ses membres et que choses. Eclairée par cette science et rendue
l'on force sa main à tracer malgré lui tels ou à ses anciens souvenirs, l'âme reconnaît son
tels caractères, est-ce que la justice pourrait origine, le mal dans lequel elle se trouve, les
le condamner comme faussaire? Si donc il biens qu'elle s'est refusés en péchant et au
n'y a de péché que là où se trouve le libre moyen desquels, aidée encore de
la grâce des
arbitre de la volonté, dites-moi comment cette bonnes œuvres, peut se corriger de ses
elle
âme, dont vous faites une portion de Dieu ,
fautes et mériter sa réconciliation avec Dieu
sa vertu, sa parole, ou toute autre chose, par la médiation de notre Sauveur, qui
peut mériter d'être punie par Dieu, ou peut nous enseigne à faire le bien et à fuir le
être obligée de faire pénitence pour obtenir mal. Vous enseignez, au contraire, qu'en
son pardon, puisqu'il ne lui est pas possible dehors de toute action d'une nature contraire,
de commettre un péché. l'homme, ne suivant en cela que l'impul-
Fortimat. Je n'ai parlé que des substances ,
sion de sa volonté, se livre aux œuvres de
et j'ai soutenu que Dieu n'est le créateur la justice ou aux œuvres de l'iniquité. C'est
que de celles qui sont bonnes, tandis qu'il là une erreur, car si vous niez l'existence
exerce sa vengeance contre celles qui sont de toute nature contraire et que nous n'ayons
mauvaises, parce que mal ne vient pas de
le plus en face qu'une âme dans un corps ,

lui. Avais-je tort de croire que Dieu poursuit et une âme à laquelle, dites-vous. Dieu a
le mal, parce que le mal n'est pas son œuvre? donné le libre arbitre, il n'y a plus possi-
Si Dieu était l'auteur du mal, ou bien c'est bilité de commettre le péché, ni de s'y sentir

qu'il donnerait le pouvoir de pécher, et c'est enclin.


ce qui arriverait si, comme vous le soutenez. 21. Angusiin. Je déclare qu'en dehors de
Dieu nous avait doués du libre arbitre; ou la volonté il n'y a point de péché proprement
bien, c'est que dans l'ignorance où il serait de dit; je déclare également que ce qui constitue
ce que je dois devenir, il m'abandonnerait, le mérite, c'est la liberté même avec laquelle
après avoir fait de moi un être indigne de lui. on fait le bien. Si celui qui pèche malgré lui

Je demande donc de nouveau si c'est Dieu, mérite un châtiment, celui qui fait le bien
oui ou non, qui a créé mal et s'il a déter-
le malgré lui mérite donc aussi une récom-
miné la fin de tous les maux. En effet, tout ce pense. Or, n'est-il pasévident qu'il n'y a, pour
que Dieu a fait est marqué du sceau de l'in- mériter une récompense, que celui qui agit
corruptibilité, l'évidence elle-même le prouve, par une volonté libre et bonne? Par contre,
aussi bien que la foi évangéli(]ue. Vous voyez celui qui agit avec une volonté mauvaise,
donc que dans tous ces points de notre mérite un châlinient. Mais puisque vous me
croyance, tels que je viens de les soumettre à rappelez aux natures et aux substances pre-
votre examen, je suis loin de rejeter l'auto- mières, ma foi proclame que les biens ont été
rité de la foi cliréticn,ne. Et parce que je ne créés par un Dieu tout-puissant et en même
crois ma foi suflisamiuenl établie qu'autant temps juste et bon, et c'est là ce qu'il ne faut
que je puis l'apimyer sur l'autorité de l'Ecri- pas perdre de vue. Mais les œuvres de Dieu
que j'ai
ture, j'ai cru devoir citer les passages ne peuvent être ce (|u'est celui qui les a faites.
ra[)iiortés.Si vous regardez Dieu connue étant Quelle injustice en lUc!, et quelle folie de
l'auteur dus maux de ce monde, veuillez le croire que les œuvres sont égales à celui cpii
SECONDE CONFÉRENCE. 77

les a accomplies, et les choses créées au Créa- franchement à cette question, comme j'ai ré-
teur ! SI donc, comme une foi pieuse nous pondu à la vôtre.
l'enseigne, c'est Dieu qui a créé tous les Fortunat. Nous disons que notre âme est
biens; Dieu l'emporte infiniment en gran-
si nécessitée au péché par unenature contraire,
deur et en excellence sur tous ces biens qu'il tandis que vous, vous prenez le mal même
a créés, il faut conclure que le principe et la qui est en nous pour la racine du mal; et
source du mal, c'est le péché, suivant cette cependant il est bien certain, qu'en dehors
parole de l'Apôtre a La racine de tous les : de nos corps, le mal règne partout dans le
«maux, c'est la cupidité; c'est en suivant les monde. De même on ne trouve pas dans le
« attraits de cette passion, que beaucoup ont monde les biens que nous ne possédons que
« fait naufrage dans la foi et se sont con- dans notre corps, on n'y trouve que la racine
« damnés à de nombreuses douleurs ». Si ' mauvaise. En effet, vous avez dit vous-même
vous cherchez le principe de tous les maux, que la source de tous les maux, c'est la cupi-
écoutez l'Apôtre qui vous dit que ce principe dité dont le siège principal est notre corps.
,

n'est autre que la cupidité. Quant au prin- Or, je viens de prouver que la cupidité du mal
cipe de ce principe, je ne puis étendre jusque- n'est pas dans notre corps, c'est dire claire-
là mes investigations. Ou bien s'il est un ment (ju'elle ne procède que de cette nature
autre mal dont la cupidité nesoil pas le prin- contraire qui remplit le monde tout entier.
cipe, il faut conclure qu'elle n'est pas le prin- Telle est la cupidité dont l'Apôtre a dit qu'elle
cipe de tous les au contraire elle maux. Si est la racine de tous les maux ce n'est donc ;

en est le chercher
principe, il est inutile de pas mal en particulier plutôt que tel autre.
tel

un autre genre de mal. Quant à cette nature C'est se méprendre que de supposer dans nos
contraire, que vous m'opposez, j'ai déjià ré- corps cette cupidité que vous nommez la ra-
pondu à celle objection. Cependant veuillez cine de tous les maux ; il est certain, au con-
me dire si cette nature contraire forme, à elle traire,que le mal qui est en nous n'est qu'un
seule, le mal tout entier, s'il n'y a de péché écoulement du principe même du mal, dont
que ce qui vient d'elle ; car j'en conclurais n'est qu'une faible partie ce que vous dési-
qu'elle seule aussi doit être punie, et non pas gnez comme étant la racine. Disons-le, cette
l'âme qui n'est pour rien dans le péché. Si cupidité n'est qu'une petite portion du mal
vous me dites que cette nature seule, et non qui règne partout. C'est là la racine et l'arbre
pas l'âme, mérite le châtiment, je vous de- mauvais que le Seigneur condamne comme
mande à qui fut imposé le précepte de la pé- ne portant jamais de bons fruits , comme
nitence. Si c'est à l'âme, c'est donc d'elle que n'ayant pas été planté par son Père et devant
vient le péché, c'est sa volonté qui a péché. être arraché et jeté au feu '. Tout ce que vous
En effet, si l'âme est forcée de faire le mal, ce m'alléguez doit être imputé à la nature con-
n'est plus elle qui le fait. Or, quelle folie, traire ; elle est la mal, etnature même du
quelle extravagance de nous dire que c'est la elle péché de l'âme, quand éclairée
devient le
nation des ténèbres qui a péché, et que c'est par la doctrine salutaire du Sauveur, cette
moi qui dois faire pénitence, que c'est elle âme se sépare de cette source mauvaise et
qui a péché et que c'est à moi que le péché est se revêt d'ornements plus purs. Autrement
pardonné ! En vertu de vos principes ne puis- elle ne pourrait jamais recouvrer sa propre
je pas me récrier et dire : Qu'ai-je donc substance. N'a-t-il pas été dit : « Si je n'étais pas
fait ,
quel mal ai-je commis ? J'ai été en vous, « venu et que
ne leur eusse pas parlé, ils
je
j'y ai été sans tache et sans souillure vous : a seraient sans péché maintenant que je suis
;

m'avez envoyé ici-bas, vous avez subi la né- « venu et que je leur ai parlé, puisqu'ils n'ont
cessité, vous avez voulu sauver votre royaume « pas voulu croire en moi, ils n'obtiendront
menacé d'un grand désastre et d'une grande « pas le pardon de leur péché *? » Il suit de
ruine. Maintenant vous n'ignorez pas la né- là que le don de la pénitence a suivi la venue
cessité qui m'accuble, et à laquelle je ne puis du Sauveur et a été la conséquence de cette
résister pourquoi donc m'accusez-vous de
; connaissance des choses en vertu de laquelle
péché ? ou pourquoi me [iromettez-vous le l'âme divinement purifiée de toutes les souil-
pardon de mes fautes ? Veuillez me répondre lures et de tous les vices, soit du monde, soit
'I Tim. VI, 10. '
Malt. XV, 13, ui, 10. — ' Jean, XV, 22.
78 CONFERENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET LE MANICHÉEN FORTUNAT.

des corps, peut reprendre sa place dans le tuel vous jurez par le Paraclet. Si donc vous
:

royaume de Dieu, d'où elle était sortie. Voici, voulez faire l'expérience de la vérité de mes
eu effet, ce que dit l'Apôtre « La prudence : paroles, engagez-vous à ne plus jurer, vous
« de la chair est ennemie de Dieu, car elle comprendrez alors la force de l'habitude dont
« n'est pas soumise à la loide Dieu et elle ; je parle. Et voilà ce qui combat contre notre
a ne le peut pas '
». De là nous pouvons con- âme, l'habitude contractée dans la chair.
clure que, par l'action de cette nature qui Telle est cette prudence de la chair, qui reste
n'est pas soumise à la loi de Dieu, l'àme pèche prudence de la chair, tant qu'elle ne peut être
réellement, mais ce n'est pas librement. La soumise à la loi de Dieu que l'âme ouvre les ;

preuve nous en est donnée dans les paroles yeux à la lumière d'en haut et aussitôt dispa-
suivantes « La chair convoite contre l'esprit,
: raît cette prudence de la chair. Eu disant que
et l'esprit contre la chair, en sorte que vous la prudence de la chair ne peut être soumise
« ne faites pas ce que vous voulez - ». Et ail- à la loi de Dieu, nous parions dans le même
leurs «Je vois dans mes membres une autre
: sens que si nous disions qu'une neige glaciale
« loi qui répugne à la loi de mon esprit et me ne peut être chaude. En effet, tant qu'elle reste
a conduit captif sous la loi du péché et de la neige, elle ne peut être chaude. De même
a mort. Malheureux homme que je suis qui ! donc que la neige se fond par la chaleur et
« me délivrera de ce corps de mort, si ce n'est cesse d'être neige pour pouvoir s'échauffer,
« la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus- de même cette prudence de la chair ou cette
« Christ, jiar qui le monde est cruciflé pour habitude contractée dans la chair, de mau-
« moi, et je suis crucifié au monde ^? » vaise qu'elle était devient bonue, quand notre
22. Augustin. J'accepte avec plaisir ces âme reçoit les lumières d'en haut et quand
témoignages des divines Ecritures, et si Dieu Dieu rend l'homme tout entier d'une obéis-
m'en fait la grâce, je montrerai en peu de sauce parfaite aux prescriptions de la loi.
mots qu'ils sont le fondement même de ma Quant a ces deux arbres, l'un bon et l'autre
croyance. Je dis que le premier homme était mauvais, dont aous parlez, c'est en toute vé-
doué du libre arbitre. Telle était sa nature que rité que le Seigneur a pu dire que chacun
s'il eût voulu observer les commandements porte ses fruits l'arbre bon ne peut pas don-
;

de Dieu, rien n'aurait pu résister à sa volonté. ner de mauvais fruits, et l'arbre mauvais, tant
Mais après que volontairement et librement qu'il reste mauvais, ne peut pas en donner
il eut consenti au péché, il se vit dépouillé de de bons. Prenons deux hommes, l'un bon et
tous ses privilèges, lui et ses descendants avec l'autre mauvais. Tant que le premier est bon,
lui. Un instant d'attention suffit pour com- il ne peut donner de mauvais fruits, et tant

prendre ce que j'avance. Eu effet, aujourd'hui que l'autre est mauvais il ne peut en donner
encore, tant que nous n'avons pas rivé sur de bons. Mais afin que vous compreniez que
nous les chaînes d'une habitude mauvaise, ces deux arbres dont parle le Sauveur repré-
nous sommes libres, en face d'une action, de sentent le libre arbitre, c'est-à-dire nos vo-
la faire, ou de ne la faire pas. Mais quand lontés et non deux natures opposées, il est dit
nous avons librement accompli cette action, dans l'Evaugile : « Ou faites l'arbre bon, ou
le plaisir et je ne sais quelle douceur perni- « faites l'arbre mauvais '». Qui peut faire la
cieuse y enchaînent notre âme, l'habitude naît nature? Si donc il nous est commandé de ren-
aussitôt, et l'habitude nousempèche de triom- dre l'arbre bon ou mauvais, c'est que le choix
pher du penchant que nous avons fait naître nous appartient. Quanta ce péché de l'homme,
en péchant. C'est ainsi que nous voyons beau- et quant à cette habitude que l'âme contracte
coup d'hommes refuser de jurer, mais parce avec la chair, l'Apôtre nous dit « Que personne :

que leur langue est enchaînée par l'habitude, « ne vous séduise * ». « Toute créature que
toule répression leur devient impossible et « Dieu a faite est bonne ' ». Le même apôtre
nous les entendons prononcer des paroles ajoute encore « De nièine tiue par la déso-
:

évidemment inspirées par le |)rincipe même « béissance d'un seul, tous sont devenus pé-
du mal. Je vous prends vous-mêmes pour « clieurs de même par l'obéissance d'un seul,
;

exem|)le vous prononcez de bouche et votre


; « tous seront établis dans la justice *. Car

cœur comprend un serment qui vous esthabi- « c'est par un homme que la mort est venue,
• Koai. vu:, 7. — ' Gai. v, 17. - ' Rom. Vil, 23, 25 ; Gai. VI, I i. •
Mail. XI', M.— ' Eph. V, — ' I Tim. iv, ).- • Rom. v, 19.
SECONDE CONFÉRENCE. 79

« et c'est par un homme aussi que s'accom- la du monde ces âmes furent en-
création
« plira la l'ésurreciion des morts ». Donc tout voyées contre la mauvaise nature, afin qu'elles

le temps que nous portons l'image de l'homme la soumissent par leurs souffrances et que la

terrestre ', c'est-à-dire, tant que nous vivons victoire appartînt de nouveau à Dieu. En effet,
selon la chair et qu'ainsi nous imitons le vieil l'Apôtre a dit qu'il y avait lutte non-seule-
homme nous subissons la nécessité fruit
, ,
ment contre la chair et le sang, mais aussi
de l'habitude, en sorte que nous faisons ce contre les princes et les puissances , contre
que nous ne voulons pas. Mais quand la grâce l'iniquité et la domination des ténèbres '. Si
de Dieu nous aura inspiré l'amour divin et donc le mal et l'iniquité s'étendent partout, le
nous aura soumis à sa volonté, nous verrons mal n'est plus seulement dans nos corps, mais
la réalisation de cette parole « Vous avez élé : dans le monde tout entier habité par ces âmes
« appelés à la liberté "^ La grâce de Dieu m'a exilées du ciel.

« délivré de la loi du péché et de la mort ' ». 23. Augustin. Le Seigneur a envoyé ses
D'après la loi du péché, quiconque pèche, agneaux au milieu des loups, c'est-à-dire les
mérite la mort. Nous échappons à cette loi hommes justes au milieu des hommes pé-
quand nous commençons à marcher dans la cheurs, pour y prêcher l'Evangile qu'avait
justice. La loi de mort fut ainsi formulée : proclamé la divine Sagesse afin de nous faire
« Tu es terre et tu retourneras en terre ». ' sortir du péché et de nous appeler à la justice.
C'est de l'homme, à qui fut adressée cette pa- Si maintenant l'Apôtre nous déclare que nous
role, que nous sommes nés, parce que nous n'avons pas à combattre contre la chair et le
sommes terre, et nous retournerons en terre, sang, maiscontre les princes et les puissances,
à cause du premier péché. Mais par l'effet de contre l'iniquité et les ténèbres, c'est pour
la grâce de Dieu qui nous délivre de la loi du nous rappeler que, comme nous, le démon et
péché et de la mort, nous sommes rentrés ses anges sont tombés par le péché, qu'ils
dans la voie de la justice; plus tard cette tiennent sous leur dépendance les choses ter-
chair qui, pendant que nous demeurions dans restres, les hommes pécheurs, et que nous som-
le péché, nous rendait victimes de toutes les mes sous leur joug pendant que nous sommes
souffrances, nous sera soumise dans la résur- dans le péché. Au contraire, quand nous se-
rection et ne nous attirera plus aucime adver- rons justes, nous serons sous le joug de la
sité, pourvu que nous accomplissions la loi justice. La lutte dans laquelle nous sommes
de Dieu et les préceptes divins. Maintenant engagés a donc pour but de nous arracher à
donc que je vous ai répondu, veuillez me la domination de ces puissances mauvaises
dire comment il peut se faire, s'il existe réel- pour nous faire passer sous le règne de la jus-
lement une nature contraire à Dieu, que le tice. Veuillez donc me répondre à celte uni-
péché nous soit imputé, à nous qui avons été que et simple question Oui ou non, quelque
:

mêlés à celte nature, non point par l'effet de chose pouvait-il nuire à Dieu? Toutefois je
notre volonté propre, mais par Dieu lui-même vous prie de me répondre négativement.
à qui rien ne pouvait nuire. Fortunat. Rien ne pouvait lui nuire.
Furtunat.Dieu nous a envoyés sur la 24. Augustin. Pourquoi donc nous a-t-il
terre, en nous disant comme il a dit à ses envoyés ici-bas ?
disciples « Voici que je vous envoie comme
: Fortunat. Je proclame que rien ne pou-
« des brebis au milieu des loups * ». On doit vait nuire à Dieu et que Dieu nous a envoyés
conclure de là que ce n'est pas dans un but sur la terre. Mais puisque cette affirmation
hostile et cruel que nous, ses agneaux, c'est-à- vous révolte, dites-nous vous-même comment
dire ses disciples, il nous a envoyés au milieu vous expliquez la présence sur la terre d'une
des loups; c'était uniquement pour y vaincre âme que notre Dieu désire délivrer et par ses
la nature ennemie, et dès que quelques âmes préceptes et par son propre Fils.
pouvaient se laisser tromper au milieu des 25. Augustin. Je vois que vous n'avez pu
loups , elles étaient rappelées à leur propre me répondre, quand cependant j'avais encore
substance. Voilà pourquoi nous croyons, avec d'autres questions à vous faire; pour moi, je
nos anciens et avec toute l'antiquité, qu'avant vais satisfaire à vos désirs, en vous priant, tou-
l'ois, de ne pas oublier que vous ne m'avez
' I Cor. XV, 21 , 49. — '
Gai. V, IJ. — ' Uoni. vni , 2. '
Gen.
Uî, \H. — ' Matt. X, IB. ' Ephes. V(, 12.
80 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET LE MANICHÉEN FORTUNAT.
pas répondu. Précédemment et à plusieurs vrer. Vous avouez donc que Dieu se trouva
reprises j'ai déjà dit pourquoi notre âme est dans la nécessité d'envoyer l'âme ici-bas. Mais
ici-bas plongée dans des misères si profondes. malgré la volonté que vous lui attribuez de la
Elle a péché j voiLà pourquoi elle est malheu- délivrer, je déclare sans hésiter que Celui à
reuse. Elle a reçu le libre arbitre, elle en a qui rien ne pouvait nuire n'a pu être déter-
usé comme elle a voulu ; elle est tombée, elle miné que par une volonté cruelle à jeter
a été exclue du bonheur et condamnée à toute notre âme au sein de misères si profondes.
sorte de misères. Pour \ous le prouver je ,
Cette parole, assurément, ne m'est dictée que
vous ai cité ce témoignage de l'Apôtre « De : par la nécessité de la défense, et j'en demande
« même que la mort est entrée par un homme, pardon à Celui dont l'infinie miséricorde nous
c'est par un homme aussi qu'a été accomplie donne l'espérance d'échapper à toutes les er-
«la résurrection des morts ». Que voulez- reurs des hérétiques.
vous de plus? Maintenant dites-moi pourquoi Fortunat. Vous nous avez accusé de faire
Celui à qui rien ne pouvait nuire nous a Dieu cruel, parce qu'il avait envoyé notre âme
envoyés ici-bas? sur la terre. Comment dire alors que c'est
Fortimat. Toute la question revient à savoir Dieu qui a créé l'homme, qu'il lui a inspiré
pourquoi l'âme est venue dans le monde, ou une âme, sachant bien à quelles douleurs elle
pourquoi Dieu cherche à délivrer cette âme serait exposée, sachant aussi qu'entraînée par
qui vit au sein de tous les maux. le mal elle perdrait à jamais son héritage? En

26. Augustin. C'est la question que je vous agissant ainsi, ou bien Dieu ignorait l'avenir,
pose; ou en d'autres termes, pourquoi DieUj ou bien il livrait l'âme à tous ces maux dont
à qui rien ne pouvait nuire, nous a-l-il en- ila été parlé. J'ai rappelé cet argument, parce
voyés sur la terre ? que vous venez de dire, il n'y a qu'un instant,
Fortunat. On nous demande pourquoi, si que Dieu avait adopté l'âme; or, adopter et
lemal ne pouvait nuire à Dieu, notre âme a créer, sont assurément deux choses diffé-
été envoyée ici-bas, ou pourquoi elle a été rentes.
mêlée à ce monde. La réponse est dans cette 29. Augustin. Je me rappelle en effet avoir
parole de rAjjôtre « Est-ce que le vase dit à
: parlé hier de notre adoption , d'après ce pas-
« celui façonne Pourquoi m'avez-vous
qui le ; sage de l'Apôtre, où il est dit que nous fûmes
« ainsi formé ? » Vouloir rendre raison d'une
' appelés à radoi)tion des enfants '. Cette réponse
chose, c'est se mettre dans l'obligation de de- n'est donc pas de moi, mais de l'Apôtre. Du
mander à Dieu pourquoi il a ainsi disposé de reste, nous traiterons de cette adoption quand
notre âme
sans y être contraint par aucune vous voudrez ;
j'en parlerai même sur-le-

nécessité. Mais si Dieu s'est trouvé dans la né- champ pourvu d'abord que vous ayez ré-
,

cessité d'envoyer notre âme sur la terre, il pondu à mes objections.


est tout naturel de conclure qu'il a aussi la Fortunat. Je disque l'âme fut envoyée pour
volonté de la délivrer. combattre la nature contraire, laquelle cepen-
27. Aiifjustin. Dieu est donc victime de la dant ne pouvait nuire à Dieu.
nécessité? 30. Augustin. Alors pourquoi ce combat, si
Fortunat. Ne prenez pas en mal ce qui a Dieu n'avait rien à craindre, si rien ne pou-
été dit, car loin de soutenir que Dieu soit vait lui nuire ?
victime de la nécessité, nous disons que c'est Fortunat. Etes-vous convaincu que Jésus-
volontairement et librement qu'il a envoyé venu sur l'ordre de Dieu?
Christ soit
notre âme ici-bas. Vous m'interrogez de nou-
3t. Augustin.
28. Aiifjuslin. Répétez ce que vous ivez dit veau répondez donc à mes questions.
;

plus haut. Fortunat affirma de nouveau S'il : Fortunat. C'est la foi qui m'enseigne que
y eut pour Dieu une nécessité véritable d'en- le Seigneur est venu sur la terre par la vo-

voyer l'âme sur la terre, il est tout naturel de lonté de Dieu.


trouver en lui la volonté de la délivrer. Au- 32. Augustin. Et moi je demande pour-
gustin ajouta S'il y eut pour Dieu une véri-
: quoi Dieu, qui est essentiellement tout-puis-
table nécessité d'envoyer l'âme sur la terre, il sant, inviolable, immuable, et à qui rien ne
est tout naturel qu'il ait la volonté de la déli- peut nuire, a envoyé notre âme, l'exposant
' Rom. a, 20. ' Ephes. I, 5.
SECONDE CONFÉRENCE. 81

ainsi à tant de misères, à l'erreur, et à toute Fortunat. Voilà pourquoi il rappelle à lui
sorte de souffrances ? nos âmes.
Fortunat. Il a été dit : « J'ai le pouvoir de 30. Augustin. S'il les relire du dérègle-
B donner mon âme, j'ai aussi le pouvoir de la ment, du péché, de l'erreur, de la misère,
« reprendre '». Pour le moment il a déclaré pourquoi les exposer à souffrir de si grands
que l'àme est venue daus ce monde par ia maux et pendant un temps si long c'est- ,

volonté de Dieu. à-dire jusqu'à ce que le monde unisse ;

33. Atifjiistin. Et moi je demande pourquoi quand cependant, répétons-le, rien ne pouvait
Dieu, à qui rien ne peut nuire...? nuire à Dieu?
Fortunat. Nous avons dit que rien ne peut Fortunat. Que puis-je répondre?
nuire à Dieu, en même temps que l'àme
et 37. Augustin. Je sais que vous n'avez rien
a été envoyée pour combattre la mauvaise à répondre. Quand j'étais votre disciple ,

nature et lui imposer des lois à peine celte ; je ne savais pas non plus ce que je pouvais
mission remplie. Dieu la rappelle à lui. Répé- répondre à cette question; voilà pourquoi une
tons cette parole : « J'ai le pouvoir de don- inspiration divine me détermina à quitter celte
« mon âme, et le pouvoir de la repren-
ner erreur et à me convertir à la foi catholique,
« ». C'est mon Père qui m'a accordé ce
dre ou plutôt à y rentrer; je ne dois ce bienfait
pouvoir de donner mon âme et de la repren- qu'à Celui qui n'a pas voulu me laisser pour
dre. Dieu qui parlait dans son Fils, de quelle toujours victime de ces mensonges. Puisque
âme parlait-il? Il est certain que c'est de la vous avouez que vous n'avez rien à répondre,
nôtre, de celle qui anime nos corps, laquelle il ne me reste plus, si l'on y consent, qu'à

n'y est venue que par sa volonté et en sortira exposer la doctrine catholique à la foule qui
aussi par sa volonté. nous écoute et qui me comprendi'a, puis-
34. Augustin. On
dans quel but et à
sait qu'elle est catholique.
quelle occasion Noire-Seigneur a prononcé Fortunat. Sans renoncer aucunement à
ces paroles: «J'ai le pouvoir de donner ma vie ma croyance, je me
propose d'exposer devant
«et le pouvoir de la reprendre» il annonçait ; nos maîtres les difûcultès que vous m'opposez;
sa passion prochaine et sa résurrection. Je vous je verrai alors la réponse qu'ils feront à la
demande donc de nouveau pouriiuoi Dieu, à question que vous m'avez adressée et que je
qui rien ne peut nuire, a envoyé nos âmes sur leur adresserai moi-même. Et comme je dé-
la terre ? sire délivrer mon âme par une foi véritable,
Fortunat. C'est pour imposer un frein à la je me ferai un devoir de vous suivre dans
nature mauvaise. la recherche de la vérité et dans l'exposé de
33. Augustin. Et le Dieu tout-puissant , la saine doctrine.
miséricordieux et souverain, pour imposer un Augustin. Grâces en soient rendues à Dieu.
frein à la nature mauvaise, nous a exposés à
tout le dérèglement des passions?
'
Jean, x, 18.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

S. AuG. — Tome XIV.


CONTRE ADIMANTUS
]\d:AIVICtIEEIV.

Adimantus, s'appuyant sur certaines contradictions apparentes entre divers passages do l'Ancien et du Nouveau Testament, en
concluait qu'ils n'avaient pu être dictés par un seul et même D'eu. Saint Augustin prouve que ces passages sont dans un
parfait accord.

CHAPITRE PREMIER. que la Genèse ne dit pas que c'est par le Fils
que Dieu a tout fait, on veut en conclure que
LES PREMIÈRES PAROLES DE LA GENÈSE.
le Fils est resté étranger à la création ; il faut
« Au commencement Dieu créa le ciel et la donc aussi conclure de l'Evangile que ce n'est
« terre » ,
jusqu'à ces mots : « Et du soir et du pas par le Fils que Dieu nourrit les oiseaux,
a matin se premier jour'». Dans leur
fit le et donne au lis son vêtement', et accomplit

folle extravagance les Manichéens ne craignent une foule d'autres œuvres semblables, que
pas de mettre en contradiction ce chapitre de Notre-Seigneur attribue à son Père sans
la Loi avec l'Evangile; ils soutiennent que ? Les Mani-
ajouter qu'il les réalise par son Fils
dans la Genèse il est écrit que Dieu créa par chéens vont plus loin encore. Citant ce passage
lui-même le ciel, la terre et la lumière, tandis de l'Apôtre relatif à Notre-Seigneur Jésus-
que dans l'Evangile il est dit que le monde a Christ « Il est le premier-né de toute créa-
:

été créé par Noire-Seigneur Jésus-Christ : « ture et tout a été fait par lui au ciel et sur
:

« Et le monde a été créé par lui, et le monde « la terre, les choses visibles et invisibles*», ils

« ne l'a pas connu ^ » Je leur oppose une triple


. soutiennent qu'il est en contradiction avec le
réfutation. Premièrement, dans ces paroles : chapitre de la Genèse où il est dit, sans au-
,

a Au commencement Dieu créa le ciel et la cune mention du Fils, que Dieu créa le monde.
« terre», le chrétien reconnaît la Trinité elle- Se peut-il une erreur plus profonde'? Com-
même, non-seulement le Père, mais aussi le ment alors ne pas voir que l'Apôtre se met en
Fils et le Saint-Esprit. En effet, nous ne croyons contradiction avec lui-même, quand il dit, dans
pas trois Dieux, mais un seul Dieu, Père, Fils un aulre endroit, en parlant de Jésus-Christ
et Saint-Esprit tout en proclamant que le
,
seul « De qui tout procède, par qui tout a été
:

Père est véritablement Père que le Fils est ,


« fait, en qui tout existe ^ ?» Et cependant il ne

véritablement Fils, que le Saint-Esprit est nomme pas le Fils. Mais quoique son nom ne
véritablement Saint-Esprit. Il serait trop long s'y trouve pas, n'y est-il pas suffisamment dé-

de discuter ici cette unité imposante de la signé? Il en est de même pour le passage de
Trinité. Secondementmots « Dieu dit ces : : la Genèse. 11 n'y a donc pas plus de contradic-

« Que nous prouvent


cela soit, et cela fut », tion entre la Genèse et l'Evangile, qu'il n'y en
clairement que c'est par le Verbe que tout a a entre ces deux i)assages de l'Apôtre.
été fait. Or, le Verbe c'est le Fils du Père.
Comment dès lors voir une contradiction entre CHAPITRE II.

cette parole de la Genèse « Et Dieu dit Que : :


LE REPOS DE DIEU.
« cela soit, et cela fut » et cette autre parole de ,

l'Evangile: «Le monde a été fait jiar lui», I. Nous lisons «Dieu accomplit le sixième
:

c'est-à-dire par Notre-Seigneur. Jésus-Christ G jour toutes lesœuvres qu'il avait faites, et il
n'esl-il pas en Verbe du Père, par t\u\
elfet le « se reposa le septième jour après avoir achevé
tout a été fait? Troisièmement enfin, si parce « tous ses ouvrages ' » . Ce passage est égale-
' Gen. I, 1-D. — ' Jean, i, Ki. ' Malt. VI, '26-30.— ' Col.l, 15, 16.— ' Koili. XI, 36.— * Gen. II, 2.
CONTRE ADIMANTUS. MANICHÉEN. 83

ment attaqué par les Manichéens. Dire avec aussitôt après la création du monde, de même
la Genèse que le septième jour Dieu se reposa ce repos, qui nous est promis, ne nous sera
après toutes les œuvres qu'il avait faites, c'est accordé qu'après les travaux de cette vie, si
évidemment contredire ce mot de l'Evangile : ces travaux sont justes nous n'en jouirons ;

a Mon Père jusque maintenant'». Une


agit qu'au septième jour, c'est-à-dire dans la der-
telle assertion est une pure calomnie. En effet, nière partie du siècle. Mais il serait trop long
dans l'Evangile, le Seigneur réfute l'erreur de développer cette pensée. Concluons seule-
des Juifs qui croyaient que Dieu se repose tel- ment que loin de contredire l'Ancien Testa-
lement depuis le septième jour, qu'il est dans ment, le Seigneur nous place uniquement
une inactivité absolue. Mais ce repos n'est dans la nécessité de le comprendre il ne dé- ;

autre chose que la cessation de l'action créa- truit pas le sabbat au point d'anéantir la figure
trice, sans que l'on puisse en conclure aucu- qui y était renfermée, il nous révèle plutôt le
nement que Dieu ait abandonné l'administra- mystère qui y était caché.
tion du monde. Il n'est pas dit que Dieu se
reposa de ses œuvres de manière à ne plus CHAPITRE 111.

faire quoi que ce fût mais seulement « Dieu ; :


LE SOMMEIL D'ADAM.
« se reposa de toutes les œuvres qu'il avait
«créées». L'action de Dieu n'a plus pour l. Nous lisons dans la Genèse « Dieu dit :

objet la création puisque la création est ter-


,
« aussi : 11 n'est pas bon que l'homme soit
minée, mais le gouvernement et la conserva- seul, faisons-lui une aidti. Et Dieu envoya à
tion de l'univers ; et telle est l'action conti- « Adam un profond sommeil, et lorsqu'il fut
nuelledont Jésus-Christ nous atteste l'existence. « endormi, il tira une de ses côtes, dont il
Du reste, ce repos ne peut être considéré « forma Eve qu'il présenta à Adam et Dieu ,

comme une pause après un travail Dieu ; « dit L'homme abandonnera son père et sa
:

cesse de créer la nature des choses, mais en « mère et s'attachera à sa femme » Les Mani- '
.

exerçant sur elle un travail incessant de gou- chéens prétendent que ce passage est en con-
vernement et de conservation. tradiction avec le Nouveau Testament, où nous
2. C'était donc dénaturer les observances lisons que Dieu forma la femme et l'unit au
du sabbat, de penser avec les Juifs que l'on premier homme; ensuite l'Evangile met sur
devait suspendre même que néces-
le travail les lèvres de Notre-Seigneur les paroles sui-
sitent la santé et la conservation de l'homme. vantes : « Celui qui quittera sa maison , ou
Voilà pourquoi dans d'autres circonstances « son épouse, ou ses parents, ou ses frères, ou
encore le Seigneur leur reproche ces exagéra- « ses enfants, pour le royaume de Dieu, rece-

tions, soit par la parabole du bœuf qui tombe « vra au centuple dès cette vie, et après la mort

dans un puits soit par la parabole de l'àne


, « il possédera la vie éternelle -». Cette attaque

que l'on délie pour le conduire se désaltérer m'élonnerait de la part des Manichéens, mais
au torrent -. Le sabbat n'a pas été détruit par je ne dois plus ni'étonnerde rien depuis qu'il
les chrétiens, seulement il ne fut plus observé a été dit « Leur luéchancelé les a aveuglés».
:

charnellement; les saints l'interprétant spiri- Du reste ,


combien de fois le Nouveau Testa-
tuellement y ont vu l'image du repos auquel ment ne formule-t-il pas la nécessité d'aimer
le Sauveur» nous convie par ces paroles : son épouse ? Au lieu de dire que l'Ancien
« Venez là moi, vous qui travaillez et je vous Teslament est en contradiction avec cette
« rendrai la force. Prenez mon joug et appre- maxime du Sauveur, qui conseille d'abandon-
« nez de moi que je suis doux et humble de ner sa femme pour le royaume des cieux, il
« cœur et vous trouverez le repos de vos
; serait plus facile de dire que le Nouveau Tes-
« âmes. Car mon joug est doux et mon far- tament est en contradiction avec lui-même.
« deau est léger ^ » C'est ce sabbat ou ce repos. Et en cela quel crime peut-il y avoir? Avant
que la sainte Ecriture symbolisait, et que les d'accuser témérairement, il serait beaucoup
Juifs ne comprenaient pas; ils n'en avaient mieux d'exercer sou intelligence et de cher-
que l'ombre tandis que le corps, c'est-à-dire
, chera comprendre ce qui, pour des ignorants,
la vérité devait nous en être révélée. De même paraît une contradiction.
donc que ce repos de Dieu nous est mentionné —
• Gen. u, 18-21. " Matt. xut, 29 ; Marc, x, 29-30 ; Luc, xïiii,
• Jean, y, 17. — ' Luc, xiv, 5, xlii, 15. — '
Malt, il, 28-30. 29-30.
84 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

2. Les Juifs clemnndaient au Seigneur si, elle-même ne doit plus être abandonnée pour
moyennant un écrit de répudiation, il était le royaume des cieux ? Oui, sans doute, c'est
permis de renvoyer sa femme. Jésus leur ré- Dieu qui unit la femme à son mari, et cepen-
pondit : a N'avez-vous pas lu que Celui qui a dant, si besoin femme doit être quittée
est, la

« créé l'homme les a faits homme et femme ; pour le royaume des cieux. Ce besoin n'existe
« et il Eu conséquence l'homme aban-
a dit : pas toujours, car l'Apôtre a dit : « Si un chré-
« donneia son père et sa mère pour s'attacher « tien a une épouse infidèle et que celle-ci
« à sa femme, et ils seront deux dans uneseule « consente à habiter avec lui, qu'il ne la ren-
« chair? Ils ne sont donc plus deux, mais une « voie pas '
». Cela signifie que si elle ne
a seule chair. Doue ce que Dieu a uni, que consent pas à habiter avec lui, c'est-à-dire si
« l'homme ne le sépare pas. Us lui dirent : elle a en horreur la foi chrétienne, si elle ne
« Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de peut supporter parce qu'il est chrétien, il
le
« donner un écrit de répudiation et de ren- doit la quitter pour le royaume des cieux ;
« Yoyersa femme? Jésus leur dit: C'est à raison c'est encore la décision du même Apôtre :

« de la dureté de votre cœur que Moïse vous a a Si la partie qu'on lainfidèle s'éloigne ,

« permis de renvoyer vos épouses mais il ; « laisse, car l'épouse ou l'époux chrétiens ne

« n'en était pas ainsi au commencement. Je « sont pas condamnés à la servitude en ce


« vous dis Quiconque répudiera sa femme,
: a point ». Si donc quelqu'un renonce au
a si ce n'est pour cause de fornication, la rend royaume des cieux plutôt que de renvoyer
« adultère et s'il en épouse une autre, il
; une femme qui ne peut tolérer un mari chré-
a commet l'adultère '
». Se pourrait-il une tien, le Seigneur le désapprouve; de même si,
confirmation plus formelle de l'Ancien Testa- au moyen du libelle de répudiation, un homme
ment, en réponse à l'ignorance des Juifs ? En répudie sa femme sans aucune cause de for-
même temps le Sauveur justifie Moïse, en dé- nication, ou sans se proposer le royaume des
clarant que c'est uniquement à cause de la cieux, Dieu le condamne. Il n'y a donc au-
dureté de leur cœur qu'il leur permit le di- cune contradiction entre ces deux chapitres
vorce. Prétend ra-t-on mettre l'Evangile en évangéliques, ni entre l'Evangile et l'Ancien
contradiction avec lui-même ? Peut-être les Testament. Partout, en effet, nous voyons
Manichéens vont-ils alléguer que ce chapitre que la femme est unie à son mari, dans le but
n'est qu'une addition faite par ceux qui ont que tous deux méritent la possession du
interpolé les saintes Ecritures c'est là en ; royaume des cieux; d'un autre côté et par la
effet la dernière ressource qu'ils emploient même raison, il est ordonné de renvoyer la
d'ordinaire quand ils ne savent plus que ré- femme, si elle est pour son mari un obstacle à
pondre. Mais alors pourquoi n'en dirait-on posséder le royaume des cieux.
pas autant du passage qu'ils citent en le met- 3. De là cet avertissement donné par l'Apô-
tant sur les lèvres du Seigneur « Quiconque : tre aux deux époux « Aimez vos épouses,
:

a abandonnera sa maison, ou son épouse, ou a comme Jésus-Christ a aimé son Eglise, car il
« ses parents, ou ses enfants pour le royaume a s'est livré à la mort pour elle. Que les femmes
« des cieux », etc.. ? L'erreur les aveugle tel- « soient soumises à leurs maris comme auSei-
lement, qu'ils ne comprennent pas que les a gneur » ; car l'Eglise est soumise à Jésus-
moyens qu'ils emploient pour se justifier ne Christ. Celte pensée n'est-elle pas celle qui est
tendent à rien moins qu'à renverser tout l'é- exprimée dans l'Ancien Testament, et dont ces
difice de la foi chrétienne. Or, la foi et l'ensei- malheureuxse raillent témérairement: a Voilà
gnement de l'Eglise catholique nous affir- a pourquoi l'homme quittera son père et sa

ment que ces deux passages sont la vérité « mère, pour s'attacher à son épouse, et ils

même, qu'ils ont été révélés par Dieu et qu'ils a seront deux dans une seule chair? » C'est de

n'impliquent aucune contradiction; car c'est ce mystère que parle l'Apôtre en ces termes :

Dieu qui forme l'union de l'homme et de la a Ce sacrement est grand je dis en Jésus- ,

femme, comme c'est lui qui autorise de quit- e Christ et en son Eglise » 11 ajoute a Cepen- . :

ter sa femme pour conquérir le royaume des a dant, que chaque mari aime sa femme comme

cieux. Parce que Jésus-Cbrist a ressuscité les a lui-même et que la femme craigne respec-
;

morts et leur a donné la vie, est-ce que li vie a tueusemenl son mari ^ ». Ailleurs il attri-
' Malt, xu, 3-fl. •
I Cor. VII, 12. - ' Eplies. v, 25, 22, 31-33.
CONTRE ADIMAMTUS, MANICHÉEN. 83

bue clairement à Dieu créateur et providence, « sang de votre frère crie de la terre jusqu'à
la nature et l'union des deux sexes : « Cepen- « moi. Vous serez maintenant maudit sur la
« dant, que la femme ne soit point sans son « terre qui a reçu le sang de votre frère lors-
« mari, ni le mari sans sa femme, dans le « que votre main vous faudra l'a répandu. Il

« Seigneur. Car comme la femme procède de « donnera que


cultiver la terre et elle ne vous
« l'homme, de même l'homme vient de la « des fruits stériles ». Ce chapitre, qui nous '

« femmemais tout vient de Dieu » Pour


:
'
. annonce que Caïn, maudit de Dieu, sera puni
peu que les Manichéens étudient ces textes, ils par la stérilité de la terre, n'échappe pas aux
cesserontde vouloir en imposer aux ignorants calomnies des Manichéens. En essayant de le
par des rapprochements trompeurs de textes mettre en contradiction avec l'Evangile, ils
qu'ils mettent fallacieusenient en contradic- me paraissent voir dans leurs auditeurs ou
tion lesuns avec les autres; ils comprendront leurs lecteurs plutôt des animaux aveugles
enfln que tout, dans l'Ancien comme dans le que des hommes ; ils abusent cruellement de
Nouveau Testament, a été inspiré et dicté par l'ignorance profonde et du déplorable aveu-
le souffleunique du Saint-Esprit. glement de leurs adeptes. En effet, à ce pas-
Dans l'Ancien Testament le prophète
4. sage de la Genèse ils opposent ces lignes de
Isaïe déroule les plus belles promesses en fa- l'Evangile, où le Sauveur parlant h ses disci-
veur de la virginité dans le Nouveau Testa- ; ples leur dit : « Ne vous inquiétez pas du len-
ment, le Seigneur la comble de semblables élo- « demain ; car ce lendemain se suffira à lui-
ges quand, parlant de la virginité volontaire, « même. Voyez les oiseaux du ciel, ils ne sè-
embrassée pour le royaume des cieiix, le Sei- « ment ne moissonnent point, ils
point, ils

gneur ajoute o Que celui qui peut compren-


: « n'entassent rien dans des gi'eniers - ». Est-

« dre, comprenne - ». Voici les paroles d'Isaïe : ce que nous allons comparer Caïn fratricide
« Le Seigneur dit aux eunuques qui observent aux disciples de Jésus-Christ? parce que ce
« mes commandements ,
qui accomplissent meurtrier a mérité que la terre lui fût stérile,
>,< ma volonté et qui sont dignes de mon al- faut-il conclure que la même stérilité devait

« liance : Je leur réserverai dans ma demeure frapper ceux qui, en suivant Notre-Seigneur
« et dans mon palais une place distinguée, Jésus-Christ, se préparaient à la prédication
« plus belle que celle des enfants et des flUes; de l'Evangile ? Ces deux chapitres, l'un delà
«je leur donnerai un nom éternel qui ne se Genèse, l'autre de l'Evangile, loin d'être en
« ternira jamais ' » Sans doute Dieu, dans . contradiction ont entre eux la corrélation
,

ses décrets éternels sur la distribution des lu plus Qu'un frère , meurtrier
parfaite.
temps, avait condamné le peuple de l'Ancien de son frère, voie ses travaux sur la terre
Testament à marcher dans les omlires et les frappés de la stérilité la plus complète, quoi
figures en attendant la venue du Sauveur ;
de plus juste? mais que des hommes qui,
cependant les enseignements et les prophé- par le ministère de la parole, travaillaient
ties de l'Ancien Testament étaient assez clairs à la délivrance de leurs frères, n'aient pas à
et assez complets pour qu'on puisse affirmer s'occuper du lendemain, que la terre pour
que l'on trouve dans ce Testament au moins eux féconde leur prodigue ses dons, quoi de
le germe de toute la doctrine apostolique avec plus naturel? Si les Manichéens sont saisis
ses promesses et ses préceptes divins les plus d'horreur parce que la terre devient stérile
relevés et les plus sublimes. Disons seulement pour un criminel maudit de Dieu pourquoi, ;

que les saintes Ecritures demandent, non pas dans le Nouveau Testament, ne pas avoir en
des accusateurs téméraires et orgueilleux, horreur la malédiction lancée par Notre-Sei-
mais des lecteurs intelligents et pieux. gneur contre le figuier stérile ', sans que
son maître fût coupable de cette stérilité ?
CHAPITRE IV. S'ils entendent avec bonheur Jésus invitant

ses disciples à ne pas se tourmenter du lende-


LA MALÉDICTION DK CAÏN. main, parce que Dieu prendra soin de leur
nourriture, pourquoi ne pas se réjouir égale-
Nous lisons dans la Genèse : « Le Seigneur ment de cette sentence prophétique : « Jetez

« dit à Caïn : Qu'avez-vous fait? La voix du « en Dieu toute votre sollicitude et il vous
' 1 Cor. XI, 11, li. — ' Matt. xix, 12. — ' Isàie, Lvi, 4, 5. •
Gen. IV, 10, 1-'. — ' Malt, vi, 34, 26. — '
Matt. x.\i, 19.
86 CONTRE AD1MANT[TS, MANICHÉEN.

« nourrira ? » Comment donc ces malheu-


'
lement désigné par ces mots « H n'a pas per- :

reux ne comprennent-ils pas que les oracles « sévéré dans la vérité » de leur côté, les Juifs ;

divins qu'ils abhorrent dans l'Ancien Testa- n'ont pas persévéré dans la vérité de la loi
ment, sont si réellement la vérité même que qui leur avait été donnée, c'est le Seigneur
nous les rencontrons dans le Nouveau Testa- lui-même qui nous l'atteste «Si vous croyiez :

ment? Ce que celui-ci loue et enseigne, l'autre « à Moïse vous me croiriez aussi, car il a écrit
le prêche également il est donc évident pour : « de moi ». Enfin, ce sont aussi leurs péchés
'

tout homme sensé que les deux Testaments qui leur ont attiré la dénomination de race
présentent entre eux l'accord le plus parfait. de serpents et de vipères.
2. Ce n'est pas la Genèse seule, mais aussi
CHAPITRE V.
l'Apôtre, qui proclame que l'homme a été fait

l'homme créé a l'image de dieu. à l'image de Dieu « L'homme, dit-il, ne doit :

« point se voiler la tète, puisqu'il est l'image


I Nous
. lisons dans le Genèse : « Faisons a et la gloire de Dieu ; la femme est la gloire de
« l'homme à notre image et à notre ressem- « l'homme* ». Et afin que nous comprenions
« blance^ ». Dans ce passage, où il est dit que clairement que ce n'est pas en raison de l'an-
l'homme ressem-
fut créé à l'image et à la cienne corruption du péché, mais à raison
blance de Dieu, les Manichéens trouvent une de sa conformation spirituelle, que l'homme a
contradiction avec ces paroles de l'Evangile, été créé à l'image de Dieu, le môme Apôtre
adressées par le Sauveur aux Juifs « Vous êtes :
nous avertit de dépouiller l'habitude du pé-
a les enfants du démon et vous voulez accom- ché, c'est-à-dire le vieil homme, pour revêtir
« plir les désirs de votre père il fut homicide :
la vie nouvelle de Jésus-Christ, qu'il appelle
« dès le commencement et ne persévéra pas l'homme nouveau. 11 donne à ce change-
a dans la vérité, parce que la vérité n'est pas ment le nom de rénovation afin de nous ,

« en lui^». Ailleurs, les Juifs sont appelés race faire mieux comprendre que cette vie surna-
de serpents et de vipères *. Nos hérétiques ne turelle avait été perdue précédemment. Voici
veulent pas comprendre que les paroles de la ses paroles : le vieil homme avec
« Dépouillant
Genèse s'appliquent à l'homme avant son pé- « ses actes, revêtez l'homme nouveau, qui est
ché, et qu'alors il fut ci'éé à l'image et à la a renouvelé en vous, pour vous amener à la
ressemblance de Dieu ; tandis que ce mot de « connaissance de Dieu, qui a créé l'homme
l'Evangile «Vous êtes les enfants
: du démon », «à son image" ». Les véritables enfants de
s'applique aux pécheurs et aux infidèles. En Dieu, ce sont donc les hommes qui ont été
effet, les saintes Ecritures prennent ce nom de renouvelés à son image, et lui sont devenus
fils dans trois acceptions différentes : d'abord semblables, jusqu'à aimer leurs ennemis car ;

à raison de la nature ; c'est ainsi que l'on dit le Seigneur nous ordonne d'aimer nos enne-
d'Isaac qu'il est le fils d'Abraham, ainsi (]ue mis, si nous voulons ressembler à notre Père,
les Juifs qui descendaient de la même ori- qui est au ciel'. Or, Dieu lui-même, dans l'Ecri-

gine: ensuite, à raison de la doctrine, en sorte ture, nous enseigne que nous avons reçu ce
que le maître devient
le père de celui qu'il pouvoir «Il leur a donné le pouvoir de deve-
:

enseigne en ce sens que l'Apôtre appelle


; c'est « nir enfants de Dieu * ». Quant aux enfants du
ses enfants ceux qui ont reçu de lui lEvan- démon, ce sont les hommes qui imitent son
gile^: enfin à raison de l'imitation, c'est ainsi orgueil impie, perdent les clartés et la splen-
que l'Apôtre dit de nous que nous sommes les deur de la sagesse et ne croient pas à la vérité ;

enfants d'xVbraham, parce que nous imitons c'est à eux que le Seigneur adresse ce repro-
sa foi '. Or, les Juifs rebelles et pécheurs méri- che: «Vous êtes les enfants du démon», etc. Le
tent à un double titre la dénomination d'en- prophète fait écho à cet oracle évangélique :

fants du démon ; d'abord parce qu'ils ont «J'ai dit: Vous êtes des dieux et les enfants
appris de lui l'erreur et l'imi)iété, car c'est du « du Très-Haut ;
quant à vous, vous mourrez
démon que l'Apôtre dit : « H agit maintenant « comme de simples hommes, vous tomberez
'
dans les enfants de l'impiété » ; ensuite, « comme l'un des princes * ».
parce qu'ils l'imitent, et c'est ce qui est spécia-
'
Jean, v, 46. — ' I Cor. xi, 7. —
' Colos. ni,
9, 10. ,\lalt. V,

' Ps. Liv, 23. — ' GcLi. I, 26. — ' Jean, viir, 11. — '
Malt, m, 7,
1 1, .15. - ' Jean, 1, 12. —' Ps. L.\XX', li, 7.

xxiii, 33. — ' 1 Cor. IV, 11, 15. — ' Gai. m, 7. — '
Ephes. u, 2.
.

CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 87

CHAPITRE VI. « votre alliance ». Si donc le Nouveau Testa-


'

ment commande l'amour pour les parents,


HONNEUR DU AUX PARENTS.
et si abandonner dans
l'Ancien ordonne de les

Nous lisons dans l'Exode Honore ton : « certaines circonstances, qu'un par- il est clair
« père et ta mère » A ce passage relatif au '
. fait accord règne entre ces deux dépôts de la
respect dû aux parents, les Manichéens oppo- révélation.
sent les paroles suivantes, adressées par le
CHAPITRE VH.
Sauveur à un homme qui lui demandait d'al-

ler d'abord ensevelir son père « Laissez les :


DIEU SE VENGEANT DU PÉCHÉ DES PARENTS.
« morts ensevelir leurs morts quant à vous, ;

« venez et annoncez le royaume de Dieu - » 1. Nous lisons dans l'Exode: « Je suis le

Il faut supposer ici ce qui a été dit plus haut, « Dieu zélateur, faisant retomber sur les en-
(|uand il s'agissait de se séparer d'une épouse. « fants, jusqu'à la troisième et la quatrième

De même donc que cette séparation ne doit se « génération, les péchés des parents qui m'ont

faire que pour le royaume de Dieu, c'est aussi «haï-B. Les Manichéens prétendent que le
à cause de la prédication du royaume de Dieu, contraire est proclamé dans l'Evangile par le
que nous devons honorer nos parents el que Sauveur lui-même « Soyez bons comme :

nous ne leur manquons pas de respect en les « votre Père céleste, qui fait lever son soleil

quittant. Si cette maxime de l'Evangile était en « sur les justes et sur les pécheurs ' » et ;

contradiction avec TAncien Testament, cette ailleurs « Non-seulement vous pardonnerez


:

contradiction s'appliquerait aussi à l'Apôlre « sept fois à votre frère coupable, mais jus-
saint Paul, qui ordonne aux enfants d'honorer « qu'à septante-sept fois' ». Cependant quand
leurs parents, et aux parents d'aimer leurs je demande à ces hérétiques si Dieu ne punit

enfanis ^ Le Seigneur serait également en pas ses ennemis , ils se sentent troublés.
contradiction avec lui-même, une telle sup- — Car enseignent eux-mêmes que Dieu pré-
ils

position serait un crime car, dans une cir- — pare une prison éternelle à la nation des ténè-
constance, s'adressant àcelui qui lui demandait bres, nation qu'ils disent être l'ennemie de
ce qu'il faut faire pour entrer dans la vie éter- Dieu. Bien plus, ils n'hésitent pas à avouer
nelle, il lui ré|>ondit « Si vous voulez entrer : que Dieu punira même ses membres et les

« dans la vie éternelle, observez lescomman- confondra avec cette nation des ténèbres. Mais
« déments», et parmi ces commandements, il se trouvent-ils en face des chapitres de l'An-
rappelle celui-ci «Honorez votre père etvotre
: cien et du Nouveau Testament, pour mieux
« mère » en accomplissant ces comman-
. C'est tromper les simples, et afin démettre en con-
dements, que l'on développe en soi l'amour tradiction ces chapitres, ils s'adjugent aussitôt
de Dieu, et c'est dans l'amour que réside toute une bonté excessive. Qu'ils nous apprennent
la perfection. En effet, l'amour du prochain donc quels sont ceux à qui le Seigneur dira
n'est qu'un degré de la charité envers Dieu. un jour: «Allez au feu éternel, qui a été pré-
Voilà pourquoi, quand ce jeune homme eut « paré pour le démon et ses anges'* eux qui »,
répondu qu'il avait observé tous les comman- soutiennent qu'il [lardonne à tous ne et qu'il
dements, le Sauveur ajouta qu'il ne lui man- réprouve personne Concluons donc que ce !

quait plus qu'une chose pour être parfait, n'est que justice de la part de Dieu de faire
vendre tout ce qu'il avait, en donner le prix retomber les péchés des parents sur les enfants
aux pauvres et marcher à sa suite '. Il suit de qui le haïssent. Ces derniers mots nous font
là que
respect des parents doit être observé
le comprendre que les enfants seront punis pour
dans degré qui lui est propre cependant
le ; les péchés mêmes de leurs parents, s'ils les
si les parents deviennent un obstacle à l'acqui- imitent dans leur vie criminelle. Ce châtiment
sition de l'amour divin, il est hors de doute n'est pas de la cruauté, mais simplement de
qu'on doit s'en séparer. L'Ancien Testament la justice, puisqu'ils ne sont punis que pour
porte « Celui qui dit à son père ou à sa mère
: : leur iniquité même, suivant cette parole du
« Je ne vous connais pas, ou celui qui ne re- Prophète: «Le Saint-Esprit, qui enseigne
« connaît pas ses enfants, prouve qu'il connaît « toute science, fuit le déguisement, il se re-

'
Ks. xs, \2. — ' Luc, IX, 39, 60. — '
Ephes. VI, 2-4 ; Colos. m, ' Deut. .\-.\xiii , 9. — ' Exod. xx , 5. — ' MaU. v, 15. - '
Malt.
•M, -Jl. — ' Matt. .\li, 17-21. XVIIC, 22. - • Id. XXV, 41.
88 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN,

« lire des pensées qui sont sans intelligence, l'Ancien Testament. Nous devons y voir une
a et si l'iniquité survient, il se retire ' » ; en pressante invitation de Dieu à nous livrer à
d'autres termes : l'hoinine sera puni par l'ini- la pénitence, suivant cette parole de l'Apôtre:
quité même dont il rendra coupable, quand
se Ignorez-vous que la patience de Dieu vous
l'Esprit-Saint se sera retiré de lui. Et dans un « invite à la pénitence ? » Toutefois gardons-
autre passage: «Ils ont ces pensées et ils se nous d'en conclure que Dieu s'abstiendra de
« sont égarés, parce que leur propre malice les punir ceux qui, toujours selon le même apô-
a a aveuglés ^ ». Et encore a Chacun est en- : tre, « s'amassent un trésor de colère pour le

« chaîné dans les liens de ses propres pé- « jour de la vengeance et de la révélation du
« chés' B.Ces passages de l'Ancien Testament «juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun
«Dieu
sont confirmés par celui-ci de l'Apôtre : « selon ses œuvres ». Cette patience et celle
'

« les a abandonnés aux concupiscences de bonté de Dieu, le Prophète les proclame en ces
leur cœur S). Cet accord des deux Testa- termes « Vous les épargnez tous, parce que
:

ments prouve que Dieu n'est pas cruel et que B tout vient de vous et que vous aimez les

c'est sévir contre soi-même que de se livrer a âmes - ». Et combien d'autres circonstances

au péché. dans lesfiuelles les deux Testaments célèbrent


2. Quand Dieu annonce qu'il poursuivra sa à l'envi la miséricorde et la justice de Dieu !

vengeance jusque sur la troisième ou la qua- 4. Ce qui les trouble, serait-ce ce mol a Je :

trième génération, il indique uniquement a suis jaloux? » Qu'ils se troublent donc aussi

que depuis Abraham, le père du peuple juif, de ces paroles de l'Apôtre a Je suis jaloux de :

il s'est écoulé quatre âges successifs, que saint a vous, de toute la jalousie de Dieu, car je

Matthieu distingue parfaitement ^ Le premier, a vous ai fiancés à un seul homme, pour faire

depuis Abraham, s'étend jusqu'à Deivid ; le a de vous une vierge chaste de Jésus-Christ"» .

second, depuis David jusqu'à la captivité de La sainte Ecriture, empruntant notre mode
Babylone le troisième, depuis la captivité de
;
de langage, prouve ainsi que l'on ne peut
Babylone jusqu'à la venue de Jésus-Christ; rien dire qui soit digne de Dieu. S'agit-il de
enfin le quatrième embi'asse toute la suite des sa majesté souveraine, toute expression pour

siècles jusqu'à la fin du monde ; cet âge em- la dépeindre reste impuissante, parce qu'elle

brasse pour ainsi dire la vieillesse du monde surpasse infiniment toutes les ressotirces du
et sera le plus long de tous. Ces âges sont langage. De même donc que l'on nomme
désignés par le mot générations, quoique jalousie la sollicitude dont les maris entou-
chaque âge renferme plusieurs générations. rent la chasteté de leurs femmes, l'Ecriture
Le troisième commence à la captivité de Ba- désigne aussi sous ce nom la puissance et la
bylone et va jusqu'à la venue du Sauveur; justiceque Dieu déploie pour réprouver et
pendant le quatrième, c'est-à-dire depuis l'ar- punir la fornication des âmes. Une âme se
rivée du Messie, la nation juive a été arrachée rend coupable de celte fornication, quand elle
de son propre sol, et voilà ce qui nous explique prend en horreur la fécondité de la sagesse et

comment il est dit que Dieu poursuit sa ven- qu'elle aspire à enfanter les jouissances men-
geance contre les péchés des parents jusqu'à songères corrompues du siècle.
et

la troisième et la quatrième génération des 5. En disant que l'on doit pardonner à son

enfants, et en cela, il n'y a que justice, puisque frère, non pas sept fois, mais septante-sept

ces enfants, plutôt que de marcher dans la jus- fois, le Sauveur suppose que le coupable

lice, ont préféré suivre la voie criminelle se repent de sa faute. Il se venge du péché,

tracée par leurs parents.D'un autre côté, le mais c'est contre ceux qui le haïssent, et non
prophète Ezéchiel nous montre clairement contre ceux qui se réconcilient par la péni-
que les péchés du i)ère ne sont aucunement tence. N'a-t-il pas dit par son prophète : a Je
attribués à l'enfant". a ne veux pas mort du pécheur, mais qu'il
la

Quant à celte maxime de l'Evangile


3. : a se convertisse et qu'il vive'?» Soit donc
« Soyez bons comme votre Père céleste, qui fait qu'il s'agisse de la patience avec laquelle Dieu
a lever son soleil sur les justes et les pécheurs» , invite à la pénitence, soit qu'il s'agisse du
elle n'est nullement en contradiction avec pardon qu'il accorde à ceux qui se convertis-

'
Sag. 1 , 5. — '
Id. II , :!!.— '
l'rov. v, T2. '
Rom. 1 , 21. — '
Rom. II, 4 , 5. — ' Sag. xi ,
27. — ' Il Ci,r. XI , 2. — • Ezecb.
'
Malt. 1, 17. — ' Eîcch. xvui, H, 17. XVII], 23, xxxni, 11.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHEEN. 89

sent, soit enfin qu'il s'agisse de la justice avec « celui qui le frappe, il sera rassasié d'oppro-
laquelle il punit ceux qui ne veulent pas se « bres '
». De là on peut conclure que la dé-
repentir, on voit clairement que sur tous ces fense portée contre les hommes charnels, de
points les deux Testaments n'offrent pas l'om- pousser la vengeance plus loin que l'injure,
bre même d'une contradiction, ce qui prouve et lepardon absolu et sans condition sont,
qu'ils sont tous deux le fruit de la même ins- non-seulement prescrits par le Nouveau Tes-
piration. tament, mais encore prédits dans l'Ancienne
CHAPITRE VIII. AlUance.
CHAPITRE IX.
ŒIL POUR ŒIL, DENT POCR DENT.
DIEU PARLE ET APPARAÎT AUX HOMMES.
Nous lisons dans l'Exode « OEil pour œil, :

«dent pour dent ». Les Manichéens, à la '


1. Il est écrit que Dieu parla à Adam et à
vue de ces signes de vengeance permis par la Eve, au serpent, à Caïn et aux patriarches ^
;

loi, s'indignent et soutiennent que le contraire il apparut même à plusieurs, et se montra


est clairement enseigné dans l'Evangile. En visiblement à eux. Ces faits se trouvent consi-
effet, le Sauveur a dit lui-même «Vous savez : gnés dans différentes pages des saintes Ecri-
« qu'il a été dit aux anciens OEil pour œil, : tures. Or, les Manichéens s'indignent contre
« dent pour dent; et moi, je vous dis de ne ces récits, et prétendent qu'ils sont contraires
point opposer la violence à celui qui vous au Nouveau Testament, où nous lisons: aPer-
« fait du mal si quelqu'un vous frappe sur
; « sonne n'a jamais vu Dieu, si ce n'est son

« une joue, présentez-lui l'autre quiconque ;


« Fils unique qui est dans le sein du Père
;

« veut disputer contre vous et vous enlever « c'est lui qui nous a parlé du Père ' ». Il dit

« man-
votre tunique, abandonnez-lui votre encore aux Juifs « Vous n'avez pas entendu :

« teau Sur cette matière, nous signalons


' ». « sa voix, et vous n'avez pas vu sa face, et
en effet une différence entre les deux Testa- « vous n'avez pas sa parole en vous, parce que

ments, en affirmant néanmoins qu'ils sont a vous n'avez pas cru à Celui qu'il a envoyé'».

révélés par un seul et même Dieu. D'abord il A cette objection nous répondons que ces ,

n'étaitque trop naturel à des hommes char- paroles de l'Evangile « Personne n'a jamais :

nels, de porter la vengeance beaucoup plus « vu Dieu, si ce n'est le Fils qui est dans le
loin que ne l'avait été l'injure dont ils se « sein du Père et qui nous a parlé de lui
»,
plaignaient; voilà pourquoi on établit comme résolvent à elles seules toute la question. En
premier degré de douceur que la vengeance effet,le Fils, qui est le Verbe de Dieu, non-
ne dé^jasserait pas la mesure de l'offense. seulement dans ces derniers temps, où il
C'était assez dans certaines circonstances , apparut aux hommes revêtu de notre huma-
pour que l'offensé, qui d'abord ne pouvait nité, mais dès la création et souvent depuis, a
supporter l'injui'e, se sentît porté à la par- révélé à qui il l'a voulu les secrets du Père
donner. Le Sauveur, par les enseignements soit par
langage, soit par les apparitions,
le
de l'Evangile, apporta une augmentation de soit par l'intermédiaire de la puissance angé-
grâce qui devait produire une paix plus solide lique, soit par l'entremise de toute autre créa-
entre les hommes il ajouta donc un second
; ture. Or, il est certain qu'il est la vérité en tout
degré pour parvenir à la douceur, en pro- qu'il est le fondement de
tout, que tout obéit à
mettant que celui qui jusque-là n'avait appris ses ordres et lui est
soumis. Et cependant en
qu'à proportionner la vengeance à l'injure, tant qu'il est Dieu, en tant qu'il est le Verbe
se trouverait heureux de une condona-
faire du Père, coéternel à son Père, immuable et
tion pleine et entière de l'outrage reçu. Dans l'auteur de la création tout entière, ne peut il

l'Ancien Testament, le Prophète annonce déjà être vu que par un cœur parfaitement pur et
ce pardon généreux : « Seigneur mon Dieu, simple. Voilà pourquoi dans certains pas- ,

« si j'ai fait cela , si l'iniquité est dans mes sages, l'Ecriture nous dit qu'un ange apparut
« mains, si j'ai rendu le mal pour le mal ^ o. quand c'est Dieu lui-même qui apparaissait ^
L'n autre prophète dit de l'homme qui sup- Ainsi, dans la lutte que soutint Jacob, il n'est
porte patiemment les injures, sans chercher à question que de l'apparition d'un ange *. Le
en tirer vengeance « 11 |)résentera sa face à :
' Tbreo. III, 30. - ' Gen. m, 17, iiii, etc. -- >
Jean, _
' Exod. Xïl, 21. — =
Matl. v, 3S, 40. — ' Ps. vu, 1, 5. ' Id. V, 37, 38. — ' Gen. xviii, 1, '2. — ' Id. .cxïiif'21 3u.
i,' 18.
90 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

Seigneur apparut à Moïse dans le buisson « possédais en vous, avant que le monde fût
ardent '
plus tard il lui parla encore dans le
;
« créé » ; aussitôt retentit cette voix du ciel :

désert, après la sortie d'Egypte, en lui donnant « Et je l'ai glorifié et je le glorifierai '
». Une
la Loi sur le Sinaï \ Mais soit qu'il s'agisse du multitude de Juifs ont entendu cette voix, et
buisson ardent où Moïse reçut sa mission, soit cependant on ne peut pas dire qu'ils l'ont
du Sinaï où il reçut la Loi, saint Etienne, dans écoutée, puisqu'ils ont refusé de croire. Ainsi
les Actes des Apôtres , se contente de dire nous ne nous étonnons pas que le Verbe,
qu'un ange apparut à Moïse '. J'insiste sur ce c'est-à-dire le Fils unique de Dieu, quand il
point afin de dissiper l'erreur de ceux qui nous révèle les secrets de son Père se mani- ,

oseraient soutenir que le Verbe de Dieu, par feste, tantôt par lui-même, tantôt par le

qui tout a été fait, peut être circonscrit dans moyen des créatures, tantôt par la parole,
un espace , et apparaître visiblement , sans tantôt par une apparition , ce qui n'empêche
emprunter forme d'aucune créature visible.
la nullement qu'il puisse être vu, et son Père en
En effet, de même que c'est la présence réelle lui, par le cœur pur «Bienheureux ceux :

du Verbe de Dieu dans un prophète qui per- « qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront
met à celui-ci cette formule Dieu a dit, : «Dieu* Pourquoi s'élonnerait-on davan-
».

puisque le Verbe de Dieu, Jésus-Christ, pro- tagedu règne entre les té-
parfait accord qui
clame la vérité par l'organe du prophète de ; moignages des deux Testaments?
même c'est lui qui parle dans l'ange, quand
celui-ci annonce la vérité. On peut donc dire
CHAPITRE X.

alors et en toute justice Dieu a dit; Dieu est :


LA CONSTRUCTION DU TABERNACLE.
apparu ; comme aussi : L'ange a dit, l'ange
est apparu. D'un côté, on envisage la personne Le Seigneur Dieu dit à Moïse : « Ordonnez
même de Dieu sous la forme de l'ange de ;
« aux enfants d'Israël prenez : les prémices
l'autre on a particulièrement en vue la créa- « que tout homme doit m'olTrir et que vous
ture, qui n'est alors qu'un instrument docile. « me destinez, c'est-à-dire de l'or, de l'argent,

C'est dans ce sens que l'Apôlre a dit de lui- « de l'airain de la pourpre de l'écarlate du
, , ,

même Voulez-vous mettre à l'épreuve


: « « lin fin, des poils de chèvre, des peaux de

« Jésus-Christ qui parle en moi ' ? » « mouton teintes en rouge, des bois en entier,
2. On s'étonnera peut-être que dans l'An- ,
« de l'huile pour entretenir les lampes, des
cien Testament, Dieu parle même aux pé- « parfums , des pierres précieuses , c'est-à-

cheurs, à Adam,
ou au serpent. Mais à Eve, « dire des bérils ; et construisez un taber-

dans le Nouveau Testament ne voyons-nous « nacle par lequel je pourrai habiter avec

pas le Seigneur s'entretenir avec l'homme « vous'». A ce sujet les Manichéens soulèvent

insensé et cupide « Insensé, votre âme vous : une question et prétendent que ce passage de
sera enlevée cette nuit pour qui donc tous ;
l'Ecriture est contraire à ce que le Seigneur

« cestrésors que vous avez amassés'*?» La vérité dit dans l'Evangile a Vous ne jurerez ni par :

ne cesse de retentir aux oreilles des pécheurs; « le ciel ,


parce qu'il est le trône de Dieu , ni

or, ([uel (juc soit l'organe dont elle se serve, « par la terre, parce qu'elle est l'escabeau de
elle n'a jamais d'autre origine que Celui qui «ses pieds* ». Ils établissent ensuite, à
est la vérité même. Ces paroles adressées aux grands frais d'éloquence, l'argumentation sui-
Juifs « Et vous n'avez pas entendu sa voix »,
: vante Comment ce Dieu dont le ciel est le
: ,

signilient donc (lue ces hommes endurcis trône, et la terre l'escabeau ,


peut-il habiter

n'ont pas encore accompli ce qui leur était dans un tabernacle construit avec de l'or, de
commandé.» Vous n'avez pas vu sa face», l'argent de l'airain de la i)0urpre des poils
, , ,

et en etlet cette vision n'est pas possible sur la de chèvre et des peaux d'animaux? Us invo-
terre. « Et sa parole ne demeure pas en vous », quent, comme preuve, le témoignage de saint
car là où hai)ite la parole de Dieu, Jésus-Christ Paul, qui déclare que Dieu habite une lu-
habite et Jésus-Christ a été rejeté par les
,
mière inaccessible ^ Nous posons à notre tour
Juifs. Le Sauveur venait de s'écrier: «Mon la même
question en l'appuyanl de i)assages
«l'ère, gloriiiez-moi de cette gloire que je de l'Ancien et du Nouveau Testament. Nous y

' l:^u^l. m, •-'. — Ml. Ai.v, :j. '


Acl. Vil, 30, 33. Il Coi. '
.Icdll, XII, liB, -Wil, 3. - '
.MdU. ICxuii. .V.W, 2, S.

xiii, 3- — ' Luc, X(i, l'i. '


Mail. V, M, 3j. — ' I Tim. , IG.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 91

lisons : « Le mon trône et la terre


ciel est , l'Exode : « Vous n'adorerez pas des dieux
« l'escabeau de mes pieds ; quelle demeure « étrangers » . Et dans cette parole
ils trouvent

« me construisez-vous, ou quel sera le lieu de la «Votre Dieu est appelé


raison de celles-ci :

a rnon repos? Est-ce que toutes ces œuvres a un Dieu jaloux, car il est jaloux d'une grande

ne sont pas sorties de ma main ?» Voilà donc ' «jalousie ». Comment donc aimerions-nous
dans l'Ancien Testament des paroles qui prou- un Dieu jaloux, à qui la jalousie seule inspire
vent que Dieu n'habite pas dans les temples de nous défendre d'adorer des dieux étrangers?
construits de main d'homme et cependant , Ils trouvent ainsi dans ces paroles une contra-

le Fils de Dieu, faisant un fouet avec des diction formelle avec ce passage de l'Evan-
cordes chassa du temple ceux qui vendaient
, gile : « Père juste , le monde ne vous connaît
ou achetaient des bœufs et des colombes et , « pas' ». Comme si Dieu ne pouvait être juste
renversa les tables des changeurs en s'écriant: qu'autant qu'il veut bien nous [lermettre d'a-
« La maison de mon Père sera appelée une dorer des dieux étrangers. Ils soutiennent
a maison de prière et vous en avez fait une , donc qu'un Dieu juste et un Dieu jaloux, ce
« caverne de voleurs- ». Si donc on s'obstine sont là deux choses absolument inconciliables;
à opposer l'un à l'autre ces deux chapitres et ils trompent une
avec ce raisonnement
pour tromper les ignorants si l'on soutient ,
foule de malheureux qui ne comprennent pas
que dans l'Ancien Testament Dieu, avec le ,
que toute espérance de salut pour nous, ne
ciel pour trône et la terre pour escabeau ,,
nous peut venir que de cette jalousie même
nous est représenté si grand qu'il ne peut ha- de Dieu. En eflet, cette expression ne nous
biter dans un temple fait de main d'homme ,
révèle autre chose que la divine Providence
tandis que l'Evangile nous montre ce même qui ne peut souffrir qu'une âme se livre im-
Dieu fixant sou séjour dans des demeures punément à la fornication de l'impiété , selon
bâties par les hommes est-ce que forcés par ; ,
cette parole du Prophète « Vous perdrez :

l'évidence les Manichéens ne conviendront


,
« tous ceux qui se rendent coupables de for-
pas enfin que cette demeure construite par « nication contre vous ». De même que cette -

les hommes à la gloire de Dieu n'a pas, dans expression La colère de Dieu, signifie non pas
:

les deux Testaments


une signification parti- ,
le trouble de l'âme, mais le pouvoir de tirer
culière?Ne comprendront-ils jamais que ces vengeance du mal de même la jalousie en ;

deux Testaments proclament hautement que Dieu n'est nullement ce cruel tourment qu'un
si Dieu habite dans ces temples de main époux éprouve à l'égard de son épouse ou une
d'homme, il ne peut y être ni contenu ni en- épouse à l'égard de son époux mais unique- ,

fermé ? ment cette calme et absolue justice qui éloigne


CHAPITRE XI. le bonheur de toute âme qui se laisse cor-
rompre par des opinions fausses et criminelles.
DIEU SE VE>GE DE l'IDOLAIRIE.
Comment u'auraient-ils pas horreur de ces
Nous hsons dans l'Exode : « Vous n'adorerez paroles, eux qui ne voient aucune parole qui
a pas des dieux étrangers »; et ailleurs: a Votre puisse s'appliquer dignement à l'ineffable ma-
a Dieu sera appelé un Dieu jaloux car il est ,
jesté de Dieu ? A leurs yeux ce que l'on peut
«jaloux d'une grande jalousie ^ ». En s'indi- fairede plus honorable pour Dieu c'est de ,

gnant contre cette parole a Vous n'adorerez : garder à son sujet le plus profond silence.
« pas des dieux étrangers », les Manichéens Le Saint-Esprit lui-même, pour donner aux
prouvent assez clairement qu'ils ont réelle- hommes une idée de l'infinie majesté de Dieu,
ment un faible pour la pluralité des dieux. n'a pas hésité à employer ces expressions qui,
Pourquoi s'en étonner, quand on les voit dans chez les hommes, sont l'indice du vice, afin de
leur secte énumérer avec complaisance les nous faire comprendre que tout ce que nous
membres nombreux de la grande famille des pouvons dire de plus digue de Dieu est tou- ,

dieux ? N'en sont-ils pas arrivés au culte et à jours une offense réelle à sa majesté infinie,
l'adoration des choses visibles qu'ils ont subs- d"oùil suit que le silence est la seule manière

tituées à la souveraine vérité? Voilà pourquoi de l'honorer. Si j'examine la jalousie dans


ils repoussent avec indignation cette parole de l'homme, je trouve qu'elle produit une per-
turbation qui déchire le cœur. Et cependant
'
Isa. LWJ, 1. - '
Jtan, 11, 15, 16 ; Malt, xii, 13, 13. — -
EioJ.
' Jcati, XVII, 25. — ' Ps. LXXII, 27.
02 CONTRE ADIMANTUS. MANICHÉEN.

quand recherche la cause de cette im-


je lisent aussi ces [)aroles de l'Ancien Testament:
pression, je la trouve dans l'iiorreur qu'inspire « Dieu est juste, il a aimé la justice, sa face a
à un époux l'adultère de son épouse; voilà « vu l'équité' », et qu'ils jugent eux-mêmes de
pourquoi la jalousie se rencontre surtout quel droit ils prônent si haut l'incompatibilité
dans le mariage. Sujiposons maintenant que des deux Testaments ,
quand dans le Nouveau
le mari soit heureux par lui-même , tout- nous trouvons formulée la jalousie de Dieu, et
puissant et juste, il pourrait punir le péché dans l'Ancien sa justice? Pour tout homme
de son épouse, sans aucun tourment de sa sensé, au contraire, l'unité la plus parfaite,
part , avec une entière facilité et sans com- l'accord le plus complet prouvent, dans les
mettre aucune injustice. Et cependant si nous saintes Ecritures, l'action unique et toute-
voulions exprimer, cette action dans un lan- puissante du Saint-Esprit.
gage humain, tout insuffisant qu'il est, le
mot jalousie serait le seul qui pourrait rendre CHAPITRE Xn.
notre pensée. Reproche-t-on à Cicéron, qui DE LA MANDUCATION DU SANG.
cependant savait parler latin , cette parole
qu'il adresse à César : « Parmi vos vertus , la 1. L'Ecriture porte que l'on ne doit point
« plus admirable , la plus belle, c'est voire manger le sang, parce qu'il est l'âme de la
« miséricorde? » Et cependant le mot misé-
' chair ^ A cette ordonnance de la loi, les Ma-
un cœur que la misère d'autrui
ricorde signifie nichéens opposent ce passage de l'Evangile,
rend malheureux. En conclura-t-on que la où Noire-Seigneur déclare que nous ne de-
vertu rend le cœur malheureux ? Cicéron ne vons pas crain'ire ceux qui tuent le corps,
pourrait-il pas répondre à ses accusateurs que mais qui ne peuvent nuire à notre âme '.
sous le nom de miséricorde, il a voulu expri- Voici leur raisonnement: Si le sang est l'âme,
mer la clémence? 11 suffit donc, pour la cor- comment soutenir que les hommes n'ont au-
rection du langage., de se servir des expres- cun pouvoir sur l'âme, quand on les voit exer-
sions qui se rapprochent du sens propre. J'en cer sur le sang un empire absolu ? ils le re-
aicherché une preuve dans Cicéron, parce cueillent, l'offrent en nourriture aux chiens

que toute la difficulté actuelle est ime pure et aux oiseaux, le répandent, et le mêlent à

question de mots. Les écrivains sacrés se sont, l'ordure et à la boue. Tout fiers de celte dé-
avant tout préoccupés de l'idée , tandis que couverte les hérétiques demandent avec
,
,

les auteurs profanes s'attachent de préférence ironie, comment, si le sang c'est l'âme, on
à la qualité des termes. J'ouvre donc l'Evan- ose affirmer que l'homme ne peut tuer l'âme,
gile et tous les livres du Nouveau Testament ;
quand nous le voyons exercer sur le sang
et partout ils exaltent la miséricorde de Dieu. une puissance aussi arbitraire? Ils s'appuient
Pourquoi ces misérables Manichéens ne sou- encore sur cette parole de saint Paul: «La
tiennent-ils pas que la miséricorde ne peut « chair et le sang ne posséderont pas le

s'appliquer à Dieu, puisque son cœur ne sau- « royaume de Dieu ' » , et concluent si :
,

rait être malheureux? De même donc que la comme Moïse l'affirme, le sang est l'âme, au-
miséricorde en Dieu n'implique pas nécessai- cune âme ne peut donc posséder le royaume
rement que son cœur soit malheureux, de de Dieu. A cette calomnie je réponds d'abord
même Dieu peut être jaloux sans ressentir en les priant de me montrer la page de l'An-
aucun des efi'ets que cette émotion produit cien Testament oii il est écrit que "âme hu- 1

dans l'homme; et pour parvenir au silence maine n'est autre chose ijuc le sang. Jamais
divin nous subissons facilement les conditions ils ne rencontreront ce blasphème dans l'Ecri-

du langage humain. Soulicndront-ils que la ture, malgré les tortures qu'ils lui font subir,
jalousie et la justice sont incompatibles, même dans le but, sans doule, de la rendre inintel-
en Dieu? Alors qu'ils m'expliquent ces paroles ligible. Que si rien de pareil n'est dit de

du Nouveau Testament: «Je vous jalouse de la l'âme humaine, que nous importe d'appren-
« jalousie de Dieu' », ou bien cette expression dre des Manichéens, que l'âme des animaux
empruntée par l'Evangile aux anciens : « Le peut être tuée, ou ne saurait posséder le
«zèle de votre maison me dévore'?» Qu'ils royaume de Dieu ? Mais parce qu'ils sont épris
d'une bulle sollicitude pour l'âme des ani-
' l'ro Ligano, à la tin, '
Il Cor. XI, 2. '
Jyan, IJ , 17 ;
P,
LVIII, 10. l's. .V, 8.— ' Deut. XII, 23.— ' Mail. X, as.— • I Cor. xv, 50.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 93

maux ( n'admettent - ils pas que les âmes une punaise, dans un pou et dans tout autre
des hommes, quoique raisonnables, à force insecte encore plus petit? Où s arrêteront-ils,
de circonvolutions deviennent des âmes
, ilsne peuvent le préciser ; ainsi , comme
d'animaux ? ) ils doivent conclure que le conséquence de cette croyance absurde, ils se
royaume des cieus leur est fermé à eux- voient la conscience chargée d'une multi-
mêmes, s'ils admettent qu'il le soit pour tude d'iiomicidcs.
l'âme des animaux. 3. L'Ecriture déclare que le sang de l'ani-
2. Mais pourquoi cette insulte lancée à la mal, c'est son âme ;
j'ai déjà dit que je n'ai
face du peuple d'Israël par Adimantus, l'un pas à m'inquiéter de l'âme des animaux ;
des disciples de Manès et que l'on regarde mais je puis ne voir dans cette parole qu'un
comme un des grands docteurs de la secte? symbole, ou mystère. Le Seigneur lui-même
Attribuant au peuple juif cette erreur absurde n'a pas hésité à dire «Ceci est mon corps », :
'

de croire que l'àme n'est rien autre chose que au moment où il donnait à ses Apôtres ce qui
le sang, il plaisante en leur disant que les était le signe de son corps.
âmes de leurs ancêtres ont été dévorées par •4. Quant à cette parole de l'Apôtre « La :

les ou consumées par le feu, ou


serpents, « chair et le sang ne posséderont pas le
desséchées dans les déserts et dans les gorges « royaume de Dieu », elle n'est que le corol-

des montagnes. J'accorde même que tout laire de cette autre de l'Ancien Testament :

cela est vrai ; cela prouve-t-il que c'est par « Mon esprit ne demeurera pas en eux, parce

le crime de ceux qu'il lui plaît d'insulter? « qu'ils sont devenus chair - ». Bien souvent

Ont-ils pu nuire en quoi que ce soit à ces dans la Bible la récompense éternelle est pro-
âmes de leurs ancêtres, qu'il rend victimes mise aux âmes des justes. Toutefois ajoutant
de toutes ces vicissitudes ? Ils peuvent donc encore à ces promesses tt voulant nous don-
pleurer sur leur triste sort, mais ils n'ont pas ner une idée de ce que seront nos corps après
à se le reprocher. Mais Adimantus lui-même la résurrection , l'Apôtre déclare : « Ils ne
est-il dans une situation bien meilleure, lui « seront point dans le mariage , ils n'auront
qui admet que des âmes humaines et raison- « point d'épouses, mais ils seront comme des
nables peuvent en être réduites à habiter « anges dans Ensuite, pour nous
le ciel ^ ».

dans des corps d'animaux? Qui peut lui dire faire comprendre cette immutabilité des corps
que l'àme de son père n'est pas renfermée des justes, il continue : « Je vous dis, mes
dans ce coursier dont il excite la lenteur a frères, que sang ne posséde-
la chair et le

par le fouet, ou qu'il fatigue par le frein, « rout pas le royaume de Dieu ». Il ne s'agit

et alors quel crime de sa part? Je m'abstiens point, pour donner le change, de séparer ces
par pudeur de dire que ce sont peut-être deux propositions qui se trouvent dans le
leurs parents qu'ils immolent en écrasant même passage et qui ainsi rapprochées sont
ces poux et ces puces qu'ils sacrifient sans d'une clarté parfaite. Il dit encore « Il faut :

pitié. Reculeront-ils devant les conséquences « que ce corps corruptible revêle Tincorrupti-

de leurs principes jusqu'à soutenir que « bilité, et que ce corps mortel revête l'im-
,

l'âme humaine ne peut descendre jusqu'à « mortalité ». Pour se convaincre que c'est du

ces faibles animalcules? C'est en vain, car corps qu'il est ici question, il suffit de rappeler
on voit que ce qui les arrête , c'est la crainte ce qui précède « Toute chair n'est pas la :

de se rendre trop souvent meurtriers ou ,


«même chair, mais autre est la chair des

d'être contraints d'épargner ces poux ces ,


« hommes , autre celle des animaux, autre
puces et ces punaises dont ils ont tant à souf- « celle des oiseaux, autre celle des poissons.
frir. Ils admettent qu'une âme humaine peut « Car il y a des corps célestes et des corps ter-

se trouver dans un petit renard, pourquoi? « restres, mais les corps célestes ont un autre

qu'ils le disent, ne se trouverait-elle pas éga- « éclatque les corps terrestres. Le soleil a
lement dans une belette? le renardeau n'esl-il « son éclat, la lune le sien, et les étoiles le
pas plus petit qu'une grosse belette ? Si « leur ; et même entre les étoiles l'une est
elle peut se trouver dans une belette, pour- « plus éclatante que l'autre.
Il en arrivera de

quoi pas dans un rat, pourquoi pas dans un « même


dans la résurrection des morts. Le
lézard, dans une sauterelle, et ainsi de suite « corps maintenant, comme une semence,
dans une abeille dans une mouche dans
, ,
'
Mdil. Xivi, 2C. — '
Gen. vi, 3. — '
Malt, xïii, 30.
94. CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

« est semé plein de corruption, et il ressusci- mal, parce qu'il est soumis à l'âme, tandis que
« tera incorruptible. Il est semé tout difforme, nous ne pourrions pasl'appeler spirituel, parce
a et il ressuscitera tout glorieux. Il est privé qu'il n'est pas encore entièrement soumis à
« de mouvement, et il ressuscitera plein de l'esprit tout le temps qu'il peut être atteint
« vigueur. Il est semé corps animal, et il res- par la corruption. llscradoncspirituel quand,
« suscitera corps spirituel. S'il y a un corps docile aux mouvements de l'esprit, il sera
« animal, il un corps spirituel, selon
y a aussi sorti pour l'éternité du creuset de la cor-
B qu'il est écrit Adam, le premier homme,
: ruption.
a a été créé avec une âme vivante, et le se- 5. S'il n'est pas encore évident pour vous

« cond Adam a été rempli d'un esprit vivi- que l'Apôtre proclamait l'immutabilité future
« fiant. Mais ce n'est pas le corps spirituel qui quand il a dit « La chair et le sang ne peu-
:

« a été formé le premier, c'est le corps ani- a vent posséder le royaume de Dieu, et la

mal et ensuite le spirituel. Le premier


, « corruption n'arrivera pas à l'incorruptibi-
« Iiomme est le terrestre formé de la terre, «lilé», écoutez et méditez ce qui suit: «Voici
« et le second homme est le céleste descendu « c|ue je vous annonce un mystère : nous res-
« du ciel. Comme le premier homme a été « susciterons tous, mais nous ne serons pas
« terrestre, ses enfants aussi sont terrestres ;
« tous changés. En un moment, en un clin
« et comme le second homme est céleste, ses « d'œil, au sou de la dernière trompette,
c( enfants aussi sont célestes. Comme donc « car la trompette sonnera, les morts res-
« nous avons porté l'image de l'homme ter- «susciteront incorruptibles, et nous serons
« restre nous porterons aussi l'image de
, «changés». Comme conséquence de ce qui
9 l'homme céleste. Or, je vous dis ceci, mes précède et pour nous faire comprendre la na-
« frères, parce que la chair et le sang ne peu- ture de ce changement, l'Apôtre ajoute aussi-
« vent posséder le royaume de Dieu, et que la tôt « Car il faut que ce corps corruptible soit
:

« corruption ne possédera point cet héritage « revêtu de l'incorruptibilité, et ce corps mor-

«incorruptible». L'Apôtre pouvait-il expri- « tel, de l'immortaUté '


». N'est-il pas évident
mer plus clairement sa pensée? Comment dès lors que la chair et le sang ne posséderont
donc ne pas flétrir honteusement ce parti pris pas le royaume de Dieu, puisqu'après avoir
frauduleux de ne citer que la fln de ce pas- revêtu l'incorruptibilité et l'immortalité le
sage et de taire tout ce qui, dans les antécé- corps ne sera plus la chair et le sang, mais
dents, pouvait faire comprendre le reste ? Le un corps céleste? Ce n'est qu'accidentellement
corps deNotre-Seigneur, après la résurrection, que je viens de dire un mot de ce sujet contre
a été élevé dans le ciel pour y recevoir une lequel ces hérétiques se soulèvent indignés
transformation céleste que nous devons espé- puisqu'ils nient la résurrection des corps. Ce
rer pour nous-mêmes au dernier jour ; voilà du corps que nous parlons en ce
n'est pas
pourquoi ces paroles de l'Apôtre « : Comme moment, mais de l'àme, et nous demandons
« le premier homme a été terrestre, ses en- si d'après l'Ancien Testament on peut con-
a fants aussi sont terrestres ; et comme le clure, comme le font les Manichéens, que
« second homme est céleste, ses enfants aussi l'âme n'est rien autre chose que le sang. De
«sont célestes», c'est-à-dire immortels non notre côté, nous répondons que cette conclu-
pas seulement quant à leur âme. mais aussi sion n'est rien moins qu'une absurdité. Nous
([uant à leur corps. C'est ce qu'il a ex])rimé n'avons pas à nous occuper davantage de
auparavant en disant des corps célestes qu'ils l'âme des animaux, car n'étant pas raison-
ont un autre éclat que les corps terrestres. Eu nable elle ne peut avoir avec nous aucune
annonçant que le corps deviendra céleste à la relation. Toutefois quand nous voyons la loi
résurrection, il se garde bien de nous laisser prescrire de répandre le sang, et défendre de
croire que le corps cessera d'être corps pour le manger, parce que le sang c'est l'unie,
devenir un esprit ce sera toujours un corps
; nous cherchons dans cette législation ce que
entièrement soumis à l'esprit et sous-
spirituel, nous trouvons partout dans les saintes Ecri-
à toute atteinte de la coriuption ou de la
trait tures, c'est-à-dire des signes et des figures
mort. Notre corps aujourd'hui est un corps qui devaient se réaliser en Jésus-Christ. Il dit
animal, en concluons-nous que ce n'est pas du sang qu'il est l'àme, comme il est dit du
un corps mais une ànie? Nous l'appelons ani- ' I Cur. XV, 39, M.
.

CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 95

rocher qu'il était Jésiis-Clirist : a Ils buvaient, « personne n'est bon si ce n'est Dieu seul '
»
a dit l'Apôtre, du rocher spirituel qui les sui- Comment ne pas voir une contradiction entre
« vait, et ce rocher c'était le Christ '» . On sait ces mots de l'Ancien Testament « Dieu est :

que dans le désert Moïse frappa le rocher et « un


feu ardent et un Dieu jaloux », et ces
qu'il en jaillit une eau abondante -. C'est à ce paroles de l'Evangile « Personne n'est bon :

fait que Paul fait allusion, et cependant il ne « si ce n'est Dieu seul ? »


dit point La pierre figurait le Christ mais
: ;
: 2. Quant à la jalousie, nous avons déjà dit
La pierre était Jésus-Christ. Craignant même que cette qualification appliquée à Dieu par
qu'on n'interprétât ce mot pierre dans son l'Ecriture ne suppose en lui aucun trouble,
sens naturel, il l'appelle pierre spirituelle, aucun tourment. Nous savons que tout ce
ou qu'il faut envisager spirituellement. Rien que nous pouvons dire de Dieu sera tou-
ne nous oblige de traiter ici de ces figures ou jours indigne de lui, lors même que nous
mystères de l'ancienne loi, ce travail nous nous attacherions à ne formuler que les idées
mènerait trop loin et nous voulons être les plus belles et les plus relevées. En effet,
court. Il suffit que les Manichéens sachent avant que la sagesse divine ne fût descendue
que leurs calomnies tombent à faux, puisque jusqu'à revêtir un corps humain, pour se
nous ne donnons pas à ces passages l'inter- rendre visible, elle était déjà descendue jus-
prétation qui soulève leur rire insensé. Nous qu'à emprunter la parole humaine pour se
imitons les apôtres qui se contentent de poser faire entendre. C'est à dessein que j'emploie
certains principes généraux, à l'aide desquels ce mot descendre. Cependant je ne le prends
la postéritépeut facilement tirer les conclu- pas dans son acception naturelle, car dans ce
sions qui en découlent. sens il suppose le mouvement d'un objet qui
passe d'unlieudans un autre. Descendre, c'est
CHAPITRE XIII. quitter un lieu plus élevé pour venir dans un
lieu inférieur. Or, la sagesse divine est partout
DU CULTE DES IDOLES. à la fois et tout entière ; elle ne peut donc
passer d'un lieu dans un autre. Saint Jean,
1. Nous lisons au Deutéronome a Gardez- :
la tête appuyée sur la poitrine de son Maitre,

a vous d'oublier le testament que Dieu vous a pu y contempler de près cette sagesse in-
« a donné, et de vous faire des flgures et des finie. Ecoutons ses paroles « Le Verbe était :

« images, car votre Dieu est un feu dévorant, « dans le monde, et le monde a été fait par
« c'est un Dieu jaloux' ». Adimautus soulève « lui et le monde ne l'a pas connu ». Cepen-
contre ces paroles de l'Ecriture des calomnies dant il ajoute aussitôt : « Il est venu chez les
et des objections dont nous avons cru devoir « siens et les siens ne l'ont pas reçu -
». Puis-
entreprendre la réfutation. Quant à la jalousie qu'il était déjà monde, comment peut-
dans le

attribuée à Dieu, nous avons déjà dit ce que on dire qu'il y soit venu ? Je réponds qu'il
y
nous devions en penser. Il est seulement à est venu en ce sens que cette sublimité inef-
remar(|uer qu'à l'occasion de la jalousie de fable, pour se mettre à la portée des hommes,
Dieu, il s'élève contre la défense formulée a voulu se manifester elle-même par le lan-
par le Tout-Puissant d'adorer les idoles. On gage humain. Etait-ce aussi pour que les
en conclurait volontiers que, s'il attaque si hommes devinssent des dieux? ceci ne peut
violemment cette jalousie, c'est parce qu'elle s'exprimer que par le plus profond silence.
ne nous permet pas de nous livrer au culte On peut donc expliquer parfaitement le lan-
des idoles ce culte aurait donc pour cet hé-
; gage de l'Ecriture; ce qui n'empêche pas de
rétique des charmes particuliers, ou du moins, soutenir qu'aucune expression humaine n'est
en le favorisant, il voudrait se concilier la digne de Dieu, car ce qui en Dieu pourrait
bienveillance des païens. Voici donc ce qu'il être exprimé par la parole, deviendrait par le
oppose à ce passage que nous avons cité. Un fait même indigne de Dieu. Olez de la jalousie
juif faisait à Notie-Seigneur la question sui- l'erreur et la souffrance, que reslera-t-il autre
vante : « Bon maître, que dois-je faire pour chose que la volonté ferme en Dieu de sauver
« posséder la vie éternelle ? Jésus lui ré- la chasteté et de punir la corruption conju-
« pondit : Pourquoi m'appelez-vous bon ? gale ? Or, quelle expression, mieux que la ja-
'
I Cor. X, l. — ' Nomb. KX, 11. - ' Deut. lï, 23, 24. ' Marc, X, 17, 18. — ' Jean, l, lu, U.
96 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

lousie, peut nous donner l'idée de ce senti- les témoignages qui exaltent la bonté de Dieu,
ment qui en Dieu en tant qu'il veut
existe qui pourrait y suffire? Contentons-nous de
contracter avec nous l'union la plus réelle, celui-ci que l'Eglise met chaque jour sur les
en tant qu'il nous défend de nous laisser cor- lèvres de ses disciples : « Confessez que le
rompre par un amour lionteux, qu'il pour- « Seigneur est bon et que sa miséricorde
suit de ses vengeances l'impureté, et entoure « s'étend dans tous les siècles ' » De telles pa- .

la chasteté de son amour ? De là cet adage roles ne s'accordent guère avec l'idée que les
plein de vérité : Celui qui n'est pas jaloux Manichéens se font d'un Dieu jaloux, et ce-
n'aime pas. pendant elles se trouvent dans l'Ancien Testa-
3. Nous trouvons la même idée exprimée ment. Et ce roi qui, en célébrant les noces de
dans ces paroles « Dieu est un feu dévo- : son fils, rencontre parmi ses hôtes un con-
terant » Je n'aime pas à justifier ces paroles et
. vive qui ne porte pas le vêtement nuptial ,

je me contente de demander à nos adversaires après lui avoir donné le nom d'ami, ne l'en-
quel est ce feu dont le Seigneur a dit qu'il est teudez-vous pas ordonner qu'on lui lie les

venu l'apporter sur la terre. Ceci se trouve pieds et les mains et qu'on le jette dans les
dans l'Evangile, cela suffit pour qu'ils s'abs- ténèbres extérieures -
? Pour peu que l'on
tiennent de le condamner, non pas sansdoule donne à cette parabole une fausse interpré-
dans le but d'honoi'er Jésus-Cbrist, mais pour tation, ce roi paraîtra difficilement bon. Si
mieux tromper les chrétiens. Si donc nous dès lors il plaisait à chacun d'opposer tel ou
alléguons ces paroles du Sauveur : « Je suis tel chapitre de l'Evangile ; s'il accusait ca-
« venu apporter le feu sur la terre '
» , ces lomnieusemeut l'Evangile, comme Adimantus
misérables de se récrier aussitôt Ces mots : le fait pour l'Ancien Testament s'il prodi- ;

n'ont aucune relation avec les précédents. guait ses éloges à l'Ancien Testament parce
Pourquoi cela, répondons-nous? Car celui qui, qu'il y trouve des paroles comme celles-ci :

dans l'Ancien Testament, prononçait ces pa- « Seigneur est bon, et que sa
Confessez que le

roles « Je suis le Dieu dévorant ^ »


: c'est le , « miséricorde s'étend dans tous les siècles » ;

même Jésus-Cbrist qui proclame dans l'Evan- si, au contraire, il maudissait le Nouveau,

gile qu'il est venu apporter le feu sur la terre, parce qu'il y voit un convive, appelé au festin,
c'est-à-dire la pai-ole de Dieu, et cette parole, précipité tout à coup dans un affreux supplice
c'est lui-même. A|)paraissant à ses disciples, parce qu'il n'a pas le vêlement convenable ;
après la résurrection, il leur expliqua les si enfin poursuivant celte perversité fraudu-

Ecritures en commençant par Moïse et les leuse il mettait en opposition les passages de

prophètes; les disciples avouèrent sans détour l'Ancien Testament, d'où s'exhale la bonlé,
qu'un feu mystérieux s'était allumé dans leur avec ceux du Nouveau qui respirent la sévé-
cœur « Est-ce que, pendant le chemin, noire
: rité, combien ne trouverait-il pas d'ignorants
a cœur ne s'est pas enflammé pendant qu'il qui resteraient persuadés que l'Ancien Testa-
« nous expliquait les Ecritures* ?» Jésus-Christ, ment l'emporte sur le Nouveau? Quant aux
tel est le véritablefeu dévorant en effet, l'a- ; Manichéens, c'est le contraire qu'ils font ;
pour
mour divin consume la«vie ancienne et renou- mieux couvrir de mépris l'Ancien Testament,
velle l'homme tout entier. C'est parce que ils le mettent en opposition avec le Nouveau ;

Dieu est un feu dévorant, qu'il nous rend ca- mais comment donc ne supposent-ils pas qu'il
pables de l'aimer c'est parce que Dieu est un
; y a des hommes qui lisent ces deux Testa-
Dieu jaloux, qu'il nous aime lui-même. Ne ments, les comprennent avec le secours de la
craignez donc [)as ce feu qui n'est autre que grâce, et les trouvent dignes d'éloge ? Consé-
Dieu, mais craignez le feu que Dieu réserve quemment ces lecteurs ne peuvent que
aux hérétiques. gémir sur la fraude et la malice des Mani-
4. Pour mettre en contradiction la loi an- chéens comme hommes s'en défier en tant ,

cienne avec l'Evangile, Adimantus, afin de qu'ils sont hérétiques, et se rire de leur igno-
mieux en imposer aux ignorants, allègue ces rance et de leur orgueil.
paroles de Notre-Seigneur a Personne n'est : '
Ps. cxvii, 1, 29. — ' Matt. XXII, 2-13.

« bon si ce n'est Dieu seul » mais s'il s'agis- ;

sait de citer, dans l'Ancien Testament, tous


" Luc, XII, V.I. — ' Dcut. IV, 21, IX, 3. — '
Luc, XXIV, 32.
.

CONTRE ADIMANTUS, MANICHEEN. 97

CHAPITRE XIV. paroles de tout l'ensemble du discours pour


se rendre raison de la décision qu'il prononce,
DE LA GOCRMANDISE.
et voir apparaître dans toute sa honte la four-
1 Nous lisons dans le Deutérouome a Tuez : berie de ceux qui, pour mieux tromper les
« selon vos désirs, et mangez toute sorte de simples, détachent ainsi certaines expressions
« viande, selon le plaisir que le Seigneur a de ce qui précède et de ce qui suit, et les
« déposé en vous. Mais gardez-vous de manger rendent par là complètement inintelligibles.
« le sang et répandez-le sur la terre comme Voici le texte de l'Apôtre « Recevez avec :

« une eau ordinaire ». A ces paroles de la ' « charité celui qui est encore faible dans la

Loi, Adimantus oppose cette sentence du Sau- « foi, et évitez avec lui toute contestation car ;

veur « Que vos cœurs ne se laissent pas ap-


: a l'un croit qu'il lui est permis de manger de
« pesantir par la gourmandise, par l'ivro- a toutes choses; et, au contraire, l'autre qui
« gnerie et par les soucis du siècle * », et cette a est faible, ne mange que des légumes. Que
autre de saint Paul « Il est bon de ne pas : a celui qui mange de tout ne méprise pas
« manger de viande et de ne pas boire de vin'»; « celui qui n'ose manger de tout et que ,

ou bien encore « Vous ne pouvez participer


: a celui qui ne mange pas de tout, ne con-
« en même temps à la table du Seigneur et à « damne pas celui qui mange de tout, puis-
« celle des démons
Notre opinion à nous, ' » . que Dieu l'a reçu. Qui êtes-vous , pour
c'est que ces passages soit de l'Ancien, soit du a oser ainsi condamner le serviteur d'au-
Nouveau Testament, ont tous eu leur raison otrui? S'il tombe, ou s'il demeure ferme,
d'être, et on ne peut trouver entre eux aucune « cela regarde son maître ; mais il demeurera
opposition. d'abord que les pa-
Il est certain a ferme, parce que Dieu est tout-puissant pour

roles de l'Ancien Testament ne sont pas une « l'affermir. De même, l'un met de la diiïé-

invitation aux excès de la bouche , car ces a rence entre les jours; l'autre considère tous
mots « Tuez selon vos désirs et mangez toute
: a les jours comme égaux; que chacun abonde
a sorte de viande » sont aussitôt suivis de cette
, « dans son sens. Celui qui distingue les jours
restriction a Selon le plaisir que Dieu vous a
: a les distingue pour plaire au Seigneur; celui
a donné » Or, en restant dans les bornes que
. a qui mange de tout le fait pour plaire au
Dieu lui a fixées, ce plaisii', loin d'être immo- a Seigneur, car il rend grâces à Dieu ; et celui

déré, n'est que sufDsant pour nous amener à a qui ne mange pas de tout pour le fait aussi
pourvoir à notre sustentation et à notre santé. a plaire au Seigneur, et il rend aussi grâces à
Se livrer à des excès, c'est donc obéir à ses a Dieu. Car aucun de nous ne vit pour soi-
propres passions , plutôt qu'au plaisir que « même, et aucun de nous ne meurt pour
Dieu nous a donné. Dès lors cette maxime se a soi-même. Mais soit que nous vivions, c'est
concilie parfaitement avec cette sentence de a pour le Seigneur que nous vivons soit que ;

l'Evangile : « Ne laissez pas vos cœurs s'ap- a nous mourions, c'est pour le Seigneur que
« pesantir dans la gourmandise, la débauche a nous mourons. Soit donc que nous vivions,
a et les du siècle ». Se borner à satis-
soins a soit que nous mourions, nous sommes tou-
faire le plaisir que Dieu nous a donné, plaisir te jours au Seigneur. Car c'est pour cela même
modeste et naturel, ce n'est pas appesantir a que Jésus-Christ est mort, et qu'il est res-

son cœur dans la gourmandise, l'ivrognerie a suscité , afin d'acquérir une domination
mondaines.
et les sollicitudes a souveraine sur les morts et sur les vivants.
Quant au texte de l'Apôtre, s'il déclare
2. « Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre
qu'il est bon de ne pas manger de viande et a frère ? ou vous pourquoi méprisez-vous
,

de ne pas boire de vin, ce n'est pas parce qu'à a votre frère Car nous comparaîtrons tous
?

ses yeux, quoi qu'en disent les Manichéens, « devant le tribunal de Jésus-Christ, selon
ces substances lui paraissent impures. Comme a cette parole de l'Ecriture Je jure par moi- :

il a voulului-même expliquer la raison de la e même, Seigneur, que tout genou flé-


dit- le

mesure qu'il impose , nous n'avons plus à B chira devant moi, et que toute langue con-
nous permettre aucune explication ni inter- a fessera que je suis Dieu. Ainsi chacun de
prétation. Il suffit, en effet, de rapprocher ces a nous rendra comi)te de soi-même à Dieu.
— « Ne nous jugeons donc plus les unsles autres;
' Deat. xn, 15, 16. — ' Luc, xsi 31. — '
Rom. XIV, 21.
jugez plutôt que vous ne devez pas donner à
,

Cor. ï, 21. «

S. AuG. — Tome XIV.


98 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

« votre frère une occasion de chute et de de ces mêmes viandes offertes, sans savoir
« scandale. Je sais, et je suis persuadé, selon un crime en aucune
qu'elles l'ont été, n'est
« la doctrine du Seigneur Jésus ,
que rien manière. Dans un autre passage, l'Apôtre dé-
«n'est impur de soi-même, et Test seule- fend, quand on achète de la viande ou qu'on
« ment à celui qui le croit impur. Si en enmange chez unhôteinfldèle, de ne fai reau-
« mangeant de quelque chose, vous attristez cune question à ce peu importe qu'elle
sujet;
« votre frère, vous cessez de vous conduire ait été offerte, ilsufGt que ce soit de la viande ;

par la charité. Ne faites pas périr, par ce que la raison qu'il en donne c'est que toutes les
,

« vous mangez, celui pour qui Jésus-Christ est viandes sont pures par elles-mêmes, comme
« mort. Que notre hien ne soit donc pas hlas- toute créature de Dieu est bonne par elle-
« phémé. Car le royaume de Dieu ne consiste même ; tout aussi peut être sanctifié par la
« pas dans le boire et dans le manger, mais Cependant on doit
parole et par la prière.
B dans la justice, dans la paix et dans la joie manducation, si elle doit être pour
éviter cette
(( que donne le Saint-Esprit. Et celui qui sert d'autres une cause de scandale. Ailleurs en-
« Jésus-Christ en cette manière se rend agréa- core il prédit plus clairement l'hérésie mani-
« ble à Dieu et est approuvé des hommes. Re- chéenne, quand il annonce que dans les der-
a cherchons donc ce qui peut entretenir la niers temps on verra des hommes proscrire
o paix parmi nous, et observons tout ce qui le mariage et la manducation des aliments

peut nous édifier les uns les autres. Que le que Dieu a créés '. Dans ces paroles il stig-
« manger ne soit pas cause que vous détrui- matise formellement ceux qui s'abstiennent
a siez l'ouvrage de Dieu. Ce n'est pas que de viande, non pas dans le désir d'enchaîner
« toutes les viandes ne soient pures mais un ;
la concupiscence "ou d'épargner un scandale à

a homme fait mal d'en manger lorsqu'on le leurs frères, mais uniquement parce qu'ils re-
« faisant il scandalise les autres. Et il vaut gardent ces viandes comme impures et qu'ils
« mieux ne point manger de chair et ne point refusent de croire qu'elles soient l'œuvre de
« boire de vin, ni rien faire de ce qui est à Dieu. Pour nous, attachons-nous à la doctrine
« votre frère une occasion de chute et de apostolique qui proclame que tout est [lur

« scandale, ou de ce qui peut l'affaiblir dans pour ceux qui sont purs -, sauf à suivre les
« sa foi. Avez-vous une foi éclairée ? Conten- règles delà tempérance évangélique qui nous
« tez-vous de l'avoir dans le cœur aux yeux de défend de laisser nos cœurs s'appesantir dans
« Dieu. Heureux celui que sa conscience ne la gourmandise, l'ivrognerie, et les sollici-

« condamne point en ce qu'il veut faire. Mais tudes du siècle.


B celui qui dans doute ne laisse pas de
le 3. Quant à ces autres paroles du même
manger, est condamné parce qu'il n'agit pas Apôtre « Vous ne pouvez participer à la table
:

« selon la foi. Or, tout ce qui ne se fait point « du Seigneur et à celle des démons », je ne

a selon la foi, est péché' ». A-t-oii encore vois pas comment les Manichéens peuvent
besoin d'interprétation pour comprendre dans y voir la contradiction du passage de la Loi.
quel but l'Apôtre a prononcé ces paroles? En effet, il ne s'agit pas des viandes immo-
Quelle infamie dès lors d'emprunter à l'Ecri- lées, dans ce texte du Deutéronome « Tuez :

ture des textes dont on cache l'évidence pour « selon le désir de votre âme, et mangez toute
tromper les simples Selon l'Apôtre, tout est
! sorte de viande, selon le plaisir que Dieu
pur pour celui qui le croit comme aussi une ; «vous adonné »; il n'est question que des
chose devient impure pour celui qui la croit aliments àl'usage de l'homme. Mais n'oublions
telle. Nous devons donc nous en abstenir |)as qu'aux yeux des Manichéens, toutes les

lorsque nous ne pouvons en user sans porter viandes animales préparées pour l'alimenta-
un de nos frères au scandale, parce qu'il est tion, sont des viandes immolées ; voilà pour-
intimement persuadé que l'on doit s'abstenir quoi ces passages de l'Ecriture leur paraissent
de toute viande pour ne pas s'exposer à man- contradictoires. Aussi n'hésitent-ils pas à al-
ger des viandes offertes aux idoles. En manger léguer également ces autres paroles « Ce que :

dans de telles circonstances, ce serait s'exiioser a les Gentils immolent, ils l'immolent aux dé-

ù paraître honorer les idoles, ce (jui produi- « mons et non à Dieu » ; mais u'est-il pas de
rait un grave scandale. Et cependant manger la dernière évidence que l'Apôtre parle ici des
*
Rgm. Aiv, ' r Tim. IV, 1-5. — Tit. I, 13.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 99

viandes offertes dans le temple des démons, devait laisser la liberté de la bouche pendant
et non de celles que l'on prépare pour la nour- qu'il foulait le grain, est l'image de l'Evangé-
riture de l'homme? Voici le texte tout entier: liste '
; de même
viandes défendues figu-
les
a Est-ce donc que je veuille dire que ce qui rent certaines impuretés des hommes, les-
« a été immolé aux idoles ait quelque vertu, quelles ne sont pas reçues dans la société du
«ou que l'idole soit quelque chose? Mais je corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire dans l'Eglise,
« dis que ce que les païens immolent, ils l'im- En effet, aucune nourriture
stable et éternelle.
« molentauxdémons et non à Dieu. Or, je dé- n'est impure par elle-même, mais l'homme
« sire que vous n'ayez aucune société avec les qui en mange, avec l'intention de scandaliser,
« démons, car vous ne pouvez pas boire le se rend réellement coupable.
« calice du Seigneur et le calice des démons ;

« vous ne pouvez pas participer à la table du CHAPITRE XV.


« Seigneur et à la table des démons. Est-ce DES VIANDES IMPURES.
« que nous voulons irriter Dieu et le piquer
« de jalousie ? Sommes-nous plus forts que 1 Nous lisons au Lévitique
. « Séparez ce :

« lui ? Tout m'est permis, mais tout n'est pas M qui est pur de ce qui est impur, et que per-
« avantageux. Tout m'est permis, mais tout « sonne ne mange la chair du chameau ,

« n'est pas édifiant. Que personne ne cherche « de l'âne du lièvre du pourceau , de


, ,

« sa propre satisfaction, mais le bien des au- B l'aigle, du corbeau, et du milan, du vau-
n très. Mangez de tout ce qui se vend à la a tour et autres - ». C'est ici peut-être que
« boucherie, sans vous enquérir d'où il vient, se montre avec le plus d'audace la four-
a par scrupule de conscience, car la terre avec berie d'Adimantus qui prétend s'appuyer ,

« tout ce qu'elle contient est au Seigneur. Si sur cette défense du Lévitique de manger de
« un vous invite à manger chez lui
infidèle certains animaux, pour mettre en contradic-
« et aller, mangez de tout
que vous vouliez y tion les différents chapitres de l'Ancien et du
« ce qu'on vous servira sans vous enquérir Nouveau Testament. Ainsi à ce passage que
d'où il vient, par scrupule de conscience. je viens de citer il croit pouvoir opposer
« Mais si quelqu'un vous dit Ceci a été im- : ces paroles du Sauveur : « Ce qui souille
« mole aux idoles, n'en mangez pas, h cause « l'homme ce n'est pas ce qui entre en lui,
« de celui qui vous a donné cet avis et aussi « mais ce qui en sort ' ». Si c'est par légèreté
a de peur de blesser la conscience. Quand je qu'il en a agi ainsi, il est bien aveugle mais ;

« dis la conscience, je ne dis pas la vôtre si c'est en connaissance de cause, il est bien
,

« mais celle d'un autre ; car pourquoi m'ex- criminel. Est-ce qu'un peu auparavant il n'a
a poserai-je à faire condamner par la cons- pas lui-même cité ce passage de saint Paul :

« cience d'autrui la liberté que j'ai de man- « H est bon, mes frères, de ne pas manger de

« ger de tout ? Si je prends avec action de « chair et de ne pas boire de vin ' », (juand

a grâces ce que je mange, pourquoi parle-t-on il voulait le mettre en contradiction avec ces

« mal de moi me
condamne-t-on pour une
et paroles de l'Ancien Testament « Tuez selon :

« chose dont je rends gràcesàDieu


? Soit donc « le désir de votre âme et mangez de toute
« que vous mangiez, soit que vous buviez, et « chair °
? » Comment donc se dément-il lui-
«quelque chose que vous fassiez, faites tout même jusqu'au point de prodiguer ses éloges
«pour la gloire de Dieu ». Que les Mani- ' à cette sentence dans laquelle le Sauveur pro-
chéens méditent ces paroles et qu'ils exami- clame que ce n'est pas ce qui entre dans
nent dans quel sens il est dit au Deutéro- l'homme qui le souille, mais ce qui sort de
nome « Immolez selon le désir de votre
: lui? Comment échappera-t-il à cette parole?
« âijie, et mangez de toute chair, selon le plai- Quelle ressource peut lui rester, à lui qui
« sir que Dieu vous a donné » Si les Juifs ont . pour caresser je ne sais quel rêve coupable et
reçu la défense de manger de certaines superstitieux de continence, soutient que l'on
viandes qui étaient dites impures, le législa- doit s'abstenir de toute manducation de viande
teur voulait par là symboliser les hommes et que c'est une impureté à laquelle doivent
impurs dont souvent parlé dans l'E-
il est si demeurer étrangers les saints? S'ilestvrai, en
criture. Selon l'Apôtre, le bœuf auquel on

Deul. XXV, X ; I Cor. ix , 7-9 ; I Tim. V, 17-18. — '
Livù xi.
' I Cor, X, 19-31. — ' Mail, xï, 11. — * Rom. xiv, 21 ' Deut. ïii, 15.

\ Vjniversifas

BIBLIOTHECA
100 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

que ce
effet, n'est pas ce qui entre dans qui s'était flatté d'avoir trouvé là le plus re-

l'homme qui le souille ,


quelle n'est pas doutable argument qu'il pût opposer h son
l'erreur des Manichéens qui osent soutenir adversaire ? D'un côté il place ce témoignage
que toutes les viandes sont impures, même de l'Evangile , où le Sauveur affirme que
celles dont les hommes se nourrissent 1 Si ces l'homme n'est point souillé par les aliments
viandes sont impures, comment le Sauveur qu'il absorbe, et de l'autre, il oppose celte
a-t-il pu dire que ce n'est pas ce qui entre défense formelle d'user des viandes impures.
dans l'homme qui le souille, mais ce qui en Cependant on voit qu'il a le pressentiment
sort ? Mais les Manichéens n'ontils pas un de peut se faire, du coup dont
la plaie qu'il
argument toujours prêt pour se tirer d'em- il peut se frapper. Parce qu'on peut fort
barras, toutes les fois que l'Ecriture les gêne ? bien lui dire Comment donc défendez-
:

Us se justifient en disant que tel passage a été vous l'usage des viandes quand le Seigneur
ajouté par les interpulateurs de l'Evangile. proclame que : Ce n'est pas ce qui entre dans
«

Pourquoi donc Adimantus s'est-il privé de «l'homme qui souille, mais ce qui en
le

cette puissante ressource en se servant de ce «sort», il prend l'avance et applique sans


passage pour prouver que l'Ancien Testament raison le remède une blessure qu'il sent
à
est en contradiction avec le Nouveau ? Celte devoir être mortelle. 11 invoque donc l'Evan-

imprudence l'accable. Car voici que tout ca- gile et cite ces mots du Sauveur « Entendez :

tholique qui vénère et comprend les deux « et comprenez, rien de ce qui entre dans
Testaments, lui répond sans hésiter que cette « l'homme ne le souille », et le reste. Cette
contradiction prétendue est purement imagi- citation de ces paroles de Jésus-Christ à la
naire. Quant à celte défense, portée contre ce foule, ne prouve qu'une chose, c'est que loin
peuple charnel, d'user de la chair de cerlains d'être dans la bonne foi, il ne s'inspire que de
animaux, elle symbolisait ces mœurs humaines la méchanceté la plus indigne. Ecoutez plutôt

que l'Eglise, qui est le corps de Jésus-Christ , son raisonnement. D'après lui, ce n'est pas au
rejettera toujours de son unité permanente petit nombre des saints, mais à la foule que

et éternelle comme des viandes impures


, le Seigneur adresse ces paroles; les Mani-
qu'elle ne saurait s'assimiler. On doit même chéens font de même: ils permettent à leurs
affirmer d'une manière générale que tous les auditeurs d'user d'aliments charnels parce
préceptes imposés au peuple juif et charnel qu'ils sont encore impurs; mais pour eux-
prophétisaient l'ensemble de la doclrine du mêmes qui forment le petit nombre des initiés
nouveau peuple spirituel. Que faut-il de plus et des saints, un tel usage serait un crime et
pour montrer que la défense dont nous par- une i)rofanalion. hommes pervers, qui cal-
lons n'était nullement en contradiction avec culez sur l'ignorancedu genre humain et son
cette vérité proclamée par le Sauveur « Ce : impuissance à dévoiler vos mensonges Adi- I

« n'est pas ce qui entre dans le corps, qui souille mantus se figurait donc que personne ne sai-
« l'âme? B Cette défense était un fardeau im- ne le lirait avec intelligence et
sirait l'Evangile,

posé à des esclaves cette maxime brise le joug


; ne découvrirait au miUeu de ces gras pâturages
de la servitude et nous rend libres. Et cepen- dans lesquels le Seigneur conduit son trou-
dant celte antique parole annonçait que le ])eau, un fourbe et un traître, dressant des

fardeau des esclaves prophéUsait la foi des embûches aux agneaux inexpérimentés et
enfants de la liberté. « Tout », dit l'Apôtre, imprudents. Etonnés de ces paroles et les in-

« leur arrivait en figure ; tout a été écrit terprétant aussitôt dans un sens figuré, les
a pour nous (jui sonnnes couronnement
le disciples, par cela même qu'ils étaient juifs, et

a de tous les siècles '


». donc ce qu'ils
Si que dès leur enfance on leur avait enseigné
soulTraient leur arrivait en figure on doit ,
qu'on doit éviter certaines viandes comme
voir aussi des figures dans les enseignements impures, s'approchèrent timidement de leur
qu'ils recevaient. maître et lui dirent: « Savez-vous que les
ma
réponse; telle est la preuve
2. Telle est « Pharisiens se sont scandalisés de ce que

que pour montrer que ces deux pas-


j'aiiporte « vous avez dit ? Jésus leur répondit Tout :

sages de l'Ecriture ne sont nullementen con- « arbre que mon Père céleste n'a pas planté,
tradiction. Mais que va donc faire Adimantus, « sera arraché. Laissez-les ce sont des aveu-
;

• I Cor. X, 11.
ce gles, et qui se mêlent de conduire des aveu-
CONTRE ADIMANTUS, MANICHEEN. 101

« gles. Or, si un aveugle conduit un aveugle, parce qu'elle serait trop longue. Sup|)usez
« ils tomberont tous deux dans le précipice ». même que
ne puisse la donner, s'ensui-
je
L'infidélité des Juifs, telle est la plantation vrait-il qu'elle ne peut être fournie par per-

que n'a pas faite le Père céleste. Malgré cela, sonne? Cette explication ne se trouve-t-elle
Pierre, croyant c'était là une parabole et
que pas dans d'innombrables volumes? Il suffit,
que les Juifs ne méritaient le reproche d'aveu- pour la réfutation que j'ai entreprise, desavoir
glement que parce qu'ils ne pouvaient la que ces observances n'étaient que la figure des
compi'endre, dit au Seigneur: a Expliquez- événements futurs; et cette vérité, ce n'est
« nous cette parabole ». Le Seigneur déclare pas moi qui en suis l'inventeur, mais bien
formellement que ce n'est point une parabole, l'Apôtre saint Paul, qui tout en défendant de
mais une vérité qu'il faut prendre dans la s'astreindre à ces observances d'une manière
rigueur des termes. Il leur dit alors « Vous : toute servile, déclare qu'elles ont une signifi-
« aussi étes-vous donc sans intelligence ?
,
cation symbolique. Voici ses paroles: a Que
« Vous ne comprenez pas que ce qui entre par « personne ne vous condamne pour le manger
« la bouche, descend dans l'estomac, et est a et pour le boire, ou au sujet des jours de
o rejeté au dehors ? Au contraire, ce qui sort « fête, des nouvelles lunes et des jours desab-
« de la bouche vient du cœur, et c'est là ce « bat ; car toutes ces choses n'ont été que
a qui souille l'homme. C'est du cœur que sor- a l'ombre de celles qui devaient arriver ». '

tent les pensées mauvaises, les homicides, Quand la réalité, figurée par ces observances,
les adultères, les fornications, les vols, les nous a été rapportée par Notre-Seigneur, tout
« faux témoignages, les blasphèmes ; et c'est ce qu'il y avait de servile a disparu, pour faire
« là cequi souille l'homme. Mangersans avoir place, en faveur des enfants de la liberté, à la
a auparavant lavé ses mains, ne peut pas révélation pleine et entière.En effet, tout ce
a souiller l'homme ». Les Juifs avaient sou-
' qui a annoncé l'Eglise future est une véritable
levé la question du lavement des mains; le prophétie. Or, l'Apôtre nous dit encore: « Gar-
Sauveur saisit cette occasion pour parler des a dez-vous de mépriser le Saint-Esprit et
aliments qui, de la bouche, pénètrent dans « d'éteindre la prophétie ; lisez tout, et
gardez
l'estomac et sont rejetés au dehors. Cependant « ce qu'il y a de bon ' ». Nous devons donc
malgré l'authenticité de ces paroles adressées hre les divines Ecritures, étudier les vérités
à la foule a Ce n'est pas ce qui entre dans la
: qui nous ont été dispensées parl'Esprit-Saint,
a bouche qui souille l'homme, mais ce qui en approfondir les prophéties, secouer la servi-
« sort », on
qu'Adimantus était tourmenté
voit tude charnelle et conserver la liberté et Tin-
du besoin de trouver une réponse à faire à telligence des enfants de Dieu.
ceux qui viendraient lui demander le motif
pour lequel les principaux Manichéens se refu- CHAPITRE XVI.
saient comme un crime la mauducation des OBSERVATION DU SABBAT.
viandes voici sa réponse
; Le Sauveur au- :

rait permis cette manducation à la foule et 1. Nous au Deutéronome ^ « Obser-


lisons :

non pas aux initiés. Mais l'examen du texte a vez le jour du sabbat et ayez soin de le

nous a prouvé qu'il ne pouvait être ici ques- 8 sanctifier, selon que le Seigneur votre Dieu
tion de parabole et que ces paroles pronon- a vous l'a ordonné. Vous travaillerez pendant
cées solennellement devant la foule tout en- « six jours, et vous y ferez tous vos ouvrages,
tière s'appliquaient à tous les hommes indis- a Mais le septième jour est celui du sabbat,
tinctement. Quelle raison peut-on dès lors a c'est-à-dire le repos du Seigneur votre Dieu,
alléguer pour interdire la manducation des a Vous ne ferez aucune œuvre en ce jour, ni
viandes et fournir aux hommes une nouvelle a vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre
occasion de faute et de péché ? a serviteur, ni votre servante, ni votre bœuf,
3. Mais, me dira quelqu'un, expliquez-nous « ni votre âne, ni aucune de vos bêtes, ni
donc ce que signifie la viande de porc, de cha- a l'étranger qui est au milieu de vous, afin
meau, de lièvre, de milan de corbeau, et , a que votre serviteur et votre servante se re-
d'autres animaux, dont la loi défendait la a posent comme vous. Souvenez-vous que
mauducation. Je me refuse à cette explication a vous avez vous-mêmes été esclaves dans
' Malt. ÏV, 10-20. • Coloss. II, 16, 17. — I Thess. v, 19, 21. — ' v, 12-15.
102 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

a l'Egypte, et que le Seigneurvotre Dieu vous a Moïse faites ce qu'ils disent, mais gardez-
;

« en a tirés par sa main toute-puissante, et en a vous de faire comme ils agissent car ils ;

« déployant toute la force de son bras. C'est a disent bien, mais ils n'accomplissent pas '
».

B pourquoi il vous a ordonné d'observer le C'est ainsi que


Seigneur confirme l'autorité
le

a septième jour » Dans la Genèse, à l'occasion


. de la loi proclamée par Moïse ; et cependant
de la circoncision d'Abraham, nous lisons il affirme d'une manière catégorique que l'on

aussi « Gardez mon testament, vous et votre


: doit rejeter avec horreur la conduite de ceux
« race qui viendra après vous. Or, voici le pacte qui n'obéissent pas à la loi qu'ils ont reçue.
« que je fais avec vous, aQn que vous l'obser- Leur perversité allait jusqu'à ce point que,
» viez, vous et votre race : tous les enfants quand un païen embrassait la loi judaïque ou
a mâles d'entre vous seront circoncis, afln que se faisait prosélyte, ils lui faisaient adopter la

« cette circoncision soit le signe de l'alliance co'rruption de leurs mœurs et le changeaient


« que je fais avec vous. Le huitième jour après ainsi en un véritable fils de l'enfer, peut-être
« leur naissance, vous circoncirez tous les en- beaucoup [dus qu'ils ne l'étaient eux-mêmes.
a fants mâles de votre peu[)le vous circoncirez ;
Autant ils déployaient de zèle pour convertir
aussi l'esclave qui sera né dans votre maison un païen à la religion judaïque, autant ils
« ou que vous aurez acheté, mais vous excep- exerçaient d'intluence pour le contraindre,
te terez l'étranger. Et ce sera là mon testament après sa conversion, à imiter leurs mœurs dé-
a en faveur de votre peuple. Tout enfant mâle pravées.
« dont la chair n'aura point été circoncise, sera 2. Quant à la contradiction qu'Adimanlus
« exterminé du milieu de votre peuple, parce a voulu faire ressortir à l'occasion du passage
a qu'il a rompu mon alliance ' ». Pour mettre suivant de l'Apôtre, il a pu voir qu'elle ne re-
ces paroles de l'Ancien Testament en contra- posesur aucun fondement.Celasuffit cependant
diction avec le Nouveau, Adiraantus allègue ce pour prouver une fois de plus que ce qu'il se
que le Seigneur a dit du prosélyte a Mal- :
propose, ce n'est pas de comprendre l'Ecri-
et heur à vous, Scribes et hypocrites Phari- ture, mais de la trouver en défaut. En effet,
8 siens qui parcourez la mer et la terre pour n'est-ce pas lui que nous entendons citer ces
a faire un seul prosélyte quand vous l'aurez ;
paroles de saint Paul : « Un homme est-il ap-
« gagné il deviendra le fils de l'enfer, plus « pelé à la foi après avoir été circoncis? Qu'il
« encore que vous ne l'êtes vous-mêmes ' ». « n'affecte point de paraître incirconcis. Est-il
Si ce prosélyte devient enfant de l'enfer, est-ce a appelé n'étant point circoncis? Qu'il ne se
parce qu'il est circoncis et qu'il observe le a fasse point circoncire, car il n'importe nul-

sabbat? n'est-ce pas [ilutôt parce qu'il se croit « lement d'être circoncis ou de ne pas l'être ;
obUgé d'imiter les errements des ,luifs et la a le tout est d'observer les commandements
facilité avec laquelle ils transgressent la loi « de Dieu - ». Pouvait-on dire plus clairement
au lieu de l'observer ? Cette pensée est claire- que chacun peut rester dans l'état où il était

ment formulée dans un autre passage où au moment de sa vocation ? Quand furent réa-
Noire-Seigneur affirme clairement que les lisés événements dont ces observances
les

Pharisiens rejettent les commandements pour n'étaient que la figure, on vit clairement que
ne plus croire qu'à eux-mêmes '. En effet, la ce n'était pas dans ces ombres que l'on devait
loiprescrivait d'honorer son |ière et sa mère, placer son espérance, mais dans la réalité
tandis que ces hypocrites érigeaient en sys- elle-même (|u'elles annonçaient, c'est-à-dire
tème les moyens de déshonorer ses parents. dans le Christ et dans l'Eglise. En elles-

Plus loin le Sauveur s'écrie : a Malheur à mêmes, ces observances étaient vaines ; ce-
« vous. Scribes et Pharisiens, qui ayant la clef pendant l'Apôtre nous défend de les mépriser
a du royaume des cieux, n'y entrez pas vous- comme nuisibles ou superflues. Si un Juif se

« mémos et ne permettez jias aux autres d'y convertissait à la foi de Jésus-Christ, par mé-
« ordonne à ses audi-
entrer* ». Ailleurs, il nagement pour ses coreligionnaires, on ne
teurs d'obéir aux enseignements des Phari- lui défendait pas de conserver ces vaines ob-
siens et des Scribes, mais de ne pas imiter servances, mais on lui interdisait d'y placer
leurs actions : « Us siègent sur la chaire de l'espérance de son salut ; en etlel, le salut dé-
coule non pas des signes eux-mêmes, mais des
'
Gen. .wii, U U. — '
Matt. .\.vill , 15. — '
lô. XI , 52.

XI, 52.
• Mail, xxm, 2, 3. — ' I Cor. vu, 18, 19.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 103

choses signifiées. Dès lors « le prépuce n'est aux enfants de la liberté. Répudions donc avec
« rien, la circoncision n'est rien, le tout est l'Apôtre la circoncision charnelle, et avec lui
« d'observer les commandements de Dieu ». aussi approuvons la circoncision spirituelle :

Ou bien encore : » Plût à Dieu que ceux qui en observant le repos du dimanche, ce n'est
« vous troublent fussent retranchés ' » non ; pas le temps que nous observons, mais le signe
pas, quoi qu'en disent les Manichéens, qu'aux temporel de cet éternel repos vers lequel nous
yeux de l'Apôtre la circoncision soit con- fixons nos regards attentifs. Avec l'Apôtre,
traire à l'Evangile : ce qui lui est con- nous abhorrons l'observation des temps, mais
traire , ce serait de quitter la réalité pour nous savons les interpréter spirituellement.
s'atlacher à une ombre vaine. Et pourtant, Entre les deux Testaments, nous établissons
c'est là l'erreur de ceux qui imposaient aux une différence bien prononcée, car à nos yeux
Gentils convertis à la foi, le joug de la circon- l'Ancien énonce des obligations d'esclaves,
cision comme condition nécessaire au salut; tandis que le Nouveau est plein de la gloire
ils oubliaient que ce n'est pas l'ombre que réservée aux enfants libres dans l'Ancien ;

l'on doit figurer sur le corps, mais la réalité nous hsons la prophétie des biens qui nous
que l'on doit graver dans le cœur. attendent, le Nouveau nous en met en posses-
3. Quant à ces paroles
« Vous observez les : du sabbat telle que
sion. Voici l'interprétation
« jours, lesabbat et les solennités jp crains ;
l'Apôtre ladonne aux Hébreux « Le sabbat :

« que mes travaux n'aient été inutiles pour « reste donc au peuple de Dieu ». Au sujet '

« vous -
», Adimantus ne les a pas citées tex- d'Abraham, voici ce qu'il dit de la circonci-
tuellement. En effet, il n'est pas question du sion H U a reçu la circoncision comme signe
:

sabbat dans le texte que voici : « Vous obser- « de la justice de la foi - ». J'embrasse donc,
« vez les jours, les années et les temps; je crains sans aucune hésitation, l'interprétation spiri-
Q donc que je ne me sois en vain fatigué pour tuelle de l'Apôtre, et dans la liberté dont je
«vous ».Pense-t-il que l'Apôlre ait aussi parlé jouis, je méprise l'observation charnelle delà
du sabbat? Est-ce que nous aussi nous ne blâ- servitude; du reste, j'adore profondément in-
mons pas ces observances, tandis que nous cliné le Seigneur Dieu, auteur des deux Tes-
attachons de l'importance à ce qui y est si- taments ; au vieil homme qui prenait la fuite,
gnifié ? Eux au contraire observaient tout cela il a inspiré la crainte en s'imposant à lui
servilement, sans comprendre ce qui pouvait comme souverain maître ; à l'homme nouveau
y être signifié et annoncé. C'est là. le reproche qui revenait, il a inspiré l'amour en se révé-
que leur adresse l'Apôtre, quand il ose leur lant à lui comme un père.
dire qu'ils servent la créature plutôt que le
Créateur ^ Nous célébrons solennellement le CHAPITRE XVII.

Dimanche, le jour de Pâques et les autres DE l'amour des ennemis.


fêtes chrétiennes. Mais comme nous en com-
prenons l'esprit, on doit dire que nous obser- 1. Nous lisons dans l'Exode « Si vous en-
:

vons non pas les temps, mais ce que ces « tendez ma voix et si vous accomplissez ce
époques nous rappellent. A en croire les Ma- « que je vous commande, je l'ennemi serai
nichéens, ils n'observent aucun jour ni aucune « de vos ennemis, ceux qui vous
et j'affligerai
époque. Puis, quand on les met en demeure « affligent. Mon ange marchera devant vous,
d'exposer leur doctrine, ils s'escriment à prou- « il vous fera entrer dans la terre des Amor-

ver (jue ce ne sont pas les temps qu'ils ob- « rhéens, des Phéréséens, des Chananéens,
servent, mais les événements dont ils sont les « des Jébuséens et des Gergézéens, et vous
Nous avons montré ailleurs
signes extérieurs. a les exterminerez. Vous n'adorerez point
que ces événements ne sont que rêves et pures « leurs dieux et vous n'imiterez point leurs
imaginations, mais je voudrais en ce moment « œuvres au contraire, vous les détruirez et
;

leur arracher l'aveu que ces jours de fête « vous éteindrez leur mémoire ^ o. A ce pas-
peuvent être célébrés sans blesser aucune- sage de l'Ancien Testament, Adimantus op-
ment les droits de la raison. J'en conclus que pose ces paroles du Sauveur « Et moi je :

la circoncision de la chair a très-bien pu être M vous dis Aimez vos ennemis, bénissez ceux
:

imposée aux esclaves sans l'être aucunement B qui vous maudissent, faites du bien à ceux

' Gai. V, 12. — ' Id. IV, 10, U. — ' Uom. !, 25. ' Heb. IV, 9. — ' Rom. iv, 11. — ' Exod. xxw, 22-21.
104 CONTRE ADIMÂNTUS, MANICHÉEN.

« qui vous haïssent et priez pour ceux qui « ment co mme si j'étais présent ; vous et mon
« vous persécutent » 11 semble d'abord que
'
. « esprit étant assemblés au nom de Nolre-Sei-
le besoin qu'il a de relever partout des con- « gneur Jésus-Christ,j'ai déclaré que celui qui

tradictions était grandement satisfait par cette « est coupable de ce crime, sera, par lapuis-
autorisation donnée aux Juifs de tuer leurs « sauce de Nofre-Seigneur Jésus, livré à Satan,
ennemis. En effet, le Seigneur n'a pas craint a afm que sa chair meure et que son âme soit
d'imposer aux hommes l'obligation d'aimer « sauvée au jour de Notre-Seigneur Jésus-
leurs ennemis on comprend eu effet, et des
;
« Christ'». Or, cette destruction qu'ils exa-
exemples ont prouvé que la patience et la cha- gèrent à plaisir et qu'ils entourent de leurs

rité deviennent souvent pour des ennemis une déclamations jalouses, qu'est-elle autre chose
cause de réconciliation et de salut. Comment que la mort de la chair ? En formulant dans
donc ces autres paroles « Vous n'adorerez : quel espritcettemortse produit, l'Apôtrea suf-
« pas leurs dieux et vous n'imiterez pas leurs fisamment déclaré que la vengeance exercée
« œuvres, au contraire, vous les détruirez et contre un ennemi n'est pas nécessairement en
« vous anéantirez leur souvenir » ont-elles , opposition avec la charité. Et cependant rien
pu paraître un principe, en vertu duquel les n'empêche d'interpréter dans un autre sens
Manichéens prescrivent d'aimer les dieux des cette mort de la chair et de n'y voir que celle

nations ? Voulant être consé(iuents avec eux- qui est le fruit de la pénitence. Quant aux
mêmes, ils s'appuient sur ces paroles du Sau- Manichéens, ils lisent avec délices les écri-
veur « : Vous aimerez vos ennemis», pour tures apocryphes, et vont jusqu'à soutenir

conclure qu'on doit aimer non-seulement les qu'elles sont d'une pureté parfaite dans le
hommes, mais les démons eux-mêmes et leurs passage même où il est dit que l'apôtre saint
statues de pierre ou de marbre. Devant une Thomas, se sentant frappé par une main im-
telle extravagance, on se détourne avec hor- prudente, maudit l'auteur involontaire de cet
reur. Dira-t-on que ce ne sont pas là les prin- outrage, et que cette malédiction fut aussitôt
cipes Manichéens? Alors comment caracté- suivie de son effet. Car à peine le malheu-
riser l'erreur d'Adimantus qui ,
pour faire reux ,
qui était un domestique de table, fut-il

ressortir une contradiction nouvelle insiste , sorti pour aller puiser de l'eau à la fontaine,

sur l'ordre donné par l'Ancien Testament de qu'il fut saisi et déchiré par un lion ; et,

détruire les superstitions des païens, tandis comme pour frapper les convives d'une ter-
que le Nouveau Testament ordonne d'aimer reur plus grande encore, un chien s'empara
ses ennemis? Entre ces deux préceptes il voit de la main du maudit et l'emporta dans la

une énorme opposition. salle où l'Apôtre prenait son repas. Plusieurs


2. Quant à nous, cet ordre donné au peuple des convives ne pouvaient encore se rendre
dans les livres anciens de tuer leurs ennemis, compte de cet enchaînement merveilleux ;

ne nous paraît nullement contraire au précepte l'apôtre le leur expliqua, et ce ne fut plus
évangélique qui nous commande d'aimer nos pour lui qu'un concert unanime de respect
ennemis. En effet cette destruction char-
, et d'admiration; et ce fut là ce qui inspira à

nelle de ses ennemis convenait à un peuple quelqu'un la pensée d'écrire un évangile.


qui ne connaissait , dit l'Apôtre, que le sens Si on voulait retourner contre les Mani-
littéral de la loi ^ Cependant parmi ce ,
chéens leurs dents si habiles comme on ,

peuple, il y avait quehiues hommes saints et attaquerait ce récit! Sur ce point je n'ai pas
spirituels, comme Moïse et les prophètes; à vous apprendre avec quelle intention la
comment pouvaient-ils aimer ceux dont ils malédiction fut lancée; du moins Je tiens à
versaient le sang? c'est ce que ne peuvent s'ex- montrer que vengeance eut pour prin-
cette

pliquer ni les ignorants ni les impics qui se cipe la charité. Eu effet, nous lisons un peu
plaisent dans leur aveuglement. Puisque les plus loin que l'apôtre versa d'abondantes
raisonnements les trouvent insensibles, faisons prières en faveur du malheureux frapi>é dans
briller à leurs yeux le glaive redoutable de sa vie temporelle, et demanda à Dieu de l'é-

l'autorité. Or, voici ce que dit l'ApôtrePour : « pargner au jour du jugement. Si donc, sous
a moi, étant à la vérité absent de corps, mais le règne du Nouveau Testament qui est avant

a présent en esprit, j'ai dé.);ii)rononcécejuge- tout rhynuie de l'amour, des hommes char-

'Matl. V, il. — 'Gai. m, 21. • 1 Cor. V, 3-5.


CONTRE ADIMÂNTUS, MANICHÉEN. 105

nels se sentirent saisis de crainte, sous le c'est la haine qui l'inspire, il ne les hait pas
coup de ces vengeances divines et miracu- parce qu'ils sont hommes, mais parce qu'ils
leuses, combien plus ce sentiment devait-il faire sont pécheurs. En effet, dans l'Ancien Testa-
de victimes sous l'Ancien Testament qui était ment nous lisons ces paroles adressées à Dieu :

par-dessus tout une loi de crainte. La crainte « Et vous ne haïssez rien de ce que vous
etl'amour, tel est en effet, dans toute sa conci- (I avez fait '
» ; au contraire, il dispose tout
sion, la différence qui sépare les deux Testa- avec justice et modération soit par des châti-
ments ; la crainte était le partage de l'homme ments soit par des récompenses. Ecoutons
,

ancien, l'amour est le privilège de l'homme encore ces paroles que l'Apôtre adresse aux
nouveau; et cependant l'un et l'autre sont premiers chrétiens « Que l'homme s'éprouve :

l'œuvre d'un Dieu infiniment miséricordieux. « lui-même et qu'il mange ainsi de ce pain et

Sous la loi judaïque il n'est rien dit du but « qu'il boive de ce calice. Car quiconque
que l'on se proposait dans la vengeance ,
a mange ce pain et boit ce calice indignement,
parce que les hommes spirituels y étaient « mange propre condamnation ne
et boit sa ,

très-rares et que le peuple avait besoin d'être a faisant discernement du corps du Sei-
pas le

dompté par la crainte et par un régime sévère. « gneur. C'est pour cela qu'il y a parmi vous
En voyant qu'on livrait entre leurs mains a beaucoup de malades et de languissants, et
pour les mettre à mort leurs ennemis, les « que plusieurs dorment du sommeil de la
impies et les adorateurs des idoles, ne devaient- a mort. Si nous nous jugions nous-mêmes,
ils pas redouter pour eux-mêmes d'être livrés a nous ne serions pas jugés. Mais lorsque nous
également aux mains de leurs ennemis, s'il « sommes jugés, c'est le Seigneur qui nous
leur arrivait de mépriser les ordres du vrai a châtie, afin que nous ne soyons pas con-
Dieu et d'embrasser le culte des idoles et les « damnés avec le monde ^ » . Quelle preuve plus
impiétés païennes ? Et en réalité le même évidente que Dieu châtie avec amour, non-
péché fut suivi du même châtiment. Mais seulement par des infirmités et des maladies,
tandis que cette vengeance temporelle n'ins- mais même parla mort temporelle, ceux qu'il
pire que la terreur aux esprits faibles, elle est ne veut pas condamner avec le monde ?
pour les intelligences éclairées une profonde l. Que les Manichéens y réfléchissent et
etlumineuse révélation qui leur épargne sou- qu'ils comprennent comment il a pu se faire
vent les supplices mille fois plus horribles de que des nations impies soient livrées pour
l'éternité. En effet, ce qui effraie le plus les être détruites, à un peuple, encore charnel il

hommescharnels, ce sont les vengeances decette est vrai,mais adorateur du seul Dieu véritable;
vie, et non les horreurs des châtiments futurs. ajoutez encore qu'il pouvait y avoir parmi ce
La charité peut donc s'allier à la ven-
3. peuple des hommes spirituels qui se faisaient
geance. Nous en voyons la preuve dans un lesexécuteurs des ordres de Dieu, sans aucune
père qui inflige une répression sévère à son haine de leur part. Il n'y a donc pas lieu de
fils, quand il le voit s'abandonner à des pen- soutenir la moindre contradiction entre l'An-
chants coupables; plus il l'aime, plus il sent cien Testament et le précepte que nous im-

le besoin de le corriger, surtout quand la pose le Sauveur d'aimer nos ennemis. Tout
correction lui laisse espérer des résultats. en nous ordonnant de les aimer, il s'engage
Mais en voulant le corriger il se garde bien lui-même â en tirer vengeance, puisqu'il se
de le tuer : car pour beaucoup la vie pré- représente sous la figure d'un juge qui tout
sente est du plus haut souvent même
prix, et partial et coupable qu'il est, n'ayant aucune

c'est d'elle seule qu'ils attendent la récom- crainte de Dieu , aucun respect pour les
pense de l'éducation qu'ils veulent donner à hommes, se laisse pourtant fléchir par les

leurs enfants. Quant aux parents sages et instances réitérées d'une pauvre veuve qui de-
fidèles qui attendent une autre vie meilleure, mande justice contre son persécuteur ; à la fin
ils ne tuent pas non plus leurs enfants en vou- il l'exauce, pour se délivrer de ses prières.
lant les châtier, parce qu'ils sont persuadés S'il en est ainsi dans cette parabole, à combien
(|u'ils pteuvent les corriger dans cette vie : plus forte raison Dieu, qui est la bienveillance
mais Dieu qui connaît ce qui convient à
,
et la justice même, n'affirme-t-il pas qu'il ven-
chacun, se venge en fra[)pant de mort soit par gera ses élus de la haine de leurs ennemis *
?

lui-même, soit par les causes secondes et si ;


' Sag. XI, 25. — I Cor. xi, 28-32. — • Luc, xvni, 2-8.
lOG CONTRE ADIMANTUS. MAMCHEEN.

Je laisse maintenant aux Manicliéens l'audace lion. Ceux qui ont besoin de consolateur, ne
de s'adresser à Dieu de lui dire Quoi donc et : ! sont-ce pas ceux qui sont tristes, suivant cette
vous nous ordonnez d'aimer nos ennemis et parole du Sauveur: «Bienheureux ceux qui
vous vous disposez à nous venger de leurs « pleurent, parce qu'ils seront consolés '?o Le
outrages? Peut-être diront-ils qu'il agira divin Maître a dit également «Les enfants :

contre la volonté de ses saints en punissant et (( de l'époux pleureront lorsque l'époux leur
en condamnant ceux qu'ils aiment? Loin de « sera enlevé '». Or, dans ce livre qui nous
soulever cette calomnie aveugle, qu'ils se venue du Saint-Esprit
atteste si clairement la
tournent vers Dieu, qu'ils étudient les deux consolateur promis par Jésus-Christ, nous
Testaments, et ils comprendront que les saints voyons que deux époux subirent les effets de
n'ont d'autre volonté que de ne pas se trouver la sentence de Pierre et furent frappés de
à gaucbe parmi ceux à qui le Sauveur dira: mort, pour avoir osé mentir au Saint-Esprit',
a Allez au feu éternel qui a été préparé pour Grâce à leur profond aveuglement, les Mani-
a ledémon et ses anges. Car j'ai eu faim, et chéens rejettent ce fait avec mépris, tandis
avous ne m'avez pas donné à manger' », et le que dans un livre apocryphe ils reçoivent avec
reste. Ces misérables ne peuvent admettre que respect le fait que nous avons cité de saint
Dieu ait chargé son peuple d'exterminer ses Thomas, celui aussi de la fille même de Pierre,
ennemis, et ils défendent de donner un frappée de paralysie à la prière de son père,
morceau de pain à un pauvre qui n'est pas et enfin cet autre fait non moins frappant de
ennemi, mais qui supplie. Qu'ils se rangent d'un jardinier foudroyée soudain par
la fille

donc du côté de ceux, eu petit nombre, qui la à la prière de Pierre. Et si on leur


mort
comprennent que l'on peut se venger sans demande pounjuoi ces événements, ils ré-
haïr. Tant que l'on n'est pas persuadé de cette pondent que l'opportunité des circonstances
vérité, on ne peut parcourir les livres des exigeait que l'une de ces filles fût délivrée de
deux Testaments sans s'exposer continuelle- la paralysie et que l'autre mourût. Cependant

ment à l'erreur et à rencontrer partout des ils n'hésitent pas à attribuer ces effets aux

conlradiclious dans les saintes Ecritures. prières de l'apôtre. Et qui donc leur dit que
5. Les Apôtres n'en étaient pas encore arrivés la mort n'était pas un bien pour ces peuples

à séparer la vengeance de la haine quand , impies sur l'histoire desquels ils déversent un
irrités contre ceux qui leur avaient refusé sourire de mépris, quand on leur dit que c'est
ils supplièrent le Sauveur de leur
Ihospilalité, Dieu lui-même qui les a livrés aux mains du
permettre de demander, à l'exemple d'Elie, peuple juif? Puisqu'ils admettent que ce n'est
que le feu tombât du pour consumer tous
ciel pas la haine, mais une bonne intention qui
tes hommes inhospitaliers. Le Sauveur leur dirigeait les Ai^ôtres; en vertu de quel prin-
répondit qu'ils ne savaient donc pas de quel cipe supposent-ils gratuitement que c'est la

Esprit ils étaient les enfants ; qu'ils oubliaient haine qui inspirait les hommes spirituels qui
qu'il était non pour per-
venu pour sauver, et se trouvaient dans les rangs d'Israël et qui
dre-. C'était l'ignorer en effetque de vouloir étaient chargés d'accomplir ces ordres sévères
perdre ceux dont ils demandaient la destruc- du Tout-Puissant? Qu'ils mettent donc enfin
tion par le feu. Plus tard, quand ils furent des bornes à leur témérité et qu'ils cessent
remplis du Saint-Esprit, et élevés à la perfec- d'en imposer aux simples qui n'ont pas la
tion, quand enfin ils purent aimer leurs enne- liberté de lire, ou qui ne le veulent pas, ou qui
mis, le pouvoir de punir, parce
ils reçurent ne lisent que dans une intention hostile; se
qu'alors pouvaient châtier sans haïr. L'a-
ils plaçant ainsi dans l'impuissance réelle de
pôtre saint Pierre usa de ce pouvoir, comme trouver dans les deux Testaments la procla-
nous le voyons dans les Actes des Apôlres ; mation authentique et simultanée de la misé-
mais les Manichéens n'acceptent pas ce livre, ricorde et de la sévérité de Dieu. S'agit-il, en
parce cju'il proclame trop manifestement la effet, de l'amour des ennemis, de la défense

venue du Paraclet, c'est-à-dire du Saint- de rendre le mal pour le mal? Nous lisons

Esprit consolateur, que le Sauveur envoyaaux dans l'Ancien Testament « Seigneur mon :

Apôlres, ai)rcs son ascension, pour les conso- a Dieu, si j'en ai agi ainsi, si rini(|uité est

ler des douleurs ([ue leur causait cette sépara- a dans mes mains, si j'ai rendu le mal pour
'
Ma». .\J£V, 11, \2. — • Luc, IX, 53-56. • Mm. V, 5. — ' Id. is, 15. — Ici. V, 1-10.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHEEN. 107

« le mal, c'est en toute justice que je toni- cruel qu'insensé! Les voici qui croient que
« berai sans force sous les coups de mes en- c'est le pain qui pleure, ce qui est une absur-
« nemls '
». Pour tenir un semblable langage dité, et eu conséquence ils en refusent un mor-

ne faut-il pas savoir que si nous voulons plaire ceau à ce mendiant baigné de larmes. Comme
à Dieu, nous ne devons pas rendre le mal ces aveugles qui se répandent en clameurs
pour le mal? Toutefois il n'appartient qu'aux insensées ,
peut-être vont-ils prétendre que
hommes parfaits de ne haïr dans leurs frères David en épargnant son ennemi est meilleur
que le péché et de les aimer comme hommes; que Dieu qui lui avait donné le pouvoir de
de chàlier non pas selon les exigences d'une l'immoler; comme si vraiment Dieu n'avait
sévérité cruelle, mais selon les règles d'une pas su à qui il accordait ce pouvoir. Il connais-
justice modérée; de ne punir enfin (luc dans sait les dispositions de son serviteur; mais
la crainte que l'indulgence à l'égard du pé- voulant faire connaître aux hommes, et imiter
ché ne soit plus nuisible au pécheur que la par eux l'amour de David pour son ennemi.
rigueur même du châtiment. Et cependant Dieu qui connaissait cet amour, remit en la
même les hommes justes n'en ont agi ainsi puissance de David son plus grand ennemi,
que sous l'influence de l'autorité divine; il le dont il voulait encore conserver la vie, parce

fallaitbien pour empêcher qu'il n'arrivât à qu'elle était utile à l'accomplissement de ses
quelqu'un de se croire autorisé à tuer qui il desseins. C'est ainsi que la bonté d'âme de
voudrait, voire même de le poursuivre en ju- David s'impose d'elle-mênie à l'admiration et
gement ou de lui infliger quelque châtiment à l'imitation des hommes; c'est ainsi encore
que ce fût. Or, il est des circonstances dans que la perversité de Saûl fut réservée à une
lesquelles l'Ecriture mentionne expressément fin où la justice éclata davantage, afln de faire

les ordres du ciel; dans d'autres, ces ordres pâlir de crainte les hommes qui marcheraient
sont seulement sous-entendus. De cette ma- sur ses traces.
nière, le lecteur s'instruit quand les ordres
sont formels, et dans le cas contraire sa dis- CHAPITRE XVIII.

crétion est mise à l'épreuve.


DES BÉNÉDICTIONS TEMPORELLES.
6. David vit tomber entre ses mains un de
ses ennemis déclarés, un persécuteur à la 1. N-ous lisons au Deutéronome « Si vous :

fois ingrat et cruel, Saïil enfln, et sa destinée « écoulez la voix du Seigneur votre Dieu, vous
lui appartenait entièrement. Toutefois il aima « serez béni dans votre champ, vous serez
mieux l'épargner que de verser son sang. « béni dans votre pré, le fruit de votre ven-
Jusque-là, eu effet, il n'avait pas reçu ordre de « tre, celui de votre terre et le fruit de vos
lui ôter la vie, il n'en avait pas reçu non plus « bestiaux sera béni ; vos trouiieaux de bœufs
la défense; bien plus, une parole du ciel lui a et vos troupeaux de brebis seront bénis; à
avait déclaré que le sort
de son ennemi « l'entrée et à la fin vous serez béni ». A ce '

était entre ses mains ; et cependant il n'usa de chapitre, les Manichéens opposent ce passage
celte souveraine puissance que pour faire de l'Evangile : quelqu'un veut venir à
« Si

grâce '-.
Que l'on me dise de qui il a eu peur « ma suite, qu'il serenonce lui-même qu'il ,

en refusant de tuer Saûl. Il ne craignait pas « porte sa croix et qu'il me suive. Car que
Saùl, puisque ce dernier était tombé en son « sert à l'homme de gagner le monde tout
pouvoir; il ne craignait pas Dieu, puisque c'est « entier s'il vient à perdre son âme? Ou bien,
Dieu lui-même qui le lui avait livré. 11 pou- « que peut obtenir l'homme en échange de son
vait le mettre à mort sans aucune difficulté, « âme -? » Pour montrer qu'il n'y a aucune
sans avoir rien à craindre; pourquoi donc contradiction entre ces deux passages, il suffit
répargne-t-il, si ce n'est par amour pour son de se rappeler ce principe universellement
ennemi? Ainsi voilà (jue David, malgré son admis, savoir qu'à un peuple encore char-
ardeur guerrière, accomplit le précepte donné nel il fallail; des promesses et des récompenses
par Jésus-Christ d'aimer nos ennemis. Plût à temporelles, et tout cela sous un seul et même
Dieu qu'il fût imité par ces novateurs qui ont Dieu, auteur de toute créature supérieure et
remplacé ce sentiment si naturel à l'honmie, inférieure. Adimantus lui-même n'a pas
la miséricorde, par je ne sais quel délire aussi craint de citer ces paroles du Sauveur : a Ne
''«. vil, l, 5.— '
1 Kois, XXIV, 3-8, XXVI, 8-12. Deui. xxviii, 1-6. Matt. XVI, 24, 26.
108 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

« jurez jamais, ni parle ciel, car c'est le trône Prophète foulant aux pieds cette félicité de la
de Dieu, ni par la terre, parce qu'elle est
« terre et ne cherchant d'appui que dans le
«l'escabeau de ses pieds' ». Dans l'Ancien Dieu tout-puissant a Délivrez-moi, dit-il, du
:

Testament nous retrouvons quelque chose de a glaive meurtrier, et retirez-moi de la main


semblable « Le ciel est mon trône et la terre
: « d'une race étrangère, dontla bouche n'a pro-
est l'escabeau de mes pieds ^ ». Quoi d'éton- « nonce que des faussetés, et dont la main ne
nant, dès lors, que Dieu donne les biens de son « sert qu'à l'iniquité. Leurs fils sontcommede
trône à ceux qui le servent spirituellement? « nouvelles plantes dans la première vigueur de
Entre l'esprit et la chair, la supériorité n'ap- « leur jeunesse. Leurs filles sont d'une bellefi-
partient-elle pas à l'esprit comme elle appar- a gure et parées avec autant d'artque nos tem-
tient aux choses célestes sur les choses ter- « pies. Leurs greniers sont remplis, ils se
restres? Toutefois nous ne disons pas qu'on « déchargent l'un dans l'autre. Leurs brebis
ne puisse interpréter dans le sens spirituel, « sont fécondes, on les voit sortir en foule de
le champ, le pré, le fruit du ventre, le fruit de « leurs étables; leurs vaches sont chargées de
la terreetdes animaux, lestroupeauxdebœufs graisse. Dans les places de leurs villes, il
et de brebis. Mais cette interprétation ne « n'y a ni maisons en ruine, ni danger d'ir-
rentre pas dans le sujet que nous traitons. « ruption, ni cris de sédition. Et ils ont dit :
D'un autre côté, quoique le Nouveau Testa- a Heureux le peuple qui jouit de ces avantages;
ment ait surtout en vue l'homme nouveau « (et moi je dis) heureux le peuple qui n'a que

dans les récompenses et l'héritage qu'il pro- a Dieu pour maître ». Si donc cette félicité
'

met, il ne laisse pas cependant, s'adressant à purement humaine sourit aux hommes im-
ceux-là mêmes qui méprisent et abandonnent pies, qu'ils n'oublient pas non plus que le vé-
les biens temporels pour mieux suivre l'Evan- ritable bonheur, le bonheur durable, est celui
gile, de leur promettre la multiplication de qui s'appuie sur Dieu seul. Bienheureux, di-
ces mêmes biens dès cette vie. En elîet, c'est sent-ils, le peuple qui possède tous ces avan-

le Sauveur lui-même qui a annoncé qu'ils re- tages; aux yeux du prophète, il n'y a d'heu-
cevraient au centuple dès ce monde, et la reux que peuple qui a Dieu seul pour
le

gloire éternelle dans le siècle futur ^ De maître. Mais à ce passage de l'Ancien Testa-
même, dans l'Ancien Testament, nous li- ment, voici que les Manichéens opposent ces
sons « Pour l'homme fidèle, ce monde est
: paroles du Sauveur « Quiconque rougira de
:

« tout entier de la richesse ' ». C'est là ce qui a moi ou de mes paroles dans cette nation
inspirait à l'Apôtre cette parole triomphante : « adultère et pécheresse, de l'homme le Fils

a Nous sommes comme des hommes qui « rougira aussi de lui quand viendra avec il

a n'ont rien et qui possèdent tout ^ ». Si donc a toute la gloire de son Père et entouré des
à cette gloire éternelle dont les saints ont « louanges des saints - ». Or, je ne vois pas
reçu la promesse , le Nouveau Testament comment il peut être question ici du mépris

ajoute la possession des biens passagers de ce des choses temporelles. Serait-ce en ce sens
monde, possession d'autant plus abondante que frappé de la caducité des biens de la
que le mépris de ces mêmes biens aura été terre, on ne voudrait pas, pour les acquérir,
plus profond faut-il s'étonner que l'Ancien
; se mettre dans la nécessité ou de rougir
Testament, qui ne s'adressait qu'à un peuple de Jésus-Christ ou de craindre son cour-
charnel, ait promis des récompenses tempo- roux? Mais alors que peut-on dire à cela?
relles? Qu'y a-t-il là de contradictoire avec Nous avouons sans hésiter que les biens de la
l'idée d'un seul et même Dieu, maître souve- terre sont tout autant de présents que Dieu
rain de tous les temps et gouvernant toutes nous a faits, quoique d'un rang bien inférieur,
choses avec la modération et la sagesse que et que s'ils devenaient incompatibles avec le

réclame la diversité des besoins et des siècles? service de Dieu, on devrait non-seulement les
2. Je ne veux pas même laisser à nos adver- mépriser, mais les refouler loiu de soi. Nous
saires la satisfaction de croire que le Nouveau ajoutons que, s'il s'agit de ces hommes char-
Testament seul nous offre des leçons du mé- nels dont le cœur est tout entier à la terre, et

pris des choses humaines. Qu'ils entendent le qui n'ont pas encore le sentiment des pro-


'
Ps. cxLUi, 11-J5. — ' Marc, vin, 38.
'
Mail. V, 35. — ' Isaie, Lxvi, 1. — ' Malt, xix, 29. ' Trov.
.wii, selon les Sepl.— ' II Cor. vi, 10.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 109

messes célestes, il est utile qu'ils demandent « sition de l'or et de l'argent. Elle est plus pré-
à Dieu seul ces biens temporels, plutôt que de a cieuseque les plus belles pierreries, et aucun
les demander aux idoles ou aux démons. « mal ne lui résiste elle est bien connue de
;

a tous ceux qui l'approchent et de ceux qui la


CHAPITRE XIX. « considèrent avec attention. Les choses les
a i)lus précieuses ne sont pas dignes d'elle' ».
LES RICHESSES ET LA PAUVRETÉ.
M C'est pourquoi j'ai désiré l'intelligence, et
1. Il est écrit dans la loi : « C'est moi qui a elle m'a été donnée j'ai invoqué le Seigneur,
;

« donne les richesses à mes amis et la pau- a et l'esprit de sagesse est venu en moi. Je l'ai
a vreté à mes ennemis ». A ce passage les Ma- a préférée aux royaumes et aux trônes, et j'ai
nichéens opposent ces paroles du Sauveur : « cru que les richesses n'étaient rien au prix
« Bienheureux les pauvres en esprit, parce « de la sagesse. Je ne l'ai point comparée aux
que le royaume des cieux est à eux mal- '
;
a pierres précieuses, parce que tout l'or, au
« heur à vous, riches, parce que vous avez a prix d'elle, n'est qu'un peu de sable; et l'ar-

«reçu votre consolation ^ ». Mais pourquoi a gent, devant elle, sera considéré comme de
ne pas continuer la lecture de l'Evangile? En a la boue'». Si les Manichéens lisaient ces
effet, inmiédiatement après ces paroles : passages, ou les lisaient sans impiété, ils
« Bienheureux les pauvres en esprit, parce comprendraient que dans les deux Testaments
« que le royaume des cieux est à eux », nous tout est dans une harmonie parfaite, ce qu'il
trouvons celles-ci « Bienheureux ceux qui : faut désirer, comme ce qu'il faut fuir, ce
« sont doux, parce qu'ils auront la terre pour qu'il faut acquérir ou ce qu'il faut rejeter.
a héritage ». Voici donc que les amis de Dieu

deviennent riches de la possession même de CHAPITRE XX.


la terre. Au contraire, qu'ils jettent les yeux RÉCOMPENSES TEMPORELLES.
sur ce mauvais riche de l'Evangile réduit sou-
dain à la plus extrême pauvreté et condannié i. Nous lisons dans le Lévitique « Si vous :

à conjurer pauvre qu'il avait précédemment


le a marchez selon ma loi, si vous observez mes
dédaigné, de tremper son doigt dans une « préceptes, je vous donnerai la pluie en son
source d'eau vive et d'en laisser tomber a temps la terre aura ses produits et les
;

quelque goutte sur sa langue ^ Comment « arbres leurs fruits les vendanges succéde-
;

dès lors ne pas comprendre parquets moyens « ront aux moissons et les semailles aux ven-
Dieu réduit ses ennemis à la pauvreté, com- « danges et vous serez rassasiés et vous
;

ment ne pas reconnaître la vérité de cette pa- a habiterez dans votre terre sans aucune
role de la Loi ; « C'est moi qui donne la ri- crainte vous dormirez, et il n'y aura per-
;

« chesse à mes amis et la pauvreté à mes a sonne pour vous effrayer. J'éloignerai de
«ennemis? » « votre terre les bêtes sauvages, vous pour-
2. Quant aux richesses temporelles, j'ai « suivrez vos ennemis et ils tomberont sous
montré que dès l'Ancien Testament, elles a vos coups. Cinq d'entre vous en poursui-
avaient été l'objet d'un mépris véritable; et « vront cent, et cent d'entre vous en poursui-
pour peu qu'on se donne la peine de lire, on a vront dix mille, et vos ennemis tomberont
en trouvera un grand nombre de preuves. a en foule devant vous. Je viendrai, je vous
En voici quelques-unes « Le juste préfère la :
a bénirai, je vous multiplierai et je réglerai
« médiocrité à toutes les richesses des pé- a votre sort. Vous mangerez les fruits que
« cheurs * » « La loi sortie de vos lèvres est
.
a vous aviez en réserve et vous rejetterez les
« pour moi plus précieuse qu'un poids énorme a vieux en présence des nouveaux' ». Je pense

« d'or et d'argent ^ ». «Les jugements de


Dieu que personne ne nous demandera de montrer
« sont la justice même, et ils sont pour nous que ces promesses étaient simplement appro-
« plus désirables que l'or et les pierres pré- l)riées à l'ancien peuple. J'ai déjà traité lon-
B cieuses* ». « Heureux celui qui a trouvé la guement matière ne pas s'en conten-
cette ;

« sagesse et qui est riche en prudence la pos- ; ter ce serait faire preuve de peu d'intelli-
« session de la sagesse vaut mieux que l'acqui- gence. Cependant les Manichéens ne laissent
pas d'opposer à ce passage ces paroles du Sau-
'
Matt. V, 3. — ' Luc, VI, 24. — ' Id. XYI, 21. — ' Ps. xxïvi, 10.
— ' Id. cxvin, 72. ' — Id. XVIII, 10. ' Prov. lU, 13-15. — ' Sag. vu, 7-9. — '
Lévit. Xïvi, 3-10.
110 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.
veiir : o Ne portez dans vos l)Ourses ni or, ni prendre que la possession elle-même n'est
8 argent, ni monnaie
voyage vous ; dans le pas un péché ? Le péché serait d'y atta-
« n'avez besoin ni de besace, ni de deux tu- cher sou cœur de mettre là toute sou
,

niques, ni de cliaussures, ni de bâton car ; espérance, de préférer ou de comparer ses


« l'ouvrier est digne d'obtenir sa réconi- biens à la vérilc, à la justice, à la sagesse , à
« pense' ». Or, qu'ya-t-il d'étonnant (|ue ces la foi, à la bonne conscience, à l'amour de
conseils aient été donnés à des Evangélistes ? Dieu et du prochain, toutes choses qui enri-
Etait-ce à ce ministère que le peuple juif était chissent une âme et la rendent précieuse aux
a|)pelé ? Toutefois c'est encore au sens spiri- yeux de Dieu. S'agit-il maintenant d'inspirer
tuelque l'on doit s'attacber, car autrement, l'amour de ce Dieu qui communique à ceux
aux yeux des impies le Sauveur ne paraîtrait- qui l'aiment tous ces biens invisibles et éter-
il pas avoir contredit ses propres enseigne- nels, c'est-à-dire qui se communique lui-
ments, lui accompagner de
qui se faisait même à eux avec toute l'abondance des biens
l'argent nécessaire aux provisions du voyage- ? dont il est la source ;
quel moyen employer
Mais les Manichéens ne vont-ils pas répondre à l'égard d'une âme charnelle qui ne connaît
que c'est un péché d'avoir de l'argent dans sa que les affections de la chair et ne sait dési-
ceinture, mais non dans sa bourse ? Or, nous rer (jue les biens temporels ? Tout ce que l'on
disons qu'il n'y avait pas là un précepte for- peut de cette âme, n'est-ce pas
faire à l'égard
mel, mais un simple conseil donné aux Apô- de lui persuader que c'est Dieu lui-même qui
tres. La preuve en est que saint Paul travail- est pour l'homme la source de tous ces biens
lait de ses propres mains pour subvenir à sa qu'elle aime ? Et en cela on est dans la plus
comme il le dit lui-même,
subsistance, et cela, rigoureuse vérité. Disons-le donc toutes ces :

pour ne point abuser de la puissance que le promesses temporelles faites au peuple juif
Sauveur avait donnée aux Evangélistes ^ Ce n'avaient pas d'autre but ce qui avait prise
;

que le Sauveur a permis, on est libre de ne sur lui, c'était surtout la crainte, mais enfin
pas le faire tandis qu'on ne peut omettre,
; ces promesses devaient peu à peu l'habituer à
sans péché, ce qui a été commandé. l'amour. Ajoutons que ces biens temporels n'é-
2. Ils allèguent encore le fait de ce riche à taient qu'une figure desbienséternels, comme
qui Dieu avait dit : « Insensé, celte nuit je te la victoire promise sur leurs ennemis prophé-
a redemanderai ton âme; quant aux trésors que tisait le triomphe remporté par les élus sur le

tu as amassés, à qui retourneront-ils ' ? » démon et ses anges.


La contradiction, disent-ils, est manifeste entre Nos adversaires opposent aussi à l'Ancien
3.
ce passage et la loi car ici le Seigneur se ;
Testament, le passage où l'Apôtre déclare que
ritde cette vaine joie qui pense se reposer Dieu ne se complaît que dans la paix et non
toujours sur des biens essentiellement passa- dans la division et la guerre'. Mais qu'ils
gers, et là ce même Dieu garantit au peuple sachent donc que dans les Ecritures Dieu
d'Israël des promesses temporelles. L'Apôtre nous est représenté tel que personne ne peut
saint Paul parlant des riches du siècle de- lui ravir la paix dont il jouiten lui-même. D'un
venus membres de l'Eglise, écrivait à Timo- Dieu comme ils le prêchent, qui craignant
Ihée « Ordonnez aux riches de ce siècle de
: l'attaque pour son empire, lance au loin cha-
« ne pas s'enfler d'orgueil et de ne point cun de ses membres [lour y subir la guerre
« nietti'e leur conliance dans leurs fragiles étrangère, sauf à les mettre dans l'impossibi-
« richesses qu'ils n'espèrent que dans le
;
lité de se délivrer, de se relever de leurs dé-

« Dieu vivant qui nous donne tout en abon- faites et de se purifier de leurs souillures ;

« dance qu'ils fassent du bien, qu'ils soient


;
d'un Dieu comme celui-là, il n'enest pas ques-
« riches en bonnes œuvres, qu'ils donnent tion dans les Livres saints. Au contraire, s'a-
a facilement, qu'ils fassent jiart de leurs biens git- il de la nature humaine tombée dans
« et «lu'ils s'amassent un trésor des biens à l'abîme du péché. Dieu s'éprend d'amour
« venir, afin de conquérir la vie éternelle" ». pour la paix dont elle peut jouir, mais non pas
Après ces paroles, comment ne pas com- jusqu'à blesser les droits de la justice, jusqu'à
permettre que la paix qu'il aime suit foulée
' Mail. X, 9, 10 'Jean , xii 0. ,
— '
Act. xviii, 3 ; I Cor. iv, aux [lieds par les pécheurs; ce qu'il veut, c'est
12 ; I Thess. il, 9 ; II Tbesa. i, 8, 9. — ' Luc, xii, 20. — '
I Tim.
VI, 17-19. ' I Cor. XIV, :a
CONTRE ADIMANTUS. MANICHEEN. Itl

qu'elle soit aimée par les combattants, em- Ce n'est donc pas au Seigneur lui-même,
brassée par les vainqueurs, promise en figure mais à la mort, que s'applique la malédiction
aux âmes encore charnelles, et montrée dans prononcée par David, et que le Sauveur a dé-
sa ravissante réalité aux hommes spirituels. truite en s'en faisant la victime. Ce qui a été
suspendu au bois, c'est donc la mort elle-même
CHAPITRE XXI. que l'homme s'attira par sa criminelle con-
descendance pour la femme, séduite elle-même
MAUDIT SOIT LE CRUCIFIÉ !
par le serpent. Voilà pourquoi Moïse, dans le
Nous lisons au Deutéronome
Maudit soit : « désert, éleva un serpent suspendu au bois pour
« celui ([ui est Les Mani-
pendu au bois' ». signiûer la mort elle-même. Et parce que la
chéens ont souvent agité cette question mais : foi en la croix du Seigneur nous guérit des

je me demande encore ce que peuvent avoir passions qui donnent la mort, ceux qui dans
de contraire à celte maxime les paroles sui- le désert avaient été atteints des morsures ve-

vantes du Sauveur, citées par Adimantus : nimeuses des serpents, obtenaient leur guéri-
« Si vousvoulez être parfait, vendez tout ce que son en jetant seulement leurs regards sur le
« vous possédez, donnez-en le prix aux pauvres, bois qui portait le serpent '. Ce mystère a été
« portez votre croix et suivez-moi ^ ». Si le nom constaté par le Sauveur lui-même dans les pa-
même de la croix n'était pas formellement roles suivantes : « Comme Moïse a élevé le

désigné, je ne veri-ais pas qu'il y eût môme « serpent dans le désert, ainsi faut-il que le

de relation à établir entre ce mot du Sauveur « de l'homme soit exalté - ». En acceptant


Fils
et les paroles citées : « Maudit soit celui qui est ce genre de mort, le plus ignominieux aux
« pendu au bois »; à plus forte raison ne pour- yeux des hommes, c'est-à-dire la mort de la
rait-on y trouver de contradiction, puisque croix, Noire-Seigneur Jésus-Christ nous a
chacun peut porter sa croix et suivre le Sei- prouvé l'immense étendue de son amour pour
gneur. Or, nous portons cette croix, par le fait nous, et c'est là ce qui a fait dire à l'Apôtre :

même que nous suivons le Seigneur, car l'A- « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédic-

pôtre a dit: « Ceux qui appartiennent à Jésus- « lion de la loi, en se faisant maudit en notre
ci Christ ontcrucifléleurchairavec ses passions « place, car il est écrit Maudit soit celui qui
:

« et ses concupiscences ' ». Par l'efficacité de « est suspendu au bois ^ ». Comment dès lors
celle croix nous détruisons le vieil homme, la liberté chrétienne, plus encore que la ser-
c'est-à-dire la vieille vie que nous avons reçue vitude judaïque, craindrait-elle, non-seule-
d'Adam et qui fut eu lui l'effet d'un crime vo- ment aucune mort, mais aucun genre de
lontaire, tandis qu'en nous, elle est une consé- mort ?
quence de notre nature. C'est ce que l'Apôtre CHAPITRE XXII.
formule en ces termes « Nous avons été :
CN PROF AN.4TECR DU SABBAT CRUELLEMENT PIM.
« autrefois et par nature enfants de colère,
« comme le reste des hommes » Si donc c'est ' . Le livre des Nombres nous rapporte qu'un
par Adam que nous avons reçu cette vieille vie, malheureux, surpris, le Jour du saljbat, à ra-
ainsi désignée parce que nous la tenons du vieil masser du bois hors du camp, fut immédiate-
homme, qu'y a-t-il d'absurde dans la malédic- ment la[iidé sur l'ordre de Dieu '. D'un autre
tion lancée par Seigneur contre le vieil
le côté, nous lisons dans l'Evangile que le Sau-
homme queDieuasnspendu au bois? En effet, veur, un jour de sabbat, guérit un homme
ensefaisanthomnie, le Sauveuravailcoulracté, frappé de paralysie à la main ^ Or, cette gué-
par droit de succession, la dette de la morta- rison n'est pas l'œuvre de l'homme, mais celle
lité; il est né mortel des entrailles de Marie; de Dieu et Dieu a pu opérer ce miracle sans
;

sa chair n'était pas souillée par le péché, mais sortir de son repos il lui a suffi d'une parole
;

elle portait la ressemblance du péché °. Eu et le prodige a été accompli. Il n'y a donc au-
effet, il pouvait mourir, et la mort n'est qu'une cune relation à établir entre ce fait, et celui de
suite du péché. De là ce mot a Sachant que : l'homme surpris à recueillir du bois le jour
« notre vieil homme a été attaché à la croix avec du sabbat, et lapidé par l'ordre de Dieu. J'ai
« lui, afin que le corps du péché fùtdétruitS). déjà souvent parlé de l'observation servile du
• Deut. xsi, 23.— Walt. XIX, 21, xvi, 21. — • Gai. v, 21. — ' Nomb. XXI , 9. — Jean, ni, 11.
' — '
Gai. m , 13. — ' N'omb.
' Ephes. u, 3.— ' Kom. viu, 3. —
' Id. vi, 6. IV, 35. — ' Matt. XII, 10-13.
H2 CONTRE ADIMANTUS, MANICHEEN.

sabbat et delà mort temporelle comme châti- « l'hiver elle ne cesse de recueillir des provi-
ment. Sous le règne de la charité, c'est la « sions pour sa subsistance '». Les Manichéens
bonté de Dieu qui éclate, comme sous le ne voient pas que ces paroles doivent être
règne de la crainte c'est la sévérité qui se ma- prises dans un sens spirituel, et en concluent
nifestait. De même, avant la venue du Sau- que c'est pour nous un devoir de thésauriser
veur, parce que les mystères ne devaient être sur la terre, et même d'entasser d'abondantes
exposés aux regards de la foule que sous l'en- récoltes dans les greniers, comme le font cer-
veloppe des figures légales, aucune invitation tains hommes, mais sans qu'aucun précepte
n'était faite aux Juifs de comprendre les sym- les y oblige. A cette sentence Adimanlus ,

boles, on se contentait de les forcer à accom- s'empresse donc d'opposer cette parole du Sau-
plir les préceptes qui leur étaient imposés. En veur Ne vous tourmentez pas du lende-
: a

effet, ce n'était pas encore par l'esprit qu'ils c( main». Ils ne comprennent pas que ces
^

appartenaient à Dieu, et c'était une obéissance paroles n'ont pour but que de nous em-
toute charnelle qu'ils rendaient à la loi. Je pêcher d'attacher notre cœur aux choses tem-
m'étonne donc que les Manichéens s'apitoyent porelles et d'éprouver des craintes trop sen-
si tristement sur le sort de ce malheureux ,
sibles de manquer du nécessaire, et cela afln

lapidé sur l'ordre de Dieu, parce qu'il déso- de nous rendre aptes à servir Dieu ou à nous
béissait à la loi, tandis qu'ils n'ont aucune montrer généreux envers nos frères. En effet,
larme à verser sur le figuier qu'une seule pa- si vous admettez qu'il y ait un précepte formel

role de Jésus-Christ dessécha tout à coup, quoi- de ne pas conserver de pain pour le lende-
qu'il n'eût violé aucun précepte '
; oublie- main, ce précepte n'est par personne mieux
que, d'après leur système, les arbres
raient-ils observé que parées vagabonds romains, nom-
ont une âme de même nature que les hommes ? més Passifs, qui, aussitôt rassasiés des ali-
ments qui leur sont chaque jour distribués,
CHAPITRE XXHI. donnent aussitôt ou jettent ce qui leur reste ;

les disciples mêmes du Sauveur étaient loin


BÉNÉDICTIONS PROMISES A LA FAMILLE. d'une aussi haute perfection, puisqu'ils por-
taient en voyage l'argent qui pouvait leur être
Nous lisons dans les Psaumes : « Votre nécessaire; saint Paul lui-même avait quelque
« épouse sera comme une
vigne chargée de chose à leur envier, puisque, malgré son mé-
« fruits vos enfants seront comme de jeunes
; pris pour les choses de la terre, il sut si bien
a plants d'oliviers autour de votre table, et administrer ce qui regardait les nécessités de
« vous verrez les enfants de vos enfants et vous la vie présente qu'il ne craint pas, au sujet
« saurez que c'est ainsi que Dieu bénit tout des veuves, de formuler le précepte suivant :

« homme qui craint le Seigneur - » Les Ma- . « Si un des veuves, qu'il leur donne ce
fidèle a

nichéens ne veulent pas comprendre que cette « qui leur est nécessaire, afln de ne pas ag-
prophétie regarde l'Eglise, et ils s'obstinent « graver les charges de l'Eglise et afin qu'elle

à opposer à ce passage celui de l'Evangile où « puisse suffire à l'entretien des veuves véri-
le Seigneur parle de ceux qui se rendent eu- « tables Quant à cet exemple tiré de la
' » .

nuques pour mériter le royaume des cieux. fourmi, de même


que pendant l'été elle ras-
Mais dans le troisième chapitre, nous nous semble ce qui lui sera nécessaire pour se
sommes étendu assez longuement sur ce qui nourrir pendant l'hiver, de même chaque
regarde l'homme, la femme et les eunuques chrétien , dans les moments de paix et de
ou la virginité. tranciuillité, figurés par l'été, fait une ami)le
provision d'instructions et de grâces célestes
CHAPITRE XXIV. (pii lui permettront d'entretenir sa vie spiri-
tuelle les moments de
quand seront venus
LA FOURMI PROPOSÉE COMME MODÈLE A l'hOMME.
trouble et de tribulations figurés par l'hiver.
Salomon écrit : « Imitez la fourmi et admi- En effet, l'homme ne vit pas seulement de pain,
« rez sa prévoyance ; depuis l'été jusqu'à mais aussi de toute parole sortie des lèvres de
• MsU. XXI, 19. — ' Ps. cxxvii, 2-4. ' Prov. yi, 6, 8. — ' Malt, vi, 34. — ' I Tmi. v, 16.
CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN. 113

Dieu '.Enfin, si nos adversaires s'irritent parce trailles seront donc stériles, leur sein desséché
qu'il est dit que la fourmi enfouit dans la terre etleur fécondité éteinte. Telle est l'image de
ce qu'elle recueille, qu'ils s'irrileut donc aussi nos adversaires qu'ils s'y contemplent à ,

contre ce trésor dont le Sauveur nous dit qu'il loisir.

fut trouvé enfoui dans un champ ^


CHAPITRE XXVL
CHAPITRE XXV. SI DIEU EST AL'TEDR DU MAL.

DE LA FÉCONDITÉ SPIRITUELLE.
Nous lisons dans Amos S'il peut se faire : ci

Le prophète Osée s'écrie : « Donnez-leur des en- « que deux hommes voyagent de compagnie
te trailles stériles et un sein desséché, détruisez « sans se connaître et que le lion retourne sans
B en elles tout principe de fécondité, de crainte B sa proie vers son lionceau si un oiseau tombe ;

« qu'elles enfantent ^ ». Or, cette prophétie est «sur la terre dans le filet, sans qu'il lui ait

évidemment une figure. En effet, l'Evangile « été tendu par l'oiseleur; si on tend un piège
nous parle d'un sein non charnel, quand il dit : « sans motif et pour ne rien prendre si on ;

a Des fleuves d'eau vive s'échapperont de son « sonne delà trompette dans uneville sans que
« sein * ». L'Apôtre se suppose également des « le peuple soit dans l'épouvante, il pourra
mamelles, dans les paroles suivantes « Je : « aussi arriver quelque mal dans la ville sans
« vous ai donné du lait à boire, et non de la « qu'il vienne du Seigneur » Or, le mal dont '
.

« nourriture à manger '^


». Et ailleurs : « Je il s'agit dans ce passage, ce n'est pas le péché,

« me suis fait le plus petit d'entre vous, je suis mais un châtiment quelconque. En effet, le
« devenu comme une nourrice qui alimente mal peut se diviser en deux espèces celui dont :

«ses enfants*». Quant aux Galates, qui se l'homme est l'auteur et celai dont il est la
laissaient aller aux inclinations de la chair, il victime ; celui dont il est l'auleur, c'est le pé-
lesjenfante de nouveau jusqu'à ce que Jésus- ché; celui dont il est victime, c'est le châti-
Christ soit formé en eux \ C'est donc à tort ment. Or, c'est de celte seconde espèce, c'est-à-
qu'Adimantus prétend trouver une contradic- dire du châtiment, que parle le Prophète. Car
tion entre ce passage du Prophète et ces paroles tel est l'ordre établi par la divine Providence,
de l'Evangile : « A la résurrection des morts souveraine arbitre de toutes choses : l'homme
« ilsne se marieront pas, ils n'épouseront peut faire le mal comme il le veut, sauf à su-
« point de femmes, ils ne mourront pas, mais bir le châtiment qu'il ne veut pas. Dès lors, en
« ils seront comme les anges de Dieu " ». Tel accusant le Prophète, les Manichéens ne prou-
est aussi l'état promis aux eunuques par le vent-ils pas qu'ils n'ont pas lu ces paroles de
prophète Isaïe « Ils occuperont une place
: l'Evangile « Deux passereaux ne se vendent-
:

8 supérieure à celle des fils et des filles, et je « ils pas un denier, et cependant l'un d'eux ne

« leur donnerai un nom éternel


* ». C'est donc 8 tombe jamais à terre sans la volonté de votre

que l'Evangile seul ren-


à tort qu'ils assurent « Père ' ? » Le mal que Dieu fait n'est donc pas

ferme pour les saints la promesse d'une telle un mal pour Dieu lui-même, mais pour ceux
récompense. C'est à tort surtout que dans ces qu'il punit. D'où il suit qu'à proprement parler,
expressions : Les entrailles stériles, le sein Dieu ne fait que le bien, parce que tout ce qui
desséché, la fécondité éteinte, ils voient le châ- est juste est bien, et que les châtiments infli-

timent de ceux dont parle l'Apôtre « De même : gés par Dieu sont toujours justes. Que sert-il

« que Jamnès et Jambrès ont résisté à Moïse, donc à Adimantus d'objecter ces paroles du
de même la vérité rencontre pour ennemis Sauveur « L'arbre bon porte de bons fruits et
:

« ces hommes corrompus par l'esprit et ré- B le mauvais arbre ne porte que de mauvais

« prouvés selon la foi : mais leurs efforts res- « fruits ^ ?i) L'enfer est assurément un grand

« feront stériles ; leur folie sera clairement mal pour le réprouvé; et cependant la justice
a révélée aux yeux de tous, comme l'a été celle de Dieu est bonne, elle est le fruit d'un bon
de ces premiers coupables'"». Puisqu'ils ue
« arbre. Il est donc vrai de dire que Dieu amasse
doivent pas se propager plus loin, leurs en- sur la tète des méchants, à cause de leurs pé-
chés, un trésor de colère pour le jour des ré-
Deut. vin , 3
• Matt. iv, 4.— ' Matt. ïin, 44.
;
' Osée, iz, 14. — vélations et du juste jugement de Dieu, qui
— Jean, vu, 38.— ' 1 Cor. m, 2.
' ' I Thess. n, 7. — ' Gai. iv, —
19. —
' Matt. xxu, 30. —
• Isaie, Lvi, 3. '• IITim.
m, 8, 9. — '
Amos. m , 3-6. — ' Matt. X, 29. — ' Id. VH, 17.

S. Adg. — TOMK XIV. 8


m CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

rendra à chacun selon ses œuvres '. Du reste, « Dieu qui donne la paix et sélablis les
la parabole de ces deux arbres est évidemment « maux Ce texte s'explique par les mêmes
'
».
lafigure de deux hommes, du juste et du règles que le précédent. Ce qui choque Adi-
pécheur, et en effet, à moins de changer sa mantus, ce n'est pas que Dieu dise: .le donne la
propre volonté, personne ne peut faire le bien. paix, mais c'est qu'il dise J'établis les maux. :

Quanta la mesure de ce que nous pouvons, le L'Apôtre, dans un seul passage, a traité lar-
Sauveur détermine dans ces autres paroles
la : gement cette double question «Vous recon- :

« Ou rendez l'arbre bon, et par là même son « naissez donc la bonté et la sévérité de Dieu ; \

« fruit, ou rendez l'arbre mauvais, et ses fruits « sa sévérité à l'égard de ceux qui sont tombés ;; |

le seront aussi ». Ces paroles s'adressaient « sa bonté à votre égard si vous persévérez dans
à ceux qui se flatlaient de faire de leurs paro- « le bien autrement vous périrez vous-même,
;

les autant d'actes bons, quand ils étaient eux- « tandis que
renoncent à leur ini-
si les autres
mêmes mauvais, c'est-à-dire qu'étant de mau- « quité, ilsEn effet. Dieu
seront consolidés.
vais arbres ils se flatlaient de porter de bons « peut de nouveau les enter dans le bien - ».

fruits. Le Sauveur ajoute a Hypocrites, com- : Ces paroles nous révèlent d'abord la bonté de
(I ment pouvez-vous parler en bien, puisque Dieu, de laquelle Isaïe a dit Je suis le Dieu :

« vous êtes mauvais vous-mêmes-?» Un mau- qui établis la paix ; et ensuite sa sévérité :

vais arbre ne peut donc porter de bons fruits; J'établis les maux. 11 affirme aussi qu'il dé-
mais de mauvais qu'il élait il peut devenir pend de notre volonté de mériter d'attirer
bon et porter de bons fruits. Ecoutons l'A- sur nous ou cette bonté ou cette sévérité. Ce
pôtre « Autrefois vous n'étiez que ténèbres
:
;
passage d'Isaïe, quoi qu'en dise Adimantus,
« maintenant vous êtes lumière dans le Sei- ou plutôt malgré ses désirs, n'offre donc au-
« gneur » En d'autres termes vous avez été
. : cune contradiction avec ces paroles du Sau-
autrefois des arbres mauvais, et dès lors vous veur a Bienheureux les pacifiques, parce
:

ne pouviez pas porter de bons fruits mainte- ; « qu'ils seront appelés les enfants de Dieu ' ».
nant « vous êtes lumière dans le Seigneur », Il a dû lui-même savoir qu'Isaïe regardait les
c'est-à-dire que vous êtes devenus des arbres enfants de Dieu comme amis de la paix, puis-
bons et que vous donnez de bons fruits. C'est que c'est par son organe que le Seigneur a
ce qu'il indique par les paroles suivantes : dit : a C'est moi qui donne la paix » mais
;

« Marchez comme des enfants de lumière ;


comme voulu se tromper sur l'autre
il a
« car le fruit de la lumière, c'est d'accomplir partie du texte, il s'est lui-même jeté dans
« toute justice et toute vérité approuvant tout ;
le plus profond aveuglement. C'est absolu-

« ce qui peut plaire à Dieu ' ». Si Adimantus ment comme si un autre aveugle voulant
n'était pas animé de la plus entière malveil- montrer la bonléde l'Ancien Testament, allé-
lance, il comprendrait par l'Evangile lui- guait ces paroles « Je ne veux pas la mort :

même dans quel sens on peut dire que Dieu « du pécheur, mais sa conversion et sa vie ' ».
fait le mal. En effet, nous y lisons ce qu'il y a Et pour prouver que le Nouveau Testament
lu lui-même « Tout arbre qui ne porte pas
: est mauvais, il alléguerait ce passage : « Allez
« de bons fruits sera coupé et jeté au feu '», « au feu éternel, qui a été préparé au démon
Le mal que Dieu fait, c'est-à-dire les châti- « et à ses anges ». Est-ce que tombant lui- ''

ments qu'il inflige aux pécheurs, c'est de jeter même dans la fosse il n'y précipiterait pas du
l'arbre, au feu, l'arbre qui, i)ersévérantdaussa même coup tous ceux qui marcheraient sur
malice, ne veut pas devenir bon. Ce mal n'est ses traces, tous ceux qui ignorent les saintes
donc que pour l'arbre lui-même. Or, comme Ecritures et se trouvent bien de cet aveugle-
je l'ai dit. Dieu ne produit pas de fruits mau- ment? 11 suffit donc de lire avec un œil droit
vais, puisque le fruit de la justice c'est de pu- et chrétien pour trouver dans le Nouveau

nir le péché. Testament ce qu'ils reprochent à l'Ancien, et


CHAPITRE XXVII. dans l'Ancien ce qu'ils approuvent dans le
Nouveau.
CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Isaïe, XLV, — Rom. XI, 22, 23. -
7. ' ' Matt. v, y. — ' Ejéch.
Nous lisons dans Isaïe : « Je suis le Seigneur xxiii, 11. — 'Matt. xxï, 41.
Rom. Il, 5, C. — M:,tt. XII, 33, il. — ' Eplies.
•Matt. VII, 19.
CONTRE ADIiMANTUS, MANICHÉEN. 115

CHAPITRE XXYIII. B invisibles de Dieu ont été, depuis la création


«du monde, rendues visibles par les choses
DIEU PEUT-IL ÊTRE VU EN LUI-HIÈME.
« créées ». Ne l'entendez-vous pas se servir
'

1. Nous lisons dans Isaïe : « Pendant l'an- successivement du mot invisibles, pour dé-
« née dans laquelle mourut Ozias, je vis le signer des cho?es dont il dit ensuite qu'elles
« Seigneur assis sur un trône très-élevé toute ; ont été vues? Comment
ne pas convenir qu'ils
a la demeure était remplie de sa gloire ; au- sont obhgés d'avouer que ce qui est invisible
« tour de lui se tenaient des Séraphins por- pour les yeux du corps, est visible pour l'es-
« tant chacun six ailes ; deux d'entre elles prit? Si donc le Prophète a vu Dieu, qui est
« leur servaient à voiler leur visage et invisible corporellement, ce n'est pas par les
«deux autres couvraient leurs pieds '
». yeux de son corps, mais uniquement par son
A ce texte, Adimantus oppose ces paroles de intelligence.
l'Apôtre : « Au
Roi invisil^le des siècles hon- 2. En effet, nous trouvons dans les Ecritures
« neur et louange dans la suite des siècles - ». différentes espèces de visions. L'une ,
par les
Il de savoir quelle est la pensée de
s'agit ici yeux du corps; et c'est ainsi qu'Abraham vit
notre adversaire ou bien croit-il que le Pro- ; les trois mystérieux personnages sous le chêne
phète oublie de parler des deux autres ailes de Mambré ^ Jloïse, le feu du buisson les
; ;

dont les Séraphins se servaient pour voler, en disciples, le Seigneur transfiguré sur la mon-
répétant « Saint, Saint, Saint le Dieu des ar-
: tagne entre Moïse et Elle, et autres faits sem-
« mées?ou bien pense-t-il que tout n'est pas
» blables. Un autre genre de vision consiste à
exprimé dans les paroles de l'Apôtre? Voici ces s'imaginer ce que nous sentons par notre
paroles : « Au Roi invisible, incorruptible des corps en effet, que Dieu vienne à élever notre
;

siècles, à Dieu seul, honneur et gloire dans nature au-dessus d'elle-même, aussitôt il se
« les siècles des siècles ». A-t-11 craint que le fait en nous de nombreuses révélations, sans
souvenir de ne rappelât au lecteur
la Trinité que les yeux, les oreilles ou un autre sens
la pensée du Prophète, et ne lui donnât occa- charnel y ait aucune part. C'est de cette ma-
sion de soupçonner là quelque grand mys- nière que saint Pierre aperçut la nappe qui
tère inconnu? En effet, c'est trois fois qu'il est lui parut échappée du ciel avec des animaux de
dit : «Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu des différentes espèces ^ Tel fut aussi le genre de
« armées ». D'un autre côté, peut-être que le vision qu'eut Isaïe dans les circonstances dont
texte de l'Apôtre lui paraît exprimer formel- nous parlons. En effet, il est certain que Dieu
lement l'incorruptibilité de Dieu. Alors je lui n'est pas environné d'une forme corporelle ;

ferais la réponse que je fais à tous les siens : mais de même que nous employons très-sou-
Quelle atteinte pouvait donc porter à un Dieu vent à son égard un langage figuré, de même
incorruptible cette nation des ténèbres, lors nous nous faisons de lui beaucoup de repré-
même qu'il aurait refusé de combattre contre sentations qui ne sont que des figures. Une
elle? Admetlra-t-on qu'il avait lu des exem- troisième espèce de vision est tout intellec-
plaires interpolés, ou t|ue le texte attribué à tuelle, et consiste dans la représentation même
Adimantus et que nous avons lu nous-mème de la vérité et de la sagesse. Sans cette dernière
était également interpolé ? Dans ce cas, nous espèce, les deux premières n'ont aucune utilité
n'avons pas à discuter plus longtemps sur un et souvent même elles induisent en erreur.
point aussi douteux. Qu'il nous suffise de sa- En effet, supposé que par l'action de Dieu,
voir pourquoi le Prophète a pu dire qu'il avait nous obtenions la compréhension de ce qui
vu le Seigneur assis sur un trône très-élevé, frappe nos sens ou notre imagination, si aux
tandis que l'Apôtre affirme l'invisibilité de deux premiers genres de vision vient s'ad-
Dieu. Je demande aux Manichéens si les choses joindre le troisième, la révélation se trouve
invisibles peuvent être vues. S'ils répondent parvenue à toute sa perfection. Or, c'est à ce
affirmativement, qu'ils me disent pourquoi ils troisième genre de vision que je faisais allu-
accusent le Prophète d'avoir dit qu'il avait vu sion en citant ces paroles de l'Apôtre « Les :

le Dieu invisible. Si leur réponse est négative, « choses invisibles de Dieu sont devenues visi-
qu'ils ne ménagent alors aucune accusation « blés intellectuellement depuis la création du
contre un apôtre qui a osé dire : « Les choses a monde, par tout ce qui a été fait ». On voit
' Isaie, VI, 1, 2. — ' I Tim. i, 17. '
Rom. W. — Gen. xviii, 1. —
I,
' ' Act. xi,
H6 CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN.

Dieu de celte manière quand, par l'action de cette manière le lecteur peut se livrer à
d'une foi vive et d'une connaissance de Dieu tout le labeur de la vision intellectuelle, la
suffisante, le cœur s'est purifié et orné des seule qui soit vraiment utile. Mais bien sou-
plus belles vertus. A quoi a-t-il servi au roi vent aussi c'est d'après les passages qui nous
Baltbazar d'apercevoir une main traçant sous sont reproduits dans toute leur évidence, que
ses yeux des caractères sur la muraille ? Comme nous pouvons interpréter ceux qui ont été
à celte vue physique il ne put joindre la vue écrits dans le sens figuré ou prophétique. En
intellectuelle, il lui fallut chercher à voir ce effet, les démonstrations figurées tiennent à la

que pourtant il voyait. Au contraire, Daniel, fois de ces deux genres de vision, celle du corps
doué de cette perspicacitélumineusequi donne et celle de l'intelligence. Celle de l'intelligence
le sens des choses, vit des yeux de son esprit n'est autre chose que la révélation simple et
ce qu'il voyait déjà par les yeux du corps '. formelle de choses comprises et certaines.
Quant au roi Nabuchodonosor, c'est par l'ima- Disons cependant que tout cela dépend, avant
gination qu'il eut la vue de son fameux songe. tout, de l'action merveilleuse et ineffable du
Mais comme il n'avait ])as à un assez haut Saint-Esprit, qui distribue ses dons avec une
degré le regard de l'entendement pour mieux sagesse souveraine et incorruptible. Combien
voir ce qu'il voyait, ou plutôt pour le com- donc sont à plaindre ces malheureux Mani-
prendre, il eut besoin d'invoquer l'assistance chéens qui condamnent le Prophète d'avoir
d'un devin, et ce devin fut encore Daniel. Ce dit qu'il a vu Dieu, en lui opposant le passage
dernier, il est vrai, lui demanda de raconter où l'Apôtre déclare que Dieu est invisible Si 1

le songe, mais ce n'était que pour lui rendre quelqu'un venait leur objecter ces paroles du
la foi plus facile. Or, sous l'action révélatrice Sauveur « Bienheureux ceux qui ont le cœur
:

du Saint-Esprit, Daniel eut de ce songe une « pur, parce qu'ils verront Dieu » comment ,

double vision, d'abord celle de l'imagination, pourraient-ils soutenir encore que Dieu est
et ensuite celle de l'intelligence ou de la com- invisible ? Ce qu'ils se proposent, c'est de jeter
préhension -. En efïet, tout prophète du Dieu les faibles et les ignorants dans l'erreur; ils
suprême et véritable doit avoir la vision intel- savent fort bien dans quel sens il est dit de
lectuelle plus encore que celle du corps ou de Dieu qu'il est invisible, mais ils veulent pa-
l'imagination. Toutefois, les Ecritures se con- raître l'ignorer. Tant est profonde la perver-
tentent de nous dire comment les choses ont été sité de certains esprits, qui en voulant tromper
vues et non comment elles ont été entendues ;
les hommes, se laissent tomber eux-mêmes
'Dan. T. - Id.
• ii. dans l'erreur la plus profonde !

Trmliicliûn ilc M. riMé HVIiLERAVX.


RÉFUTATION
De l'Bpître iixaiiicliceiiixe appelée Foiiclameiitale.

CHAPITRE PREMIER. avons dû recourir, non point à la dispute, à


la jalousie, aux persécutions, mais aux conso-
CHERCHONS LA GUÉRISON DE l'HÉRÉTIQUE ET
lations les plus bienveillantes, aux exhorta-
NON SA PERTE.
tions les plus insinuantes, aux discussions les
I. Avant d'entreprendre la réfutation de plus calmes. Nous avons ainsi réalisé cette
cette hérésie, à laquelle, ô Manichéens, l'im- parole « Un véritable serviteur de Dieu ne
:

prudence, plutôt que la méchanceté, vous fait « doit point rechercher la chicane; au con-

adhérer, je conjure le Dieu tout-puissant, « traire, il doit se montrer doux à l'égard de

principe, providence et centre de toutes cho- «tous, docile, patient, et surtout Irès-mo-
ses, de m'inspirer le calme et la tranquillité, « deste, quand il entreprend de corriger ceux

avec un vif désir, non pas de votre perle, mais « qui ne partagent pas ses idées' ». C'est dans

de votre salut. Le Seigneur, il est vrai, or- ces vues que nous avons agi c'est à Dieu de ;

donne à ses serviteurs de détruire l'empire de nous accorder le succès vers lequel tendent
l'erreur, mais quant aux hommes, en tant nos désirs.
qu'ils sont hommes, il veut non pas qu'ils CHAPITRE II.

meurent, mais qu'ils se convertissent et qu'ils


MOTIFS PARTICULIERS DE TRAITER AVEC DOU-
vivent. Et si avant le jugement suprême, Dieu
CEUR LES MANICHÉENS.
se sert, pour punir le mal, soit des pécheurs,
soit des justes, qu'ils le sachent ou qu'ils 2. Qu'ils sévissent contre vous, ceux qui
l'ignorent, que le châtiment soit public ou ignorent les efforts qu'il faut faire pour dé-
secret, croyons bien que ce qu'il se propose, couvrir la vérité , les difficultés qu'il faut
ce n'est pas la mort des hommes, mais leur vaincre pour se soustraire à l'erreur. Qu'ils
guérison et leur salut. Résister à ces coups de sévissent contre vous, ceux qui ignorent com-
sa justice miséricordieuse, c'est se préparer bien il de dompter
est rare, et surtout difficile
au supplice suprême. Considérons l'ensemble les illusions de la chair, fût-on doué de l'intel-
des événements et des choses pour se venger : ligence la plus pieuse et la plus sereine. Qu'ils
du corps de l'homme, Dieu semble avoir des- sévissent contre vous, ceux qui ignorent com-
tiné le feu, le poison, la maladie et autres bien il de guérir l'œil de l'homme
est difficile
maux de ce genre; pour les souffrances de intérieur jusqu'à lui permettre de contempler
l'esprit, nous trouvons la damnation, l'exil, le l'éclat du soleil. Je ne parle pas de ce soleil
délaissement, le mépris et autres tourments auquel vous prêtez un corps céleste, que vous
semblables qui crucifient les passions; enfin adorez comme tel, et dont l'éclat, les rayons
des adoucissements ont été préparés à la lan- se laissent percevoir par les yeux charnels des
gueur, ce sont les consolations, les exhorta- hommes et des animaux; je parle de ce soleil
tions, les conseils et tout ce qui s'en rapproche. dont le Prophète a dit « Le soleil de justice :

Tout ne nous arrive que par


cela, sans doute, « s'est levé pour moi ^ », et dont il est écrit
l'ordre de la souveraine justice de Dieu, mais dans l'Evangile « Il était la lumière véritable
:

cette justice emploie comme instrument, tan- « qui éclaire tout homme venant en ce
tôt les méchants sans qu'ils le sachent, tantôt «monde ». Qu'ils sévissent contre vous,
^*
i>

les bons qu'elle initie à ses desseins. Quant à ceux qui ignorent combien il en coûte de gé-
nous, pour nous procurer un accès plus facile missements et de soupirs pour parvenir à la
à la grande œuvre de votre conversion, nous '
H Tim. Il, 2i, 25 ' Malach. IV, 2. — ' Jean, i, 'J.
118 RÉFUTATION

plus faible connaissance de Dieu. Enfui, qu'ils inconnus. Je crois cette demande très-légi-
sévissent contre vous, ceux que Dieu a jus- time serait-il équitable, en effet, que je fusse
;

f^ que-là soustraits à une erreur aussi profonde réduit à prier avec vous, à prendre part à vos
' que la vôtre. assemblées, à porter le nom de Manichéen,
CHAPITRE III. avant que vous ne m'eussiez parfaitement
éclairé sur tous les points qui intéressent si
AUGUSTIN, VICTIME AUTREFOIS DU MANICHÉISME.
vivement le salut de mon âme ?

3. Pour moi, puis-je oublier que si j'ai pu


enfin contempler la vérité dans toute sa pu-
CHAPITRE IV.

reté et sans aucune forme mensongère et FONDEMENTS DE LV FOI CATHOLIQUE.


trompeuse, ce n'est qu'après avoir été ballotté
longtemps par les flots de l'erreur que ce ;
5. Je passe d'abord sous silence cette sa-
n'est qu'après bien des efforts et avec le se- gesse sincère et véritable dont la connais-
cours de Dieu que j'ai pu dissiper dans mon sance n'est possible en cette vie qu'à un petit
esprit ces vains fantômes qu'y avaient entassés nombre d'hommes spirituels ; les autres n'en
mille opinions, mille erreurs diverses ;
qu'a- connaissent que les éléments les plus simples,
vant de chasser les profondes ténèbres de mon mais du moins cette connaissance n'est ac-
intelligence, j'ai lutté longtemps contre l'ap- compagnée d'aucune hésitation ce qui leur ;

pel et les douces prévenances du céleste mé- donne cette heureuse assurance, ce n'est pas
decin ;
que pendant de longs jours il m'a fallu la vivacité de leur compréhension, mais la
verser bien des larmes anières, avant que la simplicité de leur foi. Je garderai donc le si-
/ substance immuable et pure eût daigné se ré- lence sur cette sagesse, dont vous niez la pré-
/ vêler à moi dans l'éclat des livres saints? sence dans l'Eglise catholique j'y consens ;

'
puis-je oublier enfin, que ces erreurs qui ont d'autant plus volontiers que je trouve assez
rivé sur vous les lourdes chaînes de l'habi- d'autres garanties qui me retiennent dans son
tude, jeles recherchées avec avidité, écoutées
ai sein. Ce qui me frappe d'abord, c'est le con-
avec attention, crues témérairement, prècliées sentement unanime des nations et des peuples ;

avec ardeur, et défendues avec acharnement c'est le spectacle d'une autorité engendrée par

et obstination? Oh! non, je ne puis sévir les miracles, nourrie par l'espérance, augmen-
contre vous puisque d'autres m'ont supporté
;
tée par la charité, affermie par la durée. Ce
alors, je dois vous supporter aussi; je dois qui me frappe encore, c'est la chaire de Pierre
user de la même patience envers vous, qu'en à qui le Seigneur, après la résurrection, a
usèrent envers moi mes amis et mes proches, confié le soin de paître ses brebis, c'est aussi
alors (jue je m'étais fait le partisan forcené et cette imposante succession du sacerdoce, cou-
aveugle de vos tristes erreurs. ronnée par l'épiscopat qui découle directe-
4. Afin d'adoucir plus facilement nos rap- ment du pontificat lui-anême. Ce qui me
ports mutuels, pour que vous ne m'opposiez frappe enfin, c'est ce nom si beau de catho-
aucune intention, à la fois hostile pour moi lique que seule l'Eglise a obtenu et conservé
et pernicieuse pour vous, je vais jusqu'à vous au sein de cette multitude d'hérésies qui sur-
conjurer de nommer vous-mêmes un arbitre gissent de toute part. Je le sais, tous les héré-
pour déclarer si des deux côtés on a réelle- tiques ont la prétention de se dire catholiques,
ment déposé tout sentiment d'arrogance et mais quand un étranger se présente et de-
d'orgueil. Ni les uns ni les autres ne nous flat- mande où est le temple catholique, jamais on

tons d'avoir trouvé la vérité ; au contraire, ne le conduit à la basilique ou à la demeure


cherchons-la comme si elle n'était connue des hérétiques. Est-il étonnant dès lors que
d'aucun d'entre nous. Car ce n'est qu'à la con- des liens aussi chers que ceux du nom chré-
dition que personne ne se flattera de la témé- tien retiennent étroitement attaché au sein
raire prétention d'avoir trouvé et connu la de l'Eglise, lors même (|ue par l'eli'el de notre
vérité, (|ue nous pourrons ajiporter du zèle et lenteur intellectuelle , ou en punition de
de l'harmonie dans nos recherches. Et si je fautes de notre vie, la vérité n'a pas encore
ne puis obtenir de vous cette faveur, accor- révélé à nos yeux toute sa divine splendeur?
dez-moi du moins de vous écouter et de vous Chez vous, je ne trouve aucun de ces carac-
répondre comme si vous étiez |)Our moi des tères qui m'invitent et m'enchaînent; vous
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. dl9

faites sonner haut la promesse de la vérité, et croyance si je les crois, je ne puis donc pas
;

voilà tout. Et cependant, j'avoue que si vous vous croire. Si vous me dites Ne croyez pas :

parvenez à rendre cette vérité si évidente aux catholiques, ce sera mal de votre part de
qu'elle ne laisse place à aucun doute, à aucune m'obliger par l'Evangile à embrasser la foi
incertitude, je la préfère elle seule à tous les manichéenne, puisque j'ai cru à l'Evangile sur
caractères qui me retiennent dans le catholi- la prédication des catholiques. Si vous me

cisme. Mais vous vous contentez de la pro-


si dites C'est avec raison que vous avez cru aux
:

mettre sans jamais la donner, je vous le catholiques quand ils louaient l'Evangile, mais
tléclare, rien ne m'arrachera à cette foi qui c'est à tort que vous avez cru à leurs attaques
m'enchaîne par tant de nœuds à la religion contre Manès. Mais me croyez-vous donc in-
catholique. sensé jusqu'au point de me résigner, sans au-
cun examen, à croire ce que vous voulez, et
CHAPITRE V.
h ne pas croire ce qui ne vous plaît pas ?
DU TITRE MÊME DE t'ÉPrTRE MANICHÉENNE. Puisque j'ai donné ma foi aux catholiques,
n'est-il pas juste et prudent qu'avant de les

6. Voyons donc ce que contient la doctrine (luilter pour passer vers vous, j'exige de vous

de Manès, ou plutôt examinons ce livre au- non pas que vous me défendiez de les croire,
([uelvous donnez le titre d'Epître fondamen- mais que vous dérouliez devant mes yeux des
tale et qui résume à peu près toute votre principes certains et évidents ? Si donc vous
croyance. Quand j'en entendis, pour la pre- voulez me
convaincre, laissez de côté l'Evan-
mière fois, la lecture, je passais pour un des gile. Sivous tenez à l'Evangile, moi je tiens à
illuminés d'entre vous. Elle débute ainsi : ceux qui m'ont inspiré la foi à ce livre sacré ;
« Manès, par la providence de Dieu le Père, j'ai leurs ordres, je ne vous croirai pas. Que
« ai)ôtre de Jésus-Christ. Voici des paroles sa- si par hasard vous trouvez dans l'Evangile
« lutaires, puisées à la source vive et éter- quelques passages évidents en faveur de l'a-
a nelle ». Faites appel à votre patience et postolat de Manès, vous avez par là même dé-
remarquez, je vous prie, le but que je pour- truit à mes yeux l'autorité des catholiques qui
suis. .Je ne crois pas (ju'il soit apôtre de Jésus- me défendent de vous croire. Celte autorité
Christ. Je vous en conjure, ne vous enflammez une fois détruite, je ne puis plus croire à

pas, épargnez-moi vos malédictions. Vous vous l'Evangile, puisque ce n'est que par eux (|ue
rappelez, en effet, que je me suis engagé dès j'y ai cru. Et quand j'en serai là, que pourrez-
le début h ne croire témérairement à aucune vous faire ? Mais si rien d'évident ne peut être
de vos affirmations. Je demande donc ce allégué en preuve de l'apostolat manichéen,
qu'est ce Manès. Vous allez me répondre : c'est aux catholiques que je croirai, et non pas à

l'Apôtre de Jésus-Christ. Si je le nie d'une vous. Dans le cas contraire, je ne croirai plus

manière absolue, qu'aurez-vous à répliciuer ou ni àvous ni à eux. Je ne les croirai plus, parce
à faire? Vous promettiez de me donner l'in- que leurs attaques contre vous n'étaient que
telligence pleine et entière de la vérité, et voici mensonges; je ne vous croirai pas vous-mêmes,
que dès le début, vous me forcez ii croire ce parce que vous m'apportez, pour me con-
que j'ignore. Peut-être allez-vous me lire vaincre cette même Ecriture , à laquelle
,

l'Evangile afin d'y trouver de quoi affirmer le j'avaiscru par eux, et dont ils se sont servis
susdit personnage. Soit, mais si vous aviez af- pour me tromper. Mais loin de moi de ne pas
faire àun adversaire qui ne crût pas à l'Evan- croire à l'Evangile! Car en y croyant je ne
gile, que feriez-vous ? Or, pour moi, je vous trouve plus comment je pourrais vous croire.
déclare que je ne croirais pas à l'Evangile si J'y relis, en effet, le nom des Apôtres et je '

cette croyance n'avait pas pour fondement n'y rencontre pas le nom de Manès. Quant au
l'autorité de l'Eglise catholique. Donc, puisque traître qui a livré son maître, j'apprends dans
j'ai obéi à ceux qui me disaient Croyez à l'E- : les Actes des Apôtres ^ par qui il
a été rem-
vangile, pourquoi leur résisterais-je quand ils placé; or, SI je crois à l'Evangile, je dois croire
me disent Ne croyez pas aux Manichéens ?
: à ce livre, puisqu'il m'est présenté par la même
Voici le dilemme, choisissez. Si vous dites : autorité qui me présente toutes les Ecritures.
Croyez aux catholiques j'entends ceux-ci
; Ce livre contient aussi l'histoire si connue de
qui me défendent de vous accorder aucune '
Mail. X, 2-1 ; Marc, iji, 16-19 ; Luc, vi, 13-16.— '
Acl. i, 26.
120 RÉFUTATION

la vocation et de l'apostolat de Paul '. Lisez- même. De même que Jésus-Christ fait homme
moi donc le passage de l'Evangile où Manès n'a pas été envoyé par le Fils de Bien, c'est-à-
est désigné comme apôtre à défaut de TEvan- ;
dire par la vertu et la sagesse de Dieu, mais
gile prenez tout autre livre auquel je ne sache que, selon la foi catholique, la divinité s'est uni
pas avoir donné ma croyance. Allez-vous hypostatiquement l'humanité, d'une manière
choisir la page dans laquelle le Sauveur pro- si réelle qu'il est vraiment le Fils de Dieu,

met aux Apôtres le Saint-Esprit, le Paraclet ? c'est-à-dire qu'en lui est apparue la sagesse de
Mais cette page est toute pleine d'arguments Dieu pour la guérison des pécheurs de même, ;

qui me défendent de croire à Manès. Manès a voulu nous faire croire qu'il avait été
tellement identifié au Saint-Esprit promis par
CHAPITRE VI. Jésus-Christ, que quand nous entendons Manès
Saint-Esprit, nous devons le regarder comme
POURQUOI MANÈS s'iNSCRlT COMME
l'apôtre de Jésus-Christ, c'est-à-dire l'envoyé
APÔTRE DU CHRIST.
que Jésus-Christ avait promis à ses Apôtres.
7. Je demande pourquoi le pompeux début Singulière audace horrible sacrilège
1 I

de celte lettre :Manès, apôtre de Jésus-


«

Christ » pourquoi pas plutôt le Paraclet :


CHAPITRE VU.
;

apôtre de Jésus-Christ? D'un autre côté, si MANÈS ACCEPTÉ PAR LES SIENS COMME
c'est le Paraclet, envoyé par Jésus-Christ, qui ÉTANT LE SAINT-ESPRIT.
à son tour a envoyé Manès, pourquoi ne pas
s'intituler apôtre du Paraclet, plutôt qu'apô- 8. Vous avouez que le Père, le Fils et le
tre de Jésus-Christ ? Si vous prétendez que le Saint-Esprit n'ontqu'une seule et même na-
Christ n'est qu'une même chose avec l'Esprit- ture. Comment donc pouvez-vous, sans rou-
Saint, vous vous mettez en contradiction avec gir, affirmer que riiomme Manès, hypostati-
cette parole du Sauveur dans l'Ecriture « Et : quement uni au Saint-Esprit, est né de l'union
vous enverrai un autre Paraclet » Et si de l'homme et de la femme, tandis que vous
"'
« je .

vous voulez justiûer ce début de la lettre en tremblez devant la pensée de croire que c'est
disant qu'il a pu se dire apôtre de Jésus-Christ, d'une vierge qu'est née l'humanité revêtue
non pas en ce sens que Jésus-Christ soit le par la sagesse. Fils unique de Dieu ? Si une
Saint-Esprit lui-même mais en ce sens , chair humaine, si l'action de l'homme, si le
qu'étant de la même substance ils sont un, et sein d'une femme n'ont pu souiller l'Esprit-
non une seule personne; alors et dans le même Saint, comment le sein d'une Vierge a-t-il pu
sens, Paul aurait donc pu se dire l'apôtre de souiller la Sagesse de Dieu ? Il faut donc que
Dieu le Père, puisque le Sauveur a dit « Mon : ce Manès, qui met sa gloire dans le Saint-
« Père et moi nous sommes un '». Cependant Esprit et dans les pages de l'Evangile, vous
nous ne voyons jamais que l'Apôtre se soit dit avoue, ou bien qu'il a été envoyé par le Saint-
l'envoyé du Père. Que signifle donc cette in- Esprit, ou bien que dans son humanité il a
novation de votre part ? Ne me paraît-elle pas été revêtu par le Saint-Esprit. S'il n'a étéque
sentir quelque peu la fourberie ? En effet, si son envoyé, qu'il s'intitule donc l'apôtre du
Manès n'attachait à cette distinction aucune Paraclet s'il lui a été nui jusqu'à ne former
;

importance, pourquoi ne pas s'appeler tantôt qu'un avec lui, pourquoi refuser une mère à
l'envoyé de Jésus-Christ, tantôt l'envoyé du rhumanité revêtue parle Fils unique de Dieu,
Paraclet ? Il n'en est rien cependant ; il se dit quand à l'humanité revêtue parle Saint-Esprit
toujours l'apôlre de Jésus-Christ, et jamais il ne craint pas même d'accorder un père?

celui du Paraclet, pas même une seule fois. Qu'il soit persuadé que le Verbe de Dieu n'a
L'orgueil, voilà ce qui nous explique cette pas été souillé par la virginité de Marie, puis-
énigme ; c'est l'orgueil, cette source empoi- qu'il veut nous faire croire que le Saint-Es-
sonnée de toutes les hérésies, qui lui a inspiré prit n'a pas été souillé par l'acte conjugal de
de ne jamais se dire l'envoyé du Paraclet ce ; ses parents. Direz-vous que Manès n'a été re-
n'eût pas été assez, car il aimait mieux laisser vêtu par le Saint-Esprit ni avant ni après la
croire (lue le Paraclet s'était incarné avec lui, génération , mais seulement après sa nais-
en sorte cju'ou [)iit l'appeler le Paraclet lui- sance ? C'est là un subterfuge qui ne résiste
'
Act. IX. — ' Jean, xi», 1(5. — ' Id. x, 30. pas à ce seul fait qu'il vous faut avouer, c'est
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 121

que sa chair était le fruit de l'union réciproque tout à la fois de l'homme et de la femme !

de riiomme et de la femme. Quoi donc, vous Après cela, si mes soupçons, je con-
j'en crois
pouvez vous représenter la chair et le sang clurai (ju'en prononçant le nom de Jésus-
de Manès fruit d'une génération toute hu-
, Christ, Manès ne voyait autre chose qu'un
maine, et dans cette chair les entrailles et ce moyen de s'imposer aux ignorants comme
qu'elles portent dans leurs plis tortueux; vous étant Jésus-Christ lui-même et devant être
pouvez croire, sans hésitation, que rien de adoré comme tel. Voici, en quelques mots,
tout cela n'a dû souiller le Saint-Esprit et comment je raisonne. Quand j'étais votre dis-
qu'il a pu, sans déchoir, revêtir cette huma- ciple, jevous ai souvent demandé pourquoi la
nité avec toutes ses hontes : pourquoi dès lors fête de la pâque du Seigneur passait presque
tremblerais-je devant la pensée d'un sein vir- inaperçue parmi vous, pourquoi elle n'était
ginal et d'une incorruptible maternité? pour- célébrée que par un fort petit nombre et avec
quoi ne coniprendrais-je pas comment la Sa- une extrême froideur, pourquoi elle n'était
gesse de Dieu, en revêtant notre humanité précédée d'aucune vigile, pourquoi il n'était
dans les entrailles maternelles et virginales, plus ([uestion de ce long jeune imposé aux
a pu rester pure immaculée ? Avouez-le
et ;
simples auditeurs, pourquoi enfin elle n'était
libre à votre Manès d'afflrmer qu'il a été en- relevée par aucun appareil de solennité. Au
voyé, ou qu'il a été revêtu par le Paraclet; contraire, à l'anniversaire du jour où Manès
lequel des deux, peu m'importe, il n'a rien à fut mis à mort, vous dressiez un tribunal sou-
gagner, car pour moi je crois fermement qu'il tenu par cini) degrés, vous l'orniez de tissus
n'a obtenu ni l'un ni l'autre de ces deux pri- précieux, et après avoir étalé ces préparatifs
vilèges. vous vous prosterniez en adoration et vous
CHAPITRE Vin. rendiez les plus grands honneurs. Quand donc
LA FÊTE DE LA NAISSANCE DE MANÈS.
je demandais la raison de ce contraste, on me
répondait qu'il fallait célébrer le jour anniver-
9. Le titre porte ces autres paroles : « Par saire de la passion de celui qui avait réelle-
« la providence de Dieu le Père » . En procla- ment souffert; quant au Christ, qui n'avait
mant le nom de Jésus-Christ dont il se dit pas eu une naissance véritable, dont l'huma-
l'apôtre, et le nom de Dieu le Père, par la pro- nité n'était pas réelle mais sinmlée, sa passion
vidence de qui il de
a reçu sa mission du Fils, n'avait été qu'une feinte et non une réalité.
quoi se flatte-t-il, sinon de nous persuader Gonunent donc ne pas gémir en voyant des
qu'il est lui-même la troisième personne, le hommes, qui se disent chrétiens, trembler
Saint-Esprit? Ecoutez plutôt: « Moi Manès que la vérité ne soit souillée, quand on leur
a apôtre de Jésus-Christ par la providence de parle du sein d'une vierge, et n'avoir pour le
« Dieu le Père ». En effet, du Saint-Esprit il mensonge aucune horreur? Mais je reviens à
n'est fait aucune mention, et cependant s'il mon sujet et je dis Comment, pour peu
:

devait être nommé, n'est-ce pas par celui qui, qu'on y réfléchisse, ne pas reconnaître que,
aQn de mieux tromper les simples par l'auto- si Manès refuse au Christ une vierge pour

rité évangélique, sonner bien haut que


fait mère et un corps humain véritable, c'est pour
son apostolat se confond avec la promesse du amener ses adeptes à ne plus célébrer la pas-
Paraclet? Si je vous pose à vous-mêmes cette sion du Sauveur, dont le souvenir est pour
question, vous répondez que nommer Manès tout l'univers l'objet d'une grande solennité?
apôtre, c'est nommer le Saint-Esprit, puisque et ainsi les honneurs qu'il enlève au Christ, il
c'est en lui que le Saint-Esprit a daigné venir les réserve pour le jour anniversaire de sa
sur la terre. Alors je répète la demande que propre mort Ce qui surtout nous charmait
!

je faisais plus haut Pourquoi donc êtes-vous


: dans la célébration de cette fête du Degré,
saisis d'horreur quand on vous dit avec , c'est qu'elle coïncidait avec les fêtes de Pàq ues :

l'Eglise catholique, que celui en qui est appa- nous désirions ce jour avec d'autant plus
rue la divine Sagesse, est né d'une vierge ? et d'ardeur, que nous savourions encore par le
vous trouvez tout naturel de croire que celui souvenir les douceurs de cette fêle catholique
en qui vous faites venir le Saint-Esprit, est né qui nous était ravie.
122 RÉFUTATION

CHAPITRE IX. « même temps ils virent paraître comijie des


« langues de feu, qui se partagèrent et qui
QUAND LE SAINT-ESPRIT FlT-lL ENVOYÉ.
« s'arrêtèrent sur chacun d'eux. Alors tous
10. Mais, me direz-vous peut-être, quand « furent remplis du Saint-Esprit, et ils com-
donc le Paraclet promis par le Seigneur est-il « mencèrent à parler diverses langues, selon
venu? Si je ne le savais d'ailleurs, il me serait a que le Saint-Esprit leur donnait de les par-
plus facile d'attendre encore sa venue que « 1er. Or, il y avait à Jérusalem des Juifs
d'avouer qu'il est venu dans la personne de venus de toutes les nations qui sont sous le
Manès. Mais je trouve dans les Actes des « ciel. Après donc que le bruit de cet événe-
Apôtres, la preuve manifeste de la venue du « ment se fut répandu, il se rassembla une
Saint-Esprit ;
quelle nécessité peut alors m'o- « grande foule et tous Jurent étrangement
bliger à croire à la parole si dangereuse et « surpris de ce que chacun d'eux entendait

si téméraire des hérétiques ? Voici donc ce que « les Apôtres parler en sa langue. Ils en étaient

nous lisons dans les Actes : « Je vous ai déjà « hors d'eux-mêmes, et dans cet étonnement

entretenu, ô Théophile, de ce que Jésus a « ils se disaient les uns aux autres Ces :

a fait et enseigné dès le commencement, jus- « hommes qui nous parlent, ne sont-ils pas

« qu'au jour où il fut élevé dans le ciel, après « tous Galiléens? Comment donc les enten-

« avoir instruit, par le Saint-Esprit, les Apôtres « dons-nous s'exprimer chacun dans la langue

« qu'il avait choisis. Il s'étaitaussi montré à «de notre pays? Parthes, Mèdes, Elamites,
a eux depuis sa passion, leur faisant voir par « ceux d'entre nous qui habitent la Mésopota-

« beaucoup de preuves qu'il était vivant, leur c<mie, la Judée, laCappadoce, le Pont et l'Asie,
« apparaissant pendant quarante jours, et leur « la Phrygie,Ia Pamphylie, l'Egypte et laLibye

« parlant du royaume de Dieu. Pendant qu'il « qui est proche de Cyrène, et ceux qui sont

M mangeait avec eux, il leur défendit de sortir « venus de Rome, Juifs et prosélytes, Cretois

« de Jérusalem et leur ordonna d'attendre la « et Arabes, nous les entendons parler, cha-

« promesse du Père, que vous avez, leur dit- « cun en notre langue, des merveilles de
« il, entendue de ma propre bouche. Car Jean « Dieu. Dans leur étonnement, et ne pouvant

« a baptisé dans l'eau mais pour vous, dans


; «comprendre ce qu'ils voyiiient, ils se di-
« peu de jours vous serez baptisés dans le « salent Que signifie ceci ? Et d'autres
: se rail-
« Saint-Esprit Alors ceux qui étaient présents
: « laient en disant : Ils sont repus de vin nou-
« lui demandèrent Seigneur, sera-ce en ce
: « veau ' » . quand est venu le
Voilà où et
« temps que vous rétablirez le royaume Saint-Esprit que me voulez-vous de plus? Si
:

« d'Israël ? Il leur répondit Ce n'est pas à : l'on doit croire aux Ecritures ne dois-je pas ,

« vous de savoir les temps et les moments croire de préférence à celles qui s'appuyant
« que le Père a mis en son pouvoir. Mais vous sur la plus imposante autorité, ont mérité
« recevrez la vertu du Saint-Esprit qui des- d'être prêchées aux peuples et de passer à la
« cendra sur vous, et vous me rendrez témoi- postérité en même temps et au même titre
« gnage dans Jérusalem, dans toute la Judée que l'Evangile où se trouve renfermée la pro-
« et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la messe du Saint-Esprit? A mes yeux donc, les
« terre • ». Voilà que vous connaissez le pas- Actes des Apôtres sont revêtus de la même
sage dans lequel le Sauveur rappelle à ses autorité que l'Evangile, je les lis avec un
disciples la ])romesse qu'il leur avait faite au égal respect et j'y trouve non-seulement que
nom de son Père, au sujet de la venue future le Saint-Esprit a été promis aux véritables

du Saint-Esprit. Maintenant, voyons à quelle Apôtres, mais que sa venue a été entourée de
époque le Paraclet est descendu. circonstances si évidentes que l'erreur, sur ce
Quelques lignes plus bas le même auteur point, n'est plus possible.
ajoute « Quand les jours de la Pentecôte
:

a furent accomplis, les disciples étant tous réu-


CHAPITRE X.
« nis dans un même
on entendit sou- lieu,
LE SAINT-ESPBIT DONNÉ DEUX FOIS.
« dain un grand bruit, comme d'un vent
« impétueux qui venait du ciel, et qui rcm- n. La glorification de Notre -Seigneur
a plit toute la maison où ils étaient assis. En parmi les hommes , c'est sa résurrection
Act. I, 8. Act. 11, 1-13.
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 123

d'entre les morts, et son ascension au ciel. « qui les écoutera et commencera par y croire
Or, nous lisons dans l'Evangile de saint Jean : «et ensuite les mettra en pratique, ne mourra
« Le Sai'it-Esprit n'était pas encore donné, «jamais et jouira de la vie éternelle et glo-
« parce q- ; Jésus n'était pas encore gloriflé' ». « rieuse. Car on doit regarder comme bieuheu-
Si c'est irce que Jésus n'était pas encore «reuxcelui qui sera initié à cette science divine;
gloriflé iue le Saint-Esprit n'avait pas été
. « c'est à elle qu'il devra sa délivrance pour

donné, j'en conclus nécessairement qu'il fut « l'éternité ». Je vois bien là, et vous aussi,

donné aussitôt que Jésus fut gloriflé. Et comme une pompeuse promesse, mais d'exposition de
il reçut une double gloriflcation, l'une dans la vérité, il n'y en a point. Vous pouvez même

son humanité et l'autre dans sa divinité, il très-facilement remarquer que ce n'est là


suit de là que le Saint-Esprit a été donné deux qu'un voile pour cacher certaines erreurs ;

fois la première après la résurrection, quand


;
c'est une brillante enseigne pour faire entrer

le Sauveur souffla sur ses disciples en leur les badauds. S'il disait Ce sont là des paroles
:

disant « Recevez le Saint-Esprit' » la seconde,


: ; empoisonnées, sortiesd'unesource corrompue,
dis jours après l'ascension. Ce nombre dix celui qui, après les avoir entendues, commen-
symbolise la plus haute perfection, car il est cera par y croire et ensuite les mettra en
d'abord formé du nombre sept qui estcomme pratique, loin de rentrer dans la vie, sera
le fondement de tout ce qui existe et ensuite , frappé d'une mort cruelle châtiment trop ,

du nombre trois qui exprime la Trinité créa- mérité de son crime, il ne


est certain qu'il
trice. Les ascètes développent longuement le dirait que la vérité, mais ce ne serait pas là le
sens spirituel de ces nombres mais ne ; moyen de se concilier le lecteur; au contraire,
nous écartons pas de notre sujet, car en dis- il soulèverait la haine de tous ceux qui le con-

cutant avec vous je ne me propose pas,


naîtraient. Et en effet quel plus grand malheur
de vous instruire, une telle prétention vous que de se sentir victime de cette ignorance
semblerait par trop orgueilleuse au contraire, ; infernale, qui précipitera, sans ressource,
je n'ai jamais voulu que m'inslruire à votre dans les tourments éternels ? Avant tout, ve-
école, et pendant neuf ans je n'ai pu y parve- nons donc aux conséquences et ne nous lais-
nir. Maintenant j'ai les Ecritures pour me sons pas tromper par un langage qui peut
dire ce que je dois croire au sujet de la venue convenir également auxbons et aux méchauts,
du Saint-Esprit me défendrez-vous d'accepter
; aux savants et aux ignorants. Quelles sont les
le témoignage de ces Ecritures, sous prétexte paroles qui suivent immédiatement ?
que par là je croirais ce que j'ignore ? c'est là, 13. Les voici : « Que la paix de Dieu invi-
en etlet, votre argument de prédilection, alors « sible et la connaissance de la vérité soient

je vous déclare que je croirai bien moins en- « avec nos saints et bien-aimés frères qui
core à vos livres. En effet, ou bien faites dis- « croient et mettent également en pratique les
paraître tous les livres et rendez à mes yeux la «préceptes divins ». Je souhaite qu'il en soit

vérité si évidente que le moindre soupçon ne ainsi, car je ne vois dans ces paroles qu'un
me soit plus permis; ou bien, si vous voulez me désir bienveillant et louable. Seulement n'ou-
présenter des livres, faites eu sorte que ce nu blions pas que les savants honnêtes et les fri-
soit pas pour m'im poser avec arrogance ce pons peuvent en dire tout autant. Si donc
que je dois croire, mais pour m'appi'endre l'auteur se fût contenté de ces paroles, j'en
loyalement ce que je dois savoir. Eh bien me ! permettrais à tous la lecture. Je ne désapprou-
dites-vous, l'épître dont nous parlons en est verais pas davantage ce que l'auteur ajoute :

là. Alors cessons d'examiner son titre et voyons «Mais que la droite de la lumière vous pro-
ce qu'elle renferme. « tége et vous défende contre toute incursion

« mauvaise, contre lespiéges du monde » .Enfln,


CHAPITRE XI.
dans tout ce qui compose le début de la lettre,
MANES PROMET LA VÉRITÉ, MAIS NE LA DONNE PAS. jusqu'au sujet lui-même, je ne veux rien re-
lever, car je me reprocherais de perdre trop
12. «Voici, dit-il, des paroles salutaires de temps à une chose de moindre importance.
a puisées à la source vivante et éternelle. Celui Etudions donc l'éclatante promesse que nous
' Jean, vii, 39. — '
Jean, ss, 22. avons reçue de cet homme.

0. î-i

>s^.
^O
124 RÉFUTATION

CHAPITRE XII. est prouvée et bien connue. Je récuserais un


LES FOLIES DE MANES. DU COMBAT QUI FUT
orateur qui me tiendraitun semblable langage,
en lui disant qu'il ne s'est pas engagé à m'an-
LIVKÉ AVANT LA CRÉATION DU MONDE.
noncer ce qu'il me faudrait croire, mais à me
d i. « Pattici, frère bien-aimé, dit-il, vous faire comprendre la vérité sans me laisser au-
«m'avez témoigné le désir de savoir si Adam et cune incertitude. Combien plus, dès lors, ne
a Eve sont nés de l'efficacité d'une parole dois-je pas récuser un homme qui me débite
«créatrice, ou d'un corps déjà existant. Je vous non-seulement des choses incertaines, mais
adonnerai une réponse {satisfaisante. Sachez même des choses incroyables? Mais je réfléchis,
« d'abord que cette origine du premier homme me rendre tout cela évident par
peut-être va-t-il
« et de la première femme, est diversement des preuves inconnues ? Prêtons donc, si nous
«racontée dans les différentes Ecritures. Il n'est le pouvons, une oreille patiente et docile à ce
« donc pas étonnant que la vérité sur ce fait qui suit.
« soit ignorée de l'universalité des peuples CHAPITRE XIII.
« et de tous ceux qui cependant ont enfanté sur
DEUX SUBSTANCES CONTRAIRES.
« ce point de longues et nombreuses disserta-
RÈGNE DE LA LUMIÈRE.
« tions. Il leur eiit suffi d'avoir sur la géné-
c ration d'Adam et d'Eve des idées justes et 16. «Dès le commencement, dit-il, il y eut
« sûres, pour ne jamais soumis ni à la
se voir « deux substances essentiellement différentes
« corruption ni à la mort ». Ainsi, on nous a l'une de l'autre. Dieu le Père gouvernait
promet la claire révélation de cet événement, « l'empire de la lumière; le Père, éternel dans
pour nous soustraire à la corruption et à la « sa sainte génération, magnifique dans sa
mort. Et si vous n'êtes pas encore satisfait, « puissance, vrai dans sa nature, glorieux dans
écoutez ce qui suit : « Il est donc nécessaire « sa propre éternité, possédant en lui-même
« de faire précéder l'étude de ce mystère, de « la sagesse et les sens vitaux au moyen des-
« plusieurs notions ]iréliminaires, afin qu'on « quels il embrasse les douze membres de sa
«puisse le saisir sans aucun embarras ». « lumière, c'est-à-dire les richesses surabon-
C'est bien là ce que j'ai toujours demandé : « dantes de son royaume. Dans chacun de ses
une démonstration si claire de la vérité qu'elle « membres sont renfermés des trésors innom-
ne donne plus lieu à aucune Sup-
hésitation. « brables et immenses. De cette même per-
posez qu'il n'eût pas pris cet engagement, je « sonne, le Père, objet premier de sa propre
n'aurais jias craint de l'exiger, afin qu'attiré louange, incompréhensible dans sa gran-
par l'immense avantage de posséder une con- « deur, découlent les siècles de bonheur et de
naissance évidente et certaine, je pusse sans « gloire que l'on ne saurait apprécier ni par
,

honte et malgré tous les contradicteurs , « le nombre ni par la prolixité; c'est dans ces
quitter le catholicisme peur me faire mani- « siècles qu'habite le Père, sainteté par essence,
chéen. Ecoutons donc. « et n'admettant dans son royaume ni l'indi-
4 5. « Veuillez tout d'abord, dit-il, examiner gent ni i'inflrme. Ce royaume, du reste,
«avec soin ce qui existait avant la création du « est , dans sa splendeur, si élevé au-dessus
« monde, et comment
engagé le premier fut « des clartés et du bonheur de cette terre ,
« combat ce premier point vous permettra
; a qu'aucune puissance humaine ne peut ni
« de distinguer la nature de la lumière d'avec « l'attaquer ni l'ébranler ».
« celle des ténèbres». Allons, voici qu'il débute 17. Comment me prouvera-t-il toutes ces
par des choses aussi incroyables que fausses. affirmations ou à quelle source les a-t-il
,

Qui donc croira jamais qu'avant la formation puisées? Ne croyez pas m'en imposer en invo-
(lu monde un grand combat était déjà engagé? quant le nom du Pai aclet. Ne savez-vous pas
Admettons même qu'on puisse le croire, je ne qu'avant tout, malgré la timidité que vous
suis pas venu pour ne pas croire, mais pour m'avez inspirée, si je me suis fait votre disci-
connaître la vérité. Dire, par exemple, que les ple, ce n'est pas pour croire des choses incon-
Perses et les Scythes se sont fait la guerre il y nues, mais pour en acquérir une connaissance
a de longs siècles, on peut le croire mais de ; certaine? Ne sait-on pas du reste que la plus
ce que nous croyons une chose sur parole ou chère de vos habitudes c'est d'insulter à ceux
après lecture, cela ne prouve pas qu'elle nous qui croient témérairement, surtout quand
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. d2S

l'orateur en sortant de promettre une connais- comprendre, afin que fortifiés par la foi, nous
sance pleine inébranlable se met aussitôt à
et méritions ensuite de comprendre ce que nous
ne raconter que des choses incertaines et dou- croyons? Toutefois cette compréhension, ce
teuses ? n'est pas des hommes que nous l'attendons,
CHAPITRE XIV. mais de Dieu seul , illuminant par sa grâce et
affermissant notre intelligence.
VAINES PROMESSES DE MANES.
18. Après lui avoir demandé des preuves de
De plus, je déclare que si la foi doit m'être ce qu'il avance, je lui demande maintenant à
imposée ,
irrévocablement à celte
j'adhère quelle source il a puisé sa doctrine. S'il me
Ecriture, où je que le Saint-Esprit est venu
lis répond que tout cela lui a été révélé par le
et qu'il a été réellement inspiré aux Apôtres ', Saint-Esprit, que c'est à la clarté de celte ré-
selon la promesse que le Sauveur leur en vélation divine qu'il a reconnu la certitude et
avait faite -. En conséquence, ou bien prouvez- l'évidence de ses principes, il établit, sans le

moi la vérité de ce qu'il avance et montrez- savoir, la différence qui sépare la connaissance
moi la certitude de ce que je ne puis croire ;
de la foi. Par cela même que ces vérités lui
ou bien prouvez-moi que celui qui énonce ont été révélées d'une manière si manifeste,
ces principes est réellement le Saint-Esprit, et je conçois qu'il les connaisse; il les expose
je croiraice que vous ne pouvez me faire ensuite à ses auditeurs, mais en les exposant
comprendre. Eu effet, je professe la foi catho- il n'en donne pas la connaissance, tout ce qu'il
lique, et par celle foi jespère parvenir à une peut faire c'est d'en persuader la croyance.
science certaine. Quant à vous, qui vous effor- Les accepter ainsi témérairement, c'est de-
cez de saper les fondements de ma croyance, venir par cela même manichéen, et on le de-
si vous le pouvez, présentez-moi une science vient non point parce qu'on sait des choses
aussi certaine et prouvez-moi que j'ai eu tort certaines, mais parce qu'on croit des choses
de croire ce que je crois. Vous avancez deux incertaines; et c'est ainsi qu'autrefois nous
propositions d'abord vous soutenez que l'au-
: autres jeunes gens, nous sommes devenus
teur de la lettre fondamentale est réellement les victimes de l'erreur. On ne devait donc
le Saint-Esprit, et ensuite que ses enseigne- pas nous promettre la science, une connais-
ments sont de la dernière évidence. J'ai dû sance parfaite et la réalisation assurée de nos
chercher à m'édilîer sur ces deux points; rêves et de nos désirs. Nos maîtres devaient
mais je ne suis pas exigeant et je me conten- simplement avouer que cette doctrine leur
terai d'être convaincu sur l'un des deux. avait été révéléedu ciel, mais que ceux qui
Prouvez-moi que Manès est réellement le ne font qu'en entendre l'exposé, doivent se
Saint- Esprit et je regarderai comme vrais résignera croire des vérités sans les connaître.
tous les principes qu'il proclame, sans exiger Qu'ils tiennent ce langage et il leur sera una-
qu'il me les fasse comprendre ou bien prou- ; nimement répondu que s'il s'agit de croire à
vez-moi la vérité de ce qu'il avance, et je des vérités sans les comprendre, la foi que
croirai qu'il est le Saint-Esprit, quoique je l'on doit embrasser, c'est celle qui est com-
l'ignore parfaitement. Dites-moi, puis-je mon- mune aux savants et aux ignorants, celle que
trer à votre égard, plus d'équité, plus de bien- l'on retrouve chez tous les peuples et appuyée
veillance? Mais hélas 1 vous ne pouvez me sa- sur plus imposante autorité. Craignant cette
la

tisfaire sur aucun de ces deux points princi- réponse qui l'accable, Manès n'a d'autre souci
paux. Le seul parti que vous ayez pris, c'est que de jeter les simplesdans un déluge de
de vanter ce que vous croyez et de railler ce ténèbres; promettra d'abord d'éclairer de
il

que je crois. Quand j'en aurai fait autant, toutes les lumières de l'évidence les questions
quand j'aurai vanté ma foi et raillé la vôtre, les plus ardues, sauf ensuite à imposer la foi
que pensez-vous qu'il nous restera à faire, sur les points les plus douteux. Supposé même
sinon de quitter à jamais ces maîtres qui nous que vous le mettiez en demeure de déclarer
annoncent de grandes connaissances et finis- positivement que ces doctrines lui ont été ré-
sent par nous commander de croire des choses vélées, il chancelle et finit par nous ordonner

incertaines, et de suivre ceux qui d'abord de le croire. Peut-on supporter une semblable
nous invitent à croire ce que nous ne pouvons fourberie et un orgueil aussi extravagant?
'
Act. u, 1-!. — ' Jean, xiT, 16, 26.
1 2G RÉFUTATION

CHAPITRE XV. masse qui occupe tel espace déterminé ? En


effet, partout où il y a grosseur ou étendue, il
SUPPOSITION ABSURDE d'uNE TERRE ET d'UNE
peut y avoir retranchement des parties, occu-
NATION DE TÉNÈBRES.
pant chacune des espaces différents. Ainsi le
19. Que va penser Manèssi, avec la grâce de doigt est plus petit que toute la main, plus
Dieu, je lui prouve non-seulement l'incerti- petit que deux doigts; d'un autre côté, la place
tude, mais la fausseté même de sa doctrine? occupée par un doigt n'est pas la place occupée
Quelle malheureuse position de n'avancer que par un autre doigt ou par la main tout entière.
des propositions ouvertement contraires à la Et ceci ne s'applique pas seulement aux mas-
science et à la vérité, quand on a promis hau- ses articulées des corps prenons pour exem-
;

tement de dévoiler tous les secrets de la ple la terre elle-même, telle de ses parties
science et de la vérité! Jugeons-en par les n'occupe pas la place de telle autre partie ,
paroles suivantes : « A côté de cette terre puisque chacune a la sienne de même dans :

« illustre et sainte, se trouvait la terre des un liquide quelconque la moindre partie oc-
« ténèbres d'une étendue et d'une profon- cupe le moindre espace, et la plus grande, le
« deur prodigieuses; c'est là qu'habitaient plus grand espace dans un vase, telle partie
;

« des corps de feu ,


portant le poison et la occupe le fond, telle autre les bords. On peut
« peste dans leurs flancs. De cette terre dé- en dire autant des différentes parties de l'air;
« coulent des ténèbres infinies exhalant au ellesoccupent chacune un espace particulier ;
« loin la puanteur et la corruption : et au delà, ainsi il est impossible que l'air qui remplit

o des eaux troubles et fétides , avec leurs ha- telle maison puisse contenir en nième temps,
« bitants empoisonnés; et dans le milieu des dans la même demeure, Pair dont jouissent
« vents horribles et violents avec leur chef et les voisins; quant à la lumière, la partie qui
« leurs enfants. Puis apparaît une seconde pénètre par telle fenêtre, n'est pas la même que
« région ignée et corruptible avec ses princes celle qui pénètre par telle autre fenêtre; la
« et ses peuples. Et enfin dans le centre , fenêtre la plus grande en reçoit davantage, la
« même se déroule une nation remplie de plus petite en reçoit moins. Prenez parmi les
«ténèbres et de fumée; c'est là qu'habitait corps celui que vous voudrez, céleste ou ter-
« le prince et le chef suprême environné , restre, aérien ou humide, il sera toujours vrai
« d'une multitude d'autres princes issus de de dire que grand que sa
le tout est plus
« lui et gouvernés par sa pensée. Telles sont partie : ne peut être pénétrée par
telle partie
« les cinq terres pestilentielles de la nature». telle autre partie, chacune occupe l'espace

20. S'il disait qu'un corps aérien ou éthéré qui lui est propre et qui est toujours propor-
constitue la nature de Dieu, il ne mériterait tionné à l'extension de sa masse. Quant à
qu'un rire universel. En elfet, toute intelli- l'âme, dùt-on la considérer non pas en tant
gence droite comprend qu'il est dans la na- qu'elle comprend la vérité, mais en tant qu'elle
ture de la sagesse et de la vérité de ne pouvoir occupe un corps et qu'elle a besoin d'un corps
être contenues et limitées dans l'espace, de ne comme moyen de perception physique, il est
formeraucune masse, fût-elle toute belle et ma- certain qu'elle n'occupe pas telle étendue, tel
gnifique, de n'être pas ici plus petite et là plus espace déterminé. Dans chacune des parties
grande, d'être en tout égale au Père, de n'a- du corps, l'âme se trouve tout entière, et tout
voir de siège spécial ni ici ni là, mais d'être entière elle perçoit par chacune de ces parties ;

partout présente tout entière. elle n'est pas plus petite dans le doigt et plus
grande dans le bras, quoique le doigt soit
CHAPITRE X\T. moindre que le bras elle est partout aussi
:

LAME ELLE-MÊME n'EST PAS LIMITÉE PAR grande, parce qu'elle est partout tout entière.
l'espace. Que le doigt soit touché, ce n'est pas par le corps
toutentier que l'âme perçoit ce contact, mais
Que dire de la vérité et de la sagesse qui elle le perçoit tout entière. Puisque c'est l'âme
surpassent infiniment toutes les puissances de tout entière (jui révèle ce contact, c'est donc
Pâme, (juand on est obligé de convenir que qu'elle est présente tout entière. Et pour se
l'âme, toute soumise (|u'elle est aux change- rendre présente tout entière dans le doigt, il
ments, ne peut se représenter comme une ne s'ensuit pas qu'elle (|uitte le reste du corps
UE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 12:

pour s'agglomérer dans cette partie. Elle sent enfin les réduire soit quant au nombre, soit
tout entière dans un doigt de la main, tou- quant à l'étendue.
chez un endroit du pied, et eu Uième temps,
elle y sentira encore tout entière. C'est ainsi
CHAPITRE XVni.
qu'elle est tout entière dans les endroits sé-
PUISSANCE DE l'INTELLIGENCE ET DE LA PENSÉE.
parés les uns des autres ne quitte pas
; elle
celui-ci pour se porter tout entière dans celui- Que dirai-je ensuite de celte puissance au
là; et quand elle les occupe à la fois, ce n'est moyen de laquelle nous saisissons la vérité ,

pas en ce sens qu'elle n'ait qu'une partie d'elle- eussions-nous besoin, pour cela, de lutter con-
même ici, et une autre partie ailleurs. Donc, tre la vivacité des images que produisent les
puisqu'elle est partout tout entière et qu'elle sens corporels ? Nous pouvons, par exemple,
sent tout entière dans chaque partie du corps, nous représenter Carthage comme elle est en
il est évident que l'àme par sa nature ne saurait réalité, ou nous en faire une peinture arbi-
être contenue dans l'espace. traire, que nous changerons comme il nous
plaira nous nous figurons avec la même faci-
;

CHAPITRE XVII. lité tous ces mondes dans lesquels l'imagina-

tion d'Epicure a réalisé de gigantesques péré-


LES LIEtX LES PLUS VASTES PEIGNENT LEURS grinations; enfin, car il faut se borner, il ne
IMAGES DANS LA MÉMOIRE. nous est pas moins facile de dérouler à nos
yeux cette terre de lumière et ses espaces in-
Examinons ensuite la mémoire en tant finis, ou de pénétrer dans les cinq cavernes de
qu'elle conserve le souvenir non pas des cho- lanation des ténèbres, d'en contempler les
mais des objets corporels.
ses intellectuelles, sombres habitants, avec tous ces fantômes que
En ce nous est commune
sens, cette faculté les Manichéens ne craignent pas de prendre
avec les animaux. En effet, nous voyons les pour autant de réalités. Qu'est-ce donc (lue
chevaux parcourir, sans se tromper, les lieux cette puissance qui peut débrouiller ce chaos ?
qu'ils connaissent, les bêtes féroces retrouver Quelle qu'elle soit, toujours est-il qu'elle est
leurs tanières, les chiens reconnaître le corps plus grande que tous ces objets, et qu'elle n'a
de leurs maîtres pendant leur sommeil on les
;
pas besoin de toutes ces représentations pour
entend quelquefois murmurer, jeter même engendrer sa pensée. Trouvez-lui un espace
des cris, ce qui ne peut s'expliquer qu'autant spécial, si vous pouvez, grossissez-la à l'infini,
que l'on admet
qu'ils conservent dans leur essayez de la répandre dans tous les lieux.
mémoire images des objets qu'ils ont vus
les Malgré tous vos efforts, si vous avez le juge-
ou sentis. Eh bien je le demande, où donc se
! ment droit, vous n'y parviendrez pas. En eflet,
prennent les images , où sont-elles conservées, tout ce qui se présente sous forme d'étendue,
où se forment-elles ? Si ces images ne pou- voire intelligence elle-même vous déclare
vaient être plus grandes que notre corps ,
qu'on peut le diviser par parties, l'une plus
quelqu'un pourrait être tenté de soutenir petite, l'autre plus grande, comme on veut.
qu'elles se forment et qu'elles se conservent Quant à la faculté même de penser, vous lui
dans l'étendue même du corps. Mais ne voit- reconnaissez sur tout cela une supériorité in-
on pas que dans un corps qui occupe un es|)ace contestable qu'elle doit non pas à son élévalion
si restreint, l'esprit déroule les images des im- locale, mais à sa propre dignité.
menses régions de la terre et du ciel? qu'elles
s'éloignent en foule, qu'elles se succèdent CHAPITRE XIX.
avec rapidité, l'esprit suffit à tout. N'est-ce pas locale INCOMPATIBLE AVEC l'iDÉE
l'extension
une preuve évidente qu'il n'est aucunement DE DIEU.
limité par l'espace? car ce n'est pas res[)rit
qui est occupé par les images des lieux les 21. Notre âme est donc soumise à des chan-
plus vastes, c'est lui qui s'en empare et avec gements perpétuels. L'incessante variété des
une puissance telle qu'il peut y ajouter ou en désirs;lafiuctuation perpétuelle dessentiments
retrancher à son gré, les restreindre à
des-pro- qui naissent de l'abondance onde la pauvreté;
portions très-faibles ou les dérouler à l'infini, le mirage continuel des objets extérieurs dans
les classer, les confondre, les multiplier, et rimaginatiou; l'oubli elle souvenir; la science
I"28 REFUTATION

et l'ignorance; tout cela jette notre âme dans termine pas lequel : était-ce à droite ou à
d'incessantes agitations; et cependant, malgré gauche? Qu'ils choisissent, mais toujours
cemouvement perpétuel, vous sentez qu'on est-il certain que du moment que l'on spé-
ne peut lui attribuer aucune dillusion, au- cifie un on indique qu'il y en a un autre.
côté,
cuneélendue locale: si elle domine les espaces, Supposer trois ou plusieurs côtés, c'est ad-
c'est par sa puissance et sa vivacité. Que di- mettre que le corps est terminé par toutes ses
rons-nous donc, que penserons-nous de Dieu faces, ou si on le représente se prolongeant à

qui domine, de son infinie grandeur, toutes l'infini dans une de ses parties, du moment

les intelligences et accorde h chacune ce qui qu'on lui suppose des côtés, il faut convenir
lui convient ? Quand il s'agit de Dieu, l'âme qu'il se termine nécessairement. Puisqu'ils

ose plus facilement en parler que le voir, et soutiennent que d'un côté était la nation des
elle en parle d'autant moins qu'elle se sent ténèbres, qu'ils nous disent donc ce qu'il
plus capable de le voir. Supposez donc, avec y avait près de l'autre ou près des autres
les Manichéens et leurs rêves insensés, que côtés. Ils se taisent, et quand on les presse

Dieu habite réellement l'espace et qu'il y oc- de sortir de leur silence, ils répondent que
cupe des lieux déterminés, quelle qu'en soit la terre de lumière étendait ses autres côtés

du reste l'immense étendue calculez par la


; à l'infini sans qu'ils se terminassent nulle
pensée, en combien de parcelles, en combien jtart. Alors qu'ils conviennent donc que cette
de morceaux, les uns plus grands, les autres terre n'avait réellement qu'un côté ; celle
plus petits, vous pourriez le i)artager ; tracez- conclusion est du plus simple bon sens. Pour
vous en lui, par exemple, une partie longue qu'il pût y avoir d'autres côtés, il fallait qu'elle
de deux pieds, à cette portion il manquera se terminât quelque part. Mais s'il n'y avait
huit parties pour égaler celle de dix pieds. pas d'aufres côtés, que me dites-vous donc?
C'est ridicule, dircz-vous, j'y consens, et ce- En me parlant d'une partie, d'un côté, est-ce
pendant il faut avouer que toute nature qui que vous ne me mettiez pas dans la nécessité
occupe un lieu déterminé dans l'espace est de conclure qu'il y avait d'autres parties,
soumise à cette dure nécessité de la divisibi- d'autres côtés? Puisqu'il n'y avait qu'un seul
lité, puisqu'elle ne peut être tout entière dans côté, il devait dire à côté et non d'un côté. A
chaque partie de l'espace. Or, celte divisibilité l'égard de notre corps, nous disons bien au-

ne peut s'appliquer à l'âme, et prétendre qu'on près d'un œil, parce qu'il y en a deux, ou
ne peut la concevoir que connue occupant un ]irès d'un sein, parce qu'il y en a deux. Si au

lieu dans l'espace, c'est n'avoir de cette plus contraiie nous disons près d'un nez ou près
belle partie de nous-mêmes que des idées bas- d'un nombril, comme nous n'en avons qu'un,
ses et honteuses. nous serions couverts de la risée universelle
des savants et des ignorants. Mais n'insistons
CHAPITRE XX. pas; peut-être, qu'en parlant d'un côté, vous
avez voulu désigner le côté unique.
LE SYSTÈME DES DEUX TERRES DIFFÉRENTES
n'est QUE FOLIE.
CHAPITRE XXI.
22. J'oubliais que peut-être je ne m'adresse, puisqu'elle est jointe a la terre DE ténè-
en ce moment, qu'à des esprits charnels. Eh bres, LA terre de lumière EST DONC COR-
bien je veux descendre et me mettre à la
!
PORELLE.
portée de ceux qui n'osent ou ne peuvent
élever leur pensée jusqu'à la nature incorpo- Qu'y avait-il donc à côté de cette terre de
relle ;
peut-être serai-je assez heureux i)Our lumière, que vous appelez glorieuse et sainte?
les amener à avoir d'autres pensées sur leur La terre des ténèbres, dites-vous. Alors avouez
pensée elle-même, et à comprendre le juge- donc au moins que cette terre était corporelle;
ment que porte sur l'espace leur âme (jui cette conclusion est de toute rigueur, puisque
n'occupe aucun espace. Descendons donc et vous assurez que c'est d'elle iiue tous les corps
demandons-leur, auprès de quelle partie, de tirent leur origine. Or, peu perspicace que
si

<|uel côté de cette terre illustre et sainte était soit votre intelligence, si charnels que vous
placée, selon Manès, la terre des ténèbres. Il soyez, ne comprenez-vous pas que deux terres
dit bien que c'était d'un côté, mais il ne dé- ne peuvent être placées l'une à côté de l'autre.
DE L'ÉPITRK FONIlAMENTALE. 129

qu'autant qu'elles sont toutes deux corpo- terre de lumière! Figurez- vous un ongle
relles? Quel n'était donc pas notre aveugle- fendu par un coin noir se rétrécissant dans
ment pour qu'on osât nous dire que seule la sa partie inférieure; infinie sur tous les autres
terre des ténèbres a été ou est corporelle, tandis points, ellen'est limitée que dans la partie
que la terre de lumière est nécessairement inférieure où vient adhérer la surface de la
spirituelle? Hommes de bien, secouons enfin terre de ténèbres. Quant à cette dernière, sa
le joug, et maintenant que nous sommes pré- forme résulte clairement de ce qui précède ;

venus, faisons cette remarque très-facile, que celle-ci fend, l'autre est fendue; l'une est

deux terres ne peuvent être à côté l'une de insérée, l'autre s'entr'ouvre ; l'une ne se ter-
l'autre qu'autant qu'elles sont toutes deux mine nulle part, l'autre n'a de limitesquedans
corporelles. sa |)artie inférieure, là où elle subit l'adjonc-
23. Admettons même que cette conséquence tion du coin ennemi. Ainsi ces ignorants et
paraisse trop relevée à notre intelligence pa- ces avares, qui attachent plus d'importance à
resseuse ;
je demande alors si avec un seul la multitude des parties qu'à l'unité, jusqu'au
côté, la terre de ténèbres avait ses autres par- point de constituer la terre de lumière de six
liesinfiniment étendues comme la terre de parties diverses, trois tournées vers le bas et
lumière. Les Manichéens répondent négative- trois tournées vers le haut, ont préféré pour
ment, car ils craignent que dans de telles la terre honte d'être déchirée,
de lumière, la

conditions cette terre ne leur paraisse égale à à la gloire de déchirer elle-même son en-
Dieu. Ils soutiennent donc qu'elle est immense nemie. Qu'ils soutiennent, en effet, que cette
par sa profondeur et par sa longueur, mais figure ne suppose aucun mélange, j'y consens,
que dans sa partie supérieure elle est terminée mais ils ne nieront pas qu'il y ait pénétration
par un vide infini. Et si vous vous imaginez et déchirement,
qu'elle est simple tandis que la terre de
,

lumière est double, pour vous détromper, ils CHAPITRE XXIII.


vous la montrent restreinte de deux côtés. LES ANTHROPOMORPHITES MOINS COUPABLES QUE
Unecom|!araison me fera mieux comprendre. LES MANICHÉENS.
Prenez un pain formé de quatre angles, dont
trois sont blancs et l'autre noir; supposez que 25. A qui donc comparerai-je les Mani-
toute distinction disparait entre les trois angles chéens? Ce n'est pas assurément à ces hommes
blancs, que vers le haut et vers le bas ils spirituels, enfants de la foi catholique, pour
s'étendent infiniment ainsi qu'en arrière ;
qui autant du moins qu'ils le peuvent
,

telle est l'image qu'ils se forment de la terre dans cette triste vie, la substance et la na-
de lumière. Quant à l'angle noir, étendez-le ture divines ne sauraient être contenues
infiniment vers le bas et à son extrémité, mais dans l'espace, ni représentées par aucune
vers le haut supposez le terminé i)ar un vide ligne, quelles qu'en soient les dimensions.
infini ; c'est ainsi qu'ils se représentent la Conmie terme de comparaison ,
je pren-
terre de ténèbres. Mais ces explications for- drai plutôt nos enfants, ((ui ne voient en-
ment pour eux comme une doctrine secrète core que par les yeux du corps. Pour leur
qu'ilsne dévoilent qu'à ceux qui le méritent donner une faible idée de Dieu, on se sert
par une attention soutenue et de persévérantes devant eux d'allégories tirées le plus souvent
recherches. de la conformation de notre corps; qu'on leur
CHAPITRE XXII. parle donc des yeux de Dieu, des oreilles de
Dieu, aussitôt, donnant libre carrière à leur
HOMEt'SE FORME DONNÉE A LA TERRE
imagination, ils se représentent Dieu sous la
DE LUMIÈRE.
forme du corps humain. Eh bien! comparez
S'il en nous semble que la terre
est ainsi, il ces enfants aux Manichéens qui ne craignent
de ténèbres adhère de deux côtés à la terre de pas d'annoncer, comme étant leurs grands
lumière; en d'autres termes, qu'elle la touche secrets, et de débiter ces bagatelles à des
et qu'elle est touchée par elle de deux côtés. hommes attentifs et curieux. De quel côté,
L'auteur pouvait donc dire en toute certitude dites-moi , Dieu est-il traité encore avec le

que d'un côté était la terre de ténèbres. plus de convenance et de respect ? n'est-ce pas
24. Mais quelle triste forme donnée à la par ceux qui, sans doute, revêtent la Divinité

S. Alg. — Tome XIV. 9


i:î(i KÉFliTATION

d'une forme humaine, mais du moins, sous toutes les anciennes l'auraient été clairement
cette forme, lui allribuent une dignité et une par ce dernier prophète. En conséquence, les
i^randeur infinies? Ne les préférez-vous pas à Manichéens ne peuvent plus recourir ta aucune
ces Manichéens, qui vous représentent Dieu interprétation pour expliquer ces paroles de
comme une masse infinie de trois côtés, tan- leur maître : « A côté de cette sainte et illustre
dis que par le quatrième, il est fendu, ouvert, « terre de lumière était
la terre des ténèbres».

béant, sans l)orne dans sa partie inférieure, Quoi qu'ils fassent, enchaînés qu'ils sont par
mais adhérant inférieurement à l'aide d'une ces misérables fantasmagories, il leur faut ad-
sorte de coin à la terre des ténèbres; en un mot, mettre nécessairement ces déchirures, ces
si vous l'aimez mieux, restant ouvert à sa na- jointures, ces adhérences et ces fissures hon-
ture propre dans sa partie supérieure, et péné- teuses. Or, admettre de pareilles folies, non
tré inférieui'ement par une nature étrangère? pas seulement à l'égard de Dieu, mais même à
Je me raille avec vous de ces hommes charnels, l'égard de toute nature incorporelle, chan- si

qui n'ont aucune idée des choses spirituelles, geante fût-elle, fût-elle même notre âme, je
et qui donnent à Dieu une forme humaine. dis que c'est le comble de l'absurdité. Si donc je
Alors raillez-vous donc avec moi, si vous le ne pouvais élever mes regards vers les sphères
pouvez, de ceux à qui je ne sais quelle misé- supérieures, si ma pensée , retenue captive
rable et honteuse imagination représente Dieu par ces fausses images qui me viennent des
portant dans sa substance une solution in- sens corporels , ne pouvait saisir l'être spi-
forme, pouvant se compléter et s'étendre dans rituel avec la liberté et l'intégrité qui consti-
sa partie supérieure, mais honteusernentcom- tuent sa nature ; môme alors je préférerais
primée dans sa partie inférieure. Ajoutez que me représenter Dieu sous une forme humaine,
si ces hommes charnels dont je parlais tout à plutôt que de voir en lui ce je ne sais quoi dé-
l'heure, et qui prêtent à Dieu une forme hu- chiré à sa partie inférieure par un coin noir,
maine, s'attachent sérietisement à l'Eglise etdans sa partie supérieure s'étendant à l'in-
catholique, y recevront d'abord le lait de
ils lini.Se peut-il une opinion plus repoussante?
la doctrine, qui les empêche de tomber dans Se peut-il une erreur plus ténébreuse?
des opinions téméraires et leur inspire le
,

pieux désir de chercher pour trouver, de de- CHAPITRE XXIV.


mander pour recevoir, de frapper pour qu'il DU NOMBRE DES NATURES, IMAGINÉ PAR LES
leur soit ouvert. Alors seulement ils commen- MANICHÉENS.
cent à saisir le sens spirituel des allégories et
des paraboles de l'Ecriture, et à découvrir peu lis, dans la lettre fondamentale, ces
26. Je
à peu les attributs divins tour à tour désignés mots Dieu le Père » j'y apprends aussi que
: a ;

sous la figure des oreilles, des yeux , des son règne est établi sur la terre brillante et
mains, des pieds, des ailes, des plumes, du heureuse. Or, je voudrais que vous me disiez
glaive, du casque et autres symboles du même si le Père, son royaune et la terre, sont de la

genre. Plus ils font de progrès dans celte con- même substance et de la même nature. Si
naissance, plus s'enracine en eux la foi catho- vous répondez affirmativement, j'en conclus
lique. Quant aux Manichéens, ils cesseraient qu'en pénétrant cette nature qui constitue,
(le l'être dès l'instant où ils renonceraient à pour ainsi parler, le corps de Dieu, le coin de
cette figure fantasti(iue qu'ils se forment de la la nation des ténèbres ne fait qu'y insérer une
Divinité. En effet, le caractère propre et sur- nature de même espèce. Cette conclusion est
éminent des éloges qu'ils accordent à son horrible, mais cependant elle est rationnelle,
auteur, se résume à dire (|ue toutes les figures puisque c'est dans la nature même e Dieu
et tous les mystères qui se rencontrent dans que s'implante ce coin de la terre des ténèbres.
les livres anciens, devaient recevoir leur solu- Je vous en conjure, réfléchissez -y : vous êtes
tion et leur éclaircissement dans la personne hommes, repoussez de telles horreurs, rejetez
de celui qui devait venir à la fin des temps. loin de vous des images aussi sacrilèges, arra-
D'où il suit qu'aucun docteur, envoyé par chez-les de votre croyance. Me direz-vous qu'il
Dieu, n'aurait [)lns à faire son apparition dans n'y a pas identité de nature, que la nature du
le monde, i)uisqu'il n'y aurait plus à inter- Père n'est pas celle de son royaume, celle de
préter aucune allégorie ni aucune figure, car la terre? Que chacun de ces trois objets a sa
UK L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 131

nature propre, sa substance particulière, se CHAPITRE XXV.


distinguant même par le degré d'excellence
TOUTES LES CHOSES CRÉÉES PAR DIEU SONT BONNES,
ou d'élévalion? Alors avouez que ce n'est pas
QUOIQUE DANS DES DEGRÉS DIFFÉRENTS.
seulement de deux natures, mais bien de
quatre que Manès devait proclamer l'exis- 27. Si vous admettez que Dieu, dans sa toute-
tence. Si vous admettez qu'il n'y a qu'une puissance, puisse créer de rien quelque bien,
seule et même nature pour le Père et son faites-vous catholiques, et alors ou vous en-
royaume, et que la nature seule de la terre seignera que toutes les natures que Dieu a
est différente, je trouve encore trois natures faites et créées, depuis les plus élevées jus-
distinctes. Mais peut-être qu'il n'en a reconnu qu'aux plus humbles, sont toutes substantiel-
que deux, parce que la terre des ténèbres n'ap- lement bonnes, quoique d'une bonté compa-
partient pas k Dieu ; alors je demande com- rativement moindre ou supérieure; vous sau-
ment de lumière appartient à Dieu. Si
la terre rez ensuite qu'elles ont été créées de rien,
cette terre a une nature différente de celle de parce que Dieu, dans sa sagesse et sa puis-
Dieu, ce n'est pas Dieu qui l'a engendrée, ce sance, peut donner l'être à ce qui n'était pas.
n'est pas lui qui l'a faite; elle ne lui appar- Donc, en tant que ces natures existent, elles
tient donc pas, et ce n'est pas là qu'il doit sont bonnes; si elles sont imparfaites, leur
établir son royauiue. Si elle appartient à Dieu imperfection ne vient pas de leur création
à raison du voisinage, la terre des ténèbres même, mais de leur condition de natures
lui appartient aumême titre, puisque non- créées de rien. S'agit-il, au contraire, de votre
seulement elle touclie par le voisinage à la doctrine plus vous l'envisagez
; plus vous ,

terre de lumière, mais elle la pénètre et la trouvez qu'elle ne repose sur aucun fonde-
divise. Direz-vous que c'est Dieu qui l'a en- ment. Cette terre de lumière, que vous dé-
gendréi^ ? C'est vous mettre dans la nécessité crivez avec complaisance, vous ne pouvez pas
de conclure qu'elle est de la même nature que affirmer qu'elle soit de la même nature que
lui. En effet, il est de toute évidence que ce que Dieu, car alors vous seriez contraints d'en-
Dieu a engendré est de la même nature que chaîner la nature même de Dieu dans cette
lui ; et c'est sur ce principe que la foi catho- honteuse figure ([uadrangulaire vous n'osez ;

lique raisonne quand il s'agit du Filsunique pas davantage affirmer qu'elle était née de
de Dieu. Vous vous trouvez ainsi ramenés à Dieu, car alors vous seriez obligés/l'adinettre
cette horrible et honteuse nécessité d'admettre qu'elle est ce qu'est Dieu lui-même, et vous
que ce coin noir déchire la nature même de retomberiez ainsi dans toute la honte du sys-
Dieu. Non, dites-vous. Dieu ne l'a pas engen- tème; si vous avancez qu'elle est de la même
drée, mais il l'a faite ; et de quoi donc s'est-il nature que Dieu, c'est parce que vous reculez
servi pour la faire? Si c'est de lui-même, en devant la nécessité logique d'admettre que
quoi cet acte diff'ère-t-il de la génération ? Si Dieu aurait placé son royaume dans une terre
c'est d'une nature étrangère, cette nature était- étrangère et qu'il y aurait non pas deux, mais
elle bonne ou mauvaise ? Si elle était bonne, il trois natures différentes si vous soutenez (|ue
;

y avait donc une autre nature bonne en dehors Dieu ne l'a pas faite d'une substance étran-
de Dieu;etceci, vous n'en conviendrezjamais. gère, c'est parce que votre système vous dé-
Si elle était mauvaise, cette nation des ténè- fend de conclure qu'il y ait quelque bien en
bres n'était donc pas la seule nature mauvaise. dehors de Dieu, ou quelque mal en dehors de
Peut-être encore pris une cer-
que Dieu en a la nation des ténèbres. Quel autre parti vous
taine partie pour en faire la terre de lumière reste-t-il donc h prendre, sinon d'admettre
et y établir son royaume? Pourquoi alors ne que Dieu a fait de rien la terre de lumière? et
la prenaii-il pas tout entière? c'eût été le cependant vous ne voulez pas avouer que
moyen d'anéantir autrefois cette nature mau- quelque grand bien que soit cette terre, elle
vaise. Enfin, si Dieu ne s'est servi d'aucune est cependant inférieure à Dieu. Dieu peut
substance étrangère pour faire la terre de lu- créer de rien ensuite parce qu'il est bon et
;

mière, il l'a donc faite de rien. qu'il n'est l'ennemi d'aucun bien, il a pu
créer d'autres biens, mais qui lui sont infé-
rieurs; après en avoir créé un second, il a pu
en créer un troisième, inférieur au précédent,
132 UEFLITATION

puis un quatrième et ainsi de suite jusqu'au terre sainte avait donc aussi un côté tor-
bien le plus humble et le plus infime des na- tueux ; d'un côté droit vous rapprochez
car si

tures créées, dont le nombre, loin d'être in- un côté tortueux, vous allez avoir des inters-
fini, est une mesure déterminée.
restreint dans tices immenses, des vides infinis, et ces vides
Enfin, vous refusez d'avouer que ce soit de
si cei)endant vous ne cessiez de nous répéter
rien que Dieu ait créé cette terre de lumière, qu'on n'en trouvait que dans la terre des té-
il ne vous reste plus aucun moyen d'échapper nèbres. Dans ce cas, il eût mieux valu mille
à ces opinions, aussi monstrueuses que sacri- fois que la terre de lumière se fût retirée en-
lèges. core |)lus loin et qu'elle eût laissé à côté d'elle
28. Remarquez aussi que si vous pouvez un vide si grand, qu'elle n'eût pu être touchée
donner champ libre à votre imagination, vous en aucun point par la terre des ténèbres. Avec
ne pouvez cependant donner une autre forme cet immense espace de vide, cette terre de
à l'union des deux terres dont nous parlons, lumière aurait pour toujours protégée
été
quelque désir que vous ayez de rendre les contre les mauvais de cette nation
instincts
choses moins horribles et moins repoussantes. perverse; comme les corps ne peuvent voler
Je parle de cette terre de Dieu, qu'elle soit de que quand ils sont soutenus par une atmo-
même nature que lui, ou d'une nature diffé- sphère corporelle, quand les princes mêmes des
rente et dans laquelle, en toute hypothèse, il ténèbres auraient voulu s'élancer sur la terre
a établi sonroyaume. Nous avons entendu la de lumière, ils auraient été précipités dans
description que vous en faites nous l'avons ; l'abîme ; et comme cet abîme aurait été sans
vue, masse immense, s'étendre à l'infini, et fond, leur propre poids les aurait sans cesse
par sa partie inférieure adhérera ce coin de entraînés vers les parties inférieures , et eus-
la terre des ténèbres, projetant, elle aussi, ses sent-ils pu y du moins tout pouvoir de
vivre,
jnembres hideux et entr'ouverts à une dis- nuire leur aurait échappé. Admettez-vous la
tance incommensurable. Pour nous peindre ligne courbe? alors la terre de lumière se ter-
l'union de ces deux terres, vous pouvez ima- minait aussi par un côté courbe. Que vous
giner quelle figure
il vous plaira, mais toujours supposiez une courbe rentrante ou extérieure,
que vous ne pouvez anéantir la lettre de
est-il je ne vois pas en (juoi l'une ou l'autre forme di-
Manès; je ne parle pas des autres écrits dans minuerait la difformité d'une adhérence sem-
lesquels il entre à ce sujet dans des détails blable. Direz-vous que le côté de l'une était
plus précis comme ils sont moins connus,
; courbe, tandis que celui de l'autre était droit,
ilspeuvent être moins dangereux je parle ;
alors le contact n'était pas continu, et je con-
spécialement de cette épître fondamentale que clus, comme je le faisais plus haut, qu'il eût
nous examinons en ce moment et qui est très- été préférable de ne trouver de contact nulle
connue de tous ceux que vous ap|)elez parmi l)art, mais plutôt un abîme infini qui aurait
vous du nom d'illuminés. Or, il est écrit dans mis la terrede lumière à l'abri des attaques
cette lettre : « A côté de cette terre sainte et perverses de ces êtres mauvais réduits à l'im-
« illustre, était la terre des ténèbres, d'une puissance. Enfin, si vous admettez la ligne
« profondeur et d'une grandeur infinies ». droite des deux côtés, je ne vois plus ni ou-
verture ni interstice, mais la paix, la con-
CHAPITRE XXVI. corde, d'où résulte le rapprochement le plus
j)arl'ait. Cette adhérence en ligne droite qui ne

DÉFI LANCÉ AUX MANICHÉENS. laisse ni sinuosité, ni intervalle, n'est-ce pas


ce qu'il y a de plus beau, de plus convenable,
Qu'attendons-nous de plus ? A n'en pas surtout quand il s'agit d'une étendue infinie,

douter, il s'agit ici d'une adhérence latérale. d'une adhérence éternelle? Avec des côtés ter-
Eh bien ! tracez les figures comme ilvous minés en ligne droite, le cou|) d'oeil n'exige
plaira, décrivez les lignes à votre gré ; avouez même pas qu'il y ait cont;ict réel quoique sé- ;

(lu moins (|ue celte masse immense de la terre parés par un intervalle plus ou moins long, ils
de ténèbres adhérait laléralement à la terre oll'rentune projection agréable à cause de leur
de lumière ou par une ligne droite, ou par une ressemblance même. Soit donc que vous
ligne courbe, ou par une ligne brisée et tor- les teniez à distance l'un de l'autre, soit que
tueuse. Si c'est par une ligne tortueuse, cette vous les unissiez réellement, je trouve que
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 133

l'on ne peut rien rencontrer de plus beau l'âme perd sa beauté, elle devient même mal-
que deux côtés droits ainsi disposés. heureuse, tandis qu'avec une volonté droite
du bonheur. Or, tout cela se pro-
elle jouissait
CHAPITRE XXVII. duit sans qu'il s'opère aucun changement,

LE MAL RÉSULTE-T-IL d'i NE SÉPARATION DE


aucune addition ou diminution dans la sub-
stance.
SIBSTANCE?
30. Admettons,
si vous voulez, que le côlé

29. Commentconvaincre des esprits per- de la terredes ténèbres soit mauvais pour
vertis par l'erreur et victimes de malheureuses d'autres causes, parce qu'il est obscur, téné-
habitudes? Us parlent, mais sans savoir ce breux et autre chose semblable ; du moins
qu'ils disent, car ils n'y réfléchissent pas. n'oubliez pas que mauvais, ce n'est pas
s'il est
Croyez-moi, personne ne vous presse, per- parce qu'il est droit. Je vous concède qu'il y
sonne ne vous pousse au combat, personne a quelque chose de mauvais dans sa couleur ;

n'insulte à des erreurs passées; il faudrait mais ne me refusez pas l'aveu qu'il y a aussi
pour cela avoir été délaissé par la miséricorde quelque chose de bien dans sa rectitude. Or,
divine tombé soi-même dans l'erreur:
et être ce bien, quel qu'il soit, il n'est pas juste de
enfln ne nous occupons que d'en finir au plus soutenir qu'il ne vient pas de Dieu; car à
tôt. Réfléchissez donc un instant, sans animo- moins de tomber dans l'erreur la plus gros-
sité et sans amertume. Nous sommes tous sière, nous sommes obligés de croire que tout
hommes ce n'est pas nous que nous haïssons,
;
ce qu'il y a de bien dans la nature n'a d'autre
mais l'erreur et le mensonge. Je vous en prie, principe que Dieu même. Comment donc l'au-
réfléchissez un peu. Dieu des miséricordes, teur dont nous parlons peut-il soutenir que
venez en aide à. la faiblesse de notre intelli- cette terre soit le souverain mal, quand j'y
gence et éclairez de votre lumière intérieure trouve la rectitude qui dans un corps un
est
ceux qui cherchent la vérité. Que pouvons- des principaux caractères de la beauté? Com-
nous comprendre, nous ne comprenons pas
si ment ose-t-il affirmer qu'il n'y a entre elle
(|ue le bien l'emporte sur le mal? Comptant et Dieu aucune relation possible? à qui donc
donc sur votre indulgence, voici la question rapporterons-nous le bien que nous trouvons

que je vous adresse en supposant droit le côté


: en elle, sinon à Celui qui est l'auteur de tous
par lequel la terre de ténèbres adhère au côlé, les biens? Mais, dit-il, ce côté même était
également droit, de la terre de lumière, pour- mauvais. Admettez qu'il soit mauvais, mais
rait-on déformer le premier de ces côtés, sans convenez aussi qu'il le serait davantage, si au
en affaiblir la beauté ? A moins de vous obsti- lieu d'être droit il était tortueux. Et dès lors,
ner dansla chicane, vous con^iendrez néces- comment |)Ouvez-vous regarder comme le
sairement qu'en déformant le côté ténébreux, souverain mal, un mal qui aurait pu encore
non-seulement on le prive de sa beauté propre, être plus mauvais?
y a plus, et je dis c|u'on
11

mais même on lui ôte celle qui lui était coni- doit regarder comme
bonne, une chose dont
nume avec le côlé droit de la terre de lumière, la privation rend l'objet plus mauvais. Or, s'il
et qui résultait de leur union réciproque. Par n'était pas droit, ce côté serait encore plus dé-
l'eflét de cette déformation, ce (|ui s'accordait fectueux la rectitude est donc en soi quelque
;

ne s'accorde plus, cequi s'attirait se repousse; chose de bon. Et jamais vous ne m'exi)lique-
tout cela est vrai, mais enfin suit-il de là qu'on rez l'origine de ce bien, à moins que vous
ait retranché quelque portion de substance ? n'éleviez votre pensée jusqu'à Celui que nous
Convenez donc que la substance n'est [las regardons comme le principe nécessaire de
mauvaise par elle-même, lu sim|ile change- tout ce qu'il y a de bien dans le monde. Mais
ment de forme dans un corps suffit pour faire quittons l'étude de ce côté ténébreux et pas-
perdre à ce corps sa beauté, ou du moins pour sons à d'autres considérations.
affaiblir, pour rendre laid ce qui auparavant
"

était beau, pour rendre désagréable ce qui CHAPITRE XXVIH.


plaisait auparavant. La même chose se produit
DA>S LA TERUE DES TÉNÈBRES, MANES TRODVE
dans l'âme ce qui en fait la beauté, c'est une
:
CINQ NATURES DIFFÉRENTES.
volonté droite, principe d'une vie pieuse et
juste; que la volonté se déprave, et aussitôt 31. 't Cette terre, dit il, était habitée pardes
134 REFUTATION

« corps de feu, race ennemie de tout bien » Ce . ordre ni distinction , une sorte de confusion
mot, habitée, suppose évidemment que ces enfin que l'on ne sait comment qualifier, et que
corps étaient animés et vivants. Mais pour les auteurs grecs appelaient informe, i-siov. Mais
qu'il ne soit pas dit que nous argumentons sur ce n'est pas sous cette forme de chaos que les
les mots, envisageons uniquement les habi- Manichéens entendent nous représenter la terre
tants de celle Icire, voyons de quelle manière des ténèbres. Ainsi ils nous montrent les deux
il a pu les classer en cinq genres ditférents. côtés comme adhérent l'un à l'autre; les cinq
« l>à, dit-il, se trouvent des ténèbres infinies, natures différentes sont énumérées, dishn-
a procédant toutes d'une même source, mais guées, coordonnées avec leurs qualités parti-
« ayant leurs générations particulières. Plus culières elles ne sont ni désertes ni infécondes,
;

« loin, se trouvaient des eaux troubles et fan- puisqu'elles ont leurs propres habitants; ceux-
« geuses, avec leurs propres Ijabitants ; dans ci à leur tour ont leur forme déterminée, et
al'intérieur, des vents horribles et violents avec leurs habitations appropriées à leur nature;
« leur chef et leurs pères. Ensuite, une région enfin et surtout ils ont la vie, le plus excellent

«ignée et corruptible avec ses chefs etsespeu- de tous les biens. Enumérer des biens en aussi
« pies. Au centre, une nation de ténèbres et grand nombre et soutenir que ces biens ne
,

« remplie de fumée, dans laquelle habitait un découlent pas de Dieu, source unique de tous
« prince cruel, le chef suprême, entouré d'une les biens possibles, c'est méconnaître à la fois

multitude d'antres princes dont il était à la et le bien dans les choses, et le mal de l'erreur
« fois l'origine et la pensée. Tous ces êtres en soi-même.
« formaient espèces de natures mau-
cinq CHAPITRE XXX.
nous remarquons cini] espèces
vaises ». Ainsi
EXCELLENTS ET NOMBREUX .AVANTAGES DONT JOUIS-
de natures qui ne sont à proprement parler
SENT CESNATIRES QIE LES MANICHÉENS PLACENT
([ue des parties de cette nature qu'il nomme
DANS LA TERRE DES TÉNÈBRES.
la terre empoisonnée. Ces cinq natures sont :

les ténèbres, les eaux, les vents, le feu et la 33. « Mais , dit-il , les genres qui habitaient
fumée , ainsi classés de manière que les ténè- « ces cinq natures, étaient cruels et pestilen-
bres par lesquelles il commence soient aussi la « tiels )). me
garde de louer en eux la
Dieu
nature la i)lus extérieure. Dans l'intérieur des cruauté et lablâme avec vous le
barbarie. Je
ténèbres il a pl.icé les eaux; entre les eaux, les mal qui se trouve en eux; louez donc avec
vents; entre les vents, le l'eu ; entre le feu, la moi le bien que vous leur attribuez vous-même,
fumée. Or, ces cinq espèces de natures aTaient et vous reconnaîtrez promptement que ce que
chacune ses propres habitants, qui se trou- vous vouliez faire passer pour le mal suprême,
vaient dès lors de cinq classes différentes et n'est en résumé qu'un assemblage de biens

ainsi distribuées les serpents habitaient les


: mêlés à des maux. Avec vous, je blâme la
ténèbres ; les poissons, les eaux ; les oiseaux, peste; mais avec moi, louez la santé. Direz-
les vents; les quadrupèdes, chevaux, lions, vous que tous ces genres ont pu être en-
etc. le feu ; et les bipèdes, tels que les hommes, gendrés, être nourris, habiter cette terre
habitaient la fumée. sans avoir jamais ni la santé ni la vie? Avec ,

vous je blâme les ténèbres; mais avec moi


CHAPITRE XXIX. louez la fécondité. Vous dites des ténèbres
qu'elles ne sont d'aucun prix, et cependant
RÉFUTATION DE CETTE DOCTRINE.
vous les montrez fécondes. Les ténèbres ne
32. Qui a établi cette classification , cet ordre sont pas corporelles; ce qui les constitue, c'est
de choses, ces distinctions? Qui en a fixé le proprement l'absence de lumière, comme la
nombre les qualités, les formes? qui leur a
, nudité, c'est le manque de vêtement; le vide,

donné laEn vie? effet, tons ces êtres sont bons c'est l'absence de tout corps présent; il suit de
par eux-mêmes , et c'est uniquement à Dieu là que les ténèbres elles-mêmes ne peuvent
que nous devons attribuer ce qu'il y a de bon engendrer; la terre seule, quoique privée de
dans cha(iue nature. Nous voyons bien les lumière, avait ce pouvoir. Mais n'insistons pas
lioétes décrire le chaos, représenter une sorte sur ce point; disons seulement (jne partout
de matière informe, sans espèce, sans qualité, où il y a génération, le fruit ([ui naît est
sans niesuie , sans nombre , sans poids, sans apte a la santé ,
jonil dans ses membres
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 135

d'une certaine harmonie et d'une certaine Je blâme avec vous l'obscurité de la fumée et

unité; enfin tout en lui doit être uni et suf- le principe de corruption qu'elle porte avec
fisamment coordonné. Or, tous ces biens ne elle mais louez avec moi l'harmonie qui
;

sont-ils pas plus dignes de louange, que les règne entre toutes ses parties et d'où résulte ,

ténèbres ne sont dignes de honte? Avec vous une unité parfaite. La fumée considérée avec
je blâme les eaux troubles et fangeuses mais , attention mérite assurément nos louanges.
avec moi louez ce que les eaux ont de bon par x\joutoz-y ici sa force et sa puissance de géné-
leur espèce même et par leurs qualités; louez ration car c'est en elle que vous trouvez des
,

dans les êtres qui les habitent, la confor- princes qui l'habitent; nous ne remar(|uons
mation de leurs membres pour la natation, la pas ces phénomènes sur notre terre mais à ,

vie qui circule dans leur corps et la santé , vous en croire, là, la fumée est féconde et
dont ils jouissent. Reprochez à ces eaux leur offre à ses habitants un séjour agréable et sa-

manière d'être qui les rend troubles et fan- lutaire.

geuses mais du moment que vous avouez


;
CHAPITRE XXXI.
qu'elles ont la nature de l'eau qu'elles peu- ,

vent engendrer, nourrir et contenir leurs ha- CONTINUATION DU MÊME SUJET.


bitants, comment ne pas leur reconnaître les
propriétés d'un corps et toutes les qualités es- 34. Puisque dans le prince de la fumée vous
sentielles qui le constituent? Refuser à. l'eau n'avez voulu trouver que la cruauté, afin d'a-
ces propriétés, c'est par le fait même nier voir à la blâmer, n'auriez-vous pas dû égale-
qu'elle soit un corps; mais comment, si vous ment envisager ce qui, dans sa nature, vous
êtes homme, reconnaître ces propriétés et ne aurait, malgré vous, arraché des éloges? Il

pas les louer? Exagérez vous le voulez , la


, si avait une âme el un corps, une âme vivifiante
cruauté de ses habitants les ravages et les
, et un corps doué de la vie; une âme maîtresse,
destructions qu'ils peuvent causer; toujours un corps obéissant; une âme chef, un corps
est-il que vous ne les priverez pas de la beauté serviteur une âme embrassant toute la na-
;

de leur forme, de l'harmonie de leurs mem- ture, un corps contenu par son âme une âme ;

bres, de leur sauté vigoureuse et de l'union ,


provoijuant l'harmonie des mouvements un ,

qui règne dans toutes les parties de leur cori)S corps donnant à ces mouvements de l'ampleur
el y fait circuler la vie la plus florissante. En- et de la constance. Et dans ce prince vous ne

visagez tout cela avec le sens humain et vous trouvez pas qu'il y ait lieu de louer, soit la
trouverez plus à louer qu'à blâmer. Avec vous paix dans l'ordre, soit l'ordre dans la paix? Et
je blâme l'horreur des vents mais louez avec ;
ce que je dis de l'un , appliquez-le à tous les
moi leur nature dilatable et nourrissante , et autres. Mais dans les autres n'était-il pas fé-
la juste proportion de leur corps qui , sans se roce el barbare? Ce n'est pas pour cela que je
séjiarer, peutprendre une extension si éton- lui adresse des louanges, mais pour tant d'au-
nante. Ces propriétés leur permettent d'en- tres biens sur lesquels vous fermez les yeux.
gendrer leurs habitants de les nourrir et de
, Si, fidèle à l'avertissement qui lui est donné ,

leur offrirun séjour agréable et salutaire. un disciple insensé de Manès veut bien fixer
Quant à ces habitants eux-mêmes, outre les ici toute son attention, il reconnaîtra infailli-
qualités que nous avons justement louées blement que quand il parle de ces natures il ,

dans les autres, ils jouissent d'une agilité qui |)arle de biens véritables, non pas, sans doute,

les rend propres à parcourir promptement et du bien suprême et incréé qui est Dieu dans
,

facilement les plus grandes distances, et d'une sa Trinité sainte, non pas même des biens
beauté de mouvement qui rend leur vol fa- supérieurs, quoique créés, comme sont les
cile et harmonieux à la fois. Avec vous je anges et les esprits bienheureux, mais de biens
blâme le feu comme principe de destruction ;
(|ui, pour -être inférieurs, n'en sont pas moins
mais louez-le avec moi comme principe de des biens réels et parfaitement ordonnés dans
fécondité, comme principe de force et de leur genre. Quand on compare ces natures à
vigueur dans tout ce qui naît comme prin- ,
celles qui leur sont supérieures, les ignorants

cipe de vie et de beauté dans tout ce qui vit et ne les trouvent plus dignes que de mépris; et
respire. Quant aux êtres qui l'habitent, vous quand on considère le bien qu'elles n'ont |ias
savez combien ils méritent notre admiration. et que l'on trouve dans les autres, celte pri-
136 Î'.EFUTATION

valion s'appelle un mal véritable. Si donc je lence; vous prendriez ainsi la liberté de tout
parle de ces natures, c'est parce qu'elles nous dire à ceux qui, une première fois, auraient
sont connues dans ce monde. Est-ce que été dupés par vous. Mais peut-être qu'en disant
nous ne connaissons pas les ténèbres, l'eau, que les serpents sont nés dans les ténèbres, il

l'air, le feu, la fumée? est-ce que nous ne ne parlait que pour l'origine même des choses.
connaissons pas les serpents, les poissons, Il oublie alors qu'il est des serpents qui ont la
les oiseaux, les quadrupèdes, les bipèdes? vue très-perçante et qui tressaillent aux pre-
A l'exception des ténèbres qui ne sont rien miers rayons de la lumière; quelle peine ne
autre chose que l'absence même de la lumière va-t-il donc pas avoir de s'en tirer avec eux!

et qui ne nous frappent les yeux que parce Ensuite, en considérant nos poissons d'ici-bas,
que nous ne voyons pas comme nous ne il a pu facilement combiner ses rêves excen-
,

percevons le silence que parce que nous triques à leur sujet; il en est de même des
n'entendons pas; les ténèbres ne sont ainsi oiseaux; l'air dans lequel ils s'agitent prend
quelque cliose que par l'absence de la lumière, le nom de vent quand il est violeuiment agile.
comme le silence n'est quelque chose que par Quant aux quadrupèdes auxquels il donne le
l'absence du son; je dis donc qu'à l'exception feu pour habitation, en vérité, je ne sais pas
des ténèbres, tous les autres points énumérés où il a pu trouver cette figure. Cependant, ce
sont autant de natures véritables, parfaitement qu'il en dit entrait nécessairement dans son
connues de tous. Et comme
dans ce qu'elles système; il a un peu réfléchi mais il s'est
,

sont, elles sont louables et bonnes, tout homme énormément trompé. Ils donnent pour raison
prudent ne leur attribuera jamais d'autre prin- que (juadrupèdes sont tiès-voraces et sur-
les

cipe que l'Auteur même de tous les biens. tout très-portés aux sensations brûlantes de la
chair. Jesais, surce point, beaucoup d'hommes
CHAPITRE XXXII. qui surpassent les quadrupèdes et cependant ,

l'homme n'est qu'un bipède, enfant non pas


c'est a l'aide de ce qu'il avait sous LES YELX
du feu, mais de la fumée. Il est même difficile
QUE LE MANICHÉEN A BATI SON SYSTÈME.
de trouver des animaux plus voraces que les
35. Manès, en trouvant dans l'ordre naturel oies; soit donc qu'il les place dans la fumée,
la base d'après laquelle il a voulu dans ses parce que ce sont des bipèdes, soit dans l'eau
rêves constituer sa nation de tenebrt-s, peut parce qu'elles aiment a nager; soit dans les
ètie facilement convaincu de mensonge. D'a- vents parce qu'elles ont des plumes et qu'elles
bord, comme je l'ai dit, les ténèbres ne peu- savent voler, toujours est-il, qu'à moins de se
vent être fécondes. Mais, répond-il, les ténèbres contredire, il ne les placera pas dans le feui.

dont je parle, ne sont pas de la nature de celles Quant à l'ardeur qui porte les quadrupèdes
que vous connaissez. —
Alors pourquoi m'en aux sensations brutales, je pense qu'il a mé-
parlez-vous? toutes vos pom|ieuses promesses dité sur les chevaux qui rompent souvent
de science se réduisent-elles à me forcer de leurs freins pour se précipiter sur la jument;
croire? Mais faites-moi croire. Je sais une dans son empressement à écrire il a donc
chose, c'est que si ces ténèbres, comme celles oublié le passereau des murailles, auprès du-
que nous avons sur la terre n'avaient rieu de
,
quel le plus fougueux étalon paraîtra toujours
réel en elles-mêmes, elles n'auraient jamais de glace. Si on lui demande enfin pouiquoi il

pu engendrer et si elles avaient quelque chose


; a placé les bipèdes dans la fumée, il répond
de réel, elles étaient donc, par nature, meil- que le genre bipède est orgueilleux et superbe,
leures que les nôtres. Au contraire, en soute- voilà pour()Uoi il prétend ijue c'est de la que
nant qu'elles n'étaient pas comme les nôtres, riioinnie tire son origine; dans ces globes de
vous voulez nous faire croire qu'elles étaient fumée qui s'élèvent gonflés vers les airs, ils

pires. A ce titre, |)arlant du silence, qui est pour trouvent une image assez sensible et ressem-
nos oreilles ce que les ténèbres sont pour nos blante des hommes orgueilleux. Ces divers
yeux, vous pourriez soutenir qu'il a enfanté caractères suffisent assurément pour servir de
des animaux sourds et muets. Et si on vous termes de comparaison entre la fumée et les
répliquait que le silence n'est pas une nature hommes orgueilleux, mais de là à conclure que
particulière vous répondriez que le silence
, les animaux bipèdes sont nés dans la fumée,
dont vous parlez n'était pas comme notre si- et de la fumée , il y a une distance infinie, ils
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 137

auraient dû naître aussi de la poussière, car ment, cela suffit pour leur faire comprendre
souvent elle s'élève également en tourbillon que les biens et les maux sont mêlés même
vers le ciel; ou bien encore dans les vapeurs dans cette terre qu'ils s'étaient habitués à re-
qui souvent s'élèvent de terre et tourbillon- garder comme étant le mal suprême. Faites
nent noires et épaisses comme la fumée avec disparaître les maux que nous avons énu-
laquelle ou les confondrait facilement. Enfin mérés, il ne restera plus que les biens (|ui
nous comprenons facilement qu'il ait placé ont mérité notre admiration la plus absolue.
(les habitants dans les eaux et dans les airs, Au contraire, faites disparaître ces biens et
puisque nous en voyons nous-mêmes autour vous détruisez la nature elle-même. Dès lors ,

de nous; mais comprenons-nous également quiconque a des yeux pour voir, doit conclure
qu'il ait poussé l'absurdité jusqu'à en placer que toute nature, en tant que nature, est
dans dans la fumée? Le feu dévore le
le feu et bonne par elle-même. La preuve en est, que
quadrupède et le corrompt; quanta la fumée, si dans ce que je louais et dans ce que je blâ-

elle suffoque et étoulTe les bipèdes. En outre, mais, vous enlevez ce qu'il y a de bien, la na-
il encore obligé d'avouer que ces natures
est ture elle-même disparaît nécessairement. D'un
étaient plus parfaites dans la terre des ténèbres autre côté, si on enlève ce qu'il y a de mai, la
qu'elles ne le sont sur la nôtre et cependant
, nature seule reste dans toute son incorrupti-
il soutient en même temps que cette nation bilité. Faites que ces eaux cessent d'être fan-
des ténèbres est le mal suprême. En effet, geuses et troubles, et elles resteront pures
selon lui, le feu engendrait le ([uadrupède, le et tranquilles enlevez de jl'eau l'union des
:

un séjour sain et très-


nourrissait et lui offrait parties, ce ne sera plus de l'eau que vous
avantageux. De même, la fumée après avoir , aurez. Si donc la disparition du mal laisse la
procuré dans son sein une naissance des plus nature plus parfaite, tandis que la disparition
heureuses aux bipèdes, leur offrait un séjour du bien anéantit la nature elle-même; on doit
favorable au développement de leur santé et conclure que c'est le bien même qui constitue
de leur vie. C'est donc par la contemplation la nature, tandis que le mal, loin d'être la na-
des choses de ce monde, et surtout, giàce à ture est directement contraire à la nature.
,

une conception insensée et charnelle, (juc Enlevez aux vents cette horreur et celte impé-
toutes ces excentricités prirent naissance, que tuosité qui vous déplaît, vous n'aurez plus que
tous ces mensonges furent inventés, et vinrent des vents doux et modérés ; brisez dans les

grossir le nombre des absurdités et des erreurs vents la similitude des parties qui établit en
qui trouvent toujours refuge parmi les héré- eux l'unité et la paix , aussitôt disparaissent
tiques. tous les éléments nécessaires pour constituer
CHAPITRE XXXlll. une nature distincte. L'énumération serait
trop longue. Constatons seulement que si les
TOUTE NATURE , COMME TELLE, EST BONNE.
natures dont on nous parle ne soulèvent en
36. Mais, s'il est possible, rendons encore nous aucun attrait c'est qu'elles ont élé
,

plus évident à leurs yeux ce principe proclamé mêlées à certains accidents (]ui nous déplai-
par l'Eglise catholique, que Dieu est l'auteur sent; enlevons ces accidents et les natures
de toutes les uatures. C'est dans ce sens que nous apparaissent meilleures. Elles sont donc
je disais plus haut : Je blâme avec vous la bonnes en elles-mêmes et comme natures,
peste, l'aveuglement, la fange repoussante, puisque si vous enlevez ce qu'elles ontde bon,
la véhémence horrible, la corruptibilité , la vous détruisez la nature elle-même. Puisque
cruauté des princes et autres choses de même vous voulez raisonner, considérez môme celui
genre; louez avec moi l'espèce, la distinction, que vous appelez le prince du mal; dépouil-
l'arrangement, la paix, l'unité des formes, lez-le du mal qui est en lui et voyez combien
l'harmonie des membres, la respiration et les de brillantes (lualités lui restent : l'union du
organes vitaux, la santé, la mo.lération de corps, l'harmonie des membres , l'unité de la
l'iàme la dépendance du corps, la ressem-
, forme, la contexture facile des parties, l'âme
blance et la concorde des parties dans chacune puissante et maîtresse, un corps bien organisé
des natures qui habitaient ou qui étaient ha- et recevant la vie comme récompense de sa sou-
bitées, et autres choses semblables. Pourvu mission à la direction de l'âme. 11 suffit (|ue

([u'ils ne s'ubslinent pas dans leur aveugle- ces (jualilés et d'autres encore que je n'ai
138 REFUTATION

point énumérées, disparaissent, pour que la ne craint pas de les placer dans cette terre des
nature soit anéantie tout entière. ténèbres, afin de pouvoir affirmer qu'ils n'ont
nullement pour auteur l'auteur même de tous
CHAPITRE XXXIV. les biens. Comme ne cherchait que ce qui
il

pouvait inspirer de l'horreur, il n'a entrevu


LA NATURE N'EST JAMAIS SANS QUELQUE BIEN.
aucun de ces biens. Pour le peindre, je le
37. Mais, me direz-vons peut-être, ces maux comparerais volontiers à un malheureux que le
ne peuvent être arrachés à de telles natures, rugissement d'un lion vient de glacer d'effroi.
voilà pourquoi nous devons les regardercomme Il le contemple, traînant ou déchirant comme

leur étant naturels. La question présente n'est sa proie une victime animale ou humaine;
pas de savoir ce qui peut ou ne peut pas être frappé d'une stupeur véritablement enfantine,
arraché; je dis seulement qu'il suffit du plus il ne pense guère à admirer la nature de ce

simjile bon sens pour comprendre que toutes roi des animaux; une seule chose l'occupe
les natures comme telles sont bonnes, que ces tout entier, c'est sa férocité et ses instincts
biens peuvent être parfaitement conçus sans cruels, et pour lui ce lion n'est pas seulement
la présence de ces maux tandis que sans ces
, le mal, mais le plus grand de tous les maux,
biens, aucune nature ne saurait se concevoir. et ce cri est sur ses lèvres d'autant plus
En effet, je puis avoir l'idée de l'eau sans que exagéré qu'il est inspiré par un plus grand
pour cela elle soit de l'eou trouble et fan- effroi.Mais s'il voyait un lion se laissant
geuse; au contraire, en dehors de l'union et conduire avec une douceur étonnante, si sur-
de la continuité des parties, il m'est impos- tout jamais lion ne l'avait effrayé, comme il

sible de me faire l'idée d'un corps, d'en avoir admirerait avec calme le plus parfait la
le

la moindre perception; île là il suif que même beauté de cet animal! comme il abonderait en
ces eaux fangeuses ne peuvent exisler, si elles éloges! Je ne prends de cette comparaison
ne possèdent le bien sans lequel il ne saurait que ce qui convient à mon sujet; n'est-il pas
y avoir de nature corporelle. Quant à ce que vrai que pour tel phénomène particulier qui
vous avancez que ces maux sont inséparables nous déplaît dans un être nous prenons sou-
,

de ces natures je réponds qu'il en est au


,
vent en haine sa nature tout entière? Cepen-
moins de même de ces biens. Or, à raison de dant il serait bien plus convenable d'admirer
ces maux que vous croyez inséparables, vous un animal dans sa réalité vivante et véritable,
dites de ces êtres, qu'ils sont mauvais par na- même quand nous eflVaie dans les forêts
il ,

ture; pourquoi donc, à raison de ces biens que de prodiguer nos éloges à sou image re-
qui, vous en êtes convaincus, sont absolument produite par le ciseau ou peinte sur la mu-
,

insé|)arables,n'avouez-vous pas que ces mêmes raille. Que Manès ne pense pas nous faire

êtres sont bons par nature? tomber dans ia même erreur qu'il n'aspire ;

38. Maintenant, et c'est ici la question su- pas à nous aveugler jusqu'au point, quand
prême, il nous reste à chercher l'origine de nous considérons telle nature d'épouser tel- ,

ces maux qui me déplaisent autant qu'a vous. lement ses reproches, que nous repoussions
Eh bien! je vous promets la réponse, si, de la nature tout entière quand elle n'est blâ-
votre côté, vous voulez me faire connaître mable que dans quelque partie. Soyons justes
l'origine de ces biens, que vous voulez vous- avant tout, et maintenant demandons-nous
mêmes nécessairement, à moins de vous con- pourquoi les biens sont mêlés a ces maux
damner à l'absurdité la plus profonde. Mais que moi aussi j'ai couverts de toute ma ré-
pourquoi ma question? est-ce que vous et moi probation. Pour nous rendre celte étude plus
nous ne convenons pas que tout bien, quel facile, désignons-les tous jiar une seule expres-

qu'il soit, a pour unique principe Dieu lui- sion.


même, qui est le souverain bien par essence? CHAPITRE XXXV.
Soulevez-vous donc contre ce Manès, qui, en
LE MAL , c'est LA CORRUPTION.
présence de ces biens si grands et si nom-
breux que nous avons énumérés et si justement Tous comprennent facilement que le
;}'.).

loués la paix et la concorde des iiarlies dans


: mal dans
tout entier se résun)e parfaitement
cha(]ue nature, la santé et la force dans les êtres ce seul mot la corruption. Pour désigner les
:

vivants, et autres biens ([ue je ne puis rappeler, ditférents maux en particulier, on peut se
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. 139

servir d'expressions différentesmais ce qui ;


des ténèbres, ou elles pouvaient être corrom-
est lemal de tontes choses, ce que l'on dé- pues, ou elles ne le pouvaient pas. Si elles ne
couvre partout avec le mal lui-même c'est la , le pouvaient pas, donc incorrup-
elles étaient

corruption. La corruption d'une âme instruite tibles, et aucun bien


comparable à celui-
n'est
s'appelle ignorance; la corruption de la pru- là. Si elles pouvaient être corrompues, ou

dence, imprudence; la corru[)tion d'une âme elles étaient ou elles n'étaient pas atteintes

juste, injustice; d'une âme forte, lâcheté; par la corruption. Si elles n'en étnient pas at-
d'une âme en repos et tranquille, cupidité, ou teintes, elles étaient intègres, et l'intégrité
crainte, ou tristesse, ou jactance. Dans un mérite assurément de grands éloges; si elles
corps vivant, la corruption de la sanlé se en étaient atteintes, elles subissaient une di-
nomme douleur ou maladie; des forces, las- minution dans ce grand bien de l'intégrité;
situde; du repos , travail. A n'envisager que parla même (ju'elles diminuaient en bien,
le corps lui-même^ la corruption de la beauté elles possédaient donc un bien dans leciuel

se nomme laideur; de la rectitude, difîormité; elles pussent diminuer ; et enfin


puisqu'il y ,

de l'ordre, perversité; de l'intégrité, division, avait du bien en elles, elles n'étaient donc pas

fracture ou diminution. Il seraitlong et diffi- le mal suprême, et tout le système manichéen


cile d'émuuérer toutes les corruptions des ob- n'est qu'une absurdité et une folie.

jets que j'ai rappelés et d'autres innombrables ;

beaucoup de choses qui se disent du corps CHAPITRE XXXVI.


peuvent aussi s'appliquer à l'âme et sur beau- ;
ORIGINE DU MAL, OU DE LA CORRUPTION DU BIEN.
coup de points on ne trouve de dénomination
que le terme même de corruption. Toujours 41. En cherchant la nature du mal, nous
il est facile de voir que la corruption ne pro- avons trouvé qu'il n'est pas une substance
duit ses effets qu'autant (|u'elle attaque dans naturelle mais une chose contre nature.
,

un objet son état naturel; d'où il suit que la Maintenant cherchons -en l'origine. Si Manès
corruption, loin d'être naturelle, est propre- s'était posé sérieusement la même question,

ment contre nature. Résumons : le mal n'existe il n'aurait |ias rivé si étroitement sur lui les

dans les choses que par la corruption; d'un chaînes de l'erreur. Pourquoi cherchait-il d'a-
autre côté, la corruption n'est pas la nature ;
bord l'origine du mal avant d'en chercher la
donc aucune nature n'est le mal. nature? En agissant ainsi, il était naturel
40. Peut-être ne saisissez-vous pas ces con- qu'il s'abandonnât à de folles divagations, à
sidérations; alors comprenez ceci, c'est que des rêves insensés, que ne peut plus secouer
tout ce qui se corrompt éprouve une dimi-
, un esprit nourri de sensations charnelles. Eh
nution dans le bien cju'il possédait. Si un bien! dira ([uiconiiue préfère la vérité à la
objet n'était pas atteint de la corruption, il ne chicane, quelle est donc l'origine de cette
serait pas corrompu, et s'il ne pouvait être cor- corru|)tion (jui nous a paru si évidemment le
rompu, il donc la cor-
serait incorruptible. Si mal imiversel de toutes les choses bonnes,
ruption c'est le mal, il suit nécessairement mais corruptibles? Celui (jui pose celte ques-
que le bien c'est l'incorruption ou l'incorrup- tion avec un vif désir de connaître la vérité et
tibilité. Pour qu'un être soit proprement in- la ferme résolution d'en poursuivre la re-
corruptible, il ne suffit pas qu'il ne soit point cherche avec [)ersévérance, aura bientôt trouvé
corrompu il faut encore que la corruption
, la solution si surtout il ne néglige pas la
,

ne puisse l'atteindre dans aucune de ses par- prière. En effet, au moyen de la parole, les
ties. Prenons une chose restée intacte, mais hommes réveillent bien en nous des sou-
corruptible; dès qu'elle commence à se cor- venirs, mais celui qui nous enseigne vérita-
rompre, elle éprouve une diminution ou une blement c'est le Maître par excellence l'in-
, ,

perte dans le bien même qu'elle possédait corruptible Vérité, l'unique Maître intérieur.
avec toute son intégrité. Ajoutons que ce bien S'il s'est fait maître extérieur, c'est pour nous
était grand, puisque la corruption est un rappeler des choses extérieures aux choses in-
grand mal; du reste, la corruption ne peut térieures; en prenant la forme d'esclave, il a
augmenter qu'autant qu'il r^iste encore du voulu se montrer humble à ceux qui gisaient
bien susceptible d'être diminué. Or, quant à dans la bassesse afin de faire connaître sa
ces natures qu'il suppose i)!acées dans la terre sublimité à ceux qui s'élevaient. C'est en lui
140 REFUTATION

que nos supplications espèrent, c'est par lui été créés de rien n'existent pas, qu'il n'y a de
que nous implorons la miséricorde du Père, bien que la nature même
de Dieu ? Ce serait
pour obtenir de lui ce que nous ciierclions. porter envie à d'aussi grands biens ce serait ;

Vous demandez l'origine de la corruption, on prononcer une parole impie, une injure, de
vous répond en quelques mots: la corruption pen?er que ces biens particuliers sont dis-
vient de ce que les natures qui peuvent être tincts de Dieu lui-même, et qu'il ne peut en
corrompues n'ont pas été engendrées de Dieu, exister aucun par la raison que Dieu lui serait
mais par lui tirées du néant; et comme la préféré. Je pense qu'il est évident pour vous,
raison nous a prouvé précédemment que ces âme raisonnable, que vous êtes inférieure à
natures sont bonnes, ce serait une grande Dieu, et que vous reconnaissez d'autant mieux
erreur de dire que ce n'est pas Dieu qui est votre infériorité, qu'après Dieu personne ne
l'auteur de tous les biens. On a pu dire que revendique sur vous la supériorité. Souffrez
Dieu a créé souverainement tous les biens, cet aveu et montrez-vous plus généreuse en-

mais cette phrase signifiait simplement que vers Dieu, de peur qu'il ne vous repousse dans
Dieu qui a créé ces biens est lui-même le cet abîme, où sous l'étreinte d'angoisses trop

souverain bien. justement méritées vous perdriez même l'es-


time du bien qui est en vous. Vous n'êtes
CHAPITRE XXXVII. plus qu'une nature orgueilleuse envers Dieu,
si vous vous irritez contre ce qui l'emporte
DIEU SEUL EST LE SOUVERAIN BIEN.
sur vous et c'est faire à Dieu une trop san-
;

42. Comment, dites-vous, le mal serait-il glante injure que de refuser de le remercier
possible, si tout ce qui est, était souveraine- d'avoir fait de vous un bien si grand que lui
ment bon? Ceiiendant, admettons que Dieu seul l'emporte sur vous. Cette vérité bien

le Père est le souverain bien ; supposons en- établie, gardez-vous de dire je dois être la
:

suite que quelqu'un demande, s'il était un seule nature que Dieu ait faite je voudrais ;

autre souverain bien, quelle en serait l'ori- qu'il n'y eût pas d'autre bien après moi.

gine, nous répondrions sans hésiter que ce se- Après Dieu vous êtes le jiremier bien, est-ce
rait Dieu le Père qui est le souverain bien. qu'il ne doit y avoir que vous seul de bon ?

Pour expliquer pieusement notre pensée ,


Une preuve frappante de la dignité à laquelle
nous ajouterions que cet autre souverain Dieu vous a élevée, c'est que lui qui avait na-
bien est né de lui, et n'a pas été fait de turellement empire sur vous, a créé d'autres
rien ; voilà pourquoi suprême, il est le bien biens sur lesquels vous puissiez dominer.
c'est-à-dire incorruptible. Aussi nous pa- Maintenant ne vous étonnez pas que ces biens
raît-il souverainement injuste de prétendre se révoltent contre vous, et quelquefois même
que ce qui a été fait de rien doit être le sou- vous crucifient le Seigneur n'a-t-il pas plus
:

verain bien au même titre que ce qui est né de puissance sur les choses qui vous servent
de Dieu. S'ilTa engendré, engendré ce
il l'a que vous n'en avez vous-même ? ses droits
qu'il est la génération est
lui-même, puisque sont ceux du Maître sur les serviteurs de ses
son œuvre à lui seul. C'est donc à tort et par serviteurs. Qu'y a-t-il donc d'étonnant que
ignorance que l'on voudrait trouver des ces biens sur lesquels vous exerciez votre em-
frères au Fils unique de Dieu, par qui le Père |iire, deviennent pour vous comme autant de

a créé de rien tous les biens, à moins que la châtiments pour punir vos péchés, ou votre
question ne roule uniquement sur son huma- rébellion contre Dieu ? Dieu n'est-il pas la
nité. En effet, les Ecritures le désignent clai- justice même nous avions ici à examiner
? Si

rement comme Fils unique et premier-né ; le |iéché originel, nous serait facile de mon-
il

fils unique tlu Père, premier-né d'entre les trer que la nature humaine dans la personne

morts. » Et nous avons vu sa gloire, dit s lint d'Adam a réellement mérité tous ces maux ;

« Jean, c'était celle du Fils unique du Père, et qu'il nous suffise de remarquer qu'on recon-

« il rempli de grâce et de vérité ». Saint


était
'
naît la justice d'un maître à la justice de ses
Paul dit de son côté « Afin qu'il soit lui-même
: récompenses et de ses châtiments, au bonheur
a le premier-né parmi beaucoup de frères ». qu'il accorde aux justes et aux châtiments

43. Dirons-nous que ces biens qui auraient dont il frappe les pécheurs. Cependant vous
'Jean, 1, 11, IK.
'
Rom. vili, ay. n'avez pas été délaissé de toute miséricorde,
DE L'ÉPITRE FONDAMENTALE. lil

puisque par la succession même des choses culière, et vous comprendrez que s'il s'agit
et destemps, vous êtes appelé à rentrer dans de la nature, c'est à Dieu qu'il faut en attri-
votre premier état. Ainsi grâce à celte bien- buer l'existence s'il s'agit de la corruptibilité
; ,

veillance infinie du Créateur, laquelle s'est elle découle du néant. Toutefois, quoique la

étendue même jusqu'aux biens terrestres qui corruption ne soit pas l'œuvre de Dieu, elle
se corrompent et se refoiment, voire supplice est un instrument soumis à sa puissance,

est mêlé de quelques soulagements. Comment pour confirmer l'ordre général et déterminer
donc ne pas rapporter à Dieu par la louange le mérite des âmes. Voilà pouri|uoi nous di-

ce bel ordre de choses? comment, après avoir sons qu'il est l'auteur de la récompense et
fait la triste expérience du mal, ne pas cher- du supplice. Ce n'est donc pas Dieu qui a
cher un refuge auprès de Dieu seul ? Con- créé la corruption, mais il a le pouvoir de lui
cluons les choses terrestres vous obéissent
: abandonner comme victime celui qui a mé-
pour vous rappeler que vous êtes leur maître; rité d'êlre corrompu, c'est-à-dire celui qui a

et quand elles sont pour vous des instruments déjà commencé à se corrompre lui-même par
de souffrance, c'est pour que vous sachiez que le péché et s'est ainsi exposé à ressentir tous
vous devez servir le Seigneur. les déchirements de la corruption, après n'a-
voir voulu goûter que ses séduisantes ca-
CHAPITRE XXXVIll. resses.

LA NATIRE EST l'CEIVRE DE DIEU, ET LA COR-


CHAPITRE XXXIX.
RUPTION, CELLE DU NÉANT. EN QUEL SENS DIEU EST-IL l'AUTEUR DU MAL?

-ii.Nous avons prouvé que la corruption, 4.J. Nous lisons déjà dans l'Ancien Testa-
c'est le mal et qu'en cette qualité elle n'est ment : a Je fais le bien et j'envoie le mal '
».

pas l'œuvre du Créateur, mais la conséquence Mais le Nouveau est plus explicite, dans ces
du princiiie en vertu duquel nous avons paroles du Sauveur : « Ne craignez pas ceux
établi que toutes les natures ont été créées de « qui tuent le là le terme de
corps et trouvent
rien. Cependant, d'après l'ordre même établi « leur puissance mais craignez celui qui ;

|iar Dieu, la corru[)tion ne peut nuire qu'aux « après avoir tué le corps a le pouvoir de pré-
natures inférieures, pour servir soit de sup- « cipiler l'âme dans l'enfer ^ ». Que la corrup-
plice aux damnés, soit d'épreuve et d'avertis- tion volontaire soit suivie de la corruption
sement à ceux qui rentrent dans la voie du comme châtiment, jugement de Dieu
ce juste
bien et qui ont besoin de s'attacher au Dieu nous est clairement révélé par l'Apôtre, en
incorruptible et de demeurer incorrompus, ces termes « Le temple de Dieu est saint, et
:

ce (|ui pour nous est le seul bien nécessaire. « c'est vous qui êtes ce temple; et quiconque
En effet, le prophète nous dit « Il m'est bon
: « corrompt le temple de Dieu, Dieu le cor-
« de m'attacher à Dieu' ».Ne dites pas que ci rompra' ». Si c'était dans la loi judaïque que
Dieu ne devait pas faire les natures corrup- nous lisions ces paroles, conmie les Mani-
tibles. En effet, si Dieu lus a faites, c'est en chéens s'en empareraient pour lancer l'invec-
tant qu'elles sont natures, mais il ne les a tive et accuser Dieu d'êlre l'auteur de la cor-
pas faites en tant qu'elles sont corruptibles ;
rujition 1 Craignant l'énergie de cette expres-
il ne peut être l'auteur de la corruption, puis- sion, beaucoup d'interprètes latins, à ce mot
qu'il est l'incorruptibilité même. Si vous corrompra, ont substitué celui-ci Dieu le :

goûtez celle doctrine, rendez-en grâces à Dieu ;


perdra sans s'écarler du sens, ils ont voulu
:

si vous ne la goûtez pas, abstenez-vous de échapper à la rudesse de l'expression. Il est


condamner témérairement ce que vous ne certain cependant que mes adversaires n'au-
comprenez pas demandez l'intelligence à
; raient (las plus de ménagements pour ces
celui qui est la lumière véritable. En effet, mots: Dieu le perdra, si on les trouvait dans
quand nous unissons ces deux mots nature : la loi ou dans les prophètes. Quoi qu'il en soit,
corruptible, nous associons deux idées très- il est hors de doute que les exemplaires
distinctes il en est
; de même quand nous grecs poitent « Quiconque corrompt le :

disons Dieu a créé de rien. Conservez à cha-


: « temple de Dieu, Dieu le corrompra ». Quel-

cune de ces expressions sa signification parti- qu'un se scandaliserait-il de ces paroles qui
Ps. LXXII, 28. ' Isaie, XI.V, 7. — ' Malt, x, 28 ;
Luc, xii, 1. — '
I Cor. m, 17.
m REFUTATION

pourraient laisser croire que Dieu est corrup- l'être par excellence ; au contraire, la corrup-
teur? les Manicliéeus eux-mêmes répondent tion en se développant hâte la destruction, et
aussitôt que le mot : corrompia, signilie : li- ce qui n'est pas n'est rien. Pourquoi donc,

vrera à la corruption. S'ils étaient animés demanderai-je de nouveau, ne pas avouer ce


d'aussi bonnes dispositions à Tégard de l'an- qui vient de Dieu et ce qui vient du néant
cienne loi, ils y rencontreraient beaucoup de dans toute nature corruptible, c'est-à-dire ,

choses admirables; et an lieu de lacérer par dans tout être que vous appelez nature et que
liaine ce qu'ils ne comprennent pas, ils se sen- vous appelez corruptible? Pourquoi donc
tiraient saisis de respect et en clierclieraient vous obstiner à chercher entre telle nature et
l'explication. Dieu une opposition réelle? Si, pour vous.
CHAPITRE XL. Dieu est l'être par excellence, l'être peut-il lui
être contraire ?
LA CORllUPTION TEND A LA DESTRUCTION.

Hésitez-vous à croire que la corruption


CHAPITRE XLI.
•46.

vienne du néant? Souffrez alors que j'em- SI LA CORRUPirON VIENT DE NOUS, C'EST PAR LA
prunte une comparaison qui rendra cette vé- PERMISSION DE DIEU.
rité plus sensible aux intelligences les plus
paresseuses. Mettez donc en regard l'un de 4". Mais, dites-vous, pourquoi donc la cor-
deux, pla-
l'autre, l'être et le néant; entre les ruption délruit-elle ce que la nature a reçu

cez, par exemple, un corps animé. Ce corps se de Dieu ? Elle ne le détruit que quand Dieu le

forme, il naît, prend du développement selon permet; or, il le permet quand cette destruc-
son espèce, il se nourrit, se fortifie, s'embel- tion entre dans les plans de sa rigoureuse

lit, or, pendant cette période de


s'aflérniit; justice, pour faire ressortir la gradation des

développement, de quel côté incline-t-il, est- choses et le mérite des âmes. Ainsi, dès qu'une
ce vers l'être, ou vers le néant? Uè's son ori- parole est prononcée, elle disparaît et fait
gine même, il est mais plus sa forme, son
;
place au silence. Cependant ce n'est que par
espèce et sa nature s'airermissent, plus il re- cette succession de paroles qui passent et

vêt les conditions de l'être, plus il tend vers disparaissent que le langage ou le discours
l'être. Qu'il commence à se corrompre, peut exister ce sont les intervalles de silence
;

(|ue sa nature s'affaiblisse, que ses forces lan- qui en fout toute la grâce et toute la beauté.
guissent, que sa vigueur s'épuise, que sa 11 en est de même de la beauté grossière des
forme s'efface, que ses membres se dislo- choses temporelles, elle consiste surtout dans
ijuent, que l'harmonie de son corps dispa- cette succession variée de choses qui passent

raisse; qu'on se demande alors où il tend par et d'autres qui renaissent. S'il nous était pos-

cette corruption, vers l'êtreou vers le néant? sible de bien saisir et de comprendre cet ordre
La réponse ne saurait être douteuse l'homme ;
et ces caractèresde la beauté, nous en serions
le plus aveugle, le moins intelligent com- tellement frappés que nous n'oserions donner
prend que plus un corps se corrompt, plus il le nom de corruption à ces disparitions qui
tend vers sa propre destruction. Or, ce qui nous frappent. Quand nous souffrons de voir
tend vers la destruction, tend vers le néant. nous échapper ces choses temporelles que
Si donc Dieu est l'être essentiellement im- nous aimons, n'oublions pas que Dieu a
muable et incorruptible, il suit de là que voulu, par là, nous avertir que nous avons
nous appelons néant ce qui n'est pas. Si besoin d'expier nos péchés et de n'attacher
donc, ayant en face de vous l'être et le néant, notre cœur qu'aux choses éternelles.
vous comprenez (|ue plus un corps développe
CHAPITRE XLII.
son espèce, plus il tend vers l'être, tandis que
plus la corrui)tion se développe, plus il tend EXHORTATION A AIMER LE SOUVERAIN BIEN.
vers le néant, comment hésitez-vous encore à
reconnaître ce qui dans chaque nature vient 48. Ne cherchons donc pas dans cette beauté
de Dieu et ce qui vient du néant? L'être n'est- ce qui n'y est pas; et puisqu'elle n'a pas reçu
il pas selon la nature, et la corruption contre ce que nous désirons trouver, regardons-la
nature? En développant l'espèce, vous déve- comme digne de nos mépris. Quant aux jouis-
loppez l'être, et nous avons dit que Dieu est sances que nous y puisons, rapportons-en
\)E L'ÉPITRE FONDAMENTALE. U.'i

toute la gloire à Dieu qui a daigné pour nous CHAPITRE XLIII.


verser quelques rayons de sa bonté infinie sur
ces natures infime?. Toutefois, que cette bonté CONCLUSION.
matérielle ne captive pas nos cœurs, élevons
nos pensées plus haut n'y enchaînons pas
; -49. Cette vision surnaturelle n'a pas de
notre intelligence et louons le Seigneur. As- plus grands ennemis que ces fantômes que
pirons vers ce Bien qui ne subit pas le dépla- notre imagination se crée par le moyen des
cement des lieux, les vicissitudes du temps, sens. Prenons donc en horreur cette hérésie,
et qui est la source d'où découlent pour les qui, se faisant l'esclave de ces fantômes, jette
choses de ce monde, la forme et la beauté. comme une masse informe et répand la sub-
Pour entrevoir ce bien, purifions nos cœurs stance divine à travers l'espace, cet espace
par la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui mutile ensuite sur un point,
fût-il infini, et la
a dit « Bienheureux ceux qui ont le cœur
: afin d'y trouver le mal. Pour
une place pour
« pur, parce qu'ils verront Dieu » 11 ne s'a-
'
. comble d'aveuglement, cette hérésie ne sau-
git donc nullement ici des yeux du corps rait comprendre que le mal n'est pas une na-
avec lesquels nous percevons la lumière phy- ture, mais qu'il est contre nature; de plus,
sique répandue dans l'espace et divisée à comme il est des biens sans lesquels on ne

l'infini. Le regard que nous devons purifier, peut concevoir l'existence d'aucune nature,
c'est celui qui nous permet de voir, autant par exemple l'espèce, la forme, l'harmonie
qu'il est possible en cette vie, ce qui esljusle, des parties, ces hérétiques ont fait de tous ces
ce qui est saint, ce qui constitue la beauté de biens comme autant d'ornements du mal,
la sagesse. Celui qui a reçu le privilège de afin d'ensevelir le mal lui-même sous l'abon-
cette vision surnaturelle n'éprouve plus que dance du bien. Mais terminons ici ce livre :

dégoût ou du moins de l'indifférence pour les si Dieu nous en fait la grâce, nous aurons

beautés de ce monde; et il sent que pour se occasion, dans d'autres écrits de réfuter ,

livrer à cette contemplation il doit arracher toutes ces erreurs issues de l'orgueil et de la
son âme à la dissipation et la fixer dans ce démence.
monde spirituel.
' Matl. V, 8.

Traduction de M. l'uhbé BURLEHAUX.


CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN,

Comme le lilre même l'indique, cet ouvrage est la réfutation des erreurs et des extravagances enseignées par Fansle.
Saint Augustin suit son adversaire pas à pas et ne laisse aucune de ses assertions menteuses sans la réfuter.

LIVRE PREMIER.
Ce premier livre est une es.èce de prologue. L'auteur y démontre que les Manichéens ne peuvent se considérer
comme de vrais cli retiens.

CHAPITRE PREMIER. CHAPITRE II.

DESSEIN DE L Al'TElR. PROLOGUE DE FAUSTE.

Fauste, né en Afrique, dans la ville de Mi- Fauste. Adimantus, ce prodige de science,


lève, unissait au charme de la parole la sou- et le seul homme,
après notre bienheureux
plesse du génie. En s'altachant à la secte des père Manès digne de notre attachement
,
,

Manichéens il s'était égaré dans les plus


,
ayant clairement signalé les erreurs, et dé-
monstrueuses erreurs. J'avais eu occasion de voilé la fausseté delà superstition juive et des
le connaître, comme j'en ai parlé dans mes demi-chrétiens, nous avons jugé utile, frères
Confessions '. 11 avait imhlié un livre contre bien-aimés, de vous offrir en outre un recueil
la vraie fui chrétienne et la vérité catholique. de réponses courtes et frappantes à opposer
Ce livre vint à tumber entre nos mains et nos ;
aux enseignements subtils et dangereux de nos
frères, après l'avoir lu, nous prièrent et nous adversaires, afin que vous soyez toujours prêts
conjurèrent au nom de la charité qui m'unis- à leur répondre, toutes les fois que, comme
sait à eux, d"y répondre, .le vais donc l'entre- le ser|)ent leur père, ils chercheront à vous
prendre au nom et avec l'aide du Seigneur, surprendre par leurs questions captieuses.
afinde montrer à tous ceux qui liront cet ou- Forcés par là à rester dans la question pro-
vrage, que le i)ius perçant génie
langue et la posée, il ne leur sera i)lus possible de se livrer
la plus éloquente ne sont rien, si
Seigneur le à des divagations sans fin. Pour ne pas noyer
lui-même ne dirige les pas de l'homme ^. Par l'intelligence des lecteurs dans des discours
un juste et secret jugement de Dieu, la divine trop longs ou confus ,
je mets en regard
miséricorde, les intelligences les plus tardives leur doctrine avec la nôtre, sous la forme la
et les i)lus faibles ont su comprendre cette vé- plus claire et la plus concise.
rité, tandis (|ue tant d'autres génies, fiers de
leur jiénétration et de leur faconde, mais pri-
CHAPITRE III.

vés du secours de Dieu, n'ont abouti, dans leur LES MANICHÉENS SONT DE FAUX CHRÉTIENS.
course rapide et obstinée, qu'à s'éloigner de
plus en plus de la voie de la vérité. 11 m'a Vous pensez qu'on doit éviter les
Aitfjustin.
paru avantageux d'exposer sa doctrine et mes demi-chrétiens, tels que nous sommes, dites-

réponses sous notre nom respectif. vous; et nous, nous fuyons les faux chrétiens,
' Liv. V, cil. m, VI. — ' l'9, x.\.\vi, 23. et nous montrons que vous l'êtes. Etre quelque
LIVRE PREMIER. PROLOGUE. 145

chose à demi, c'est être imparfaitsous un rap- lors même


que, en raison de l'imperfection
port, mais c'est aucun. Quoi
n'être faux sous de leur ils ne pourraient répondre à vos
foi,

donc ? parce qu'il manque quelque cliose à la raisonnements captieux, dès qu'ils ne décou-
foi de ceux que vous cherchez à séduire, s'en- vrent en vous que de faux chrétiens, ils savent
suit-il qu'on doive détruire ce qu'ils possèdent qu'il faut, non pas vous suivre, mais vous évi-
déjà, et non pas plutôt édifier en eux ce qui ter. Puisque vous vous attachez à rechercher
leur manque ? C'est ainsi que s'exprimait ces demi-chrétiens pour les envelopper dans
l'Apôtre en s'adressant à des imparfaits : « Je vos filets, nous voulons de notre côté, montrer
8 vois avec joie votre conduite exemplaire, que vous n'êtes que de faux chrétiens nous ;

« et ce qui manque à votre foi en Jésus- voulons que les chrétiens éclairés vous démas-
« Christ '
». Il voyait sans doute un édifice spi- quent en vous convainquant d'imposture, et
rituel, comme il le dit ailleurs : « Vous êtes que les moins instruits assurent leur salut en
« l'édifice que Dieu bâtit -» ; et il y découvrait vous fuyant. Et pourquoi dites-vous que le
à la fois un sujet de joie, et un stimulant à son serpent est notre père ? Oubliez-vous donc
zèle. Il se réjouissait en voyant ce qui était que c'est coutume pariui vous d'outrager Dieu,
déjà élevé ; et il sentait son zèle s'enflammer à cause du commandement qu'il fit à l'homme
à la pensée de ce qui restait à élever jusqu'au dans le paradis, et de décerner des louanges
sommet de la perfection. Oui, ce sont vérita- au serpent pour lui avoir ouvert les yeux par
blement des catholiqucsencore imparfaits, ou, ses conseils? C'est plutôt à vous, je crois, à
comme vous le dites des demi-chréliens, ,
reconnaître pour votre père ce serpent qui
que vous cherchez à tromper et à séduire n'est autre que le diable, et que vous louez si

par vos doctrines perverses. Mais s'il se ren- fort. Lui, malgré les injures que vous venez
contre encore de ces chrétiens imparfaits , de lui prodiguer, il vous reconnaît pour son
' C0I03. u, 5. — ' I Cor. m, 9. fils.

S. Alg. — Tome \IV. 10


LIVRE DEUXIEME.
Justification de ce qui est dit dans l'Evangile de la généalogie et de la naissance de Jésus-Christ selon la chair.

CHAPITRE PREMIER. aussi en discussion sur ce point, je ne m'y re-


fuse pas ne serai point en peine de vous
;
je
FAUSTE RETRANCHE DE l'ÉVANGILE LES GÉNÉA-
répondre mais de votre côté sachez procéder
;

LOGIES DU CHRIST.
par ordre dans vos questions. Car vous me pa-
Fausle. Admettez-vous l'Evangile? —Assu- raissez désirer maintenant savoir si j'admets,

rément. —
Vous admetlez donc par con- ,
non l'Evangile, mais les générations,
séquent, que le Christ est né ? — Non. Car de
CHAPITRE II.
ce que je reçoive l'Evangile, il ne s'ensuit pas
que j'admette que le Christ soit né. Et — l'évangile enseigne la naissance corpo-
pourquoi ? —
Parce que l'Evangile n'a com- relle DE JÉSIS-CHRIST.
mencé d'exister et d'être ainsi nommé qu'à la
prédication du Christ, et que nulle part il n'y Augustin. Vous vous demandez en notre
affirme qu'il soit né de l'homme. D'ailleurs la nom, si vous recevez l'Evangile, et vous ré-

généalogie est peu l'Evangile, que son au-


si pondez Assurément. Vous vous demandez en-
:

teur même n'a pas osé lui donner ce nom. suite si vous admettez que le Christ soit né, et
Qu'a-t-il écrit en etTet? « Lelivre de la génération vous répondez Nullement, parce que, dites- :

« de Jésus-Christ, fils de David ». Il ne dit ' vous, la génération du Christ ne fait pas partie
pas Livre de l'Evangile de Jésus-Christ mais
: ; : de l'Evangile. Que répondrez-vous donc à ce
a Livre de la génération » et on y voit paraître ;
témoignage de l'Apôtre: «Souvenez-vous que
une étoile qui atteste une naissance ^; en sorte « Jésus-Christ, de la race de David, est ressus-
que ce récit serait mieux désigné sous le nom « cité d'entre les morts, selon l'Evangile que
de Genèse que sous celui d'Evangile. Enfin «je prêche' ?» Voyez jusqu'à quel point vous
voyez comme Marc, qui s'est attaché à décrire, ignorez, ou vous feignez d'ignorer ce que
non la génération, mais seulement la prédica- que pour le déterminer
c'est ijue l'Evangile, et

tion dude Dieu, qui est proprement l'E-


Fils vous suivez, non l'enseignement des Apôtres,
vangile, débute convenahlementen ces termes: mais vos principes erronés. Ou si vous appe-
c(Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu ^ ». lez Evangile ce que les Apôtres ont ainsi ap-

Ce qui démontre clairement qu'une généalogie pelé, vous vous écartez de l'Evangile en refu-

n'est pas un Evangile. D'après Matthieu lui- sant de croire que le Christ est de la race de
même, ce fut après l'incarcération de Jean, David ; vérité que l'Apôtre affirme être an-

que Jésus commença a prêcher l'Evangile du noncée conformément à son Evangile. Or,
royaume *. 11 est donc certain, que tout le l'Evangile de Paul était l'Evangile des autres
récit qui précède est une généalogie, et non Apôtres, et de tous les fidèles dispensateurs de
un Evangile. Autrement, ]»ourquoi n'a t-il pas ce grand mystère. lui-même « Soit Il le dit :

écrit : Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, « que ce soit que ce soient eux qui
moi, foit

sinon parce qu'il a senti qu'il n'était pas juste « vous prêchent, voilà ce que nous prêchons,

de don ner le nom d'E van gi le à u ne généalogie ? « et voilà ce que vous avez cru * ». Tous n'ont

Maintenant donc, si vous voyez assez claire- pas écrit l'Evangile, mais tous ont annoncé
ment ce que vous avez ignoré jusqu'alors, (jne l'Evangile. Ceux qui ont raconté l'origine, les
l'Evangile est tout autre chose qu'une généa- actions, les paroles, les souffrances de Notre-
logie, sachez, comme je l'ai dit, que j'admets Seigneur Jésus-Christ, ont reçu à juste titre

l'Evangile ,
c'est-à-dire , la prédication du le nom d'Evangélistes. Car, d'après la signi-
Christ. Sur cet Evangile faites-moi toutes les fication du mot, Evangile veut dire bonne
questions qu'il vous plaira, mais laissez de nouvelle, ou bonne annonce. Ce terme peut
côté les générations. Et si vous voulez entrer sans doute s'appliquer à toute bonne nou-
'Mail. 1, I- '
Id. Il, 2.— ' M;iK-, I, i,— ' Mail, iv, 12, 17 ' Il Tim. n, 8. — ' 1 Cor. .\v, 11.
LIVRE II. — GÉNÉALOGIE ET NAISSANCE DU CHRIST. It7

velle ; mais il a été consacré à désigner propre- quatre autres ne sont pas contraires les uns
ment la prédication du Sauveur. Si donc vous aux autres. Car l'air n'est pas opposé à la
annoncez autre chose, vous êtes sans contredit fumée, et encore moins l'eau à l'eau, le vent
en dehors de l'Evangile. Ils sont assurément au vent, le feu au feu.
contre vous, les petits que vous appelez des
demi-chrétiens, s'ils entendent la voix de la CHAPITRE IV.

charité leur mère, qui leur crie par la bouche LE PREMIER HOMME DES MANICHÉENS.
de l'Apôtre a Si quelqu'un vient vous an-
:

« noncer autre chose que ce que nous vous Maintenant, que dire de ces sacrilèges extra-
« avons annoncé, qu'il soit anathème' ». Or, vagances par lesquelles vous prétendez que
Paul a annoncé selon son Evangile
, que ,
votre premier homme a changé et transformé,
le Christ est de la race de David vous donc, ; au gré de ses ennemis, pour mieux les sur-
qui le niez, et qui annoncez autre chose, vous prendre, les éléments qu'il portait, afin que
êtes anathème. Qui ne voit qu'il n'y a que le l'empire du mensonge, ainsi que vous l'ap-
plus profond aveuglement pour soutenir que pelez, conservant sa même nature, ne pût
le Christ n'a jamais dit qu'il était ne de user de ruse dans le combat, et que la sub-
l'homme, quand il ne cesse, pour ainsi dire, stance de la vérité trompât son adversaire, en
de proclamer qu'il est tilsde l'homme ? revêtant des formes diverses? Vous voulez
faire croireque Jésus-Christ est fils de ce pre-
CHAPITRE III.
mier homme. Vous dites que la Vérité est fille
LA RACE DE TÉNÈBRES. de cette fable inventée à plaisir. Ce premier
homme, vous le louez pour avoir lutté avec
Mais voici : du trésor de votre haute science, la race son ennemie sous des formes chan-

vous nous produisez je ne sais quel premier geantes et trompeuses mais si vous dites ;

homme, qui descendit de la race de lumière vrai, vous n'imitez pas cet homme et si vous ;

pour combattre la race de ténèbres vous ;


l'imitez, vous êtes vous-mêmes des impos-
nous le représentez armé de ses eaux contre teurs. Mais notre Seigneur et Sauveur Jésus-
les eaux de ses ennemis, de son feu contre Christ, vrai et véridique Fils de Dieu, vrai et
leur feu, de ses vents contre leurs vents. Et véridique fils de l'homme, selon le témoignage

pourquoi ne pas dire de sa fumée contre leur qu'il a donné de lui-même, a puisé sa divi-
fumée, et de ses ténèbres contre leurs ténèbres? nité éternelle dans le sein du vrai Dieu, et
Pourquoi l'armer de l'air contre la fumée, et tire véritablement son origine charnelle de
delà lumière contre les ténèbres? Serait-ce l'homme. Votre premier homme est inconnu
parce que la fumée et les ténèbres sont mau- dans l'enseignement apostolique.
Ecoutez
vaises, que lui, essentiellement bon, n'a pu l'Apôtre saint Paul Le premier homme »,
: «

les admettre? Ces trois éléments, l'eau, le dit-il, « est l'homme terrestre formé de la
vent et le feu sont donc bons. Mais comment « terre ;
et le second est l'homme céleste des-
peuvent-ils se trouver chez la race ennemie, « cendu du ciel. Comme le premier homme
essentiellement mauvaise? Vous répondez que « a été terrestre, ses descendants aussi sont
l'eau de la race de ténèbres était mauvaise, et « terrestres ; et comme le second homme est
que celle du premier homme était bonne, et « céleste, ses enfants aussi sont célestes. Comme
que son feu qui était bon combattit le feu de « nous avons porté l'image de l'homme ter-
cette race qui était mauvais. Comment donc « restre, portons aussi l'image de l'homme
n'a-t-il pu opposer une fumée bonne à la « descendu du ciel » Le premier homme ter-
'
.

fumée mauvaise ? Est-ce que vos fictions men- restre tiré de la terre fut Adam, formé de
songères s'évanouissent et disparaissent en limon et le second homme céleste descendu
;

fumée, comme la fumée elle-même? Votre du ciel est le Seigneur Jésus-Christ. Le Fils de
premier homme, selon vous, combattit la na- Dieu est venu prendre chair pour se faire
ture contraire. Mais pourquoi, à ces cinq élé- homme visible, tout en demeurant Dieu in-
ments que vous prêtez à la race ennemie, visible il devait être en même temps le vrai
;

n'opposa-t-il qu'un élément contraire tiré des Fils de Dieu par qui nous avons été créés, et
régions divines, la lumière aux ténèbres? Les le vrai fils de l'homme par qui nous avons été
• Gai. 1, g. ' I Cor. jcv, 17-19.
lis CONTRE FAUSTE , LE MANICHÉEN.

régénérés. Pourquoi donc admettre votre pre- l'univers au dernier jour, si elles n'ont pu
mier homme imaginaire sorti je ne sais d'où, pendant l'existence de ce monde. Et alors
l'être
et refuser de reconnaître celui dont parle la même sa délivrance ne pourra-t-elle être par-
doctrine apostolique? Doit-elle donc s'accom- faite, dites-vous ; le reste des parties les plus
plir en vous, cette parole de l'Apôtre « Ils : infimes de sa nature bonne et divine, telle-
« fermeront l'oreille à la vérité, et ils l'ouvri- ment souillées que rien n'aura été capable de
ront à des fables '
? » Paul montre un pre- les purifier, sera condamné à rester éternel-
mier homme terrestre formé de la terre et ; lement attaché à l'affreux abîme des ténèbres.
Manès prêche un premier homme non ter- Et voilà des hommes qui semblent s'indigner
restre, enveloppé de je ne sais quels éléments comme d'une injure faite au Fils de Dieu,
trompeurs au nombre de cinq. Et Paul dit : quand nous disons qu'une étoile a révélé sa
« Si quelqu'un vient vous prêcher autre chose naissance, comme si nous faisions dépendre
a que ce que nous Vous avons annoncé, qu'il cette naissance de la puissance aveugle d'une
o soit anathème ». Si Paul n'est pas menteur, constellation; tandis qu'eux-mêmes le sou-
Manès est donc anathème. mettent h l'empire des étoiles, et bien plus, le
représentent tellement enchaîné et souillé
CHAPITRE V. dans les entraves de la matière, dans le suc de
LE CHRIST DES MANICHÉENS ENCHAÎNÉ AUX toutes les plantes, dans la putréfaction de

ASTRES ET AUX AUTRES CRÉATURES. toutes les chairs, dans le résidu de tous les
aliments, qu'il ne peut être délivré et purifié,
Vous vous récriez en outre contre cette et encore très-imparfaitement, que par les
étoile qui conduisit les Mages au berceau du hommes, c'est-à-dire par les élus de la secte,
Christ, et vous ne rougissez pas, non plus qui, en digérant, le dégagent du sein même
de donner à votre Christ fabuleux fils de , des porreaux et des radis.
votre premier homme imaginaire, le témoi- Loin de nous la pensée de regarder la nais-
gnage d'une mais de l'enchaîner à
étoile, sance d'aucun homme comme soumise à l'em-
toutes les étoiles. Car, selon vous, dans le pour sauvegarder la
pire fatal des étoiles; car,
combat que votre premier homme livra à la justice du jugement de Dieu, nous affranchis-
race des ténèbres, il se mêla aux princes sons de toute contrainte le libre arbitre de la
des ténèbres, pour s'en emparer et en faire volonté, principe du bien ou du mal. Combien
la matière dont le monde est formé. Par suite plus encore croyons-nous l'influence des astres
de ces sacrilèges extravagances, vous êtes con- étrangère à la génération de Celui qui est le
traints d'admettre que votre Christ est en- Créateur et Seigneur de toutes choses Ainsi,
le !

chaîné et incorporé, non-seulement au ciel l'étoile qu'aperçurent les Mages à la naissance


et à toutes les étoiles, mais encore à la terre du Christ selon la chair, n'exerçait aucune
et à toutes ses productions, et que, loin d'être puissance sur sa destinée, mais lui rendait té-

votre Sauveur, c'est de vous qu'il attend sa moignage elle ne le soumettait point à son
;

délivrance dans ce que vous mangez et ce empire, mais indiquait le lieu de sa |)résence.
que vous digérez. Elle n'était donc pas du nombre de ces étoiles
En effet , entichés d'une doctrine aussi qui, dès l'origine du monde, marchent dans
puérile qu'impie, vous i)ersuadez à vos audi- la voie qui leur a été tracée par le Créateur ;

teurs de vous fournir des aliments, afin de mais à la naissance du fruit miraculeux de
prêter le secours de vos dents et de vos ventres la Vierge parut un nouvel astre qui devait
au Christ retenu dans ces aliments. C'est
captif servir de guide aux Mages dans la recherche
par des moyens aussi étranges que vous pré- du Christ, et les conduire, en marchant devant
tendez rompre ses liens et le rendre à la eux, jusqu'au lieu où était le Verbe de Dieu
liberté. Encore n'est-il pas délivré tout entier; fait enfant. Quels sont d'ailleurs les astrologues

il reste de lui dans l'orduie quek|uos i)arties qui, en rattachant à l'empire désastres la des-
faibles et viles, deshnées à être eini)risonnées tinée des hommes à leur naissance, ont pré-
de nouveau dans une succession de formes tendu (|ue quelqu'une des étoiles quittait son
corporelles et diverses, et à être enfin déli- orbile et se dirigeait vers l'enfant <iui venait
vrées et purifiées par le feu qui embrasera de naître ? N'enseignent-ils pas (|ue l'homme
' U Tim. IV, i. alors est soumis à l'ordre des astres, mais que
LIVRE H. — GÉNÉALOGIE ET NAISSANCE DU CHRIST. 449

l'époque de sa naissance ne peut faire déroger titre, il faut dire que saint Jean n'a pas écrit
à cet ordre? Si donc cette étoile était de celles l'Evangile, parce que lui aussi n'a pas dit :

qui ont leur cours régulier dans les cieux, Le commencement de l'Evangile, ou le Livre
comment pouvait-elle décréter d'autorité ce de l'Evangile, mais « Au commencement
:

que ferait le Christ qui venait de naître, quand « était le Verbe ». Peut-être Fauste, avec son
'

à sa naissance elle reçut elle-même l'ordre talent si remarquable pour forger des termes,
d'interrompre sa course? Mais si, comme il a-t-il su désigner le début de saint Jean sous

est pins probable, cette étoile qui n'existait le titre de Verbidiitm, à cause du mot Verbum,

pas auparavant, parutpour annoncer le Christ, comme il n'a pas craint de désigner celui de
la naissance du Christ ne dépendit donc pas saint Matthieu sous celui de Genesidinm, à
de son existence, mais elle-même n'exista que cause du mot Genesis. Mais comment ne voyez-
par suite de cette naissance. En sorte que, s'il vous pas plutôt quelle impudence est la vôtre
était nécessaire de nous servir d'une telle ex- d'oser appeler Evangile vos fables intermi-
pression, nous dirions que le Christ a été pour nables et impies ? Quelle bonne nouvelle, je le
l'étoile le décret du destin, et non l'étoile pour demande, nous apportent ces rêveries où vous
le Christ. Car il a été la cause de son appa- débitez que Dieu ne trouva d'autre moyen de
rition, et elle n'a pas été celle de sa naissance. pourvoir à la sûreté et au maintien de son
Si terme fatum, oracle, décret, tire son
le empire, contre les efforts de je ne sais quelle
du verbe qui signifie porter, décréter,
origine nature étrangère et ennemie, que de jeter en
comme le Christ est le Verbe de Dieu, en qui proie à sa voracité une partie de sa nature,
toutes choses ont été décrétées avant leur laquelle devait être tellement souillée, que les
existence, ce ne sont donc pas les astres qui plus longues épreuves et les plus cruelles
sont le fatum du Christ, mais le Christ qui est souffrances ne pourraient la purifier entière-
le fatum des astres, lui qui a pris la chair de ment? Une nouvelle aussi mauvaise doit-elle
l'homme créée sous le ciel, en vertu de cette donc s'appeler Evangile ? Tous ceux qui ont la
même volonté par laquelle il a créé le ciel plus légère connaissance du grec savent que
même, et qu'il a quittée et reprise par l'effet Bonne nouvelle, ou Bonne
Evaiujile signifie
de cette même ])uissance avec laquelle il annonce. Mais qu'y a-t-il de bon dans cette
commande aux astres. nouvelle qui nous apprend que Dieu, couvert
d'un voile, eu est réduit à gémir, jusqu'à ce
CHAPITRE VI.
que ses membres soient guéris de leurs plaies

l'évangile des mamchéens. et purifiés de leurs souillures? Et quand son


deuil finira, ce sera pour faire place à la
Pourquoi donc ne regarderions-nous pas cruauté. Car, que lui a fait cette portion de
comme véritable Evangile le récit qui a trait lui-même qui sera attachée à la masse des té-
à cette génération, puisqu'elle nous est an- nèbres ? Ne devrait-elle pas être éternellement
noncée comme la source de tant de biens, pleurée, puisqu'elle sera vouée à une damna-
qu'elle est devenue le remède qui guérit notre lion éternelle ? Mais je ne voulais pas dire que
infirmité? Est-ce parce que saint Matthieu n'a la moindre attention suffit pour reconnaître
pas débuté en ces termes, comme saint Marc : qu'une telle nouvelle fait moins couler les
Le commencement de l'Evangile de Jésus- larmes par sa tristesse, qu'elle ne prête à rire
ci Christ », mais de cette manière : « Le Livre par sa fausseté.
« de la génération de Jésus-Christ ?» A ce *
Jean, i, l.
LIVRE TROISIEME.
Contrariélés a|iparenles entre la généalogie de saint Mallliieu et celle de saint Luc.

CHAPITRE PREMIER. plutôt que de les condamner témérairement.


Du moins, cette contradiction évidente, qui
DIVERGENCES DES DEUX GÉNÉALOGIES.
frappe de prime abord, vous aurait fait penser
Faiiste. Vous admettez donc la généra- que si elle ne cachait un profond mystère, il eût
tion? — Longtemps j'ai fait tous les efforts été difficile aux évangélistes d'obteni r dans tout
pour me persuader cette étrange doctrine que l'univers cette grande autorité devant laquelle
Dieu est né; mais choqué de la divergence se sont inclinés les génies les plus distingués
des deux évangélislcs qui décrivent sa généa- par leurs lumières. Quelle merveille, que vous
logie, Luc et Matthieu dans '
,
je suis resté ayez découvert que saint Luc et saint Matthieu
l'incertitude sur celui que je devais suivre de ont assigné au Christ selon la chair des ancê-
préférence. Il est possible, me disaisje, que tres différents,au nombre desquels cependant
n'ayant pas la science infuse, je me trompe en tous deux citent Joseph, qui termine la série
croyant l'erreur du côté où serait précisément de saint Matthieu, et commence celle de saint
la vérité, et réciproquement. Laissant donc de Luc, Joseph qui, par suite de son union sainte
côté ce débat sans lui, et auquel je ne voyais et virginale avec la mère du Christ, mérita
pas de solution je m'adressai à Marc et à
,
d'être appelé son père, et en qui put être
Jean; c'étaient deux autorités pour deux auto- établie la suite de ses générations selon la
rités , évaugélistes pour évangélistes. Leur ligne virile? Quelle merveille que vous ayez
début me plut à juste titre, parce qu'il n'y découvert que saint Matthieu assigne à Joseph
est question ni de David, ni de Marie, ni de un père différent de celui que lui donne saint
.(oseph. Jean dit qu'au commencement était Luc, que l'un lui donne un aïeul et l'autre
le Verbe, que le Verbe était en Dieu, et que le un autre ; et qu'en remontant
longue suite la

Verbe était Dieu% désignant ainsi le Christ; des générations le premier


jusqu'à David,
et Marc s'exprime ainsi « Evangile de Jésus- : établit une série d'ancêtres différente de celle
« Christ, fils de Dieu '«.Comme s'il reprochait du second ? Une divergence aussi frappante et
à Matthieu de l'avoir dit fils de David à moins ; aussi manifeste a-t-elle donc échappé à tant
qu'ils n'annoncent chacun un Jésus différent. d'esprits si pénétrants et si éclairés, qui ont
Telle est la raison pour laquelle je n'admets étudié avec tant de soin les divines Ecritures?
pas que le Christ soit né. Pour vous, si vous On en comptepeu, il est vrai, parmi les Latins;
vous croyez capable de renverser cet obstacle mais n'y en a-t-il pas une foule parmi les
qui m'arrête, conciliez entre eux ces évangé- Grecs? Assurément, ils l'ont remarquée. Quoi
listes, faites que je ne puisse échapper à une en- de plus facile à saisir? La moindre attention
tière défaite toujours néanmoins, je regar-
; n'y suffit-elle pas? Mais saintement frappés
derai comme indigne de croire que Dieu, et du caractère de cette haute et éminente auto-
le Dieu des chrétiens, soit né du sein d'une rité, ils ont été convaincus que cette apparente

femme. contradiction voilait un mystère, qui serait

CHAPITRE II. montré à ceux qui demanderaient, refusé à


ceux qui insulteraient, trouvé par ceux qui
CONFIANCE MÉRITÉE PAR LES AUTEURS CHRÉTIENS.
chercheraient, soustrait à ceux qui critique-
Augustin. Si vous aviez lu l'Evangile avec raient, ouvert à ceux qui frapperaient, fermé
un zèle vraiment pieux, vous auriez préféré à ceux qui attaqueraient ils ont demandé,
'
:

examiner attentivement les contradictions ils ont cherché, ils ont frappé; ils ont reçu, ils

qui vous choquaient dans les évangélistes, ont trouvé, ils sont entrés.
Malt. 1, 1-17 ; Luc, m, 23-38. — ' Jean, i, 1. — ' Marc, i, 1. ' Malt. VII, 7.
LIVRK ni. — LES DEUX GÉNÉALOGIES. 151

CHAPITRE III. adoption. Dieu n'a qu'un Fils unique qu'il a


engendré de sa substance, et dont il est dit,
COMMENT S.\1NT JOSEPH A PC AVOIR DEUX PÈRES.
qu'a ayant la forme et la nature de Dieu, il n'a
Toute la question se résume à savoir com- B pas cru que ce fût en lui une usurpation de

ment Joseph pu avoir deux pères. Une fois


a « se dire égal à Dieu ». Pour nous, il ne '

celte possibilitédémontrée, il n'y a plus de nous a point engendrés de sa substance nous :

raison d'accuser aucun évangélisle de fausseté, ne sommes que de pures créatures qu'il a,
pour avoir établi différentes généalogies. D'a- non engendrées, mais créées; et c'est pourquoi
bord, en supposant deux pères, rien d'étonnant il nous a adoptés pour nous faire devenir,

ni de contradictoire qu'il y ait deux aïeuls, et selon sa manière, les frères de Jésus Christ.
ainsi de suite deux lignes divergentes d'ancê- Or, c'est le mode par lequel Dieu nous a

tres en remontant jusqu'à David, lequel avait engendrés par sa parole et par sa grâce, pour
pour fils Salomon, qui appartient à la ligne que nous fussions ses enfants, après que nous
suivie par saint Matthieu et pour autre fils ,
avions déjà été, non pas engendrés, mais
Nathan, qui appartient à la ligne adoptée par créés et foimés par lui c'est ce mode, dis-je, ;

saint Luc. Frappés de ce fait, certains esprits que nous appelons adoption. Ce qui a fait dire
regardent comme impossible que deux hom- à saint Jean « Il leur a donné le pouvoir de
:

mes puissent engendrer un autre homme par « devenir enfants de Dieu* ». Le droit d'adop-

le commerce charnel, et ils en concluent que tion ayant donc été en usage parmi nos pères
la question présente est insoluble. Ils ne re- et dans l'Ecriture sainte quelle impiété et ,

marquent pas que, d'après l'usage le plus fré- quelle folie de commencer par accuser de
quent et le phis réi»andu, le nom de père se fausseté les évangélistes, pour avoir dressé des
donne, non-seulement à celui qui engendre, généalogies différentes, comme si elles ne pou-
mais encore k celui qui adopte quelqu'un. vaient être vraies en même temps, avant de
L'adoption était tellement entrée dans les réfléchir, de considérer et de se convaincre,
mœurs de l'antiquité, que nous voyons des comme il est si facile, que d'après la coutume
femmes même adopter des enfants issus d'un la plus universellement admise le même ,

autre sein. Ainsi Sara adopte les enfants homme peut avoir deux pères, l'un qui l'ait
d'Agar Lia ceux de sa servante - la fille de
'
; ;
engendré de sa chair, et l'autre qui l'ait adopté
Pharaon adopte Moïse' Jacob lui-même adopte ;
pour son fils, par une disposition particulière
ses petits-fils, enfants de Joseph '. Ce nom de sa volonté? Si le nom de père ne convient
même d'adoption joue un très-grand rôle dans pas à ce dernier, nous n'avons pas non plus le
le mystère de notre foi, comme l'attestent les droit de dire: a Notre Père, qui êtes aux cieux»,
écrits des Apôtres. Saint Paul, parlant des à Celui qui ne nous a point engendrés de sa
mérites des Juifs « C'est à eux, dit-il, qu'ap-
: substance, mais qui, d'après l'enseignement
« partiennent l'adoption, la gloire, le Testa- des Apôtres et la règle infaillible de la vérité,
8 ment et la loi ; ce sont eux qui ont les nous a adoptés par sa grâce et par sa très-mi-
« patriarches pour pères, et desquels est sorti, séricordieuse volonté. Car nous le connaissons
« selon la chair, Jésus-Christ même, qui est et pour Dieu, et pour Seigneur, et pour Père ;

B le Dieu élevé au-dessus de tout, et béni dans pour Dieu, parce que, bien qu'issus de nos
a tous les siècles * ». « Nous gémissons en — parents selon la chair, nous avons été formés
« nous-mêmes», avait-il dit auparavant, « sou- par lui pour Seigneur
;
parce que nous ,

« pirant après l'adoption des enfmts de Dieu, sommes soumis à sa puissance pour Père, ;

« qui sera la rédemption de nos corps S). — parce que nous avons reçu dans son adoption
a Lorsque le temps a été accompli », ajoute-t-il une nouvelle naissance.
ailleurs, o Dieu a envoyé son Fils, formé d'une Il était donc facile à ces hommes, qui
9 femme, et assujéti à la loi, pour racheter apportaient un zèle religieux à l'étude des
a ceux qui étaient sous la loi, et pour nous divines Lettres, de découvrir, avec la plus
« faire recevoir l'adoption des enfants ». Ces '
simple attention, dans les différentes généra-
témoignages, et d'autres semblables, montrent tions du Christ, telles que les rapportent les
assez quel profond mystère renferme cette deux évangélistes , comment Joseph a pu
avoir deux pères. Issus chacun d'une ligne
• Gen. XVI, 2. — Id. xxx, 9-13. — '
Ex. ir, 9, 10. — '
Gen.
XLVm, 5. — ' Rom. ix, 4, 5. — ' Id. vui, 23. — ' Gai. iv, 4, 5. '
Philip. II, 6. — • Jean, i, 12.

/-
\
132 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

divergente. Vous verriez assurément vous-


le CHAPITRE V.
mêmes, side chicane ne vous aveu-
l'esprit
INJURE FAITE PAR FACSTE AUX ÉVANGÉLISTES
glait. En interprétant les diverses parties de
qu'il ADOPTE.
ce récit des évangélistes, ces hommes
y ont
cherché et découvert bien d'autres mystères Ainsi se trouve résolue, par la double pater-
encore mais ces mystères sont entièrement
; nité de nature et d'adoption, la difficulté qui
hors de la portée de votre intelligence. Toute- naissait, aux yeux de Fauste, de la diversité
fois, malgré l'erreur dans laquelle vous êtes, des générations, et qui consistait précisément
et sans cet esprit d'opposition avec lequel vous à montrer comment Joseph pouvait avoir eu
lisez l'Evangile, la moindre réflexion suffirait deux pères. C'est donc en vain qu'il a rejeté
pour vous un fait passé en
faire reconnaître les deux évangélistes, pour s'attacher aux deux

usage dans commune, savoir, qu'un


la vie autres. C'était faire à ceux-ci une injure plus
homme peut, par un acte de sa volonté, adop- grave encore qu'aux premiers. Les saints n'ai-
ter un enfant engendré par un autre et ,
ment pas pour adeptes ceux qui se
d'avoir
qu'ainsi le même homme peut avoir deux montrent les contempteurs de leurs frères.
pères. L'unité est leur privilège, et ils en jouissent
CHAPITRE IV. dans le Christ. Que l'un dise une chose, et
l'autre une autre, l'un d'une manière, et
MYSTÈRES COMPRIS DANS LES DE0X GÉNÉALOGIES.
l'autre d'une autre, tous ne disent que la vé-
Maintenant pourquoi saint Matthieu parle- rité, jamais rien de contradictoire pour tout
t-il d'Abraham en descendant jusqu'à Joseph, lecteur pieux qui les lit avec docilité, et qui
tandis que saint Luc commence à Joseph eu s'attache à les expliquer, non dans un esprit
remontant, non plus jusqu'à Abraham, mais de parti qui n'engendre que la chicane, mais
jusqu'à Dieu, qui a créé l'homme et qui, après avec un cœur sincère qui produit l'édiûcation.
lui avoir imposé ses commandements, lui a Nous croyons que chaque évangéliste a voulu
donné pouvoir de devenir par la foi enfant
le donner la suite des générations propres à l'un
de Dieu pourquoi le premier a placé sa gé-
? des deux pères qu'eut Joseph, selon un usage
néalogie au commencement de son livre, elle commun parmi les hommes; en quoi cette
second après le baptême du Sauveur par saint croyance est-elle contraire à la vérité ? Main-

Jean? quelle est la significationdu nombre tenant donc que les évangélistes sont conciliés
des générations selon saint Matthieu, qui en entre eux, avouez, comme Fauste s'y est en-
forme trois séries, de quatorze chacune, bien gagé, que vous êtes complètement vaincus.
qu'on en retrouve une en moins dans la somme
totale et pourquoi le nombre des générations
CHAPITRE VI.
;

tellesque saint Luc les rapporte à l'occasion du COMMENT LE CHRIST EST NÉ d'lNE FEMME.
baptême du Seigneur, s'élève jusqu'à soixante-
dix-sept, nombi'e que le Seigneur lui-même Cette réflexion qu'ajoute Fauste, vous ar-
applique à la rémission des péchés, en disant : rète-t-elle encore? « Toujours je regarderai
a Vous pardonnerez non-seulement sept fois, « comme indigne, dit-il, de croire que Dieu,
« mais soixante-dix-sept fois '? » Ce sont là « et le Dieu des chrétiens soit né». Comme
autant de questions insolubles pour vous ,
si nous croyions que la nature divine elle-
a moins que vous ne soyez éclairés par même soit issue du sein d'une femme.
quehiue catholique, spécialement adonné à N'ai-je pas cité plus haut le témoignage de
l'étude et très-versé dans la connaissance des l'Aiiôtre, où il dit des Juifs : « Ce sont eux qui
divines Ecritures, ou que, désabusés de vos (I ont patriarches pour pères, et desquels
les

erreurs, et animés des sentiments de la piété « est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même,

catholique, vous ne demandiez pour recevoir, M qui est le Dieu élevé au-dessus de tout, et
vous ne churchiez pour trouver, et vous ne « béni dans tous les siècles? » Non, le Clirist
frappiez pour entrer. Notre-Seigneur Sauveur, vrai Fils de Dieu
et
' Slatt. xviil, 22. selon la divinité, vrai lîls de l'homme selon

la chair, n'est pas né delà femmeen tant qu'il


est ce Dieu élevé au-dessus de toutes choses
et béni dans tous les siècles; mais en lanf
LIVRE 111. - LES DEUX GÉNÉALOGIES. 153

qu'ilnous a emprunté l'infirmité de la chair, au sein d'une vierge, vous ne craignez pas
en laquelle il devait mourir, pour la guérir en d'enfermer la divinité même, non-seulement
nous non, il n'est pas né de la femme selon
; dans le sein de l'homme, mais jusque dans
la forme et la nature divine qu'il possédait, de les entrailles des chiens et des pourceaux !

manière à pouvoir, sans usurpation, se dire Vous refusez de croire que la chair du Christ
l'égal de Dieu mais selon la forme d'esclave
; a été une seule fois conçue dans un sein vir-
en laquelle « il s'est anéanti lui-même» en la ginal, où la Divinité n'a subi ni captivité, ni
prenant '. Car il ne s'est anéanti qu'en pre- changement; et vous osez soutenir qu'une
nant celte forme d'esclave, sans perdre sa portion de Dieu, que la nature divine est en-
forme divine. Il a conservé sans aucune alté- chaînée , opprimée souillée dans ce qui
,

ration cette nature et cette forme divine par concourt à la génération chez les hommes et
laquelle il est égal au Père, pendant qu'il pre- les animaux, dans toutes les productions, dans
nait notre nature sujette au changement, en toutes les parties de la terre, des eaux et des
laquelle il devait naître d'une vierge. Et vous, airs, sans qu'elle puisse jamais tout entière
qui avez horreur de confier la chair du Christ recouvrer la liberté !

• Philip. Il, 6.
LIA^RE QUATRIEME.
Les promesses des biens temporels, renfermées dans l'Ancien Teslanient, fijurent les biens spirituels promis dans le Nouveau.
Les saints de l'ancienne Loi n'étaient pas altacbés à ces biens matéiiels.

CHAPITRE PREMIER. étaient la figure des biens futurs qui devaient


nous être donnés, à nous qui vivons à la fin
OBSERVANCES ET PROMESSES TEMPORELLES
des temps. C'est là, non pas ma pensée, mais
BANS l'ancien TESTAMENT.
renseigutment même des Apôtres; car saint
Faiisfe. Admeltez-vous rAncien Testament? Paul dit à ce sujet «Toutes ces choses ont
:

— Oui , s'il m'assure un héritage autre- ;


« été pour nous autant de figures », et un peu

ment, je le rejette. C'est une dérision par plus loin : « Toutes ces choses qui leur arri-
trop grande de vouloir user d'un testament « valent n'étaient que des figures elles ont
;

qui vous laisse déshérité. Ignorez-vous que « été écrites pour nous qui nous trouvons à la
l'Ancien Testament promet la terre de Cha- « fin des temps ». Si nous recevons l'Ancien
'

naan '
qu'il ne la promet qu'aux Juifs
; ,
Testament, ce n'est donc pas pour recueillir
c'est-à-dire à ceux qui sont circoncis, qui of- l'effet des promesses qu'il renferme, mais

frent des sacrifices, qui s'absliennent de la pour y trouver l'intelligence de celles du


chair de porc et de toutes les viandes que Nouveau. Les témoignages du premier éta-
Moïse désigne comme impures, qui observent blissent la foi au second. Ainsi quand, après

le sabbat, la solennité des azymes, et toutes sa résurrection, le Seigneur se fut montré aux

les autres prescriptions de ce genre, que l'au- yeux de ses disciples, et se fut fait toucher de
teur de ce Testament leur a ordonné d'ob- leurs mains; dans la crainte qu'ils ne s'arrê-
server ^? Comme toutes ces pratiques ne sont tassent à la pensée que leurs sens charnels et
nullement du goilit des chrétiens, puisqu'il infirmes étaient le jouet d'impressions trom-
n'en est pas un seul d'entre nous pour s'y peuses, il les affermit dans leur foi par les té-
soumettre, il est juste que refusant l'héritage, moignages des anciennes Ecritures « Il fal- :

nous en rendions aussi le titre. Telle est la « lait», leur dit-il, a que tout ce qui a été écrit

première raison qui me détermine à rejeter « de moi dans la loi de Moïse, dans les Pro-

l'Ancien Testament à moins que vous n'ayez


;
« phètes et dans les Psaumes, s'accomplît' ».

quelque avis plus sage à me donner. La se- Notre espérance ne repose donc pas sur la
conde raison, c'est que l'héritage qu'il an- promesse des biens temporels de ces biens ,

nonce est si chélif si matériel et si loin de


, ,
auxquels nous ne croyons même pas que les
répondre aux besoins de notre âme, qu'après hommes saints et spirituels de cette époque,
l'heureuse promesse du Nouveau Testament, les patriarches et les prophètes , bornaient
qui m'assure le royaume des cieux et la vie leurs désirs. Eclairés par l'Esiirit de Dieu, ils

éternelle il ne m'inspirerait que le dédain


, ,
savaient comprendre ce qui convenait à leur
lors même qu'il me serait offert sans con- temps, et comment, par la disposition de la Pro-
dition. vidence, les événements et les témoignages de
CHAPITRE II. l'ancienne loi devenaient autant de figures
etd'annonces des choses futures; leur désir se
AUTORITÉ ET PROMESSES FIGCRATIVES
portait principalement vers le Testament Nou-
DE l'ancien testament.
veau; seulement les anciennes promesses,
Aiirjuslin. Nous savons tous que l'Ancien pour mieux signifier les mystères futurs de la
Testament renferme les promesses des biens loi nouvelle, recevaient une application ac-
temporels, et ([ue c'est pour ce molif qu'il est tuelle et sensible. C'est ainsi (lue ces grands
ainsi appelé; nous savons que la promesse de hommes prophétisèrent, nou-seulemeut par la

la vie éternelle et du royaume des cieux fait parole mais par leur vie tout entière. Quant
,

partie du Nouveau. Mais ces biens temporels au peuple charnel, il ne s'attachait qu'aux
• GcD. XV, 18; XVII, 8. — ' Lévit. ïi, 7 ; Ex. xii, 20. Cor. X, 6, 11. -

1 Luc, XXIV, 44.
'
LIVRE IV. l'ROMESSES ANCIENNES. 185

promesses de la vie présente et néanmoins il ; tusté de la chair, et vous avez introduit la


fut encore une image des choses à venir. nouveauté de l'erreur. C'est contre cette nou-
Mais l'intelligence decesvéritésvous échappe, veauté que s'élève l'Apôtre, en disant «Fuyez :

parce que. comme dit le Prophète, « si vous « les nouveautés profanes de la parole car ;

M ne croyez, vous ne comprendrez point ». '


« elles contribuent beaucoup à inspirer l'ini-
Vous n'avez pas été instruits dans le royaume « piété. Les discours de leurs auteurs sont
des cieux, c'est-à-dire au sein de la véritable a comme une gangrène qui répand insensi-

Eglise catholique. Si vous aviez eu ce privi- « blement sa corruption. De ce nombre sont

lège, vous sauriez tirer, du trésor des saintes B Hyménée et Philète, qui se sont écartés de
Ecritures, des choses anciennes aussi bien « la vérité en disant que la résurrection est
,

que des choses nouvelles. Car le Seigneur dit « déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi
lui-même « C'est pourquoi tout docteur ins-
: « de quelques-uns '
». Reconnaissez dans cette
« truit de ce qui regarde le royaume des source d'erreur celle d'où vous êtes sortis, vous
« cieux est semblable à un père de famille
,
qui prétendez qu'il n'y a de résurrection que
« qui tire de son trésor des choses nouvelles celle qui s'opère présentement dans les âmes
« et des choses anciennes^». Ainsi, envoûtant par la prédication de la vérité, et qui nitz la
vous en tenir aux seules promesses de la loi résurrection future des corps, annoncée par
nouvelle, vous êtes demeurés dans la vé- les Apôtres.
• Isaie, vn, 9. — ' Matt. sin, 52. 'II Tim. II, 16-18.
LIVRE CINQUIÈME.
Ce ne sont pas les Manichéens, mais les vrais Catholiques, qui montrent par leur conduite leur allachement à l'Evangile.

CHAPITRE PREMIER. réponse à vos questions, et estimez-vous heu-


reux, si vous n'êtes pas scandalisé en moi.
ACCEPTER l'Évangile, cIest accomplir
CE qu'il prescrit. CHAPITRE H.

Fauste. Admettez-vous l'Evangile? — Pour- ne faut-il pas croire aussi ce qu'ordonne


quoi cette question, quand vous voyez en l'Évangile?
moi la preuve que je le reçois, je veux dire
l'observation de ses préceptes? Dois-je vous Mais, dites-vous, recevoir l'Evangile, ce n'est
demander si vous le recevez , vous en qui on pas seulement accomplir ce qu'il prescrit,
ne voit aucune marque d'un homme qui reçoit mais encore croire toutes les vérités qui y
l'Evangile? Moi, j'ai quitté mon père, ma sont consignées, et dont la première est que
mère, mon épouse, mes enfants et tout ce que Dieu est né. De même, pour admettre l'Evan-
l'Evangile prescrit d'abandonner', et vous me gile, ce n'est pas assez de croire que Jésus est

demandez si je reçois l'Evangile? Ignorez- né, il faut en outre faire ce qu'il commande.
vous donc encore ce qui constitue l'Evangile? Mais si vous prétendez que je ne reçois pas
Est-il autre chose que la prédication et les l'Evangile, parce que je laisse de côté la géné-
préceptes du Clirist? Je n'ai plus voulu ni or, ration je dis que vous ne le recevez pas non
,

ni argent, j'ai cessé de porter de la monnaie plus, et que vous le recevez d'autant moins
dans ma ceinture, me contentant de la nour- que vous en méprisez les préceptes. Nous
riture de ciiaque jour, ne m'inquiétant plus sommes donc jusqu'alors dans une condition
(lulendemain, sans sollicitude pour savoir oïli égale, sauf à discuter les partis respectifs; et
je trouverais de quoi nourrir ou couvrir mon si le mépris que vous faites des préceptes ne

corps ^ et vous me demandez si je reçois vous empêche pas d'affirmer que vous recevez
l'Evangile? Vous voyez en moi les béatitudes l'Evangile, pourquoi ne pourrais-je pas le dire
du Christ qui constituent l'Evangile, et vous moi-même tout en rejetant la généalogie ? Si
m'adressez une semblable question? Vous me recevoir l'Evangile consiste dans ces deux
voyez pauvre, vous me voyez doux, vous me points, comme vous le dites, croire les généa-
voyez pacifique, d'un cœur pur, pleurant, logies et observer les commandements de
, ,

ayant faim ayant soif, supportant les haines


,
quel droit, vous qui êtes imparfait, jugez-vous
elles persécutions pour la justice, et vous un imiiarfait? L'une de ces deux conditions fait
doutez si je reçois l'Evangile? Je ne m'étonne défaut à chacun de nous. Et si, comme c'est

plus que Jean-Baptiste , après avoir vu Jésus, plus certain, recevoir l'Evangile, c'est uni-
et entendu le récit de ses œuvres, ait demandé quement en observer les divins préceptes,

encore s'il était yéritablciuent le Christ. Il vous double titre, vous qui, selon
êtes injuste à

mérita que Jésus ne daignât pas lui faire le proverbe, n'êtes qu'un déserteur accusant

savoir qu'il l'était en effet, mais qu'il se con- le soldat. Toutefois admettons puisque vous ,

tentât de lui faire rapporter ce qu'il avait le voulez, que cesdeux points sont les parties
déjà entendu « Les aveugles voient, les
:
d'une foi parfaite, dont l'une consiste dans la
« sourds entendent, les morts ressuscitent ' ». parole, c'est-à-dire, à confesser la naissance
Je puis à bon droit agir de même à votre du Christ, et l'autre dans les œuvres, ou l'ob-
égard: et, quand vous demandez si je reçois servation des préceptes, ne voyez-vous pas
l'Evangile me borner à vous dire J'ai tout
, : que j'ai choisi la partie la plus pénible et la
quitté, mon père, ma mère, mon épouse, mes plus difficile, et vous la partie la plus légère
enfants, l'or, l'argent, le boire, le manger, les Rien d'étonnant que la foule
et la plus facile?

délices, les plaisirs : n'attendez pas d'autre du peuple se porte vers vous, et s'éloigne
Malt. XIX, 29. — ' Id. X, 9, 10; VI, 25-31. — ' Id. XI, 2-0. de moi elle ignore assurément que le règne
;
, .

LIVRE V. — ATTACHEMENT A L'ÉVANGILE. 157

de Dieu ne réside pas dans la parole, mais parties que vous assignez à la toi, c'est à celle
dans la vertu. Mais, dites-vous, je regarde celte que j'ai adoptée que partout sont promis le
partie de la foi que vous rejetez, et qui pro- royaume, la vie et la béatitude à la vôtre ; ,

fesse que le Christ est né, comme plus efficace nulle part. Ou montrez si en quelque en-
et plus propre à procurer le salut des âmes. droit il est écrit que celui-là est bienheureux,
qu'il possédera le royaume et jouira de la vie
CHAPITRE m. éternelle, qui aura confessé que le Christ est

FACT PARTOIT FAIRE CE QU'iL ORDONNE.


né d'une femme. Que ce soit une partie de la
IL
foi, toujours est-il que la béatitude ne lui est

Voyons donc, adressons-nous au Christ lui- point assignée. Et que sera-ce, quand nous
même, et apprenons de sa propre bouche quel aurons démontré qu'elle n'est pas véritable-
est pour nous le principal moyen de salut. Qui ment une partie de la foi? Vous vous trou-
entrera dans ton royaume, ô Christ? « Celui » verez les mains vides et nous nous chargeons ;

répond-il, « qui aura fait la volonté de mon d'en donner la preuve. Mais c'est assez pour
Père qui est dans les cieux" ». Il ne dit pas : le triomphe de notre tâche, que les béatitudes

Celui qui aura confessé que je suis né. « Al- soient la récompense de cette partie de la toi
a lez», dit-il ailleurs à ses disciples, «enseignez qui est la nôtre. Encore a-t-elle droit à cette
a nom du
toutes les nations, les baptisant au autre béatitude promise à la confession par la
« Père et du
du Saint-Esprit, et appre-
Fils et parole, puisque nous confessons que Jésus est
« nez-leur à observer tout ce que j'ai or- le Christ, Fils du Dieu vivant, selon le témoi-

« donné - ». Il ne dit pas Leur apprenant : gnage que Jésus en a rendu lui-même en s'a-
que je suis né, mais à observer les comman- dressant à Pierre « Vous êtes bienheureux, Si-
:

dements. « Vous serez mes amis », ajoute-t-il « mon de Jona, car ce n'est point la chair
fils

dans un autre endroit, « si vous faites ce que « et le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon
» je vous commande ». Il ne dit pas Si vous : « Père qui est » Nous avons donc
dans le ciel '
.

croyez que je suis né. Et encore « Si vous : pour nous, non plus seulement une seule,
a accomplissez mes commandements , vous comme vous le prétendiez, mais les deux par-
« demeurerez dans mon amour ' ». Je pour- ties de la foi bien déterminées, et pour chacune

rais citer bien d'autres passages. Et dans ces nous sommesappelés bienheureux par le Christ,
enseignements qu'il dévelopi)ait sur la mon- pai'ce que nous pratiquons la première par les
tagne « Bienheureux les pauvres d'esprit,
: œuvres, et que nous confessons la seconde sans
« bienheureux ceux qui sont doux, bienheu- blasphème.
« reux ceux qui sont pacifiques, bienheureux CHAPITRE IV.
« ceux qui ont le cœur pur, bienheureux ceux
LE CHRIST EST TOUT A LA FOIS FILS DE DIEU ET
«qui pleurent, bienheureux ceux qui ont
FILS DE l'uO.MME.
faim, bienheureux ceux qui souffrent persé-
« cution pour la justice ' » ; nulle part il n'a Augustin. J'ai déjà rappelé plus haut les
dit Bienheureux ceux qui ont confessé que
: nombreuses circonstances dans lesquelles
je suis né. Et quand au dernier jugement il Notre-Seigneur Jésus-Christ affirme qu'il est
fera la séparation des agneaux d'avec les fils de l'homme, et l'extrême vanité avec la-

boucs, il dira à ceux qui seront à sa droite : quelle les Manichéens inventent la fable de
«J'ai eu faim, et vous m'avez donné à man- leur détestable erreur oîi il est question de je
a ger j'ai eu soif, et vous m'avez donné à
;
ne sais quel premier homme imaginaire, non
« boire, etc. » C'est pourquoi « entrez en pos- terrestre, mais revêtu d'éléments trompeurs,
« session de mon royaume * ». 11 ne dit pas : contrairement à ce que dit l'Apôtre « Le :

Parce que vous avez cru que j'étais né, recevez « premier homme tiré de la terre est terres-

le royaume. Au riche qui demandait le moyen « tre - »; j'ai parlé de la vive sollicitude avec

d'arriver à la vie éternelle, «Allez, dit-il, laquelle cet apôtre nous donnait cet avertisse-
« vendez tout ce que vous avez et suivez-moi " » ment : « Si quelqu'un vient vous annoncer
Il ne dit pas : Pour vivre éternellement, « autre chose que ce que nous vous avons
croyez que je suis né. Ainsi entre ces deux M prêché, qu'il soit anathème ' ». Il ne nous
reste donc qu'à croire que le Christ est fils do
'
Matt. VII, 21.— ' Id. ixviii, 19, 20,— ' Jean, xv, 14. — •
Matt.
V, 3-10. — ' Id. XXV, 31, 35. - ' Id. SIX, 2J. '
.Malt, ivi, 17. — = I Cor. XV, 17. — ' Gai. i, 8.
158 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

rbomme et cela conformément à l'enseigne- la race ennemie, jeta en proie à sa voracité


ment véridique des Apôtres, et non suivant ses membres qui ne doivent plus être en-
les fictions mensongères des Manichéens. Or, tièrement purifiés, voyez à quelle distance
les Evangélistes nous apprennent qu'il est né vous êtes de la vie éternelle promise par le
d'une femme
maison, c'est-à-dire, de la
de la Christ à ceux qui croient en lui. Il a dit à
famille de David Paul écrit à Timolhée ; : Pierre , qui le proclamait fils de Dieu :

« Souvenez-vous que Jésus-Christ, de la race M Vous


bienheureux, fils de Jona
êtes ». '

« de David, est ressuscité d'entre les morts, S'ensuit-il qu'il n'a rien promis à ceux qui le
selon l'Evangile que je prêche
(I ». C'est '
croiraient fils de l'homme, puisqu'il est en
nous dire assez clairement de quelle manière même temps Fils de Dieu et fils de l'homme?
nous devons croire que le Christ est fils de Voici d'ailleurs la vie éternelle formellement
l'homme, qu'étant le Fils de Dieu par qui promise à ceux qui auraient foi en lui comme
nous avons été créés, il s'est fait le fils de fils de l'homme « De même que Moïse éleva
:

l'homme en prenant notre chair, en laquelle « le serpent dans le désert, de même il faut

il devait mourir pour nos péchés, et ressusci- « que le fils de l'homme soit élevé, afin que

ter pour notre justification ^ Lui-même se dit « tout homme qui aura cru en lui, ne périsse

en même temps Fils de Dieu, et fils de « point, mais qu'il ait la vie éternelle ^ ». Que

l'homme. Pour ne pas m'étendre davantage, voulez-vous de plus? Croyez donc au fils de
voici ce que je lis dans un passage de l'Evan- l'homme, pour que vous ayez la vie éternelle,
gile selon saint Jean a En vérité, en vérité, : parce qu'il est lui-même le Fils de Dieu qui
B je vous dis que l'heure vient, et qu'elle est peut donner la vie éternelle parce qu'il est ;

« déjà venue, où les morts entendront la voix lui-même « le vrai Dieu et la vie éternelle »,
« du Fils de Dieu, et où ceux qui l'entendront comme le dit saint Jean dans son épître, où
« vivront. Car comme mon Père a la vie en il qualifie d'antechrist celui qui nie que le
« lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir Christ soit venu dans la chair ^
« en lui-même la vie et il lui a donné le pou- ;

« voir de juger parce qu'il est le fils de


,
CHAPITRE V.
9 l'homme'». Remarquez ces expressions :

« Ils entendront
du Fils de Dieu », et,
la voix LA FOI NEST PAS MOINS NÉCESSAIRE Ql'E LES
« parce qu'il estde l'homme». C'est en
le fils ŒUVRES. CONSTANCE DEVENU CATHOLIQUE, DE
effet en sa qualité de Fils de l'homme qu'il a MANICHÉEN QU'iL ÉTAIT.
reçu le pouvoir de juger; et c'est sous cette
forme qu'il viendra procéder au jugement, A quoi bon nous vanter la perfection avec
afin qu'il puisse être vu par les bons et par laquelle vous accomplissez , dites-vous , les
les méchants. C'est sous cette forme qu'il préceptes de l'Evangile ? Et quand même
monta au ciel, alors que cette voix retentit vous les accompliriez véritablement quel ,

aux oreilles des disciples « Il viendra de la : avantage vous en reviendrait-il, à vous qui
« même manière que vous l'avez vu monter n'avez pas la vraie foi? N'entendez-vous pas
« au ciel * ». Car en tant que Fils de l'Apôtre s'écrier « Quand je distribuerais
:

Dieu égal au Père, et un avec le Père, il ne « tous mes biens aux pauvres, et que je livre-
sera pas vu des méchants « Rienheureux », : « rais mon corps pour être brûlé, si je n'ai
est-il écrit, « ceux qui ont le cœur pur, par- « point la charité, tout cela ne me servirait
te ce qu'ils verront Dieu ' ». Si donc il pro- «de rien '? » Pourquoi vous enorgueillir
met la vie éternelle à ceux qui croient en lui, d'un simulacre de pauvreté chrétienne, quand
si croire en lui, c'est croire au vrai Christ, la charité chrétienne vous fait défaut? Les
tel qu'il s'affirme lui-même, et tel que l'an- brigands, eux aussi, pratiquent entre eux ce
noncent les Apôtres, c'est-à-dire vrai Fils de qu'ils appellent charité; ils se doivent d'être
Dieu, et vrai de l'homme, vous. Mani-
fils de fidèles complices dans le crime et l'infamie;
chéens, (jui croyez au fils faux et trompeur mais ce n'est i)as là la charité que recom-
d'un homme taux et trompeur, qui enseignez mande l'Apôtre. Pour la distinguer de toute
que Dieu lui-même, effrayé par le tumulte de autre charité condamnable et réprouvée, il

' n Tim. Il, 8. — Rom. I 2ri. — ' Jean, v, 25-27. — '


Art. i, * Matt. XVI, 17, — ^ Jean, m, 11, 15. — '
i Jean, v, 20 ; iv, 3, —
11. — '
Mail. V, 8. I Cor, xin, 3.
LIVRE V. — ATTACHEMENT A L'ÉVANGILE. 159

dit ailleurs : a La fin des commandements votre conduite, non par des éléments, mais
a est la charité qui naît d'un cœur pur, d'une par des doctrines mensongères.
« bonne conscience et d'une foi sincère ». '

Comment, avec une foi non sincère, pourriez- CHAPITRE VI.

vous avoir la vraie charité? Ou quand ces- LES MANICHÉENS DCPES 01' IMPOSTELRS.
serez-vous enfin d'envelopper votre foi de
tous ces mensonges, par lesquels vous débitez On répliquera peut-être que mes paroles
que votre premier homme a combattu sous s'adressent plutôt à ceux qui n'accomplissent
des formes changeantes et trompeuses, contre pas les préceptes qui leur sont imposés, qu'à
ses ennemis qui conservaient leur même na- la secte elle-même livrée aux plus folles er-
ture, et vous insinuez que de la part duChrist reurs. Eh
bien! je dis que les préceptes de
qui a dit : o Je suis la vérité -
», sa chair, sa Manès sont de nature telle que, si vous ne les
mort sur la croix, les plaies de sa passion, les pratiquez pas, vous êtes des imposteurs, et
cicatrices de sa résurrection n'ont été que des que si vous les pratiquez, vous n'êtes que des
apparences mensongères? Vous vous placez dupes. Assurément le Christ ne vous a pas
au-dessus de votre Christ, si, lui n'étant qu'un défendu de couper un brin d'herbe, pour ne
fourbe, vous annoncez la vérité. Et si vous pas commettre un homicide, lui qui permit à
prétendez suivre ses traces, comment ne pas ses disciples passant au milieu des moissons,
soupçonner en vous l'imposture, et ne pas et pressés par la faim, de cueillir quelques

voir dans la manière dont vous prétendez épis le jour du sabbat '. C'était réfuter à la
observer ses préceptes, une pure supercherie? fois les Juifs de son temps, et les futurs Mani-

Fauste a osé avancer que vous ne portiez au- chéens ceux-ci, eu permettant le fait même,
:

cune monnaie dans vos ceintures; il est vrai et ceux-là, en le permettant au jour du sabbat.

peut-cire que vous n'avez pas de monnaie •Mais Manès vous prescrit absolument de ne

dans vos ceintures; mais vos coffrets et vos rien toucher de vos mains, et de vivre des ho-
bourses sont pleines d'or. On ne vous en fe- micides accomplis par autrui; homicides bien
rait aucun reproche, si votre conduite n'était imaginaires, tandis que vous n'en commettez
en contradiction avec vos doctrines. Constance, que de trop réels, eu donnant la mort à tant
maintenant l'un de nos frères et chrétien ca- d'càmes malheureuses, par vos doctrines dia-
tholique, lequel vit encore, avait rassemblé boliques.
un grand nombre d'entre vous dans sa maison CHAPITRE VII.

à Rome, pour y pratiquer les préceptes de


ORGUEIL DE FAUSTE.
Manès, ces préceptes aussi vains (jue ridicules,
et pour lesquels néanmoins vous professez la Et cependant quelle aveugle vanité, quel
plus haute estime; mais votre faiblesse ne oigueil intoléiabie dans Fauste ! « Vous
put en supporter le joug, et chacun n'eut plus « voyez en moi, dit-il, ces béatitudes du Christ
d'autre règle que ses caprices. Ceux qui vou- « qui constituent l'Evangile, et vous me de-
lurent persister dans la pratique de ces pré- « mandez si je reçois l'Evangile? Vous me
ceptes, se firent secte à part, et prirent le nom « voyez pauvre, doux, pacifique, d'un cœur
de Mattariens, des nattes sur lesquelles ils dor- « pur, pleurant, ayant faim et soif, supportant
maient. Il y avait loin de ces simples nattes, « les persécutions et les haines pour la jus-

aux coussins de plumes et aux couvertures de « tice, et vous doutez si je reçois l'Evaugile?»

peaux de chèvre de Fauste : environné de S'il suffisait, pour être juste, de se jusliQer
toutes les délicatesses, il n'avait plus que du soi-même ; au moment qu'il tenait un pareil
dédain, non-seulement pour les Mattariens, langage, cet homme prodigieux se seraitélevé
mais même pour la maison de son père, ci- jusqu'aux cieux, porté sur les ailes de son
toyen pauvre de Milève. Faites donc disparaî- propre témoignage. Mais je n'attaque pas ici
tre au moins de vos écrits ce honteux dégui- les plaisirs de Fauste, avec sa vie voluptueuse,

sement, si vous n'avez pas le courage de le si connue des auditeurs des Manichéens, sur-

retrancher de vos mœurs, afin que comme tout de ceux qui sont à Rome ;
je prends un
votre premier homme avec la race des ténè- manichéen tel que le voulait Constance, qui
bres, votre bouche ne soit pas en lutte avec accomplisse véritablement les préceptes, sans
'
1 Tim. 1,5. — - Jéao, XV, 16, Matu XII, 1.
160 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

se contenter d'en montrer l'apparence. Eh celui qui souffre persécution pour le nom du
bien 1 ce manichéen, que peut-il paraître à nos Christ, à quelque que ce soit, vous
titre

yeux? Pauvre d'esprit? lui qui pousse l'or- êtes contraints d'avouer que le privilège d'une

gueil jusqu'à regarder son âme comme Dieu, foi plus pure et plus parfaite revient à celui

et à ne pas avoir honte de faire Dieu captif! que nous montrerons comme ayant passé par
Doux? lui qui préfère outrager la sublime des épreuves plus pénibles que les vôtres. Et
autorité de l'Evangile, plutôt que de s'y sou- j'en appelle ici à nos innombrables phalanges

mettre ! Paciflque?kii qui prétend quela na- de martyrs, et à Cyprien lui-même à leur tête,
ture divine elle-même, laquelle constitue lui dont les écrits attestent qu'il croyait au

toute l'essence du seul vrai Dieu, n'a pu jouir Christ né de la Vierge Marie. Pour la défense
d'une paix inaltérable D'un cœur pur? lui
I de cette foi que vous abhorrez, il a exposé sa
dont le cœur est en proie à tant de fictions tête au glaive et à la mort, suivi d'une foule

sacrilèges! Pleurant? à moins que ce ne soit de chrétiens qui partageaient sa croyance, et


son Dieu captif et enchaîné, jusqu'à ce que subissaient une mort semblable et plus af-
ses liens venant à être rompus, il soit rendu à freuse encore. Qu'est-il arrivé à Fauste? Con-
la liberté, tout en perdant une partie de lui- vaiucu, en avouant lui-même qu'il était ma-
même qui sera attachée par le Père à l'abîme nichéen, de concert avec quelques sectaires
des ténèbres, sans qu'elle soit jamais pleurée! qui comparaissaient avec lui au tribunal du
Ayant faim et soif de la justice ? Fauste n'a pas proconsul, fut condamné, grâce à l'interven-
il

même ajouté cette expression, pour ne pas tion mêmedes chrétiens qui avaient provoqué
laisser croire que la justice lui faisait défaut, le jugement, à la peine si légère, si on peut

s'il avouait qu'il avait encore faim et soif. appeler cela une peine, d'être relégué dans

Mais de quelle justice ont faim et soif les Ma- une île. Chaque jour les serviteurs de Dieu
nichéens, eux qui croiront pratiquer la justice se condamnent d'eux-mêmes à un pareil exil,

parfaite en triomphant du malheur de leurs pour se soustraire au tumulte et aux agita-


frères, voués à la damnation dans cet abîme
tions du monde. Et d'ailleurs les princes, à

de ténèbres, non pour des fautes volontaires, l'occasion de quelque cérémonie publique, ont
mais pour une souillure indélébile contractée coutume d'accorder, par indulgence, la remise
au sein de la corruption ennemie, contre la- d'une telle peine. Peu de temps après, en effet,
quelle le Père les avait envoyés combattre. un décret solennel les rendait tous àlahberté.
Avouez donc que la foi a été plus pure, la jus-
CHAPITRE VUl. tice plus parfaite en ceux qui ont mérité de
subir pour ces grandes causes, des épreuves
PRÉTENDUES PERSÉCUTIONS DE FAUSTE.
plus pénibles que les vôtres, ou cessez de tirer

Comment souffrez-vous la persécution et la vanité de ce qui vous rend généralement


haine pour la justice, vous qui faites consister odieux. Sachez distinguer entre souffrir per-

la justice à répandre et à persuader de tels sécution pour le blasphème et souffrir persé-


cution pour la justice; et examinez attentive-
sacrilèges? Oubhez-vous donc que, grâce à
l'esprit de douceur ou à l'influence du chris-
ment dans vos écrits quelle est celle de ces

que bien peu ou pres-


tianisme, vous n'avez deux causes pour laquelle vous souffrez.
que rien à pour vos doctrines aussi
souffrir
CHAPITRE IX.
perverses qu'impies? Comme si vous vous
adressiez à des aveugles et à des insensés, VERTUS RÉELLES PARMI LES CATHOLIQUES.
vous donnez comme un témoignage éclatant
de votre justice, les outrages et les persécu- Combien au contraire dans notre commu-
tions qu'il vous faut subir. S'il suftît pour être nion qui accomplissent véritablement ces su-
plus juste, d'avoir davantage à souffrir, je blimes préceptes de l'Evangile, dont vous ne
ne veux pas faire remarquer ce qui saute prenez que l'apparence pour en imposer aux
aux yeux que les hommes couverts de ignorants? Combien de chrétiens de l'un et
,

crimes cl d'infamies ont à supporter des de l'autre sexe, entièrement purs de tout com-
peines bien autrement graves que les vôtres. merce charnel combien qui
! après avoir,

ie dis que si l'on doit regarder comme goûté les satisfactions de la chair, embrassent
possédant la vraie foi et la vraie justice, la continence combien qui abandonnent et
I
LIVRE V. — ATTACHEMENT A L'ÉVANGILE. 161

distribuent leurs biens ! combien qui réduisent d'une mutuelle charité, cette foule tributaire
leur corps en servitude par des jeûnes fré- à qui il sera dit au dernier jour « J'ai eu :

quents de chaque jour ou prolongés d'une « faim, et vous m'avez donné à manger ', etc. »

manière incroyable Que d'associations fra- ! Autrement il faudrait regarder comme voués
ternelles ne possèdent rien en propre, où tout à la damnation ceux dont l'Apôtre s'attache
est en commun, n'ayant d'ailleurs que le né- avec tant de soin et de sollicitude à régler la
cessaire pour la nourriture et le vêtement, et maison, recommandant aux femmes d'être
dont les membres, embrasés du feu de la cha- soumises à leurs maris; aux maris d'aimer
rité, ne forment qu'un cœur et qu'une âme en leurs femmes aux parents de bien élever
;

Dieu? Et encore, dans ces diverses profes- leurs enfants, les instruisant et les corrigeant
sions, combien d'esprits liypocrites et pervers dans le aux serviteurs d'obéir avec
Seigneur ;

qui se découvrent combien d'autres en qui


1 crainte à leurs maîtres selon la chair aux ;

ces vices restent cachés combien qui, après ! maîtres de donner à leurs serviteurs ce qui
les plus louables débuts, s'abandonnent bien- est juste et raisonnable ^ Assurément ces
tôt aux désirs dépravés de leur cœur com- I chrétiens, au jugement de l'Apôtre, sont loin
bien pour qui l'épreuve de la tentation fait d'être étrangers aux préceptes évangéliques,
voir que ce genre de vie n'était qu'un masque et indignes de la vie éternelle car après cette ;

qui voilait d'autres desseins Mais aussi com- 1 sentence par laquelle le Seigneur exhorte les
bien qui, humblement et inébranlablement plus courageux à la perfection « Si quelqu'un :

attachés à leur sainte résolution, persévèrent « ne porte pas sa croix et ne me suit, il ne


jusqu'à la fin et arrivent au salut! A leur « peut être mon disciple », il adresse immé-
suite viennent,dans une condition différente, diatement à ceux dont je parle ces consolantes
mais unis par les liens de la même charité, paroles : « Celui qui recevra le juste en qua-
ceux qui , eu égard à quelque nécessité ,
« lité de juste, recevra la récompense du juste;
fidèles aux conseils de l'Apôtre ont des ,
a et celui qui recevra un prophète en qualité
femmes comme n'en ayant point, qui achètent « de prophète, recevra la récompense du pro-
comme ne possédant pas, et qui usent de ce « phète ' », Non-seulement donc celui qui
monde comme n'en usant pas. A cette caté- donnera à Timothée un peu de vin à cause de
gorie se rattachent aussi, par un effet de la la faiblesse de son estomac et de ses fréquentes
miséricorde divine, dont le trésor est inépui- maladies *, mais même celui qui, à l'homme
sable, ceux à qui il est dit : « Ne vous refusez le plus sain et le plus robuste, « procurera un
« point l'un à l'autre le devoir conjugal, si ce a verre d'eau froide, parce qu'il est mon dis-
« n'est consentement mutuel
d'un pour ,
B ciple, ne perdra pas sa récompense ^ ».
« un temps, vous adonner à l'oraison
afin de ;

« et ensuite vivez ensemble comme aupara- CHAPITRE X,


« vaut, de peur que la difficulté que vous avez
EXTR.\VAGA>"CES MANICHÉENNES.
a de garder la continence ne donne lieu à Satan

a de vous tenter. Je vous dis ceci par condes- Pourquoi donc abuser de la bonne foi de
«cendance et non par commandement ». '
vos auditeurs, qui se dévouent à votre service,
C'est à ces chrétiens que l'Apôtre adresse en- avec leurs femmes, leurs enfants, leurs fa-
core ces paroles « C'est déjà certainement un
: milles, leurs maisons et leurs champs, leur
a péché parmi vous que vous ayez des disant que quiconque n'abandonne pas tout
« procès les uns contre les autres». Et pre- cela,ne reçoit pas l'Evangile ? Oui, vous leur
nant sur lui leur infirmité, il ajoute « Si : annoncez, non pas larésurrection, mais le re-
« donc vous avez des dilférends au sujet des tour ala mortalité présente vous leur pro- ;

«choses de cette vie, prenez pour juges les mettez une naissance nouvelle qui les fera
« moindres personnes de l'Eglise '». Car ceux vivre de la vie de vos élus, de cette vie vaine,
qui, pour |)ratiquer la perfection, vendent ou ridicule et sacrilège qui est la vôtre, et dont
abandonnent tous leurs biens, et suivent le vous vous enorgueillissez tant; et ceux qui au-
Seigneur, ne sont pas les seuls pour être ap- ront le mieux mérité, reviendront animer des
pelés au royaume des cieux; à cette milice melons, des concombres ou d'autres aliments,
chrétienne se relie par les liens mystérieux
' Matt. XXV, 35. — Coloss. m 18; IV, 1. — '
Malt, s, 38-11.
• I Cor. VII, 5, 6. — Id. Ti, 7, 4. * 1 Tim. V, 23. — '
Matt. .\-, 42.
,

S. Alg. — Tome XIV. II


162 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

afin que quand vous les mangerez et les digé- CHAPITRE XI.

rerez, ils soient aussitôt purifiés. C'est bien là


I.ES MANICHÉENS, ADORATEURS DU SOLEIL.
les éloigner de la pratique des préceptes de
l'Evangile, et vous-mêmes, qui enseignez de C'est en enseignant de telles extravagances,
telles folies, vous vous en écartez encore da- et en y conformant votre conduite que vous ,

vantage. Si une doctrine aussi absurde faisait avez l'audace et d'affirmer que vous observez
partie de la foi de l'Evangile, le Seigneur les préceptes évangéliques et de rompre avec

n'aurait pasdû dire « J'ai eu faim, et vous


: l'Eglise catholique, dans le sein de laquelle
« m'avez donné à manger » mais vous ;
: les petits se pressent en foule avec les grands.
avez eu faim et vous m'avez mangé; ou bien : Tous, ils du Seigneur ils observent,
sont bénis ;

j'ai eu faim manges. Car, selon


et je vous ai chacun selon sa condition, les préceptes de
vos rêveries, personne n'entrera au royaume l'Evangile, et attendent l'effet de ses pro-
de Dieu, pour le mérite d'avoir donné à man- messes. Mais la haine que vous inspire votre
ger aux justes, mais parce qu'il aura mangé erreur ne vous laisse apercevoir que la paille
ceux qu'il désirait manger en vue du ciel, ou qui croît dans notre champ vous y décou- ;

parce qu'il aura été mangé par ceux qui étaient vririez bientôt le froment, si vous vouliez de-
pressés du même désir. S'il en était ainsi, les venir ce même froment. Parmi vous, ceux qui
justes ne diraient pas « Seigneur, quand : ne sont Manichéens qu'en apparence, sont per-
» que nous vous avons vu avoir faim,
est-ce vers et ceux qui le sont véritablement, ne
;

« et que nous vous avons donné à manger? » sont remplis que de vanité. Car, quand la foi
Mais Quand vous avons -nous vu avoir
:
elle-même est fausse, en user avec dissimula-
faim, et nous avez-vous mangés? Et au lieu tion, c'est être imposteur; la croire vraie,

de leur répondre a Quand vous l'avez fait


: c'est être dupe une telle foi ne peut être le
;

« au plus petit d'entre les miens, c'est à moi principe d'une vie vertueuse parce que tout ;

« que vous l'avez fait » le Seigneur leur


'
;
homme vit bien ou mal, selon la nature de ce
dirait Lorsque le
: plus petit d'entre les miens qu'il aime. Pour vous, si votre cœur, au lieu

vous a mangés, c'est moi-même qui vous ai de s'adonnera la convoitise des purs fantômes
mangés. corporels, savait s'ouvrir à l'amour des biens
' Malt. XXV, 35-40. spirituels et invisibles, on ne vous verrait pas,
pour citer un fait bien connu , adorer ce
soleil matériel , comme étant la substance
divine, et la splendeur de la sagesse.
LIVRE SIXIÈME.
Deux sortes de préceptes dans l'Ancien Testament : les uns appartiennent à la vie active, les autres à la vie significative.
Les chrétiens pratiquent les premiers; ils s'abstiennent des seconds, comme inutiles aujourd'hui.

CHAPITRE PREMIER. de préceptes aussi absurdes, que pour les pré-


ceptes eux-mêmes.
OBSERVANCES PRESCRITES DANS l' ANCIEN

TESTAMENT. CHAPITRE II.

Fauste. Admettez-vous l'Ancien Testament? PRÉCEPTES ACTIFS ET PRÉCEPTES FIGURATIFS.


Mais à quel moi qui n'en observe pas
titre,

les préceptes ? Je pense que ni vous non Augustin. Nous avons déjà exposé plus
plus car je rejette la circoncision comme une
: haut dans quel sens et pour quel motif les hé-
honte, et si je ne me trompe, vous aussi le ;
ritiers du Nouveau Testament admettent l'An-
repos du sabbat comme superflu, et vous cien '. Maintenant que Fauste, après avoir
aussi, je crois ; les sacrifices comme une ido- agité la question des promesses, amène celle
lâtrie, et vous de même, doute pas.
je n'en des préceptes, je réponds que lui et les siens
La chair de porc n'est pas la seule dont je ignorent complètement la différence qui existe
m'abstiens; et elle n'est pas la seule (jue vous entre les préceptes de vie pratique et les pré-
mangez; moi je m'en abstiens, parce que je ceptes de vie figurative. Par exemple : « Vous
regarde toute viande comme impure et vous, ; « ne convoiterez point -
», voilà un précepte
vous en usez, parce qu'à vos yeux rien n'est essentiellement pratique ; a Tout enfant mâle
impur : sous ce double rapport, vous et moi <( sera circoncis le huitième jour '
», c'est là
nous annulons l'Ancien Testament. Les se- un précepte symbolique. Par suite de cette
maines des azymes, la scénopégie, vous et moi ignorance, les Manichéens et tous ceux qui
les avons méprisées comme des pratiques rejettent l'Ancien Testament n'ont pas com-
vaines et inutiles. Ne pas mêler la pourpre au pris que toutes les prescriptions cérémonielles
lin dans les vêtements mettre au rang de
;
imposées par Dieu à son peuple, étaient la
l'adultère d'y unir la laine avec le lin ; regar- figure des choses à venir, et parce qu'elles ont
dercomme un sacrilège de mettre sous le cessé d'être observées, ils les critiquent d'après
même joug, dans un cas de nécessité, le bœuf ce qui s'observe de nos jours, sans penser
et l'àne ; ne pas élever à la dignité de prêtre qu'elles étaient convenables pour ces temps
un homme chauve et roux , ou qui offre primitifs , alors qu'elles étaient autant de
quelque autre défaut semblable, ce sont là figures prophétiques des mystères qui sont
autant de prescriptions et d'ordonnances de maintenant dévoilés. Mais qu'ont-ils à oppo-
l'Ancien Testament, pour lesquelles, vous et ser à ce témoignage de l'Apôtre « Toutes ces :

moi, n'avons eu que du mépris et du dédain, choses qui leur arrivaient étaient des figures ;

et auxquelles nous n'avons pas attaché la « elles ont été écrites pour nous qui vivons à

moindre importance. Tout ce que vous objec- «la fin des temps'?» Par ces paroles, l'A-
tez est commun entre nous, qu'il s'agisse de pôtre révèle d'un côté le motif qui nous fait
juger ce qui est mal, ou ce qui est bien, admettre ces Ecritures, et de l'autre, la raison
puisque vous et moi nous rejetons l'Ancien qui a fait cesser pour nous l'obligation d'ob-
Testament. Si vous me demandez en quoi ma server ces rites symboliques. En disant que
foi diffère de la vôtre, le voici c'est qu'il vous
; « ces choses ont été écrites pour nous », il en-

plaît de mentir, et par un indigne procédé, seigne clairement avec quelle sollicitude nous
d'exalter dans vos discours ce que vous détes- devons nous attacher à les lire et à les coin
tez au fond du cœur; tandis que moi je ne prendre, et quelle autorité nous devons leur
sais pas user de dissimulation; ce que je reconnaître, puisqu'elles ont été écrites pour
pense, je le dis, et j'avoue franchement que
Liv. IV, cap. Exod. XX 17. — Gen. xvu
*
10-12. — II. - '

,
'
,

j'éprouve autant d'aversion pour les auteurs Cor. X, 6, 11. I


IC4 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

nous. Et quand il ajoute que « ces choses « tice de la foi '


», n'en font pas moins profes-
" étaient pour
nous autant de figures », sion de croire les membres sacrés de leur
que
« qu'elles étaient en eux autant de figures o, Dieu sont enchaînés à la corruption dans ces
c'est déclarer <}u'une fois en possession de la mêmes menibn^s charnels en réputant la ;

réalité dévoilée, il n'est plus nécessaire que chair impure, ils sont forcés d'admettre que
nous soyons astreints à l'observation des la portion de la substance divine qui y est
figures prophétiques. C'est ce qui lui fait dire retenue captive, en a contracté la souillure.
ilans un autre endroit : « Que personne donc Ils enseignent qu'elle doit être purifiée, et

« ne vous condamne pour le boire et pour le que, jusqu'au moment où elle le sera autant
« manger, ou au sujet des jours de fêtes, des qu'elle peut l'être, elle subit toutes les condi-
« nouvelles lunes et des jours de sabbat , tions de la chair, éprouvant avec elle le poids
« puisque toutes ces choses n'ont été que et l'aiguillon de la souffrance, et les plaisirs
« l'ombre de celles qui devaient arriver'». des plus basses voluptés. C'est par égard pour
Par ces paroles a Que personne ne vous cou-
: elle, disent-ils, qu'ils n'usent pas du mariage,
« damne au sujet de ces pratiques », l'Apôtre dans la crainte de l'engager davantage dans
nous apprend qu'elles ont cessé d'être désor- les liens de la chair, et de l'enfoncer plus
mais obligatoires et par ces autres « Elles ;
: avant dans la corruption. Mais si cette parole
« étaient l'ombre des choses à venir » il , de l'Apôtre :pur pour ceux qui
« Tout est
montre que c'était vm devoir indispensable de a sont purs », s'applique à des hommes dont
les observer à cette époque où les mystères , le cœur inconstant peut se pervertir, combien
qui nous ont été depuis révélés, étaient an- plus tout n'est-il pas pur pour Dieu, lui qui
noncés sous le voile de ces diverses figures. est inaccessible à tout changement et à toute
souillure? Ces mêmes livres, que vous ne
CHAPITRE III.
critiquez avec tant de violence que pour votre
LA CIRCONCISIOS CHARNELLE. propre honte, ne disent-ils pas, en parlant de
la sagesse divine, « qu'elle ne peut être suscep-
SiManichéens cherchaient la justifica-
les « tible de la moindre impureté, et qu'elle at-
tion dans la résurrection du Seigneur, laquelle « teint partout à cause de sa pureté -? » Com-
s'opéra le troisième jour après celui de sa ment donc, ô impure vanité, peut-il te déplaire
passion, et le huitième après le jour du sabbat, qu'un Dieu, pour qui tout est pur, ait établi
c'est-à-dire, après le septième, ils seraient dé- le signe derégénération humaine dans un
la
livrés sansdoute de l'enveloppe charnelle des membre <iui sert à la propagation de l'homme,
désirs mortels et heureux de jouir de la cir-
; quand tu oses redire que ton Dieu, pour qui
concision du cœur, ils cesseraient de tourner rien n'est pur, voit une portion de sa nature
en dérision la circoncision charnelle qui, sous souillée et corrompue jusque dans les infa-
le règne de l'Ancien Testament , en était mies dont ce même membre devient l'instru-
l'ombre et la figure, bien que, sous la loi nou- ment chez les impudiques? Que ne doit-il pas
velle, ils ne fissent plus un devoir de s'y sou- souffrir dans toutes les honteuses débauches,
mettre et de la pratiquer. Sur quel membre si, selon vous, il est souillé par l'union conju-
en effet figurer d'une manière [dus expressive gale Vous avez coutume d'ajouter Dieu ne
? :

le dépouillement deconcupiscence char- la pouvait-il donc établir le signe de la justice


nelle et mortelle, que sur celui qui donne de la foi ailleurs que sur ce membre? Je ré-
naissance à l'être charnel et mortel ? Mais, ponds El pourquoi pas sur celui-là? D'abord,
:

comme le remarque l'Apôtre « Tout est pur : puisque tout est pur pour ceux qui sont purs,
« j)our ceux qui sont jaus, et rien n'est pur combien plus pour Dieu? Ensuite l'xVpôtre nous
« pour ceux qui sont impurs et infidèles mais ; apprend que la circoncision charnelle a été
« leur esprit et leur conscience sont souillés-». donnée à Abraham comme signe de la justice
Oui , ces honunes si purs à leurs ])ropres de la foi. Mais vous, comment ne pas rougir
yeux, (larce (|u'ils ont ou feignent tl'avoir en quand on vous dit Volie Dieu ne pouvait-il :

horreur ces membres connue im[)urs, ces donc empêcher qu'une partie de sa nature fût
hommes qui délestent la circoncision de la mêlée à ces membres que vous avez en hor-
chair, que l'Apôtre appelle le « signe de lajus- reur? Si ces membres réclament au milieu
• C0I01.S. 11, 16, 17. — ' Tit. I, 15. • Rom. IV, U. — • Sag. vu, 25, 24.
LIVRE VI. DEUX SORTES DE PRÉCEPTES ANCIENS. 165

des hommes le voile de la pudeur, c'est par de faire chaque jour ce que les Juifs observent
suite de la corruption et du châtiment attachés un jour sur se|)t, et de vous abstenir de toute
à la propagation de notre mortelle nature; les œuvre de ce genre. Maintenant que n'ont pas
cœurs chastes les couvrent de modestie, les à souffrir les citrouilles sur le feu, où certai-
impudiques les livrent à l'incontinence, et nement la vie qui est en elles est loin d'être
Dieu y applique le sceau de la justice. régénérée? Peut-on comparer une marmite
bouillonnante à de saintes entrailles? Et ce-
CHAPITRE IV. pendant vous ne parlez qu'avec dérision du
LE SABBAT DES JUIFS. repos du sabbat comme superflu. Assurément
il ferait plus sensé de votre part, non-seule-
Quant au repos du sabbat, depuis que nous ment de ne pas blâmer dans nos pères,
Je
a été donnée l'espérance de notre éternel alors qu'il avait sa raison d'être,mais même
repos, nous en regardons l'observation comme de l'observer aujourd'hui qu'il est devenu su-
désormais inutile, mais non la connaissance perflu,de préférence à votre repos encore plus
et l'intelligence. Dans les temps prophétiques, condamnable par l'erreur qu'il renferme ,

les mystères qui nous sont maintenant dé- qu'absurde par sa signification. Selon votre
voilés, devaient être figurés et annoncés non- vaine croyance, vous êtes coupables, si vous
seulement par la parole, mais aussi par des violez votre repos, et si vous l'observez, vous
actions ce signe du sabbat que nous trouvons
: n'en devenez véritablement que plus vains.
dans l'Ecriture, était la figure de la réalité Car vous dites qu'un fruit éprouve le senti-
dont nous sommes en possession. Jlais vous, ment de la douleur quand il est détaché de
dites-moi, pourquoi ii'observez-vous pas inté- l'arbre, découpé, broyé, cuit et mangé. Vous
gralement votre repos ? Pendant leur sabbat, ne devriez donc vous nourrir que de ceux qui
auquel ils n'attachent toujours qu'un sens peuvent s'avaler crus et intacts, afin qu'ils
charnel, les Juifs, non-seulement ne cueillent n'aient à souffrir qu'une seule fois, quand ils
pas un seul fruit dans les champs, mais même sont cueillis, non par vous, mais par vos au-
n'en découpent ou n'en font cuire aucun à la diteurs.
maison. Mais vous, vous attendez, dans votre Mais, dites-vous, qu'est-ce faire pour la dé-
repos,que l'un de vos auditeurs se chargeant livrance de la vie divine, s'il faut nous res-
de pourvoir à vos repas, s'élance dans un treindre aux fruits crus et tendres qui peuvent
jardin, armé du couteau ou de la faucille, et se manger ainsi ? Si, en vue d'un résultat si

d'une main lueurtrière abatte les citrouilles, précieux, vous faites passer vos aliments par
vous en ajiporle, ô prodige les cadavres vi-
! des soutfrances si jnullipliées, pourquoi vous
vants. S'il n'y a pas là un meurtre, pourquoi abstenir de leur causer la seule douleur qui
craindre de le faire vous-mêmes ? Et si cueillir est lapremière conséquence nécessaire de la
ces fruits, c'est leur donner la mort, comment finque vous vous proposez? Un fruit peut se
se trouve encore en eux cette vie que vous manger dans sa crudité comme plusieurs,

prétendez purifier et régénérer parla mandu- d'entre vous se sont exercés à le faire, non-
cation et la digestion? Vous recevez donc les seulement pour les fruits, mais encore pour
citrouilles toutes vivantes, et vous devriez, s'il toutes sortes de légumes. Mais si ce fruit n'est
était possible, les avaler en cet état du moins ; cueilli ou ne tombe, de quelque manière il
si

après la seule blessure qu'elles ont reçue de de la


n'est extrait terre ou détaché de l'arbre,
lamain de votre auditeur quand il les a cueil- ilne peut devenir un aliment. Cet acte, sans
lies,se rendant ainsi coupable d'une faute lequel vous ne pourriez lui porter secours,
dont votre indulgence doit le décharger, par- n'est-il pas une faute bien légère ? En est-il de
viendraient-elles saines et entières jusqu'à même de ces nombreuses tortures que vous
l'atelierde vos entrailles, où vous pourriez ne craignez pas d'infliger aux membres de
reformer votre Dieu brisé dans cette attaque? votre Dieu, dans la préparation de vos ali-
Mais non avant de les broyer sous vos dents,
; ments? L'arbre [ileure, osez-vous dire sans
vous les découpez en mille parcelles, si votre rougir, quand on cueille son fruit. Certes la
goût vous y porte comment, après ces in-
: vie qui y réside conuaît tout elle pressent ;

nombrables blessures, ne pas vous croire cou- quel est celui qui vient à elle. Et quand arri-
pables? Voyez comme il vous serait avantageux vent vos élus et qu'ils cueillent ses fruits, loin
16(3 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

de pleurer, il doit se réjouir, trouvant ainsi Le Seigneur Jésus se montra moins sensible à
un bonheur douleur
ineffable à côté d'une leur égard, quand, à la prière que les démons
passagère, et échappant à un grand malheur, lui en firent, il leur permit d'entrer dans un
s'ilfût tombé entre des mains étrangères. troupeau de pourceaux '.
Pourquoi donc ne détachez-vous pas ce fruit Avant d'avoir accompli dans sa passion le
quand, une fois cueilli, vous lui infligez tant sacrifice de son corps, il dit encore à un
de plaies et de tortures? Répondez, si vous le lépreux qu'il venait de guérir a Allez, mon- :

pouvez. D'un autre côté, le jeune lui-même o trez-vous au prêtre, et offrez votre sacrifice,

est pour vous une contradiction il ne faut : «comme Moïse l'a ordonné, afin que cela
pas que soit suspendue l'activité de la four- « leur serve de témoignage ^n. Dieu a souvent

naise où l'or spirituel se dégage du mélange témoigné, par l'organe des Prophètes, qu'il
impur de l'ordure, et où les membres divins n'avait nul besoin de semblables présents,
voient se briser leurs misérables liens. Aussi lui qui n'a besoin de rien, et la raison le
celui-là se distingue fiarmi vous par la commi- conçoit facilement c'est ce qui force l'esprit
:

sération, qui a pu s'accoutumer, sans préju- de l'homme à. rechercher ce qu'il a voulu


dice pour sa sauté, à prendre et à consommer nous enseigner dans ces sacrifices, car il n'eût
la plus grande quantité d'aliments crus. Tou- pas ordonné en vain de lui offrir ce dont il

tefois vous êtes cruels quand vous mangez, n'avait nul besoin, s'il n'eût voulu par là nous
eu faisant subir de si vives douleurs à vos ali- révéler quelque mystère dont la connaissance
ments cruels encore quand vous jeûnez
; ,
nous serait utile, et qui devait être annoncé
puisque vous cessez de travailler à la purifi- sous le voile de ces figures. Ne serait-il pas

cation des membres divins. plus convenable et plus honorable pour vous
d'adopter la pratique de ces sacrifices, bien
CHAPITRE V. qu'ils ne soient plus obligatoires, mais aux-
quels du moins se rattachent une signification
SACRIFICES DE l'aNCIEN TESTAMENT.
et un enseignement, que de prescrire à vos
Vous avez encore en exécration les sacrifices auditeurs de vous offrir les victimes vivantes
de l'Ancien Testament; vous les appelez une de vos aliments, et de croire à de telles extra-
idolâtrie, et vous nous associez à cet abomi- vagances? Si l'Apôlre a pu dire à juste titre
nable sacrilège. Je réponds d'abord, pour ce de quelques prédicateurs qui annonçaient
qui nous regarde, que nous ne pratiquons l'Evangile en vue des festins, «qu'ils font leur
plus ces sacrifices, mais que nous les recevons « Dieu de leur ventre ' » quel excès d'orgueil
,

toujours au nombre des mystères des divines et d'impiété de votre part, vous qui osez re-

Ecritures, comme étant destinés à nous don- garder votre ventre, non pas connne votre
ner l'intelligence de ceux dont ils étaient les Dieu, mais, ce qui est d'une audace plus cri-
symboles. Car ils ont été pour nous autant de minelle, comme l'instrument purificateur de
ligures, et tous, sous leurs formes diverses, Dieu ? un masque de
Quelle folie d'afficher
annonçaient le sacrifice unique, dont nous pitié,en s'abstenant de répandre le sang des
célébrons maintenant la mémoire. Ce grand animaux, pendant (ju'on croit que des âmes de
sacrifice une fois dévoilé et offert en son même nature résident dans tous les aliments,
temps, premiers ont cessé de faire partie
les et qu'à ces aliments toutvivants on inflige de la

du mais non de faire autorité comme


culte, main et des dents de si cruelles blessures !

figures prophétiques. Car « ces choses ont été


« écrites pour nous, qui vivons à la fin des
CHAPITRE VI.

« temps'». Mais voici ce qui vous émeut dans ANIMAUX PURS ET ANIMAUX IMPURS.
ces sacrifices, c'est l'immolation des animaux,
attendu que ces créatures ne servent en quel- Si VOUS ne voulez pas vous nourrir de chair,

que sorte que conditionnellement aux usages pourquoi n'immolez-vous pas les animaux
de l'homme. Oui, vous qui refusez un mor- offerts à votre Dieu, afin que ces âmes, que

ceau de pain au pauvre affamé, vous êtes vous regardez non-seulement comme des
pleins de compassion pour les animaux, en âmes humaines, mais des âmes divines, véri-
qui, selon vous, habitent des âmes humaines. tables membres de la Divinité, sortent de la
'
I i or. .\, 11. ' Malt, vin, '.^'2,
Luc, V, 11. — ' l'tiil. III, 1^1.
LIVRE VI. — DEUX SORTES DE PRECEPTES ANCIENS. 167

prison de !a chair, et obtiennent, par vos nombre et en secret, tandis qu'il abusait le

prières, de n'y plus rentrer ? peuple par des mensonges. Une telle imputa-
Pour elles, vos vœux sont-ils moins efflcaces tion n'est-elle pas un sacrilège, et ne suffit-il

que votre ventre, et la délivrance est-elle plu- pas de lire l'Evangile, pour se convaincre que
tôt le partage de cette portion de la nature le Seigneur, loin de la foule, a inculqué de la
divine qui a mérité de passer par vos en- manière la plus explicite la même doctrine à
que de celle qui avait le suffrage de
trailles, ses disciples? Puisque Fauste, dès le début de
vos prières? Vous n'immolez donc pas les son livre,témoigne de son admiration pour
animaux à votre ventre, parce que vous ne Adimantus, au point de ne le croire inférieur
pouvez les absorber tout vivants, et délivrer qu'à Manès seul, qu'il me suffise de demander
ainsi leurs âmes par le pieux office de votre si cet oracle par lequel le Seigneur enseigne

estomac. bienheureux légumes, à qui après que l'homme n'est [las souillé par ce qui entre
avoir été arrachés par la main, coupés par le dans la bouche, est vrai ou faux. Si les Mani-
fer, rôtis par le feu, broyés par les dents, il chéens disent qu'il est faux, pourquoi leur célè-
est donné cependant d'arriver tout vivants bre docteur Adimantus, le regardant comme
jusqu'à l'autel de vos entrailles ! El combien émané de la bouche du Christ, s'en sert-il pour
sont à plaindre les animaux qui, sortant plus attaquer l'Ancien Testament ? Si au con- ,

tôt de leurs corps, ne peuvent entrer dans les traire, il est vrai, pourquoi le contredire et se
vôtres Livrés à de pareilles extravagances,
! croire souillé en mangeant d'une chair quel-
vous pensez encore que nous sommes les en- conque ? A moins que rendant hommage à
nemis de l'Ancien Testament, parce que nous la vérité, ils reconnaissent que l'Apôtre n'a
ne regardons aucune chair comme impure, pas dit Tout est pur pour les hérétiques;
:

selon cet oracle de l'Apôtre a Tout est pur : mais « Tout est pur pour ceux qui sont
:

« pour ceux qui sont purs », et cette parole '


« purs ». L'Apôtre, en effet, montre immédia-

du Seigneur « Ce n'est pas ce qui entre dans


: tement après, comment rien n'est pur pour
« votre bouche qui vous souille, mais ce qui les hérétiques « Rien n'est pur, dit-il, pour
:

« en soit -B. Le Seigneur ne s'adressait pas « les impurs et les infidèles; ils ont la raison

ici seulement au simple peuple, comme a pré- « et la conscience souillées' ». 11 faut conclure
tendu l'expliquer, dans ses attaques contre de que véritablement rien n'est pur pour
là,
l'Ancien Testament, votre célèbre Adimantus, les Manichéens, eux qui enseignent que la
que Fauste place au premier rang après Manès ; substance ou la nature même de Dieu, non-
loin de la foule il exprimait la même pensée à seulement a pu être souillée, mais l'a été en
ses disciples, d'une manière encore plus claire partie, et non-seulement .souillée, mais inca-
et plus expressive. Adimantus ayant opposé pable d'être entièrement délivrée et purifiée.
cette sentence du Seigneur à l'autorité de l'An- 11 est étrange de les entendre réputer toute

cien Testament, qui désigne comme impure chair impure, et dire qu'ils s'en abstiennent
la chair de certains animaux, dont l'usage était pour cette raison, comme si pour eux il y
interdit au peuple, il craignit cette objection : avait quelque chose de pur, et dans les ali-
Pourquoi donc regardez-vous comme impure ments, et dans touteslescréatures. Car ils nous
toute chair, et non pas celle de quelques ani- représentent également les légumes, les fruits
maux? pourquoi vous en abstenir absolument, et toutes les productions de la terre, la terre
puisque vous apportez vous-même le témoi- entière et le ciel comme souillés par le mé-
gnage de l'Evangile, que l'homme n'est pas lange de la race des ténèbres. Que ne suivent-
souillé par ce qui entre dans la bouche, des- ils donc leurs principes erronés relativement

cend dans les intestins et est jeté au lieu se- aux aliments dont ils usent I et que, s'abstenant
cret? de tout ce qui est impur à leurs yeux, ne
tirer d'une position où sa mau-
Pour se meurent-ils pas de faim, plutôt que de s'obs-
vivement pressée, ne pouvait tenir
vaise foi, tiner à proférer de pareils blasphèmes Evi- !

contre l'évidence de la vérité, il prétend que demment, un tel sort serait préférable pour
le Seigneur n'a tenu ce langage qu'à la foule, des esprits qui repoussent toute réforme et
comme s'il ne confiait la vérité qu'à un petit tout amendement.
' TU. I, 15. — ' Mail. XI, 11. Tit. I, 15.
168 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE VII. Ces sortes de rapprochements qui se trouvent


dans les locutions et les observances figura-
POURQUOI CERTAINS ANIMAUX DÉCLARÉS IMPURS.
tives, procui'ent aux esprits sérieux un exer-
Mais comment n'y a-t-il aucune contradic- cice utile et agréable, en les forçant à cher-
tion entre l'Ancien Testament, qui défend cher les rapports et à établir la comparaison.
l'usage de la chair de certains animaux, et ces Sous l'Ancien Testament un grand nombre de
paroles de l'Apôtre Tout est pur pour ceux
: <s prescriptions semblables furent non-seulement
«qui sont purs», et: «Toute créafui'e de données au peuple pour son instruction, mais
B Dieu est bonne ? » Que nos adversaires
'
imposées comme pratiques obligatoires. C'était
comprennent, si leur intelligence peut aller alors le temps où il fallait annoncer, aussi
jusque-là, que l'Apôtre entendait parler des bien par des faits que par la parole, les mys-
natures mêmes, et que les Livres saints n'ont tères qui devaient être dévoilés dans les siècles

déclaré impurs certains animaux que quant postérieurs. "Maintenant qu'ils ont été révélés
à leur signiflcation, et non quant à leur na- par la bouche et dans la personne du Christ,
ture, pour en tirer quelques figures propres les prescriptions onéreuses de la loi n'ont pas
à ces temps primitifs. Prenons, par exemple, étéimposées à la foi des nations, mais cette foi
le pourceau et l'agneau par nature l'un et : doitconserverle respect dû à l'autorité des pro-
l'autre sont purs, parce que toute créature de phéties. Voilà comment nous ne sommes pas
Dieu est bonne mais par signiflcation on dira
;
en contradiction avec l'Ancien Testament, qui
que l'agneau est pur, et le pourceau immonde. déclare impure la chair de certains animaux,
De même, quand vous prononcez ces mots, fou tout en ne regardant aucune chair comme
et sage, sous le rapport des lettres, des syllabes impure conformément au témoignage du
,

et du son qui les constituent, les deux mots Seigneur et de l'Apôtre à vous maintenant
:

sont purs; maison dira que le mot fou est de nous dire pourquoi vous réputez toute
impur, non dans sa nature, mais dans sa si- chair impure.
gnification,parce qu'il représente quelque CHAPITRE VIII.
chose d'impur. Ne pourrait-on pas voir dans
ORIGINE DE LA CHAIR, d'aPRÈS LES MANICHÉENS.
l'homme fou la réalité de la figure attachée au
pourceau, en sorte que cet animal et les trois Si, selon vos principes erronés, c'est par suite
lettres du mot fou désigneraient un seul et du mélange de la race des ténèbres, ce n'est

même objet? La loi a déclaré le pourceau point la chair, mais votre Dieu lui-même qui
impur, parce ne rumine pas ce n'est
qu'il : est impur dans cette partie de sa nature qu'il fit

point sa fiuite, c'est la nature qui l'a fait ainsi. absorber par ses ennemis pour les
et souiller

Or, il est des hommes représentés par cet ani- combattre et les réduire en captivité et d'ail- ;

mal, impurs par vice, et non par nature ; je leurs, ce mélange ne rend-il pas aussi im[)ur
veux dire ces hommes qui écoutent volontiers tout autre aliment dont vous usez? Mais la
les paroles de la sagesse, et ensuite n'y pen- chair, dites-vous, l'est bien davantage. Il se-
sent plus jamais. Ramener par le charme du rait trop long de rappeler toutes les rêveries

souvenir, pour ainsi dire, des entrailles de la sur lesquelles ils étaient une pareille asser-

mémoire à la bouche deque la réflexion, ce tion; ce que j'en dirai suffira, dans sa briè-
l'on a entendu d'utile, n'est-ce pas en quelque veté, pour montrer que ces critiques de l'An-
sorte ruminer spirituellement? Ceux qui ne cien Testament sont livrés à la plus aveugle
le font pas, sont désignés par ce genre d'ani- folie, et pour convaincre ces accusateurs delà
maux. En nous prescrivant de nous abstenir de chair de ne penser (jue selon la chair, sans s'é-
leur chair, l'Ecriture voulait nous prémunir aucune vérité spirituelle. Peut-être les
lever à
contre un pareil défaut. Comme la sagesse est développements que je vais donner éclaireront
un trésor précieux, c'est ainsi que dans un assez le lecteur sur leurs doctrines, |)Our me
autre endroit elle fait ressortir la pureté atta- ]iermettre d'être plus court dans mes réponses
chée à cette action de ruminer, et l'impureté subséquentes. Ces hommes vains et captieux
de la condition contraire « Un trésor pré- : racontent donc que dans le combat où leur
« cieux réside toujours dans la bouche du premier homme sin-prit la race des ténèbres à
« sage; mais l'homme insensé l'engloutit ». -'

l'aide d'éléments trompeurs, ses princes des


' I Tim. IV, 1. — ' l'rov. xxi, 2ii. deux sexes furent pris en même temps, servi-
LIVRE VI. — DEUX SORTES DE PRÉCEPTES ANCIENS. 169

rent à la construction du monde, et furent les fruits, qui meurent, comme nous l'avons
placés pour la plupart dans les parties célestes dit, quand on ou qu'on les arrache?
les cueille

de l'édiflce , où entrèrent aussi quelques Ils ne veulent pas se rendre coupables de tels

femmes enceintes ; ayant commencé à


le ciel homicides, eux qui se gardent d'extraire aucun
tourner, les femmes ne purent supporter la ra- fruit de la terre ou de le détacher de l'arbre.
pidité du mouvement, et jetèrent leurs fruits; De plus, ils affirment que le corps de tout ani-
les avortons de l'un et de l'autre sexe tom- mal renferme deux âmes, l'une bonne, de la
bèrent sur y vécurent, y grandirent,
la terre, race de lumière, et l'autre mauvaise, de la
s'unirent entre eux et engendrèrent. Telle est, race de ténèbres; est-ce que, à la mort de
à les entendre, l'origine de toute chair qui se l'animal, l'àme bonne s'enfuit, et la mauvaise
meut sur la terre, dans l'eau et dans l'air. reste? S'il en était ainsi, l'animal mis à mort
Mais si la chair tire son origine du ciel, n'est- vivrait encore comme il vivait au sein de la
ce pas le comble de l'absurdité de l'en croire race des ténèbres, alors qu'il n'avait que l'àme
plus impure? Surtout que, à la formalion du" propre à cette race, et qui l'avait fait com-
monde, les princes des ténèbres entrèrent dans battre contre le règne divin. Mais si, à la mort
la composition des diverses parties, de la base de tout animal, les deux âmes, la bonne et la
au sonmiet, de manière que ceux en qui se mauvaise, se séparent de la chair, pourquoi
trouvait le plus grand mélange de bien, occu- traiter cette chair d'impure, comme si l'àme
pèrent une place plus élevée ne doit-on pas;
bonne seule l'avait quittée ? Quand même
conclure que la cbair, quia son origine dans elle conserverait quelques restes de vie, ses
le ciel, est plus pure que les fruits qui naissent restes proviennent de l'une et de l'autre vie ;

de la terre? Ensuite quel excès de folie de ne que l'ordure même entraîne


disent-ils pas
prétendre que des êtres conçus avant le mé- avec elle quelques faibles débris des membres
lange de lavie ont été tellement vivaces, que, divins? Nulle raison donc peureux d'affirmer
naissant avortons et tombant des hauteurs que la chair est plus impure que les fruits.
célestes sur la terre, ils aient pu vivre, taudis Mais voici: voulant faire parade d'une chasteté
qu'après ce mélange ils ne peuvent vivre, hypocrite, ils voient plus d'impureté dans la
s'ils ne naissent à terme, et meurent aussitôt, chair, parce qu'elle provient de l'union des
s'ils tombent d'un lieu tant soit peu élevé? sexes, comme s'il n'y avait pas pour eux un
Certes, si le règne de la vie a combattu contre devoir d'autant plus pressant de secourir le
le règne de la mort, en mêlant la vie à ces membre divin en la mangeant, que, selon
êtres, il a dû les rendre plus vivaces, et non leurs principes, enchaîné par des liens
il y est
plus sujets à la corruption. Si chaque chose plus étroits. Du reste,
si telle est la cause de

trouve surtout dans sa nature le principe de ce caractère plus impur de la chair, qu'ils
l'incorruptibilité, au lieu de deux natures, mangent celle des animaux qui naissent eu
l'une bonne mauvaise, il fallait en-
et l'autre dehors de l'union charnelle, tels que les vers
seigner qu'il en existe deux bonnes, dont l'une dont les espèces sont innombrables, et dont
plus excellente que l'autre. Comment donc quelques-unes qui croissent sur les arbres,
nos adversaires peuvent-ils ré[iuter la chair sont un aliment assez en usage dans certaines
impure, celle du moins que tous connaissent, populations de la Vénétie. S'ils ont une telle
en la faisant descendre du ciel? Ils prétendent aversion pour la chair qui provient de l'union
que les premiers corps des princes des té- charnelle, que ne mangent-ils aussi les gre-
tèbres naquirent à la manière des vers des nouilles que la terre engendre tout à couji
arbres, qui s'élevaient dans ces régions cé- après la pluie, afin de délivrer les membres de
lestes, et que ces arbres étaient le produit des leur Dieu enchaînés à ces êtres? Alors ils

cinq éléments. Si corps des animaux tirent


les pourraient taxer d'erreur genre humain de
le

leur première origine des arbres, et leur se- ce qu'il se nourrit de poules et de colombes
conde du ciel, pourquoi les regarder comme issues de l'accoupleuient des deux sexes, et
plus impurs que les fruits des arbres? Serait- rejette les grenouilles, les plus pures produc-
ce parce que, quand ils meurent, ils perdent tions de la terre et du ciel. A en croire les
leur âme, et que ce qui reste après le départ rêveurs, les premiers princes des ténèbres,
de la vie, est impur? Mais comment ne pas qui naquirent des arbres, sont plus purs que
croire impurs, au même litre, les légumes et Jlanès lui-même, que son père et sa mère
170 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.
ont engendré par le commerce charnel; la quelques animaux déclarée impure par la
vermine même qui naît directement de la signification qui s'y rattachait, parce qu'il
sueur et des exhalaisons du corps, est plus leur était défendu d'en manger il y avait là ;

pure que tous ceux qui ont eu le malheur une figure prophétique de la révélation future
d'être issus d'un tel commerce. Si enfin tout des mystères. De même il eût été aussi cri-
ce qui naît de la chair, même en dehors de minel pour les hommes de leur temps et de
cette union, est impur à leursyeux, parce que leur nation, de ne pas user des pains azymes
la chair elle-même en provient, il faudra ré- et d'autres choses semblables, alors que ces
puter impurs les légumes qui
et les fruits pratiques devaient être observées, et les mys-
naissent de l'ordure avec tant d'activité et tères, aujourd'hui dévoilés, être ainsi annon-
d'abondance. Je laisse ici à ceux qui croient cés, qu'il serait insensé pour nous, sous la nou-
les fruits plus purs que la chair,
le soin de velle alliance, de croire que ces observances
décider ce qu'ils veulent faire ou répondre. Car prophétiques peuvent nous être utiles. Ainsi
qu'est-ce que la chair rejette de plus immonde encore pour ces Livres sacrés qui ont été écrits
que l'ordure ? et quels aliments plus en usage pour nous, et doivent nous ins(iirer l'attache-
que les fruits? Vous dites que la trituration ment le plus fidèle et le plus inviolable pour
et la digestion des aliments en fait sortir la les mystères qui nous ont été dévoilés et ma-
vie, et qu'il en reste une faible portion dans nifestés, en nous les faisant voir annoncés si
les excréments. Comment donc vos aliments, longtemps d'avance sous le voile de ces figu-
c'est-à-dire les fruits de la terre, naissent-ils res, ce serait de notre part impiété et sacrilège
meilleurs, plus vivaces et plus abondants de de les rejeter, sous prétexte que le Seigneur
ce fumier qui ne conserve qu'une si faible ne nous fait plus un devoir de pratiquer à la
portion de vie ? La chair se nourrit non des lettre ce qui y est écrit, mais de le compren-
immondices, mais des productions de la terre, dre de l'observer dans le sens spirituel. Car,
et
tandis que la terre se fertilise par les ordures, « ces choses ont été écrites pour nous qui vi-
et non par les fruits de la chair. Qu'ils choi- « vous à la fin des siècles », ainsi que s'ex-
sissent ce qui est le plus pur, ou qu'enfin re- prime l'Apôtre '.Tout ce qui a été écrit avant
nonçant à leurs erreurs, ils cessent d'être ces nous, l'a été pour notre instruction -, Sous
hommes impurs et infidèles pour qui rien l'Ancien Testament, c'était un péché de ne
soumetlenl avec nous au témoi-
n'est j)ur, et se pas manger des azymes pendant les sept jours
gnage de l'Apôtre « Tout est pur pour ceux : désignés par la sous le Nouveau, ce n'est
loi ;

« qui sont purs » « La terre et tout ce qu'elle


'
. plus unemais avec l'espérance du
faute ;

« contient est au Seigneur ». « Toute créa- '-


siècle à venir que nous avons dans le Christ,
« ture de Dieu est bonne'». Tous les êtres lequel fera de nous des hommes tout nou-
de la nature sont bons chacun dans son ordre ;
veaux en revêtant nos âmes de la justice et nos
et ils ne peuvent être une cause de péché que corps de l'immortalité, croire qu'alors notre
|iour celui qui, sortant de la règle qu'il devait condition ou nos actes se ressentiront du peu-
suivre par l'obéissance à Dieu, en pervertit chant de lamisère de l'ancienne corruption,
et
aussi l'ordre par l'abus qu'il en fait. c'est toujours uu péché, durant le cours de
ces sept jours qui forment le temps présent.
CHAPITRE IX,
Cette vérité, dans l'Ancien Testament, cachée
PAINS AZYMES, VÊTEMENTS INTERDITS, AUTRES sous le voile de la figure, n'était comprise que
OBSERVANCES. d'un petit nombre de justes maintenant elle ;

a paru au grand jour et est annoncée aux


Nos pères qui furent si agréables à Dieu , peuples. Ce qui était alors un précepte, est
restèrent dans la règle du devoir que leur maintenant un témoignage. Ce fut autrefois
traçait l'obéissance ; toutes les prescriptions un péché de ne pas célébrer la scénopégie '
;

établies par Dieu en rapport avec leur temps, il en est autrement aujourd'hui
mais ne pas ;

ils les observaient comme elles leur étaient faire partie du tabernacle de Dieu (jui est
inii)osées. Ainsi, ([uoique toute chair destinée l'Eglise, c'est toujours un péché; ce qui se
H servir d'aliment à l'homme soit pure par pratiquait alors comme précepte figuratif ,

nature, ils s'abstenaient cependant de celle de nous sert maintenant de témoignage mani-
'
Tit. 1, 15. — ' Pu, XAlll, 1. — Tiin. iv, i. ' 1 Cor. A, U ' Rom. xv, 1. — ' Lév. xiui, 34.
LIVRE VI. — DEUX SORTES DE PRÉCEPTES ANCIENS. 171

fesle. Car le tabernacle qui fut construit alors sûrement chacun, s'il le juge nécessaire, peut

n'eût pas été appelé le tabernacle du témoi- se serviren même temps du bœuf et de l'âne
gnage, si par une signification en rapport avec sans nuire à son travail maison ne peut sans ;

une vérité qui devait être révélée en son temps, scandale envoyer ensemble un sage et un fou
il n'eût rendu témoignage à cette même vérité. annoncer la si l'un n'est pour
parole de Dieu,
C'était un péché de mêler dans les vêtements commander, pour obéir, mais s'ils
et l'autre
la pourpre au lin, ou le lin à la laine il n'en est ; sont revêtus tous les deux de la même autorité.
plus ainsi mais c'en est un assurément de
; Nous recevons donc l'Ecriture, autrefois im-
mener une vie désordonnée, et de vouloir faire posant des prescriptions sous lesquelles étaient
un mélange de professions diverses, comme si voilés les mystères qui devaient être révélés
une religieuse se parait à l'égal d'une épouse, de nos jours, maintenant confirmant du
et
ou comme si la femme qui, n'ayant pas le dou poids de son autorité les mêmes mystères dé-
de la continence, a embrassé le mariage, vou- sormais mis au grand jour.
lait paraître sous l'extérieur d'une vierge, ou Dire que la loi avait déclaré impur l'homme
en un mot, comme si queli|u'un prétendait unir chauve ou roux ', c'était un défaut d'attention
dans sa conduite les choses les plus disparates. de la part de Fauste, ou l'exemplaire qu'il
Ce qui alors était figuré dans les vêtements avait entre les mains était infidèle. Que n'a-t-
se produit maintenant dans les mœurs. C'était il désiré avoir lui-même un front chauve ,

le temps de la figure c'est aujourd'hui celui


;
sans rougir d'y tracer le signe de la croix du
de Ja manifestation. L'Ecriture qui imposait Christ Eût-il pu croire que celui qui s'écriait
1 :

autrefois les observances figuratives, est donc M Je suis la vérité - », avait succombé à de

devenue le témoin des mystères qu'elles re- fausses blessures, et était ressuscité avec de
présentaient ; et ce qui se pratiquait comme fausses cicatrices ? U a osé dire « Pour moi :

prophétie, nous le lisons maintenant comme « j'ai appris à ne pas mentir ce que je pense, :

confirmation. Il n'était pas permis alors d'u- « je le dis ». Insensé, il n'est donc pas le disci-

nir le bœuf et l'âne pour le travail '


: on le ple de sou Christ, qu'il représente montrant
peut aujourd'hui. L'Apôtre, rappelant le pas- de fausses cicatrices à ses disciples agiles par
sage de l'Ecriture où il est dit qu'on ne doit le doute, lui qui veut qu'on ajoute foi à ses
point lier la bouche au bœuf qui foule le grain, paroles, comme â autant d'oracles de vérité ,

fait celte Dieu se met-il en peine


réflexion : « non-seulement quand il débile ses autres ine-
« de ce qui regarde les bœufs ? » Or, à quoi pties, mais même quand il affirme la fausseté
bon lire dans l'Ecritureiine défense qui n'existe du Christ ! Vaut-il mieux que le Christ, puis-
plus ? L'Apôtre en donne immédiatement la qu'il ne trompe pas comme lui? ou n'est-il pas
raison : pour nous que cela a été écrit '».
«C'est par là même le disciple, non pas du vrai
Et quelle impiété si nous ne lisions pas ce qui Christ,mais de l'imposteur Manès, quand il
a été écrit pour nous ? C'était bien [dus pour trompe la où il se vante d'avoir appris à ne
nous qui en avons reçu la manifestation, que pas tromper ?
pour ceux eu qui cela n'était qu'une figure. As- ' Lévit. XIII, 40. — ' Jean, xiv, 6.

' Deut. XXII. 10. — I Cor. ix, 10.


LIVRE SEPTIEME.
Nécessité de croire à la naissance temporelle de Jésus-Christ.

CHAPITRE PREMIER. Dieu ; on voit qu'il est en même temps fils de


l'homme '
;
que selon la divinité, il n'a point
GÉNÉALOGIE DE JÉSVS-CHRIST REJETÉE PAR de parenté surla terre, et que selon la chair, il
FAUSTE. est de la race de David, ainsi que l'enseigne
l'Apôtre donc croire et comprendre
-. U faut
Fauste. Pourquoi ne croyez-vous pas à la
généalogie de Jésus ? —
Pour plusieurs rai- qu'il est sortidu sein du Père ', et est des-
sons et la principale, c'est que lui-même ne cendu du ciel % et que ce Verbe fait chair a
;

part avoir un père ou une parenté habité parmi les hommes ^ Pour soutenir
dit nulle
affirme au contraire qu'il n'est qu'il n'a eu sur la terre ni mère ni parenté ,
sur la terre ; il

du sein de s'appuiera-t-on sur ces paroles : « Qui est ma


pas de ce monde, qu'il est sorti
qu'il est descendu du ciel, qu'il « mère, et qui sont mes frères ^?» Mais il faut
Dieu le Père,
mère pour frères que ceux qui font aussi admettre que ses disciples, à qui il don-
n'a pour et
nait un exemple en sa personne, pour leur
lavolonté de son Père qui est dans les cieu.v.
apprendre à mépriser les liens du sang en vue
On voit d'ailleurs que ceux mêmes qui lui as-
signent une généalogie ne l'ont connu ni
du royaume des cieux, n'ont pas eu de père ,

puisqu'il leur a dit « N'appelez personne


avant sa naissance, ni aussitôt après, ce qui
:

concernant « votre père sur la terre, parce que


vous n'avez
eût autorisé a croire qu'ils ont écrit
avaient été les « qu'un père qui est Dieu ' ». Ce qu'il leur en-
sa personne les faits dont ils
seignait à faire par rapport à leurs pères, il
témoins oculaires; mais quand ils s'altacliè-
le faisait le premier pour sa mère et ses frères ;
rent u lui, il était parvenu à l'adolescence
et

environ trente ans, ainsi de tant d'autres circonstances


en est-il
même à l'âge \\n\ il avait :

blasphème assigner où il cà nous comme exemple à


se donnait
si toutefois on peut sans
une imiter, et où il marchait le premier, pour
un âge à une personne divine. Or, c'est
porte nous attirer à sa suite. Voyons comme Fauste
règle comnmne d'examiner si celui qui se
ou entendu ainsi défait avec sa raison péremptoire, se
comme témoin de la vérité, a vu ;

pas avoir traîne et s'embarrasse dans les autres. Il pré-


et comme les évangélistes ne disent
génération tend qu'on ne doit pas croire au récit des
appris de sa bouche la suite de sa
l'avoir vu Apôtres qui ont annoncé sa naissance divine
ou le fait même de sa naissance, ni
connu que et humaine, parce qu'ils ne se sont attachés à
de leurs yeux, puisqu'ils ne l'onl

longtemps après, cest-à-dire après sou bap- lui que plus tard, qu'ils ne l'ont point vu
naître, et qu'ils ne disent point avoir appris
tême, c'est pour moi et pour tout esprit vrai-
de sa bouche cette circonstance. Mais comment
ment judicieux une folie de croire tout cela,
ajoutent-ils foi, lui et les siens, à saint Jean,
égale à celle de celui qui dans une cause appel-
et un sourd. lorsqu'il dit a Au commencement était le
lerait en témoignage un aveugle
:

« Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe


CHAPITRE U. B était DÎL'u; il était au commencement avec
Dieu toutes choses ont été faites par lui, et
;

COMBIEN EST PITOYABLE l'aRGUMEKTATIOS DE « rien n'a été fait sans lui' ? » Comment
croient-
FAL'STE. plaisent, quoi-
ils d'autres passages qui leur

qu'ils n'y comprennent rien ? Qu'ils nous di-


Augustin. La principale raison qui fait re-
Jésus-Christ, sent où saint Jean a pu voir cela, où il assure
jeter à Fauste la généalogie de
suffit, pour s'en couvain- l'a\oir appris du Seigneur même. Quelle que
accuse sa défaite; il

haut soit, selon eux, la source où saint


Jean a pu
cre, de lire ce que nous avons dit plus

du fils de l'homme, litre que le Christ se


— H - Jcao, 28 -
du de

Malt u 6. ' Rom. i, 3 ; Tiin. ii, 8. ' .xvi,
~
donne si souvent à lui-même ', et Fils
• Id. vi. il. - ' Id. 1, 14- - ' M»"- »" **• - ' "• "'"• *•

' Jean, i. 1-3.


'
Mail, vin, 20.
LIVRE VII. — NAISSANCE TEMPORELLE DE JÉSUS-CHRIST. 173

puiser cette connaissance, nous croirons que qui était dans Manès le savait bien. Si cet es-
lesévangélistes ont pu aussi y apprendre la prit eût été l'Esprit-Saint, il eût dit la vérité.
naissance du Christqu'ils ont annoncée. Je leur Pourquoi, dans ce qui concerne le Christ, ne
demanderai ensuite le motif qui leur fait croire préférerions-nous pas nous en rapporter à ses
(|ue le Seigneur a dit: « Qui est ma mère, ou disciples (|ni ont vécu avant lui qui non-
, ,

«qui sont mes frères?» Si c'est parce que seulement ont pu apprendre de l'Esprit-Saint,
l'Evangéliste le rapporte ,
pourquoi ne le qu'il leur avaitcommuniqué, lescirconstances
croient-ils pas quand il dit que sa mère et ses naturelles qu'ils ignoraient, mais qui, avec les
frères le cherchaient '
? S'il est faux dans ce simples lumières de la raison, ont rassemblé
qu'ils refusent de croire, comment croient-ils ce qui touche à l'origine et à la parenté du
à son témoignage quand il affirme que le Christ Christ selon la chair, et dont la mémoire était
a dit ce qu'ils ne veulent pas comprendre? Si si récente et encore toute vivante ? Mais ces
saint Matthieu n'a pu connaître la naissance du Apôtres, on nous les donne comme des té-
Christ, parce qu'il ne s'est mis à sa suite que moins sourds et aveugles Que n'as-tu été, ô
!

plus tard, comment Manès, venu tant d'années Fauste, non-seulement aveugle et sourd, pour
après, a-l-il pu savoir que le Christ n'était pas ne pas apprendre tant d'inepties et de sacrilè-
né ? Ils diront sans doute que l'Esprit-Saint ges,mais encore muet, pour ne pouvoir les
' Malt. XTI, 18, 46. publier !
LIVRE HUITIEME.
Nouvelle objeclion contre l'Ancien Teslament. — Réfutation.

CHAPITRE PREMIER. « figures et elles ont été écrites pour nous


;

«qui sommes venus à la fin des temps' ».


LA PIÈCE DE DRAP NEUF ET LE VIEIL HABIT.
Nous ne sommes donc pas des esclaves accom-
Fausle. Pourquoi n'admettez-vous pas l'An- plissant des prescriptions qui figurent notre
cien Testament ? — Parce que j'ai été pré- condition présente, mais des hommes libres
venu par le Nouveau et entre l'Ancien et
: lisant ce qui a été écrit pour nous servir
le Nouveau il n'y a pas de liaison, comme de preuves. Qui ne comprend dès lors l'erreur
l'atteste l'Ecriture. Car, dit-elle, « personne ne d'oii l'Apôtre veut tirer les Calâtes, qui, au
« met une pièce de drap neuf à un vieil habit, lieu de lire religieusement le précepte de
a autrement on le décliirera davantage' ». l'Ecriture sur la circoncision, s'adonnaient à
Pour éviter de produire, comme vous le faites, la superstition en se faisant circoncire ? Non,

une plus grande scission, je ne môle point la nous ne mettons pas une pièce neuve à un
nouveauté chrétienne à la vétusté hébraïque. vieil habit mais nous nous instruisons de ce
;

Qui ne trouverait honteux, après avoir revêtu qui regarde le royaume des cieux, à l'exemple

des habits neufs, de ne pas laisser les vieux de ce père de famille dont parle le Seigneur,
au rebut ? Aussi, quand même je serais né et qui tire de son trésor des choses nouvelles

juif, comme les ai)ôtres, il eût été honorable et des choses anciennes ^ Celui-là mérite un
pour moi, en acceptant le Nouveau Teslament, tel continence
reproche, qui veut pratiquer la

de répudier l'Ancien, comme ils l'ont fait eux- spirituelle, sans renoncer tout d'abord aux

mêmes. Mais ayant reçu de la nature l'insigne espérances de la chair. Lisez attentivement et
bienfait de ne pas naître sous le joug de la considérez celte réponse du Seigneur à la
moi tout d'abord,
servitude, et voyant venir à question qu'on lui adressait sur le jeûne :

le don d'une liberté parfaite,


Christ avec le « Personne ne met une pièce de drap neuf à
ne serais-je point malheureux, insensé et « un vieil habit' ». Ses disciples ne l'aimaient
ingrat, de me vouer à l'esclavage ? Paul re- encore que selon la chair, car ils craignaient
proche aux Calâtes, revenant à la circon- qu'une mort violente ne vînt le leur ravir.
cision, de retourner à des observances légales Et il traite de Satan Pierre qui s'opposait à sa
si défectueuses et si impuissantes, auxquelles passion, parce qu'il ne goûtait pas les choses
ils voulaient de nouveau s'assujétir- : puis-je de Dieu, mais celles des hommes''. Vous donc
admettre ce que je vois condamner dans un qui, avec vos idées imaginaires sur le royaume
autre? S'il est honteux de rentrer en servi- de Dieu, aimez et adorez, comme un modèle
tude, il l'est davantage de s'y soumettre pour qui vous est proposé, cette lumière du soleil
la première fois. dont l'éclat frappe les yeux de la chair, recon-
naissez quelles espérances charnelles vous
CHAPITRE 11.
nourrissez vous verrez que vos jeûnes s'u-
;

PRÉCEPTES FIGURATIFS DE l'ANCIEN TESTAMENT.


nissent à la prudence de la chair, comme à
un vêtement usé. Et cependant, s'il est vrai
Augustin. Nous avons déjà suffisamment qu'une pièce neuve ne va pas à un vieil habit,
exposé pour (juel motif et en quel sens nous comment les membres de votre Dieu ont-ils
acceptons l'autorité de l'Ancien Testament, pu rester, non pas unis et attachés, mais, ce
non nous imposant la même servi-
comme (jui est plus étonnant, mêlés et confondus
tude (ju'aux Juifs, mais comme rendant té- avec les princes des ténèbres ? N'était-ce que
moignage à la liberté chrétienne. Ce n'est pas vétusté des deux parties, parce que toutes
moi, mais l'Apôtre qui dit « Toutes les : deux étaient fausses, toutes deux le fruit delà
« choses qui leur arrivaient étaient autant de prudence de la chair ? Peut-être vouliez-vous
'
Mail. IX, 10; Luc, v, .'ili. '
Gai. IV, V, '
I Cor. X, II.— ' Malt, xiii, 52.— ' Id. ix. 16.- ' Id. -w ,23.
LIVRE VIII. — OBJECTION CONTRE L'ANCIEN TESTAMENT. 475

prouver que l'une était neuve et l'autre vieille, c'est l'artisan grossier de telles fables, qui
parce qu'il s'est produit une plus grande dé- couvre sa misère de pareils oripeaux c'est!

chirure un misérable lambeau arracbé au


: lui qui croit atteindre avec adresse, des traits
royaume de la lumière était fixé pour un perçants de sa langue, les oracles qui sont la
châtiment éternel à l'abîme des ténèbres. Et base des divines Ecritures !
LIVEE NEUVIEME.
Autre objection contre l'Ancien Testament. — Réponse.

CHAPITRE PREMIER. « Si quelques-unes des branches ont été rom-


« si vous, olivier sauvage, avez été
pues, et
DEUX ARBRES.
« enté parmi celles qui sont demeurées, et

Pourquoi n'admeltez-vous pas l'An-


Faiisie. avez été rendu participant de la sève de
cien Teslanienl? —
Si les Apôlres, nés sous B l'olivier, vous ne devez pas vous élever de

son règne ont pu s'en séparer, pourquoi


,
« présomption contre les branches naturelles;

ne serais-je pas libre de ne pas admettre un « si vous avez cet orgueil, considérez que ce

Testament sous lequel je ne suis pas né ? Nous « n'est pas vous qui portez la racine, mais

naissons tous gentils, et non pas juifs, ni a que c'est la racine qui vous porte. Ces bran-

chrétiens ; du sein de cette même gentilité « ches, dites-vous, ont été rompues, afin que

les uns sont attirés par l'Ancien Testament je fusse enté à leur place. Il est vrai ; elles

(|ui les fait juifs, les autres par le Nouveau (' ont été rompues à cause de leur incrédulité.
qui les initie au clirislianisme : c'est comme « Mais pour vous, qui demeurez ferme par la
deux arbres, l'un doux amer, qui
et l'autre « foi, prenez garde à ne pas vous élever, et
puisent par leurs racines le suc d'une même « soyez dans la crainte. Car si Dieu n'a point

terre, qu'ils transforment selon leur nature « épargné les branches naturelles, il ne vous
respective. Quand les Apôtres passent de « épargnerait pas non plus. Considérez donc
l'amer au doux, quelle folie de ma part de « la bonté et la sévérité de Dieu : sa sévérité
(juilter le doux pour l'amer ? « envers ceux qui sont tombés, et sa bonté
« envers vous, si toutefois vous persévérez
CHAPITRE II.
« dans l'état où sa bouté vous a mis, autre-
ÊTRE EKTÉ SUR l'OLIVIER FRANC.
ment vous serez aussi retranché. Si eux-
« mêmes ne demeurent pas dans leur incré-
Augustin. Pourquoi donc l'Apôtre qui ,
dulilé, ils seront de nouveau entés sur leur
selon vous, a passé de l'amertume à la dou- « tige, puisque Dieu est assez puissant pour
ceur en quittant le judaïsme, nous représente- a les enter encore. Car si vous avez été déla-
l-il ceux d'entre le peuple qui ont refusé de ce ché de l'olivier sauvage, votre tige natu-
croire au Christ, comme des branches sépa- « relie . pour être enté contre votre nature
rées du tronc, et les gentils entés, comme un « sur l'olivier franc, à combien plus forte
olivier sauvage, sur la racine de l'olivier « raison les branches naturelles de l'olivier
franc, c'est-à-dire, sur la souche des saints 8 seront-elles entées sur leur propre tronc ?
hébreux, pour participer à la sève de cet oli- « Pour que vous ne soyez point sages à vos
vier ? Voulant avertir les Gentils de ne pas se a propres yeux, je ne veux pas, mes frères,
faire de la chute des Juifs un sujet de pré- « vous laissez ignorer ce mystère, qu'une
somption, il leur parle ainsi o Je vous dis, : a partie des Juifs est tombée dans l'aveugle-
« à vous qui êtes gentils, que tant que je serai « ment, jusqu'à ce que la i)lénitude des Gen-
« l'Apôtre des Gentils, je travaillerai à rendre a tils soit entrée dans l'Eglise, après quoi tout
a n)on ministère glorieux je m'elTorcerai;
« Israël sera sauvé' ». Vous donc qui ne vou-

« d'exciter l'émulation dans l'esprit de ceux lez pas être entés sur celte racine, reconnaissez
<( (jui me sont unis selon la chair, afin d'en que vous n'êtes pas même du nombre des ra-

« sauver quelques-uns. Si leur ré|)robatiou meaux détachés, comme les juifs charnels et
« est devenue la réconciliation du monde, im[iies, mais que vous èles demeurés sur l'o-
a (jue sera leur rappel, sinon un retour de la livier sauvage. Car que rappelle l'adoration
« mort à la \ie ? Si les prémices des Juifs du soleil et de la lune, sinon l'olivier des
« sont saintes, la masse l'est aussi ;
et si la Gentils ? Peut-être croyez-vous ne plus appar-
a racine est sainte, les rameaux le sont aussi. • Rom. XI, 13-2(i.
LIVRE IX. — L'OLIVIER FRANC. 177

tenir à cet olivier sauvage, parce que vous y sespère pas des rameaux qui ont été déta-
avez ajouté des épines d'une nouvelle espèce, chés, il ajoute im peu plus loin : « Si eux-
et que de votre cœur, non le
la perversité « mêmes ne demeurent pas dans leur in-
travail de vos mains, a forgé un faux Christ « crédulité, ils seront de nouveau entés sur
que vous deviez adorer avec le soleil et la « leur tige, car Dieu est assez puissant pour
lune. Laissez-vous donc enter sur la raciue « les y enter encore. Car si vous avez été dé-
de l'olivier franc, grâce dont se réjouit pour « taché de l'olivier sauvage, votre tige natu-
lui-mêine l'Apôtre, qui par son incrédulité « relie,pour être enté contre votre nature
avait été au nombre des rameaux brisés. Il «sur l'olivier franc, à combien plus forte rai-
fut délivré, dit-il, en passant du judaïsme au « son les branches naturelles de l'olivier se-

Christ, parce que le Christ a toujours été « ront-elles entées sur leur propre tronc o !

annoncé en cette racine et en cet arbre ceux ; Tel est le privilège dont se glorifie l'Apôtre,
qui n'ont pas cru en lui à son apparition, en qui de rameau brisé , était redevenu une
ont été détachés et ceux qui ont cru y ont
; branche puisant à la sève de l'olivier. Qu'ils
été entés. C'est à ceux-ci qu'il est dit, pour reviennent donc ceux d'entre vous que leur
les prémunir contre la présomption « Pre- : impiété en a séparés, pour y être entés de
« nez garde de vous élever mais soyez
, nouveau. Et que ceux qui n'y ont jamais été
« dans la crainte si Dieu n'a pas épargné
; unis, se détachent de leur tige sauvage et
« les branches naturelles, il ne vous épar- stérile, pour participer à la fécondité de l'oli-

« gnera pas non plus ». Et pour qu'on ne dé- vier.

S. AuG. — Tome XIV. 12


LR'RE DIXIEME.
Eiifore des préceptes fignralifs.

CHAPITRE PREMIER. droit vous appropriez- vous l'AncienTestamert,


dont vous n'observez pas les préceptes? je lui
PROMESSES TEMPORELLES COMEMES DANS L' .AN-
répondrais que les chrétiens eux-mêmes ob-
CIEN TEST.\MENT.
servent les préceptes de vie pratiquequi y
Faiistc. Pourquoi ne recevez -vous pas sont renfermés, mais que l'observation des
l'Ancien Testament ? — Parce qu'il m'ap- préceptes symboliques n'avait sa raison d'être
(irend, aussi bien que le Nouveau, à ne jias qu'à l'époque où ils figuraient les mystères
convoiter le bien d'autrui. — Mais, dites- qui sont maintenant dévoilés. S'ils ne font
vous, quel est le bien d'autrui que renferme pas partie de mon culte religieux, je les ad-
l'Ancien Testament ? — Dites plutôt ce qu'il mets cependant comme autant de témoi-
renferme qui ne soit pas à autrui. 11 promet gnages , ainsi que les promesses charnelles
bonne chère, de nombreux
les richesses, la qui ont fait donner le titred'Ancien à ce Tes-
descendants, une longue vie, et avec cela le tament où elles sont renfermées. Même après
royaume de Chanaan mais ces promesses s'a- ; la révélation des biens éternels proposés à
dressent à ceux qui reçoivent la circoncision, mon lis la preuve dans ces
espérance, j'en
qui observent le sabbat, ([ui offrent des sacri- promesses qui « leur étaient données comme
fices, qui s'abstiennent de la chair de porc, etc. « autant de ligures ; elles ont été écrites pour

Ainsi que tout clirélien laissant de côté toutes « nous qui vivons à la fin des temps ' ». Voilà

ces pratiques ridicules qui n'ont aucune effi- ce que nous répondons aux Juifs; voici main-
cacité pour le salut de l'âme, je reconnais que tenant ce que nous objectons aux Manichéens.
toutes les promesses qui y sont attachées ne
me regardent pas, et je me rappelle le com- CHAPITRE III.

mandement : « Vous ne convoiterez pas » le


LES M.\N1CBÉENS ET LE NOUVEAU TESTAMENT.
bien d'autrui '. Je laisse volontiers aux Juifs
les biens qui leur appartiennent, et je me con- Fauste prétend que nous serions fort em-
tente de l'Evangile seul et du splendide héri- barrassés si les Juifs venaient nous dire :

tage du royaume des cieux. Car si je pouvais Comment admettez-vous r.\ncicn Testament
adresser ce reproche à un juif qui revendi- dont vous ne gardez pas les préceptes ? Notre
querait pour lui l'Evangile Impudent, quel : réponse est dans la vénération et la soumis-
droit avez-vous sur cet Evangile dont vous sion que nous professons pour l'autorité de

n'observez pas les commandements ? ne dois- cette partie de l'Ecriture. Mais vous, qu'avez-
je ])as craindre que ce même juif ne me fasse vous à répondre, quand on vous dit Com- :

le même reproche, si je m'approprie l'An- ment admettez vous l'Evangile dont vous fei-
cien Testament, dont je méprise les pré- gnez d'être les ardents sectateurs pour trom-
ceptes ? per les ignorants, tandis que, non-seulement
CHAPITRE II. vous ne croyez pas ce qui y est écrit, et que
même vous l'attaquez de toutes vos forces?
CES PROJIESSES SONT DES FIGURES.
Certes, l'objection est plus insoluble pour
Augustin. Si Fauste n'a pas honte de repro- vous relativement au Nouveau Testament ,

duire sans cesse les mènies inepties, je me que pour nous par rap|)ort à l'Ancien. Car
fatigue d'avoir à donner toujours, même nous professons que tout ce que renferme
pour la vérité, les mêmes réponses. Pour l'Ancien Testament est vrai, prescrit par
trouver celle qui a trait à ces objections, on n'a Dieu, et établi selon l'opiiortunilé des temps.
(|u'a lire ce que nous avons dit plus liaut -.
Et quand ou vous objecte les oracles du Nou-
Quant au juif qui viendrait me dire : De quel veau, vous les récusez sans pouvoir répondre;
• ExoU. »x, 1' i
Rom- VII, 7. — ' Lib. VI, cap. ii. • I Cor. X, 11.
LIVRE X. — PROMESSES TEMPORELLES. in
pressés par l'évidence de la vérité, vous es- mais on attendait que la race adversaire com-
sayez péniblement de soutenir qn'ils sont fal- mençât elle-même les hostilités, pour l'atta-
sifiés. Quelle autre raison peut-on attendre quer avec une plus grande apparence de jus-
d'esprits fourbes à qui on a fermé la bouclie? tice. Si elle est mauvaise, pourquoi votre
Ou plutôt, quelle autre exhalaison peut s'é- Dieu a-t-il voulu, après la victoire, étendre
cliapper de cadavres que l'on transperce ? Et son règne sur une terre étrangère, quand
cependant Fauste avoue que ce n'est pas seu- auparavant, content de ses limites, il jouissait
lement le Nouveau Testament, mais encore d'une félicité parfaite ? Que les Manichéens
l'Ancien qui lui a enseigné à ne pas convoiter ne veulent-ils apprendre de l'Ancien Testa-
le bien d'autrui, maxime qu'il ne pourrait ment les préceptes de vie pratique, dont fait
recevoir de son Dieu. Si ce Dieu, en effet, n'a partie celui-là même qui nous défend de con-
pas désiré le bien d'autrui, pourquoi a-l-il voiter le bien d'autrui Revenus à des senti-
!

formé des siècles nouveaux sur la terre des ments plus calmes et plus modérés, ils com-
ténèbres, oîi ils n'avaient jamais existé? Dira- prendraient que l'observalion des préceptes
t-il La race des ténèbres la première a con-
: symboliques, qu'ils décrient avec tant d'a-
voité mon royaume qui lui était étranger? mertume, avait sa raison d'être dans ces
Il l'a donc imitée, en désirant lui-même ce temps antérieurs. Pour nous, l'Ancien Testa-
qui ne lui appartenait pas? Le royaume de ment est-il un bien étranger, puisque nous y
la lumière était-il donc trop resserré ? La lisons « les choses qui leur arrivaient eu
guerre était donc à désirer, pour trouver « figure, et qui ont été écrites pour nous, qui
dans la victoire le moyen de reculer les bor- « vivons à la fin des temps?» Est-ce désirer le

nes de son empire? Si la cliofe est bonne, bien d'autrui que de lire ce qui est écrit pour
(^lle était d'abord l'objet d'un légitime désir; soi ?
LIVRE ONZIÈME.
Incarnation de Jésus-Clirisl. — Fauste soutient que saint Paul n'a pas enseigné l'Incarnation du Christ ou bien , qu'il a ensuite
rejeté ce premier enseignement. —
Saint Augustin démontre l'absurdité de cette opinion.

CHAPITRE PREMIER. « lorsque je suis devenu homme, je me suis


« défait de tout ce qui tenait de l'enfant ». '

OPINION DE FAUSTE.
S'il en est ainsi, peut-on nous reprocher d'em-

Fauste. Recevez-vous l'apôtre saint Paul? brasser cette nouvelle profession de foi de
— Assurément. — Pourquoi donc ne croyez- l'Apôtre qui est la meilleure, et de rejeter
vous pas que le Fils de Dieu est né de l'autre qui est défectueuse? S'il vous plaît à
la race de David selon la chair ? Je ne ' — vous de croire selon ce qu'il écrit aux Ro-
pouvais croire que l'Apôtre se lût contredit mains, pourquoi ne nous serait-il pas permis
lui-même dans ses écrits, en professant des d'enseigner selon ce qu'il écrit aux Corin-
sentiments différents sur la personne du Sei- thiens? Cette manière de vous répondre n'est
gneur. Mais puisque cela vous plaît ainsi, et qu'une concession que je fais à l'obstination
qu'on ne peut, sans vous effaroucher, vous de votre esprit. Car loin de la pensée de l'A-
parler d'interpolation dans les écrits de l'A- pôtre de renverser jamais ce qu'il a établi,
pôtre, je soutiens néanmoins qu'il n'y a rien dans la crainte de se constituer lui-même
là d'opposé à nos doctrines. Paul , comme ]irévaricateur, ainsi qu'il le proteste ^. Si tou-
tant d'autres, avait pensé que Jésus était fils tefois cepremier sentiment est de il est lui,
de David ;première et son an-
c'était là sa maintenant réformé et s'il n'est pas possible
;

cienne opinion sur personne du Seigneur;la qu'une erreur soit sortie de la bouche de
mais à peine en a-t-il découvert la fausseté, Paul, il ne lui appartient pas.
qu'il la réforme et la rejette il écrit aux Co- ;

rinthiens « Nous ne connaissons, dit-il, per-


:
CHAPITRE H.
« sonne selon la chair et ; si nous avons connu COMMENT ACCUSER LE TEXTE SACRÉ D'ÊTRE INTER-
« le Christ selon la chair, maintenant nous
POLÉ ?
ne le connaissons plus de cette sorte ». Re-
marquez toute la différence qui existe entre Augustin. Voilà bien ce que je disais plus
ces deux chapitres, dans l'un desquels il pro- haut quand l'évidence de la vérité ferme
:

fesse que Jésus est lils de David selon la chair, la bouche à nos adversaires et que la ,

etdans l'autre il afhrme qu'il ne connaît plus clarté éblouissante du texte sacré ne laisse
personne selon la chair. S'ils sont tous les aucune issue à leur fourberie, ils répondent
deux de Paul, ils ne peuvent l'être que de la que le passage qu'on leur oppose est faux.
manière que je viens de dire autrement l'un ; esprits ennemis de la vérité, obstinés dans
ou l'autre est apocryphe. 11 ajoute «C'est pour- : leur Les témoignages des divines Ecri-
folie I

« quoi si quelqu'un est devenu une nouvelle tures que nous opposons à vos doctrines sont
« créature en Jésus-Christ, il a déposé ce qui tellement irréfragables, que vous ne savez que
« était vieux, et tout s'est renouvelé en lui -
», répondre, sinon qu'ils sont falsiiics. Quelle
Vous voyez que l'Aiiôlre appelle ancienne et autorité invoquer, quel témoignage de livre
transitoire celle foi par kKjuelle il croyait d'a- sacré ou profane produire jiour combattre
hord que Jésus est issu de la race de David vos erreurs, si un semblable raisonnement
sitlon la chair ; nouvelle au contraire et per- doit être admis, s'il peut avoir le moindre
manente, celte autre foi en vertu de laquelle poids? Qu'on ne re{,'oive point un livre, et
il ne connaît plus personne selon la chair. ()u'on en décline absolument l'autorité, comme
C'est ce qui lui fait dire ailleurs : « Quand le font les païens pour tous nos livres saints,
« j'étais enfant, je jiarlais en enfant, je jugeais les Juifs pour le Nouveau Testament, comme
a en enfant, je raisonnais en enfant ; mais nous le faisons nous-mêmes pour les vôtres

Hom. 1, 3. — Il Cor. V, 17. • Cur. xiu, 11. —
I
Galat. M, 18.
'
LIVRE XI. REALITE DE L'INCARNATION. 181

et ceux que patronnent les autres sectes héré- bre ou de date plus récente; et si enfin le
tiques, ou pour ces livres qui sont réputés doute subsiste encore, on aura recours à la
apocryphes, lesquels n'ont aucun titre d'au- langue originale sur laquelle la traduction a
torité même de toute
secrète, et qui, privés été faite. C'est ainsi que procèdent ceux qui
preuve certaine d'authenticité, sont sortis de veulent résoudre les difficultés qu'ils rencon-
je ne sais quelle plume inconnue, on de quels trent dans les saintes Ecritures appuyées sur
esprits présomptueux; ne pas admettre, dis- une si grande autorité ils y trouvent une ;

je, l'autorité de certains livres ou de certains source de lumières et non une matière à
hommes, c'est chose bien différente que de chicane.
dire : Tout ce qu'a écrit cet homme juste est CHAPITRE III.

la vérité; de cette lettre mais


il est l'auteur ;
NIER l'incarnation C'EST REJETER SAINT PAl'L.
dans cette même lettre ceci est de lui, et cela
n'en est pas. Si on vous invite à le prouver, Ce passage de l'Epître de saint Paul, que
au lieu d'en appeler à des exemplaires plus nous opposons à, votre doctrine impie, et selon
fidèles, plus nombreux, plus anciens, ou ap- lequel le Fils de Dieu est de la race de David
partenant à l'idiome sur lequel la traduction selon la chair, se lit dans tous les exemplaires
a été faite, direz-vous que ceci
: Je prouve de toutes les langues, anciens et nouveaux, et
est de que cela n'en est pas, parce que
lui, et dans toutes les églises. Jetez donc ce masque
cette partie est conforme à ma doctrine, et trompeur, sous lequel Fauste, se donnant un
que l'autre y est contraire? Etes-vous donc interlocuteur qui luidemande Recevez-vous :

la règle de la vérité ? Tout ce qui sera contre l'apôtre Paul,répond Oui, je le reçois. Pour- :

vous, ne sera donc pas vrai ? Qu'un adver- quoi ne pas dire Non, sinon parce que sa :

saire, par une folie semblable à la vôtre, et fausseté ne pouvait donner qu'une réponse
cependant bien propre à briser votre opi- fausse ? Qu'admet-il de saint Paul ? Ce n'est
niâtreté,vienne vous dire Tout au contraire, : pas le premier homme que cetAjiôtre dit être
ce qui vous favorise est faux, et ce qui vous terrestre et formé de la terre, et dont il dit
est opposé est vrai, que ferez-vous? Vous ailleurs « Adam le premier homme a été
:

produirez peut-être un autre livre où tout ce a créé avec une àme vivante ' » . Fauste nous
que vous lirez puisse s'interpréter dans votre parle de je ne sais quel premier homme, non
sens? Si vous le faites, votre adversaire non- , terrestre ni formé de la terre, ni créé avec
seulement sur un passage en particulier, mais une âme vivante, mais formé de la substance
sur tous, vous contredira en s'écriant Votre : divine, Dieu lui-même, lequel unit ses mem-
livre est faux. Que faire ? Quelle raison invo- bres, ou ses vêtements, ou ses armes, c'est-à-
quer? quelle origine, quelle antiquité, quelle dire, les cinq éléments qui n'étaient autres que
preuve de tradition constante assigner à. votre la substance divine, à la race des ténèbres,
livre ? Essayer ne serait de votre part qu'une pour les enchaîner à la corruption. Ce qu'il

vaine tentative. Jugez quelle est sous ce rap- reçoit de saint Paul ce n'est pas non plus ,

port la puissance de l'autorité de l'Eglise ca- l'homme second que l'Apôtre dit être descendu
tholique, qui a pour fondement inébranlable du ciel, qu'il appelle le second Adam rempli
la succession non interrompue des évèques d'un esprit vivificateur % qu'il enseigne avoir
depuis les Apôtres jusqu'à nos jours, et le été formé de la race de David selon la chair,
consentement unanime de tant de peuples. formé de la femme, et assujéti à la loi, pour
Ainsi, qu'une controverse s'élève sur la fidé- racheter ceux qui étaient sous la loi ', dont il
lité des exemplaires, dont quelques-uns ren- parle ainsi à Timothée « Souvenez-vous que :

ferment des maximes différentes, peu nom- « Jésus-Christ, né de la race de David, est res-

breuses d'ailleurs et bien connues de ceux « suscité d'entre les morts, selon l'Evangile
qui font une étude particuUère des divines « que je prêche ' ». C'est sur sa résurrection
lettres , la question sera trancliée d'après (|u'il s'appuie pour annoncer la nôtre: «Je
les exemplaires des autres pays d'où nous est V vous ai enseigné tout d'abord ce que j'avais
venue la doctrine sacrée; si les mêmes di- « moi-même reçu, savoir, que Jésus-Christ est
vergences s'y rencontrent , exemplaires
les « mort pour nos péchés, selon les Ecritures ;

plus nombreux ou plus anciens feront foi


• I Cor. XV, 15. - '
I Cor. XV, 17. _ • Galat. iv, 4,5.—
préférablemenl aux autres en i)lus petit nom- Il Tim. 11, S.
.

182 COxNTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

a qu'il a clé enseveli, et qu'il est ressuscité le de même que sur le Thabor, le Christ ne déposa
« troisième jour, selon les mêmes Ecritures». point ses vêtements pour en prendre d'autres,
Un peu plus loin il donne la raison de cet en- mais Dt resplendir ceux qu'il portait d'une lu-
seignement : B Puis donc qu'on vous a prêché mière céleste. « Voici», dit l'Apôtre, « un
« que le Christ est ressuscité d'entre les morts, a mystère que je vais vous dévoiler nous :

« comment parmi vous des


se trouve-t-il « ressu.^citerons tous, mais nous ne serons pas

« personnes qui osent dire que les morts ne «tous changés». Et pour ne laisser aucun
a ressuscitent point ? » Or, Fauste, qui vous
'
doute sur ceux qui seront ainsi transformés :

répond de la manière la plus affirmative, «En un moment », poursuit-il, « en un clin


lorsque vous lui demandez s'il reçoit l'apôtre « d'œil,au sou de la dernière trompette, car la
saint Paul, Fauste nie tout cela il ne croit ; «trompette sonnera, tous les morts ressuscite-
pas à Jésus issu de la race de David et formé «ront dans un état incorruptible, et nous serons
d'une femme que l'Apôtre désigne ainsi, non changés ». On dira, peut-être, qu'à la résur-
pour laisser entendre qu'elle ait perdu sa pu- rection, cette transformation s'opérera, non
reté dans l'union charnelle ou l'enfantement, dans notre corps mortel et corruptible, mais
mais pour se conformera l'usage des Ecritures dans notre âme. Mais l'Apô'.re n'entendait pas
qui donnent toujours le nom de femme à ce ici parler de l'âme dès le début il montre ;

sexe, ainsi que le fait la Genèse en parlant qu'il est question du corps , car c'est ainsi
d'Eve, avant qu'elle fût connue d'Adam. « 11 qu'il entre en matière : « Mais, dira quel-
« en formala femme ». Il n'admet ni la mort, - B qu'un , comment les morts ressuscitent-
ni la sépulture, ni la résurrection du Christ; il « ils?Quel sera le corps dans lequel ils revien-
prétend qu'il n'eut jamais de corps mortel su- « dront ? » Il indi(iue par là très-clairement ce

jet à une mort véritable que ces cicatrices ;


dont il veut parler, et aussi il ajoute « Il faut :

qu'il montra à ses disciples, lorsqu'il leur ap- a que ce corps corruptible soit revêtu de
parut plein de vie après sa résurrection, ainsi «l'incorruptibilité, et que ce corps mortel
que le rapporte saint Paul, n'étaient que des «soit revêtu de l'immortalité ». Or, quand '

cicatrices apparentes que notre chair ne


^
;
Fauste nie toutes ces vérités, quand il soumet
ressuscitera point, pour devenir un corps spi- à la corruption Dieu lui-même, dont Paul a
rituel, comme l'enseigne le même Apôhe: «11 dit « Honneur et gloire à Dieu seul, qui est
:

« est terre comme un corps animal, et il


mis en « immortel et incorru[ilible », quand, selon -

« ressuscitera comme un corps spirituel » Dis- . les abominables et sacrilèges rêveries de la

tinguant ensuite entre le corps animal et le secte, il enseigne que Dieu a craint de voir sa

corps spirituel, l'Apôtre expose ce que j'ai substance et sa nature tout entière souillée par
rapporté plus haut du premier et du second larace des ténèbres, et qu'il en a livré une
Adam. Puis il en infère : « .le vous dis ceci, partie à la corruption pour préserver l'autre,
a mes frères, parce que la chair et le sang ne comment ose-t-il encore essayer de tromper
peuvent pas posséder le royaume de Dieu »
« les ignorants, et les esprits moins familiarisés
On eût pu croire que la forme ni la substance avec les divines Ecritures, et répondre, (|uand
de la chair ne peuvent ressusciter il explique ;
on lui demande s'il reçoit l'apôtre saint Paul,

alors ce qu'il entend par la chair et le sang, qu'il l'admet absolument, tandis qu'il n'en est
c'est-à-dire la corruption elle-même, dont la rien ?
résurrection des justes sera exempte il le dé- ;
CHAPITRE IV.

clare immédiatement « La corruption ne :

SAINT PAUL EST-IL TOMBÉ DANS L'ERREUR ?


possédera point cet héritage incorruptible ».
Et dans la crainte que quelqu'un ne vienne a Mais dit-il , je puis démontrer , par une
,

penser que ce n'est pas le corjjs même confié preuve irréfragable, ou que saint Paul par la
à la terre qui ressuscitera, et que nous ne fai- suite a changé de sentiment, et réformé dans

sons, pour ainsi dire, que déposer un vête- son Epître aux Corinthiens la pensée émise

ment pour en recevoir un autre meilleur, il dans fépître aux Romains, ou qu'il n'a jamais
s'attache à démontrer clairement ([ue le corps écrit lui-même ces i)aroles(iu'on lui prèle, (jue

même sera transformé en un état plus glorieux, le Fils de Dieu est né de la race de David selon
la chair. Et quelle est cette preuve '?
C'est, ré-
' I Cor. XV, 3, 4, 12. — '
Gcn. », . — '
Luc, XAIV, 39, 10

1 Cor. IV, 5.
i

'
1 Cor. Xï, 33-53. — = 1 Tiin. 1, 17.
LIVRE XI, REALITE DE L'INCARNATIOiX. 183

pond-il, qu'on ne peut admettre comme vrais mais laissent la liberté de son jugement.
lui
en même temps ce passage de TEpitre aux Ro- H avantageux qu'ils pussent se produire,
était

mains : « Touchant son Fils qui lui est né se- et que dans la suite des temps les écrivains
« ion la chair, du sang de David », et cet fissent servir le talent précieux
de la parole et
autre de l'Epître aux Corinthiens : « C'est de composition à traiter et à élucider les
la
« pourquoi nous ne connaissons plus personne questions difficiles mais à côté de ces écrits
;

« selon la chair et si nous avons connu le


, s'élève et domine l'autorité canonique de
« Christ selon la chair; nous ne le connaissons l'Ancien et du Nouveau Testament, autorité
a plus maintenant de cette sorte ^ ». Il nous confirmée du temps des Apôtres, et formant,
reste donc à démontrer que ces deux passages par la succession des évoques et la diffusion
sont également vrais, et ne renferment aucune des églises, comme un tribunal supérieur de-
contradiction. vant lequel doit s'incliner toute intelligence
Nous ne pouvons convenir que l'un des pieuse et fidèle. Là, s'il s'offre quehjue absur-
deux ne soit pas de l'Apôtre, car en ce point dité apparente, il permis de dire L'au-
n'est pas :

tous les exemplaires sont unanimes. Quelques teur de ce livre s'est mais
écarté de la vérité ; :

exemplaires latins portent, il est vrai, « né C'est l'exemplaire qui est défectueux, ou l'in-
« de la race de David » au lieu de l'expression , terprète qui s'est trompé ou le lecteur qui ne
«formé de, etc..» qui setrouve dans les exem- comprend jias. Quant aux livres des écrivains
plaires grecs mais on voit que l'interprète
; postérieurs, dont le nombre est infini, mais qui
latin s'est attaché plus au sens qu'au terme, ne peuvent se comparera l'excellence sacrée des
et d'ailleui's tous les exemplaires de toutes Ecritures canoniques, quand même ils s'accor-
les langues s'accordent à dire que le Christ deraient tous à enseigner la même vérité, leur
est issu du sang de David selon la chair. autorité reste toujours bien inférieure. Le lec-
D'un autre côté, loin de nous d'admettre ja- teur ou l'auditeur qui croit y découvrir des
mais que saint Paul soit tombé dans l'erreur passages en opposition avec la vérité, peut-être
ou qu'il ait cru devoir réformer son senti- parce qu'il ne saisit pas la jiensée de l'auteur,
ment. Fauste lui-même a seuti tout ce qu'il conserve la liberté de son jugement pour ap-
y aurait d'injurieux et d'impie dans une pa- prouver ce qui lui plaît, et rejeter ce qui le
reille assertion et il a mieux aimé soutenir
, choque et à moins qu'un argument irré-
;

que cette lettre de l'Apôlre avait été falsifiée fragable, ou l'autorité canonique de l'Ecriture
par des mains étrangères, plutôt que de la sup- ne vienne appuyer les enseignements ou les
puser entachée d'erreur en sortant des siennes. récits contenus dans ces ouvrages, et en démon-
trer la certitude ou la possibilité, on peut, sans
CHAPITRE V.
être digne de censure, refuser son assentiment

ON DOIT CHERCHER A CONCILIER LES PAS- ou sa foi. Bien différente est l'autorité cano-
SAGES OPPOSÉS EN APPARENCE. nique de nos livres saints quand même,
;

d'après le témoignage de celte autorité même,


On peut admettre que nos livres saints ren- un prophète, un apôtre, ou un évangéliste eût
ferment certains passages qui semblent être été seul à enseigner ce qu'il a consigné dans
en contradiction avec quelque vérité dont le ses écrits, il ne serait pas permis de le révo-
sens est très-obscur et difûcile à saisir ; con- quer en doute autrement il n'y aura plus
;

tradiction qui n'a pas encore été éclaircie, ou aucune page qui ne puisse servir de règle à la
que des écrivains postérieurs, comme nous, faiblesse et à l'ignorance de l'esprit humain,
ont fait disparaître dans leurs ouvrages, qu'ils si une fois l'autorité salutaire des livres cano-

composent, non comme règles de foi, mais ni(|ues est complètement renversée parle mé-
comme exercices propres à développer l'intel- pris, ou éludée par la chicane.
ligence de la vérité. Car nous sommes du
nombre de ceux à qui l'Apôtre fait cette re- CHAPITRE VI.

mar(|ue vous avez quelque sentiment


: « Si
SAIM PAUL n'est PAS EN CONTRADICTION
« Dieu vous découvrira ce que vous
ditférent.
AVEC LUI-MÊME.
« devez en penser - ». Ces écrits n'imposent

nullement au lecteur une croyance nécessaire, Vous donc, qui que vous soyez, qui avez cru
' 11 Cor. V, 1«. — Philip, m, \h. voir une flagrante contradiction dans ces deux
184 CONTRE FArSTE, LE MANICHÉEN.

passages : « Le Dieu de la race de Da-


Fils 'de disait : « Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni
a vid » ; et : nous avons connu le Christ
« Si « chair ni os, comme vousvoyezquej'enai'» ;

«selon la chair, maintenant nous ne le con- ce qu'il désigne, c'est la corruption et la mor-
« naissons plus de cette sorte », quand même talité de la chair qui n'existeront plus en nous,
ils ne seraient pas tirés tous deux des lettres comme elles ne sont plus dans le Christ. C'est

du même Apôtre, mais que l'un serait de Paul, bien là ce qu'il entendait par la chair, quand,
l'autre de Pierre, ou d'Isaïe ou de quel- , au sujet de la résurrection, ainsi que nous
que autre apôtre ou prophète, il ne vous serait l'avons remarqué précédemment, il s'expri-
pas permis de révoquer en doute ni l'un ni mait d'une manière si claire « La chair et le :

l'autre, puisque tel est l'enchaînement des a sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu ;

écrits canoniques en toutes leurs parties, que « et la corruption ne jouira pas de l'incorrup-

la piété la plus juste et la plus sage les admet, tibilité ». Quand donc sera accompli ce(ju'ii

l'esprit le plus éclairé les perçoit, et l'étude annonce ensuite: «En un moment, en un clin
la plus attentive les démontre comme autant « d'oeil, au son de la dernière trompette, car

d'oracles émanés de la même bouche. Mainte- « la trompette sonnera, tous les morts ressus-

nant qu'ils sont tirés l'un et l'autre des Epîtres « citeront dans un état incorruptible, et nous

canoniques de Paul, c'est-à-dire des Epîtres qui « serons changés; il faut que ce corps corrup-

sont certainement de lui maintenant qu'on


; « tible soit revêtu de l'incorruptibilité, et que

ne peut prétendre que l'exemplaire est défec- « ce corps mortel soit revêtu de l'immorta-
tueux, puisque tous les exemplaires latins « lité ^ »; alors n'existera plus cette chair par
corrigés portent de même, ni que l'interprète laquelle il désigne, non lasubstance du corps,
s'est trompé, puisque tous les meilleurs exem- mais corruption de la mortalité, qui dispa-
la

plaires grecs sont conformes, il vous reste, à raîtra dans cette heureuse transformation ;

vous, d'avouer que vous ne comprenez pas, et mais bien la chair qui constitue la nature et
à moi, de vous montrer comment ces deux pas- la substance du corps, puisque c'est celle-là

sages ne sont nullement en contradiction, même qui doit ressusciter et être changée.
mais s'accordent parfaitement selon les règles On ne peut nier, en effet , ni ce que dit
les pins saines de la foi. Si la piété inspirait le Seigneur après sa résurrection « Tou- :

votre étude, elle découvrirait aussi à vos pro- a chez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni

pres yeux sur ce point la véritable lumière. « os, comme vous voyez que j'en ai » ni ce ;

que dit l'Apôtre « La chair et le sang ne:

CHAPITRE Vil. a peuvent posséder le royaume de Dieu ».

D'une part, il s'agit de la substance même de


NE PAS CONNAÎTRE LE CHRIST SELON LA CHAIR.
la chair, laquelle subsistera toujours, puisque
Que le Fils de Dieu se soit fait homme dans c'est elle qui sera changée ; et de l'autre, de
la racede David, c'est ce que le même apôtre l'état corruptible, lequel aura cessé, puis-
enseigne en plusieurs endroits , et ce que qu'une fois transformée, la chair ne sera plus
d'autres écrivains sacrés proclament de la sujette à la corruption. « Nous avons donc
manière la plus formelle. Quant à ces paroles : « connu le Christ selon la chair », c'est-à-dire,

« Si nous avons connu le Christ selon la chair, selon la mortalité de la chair avant sa résur-
maintenant nous ne le connaissons plus de rection ; « mais maintenant nous ne le con-
R cette sorte », l'endroit même d où elles sont « naissons plus de cette sorte », parce que,
tirées montre assez clairement quelle est la comme le dit l'Apôtre, « le Christ ressuscité

pensée de rA|)ôtre. Notre vie future, dès « d'entre les morts ne meurt plus, et la mort
maintenant réalisée dans sa plénitude en « n'aura plus d'empire sur lui ^ ».

l'homme médiateur, Jésus-Christ notre Chef Si le Christ n'a jamais existé selon la chair,

ressuscité, il l'envisage avec une certitude d'es- vous en tenir à la rigueur des termes, c'est
pérance aussi pleine que si elle lui était pré- faire mentir l'Apôtre quand il dit « Nous :

sente et qu'il en jouît déjà et cette vie, connue


;
(Iavons connu le Christ selon la ciiair» com- ;

celle du Christ, ne sera plus selon la chair. ment connaître ce qui n'eï^t pas? Il ne dit
Par la chair, il n'entend pas ici cette substance pas Nous avons pensé que le Christ existait
:

de notre corps que le Seigneur, même après selon la chair; mais, nous avons connu At ne
sa résurrection, appelait sa chair, quand il ' Luc, .\xiv, .». — = I Cor. XV, 50-53. — ' Koin. vi, M.
LIVRE XI. — RÉALITÉ DE L'INCARNATION. 183

veux cependant pas presser sur les mots, pour « patience ' » . L'Apôtre ne dit pas
Nous :

qu'on ne puisse pas soutenir qu'il y a ici abus serons sauvés, mais Nous sommes dès main- :

de langage de la part de l'Apôtre qui, au lieu tenant sauvés, non en réalité, mais en espé-
de l'expression noxis avotîs pensé, a employé : rance, ainsi qu'il s'exprime de même faut-il ;

celle-ci Nous avoîis connu. Ce qui m'étonne,


: entendre ces autres paroles « Nous ne con- :

c'est que des hommes aveugles ne voient pas, « naissons plus personne selon la chair», non
ou plutôt je serais étonné s'ils le voyaient, que en réalité, mais en espérance; parce que notre
s'il faut croire que le Christ n'a pas eu une espérance repose dans le Christ, et qu'en lui
chair véritable, par cette raison que l'Apôtre se trouve déjà accompli ce qui fait l'objet de
a dit qu'il ne connaissait plus maintenant le notre espérance. Déjàil est ressuscité, et il ne

Christ selon la chair, il faut admettre qu'ils sera plussoumis à l'empire de la mort. Il est
n'ont pas en de chair non plus, ceux dont vrai qu'avant sa mort nous l'avons connu
il dit au même endroit : « C'est pourquoi selon la chair, puisqu'à son corps était inhé-
«nous ne connaissons plus maintenant per- rente cette mortalité que l'Apôtre désigne
« sonne selon la chair ». Sans restreindre sous le nom de chair ; mais nous ne le con-
sa pensée au Christ seul, il pouvait dire : naissons plus de cette sorte ; son corps mortel
a Nous ne connaissons personne selon la a revêtu l'immortalité, et ne peut plus être
(( chair » mais envisageant comme présente
; appelé chair comme dans son premier état.
la vie future dont il devaitjouir avec ceux qui
seront transformés à la résurrection « Main- :
CHAPITRE VIII.

« tenant, dit-il, nous ne connaissons plus per-


PBEUVE TIRÉE DU CONTEXTE.
« sonne selon la chair » c'est-à-dire, l'espé- ;

rance de notre incorruptibilité et de notre Pour faire ressortir davantage la vérité de


immortalité future est si certaine en nous, ma pensée, examinons l'ensemble du texte où
que dès maintenant cette seule pensée nous est renfermé cet oracle, dont nos adversaires
remplit de joie. C'est ce qui lui fait dire ail- tirent leurs fausses inductions « La charité
:

leurs 8 Si vous êtes ressuscites avec le Christ,


: «de Jésus-Christ nous presse », dit l'Apôtre,
« recherchez les choses du ciel, où le Christ est « considérant que si un seul est mort pour
« assis à la droite de Dieu n'ayez de goût ; « tous , tous aussi sont morts ; or , Jésus-
a que pour les choses du ciel, et non pour « Christ est mort pour tous, atin que ceux (jui
« celles de la terre » Nous ne sommes pas '
. « vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes ,

encore évidemment ressuscites comme le « mais pour celui qui est mort et qui est res-
Christ et cependant l'espérance que nous
; « suscité pour eux. C'est pourquoi nous ne
avons dans le Christ, fait dire à l'Apôtre que « connaissons plus personne selon la chair ;

nous sommes déjà ressuscites avec lui. De « et si nous avons connu Jésus-Christ selon la

là encore « Dans sa miséricorde, il nous


: « chair, nous ne le connaissons plus mainte-

«a sauvés par l'eau de la régénération^». « nant de cette sorte ». 11 est de toute évidence

Qui ne sait que, dans le bain régénérateur, que dans ces dernières paroles, l'Apôtre avait
nous avons reçu l'espérance du salut futur, en vue le Christ ressuscité, comme l'insinuent
et non le salut lui-même, qui est l'objet de la celles qui précèdent « Afin que ceux qui :

promesse ? Et cependant, comme cette espé- « ne vivent plus pour eux-mêmes


vivent,
,

rance est certaine « Il nous a sauvés », dit : « mais pour celui qui est mort et qui est res-

l'Apôtre, comme si nous étions déjà en pos- « suscité pour eux ». Qu'est-ce à dire, « qu'ils

session du salut. C'est ainsi qu'il s'exprime «vivent non pour eux-mêmes, mais pour
«Nous gémissons
ailleurs avec tant de clarté: « celui, etc. », sinon qu'ils vivent, non selon
« en nous-mêmes, attendant l'effet de notre la chair, dans la convoitise des biens terrestres
«adoption, la rédemption de nos corps, car et corruptibles,mais selou l'esprit, dans l'es-
« nous sommes sauvés en espérance. Or, l'es- pérance de la résurrection déjà réalisée pour
« pérance qui se voit n'est plus espérance : eux dans la personne du Christ? C'est pour-
« quel est en etlet celui qui espère ce qu'il quoi l'Apôtre ne connaissait personne selon
« voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne la chair, parmi ceux pour qui Jésus-Christ est
« voyons pas encore nous l'attendons avec , mort et ressuscité, et qui vivent, non pour
' Coloss. m, 1, 2.— '
Tit. m, 5. '
lîom. VIII, 23-25.
,

186 CONTRE FAUSTE, LE MANICHEEN.

eux-mêmes, mais pour lui, cl cela eu égard Ces mots : « Nous a vivifiés dans le Christ »
à l'espérance de l'immortalité future qu'ils ont le même sens que ces autres adressés aux
attendaient : attente qui n'était plus, en Jésus- Corinthiens : « Afin que ceux qui vivent, ne
Ciirist,une espérance, mais une réalité et si ; « vivent plus pour eux-mêmes , mais pour
l'Apôtre l'avait connu selon la cliair avant sa « Celui qui est mort |)our eux, et qui pour
mort, maintenant il ne le connaissait plus de « eux est ressuscité ». Quant aux paroles sui-
cette sorte, sachant qu'il était ressuscité, et vantes : « Par la grâce duquel nous sommes
que la mort ne devait plus avoir d'empire sauvés », elles semblent indiquer que notre
sur lui. salut est un fait accompli, tandis qu'il l'est
Et comme c'est là ce que nous sommes en seulement en esjiérance. Ne dit-il pas expres-
lui, sinon encore en réalité, du moins en sément ailleurs comme je l'ai rappelé un ,

espérance, il ajoute : « Siquelqu'un est en peu plus haut « C'est en espérance que nous :

Jésus- Christ ,
il est devenu une nouvelle « sommes sauvés ? » Aussi poursuit-il, et con-

« créature, ce qui est vieux est passé, tout est tinuant à représenter l'avenir comme déjà
« devenu nouveau. Et ce tout vient de Dieu, réalisé: « Dieu, dit-il, nous a ressuscites avec
« qui nous a réconciliés avec lui-même par « lui, et nous a fait asseoir en même temps

« Jésus-Christ ' ». Ainsi donc, toute créature « dans les cieux en Jésus Christ ». Le Christ,

nouvelle en d'autres termes,


, le peuple renou- sans aucun doute, siège maintenant dans le
velé par la loi, afin de posséder en espérance ciel, mais pas encore nous. Cependant, comme

ce que plus tard il possédera complètement notre espoir est assuré, et nous met en quelque
en réalité, trouve dans le Christ ce qu'il attend sorte entre les mains ce dont nous ne joui-
pour lui-même. Donc encore, si « tout ce qui rons que plus tard, l'Apôtre a pu dire que dès
«est vieux est passé», c'est dans l'objet de maintenant nous siégeons dans le ciel, non
l'espérance , car nous ne sommes plus à pas en nous-mêmes, mais dans la personne
l'époque de l'Ancien Testament, où l'on atten- du Fils de Dieu. Aussi, pour écarter l'erreur
dait de Dieu un royaume éphémère el charnel ;
et empêcher de considérer comme accompli

et si « nouveau », c'est aussi


tout est devenu réellement ce qui ne l'est qu'en espérance et
dans l'objet de l'espérance, car elle nous atta- ne le sera que plus tard en réalité, il continue
che aujourd'hui à la promesse d'un royaume de la manière suivante « Pour manifester :

des cieux, d'oîi seront bannies la corruption « dans les siècles à venir les richesses surabon-

el la mort. A la résurrection des morts, néan- « dantes de sa grâce, par la bonté qu'il a pour

moins, ce ne sera plus dans l'espérance, mais « nous dans le Christ Jésus ». '

dans la réalité, que ce qui est vieux passera, A notre interi)rétation se rapportent aussi
jjuisque notre ennemie dernière, la mort, sera ces mots : « Lorsque nous étions dans la chair,
complètement anéantie, el que tout sera re- « les passions du péché, éveillées par la loi,
nouvelé, puisque, corruptible, ce corjis revêtira « agissaient dans nos membres jusqu'à leur
l'incorruptibilité, et mortel, l'immortalité-. «faire porter des fruits de mort^». — «Lors-
Transformation heureuse accomplie dès , « que nous étions dans la chair », ne semble-
maintenant dans le Christ aussi était-ce en : t-il pas exprimer qu'on n'y était plus? Mais
réalité que saint Paul ne le connaissait plus voici le sens Lorsque nous vivions encore:

selon la chair; taudis que c'était en espérance avec l'espoir des biens terrestres, à l'époque où
simplement qu'il ne connaissait plus selon la la loi, qu'il est impossible d'accomplir sans la

chair aucun de ceux pour qui Jésus est mort charilé spirituelle, pesait sur eux el aboutis-
et pour qui il est ressuscité. C'est par sa grâce sait à multiplier leurs fautes, puisqu'ils l'en-
effectivement, comme l'écrit le même Apôtie freignaient; aussi a-t-il fallu qu'en ouvrant
aux Ephésieus, que nous sonnnes sauvés. par bonté un Nouveau Testament, Dieu fit
Ce nouveau passage conlirme noire senti- surabonder la grâce'. La même idée est con-
ment le voici « Mais Dieu, qui est riche en
; : tenue dans cette phrase d'une autre Epîlre :

«miséricorde, |)ar le grand amour dont il M Ceux qui sont dans la chair, ne sauraient

« nous a aimés, el lors(|ue nous étions morts « plaire a Dieu». Ce qui prouve qu'il ne s'agit

« par nos péchés, nous a vivifiés dans le Christ, pas ici de ceux qui ne sont pas encore morts,
« par la grâce duquel nous sommes sauvés ». c'est ce qu'ajoute l'Apôtre « Pour vous, vous :

' 11 Cor. V, 11-1«. — ' 1 Cur. XV, :26, M. '


K|ilics. 11, 1-7. — Hom. vil, 5 — ' Hom. v, 20.
.

LIVRE XI. - RÉALITÉ DE L'INCARNATION. 187

« n'êtes pas dans la chair, mais clans l'esprit » ' rieux le merveilleux changement que les
En d'autres termes ceux qui vivent dans
: autres attendaient seulement, et parce qu'il
l'espoir des biens charnels ne sauraient plaire leur était promis? Ah combien il est préfé- !

à Dieu or, vous n'avez pas, vous, cet espoir


;
rable, combien il est plus religieux, quand on
des biens matériels, mais l'espérance des biens étudie les divines Ecritures, de tout approfon-
spirituels, ou du royaume des cieux, au sein dir pour les mettre d'accord entre elles, (|ue
duquel le corps lui-même, grâce à sa trans- de les louer ici comme vraies, et de les con-

formation, sera devenu comme spirituel, d'ani- damner là comme fausses, pour n'avoir pas
mal qu'il est aujourd'hui. « On le sème corps assez travaillé à dilucider une question qui
« animal », dit le même Apôtre aux Corin- paraît insoluble ! Eh ! quand l'Apôtre lui-
thiens, « il lèvera corps spirituel - ï<. même était enfant et n'avait qu'une sagesse
Maintenant, si l'Apôtre ne connaissait plus d'enfant ', ce qu'il disait toutefois par compa-
selon la chair aucun de ceux qu'il assure ne raison, il n'avait pas atteint encore le degré
vivre plus dans la chair, en ce sens qu'ils ne d'élévation spirituelle où il était monté quand,
nourrissaient plus l'espoir des biens charnels, pour l'édiOcation des églises, il écrivait, non
tout revêtus qu'ils fussent encore de leur chair pas des livres destinés aux exercices et aux
corruptible et mortelle; à combien plus forte progrès littéraires des iiommes studieux, mais
raison ne pouvait-il pas dire du Christ, qu'il des Epîtres pleines d'autorité, destinées à être
ne le connaissait plus selon la chair, lui lues et observées comme tout ce que contient
qui possède réellement dans son corps glo- le canon ecclésiastique.
' Rom. TUI, 8, 9. — ' I Cor. xv, 44. ' I Cor. iiii, U.

Ces onze jjremiers livres sont traduits par M. l'abbé HCSSENOT.


LIVRE DOUZIEME.
Les personnages et les faits de l'Aucien Testament sont tous prophétiques. Démonstralion par une foule d'exemples
tirés des hommes et des clioses.

CHAPITRE PREMIER. « pas, mes œuvres » 11 ne dit pas Si


croyez à '
. :

vous ne me
croyez pas, croyez aux Prophètes.
POURQUOI FAUSTE REJETTE LE TÉMOIGNAGE DES Nous n'avons donc besoin d'aucun autre té-
PROPHÈTES SUR LE CHRIST. moignage sur notre Sauveur; nous cherchons
Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas les simplement dans les Prophètes des exemples
Prophètes? —
Dis plutôt toi-même, si tu le de vie honnête , la sagesse et la vertu ; tu

peux, pourquoi nous devons recevoir les Pro- n'ignores pas, je le sais, que les prophètes
phètes. A cause, observes-tu, des témoignages juifs n'ont rieneu de cela: car comme jeté de-
prophétiques qu'ils ont rendus du Christ. mandais pourquoi tu penses que nous devons
n'en point trouvé, malgré la les recevoir, tu as habilement et poliment
Pour moi, je ai

grande attention et la vive curiosité que j'ai passé leurs œuvres sous silence pour ne l'oc-

mises à les lire. Mais au fond, c'est le signe cuper que de leurs prédictions oubliant ,

d'une foi bien faible que de ne pas croire au ce qui est écrit Qu'on ne cueille pas de rai-
:

Ne sins sur des épines ni de figues sur des


Christ sans témoin et sans preuve. dites- ,

vous pas souvent ne faut vous-mêmes, qu'il ronces ^ Voilà pourquoi j'ai répondu caté-

rien scruter avec trop de curiosité parce ,


goriquement et avec précision à ta question :

que la foi du chrétien doit être simple et Pourquoi nous ne recevons pas les Prophètes?
absolue? Pourquoi donc détruisez -vous ici Du reste les ouvrages de nos pères ont abon-
celte simplicité de la foi, en l'appuyant sur damment démontré qu'ils n'ont rien prophé-
preuves et des témoins, et sur des té- tisé touchant le Christ. Et pour mon compte,
des
moins renonçant à cette pre-
juifs? Que si, j'ajouterai que si les prophètes hébreux ont

mière manière vous passez à la


de voir ,
connu et annoncé le Christ, en menant une
seconde iiuel témoin
: vous semblera plus sûr vie aussi criminelle, on peut justement leur

que Dieu lui-même, disant de son Fils, non appliquer ce que saint Paul dit des sages des
par uu interprète, mais nations « Parce que, ayant connu Dieu, ils
par un prophète, ni :

du « ne l'ont pointgloriUé comme Dieu, ou ne lui


par une voix descendue ciel, alors qu'il
Celui-ci est mon « ont pas rendu grâces, mais ils se sont perdus
l'envoyait sur la terre : «

croyez à sa parole '? Le B dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été
« Fils bien-aimé ;
»

aussi de lui-même « Je suis « rempli de ténèbres' «.Vous voyez donc que


Sauveur a dit :

de mon Père et je suis venu dans le c'est peu d'avoir eu de grandes connaissances,
« sorti
d'autres choses de ce si on n'y a conformé sa conduite.
« monde ' » ;
et bien

genre. Sur quoi les Juifs indignés lui disaient :

CHAPITRE II.
« C'est vous qui rendez témoignage de vous-

« même; votre témoignage n'est pas vrai » ; LES PROPHÈTES ONT ANNONCÉ LE CHRIST : LEURS
et il leur répondait : a Bien que je rende té- PRÉDICTIONS NOUS SONT UTILES : ILS ONT VÉCU
« moignage de moi-même, mon témoignage d'une MANIÈRE CONFORME A LEUR DIGNITÉ.
« est vrai, parce que je ne suis pas seul. Car
« il est écrit dans votre loi que le
témoignage Augustin. Fauste dit tout cela pour nous
« de deux hoimues est vrai. C'est moi qui persuader ou ijuc les prophètes hébreux
:

« rends témoignage de moi-même, mais il n'ont rien prédit du Christ; ou que leurs
« rend aussi témoignage de moi, mon Père prédictions, s'ils en ont fait, sont sans utilité

» qui m'a envoyé ' ». 11 ne parle pas des Pro- pour nous; ou que leur conduite n'a pas
phètes. De plus, il invoque le témoignage répondu à leur dignité de prophètes. Nous
même de ses œuvres: « Si vous ne me croyez démontrerons donc qu'ils ont prophétisé lou-
'
Mail, m, 17 ; Luc, ix, 35.— Jean, xvi, 28. — ' Id. viii, 13-ie.
'
Jean, x, 38. — '
Mail, vu, 16. — ' Rom. l, 21.
LIVRE XII. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 189

chant le Christ, que leur témoignage nous est «Dieu béni dans les siècles'». Que peut-
d'un grand secours pour établir et affermir on dire de plus explicite , déclarer de plus
notre foi, et qu'ils ont vécu comme il conve- exprès, recommander de plus saint ? Com-
nait à des prophètes. La première de ces trois ment, en effet, les Israélites ont-ils été adoptés,
questions serait longue à traiter, si je voulais si ce n'est par le Fils de Dieu ? Voilà pourquoi
produire les passages de tous ces livres où le l'Apôtre dit aux Calâtes: a Mais lorsque est
Christ a été prédit mais j'écraserai du poids
;
« venue la plénitude du temps. Dieu a envoyé
de l'autorité l'inconséquence de mon adver- « son Fils, formé d'une femme, soumis à la
saire. Il rejette les prophètes hébreux, mais il « loi, pour racheter ceux qui étaient sous la
confesse qu'il reçoit les Apôtres. Or, écoulons « loi, pour que nous reçussions l'adoption des
ce que dit de ces prophéties l'apôtre Paul (Paul enfants - ». Et quelle est leur gloire, sinon
dont Fauste, se demandant à lui-même s'il le surtout celle dont parle le même Paul aux

recevait, a répondu « Sans aucun doute


: » '
: mêmes Romains : « Qu'est-ce donc que le Juif
« Paul, serviteur de Jésus-Chrisl,appelé à l'apo- « a de plus? ou de quoi sert la circoncision ?
« stolat, choisi pour l'Evangile de Dieu, qu'il <!Beaucoup, de toute manière. Premièrement,
« avait promis auparavant par ses prophètes « parce que c'est à eux (aux Juifs) que les
a dans les saintes Ecritures, touchant son Fils a oracles de Dieu ont été confiés * ». Que nos

« qui lui est né de la race de David selon la adversaires cherchent quels sont ces oracles
a chair-». Que veut de plus notre adver- de Dieu confiés aux Juifs, et qu'ils nous les
saire ? A moins iju'il ne prétende peut-être montrent ailleurs que dans les prophètes hé-
qu'il s'agit ici de quelques autres prophètes, breux. Ensuite, pourquoi l'Apôtre dit-il que les
et non des hébreux? Nous pourrions dire que deux Testaments appartiennent principale-
quels que soient ces prophètes, l'Evangile n'en ment aux Israélites, sinon parce que l'Ancien
a pas moins été promis touchaut le Fils de Testament leur a été accordé et qu'il contient
Dieu qui né de la race de David selon
lui est le Nouveau en figure? Quant à l'établissement

la chair. Evangile pour lequel l'Apôtre se dit de la loi qui a été donnée aux Israélites, nos
choisi et la perfidie de nos adversaires serait
: hérétiques ont l'habitude de déchaîner contre
déjà confondue, puisque c'est sur la foi de cet elle leur aveugle fureur, parce qu'ils n'en
Evangile que nous croyons que le Fils de Dieu comprennent pas le but providentiel, parce
est né de la race de David selon la chair. Ce- qu'ils ne savent pas que Dieu ne nous veut
pendant, faisons-leur voir plus clairement que plus sous le joug de la loi, mais sous l'empire
c'est très-certainement des prophètes hébreux de la grâce. Qu'ils s'inclinent donc devant
que rend témoignage ce même Apôtre dont l'autorité de l'Apôtre, qui, en louant les Israé-
l'autorité confondra leur oi'gueil. lites et en constatant leur supériorité, compte
parmi leurs biens propres l'établissement de
CHAPITRE III. la loi. Or, si la loi était mauvaise, il ne leur
en ferait pas un honneur. Et si elle n'annon-
TEXTES DE SAINT PAUL ; PAROLES DE JÉSCS-CHRIST
çait pas le Christ, le Seigneur lui-même ne
SCR MOÏSE ET LES PROPHÈTES.
dirait pas « Si vous croyiez Moïse
: vous ,

« ne mens
Je dis la vérité dans le Christ : je a me croiriez aussi * » ; et après sa résurrec-
« pas, ma conscience me rendant témoignage tion, il ne pas ce témoignage
lui rendrait :

« par l'Esprit-Saint, qu'il y a une grande fris- « 11 fallait que fût accompli tout ce qui est
a tesse en moi, et une continuelle douleur « écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les

a dans mon cœur. Car je désirais ardemment « Prophètes et dans les Psaumes ^ ».
« d'être moi-même anathème à l'égard du
CHAPITRE IV.
a Christ pour mes frères, qui sont mes proches
« selon la chair, qui sont les Israélites, aux- LES MAMCHÉENS s'OBSTINENT A ADMETTRE UN
« quels appartiennent l'adoption, et la gloire, FAUX CHRrST ET A REJETER LE VÉRITABLE.
« et les testaments, et l'établissement de la foi,
« et le culte et les promesses; dont les pères Mais comme les Manichéens prêchent un
« sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le autre Christ, non celui qu'ont prêché les
« Christ qui est au-dessus de toutes choses, 1,5.— — Rom. —
' Rom. lï, ' Gai. IV, 4, 5. ' nt, 1, 2. * Jean, v,

Voir plus haut, liv. XI. — • Rom. i, 1-3. 46. — ' Luc, iïIV, 44.
190 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Apôtres, mais le leur propre, un Clu-ist impos- vérité, prédit parles prophètes, prêché parles
leur, inventé par le mensonge, dont les parti- Apôtres, lesquels ont appuyé leur prédication
sans connaissent iiarfailement la fausseté en sur le témoignage de la loi et des Prophètes,
mentant eux-mêmes (à moins que, dans leur ainsi en mille endroits.
qu'ils le font voir
impudence ils ne veuillent être crus sur jta-
, C'est ce que Paul a exprimé avec beaucoup de

role quand ils se reconnaissent disciples


,
vérité et en très-peu de mots, quand il a dit :

d'un imposteur) il leur est arrivé ce que : « Mais maintenant la justice de Dieu a été ma-

l'Apôtre dit des Juifs infidèles : a Lorsqu'ils « nifestée, sans la loi, étant confirmée par la

«lisent Moïse, ils ont un voile posé sur le « loi et par les Prophètes'» .Or, quels prophètes,
« cœur » ne leur est pas en-
; et ce voile sinon ceux dos Israélites, auxquels il déclare
levé, parce qu'ils ne peuvent comprendre ouvertement qu'appartiennent les Testaments,
Moïse qu'en passant au Christ, non au Christ l'établissement de la loi et les promesses ?

qu'ils ont forgé dans leurs rêves mais à ,


Et quel est l'objet de ces promesses, sinon
celui que les projihètes héhreux ont prédit. le Christ? C'est ce qu'il indique brièvement
Car le même Apôtre ajoute : « Mais lorsque ailleurs, quand il dit, en parlant du Christ :

« vous aurez passé au Seigneur, le voile sera «En effet, toutes les promesses quelconques
« enlevé ». El il n'est pas étonnant qu'ils ne
' «de Dieu sont en lui^». Paul me dit que
croient au Christ ressuscité et disant
pas : l'établissement de la loi appartient aux Israé-
« Il fallait que fût accompli tout ce qui est lites. Il dit encore « Car la fin de la loi est
:

« écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les « le Christ, pour justifier tout croyant ^ » Il dit .

« Prophètes et dans les Psaumes», quand le de plus en parlant du Christ «En eUét, toutes :

Christ lui-même a rapporté ce qu'Ahraham Clles promesses quelconques de Dieu sont en

réi'Ondit à un riche sans pitié et tourmenté « lui ». Et vous m'avancez que les prophètes

dans les enfers, qui le priait d'envoyer quel- Israélites n'ont rien préditdu Christ? Que me
qu'un à ses frères pour les avertir de ne ])as reste-t-ildonc à faire sinon de choisir entre
venir dans ce lieu de tortures. « Ils ont Moïse croire à Manès qui me débile une longue et
« et les Prophètes » répondit Abraham , ;
fabuleuse histoire contre Paul ou à Paul qui ;

«qu'ils les écoutent». Et le mauvais riche me crie « Si quelqu'un vous annonce un


:

ayant dit qu'ils ne croiraient pas, si quelqu'un « autre évangile que celui que nous vous

ne ressuscitait d'entre les morts, il lui fut ré- « avons annoncé, qu'il soit anathème ' ? »

pondu avec une grande vérité: « S'ils n'écou-


« tentpointMoïseetles Prophètes, quand même CHAPITRE VI.

« quelqu'un des morts ressusciterait, ils ne croi- TOUTES LES NATIONS ÉTANT BÉNIES DANS LE
« raient pas-». Aussi ces hérétiques n'écoutant CHRIST, FILS d'aBRAHAM, IL EST DONC LE VRAI
ni Moïse »1 les Prophètes, non-seulement ne
CHRIST.
croient pas au Christ ressuscité d'entre les

morts, mais ne veulent absolument pas croire On nous dira peut-être Montrez-nous oii :

que le Christ soit ressuscité d'entre les morts. le Christ a été prédit par les Prophètes Israé-
Or, comment croiraient-ils à sa résurrection, lites? comme si c'était une mince autorité
quand ils ne croient pas à sa mort ? com-
Et que celle des Apôtres, quand ils nous disent
ment croiraient-ils à sa mort ,
quand ils que ce que nous avons lu dans les livres des
ne croient ]>as qu'il ait pris un corps mortel? Prophètes israéliles s'est accompli dans le
Christ ou celle du Christ lui-même qui at-
;

CHAPITRE V.
teste que c'est de lui que cela a été écrit. Par
conséquent, si quelqu'un ne peut donner cette
NOUS AVONS LE VRAI CHRIST ANNONCÉ PAR LES
démonstration c'est une preuve que sou
PROPHÈTES. FAIT - IL CROIRE iMANÈS OU PAUL ,

intelligence est en défaut : car ni les Apôtres,


l' APOTRE ?
ni le Christ, ni les saints livres ne mentent.
Pour nous, nous ne croyons pas à ces par- Cependant, pour ne pas trop m'étendre et pour
tisans mcnleurs, non d'un Christ imposteur, me borner à un seul point, je citerai ce que
mais d'un Christ qui n'a pas même existé. l'Apôtre a dit a la suite, dans le même pas-
Car nous avons le Christ vrai, enseignant la sage « La parole de Dieu ne peut rester sans
:


11 Cor. m, 15, 16. — ' Luc, xvl, 27, 31. • Rom. 111, 21.— ' Il Cor. i, 20.— ' Rom. .v, 1.- ' Gai. i, 9.
LIVRE XII. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHETIQUES. 191

« effet car tous ceux qui descendent d'Israël


; grande partie de ces choses ont une forme
« ne sont pas Israélites; ni ceux qui appar- allégoriiiue et énigmatique, et sont présentées
« tiennent à la race d'Abraham ne sont pas tantôt sous le voile des paroles, tantôt sous
tous ses enfants mais c'est en Isaac que sera
;
l'exposé du fait. Cependant, s'il n'y avait rien
« la postérité ; c'est-à-dire, ce ne sont pas les de clair, le sens des passages obscurs ne se
« enfants selon la chair qui sont enfants de comprendrait plus. Du reste, si on réunit dans
« Dieu, mais ce sont les enfants de la pro- un ensemble et comme en un contexte tout
« messe qui sont comptés dans la postérité ' ». ce qui est enveloppé sous les ligures, il en
Une répondront-ils à cela, quand il est dit résulte un tel accord de témoignages en faveur
clairement ailleurs, à Abraham, à propos de du Christ, que le sourd le plus obstiné est
cette postérité « Toutes les nations de la terre
: forcé de rougir.
« seront bénies dans fa postérité -? » En effet,
s'il s'agissait, dans notre discussion, du temps
CHAPITRE Vlll.

où l'Apôlre écrivait : « Les promesses ont été LES SEPT JOURS DE LA CRÉATION FIGURENT LES
« faites à Abraham et à celni qui naîtrait de SEPT AGES DU MONDE. .AD.iM ET ÈVE , FIGURE
M lui ; il ceux qui naîtront,
ne dit pas : A DU CHRIST.
« comme parlant de plusieurs, mais comme

a d'un seul Et à celui qui naîtra de toi


:
,
Dieu, d'après la Genèse, a achevé toute son
« c'est à-dire au Christ^» peut-être aurait-on : œuvre en six jours et s'est reposé le septième '.

quelque raison de ne pas croire avant de voir Les opérations divines désignent les six âges
toutes les nations avoir foi au Christ que l'on que le genre humain doit parcourir dans la
annonce comme étant de la race d'Abraham. succession des siècles le premier depuis
:

Mais maintenant que nous Toyous l'accom- Adam jusqu'à Noé ; le second, de Noé à Abra-
plissement de ce qui a été prédit si longtemps ham le troisième, d'Abraham à David le
; ;

d'avance, maintenant que toutes les nations quatrième, de David à la transmigration de


sont déjà bénies dans la postérité d'Abraham, Babylone ; le cinquième, de la transmigration
à qui on avait dit, deux mille ans aupara- de Babylone à l'humble avènement de Notre-
vant « Toutes les nations
: seront bénies Seigueur Jiisus-Christ; le sixième, qui court
« dans ta postérité» qui sera assez opiniâtre ;
maintenant, doit s'étendre jusqu'au jour où le
dans sa folie pour tenter d'introduire un Très-Haut viendra juger les hommes mais le ;

autre Christ qui ne soit pas de la race d'Abra- septième s'entend du repos des saints, non
ham, ou pour prétendre que les prophéties pendant cette vie, mais dans l'autre, là où le
des Hébreux, de ce peuple, dont Abraham est mauvais riche, tourmenté dans les enfers, a
le père, n'ont rien prédit sur le véritable Christ? vu reposer le pauvre Lazare'; là où le jour
n'a plus de déclin, parce que rien n'y est im-
CHAPITRE VIL parfait. D'après la Genèse encore, l'homme est
"

formé le sixième jour à l'image de Dieu ^ au :


LES PROPHÉTIES RELATIVES AU CHRIST SONT KO.M-
sixième âge du monde apparaît notre restau-
BREISES, EN PARTIE ALLÉGORIQUES, EN PARTIE
ration dans le renouvellement de l'espiit,
VERBALES , EN PARTIE EXPRIMÉES PAR DES
selon l'image de celui qui nous a créés, ainsi
FAITS ; MAIS TOLTES TENDENT AU MÊME BIT,
que le dit l'Apôtre '. L'homme s'est endormi
QUI EST LE CHRIST.
et, de sou côte, est formée la femme le Christ '':

Or, qui pourrait, je ne dis pas dans une meurt et l'Eglise est formée du sacrement du
courte réponse, telle que je suis obligé de la sang qui coule du flanc de la victime \ Eve,
donner dans ce livre, mais dans le volume le qui a été formée du côte de son épou.x, est ap-
plus considérable, (|ui pourrait, dis-je, rap- pelée vie et mère des vivants et le Seigneur :

peler toutes les choses glorieuses que les pro- dit dans l'Evangile « Si quelqu'un ne mange
:

phètes hébreux ont dites de Nolre-Seigueur et « pas ma chair et ne boit pas mon sang, il

Sauveur Jésus-Christ, alors que tout ce qui est a n'aura pas la vie en lui' ». Tout ce qu'on lit

contenu dans leurs livres est dit de lui ou en là, étudié avec soin et en détail, parle par an-

vue de lui? Mais pour exercer le iecteur.ttlui ticipation du Christ et de l'Eglise, soit dans
procurer le plaisir de la découverte, la plus
'Gen. II, 1,2. — ' Luc, ivi, 23. — ' Gen. i, 27. — '
Col. m, 10.
» Rom. lï, 6-8. — = Gen. ixvi, 4. — ' Gai, m, IG. — ' Gen. u, 22. — ' Jean, xis, 3^4. — ' Jean, vi, 5J.
102 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

les bons, soit dans les mauvais chrétiens. Ce leur disait : « Ce ne sont pas ceux qui se por-
n'est donc pas en vain que l'Apôtre a dit : « tenl bien qui ont besoin de médecin, mais
« Adam qui est la figure de l'avenir '
» ; et « malades je ne suis pas venu appeler les
les ;

encore : « L'homme laissera son père et sa « mais les pécheurs à la pénitence »


justes, '
;

mère et s'attachera à sa femme, et ils seront et encore « Quiconque commet le péché, est
:

«deux en une seule chair. Ce sacrement est « esclave du péché» puis: « Si le Fils vous ;

«grand», ajoute l'Apôtre, a je dis dans le meten liberté, vous serez vraiment libres ^a :

« Christ et dans l'Eglise ' » . Car qui ne voit que si,dis-je, ils eussent écoulé ces paroles, ils

le Christ a ainsi laissé son l'ère, «lui qui, étant eussent tourné leur péché contre eux-mêmes
« dans la forme de Dieu, n'a pas cru que ce en s'accusant et en disant au médecin, comme
«fût une usurpation de se faire égal Dieu à ;
il est écrit dans le psaume : « J'ai dit : Sei-
« mais qui s'est anéanti lui-même, prenant la « gneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon
« forme d'esclave ' » qu'il a aussi quitté sa ;
« âme, parce que j'ai péché contre vous ' »,
mère, la synagogue des Juifs, charnellement et,devenus libres, ils eussent, par l'espérance
attachée à l'Ancien Testament et qu'il s'est de la grâce, dominé ce même péché tant qu'il
uni à l'Eglise, son épouse, atin d'être deux était dans leur corps mortel. Mais mainte-
en une seule chair, dans la paix du Nouveau nant, ignorant la justice de Dieu et voulant
Testament ? En effet, comme il est Dieu dans le établir la leur*, enflés des œuvres de la loi,

Père par qui nous avons été faits, il est devenu, ne s'humiliant point de leurs péchés, ils n'ont
par l'Incarnation, participant à notre nature, pas trouvé le repos et, le péiihé régnant dans ;

afin que nous puissions être un corps l'ayant leur corps mortel de manière à ce qu'ils obéis-
pour chef. sent à ses convoitises ^ ils se sont heurtés
CHAPITRE IX. contrejla pierre de l'achoppement " ils se sont ;

enflammés de haine contre celui dont ils


l'infidélité de caïn, image de l'infidélité
voyaient les œuvres agréées de Dieu ils se ;

du peiple juif.
sont irrités, quand l'aveugle-né, qui voyait
Comme le sacrilice de Caïn, composé des enfin, leur disait « Nous savons que Dieu :

fruits de la terre, est réprouvé, et que celui « n'exauce point pécheurs mais si quel- les ;

d'Abel, formé des brebis et de leur graisse, est « qu'un l'honore et fait sa volonté, c'est celui-
accepté : ainsi la foi du Nouveau Testament, « là qu'il exauce ' », comme s'il leur eût dit :

qui loue Dieu par l'innocence de la grâce, est Dieu ne regarde pas le sacrifice de Caïn, mais
préférée aux œuvres terrestres de l'Ancien il regarde le sacrifice d'Abel. Ainsi Abel, le

Testament parce que, quoique les Juifs les


;
plus jeune, est tué par son frère aîné ; le

aient d'abord bien faites, ils sont cependant Christ, chef d'un peuple plus jeune, est mis à
coupables d'infidélité pour n'avoir pas, à l'ar- mort par le peuple Juif, plus ancien : l'un est
rivée du Christ, distingué l'époque du Nouveau tué dans la campagne, l'autre sur le Calvaire.

Testament de celle de l'Ancien. Dieu dit en


effet à Caïn « Si tu offres bien et que tu di-
:
CHAPITRE X.
« vises mal, tu pèches ». S'il avait écouté ce AUTRE RAPPROCHEMENT ENTRE CAÏN ET LE
que Dieu lui disait « Tiens-toi en repos il : ;
PEUPLE JUIF.
« se tournera contre toi et tu l'3 domineras »,

il eût tourné le péché de son côté, en se l'at- Dieu interroge Cnïn, non comme un igno-
tribuant et en le confessant devant Dieu et, ;
rant qui veut apprendre mais comme un ,

par là, aidé du secours de la grâce, il l'eût juge qui doit punir un coupable il lui de- :

dominé, au lieu d'en être dominé, et il n'eût mande où est son frère. Caïn répond qu'il ne
point tué son frère innocent, après être de- le sait pas et qu'il n'est pas son gardien.

venu l'esclave du iiéché'. De même, si les Juifs, Jusqu'ici que nous répondent les Juifs, quand
dont tout ceci était la figure, se fussent tenus nous les interrogeons par la voix de Dieu,
en paix; si, reconnaissant que le temps du c'est-à-dire des saintes Ecritures, touchant le
salut par la grâce pour la rémission des i)écliés Christ, sinon qu'ils ne connaissent pas même
était ariivé , ils eussent écouté le Christ qui celui (pie nous appelons le Christ? L'ignorance

'
Rom. 11, — ' Kph. V, 31, 32. — ' l'hil. II, 6, 7. — '
Gen. '
Malt. IX, 12, 1.!. — Jean, viii, 31, 3G. —
' Ps. XL, 5. — '
liom.
X, 3. — " 1(1. VI, 12. - • Id. IX, 32. — '
Jean, IX, 31.
LIVRE XII. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 193

de Gain était feinte, la négation des Juifs est de son frère, versé par sa main mais il faut ;

mensongère. Ils seraient en un sens les gar- comprendre maudit par cette terre,
qu'il est
diens du Gbrist, s'ils avaient voulu recevoir et parce qu'il en cultive une qui cessera de lui
garder la foi chrétienne. Car celui qui garde donner des fruits; c'est-à-dire, l'Eglise recon-
le Ghrist dans son cœur, ne dit pas comme naît et fait voir que le peuple juif
maudit, est
Gain a Est-ce que je suis le gardien de mon
: parce que, après la mort du Christ, il observe
« frère? —
Dieu dit à Gain Qu'as-tu fait? La : encore la circoncision terrestre, le sabbat ter-
« voix du sang de ton frère crie de la terre restre, les azymes terrestres, la pàque ter-
«jusqu'à moi». C'est .ainsi que la voix de restre : toutes observances terrestres, qui ont
Dieu confond les Juifs dans les saintes Ecri- une vertu secrète pour faire comprendre la
tures. Car le sang du Ghrist a une voix puis- grâce du Ghrist, laquelle n'est point accordée
sante sur la terre, puisque, après l'avoir reçu, aux Juifs obstinés dans l'impiété et l'infidélité,
toutes les nations répondent Ainsi soit-il. : parce qu'elle a été révélée par le Nouveau
C'est là la voix claire de ce sang voix qu'il ; Testament; comme
ne passent point au
et ils

fait lui-même entendre par la bouche des Seigneur, on ne leur enlève pas le voile qui
fldèles qu'il a rachetés. demeure dans la lecture de l'Ancien Testa-
ment, parce que dans le Christ seul disparait,
CHAPITRE XI. non la lecture de l'Ancien Testament, qui a
LA TERRE EST STÉRILE POl R CAÏN, ET LA PASSION une vertu cachée, mais le voile qui en dérobe
DU CHRIST POIR LES JUIFS.
l'intelligence '. Voilà pourquoi , le Christ
ayant souffert sur la croix, le voile du temple
« Dieu dit à Gain : Maintenant tu seras s'estdéchiré % afin que par la ,
passion du
« maudit par la terre qui a ouvert sa bouche Christ , les mystères des sacrements soient
a pour recevoir le sang de ton frère, versé par révélés aux fidèles qui viennent pour boire
« la main. Après que tu l'auras cultivée, elle son sang, après avoir ouvert la bouche par la
«refusera de te donner ses fruits; tu seras confession. Voilà pourquoi le peuple juff, à
« gémissant et tremblant sur la terre ». Dieu '
l'exemple de Caïn, cultive encore la terre,
ne dit pas La terre est maudite; mais a Tu
: : observe encore charnellement les prescrip-
« serasmaudit par la terre qui a ouvert sa tions de la loiqui ne lui donne point ses
a bouche pour recevoir le sang de ton frère, fruits, comprend pas la grâce
parce qu'il ne
« versé par ta main ». En effet, le peuple juif du Christ contenue en elle. Voilà pourquoi
infidèle est maudit par la terre, c'est-à-dire par sur cette même terre que le Ghrist a portée,
l'Eglise, qui a ouvert sa bouche pour la con- c'est-à-dire dans sa chair, ils ont eux-mêmes
fession des péchés, à l'effet de recevoir le sang opéré notre salut en crucifiant le Ghrist, qui
du répandu, pour la rémission des pé-
Ghrist, est mort pour nos péchés. Etcette même terre
chés, de la main d'un persécuteur qui n'a pas ne leur a point donné ses fruits, parce qu'ils
voulu être sous la grâce, mais sous la loi, afin n'ont pas été justifiés par la vertu de la résur-
d'être maudit par l'Eglise, c'est-à-dire, afin que rection de celui qui est ressuscité pour notre
l'Eglise comprit et fit voir qu'il est maudit, justification '; parce que, «quoiqu'il ait été
suivant l'expression de l'Apôtre : « Tous ceux a crucifié dans sa faiblesse , il vit cependant
« qui s'appuient sur les œuvres de la loi, sont « par la puissance de Dieu », comme le dit
a sous la malédiction de la loi-». Ensuite, l'Apôtre '. C'est donc
vertu de celte terre, là la
après avoir dit « Tu seras maudit par la
: que le Christ ne manifeste point aux impies
a terre qui a ouvert sa bouche pour rece-
, ni aux incrédules, .\iissi, après sa résurrec-
« voir le sang de ton frère versé par ta , tion, n'a-l-il (loint apparu à ceux qui l'avaient
« main », Dieu n'ajoute pas Après que tu : crucifié ; c'est Gain cultivant la terre pour y
l'auras cultivée ; mais il dit : « Après que tu semer du grain, et cette même terre ne lui
« auras cultivé la terre, elle refusera de te faisant pas voir l'effet de sa puissance « Après :

a donner ses fruits ». D'où il suit qu'il n'est « que tu l'auras cultivée », est-il écrit, «elle
pas nécessaire d'entendre ces paroles en ce « refusera de te donner ses fruits ».
sens, que Gain cultiverait la terre même qui
' Il Cor. m U , , 16. — '
Jlatt. xxvii , 51. — =
Rom. iv, 25. —
avait ouvert sa bouche pour recevoir le sang ' II Cor. xui, 4.
' Gen. IV, 9, 12. - ' Gai. m, 10.

S. Ane. — Tome XIV. 13


. .

194 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE XII. toutes les nations qui ont été subjuguées par
les Romains, aient adopté la religion de ce
CAÏN NE SEKA PAS TIÉ, NI LE PEUPLE JUIF
peuple et embrassé son culte et ses rites sacri-
EXTERMINÉ.
lèges; et que le peuple Juif soit sous des rois
« Tu seras gémissant et tremblant sur la païens, soit sous des princes chrétiens, n'ait
« terre ». ne re-
Qui ne voit aujourd'hui, ijui jamais perdu le signe de sa loi, qui le dis-
connaît que ce peuple, en quelque lieu de la tingue de tous les autres peuples et que tout ;

Icrre qu'il soit dispersé, gémit et s'attriste empereur ou roi qui les trouve dans ses Elats,
d'avoir perdu l'empire, et tremble sous une les y trouve avec ce signe et ne les tue point,
multitude de peuples chrétiens? Aussi Caïu c'est-à-dire ne fait rien pour qu'ils ne soient
dil-il dans sa réponse « Mon iniquité est trop : jilus juifs, séparés de la communion des autres
« grande si vous me rejetez aujourd'hui de
; nations par le signe certain et particulier de
« la face de la terre, je fuirai aussi voire pré- leur culte à moins que quelqu'un d'entre
;

« sence, je serai gémissant el tremblant sur la eux ne passe au Christ, pour cesser d'être
B terre, et quiconque me trouvera me tuera » Caïn, ne pas fuir la présence de Dieu et ne
H gémit vraiment et Iremble qu'ajirès avoir pas habiter la terre de Naïd qui signifie , ,

perdu un royaume terrestre, il ne soit encore dit-on, ébranlement. C'est pour conjurer ce
frappé de mort temporelle. Ce mal lui paraît mal que le Psalmiste fait cette prière « Ne :

plus grand que d'être privé du fruit de la « permettez pas que mes pieds chancellent » '
;

terre qui l'empêcherait de mourir spirituelle- et encore « Que les mains des pécheurs ne
:

ment. Car il a des goûts charnels et il ne re- « m'ébranlent pas - mes oppresseurs triom- ;

doute de fuir la présence de Dieu, c'est-à-dire « pheronl si je suis ébranlé * le Seigneur est ;

d'être l'objet de sa colère, que parce qu'il « à ma droite pour que je ne sois pas ,

craint d'être tué par quiconque le ren- «ébranlé*», et beaucoup d'autres passages
contrera. 11 a des goûts charnels, parce qu'il de ce genre mal qu'éprouvent tous ceux qui
:

cultive une terre dont


ne recueille pas les il se soustraient à la présence de Dieu, c'est-à-
fruits. Or, goûter les clioses de la chair, c'est dire à la miséricorde de son amour. Voilà
la mort '. Mais ne comprenant pas celte mort, pourquoi on lit dans le même psaume : « Et
ilgémit d'avoir perdu l'empire et craint la « moi j'ai dit à l'heure de l'abondance : Je ne
mort corporelle. Or, que lui répond le Sei- B jamais ébranlé pour toujours ». Mais
serai
gneur? « Il n'en sera pas ainsi; mais qui- voyez ce qui suit b Seigneur, il vous a plu :

« conque tuera Cain, sera puni sept fois » ; « de donner de la force à ma vertu ; puis vous

c'est-à-dire, ce ne sera pas comme tu dis la : « avez détourné votre face et j'ai été troublé "».
race impie des .luifs charnels ne mourra pas On comi>rend ainsi que c'est |)ar la participa-

de mort corporelle. Car quiconque les exter- tion à la lumière divine, et non par elle-même,
minera en ce sens sera puni sept fois, c'est- que toute àme est belle, agréable et vertueuse.
à-dire les délivrera des sept vengeances qu'ils Si les Manichéens considéraient cela elle com-
ont méritées pour avoir mis le Christ à mort ; l»renaient, ils ne tomberaient pas dans une
afln que, dans tout le cours des siècles, figuré telle impiété que de se croire la nature et la
par sept jours , la race juive ne périssant substance de Dieu. Mais ils ne le peuvent pas,
(tas, les fidèles chréliens voient clairement parce qu'ils ne sont pas en repos, car ils ne
quel esclavage elle a mérité pour avoir, dans connaissent pas le sabbat du cœur. S'ils
l'orgueil de sa puissance, mis le Seigneur à étaient en repos, ils tourneraient, comme on
mort. le disait à Caïn, leur péché contre eux-mêmes,
CHAPITRE XllI. c'est-à-dire ils se l'iniputeraient, et non à je
ne sais quel peuple des ténèbres et ainsi, par ;

CONTINUATION 1)1 PARALLÈLE ENTRE CAÏN ET LE


la grâce de Dieu, ils domineraient ce même
PEUPLE JLIF. niPIÉTK DES MANICHÉENS IMITA-
liéciié. Mais, en résistant à la vérité, ils fuient,
TEURS DE CAÏN.
eux ceux qui s'obstinent dans diverses
et tous
« Et le Seigneur mit un signe sur Caïn, afin erreurs, fuient la présence de Dieu comme
ils

que (luiconcjue le trouverait ne le tuât pas » -'


Caïn, comme les Juifs maudits ils habitent ;

C'est vraiment une chose prodigieuse que '


Ps. LXV, 9. — ' Id. XXXV, 12. - '
Id. III, 5. — ' Id. ïilï , 7,
* Rotn. viM, 0. - '
Gen. IV, l:i 15. 3. — ' Id. iXlï, ", 8.
LIVRE XII. — PERSONNÂtiES ET FAITS FHUPIIÉTIUL'ES. 193

la terre d'ébranlement, c'est-à-dire dans le en six âges, pendant lesquels le Christ n'aura
trouble de la cli.iir, qui est à l'opposite de la jamais cessé d'être prêché prédit pendant les :

joie de Dieu, c'est-à-dire contre Eden '


(festin, cinq |)remiers, par les prophètes, et annoncé,
selon les interprètes), là où est planté le pa- pendant le sixième, par l'Evangile. Elle est
radis. Je ne dirai plus que peu de mots sur ce haîitede trente coudées, nombre renfermé dix
vasie sujet, pour ne pas prolonger outre me- fois dans celui de la longueur parce que ;

sure ma réponse et retarder la marche de cet notre hauteur c'est le Christ, qui, à l'âge de
ouvrage. trente ans, a consacré la doctrine évangélique,
CHAPITRE XIV. en affirmant qu'il venu accomplir
était la loi,
et non la détruire '.Or, le cœur de la loi se
hénoch, noé. signification mystique de
révèle dans les dix préceptes : voilà pourquoi
l'arche.
la longueur de l'arche est dix fois trente, et
Pour passer sous silence bien des choses pourquoi Noé est le dixième descendant d'A-
d'autant plus douces à considérer qu'elles sont dam -. Si les bois de l'arche sont unis par du
dégagées de passages plus obscurs, mais qui bitume en dedanseten dehors^c'est pourflgu-
cependant e.\igent de longues dissertations, rer la tolérance de la charité dans la composi-
parce qu'il faut les appuyer sur un plus grand tion de l'unité, laquelle empêche que, quand
nombre de témoignages, |)0ur laisser, dis-je, les scandales affligent l'Eglise, soit de la part
ces sujets de côté, qui ne serait excité à cher- de ceux qui sont au dedans, soit de la part de
cher et à découvrir le Christ dans ces livres ? ceux qui sont au dehors, l'union fraternelle
qui n'éprouverait le besoin d'une foi salutaire ne soit détruite et le lien de la paix ne soit
en voyant Hénoch, le sixième à partir d'Adam, brisé. Eu effet, le bitume est un ciment très-

agréé du Seigneur et enlevé au ciel ^?et l'ins- brùlant et très-fort, qui signifie l'ardeur de la
tilution du septième jour, auquel appartient charité, la(|uelle déploie une grande énergie
(|uiconque est formé par l'avènement du
,
à tout supjioi ter pour maintenir la société
Christ, dans le sixième âge du monde qui en spirituelle.
est comme le sixième jour? En voyant Noé CHAPITRE XV.
sauvé avec sa famille par l'eau et par le bois'',
ALTRE SIGNIFICATION SYMHOLIQUE DE l'aRCHE
figure de la famille du Christ marquée, par
DE NOÉ.
le baptême, de la passion de la croix? Et
l'arche faite de bois équarris, comme l'Eglise Comme l'arche contient des animaux de
est construite de saints toujours prêts à toute toute espèce, ainsi l'Eglise renferme toutes les
sorle de bonnes œuvres '?Car un objet carré nations, figurées par la nappe qui fut montrée
se tient ferme, de quelque côté qu'on le en vision à Pierre. S'il s'y trouve des animaux
tourne. Et comme l'arche, à l'instar du corps mondes et immondes \ c'est que les bons et
humain, est six fois aussi longue qu'elle est les méchants participent aux sacrements de
large, et dix fois aussi longue qu'elle est haute, l'Eglise. S'il y a sept couples d'animaux mon-
elle indique l'apparition du Christ dans un des et deux d'animaux immondes % ce n'est
corps humain. Et si sa largeur est de cin- pas parce que les méchants sont en plus petit
quante coudées, c'est la figure de ce que dit nombre que les bons, mais c'est que les bons
l'Apôtre « Notre cœur s'est dilaté ^ ». Et
: maintiennent l'unité d'esprit dans le lien de
comment dilaté, sinon par la charité spiri- la paix. Or, la divine Ecriture nous représente

tuelle? C'est pourquoi le même A[)ôtre dit en- l'Esprit-Saint dans sept opérations diverses :

core : « La charité de Dieu


répandue en nos est la sagesse, l'intelligence, le conseil, la force,
« cœurs par l'Esprit-Saint qui nous a été de Dieu". C'est
la science, la piété et la crainte
« donné ^ ». Car c'est le cinquantième jour pourquoi le nombre de cinquante jours, fixé
après sa résurrection que le Christ a envoyé pour la descente du Saint-Esprit, se forme de
le Saint-Esprit, par lequel il a dilaté les cœurs sept fois sept qui forment quarante-neuf, aux-
des croyants'. L'arche est longue de trois cents quels on ajoute un, ce qui fait dire à l'Apôtre :

coudées, afin de tonner six fois cinquante de : B Api)liqués à conserver l'unité d'esprit, par
mèmeque toute la durée dessièclesestcomprise a le lien de la paix ' ». Quant aux méchants ,

• Gen. IV, 16.— ' Id. T, 24. — Id. vu, 23. — ' II Tim.ii,21. '
Matt. V, 17. — ' Gen. v ; Luc, m, 36-38. — ' Id. vi, 14, 15. -

Il Cor. VI, 11. — ' Rom. v, 5. — '


Act. Il, 1-4. Act. X, 11, 12.- ' Gen. VII, 2.— • Is. XI, 2, 3. — ' Eph. iv, 3.
196 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Je nombre deux, qui les figure, les fait voir c'est que toute tache de péché commis contre
enclins aux schismes, et en quelque sorte divi- les dix commandements de la loi, dans toute
sibles. SiNoé forme le nombre huit avec sa l'étendue de la terre qui est formée de quatre
famille, c'est parce que l'espérance de notre éléments (en effet, dix, multiplié par quatre,
résurrection s'est manifestée dans le Clirist, donne quarante); soit qu'elle ait été contractée
qui est ressuscité des morts le huitième jour, dans la prospérité, figurée par les jours, soit
c'est-à-dire le premier jour après le septième qu'elle ait été contractée dans l'adversité , re-
qui était le sabbat jour qui était le troisième
: présentée par les nuits, est effacée par le sacre-
après sa passion, mais qui devint tout à la fois ment du ba|)tème céleste.
le huitième et le premier dans le nombre des

jours qui forment la succession des temps. CHAPITRE XVIII.

RAPPROCHEMENT ENTRE l'AGE DE NOÉ ET LES AGES


CHAPITRE XVI.
DU MONDE.
l'arche, figure de l'église.
Pourquoi Noé avait-il cinq cents ans quand
Si , on y pratique en
l'arche étant achevée , Dieu lui ordonna de construire l'arche, et six
haut une ouverture d'une coudée, c'est que cents ans quand il y entra (ce qui laisse en- '

l'Eglise, qui est le corps du Christ, s'élève et tendre qu'il mit cent ans à cet ouvrage), sinon
se complète dans l'unité. Aussi lit-on dans parce que chaque centaine d'années signifie
l'Evangile «Celui qui ne rassemble pas avec
: ici un des âges du monde? Voilà pourquoi le
« moi, disperse ». Si on fait une porte au
' sixième âge, qui est marqué par l'augmenta-
côté de l'arche, c'est que personne ne peut tion de cinq cents à six cents , construit l'E-
entrer que par le sacrement de la rémission glise par la prédication évangélique. Ainsi
des péchés, lequel a découlé du côté ouvert celui qui aspire à la vie doit être comme un
du on construit au bas de l'arche
Christ. Si bois équarri, prêt à toute sorte de bonnes
des compartiments à deux et à trois divisions, œuvres, et entrer dans la sainte construction ;

c'est pour indiquer que l'Eglise recueille, parmi parce que second mois de la six centième
le

toutes les nations, une multitude divisée eu année, où Noé entra dans l'arche, désigna ce
deux à cause de la circoncision et de l'incir-
, même âge, le sixième du monde; car deux
concision; ou en trois, à cause des trois fils mois sont renfermés dans le nombre soixante;
de Noé, dont la postérité remplit l'univers. On et c'est le nombre six qui donne son nom à
parle ici du bas de
que la di- l'arche, parce soixante, à six cents, à six mille, à soixante
versité des nations ne subsiste que dans cette mille, à six cent mille, à six cent fois, et ainsi
vie terrestre, et qu'en haut, nous sommes tous de suite jusqu'à l'infini, à toute multiplication
consommés dans l'unité. Et la variété a dis- qui le prend pour point de départ.
paru, parce que le Christ est tout et dans tous,
et que, dans une seule coudée, il nous ras-
CHAPITRE XIX.
semble tous en haut par l'unité céleste. LE JOUR ou l'arche s'arrêta; la HAUTEUR DES
EAUX DU déluge; leurs SIGNIFICATIONS SYM-
CHAPITRE XVII.
BOLIQUES.
LE DÉLUGE, IMAGE DU BAPTÊME.
Le vingt-septième jour du mois que l'on
Le déluge arrive sept jours après l'entrée mentionne, se rattache à la signification de la
de Noé dans l'arche, ])arce que nous sommes forme carrée dont il a été parlé à propos de
,

baptisés dans l'espoir de l'éternel repos qui est l'arche. Mais ici, le sens en est plus évident,
figuré par le septième jour. Et si, en dehors parce que c'est une Trinité qui nous perfec-
de l'arche, toute chair vivant sur la terre périt tionne quand nous avons été préparés pour
,

par le déluge, c'est parce que, en dehors de la toutebonne œuvre et en (luelque sorte equar-
société de l'Eglise, l'eau du baptême, bien ris dans:la mémoire, pour nous souvenir de
que la même, non-seulement ne procure pas Dieu; dans l'intelligence, pour le connaître;
le salut, mais donne plutôt la mort. Si la pluie dans la volonté, pour l'aimer. Car trois, mul-
tombe quarante jours et quarante nuits -, tiplié par trois, et leur produit, multiplié par
• Malt. X», 30. — Id. vit, 17, 23. '
Gcn. V, 31; vu, 6.
LIVRE XII. - PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. U)7

trois, forment vingt-sept, qui est le carré du de l'Eglise. Si la colombe est lâchée et revient,
nombre ternaire. L'arclie s'arrêta, c'est-à-dire pour n'avoir pas trouvé un lieu de repos, cela
se reposa le septième mois '
: c'est encore nous fait voir que le Nouveau Testament ne
une figure du repos du septième jour. Et promet pus aux saints le repos en ce monde.
comme les parfaits goûtent le repos, on re- En effet, elle a été lâchée après quarante jours,
trouve encore là le nombre de ce carré : et ce nombresymbole de la vie présente.
est le
car ce mystère a été indiqué par le vingt- Renvoyée sept jours après, elle rapporta un
septième jour du second mois, et l'indication rameau fécond d'olivier, image de l'opération
est confirmée par le vingt-septième jour du spirituelle des sept dons pour indiquer que :

septième mois, celui où l'arche s'est reposée ;


quelques-uns, même de ceux qui sont baptisés
en effet, ce qui a été promis en espérance ,
en dehors de l'Eglise ,
peuvent être amenés à
est donné en réalité. Or, comme le repos l'unité sur le tard, c'est-à-dire vers le soir,
du septième jour ne fait qu'un avec la ré- par la bouche de la colombe comme par le
surrection du huitième jour (car le corps une baiser de paix, pourvu toutefois que l'onction
fois recouvré, le repos des saints après celte de la charité nu leur fasse pas défaut. Ren-
vie ne finit plus ; mais l'homme tout entier, voyée encore une fois sept jours plus tard ,

non plus en espérance, mais en réalité, re- elle n'est pas revenue ce qui signifie la fin '
:

nouvelé en tout sens par le salut parfait de quand viendra le repos des saints,
des siècles,
l'immortalité el dans son esprit et dans son non plus dans le sacrement de l'espérance,
corps, est absorbé dans le bonheur de la vie qui forme le lien de l'Eglise en ce temps,
éternelle), comme, dis-je, le repos du septième lorsqu'on boit ce qui a coulé du côté du
jour se confond avec la résurrection du hui- Christ; mais dans la perfection même du salut
tième jour c'est là le : haut et profond mys- éternel quand le royaume sera remis à Dieu
,

tère qui s'accomplit dans sacrement de le etau Père ", en sorte que dans la claire con- ,

notre régénération, c'est-à-dire dans le bap- templation de l'immuable vérité, nous n'ayons
tême. L'eau s'est élevée jusqu'à dépasser de plus besoin d'aucun symbole matériel.
quinze coudées le sommet des montagnes^ :

cela veut dire que ce sacrement dépasse toute


CHAPITRE XXI.
la sagesse des orgueilleux. En effet, sept et IMPOSSIBILITÉ DE TOUT DIRE SUR CE SUJET.
huit font quinze. Et comme septante prend
son nom de sept, et quatre-vingts de huit, ces En y mettant même toute la brièveté que
deux nombres réunis forment les cent cin- j'ai mise à parcourir ces points, il serait trop
quante jours pendant lesquels l'eau s'est éle- long de toucher à tout de dire, par exemple, :

vée, el nous signalent encore et nous confir- pourquoi c'est la six cent et unième année de
ment la hauteur du baptême dans la consé- Noé, c'est-à-dire après les sixcents ans achevés,
cration du nouvel homme pour maintenir la que l'arche s'ouvre et que le mystère jusque-
foi du repos et de la résurrection. là caché se révèle; pourquoi on dit que la
terre se dessécha le vingt-septième jour du
CHAPITRE XX. second mois', comme si le baptême eût cessé
CE QUE REPRÉSENTENT LE CORBEAU ET LA COLOMBE d'être nécessaire après le nombre de cin-
,

ENVOYÉS HORS DE l'aRCIIE. quanle-sept jours (car le cinquante-septième


jour est précisément le vingt-septième du
Après quarante jours, le corbeau fut lâché second mois, nombre formé de l'union de
el ne revint pas, soit qu'il en eût été empêché l'esprit et du corps, et renfermant sept fois
par les eaux, soit qu'il eût été alléché par huit, plus un, à cause du lien de l'unité) ;

quelque cadavre nageant à leur surface. Ceci pourquoi ceux qui étaient entrés séparés
s'applique aux hommes dégrades par l'im- dans l'arche, en sortirent réunis; car il
monde cupidité et, par là, trop ardents pour avait été dit que Noé entra dans l'arche, et
les objets du dehors ,
pour les choses du ses fils, femme et les femmes de ses
et sa
monde, ou enclins à se faire rebaptiser, ou à flls * : les hommes et les femmes mentionnés
se laisser séduire et retenir par ceux que lue à [)art. En effet, tant que dure ce sacrement,
le baptême en dehors de l'arche, c'est-à-dire
'
Geii. via, 6-12. ' I Cor. .\v, 21. — ' Gen. viu , 13 , 1 1. —
'
Gen. VIII, 1, U. — ' Id. vu, 20. M. vil, 7.
198 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN,

la chair convoite contre l'esprit et l'esprit naît là le Christ souffrant au milieu de son
contre la cliair '.NoéOr, sort avec sa femme, peuple? Eu effet, sa chair mortelle fut alors
ses fils, et les femmes de ses fils -, mentionnés dépouillée , scandale pour les Juifs , folie
tous ensemble, hommes et femmes ;
parce |)Our les Gentils, mais, pour ceux qui sont
que, à la fin des siècles et à la résurrection appelés, soit Juifs, soit Gentils, comme Sem et
des justes, le corps sera uni à l'esprit dans Japhet, vertu de Dieu et sagesse de Dieu :

une paix entière et parfaite, à l'abri de tous car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort
les besoins de la mortalité et des résistances que les hommes '. Ainsi, dans ces deux en-
de la convoitise. C'est pourquoi, bien qu'il soit fants, le plus vieux et le plus jeune, sont fi-

entré dans l'arche des animaux mondes et gurés deux peuples, qui portent un vêtement
immondes au sortir de l'arche, on n'offre en
; en marchant eu arrière, à savoir le sacrement
sacrifice à Dieu que des animaux mondes'. de la passion du Seigneur déjà passée et ac-
complie, et ils ne voient point la nudité de
CHAPITRE XXII. leur père, parce qu'ils n'ont point consenti à sa

AUTRES SIGNES SYMBOLIQUES INDIQUÉS EN mort, et cependant, ils le couvrent d'un voile
par respect, parce qu'ils savent d'où ils sont
PASSANT.
nés. Mais le fils qui est entre les deux, c'est-à-
Ensuite, quand Dieu parle à Noé, et dessine dire le peuple juif (qui est entre les deux
la figure de l'Eglise , comme si le monde parce que, d'une part, il n'a point maintenu
commençait à nouveau (car il fallait que les la primauté des Apôtres, et que de l'autre, il

mêmes choses fussent exprimées de bien des n'a dernier à croire parmi les
point été le

manières), que signifie ce fait que la race de peuples), a vu la nudité de son père, puisqu'il
ce patriarche est béniepour remplir la terre ;
a consenti à la mort du Christ ; il en a porté
qu'il lui est permis de manger de tous les au dehors la nouvelle à ses frères : car c'est
animaux, comme il fut dit à Pierre dans par lui qu'a été révélé et en quelque sorte
la vision de la nappe « Tue et mange * » :
;
publié, le secret contenu dans les prophéties,
qu'il faut faire couler le sang avant de et c'est pourquoi il est devenu l'esclave de
manger, pour indiquer qu'il ne doit [loiiit ses frères. En effet, qu'est-ce que ce peuple,
étouffer dans sa conscience sa vie passée ,
même aujourd'hui,garde des ar- sinon le

mais la répandre en quelque sorte par la con- chives des chrétiens de la loi et , le porte-faix
fession que Dieu a établi, comme pacte entre
;
des Prophètes en témoignage de la prédication
lui et les hommes et tout être vivant, qu'il de l'Eglise, afin que nous honorions par le
s'engage à ne plus détruire par le déluge, un sacrement ce qu'il proclame par la lettre ?
arc qui apparaît dans les nues ^ et ne brille
jamais que de lumière du soleil ? C'est
la CHAPITRE XXIV.
qu'ils ne périssent pas dans le déluge et sépa-
SE.M ET JAPHET REPRÉSENTENT l'ÉGLISE. APOS-
rés de l'Eglise, ceux qui reconnaissent la gloire
TROPHE AUX MANICHÉENS, ENFANTS DE CHAM.
du Christ dans les Prophètes et dans tous les
livres saints comme dans des nuages, et ne même formé a
Mais qui ne sera excité, ou
cherchent point leur gloire propre. Mais que la foi,ou confirmé eu elle, en voyant la bé-
ceux qui adorent le soleil matériel ne s'enor- nédiction accordée aux deux fils qui ont
gueillissent plus et qu'ils saclient que leChrisl voilé par respect la nudité de leur père, quoi-
est parfois désigné par le soleil, par un lion, (jue en se détournant, comme des hommes
par un agneau, par une pierre, simplement mécontents de l'effet de la vigne maudite?
en forme de comparaison, et non dans le sens « Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem » !

littéral. est -il dit. Car bien qu'il soit le Dieu de


CHAPITRE XXni. toutes les nations, cependant il a adopté pour

NOÉ, FIGURE DU CHRIST; CHAM, DU PEUPLE JUIF.


ainsi dire comme nom propre, même chez
les nations d'alors, le nom de Dieu d'Israël. Et
Noé, enivré du jus de la vigne qu'il a plantée, d'où vient cela, sinon île la bénédiclion accor-
est à découvert dans sa tente '. Qui ne recon- dée à Japhet? Car l'Eglise a rempli le monde
Gai. V, 17. — • Gen. vili, 18. — '
entier par lu multitude des nations! C'était
II). L'O. ' Acl. X, 13.
'
Gci). IX, 1, 17. - •
Ib. 20-2.J. ' 1 Cor. I, 23-25.
LIVRE XII. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 199

cela, certainement cela, que signifiaient ces condition d'esclavage. Car c'est des hérétiques
paroles prophétiques : « Que Dieu étende les qu'il a été dit : « Il faut qu'il y ait même des
« possessions de Japhet, et qu'il habite dans « hérésies, afin qu'on découvre ceux d'entre
« les tentes de Sein' ». Voyez, Manichéens, « vous qui sont éprouvés ' ». Allez donc main-
voyez : voilà que l'univers entier est sous vos tenant, et calomniez nos anciens livres sacrés;
yeux vous êtes frappés do stupeur, vous êtes
: faites cela, fils de Cham, devenus enclaves;

affligés à la vue de nos peuples, parce que allez, vous qui avez méprisé dans sa nudité la
Dieu étend les possessions de Japhet. Voyez clia r dont vous êtes nés car vous ne pourriez :

s'il n'habite pas dans les tentes de Sem, c'est- en aucune façon vous dire chrétiens si le ,

à-dire dans les églises construites par les Christ n'avait été prédit par les Prophètes ,

Apôtres, enfants des Prophètes. Ecoutez ce que n'était pas venu au monde, n'avait pas bu le
disait déjà Paul aux nations fidèles « Vous : fruit de sa vigne , ce calice (|ui. ne put passer
« qui étiez en ce temps-là sans Christ, séparés loin de lui; s'il n'eût dormi dans sa passion ,

« de la société d'Israël, étrangers aux Testa- comme dans l'ivresse d'une folie (|ui est plus
« ments, n'ayant point l'espérance de la pro- sage que les hommes, et qu'ainsi l'infirmité
« messe , et sans Dieu en ce monde». Ces de la chair mortelle n'eût été mise à nu par
paroles prouvent que Japhet n'habitait pas un secret dessein de Dieu : chair plus forte
encore dans les tentes de Sem. Mais voyez que les hommes, et sans laquelle (c'est-à-dire
ensuite comme l'Apôtre conclut peu après :
si leVerbe de Dieu ne s'en fût revêtu) le nom
« Vous n'êtes donc plus des hôtes et des étran- même de chrétien, dont vous êtes si fiers,
« gers, mais des concitoyens des saints, et de n'existerait pas sur la terre. Mais faites, je vous
« la maison de Dieu bâtis sur le fondement; le répète montrez par dérision ce que nous
:

« des Apôtres et des Prophètes, le Christ Jésus honorons de nos respects que l'Eglise se serve ;

« étant lui-même la pierre princii)ale de l'an- de vous comme d'esclaves, afin qu'on décou-
« gle - ». Voila comment Japhet étend ses vre ceux de ses enfants qui sont éprouvés.
possessions et habile dans les tentes de Sem. Les Prophètes lui ont si peu caché ce qu'elle
Et ceiiendant, vous avez en main les épîtres devait avoir à souffrir, que nous vous retrou-
des Apôtres où sont consignés ces témoignages : vons dans leurs pages, en vos lieux et place,
vous les lisez, vous les prêchez. Où vous pla- bouffis d'une misérable vanité, fatale aux ré-
cerai-je donc, sinon dans ce mur mitoyen prouvés qu'elle séduit, mais utile pour la ma-
maudit où le Christ n'est pas la pierre angu- nifestation des fidèles éprouvés.
laire? Car nous ne vous reconnaissons pas
pour être du mur qui est passé de la circon- CHAPITRE XXV.
cision à la foi au Christ et dont étaient les
Apôtres; ni de celui qui vient de l'incirconci- ABRAHAM, ISAAC, LE BÉLIER, FIGURES DU CHRIST.
sion, dont font partie tous les gentils, qui
se rencontrent dans l'unité d'une même foi, Vous dites que le Christ n'a point été pré-
comme paix de la pierre angulaire.
dans la ditpar les Prophètes israélites; et toutes leurs
Néanmoins, tous ceux qui admettent et lisent pages sont pleines de prédictions qui le con-
certains de nos livres canoniques, où l'on voit cernent, vous vouliez les étudier avec piété,
si

que le Christ est né et a souffert comme au les censurer avec légèreté. Qui
lieu de
homme et ne couvrent cependant poiut
, , donc, dans la personne d'Abraham, sort de
par l'association et le sacrement de l'unité, sa terre et de sa parenté pour s'enrichir chez
cette même chair mortelle mise à nu dans la les étrangers ^, sinon Celui qui, abandonnant
passion, mais proclament dans la science de sa terre et sa parenté juive, dont il est né se-
la piété et de la charité, ce dont nous tirons lon la chair, obtient chez les nations cette au-
tous notre origine ceux-là, dis-je, quoique
: torité et cet empire que nous lui voyons? Qui
ils ne s'entendent point entre eux, que les dans la personne d'isaac, a porté le bois de
Juifs soient séparés des hérétiques , et les hé- son sacrifice *, sinon celui qui a porté lui-
rétiques les uns des autres , sont cependant même la croix, instrument de sa passion ?
utiles à l'Eglise, ou comme témoins, ou comme Quel était ce bélier à immoler et embarrassé
preuves , et sont tous pour elle dans la même dans un buisson par ses cornes, sinon celui
' Geu. IX, 26, 27. Eph. II, 11', 19, 2U. '
l Cor. XI, 19. — ' Gen. xil, 1-3. — ' Id. xxil, 0.
200 CONTRE FAUSTE, LE JLXNICHEEN.

qui, devant être immolé pour nous, a été at- comme à des hommes spirituels, mais comme
taché au gibet de la croix ? h des hommes charnels '. Ainsi l'on monte et
l'on descend sur le fils de l'homme. En effet,
CHAPITRE XXVI. le fils de l'homme est en haut, dans notre

JACOB ET l'Échelle mystérieuse, images du


chef, qui est le Sauveur lui-même ; et le fils

de l'homme est en bas dans son corps, qui est


CURIST.
l'Eglise. Et nous entendons qu'il est aussi

Et celui qui, sous la forme d'un ange, lutte l'échelle, puisqu'il a dit lui-même : « Je suis
avec Jacob, et, plus faible et vaincu, bénit, « la voie - ». On monte donc jusqu'à lui, pour
d'une part, son vainqueur, et de l'autre, lui le comprendre dans les hauteurs, et on des-
touche le nerf de la cuisse et le rend boiteux', cend vers lui, pour nourrir les petits enfants
quel est-il, sinon celui^qui s'est laissé vaincre dans ses membres. Par lui on Hionte et on
par peuple d'Israël et a béni ceux de ce
le descend car c'est à son exemple que ses pré-
:

jieuple qui ont cru en lui ? Or, la cuisse de dicateurs, non-seulement s'élèvent pour le
Jacob, a boité dans la multitude de cette nation voir en haut, mais aussi s'abaissent pour l'an-
charnelle. Quelle est cette pierre posée sous la noncer dans la mesure voulue. Voyez l'Apôtre
tête de Jacob et qu'il arrose d'huile comme monter «Si nous sommes emportés hors de
:

pour donner un nom propre, sinon le


lui «nous-mêmes, c'est pour Dieu ». Voyez-le
Christ, chef de l'homme? Car qui ne sait que descendre « Si nous sommes plus retenus,
:

Christ veut dire oint? Le Seigneur lui-même «c'est pour vous ». Qu'il nous dise aussi par
a rappelé ce trait dans l'Evangile et fait voir qui il est monté et descendu « La charité ilu :

très-clairement que cette figure le concernait, a Christ nous presse, considérant que si un

lorsque, ayant dit que Nathanaël était un vrai « seul est mort pour tous donc tous sont ,

Israélite, en qui il n'y avait point d'artifices, « morts; et il est mort pour tous, afin que ceux

et celui-ci, la tète, pour ainsi dire, posée sur « qui vivent, ne vivent plus pour eux, mais

cette pierre, et l'arrosant en un sens par sa « jiour celui qui est mort pour eux et qui pour

confession, c'est-à-dire confessant que c'était «eux est ressuscité '».

le Christ Seigneur rappela à ce propos ce


: le CHAPITRE XXVIl.
que vit alors Jacob qui fut appelé Israël par
malheur de ceux qui ne goutent pas les
bénédiction « En vérité, je vous le dis, vous
:

Écritures; bonheur de ceux qui les goûtent.


M verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu

« montant et descendant sur le Fils de Celui qui ne goûte aucune joie à contem-
« l'homme- ». En effet, Israël avait vu, quand pler ces tableaux que nous offrent les saintes
il avait la tète sur la pierre, des échelles dres- Ecritures, ne supporte plus la saine doctrine
sées de la terre au ciel par lesquelles les , et se tourne vers les fables*. Et ces fables
anges de Dieu montaient et descendaient'. chatouillent agréablement et de diverses ma-
C'était la figure des évangélistes, prédicateurs nières des âmes restées puériles à tous les âges
du Christ, (lui montent en effet quand ils de la vie ; mais nous, qui sommes le corps du
s'élèvent au-dessus de toute créature pour Christ, reconnaissons notre voix dans ces pa-
comprendre la grandeur infinie de la divinité, roles du Psalmiste : « Les impies m'ont raconté
et la trouver au commencement Dieu dans « leurs fables; mais elles ne sont pas comme
Dieu, par qui tout a été fait puis descendent, ; « votre loi ° ». Quand je parcours ces livres,
pour retrouver ce Dieu formé d'une femme, quand je lis avec ardeur ces Ecritures, à la
soumis à la loi pour racheter ceux qui étaient sueur du travail auquel l'homme est con-
sous la loi '. Car en lui il y a des échelles dres- damné, le Christ m'apparaît partout, ou visi-
sées de la terre au ciel, de la chair à l'esprit ;
blement, ou dans le mystère, et il me res-
parce que en lui les hommes charnels, en pro- taure ;
par que j'éprouve à
la difficultémême
fitant et comme en montant deviennent spiri- le trouver, il enfiamme mon
dé>ir, afin que
tuels; eli)our les nourrir de lait, les honunes je dévore plus avidement ce que je trouve
spirituels eux-mêmes descendent en quelcjue et que je conserve pour mon salut ce quia
sorte, puisqu'ils ne peuvent pas leur parler pénétré la moelle de mes os.
' Gen. x.vxii, Ul-31.— '
Jean, i, .17.&I.— '
Gen. xiviii, 11-18. '
I Cor. m 1-3. — Jean, .\iv, 6. — ' 11 Cor. v, 1.1-15. — Ml
— ' Gai. IV, 4, 5.
Tim. IV, 3, 1.
,

— * Ps. cjtvui, S5.


LIVRE XII. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 201

CHAPITRE XXVIII, descendu du ciel', qui donne la vie spirituelle

à ceux qui le mangent réellement? Caries


JOSEPH, LA VERGE DE iMOÏSE, SYMBOLES DU
Juifs, pour avoir pris l'ancienne figure dans le
CHRIST.
sens charnel, sont morts. Mais quand l'Apôtre
C'est kii-même qui s'offre à moi dans la dit ; « Ils ont mangé la même nourriture spi-
personne de Joseph, présenté et vendu par ses « rituelle », il fait voir qu'on doit l'entendre
frères, puis, après les lieures d'épreuve, honoi é du Christ dans le sens spirituel; de même
en Egypte '. Nous avons vu, en effet les ,
qu'il explique ce que signifie «le breuvage
épreuves du Christ dans ce monde (dont « spirituel », lorsqu'il ajoute : « Or, la pierre
l'Egypte était le symbole), par les diverses « était le Christ »: trait de lumière qui éclaire
souffrances des martyrs et maintenant nous ; tout le reste. Pourquoi donc le Christ ne
voyons le Christ honoré dans ce même monde, serait-il pas aussi la nuée et la colonne, comme
et amenant tout à ses |)ieds par la distribution étant debout, ferme, l'appui de notre infir-
de son froment. C'est le Christ que je vois mité, lumineux pendant la nuit, sombre pen-
dans la verge de Moïse, qui, jetée à terre, de- dant le jour ; en sorte que ceux (jui ne voient
vient serpent, et figure la mort de la terre, etqueceuxqui voient, deviennent
pas, voient,
causée par le serpent. Mais le serpent, saisi aveugles-? La nuée et la mer Rouge, c'est
par la queue, redevient verge -, pour nous évidemment le baptême consacré par le sang
apprendre qu'à la fin, après avoir achevé son du Christ; les ennemis poursuivent par der-
œuvre, le Christ reprend sa première forme rière; les péchés passés disparaissent.
en ressuscitant, quand, la mort étant détruite
par la réparation de la vie,
ne reste plus il
CHAPITRE XXX.
rien du serpent. Nous aussi, qui sommes son LE DÉSERT, LES PALMIERS, LES DOUZE SOURCES, LE
corps, nous suivons dans cette même morta- SERPE^T D' AIRAIN, l'AGNEAU PASCAL, LA LOI
lité la pente glissante du temps mais à la fin, ;
DONNÉE A MOÏSE. AVEUGLEMENT DE FAUSTE.
la queue du
siècle, pour ainsi dire, étant sai-
sie main, c'est-à-dire par la puissance
par la Le peuple est conduit à travers le désert ;

du jugement, pour ne plus retomber, nous tous les baptisés qui ne jouissent pas encore
serons restaurés, et la mort, le dernier ennemi, de la terre promise, mais qui espèrent et
étant détruite, nous ressusciterons * et nous attendent par la patience ce qu'ils ne voient
serons la verge royale dans la droite de Dieu. pas ', sont comme
dans le désert. Et là, il y a
de pénibles dangereuses tentations à soute-
et
CHAPITRE XXIX. nir, pour ne pas retourner de cœur en Egypte.

SIGMFICATION MYSTIQUE DE LA SORTIE d'ÉGYPTE, Cependant le Christ n'abandonne pas, car la


DE LA PIERRE, DE LA MANNE, DE LA NUÉE. colonne ne s'éloigne point '. Le bois adoucit
l'amertume des eaux car les [leuples ennemis ;

Quant à la sortie de du peuple d'Israël perdent leur férocité en honorant le signe de


l'Egypte, ce n'est plus moi, mais l'Apôtre qui la croix du Christ. Les douze sources, qui

prend la parole « Car je ne veux pas que


: arrosent les soixante-dix [jalmiers ^ figurent
« vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont d'avance la grâce apostolique qui arrose les
« été tous sous la nuée et qu'ils ont tous passé peuples, au nombre de sept multiplié par dix,
«la mer; qu'ils ont tous été baptisés sous parce que décalogue de la loi est observé au
le
a Moïse, dans la nuée et dans la mer; qu'ils moyen des sept dons du Saint-Esprit. L'ennemi
« ont tous mangé la même nourriture spiri- qui essaie de barrer le passage, est vaincu par
« tuelle et qu'ils ont tous bu le même breuvage les mains de Moïse, étendues pour figurer la
a si)irituel; car ils buvaient de la pierre spiri- croix du Seigneur ". Les morsures mortelles
« tuelle qui les suivait : or, cette pierre était le des serpents sont guéries par le simple aspect
« Christ * ». Enn'exposant qu'un point, il a d'un serpent d'airain qu'on élève; le Seigneur
donné la clef du reste. Car si le Ciirist est en a expliiiué lui-même le sens en disant :

]>ierre à cause de sa fermeté, pourquoi ne « Comme Moïse a élevé le serpent dans le

serail-il pas manne, c'est-à-dire le pain vivant «désert, il faut de même que le Fils de

'
Gen. xxvu-XLVii. — Ex. I Cor. iv, 26. — '
JeaD, VI, 42. —
' Id. IX, 39. ' ~ Rom. viii, 25. — Num. xiv,
' Id. X, 1-4. 11. — ' Ex. XV, 23-27. —
' Id. XVII.
202 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

« l'homme élevé afin que quiconque


soit , cendre par la fenêtre de sa maison, comme
« croit ne périsse point, mais qu'il ait
en lui par la bouche de son corps, un ruban écar-
« la vie éternelle ». Tout cela ne crie-t-il pas?
'
late', cequi est certainement un signe du sang
Les cœurs endurcis sont-ils tellement sourds? répandu pour la rémission des péchés et con-
La pâque consiste dans l'immolation d'un fesser pour assurer son salut. Qu'il voie les
agneau le Christ est mis à mort et l'Evangile
; murs de cette ville, comparables aux remparts
dit de lui o Voici l'agneau de Dieu, voici
: mortels de ce siècle, tomber après que l'arche
« celui qui ôte les péchés du monde ^ ». Il est du Testament en a fait sept fois le tour ^ ; comme
défendu à ceux qui font la pâque de briser les aujourd'hui, à travers les temps qui s'écoulent
os on ne brise pas les os du Seigneur attaché
; en une série de sept jours, le Testament de
à la croix. L'Evangéliste atteste que c'est pour Dieu fait le tour du monde entier pour qu'à la ;

cela qu'il a été dit Vous n'en briserez aucun : « fin des temps le dernier ennemi, la mort, soit
os ' ». On arrose de sang les montants des détruite, et qu'une seule maison, comme l'E-
portes, pour éloigner le fléau les peuples : glise unique, soit délivrée de la peste des mé-
sont marqués au front du signe de la croix du chants ,
purifiée des immondices de la forni-
Seigneur, pour être assurés de leur salut. La cation ,
par l'aveu de la confession , dans le
loi est donnée le cinquantième jour après la sang du pardon.
célébration de la pàque; l'Esprit-Saint est
CHAPITRE XXXII.
descendu cinquante jours après la passion
du Seigneur '\ Là, la loi est dite avoir été ÉPOQUE DES JUGES ET DES ROIS. SAMSON, JAHEL,
LA TOISON DE GÉDÉON.
écrite du doigt de Dieu ^; ici le Seigneur dit
de l'Esprit- Saint « C'est par le doigt de : Qu'il voie les époques, d'abord des Juges,
« Dieu que je chasse les démons * ». Et puis des Rois ; comme y aura jugement
il

Fauste crie les yeux fermés qu'il n'a rien


, ,
d'abord, ensuite royaume jiuis dans ces
;

trouvé dans ces livres qui ait rapport au mêmes époques des Juges et des Rois, qu'il
Christ Mais quoi d'étonnant, qu'il ait des
1 voie le Christ et l'Eglise figurés en mille et
yeux pour lire et n'ait pas l'intelligence pour mille manières. Qui donc, dans la personne de
comprendre, lui qui, [ilacé devant la |iorte Sanison, tueun lion qu'il rencontre en allant
fermée du mystère divin, frappe avec l'orgueil demander une femme chez des étrangers'?
de l'impiété, et non avec la foi de la piété ? sinon celui qui, devant ajtpeler l'Eglise du
Ainsi soit donc, ainsi soit-il car cela est juste. : sein des nations, a dit ; « Réjouissez-vous, car
Que du salut soit fermée aux orgueil-
la porte «j'ai vaincu le monde*? » Que signifie ce

leux; que vienne l'homme doux de cœur, rayon de miel formé dans gueule de ce
la

celui à qui le Seigneur enseigne ses voies ', et même lion tué '^? si ce n'est ce que nous
qu'il voie celadans ces livres, et tout le reste avons déjà sous les yeux : les lois mêmes du
encore, ou en totalité, ou en des parties qui lui royaume terrestre, qui ci-devant frémissaient
donnent l'idée de tout. contre le Christ, maintenant détruites dans
leur cruauté et prêtant appui à la douceur
CHAPITRE XXXI.
évaugélique qui doit être prêchée ? Qu'est-ce
JOSUÉ, IIAIIAB, JÉRICHO. TRIOMPHE DE LÉGLISE. quecetle fuinmeiiui peixe d'un clou les tempes
Qu'il voie Jésus introduisant le peuple dans de l'ennemi *, sinon la loi de l'Eglise qui dé-
la terre promise "
: car ce n'est pas au hasard truit l'empiredu démon par la croix du Christ?
qu'il était d'abord ainsi appelé mais c'est par ;
Que signifie cette toison mouillée de rosée
une disposition de la Providence que son nom quand l'aire reste sèche, puis restant sèche
a été changé en celui de Jésus. Qu'il voie la quand l'aire est mouillée'? ^i ce n'est la race
grappe de raisin suspendue à un bâton '. Qu'il des Hébreux, qui d'abord, seule, possède dans
voie dans Jéricho, image de ce siècle mortel, les saints le mystère de Dieu, qui est le Christ,
une femme publique, une de celles dont le tandis (jue le reste du inonde en est privé ;

Seigneur a ditqu'elles précéderont les orgueil- puis, qui en est privée à son tour, quand il

leux dans le royaume des cieux '", faire des- est manifesté aujourd'Uui au monde entier ?
Nuni. XXI, 0; Jean, m, M.
' — *
Jean, i, '2'\ — '
Kx. xll Ifî
, ,
—' — Juges, \iv. — ' Jean, — Juges,
Jean, iix, 36. —
' Ad. il, 1- i. — ' Ex. xxxl, 18. — ' Luc,
xi, JO.
'
Jùs. il.


Ici. VI.

*

Id. VI, 37-10.


.\vi , ;i3. '

— Pb. XXIV, 9.
' ' Josuc
,

III. — ' Nunr.. XIII , 21. — '°
Mal!.
XIV, 8. • kl. IV, :;l. '

XXI, 31.
LIVRE Xll. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 203

CHAPITRE XXXIII. insultent Elisée et lui crient a Tête chauve, :

a tête chauve ' » ; ceux qui, dans leur puérile


NOIVEAU SACERDOCE ET NOUVELLE ROYAITÉ
folie, raillent le Christ crucifié sur le Calvaire,
ANXOXCÉS. DIVISION DES TRIBIS.
sont envahis par les démons et périssent.
Et pour ne dire qu'un mot de l'époque des Elisée envoie son serviteur poser son bâton
Rois , le sacerdoce dès l'abord transféré à Sa- sur un enfant mort, l'enfant ne revient pas à
muel après la réprobation d'Héli ', et le sceptre la vie ; il vient lui-même, il se couche sur
donné à David, après la réprobation de Saiil % l'enfant, applique ses membres sur les siens
ne crient-ils pas bien baut qu'un nouveau sa- et la vie reparaît ^
; Dieu a envoyé la loi par
cerdoce et une nouvelle royauté apparaîtront son serviteur, sans profit pour genre hu- le

dans Notre -Seigneur Jésus- Christ , l'ancien main, mort dans le péclié; cependant elle n'a
sacerdoce, qui n'en était que l'ombre, ayant pas été envoyée sans raison, car celui qui l'a
été réprouvé? David lui-même mangeant les envoyée savait qu'elle devait l'être d'abord.
pains de proposition ,
que les prêtres seuls Puis il est venu lui-même, il a pris notre
avaient droit de manger ^ ne flgurait-il pas forme, a participé à notre mort et nous avons
le sacerdoce et l'empire réunis en une seule été rendus à la vie. Pendant qu'on coupe

personne, c'est-à-dire en Jésus-Christ ? Et ces du bois avec des haches , un fer échappe
dix tribus séparées du temple, et ces deux du manche et descend au fond du fleuve ;

tribus qui restent \ n'expliquent-elles pas mais il revient s'emmancher au bois qu'Elisée
suffisamment ce que l'Apôlre dit de tout ce a jeté sur l'eau ^; ainsi, quand la présence
peuple « Un reste a été sau\é, selon l'élec-
:
corporelle et les œuvres du Christ abattaient
« lion de la grâce ° ? » les Juifs impies comme des arbres stériles
(car Jean avait dit de lui « Voilà que la co- :

CHAPITRE XXXIV. « gnée a été mise à la racine de l'arbre »),


'

il abandonne son corps a la suite de la pas-


ÉLIE, LA VEIVE DE SAREPTA.
sion qu'ils lui font subir, il descend dans les
Elle est nourri pendant la famine par des profondeurs de l'enfer après que ce corps a
corbeaux qui lui apportent du pain le matin été déposé dans la sépulture puis son esprit ;

et de la chair le soir ' et dans ces livres les ;


rentre dans le corps comme le fer dans son
Manichéens ne voient pas le Christ affamé en manche et il ressuscite. Obligé de me res-
quelque sorte de notre salut, à qui les pé- treindre, que de choses je passe sous silence !

cheurs font leur confession, ayant déjà la loi Ceux-là seuls le savent, qui lisent l'Ecriture.
comme prémices de l'esprit, puis attendant la
résurrection de la cliair à la fin des siècles
CHAPITRE XXXVI.
,

figurée par le soir. Elle est envoyé pour être SENS PROPHÉTIQUE DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE
nourri chez une veuve étrangère qui ramas- ET DE LA RECONSTRUCTION DU TEMPLE.
sait deux morceaux de bois pour mourir
ensuite; ce qui nous représente le signe de la Et celte transmigration de Babylone, que
croix, non-seulement parce qvi'on parle expres- l'Esprit de Dieu ordonne par la bouche du
sément de bois, mais parce qu'on en indique prophète Jérémie, en recommandant aux cap-
deux morceaux. La farine et l'huile de la tifs de prier pour les peuples au milieu des-
veuve sont bénies le fruit et la joie ne '
; quels ils seront en exil (parce que la paix des

manquent jamais à la charité qui se dé- uns sera la paix des autres), et de bâtir des mai-
pense : car Dieu aime celui qui donne avec sons, déplanter des vignes, de cultiver des jar-
joie *. dins': peul-on ne pas reconnaître de quoi elle
CHAPITRE XXXV. est la figure, quand on voit les vrais Israélites,
ceux en qui il n'y a pas d'artifice ", passer au
ELISÉE. LE FER DE LA HACHE, IMAGE DE LA
royaume des nations par la prédication des
PASSION ET DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST.
Apôtres avec le sacrement évangélique ? Aussi
Des bêtes sauvages dévorent des enfants qui l'Apôtre, copiant pour ainsi dire Jérémie, nous
dit-il : « Je veux donc en premier lieu que
I Rois, 11, 27, 36. — =
Id. .\vi, 1-11. - '
Id. x.vi, 6. — ' Ut
Rois, XII, 16, 20. — ' Hom. XI, 5. — ' III Rois, xtii, 6. — ' Id. 9-16. ' IV Rois, 11, 23, 24. — ' Id. IV, 29-37. — '
Id. vl, 4-7. — '
Malt.
— ' II Cor. IX, 7. m, 10. — ' Jer. xxi.t, 1-7. — '
Jean, i, 47.
204 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

« tous fassent des supplications, des adorations, livres de l'ancienne loi et des Prophètes
« des demandes, des actions de grâces pour concernant le Christ ? A moins qu'on n'attri-
(I tous les hommes, pour les rois et ceux qui bue à l'industrie humaine l'interprétation et
« sont en dignité, afin que nous menions une l'application au Christ de tous les faits qui se
« vie paisible et tranquille, en toute piété et sont passés dans l'ordre des temps. Peut-être
« car cela est bon et agréable au
charité ; des juifs ou des païens pourront ils l'atûriner ;

« Sauveur notre Dieu, qui veut que tous les mais tous ceux qui veulent passer pour chré-
« bonnnes soient sauvés et viennent à la con- tiens doivent courber la tête sous l'autorité de
« naissance delà vérité ». C'est par là, en ef- '
l'Apôtre qui nous dit « Toutes ces choses :

fet, que ces croyants se sont construit des « leur arrivaient en figure » et encore ; :

maisons de paix, des basiliques pour les assem- « Toutes ces choses ont été des figures de

blées chrétiennes, ont planté des vignes, des «ce qui nous regarde ». Car si Ismaël et '

peuples fidèles, cultivé des jardins, où s'élève Isaac, qui étaient deux hommes, figuraient
au-dessus de toutes les plantes, ce grain de les deux Testaments ^ que faudra-t-il croire ;

sénevé, sous ombrage duquel l'inso-


le vaste de tant de faits, qui n'avaient aucune utilité
lent orgueil des Gentils eux-mêmes vient, à la naturelle, et n'étaient nullement nécessaires?
façon des oiseaux du ciel, chercher refuge et N'ont-ils aucun sens ? Si l'un de nous, qui ne
repos ^. Et si, après soixante-dix ans, suivant la savons pas l'hébreu , c'est-à-dire qui n'en
prophétie de ce môme Jérémie, on revient de connaissons pas même les caractères, en voyait
captivité et que le temple se relève ' : quel est un mur couvert dans un endroit honorable,
le disciple Ddèle du Christ qui ne comprenne serait-il assez sot pour s'imaginer que c'est

qu'après la révolution des temps, qui s'opère une manière de peindre une muraille ? Ne
par la répétition des sept jours, nous aussi, comprendrait-il pas au contraire que c'est une
de Dieu, nous devons sortir
c'est-à-dire l'Eglise écriture, que le sens de ces lettres lui échappe,
du pèlerinage de ce monde pour retourner à mais qu'elles ont une signification ? Ainsi
la Jérusalem céleste? Et par qui, sinon par quiconque lira avec un cœur droit toutes les
Jésus-Christ, le vrai grand-prêtre, dont Jésus, choses contenues dans l'Ancien Testament, en
le grand-prêtre de ce temps, qui bâtit le temple sera touché de manière à ne pouvoir douter
après la captivité, était la figure? Le prophète qu'elles aient un sens.
Zacharie vit ce prêtre en vêlements souillés,
vaincre le démon qui l'accusait après quoi ;
CHAPITRE XXXVIII.
on lui ôta ses vêtements souillés et on lui PAR EXEMPLE : LA FORMATION DE LA FEMME ,
donna un vêtement d'honneur et de gloire * ; l'arche DE NOÉ, LE SACRIFICE d'iSAAC.
comme le corps de Jésus-Christ ,
qui est
l'Eglise, après avoir vaincu son ennemi au ju- Par exemple : s'il fallait donner une aide
gement, à la fin des temps, passera du deuil à l'homme dans la personne de la femme ,

de l'exil, à la gloire du salut éternel. C'est ce était-il nécessaire, était-il utile qu'elle fût
qui est clairement exprimé dans le psaume de formée du côté de riiomme endormi '? S'il
la dédicace du temple « Vous avez changé : fallait fabriquer une arche pour échapper au
a mon deuil en joie, vous avez déchiré le sac déluge, était-il besoin ou que les mesures en
« dont j'étais enveloppé, et vous m'avez revêtu fussent exactement données et appliquées, ou
«d'allégresse, afin que ma gloire vous chante qu'elles tussent mentionnées dans des écrits
« et que je ne sois plus attristé ^ ». qui devaient passer à la postérité? S'il était
nécessaire d'y enfermer des animaux afin de ,

CHAPITRE XXXVII. propager les espèces, fallait-il ce nombre pré-


cis de sept couples d'animaux mondes, el de
TOUT A UN SENS DANS l'aNCIEN TESTAMENT.
TÉMOIGNAGE DE L'apÔTRE. deux d'immondes? Sans doute, l'arche avait
besoin d'une entrée mais était-il nécessaire ;

Qui pourrait indiquer sinon dans uu,


(ju'elle fût prati(iuée dans le côté et (|ue l'é-

traité spécial , même brièvement, toutes les crivain en fît mention


''
? On donna à Abraham
ligures symboliciues contenues dans les l'ordre d'immoler son fils; que le but de cet

• 1 Tim. 11, 1-4. — ' Malt, xiii, 31, 32. — ' Jcr. x.vix, 10 ; Ehd. i.
'
I Cor. X, 10, 6. — •
Gai. iv, ;
'
Gen. 11, 18, 21, 22.
— ' Zach. m. — '
I'». xxix, 12, 13. lii. VI, 11 ; vil, 3.
LIVRE XII. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 205

ordre ait été de mettre son obéissance à l'é- du genre humain a apparu dans un corps hu-
preuve pour la faireéclatiT aux yeux de la main, mais, au fait, rien ne l'y forçait, puisque
postérité; (|u'il ait été convenable que le fils le corps des autres hommes est aussi un corps
portât le bois plutôt que son père déjà vieux; humain. Seulement, quand en vient à la il

que le père n'ait pas eu permission de frapper porte, pratiquée au côté de l'arche, tout son
son Cls et de s'infliger une perte aussi cruelle, génie humain se trouve à bout de conjecture. Et
soit mais quand même il n'y aurait pas eu
: comme il fallait cependant dire quelque chose,
de sang répandu, Abraham en eùt-il été moins il a osé croire, il a osé dire, il a osé écrire
éprouvé? Ou s'il était nécessaire qu'il y eût que cette porte signifiait les parties inférieures
sacrifice en quoi ce bélier embarrassé dans
, du corps par où sortent l'urine et les excré-
un buisson par ses cornes et qui apparaît tout ments. Il n'est pas étonnant que n'ayant pas
à coup, peut-il suppléer à la victime '
? Ainsi trouvé la porte, il se soit ainsi égaré. S'il eût
tout cela médité attentivement, toutes ces cir- passé au'Christ, le voile eût été enlevé et il

constances superflues mêlées aux nécessaires, aurait trouvé les sacrements de l'Eglise dé-
avertissent d'abord l'àme humaine, c'est-à- coulant du côté de cet homme '. Car il avait
dire l'âme raisonnable ,
qu'il y aun sens et , été prédit : « Ils seront deux en une seule
ensuite l'invitent à le chercher. « chair - » : c'est pourquoi, dans l'arche, cer-
taines choses se rapportent au Christ, d'autres
CHAPITRE XXX IX. à l'Eglise, mais en somme, tout revient au

LES JCIFS LE NIENT. UNE OPINION ABSURDE


Christ. On peut ainsi , dans les autres inter-
prétations des figures l'épandues dans toutes
DE PHILON.
les divines Ecritures, étudier et comparer le

Les Juifs eux-mêmes, qui se raillent du sens de ceux qui y voient le Chiist et le sens ,

Christ dont nous reconnaissons la passion, ne de ceux qui, en dehors du Christ, s'efforcent
veulent pas que tant de paroles et tant d'ac- de les détourner à toute autre signification.
nous
tions aient été des figures prophétiques;
les forçons donc à en apprendre de nous la CHAPITRE XL.
signification; ets'ils s'obstinent à nier qu'il y
OPINION DES PAÏENS SUR CE SUJET.
en ait une, ils ne pourront sauver ces livres
d'une si grande autorité, de la honte qui s'at- Là-dessus les païens ne nous inquiètent pas;
tache à des fables absurdes. C'est ce qu'a bien ils n'osent s'opposer à ce que nous entendions
compris un certain Philon, homme d'une vaste comme du Christ, non-seulement les
figures
érudition, l'un de ceux que les Grecs n'hésitent paroles, mais les faits, surtout quand nous
pas à placer, pour l'éloquence, au niveau de démontrons que ce que nous regardons comme
Platon. Il s'est efforcé de donner quelques in- prophéties, a eu son accomplissement; tandis
terprétations, non pour arriver au Christ, au- que, de leur côté, pour faire accepter leurs
quel il ne croyait pas mais pour mieux faire
,
lubies, ils tâchent de les ramener par inter-
ressortir quelle différence
il y a entre tout prétation à je ne sais quelle physiologie ou
rapporter au Christ, qui est réellement le seul théologie, c'est-à-dire à des raisons naturelles
but de ces Ecritures, ou hasarder, en dehors ou divines d'une part, assez voir ce
: laissant,

de lui, des conjectures quelconques, même qu'elles sont, et de l'autre les tenant dans ,

avec tout le talent possible. H démontre par l'ombre puisqu'ils


,
se moquent sur leurs
là combien sont vraies ces paroles de l'Apô- théâtres de ce qu'ils honorent dans leurs tem-
tre « Lorsque vous serez passé au Seigneur,
: ples, tout à la fois trop libres en fait de vices,
« le voile sera enlevé - ». Peur citer un trait et trop serviles en fait de superstitions.
de ce Philon voulant faire entendre que
:

l'arche du déluge avait été construite sur le


CHAPITRE XLI.
modèle du corps humain, il en donne la des- PROPBÉTIES PLUS CLAIRES. BÉNÉDICTION DE L.4
cription détaillée, partie par partie. Tant qu'il RACE D'ABRAHAM.
ne s'agit que des règles des nombres, tout
cadre à merveille rien ne l'empêchant sans
; Du reste, si l'on nous dit que ces choses n'ont
doute d'y voir le Christ, puisque le Sauveur pas été faites ou écrites en vue du Christ même :

' Gen. xxn. — ' H Cor. m, 16. ' Jean, ïu, 34. — ' Gen. n, 21.
.

206 CONTRE FAllSTE, LE MANICHÉEN.

en mettant de côté la parfaite coïncidence des de la lumière ; s'il n'est pas loué par ses frères

figures avec leur accoin|ilissement, nous pou- les A|>ôtres, et par tous les cohéritiers qui
vons encore confondre nos adversaires par cherchent sa gloire et non la leur; si ses mains
d'autres proptiéties claires, manifestes, comme ne sont pas sur le dos de ses ennemis; si tous
celle-ci, par exemple «En ta postérité toutes : ses adversaires ne sont pas abaissés, cour-
« les nations seront bénies ». Cela a été dit à bés jusqu'à terre, par l'accroissement des
Abraham, à Isaac, à Jacob'. C'est donc avec peuples chrétiens ; si les fils de Jacob ne se
raison que Dieu s'écrie « Je suis le Dieu d'Abra- :
sont pas inclinés devant lui, dans le reste qui
« ham, Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ^»,
le a été sauvé selon l'élection de la grâce s'il '
;

puisqu'il devait accomplir, dans la bénédiction n'est pas lui-même le lionceau , puisqu'il est

de toutesles nations, ce qu'il avait promis pour devenu petit enfant par sa naissance c'est :

leur postérité. C'est aussi avec raison qu'A- pourquoi on ajoute « Le fils de ma semence » :

braham, après le serment de son -serviteur, On rend d'ailleurs raison de ce mot de lion-
luifit poser la main sous sa cuisse
' sachant : ceau quand on dit dans un autre endroit
,
:

que de lui naîtrait la chair du Christ en qui a Ce lionceau est plus fort que les bêtes de

nous ne prédisons plus que les nations seront « charge - » c'est-à-dire, quoique petit, il est
:

bénies, mais en qui nous voyons qu'elles sont plus fort que des animaux plus grands. S'il

bénies suivant la prédiction. n'est pas monté en se couchant sur la croix ,

quand il baissa la tête et rendit l'esprit; s'il

CHAPITRE XLII. n'a pas dormi connue un lion puisqu'il n'a ,

point été vaincu, mais vainqueur dans la


PROPHÉTIE DE JACOB EXPLIQUÉE.
mort même; et comme un lionceau, puisqu'il
ou |ilutôt j'aime mieux
Je voudrais savoir, est mort dans ce qui était né; si celui qu'au-
ignoreravec quel aveuglement d'esprit, Fauste cun homme n'a vu ni ne peut voir % ne l'a
a lu le passage où Jacob, ayant appelé ses fils, pas ressuscité des morts. Par ces mots, en
leur dit « Assemblez-vous, afin que je vous
: effet Qui l'éveillera ? » on exprime assez
: «

a annonce ce qui doit arriver dans les dur- l'idée de quelqu'un d'inconnu: si le prince a
« niers jours; rassemblez-vous et écoutez, fils manqué à Juda, et le chef à sa postérité jus- ,

«de Jacob; écoutez Israël, votre père «.Ici qu'à ce que soit venu ce qui avait été promis et
personne ne peut mettre en doute que le comme réservé. Il y a, en efl'et, des histoires
rôle de Prophète soit en pleine évidence. authentiques et certaines, provenant des Juifs
Ecoulons donc ce qu'il dit à son fils Juda, par eux-mêmes, qui constatent qu'Hérode fut le
la tribu ducjuel le Christ est venu « de la race premier étranger qui régna sur eux et dans
«de David selon la chair», au témoignage le temps même où le Christ est né '. Le roi

de l'Apôtre * : « Juda, que tes frères te louent; n'a donc pas manqué à la race de Juda ,
jus-
« tes mains seront sur le ilos de tes ennemis; qu'à ce que vînt ce qui lui avait été réservé.
de ton père s'inclineront devant toi.
« les fils Mais comme les Juifs fidèles n'ont pas seuls
« Juda est comme un jeune lion, le fils de ma profité des promesses, voyez ce qui suit : « Et
« semence; tu étais couché et tu t'es levé, tu « il sera l'attente des nations». «Il a lui-même
« as dormi comme un lion et comme un lion- « lié son ânon à la vigne», c'est-à-dire son
«ceau; qui l'éveillera? Le prince ne man- peuple, en prêchant dans le cilice et en criant :

« (juera pas à Juda ni le chef à sa postérité, , « Faites pénitence : car le royaume des cieux
« jusqu'à ce 1)110 vienne ce (jui lui a été rc- « approche ° ». Or, nous savons que le peuple
« serve; et il sera l'attente des nations, liant des gentils est comparé à l'ânon sur lequel ,

a son ânon à la vigne et le fils de l'ànesse au il s'assit, dans Jérusalem %


et qu'il conduisit
<i cilice; il lavera sa robe dans le vin, et son c'est-à-dire dans la vision de paix, en ensei-
B manteau dans le sang de la vigne : ses yeux gnant ses voies à ceux qui sont doux. S'il n'a
« seront plus brillants que le vin et ses dents pas lavé sa robe dans le vin : car c'est la glo-
« plus blanches que le lait' ». Que tout cela rieuse Eglise qu'il fait paraître devant lui,
soit mensonge, que tout cela suit obscurité, si n'ayant ni tache ni ride '

; à qui il est dit par


cela n'a jias brillé dans le Christ de tout l'éclat la voix d'Isaïe : « Quand vos péchés seraient

• Gen. XXII , 18, xx«i , i , xxvm, 14. — ' Ex. m, 6. — '


Gen. Rom. ïi, 5. — • Prov. xxx, 30. — ' I Tim. vi, Ib. — ' Malt, ii,

ixiv, 2, 9. — ' Kom. I, 3. — ' Gcn. xlix, 1, 2, 8-12. 3, 7. — ' Id. m, 2. — ' Id. XXI, 2-10. — 'Eph. v, 2r.
LIVRE Xll. — l'ERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 207

« rouges comme l'écailate, je les rendrai blancs avons été guéris par ses meurtrissures; il a
«

a comme la neige ». Et comment sinon par '


,
lui-même porté nos iniquités ? » Qui ne
« '

la rémission des péchés? Et dans quel vin, croira pas entendre chanter l'Evangile, quand
sinon dans celui dont il est dit « qu'il sera il lira « Ils ont percé mes mains et mes pieds,
:

« répandu pour beaucoup en rémission des « ils ont compté tous mes os; ils m'ont re-
« péchés -? » Car il est lui-même la grappe « gardé, ils m'ont considéré attentivement;
de raisin suspendue au bois '. Aussi voyez ce G ils se sont partagé ils ont tiré mes vêtements,
qu'on ajoute a Et son manteau dans le sang
: « ma Qui donc, à moins d'être
robe au sort? »

de la vigne ». Or, que ses yeux soient jikis absolument aveugle, ne voit déjà l'accomplis-
brillants que le vin , ils le savent, ceux des sement de cette prophétie « Toutes les con- :

membres de son corps à qui il est donné de « trées de la terre se souviendront et se con-

voir, dans une sainte ivresse qui rend leur « vertiront au Seigneur, toutes les nations se
esprit étranger à tout ce que le temps entraine « prosterneront en sa présence* ? » Et ces mots
dans son corps, de contempler, dis-je, l'éter- de l'Evangile : « Mon âme est triste jusqu'à la
nelle lumière de la sagesse. C'est pourquoi mort' » ; et ceux-ci : « Maintenant mon âme
nous avons cité plus haut ce mot de Paul : « est », ne lesa-t-on pas déjà enten-
troublée '

« Car si nous sommes emportés hors de nous- dus dans le psaume: «Je me suis endormi tout
« mêmes, c'est pour Dieu » Cependant, comme . a troublé?» Et pourquoi s'est-il endormi ? Par

il ajoute: «Si nous sommes plus retenus, le fait de ceux qui criaient « Crucifiez-le, :

« c'est pour vous », les petits enfants mêmes


'"
« crucifiez-le » Le même psaume ne nous !

qu'il faut nourrir avec du lait ne sont pas dé- les désigne-t-il pas d'avance « Enfants des :

laissés % car on lit à la suite o Ei ses dents : « hommes, leurs dents sont des armes, leur

« sont plus blanches que le lait ». « langue est un glaive aigu? » Mais qu'ont-ils

fait, en quoi ont-ils nui à celui qui devait res-


CHAPITRE XLIII. susciter, monter au-dessus des cieux, et pos-
séder toute la terre parla gloire de son nom?
ON NE FEIT TOUT CITER. LE CHRIST PROPHÉTISÉ
Voyez si le Psalmiste a gardé le silence la-
DANS LES PSAL'MES.
dessus : car il ajoute : « Elevez-vous, Seigneur,
que répondez-vous à cela ? Car
Insensés ,
B au-dessus des cieux , et que votre gloire
enfin tout cela est clair, cela ne réfute pas «éclate sur toute la terre"». Qui a jamais
seulement vos objections calomnieuses, mais hésité à entendre du Christ ces paroles : « Le
dissipe jusqu'aux moindres nuages. Cherchez « Seigneur m'a dit Vous êtes mon Fils, je :

d'abord dans ces livres des témoignages de ce « vous ai engendré aujourd'hui deniaudez- ;

genre, commencez par y ajouter foi. Je ne puis « moi et je vous donnerai les nations pour
les rappeler tous, parce que cela dépasserait les M héritage, et la terre entière pour empire* ».
bornes; je ne puis en citer beaucoup, parce Qui a le droit d'appliquer à un autre les paroles
que je serais long cependant je ne voudrais (le Jérémie sur la sagesse a II l'a donnée à :
;

pas me contenter d'un petit nombre, de peur « son fils Jacob et à Israël son élu après ,
:

que ceux qui ne lisent pas les autres ne croient « cela, il a été vu sur la terre, il a habité avec

que tout se borne là, et aussi de peur que le « les hommes ''
».

lecteur fidèle et intelligent, en trouvant beau-


CHAPITRE XLIV.
coup d'autres passages plus clairs, ne me blâme
d'avoir produit de préférence ceux qui ont pu PROPHÉTIE DE DANIEL ACCOMPLIE. APPLICATION
me tomber sous les yeux. Vous en trouverez en AIX JUIFS ET AIX MANICHÉENS.
effet beaucoup qui n'auront aucun besoin de
commentaire, ou au moins d'un commentaire Qui ne reconnaîtra ce même Sauveur dans
comme celui que je viens de faire sur les pa- Duunel quand le fils de
,
rhomme est offert à
roles de Jacob. Qui a besoin, par exemple, de l'Ancien des jours et reçoit de lui un règne
commentateur, quand il lit: « Il a été conduit sans fin, pour que toutes les nations lui obéis-
«au sacrifice comme un agneau? » et tous sent *
? Rien plus, si vous faites attention au
ces textes si nombreux, si évidents : » Nous
Is. LUI. 7,5.— ' Ps. XXI, 17, 18, 19, 28. — '
Malt. ÏXÏI, 38. —
'
Is. I, 23. — • Matt. iivi, 28. — ' Num. xiii, 24. — * U Cor. v, *
Jean, xil, 27. — ' Ps. lyi, 5, B. — ' Id. li, 7, 8. —' Bar. lu, 37,
13. — ' Hébr. V, 12. 38. — ' Dao. »11, 13, 14.
208 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

lieu même Seigneur a parlé d'après


dont le laquelle mort pour nous. Aussi savons-
il est

la prophétie de Daniel « Quand vous verrez : nous d'eux que ces paroles du livre
(|ue c'est
« l'abominalion de la désolation, prédite par de la Sagesse ont été dites d'avance « Con- :

« le prophète Daniel régnant dans le lieu ,


" damnons-le à la mort la plus infâme car il :

Saint, que celui qui lit, comprenne '


» ; si « sera traité selon ses paroles ; s'il est vrai-

vous supputez les semaines d'années et tenez « ment Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense,
compte de leur nombre, non-seulement vous B et le délivrera des mains de ses ennemis. Us
trouverez là le Christ, mais même le temps où a ont pensé ainsi et ils se sont trompés : car
il a dû venir pour souffrir. Du reste, sans cal- « leur malice les a aveuglés ' » . Et c'est avec la

cul de temps, par la seule évidence des faits plus grande vérité qu'on peut aussi appliquer
accomplis, nous confondons les Juifs avec qui ce passage à ceux qui, au milieu de tant de
il s'agit d'examiner, non pas si le Christ est témoignages, malgré un tel ensemble de pro-
notre Sauveur, mais s'il est déjà venu. Or, ils phéties, malgré tant de faits si visiblement
sont convaincus par les faits les plus mani- accomplis, nous disent encore que le Christ

festes, non-seulement par la conversion si n'a point été annoncé par les Ecritures. Et
éclatante, si incontestable, de toutes les na- s'ilsne cessent de le répéter, nous pouvons
tions qui devaient un jour lui être soumises, aussi leur donner sans Qn des preuves, avec
d'après les prédictions de TEcriture elle-même, l'aide de Celui qui nous a procuré une telle

(autorité irrécusable pour eux) mais encore ;


abondance de témoignages contre les calom-
par tout ce qui accompli au sein de leur s'est nies et les erreurs des hommes, tiue nous
propre nation, par exemple, la destruction du n'avons pas même besoin de revenir sur ce
Sanctuaire, la cessation des sacrifices, du sa- que nous avons déjà dit.

cerdoce, de l'onction primitive : toutes choses


CHAPITRE XLV.
que Daniel avait prédites pour l'époque même
où il annonçait clairement que le Saint des INCONSÉQUENCE DE FAUSTE.
saints recevrait l'onction K Or, comme tout
cela s'est réalisé, on leur demande où est le Passons, mais non sans répugnance, à un
Saint des saints, et ils ne savent que répondre. autre subterfuge de Fauste, qu'il regarde, ce
D'ailleurs comment discuteraient -ils avec me semble , comme un tour des plus heu-
nous non pas sur la personne du Christ,
,
reux, et auquel le réduit l'éclat éblouissant des

mais sur le temps de sou arrivée, s'ils ne sa- prophéties. ne faut pas qu'on s'imagine
Il

vaient parfaitement qu'il a été annoncé dans (|u'il ait quelque chose, parce qu'on se
dit

leurs livres? Pourquoi demandent-ils à Jean donne la peine de lui répondre. Quel est en
s'il est le Christ'? Pourquoi disent -ils au elîet l'homme assez insensé pour avancer
Seigneur lui-même « Jusqu'à quand tien- : (]ue la foi est faible quand on ne croit pas

((drez-vous notre esprit en suspens ? Si vous au Christ sans témoignage? Je voudrais que
« êtes le Christ, dites-le-nous ouvertement ». ' les Manichéens me disent sur quel témoi-

Pourquoi Pierre, André et Philippe disent-ils gnage ils auraient eux-mêmes cru au Chiist,
à Nathauaël « Nous avons trouvé le Messie
: : Ont-ils entendu la voix du ciel dire a Celui- :

« ce (ju'on interprèle par le Christ ^


», sinon <(ci est mou Fils^? » Fauste veut en effet que

parce que ce uom était connu de ce peuple nous ajoutions surtout foi à cette voix, lui qui
par les saintes Ecritures et était l'objet de n'admet pas de témoignages humains sur le
son attente? Car aucune autre nation n'a des Christ, comme si la connaissance de cette voix

rois et des prêtres appelés christs, et dont avait pu nous parvenir sans le témoignage de

l'onction symbolique ne dût cesser qu'à l'ar- l'homme, et quand il est manifeste qu'elle ne
rivée de Celui dont ils étaient la figure ^ Les nous est pas parvenue autrement, au point de
Juifs ne voyaient dans leurs christs que ce l'aire dire à l'Apôtre : « Mais comment invo-
Clirist unique en qui ils espéraient un libéra- « queront-ils Celui en qui ils n'ont point cru?
teur mais, aveuglés par un secret dessein de
;
« Ou comment croironl-ils à celui qu'ils n'ont

la justice divine, en ne songeant qu'a sa puis- M pas entendu? Et comment entendront-ils,


sance, ils n'ont pas con)i)ris l'intirmité dans « si personne ne les prêche ? Et comment
« lirêcliera-t-on , si on n'est pas envoyé?
' Dan. IX, 27 Malt, xxiv, 15. — ' Dan. ix, 24, 27. —
' Jean, i,

18, 21. —
;

19. — ' lii. X, 2-!. — ' Id. I, 41. — ' I Uois, X, 1, 2; Ex.xxiz. •
Sag. II,
' Malt, m, K, xvii, 5.
LIVRE XII. — PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES. 209

« Comme il est écrit : Qu'ils sont beaux les daignant la nourriture de l'enfant, comme s'il

ff pieds de ceux qui annoncent la paix, qui était parvenu à la maturité de l'âge, s'est pré-
« annoncent le bonheur' » Vous voyez clai- !
cipité sur les mets empoisonnés de l'hérésie

rement comment le témoignage des Prophètes plutôt que sur l'aliment de la sagesse, pour
appuie la prédication de la doctrine apostoli- lequel il avait la témérité de se croire disposé.
que. Pour ne pas livrer au mépris et faire Ainsi donc, ce que nous disons de la nécessité
traiter de fables ce qu'annonçaient les Apôtres, de la foi simple, n'est point en contradiction

on démontrait que les Prophètes l'avaient dit avec ce que nous disons de la nécessité de
d'avance ; parce que bien que les miracles ,
croire aux Prophètes bien plus, ces deux ;

vinssent à l'appui, il n'eût pas manqué de gens points se rattachent, car que l'esprit il faut
(comme on en entend encore aujourdluii), soit purifié et fortifié aux Prophètes, par la foi

qui eussent attribués tous à la puissance


les pour être capable de comprendre Celui qui
de magie, si le témoignage des Prophètes
la parlait ainsi par la bouche des Prophètes.
ne leur eût interdit une telle pensée. Personne,
en effet, n'eût osé dire que les Apôtres s'étaient
CHAPITRE XLVII.
créé, à l'aide de la magie, longtemps avant LES MANICHÉENS NE PEUVENT JUGER LA CONDUITE
leur naissance, des Prophètes pour les annon- DES PROPHÈTES. FOI d'ABRAHAM PROPOSÉE
cer. Mais Faustenous défend de croire au vrai POUR MODÈLE.
Christ sur le témoignage des Prophètes hé-
breux, lui qui a cru aux erreurs des Perses Mais, dit-on, s'ils ont prophétisé le Christ,
sur le faux Christ. ilsont vécu d'une manière peu digne et peu
conforme à leur dignité de prophètes. Com-
CHAPITRE XLVI. ment le savez-vous? Etes-vous dans le cas de
CARACTÈRE DE LA FOI SIMPLE. juger ce que c'est que de bien ou mal vivre,
vous qui faites consister la justice à ne pas
Mais la doctrine catholique enseigne qu'il manger un melon insensible, plutôt que de
faut d'abord nourrir de foi simple l'esprit du donner à manger à un pauvre ([ui meurt de
chrétien, précisément pour le rendre capable faim ? Quant aux enfants catholiques, avant
de comprendre les vérités supérieures et éter- desavoir en quoi consiste la justice parfaite
nelles. C'est en effet ce que dit le Prophète : de l'âme humaine, et quelle différence il y a
« Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez entre celle après laquelle on soupire, et celle
«pas-». Et cette foi simple est celle par par laquelle on vit ici-bas il leur suffit de :

laquelle, avant de connaître la science suré- penser de ces hommes que nous recom-
ce
minente du Christ pour être remplis de toute mande la saine doctrine de l'Apôtre o Le :

la plénitude de Dieu % nous croyons que ce « juste vit de la foi '. Abraham crut à Dieu et
n'est pas sans raison que le mystère d'humi- « cela lui fut imputé à justice. Car l'Ecriture,
lité, par lequel il est né et a souffert comme « prévoyant que Dieu justitierait les nations
un homme, a été prédit si longtemps d'avance a par la foi, l'annonça d'avance à Abraham, en
par des Prophètes, par une nation prophétique, « disant : Toutes les nations seront bénies en
par un peuple pro(ihétique, par un royaume v( ta postérité -». Voilà ce qu'enseigne l'Apôtre.
prophétique ; et que dans celte folie, qui est A connue de tout le
cette voix si claire, si

plus sage que les hommes, dans celte infir- monde, vous vous réveilliez de vos songes
si

mité, qui est plus forte (]ue les hommes *, il trompeurs, vous suivriez les traces de notre
se cache querque chose de grand pour notre ])ère Abraham, et, avec toutes les nations,

justification et notre glorification. Là en effet vous seriez bénis en sa postérité. «Car», nous
sont cachés tous les tiésorsde la sagesse et de dit l'Apôtre «il reçut la marque de la circon-
,

la science % qui ne s'ouvreut point pour celui « cision, le sceau de la justice de la foi, qui

qui a rejeté avec mépris la nourriture que lui « est dans l'incirconcision, afin d'être le père
transmettait la chair de sa mère, c'est-à-dire « de tous les' croyants incirconcis, pour que la
le lait nourrissant qui lui venait par les ma- a foi leur fût aussi imputée à justice, et afin
melles des Apôtres et des Prophètes ;
qui, dé- K d'être le père de la circoncision, non-seule-
« ment des circoncis, mais aussi de ceux qui
' Rom. X , 14 , 15. — Id. VII, 9. — ' Eph. III, 19. — ' I Cor. i,

25. — ' Col. II, 3. ' Rom. I, n. — ' Gai. m, 6, 8.

S. Ai'G. — Tome XIV. 14


210 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

a suivent les traces de la foi qui est dans notre pourvu que je ne blâme pas la conduite des
«père Abraham, encore incirconcis' ». La saints de l'antiquité, quand même je
ne com-
justice de la foi d'Abraham nous ayant été prendrais pas mystérieux de leur vie.
le côté

offerte pour modèle, afin que nous aussi, jus- Cette vie, les Apôtres nous l'ont recommandée
tifiés par la foi, nous soyons en paix avec Dieu, avec éloge dans leur Evangile, comme ces
nous devons étudier la vie de celui qui nous Prophètes avaient eux-mêmes prédit les Apô-
a donné cet exemple, et non le blâmer, de tres ; en sorte que les deux Testaments se
peur d'être rejetés du sein maternel de l'Eglise, crient l'un à l'autre, comme les deux Séra-
comme des avortons, avant d'avoir été formés phins « Saint, Saint, Saint est le Seigneur,
:

et perfectionnés par une conception solide. « le Dieu des armées ». Quand Fauste accu-
'

sera, non pas d'une manière générale et vague,


CHAPITRE XLVIH. comme il l'a fait ici, mais précise et détaillée,
les actes des patriarches et des Prophètes,
CONCLUSION. LE SAINT DOCTEUR BÉPONDKA PLUS
alors le Seigneur leur Dieu, qui est aussi le
EN DÉTAIL AUX OBJECTIONS DE FAUSTE SUR LES
nôtre, m'aidera à lui donner des réponses
PATRIARCHES.
convenables et spéciales sur chaque point.
Voilà la courte réponse que j'ai à faire à Maintenant Fauste, le manichéen, blâme ces
Fauste sur les mœurs des patriarches et des personnages, et Paul, l'apôtre, les loue c'est :

Prophètes, par la voix de nos petits enfants, au à chacun de voir auquel ajouter foi.

nombre desquels je me compte moi-même, 'Is. VI, 3.

' Rom. IV, n, 12.


UYKE TREIZIÈME.
C'est le Christ de l'Evangile qne les prophéties ont annoncé, comme leur réalisation le prouve. — Manès n'est point son apJtre.
L'aTeuglement des Juifs. — Les oracles païens. — Système absurde des .Manichéens.

CHAPITRE PREMIER. phètes sur le Christ ? .Mais un païen, libre des


deux côtés, ne croirait ni aux Prophètes par-
FAISTE REJETTE LES PROPHÉTIES SUR LE CHRIST.
lant du Christ, ni au Christ [)aiiant des Pro-
ON >E PEUT LES ADMETTRE SA>S FAIRE UN
phètes. Donc, quiconque passe de la gentilité
CERCLE VICIEUX.
au christianisme ne doit rien qu'à sa foi. Et
Fauste. Comment honorez-vous le Christ ,
pour éclaircir par un exemple ce que nous
puisque vous rejetez les Prophèles , selon disons ici, supposons que nous avons un païen
les prédictions desquels ou dit qu'il a dû à instruire et que nous lui disons Croyez au :

venir? —Ay
regarder de près, je ne sais si Christ parce qu'il est Dieu. Comment le prou-
l'on peut prouver que quelques Prophètes hé- vez-vous ? répondra-t-il. Par les Prophètes. —
breux aient annoncé noire Christ, c'est-à-dire — Quels Prophètes? —
Ceux des Hébreux. —
le Fils de Dieu. Mais quand cela serait, que Mais je n'y crois pas du tout, nous dirait-il en
nous importe? Ce reproche s'adresse à ceux souriant. —
Pourquoi répliquerons-nous
,
,

qui, convertis du judaïsme au christianisme,, puisque le Christ confirme leurs témoignages?


sur le témoignage des Prophètes, dites-vous, — Eh répondra-t-il en riant encore plus fort,
!

les ont ensuite mis de côté, en véritables je ne crois pas au Christ. Que résultera-t-il—
ingrats. Quant à nous, nous sommes gentils de tout cela ? Ne serons-nous pas embarrassés,
par nature, c'est-à-dire de ceux que Paul ap- et le païen, semoquant de notre maladresse,
pelle incirconcis ', nés sous une autre loi, sous ne retournera-t-il pas à ses idoles? Donc,
ces autres Prophètes que le paganisme appelle comme je l'ai dit, les témoignages des Hébreux
vates, et plus tard convertis de ceux-ci au sont sans utilité pour l'Eglise chrétienne, com-
christianisme. Nous n'avons pas été Juifs posée de païens beaucoup plus que de juifs.
d'abord, pour passer ensuite au christianisme, Sans doute, s'il y a, comme on le dit, quelques
en ajoutant justement foi aux Prophètes hé- prédictions touchant le Christ, venant de la
breux mais nous sommes venus, attirés par
; Sibylle, ou de Mercure, surnommé Trisiné-
la seule renommée de
l'éclat des vertus et de giste, ou d'Orphée, ou de quelque autre devin
la sagesse de notre libérateur Jésus-Christ. Si du paganisme, cela pourra un peu aider à
j'étais donc encore attardé dans la religion de notre foi, de nous qui passons de la gentilité au
mes pères et qu'un prédicateur vînt me prê- christianisme mais les témoignages des Hé-
;

cher le Christ d'après les Prophètes, je le breux, à supposer qu'ils soient vrais, nous
regarderais certainement comme un fou, lui sont inutiles avant la conversion, superflus
qui s'efforcerait de prouver des choses dou- après parce que, avant, nous n'y pouvons pas
;

teuses par d'autres plus douteuses, à moi gentil croire, et que, après, nous n'en avons nul be-
et professant un culte bien différent du sien. soin.
Qu'eùt-il fallu, en effet, sinon me persuader CHAPITRE 11.
que je dois d'abord croire aux Prophètes et
COMBIEN l'objection DE FAUSTE EST RIDICULE,
ensuite au Christ par les Prophètes ? Or, pour
cela, il faudrait d'autres Prophètes qui me
Augustin. La longueur de notre réponse
fissent croire à ceux-ci. Par conséquent, si vous
précédente nous autorise à abréger celle-ci.
voulez que j'admette le Christ sur la foi des
Je pense, en effet, que celui qui l'a lue doit
Prophètes, sur la foi de qui admettrai-je les rire d'un liomme qui débite de telles extra-
Prophèteseux-mémes?Merépondrez-vous:Sur vagances et ose encore dire que les Prophè-
la foi du Christ, en sorte que l'un s'appuie sur
tes hébreux n'ont pas annoncé le Christ ;
l'autre, le Clirist sur les Piophètes et les Pro- quand le nom même du Christ n'a existé que
' Eph. II, a. chez ce seul peuple, qu'il y a été exclusive-
212 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

ment réservé au roi et au prêtre ', et qu'il la iirophélie hébraïque, que le Christ-Dieu est
n'en a disparu que lors de l'avènement de fils de la Vierge. Eu effet, de peiîr que les

celui qu'ils flguraient -. Que les Manichéens Juifs charnels ne crussent qu'il n'y avait autre
eux-mêmes nous disent de qui ils ont appris chose dans le Cbrist que ce qui est né homme

ce nom. Si c'est de Manès, je demande pour- pour nous de la race de David, le Seigneur
quoi ils ont cru à Manès, pour ne rien dire lui-même les ramène à la prophétie de ce
des autres je demande pourquoi des Afri-
;
même David, en leur demandant ce qu'il leur
cains ont cru à un Perse, quand Fausfe blâme semblait du Christ , de qui ils le disaient
les Romains, les Grecs, ou d'autres peuples fils : comme ils lui répondaient : «De David»,
d'avoir cru à des Prophètes hébreux, à des de peur, dis-je, que leur foi ne se bornât là, et

étrangers, en ce qui concerne le Christ, et qu'ils ne perdissent de vue l'Emmanuel ,

prétend que les prédictions de la Sibylle ,


que l'on interprète par, Dieu avec nous, il
d'Orphée ou de tout autre oracle païen seraient leur répliqua « Comment donc David lui-
:

plus propres à inspirer la foi au Christ ou- : a même l'appelle-t-il, au moment de l'inspira-

bliant qu'on ne récite celles ci dans aucune « tion, son Seigneur, disant: Le Seigneur a dit à

église, tandis que les Prophètes hébreux sont « mon Seigneur Asseyez-vous à ma droite,
:

connus de tous les peuples et amènent une «jusqu'à ce que je fasse de vos ennemis Fes-
foule innombrable de fidèles à la foi chré- « cabeau de vos pieds ? » Voilà, dis-je, que '

tienne. Mais dire que les prophéties hébraïques nous démontrons le Christ-Dieu par la pro-
sont incapables de déterminer les gentils à phétie hébraïque montrez-nous, de votre côté,
;

croire au Christ, quand nous voyons toutes quelqu'une de vos prophéties qui vous ait
les nations croire au Christ à cause de ces seulement appris le nom du Christ.
prophéties, c'est porter la folie jusqu'au ridi-
cule.
CHAPITRE IV.

MANÈS n'est POINT APÔTRE DU CHRIST ; IL NE


CHAPITRE III.
s'appuie sur AUCUNE AUTORITÉ.
LE CHRIST ANNONCÉ PAR LES PROPHÈTES EST LE
VÉRITABLE.
Car votre Manès n'a point été le prophète
du Christ à venir par le plus impudent des
:

Le Christ annoncé par les Hébreux vous dé- mensonges, il s'en dit l'apôtre quand il est ;

plaît; et cependant tous les peuples, chez qui, constant que cette hérésie est postérieure,
selon vous, les prophéties hébraïques sont non-seulement au temps de Tertullien, mais
sans autorité, croient au Christ que les Hé- même à celui de Cyprien. Cependant toutes
breux ont annoncé, en recevant l'Evangile sesépitres commencent ainsi :« Manès, apôtre
a que Dieu », nous dit l'Apôtre, « avait pro- « Pourquoi avez-vous cru à
de Jésus-Christ ».

mis auparavant par ses Prophètes dans les sa parole pour ce qui concerne le Christ ?

« saintes Ecritures, touchant son Fils, qui lui Quel témoin de son apostolat vous a-t-il pro-
est né de la race de David selon la chair ' ». duit? Et le nom même du Christ, que nous
C'est pourquoi le prophète Isaïe a dit « Il y : savons n'avoir été porté que dans la nation
B aura un rejeton de Jessé, qui se lèvera pour juive par les prêtres et par les rois , au
« régner sur les nations les nations espére- : point que ce n'est pas seulement tel ou tel
«ronten lui »; et encore « Voilà que la

: homme, mais la nation entière et tout le
« Yiergeconcevra et enfantera un fils, et il sera royaume qui a été prophète du Christ et du
« appelé Emmanuel ^
: ce qui est interprété royaume chrétien ce nom, dis-je, pourquoi :

« Dieu avec nous"» Et que nosadversaires


par, . l'a-t-il pris,pourquoi l'a-t-il usurpé, lui, qui
ne s'imaginent pas que les Prophètes hébreux vous défend de croire aux Prophètes hébreux
n'ont annoncé le Christ que comme homme; pour faire de vous, faux et imposteur ajiôlre
ce à quoi Fauste semble faire allusion quandil qu'il est, de faux disciples d'un faux ciirist?
dit Notre Christ Fils de Dieu comme si les
: : Qu'à la fin, pour ne pas s'entendre dire Tu :

Hébreux n'appelaient pas aussi leur Christ Fils meus, il vous ait aussi produit quelques pro-
de Dieu. Voilà que nous démontrons, d'après phètes qui auraient, selon lui, annoncé son
christ, j'y consens mais que direz-vous à ce
' Ex. xxtx ; I Rois, x, 1 ; Ex. xix. — ' Dan. IX, 24. — ' Rom.
;

I, 2, 3. — ' Is. XI, 10. — ' Id. vil, 14. — Matt. I, 23. ' Matl. XXII, 42.44,
LIVRE XIII. — LE CHRIST DE L'ÉVANGILE PRÉDIT. 213

catéchumène,dont Fauste parlait toutà l'heure, « nations '


». Que répondrez-vous?A qui croi-
s'il ne veut croire ni à ces prophètes ni à lui? rez- vous touchant le Christ, vous qui rejetez
Invoquera-t-il en sa faveur le témoignage de les témoins étrangers? Or, l'autorité de nos

nos apôtres? Ce ne seront pas eux qu'il produira, livres, fortifiée par le consentement de tant de
je pense, mais il ouvrira leurs livres et tout : nations, par la succession des Apôtres, des
en lesouvrant, il verra qu'ils se déclarent contre évêques et des conciles, vous est contraire ;

lui et non pour lui. Car là nous lisons et nous et celle des vôtres est nulle, parce qu'elle
enseignons que le Christ est né de la Vierge n'est produite que par un petit nombre
Marie, que le Fils de Dieu est sorti de la race d'hommes qui adorent un
et par des hommes
de David selon la chair '. Dira-t-il que ces Dieu faux et un Christ menteur. Aussi s'é-
livres sont falsifiés? alors il attaque l'autorité mensongère,
lève-t-elle contre leur doctrine

de ses propres témoins. Mais s'il en produit moins qu'on ne les regarde eux-mêmes comme
d'autres, les livres de ceux qu'il appelle a Nos : de faux imitateursdeleur DieuetdeleurChrist.
« apôtres», comment leurdonnera-t-ill'auto- Or, la renommée, si on la consulte fait de vous
rité, lui qui repousse celle que les Apôtres du des hommes très-mauvais, et elle ne cesse de
Christ ont eux-mêmes établie dans ioutes les prêcher contre vous né de la race de le Christ

églises, pour être transmise à la postérité, ap- David. Vous n'avez pas entendu la voix du
puyée sur leurs recommandations? Comment Père, descendant du ciel -, vous n'avez pas vu
celui à qui je ne crois pas, me produit-il des les œuvres que le Christ donnait comme des
Ecritures pour m'inspirer de la confiance en témoignages en sa faveur; pour tromper sous
lui, et s'efforce- 1- il de leur donner de l'auto- im masque de christianisme, vous avez l'air
rité, alors que je n'ai aucune foi à sa parole? d'accepter les livres où ces choses sont écrites,
mais pour échapper aux textes qui vous y
CHAPITRE V. condamnent, vous les dites falsifiés. Vous
nous présentez le Christ disant « Si vous ne :

LA RENOMMÉE QIE FAUSTE INVOQUE, LE CONFOND « me croyez pas, croyez à mes œuvres^ »; et

A l'Égard du christ. encore « C'est moi qui rends témoignage de


:

« moi-même mais il rend aussi témoignage


:

vous avez cru au Christ sur la toi de la


Si «de moi, mon Père qui m'a envoyé*» et :

renommée (c'est ce que, dans son extrême em- vous ne voulez pas qu'on vous le cite quand
barras, Fauste insinue en passant, évidem- il dit :Scrutez les flcritures, puisque vous
«

ment pour ne pas être forcé à produire des « pensez avoir en elles la vie éternelle car ce ;

li^Tes dont l'autorité est nulle, ou à en ac- « sont elles qui rendent témoignage de moi » ;
cepter dont l'autorité lui est contraire) si, ; et encore : « Si vous croyiez Moïse, vous
dis-je, vous avez cru au Christ sur la foi de la « me croiriez aussi ; car c'est de moi qu'il a

renommée, voyez si c'est là un témoin conve- « écrit S) ;


ont Moïse et les Pro-
et ailleurs : « Ils

nable, et prenez bien garde à l'abîme où vous «phètes, qu'ils les écoutent » ; et encore :

vous précipitez, car la renommée publie de vous « S'ils n'écoutent point Moïse et les Prophètes,

bien du mal auquel vous ne voulez pas qu'on « quand même quelqu'un des morts ressus-
croie. Et pourquoi voulez-vous qu'elle soit ne croiraient pas ' » Comment en
a citerait, ils .

véridique quand elle parle du Christ, etmen- êtes-vous venus là ? Sur quoi vous appuyez-
soniière quand elle parle de vous? Et si j'a- vous ? Vous rejetez les Ecritures confirmées
joute que vous êtes en contradiction avec la et recommandées par une si grande autorité,
renommée même, à propos du Christ? En vous ne faites pas de miracles, et, quand
effet, ily en a une plus claire, une plus domi- vous en feriez, nous nous en défierions, d'après
nante encore qui remplit les oreilles les
, ,
l'avertissement que nous a donné le Seigneur :
esprits, les langues de tous les peuples, celle « Il s'élèvera de faux christs et de faux pro-

qui nous fait voir dans le Christ né, suivant « phètes, et ils feront des signes et beau-
les Ecritures hébraïques, de la race de David, a coup de prodiges, en sorte qu'ils tromperont

l'accomplissement de ce qui y est écrit et de « même les élus, s'il est possible : voilà que
ce qui a été promis à Abraham, à Isaac, à Ja-
Gen. xxii, iS, xxvi, 4, xxvm, U. - ' Matl. m, 7; xvii, S. —
cob : En ta postérité seront bénies toutes les '
Jean , X 38.,
— ' Id. vill , 18. — ' Id. v, 39 ,
'16. — • Luc , XVI ,

' Matt. I, 22-25 ; Luc, il, 7 ; Rom, I, 3. 29, 31.


214 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

B je vous l'ai prédit » Tant il tenait à ce qu'on


'
. imposteursorti d'un antre ténébreux, maispar
ne crût rien contre le témoignage des Ecri- une nation particulière, par un royaume spé-
tures, contre une autorité qui se démontre cial, établi et maintenu pour prédire de lui

par les faits, qui nous montre accompli et en figures tout ce que expriment au- les faits

réalisé dans la suite des temps ce qu'elle nous jourd'hui, et afin que les Prophètes écrivissent
avait annoncé si longtemps d'avance ! alors ce que les Apôtres nous prêchent comme
des faits accomplis.
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VII.
SYSTÈME ABSURDE DES M.iiMCHÉENS, EXHORTATION
A ENTRER DANS l'ÉGLISE. LA LECTURE DES PROPHÉTIES ACTUELLEMENT RÉA-
LISÉES, CONVAISQUERAIT UN CATÉCHUMÈNE.
Il ne vous reste plus qu'à présenter une
raison, tellement certaine, dites-vous, telle- Prenez donc un gentil à instruire tâche où :

ment irréfutable, que la vérité s'en jour


fait Fauste a ri de notre impuissance et à laquelle

par elle-même, sans qu'il j ait besoin ni de il a lui-même défailli, non d'une manière ri-
l'appui des témoins ni de l'autorité des mi- dicule mais d'une manière déplorable. Si
,

racles. Que dites-vous donc? qu'enseignez- nous disons à ce gentil Croyez au Christ par- :

vous ? quelle est cette raison ? quelle est cette ce qu'il est Dieu, et qu'il nous réponde Pour- :

vérité? Une longue que vaine, un


fable aussi quoi y croirai-je ? si de plus nous lui produi-
jeu d'enfant, un caquet de femme, un conte sons l'autorité des Prophètes, et qu'il les ré-
de vieille tronquée au commencement, pu-
:
pudie, parce qu'ils sont Hébreux et lui païen :

tride au milieu, ruineuse à la fin. Quand, à nous lui prouveronsalors que lesProphètes mé-
propos du commencement, on vous demande ritent conflance, parce que nous voyons accom-
pli ce qu'ils ont annoncé d'avance. Car il n'igno-
ce qu'aurait fait le peuple des ténèbres au
Dieu immortel, invisible, incorruptible, s"il rerait pas, je pense , combien la religion
avait refusé de combattre avec lui; quand, à chrétienne a d'abord subi de persécutions, de
propos du milieu, on vous demande comment la part des princes de ce siècle ou s'il l'igno- ;

peutêtre incorruptible, incapable de souillure, rait, on lui en donnerait facilement la preuve


un Dieu dont vous mangez et digérez les par l'histoire même des nations, par les lois
membres dans les fruits et les légumes, et des empereurs ou écrites, ou connues par tra-
que vous broyez pour le purifier ;
quand, à dition et il verrait que cela avait
; été prédit

propos de la fin, on vous demande ce qu'a longtemps d'avance par le Prophète : « Pour-
fait une âme misérable, pour être punie d'une « quoi les nations ont-elles frémi et les peuples
captivité perpétuelle dans un lieu de ténèbres, « ont-ils forméde vains complots?Les rois de la
elle qui a été souillée par la faute d'un autre, « terre se sont levés et les princesse sont ligués
et non par la sienne, et qui n'a pu se purifier, « contre le Seigneur et contre son Christ » :

parce que son Dieu lui a manqué et l'a lui- paroles qui ne s'appliquent point à David
même plongée dans le vice quand on vous : même, comme le reste du psaume le fait voir
fait ces questions et que vous hésitez, et que clairement. Car on y lit ce qui doit confondre
vous ne savez que répondre, on repousse avec les hommes les plus opiniâtres, par l'évidence

mépris vos livres si nombreux, si grands, si même Le Seigneur m'a dit


des choses : « :

précieux, on déplore amèrement ces travaux « Vous êtes mon


vous ai engendré au-
Fils, je

d'antiquaires, ces misérables paperasses, ce jourd'hui; demandez-moi et je vous donne-


pain mensonger. Si donc vous n'avez pour « rai les nations en héritage, et la terre entière
vous ni l'autorité des anciennes Ecritures, ni « pour empire'». Or, personne ne peut douter
le pouvoir des miracles, ni la pureté des que cette faveur n'a point été accordée à la
mœurs, ni l'appui de la raison, retirez-vous nation juive, sur laquelle régna David, tandis
tout confus et revenez en confessant que le que le nom du Christ étant répandu dans le
Christ est le Sauveur de tous ceux qui croient monde entier, il est évident que la prophétie
en lui car les temps présents nous montrent
;
se trouve accomplie. Le catéchumène païen
son nom et son Eglise comme les temps an- serait, ce me semble, ébranlé en entendant

ciens nous les ont annoncés, non par quelque cela et bien d'autres passages des Prophètes
• Mau. AXiv, 21, £,. 'Ps. Il, 1,2, 7, 8.
LIVRE XIII. — LE CHRIST DE L'ÉVANGILE PRÉDIT. 21b

qu'il serait long de produire ici. Il verrait en- CHAPITRE VIII.

core les rois mêmes de la terre heureusement


l'homme-dieu prédit parles prophètes.
soumis à l'empire du Christ, toutes les nations
engagées à son service et on lui lirait l'endroit ;
Et s'il était tenté de prendre le Christ pour
du psaume qui l'a prédit si longtemps d'a- quelqu'un de ces grands hommes qu'on a vus,
vance : « Tous les rois de la terre l'adoreront, le même prophète l'aurait bientôt tiré de son

a toutes les nations lui seront assujéties '


», et erreur. Car voici ce qu'il dit ensuite « Mau- :

s'il voulait lire le psaume en entier, sous le «dit l'homme qui met sa confiance dans
nom de Salomon auquel il est appliqué figu- « l'homme, qui s'appuie sur un bras de chair
rément, il découvrirait le Christ, le vrai roi « et dont le cœur s'éloigne du Seigneur il ;

de paix, car c'est là le sens du mot Salomon, et « sera comme le tamarin du désert il ne ;

il reconnaîtrait que c'est dans le Christ que se « verra pas venir les biens, car il habitera
sont accomplies toutes ces choses, évidemment « parmi les méchants dans une terre déserte,
bien au-dessus du mortel appelé Salomon, roi « dans une terre couverte de sel et qui ne sera
d'Israël. Et dans cet autre psaume où Dieu « pas habitée Béni l'homme
». Et encore : «

est dit oint par Dieu, le Christ est clairement « qui se confie au Seigneur Seigneur sera : le

indiqué par l'onction même et là encore on : « son espérance il sera comme un arbre fer-;

insinue très-clairement que le Christ est Dieu, « tile planté sur le bord des eaux et qui y étend

puisqu'on y parle d'un Dieu sacré par l'onc- « ses racines il ne craindra pas quand vien-
;

tion*. Si le catéchumène voulait considérer ce « dra la chaleur, et ses rameaux seront épais
qui y est dit ensuite du Christ, de l'Eglise « et nombreux il ne craindra point au temps
;

même, il verrait que les prophéties qu'il vient « de la il ne cessera de donner


sécheresse et
de lire sont accomplies dans le monde entier; «des fruits». Evidemment quand le Pro-
il verrait aussi que les idoles des nations dispa- phète appelle maudit celui qui met sa con-
raissent de l'univers au nom du Christ, et il fiance dans l'homme, et rend cette malédic-
apprendrait que cela a été prédit par les Pro- tion sensible par des comparaisons prophé-
phètes il entendrait Jérémie dire «Ainsi donc
: : tiques quand il appelle béni l'homme qui se
;

« tu leur diras : Que


dieux qui n'ont point
les confie au Seigneur, et explique également
« fait le ciel et la terre disparaissent de dessus la cette bénédiction par des comparaisons ana-
« terre, et qu'on ne les voie plus sous le cieP» . logues notre païen serait peut-être troublé de
:

11 entendrait le même prophète dire encore nous entendre dire que le Christ est Dieu, dans
ailleurs «Seigneur, ma force et mon aide, et
: le but de l'empêcher de mettre sa confiance
« mon refuge au jour de la tribulation, lesna- en l'homme , et affirmer ensuite qu'il est
« fions viendront à vous des extrémités de la homme, non par nature, mais pour avoir re-
« terru, et elles diront : Combien étaient fausses vêtu notre mortalité. C'est ainsi, en effet, que
« les idoles qu'ont possédées nos pères ; il n'y quelques-uns ont erré en reconnaissant le
« avait aucun profita en tirer. L'homme se fera- Christ comme Dieu, mais en le niant comme
« t-il des dieux, et des dieux qui ne sont pas homme et d'autres au contraire, en l'admet-
:

« des dieux? Pour cela voilà que je leur montre- tant comme homme et en le niant comme
« rai dans ce temps-là, je leur montrerai ma Dieu, ou ont fait preuve de mépris pour lui,
« main et ma force, et ils sauront que je suis ou, mettant leur conflanceenun homme, ont
«le Seigneur* ». En entendant ces prophéties encouru la malédiction dont parle le Prophète.
écrites, et en jetant un coup d'oeil sur le monde Si donc ce gentil se troublait, il dirait que ce
entier, ai-je besoin de dire conmie il serait en- même prophète est opposé à notre foi puis- ,

traîné à croire, alors que nous donnons de que nous n'affirmons pas seulement, d'après
tout cela des preuves de fait, quand nous sa- l'enseignement des Apôtres, que le Christ est
vons que les cœurs des fidèles sont singulière- Dieu et que l'on peut en toute sécurité mettre
ment affermis dans leur foi par ces prédictions en lui sa confiance, mais que Jésus homme est
écrites longtemps d'avance
si et accomplies aussi médiateur entre Dieu et les hommes ' ;
sous nos yeux ? tandis que le Prophète n'a parlé que de Dieu
et n'a fait aucune mention de la nature hu-
• P8. LXXI, U. — • Id. XLIV, 3. — ' Jer. x, U. — •
Id. xvl,
19-21. maine : si, dis-je, il se sentait troublé là-dessus,
1 Tim. Il, 5.
1

216 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

il entendrait immédiatement et au même en- « de sa puissance , lorsqu'il se lèvera pour


droit une voix l'avertir et redresser son erreur : « briser la terre. Car en ce jour-là l'homme
a Le cœur est lourd en toutes choses, et il est « rejettera ses abominations d'or et d'argent,
homme, et qui le reconnaîtra ? » Car le ' « les idoles inutiles et nuisibles qu'ils avaient
Christesthomme, il a revêtu la forme d'esclave, «faites pour les adorer' ». Et peut-être ce
afin que ceux qui ont le cœur lourd fus- païen que nous catéchisons qui selon
, , ,

sent guéris par la foi, et qu'ils reconnussent Fauste, doit nous dire en riant Je ne crois :

comme Dieu celui qui s'est fait homme pour pas aux Prophètes hébreux, peut-être cache-t-
eux, afin qu'ils missent leur confiance, non en il dans une caverne, dans une fente de rocher,

l'homme, mais en l'Homme-Dieu. Et néan- ou dans le sein de la terre, quelques idoles


moins « le cœur est lourd en toutes choses, fabriquées de sa main, ou sait-il qu'un de ses
a et il est homme, prenant la forme d'esclave, amis le fait, ou qu'on l'a fait dans sa ville,
a Et qui le reconnaît ? lui qui étant dans la dans ses propres terres, en présence de la
a forme de Dieu n'a pas cru que ce fût une colère de Dieu, qui, au moyen des rois de la
a usurpation de se faire égal à Dieu ^ Et il terre déjà engagés à son service et inclinés
a est homme parce que le Verbe a été fait
;
devant lui, selon la même prophétie, brise la
« chair et qu'il a habité parmi nous. Et qui le terre par des lois très-sévères, c'est-à-dire ré-
a reconnaîtra?» puisque : «Au commencement prime l'insolence du cœur humain. Comment
a était le Verbe était en Dieu^ et le
Verbe, et le donc dirait-il Je ne crois pas aux Prophètes
:

a Verbe était Dieu"». Et vraiment «le cœur est hébreux, quand il verrait accompli en lui-
a lourd en toutes choses», car ill'a été même même ce que ces mêmes Prophètes ont
chez les disciples, alors que le Christ leur disait : prédit ?
o II y a si longtemps que je suis avec vous et CHAPITRE X.
a vous ne me connaissez pas ? » Que signifient
LES PROPHÉTIES n'ONT POWT ÉTÉ FAITES APRÈS
ces mots a 11 y a si longtemps que je suis
:

COIP.
a avec vous», sinon ce que dit le Prophète :

a Et il est homme ?» Et que veulent dire ces 11 serait bien plus à craindre qu'ébloui par
paroles: a Et vous ne me connaissez pas », une telle évidence des faits, il n'en vînt à dire
sinon : « Et qui le reconnaîtra? » Et quel que les chrétiens ont composé ces prophéties
est il, sinon celui qui dit « Qui me voit, voit : après que le monde a élé témoin des événe-

« aussi mon Père ' ? » Ainsi nous ne met- ments qui en sont l'objet, afin de faire croire
trons pas notre confiance en un homme, à que ceux-ci avaient été prédits par inspiration
cause de la malédiction formulée par le Pro- divine, et d'empêcher qu'on les rejetât avec
phète, mais nous la mettrons dans l'Homme- mépris comme dus faits purement humains et
Dieu, c'est-à-dire dans le Fils de Dieu, le arrivés par hasard. Cela serait à craindre, si le

Sauveur Jésus-Christ, Médiateur entre Dieu peuple Juif n'était répandu et connu partout:
et les honunes, moins grand que son Père autre Caïn qui a élé marqué d'un signe pour
en tant qu'il a pris la forme d'esclave, et que personne ne le tue ^; autre Cham esclave
l'égal du Père en tant (ju'il est dans la forme de ses frères qui porte des livres qui servent
',

de Dieu. à instruire ceux-ci, et lui sont à charge à lui-


même '. Car par ses livres nous prouvons que
CHAPITRE IX.
ces prophéties n'ont point été écrites par nous

LA CHUTE DES IDOLES PROPHÉTISÉE. , après les événements, mais qu'elles ont été
faites autrefois etconservéesdansce royaume,
Isaïe dit aussi : « 11 sera bumilié, il tombera et qu'elles sont maintenant manifestées et ac-
« sous l'injure des hommes, et le Seigneur complies: et ce qu'elles [louvaient avoir d'un
a seul sera grand en ce jour ; ils cacheront peu obscur (car toutes ces cboses « leur arri-
a dans les cavernes, dans les l'entes des rochers a valent en ligure, et elles ont été écrites pour
a et dans les profondeurs de la terre, toutes les « nous, pour qui est venue la fin des temi)s *»)
a idoles fabri(|uées de leurs mains, en pré- estmaintenant éclairci et mis au jour, et ce
a sence de la colère de Dieu et de la majesté qui restait caché sous les ombres des choses
' Jer. xvii , i.9. — = Plul. Il , 7, fi. — Jean , r, 1 , 1. — * Id. '
Is. Il, 17, 20. — ' Gcn. IV, 15 ' Id. ix, 25. '
Rétract, liv.
XIV, 9. Il, ch. vil, n. :f. — ' 1 Cor. .\. 11.
,

LIVRE XIII. — LE CHRIST DE L'ÉVANGILE PRÉDIT. 217

à venir, est aujourd'hui révélé par l'éclat des car il dit : « Je suis le Seigneur, qui interroge
faits accomplis. a les cœurs et scrute les reins, pour rendre à
« chacun selon ses voies et selon le fruit de ses
CHAPITRE XI. 9 œuvres ». '

EXPLICATION DE l'aVEIGLEMENT DES JCIFS. CHAPITRE XII.

LES HÉRÉTIQUES COMPARÉS A LA PERDRIX.


catéchumène manifesterait-il
Peut-être le

sa surprise de ce que ceux dont les livres con- Que si ce païen se scandalisait de voir ceux
tiennent ces prophéties aujourd'hui réalisées, qui portent le nom de chrétiens se partager
ne vivent pas avec nous dans la communion entre des sectes différentes et en grand nombre,
de l'Evangile. Mais quand on lui apprendrait nous lui apprendrions que les Prophètes hé-
que cette circonstance même a été prédite par breux n'ont pas manqué de nous en prévenir.
ces mêmes prophètes, quel puissant motif de En effet, comme si après avoir démontré que
foi n'y puiserait-il pas? Or, qui est assez les Juifs sont
aveuglés par leur faute, il dût
aveugle pour ne pas voir cela? assez impu- nécessairement lui venir en pensée que beau-
dent, pour feindre qu'il ne le voit pas? Qui coup de gens, portant le nom de chrétiens,
peut, en effet, douter prophé- que ce fait ait été sortiraient de la communion chrétienne, Jéré-
tisé Le bœuf con-
des Juifs, quand Isaïe dit : « mie encore, nous traçant en quelque sorte
« naît son maître, et l'âne son étable mais ; l'ordre à suivre dans l'instruction, ajoute aus-
« Israël ne m'a pas connu et mon peuple ne sitôt : a La perdrix
rassemble des petits crie,
o m'a pas compris » ou quand on lit ces '
; « dont mère, en amassant des
elle n'est pas la
paroles rapportées par l'Apôtre: a Tout le jour « richesses sans jugement ». On sait, en effet,
j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et avec quelle avidité de dispute la perdrix, ani-
« contredisant - » ; et surtout ce passage : mal querelleur à l'excès, se jette elle-même
« Dieu leur a donné un esprit de torpeur, des dans le lacet. Ainsi les hérétiques n'aiment
« yeux pour ne pas voir, et des oreilles pour point à disputer, mais à vaincre à tout prix et
B ne pas entendre et ne pas comprendre »
'^
à force d'impudence et d'obstination, rassem-
et beaucoup d'autres de ce genre? Et s'il di- blant, comme dit le Prophète, ce qu'ils n'ont
sait : Quel péché les Juifs ont-ils commis, pour pas enfanté. En effet, les chrétiens, qu'ils sé-
que Dieu les ait aveuglés au point de ne pas duisent principalement par le nom du Christ,
reconnaître le Christ? nous m.ontrerions, au- ils les ont trouvés déjà nés par l'Evangile du
tant que possible, à cet homme encore peu Christ, etils en font leur butin, sans juge-

nslruit, que d'autres péchés secrets, connus ment, et avec une témérité irréfléchie. Car ils
de Dieu ont justement attiré cet aveugle-
, ne comprennent pas que la vraie société chré-
ment; non-seulement que l'Apôlre a dit de tienne, celle qui mène au salut, qui est natu-
quelques hommes « Pour cela, Dieu les a : relle pour ainsi dire et radicale, est précisé-
« livrés aux désirs de leurs cœurs , ou au ment celle dont ils séparent ceux dont ils com-
a sens réprouvé en sorte qu'ils font ce qui , posent leurs richesses. Et comme c'est de tels
« ne convient pas » voulant montrer que *
: gens que parle l'Apôtre quand il dit :« Or, de
certains péchés manifestes sont la punition « même que Jannès et Mambrès résistèrent à
d'autres péchés secrets; mais encore que les a Moïse, de même ceux-ci résistent à la vérité :

Prophètes mêmes n'ont point passé le fait sous « hommes corrompus d'esprit, qui n'ont pas
silence. Car, pour ne pas aller plus loin, le a étééprouvés dans la foi mais ils n'iront pas ;

même Jérémie, dans l'endroit où il dit « Et : « au delà car leur folie sera connue de tout le
:

« il est homme et qui le reconnaîtra ? » pour « monde, comme de ces hommes le fut
celle
que les Juifs ne puissent être excusés par a aussi ' » : de même le
Prophète continue et
cause d'ignorance («Car », dit l'Apôtre, «s'ils ditde la perdrix qui rassemble des petits qui
l'avaient connu, ils n'auraient jamais cruci- ne sont pas les siens : « Ils la quitteront au
a flé le Seigneur de la gloire ^ »), Jérémie, « milieu de ses jours, à ses derniers mo- et
dis-je, continue et montre que leur ignorance « ments,elle sera une insensée»: ce qui signi-
est la punition de quelques fautes cachées ; fie : celui qui séduisait d'abord par des pro-

— Rom. 1 — messes et par une ostentation de haute sa-


' Ie. 1 , 3. =
, 21 ; Is. Liv, 1'. ' Rom. XI , 8 ; Is. vi,

10. — ' Rom. 1, a4. — ' I Cor. U, 8. ' Jer. iVll, 10. — =
II Tim. m, 8, 9.
.

218 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.


gesse , sera insensé , c'est-à-dire apparaîtra CHAPITRE XIV.
insensé. Alors il passera pour insensé aux
LE PAÏEN CONVAINCU PAR l' ACCOMPLISSEMENT DES
yeux mêmes de ceux qui le croyaient sage,
PROPHÉTIES.
quand on le verra tel qu'il est, parce que sa
folie sera connue de tout le monde. Le païen voyant donc, d'après ces témoi-
gnages des Prophètes et beaucoup d'autres de
CHAPITRE XIII,
ce genre, les prédictions qui ont été faites et

LA VÉRITABLE ÉGLISE FACILE A RECONNAÎTRE. qui sont maintenant accomplies, touchant la


persécution des rois et des peuples, la foi des
Et comme s'il prévoyait que notre catéchu- princes et des nations, la destruction des idoles,
mène demandera : A quel signe manifeste, l'aveuglement des Juifs, l'authenticité éprou-
moi petit enfant, encore incapable de discer- vée des livres dont ceux-ci sont les gardiens,
ner la vérité de tant d'erreurs, à quelle marque la folie des hérétiques, l'excellence de la sainte
évidente reconnaîtrai-je l'Eglise du Christ, à Eglise des vrais et légitimes chrétiens : ce païen
laquelle je me sens forcé de croire par l'accom- trouverait-il rien de plus digne de confiance
plissement de tant d'événements prédits ? Le que ces Prophètes, auxquels il donnerait sa

même i)rophète continue et, comprenant par- foi en ce qui touche la divinité de Jésus-
faitement ces inquiétudes, il lui apprend que Christ? En effet si, avant l'accomplissement
l'Eglise du Christ qui a été prédite, est celle-là des faits, j'essayais de déterminer un païen à
même qui apparaît et brille au-dessus de toutes croire, sur la parole de Prophètes hébreux,
les autres. En etlet , elle est cette glorieuse à des prédictions non encore réalisées, il me
demeure dont parle l'Apôtre: «Car le lemple dirait peut-être et à bon droit : Qu'ai-je à
« de Dieu est saint et vous êtes ce temple ». '
faire avec ces Prophètes, quand on ne me
C'est pourquoi le Prophète dit « Un trône de : donne aucun moyen de constater leur véra-
CIgloire s'est élevé, le lieu de notre sancliflca- cité? Mais comme de si grands et si nombreux
« tion ^ » En vue de ces émotions de petits en-
. événements prédits par eux sont déjà accom-
fants qui peuvent être séduits par des hommes, plis et frappent tous les yeux, certainement, à
leSeigneur prévoyantl'éclatante manifestation moins d'une perversité volontaire, il ne pour-
de son Eglise, a dit « Une ville ne peut être : rait en aucune façon ne pas tenir compte soit
a cachée, quand elle est située sur une mon- de ces mêmes événements qui ont dû être pré-
« tagne ^ » : parce que a la demeure glorieuse vus, annoncés et recommandés à l'attention si
« s'est élevée, le lieu de notre sanctification », longtemps d'avance et avec une telle solennité,
afin qu'on n'entende plus ceux qui entraînent soit de ceux qui ont pu les prévoir et les pro-
dans lesschismes religieux, et disent « Voici : phétiser. Car personne ne mérite mieux notre
« le Christ ici, le voici là ». Car ils indiquent confiance, ou pour le passé déjà accompli, ou
des divisions, en disant : a Voici qu'il est ici, pour l'avenir qui ne l'est pas encore, que ceux
« ou là ». Comme cette ville est sur une mon- dont la véracité a été démontrée par de si
tagne (et quelle est ceUe montagne, sinon nombreux et si grands événements, objets de
celle qui, d'après la prophétie de Daniel, s'est leurs prophéties.
formée d'une petite pierre, et est devenue une
grande montagne, de manière àrem plir toute la CHAPITRE XV.
terre '
?) comme cette ville, dis-jc, est sur une ORACLES PAÏENS COMPARÉS AUX PRÉDICTIONS DES
montagne, qu'on n'écoute pas ceux qui, sous PROPHÈTES.
prétexte d'enseigner une vérité secrète, mys-
térieuse, destinée au petit nombre, disent : Or, ce que la Sibylle, ou les sibylles, Orphée,
« Le voilà dans le lieu le plus retiré de la je ne sais quel Mercure, ou d'autres devins,
« maison, le voilà dans le désert ^*»; parce que théologiens, sages ou philosophes païens ont
« une ville ne peut être cachée, quand elle est pu dire ou iirédire de vrai sur le Fils de Dieu
«située sur une montagne», parce que « une ou sur Dieu le Père, peut sans doute avoir
« demeure glorieuse s'est élevée, le lieu de quelque valeur pour confondre la vanité des
notre sanctification » païens, mais ne suffit pas à faire accepter leur
autorité, quand nous démontrons que nous
I Cor. m, 17. —'
Jcr. xvii , 10-12. — ' Malt, v, H. — ' Dan.
11, 31, 35. — ' Matt. xxlï, 23, 26. adorons ce même Dieu sur lequel ils n'ont pu
LIVRE XIII. — LE CHRIST DE L'ÉVANGILE PRÉDIT. 219

garder eux qui osaient enseigner


le silence lamultitude de ceux qui n'observeraient point
aux honorer les idoles
gentils, leurs frères, à les lois qui lui seraient imposées, bien qu'ils

et les démons, ou n'avaient pas le courage de fussent corporellemcnt réunis à lui dans
les en empêcher. Mais nos saints auteurs ont l'Eglise et qu'ils participassent aux mêmes
étendu et gouverné, par l'ordre et avec l'aide sacrements. Il saurait que l'héritage céleste
de Dieu, une république, un royaume où ce se partage avec le petit nombre, bien que ses

qui était un culte pour les païens, était consi- signes extérieurs soient communs à beau-
déré comme un sacrilège. Et si, là, quelques- coup; que bien peu possèdent la sainteté de
uns se laissaient aller à adorer les idoles et les vie et le don de la charité répandue dans
démons , ou ils étaient punis par les lois nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a
mêmes de l'Etat, ou ils étaient retenus par les été donné '
: source intérieure inaccessible
accents de tonnerre que faisaient librement à tout étranger tandis que beaucoup pren- ;

retentir les Prophètes. Car ils adoraient le nent part au saint Sacrement dont il est dit
Dieu unique qui a fait le ciel et la terre, par que celui (jui le mange et boit indignement,
des rites propliétiques, il est vrai, c'est-à-dire mange et boit son proprejugement-, et encore
figuratifs de l'avenir; et ces rites devaient être que celui qui dédaigne de s'en nourrir n'aura
de l'accomplissement des faits dont
abolis, lors point la vie en lui ' et, par conséquent, ne
ils symbole
étaient le puisque le royaume : parviendra point à la vie éternelle. Il saurait
lui-même était comme un grand prophète, où que ce petit nombre est ainsi appelé par com-
le roi et le prêtre recevaient une onction mys- paraison à la multitude des méchants ;
qu'en
térieuse et symbolique '; royaume qui n'a réalitéceux qui le composent sont nombreux,
disparu, à l'insu des Juifs, et par cela même et répandus par toute la terre, qu'ils croissent
malgré eux, que lorsqu'est venu Dieu oint le parmi l'ivraie et avec la paille jusqu'au jour
par la grâce spirituelle au-dessus de tous ceux de la moisson et de la séparation \ Cela est dit
qui devaient y participer avec lui, le Saint des dans l'Evangile, cela a été prédit par les Pro-
saints ', tout à la fois vrai roi par le soin qu'il phètes. En effet, la prophétie avait dit d'avance :

prend de nos intérêts, et vrai prêtre parce « Comme le lis au milieu des épines, mabien-
lui-même offert pour nous. Ainsi
qu'il s'est « aimée s'élève au-dessus des jeunes filles ' »,
donc autant il y a de distance, à l'occasion de Et aussi « J'ai habité dans les fentes de
:

l'avènement du Christ, entre l'annonce des a Cédar j'étais pacifique avec ceux qui haïs-
;

anges et la confession des démons, autant il y « saient la paix " » Et encore « Marciue au . :

en a entre l'autorité des Prophètes et une « front ceux qui gémissent et s'affligent des
sacrilège curiosité. « iniquités qui se commettent au milieu de
« mon peuple '
». Ainsi ce gentil, affermi par
CHAPITRE XVI. ce langage devenu concitoyen des
déjà
,

LE PETIT NOMBRE DES FIDÈLES. l'IVRAIE TOLÉRÉE saints et delà maison de Dieu, n'étant plus
PARMI LE BON GRAIN. séparé d'Israël ', mais véritable Israélite en
qui il n'y aurait plus d'artifice ^ apprendrait
En vertu de ces considérations et d'autres de à prononcer, avec un cœur simple, les paroles
ce genre, que nous ne faisons qu'effleurer ra- que le même Jérémie ajoute à la suite a Sei- :

pidement, mais qu'il faudrait peut-être alors «gneur, l'attente d'Israël, que tous ceux qui
développer davantage et appuyer de preuves a vous abandonnent soient frappés d'épou-
plus nombreuses pour détruire une erreur « vante». En effet, après avoir parlé de la
invétérée, le païen que Fauste nous donne perdrix qui crie et assemble des petits qui ne
pour catéchumène, serait certainement déter- sont pas les siens, il a fait ressortir l'excel-
miné à croire, s'il préférait son salut à ses lence de la ville située sur la montagne et
péchés ; et une fois croyant, et placé et ré- qui ne peut se cacher, afin que les hérétiques
chauffé dans le sein de l'Eglise catholique, il ne séparent, point l'homme de l'Eglise catho-
serait ensuite instruit de la conduite qu'il au- lique, et il a dit : a Une demeure glorieuse
rait à tenir, des devoirs qu'il aurait à prati- « s'est élevée, le lieu de notre sanctification ».
quer. Et il ne se troublerait point en voyant
' Rom. V, 5. — ' 1 Cor. ii, 29. ~ '
Jean, vi, 54. — •Matt. xiu,
' Deal. xTiii, 15 Ps. u, 6 ; Id. cix, 4
; , I Rois, x, 1 ; Es. ixix. 25, 26 ;m, 12.— '
Gant. Il, 2. — '
Ps. cxix, 5, 7. — '
Ez. IX, 1.—
— • Dan. IX, 2t ; Ps. xuv, 8. •
Eph. n, 19, 12. — Jean, i, 47.
220 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Ensuite, comme
s'il lui était venu en pensée même, lui qui ne croirait pas au Christ
de demander Que ferons-nous de tant de
: rendant témoignage des autres? Il serait par
méchants qui se mêlent d'autant mieux par- trop ridicule de le penser. En effet, ou il

tout aux fidèles, que la gloire du Christ brille ne croirait en rien à celui qu'il jugerait
davantage dans l'unité de tous les peuples ? il indigne de confiance, ouille croirait plutôt
ajoute aussitôt : a Seigneur, l'attente d'Ifraël». parlant des autres que parlant de lui-même.
Car il faut supporter avec patience, suivant Peut-être Fausle, accablé ici sous le poids du
le mot du Sauveur : « Laissez l'un et l'autre ridicule, lirait-il à son homme les sibylles,

B croître jusqu'à la moisson ' » : de peur que Orphée et autres païens de ce genre chez qui
par défaut de patience à tolérer les méciiants, il aurait rencontré (juelque prédiction relative
les bons, qui sont proprement le corps du au Christ? Mais non il ne le ferait pas car : ;

Christ, ne soient délaissés; et, quand ils le il a avoué qu'il n'en connaît point, puisqu'

sont, le Christ l'est avec eux. Aussi le Pro- a dit « S'il y a, comme on le prétend, quel-
:

phète ajoute-t-il « Que tous ceux qui vous : « ques prédictions de la Sibylle, ou de Mer-
« abandonnent soient frappés d'épouvante; que « cure appelé Trismégiste, ou d'Orphée, ou

a ceux qui se sont retirés vers la terre soient « de quelque autre devin chez les païens ,

«confondus ». Car la terre c'est l'homme « concernant le Christ». Or, Fauste, qui ne

qui a confiance en lui-même et engage les connaît pas les écrits de ces personnages qui ,

autres à y en avoir aussi lit-on ensuite ; : n'en parle même que par ouï-dire ne les ,

a Ils seront détruits, parce qu'ils ont aban- lirait certainement pas à l'homme qui lui

« donné le Seigneur, la source de la vie». dirait Je ne crois ni aux Prophètes, ni au


:

Que en eiîet, la perdrix, sinon que c'est


crie, Christ. Que ferait-il donc ? Citerait-il Manès,

en elle que se trouve et que se communi- et prêcherait-il le Christ d'après lui ? C'est ce

que la source de la vie afin que ceux qui : que Manichéens n'ont jamais fait au con-
les ;

s'assemblent à sa voix, s'éloignent du Christ, traire, c'est au nom du Christ, ce nom qui

trompés par l'espoir de le trouver, vu que brille partout d'un doux éclat, qu'ils se sont

déjà ils connaissaient son nom? Car elle ne efforcés de faire valoir Manès, comme pour

rassemble pas des petits qui soient à elle ;


frotter de miel les bords de leur coupe empoi-

mais pour rassembler des petits qui ne sont sonnée. En effet, le Christ ayant promis à ses
pas les siens, elle dit Le salut promis par le : disciples de leur envoyer le Paraclet, c'est-à-

Christ est chez moi ; c'est moi qui le donnerai. dire le consolateur ou l'avocat, l'Esprit de

Mais voyez ce qu'enseigne le Prophète « Gué- : vérité ', ils prennent occasion de cette pro-

« rissez-moi. Seigneur, et je serai guéri sau- ;


messe pour prétendre que ce Paraclet est
,

« vez-moi et je serai sauvé ». Ce qui fait dire


Manès ou dans Manès, et s'insinuer ainsi dans
à l'Apôtre : «Que personne ne se glorifie dans l'esprit des hommes qui ignorent quand
a l'homme ^ » puis Jérémie ajoute : « Car l'Esprit promis par le Christ a été envoyé.
;

« vous êtes mon titre de gloire ' ». C'est ainsi Mais ceux qui ont lu le livre canonique, in-
titulé les Actes des Apôtres, voient qu'on y
que nous instruisons l'homme d'après la
doctrine des Apôtres et des Prophètes, afin fait mention encore une fois de la promesse

qu'il soit bâti sur le fondement des Apôtres et du Christ, et qu'elle a été remplie de la ma-
nière la plus éclatante -. Nous demandons
des Prophètes '.

donc comment Fauste inspirerait à ce gentil


CHAPITRE XVII. la foi au Christ ? Car je ne pense pas qu'il y

ait un homme assez aveugle pour dire Je ne


QUI m CROIT PAS AL- CHRIST, CROIRA ENCORE
crois pas au Christ, mais je crois à Manès.
:

MOINS A MANES.
Ensuite, si ce n'était en riant, ce serait avec
comment Fauste convaincrait-il de la courroux, que le gentil dirait : Quoi ! tu veux
Or,
divinité du Christ le païen à qui il prête ce que je croie à des livres persans et tu me
langage : Je ne crois pas aux Prophètes par- défends de croire à des livres hébreux? Com-
lant du Christ, ni au Christ parlant des Pro- ment donc, ô hérétique, gagnerais-tu cet
phètes? Croirait-il au Christ parlant de lui- homme, s'il n'avait déjà une foi quelconque
au Christ quand il tombe entre tes mains, en

Matt. xiu, 30. — ' I Coi. m, 21. — ' Jer. xvij, 13, 11.—
'
Eph. u, 20.
'
J-ean, xiv, 16. — = Act. i, 8; ii, 1-1.
LIVRE Xlll, — LE CHRIST DE L'ÉVANGILE PRÉDIT. 221

sorte que, déjà convaincu qu'il faut croire la composition de vos livres, et tenir enchaî-
au Christ, il se laisse séduire par Manès qui née la substance de votre Dieu ? Brûlez tous
lui semble mieux prêcher le Christ ? Ainsi ces manuscrits, ces étuis élégants si artiste-
voilà la perdrix rassemblant des petits qui ment travaillés, pour vous débarrasser d'un
ne sont pas les siens. Et vous ne la quittez pas poids de superfluités et dégager votre Dieu
encore, vous qu'elle rassemble ? Et vous ne qu'un manuscrit même tient enchaîné comme
voyez pas encore un insensé dans celui qui un esclave que l'on punit. Et si vous pouviez
vous dit que les témoignages des Hébreux, manger vos livres, même bouillis, quel ser-

fussent-ils vrais, nous sont inutiles avant la vice vous rendriez aux membres de votre Dieu I

foi, et superflus après? Si cela pouvait se faire, est-ce que l'impureté


de la chair vous empêcherait de dévorer ces
CHAPITRE XVm. pages? Que la pureté de l'encre, qui a péné-
DU tré la peau d'agneau, se l'impute donc. Mais
DÉTAILS SUR LE SYSTÈME ABSURDE MANI-
CHÉISME. vous aussi vous avez fait cela vous qui , ,

comme au début de vos combats, avez souillé

Que les croyants rejettent donc tous les li- ce qu'il y avait de pur dans voire plume, en
vres qui les ont rendus croyants. Car si nos le fixant par l'écriture sur l'impureté du par-
adversaires disent vrai, je ne vois pas pourquoi chemin, à moins que les couleurs ne vous
les fidèles liraient même l'Evangile du Christ. accusent en déposant du contraire. Car vous
En effet, il est inutile avant la foi,
puisque le avez préféré attaquer la lumière des pages
gentil que Fausfe, dans son erreur ridicule blanches avec les ténèbres de l'encre. Est-ce
ou plutôt déplorable, nous amène souriant, vous qui devez nous en vouloir de dire cela,
ne croit pas au Christ. Après la foi il est su- ou nous qui devons nous fâcher contre vous
perflu, puisqu'on traite de superflus les té- de croire à des choses qui, lx)n gré mal gré,
moignages, même vrais, que l'on produit tou- produisent de telles conséquences ? Pour nous,
chant le Christ à ceux qui croient déjà au tant pour nous rappeler les objets de notre
Christ. Mais, peut-être ici Le
direz-vous : foi, que pour soutenir notre espérance et ani-

fidèle doit lire l'Evangile pour ne pas oublier mer notre charité, nous lisons les livres pro-
ce qu'il croit. Eh insensés, il faut donc aussi
! phétiques et les livres apostoliques, deux voix
qu'il lise les témoignages authentiques des qui s'accordent parfaitement; et cet accord,
Prophètes, afin de ne pas oublier les motifs comme une trompette céleste, nous arrache
de sa foi car, s'il les oubliait, sa foi cesserait
; au pesant sommeil de cette vie mortelle et
d'être ferme. Ou bien rejetez les livres de Ma- nous fait aspirer à la palme de la vocation
nès, sur la foi desquels vous croyez que la d'en haut. En effet, après avoir rappelé ce
lumière a lutté avec les ténèbres et que la lu- passage des livres prophétiques : « Les ou-
mière était Dieu que la lumière avant de
;
« trages de ceux qui vous outrageaient sont
pouvoir enchaîner les ténèbres, a d'abord été « tombés sur moi », l'Apôtre parle ensuite'

dévorée, enchaînée, souillée, mise en pièces de l'utilité de ces divines leçons « Car tout :

par elles et qu'en mangeant, vous la restau-


;
a ce qui est écrit », dit-il, « a été écrit pour

rez, vous la dégagez, la purifiez et la guéris- « notre instruction, afin que par la patience

sez, afin d'en recevoir la récompense et de ne a et la consolation des Ecritures nous ayons

pas être condamnés à vivre éternellement «espérance en Dieu'». Mais Fauste dit le
sur un globe ténébreux, avec celle qui n'aura contraire. Qu'il subisse donc l'arrêt de Paul :

pu être délivrée. Cette fable ridicule, vous la « Si quelqu'un vous annonce un autre Evan-

préconisez tous les jours et en actions et en « gile que celui que vous avez reçu, qu'il soit

paroles pourquoi donc chercher à l'appui des


: « analiième ' ! »

témoignages de livres, dévorer la substance ' Ps. Lxvui, 10. — ' Rom. ïv, 4. — " Gai. i, 9.

d'autrui dans des choses superflues et pour


LIVRE QUATORZIEME.
Moïse justifié contre Fauste. — Explication de malédiction lancée contre quiconque est suspendu au
la bois. — En quel sens
elle tombe sur le Christ. — Les Manichéens sont — Explication de malédiction de Moïse
idolâtres. la contre celui qui ne
laisse point de postérité en Israël.

CHAPITRE PREMIER. par ignorance, faute du don de prophétie, ou


si, étant prophète, il n'eût pas cédé à l'instinct
FArSTE REPROCHE A MOÏSE DES MALÉDICTIONS
de la malice et de la haine, il ne leur eût pas
LANCÉES MAL A PROPOS.
infligé un
si cruel anathème car il ne les dé- :

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas Moïse? clare passeulement maudits d'une façon vul-
— Parce que nous aimons et honorons le gaire, c'est-à-dire chez les hommes, mais
Christ. Quel est, en effet, l'homme assez irré- aussi devant Dieu. Or, si cela est, quel es-
ligieux pour accueillir celui qui a maudit son poir de bénédiction reste-t-il au Christ même,
père? Or, bien que les blasphèmes de Moïse ou aux Apôtres, ou à nous s'il nous arrive ,

n'aient épargné ni choses divines, ni choses d'être crucifiés en qualité de chrétiens? Enfin,
humaines, ce qui nous inspire cependant le à quel point n'était-il pas imprudent et dénué
plus d'horreur pour lui, c'est qu'il a lancé de l'inspiration divine, pour ne pas songer
d'affreuses malédictions contre le Christ, le <|ue les hommes peuvent être attachés au
Fils de Dieu qui a été suspendu au bois
,
bois pour des causes différentes les uns en ;

pour notre salut. L'a-t-il fait sciemment, expiation d'un forfait les autres pour la
,

ou par hasard, c'est à toi de le voir. Mais ni justice et pour Dieu? Aussi a-t-il lancé sa ma-
l'un ni l'autre ne l'excuse ni ne dispose à le lédiction au hasard, sur tous et sans distinc-
recevoir. En effet, il déclare maudit quicon- tion; tandis que, s'il avait eu la moindre, je ne
que est suspendu au bois '. Et tu veux que dirai pas inspiration prophétique, mais pré-
je l'accepte, que je croie à sa parole lui qui ; voyance, et si la croix le blessait au point de
a sciemment et volontairement maudit le former, elle seule, une exception et un sup-
Christ, s'il était prophète, et s'il n'était pas plice à part entre tous les genres de supplices,
prophète, l'a maudit par ignorance et sans le il devait simplement déclarer maudit tout scé-
savoir ? Choisis donc entre ces deux hypo- lérat, tout impie suspendu au bois, afin d'éta-
thèses ou Moïse n'a pas été prophète et a pé-
: blir une distinction entre les bons et les mé-
ché par imprudence en enveloppant Dieu, chants ; absolument
et encore n'eùt-il pas été
sans le savoir? dans les malédictions qu'il for- dans le vrai, puisque c'est du gibet que le
mule contre d'autres, selon son usage ; ou il Christ a fait entrer avec lui le larron dans le
était prophète, et alors il n'a point ignoré ce paradis de son Père '. Où est donc l'anathème :

qui devait arriver, mais par jalousie contre « Maudit celui qui est suspendu au bois ? »

notre salut qui devait avoir lieu par le bois, il Est-ce que Barrabas, cet insigne brigand, qui
a lancé contre Celui qui en est l'auteur le ve- non-seulement ne fut pas suspendu au bois,
nin de sa bouche malfaisante. Ft qui donc mais (|ui fui même élargi à la demande des
croira que celui qui déchire ainsi le Fils, a vu Juifs -, fut plus béni que celui qui monta,

ou connu le Père que celui qui a ignoré le


;
avecle Christ, de la croix au ciel? Dirai-je
terme ou l'ascension du Fils, a pu prédire enfin que Moïse appelle maudit quiconque
son avènement? J'ajouterai encore une consi- adore le soleil et la lune'? Si donc, étant
dération qui me frappe c'est l'étendue et la : sujet d'un roi païen, je suis forcé d'adorer le
portée de cette injure le nombre de ceux , soleil, que je résiste et que, craignant la ma-
qu'elle atteint et blesse: tous les justes cl tous lédiction attachée à cet acte, je sois condamné
les martyrs, qui ont subi ce genre de mort, à être crucifié : quoi j'encourrai l'autre malé-
!

comme Pierre, André et tous ceux qui ont diction lancée par Moïse contre celui qui est
partagé leur sort. Si Moïse n'avait pas péché suspendu au bois? A'eut-il donc maudire tous
' Deul. XXI, 23. '
Luc, xxui, 43. — Matt. xxvn, 26. — ' Deut. jvn, 3.
LIVRE XIV. — MOÏSE JUSTIFIE. 223

lesgens de bien? Pour nous, nous ne de-vons n'ont pas de raison de se fâcher contre celui
pas plus faire cas de ses anathèmes que de qui l'a prononcée. Et si les Manichéens ont
ceux d'une vieille femme en colère. C'est ainsi l'air de s'irriter contre celui qui a maudit la
encore qu'il poursuit d'une même malédiction mort fausse du Christ (
pour parler leur lan-
les enfants et les vierges, quand il déclare gage ) ; à combien plus forte raison doit-on
maudit celui qui ne laissera point de postérité fuir ceux qui ne maudissent pas seulement le
en Israël '. Injure, qui s'adresse encore parti- Christ, mais qui l'accusent? Si, en effet, il faut
culièrement à Jésus, lequel étant issu selon rejeter un homme qui lance la malédiction
vous, du peuple juif, n'a cependant point contre la nature mortelle quelle horreur ,

laissé de postérité dans sa nation, et aussi sur éprouvera-t-on pour celui qui oppose le men-
ses disciples, dont quelques-uns étaient mariés songe à la vérité? Mais voyons, à l'occasion de
de leurs femmes, tandis qu'il
et qu'il a séparés cette calomnie des hérétiques, comment il faut

a défendu le mariage à ceux qu'il a trouvés expliquer ce mystère aux fidèles.


vierges. En conséquence, sachez que nous CHAPITRE ni.
avons à bon droit en abomination cette langue
EN QUEL SENS LA MALÉDICTION DE MOÏSE TOMBE
insolente de Moïse, qui décoche les traits de
SUR LE CHRIST.
sa malice contre le Christ qui est la lumière,
contre la viigmité, contre tout ce qu'il y a de La mort chez l'homme est la peine du péché,
divin. Que si par hasard vous prétendez qu'il ce qui lui fait donner le nom de péché non ;

y a une grande différence entre un suspendu que l'homme pèche en mourant, mais parce
et un crucifié (car c'est là ordinairement votre que c'est le péché qui est cause qu'il meurt.
principal moyen de défense), écoutez Paul, De même qu'on dit, dans un sens, la langue,
rejetant vos subterfuges : a Le Christ nous a en parlant de l'organe charnu qui se meut
« rachetés de la malédiction de la loi, en deve- sous le palais entre les dents, et dans un autre
« nant malédiction pour nous. Car il est écrit : sens, la langue, en parlant du langage qui se
« Maudit quiconque est suspendu au bois ^ ». produit par elle, comme par exemple la langue
grecque, la langue latine; de même encore
CHAPITRE II.
que le mot main signifie proprement le
SI LE CHRIST A ÉTÉ SUSPENDU AU BOIS, IL AVAIT membre que nous mettons en mouvement
DONC DNE CHAIR MORTELLE. pour agir, et aussi l'écriture qui se forme par
la main, en sorte qu'on dit On a produit sa :

Augustm. Fauste , homme pieux , s'af- main [son écriture) on a lu sa main (son écri-
;

flige de ce que le Christ a été maudit par ture) contre lui j'ai votre main (id.), recevez
;

Moïse, et pour cela il hait Moïse, parce qu'il votre main (id.) ', bien que, à la rigueur, la
aime le Christ. Mais avant d'expliquer avec main soit un membre du corps humain, ce
quel profond mystère et avec quelle piété ces qui, je pense, ne peut se dire de l'écriture, et
paroles ont été dites « Maudit quiconque est
: cependant celle-ci s'appelle main ,
parce
«suspendu au bois'», j'ai une question à qu'elle est produite par la main : ainsi on
faire à ces hommes pieux. Pourquoi se fà- appelle péché, non-seulement l'action mau-
chent-ils contre Moïse, puisque cette malédic- vaise même, à laquelle la punition est due,
tion ne tombe pas sur leur Christ ? Car si le mais encore la mort qui est le résultat du pé-
Christ a été suspendu au bois, c'est sans doute ché. Le Christ n'a donc point commis le péché,
parce qu'il a été attaché avec des clous. Aussi qui l'eût rendu digne de mort mais, dans ;

après sa résurrection a-t-il montré ses cica- l'autre sens, il l'a subi, c'est-à-dire il a accepté
trices à un disciple d'une foi faible *. Or, si pour nous la mort infligée par le péché à la
cela est, donc un corps vulnérable et
il avait nature humaine. C'est là ce qui l'a suspendu
mortel que les Manichéens ne veulent
: ce au bois, c'est là ce que Moïse a maudit la ;

pas accorder. Donc encore si ces blessures, si mort a été condamnée, afin qu'elle cessât de
ces cicatrices étaient fausses, il est également régner, elle a été maudite pour périr. C'est
faux qu'il suspendu au bois. Par consé-
ait été donc par le péché du Christ entendu eu ce
quent la malédiction n'a pu l'atteindre, et ils
' Cette métaphore, propre à la langue latine, ne peut se rendre
« Dent, ixv, 5, 10. — ' Gai. ni, 13. — ' Deut. xzt, 23. — • Jean, en français, où cependant on dit, en parlant de l'écriture de quel-
xz, 27. qu'un U a une belle main.
:
224 CONTRE FAllSTE, LE MANICHÉEN.

sens qu'a été condamné notre propre péché, «même '


». La chair du Christ n'était donc
afinque nous fussions délivrés, afin que notre point une chair de péché, parce qu'elle ne lui
condamnation ne fût pas perpétuée par le rè- était point venue de Marie par un père mortel ;

gne du jiéché. mais comme la mort est le fruit du péché,


CHAPITRE IV.
cette même chair, quoique produite d'une
vierge, a cependant été mortelle, et par le fait
LE CHRIST A SUBI LA PEINE DU VÉCUE SANS LE qu'elle était mortelle, elle ressemblait à la
PÉCHÉ. chair du péché. C'est ce que l'Apôtre appelle
Comment donc Fausle s'étonne-t-il que le aussi péché et ce qui lui fait dire « Afin de :

péché maudit, que la mort ait été


ait été « condamner péché dans la chair, par le
le

maudite, ainsi que la mortalité de la chair « péché même » Et ailleurs encore « Celui qui
. :

qui se trouvait dans le Christ, non par suite «ne connaissait point le péché il l'a rendu ,

de son péché, mais à cause du péché de « péché pour l'amour de nous, afin qu'en lui

l'homme? En effet, il avait pris son corps « nous devinssions justice de Dieu - ». Pour-

d'Adam, puisque la Vierge Marie, mère du quoi Moïse craindrait-il d'appeler maudit ce-
Christ, descendait d'Adam. Or, Dieu avait dit ûiique Paul n'a pas craint d'appeler péché?
dans le paradis « Au jour où vous en tou-: Assurément le Prophète a dû prévoir et pré-
B cherez, vous mourrez de mort ». Voilà la ' dire cela, tout prêt à subir, avec l'Apôtre, le
malédiction qui a été suspendue au bois. Que blâme des hérétiques. Car quiconque reproche
celui qui nie que le Christ soit mort, nie qu'il au Prophète d'avoir dit inaudit, est censé
ait été maudit. Mais que celui qui confesse blâmer aussi l'Apôtre d'avoir dit péché : puis-
que le Christ est mort, qui ne peut nier que que la malédiction est la compagne du péché.
la mort soit le fruit du péché et que pour cela
CHAPITRE VI.
on l'appelle péché, que celui-là écoute l'Apô-
tre dire : « Parce (lue notre vieil homme a été EN QUEL SENS LE CHRIST A ÉTÉ MAUDIT DE DIEU.
«crucifié avec lui ^», et qu'il comprenne à
qui s'adresse la malédiction de Moïse. Aussi ne faut pas plus en vouloir à Moïse d'a-
Il

voir ajouté de Dieu « Maudit de Dieu qui-


le même apôtre dit-il du Christ en toute con-
:

fiance 11 est devenu


: c<
malédiction pour « conque est suspendu au bois ». Car si Dieu

« nous ^ » , de même qu'il n'a pas craint de ne haïssait pas le péché et la mort en nous, il
dire « Il est mort pour tous
:
* » Car mort a . n'eût pas envoyé son Fils pour la subir et
ici le même sens que maudit; parce que la la détruire. Est-il donc étonnant que Dieu
mort elle-même est le fruit de la malédiction, maudisse ce qu'il hait? Car il nous accordera
et que tout péché est maudit ou en lui-même, d'autant plus volontiers l'immortalité qui doit
parce qu'il mérite une punition, ou dans la suivre l'avènement du Christ, qu'il a mis plus
punition même qu'on appelle aussi péché, de miséricorde à haïr notre mort ([ui a été sus-
parce qu'elle est aussi la suite du péché. Or, peiuiue au bois avec le Christ mourant. Quant
le Christ a accepténotre punition sans la faute, à ce mot quiconque : « Maudit quiconque est
afin de payer lui-même la dette de notre faute, « suspendu au bois », certainement Moïse a

et de mettre par là un terme à notre punition. prévu aussi que des justes subiraientla croix;
mais il a également prévu que les hérétiques
CHAPITRE V. nieraient un jour la réalité de la mort du Sei-
gneur, et qu'ils chercheraient à l'exempter
LA CHAIR nu CHRIST SEMBLABLE A LA CHAIR
de cette malédiction, dans le but do le sous-
DU PÉCHÉ.
traire par là à une mort véritable. Si, en effet,

pourrait m'accuser d'inventer, si l'Apô- sa mort n'a pas été vraie, la malédiction n'at-
On
teint pas le Christ suspendu au bois, puisqu'il
tre ne nous le répétait pas si souvent, et pour
réveiller ceux qui dorment et pour réduire ,
n'a pas été vraiment crucifié. Mais au con-
traire, c'est de loin que Moïse crie (et depuis
les calomniateurs au silence. « Dieu », nous
temps leur crie en vain que
C'est
dit-il, « a envoyé son Fils dans une chair sem- (lucl il :

vous tergiversez!) crie, dis-je, aux hérétiques


blable à celle du péché afin de condam- ,

« ner le péché dans la chair, par le péché à qui la mort réelle du Christ déplaît « Mau- :


Gen. II, 17. — "
Hom. vi, u. — ' Gai. m, 13. - ' Il Cor. v, 15. • Rom. VIII, 3. — MI Cor. v, 21.
LIVRE XIV. — moïse JUSTIFIÉ. 225

« dit quiconque est suspendu au bois » non ; provient ou de bénédiction ou de malédiction ;

pas tel ou tel, mais quiconque, absolument dans premiercas, désire d'y rester toujours;
le

quiconque. Quoi même le Fils de Dieu ?


! mais si tu souhaites d'en être délivré, pense

Très-certainement. Et c'est justement là ce qu'elle est le fruit de la malédiction par un


que vous ne voulez pas c'est là le point de : arrêt de la divine justice. Confesse donc que
mire de vos efforts, votre grand moyen de sé- celui que tu reconnais être mort pour nos
duction. 11 vous déplaît que le Cbrist soit péchés, a aussi accepté la malédiction pour
maudit pour nous parce que vous ne voulez,
nous, et que ces paroles de Moïse « Maudit :

pas qu'il soit mort pour nous car il serait , a quiconque est suspendu au bois », n'ont pas

exempt de la malédiction d'Adam s'il n'avait , d'autre sens que celui-ci Tout homme est :

pas subi la mort d'Adam. Mais comme il a mortel et tout homme est mourant quand il
subi la mort en tant que Fils de l'homme et est suspendu au bois. Le Prophète pouvait dire
pour l'homme, c'est pour cela qu'il n'a pas dé- en effet Maudit tout mortel ou maudit tout
: ,

daigné d'encourir, et comme Fils de l'homme homme qui meurt; mais voilà ce qu'il a voulu
et pour l'homme, la malédiction qui accom- enseigner parce qu'il savait que le Christ de-
:

pagne le péché lui, le Fils de Dieu toujours


: vait mourir suspendu à la croix, et qu'un jour
vivant dans sa justice propre, mais aussi mort des hérétiques diraient Il a été suspendu à la
:

pour nos péchés ', dans une chair qu'il a re- croix, il est vrai, mais seulement en appa-
vêtue en expiation de notre péché. C'est ainsi rence, et non pour subir une mort véritable.
qu'il est toujours béni dans sa justice, et En criant donc « Maudit », il n'a pas voulu
:

maudit, à raison de nos péchés, dans la mort proclamer autre chose sinon que le Christ ,

qu'il a subie en expiation de nos fautes et : est vraiment mort, sachant que la mort de
voilà pourquoi ce mot quiconque, afin qu'on l'homme coupable, qu'il a subie sans avoir
ne puisse pas dire que le Christ n'est pas véri- péché, provient de cette malédiction «Si :

tablement mort si par de stupides égards


, , ,
« vous en mangez, vous mourrez de mort' ».
ou parvenait à le soustraire à la malédiction C'est encore à cela que se rapporte le serpent
qui est attachée à la mort. suspendu au bois, pour signifier que le Christ
n'a pas subiune mort apparente, mais qu'il a
CHAPITRE VII.
suspendu au bois de sa passion la véritable
LE CHRIST VRAIMENT MAUDIT , PARCE QU'iL EST mort, dans laquelle le serpent avait précipité
VRAIMENT MORT. l'homme par ses perfides conseils. Et c'est
cette véritable mort que les Manichéens ne
Mais celui qui est Adèle selon la vérité évan- veulent pas voir; et voilà pourquoi ils ne sont
gélique . comprend que la bouche de Moïse pas guéris du venin du serpent, comme l'é-
ne fait pas plus injure au Christ en le décla- taient tous ceux qui jetaient sur lui un regard
rant maudit (non dans sa majesté divine , dans le désert -.

mais selon la condition de notre nature punie,


dans laquelle il a été suspendu au bois], que CHAPITRE VIII.

la bouche des Manichéens ne fait son éloge


VAINE DISTINCTION, IMPUTABLE AUX MANICHÉENS.
quand ils nient qu'il ait revêtu une chair ca-
pable de subir une mort véritable. En effet, Nous avouons cependant que les ignorants
l'oracleprophétique fait ressortir la gloire de prétendent qu'autre chose est d'être suspendu
son humilité et le prétendu respect que lui
, au bois autre chose d'y être cloué. Et c'est
,

témoignent les hérétiques, fait peser sur lui ainsi que quelques-uns ont cherché à résou-
l'accusation de fausseté. Si tu nies la malé- dre la question, en disant que la malédiction
diction , nie donc qu'il soit mort ; et si tu de Moïse s'adresse à Judas qui se suspendit à
nies qu'il soit mort, ce n'est plus Moïse, mais un lacet: comme s'ils savaient d'abord, si
les A|iôlres que tu combats. Si, au contraire, c'est à un bois ou à une pierre qu'il s'est sus-
tu confesses que le Christ est mort, avoue pentlu. Mais il est vrai, comme Fauste lui-
chargé de la peine de notre péché,
qu'il s'est même le fait remarquer, que l'Apôtre ne per-
sans avoir péché avec nous. Et quand tu en- met pas d'entendre cette malédiction autre-
tends parler de la peine du péché, crois qu'elle ment que comme une prédiction relative au
'
Rora. IT, 25. GeD. n, 17. — Num. X!a, 9.
' '

S. Alg. — Tome XIV. 1.3


.

22G CONTRE FAUSTE , LE MANICHÉEN.

Christ. Hélas! cette ignorance de quelques ca- et pour trouver appui contre nous chez les
tholiques est le résultat de la séduction ma- païens, qui savent que Moïse a dit bien des
nichéenne. Car c'est à de tels hommes qu'ils choses vraies et justes contre les idoles et les
s'adressent d'habilude, ce sont ceux-là qu'ils dieux des nations, qui sont des démons.
enveloppent du lilet de leurs erreurs; tels
nous étions tombés entre leurs mains, tels CHAPITRE X.
nous étions pris , et tels nous avons été dé- LES MANICHÉENS SONT IDOLATRES.
livrés, non par nos propres forces, mais par
la miséricorde de Dieu. Si ceci blesse les Manichéens ,
qu'ils se dé-
clarent franchement adorateurs des idoles ou
CHAPITRE IX.
des démons : ce qu'ils sont, sans s'en douter,
CALOMNIE DE FAUSTE CONTRE MOÏSE. par cela même qu'ils sont hérétiques. Car
c'est de telles gens que l'Apôtre a dit, « que
Mais quelles sont donc ces choses divines « dans les derniers temps quelques-uns aban-
que Moïse a outragées, comme Fauste l'en « donneront la foi, s'attachant à des esprits

accuse, en disant « qu'il n'a jamais rien res- « séducteurs, à des doctrines de démons, sous
« peclé dans les choses humaines ni dans les a le langage menteur de l'hypocrisie », Qui, '

« choses divines ? » Fauste a dit cela et a passé en effet, sinon les démons, amis du mensonge,
outre : il ne s'est pas donné la peine de rien persuaderait à ces hommes que le Christ a
prouver, ilaucun souci de rien dé-
n'a pris faussement souffert, est faussement mort, a
montrer. Or, nous savons, nous, que Moïse a montré faussement des cicatrices, c'est-à-dire
décerné de pieux éloges à tout ce qui est qu'il n'a pas vraiment souffert, qu'il n'est pas
vraiment divin, et qu'il a gouverné avec jus- vraiment mort, et que ses cicatrices n'étaient
tice les choses humaines selon les besoins de pas de vraies cicatrices ? Quelles doctrines
son temps et dans la mesure des grâces qui portent plus évidemment le signe des démons
lui étaient départies. Que les Manichéens me menteurs, (jue celles qui cherchent à persua-
forcent à le leur apprendre, comme ils se sont der que le Fils de Dieu, c'est-à-dire la vérité
eux-mêmes efforcés de prouver ce que Fauste même, est un imposteur ? Mais dans la doctrine
objecte, avec précaution, il est vrai, mais par de ces hérétiques se retrouve clairement le
là même, imprudemment: car il se perçait de culte, sinon des démous, du moins de la créa-
ses propres armes. Heureux, en effet, le cœur ture, lequel est condamné par l'Apôtre qui
pénétrant pour la vérité malheureux celui
, nous dit « Ils ont adoré
: et servi la créature
qui l'est contre la vérité. Fauste n'a pas dit « au lieu du Créateur » -

que Moïie n'a épargné personne, ni hommes ni


dieux, mais qu'il n'a rien respecté, ni « dans CHAPITRE XI.

« les choses humaines, ni dans les choses di-


ILS ADORENT LE SOLEIL ET LA LL'NE.
«vines». Si, en effet, il s'était borné à dire
qu'il n'a pas respecté Dieu, il serait facile de Par conséquent, à travers leurs rêves fan-
Ib convaincre de calomnie car on prouverait : tastiques et leurs fables, les Manichéens ado-
que Moïse honore et prêche partout le vrai rent, sans le savoir, les idoles et les démons ;

Dieu qui a fait le ciel et la terre. S'il disait ils savent que, dans dans la lune,
le soleil et
que Moïse n'a épargné aucun aes dieux, il se ils servent la créature, et s'ils pensent servir

trahirait aux yeux des chrétiens, en faisant aussi le Créateur, ils se trompent beaucoup:
voir qu'il adore lui-même les dieux dont car ils servent leur fantôme, et nullement le
Moïse a interdit le culte, et alors, les poussins Créateur, puisqu'ils nient que Dieu ait créé
se réfugiant sous les ailes de leur mère, l'E- ce que l'Apôtre démontre clairement appar-
glise catiiolique, ne rassemblerait pas des
il tenir à l'ordrede la création, quand il dit, à
petits qui ne sont pas les siens. Afm donc de propos de nourriture et de viande « Car toute :

tendre un piège aux petits enfants, il a dit que « créature de Dieu est bonne, et on ne doit rien
Moïse n'a rien respecté dans les choses divines, « rejeter de ce qui se prend avec actions de
alJn que les chrétiens, ne voyant pas là une « grâces'». Voyez ce que c'est que la saine
idolâtrie manifeste, n'eussent pas horreur doctrine, en haine de laquelle vous vous tour-
d'un inqiiélè si opiiosèe à la religion chrétienne. l Tiin. IV, 1,
'
Hom. I, 2"). — I Tim. iv, l.
LIVRE XIV. — moïse JUSTIFIE.

nez vers des fables. Et de même que l'Apôtre Mais quelle bonne forlune pour Fausle,
trouve bonne la créature de Dieu, tout en paraît-il, de ce que Moïse appelle aussi mau-
défendant de lui rendre un culte religieux: dit celui qui adore le soleil et la lune ! « Si

de même Moïse (qui vous semble n'avoir rien « donc)^, nous dit-il. «étantsujetd'unroi païen,
respecté de divin, uniquement, je le sou [)Çonne, «je suis forcé d'adorer le soleil, que je résiste,
parce qu'il a défendu d'adorer le soleil et la 8 et que, craignant la malédiction attachée à

lune que vous suivez dans leur cours en vous


' « cet acte, je sois condamné à être crucifié,
tournant dans tous les sens pour les adorer), «j'encourrai l'autre malédiction lancée par
Moïse, dis-je, a honoré d'une vraie louange le « Moïse contre celui qui est suspendu au bois ?»
soleil en racontant qu'ils ont été
et la lune, Aucun roi païen ne nous obUge à adorer le
créés par Dieu et i)lacés dans l'ordre des corps soleil; le soleil lui-même ne vous y obligerait
célestes pour accomplir la mission qui leur est pas, s'il était roi sur la terre, puisqu'il vous le
confiée « Le soleil pour présider au jour, la
: défend même aujoud'hui : mais comme le
« lune pour présider à la nuit - » Vos louanges . Créateur lui-même supporte les impies qui le
menteuses, au contraire, ne font aucun plaisir blasphèment jusqu'au jour du jugement, ainsi
au soleil ni à la lune. Le diable, créature rebelle, les corps célestes supportent leurs stupides
aime les fausses louanges; mais les puissances adorateurs, jusqu'au jugement de celui qui
des cieux, qui ne sont point déchues par le les a créés Cependant, souvenez-vous qu'un
'.

péché, veulent qu'on exalte en elles celui qui roi chrétien ne peut forcer à adorer le soleil.
les a faites et leur vraie louange est celle qui
; Fauste parle d'un roi païen, parce qu'il sait
ne préjudicie point à la gloire de leur Créa- parfaitement que, quand vous adorez le soleil,
teur. Or, on outrage celui-ci, quand ou dit vous faites un acte de paganisme. Cela n'est
qu'elles sont ses parties, ou ses membres, ou donc pas chrétien mais la perdrix proclame :

une portion de sa substance. Car étant parfait, partout lenom du Christ, afin de rassembler des
n'ayant besoin deiùen, ne coulant nulle part, petits qui ne sont pas les siens -. Voyez cepen-
n'étant point divisé, sans étendue locale, entiè- dant avec quelle facilité la vérité vous répond
rement immuable en lui-même, se suffisant à et la saine doctrine brise le lacet en apparence
lui-même, heureux par lui-même, il a, dans inévitable de votre question à deux tran-
son immense bonté, parlé par son Verbe et chants Supposons donc un homme armé du
I

tout a été fait il aordonné et tout a été créé ^


: pouvoir royal, et exigeant d'un chrétien qu'il
Par conséquent, si les corps terrestres, dont adore le soleil, sous peine d'être suspendu au
TApôtre parlait quand il disait qu'il n'y a pas bois. Si, dites-vous, j'évite la malédiction for-
de nourriture immonde, si, dis-je, ces corps mulée par la loi contre celui qui adore le
sont bons, « parce que toute créature de Dieu soleil ,
j'encours celle que cette même loi
« est bonne », à combien plus forte raison les lance contre celui qui est suspendu au bois.
corps célestes, parmi lesquels brillent le so- Vous serez vraiment dans l'embarras mais ;

leil et la lune, puisque le Apôtre dit même : non, non, vous n'y serez pas, vous qui adorez
« Il y a des corps célestes et des corps terres- le soleil même sans qu'on vous y force. Quant
très ; mais autre est la gloire des célestes, au chrétien, bàli sur le fondement des Apô-
autre celle des terrestres *». tres et des Prophètes ', il remonte ici aux
causes, il examine les deux malédictions il :

CHAPITRE XII.
voit que l'une s'adresse au corps suspendu au

RÉPONSE A IN DILEMME DE FACSTE. bois, et l'autre à l'âme qui adore le soleil. Car,
bien que corps s'incline pour adorer, c'est
le
Moïse n'injurie donc point le soleil et la lune, cependant l'âme qui rend ses hommages à ce
quand il défend de les adorer, il les loue qu'elle adore, ou feint de les lui rendre : et
comme des créatures célestes, mais il loue l'un et l'autre est pernicieux. C'est pourquoi,
Dieu comme le créateur des corps célestes et comme la mort a mérité la malédiction dans
des corps terrestres, et ilne veut pas qu'on le corps et dans l'âme, si être suspendu au
l'offenseen adorant, à sa place, des objets qui bois est la mort du
corps, adorer le soleil est
ne sont louables que pour lui et par lui. la mort de l'âme. Il faut donc choisir la ma-

Deut. xrn, 3.— Gen.


lédiction dans la mort du corps (malédiction
• ' i, 16 ; Ps. cxix\-, 8, 9.— '
P». cîltiii,
5. — " I Cor. XV, 40.
' Rétract, liv. II, cb. vu, n. 3.— ' Jer. ivu, 11.— '
Eph. ii, 20.
228 CONTRE FAISTE, LE MANICHÉEN.

dont le corps lui-même sera délivré lors de siez pas même tromper les hommes sous le
la résurrection), et éviter la malédiction dans nom du Christ, sans faire du Christ lui-même
la mort de l'âme, pour qu'elle ne soit pas un imposteur.
condamnée, avec son corps au feu éternel. ,
CHAPITRE XIII.
Car le Seigneur a lui-même tranché la ques-
tion, en disant « Ne craignez point ceux qui
:
AUTRE CALOMNIE DE FACSTE CONTRE MOÏSE.
« tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme ; Quant au reproche que Fauste fait à Moïse
« mais craignez plutôt celui qui peut préci- d'avoir blâmé la continence ou la virginité,
« piter le corps et l'âme dans la géhenne du en disant « Maudit quiconque ne laissera
:

«feu' ». CommeNe craignez s'il disait : « point de postérité en Israël » qu'on écoute '
,

point la malédiction de la mort corporelle, Isaïe s'écrier « Voici que le Seigneur dit à
:

qui passe avec le temps mais craignez la ma- ; « tous les eunuques S'ils observent mes com- :

lédiction de la mort spirituelle, par laquelle « mandements, s'ils choisissent ce qui m'est
l'âme est tourmentée éternellement avec son a agréable et restent fidèles à mon alliance, je
corps. Ainsi ces paroles Maudit quiconque : « « leur donnerai dans maison et dans l'en- ma
a est suspendu au bois », ne sont pas une ma- a ceinte de mes murs une place d'honneur,
lédiction de vieille femme, mais une prédiction « meilleure que celle des flls et des filles; je
de prophète. Car c'est par là que le Christ ôte « leur donnerai un nom éternel et qui ne
la malédiction de la malédiction, aussi bien « périra pas - ». Si les Manichéens voient une
que la mort de la mort et le péché du péché. contradiction entre Isaïe et Moïse, qu'ils adop-
Moïse n'a donc pas blasphémé en disant : tent celui-ci, puisque celui-là leur déplaît :

«Maudit quiconque est suspendu au bois», et ce n'est pas là un argument contre


faible
pas plus que les Apôtres en disant « 11 est : eux. Pour nous, il nous suffit de savoir que
« mort - »; ou « Notre vieil homme a été cru-
: c'est le même
Dieu qui a parlé par Moïse et
« cifié avec lui » ou : « Il a condamné le
^*
; par Isaïe ; que maudit est celui qui ne laisse
a péché à cause du péché ' » ou encore , : pas de postérité en Israël ; soit dans ces
a Celui qui ne connaissait point le péché, temps-là, quand, la race devant être propagée
« il l'a rendu péché pour l'amour de nous '^
»; selon la chair la formation d'une famille par
,

etbien d'autres choses de ce genre. Mais vous, le chaste exercice du mariage était un devoir
en manifestant votre horreur pour le Christ du citoyen maintenant, où tout homme,
; soit
maudit, vous témoignez de l'horreur que né spirituellement, ne doit pas penser qu'il se
sa mort vous inspire. Là on voit paraître suffit à lui-même, et se dispenser de travailler
chez vous, non une malédiction de vieille pour le Seigneur car chacun, en prêchant :

femme, mais une dissimulation diabolique : leChrist suivant son faible pouvoir, doit en-
vous qui, pour ne pas croire à la mort du gendrer des chrétiens. Ainsi cette divine sen-
Ciirist, donnez la mort à votre âme. Cepen- tence Maudit quiconque ne laisse pas de
: «

dant cette mort du Christ, vous la prêchez, « postérité en Israël », renferme dans sa mer-
non réelle, mais simulée comme si vous n'o- : veilleuse brièveté tous les temps des deux
Testaments.
' Matt. X, 28. — n
'
Cor. 14, 15. — '
Rom. VI, 6. — ' Id.
VIII, 3. — ' II Cor. V, 21. '
Deut. sxv, 7. — ' Is. Lvi, 4, 5.
LIVRE QUINZIÈME.
Fausle attaque l'Aucien Testament. — manicliéeune
L'église pointn'est — Appel
la catholique. — Apos-
véritable. à l'Eglise
trophe à l'église manichéenne. — Rêveries de —
cette secte. mise en présence du Uécalogue. ^ L'Eglise catholique
Elle est

a seule l'intelligence de la Loi. — La secte prédite par Paul. —


saint lavitatioa à
revenir à la vérité.

CHAPITRE PREMIER. montrez ingrats envers ses immenses bien-


faits. Vous êtes si bien alléchés par ces faux
POURQUOI FAUSTE REJETTE l' ANCIEN TESTAMENT.
biens que vous brûlez, pour le Dieu des Hé-
Fanste. Pourquoi ne recevez-vous pas l'An- breux, même après les noces du Christ. Ap-
ciefl Testament? —
Parce qu'un vase plein prenez donc que vous êtes encore maintenant
ne reçoit pas, mais rejette ce qu'on lui verse dans l'erreur et trompés par ses fausses pro-
de trop, et qu'un estomac rassasié repousse messes. pauvre, il n'a rien, il ne peut
Il est
ce qu'on y introduit. Par conséquent les Juifs, pas même
vous donner ce qu'il promet car :

rassasiés du vieux Testament d'après les ins- s'il n'a pu remplir ses promesses à l'égard de

tructions de Moïse, ont repoussé le Nouveau; sa propre épouse, je veux dire la synagogue,
et nous, remplis du Nouveau, d'après l'en- qui pourtant lui montrait en tout de la com-
seignement du Christ, nous rejetons l'Ancien. plaisanceetle servait plus humblement qu'une
Vous, vous ne recevez les deux que parce que servante que pourra-t-il vous donner, à vous
:

vous n'êtes pas pleins, mais demi-pleins et, ; qui lui êtes étrangers, et rejetez fièrement le
pour vous, l'un complète moins l'autre qu'il joug de ses commandements ? Du reste, con-
ne le gâte car jamais on ne remplit les vases
; tinuez comme vous avez commencé, mettez
à demi-pleins d'une matière ditTérente, mais une pièce neuve sur un vieux vêtement ,

bien d'une matière semblable et de même na- versez du vin nouveau dans de vieilles outres ',
ture ainsi le vin s'ajoute au vin, le miel au
; servez deux époux sans plaire à aucun, faites
miel, le vinaigre au vinaigre; et si on mêlait de la foi chrétienne un centaure qui ne soit
des substances d'une nature différente, comme entièrement ni cheval, ni homme mais per- ;

du fiel à du miel, de l'eau à du vin, du poisson mettez-nous de ne servir que le Christ, de


à du vinaigre, ce ne serait plus remplir, mais nous contenter de sa dot immortelle et d'imi-
altérer. Voilà donc pourquoi nous sommes peu ter l'Apôlre qui nous dit « Notre suffisance :

disposés à recevoir l'Ancien Testament et ; « vient de Dieu, qui nous a rendus proj'res à
comme notre Eglise, épouse du Christ, pauvre, « être les ministres de la nouvelle alliance^».
il est vrai, mais mariée à un riche, se con- La condition du Dieu des Hébreux et la nôtre
tente des biens de son époux, elle dédaigne sont très-différentes ne peut remplir ses
: car il

les richesses d'amants de basse condition les ; promesses, et nous dédaignons de recevoir ce
dons de l'Ancien Testament et de son auteur qu'il promet. La libéralité du Christ nous a
sont sans prix à ses yeux, mettant tous ses et, rendus fiers à l'égard de ses flatteries. Et pour
soins à sauver sa réputation, elle ne reçoit que vous ne trouviez pas ce rapprochement
que les lettres de son époux. Permis donc à inconvenant, Paul nous a le premier ai)pliqué
votre Eglise de s'emparer de l'Ancien Testa- cette comparaison tirée de l'état conjugal :

ment, elle, vierge lascive et sans pudeur, qui «Car la femme qui est soumise à un mari,
reçoit avec plaisir les présents et les lettres « le mari vivant, est liée par la loi mais si ;

d'un étranger. Ce dieu qui est votre amant, ce « son mari meurt, elle est affranchie de la loi

corrupteur de la pudeur des Hébreux, vous «du mari. Donc», ajoute-t-il, « son mari
promet, dans ses deux tables de pierre, de « vivant, elle sera appelée adultère , si elle
l'or, de l'argent, une chère abondante ', et la « s'unit à un autre homme mais ; si son mari
Chananéens -. Ces sordides avantages
terre des « meurt, elle n'est point adultère en s'unissant
vous ont si bien séduits, que vous péchez « à un autre homme ^». Par là il fait voir que
encore même après le Christ, et que vous vous ceux qui se sont unis au Christ avant d'avoir
'
Deut. vin, 7-9. — • Ex. xim, 23. • Malt. IX, 16, 17. — = Il Cor. m, 5, 6. — '
Rom. vn, 2, 3.
230 COINTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

répudié et en quelque sorte mis au tombeau « instruit de ce qui touche le royaume des
l'auteur de la loi, sont coupables d'adultère « cieux, est semblable au père de famille qui
spirituel. Et ceci s'adçesse particulièrement « tire de son trésor des choses nouvelles et

aux Juifs qui ont cru, afin de les obliger à « des choses anciennes ' ». En effet, si quel-

renoncer à leur ancienne superstition. Pour qu'un entend nourrir deux espérances, c'est-
nous, quel besoin avons-nous de comman- à-dire servir Dieu en vue du bonheur ter-
dement là-dessus, nous qui sommes passés du restre et du royaume des cieux, il est certain
paganisme au Christ, et pour qui le Dieu des que celle-ci ne s'accommodera pas de celle-
Hébreux, non-seulement est mort, mais n'est là, et que quand une tribulation quelconque

même pas né? Sans doute, pour le Juif l'aura détruite, l'autre fera également défaut à
croyant, Adonis doit être mort, bien que ce l'homme, qui perdra ainsi tout à la fois. C'est
soit encore une idole pour le gentil et ainsi ; ce qui a fait dire au Christ « Personne ne :

en est-il de tout croyant pour ce qu'il adorait « peut servir deux maîtres », ce qu'il explique

avant de connaître le Christ. Mais si, après ensuite en disant « Vous ne pouvez servir
:

avoir rompu avec Tidolâtrie, un Juif adore « Dieu et l'argent ^ » Or, pour ceux qui ont
.

encore simultanément Dieu et le Christ, il ne l'intelligence saine, l'Ancien Testament est la


diffère pas de la femme sans pudeur, (jui, prophétie du Nouveau Testament. Amsi, chez
après la mort de son mari, s'unit à deux le premier peuple, les saints patriarches et les

autres à la fois. saints prophètes, qui comprenaient ce qu'ils


faisaient ou ce qui se faisait par eux, avaient,
CHAPITRE II.
dans le Nouveau Testament, l'espérance du
FAUSTE INTERPRÈTE MAL UN TEXTE DE l'ÉVANGILE. salut éternel : car ils se rattachaient à ce
Augustin. Entendez cela , vous dont le qu'ils comprenaient et aimaient, ce qui n'était
cœur appartient au Christ, et voyez s'il ne point encore révélé, mais iléjà llguré. Au con-
faut pas que le Christ soit votre patience traire, à l'Ancien Testament appartenaient
pour supporter un tel langage. Fauste, i'em|)li ceux dont les pensées et les désirs ne s'éten-
du miel nouveau, rejette le vieux vinaigre, daient pas au-delà des promesses temporelles
et Paul, rempli du vieux vinaigre, en a versé qui y étaient faites, et dans lesquelles ils ne
la moitié pour faire place au miel nouveau, savaient pas voir la figure et la prophétie des
qui ne se conservera pas, mais se gâtera. Car, biens éternels. Mais tout cela a déjà été dit et
vous le voyez, ce que dit l'apôtre Paul : « Ser- redit dans nos précédentes réponses.
« vileur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat,
« pour l'Evangile de Dieu », c'est du
choisi
CHAPITRE m.
miel nouveau. Mais quand il ajoute « Qu'il :
IMPUDENCE DES MANICHÉENS. AUGUSTIN CONFESSE
« avait promis auparavant par ses Prophètes
Or'lL A ÉTÉ DE LA SECTE. TOUCHANT APPEL A LA
« dans les saintes Ecritures, touchant son Fils
VÉUITAISLE ÉGLISE.
« qui lui est né de la race de David selon la

u chair '
», c'est du vieux vinaigre. Qui pour- C'est vraiment une étonnante impudence,
rait supporter cela, si le même Apôtre ne que l'immonde et sacrilège secte des Mani-
nous consolait en disant « H faut qu'il y ait
: chéens ose se dire la chaste épouse du Christ.
a même des hérésies, afin qu'on découvre Et qu'y gagne-t-elle contre les vrais et chastes
« ceux d'entre vous qui sont éprouvés - ? » membres de la sainte Eglise, sinon de leur
Mais quel besoin de répéter ce (]ue nous avons rappeler cet avertissement de l'Apôtre : « Je
déjà suffisamment exposé plus haut' ? D'après « vous ai fiancés à un époux unique, pour
ce que nous avons dit, chacun peut se rappeler, « vous présenter à lui comme une chaste
ou, ne s'en souvient pas, relire, (|ue la pièce
s'il « vierge mais je crains que comme le ser-
;

neuve et le vieux vêtement, le via nouveau « peut séduisit Eve par son astuce, ainsi vos

et les vieilles outres n'ont point rapport aux « esprits ne se corrompent et ne perdent la

deux Testaments, mais aux deux vies, aux « chasteté (|ui est dansleChrist''» A quoi leii-

deux espérances; et que les deux Testaments dent en effet ces hommes qui nous annoncent
sont désignés dans celte comparaison faite par un autre évangile que celui que nous avons
le Seigneur : « C'est pourquoi tout scrihc, revu, si ce n'est à nous faire perdre la chasteté
' Koui. 1, 1-J. — = I Cor. xi, 19. — ' Liv. VllI. Malt, xlll, Id. VI, 21. 11 Cor. .\l, J, i.
LIVRE XV. — LES MANICHÉENS ET LES CATHOLIQUES. 231

que nous conservons ponr le Christ, en blâ- goiité surtout la promesse de la vie éternelle
mant de Dieu sous prétexte de vétusté,
la loi parmi les présents de ton Epoux, c'est-à-dire
et préconisant leur erreur sous le nom de d'avoir aimé ton Epoux lui-même, parce qu'il
nouveauté, comme s'il fallait rejeter tout ce est lui-même la vie éternelle.
qui est ancien et embrasser tout ce qui est
nouveau, quand, d'un côté, l'apôtre Jean fait CHAPITRE IV.

l'éloge de la loi ancienne ', et que, de l'autre, LE SAINT DOCTECR COMIME SON APPEL A l'ÉGLISK
Paul l'apôtre ordonne d'éviter les nouveautés CATHOLIQUE.
profanes de paroles ' ? Pour moi , ô Eglise
catholique, vraie épouse du vrai Christ, c'est Il n'est point vrai, comme ils le disent dans
à toi que je m'adresse dans la mesure de mes leur folie, que tu te sois livrée à un dieu
forces, moi ton Qls et ton serviteur, établi, étranger, te promettant une chère abondante
malgré mou indignité, pour distribuer dans et la terre des Chananéens; car tu sais parfaite-
ton sein la nourriture à mes frères. Tiens-toi ment que, déjà figurée et prophétisée alors
toujours en garde, comme tu le fais, contre la dans les promesses mêmes, lu as été enfantée
vanité impie des Manichéens, déjà expéri- dans la prescience des saints. Ne te trouble
mentée au détriment de tes enfants, et con- point de ce misérable lardon lancé contre les
fondue par leur délivrance. Cette erreur m'a- tables de pierre ; car lu n'as pas le cœur de
vait autrefoisarraché de ton sein, l'expérience pierre, que ces tables figuraient dans l'aucien
m'a appris à fuir ce que je n'aurais jamais dû peuple. En effet, tu es « la lettre» des Apôtres,
éprouver. Mais profite des dangers que j'ai «écrite, non avec de l'encre, mais avec
courus, toi que je sers depuis ma délivrance. « l'esprit du Dieu vivant, non sur des tables

Car si ton vrai et légitime époux, du côté du- « de pierre, mais sur les tables charnelles du
quel tu as été formée, ne m'eût lavé de mes «cœur' ». Paroles qui font la joie de ces
péchés dans son véritable sang, le torrent de hommes vains, parce qu'ils s'imaginent que
Terreur m'eût entraîné, et, devenu terre, l'Apôtre blâmede l'Ancien Tes-
la législation

j'eusse été dévoré sans ressource par le ser- tament accommodée à son époque, ne com-
pent. Ne te laisse pas séduire par le nom de prenant pas que l'Apôtre parle d'après le
la vérité; tu la possèdes seule et dans ton lait Prophète. Car longtemps avant que ces paroles ^
et mais elle n'est pas dans cette
dans ton pain ; si mal comprises par leur ignorance, eussent

autre église il n'y en a que le nom. Sans doute,


: été dites et accomplies par les Apôtres, elles
tu es en sécurité pour tes fils déjà grands mais ; avaient été énoncées par les Prophètes qu'ils
c'est à tes petits enfants que je m'adresse, mes rejettent. En effet, l'un d'eux avait dit : « Je
frères, mes fils, mes maîtres, que lu couves, a leur ôterai leur cœur de pierre, et je leur
en quelque sorte, sous tes ailes inquiètes, ou « donnerai un cœur de chair ^ ». Qu'ils voient

que tu nourris de lait comme des enfants, si ce ne sont pas là les expressions « Non sur :

féconde quoique sans tache, vierge mère; c'est « des tables de pierre, mais sur les tables char-
à ces tendres fruits que je m'adresse, pour « nelles du cœur » Car cœur de chair,
. ni là, le
qu'une curiosité babillarde ne les entraîne ni ici, ne doivent s'en-
les tables charnelles,

pas loin de toi, mais qu'ils anathéniatisent tendre dans le sens grossier mais c'est que, en ;

plutôt quiconque leur [irêche un autre évan- comparaison de la pierre, qui est insensible,
gile que celui qu'ils ont reçu chez toi ', et la chair sent l'insensibilité de la pierre signi-
;

qu'ils n'abandonnent ni le vrai Christ, le fie le cœur sans intelligence, et la sensibilité


Christ véridique, en qui sont cachés tous les de la chair est le symbole du cœur qui com-
trésors de la sagesse et de la science ', ni l'a- prend. Mais toi, ris plutôt de ceux qui disent
bondance de douceur qu'il réserve à ceux qui que la terre, le bois, la pierre sentent et
le craignent et qu'il a préparée pour ceux qui vivent d'une vie plus intelligente que la chair
espèrent en lui '. Or, comment la vérité se même, qu'ils déclarent plus stupide et plus
truuverail-elie là, dans la bouche d'un homme inerte. U'où ils se voient forcés non par la
qui prêche un christ imposteur ? Méprise vérité, mais par leur vanité, de convenir que
leurs insultes : car lu as la conscience d'avoir la loi écrite sur des tables de pierre était moins

' 1 Jeao, II, 7. — ' 1 Tim. Vl, 20. — ' Gai. 9. Col.
immonde que leur trésor enfermé dans des
I, '
Il, 3.
'
Ps. XXX, 20. ' Il Cor. ui, 2, 3. Ez. XI, 19.
232 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

peaux, dépouilles d'animaux morts. Serait-ce « se résume dans cette parole Tu aimeras ton :

parce qu'ils disent, dans leurs rêveries, que les a prochain comme toi-même. L'amour du pro-
pierres sont des os de princes, qu'ils n'hésitent M chain n'opère pas le mal. L'amour est donc

pas à leur préférer les cuirs des agneaux? Par « la plénitude de la loi ' ». Là, en effet, sont

conséquent, l'arche du testament était moins renfermés les deux préceptes de l'amour de
immonde pour renfermer les tables de pierre, Dieu et de l'amour du prochain, expliqués
qu'une peau de chevreau pour renfermer dans les deux tables. Et ces deux tables t'ont
leur livre. Ris de tout cela avec une miséri- été envoyées d'avance par Celui qui est venu
cordieuse compassion, pour leur apprendre te recommander ces deux préceptes, auxquels
à en rire et à y renoncer car dans ces deux : se rattachent toute la loi et les Prophètes ^
tables de pierre, ton cœur, qui n'est plus de Dans le premier de ces préceptes se trouve ta
pierre, sait parfaitement ce qui convenait à ce chaste union conjugale, dans le second l'unité
peuple à tête dure ; et pourtant lu y reconnais de tes membres par celui-là, tu embrasses la
;

la pierre, ton propre époux, celui que Pierre divinité, par celui-ci, tu formes une société.
appelle : aLa pierre vivante, rejetée des hom- Dans ces deux préceptes se trouvent renfermés
« honorée de Dieu ». Pour
mes, mais choisie et les dix, dont trois se rapportent à Dieu et sept
eux donc pierre d'achoppement,
c'était « une au prochain. chaste diptyque, oii, sous
«une pierre de scandale»; et pour toi c'est d'anciennes figures, ton amant et ton bien-
la pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient aimé préludait pour toi au cantique nouveau,
et qui est devenue un sommet d'angle d '
. sur le psaltériou à dix cordes '
; annonçant,
Ce que ce même apôtre Pierre exidique en pour ainsi dire, qu'un jour ses nerfs seraient
entier, et rappelle avoir été prédit en entier tendus pour toi sur le bois, afin que le pé-
par les Prophètes dont ces réprouvés se dé- , ché lût condamné dans la chair par le péché
tournent. Lis donc sans hésiter ces tables de même, et que la justification de la loi s'accom-
pierre ne crains pas, elles sont de ton époux.
: plit en toi M diptyque conjugal, que la
Pour d'autres cette pierre a voulu dire dureté femme adultère ne repousse pas sans raison !

et stupidité pour toi elle signifie fermeté et


:

solidité. Ces tables ont été écrites par le doigt


CHAPITRE V.

de Dieu - par le doigt de Dieu, ton époux a


:
APOSTROPHE IRONIQUE A l'ÉGLISE MANICHÉENNE.
chassé les démons'; par le doigt de Dieu,
chassé aussi les doctrines des démous et des c'est à toi que je m'adresse,
Et maintenant,
imposteurs qui cautérisent la conscience '. secte manichéenne, menteuse et enveloppée
Par ces tables tu repousses l'adultère, qui se de mensonges. Quoi épouse de tant d'élé- !

dit le Paraclet pour te séduire par la sainteté ments, ou plutôt femme perdue, prostituée
du nom. Car ces tables t'ont été données le aux démons et grosse de vanités sacrilèges,
cinquantième jour après la pâque et le cin- ^"
; quoi tu oses briser le mariage catholique de
!

quantième jour après la passion de ton époux, ton maître par ta crimelle impudicité Mon- !

dont la pàque était la figure, le doigt de Dieu, tre-nous tes corrupteurs adultères, le pondé-
l'Esprit-Saint, le Paraclet promis t'a été donné^ rateur porte-lumière, et l'Atlas qui porte le
Ne crains donc pas les deux tables, où ce qui monde. Car tu prétends que celui-là est le
a été écrit pour toi jadis, t'a été envoyé pour maître des éléments, et tient le monde sus-
que tu lereconnussesaujourd'hui seulement ; pendu que celui-ci, appuyé sur un genou,
; et
ne reste pas sous la loi, de peur que, dominée soutient celte masse énorme sur de robustes
par la crainte, tu ne l'accomplisses pas; mais épaules, sans doute, de peur que l'autre ne
reste sous l'empire de la grâce, afin que puisse suffire à la besogne. Où sont-ils? et s'ils

l'amour soit en toi la plénitude de la loi. Car existent, quand viendront-ils à toi, accablés
l'ami de ton époux no faisait autre chose que qu'ils sont sous le poids de leur tâche? Quand
relire les deux tables, quand il disait : « En viendront-ils chez toi, pour se délasser de
« effet, tu ne conunettras point d'adultère, tu leur fatigue excessive, ])Our être frottés de ta
« ne tueras point, tu ne convoiteras point et ; main caressante, oisive et délicate, l'un aux
a s'il est quelque autre commandement, tout doigts et l'autre aux épaules ? Mais tu es le

' 1 Pier. II, i-8. — ' Ex. xxïl, 18. — Luc, xr , 20. — * ( Tinn. '
Rom. xm, 9, 10. — " Ma». .\.\u, 37-W. — ' I>s. xci , 4. —
IV 2. — * Ex. XX, — ' Act. Il, U4. ' Rom. VIII, 3, t.
LIVRE XV. — LES MANICHÉENS ET LES CATHOLIQUES. 233

jouet de démons impurs, qui s'unissent à toi d'anges, que tu prétends être, non pas créés
pour que tu conçoives des mensonges et en- par Dieu , mais engendrés de sa propre sub-
fantes des fantômes. Comment ne repousse- stance.
rais-tu pas le diptyque du \rai Dieu ennemi , CHAPITRE VI.
de tes parcliemins, en vertu desquels tu as
SUITE DE l'apostrophe. RÊVERIES
aimé tant de faux dieux, d'un cœur inconstant,
MANICHÉENNES.
égaré dans les fictions de tes pensées dans ;

lesquels on peut retrouver tous les mensonges donc prouvé que tu adores des dieux
II est
des poêles, moins sérieux cependant, et moins sans nombre
et que tu rejettes la saine ,

honnêtes chez toi que chez eux puisque, fai- : doctrine qui nous enseigne un Fils unique, né
sant profession de mentir, ils ne trompent d'un Dieu unique, et un Es|)rit-Saint procé-
personne, tandis que tes livres fourmillant dant des deux. Et non-seulement il n'est pas
d'erreurs, séduisent les âmes encore enfan- permis de parler de dieux sans nombre, mais
tines, même chez les vieillards, les corrompent pas même de trois dieux puisque non-seu- :

par de misérables illusions, et font que, éprou- lement il n'y a qu'une seule et même sub-
vant une vive démangeaison aux oreilles, elles stance, mais encore une seule et même opé-
lesferment à la vérité, et se tournent vers les ration par une seule et même substance
fables'? Comment supporterais-tu la vaine propre, et que la distinction des personnes se
doctrine de ces tables, où on lit pour premier révèle même par la créature matérielle. Tu
commandement : « Écoute, Israël ; le Sei- ne comprends pas cela, tu ne le saisis pas : je
« gneur ton Dieu est le seul Dieu ^ », alors le sais, tu es pleine, tu es enivrée, tu es sa-
que te complaisant dans une si grande multi- turée de fables sacrilèges. Digère donc enfin
tude de dieux tu te vautres dans la honte et
, ce que trahit ton haleine, et cesse de t'ingur-
la fange d'un cœur adultère ? Ne te rappelles- giter de la soiie; en attendant, poursuis ton
tu pas ce chant de volupté, où tu dépeins le chant, et vois, la honte de ta si tu le peux,
roi très-grand sur son trône, le porte-sceptre fornication. La doctrine de les démons men-
éternel au front couronné de fleurs et à la
, teurs t'a introduite dans un chimérique séjour
face rayonnante? Quand tu n'aurais qu'un des anges, où souffle un vent frais, et dans
amant de ce genre, tu devrais déjà rougir : des champs parfumés, où les arbres et les
car une épouse pudique ne saurait agréer montagnes, les mers et les fleuves donnent
même un amant unique au front couronné de un doux nectar dans tout le cours des siècles.
fleurs. Et tu ne peux pas dire qu'il y a, dans Et tu l'as cru et tu t'es imaginé tout cela !

ces paroles ou dans cette image, une signifi- dans ton cœur! Et livrée à la luxure et à la
cation mystique : car ce qu'on fait surtout débauche, tu t'es bercée de vains souvenirs 1

valoir à tes yeux dans Manès, c'est qu'il te dira Car quand on emploie un langage de ce genre
la vérité nueet simple, eu termes propres, sans pour exprimer l'ineffable abondance des dé-
figures et sans voiles. Tu chantes donc littérale- hces spirituelles, on parle évidemment en
ment un roi porte-sce|)tre, couronné de fleurs. énigme c'est pour que l'âme qui s'occupe de
;

Qu'il dépose au moins son sceptre, quand il ces sujets sache qu'il y a, là, quelque autre
se couronne de fleurs ce luxe et cette mol- : sens à chercher et à saisir, soit qu'un objet
lesse ne conviennent point au sceptre austère matériel soit présenté réellement aux sens du
d'un roi. De plus, ce n'est pas là ton seul corps, comme le feu dans le buisson ', la
amant; tu continues ta chanson, et tu men- verge changée en serpent et le serpent rede-
tionne douze siècles aussi ornés de fleurs, venu verge -, la tunique du Seigneur qui n'est
remplis de sons harmonieux et jetant des point partagée par les bourreaux ', le parfum
fleurs au visage de leur père. Là, tu les pro- répandu respectueusement sur les pieds ou sur
clames tous les douze, grands dieux, rangés la têle du Christ par une femme'', les palmes
autour de lui, en quatre groupes ternaires. aux mains de la mullitude qui |)récède et suit
Mais commentée Dieu, que vous dites entouré, l'âne sur lequel il est monté ^
: soit que les
peut-il être immense; c'est ce que vous n'avez objets soient présentés en figures à l'esprit
jamais su expliquer. Tu parles encore de sujets par des images corporelles, ou en songe, ou
sans nombre, de troupes de dieux et de légions
' Ex. III , 2. — = Id. IV, 2-1. ' —
JeaD, x\x, 21. '
Matt. XXVI
' U Tira. IV, 1. — • Dent, vi, t. r ; Jean, xn, 3.— ' Matt. XXII, 7-9.
234 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

dans le ravissement, comme à Jacob les face à face. lascive, ô immonde créature, tu
éclielles '
; à Daniel, la pierre détachée sans tiens encore ce langage sans rougir, tu te re-
le travail des mains et devenue une monta- pais encore de vent, tu embrasses encore les
gne ^
; nappe ' et à Jean tant
à Pierre la , idoles de ton cœur ? Quoi tu as vu face à face 1

d'autres choses ' soit que le langage soit : le roi porte-sceptre assis sur son trône, cou-
simplement figuré, comme dans le Cantique ronné de fleurs, et les troupes de dieux, et le
des cantiques * dans la parabole évangélique; grand porte-lumière, ayant six visages et six
du père de famille qui fait les noces de son bouches et rayonnant de lumière et un autre ;

fils • dans celle de l'homme qui avait deux


; roi d'honneur, entouré des armées des anges;
fils, l'un rangé et l'autre livré à la débauche', et un autre, amant, héros guerrier, tenant de
ou de l'homme qui planta une vigne et la loua sa droite une lance et de sa gauche un bou-
à des vignerons '. Mais tu loues précisément clier puis un autre encore, roi glorieux qui
;

Manès d'être venu le dernier, non pour tenir pousse trois roues, celle du feu, celle de l'eau,
ce langage, mais pour en donner l'explication, et celle du vent : et le colossal Atlas, portant
de manière à interpréter les anciennes fi- le monde sur ses épaules, et le soutenant de
gures, à présenter ses récils et ses discussions sesdeux bras en s'appuyant sur un genou ?
avec la plus grande clarté, sans jamais s'en- As-tu réellement vu face à face ces merveilles
velopper d'énigme et d'obscurité. Et pour jus- et mille autres de ce genre, ou n'est-ce point
tifier cette présomption, tu prétends que les la doctrine de démons menteurs, que des im-
anciens, dans tout ce qu'ils ont vu, fait ou dit posteurs te chantent à ton insu? Malheur à
en figure, savaient qu'il devait venir un jour toi, infortunée I voilà les fantômes auxquels
pour tout révéler, et que lui, sachant que tu te prostitues, les vanités que tu suces au
personne ne viendrait après lui, a exposé ses lieu de la vérité; et enivrée à la coupe du
sentiments sans allégories et sans détours. serpent, tu oses insulter, à propos des deux
Que devient donc ton affection souillée par tables de pierre, à la chaste matrone, épouse
des désirs charnels, au milieu des champs et du unique de Dieu; parce qu'elle n'est
Fils

des forêts épaisses, des couronnes de fieurs et plus sous le joug de la loi, mais sous l'em-
des parfums? S'il n'y a pas là d'énigmes pour pire de la grâce, parce que, ne s'enflant point
la raison, y a des fantômes pour l'imagina-
il de ses œuvres, ne se laissant pas abattre par
tion ou de l'égarement pour la folie. Mais si la terreur, elle vit de foi, d'espérance et de
on dit qu'il y a des énigmes, pourquoi ne charité, devenue Israël en qui il n'y a pas
fuis-tu pas l'adultère, qui te promet la vérité d'artifice ', « Le
et attentive à ce qui est écrit :

claire pour t'allécher, c*t se rit de toi par ses a Seigneur ton Dieu est le seul Dieu -» tandis :

mensonges et ses fables ([uand il t'a attirée? que toi, pour n'avoir pas écoulé ces paroles,
Ses ministres, infectés aussi de ces vanités, tu t'es prostituée à une multitude de faux
les malheureux ! n'ont-ils pas l'habitude de dieux.
mettre, pour amorce à leur hameçon, ces pa- CHAPITRE VII.
roles de l'apôtre Paul : « Car c'est imparfaite-
LA DOCTRINE MANICHÉENNE EN PKÉSENCE DU
« ment que nous connaissons, et imparfaite-
DÉCALOGCE.
« ment que nous prophétisons , mais quand
« viendra ce qui est parlait, alors s'anéantira Comment
ne haïrais-tu pas ces tables, où
ce qui est imparfait » ; et encore : « Nous on litsecond conimandenienl « Tu ne
i)Our :

« voyons maintenant à travers un miroir, en « |ircndras pas en vain le nom du Seigneur

« énigme , mais alors nous verrons face à « ton Dieu ^», puisque tu as rangé parmi les

« face'». En sorte que l'apôtre Paul a impar- vains imposteurs le Chrisl même, qui a daigné
faitement connu, imparfaitement prophétisé, app;tiaître aux yeux de la chair dans une

ne voyant qu'à travers un miroir et en chair vraie et réelle, pour purger les hommes
énigme : et que tout cela doit disparaître à charnels do la vanité charnelle? Comment ne
l'ariivéc de Manès, qui ajiportera ce qui est scrais-lu pas contrariée du troisième comman-
parlait, de manière à ce qu'on voie la vérité dement relatif au rejios du sabbat, toi dont
l'âme inquiète est livrée à tant de rêveries et
' Gcn. Xkviii, Ï2. — ' Dan. n, :il, lij. — " Act. x, 11. — * Apoc.
d'illusions? Quand comprendras-lu que ces
etc. — ' Cant. I, etc. — ' Matt. xxii, 2-M. - ' Luc, xv, ll-K. —
1

•'Malt. XXI, 33- — ' ' Cor. xiii, 9, lu, 12, '
Jean, i, !.">
Deul. VI, 1. — ' Ex. x.v,
'
LIVRE XV. — LES MANICHÉENS ET LES CATHOLIQUES. 235

trois préceptes se rattaclient à l'amour de ton dieu, tu ne donnes pas de pain à celui qui
Dieu? Quand les goùteras-tu? Quaud les ai- a faim, et pour éviter un homicide imagi-
meras-tu ? Tu ne sais pas te contenir, tu es naire, tu encommets un réel. Si donc tu ren-
laide et disputeuse tu t'es enflée, tu es de-
: contres un homme affamé qui peut mourir, à
venue value, tu t'es ravalée, tu es sortie des moins que tu ne lui donnes à manger, te voilà
bornes, tu as flétri ton honneur, tu es des- homicide ou d'après la loi de Dieu si tu ne lui
cendue au-dessous de ton rang. J'ai été tel moi- donnes pas, ou d'après la loi de Manès si tu lui
même dans ton sein, je te connais. Comment donnes. Et les autres préceptes du Décalogue,
donc pourrais-je, aujourd'hui, l'apprendre tiue comment les observerais-tu ?T'abstiens-tu du
ces trois commandements regardent l'amour vol, quand tu enlèves, si un
tu le peux, le pain,
de Dieu, de qui, par qui et en qui sont toutes mets quelconque que le premier venu man-
choses '? Comment le comprendrais-tu, quand gerait et tuerait dans ses entrailles plutôt que
tes perverses et détestables erreurs ne te per- toi, et que tu cours à la cuisine de tes élus,

mettent pas même de connaître et d'observer pour garantir, au moyen de ce vol, ton dieu
les sept autres, qui concernent l'amour du de quelque chaîne plus lourde, ou le délivrer
prochain^ la base de la société humaine? Le de celle qui lui pèse ? Et si tu es pris en flagrant
premier est « Honore ton père et ta mère»
: : délit, ne jures-tu pas par ton dieu même, que tu
Paul en le rappelant et le renouvelant dans n'as rien pris? Et que peut te faire un dieu à
les mêmes termes, le nomme le premier com- qui tu as de dire
le droit Je me suis parjuré
:

mandement fait avec une promesse '. Mais par toi, mais pour toi; voudrais-tu que, pour
ton infernale doctrine t'a appris à regarder tes te rendre hommage, je t'eusse donné lamort?
parents comme des ennemis, pour l'avoir en- De même tu violeras le commandement :

chaînée à la chair par leur union maritale, et « Ne porte poiut de faux témoignages », à
avoir mis par là d'immoudes entraves à ton cause des membres de ton dieu, afin de les
dieu. Voila pourquoi aussi vous violez le pré- délivrer de leurs entraves, non-seulement
cepte suivant : «Tune commettras pas d'adul- par un témoignage, mais par un faux ser-
« tère », à ce point qu'il n'est rien que vous dé- ment. Quant à celui qui vient ensuite « Tu :

testiez dans le mariage comme de mettre au « ne convoiteras point la femme de ton pro-

monde des enfants, et que vous rendiez vos dis- « chain' »,tu dois raccomplir: je ne vois que

ciples adultères, par les précautions qu'ils pren- celui-là que ton erreur ne t'oblige pas à trans-
nent pour empêcher de concevoir les femmes gresser. Mais s'il est défendu de convoiter la
auxquelles ils s'unissent. En effet, ils les épou- femme du prochain, songe à ce que c'est
sent d'après les lois du mariage, suivant les rè- que de s'offrir soi-même à la convoitise
glements publics, pour avoir des enfants mais ; d'autrui ; souviens-toi de tes beaux dieux, de
d'après voire loi, de eur de souiller des im-
i
tes belles déesses, qui se montrent dans le
mondices de la chair une partie de leur dieu, but d'exciter de violents désirs, ceux-là, de la
ils ne cherchent dans le commerce des part des femmes, princesses des ténèbres, et
femmes que l'assouvissement d'une infâme celles-ci de la part des dieux mâles; aûn que,
volupté, et n'ont des enfants que malgré eu.\, en excitant la soif de la jouissance et l'ardeur
bien que ce soit là le seul but du mariage. d'une passion criminelle, ils délivrent ton dieu
Comment donc ne défendrais-tu pas le mariage, prisonnier chez eux, et qui a besoin de toutes
selon ce que l'Apôtre a prédit de toi depuis si ces horribles turpitudes pour être dégagé de
longtemps % puisque tu lui enlèves son unique ses liens. Etcomment, misérable, pourrais-tu
raison d'être? Car en dehors de ce but, les observer le dernier précepte du Uécalogue, qui
/
maris ne sont plus que de misérables liberlms; défend de convoiter le bien d'autrui? Ton
les femmes, que des prostituées le lit nuptial, ; dieu lui-même ne te dit-il pas faussement
qu'un lieu de débauches les beaux-pères, que ; qu'il prépare sur la terre étrangère des siè-
des corrujiteurs de la jeunesse. Par la même cles nouveaux, où tu te pavaneras, après une
raison, en vertu de la même erreur crimi- fausse victoire, dans un faux triomphe? Et
nelle, tu n'observes point non plus le comman- comme tu y aspires dans ta folle vanité et
dement : a Tu ne tueras pas ». En effet, pour que tu crois celte terre du peuple des ténè-
ne pas retenir dans la chair un membre de bres très-rapprochéedela propre substance, tu
' Hom. XI, 30. — •
Ex. xx, 12 ; Epb. vi, J — ' I Tim. iv, 3. '
Es. XX, 13, 16, 17.
236 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

convoites sans aucun doute le bien du pro- loi sans la grâce, elle ne faitque descoupables ;

chain. C'est donc ajuste titre que tu hais le mais l'Apôtre se propose la question qui se
diptyque, qui contient des commandements si présenterait aux moins éclairés, et il explique
bons, opposé? à ton erreur. Car tu ignores
si sa pensée en disant « Que dirons-nous donc? :

complètement, tu n'observes en aucune fa- « La loi est-elle péché ? Point du tout mais :

çon, les trois premiers qui se rapportent à «je n'ai connu le péché que par la loi Car !

l'amour de Dieu et quant aux sept autres, ; « je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la

sauve-garde de la société humaine, si parfois a loi n'eût dit Tu ne convoiteras point. Or, pre-
:

tu les respectes: ou tu obéis à un sentiment de a nant occasion du commandement, le péché

honte, de peur d'avoir à rougir parmi les 8 m'a trompé et m'a tué par lui. Ainsi la loi

hommes ou ; tu cèdes à la crainte du châti- « est sainte, et le commandement saint, juste


ment fixé ou tu re-
par des lois publiques ; a et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour
pousses une mauvaise action par l'etTet d'une « moi la mort ? Loin de là mais le péché, ;

bonne habitude. Enfin la loi naturelle te rap- a pour paraître péché, a, par une chose bonne,
pelle combien il est injuste de faire à un a opéré pour moi la mort' ». Voilà ce que
autre ce que tu ne voudrais pas que l'on te fît à comprend celle à qui tu insultes, parce qu'elle
toi-même; mais tu sens combien ton erreur demande avec gémissements, qu'elle cherche
te pousse en sens contraire, soit que tu cèdes ou avec humilité, qu'elle frappe avec douceur ;

que tu ne cèdes pas, quand tu fais ce que tu et ainsi elle voitqu'on ne blâme point la loi,
ne veux pas permettre, ou que tu ne fais pas, quand on dit a La lettre tue, mais l'esprit :

parce que tu ne veux pas permettre. a vivifie - B pas plus qu'on ne blâme la
,

science, quand on dit « La science enfle, mais :

CHAPITRE VllI. « la charité édifie' ». Car l'Apôtre avait déjà

dit a Nous savons tous que nous avons une -


LA VÉRITABLE ÉGLISE A SEULE L'iNTELLIGENCE DE
:

LA LOI. a science suffisante », après quoi il ajoute:


« La science enfle, mais la charité édifie' ».
Mais cette véritable épouse du Clirist, à la- Pourquoi donc avait-il lui-même de quoi s'en-
quelle tu insultes avec une extrême impu- fler, si ce n'est parce que la science unie à la

dence à l'occasion des deux tables de pierre, charité non-seulement n'enfle pas, mais
,

sait parfaitement la distance qu'il y a entre la affermit? Ainsi la lettre avec l'esprit, et la loi

lettre et l'esprit', ou,en d'autres termes, entre avec la grâce, ne s'appelle plus lettre et loi,

la loi et la grâce et comme elle sert Dieu ; dans le même sens que quand elles tuaient
dans la nouveauté de l'esprit, et non dans la par elles-mêmes, le délit abondant. Aussi la
vétusté de la lettre -, elle n'est plus sous la loi a été appelée même « force du péché *
»,
loi, mais sous la grâce. L'esprit de discussion parce qu'elle en augmentait la criminelle
ne l'aveugle pas; elle écoute humblement les jouissance, par l'effet de ses défenses sévères.
paroles de l'Apôtre, pour bien comprendre ce Et pourtant, même alors, elle n'était pas mau-
([u'il appelle la loi, sous l'empire de laquelle vaise ; a mais le péché, pour paraître péché,
il ne veut plus que nous soyons, parce qu'elle « a ,
par une chose bonne, opéré la mort ».

a a été établie à cause des transgressions, Ainsi, bien des choses sont nuisibles à quelques-
« jusqu'à ce que vînt le rejeton pour lequel a uns, sans être mauvaises par elles-mêmes.
« été faite la promesse ' » et parce que « elle : Vous-mêmes, par exemple quand vous avez ,

« est survenue pour que le péché abondât ; mal aux yeux, vous fermez les fenêtres au
« mais où péché a abondé, la grâce a sura-
le soleil, votre dieu. Donc cette épouse du Christ,
« bondé * Et cependant il n'appelle pas
». déjà morte à la loi, c'est-à-dire au péché, que
péché cette même loi, qui, sans la grâce, la défense de la loi rendait plus abondant
ne vivifie pas: en effet, elle augmente plutôt la (car la loi, sans la grâce, donne des ordres,
faute en y ajoutant la rébellion « Car où il : mais non point de secours), morte,dis-je,à cette
« n'y a point de loi, il n'y a point de prévari- loi, afin d'appartenir à un autre qui est res-

« cation '"
» ; et ainsi, par elle-même, quand suscité des morts, fuit toutes ces distinctions
elle est la lettre sans l'esprit, c'est-à-dire la sans injurier la loi, ne voulant point blas-

' Il Cor. 111, 6. — Botn. VII, 6.— ' Rai. m, 19.— ' Rom. v, -20. ' Rom. Vil, 7-13. — = II Cor. m, 6. — ' I Cor. vui, I. — ' Id. —
- ' Id. IV, 15. '
Id. XV, ôG.
LIVRE XV. — LES MANICHÉENS ET LES CATHOLIQUES. 237

phémer son auteur : ce que tu fais, toi, à « pour le juste ' » parce que celui qui jouit
;

l'égard de celui en qui tu ne sais pas recon- de la justice même, n'a plus besoin de la lettre
naître l'auteur du bien ,
quoique tu entendes qui effraie.
l'Apôtre dire : «La loi est sainte et le com- CHAPITRE IX.
« mandement est saint, juste et bon » . Et voilà
CONTINUATION DU MÊME SUJET. LA SECTE
que l'auteur du bien est, selon toi, un des
MANICHÉENNE SÉDUITE PAR LE SERPENT.
princes des ténèbres. Fais donc attention à la
vérité, elle te saute aux yeux. Paul l'apôtre Cette épouse du Christ, qui se réjouit dans
dit : « La loi est sainte et le commandement l'espoir d'être entièrement sauvée, souhaite
« est saint, juste et bon ». Et son auteur est que tu te convertisses heureusement des fables
celui qui a d'abord envoyé, dans des vues à la vérité, de peur que, redoutant un Adonaï
profondes et mystérieuses, le diptyque dont quasi adultère, tu ne restes avec l'astucieux
tu te railles dans ta folie. Car cette même serpent, l'adultère véritable. Car Adonaï est
loi, donnée par Moïse, devenue la grâce est un mot hébreu qui signifie Seigneur, dans le

et la vérité par Jésus-Christ ', quand l'esprit sens où l'on dit que le seul Dieu est Seigneur;
s'est joint à la lettre afin que la justice , comme un mot grec que l'on tra-
latrie est
de la loi commençât à s'accomplir , elle duit par culte, non un culte quelconque,
qui jusque-là n'avait fait que des coupables mais celui qui n'est dû qu'à Dieu comme ;

parla rébellion. En effet, la loi sainte, juste et /lme?2 signifie vrai, non dans l'acception gé-
bonne, n'est pas différente de celle par laquelle nérale et vulgaire, mais dans le sens de vé-
le péché opère mort, et à laquelle nous la rité religieuse. Si on te demande d'où tu tiens
devons mourir pour appartenir à un autre ce que tu as, tu ne trouves non plus que l'hé-
qui est ressuscité des morts c'est absolument : breu ou ce qui vient de l'hébreu. L'Eglise du
la même. Continue et lis « Mais le péché, : Christ ne craint donc pas qu'on lui objecte
« pour paraître péché, a, par une chose bonne, tous ces termes ; elle comjjrend et elle aime ;
« opéré pour moi la mort, de sorte qu'il est elle n'a souci d'un insulteur ignorant et ce ;

« devenu par le commandement une source qu'elle ne comprend pas, elle l'assimile à
« extrêmement abondante de péché, ou péché d'autres choses dont l'expérience lui a appris
«par le commandement
Sourde, écoute ». le sens qu'elle n'avait pas su jusque-là. Qu'on
donc, aveugle, vois donc. « lia», dit l'Apôtre, lui reproche d'aimer l'Emmanuel, elle rit de
par une chose bonne, opéré pour moi la l'ignorance du blasphémateur et accepte la
« mort ». Donc la loi est toujours bonne ; soit signification du nom dans toute sa vérité.
que la grâce nuise à ceux qui sont vides, soit Qu'on lui reproche d'aimer le Messie, elle re-

qu'elle profite à ceux qui sont rassasiés. pousse un adversaire mort et s'attache à un
Elle est toujours bonne comme le soleil est ; Maître embaumé de parfums. Et elle désire
toujours bon (parce que toute créature de Dieu que tu sois ainsi guérie de tes vaines erreurs,
est bonne ^), soit qu'il nuise à desyeux malades, et bâtie sur le fondement des Apôtres et des
soit qu'il flatte agréablement des yeux sains. Prophètes ^ Quand tu parles d'Hippocentaure,
Or, ce que la santé est aux yeux pour voir le tu ne sais ce que tu distu ne fais pas atten- ;

soleil, la grâce l'est aux esprits pour accom- tion au fond de ta fable, lorsque tu forges
plir la loi. Et comme les yeux sains ne meurent dans ton imagination un monde chimérique,
pas à la jouissance du soleil, mais seulement formé d'une partie de ton dieu et d'une par-
à ces rayons piquants dont l'éclat les jetait tiede la terre de ténèbres. N'est-ce pas là l'hip-
dans des ténèbres plus épaisses, ainsi l'âme pocentaure, demi-animal et demi-dieu? En
sauvée par la charité de l'esprit, n'est point vérité, on ne peut pas même l'appeler hippo-
déclarée morte à la justice de la loi, mais centaure. Mais examine ce que c'est, et rougis,
seulement à la faute et à la prévarication que et humilie-toi, afin d'avoir en horreur l'oppro-
la loi occasionnait par la lettre ,
quand la bre que te fait subir le serpent corrupteur. Car
grâce manquait. C'est donc d'elle qu'on dit si tu n'as pas cru à son astuce sur la parole
d'abord « La loi est bonne, si on en use légi-
: de Moïse, Paul a dû te tenir en garde contre
timement » , et immédiatement après : lui, puisque, voulant présenter au Christ la
« Reconnaissant que la loi n'est pas établie vraie Eglise comme une vierge chaste, il a dit :

'
Jean, l, 17. — '
I Tim. iv, 1. I Tim. I, 8, 9. — = Eph. II, 20.
1

238 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

« Je crains que comme le serpent séduisit moi, je sais que vous avez été prédits, non-
8 Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se seulement par les Prophètes en termes obs-
B corrompent et ne dégénèrent de la simpli- curs, mais par l'Apôtre en termes exprès « Or, :

« cité qui est dans le Clirist ». Tu entendais '


« l'Esprit dit manifestement que, dans les

cela, et pourtant tu as poussé si loin la folie, « derniers temps, quelques-uns abandonne-

tu as été tellement égarée par de perfides en- « ront la foi, s'attachant à des esprits séduc-
chantements que, quand ce même serpent leurs et à des doctrines de démons, parlant
inspirait telle ou telle erreur à beaucoup « le mensonge avec hypocrisie, ayant la con-
d'autres sectes, il est venu à bout de te per- « science cautérisée, défendant le mariage et
suader qu'il est le Christ. Or, si ces sectes, en- « s'absteuant des aliments que Dieu a créés
veloppées dans ses ruses variées et multi- « pour être reçus avec actions de grâces par
formes, sont dans l'erreur, bien qu'elles re- « les fidèles etpar ceux qui ont connu la vé-
connaissent la vérité de ce que dit l'Apôtre : « rite car toute créature de Dieu est bonne,
;

combien n'es-tu pas plus corrompue, plus a et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend

enfoncée dans la prostitution, toi qui prends « avec actions de grâces ». Or, pour ceux '

pour le Christ celui par qui l'Apôtre du Christ qui vous connaissent, il est plus clair que le
proclame qu'Eve a été séduite et corrompue, soleil que tout cela s'est accompli en vous, et
afin d'avertir et de tenir en garde contre lui, nous l'avons démontré plus haut dans l'occa-
la Vierge épouse du Christ? II a rempli ton sion.
cœur de ténèbres, celui qui se vautre avec CHAPITRE XI.
toi dans les forêts lumineuses, peuplées de
PROMESSES DE DIEU ACCOMPLIES. INVITATION
fantômes. Quelles sont ses fidèles promesses ?
PRESSANTE A REVENIR A LA VÉRITÉ.
Où sont-elles? D'où viennent-elles? femme
ivre, mais non de vin - Mais celle que l'Apôtre désire présenter à
son unique Epoux, le Christ, comme une
CHAPITRE X. chaste vierge, et qu'il tient en garde contre
l'astuce du serpent qui l'a perdue, celle-là
LES PROPHÈTES MANICHÉENS. LA SECTE PRÉDITE
PAR SAINT PAUL. reconnaît le Dieu des Prophètes, le vrai Dieu,
son Dieu elle attend en toute confiance l'ac-
;

Car tu as accusé avec une impudence sa- complissement de ses dernières promesses,
crilège le Dieu des Prophètes, de n'avoir pas elle qui en a déjà tant vu se réaliser dont elle
tenu ses promesses aux Juifs qui le servaient. goûte les fruits et personne ne s'avise de dire
;

Mais tu l'es bien gardée de préciser en quoi que les prophéties qu'elle lit dans les livres
consistent ces promesses non exécutées, de hébreux ontété fabriquées à son usage pour les
peur qu'on ne te prouve ou qu'elles le sont besoins du temps. Car quoi de plus incroyable
sans que tu le saches, ou qu'elles le seront, que cette promesse faite à Abraham « Toutes :

bien que tu n'y croies pas. Mais toi, que t'a- a les nations seront bénies en ta postérité -?»

t-on promis, que t'a-t-on offert pour te faire Et quoi de plus certain que son accomplisse-
croire qu'un jour tu jouiras des triomphes ment ? Or, la dernière promesse est celle que
des siècles nouveaux sur la terre de ténèbres? le Prophète résume en ce peu de mots « Heu- :

Si tu montres certaines prophéties, où nous « l'eux ceux qui habitent dans votre mai-
lisons que la secte manichéenne a été annon- 8 son ils vous loueront dans les siècles des
I

cée avec éloge, en sorte que tu voies déjà un « siècles ^ ». Eu effet, quand tous les besoins
commencement d'exécution dans lefaitinênie auront cessé, quand la mort, le dernier en-
de votre existence, il faut d'abord que tu nous nemi, sera détruite *, les élus en paix n'au-
prouves que Manès, voulant conquérir ta foi, ront plus qu'à louer Dieu sans fin, dans cette
n'a pas lui-même fabriqué ces prophéties. Car demeure où personne n'entrera plus, comme
pour lui le mensonge n'a rien de honteux, et personne n'en sortira plus. C'est ce que le Pro-
il ne peut pas hésiter à nous montrer de faux phète exprime ailleurs a Jérusalem, loue una- :

prophètes sous des peaux de brebis, lui qui 8 nimeinent Seigneur; Sion, loue ton Dieu,
le
fait une gloire au Christ d'avoir montré de 8 parcequ'il a fortifié les barrières de les portes.
fausses cicatrices dans ses membres. Pour
• I Tim. IV, 1, 1. — ' Gen. .\x!i. 18. — ' Ps. L.\.ï.viii. S.—
n Cor. il, -2, 3. 1>. LI, 1!1. I Cor. XV, 26.
LIVRE XV. — LES MANICHÉENS ET LES CATHOLIQUES. 239

« et béni tes enfants dans ton sein ' » . Les portes a souviendront de votre nom de génération
nne fois fermées, personne n'entrera, personne « en génération pour cela, les peuples chan-
;

ne sortira. C'estainsi que l'Epoux lui-même dit « leront vos louanges pendant l'éternité et les
dans l'Evangile aux vierges folles qu'il ne leur «siècles des siècles'». Mais toi, infortunée
ouvrira pas, quoiqu'elles frappent -. Cette Jé- victime du serpent, quand chercheras-tu seu-
rusalem, la sainte Eglise, l'épouse du Christ, lement comprendre ce que c'est que cette
à
est décrite plus au long dans l'Apocalypse de beauté intérieure de la fille du roi? Eh bien I

Jean. Permis à la chaste vierge de ne pas c'est la chasteté de l'esprit que tu as perdue,

croire à cette promesse prophétique, si elle ne au point que tes yeux se sont ouverts pour
goûte déjà pas l'accomplissement de celle qui aimer et adorer le soleil et la lune que, par ;

lui a été faite en ce temps par le même Pro- un juste jugement de Dieu, tu as été séparée
phète : a Ecoutez, ô ma fille ! voyez, prêtez de l'arbre de vie, qui est la sagesse éternelle
« l'oreille et oubliez votre peuple et la maison et intérieure, et que tu n'as plus estimé et
« de votre père : car le roi sera épris de votre appelé vérité et sagesse que cette lumière qui
« beauté, parce qu'il est lui-même votre Dieu, entre dans les yeux mal ouverts, s'accroît à
« et les filles de Tyr viendront l'adorer en lui l'infini,prend mille formes chimériques et
« offrant des présents ; les riches de la terre fabuleuses, et oîi s'égare ton âme impudique.

« imploreront vos regards. Toute la gloire de Ce sont là tes fornications, exécrables au plus
« la fille du roi est intérieure ; ses vêtements haut point. Et cependant, songes-y patiem-
« sont resplendissants d'or et de broderie; à ment et reviens à moi, dit la Vérité. Reviens
« sa suite des vierges seront présentées au roi, à moi ; et tu seras purifiée, restaurée, si tu te
ses compagnes vous seront présentées, on perds pour toi et te rejettes en moi. Ecoute
« les amènera avec joie et allégresse dans le cela: car c'est ce que te dit la Vérité, laquelle
« temple du roi. Pour vous, à la place de vos n'a point lutté sous des formes trompeuses
« pères, il vous est né des enfants ; vous les avec le peuple des ténèbres et ne l'a pas ra-

« établirez princes sur toute la terre ; ils se cheté au prix d'un sang imaginaire.
' Ps. cXLvn, 1, 2. — • Matt. xxv, 12. ' Ps. iLlV, 11, 18.
LIVRE SEIZIEME.
Fauste nie que Moïse ait prophétisé du Christ. — Selon lui, la loi de Moïse contredit l'Evangile. — Réfutation. — Le saint

Docteur reprend un à un les textes objectés et les explique. — Il justifie prouve qu'il a été
Moïse ,
la figure du Christ et

qu'il a eu le Christ en vue. — Détails sur le Sabbat, la Circoncision, la distinction des ahments, etc.

CHAPITRE PREMIER. est le Fils de Dieu ils ne nous en sont pas '
;

moins odieux. Ainsi donc, si Moïse, d'après ce


FAUSTE ACCEPTE LES PROPHÉTIES DE MOÏSE SUR LE
texte, a rendu quelque témoignage du Christ,
CHRIST, s'il y en A, TOUT EN REPOUSSANT LE
je l'accepte; mais sous la réserve cependant
RESTE DE SA DOCTRINE.
qu'il n'en pourra tirer parti pour m'enchaîner
Fauste. Pourquoi ne recevez -vous pas à sa loi, qui, selon moi, ne diffère en rien du
Moïse ,
quand le Christ dit « C'est de moi : paganisme. C'est pourquoi , tu n'as aucune
« que Moïse a vous croyiez Moïse,
écrit, et si raison de croire que, si cette thèse est prou-
« vous me croiriez sans doute aussi ». Pour ' vée, je ne serai pas fort heureux que tout es-
moi je n'entends pas que non-seulement
,
prit ait prophétisé du Christ.
Moïse, mais aucun prophète hébreu ou gentil
aient écrit du Christ. Au fond, en quoi cela
CHAPITRE II.

nuirait-il à notre foi, ou plutôt quel proflt MAIS FAUSTE N'a TROUVÉ DANS MOÏSE AUCUNE
n'en tirerait-elle pas, si nous pouvions re- PROPHÉTIE SUR LE CHRIST.
cueillir de tout côté des témoignages clairs et
concordants en faveur de notre Dieu ? Même Je te serai cerlainemant reconnaissant, puis-
en ce cas, nous serions encore libres, tout en que tu me fais voir que le Christ atteste que
conservant une haine profonde pour leur Moïse a écrit de lui, de me faire aussi connaî-
superstition, d'extraire simplement de leurs tre ce que Moïse a écrit. Pour moi, en par-
livres les prophéties relatives au Christ tant : courant ses livres, suivant l'ordre, je n'y ai

je suis peu contrarié de ce que Moïse, quoique trouvé aucune prophétie touchant le Christ,

hostile au Christ, semble pourtant avoir écrit soit qu'il n'y en ait pas, soit que je n'aie pu les
quelque chose sur le Christ. Est-il un homme comprendre. Aussi, dans mon extrême em-
qui ne recueillît avec plaisir une fleur sur barras, je me suis vu réduit à cette alterna-
toute épine, un fruit sur toute tige d'herbe, tive ou de regarder ce chapitre comme sup-
:

du miel de chaque mouche, bien que nous ne posé, ou de traiter Jésus de menteur. Mais la
prenions ni mouche, ni foin pour aliments, piété me défendait d'accuser Dieu de men-
ni épines pour former une couronne ? Chacun songe. J'ai donc cru plus raisonnable d'attri-

n'aimerait- il pas à voir des perles se former buer une fausseté à des écrivains, plutôt qu'un
dans toutes les cavités, des pierres précieuses mensonge à Dieu. J'avais en effet entendu le
sur toutes les terres, des fruits sur tous les Christ traiter de voleurs et de larrons tous
arbres des forêts ? Et si manger un poisson de ceux qui sont venus avant lui ^ condamna- ;

mer ne fait point de mal, tandis que boire de tion qui me semble tomber en premier lieu

l'eau de mer en fait, si les hommes savent sur Moïse. Et quand les Juifs , l'entendant
prendre ce qui leur est utile et rejeter ce qui parler de sa majesté et s'appeler lui-même la

leur est nuisible pourquoi ne nous serait-il


: lumière du monde, protestaient avec colère
pas permis, tout en réprouvant une religion en disant « C'est vous qui rendez témoignage
:

quelconque qui nous est inutile, de lui em- B de vous-même votre témoignage n'est pas
;

[irunter seulement les proi)héties touchant le « vrai » je ne vois pas que le Christ ait dit que
:

Christ? El l'erreur n'en pourrait profiter pour Moïse avait prophétisé de lui, bien que ce fût
nous séduire et faire de nous ses esclaves car : le cas ou jamais de le dire; mais comme quel-

iln'a servi de rien aux esprits immondes de qu'un qui leur serait étranger et n'aurait à citer
confesser claireineat et sans détour que Jésus aucun témoignage de leurs pères en sa faveur,
' Jean, v, 4(). •
Malt, viii, 2'.i. — ' Jean, .v, S.
LIVKE XVI. — LE CJIHIST PHfcDlT PAK MOÏSE. 241

il répondit : a Or, dans votre loi il est écrit CHAPITRE IV.

« que le témoignage de deux hommes est


IL EN DISCUTE UNE ET LA REJETTE.
a vrai. moi qui rends témoignage de
C'est
« moi-même mais mon Père, qui m'a en-
:
Une leur montrerons-nous donc? Sera-ce
B voyé, rend aussi témoignage de moi » ' : le passage que vous citez ordinairement, où
faisant ici allusion à ce qu'ils avaient tous leur Dieu pariant à Moïse, dit : « Je leur sus-
entendu dire d'en liaut : « Celui-ci est mon « citerai, du milieu de leurs frères, un pro-
Fils bien-aimé; croyez en lui - ». De plus, il a phète semblable à toi '
? » Mais le Juif sait
ne me semble pas vraisemblable que les parfaitement que cela ne se rapporte pas au
Juifs eussent pu se taire quand le Christ di- Christ, et nous ne pouvons nous-mêmes le

sait que Moïse avait écrit de lui, et que, mé- croire : car le Christ n'est pas un prophète, ni
chants et rusés comme ils l'étaient, ils ne lui un prophète semblable à Moïse ;
puisque l'un
eussent pas demandé quels étaient donc ces était pécheur et l'autre saint ; l'un né d'un
passages qu'il croyait écrits pour lui. Or, leur couple et l'autre d'une vierge, selon vous,
silence absolu n'est pas une faible preuve que et, selon moi, pas même d'une vierge; l'un
Jésus n'a rien dit de ce genre. meurt sur une montagne pour avoir offensé
son Dieu -, l'autre, pour le bon plaisir de son
CHAPITRE III.
Père, souffre une mort volontaire '. Comment

DEMANDE QU'ON LES LUI FASSE CONNAÎTRE.


donc serait-il un prophète semblable Moïse? à.
IL
Evidemment nous accusera aussitôt
le juif
Bien que ce ne soit pas là de minces motifs d'ineptie, ou nous convaincra de mensonge.
pour me rendre ce chapitre suspect de falsi-
fication, cependant le plus grave à mes yeux CHAPITRE V.

c'est que, en étudiant attentivement, comme IL EN RÉPROUVE ÉGALEMENT UNE SECONDE.


je l'ai dit, tous les écrits de Moïse, je n'y ai
trouvé aucune prophétie touchant le Christ. Lui présenterons-nous encore cet autre
Cependant, trouvant en toi un lecteur plus passage, que vous alléguez aussi souvent :

intelligent, j'espère en proiiter , y gagner Ils verront leur vie suspendue , et ils ne
quelque chose ; et je te serai reconnaissant, a croiront pas à leur vie * ? » Vous ajoutez :

je l'avoue, ne trompes pas, par un sen-


si tu « Sur le bois », qui ne se lit pas dans le texte.
timent de jalousie, l'espoir d'avancement et Mais rien n'est plus facile que de prouver
d'instruction que m'inspire la confiance avec qu'il ne s'agit pas ici du Christ. En effet, parmi
laquelle tu m'adresses tes reproches; mais les terribles malédictions lancées contre son
que tu me fasses connaître tout ce que les peuple, dans le cas où il serait infidèle à sa
écrits de Moïse renferment sur notre Dieu et loi, Moïse ajoute celle-ci : qu'ils seront prison-
Seigneur et qui m'aura peut-être échappé à la niers de leurs ennemis, qu'ils penseront à la
lecture. Et ne me dis pas, de grâce, ce que mort jour et nuit, et ne compteront pas même
disent ordinairement les ignorants: qu'il suffit, sur une vie due à la générosité des vain-
pour croire, que le Christ ait affirmé que queurs, parce que toujours incertains, tou-
Moïse a écrit de lui. Ici, je t'en prie, ne fais jours tremblants, ils se sentiront constam-
pas attention à moi ma profession m'oblige
: ment sous la pointe du glaive. Il n'y adonc
à croire, et je ne puis me dispenser d'ajou- rien là qui se rapporte au Christ et il faut
ter foi à embrassé la doc-
celui dont j'ai chercher ailleurs. Car j'ai peine à croire que
trine mais suppose que nous avons affaire à
; vous appliquiez au Christ la malédiction for-
un juif, ou même à un gentil; quand nous mulée contre quiconque est suspendu au
leur aurons dit Moïse a écrit du Christ, et : bois' ou cet autre passage où l'on dit qu'il
;

qu'ils nous demanderont des preuves, que faut mettre à mort tout prophète ou chef du
leur olfrirons-nous? Nous contenterons-nous peuple qui tenterait de détourner les Israé-
de leur dire Le Christ a dit cela, quand ils
: lites de leur Dieu ou de transgresser quel-
ne croient pas au Christ ? Evidemment il qu'un des commandements " : ce que le

faut leur montrer ce que Moïse a écrit. Christ a certainement fait, je ne saurais le

• Jean, viu, 13, 17, 18. — ' Malt, m, 17 ; Luc, ix, 3j.
— —
' ncilt. Xïlli, 15, 18. ' Id. xxxiv, 5. 'Jean, x, 18. * Deut.
XXVIII, 60. — ' Id. XXI, 23. — ' Id. XIII, 5.

S. AUG. — Tome XIV. IG


242 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

uier. Mais toi, au contraire , lu ne peux con- soigne que c'est là la marque indispensable
venir que ces clioses aient été écrites du de l'alliance que Dieu a faite avec Abraham,
Christ autrement, nous te demanderions
; et il affirme que tout homme qui ne portera
encore une fois dans quel esprit Moïse a pro- pas ce signe, sera chassé du milieu de sa tribu
phétisé, pour maudire le Christ ou le con- et n'entrera point en partage de l'héritage
damner à mort. Car s'il a eu l'esprit de Dieu, promis à Abraham et à sa postérité '. Et, cela
il n'a pas dit cela du Christ et s'il l'a dit du ; encore, les Juifs le croyaient fermement, sur
Christ, il n'a pas eu l'esprit de Dieu. En effet, l'affirmation de Moïse ; et c'est pourquoi ils
l'Esprit divin ne maudirait pas le Christ, ou ne pouvaient ajouter foi au Christ qui in-
ne le condamnerait pas à mort. Donc, pour firmait cette doctrine , et prétendait même
laver Moïse de ce crime, vous êtes forcés d'a- que quiconque était circoncis, encourait deux
vouer qu'il n'avait pas le Christ en vue quand fois lesupplice de la géhenne -. De même
il écrivait cela. Et s'il n'a pas écrit cela du encore Moïse établit une distinction rigou-
Christ ou vous produirez d'autres témoi-
, reuse entre les chairs servant d'aliments, et,
gnages, ou il n'y en a pas. S'il n'y en a pas, le à la façon d'un gourmet , se fait juge des
Christ n'a pas pu affirmer ce qui n'est pas. Et poissons, des oiseaux et des quadrupèdes ; il

si le Christ n'a pas afQrmé cela, il est donc veut que les uns soient mondes et puissent
évident que le chapitre est faux. être mangés, que les autres soient immondes,
et ne soient pas même touchés; et parmi ceux-
CHAPITRE VI.
range le porc et le lièvre, tous les pois-
ci, il

sons qui n'ont pas d'écaillés, et les quadru-


CONTRADICTIONS ENTRE LA DOCTRINE DE MOÏSE
pèdes qui n'ont pas le sabot fendu et ne ru-
ET CELLE DU CHRIST.
minent pas '. Les fortement
Juifs ont aussi
La suite du texte n'est pas plus vraisemhla- adhéré à ces prescriptions écrites par Moïse ;

ble : «Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez et pour cela encore, ils ne pouvaient croire au

« sans doute aussi » : caria doctrine de Moïse Christ qui enseignait que tous les aliments
et celle dû Christ sont tellement dissembla- sont indifférents, qui les interdisait presque
bles, tellement différentes, que les Juifs, en tous, il est vrai, à ses disciples, mais permet-
admettant l'une, devraient nécessairement re- tait aux gens du peuple de manger tout ce

jeter l'autre. En effet. Moïse prescrit avant qui peut se manger, et leur déclarait que rien
tout de s'abstenir de tout travail le jour du de ce qui entre dans la bouche n'était capable
sabbat, et le principal motif qu'il donne à de les souiller vu que les choses mauvaises
:

celte observance religieuse, c'est que Dieu qui sortent de la bouche peuvent seules
ayant mis six jours à former le monde et ce souiller l'homme *. Personne n'ignore que
qu'il contient, se reposa le septième, qui est Jésus a enseigné cela et bien d'autres choses
le sabbat ; et que pour cela il le bénit, c'est- encore, opposées à la loi de Moïse,
à-dire le sanctifia, comme le port oii il était

entré dans le repos, el établit en loi que qui- CHAPITRE VII.

conque le violerait serait mis à mort ^ Les AUSSI LES SECTES CHRÉTIENNES REJETTENT -ELLES
Juifs, sur la parole de Moïse en étaient plei-
, LA LOI DE MOÏSE.
nement convaincus ; aussi ne voulaient-ils
pas même
prêter l'oreille au Christ quand il Comme il serait long de les parcourir en
affirmaitque Dieu agit sans cesse, qu'il ne s'est détail, je me bornerai à un seul point: c'est

fixé aucun jour pour le repos, parce que sa que la plus grande partie des sectes chré-
puissance est continuelle et infatigable, et que tiennes, et même les catholiques, comme cha-
lui, par conséquent, ne doit non plu? jamais cun le voit, n'ont aucun souci des prescrip-
cesser d'agir, pas même les jours de sabbat : tions de Moïse. Or, si ce n'est pas là une

car, dit-il : « Mon Père agit sans cesse et il erreur, mais la vraie tradition du Christ et de
« faut que j'agisse aussi -
». De même Moïse vous êtes forcés
ses disciples, d'avouer que les
range la circoncision parmi les rites sacrés et enseignements de Jésus et ceux de Moïse sont
agréables à Dieu il ordonne que tous les ;
formellement ojiposés, et que les Juifs n'ont
mâles soient circoncis dans leur chair, il en- XVII, 9-'.4. — Matt. xxiii, 15. — '
Deut. ,xiv, 3-10. —
'
Gen. •


Ex. XX , 8-1 1 ; XXVI, 13-17. — Jean, v, 17 ; ix, 1. Matt. -w, 1 1-20.
LIVRE XVI. — LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. 213

pas cru à Jésus parce qu'ils voulaient resler ment, reste dans ta béate ignorance pour moi ;

fidèles à Moïse. Comment donc ces paroles jeme contente du bonheur de raisonner sur
attribuées à Jésus tous croyiez Moïse,
: « Si ce que j'entends.
a vous me », ne se-
croiriez sans doute aussi
raient-elles pas fausses, quand il est de la plus
CHAPITRE IX.

grande évidence que les Juifs n'ont pas cru BÉTORSION D'AUGUSTIN.
à Jésus précisément parce qu'ils croyaient à
Moïse, et qu'ils auraient pu croire au Christ, Augustin. Ce n'est pas sans finesse que
s'ils avaient cessé de croire à Moïse? Encore tu te dis prêt à accepter les prophéties que
une fois, je t'en prie dis-nous donc où Moïse
,
tu trouveras dans les livres de Moïse tou-
a écrit du Clirist. chant le Christ, comme tu prendrais un pois-
son de mer tout en rejetant l'eau dont Userait
CHAPITRE VIII. tiré. Mais comme tout ce que Moïse a écrit est

FAUSTE NE VEUT PAS CROIRE SANS PREUVES.


du Christ, c'est-à-dire regarde absolument le
Christ, soit qu'il l'annonce sous la figure des
D'autre part on me dit : Si tu es chrétien, paroles et des actions, soit qu'il exalte sa grâce
crois au Christ, quand il affirme que Moïse et sa gloire, toi qui admets, sur la foi des
a écrit de lui. Si tu n'y crois pas, tu n'es pas écrits de Manès, un Christ faux et menteur,
chrétien. C'est toujours là la sotte et niaise tu ne veux pas croire à Moïse, pas plus que
réponse de ceux qui n'ont point de preuve à de manger du poisson. y a seulement une
Il

donner. Que tu aurais bien mieux fait de t'en différence : c'est que tu poursuis Moïse de ta
tenir à ce simple aveu Et cependant lu as pu ! du poisson un éloge men-
haine, et que tu fais
me dire cela, à moi que tu sais obligé de En effet si, comme tu le dis, on peut
teur.
croire, parce que je professe la religion du manger un poisson de mer sans danger,
Christ quoique en réalité il s'agisse précisé-
: pourquoi le déclarez-vous tellement malsain,
ment de savoir si c'est là un témoignage du que, à défaut d'autre aliment, vous vous lais-
Christ qu'il faille absolument accepter, ou seriez mourir de faim plutôt que d'y tou-
celui d'un écrivain qu'on doive soumettre à cher? Pourquoi, si toute chair est immonde,
une sévère critique. Et en refusant de croire à comme vous l'affirmez si toute eau et toute ;

des fiiusselés, ce n'est pas le Christ c|ue nous herbe enchaînent misérablement la vie de
blessons, mais les falsificateurs. Cependant votre Dieu et que vous deviez la purifier par
admettons que les chrétiens puissent à la ri- vos aliments pourquoi ta détestable super-
:

gueur se contenter de cette réponse mais : stition te fait-elle rejeter le poisson que tu
comment nous en tirerons-nous avec ceux loues, et boire l'eau de mer et manger les
dont j'ai parlé, avec le juif et le gentil, à qui épines, que tu blâmes ? Pour ce qui est de la
nous ne pouvons dire Si tu es chrétien, crois:
;
comparaison entre le serviteur de Dieu et les
si lu ne crois pas, tu n'es pas chrétien ? Bien démons, où tu déclares qu'il faut accepter les
que, au fond, on n'aurait pas tout à fait rai- prophéties qu'il a pu faire du Christ, comme
son de tenir ce langage à un chrétien, puis- on accepte le témoignage de ces esprits trom-
que le Christ n'a pas dédaigné de dissiper les peurs confessant le Christ', sache que Moïse
doutes de l'apôtre Thomas concernant sa per- ne dédaigne point de partager l'opprobre de
sonne, mais lui a montré les cicatrices de son son Maître. Car, si le père de famille a été ap-
corps, pour remédier aux plaies de son âme, pelé Béelzébuth, à combien plus forte raison
et ne lui a pas dit Si tu es mon disciple,
: ceux de sa maison ^ Mais examinez bien de !

crois; si tu ne crois pas, tu n'es pas mon dis- qui vous tenez tout cela ils sont certainement ;

ciple. Réponds-moi là-dessus, à moi qui ne plus méchants que ceux qui adressaient ces
doule pas du Christ, mais de l'authenticité des injures au Seigneur. Car les Juifs ne croyaient
paroles qu'on lui prêle. Mais, dis-tu, il appelle point qu'il fût le Christ, et c'est pourquoi ils
plus heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont le regardaient comme un trompeur; mais
cru '. Si lu penses que ces paroles signifient vous, vous n'admettez pour vraie, que la doc-
qu'il faut tout croire sans raison et sans juge- trine qui ose prêcher un christ imposteur.
' Jean, x.\, 27, 29. Malt. VIII, 29. — ' 1(1. X, 25.
•2U CONTRE FAUSTE, LE MANICHEEN.

CHAPITRE X. CHAPITRE XI.

LE CULTE PRESCRIT PAR MOÏSE n'ÉTAIT POINT IN AUGUSTIN JUSTIFIERA LES TEXTES INCRIMINÉS. SI

PAGANISME. FAUSTE NE CROIT PAS AL'ÉVANGILE, QUI CROIRA


A FAUSTE ?
Mais comment que la loi de Moïse
vois-tu
ne dilTère en rien du paganisme? Est-ce parce Tu me sommes de te montrer ce que Moïse
qu'elle parle de tem|)le, de sacrifice, d'autel, a écrit du Christ. Je t'ai déjà indiqué blendes
de prêtre? Mais tous ces noms se trouvent choses plus haut ; mais qui pourrait suffire à
dans le Nouveau Testament. « Détruisez ce tout ? surtout (juand un méchant adversaire
« temple », dit le Christ, « et je le relèverai en est disposé à tout tenter pour donner un autre
«trois jours ' », Et : « Quand tu présentes sens aux passages que je puis citer ; ou à dire,
(( ton offrande à l'autel ^ » ;
puis : « Va, si l'éclat de la lumière l'accable, qu'il prend
« montre-toi au prêtre don pres- et offre le un poisson agréable au goût dans l'eau salée
par Moïse, en témoignage pour eux " ».
crit de la mer, et qu'on ne peut pas plus l'obliger
Or, ce que tout cela figurait, le Seigneur nous à accepter tous les écrits de Moïse, qu'à boire
le fait voir d'un c(Mé, quand il compare le de cette eau imprégnée de sel. Je pense donc
temple de son corps au temple de Jérusalem ;
suffire à ma tâche actuelle, en démontrant que
et nous le voyons, d'autre part, dans l'enseigne- les passages qu'il a recueillis, pour les criti-
ment de l'Apôlre « Car le temple de Dieu est : quer, dans les livres de la hébraïque
loi ,

« saint, et ce temple, c'est vous '. Je vous con- s'appliquent au Christ, si on les entend dans
B jure donc par la miséricorde de Dieu d'of- leur vrai sens ; d'où il résulte assez claire-
« frir vos corps en lioslie vivante , sainte et ment que d'autres, en bien plus grand nom-
«agréable à Dieu S), et dans d'autres pas- bre, saisissables à la première lecture, ou après
sages de ce genre. Par conséquent toutes ces une étude attentive et sincère, se rapportent à
choses «ont été des figures de ce qui nous la foi si ceux mêmes qu'un ennemi
chrétienne,
«regarde'», comme ledit le même apôtre objecte comme ridicules et condamnables dé-
et comme il faut souvent le rappeler ; car ce montrent que la foi chrétienne le condamne
n'étaient pas des offrandes aux démons, mais lui-même. Ainsi donc, ô le plus astucieux des
au seul vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre ;
hommes quand le Seigneur dit dans l'Evan-
!

non qu'il eût besoin de ces offrandes, mais gile « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez
:

parce qu'il avait établi une distinction entre « sans doute à moi car c'est de moi qu'il ;

les temps, exigeant pour le présent ce qui « a écrit '


», tu n'as pas besoin de feindre un
devait être une figure de l'avenir. Mais vous si grand embarras et de te placer, comme par
qui, pour séduire et tromper des chrétiens force, dans l'alternative ou de rejeter le cha-
ignorants et imparfaits, feignez une grande pitre comme faux, ou de déclarer Jésus
horreur pour le paganisme, montrez-nous des menteur. Car comme ce chapitre ;est vrai,
livres chrétiens autorisés, où il vous soit or- ainsi Jésus est véridique. « 11 semble plus rai-

donné de vénérer et d'adorer le soleil et la «sonnable», dit notre adversaire, « d'attri-


lune. C'est bien plutôt votre erreur qui rap- « huer une fausseté à des écrivains, qu'un

proche du paganisme, puisque vous n'hono- « mensonge à l'auteur de la vérité ». Quoi I

rez pas le Christ, mais je ne sais quoi sous le tu crois le Christ auteur de la vérité, quand lu
nom de Christ un rêve mensonger de votre; dis qu'il a simulé chair, mort, blessure, cica-
imagination, des dieux visibles dans le ciel trices ? Montre-moi donc, je te prie, qui t'a
étalé sous nos yeux, ou d'autres dieux chimé- appris que le Christ est l'auteur de la vérité,
riques et sans nombre. A ces fantômes, sem- toi qui oses traiter de faussairesceux qui ont
Llables à de vaines et fantastiques idoles, vous écritde lui, et dont les témoignages, appuyés
n'élevez pas de temples, mais vous consacrez sur de récents souvenirs, ont |)assé à la posté-
vos cœurs en guise de temple. rité ? Car enûn tu n'as pas vu le Christ, il n'a
point conversé avec toi comme avec les
' Jean, ii, 19. — ' Matt. V, 24. — ' Id. VIII, . — 'I Cor. III, 17.
- ' Hom. iU, . — ' 1 Cor. X, 6. Apôtres, il ne fa pas appelé, comme Paul, du
haut du ciel '. Que pouvons-nous penser, que
pouvons-nous croire de lui, sinon ce qu'en dit
' Joan, V. 16. Act. l.\, <-!
LIVRE XVI. — LE CHRIST PREDIT PAR MOÏSE. 2i5

l'Ecriture ?Or si l'Evangile , , répandu et de fausses cicatrices à ses disciples hésitants,


connu chez toutes les nations, et tenu en si ce n'est pas pour cela précisément que je les
grande réputation de sainteté par toutes les déclarerai détestables et gens à fuir (quoiqu'ils
Eglises, depuis que le nom du Christ a com- ne puissent être véridi(iues, dès qu'ils adop-
mencé à être prêché si, dis-je, l'Evangile est
;
tent un christ imposteur) non, ce n'est pas :

menteur, quel écrit digne de foi nous présen- pour cela que je les repousse, mais (pour ache-
tera-t-on pour nous faire croire au Christ ? Si ver ma pensée de tout à l'heure), je dis que,
l'Evangile, bien que connu partout, t'est sus- d'après votre propre interprétation, ils ont été
pect, quel écrit produiras-tu dont celui qui des voleurs et des larrons, puisiju'ils sont
ne veut pas croire à l'Evangile, ne puisse dire venus avant le Christ et qu'ils ont, d'une ma-
qu'il est fabriqué ? nière quelconque, annoncé son avènement.
Or, si votre interprétation est vraie, si on
CHAPITRE Xll. doit dire que ceux-là sont venus avant le
Christ, qui n'ont pas voulu venir avec le Christ,
CEIX QUI SOST VENUS AVANT LE CHRIST SONT DES
c'est-à-dire avec le Verbe de Dieu, mais qui
VOLEURS ET DES LARRONS. SENS DE CE TEXTE.
n'étant pas envoyés de Dieu, ont apporté des
Tu ajoutes ensuite que tu as entendu le mensonges aux hommes vous aussi, quoique :

Christ lui-même de voleurs et de lar-


traiter venus au monde après la Passion et la Résur-
rons tous ceux qui étaient venus avant lui '. rection du Christ, vous êtes des voleurs et des
Comment sais-tu qu'il a dit cela, sinon par larrons, parce que, avant qu'il vous éclairât
l'Evangile? Mais si on conteste ce que tu crois pour que vous pussiez prêcher la vérité, vous
sur la foi de l'Evangile au point de dire que avez voulu marcher devant lui, pour débiter
tu l'as entendu delà bouche du Seigneur lui- vos mensonges.
même si on te nie que le Christ t'ait dit cela
; :
CHAPITRE Xlll,
où iras-tu? que feras-tu ? ne soutiendras-tu
EXPLICATION DU TEXTE : TOUTE PAROLE SERA
pas de toutes tes forces l'autorité de l'Evan-
ASSURÉE PAR LA DÉPOSITION DE DEUX OU TROIS
gile ? Eh ! misérable, ce que tu ne veux pas
TÉMOINS.
croire est précisément écrit là où tu as appris
ce que tu crois au point de dire que tu l'as Quant à ce passage où les Juifs disent au
entendu de la bouche même du Christ. Pour Christ « Vous rendez témoignage de vous-
:

nous, nous croyons l'un et l'autre, parce que « même votre témoignage n'est pas vrai »
; ;

nous croyons au saint Evangile, où l'un et il n'est pas étonnant que tu ne voies pas que

l'autre sont écrits à savoir, que Moïse a écrit


; le Christ continue pour dire que Moïse à pro-

du Christ, et que tous ceux qui sont venus phétisé de lui ; car tu n'as pas l'œil de la
avant le Christ ont été des voleurs et des lar- piété, qui pourrait te le faire voir. En effet,

rons. Car ici « être venu » signifie n'avoir pas voici ce qu'il leur répondit : « Il est écrit dans
été envoyé: en elTet, ceux qui ont été envoyés, « votre loi que le témoignage de deux hommes
comme Moïse et les saints Prophètes,
ne sont moi qui rends témoignage de
« est vrai. C'est

pas venus avant lui, mais avec lui, puisqu'ils « moi-même mais mou Père,
; qui m'a envoyé,
n'ont pas voulu marcher devant lui par « rend aussi témoignage de moi ». Que signi- '

orgueil, mais l'ont porté avec humilité, par- fient ces paroles pour ceux qui savent com-
lant par leur organe. Mais vous, qui interprétez prendre, sinon que ce nombre de témoins a
ainsi ces parolesdu Christ, vous confessez assez été consacré et recommandé dans la loi en
à votre façon que vous n'avez pas de prophètes esprit prophétique, pour annoncer d'avance
(jui aient prédit la venue du Christ, et voilà la future révélation du Père et du Fils, dont
pourquoi vous vous en êtes forgé un à votre l'Esprit-Saint est l'Esprit dans l'indivisible
guise. Et quelques-uns des vôtres, qui ne
si Trinité ? Voilà pourquoi il est écrit : « Toute
méritent aucune créance, précisément parce B parole sera assurée par la déposition de deux
que vous êtes seuls à les produire si, dis-je, ; « outrois témoins - ». Du reste, souvent un
quelques-uns dont vous osez dire qu'ils ont seul témoin dit la vérité, et plusieurs mentent ;

pro[ihétisé un une
Christ qui devait prendre aussi, au début de la prédication faite aux
fausse chair, subir une fausse mort, montrer gentils, on a plutôt ajoute loi à un seul apôtre
' Jean, v, g. Jeau, vill, 13, 17, 18. — ' Deut. ïix, 15.
246 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.
annonçant l'évangile, qu'aux peuples égarés CHAPITRE XIV.
qui le persécutaient. Ce n'est donc pas en vain
que ce nombre de témoins a été en quelque FACSTE PRIS DANS SES PROPRES .\RGIMENTS.
sorte consacré et quand le Seigneur fit cette
;

réponse, il voulait faire entendre qu'en cela Mais Fauste sent que son argumentation
mêmeiMoïse avait propliétisédelui. Objecterez- contre la sainteté de l'Évangile n'est pas seu-
vous méchamment qu'il n'est pas dit 11 est : lement sacrilège, mais encore faible et sans
écrit dans la loi de Dieu, mais: « II est écrit solidité; aussi dirige-t-ilailleui's son intention,
a dans votre loi ? « Eli qui ne reconnaît ici le ! et affirme-t-il que ce qui fait le plus d'im-
style ordinairede rEcriture?Jésusadit:((Dans pression sur lui, c'est que, en étudiant scru-
a votre loi», dans la loi qui vous a été donnée', puleusement tous les livres de Moïse, il n'y a
dans le même seus que l'Apôtre, en parlant de trouvé aucune prophétie touchant le Christ.
l'évangile, dit, mon évangile, bien qu'il af- Je me hâte de lui répondre qu'il ne comprend
firme l'avoir reçu, non d'un homme, mais pas. Et si on me demande pourquoi, je répon-
par la révélation de Jésus-Cbrist. Direz-vous drai que c'est parce qu'il lit avec une inten-
aussi que le Cbrist a renié Dieu pour Père, tion hostile, perverse ;
parce qu'il n'étudie pas
toutes les fois qu'il a dit : « Votre Père - ?» pour apprendre, mais qu'il croit savoir ce
Mais puisque vous n'avez pas entendu la voix qu'il ignore. Cette présomption, cette bouffis-
du ciel dire : « Celui-ci est mon Fils bien- sure de l'orgueil ferme l'œil du cœur, pour
« aimé : croyez en lui '
», cessez d'y croire. l'empêcher de voir, ou le tourne de travers,
Et si vous y croyez parce que vous l'avez pour qu'il voie mal et approuve ou désap-
trouvée dans les saintes Écritures, là aussi se prouve à tort. Faites-moi connaître », nous
lisent les paroles auxquelles vous ne voulez dit-il, tout ce que les livres de Moïse ren-
pas croire à savoir, que Moïse a écrit du
: « ferment sur notre Dieu et Seigneur, et qui

Christ, et bien d'autres que vous rejetez égale- « m'aura peut-être échappé à la lecture ». Je

ment. Et vous ne craignez pas, malheureux, lui réponds de suite Tout t'a échappé, car
:

qu'un profane vous dise que la voix n'est point tout est écrit en vue du Christ. Mais comme
descendue du ciel Vous ne craignez pas, ! il nous est impossible de tout discuter, de
quand vous argumentez, pour votre propre tout traiter, je serai, avec l'aide de Dieu,
mine, contre le salut du genre humain, que fidèle à la règle que je me suis tracée dans cet
l'autorité de l'Evangile assure au monde en- ouvrage et que j'ai énoncée plus haut, à savoir
tier quand vous affirmez qu'il ne faut pas
;
de te démontrer que ces passages que tu
admettre que le Christ ait dit que Moïse a pro- choisis toi-même pour les critiquer, sont pré-
phétisé de lui, par la raison que « s'il eût dit cisément écrits à cause du Christ. Bien plus,
a cela, les Juifs n'eussent pu se taire, et que, tu me pries de ne pas te dire, « à la façon des
méchants et rusés comivie ils l'étaient, ils « ignorants, qu'il suffit pour croire, de savoir

« lui eussent demandé quels étaient ces pas- « que le Christ a affirmé que c'est de lui que
« sages qu'il croyait écrits de lui par Moïse » : «Moïse a écrit «.Mais si je le dis, ce n'est
vous ne craignez pas, dis-je, qu'un homme pas comme ignorant, mais comme fidèle. Je
vain et pervers ne vous dise Si la voix dont : conviens toutefois que cet argument est sans
vous parlez eût vraiment retenti du haut du valeur pour convaincre un juif ou un païen ;

ciel, tous les Juifs qui l'auraient entendue, mais qu'il suffise à vous confondre, vous qui
eussent cru! Pourquoi donc, insensés, ne vous glorifiez d'être chrétiens d'une façon ou
voyez-vous pas que si, malgré la voix céleste, de l'autre, c'est ce que tu es obligé d'avouer
les Juifs ont persévéré dans leur infidélité et après bien des tergiversations, quand tu dis :

dans leur endurcissement, il a bien pu se « Ici, je t'en prie, ne fais pas attention à moi ;

faire aussi que quand le Christ que


disait « ma profession m'oblige à croire, et je ne

Moï>'e a écrit de lui, ils n'aient point demandé, « puis me dispenser d'ajouter foi à celui dont

méchants et astucieux qu'ils étaient, en quel «j'embrasse la doctrine; mais supi>ose que
endroit de ses livres, de peur de se voir con- M nous avons affaire à un juif, ou même à un

fondus par des preuves convaincantes? « gentil ». En attendant, ces paroles font assez
voir que toi, à (jui j'ai maintenant affaire,
' llTim. II, 8 i
Gai. I, 11, 12,— 'Malt. VI, ;«, 32, eu. — '
Id. ii;,

17: lïll, :>. liarce que ta profession t'oblige à croire, tu es


LIVRE XVI. — LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. 247

suffisamment convaincu que c'est du Christ mort volontaire. Comme si, quand on fait une
que Moïse a écrit, vu que le Christ lui-même comparaison, la ressemblance devait être par-
l'a dit, comme le porte l'Evangile, dont lu faite de toute manière et en tout point Non- 1

n'oses pas attaquer la si grande et si sainte seulement on dit que les choses sont sem-
autorité. Que si lu l'oses par voie détournée, blables entre elles ,
quand elles sont d'une
tu te trouves embarrassé dans tes propres seule et même nature, comme deux jumeaux,
arguments et voyant quelle ruine te menace
;
ou des enfants vis-à-vis de leurs parents, ou
quand on te dit que tu ne peux exiger la foi des hommes quelconques vis-à-vis d'autres
à aucun écrit sur les actes et les paroles du hommes, en tant qu'ils sont hommes, comme
Christ, si tu ne te crois pas obligé d'admettre aussi il est facile de le voir chez les animaux
l'Evangile si saintement et si universellement ou parmi les arbres, quand on compare un
connu, tu crains de voir disparaître ce nom olivier à un olivier, ou un laurier à un laurier;
de chrétien, qui te sert de manteau, de voir mais on dit encore que des choses sont sembla-
ta vanité mise à nu, livrée au mépris et à bles, quoiqu'elles soient de nature différente,
l'horreur de tous alors lu cherches à cacher ; comme l'olivier greffé et l'olivier sauvage, la
les blessures , et tu dis que ta profession t'o- farine grossière et la farine de froment. Et
blige à croire à ces paroles de l'Evangile. encore je parle ici de choses analogues et qui
Voilà comment, en attendant, moi, qui ai se touchent de près. Mais qu'y a-t-il de plus
maintenant affaire à toi, je te tiens, je te éloigné du Fils de Dieu, par qui tout a été
frappe, je te tue , c'est-à-dire ton erreur et ta fait ', qu'une brebis ou une pierre? Et cepen-

fourberie, et je te force à avouer que Moïse a dant, on lit dans l'Evangile : « Voici l'Agneau
écrit du Christ; parce dans que nous lisons « de Dieu ^
», et l'Apôtre nous dit : « Or, la
l'Evangile, auquel ta profession t'oblige de « pierre était le Christ ^ » : ce que personne
croire, que le Christ l'a dit. Et s'il est jamais ne pourrait dire convenablement, si le Fils
nécessaire que je discute avec le juif ou le de Dieu n'admettait aucune comparaison.
gentil, j'ai déjà montré plus haut comment je Qu'y a-t-il donc d'étonnant que le Christ n'ait
croirai devoir agir dans la faible mesure de pas dédaigné d'être comparé à Moïse lui qui ,

mes forces. est devenu semblable à l'Agneau que Dieu, par

CHAPITRE XV. l'organe de Moïse, avait ordonné à son peuple


de manger, dont le sang était une sauve-
EN QUOI LE CHRIST RESSEMBLE A MOÏSE, ET EN
garde et qui s'appelait la pâque *? autant de
QUOI IL EN DIFFÈRE.
traits figuratifs dont il n'est pas permis de ne

Je ne conteste point que ces paroles de Dieu pas voir l'accomplissement dans le Christ.
à Moïse, que tu as choisies comme si faciles à Ainsi donc, d'après l'Ecriture, je reconnais la
réfuter : « .le leur susciterai, du milieu de différence, mais, d'après l'Ecriture, reconnais
« leurs frères, un prophète semblable à loi '
», aussi la ressemblance. Or, la différence ne
que ces paroles, dis-je, soient une prédiction part pas du même point que la ressemblance;
relative au Christ. Et les magnifiques et gra- l'une a une cause et l'autre une autre; il
cieuses épithètes dont tu as cherché à colorer nous reste seulement à les démontrer toutes
et à barioler ton langage ordurier, n'ont lesdeux. Le Christ est différent de l'homme,
nullement ébranlé ma croyance sur ce point. parce qu'il est Dieu; car il est écrit de lui :

Comparant en effet le Christ et Moïse, et dé- « Qui au-dessus de toutes choses. Dieu
est
pour
sirant faire ressortir leurs différences, « béni dans tous les siècles ^ » et le Christ est ;

empêcher de rapporter au Christ ce passage semblable à l'homme, parce qu'il est homme ;
écrit « Je leur susciterai un prophète sem-
: puisqu'il est également écrit de lui « Un :

« blable à toi », tu as établi plus d'un con- « médiateur entre Dieu et les hommes, le
traste : l'un est homme, l'autre est Dieu ; l'un « Christ Jésus homme S) . Le Christ est diffé-
pécheur, l'autre saint l'un ;
est né d'un couple, rent du pécheur ,
parce qu'il est toujours
l'autre d'une vierge selon vous, et, selon nous, saint; et le Christ est semblable au pécheur,
pas même d'une vierge; l'un meurt sur la parce que Dieu a envoyé son Fils dans une
montagne pour avoir offensé Dieu, l'autre, du péché, afin de con-
chair semblable à celle
pour le bon plaisir de son père, souffre une
' Jean, l, 3. — =
ki. i9. _ I Cor. X, 1.
' Deut. xviii, 15, 18. (, S. —M ïitn. Il, 5.
248 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

damner le péché dans la chair par le péché rieuses allégories des saintes Ecritures, que le
même'. Le Christ est difTcrentde l'homme né même personnage joue différents rôles selon
d'un couple, en tant qu'il est né d'une vierge, l'objet qu'il doit figurer. Moïse représentait en
mais il lui est semblable en tant qu'il est né sa personne le peuple juif constitué sous la
d'une femme à qui il a été dit « Le Saint qui : loi et le figurait au point de vue prophétique.

« naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu^ ». Comme donc Moïse a doulé de la puissance
Le Christ est différent de l'homme mort à de Dieu en frappant le rocher de sa verge ;

cause de son péché, en tant qu'il est sms ainsi ce peuple, asservi à la loi donnée par
péché et qu'il a subi une mort volontaire ;
Moïse, en attachant le Christ au bois de la
mais en revanche il est semblable à un homme croix, n'a pas cru qu'il fût la vertu de Dieu.
mort, en tant qu'il a subi véritablement la Mais comme la pierre frappée a fourni de l'eau
mort corporelle. aux Juifs altérés; ainsi la plaie du Dieu souf-
frant est devenue la source de vie pour les
CHAPITRE XVI. croyants. Nous avons là-dessus le témoignage
très-clair et très-fldèle de l'Apôtre, qui, en en
LE PÉCHÉ ET LA MORT DE MOÏSE N'ÔTENT RIEN
A SON MÉRITE.
parlant, nous dit « Or, cette pierre était le
:

« Christ '
». Dieu fait donc mourir cette incré-

Tu n'as rien ôté à Moïse ,Ie serviteur de Dieu, dulité toute charnelle à la divinité du Christ,
en disant qu'il a été pécheur et qu'il est mort sur les hauteurs mêmes du Christ, lorsqu'il
sur la montagne pour avoir offensé son Dieu '. exige la mort corporelle de Moïse sur la mon-
Car il savait aussi se glorifier en Dieu, pour tagne. Car comme le Christ est la pierre, le
être sauvé par celui par (lui a été sauvé l'A- Christ est aussi la montagne : la pierre est la
pôtre qui a écrit Le Christ Jésus est venu
: « force dans l'humilité; la montagne l'éléva-
« en ce monde pour sauver les pécheurs, entre tion dans la grandeur. Comme l'Apôtre a dit:
« lesquels je suis le premier*». En effet, la «Cette pierre était le Christ», le Seigneur
voix de Dieu reproche à Moïse d'avoir quelque lui-même a dit « Une ville ne peut être ca- :

peu chancelé dans sa foi au moment de tirer « chée, quand elle est située sur une mon-

l'eau du rocher^ : faiblesse qui lui est commune « tagne * » laissant entendre par là qu'il est
:

avec Pierre, qui, par un même défaut de foi, la montagne, et que les fidèles établis sur la

chancela au milieu des Mais gardons- flots ". gloire de son nom, sont la ville. La prudence
nous de croire pour cela exclu de
qu'il ait été de la chair vit, quand l'humilité du Christ,
la société éternelle des sauits, lui qui, au rap- comme la pierre qu'on frappe, est un objet
port de l'Evangile, a eu l'honneur de se trouver de mépris sur la croix : car le Christ crucifié
avec saint Elie à côté du Seigneur transfiguré est un scandale pour les Juifs et une folie pour
sur la montagne '. Car nous pouvons voir les Gentils. Mais la prudence de la chair
dans les livres de l'Ancien Testament en meurt, quand le Christ, comme une haute
quelle estime Dieu le tint, même après son montagne, est reconnu pour le Très-Haut; car
péché. Mais pourquoi Dieu lui a-t-il reproché après la vocation des Juifs mêmes et des Gen-
son péché et l'en a-t-il puni par une telle Christ est la vertu de Dieu et la sagesse
tils, le

mort? Comme je me suis engagé à démontrer de Dieu '. Moïse monte donc sur la montagne
que les passages que tu as choisie pour les cri- pour mourir corporellement et être reçu avec
tiquer sont des prophéties relatives au Christ, un esprit vivant mais Fauste n'y est pas ;

je ferai mon possible, avec l'aide du Seigneur, monté pour débiter ses calomnies charnelles
pour prouver que ce que tu as blâmé dans la avec un esprit mort. Et Pierre, guidé par la
mort de Moïse en est une pour ceux qui savent prudence de la chair, n'a-t-il pas redouté de
comprendre. voir frapper la pierre même, quand il disait

CHAPITRE XVII. au Seigneur qui annonçait sa passion « A :

a Dieu ne plaise Seigneur cela n'arrivera , ,

MOÏSE FIGURE DU CHRIST. «point; ayez pitié de vous-même?» Et le


Seigneur n'a pas ménagé cette faute, iiuand il

Comme il est ordinaire dans les mysté- lui ré|)ondit : « Arrière, Satan ! tu esunscan-
« dale pour moi car tu ne goûtes pas ce qui
' Hom. VTll, 3. — ' Luc, I, 35. — ' Deut. xxxiv, :>. — ' T Tim. i,
:

ir.. — ' Nmiii. av, lU-lli. — ' Mali, .xiv, 30, 31. — '
Id. .wii, 1-r.. '
1 Cor. .V, 1. — ' Mail, v, 1 1. — I Cor. i, 23, 1!1.
LIVRE XVI. — LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. 249

« est de Dieu, mais ce qui est des hommes ' ». songera immédiatement au successeur de
Or, où est morte cette défiance charnelle, sinon Moïse, à celui qui introduisit dans la terre
dans la glorification du Christ, figurée par la promise le peuple délivré de TEgypte. Et à
hauteur de montagne? Car elle \ivait dans
la cette pensée il se moquera de moi, qui de-

Pierre ,
quand il aimait timidement son mande à qui s'apphquent ces mots : « Je leur
maître ; et elle était certainement morte ,
M susciterai un prophète semblable à toi »,

quand prêchait librement. Elle \ivait


il le alors que je sais par l'Ecriture quel est celui

dans Saul, quand il détestait le scandale de la qui succéda à Moïse dans la fonction de gou-
croix et persécutait la foi chrétienne'; et oîi verneur et de conducteur du peuple d'Israël.
mourut-elle, sinon sur cette montagne, alors Mais quand il aura bien ri de mon ignorance
que Paul disait : « Moi je vis, non plus moi, (c'est du moins ce que nous promet Fauste
« mais le Christ vit en moi ^ ». dans le portrait qu'il nous trace de ce juif), je
ne laisserai pourtant pas de l'interroger en-
CHAPITRE XVUI. core, de le ramener de son sourire de triom-
phe à la peine de répondre, en le pressant de
LE CHRIST A ÉTÉ PROPHÈTE.
questions et en le suppliant de me dire pour-
Sur quel fondement donc, ô vaniteuse hé- quoi Moïse a changé le nom de son successeur
résie, espères-tu prouver que ce n'est point futur, de celui en comparaison duquel il était
au Christ que se rapporte cette prédiction : réprouvé, au point de ne pas introduire le
« Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, peuple dans la terre promise (évidemment
a un prophète semblable à toi », quand tu ne pour que la loi donnée par Moïse, non pour
le peux pas même par les dissemblances que sauver, mais pour condamner le pécheur, ne
tu cherches à faire ressortir? Car, sous les fût pas réputée capable d'introduire dans le
autres points de vue, nous montrons la res- royaume des deux ', mais bien la grâce et la
semblance. Est-ce parce qu'on donne le nom vérité données par Jésus); oui, je demanderai
de prophète à celui qui a daigné se faire au juif pourquoi Moïse a changé le nom de
homme, et a prédit tant de choses à venir? son futur successeur: car il s'appelait d'abord
A moins peut-être qu'un prophète ne soit Ausé (Osée), et il reçut le nom de Jésus -.
autre chose qu'un homme qui annonce l'ave- Pourquoi encore Moïse lui a donné ce nom au
nir au-delà des humaines. C'est
prévisions moment où, de la vallée de Pharan, il l'en-
pourquoi le Christ a dit de lui-même a Un : voyait vers cette même terre où le peuple de-
« prophète n'est pas sans honneur, si ce n'est vait entrer sous sa conduite ? Car le véritable
« dans sa patrie ' ». Mais je reviendrai à toi, Jésus a dit lui-même : « Et quand je m'en
qui t'es tout à l'heure avoué vaincu, quand a serai allé et que
vous aurai préparé un je
tu as dit que ta profession t'oblige à croire à « lieu, je reviendrai et je vous prendrai avec
l'Evangile. Faisons comparaître le juif qui, « moi ^ » Je demanderai de plus si le Prophète
.

dans sa fausse au joug du


liberté, se soustrait n'entre pas dans la pensée de cette figure,
Christ, et se croit pour cela encore en droit quand il dit « Dieu viendra du midi, et le
:

de dire : Le Christ a menti. Moïse n'a rien «saint, de Pharan*» comme s'il disait: :

écrit qui le regarde. Il viendra un Dieu saint qui portera le même

nom que celui qui vint du côté du midi, de


CHAPITRE XIX. Pharan, c'est-à-dire Jésus. Ajoutons que c'est
le Verbe de Dieu lui-même qui parle et promet
LE CHRIST EST LE PROPHÈTE PROMIS A MOÏSE.
ce successeur de Moïse, celui qui devait intro-
Qu'il me dise donc quel est le prophète que duire le peuple dans la terre promise et qu'il
Dieu promit à Moïse quand il lui dit « Je leur : lui donne le nom d'ange, nom ordinairement
« susciterai, du milieu de leurs frères, un pro- réservé dans la sainte Ecriture à ceux qui ont
a phète comme toi » ou « semblable à toi ? » , quelque chose à annoncer « Voilà que j'en- :

Sans doute, il y a eu dans la suite de nombreux « verrai mon ange devant ta face, afin qu'il te

prophètes; mais évidemment Dieu a voulu en « garde dans le chemin et qu'il t'introduise
désigner un en particulier. Le juif, je pense, dans la terre que j'ai juré de te donner.
• Matt. XVI, 22, 23. — -
Act. vm , 3. — ' Gai. II , 20. — ' Matt. 'Jean, l,
2'
. — ' Sum. xm, 9, xiT, 6. — '
Jean, xiv, 3.
XUI, 57. * Hdb. m, 3.
2o0 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

« Fais attention à toi, écoute sa voix et prends que son nom était dans l'homme établi pour
« garde de lui désobéir : car il ne te refusera gouverner et introduire le peuple dans le
a rien, et mon nom est en lui '
». Qu'est-ce royaume, qu'il l'a appelé ange, et que ce
que cela veut dire ? Que non-seulement le simple changement de nom indique une mis-
manichéen, mais même le juif, cherclie dans sion et quelque chose de grand et de divin? Car
les Ecritures et qu'il voie si Dieu a dit « Mon : quel homme, ayant la moindre teinturede grec,
« nom est eu lui », de quelque ange autre que ignore que dans cette langue ange signifie mes-
celui qu'il promet pour introducteur dans la sager? Ainsi donc tout gentil, à moins d'être
terre de promission. Qu'il cherche ensuite perverti et entêté, ne rejetterait pas ces livres
parmi hommes
quel est ce successeur de
les parce qu'ils sont hébreux, parce qu'ils vien-
Moïse qui a introduit le peuple et il trouvera ; nent d'une nation dont il ne reconnaît point
Jésus, ainsi appelé, non dès sa naissance, mais la loi mais il estimerait grandement les hvres
;

par substitution de nom. Donc celui qui a d'un peuple quelconque s'il y trouvait, prédits
dit Mon nom est en lui », est le vrai Jésus,
: c< longtemps d'avance, des événements dont il
gouverneur et introducteur de son peuple aurait l'accomplissement sous les yeux il ne ;

dans l'héritage de la vie éternelle, selon le mépriserait point le Christ lui-même, parce
Nouveau Testament, dont l'Ancien était la qu'il le verrait prophétisé par des écrits hé-
figure. Ainsi au point de vue de l'appareil , breux: mais bien plutôt, saisi d'une vive
prophétique, on ne pouvait rien faire, rien admiration et d'une tendre pitié, il regar-
dire de plus éclatant, puisqu'on va jusqu'à derait comme digne d'être suivi et adoré celui
exprimer le nom même. qui, avant de naître parmi les hommes, aurait
mérité d'être prédit et recommandé par des
CHAPITRE XX, écrits quelconques à travers tant de siècles,
soit par des témoignages évidents, soit par des
UN JUIF SINCÈRE IN PAÏEN DE BONNE FOI , ,

actions et des paroles figurées et mystérieuses.


SERAIENT CONVAINCUS PAR LES PROPHÉTIES.
Donc ,
pour lui , l'établissement actuel du
Il iie reste plus à ce juif, s'il veut être juif christianisme démontrerait la vérité de ces
intérieurement, non d'après la lettre, mais en prophéties écrites , et ,
par ces prophéties
esprit '-; s'il veut être regardé comme un vrai écrites, il reconnaîtrait que le Christ doit être
Israélite, en qui ne il n'y a pas d'artifice ' , il adoré. Qu'on prenne tout ceci pour des pa-
lui reste plus, dis-je, qu'à se représenter en roles en l'air, si eu lieu, s'il n'en
cela n'a pas
figure ce Jésus mort qui a introduit dans la est pas encore simple lecture de
ainsi, si, à la

terre des mourants, et à reconnaître en vérité ces livres, on ne s'empresse pas dans l'univers
Jésus vivant, qui l'introduira dans la terre des entier d'embrasser cette foi.
vivants. Il ne résistera plus aigrement à l'éclat
d'une telle prophétie mais, adouci par le
CHAPITRE XXI.
;

souvenir du Jésus qui a introduit dans la terre UTILITÉ DE l'aveuglement DES JUIFS.
de promission, il écoutera celui dont l'autre
portait le nom, introducteur pins vrai, et qui C'est vraiment quelque chose d'étonnam-
nous dit : «Heureux ceux qui sont doux, parce ment ridicule que la niaiserie de ceux qui nous
a qu'ils eu héritage*».
posséderont la terre demandent (comme si c'était une chose impos-
Et même pas un cœur de
le gentil, s'il n'avait sible) comment un païen voudrait s'instruire

pierre, ou qu'il fût de ces pierres dont Dieu dans la foi chrétienne par le moyen des livres
fait sortir des enfants d'Abraham % ne s'éton- des Juifs, alors que ce païen peut voir toutes
nerait-il pas de voir les livres antiques de ce les nations se mettre, avec dévotion et empres-

peuple, dont on lui dirait que Jésus est sorti, sement, à l'école de ces livres, avec d'autant
renfermer une prophétie tellement claire que plus de force et de confiance que ces nombreux
le nom même y est exi)rimé? Ne remarque- témoignages rendus au Christ sont fournis
rait-il ])as que le Jésus, objet de cette pro- par des mains ennemies. Et les nations qui
]ihélie, n'est ])as un homme ordinaire, mais croient ne sauraient s'imaginer (juil y ait là
certainement un Dieu, puisque Dieu a déclaré aucune prophétie fabriquée après coup, puis-
qu'elles trouvent le Christ dans ces mêmes
• Ex. xxm , 20. 21. — • Rom. ii , L'.i. — '
Jean, i, 17. — '
Malt.
ï, 1
' id. m, y. livres que vénèrent depuis tant de siècles ceux
LIVRE XVI, — LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. 251

mêmes qui ont sacrifié le Ctirist, et auxquels « qu'il a écrit '


», n'aurait pas écrit cela du
ceux qui blasphèment chaque jour le Christ Christ. Mais si de prouver
Fauste s'est efforcé

accordent une si grande autorité. Car si les que ce texte « Je leur susciterai, du milieu
:

prophéties relatives au Christ étaient seule- « de leurs frères un prophète semblable à ,

ment produites par ceux qui prêchent le « toi »,ne peut s'entendre du Christ, parce que
Christ, on pourrait les regarder comme fabri- le Christ n'est pas semblable à Moïse, et s'il a

(juées mais celui qui prêche ne fait qu'ex-


;
été complètement réfuté sur ce point qu'est- ,

pliquer ce que lit celui qui blasphème. Le il besoin de nous arrêter à celui-ci ? Comme

Dieu souverain fait en effet tourner au profit Fauste a dit, pour écarter la première pro-
des saints l'aveuglement des impies lui qui, : phétie ,
que le Christ n'est pas semblable à
dans son équitable providence, tire parti des Moïse ;
qu'il soutienne, pour se débarrasser

méchants, de manière à disposer, par un juste de la seconde, ou que le Christ n'est pas la vie
jugement, de ceux qui vivent volontairement ou qu'il n'a pas été suspendu sous les yeux
dans l'injustice. Afin donc qu'on n'accusât des Juifs incrédules. Mais comme il ne l'a pas
point les prédicateurs du Christ d'avoir forgé dit, et que personne aujourd'hui n'oserait le
des prophéties pour annoncer chez toutes les dire, pourquoi hésiterions-nous à appliquer
nations sa naissance, ses miracles, sa cruelle aussi à Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ
passion, sa mort, sa résurrection, son asceu- cette prophétie de son serviteur ? Car cette

sioD; la propagation de l'Evangile de la vie malédiction a été énumérée parmi les autres.
éternelle ; il s'est passé à notre profit quehiue Est-ce donc parce que les malédictions, où
chose de grand à l'occasion de l'infidélité des celle-ci a sa place, sont des prophéties, que
Juifs c'est qu'ils ont conservé pour nous,
: celle-ci n'en serait pas une ? Ou ne serait-ce
dans leurs livres, ce qu'ils n'ont pas voulu point une prophétie applicable au Christ, parce
admettre pour eux dans leurs cœurs. Et, pour que ce qui précède et ce qui suit dans le con-
n'être pas compris des Juifs, ces livres n'en texte ne paraît pas concerner le Christ ?
,

ont pas moins de valeur ils en ont même da- ; Comme s'il pouvait y avoir une malédiction
vantage, car l'aveuglement de ce peuple y est pire que celle que les Juifs se sont attirée par
prédit. Ainsi, en ne comprenant pas la \érité, leur orgueilleuse impiété, de voir leur vie,
ils n'en rendent que mieux témoignage à la c'est-à-dire le Fils de Dieu suspendu et ,

vérité car, en ne comprenant pas les livres


; ne pas y croire! En effet, les malédictions
où il est prédit qu'ils ne comprendront pas, prophétiques ne sont point des imprécations
ils prouvent, par là même, que ces livres sont dictées par la haine mais des prédictions ,

véridiques. inspirées par l'Esprit qui prévoit l'avenir : les


CHAPITRE XXII. imprécations provenant de la malice sont
même défendues, puisqu'on nous dit « Bé- :

SUR LE TEXTE : TU VERRAS TA VIE SUSPENDUE ET


« ne maudissez pas
nissez et ». Mais on '-

TU NE CROIRAS PAS A TA VIE.


trouve souvent dans la bouche des saints
Là est aussi l'explication de ces paroles, un langage comme celui-ci , de saint Paul :

dont l'ambiguité a trompé Fauste «Tu verras : « Alexandre, l'ouvrier en airain, m'a fait beau-
« ta vie suspendue et tu ne croiras pas à ta « coup de mal ; le Seigneur lui rendra selon
« vie '
» . On peut dire peut-être qu'elles sont «ses œuvres^ ». Et cet autre souhait de
susceptibles d'un autre sens mais qu'on ne ; l'Apôtre paraît aussi avoir été dicté par la co-
puisse les entendre que du Christ, c'est ce lère et l'indignation : « Plût à Dieu que ceux
Fauste n'a pas osé dire, c'est ce que personne « qui vous troublent fussent même mutilés '
! »

n'osera jamais dire, à moins de nier ou que le Si vous faites attention à la personne de celui
Christ soit la vie, ou que les Juifs l'aient vu qui écrit, vous verrez qu'il déguise très-élé-
suspendu, ou qu'ils aient refusé de croire en gamment un souhait de bonheur sous une
lui. Mais comme le Christ a dit lui-même : phrase ambiguë. Car il est des hommes qui
a Je suis la vie ^
», et qu'il est constant qu'il a se sont rendus eunuques, à cause du royaume
été suspendu sous les yeux des Juifs ([ui ne des cieux '. C'est ce que Fauste aurait aussi
croyaient point en lui je ne vois pas pour- : compris, si son palais eût été disposé à goûter
quoi celui dont le Christ a dit «C'est de moi :
' Jean, V, 47. — ' Rom. S]l, U. — ' Il Tim. iv, 1 1. — '
Gai. V,
Deut. XiViii, bb. —
' Jeaii, xiv, 0. =
IL'. — • ildU. SLV, 12.
gs^ CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

les mets du Seigneur. Peut-être encore ces Christ dans ces mots : «Tu verras ta vie sus-
paroles «Tu verras ta \'ie suspendue, et tu ne
: « pendue, et tu ne croiras pas à ta vie ». Cer-
«croiras pas à ta vie », étaient-elles enten- tainement Caïphe n'avait pas la pensée que
dues par les Juifs en ce sens que, voyant leur l'on a prêtée à ses paroles, quand, persécutant
existence mal assurée au milieu des menaces le Christ comme un ennemi, il disait qu'il
et des embûches de leurs ennemis, ils ne était bon qu'un homme mourût, pour sauver
croyaient pas à la victoire. Mais le fils de le peuple entier de sa ruine. Sur quoi l'Evan-
l'Evangile, en entendant dire : « C'est de gile ajoute qu'il ne disait pascela de lui-même,
« moi démêle, à travers l'am-
qu'il a écrit », mais qu'étant pontife, il prophétisait \ Mais
biguité de la phrase ce que les Prophètes
,
Moïse n'était pas Caïphe ; aussi ce qu'il a dit
jettent aux pourceaux, et ce qu'ils insinuent au peuple hébreu « Tu verras ta vie suspen-:

aux hommes ; et aussitôt sa pensée se porte « due, et tu ne croiras pas à ta vie », non-seu-
sur le Christ, vie des hommes, suspendu, et lement il l'a dit du Christ, et, l'eùt-il dit sans
sur les Juifs qui n'y croient pas, Précisément le savoir, on ne pourrait l'entendre autrement,
parce qu'ils le voient suspendu. Un autre se mais il l'a dit avec connaissance de cause. Car
hâtera sans doute de dire que, parmi les ma- il dispensateur du mystère
était le très-fldèle

lédictions qu'on lit en cet endroit et qui ne prophétique, c'est-à-dire de cette onction sa-
regardent point le Christ, ce passage seul le cerdotale, qui a donné son nom au Christ;
concerne: « Tu verras ta vie suspendue, et tu et c'est dans ce même mystère que Caïphe,

« ne croiras pas à ta vie ». Car cette malédic- quoique très-méchant homme, a pu prophé-
tion devait nécessairement prendre place tiser même sans le savoir. De quel front donc

parmi celles dont on menace prophétiquement vient-on nous dire que Moïse n'a rien prophé-
ce peuple impie. Mais comme le Christ ne dit tisé du Christ : Moïse, par qui a commencé
pas Moïse a aussi écrit de moi, de manière à
: cette onction, d'où est venu le nom de Christ,
laisser croire que Moïse a écrit d'autres choses et par laquelle un persécuteur du Christ l'a

qui ne le concernent pas mais qu'il dit ; : prophétisé même sans le savoir ?

«Car c'est de moi qu'il a écrit », afin que


nous n'ayons dans l'étude de fous les écrits de
CHAPITRE XXIV.
Moïse, d'autre but que de nous procurer l'in- LE CHRIST n'a POINT DÉTOURNÉ LES JUIFS DE
telligence de la grâce du Christ: pour cela l'observation DES COMMANDEMENTS.
donc, moi et quiconque lit attentivement ces
paroles du Seigneur dans l'Evangile nous ,
Nous avons dit plus haut tout ce qu'il nous a
reconnaissons que les malédictions contenues paru bon de dire sur la malédiction lancée
dans ce chapitre ont été aussi formulées pro- contre tout homme suspendu au bois. Or, que
phétiquement en vue du Christ mais si : la peine de mort prononcée par Moïse contre
j'essayais de le démontrer maintenant, je serais tout prophète ou prince du peuple qui tente-
trop long. rait de détourner les enfants d'Israël de leur

CHAPITRE XXIII. Dieu ou de violer quelqu'un des commande-


ments que cette peine, dis-je, n'ait point été
:

CETTE PROPHÉTIE S' APPLIQUE AU CHRIST.


prononcée contre le Christ, c'est ce qui ré-
PROPHÉTIE DE CAÏPHE.
sulte assez clairement de ce que nous avons
Tant s'en faut que les paroles citées par expliqué en détail, et ce qui ressortira plus
Fausle ne se rapportent pas au Christ, parce clairement encore pour quiconque étudiera
qu'elles sont placées entre d'autres malédic- attentivement les paroles et les actes de Notre-

tions, qu'au contraire ces autres malédictions Seigneur Jésus-Christ, puisque le Christ n'a
elles-mêmes n'ont plus de sens raisonnable, cherché à détourner de Dieu qui que ce soit
si on n'y veut pas voir des prophéties relatives de son i)euple. En effet, le Dieu (]ue Moïse
à la gloire du Ciirist, ce grand intérêt de l'hu- commandait aux Israélites d'aimer et d'atlorer,
manité. A combien plus forte raison faut-il le est certainement le Dieu même d'Abraham, le
dire de celle-ci ? Et si Moïse avait été homme Dieu d'isaac et le Dieu de Jacob que le
, ,

à parler contre sa pensée, j'aimerais encore Ciirist mentionne sous le même titre, et par
mieux dire qu'il a iirophétisé sans le savoir, l'autorité duquel il réfute l'erreur des Saddu-
que de ne [las voir une prophétie relative au '
Jcon, XI, 49, 01.
LIVRE XVI. — LE CHRIST PREDIT PAR MOÏSE. 233

céens qui niaient la résurrection, quand il démontrer ici qu'il est dans l'erreur, comme
leur dit : « Touchant la résurrection des nous l'avons déjà fait quand cela était néces-
« morts, n'avez-vous pas lu ce que Dieu dit à saire. Je dis tout d'abord, que si le Seigneur
« Moïse du milieu du buisson Je suis le Dieu : eût violé quelqu'un des commandements, il
«d'Abraham, Dieu d'Isaac, et le Dieu
et le n'eût pas reproché aux Juifs de les violer eux-
« de Jacob? Or, Dieu n'est point le Dieu des mêmes et cependant quand ils font un
:
,

B morts, mais le Dieu des vivants ', car tous crime à ses disciples de manger sans se laver
« vivent pour lui ». Ces paroles viennent donc les mains, et de blesser en cela, non le com-

à propos pour confondre les Manichéens ,


mandement du Seigneur, mais les traditions
comme elles ont alors fermé la bouche aux des anciens, il leur répond « Et vous, pour- :

Sadducéens car ils nient aussi la résurrection,


: « quoi transgressez-vous le commandement
quoique sous une autre forme. Et ailleurs, en « de Dieu, pour garder vos traditions? » Et il

louant la foi du centurion, après avoir dit : En leur rappelle ce commandement que nous
« vérité, je vous je n'ai pas trouvé
le déclare : savons avoir été donné par Moïse. Il continue
« une si grande
dans Israël », le Seigneur
foi ainsi en eflet : « Honore ton
Car Dieu a dit :

ajouta « Aussi je vous dis que beaucoup


: « père et ta mère; et: Quiconque maudira son
viendront de l'Orient et de l'Occident et au- « père ou sa mère, mourra de mort. Mais
« royaume des cieux
ront place au festin dans le « vous, vous dites Quiconque dit à son père
:

« avec Abraham, Isaac et Jacob tandis que les ;


« ou à sa mère Tout don que j'offre tournera
:

«enfants du royaume iront aux ténèbres ex- « à votre profit, satisfait à la loi » ; et cepen-
« térieures - ». Si donc (et Fauste ne peut le dant « il n'honore point son père ; et vous
nier) Moïse n'a pas recommandé d'autre dieu « avez détruit le commandement de Dieu
au peuple d'Israël que le Dieu d'Abraham ,
« pour votre tradition ». Voyez que d'ensei-
'

d'Isaac et de Jacob, et si le Christ, comme le gnements il nous donne en cela, et comme


prouvent ces témoignages et bien d'autres, n'a il est loin de détourner les Juifs de leur Dieu ;

pas hésité à en faire autant donc celui-ci : comment, au lieu de violer lui-même les
n'a point cherché à détourner les Israélites de commandements, il blâme ceux ([ui les vio-
leur Dieu, mais, au contraire, il les a mena- laient et leur rappelle c|ue c'est Dieu même
cés des ténèbres extérieures précisément parce qui les a donnés par l'organe de Moïse.
qu'il les voyait se détourner de ce Dieu, dans
le royaume duquel il afflrme que les na-
CHAPITRE XXV.
tions, appelées de toutes les parties de la terre,
MOÏSE A EC EN VUE LE VRAI CHRIST ET CONDAMNÉ
auront place avec Abraham, Isaac et Jacob, d'avance l'erreur DE MANÈS.
uniquement pour avoir cru au Dieu d'A-
braham, d'Isaac et de Jacob. C'est ce qui fait Nous croyons donc que tout ce que Moïse a
dire à l'Apôtre « L'Ecriture prévoyant que
: écrit, ill'a écriten vue du Christ. Nous ne pou-
« c'est par la foi que Dieu justifierait les na- vons en donner la démonstration dans cet ou-
« lions, l'annonça d'avance à Abraham en vrage. Mais comme nous nous sommes engagé
« disant Toutes les nations seront bénies en
: à traiter les points que Fauste lui-même a choi-
9 ta postérilé ' » ; et cela, pour que ceux qui sis dans ses écrits pour les réfuter ou les blâ-

imiteraient la foi d'Abraham, fussent bénis en mer, on est en droit d'exiger (jue nous nous
la postérilé d'Abraham. Le Christ ne voulait expliquions sur la sentence de mort prononcée
donc point détourner les Israélites de leur par Moïse contre tout prophète ou chef qui
Dieu, mais il leur reprochait plutôt de s'en tenterait de détourner le peuple de son Dieu ou
être détournés. 11 n'est pas étonnant que de violer quelque commandement, et que
celui qui croit que le Seigneur a violé quel- nous démontrions que son but est de mainte-
qu'un des commandements donnés par Moïse, nir la foi enseignée dans l'Eglise du Christ.
soit du même avis que les Juifs; mais en cela En effet, éclairé par l'Esprit prophétique et
ilse trompe comme eux. Quant au comman- par Dieu même qui lui parlait. Moïse pré-
dement que Fauste mentionne et que le Sei- voyait qu'un jour de nombreux hérétiques se
gneur, selon lui, aurait transgressé, il faut lèveraient pour enseigner diverses erreurs

- opposées à la doctrine du Christ, et prêcher


'Mail, xxn, 31,32; Luc, xx 37, 38. ' Matt. VIII, 10-12.—
'
Gai. 111,8. Mail. XV, 3-6.
CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

un Christ qui ne serait point le vrai Christ. sur les pointsque tu citais, tu t'es du moins
Car celui-là est le véritable, qui a été an- efforcé de prouver qu'ils n'ont point été écrits
noncé d'avance par les prophéties de ce pour le Christ. Quant à ce que tu ajoutes :

même Moïse et des autres saints personnages « Ou vous produirez d'autres témoignages, ou

de cette nation. Or, Moïse condamnait à mort « il n'y en a point », tu aurais d'abord dû
quiconque en prêcherait un autre. Et quêtait démontrer que nous n'en pouvons pas pro-
maintenant la langue de l'Eglise catholique"? duire d'autres, pour conclure en toute con-
Ne frappe-t-elle pas du glaive spirituel de , fiance qu'il n'y en a point mais comme si ton :

l'épée à deux tranchants des deux Testaments, livre n'eût dû rencontrer que des auditeurs
tous ceux qui veulent nous détourner de notre sourds ou des lecteurs aveugles, et que per-
Dieu ou violer quelqu'un des commande- sonne ne dût en remarquer les lacunes, tu
ments ? Et parmi eux se trouve au premier t'empresses de dire « S'il n'y en a pas, le
:

rang Manès lui-même, puisque la loi et les « Christ n'a pas pu affirmer ce qui n'est pas ;

Prophètes accablent de leur incontestable vé- « et si le Christ n'a pas alflrmé cela, il est donc

rité l'erreur par laquelle il voudrait nous évident que le chapitre est faux». homme_
détourner de notre Dieu^ du Dieu d'Abraham, qui ne penses qu'à ce que tu dis et ne songes
d'Isaac et de Jacob, que le Christ présente à pas qu'on peut te contredire Où est la pointe !

nos liommages, et violer les préceptes de la de ton esprit ? Est-ce que, avocat d'une mau-
loi oïl nous reconnaissons que le Christ est vaise cause, tune pouvais faire autrement?
prophétisé sous le voile des figures. Sans doute mauvaise cause te force à dire
ta

des absurdités mais personne ne t'oblige à


:

CHAPITRE XXVI. l'embrasser. Que diras-tu, si nous te produi-


sons d'autres témoignages ? S'il y en a quel-
os PEIT PROmiRE d'autres TÉMOIGNAGES DE
ques-uns, tu ne diras plus qu'il n'y en a pas.
MOÏSE RELATIVEMENT AU CHRIST.
Et s'il y en a quelques-uns, le Christ a pu dire
Je ne sais si je dois attribuer ce système à ce qu'il a dit. Et si le Christ a pu le dire, doncce
une extrême stupidité, ou àune astuce portée chapitre de l'Evangile n'est pas faux. Reviens
à l'excès, car Fauste avait du talent ce qui
: donc à ta proposition « Ou vous produirez
:

me fait croire qu'il a plutôt cherché à jeter des « d'autres témoignages, ou il n'y en a pas »,

nuages dans l'esprit du lecteur inattenlif qu'il et vois que tu n'as ]ias prouvé que nous n'en
n'a manqué d'apercevoir ce que j'expose. Il produirions pas d'autres. Vois aussi combien
dit en effet « Si Moïse n'a pas écrit cela
: nous en avons déjà cité d'autres plus haut, et
« du Christ, ou tu produiras d'autres témoi- fais attention à ce qu'il faut en conclure, à sa-
« gnages, ou il n'y en a pas ». Cette proposi- voir que ces paroles du Christ dans l'Evan-
:

tion est vraie mais il fallait prouver et que


; gile « Si vous croyiez Moïse, vous me croi-
:

Moïse n'avait pas écrit ces témoignages en vue « riez sans doute aussi car c'est de moi :

du Christ, et qu'on n'en pouvait produire « qu'il a écrit», que ces paroles, dis-je, ne

d'autres. Or, il n'a fait ni l'un ni l'autre: sont pas fausses. Et l'autorité de l'Evangile est
d'une part, nous avons montré comment les si élevée, si solidement établie, que quand
passages qu'il cite peuvent s'entendre du même, par défaut d'intelligence, nous ne trou-
Christ, et de plus, nous en avons produit beau- verions dans les écrits de Moïse aucun pas-
coup d'autres qui ne peuvent s'interpréter sage écrit pour le Christ, nous devrions encore
dans un autre sens. Tu n'as donc, Fauste, au- croire, non-seulcnient qu'il y en a quelques-
cune raison de conclure que Moïse n'a rien uns, mais même que tous de Moïse
les livres
écrit du Christ. Car, fais bien attention à ce ont été écrits en vue du Christ puisque le
;

que tu dis : «Si Moïse n'a pas écrit cela du Sauveur ne dit pas 11 : a écrit aussi de moi,
9 ou vous jtroduirez d'autres témoi-
Christ, mais « C'est de moi qu'il a écrit ». De plus,
:

« gnages, ou il n'y en a pas ». Tu dis vrai. quand même il faudrait (ce qu'à Dieu ne plaise)
Donc puisque nous t'avons fait voir que
,
douter de ce chapitre de l'Evangile, on trouve
Moïse a écrit cela du Christ ou à cause dans les écrits de Moïse tant d'autres témoi-
du Christ, et que nous avons produit beau- gnages touchant le Christ, que ce doute de-
cou|) d'autres témoignages, ton argumentation vrait aussitôt disparaître; et comme on ne
tombe à faux. Et bien que tu n'aies pas gagné peut douter de ce chapitre de l'Evangile, il
.

LIVRE XVI. LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. 253

faudrait encore croire que ces autres témoi- fussent annoncées en figures par les prophé-
gnages existent, quand même on ne les dé- ties, autre celui où elles ont accom- dû être
couvrirait pas. plies par la rendue au
vérité révélée et
monde. Mais qu'y a-t-il d'étonnant à ce que
CHAPITRE XXVII. les Juifs, ayant l'idée charnelle du Sabbat,
aient repoussé le Christ qui leur en donnait
LES JUIFS AIRAIEM PI FAIKE CE QL'A FAIT LE
le sens spirituel ? Réponds, si tu le peux, à
MONDE ENTIER.
l'Apôtre qui atteste que le repos de ce jour
Mais tu n'aurais pas ajouté « Que la Iradi- :
était l'ombre de l'avenir '. Mais si les Juifs
« tion du Christ diffère de celle de Moïse qu'il ;
ont résisté au Christ, faute de comprendre le
« n'est donc pas vraisemblable que si les Juifs vrai sabbat, ne lui résistez pas, vous, et com-
« eussent cru à Moïse, ils eussent aussi cru au prenez ce que c'est que la vraie innocence.
« Christ; qu'on doit plutôt dire, au contraire, Car, dans ce même endroit, oîi Jésus paraît
c( que, en croyant à l'un des deux, ils reje- surtout avoir voulu détruire le sabbat, ses
« talent nécessairement l'autre » ; non , tu disciples, passant à travers des moissons et
n'aurais pas dit cela, si tu avais un peu élevé pressés par la faim, arrachèrent des épis pour
les yeux de ton âme, et considéré, en dL'hors manger. Le Sauveur les déclara innocents,
des nuages de l'esprit d'aveugle dispute, l'uni- en répondant aux Juifs « Si vous compre- :

vers entier croyant en même temps à Moïse « niez ce que signifie Je veux la miséricorde :

et au Christ, dans la personne des savants et «et non le sacrifice, vous n'eussiez jamais
des ignorants, des Grecs et des Barbares, des « condamné des innocents -».En effet, ils au-

sages et des simples, auxquels l'Apôtre se di- raient dû avoir pitié de gens pressés par la
sait redevable '. Si donc il n'était pas vraisem- faim et ne cédant qu'à la nécessité. Mais chez
blable que les Juifs eussent cru tout à la fois à vous, tout homme qui arrache des épis, est
Moïse et aubeaucoup moins que
Christ, il l'est regardé comme homicide, non d'après la tra-
le monde entier croie également à l'un et à dition du Christ qui déclare cet acte innocent,
l'autre. Mais comme nous voyons toutes les mais d'après celle de Manès. Ou bien les
nations croire à tous les deux, tenir d'une foi Apôtres auraient-ils fait preuve de miséricorde
inébranlable et solennelle à la prophétie de envers ces épis, en se proposant de purifier,
l'un comme s'accordant avec l'Evangile de en les mangeant, les membres de votre dieu,
l'autre, ce n'était pas exiger de la nation juive conformément à vos rêveries ? Vous êtes
une chose impossible, que de lui dire : « Si donc cruels, vous qui ne faites pas cela. Mais
« vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans Fauste a sa manière de détruire le sabbat, lui
doute aussi ». Il faut plutôt s'étonner et se qui sait que la vertu de Dieu opère toujours et
plaindre vivement de la dureté des Juifs, qui sans se lasser. Permis de dire cela à ceux qui
n'ont pas fait ce que le monde entier fait comprennent que Dieu crée tous les temps,
sous nos yeux. sans qu'il y ait succession dans sa volonté.
Mais c'est difficile pour vous qui nous repré-
CHAPITRE XXVIII. sentez votre dieu comme arraché à son repos
LE SABBAT ÉTAIT UNE FIGURE. QUESTION IRONIQUE par la révolte du peuple des ténèbres et
ADRESSÉE AUX MANICHÉENS. troublé par une subite attaque des ennemis.
Ou bien, prévoyant ces faits de toute éternité,
Quant à ce que tu dis, à propos du sabbat, n'a-t-il jamais goûté
le repos, n'ayant point de

de la circoncision, de la distinction des ali- sécurité, etpréoccupé de la guerre terrible


ments, que la tradition de Moïse différait qu'il devait soutenir au risque de voir en-
de l'enseignement donné par le Christ à ses dommagés et détruits un si grand nombre de
disciples, je t'ai déjà démontré que, sui- ses membres ?

vant la parole de l'Apôtre, «toutes ces choses


CHAPITRE XXIX.
« ont été des figures de ce qui nous regarde -»
La doctrine n'est donc point différente; mais LA CIRCONCISION AVAIT UN SENS PROPHÉTIQUE.

temps seuls ne sont pas les mêmes. Autre, DÉTAILS A CE SUJET.


les
en effet, le temps oii il fallait que ces choses Du reste, si ce sabbat, dont votre ignorance
' Rom. I, 14. — ' I Cor. X, 6. ' Col. II, Ifi, 17. — Matt. ïit, 7.
256 CONTRE FAIJSTE, LE MANICHÉEN.

et voire impiété se raillent, n'avait pas aussi « mortel revête l'immortalité '
». Il est donc
sa sig-nification parmi les prophéties qui ont dépouillé de la mortalité, pour revêtir l'im-
été écrites du Christ, le Christ lui-même ne mortalité : c'est là le mystère de la circonci-

lui aurait pas rendu de tels témoignages. En sion, qui devait se faire le huitième jour -, et

effet, souffrant par sa propre volonté, comme qui a été accompli en vérité par le Seigneur
lu le dis toi-même à sa louange, et ayant le huitième jour, c'est-à-dire le dimanche,
à sa disposition le moment de sa passion et lendemain du sabbat. Ce qui fait dire à l'A-
de sa résurrection, il a fait en sorte que sa pôtre « En se dépouillant de la chair il a
:

chair se reposât de tous ses travaux dans le « donné un exemple aux principautés et aux

sépulcre au jour du sabbat; puis ressuscitant «puissances». En effet, au moyen de cette


le troisième jour (que nous appelons diman- mortalité, les puissances diaboliques, mues
che, et qui est huitième jour, puisqu'il suit
le par la jalousie, nous dominaient; et il est dit
le sabbat), que la circoncision,
il a fait voir que le Christ leur a donné un exemple, parce
fixée au huitième jour, était encore pour lui qu'il a donné en sa personne, comme étant
un signe prophétique. Que signifie en effet notre chef, un exemple qui se repi'oduira, à
la circoncision de la chair? Qu'indique-t- la dernière résurrection, dans tout son corps,
elle, sinon le dépouillement de la chair que c'est-à-dire dans l'Eglise qui doit être délivrée
nous tenons de notre naissance mortelle? C'est de la puissance du démon. Voilà notre foi. Et
pour cela que l'Apôtre dit « En se dépouil- : comme, suivant la parole du Prophète, citée
« lant de la chair, il a dépouillé les princi- jiar Paul : « Le juste vit de foi '
», c'est aussi

a pautés et les puissances ; avec une noble notre justification. Les païens aussi croient
a fierté, il en lui-même'».
a triomphé d'elles que le Christ est mort ; mais la foi à sa résur-

Par nous enten-


cette chair qu'il a dépouillée, rection est le propre « Car », du chrétien.
dons la mortalité de la chair qui fait donner dit l'Apôtre, vous confessez de bouche
« si

ce nom au corps. Et cette mortalité prend « que Jésus est le Seigneur, et si en votre

proprement le nom de chair, parce qu'elle « cœur vous croyez que Dieu l'a ressuscité

disparaîtra dans l'immortalité de la résurrec- « d'entre les morts, vous serez sauvés * ». Et

tion d'où vient qu'il est écrit


: « La chair et :
c'est parce que la foi à cette résurrection nous

« le sang ne posséderont pas le royaume de justifie, que l'Apôtre dit, en parlant du Christ :

« Dieu ». A l'occasion de ces paroles, vous ca- « Qu'il est mort pour nos péchés et qu'il est

lomniez la foi en vertu de laquelle nous «ressuscité pour notre justification ' ». Et
croyons à cette future résurrection dont le c'est parce que cette résurrection, dont la

Seigneur lui-même nous a donné l'exemple ;


croyance nous justifie, a été figurée par la cir-
mais vous dissimulez la suite des textes où concision du huitième jour, que l'Apôtre dit

l'Apôtre explique clairement sa pensée. Vou- d'Abraham, à qui celle-ci fut donnée en premier
lant, en eflèt, vous faire voir ce qu'il entend lieu w Et il reçut la marque de la circoncision,
:

par chair, il ajoute immédiatement Et la : <s


«comme sceau de la justice de la foi * ».
a corruption ne possédera pasTincorruption». Ainsi Moïse, dont le Christ dit: a C'est de moi
« qu'il a écrit », avait encore le Christ en vue,
Car il dit que ce corps, appelé proprement

chair à cause de sa mortalité, sera transformé en mentionnant la circoncision parmi d'au-


à la résurrection, de manière à cesser d'être tres figures prophétiques. Quant à ces paroles
corruptible et mortel. Et pour que vous ne du Sauveur : « Malheur à vous, scribes et
croyiez pas que c'est ici notre interprétation, « pharisiens hypocrites, qui parcourez la mer
consultez la suite du texte : « Voici que je « et la terre pour faire un prosélyte, et qui,

« vais vous dire un mystère Nous ressusci- :


« quand il est fait, faites de lui un fils de la gé-

« ferons bien tous, mais nous ne serons pas « heuiie deux fois plus que vous », elles ne

« tous changés. En un moment, en un clin doivent pas s'entendre en ce sens que ce pro-
« d'œil, au son de la dernière trompette, car sélyte est circoncis, mais en ce sens qu'il
imite la conduite de ceux que le Sauveur dé-
« la trompette sonnera, et les morts ressusci-
teront incorrujjtibles, et nous, nous serons fend d'imiter, eu disant : « C'est sur la chaire
« changés. Car que ce corps corruptible
il faut « de Moïse que sont assis les scribes et les

revête l'incorruptibilité, et que ce corps —


' Gen. xmi, 12. — Rom. Hab.
I Cor. xv, 50-53. '
1, 17 ; il, i.

• Col. II, 15. — ' Hom. I, 9. —


' Id. IT, 25. —
' Id. 11.
.

LIVRE XVI. — LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. 257

« Pharisiens : faites ce qu'ils disent , mais ne CHAPITRE XXXI.


o faites pas ce qu'ils font : car ils disent et ne
LE CHRIST NE l'A PAS MAINTENUE NI OBSERVÉE
« font pas '
du Seigneur,
». Dans ces paroles
LUI-MÊME. CE n'est PAS CE QUI ENTRE DANS LA
deux choses sont à remarquer l'honneur :

BOUCHE QUI SOUILLE L'HOMME, MAIS CE QUI EN


fait à la doctrine de Moïse, puisque les mé-
SORT.
chants mêmes assis sur sa chaire étaient
forcés d'enseigner le bien ; et ensuite que le Tu dis encore que a le Christ a enseigné que
prosélyte ne devenait pas de la géhenne fils a tous les aliments sont indifférents, de ma-
pour écouter les Pharisiens exposant la loi , a nière cependant à interdire à ses disciples
mais parce qu'il imitait leurs actions. On a l'usage de toute espèce de viande, mais à
aurait donc pu dire au prosélyte circoncis ce a permettre aux gens du peuple tout ce qui
que disait Paul « A la vérité la circoncision
: « peut se manger qu'il a déclaré que rien de
;

a est utile, si vous observez la loi - ». Or, « ce qui entre dans la bouche ne peut les
comme le prosélyte imitait les Pharisiens a souiller, parce que les choses mauvaises qui
dans la violation de la loi , il devenait fils de a sortent de la bouche peuvent seules souiller
la géhenne et deux fois plus qu'eux, parce
; a l'homme ». Voilà tes paroles, d'autant plus
que, je pense, n'étant pas Juif de naissance, impudentes, qu'elles sont plus clairement et
mais par choix, il négligeait d'accomplir ce plus ouvertement mensongères. Et d'abord, si,
qu'il avait volontairement embrassé, selon la doctrine du Christ, rien ne souille
l'homme que choses mauvaises qui sor-
les
CHAPITRE XXX. tent de sa bouche, pourquoi ne s'en est-on
SENS PROPHÉTIQUE DE LA DISTINCTION DES pas tenu là aussi avec les disciples du Christ,
ALIMENTS. et a-t-il fallu leur interdire l'usage des
viandes, comme si elles étaient immondes ?
Mais qu'entends-tu quand tu dis, d'un ton N'est-il pas vrai gens du siècle ne sont
que les
irrespectueux et par manière d'injure, que point souillés par ce qui entre dans la bouche,
« Moïse se fait juge à la façon d'un gourmand, mais seulement par ce qui en sort ? Ils sont
« et veut que certains aliments soient mondes donc mieux garantis contre l'impureté que les
« et puissent être mangés, et que les autres saints, puisque ceux-ci peuvent être souillés
« soient tenus pour et ne soient immondes par ce qui entre dans la bouche et par ce qui
« pas même D'abord le propre du
touchés ? » en sort. Mais je voudrais bien que nos adver-
gourmand est plutôt de ne rien distinguer, saires me disent ce que mangeait et buvait
ou, s'il distingue, de choisir ce qu'il y a de le Christ, lui qui se dit mangeant et buvant,
plus délicat au goût. Ou bien, dis-tu cela pour en comparaison de Jean qui ne mangeait ni
que les ignorants admirent en toi un homme ne buvait ? En effet, condamnant la malice
mortifié des le berceau, qui ne sait pas, ou des hommes qui cherchaient à les calom-
qui oublie, combien la chair de porc est plus nier tous deux, il s'exprime ainsi : « Jean est
agréable à manger que celle de mouton ? Mais « venu , ne mangeant ni ne buvant, et ils di-
comme Moïse, ici encore, écrit des ligures « sent 11 est démoniaque; le Fils de l'homme
:

prophétiques en vue du Christ, distinguant, « est venu mangeant et buvant, et ils disent :

sous les chairs des animaux, les fidèles qui a Voilà un homme de bonne chère et adonné
devront faire partie du corps du Christ, c'est- a au vin, ami des publicains et des pécheurs » '

à-dire de l'Eglise, et ceux qui en devront être Du reste nous savons ce que Jean mangeait et
exclus il vous a aussi rangés parmi les ani-
; buvait; car on ne dit pas qu'il ne bût absolu-
maux immondes, vous qui êtes en désaccord ment rien, mais seulement qu'il ne buvait ni
avec la foi catholique, parce que vous ne ru- vin ni bière ^ il buvait donc de l'eau. Il ne
;

minez pas parole de la sagesse, et que, ne


la s'abstenait point non plus de toute nourriture;
discernant pas la concordance de l'Ancien et mais il mangeait des sauterelles et du miel
du Nouveau Testament, vous n'avez pas, pour sauvage ^ Pourquoi donc dit-on de lui a Ne :

ainsi dire, le pied fourchu. Mais qui te par- a mangeant ni ne buvant », sinon parce qu'il

donnera de n'avoir pas rougi de la fourberie s'abstenait des aliments en usage chez les
de votre Adimautus? Juifs? Mais si le Seigneur s'en était aussi
• Matt. XXIU, 15, 2, 3 ' Rom. ii, 15. • Matt. XI, 18, 19. — ' Luc, I, 25. — ' Matt. m, 4.

S. Adg. — Tome XIV. 17


238 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN,

abstenu, il ne se fût point dit a mangeant et a entre dans la bouche qui souille l'homme,
« buvant», en comparaison de Jean. Serait-ce, amais ce qui sort de la bouche » Que l'évan- .

par hasard, parce que le Seigneur usait de gélistecontinue donc et nous dise ce que le
pain et de légumes, dont Jean s'abstenait? Je Seigneur a répondu, non plus à la foule, mais
m'étonnerais alors qu'on dit « ne mangeant à ses disciples : a Mais lui, répondant, leur
a pas», d'un homme qui mange des saute- dit : Toute plante que mon Père céleste n'a
relles et du miel; et qu'on appelât « man- « point plantée, sera arrachée. Laissez-les ; ils

géant » celui qui se contente de pain et de « sont aveugles et


conducteurs d'aveugles.
légumes. Du reste pensez de la nourriture ce « Or, si un aveugle conduit un aveugle, ils

que bon -vous semblera mais certainement ;


«tombent tous deux dans une fosse ». Et
on n'eût point appelé le Christ o buvant et cela certainement parce que, voulant main-
« adonné au vin », s'il n'eût pas bu de vin ;
tenir leurs traditions, ils ne comprenaient pas
pourquoi donc déclarez-vousle vin immonde? les commandements de Dieu. Mais, jusque-là,

Car ce n'est pas par un motif de pénitence et les Apôtres n'avaient pas encore demandé à

de mortification corporelle que vous défendez leur Maître comment ils devaient entendre ce
ces choses, mais parce qu'elles sont immondes; qu'il avait dit à la foule. Ils le font ; et l'évan-

vous lesregardez, en effet, comme des ordures, géliste poursuit Prenant alors la
son récit : «

comme le fiel du peuple des ténèbres, contre « parole, Pierre lui dit Expliquez-nous cette :

l'avis de l'Apôtre, qui nous dit «Tout est pur : 9 parabole ». Par là nous voyons que Pierre

«pour ceux qui sont purs' ». Et voilà les était convaincu que le Seigneur n'avait point

gens qui osent dire que le Christ, tout en parlé dans le sens propre ni expliqué claire-
déclarant les aliments indifférents, a cependant ment sa pensée, quand il disait « Ce n'est pas :

défendu à ses disciples ceux qu'ils regardent « ce qui entre dans la bouche qui souille

comme immondes ! Imposteurs, méchants « l'homme, mais ce qui sort de la bouche » ;

que vous mais aveuglés par la providence


êtes, mais qu'il avait voulu, selon son usage, insi-
du Dieu vengeur, jusqu'à nous fournir des nuer quelque chose sous le voile de la para-
arguments pour vous confondre, montrez- bole. Voyons donc, si, interrogé en particulier

nous donc où le Seigneur a interdit ces ali- par ses disciples, il leur répondra dans le sens
ments à ses disciples. Je souffrirai violence en des Manichéens, que toute chair est immonde,
moi-même tant que , je n'aurai pas cité et et qu'ils ne doivent toucher à aucune. Mais

examiné en entier tout le chapitre que Fauste quoi ? il leur reproche de n'avoir pas saisi la
a essayé d'opposer à Moïse, afin de démontrer signification si claire de ses paroles et d'avoir

la faussetéde ce qu'Adimantus le premier, et pris pour une parabole ce qui devait s'entendre

Fauste après lui, ont avancé, à savoir que le : dans le sens propre. Car voici la suite du texte:
Seigneur Jésus a interdit à ses disciples l'u- « Mais il leur répondit Et vous aussi, êles- :

sage de la viande, et l'a permis indistincte- « vous encore sans intelligence ? ne compre-

ment aux gens du monde *. Après avoir ré- «nez-vous point que tout ce qui entre dans la
pondu aux Juifs, qui incriminaient ses disciples « bouche va au ventre et est rejeté en un lieu

pour avoir mangé sans se laver les mains, le « secret mais que ce qui sort de la bouche
;

Sauveur continue « Puis ayant appelé à lui


: « vient du cœur, et que c'est là ce qui souille

«le peuple, il leur dit: Ecoutez et comprenez. «l'homme? Car du cœur viennent les mau-
Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui « vaises pensées, les homicides, les adultères,
« souille l'homme mais ce qui sort de la;
« les fornications, les vols, les faux lémoigna-

« bouche, voilà ce qui souille l'homme. Alors « ges, les blasphèmes c'est là ce qui souille
:

« ses disciples s'approchant lui dirent Savez- : « l'homme mais manger sans s'être lavé les
;

« vous (|ue les Pharisiens, en entendant cette « mains ne souille point l'homme ». '

« parole, se sont scandalisés?» Interpellé ainsi


par ses disciples, il a sans doute dû, comme
CHAPITRE XXXIl.
le veulent les Manichéens, leur déclarer for- LES CHRÉTIENS SONT LES VRAIS OBSERVATEURS DE LA
mellement qu'ils devaient s'abstenir de toute LOI DE MOÏSE, QUE LES JUIFS TRANSGRESSAIENT.
viande, pour paraître confirmer ce qu'il avait
dit plus haut à la foule : « Ce n'est pas ce qui Ici, évidemment, le mensonge est à décou-
*
Tu, I, 15. — • Voyez le livre coDtie Adimantus, ch. xv. • Matt. XV, 10-20.
LIVRE XVI. — LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. 259

vert ; il est parfaitement prouvé que le Christ reste, juge-toi toi-même, toi qui demandes
n'a pas donné un enseignement à la foule et qu'on t'instruise sur le Christ comme on le
un autre à ses disciples ; il est hors de doute ferait avec un païen ou un juif. Je n'ai pas
qu'il faut accuser de mensonge et d'impos- reculé devant la tâche je t'ai, autant que j'ai ;

ture les Manichéens plutôt que Moïse, plutôt pu, fermé toutes les issues de l'erreur. J'ai

que le Christ, plutôt que la doctrine des deux même bouché le précipice oii vous vous jetez
Testaments, figurée dans l'un, révélée dans en aveugles quand vous traitez de faussetés
l'autre, prophétisée dans le premier, réalisée tous les passages de l'Evangile qui gênent votre
dans le second. Comment donc prétendent-ils hérésie en sorte qu'il ne vous reste aucune
:

que les chrétiens n'ohservent rien de ce que voie de retour, aucun moyen de croire au
Moïse a écrit, quand ils observent tout, non Christ, où l'on ne puisse vous opposer votre
plus en figures, mais dans les réalités mêmes objection meurtrière. Bien plus, tu veux qu'on
que les figures annonçaient prophétiquement? t'éclaire comme le chrétien Thomas, «dont
Autrement quand l'écriture et la lecture au- a le Christ (ce sont tes paroles) n'a pas dé-
raient lieu en des temps différents, on pour- « daigné de dissiper les doutes, mais à qui il

rait dire que le lecteur ne lirait pas, puisqu'il « montré les cicatrices de son corps pour
a
ne formerait pas lui-môme les caractères : ces «remédier aux plaies de son âme». Tu de-
caractères étant les figures des sons; et lui, mandes à être instruit de cette façon c'est :

lecteur, produisant les sons, par une simple heureux. Combien j'avais peur encore que tu
attention à voir les figures, mais non à les ne visses une falsification dans ce trait de
former. Or les Juifs ne croyaient point au l'Evangile Crois donc aux cicatrices du
I

Christ, parce qu'ils n'observaient pas même ce Christ : car si elles étaient vraies, les bles-
que Moïse ouvertement et sans
avait prescrit sures aussi l'avaient été, et les blessures n'au-
le voile des figures. Aussi le Sauveur leur dit- raient pu être véritables, s'il n'avait eu une
il: a Vous payez la dime de l'aneth et du véritable chair pour les subir ce qui sape votre
:

a cumin, et vous négligez les choses les plus erreur par la base. Or, si le Christ a montré à
« graves de la loi vous employez un filtre
; son disciple hésitant de fausses cicatrices, tu
« pour le moucheron et vous avalez le cha- dis, là même, que le Christ, en donnant
par
a meau il fallait faire ceci et ne point omettre
; cette preuve, était un imposteur; par consé-
« cela ». De là venait qu'ils enseignaient par
'
quent tu demandes à être trompé par ton maî-
leurs traditions la manière de transgresser le tre. Or, comme personne ne demande à être
précepte du Seigneur, qui exigeait qu'on ho- trompé, mais quebeaucoup cherchent à trom-
norât ses parents orgueil et injustice qui
: per, je crois que tu vises plutôt à enseigner
leur ont attiré l'aveuglement qui les empê- l'erreur en t'appuyant sur l'exempledu Christ,
chait de comprendre le reste, parce que dans qu'à te Thomas.
voir trompé à l'exemple de
leur impiété ils méprisaient ce qu'ils compre- Si donc tu crois que le Christ atrompé son dis-
naient, ciple hésitant en lui montrant de fausses cica-
CHAPITRE XXXIII. trices,qui voudra ajouter foi à ses enseigne-
ments, ou plutôt ne se mettra pas en garde
DILEMME A FAUSTE A l'OCCASION DES CICATRICES
contre eux? Mais si cet apôtre a touché des
DU CHRIST.
cicatrices réelles sur le corps du Christ, tu es
Vois-tu donc que besoin de
je n'ai pas forcé de convenir que la chair du Christ était
dire : au Christ, quand
Si tu es chrétien, crois véritable. Tu cesseras donc d'être manichéen,
il dit que c'est de lui que Moïse a écrit, et si si tu crois comme Thomas; et tu resteras ma-
tu n'y crois pas, tu n'es pas chrétien? Du nichéen, si tu ne crois pas même comme lui '.

' Matt. xxm, 23, 24. ' Jean, xx, 27, 28.
LIVRE DIX-SEPTIÈME.
Explication de ce texte de saint Matthieu : « Je ne suis pas venu aljolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ».

CHAPITRE PREMER. CHAPITRE II.

FACSTE NIE l'AUTHENTICITÉ DE CE TEXTE DE SAINT JÉSUS A DÉTRUIT LA LOI. NI LA LOI NI LES
MATTHIEU a JE NE SUIS PAS VEND ABOLIR LA
: PROPHÈTES n'avaient BESOIN D'ACCOMPLISSEMENT.
« LOI ET LES PROPHÈTES, MAIS LES ACCOM-
Mais que dira-t-on, si du discours même où
« PLIR ».
Jésus détend de croire qu'il est venu abolir la
Faiiste. Pourquoi ne recevez-vous pas la loi, on doit surtout conclure qu'il a aboli la
loi et les Prophètes ,
quand le Christ dit loi ? En effet, s'il n'eût rien dans ce sens,
fait

qu'il n'est pas venu les abolir, mais les ac- les Juifs n'eussent pas conçu de soupçons.
complir ' ? — Qui nous assure que Jésus a dit Mais il leur dit : a Ne pensez pas que je sois
cela? Matthieu. Où l'a-t-il dit? Sur la mon- venu abolir la loi » Eh bien si les Juifs lui . 1

tagne. qui ? De Pierre, d'An-


En présence de eussent répondu Pourquoi faites-vous donc
:

dré, de Jacques et de Jean car il n'avait pas : des choses qui nous induisent à le soupçonner?
encore choisi ses autres Apôtres, pas même Est-ce parce que vous vous raillez de la cir-
Matthieu. Et un seul de ces quatre, Jean, a concision, que vous violez le sabbat, que vous
écrit un évangile ? Oui. Et parle-t-il de cela? rejetez les sacriflces, que vous déclarez tous
Nulle part. Comment donc ce que Jean, qui les aliments indifférents? C'est pour cela que
était sur la montagne, n'atteste pas, Matthieu vous nous dites « Ne pensez pas ». Mais que
:

l'écrit-il, lui qui n'a suivi Jésus que longtemps pouvait-on faire de plus grave, de plus évi-
après qu'il était descendu de la montagne ? dent pour détruire la loi et les Prophètes? Si
Première raison de douter que Jésus ait dit c'est là accomplir la loi, qu'est-ce donc que

cela le témoin le plus croyable n'en dit


: Prophètes
l'abolir ? D'ailleurs, ni la loi ni les

rien, le moins admissible en parle. Nous pou- ne désirent d'être accomplis ils se trouvent ;

vons d'abord supposer que Matthieu se joue complets et parfaits, jusque-là que leur au-
de nous, en attendant que nous prouvions que teur et père ne s'indigne pas moins contre les
ce n'est pas même lui qui a écrit cela, mais additions que contre les retranchements qu'on
je ne sais qui sous son nom comme nous : pourra leur faire, puisqu'il est écrit dans le
pouvons le conclure du récit en style indirect Deutéronome « Tu observeras, Israël, les
:

de ce môme Matthieu. Comment s'exprime- a commandements que je te donne aujour-


t-il en effet? a Et comme Jésus passait, il vit ad'hui; prends garde de t'en écarter ni à
a un homme nommé Matthieu assis au bu- a gauche ni à droite ; n'y ajoute rien, ni n'en
« reau des impôts, et il l'appela ; et se levant a retranche rien mais persévères-y, afln que
;

c( aussitôt, il le suivit ' » . Quel est l'homme « ton Dieu te bénisse ». Ainsi donc, si pour
'

qui écrira, en parlant de lui-même : o 11 vit accomplir la loi et les Prophètes, Jésus y a
a un homme, et il l'appela, et il le suivit? » ajouté quelque chose, il s'est écarté à droite ;
Qui ne dira pas plutôt Il me vit, il m'appela : s'il en a retranché quelque chose pour les dé-

et je le suivis? 11 est donc clair que ce n'est truire, il s'est écarté à gauche et dans les ;

point Matthieu qui a écrit cela, mais je ne sais deux cas, il outrage l'auteur de la loi. Donc,
qui sous son nom. Or, si ce serait une faus- ou ces paroles ont un autre sens, ou elles sont
seté ([uand même Matthieu l'aurait écrite, fausses.

puisqu'il n'était pas là quand Jésus parlait sur CHAPITRE III.

la montagne à combien plus


;
forte raison n'y
RÉPONSE d'aIGUSTIN. POURQUOI LE TÉMOIGNAGE
faudrait-il pas croire,puisque ce n'est point
DE SAINT MATTHIEU DOIT ÊTRE ACCEPTÉ.
Matthieu qui a écrit cela, mais quelque autre
sous les noms de Jésus et de Matthieu. Augustin. étonnante folie I défendre
• Matt. V, 17. — Id. V, 9. • Deut. V, 32, XII, 32.
LIVRE XVII. — L\ LOI ET LES PROPHÈTES EN FACE DU CHRIST. 261

de croire à Matthieu racontant quelque chose omis, son attention étant fixée sur d'autres
du Christ, et ordonner de croire à Manès! sujets N'est-ce pas lui qui termine ainsi son
I

Si Matthieu n'était pas là quand le Christ évangile « Il y a encore beaucoup d'autres


:

disait : ne suis pas venu abolir la loi et


o Je a choses que Jésus a faites si elles étaient ;

a les Prophètes, mais les accomphr », et que '


a écrites en détail, je ne pense pas que le
pour cela il faille rejeter son témoignage ;
a monde entier pût contenir les livres qu'il
Manès y était-il, ou même était-il déjà né, a faudrait écrire ' ». Evidemment il fait voir
quand le Christ a paru parmi les hommes? par là qu'il a omis sciemment bien des choses.
Donc, d'après votre règle de foi, vous ne de- Mais si c'est le témoignage de Jean que vous
viez point accepter son témoignage touchant recherchez sur la loi et les Prophètes, croyez
le Christ. Pour nous, ce n'est pas parce que donc à Jean rendant témoignage à la loi et
Manès n'a pas été témoin des paroles et des aux Prophètes. C'est lui qui a écrit qu'Isaïe
actions du Christ, ni parce qu'il est né long- a vu la gloire du Christ -. C'est dans son évan-
temps après, que nous disons qu'on ne doit gile que vous trouverez le passage que j'ai ex-
pas croire à sa parole mais parce qu'il parle ; posé un peu plus haut a Si vous croyiez :

du Christ contre les disciples du Christ et « Moïse vous me croiriez sans doute aussi
, :

contre l'Evangile établi sur leur autorité. « car c'est de moi qu'il a écrit ^ ». Vous avez
Nous avons là-dessus la parole de l'Apôtre qui beau tergiverser tout vous confond. Dites
:

prévoyait, dans l'Esprit-Saint, qu'un jour naî- sans détour que vous ne croyez pas à l'Evan-
traient de tels contradicteurs. Il disait donc gile du Christ car en admettant dans l'Evan-
:

aux fidèles quelqu'un vous prêche un


: « Si gile ce qui vous plaît, en en rejetant ce qui ne
B autre évangile que celui que vous avez reçu, vous convient pas, ce n'est plus à l'Evangile,
« qu'il soit anathème ^ » Si en effet personne
! mais à vous, que vous croyez.
ne peut dire du Christ des choses vraies, à
moins de l'avoir vu et entendu, personne n'en CHAPITRE IV.
dit rien de vrai aujourd'hui. Or, si aujourd'hui
encore, on peut dire aux fidèles des vérités LES HISTORIENS PARLENT d'EUX-MÊMES A LA TROI-
sur le Christ, parce qu'elles proviennent de SIÈME PERSONNE. LE CHRIST ALSSI l'A FAIT.
témoins oculaires et auriculaires, qui les ont
répandues par la prédication ou par l'écriture : Mais quelle jolie chose Fauste s'imagine
pourquoi Matthieu n'aurait-il pas pu ap- avoir dite Il ne faut pas croire Matthieu
!

prendre des vérités sur le Christ, de la bouche parce que, en parlant de sa vocation, il ne dit
de Jean, son frère dans l'apostolat, qui a été pas Jésus me vit et me dit Suis-moi, mais :
: :

témoin quand il ne l'était pas lui-même, alors « Jésus vit Matthieu et lui dit : Suis-moi M »
que nous pouvons, nous qui sommes nés si Je ne sais s'il faut accuser ici la maladresse
longtemps après, alors que nos descendants de l'ignorance ou l'astuce ordinaire. Cepen-
pourront dire des vérités du Christ d'après le dant je ne puis supposer que l'ignorance de
livre même de Jean? C'est ainsi que non-seu- Fauste aille jusqu'à n'avoir jamais lu ou en-
lement l'évangile de Matthieu mais aussi , tendu dire que quand les historiens ont à
ceux de Luc et de Marc, qui ont suivi les mettre leur propre personne en scène, ils ne
mêmes Apôtres, ont été reçus et jouissent parlent d'eux que comme s'ils parlaient d'un
d'une égale autorité. Outre que le Seigneur autre. J'aime mieux croire que ce n'est pas
lui-même a bien pu raconter à Matthieu ce ignorance chez mais qu'il a voulu jeter
lui,
qu'il avait fait, avant de l'appeler, avec ceux de la poussière aux yeux des ignorants dans
dont la vocation avait précédé la sienne, — l'espoir d'en séduire un plus grand nombre
Mais, dira-t-on, Jean n'aurait-il pas dû men- qui ne seraient pas au courant de ces ma-
tionner cela dans son évangile, lui qui était tières. On trouve en effet des exemples de ce
présent et qui avait entendu, si toutefois le genre de récit dans les historiens profanes.
Seigneur l'a dit? —
Comme si, dans l'impos- Mais je n'ai pas besoin de recourir à la litté-
sibilité d'écrire tout ce qu'il avait entendu de rature étrangère pour éclairer nos fidèles ou
la bouche du Seigneur, il n'avait pas pu réfuter mon adversaire. Il a lui-même cité
omettre ce point entre tant d'autres qu'il a tout à l'heure des passages des livres de
' Malt- V, 17. — Gai. I, 9. 'Jean, iXI, 25. — ' Id. xu, 11 ' là. y, 16. — *Matt. lï, 9.
262 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Moïse , non pour


que Moïse en soit contester « et les ; je ne suis pas venu les
Prophètes
l'auteur convenu, au contraire),
(il en est a abolir,mais les accomplir », s'il n'eût déjà
mais pour nier qu'ils se rapportent au Christ. agi de manière à faire naître ce soupçon ?
Qu'il cherche donc dans ces livres si Moïse Comme si nous niions qu'aux yeux des Juifs
dit, en parlant de lui j'ai dit ou fait ceci ou : sans intelligence le Christ ait pu passer pour
cela ne dit pas a Moïse dit ' Moïse fit";
; s'il : ; destructeur de la loi et des Prophètes ! Mais
et encore, si Moïse dit Le Seigneur m'ap- ; c'est précisément la raison pour laquelle,
pela, le Seigneur me dit, et non a Le Sei- : étant véridique, étant la vérité même, quand
« gneur appela Moïse ' ; le Seigneur dit à il disait qu'il n'était point venu abolir la loi
a Moïse *
»; et tout le reste de la même ma- et les Prophètes,pu parler d'autre loi
il n'a
nière. C'est ainsi que Matthieu parle de lui que de ceux qu'on le
et d'autres prophètes,
comme d'un autre ; et Jean aussi, ainsi qu'on soupçonnait de vouloir détruire. C'est ce que
peut le voir à la fin de son livre, où il dit : prouve assez la suite même de ses paroles :

a Pierre s'étant retourné, vit le disciple que « En vérité, en vérité, je vous le dis, jusqu'à
a s'était aussi reposé pen-
Jésus aimait, qui a ce que le ciel et la terre passent, un seul
dant la cène sur son sein, et avait dit au a iota ou un seul point de la loi ne passera
a Seigneur Qui est celui qui vous trahira? »
: a pas, que tout ne soit accompli. Celui donc
Dit-il Pierre, s'étant retourné, me vit? Les
: a qui violera l'un de ces moindres comman-
Manichéens pensent-ils pour cela qu'il n'est e déments, et enseignera ainsi aux hommes,
pas l'auteur de son Evangile ? Mais peu après a sera appelé très-petit dans le royaume des
ilreprend a C'est ce même disciple qui rend
: « cieux ; mais celui qui fera et enseignera
« témoignage de Jésus et qui a écrit ces « ainsi , celui-là sera appelé grand dans le
a choses ; et nous savons que son témoignage a royaume des cieux ». Car, en disant cela, il

est vrai ^». Dit-il : Je suis le disciple qui songeait aux Pharisiens, qui violaient la loi

rends témoignage de Jésus et qui ai écrit ces par leur conduite et l'enseignaient en paroles.
choses, et je sais que témoignage est mon C'estd'eux qu'il dit ailleurs a Faites ce qu'ils :

vrai ? Il est de toute évidence que c'est là le « mais ne faites pas ce qu'ils font car
disent, :

genre des historiens. Et qui pourrait compter « ils disent et ne font pas' ». C'est pour cela

les passages où le Seigneur même parle de encore qu'il ajoute ici a Car je vous dis que:

lui à la troisième personne ? « Quand de le fils « si votre justice n'est plus abondante que

a l'homme viendra » nous dit-il, , a pensez-vous a celle des scribes et des Pharisiens vous ,

a qu'il trouvera de la foi sur la terre '? » Il ne a n'entrerez pas dans le royaume des cieux*»,
dit pas : Quand pensez-vous que je
je viendrai, c'est-à-dire si vous ne faites pas et n'ensei-

trouverai ?Le Fils de l'homme


Et ailleurs : a gnez pas ce qu'ils ne font pas, bien qu'ils l'en-
« est venu mangeant et buvant ' ». Il ne dit
, seignent, vous n'entrerez pas dans le royaume
pas: Je suis venu. Et encore «Une heure vien- : des cieux, Or, cette loi que les Pharisiens en-
« dra, et elle est déjà venue, où les morts en- seignaient sans l'accomplir, le Christ dit qu'il
a tendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui est venu, non l'abolir, mais l'accomplir; parce
« l'auront entendue, vivront ' ». Il ne dit pas : qu'elle appartient à la chaire de Moïse, dans
Ma voix. Et ainsi dans beaucoup d'autres pas- laquelle sont assis les Pharisiens, qui disent
sages. Mais en voilà assez, je pense, et pour et ne font pas, qu'il faut écouter et non imiter.
éclairer les fidèles et pour confondre les ca-
lomniateurs. CHAPITRE VI.

CHAPITRE V.
comment la loi et les prophètes peuvent
DANS QIEL SENS LE CHRIST A PU DIRE : a JE NE s'accomplir.

a SUIS PAS VENU ABOLIR ETC. » ,


Fauste ne comprend pas, ou feint de ne
Qui ne voit combien est faible cette autre pas comprendre, ce que c'est qu'accomplir
assertion, que le Seigneur n'aurait pu dire : la loi, puisqu'il parle d'addition de paroles,
a Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi et rappelle qu'il est écrit qu'on ne doit rien
ajouter à la divine Ecriture, ni rien en re-
' Exod. m, 3. — '
Id. vu, 6. —
' Lev.
l, 1. — *
lixod. IV, lu. — trancher ' ; ce qui lui fait dire qu'elle n'a pas
' Jean. XII, 20, 21. — ' Luc, rvill, 8. — ' Matt. Xl , 19. — ' Jean,
ï, 25. Matt, xxill, 3, — Id. v, 17, 20. - Deut. xil, 32.
"
LIVRE XVII. — LA LOI ET LES PROPHÈTES EN FACE DU CHRIST. 263

dû être accomplie, puisqu'on la donne comme se réalisent. Car la loi a été donnée par Moïse,
tellement parfaite qu'il n'y a rien à y ajouter, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-
rien à en retrancher. Ils ne savent donc pas Christ'. La loi elle-même, en s'accomplis-
comment celui qui vit selon la loi, accom- sant, est devenue la grâce et la vérité. La
plit la loi. a Car » , comme dit l'Apôtre, grâce appartient à la plénitude de l'amour,
« l'amour de la loi' ». Or,
est la plénitude la vérité àl'accomplissement des prophéties.
cet amour, le Seigneur a daigné en offrir le mo- Et comme l'un et l'autre ont eu lieu par le
dèle et le donner, en envoyant l'Esprit-Saint Christ, c'est pour cela qu'il n'est pas venu
à ses fidèles. Ce qui fait dire au même Apô- abolir la loi et les Prophètes, mais les accom-
tre « La charité de Dieu est répandue en
: plir non en ajoutant à la loi quelque chose
;

« nos cœurs par l'Esprit-Saint qui nous a été qui lui manquait, mais en réalisant ce qui y
«données. Et le Seigneur lui-même nous est écrit ; comme ses paroles moines l'attes-
dit : a C'est en cela que tous connaîtront que tent : car il ne dit pas : « Un iotaou un seul
« vous êtes mes disciples, si vous avez de ra- « point de la loi ne passera pas » jusqu'à ce

ce mour les uns pour les autres ' ». La loi qu'on y ait ajouté ce qui y manque, mais :

s'accomplit donc, soit quand ses commande- a jusqu'à ce que tout soit accompli ».

ments sont exécutés, soit quand ses prophéties * Jean, l, 17.

* Rom. XIII, 10. — ' Id. V, 5. — ' Jean, xul, 35.


LIVRE DIX-HUITIEME.
Comment la loi et les Prophètes ont pu être accomplis. —Détails sur le sabbat, sur les noms païens des jours et des mois,

sur les sacrifices. —


Quel usage les chrétiens font de leur raison.

CHAPITRE PREMIER. le repos du sabbat, et mettras-tu tes mains


aux chaînes de Saturne ? Pour satisfaire l'ap-
ON NE PEUT ÊTRE CHRÉTIEN, DIT FAUSTE, SANS pétit vorace du démon des Juifs (car il ne
SUPPOSER LA LOI ABOLIE.
s'agitpas de Dieu ici), égorgeras-tu des tau-
Fmiste. « Je ne suis pas venu abolir la loi ,
reaux, des béliers, des boucs, pour ne pas dire
a mais l'accomplir ». Eh bien sache que ' ! des hommes, et ce qui nous a fait détester les

tu ne dois pas être moins que moi contra- idoles, le reproduiras-tu avec plus de cruauté
rié de croire que le Christ ait prononcé ces sous la loi et les Prophètes? Parmi les chairs
paroles à moins qu'elles n'aient un autre
,
d'animaux, en estimeras-tu quelques-unes
sens. Car nous sommes tous les deux chré- mondes, et d'autres immondes et souillées,
tiens dans la conviction que le Christ est venu comme la loi et les Prophètes le disent sur-
pour détruire la loi et les Prophètes. Si tu ne tout de la chair de porc? Assurément, tu diras
veux pas en convenir en paroles, tu le mani- que nous ne devons rien faire de cela, si nous
festes assez par tes actions. C'est en effet à voulons rester ce que nous sommes d'autant ;

cause de cela que tu rejettes avec mépris les plus que tu entends le Christ dire que celui
préceptes de la loi et des Prophètes ; à cause qui sera circoncis deviendra doublement fils
de cela que nous reconnaissons tous les deux de la géhenne '. Tu ne vois pas d'ailleurs qu'il
Jésus comme l'auteur du Nouveau Testa- ait lui-même observé le sabbat, ni recom-

ment et que confessons-nous par là, sinon


:
mandé qu'on l'observât. D'autre part tu l'en-

que l'Ancien Testament est détruit? Cela tends affirmer, à propos des aliments, que ce
étant, croirons-nous que le Christ
comment n'est point ce qui entre dans la bouche qui
sans taxer d'abord de folie notre
ait dit cela, souille l'homme, mais plutôt ce qui en sort ^
croyance passée, sans en éprouver des regrets, Pour ce qui regarde les sacrifices, nous l'en-
sans montrer une obéissance parfaite à la loi tendons répéter souvent que Dieu veut la mi-
et aux Prophètes et nous mettre en devoir de séricorde et non le sacrifice ^ Or, s'il en est
pratiquer tous leurs commandements, quels ainsi, où est donc l'assertion qu'il n'est pas :

qu'ils soient ? quand nous en serons là, c'est venu abolir la loi et les Prophètes mais ,

alors que nous croirons véritablement que les accomplir ? S'il l'a dit, ou il l'a dit dans

Jésus n'est pas venu abolir la loi, mais l'ac- un autre sens, ou il a menti en le disant (ce
complir. Jusque-là cela sera faux car lu n'y ; qu'à Dieu ne plaise), ou il ne l'a pas dit du
crois pas plusque moi, bien que tu n'accuses tout. Mais personne, pourvu qu'il soit chré-

que moi. tien, n'osera dire que Jésus ait menti donc ;

CHAPITRE H. ou il a dit cela dans un autre sens, ou il ne


l'a pas dit du tout.
SI LA LOI n'est pas ABOLIE, IL FAUT DONC
OBSERVER TOUTES SES PRESCRIPTIONS ? CHAPITRE III.

Soil admettons que tu n'es pas coupable


:
NÉCESSITÉ DE TRIER DANS l'ÉVANGILE POUR NE PAS
de t'être trompé jusqu'ici. Mais que feras-tu SE TROUVER DANS l'EMB.\RRAS,
désormais ? Te replaceras-tu sous l'empire de
la loi , puisque le Christ l'a accomplie, plutôt Mais j'ai été dispensé de la nécessité d'ad-

(lu'abolic ? Te feras-tu circoncire, c'est-à-dire mettre ce chapitre par la foi manichéenne


imprimera-t-on une marque honteuse sur les qui m'a appris dès l'abord à ne pas croire
])arlics honteuses, et penseras-tu honorer sans examen tout ce qui a été écrit au nom
Dieu par de telles cérémonies ? Obscrveras-tu du Sauveur, mais à examiner si cela est vrai,
'
Matl. V, 17.
'
Matt. xxni, 15. — ' Id. XV, 11. — ' Id. I.\, 13, xil, 7.
LIVRE XVIII. — LA LOI ET LES PROPHÈTES ACCOMPLIS. 265

sain, non car il y a


altéré ; dans presque toutes figuraient se sont accomplies et ont été révé-

les beaucoup
Ecritures, de zizanie qu'un lées, on n'est plus obligé de les observer, on
certain rôdeur de nuit y a semée pour y gâter se contente de les lire pour en comprendre le

la bonne semence '. C'est pourquoi je ne me sens. Et c'est à l'occasion de ces faits à venir,

laisse pas intimider par ces paroles, malgré le qu'il a été dit : « Je leur ôterai leur cœur de
respect dû au nom sous lequel on les écrit ;
a pierre , et je leur donnerai un cœur de
vu qu'il m'est toujours permis de m'assiirer a chair »; c'est-à-dire un cœur intelligent et
'

si elles sont d'un semeur probe et travaillant non un cœur sans intelligence. D'où l'Apôtre
de jour, ou de cet ennemi pervers qui n'o- a emprunté ces expressions « Non sur des :

père que de nuit. Mais toi qui admets tout au « tables de pierre,mais sur les tables char-
hasard qui condamnes dans les hommes la a nelles du cœur ^ ». Car n'est-ce pas la même
;

raison, ce bienfait de la nature ;


qui te fais chose que a le cœur de chair ?» Et précisé-
scrupule de juger entre le vrai et le faux ; ment parce que cela était prédit, si ces rites
qui te fais un épouvantait d'enfant de discer- n'avaient pas disparu de notre culte, la loi et
ner le bien du mal que feras-tu, dans l'ex-
: les Prophètes ne seraient pas accomplis parce ;

trême embarras où va te jeter ce chapitre? que l'événement n'aurait pas justifié la pré-
Je suppose un Juif, ou quelque autre connais- diction mais comme il la justifie, nous
;

saut ce texte et te demandant pourquoi tu voyons la loi et les Prophètes accomplis, pré-
n'observes pas les préceptes de la loi et des Pro- cisément par la raison même qui vous fait
phètes, quand le Christ dit qu'il n'est pas venu dire qu'ils ne le sont pas.
pour les abolir, accomplir? Tu
mais pour les
seras évidemment obligé, ou de te livrer à
CHAPITRE V.

une vaine superstition, ou de reconnaître que SUR LE SABBAT. DÉNOMINATION PAÏENNE DES JOURS
le chapitre est faux, ou de renoncer à. être le ET DES MOIS.
disciple du Christ.
Quand tu appelles le repos du sabbat chaî-
CHAPITRE IV. nes de Saturne, c'est une insulte qui ne nous
c'est en disparaissant qce la loi et les pro- fait pas peur car elle est sotte et sans fonde-
:

phètes ONT ÉTÉ accomplis. ment, et elle ne te serait pas venue à l'esprit,
si vous n'adoriez le soleil au jour qui porte

Augustin. Puisque tu reviens sur des ob- son nom. Mais comme nous appelons ce jour
jections tant de fois réfutées et démontrées le jour du Seigneur, et que nous y célébrons,
fausses nous ne craindrons pas de répéter
, non pas le soleil matériel, mais la résurrec-
les arguments par lesquels nous les avons tion du Seigneur; de même nos pères obser-
combattues. Ce que les chrétiens n'observent vèrent le repos du sabbat, tant qu'il le fallut,
pas dans la loi et dans les Prophètes c'est ce , et sans songer à Saturne car le sabbat était :

qui n'était que le symbole de ce qu'ils pra- l'ombre de l'avenir, comme l'atteste l'Apôtre ^
tiquent aujourd'hui. C'étaient, en effet, des Il est vrai que les gentils ont donné les noms
figures de l'avenir qui devaient être détruites de leurs dieux aux sept jours dont le cercle
par les réalités mêmes révélées et présentées forme la semaine. Et c'est d'eux que l'Apôtre
par le Christ, afin que, par leur propre dis- a dit « Qu'ils ont adoré et servi la créature au
:

parition , la loi et les Prophètes fussent ac- a lieu du Créateur * ». En quoi vous les imi-
complis. Car là même il était écrit que Dieu tez, sauf que vous n'adorez avec eux que les
donnerait un Nouveau Testament, « diffé- deux astres les plus brillants à l'exclusion des
« rent », disait-il, « de celui que j'ai donné à autres. Mais ils ont aussi donné aux mois les
« leurs pères - ». En effet, ce peuple, à cause noms de leurs dieux. En effet, en l'honneur
de son cœur de pierre, avait reçu des com- de Romulus, qu'ils croyaient fils de Mars, ils
mandements adaptés à sa nature plutôt qu'ils ont consacré à Mars le premier mois et lui
n'étaient bons, qui étaient cependant la figure ont donné le nom de ce dieu. Le second mois
et la prophétie de l'avenir ; seulement ils ne porte le nom d'aucun dieu ils l'ont nommé ;

étaient alors pratiqués par des gens sans in- Avril d'après la nature des choses, c'est-à-dire
telligence. Mais depuis que les choses qu'ils « qui ouvre » ,
parce qu'alors s'ouvrent la plu-
' Malt, iiii, 25. — = Jer. xtxi, 32. Ez. XI, 19. — ' II Cor. lU, 3. — ' Col. u, 17. — ' Rom. i, 25.
CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.
part des fleurs.Le troisième s'appelle Mai, démontrerai qu'il renferme une prophétie re-
parce qu'on y honore la déesse Maïa, mère de lative au Christ. C'est pourquoi la circonci-
Mercure. Le quatrième, Juin, a pris son nom sion, le sabbat, la distinction établie entre les
de Junon. Puis tous les autres, jusqu'à Dé- aliments , l'immolation des victimes , tout
cembre, portent le nom du rang qu'ils occu- cela était des figureset des prophéties qui nous
pent. Seulement le cinquième et le sixième regardaient; et Christ est venu, non les
le
(Juillet et Août), ont pris les noms de deux abolir, mais
accomplir, en réalisant ce
les
hommes à qui les honneurs divins ont été dé- qu'elles annonçaient. Et vois qui tu combats :
cernés, Jules (César) et Auguste 5 car, comme l'A[)ôtre lui-même, car c'est d'après lui que je
je Septembre et les suivants jusqu'à
l'ai dit. parle : Toutes ces choses ont été des figures
«

Décembre ne portent que leur numéro


, « de ce qui nous regarde ' ».
d'ordre. Puis Janvier emprunte son nom de
Janus, et Février des « Fébrues » ou sacri- ' CHAPITRE VII.

fices expiatoires offerts par les prêtres de Pan


USAGE QUE LES VRAIS CHRÉTIENS FONT DE LA
et de Faune. Voulez-vous donc qu'on dise que
RAISON.
vous adorez aussi Mars au mois de Mars?
Car c'est en ce mois que vous célébrez votre De même que Manès t'a appris la méthode
Béma avec la plus grande solennité ^. Or, si perverse et impie de prendre dans l'Evangile
vous prétendez pouvoir célébrer au mois de ce qui s'accommode à ton hérésie, et d'en re-
Mars autre chose que le dieu Mars pour- : jeter ce qui la ainsi l'Apôtre nous a
gêne ;

quoi essayez-vous d'introduire le nom de Sa- appris, dans sa sage prévoyance, à dire ana-
turne dans les divines Ecritures, à l'occasion thème à quiconque nous annoncerait un autre
du septième jour, appelé sabbat, ce qui veut Evangile que celui que nous avons reçu '\
dire repos, et cela, parce que les païens ont Aussi les chrétiens catholiques vous regar-
donné à ce jour le nom de Saturne ? Voyez dent-ils comme de la zizanie vu que le Sei- :

donc jusqu'oïl vous portez le délire de l'im- gneur leur a expliqué ce que c'est que la zi-
piété ! zanie, non pas, comme tu le dis, quelques
CHAPITRE VI. mensonges mêlés aux vérités de l'Ecriture,
mais les hommes enfants du malin esprit,
LES SACRIFICES D'ANIMAUX ÉTAIENT DES FIGURES
c'est-à-dire les imitateurs de la fourberie du
DU CHRIST.
démon ^ Et ils ne croient pas tous au hasard ;

Quant aux sacriflces d'animaux qui de , par conséquent ils ne croient point à Manès
nous ignore qu'ils étaient plutôt imposés à ni aux autres hérétiques. Ils ne condamnent
un peuple pervers à raison de son caractère, point la raison humaine mais ce que vous ;

qu'agréables au Dieu à qui on les offrait? Et appelez raison, eux prouvent que c'est l'er-
cependant ils étaient encore la figure de ce neur. Ils ne regardent point comme une im-
qui nous arrive car nous ne saurions être
: piété de juger entre le vrai et le faux : c'est
purifiés, ni Dieu apaisé, sans effusion de sang. pourquoi jugent votre secte comme très-
ils

Mais le Christ est la réalité de ces figures , fausse, et la foi catholique comme très-vraie-.
lui dont le sang nous a rachetés et purifiés. Ils n'ont pas peur de séparer le bien du mal ;
En effet, dans le langage figuré des saints mais ils entendent que le mal est contre la
livres, il est appelé taureau à cause de la nature, et non point la nature, ni je ne sais
vertu de la croix, avec les bras [cornibiis] de quel peuple de ténèbres, qui naît et se révolte
laquelleil a dispersé les impies; béher, à aussitôt contre l'autorité de Dieu, et qui cause
cause du premier rang que lui assigne son réellement à votre dieu plus de terreur que
innocence ; bouc, pour avoir pris une chair les épouvantails aux enfants, puisque vous
semblable à celle du péché afin de con- , prétendez qu'il a dû s'abriter derrière un voile,
damner le péché dans la chair par le péché pour ne pas voir ses membres saisis et mal-
même '. Nomme-moi tout autre genre de sa- traités par cet impétueux ennemi. Ce chapitre
crifice, le plus exprès, le plus formel, et je te ne les met donc en aucune façon dans l'em-
barras, parce que, en un sens, ils ne prati-
* Je hasarde le mot, qui ne saurait se rendre sans périphrase. — (juent pas les préceptes de la loi et des Pro-
" Voyez le livre contre la Lettre du Fondement^ ch, viii. '—Rom.
viu, 3. Cor. X, 6. -
'
1 Gai. 8, 9. Matt. xîiJ, 39.
l, .
LIVRE XVIII. — LA LOI ET LES PROPHÈTES ACCOMPLIS. 267

phètes : vu que, par la grâce du Christ, ils vaine superstition, ni nous ne reconnaissons
ont le véritable amour de Dieu et du proctiain, que ce chapitre de l'Evangile soit faux, ni
et qu'à ces deux commandements se ratta- nous ne renonçons à être les disciples du
chent toute la loi et les Prophètes '
: et ils Christ; parce que par le principe même de
savent que tout ce qui a été figuré etprophé- vérité que j'ai tant de fois exposé selon la me-
en actes, soit
tisé là, soit en cérémonies du sure de mes forces, la loi et les Prophètes que
en formules de langage, s'est ac-
culte, soit le Christ est venu, non abolir, mais accom-
compli dans le Christ et dans l'Eglise. Par plir, sont les mêmes que ceux que maintient
conséquent ni nous ne nous livrons à une l'autorité catholique.
' Malt. XXII, 40.
LIVRE DIX-NEUVIEME.
Fanste objectant que les cbréliens ont cependant aboli la loi .juive. Augustia montre ce qu'ils en ont rejeté comme accompli
et ce qu'ils en ont conservé comme perfectionné. Longs détails. — —
Les perfectionnements de la loi nouvelle étaient déj
contenus en germe dans la loi ancienne. — Sur la loi des anciens justes. — Le royaume des cieux.

CHAPITRE PREMIER. Gentils, que le même Paul nomme naturelle :

a En effet », dit-il, « les Gentils font naturel-


QrBL SENS LE CHRIST A-T-IL ATTACHÉ A CES
« lement ce qui est selon la loi, et n'ayant
PAROLES « JE RE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC.
: »
pas de loi de ce genre, ils sont à eux-mêmes
Fauste. a Je ne suis pas venu abolir la « la loi montrant ainsi l'œuvre de la loi
:

a loi et les Prophètes , mais les accomplir». 8 écrite en leurs cœurs ' » La troisième es- .

Cela a été dit : soit, j'y consens. Il n'en reste pèce de loi est la vérité, que l'Apôtre désigne
pas moins à chercher pourquoi Jésus a fait également quand il dit « Car la loi de l'esprit :

cela si c'était pour apaiser la fureur des


: « de vie, qui est dans le Christ Jésus, m'a af-

Juifs qui s'indignaient de le voir fouler aux « franchi de la loi du péché et de la mort * ».

pieds ce qu'ils avaient de plus sacré ;


qui le Or, puisqu'il y a trois lois, quand Jésus nous
considéraient comme un homme impie, aux affirme qu'il n'est pas venu abolir la loi, mais
doctrines malsaines, qu'on devait non-seule- l'accomplir il ne faut pas une médiocre at-
:

ment ne pas suivre, mais pas même écouter; tention ni une médiocre habileté pour savoir
ou si c'était pour nous faire la leçon, à nous de laquelle il parle. 11 y a également des pro-
païens convertis à la foi, et nous apprendre à phètes hébreux, des prophètes païens et des
supporter avec patience et docilité le joug im- prophètes de la vérité. Les premiers ne sont
posé par la loi et les Prophètes des Juifs. Pour pas en question, chacun les connaît. Quant
ceci, je suis convaincu que vous ne l'admettez aux prophètes païens, celui qui doute de leur
pas; Aous ne croyez yjas que Jésus ait pro- existence n'a qu'à écouter Paul écrivant à Tite
noncé ces paroles pour nous livrer à la loi et à propos des Cretois « Un d'entre eux, leur :

aux Prophètes des Juifs. Or, si ce n'est pas « propre prophète, a dit : Les Cretois sont
cette dernière raison qui Ta déterminé à tenir « toujours menteurs, méchantes bêtes, ventres
ce langage, c'est donc la première que j'ai a paresseux ' ». On ne peut donc pas, d'après
dite plus haut. Car personne n'ignore que les cela, douter que les Gentils n'aient aussi leurs
Juifs ont constamment et violemment attaqué prophètes. Mais que la vérité ait les siens, Paul
le Christ, soitdans ses paroles, soit dans ses et même Jésus nous l'apprennent. Jésus dit
actions. Comme les unes et les autres leur en effet : « Voici que je vous envoie des sages
faisaient supposer qu'il abolissait leur loi et B et des Prophètes, et vous en tuerez dans di-
leurs Prophètes, ils devaient nécessairement vers lieux * » : et Paul : a Le Seigneur lui-
s'en irriter aussi était-il à propos
; pour ,
B même a établi d'abord des Apôtres, et ensuite
apaiser leur colère, qu'il leur dît de ne pas a des Prophètes ^ ».

penser qu'il fût venu pour aboli'- la loi , mais


bien pour l'accomplir. Et en cela il ne men-
CHAPITRE HI.

tait pas, il ne les trompait pas : car il parle


CES PAROLES a JE NE SUIS P.iS VENU, ETC.
: »,
de loi , sans distinction et d'une manière ab- s'appliquent a la LOI ET AUX PROPHÈTES
solue. DE LA VÉRITÉ.
CHAPITRE II.

Donc, puisqu'il y a trois espèces de lois et


TROIS ESPÈCES DE LOIS, SEL0>' FAUSTE.
trois espèces de prophètes, et qu'on ne voit
Or, il y a de lois. La première
trois espèces pas clairement desquels Jésus a voulu parler,
est celle des Hébreux, que Paul appelle loi de il est cependant permis de le conjecturer
péché et de mort '. Il y a ensuite la loi des Uom. — Id. vm, — Tu. 12. _ '
II, 14, 15. 2. • r, Malt, x.xiii,
' nom. viii, 2. 31. — ' I Cor. XII, 28 ; Eph. iv, II.
LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONNÉE, 269

d'après ce qui s'est passé ensuite. En effet, s'il a tère, s'il en épouse ensuite une autre '
».

avait tout d'abord nommé la circoncision , le Evidemment, ce sont là des commandements


sabbat, les sacrifices et les autres rites propres de Moïse, et, pour cela, ils sont abolis; les
aux Hébreux, et qu'il eût parlé de quelque autres étaient ceux des anciens justes, et, à
chose tendant à les accomplir, on ne pourrait cause de cela, ils sont complétés. Si tu adoptes
pas douter qu'il eût vraiment en vue la loi et cette interprétation, tu comprendras l'à-pro-
les Prophètes des Juifs, quand il disait qu'il pos avec lequel Jésus a dit qu'il est venu, non
était venu, non pour les abolir, mais pour les abolir la loi, mais l'accomplir. Que si cette ex-
accomplir. Mais comme il n'en fait aucune plication ne te convient pas, cherches-en une
mention, qu'il se contente de rappeler les pins autre. Seulement, ne te mets pas dans la né-
anciens commandements : « Tu ne tueras cessité de dire ou que Jésus a menti, ou que
a point, tu ne commettras point d'adultère, tu es obligé de te faire juif, pour cesser de
« tu ne te parjureras pas », et que ces com- détruire la loi qu'il n'a point abolie lui-
mandements étaient de toute antiquité con- même.
nus chez les nations, ainsi qu'il est facile de CHAPITRE IV.
le prouver, puisqu'ils ont été promulgués par
CERTAINS JUIFS POURRAIENT SEULS TENIR LE
Enoch, Seth et les autres justes de cette espèce
LANGAGE QUE TIENT AUGUSTIN.
à qui les principaux des anges les avaient fait
connaître pour adoucir les mœurs sauvages Si seulement c'était un de ces Nazaréens,
des hommes : cela étant, dis-je, qui ne voit que d'autres appellent Symmaques, qui m'ob-
que le Christ a parlé ici de la loi et des Pro- jectât que Jésus a déclaré qu'il n'était point
phètes de la véritéEnsuite il est également ? venu abolir la loi, je serais un peu embar-
facile de prouver que l'accomplissement se rassé de lui répondre. Et ce ne serait pas sans
trouve précisément dans ce que le Christ a raison : car cet homme viendrait à moi, en-
ajouté. Que Vous avez en-
dit-il, en effet ? « veloppé pour ainsi dire de la loi et des Pro-
« tendu qu'il a été dit aux anciens Tu ne tue- : phètes. En effet, ces Symmaques, tout en fai-
« ras point mais moi je vous dis de ne pas
; sant profession de christianisme, portent la
« même vous fâcher » voilà l'accomplisse- : marque de la circoncision, observent le sab-
ment. « Vous avez entendu qu'il a été dit aux bat, s'abstiennent de la chair de porc et des
anciens Tu ne commettras point d'adul-
: autres aliments interdits par la loi : trompés,
« tère mais moi je vous dis de ne pas même
; à ce qu'il paraît, par ce même chapitre qui te
« convoiter » : voilà l'accomplissement. « Il a trompe toi-même, où le Christ affirme qu'il
« été dit : Tu ne te parjureras pas ; et moi je n'est point venu abolir la loi, mais l'accom-
« vous dis de ne pas même jurer » : voilà en- plir. Avec ceux-là, je le répète, j'aurais un
core l'accomplissement. Par confirme le là, il rude combat à soutenir pour me dégager des
passé et ajoute ce qui lui manquait. Mais s'il difficultés que présente ce chapitre; mais je
a quelquefois semblé parler de ce qui était ne crains pas d'engager la bataille avec toi,
propre aux Juifs, ce n'était pas pour le com- qui n'as point de confiance en tes forces, qui
pléter, mais pour le détruire par des prescrip- ne me provoques guère que par impudence,
tions contraires. Que dit-il en effet à la suite? plutôt pour m'éprouver, je pense, que pour
« Vous avez entendu qu'il a été dit OEil pour : m'obliger à croire que le Christ a réellement
« œil et dent pour dent; et moi je vous dis : dit ce que je sais que tu ne crois pas toi-
« Si quelqu'un vous frappe sur lajoue droite, même. En effet, en m'objectant ce chapitre,
« présentez-lui encore l'autre » Voilà déjà une . tu ne produis aucun argument pour démon-
abrogation. « 11 a été dit Tu aimeras ton ami : trer que la loi et les Prophètes ne sont pas
« et tu haïras ton ennemi mais moi je vous ; abolis, mais accomplis seulement, tu en ;

a dis Aimez vos ennemis et priez pour ceux


: prends occasion de me traiter de lâche et de
« qui vous persécutent ». C'est encore une prévaricateur. Serait-ce que tu te glorifierais
abrogation. « Il a été dit Que celui qui ren- :
de porter la marque impure de la circonci-
a voie sa femme, lui donne un acte de répu- sion, comme ou
nazaréen? Es-tu
le juif le
diation et moi je vous dis que quiconque
; fier d'observer le sabbat? Ta conscience te
« renvoie sa femme, hors le cas d'adultère, la rend-elle le doux témoignage que tu t'abs-
a rend adultère, et devient lui-même adul- ' Matt. V, 21-44.
270 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.
liens de la chair de porc? Triomplies-tu d'aise de me faire juif. Mais le vénérable symbole
d'avoir saturé le dieu des Juifs du sang des de Manès m'a sauvé de ce péril.
victimes et de la fumée des holocaustes ? Si
non, à quoi bon tant d'efforts pour prouver CHAPITRE VI.

que le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais SI LE CHRIST n'est PAS VENU ABOLIR LA LOI,
l'accomplir?
POURQUOI LES CATHOLIQUES l'ABOLISSENT-ILS
CHAPITRE V.
EN PRATIQUE ?
GBACE A LA DOCTRINE DE MANÈS, FAUSTE NE s'EST
Cependant je voudrais bien savoir sur quoi
PAS FAIT JUIF.
tu t'appuies pour m'objecter ce passage, ou
pourquoi je rends d'incessantes ac-
C'est pourquoi tu t'imagines qu'il ne combat que
tions de grâces à mon maître, de ni'avoir re- moi, tandis qu'il ne t'est pas moins contraire.
tenu sur cette pente, en sorte qu'aujourd'hui Si ce n'est pas l'affaire du Christ d'abolir la
je suis chrétien. Car moi aussi en lisant , loi et les Prophètes, ce n'est certainement pas
comme toi ce chapitre en aveugle, j'avais non plus celle des chrétiens. Pourquoi donc
presque formé le dessein de me faire juif. Et les abolissez-vous? Est-ce un aveu tacite que
ce n'était pas sans raison : car si le Christ est vous n'êtes pas chrétiens? Pourquoi profanez-
ve«u accomplir la loi et non l'abolir, comme vous par toute sorte de travaux ce jour du
le mot remplir ne s'applique pas à un vase sabbat, si saint aux yeux de la loi et de tous
vide, mais à un vase demi plein, l'israélite les Prophètes, ce jour oii ils attestent que Dieu
seul me semblait capable de devenir chrétien, même, l'architecte du monde, s'est reposé '
;

lui qui, déjà plus qu'à moitié rempli par la et cela sans vous soucier de la peine de mort
loi et les Prophètes, viendrait au Christ pour établie contre les profanateurs, sans redouter
recevoir un complément dont il paraîtrait l'infamie attachée à la malédiction? Pourquoi
d'autant plus susceptible ; à condition cepen- écartez-vous de votre corps ce signe honteux
dant de ne pas se dégager des premières ob- de en si grand honneur dans
la circoncision,
servances ; car autrement ce ne serait plus la loi et Prophètes, notamment aux
chez les

complément, mais épuisement qu'il faudrait yeux d'Abraham après la prétendue épreuve
dire. Quant à moi, sorti du sein de la genti- de sa foi surtout quand Dieu lui-même
:

lité, je me figurais faussement être venu au ordonne d'exterminer du milieu de son


Christ, puisque je n'apportais rien qui pût peuple, quiconque ne porte pas ce sceau d'i-
recevoir un complément de sa part. En cher- gnominie ^ ? Pourquoi négligez-vous ces sa-
chant donc en moi la première moitié de la crifices légaux, que Moïse et les Prophètes
mesure, je ne trouvais que le vide : sabbat, sous l'empire de la loi, qu'Abraham lui-même,
circoncision, sacrifices, néoménies, ablutions, guidé par sa simple foi, plaçaient au premier
azymes, distinction entre les aliments, bois- rang des devoirs? Pourquoi souillez - vous
sons, vêtements, et une foule d'autres choses votre âme en usant sans distinction de toute
qu'il serait long de détailler, tout avait dis- espèce d'aliments, puisque le Christ est venu

paru. Je pensais donc que c'était cela, et non non pour mais pour accomplir tout
abolir,
autre chose que le Christ déclarait être venu cela ? Pourquoi ce mépris impie pour l'usage
non abolir, mais accomplir. Et je raisonnais annuel des azymes, et pour l'immolation de
juste car qu'est-ce que la loi sans les com-
: l'agneau pascal, quand la loi et les Prophètes
mandements ? Qu'est-ce que les Prophètes veulent qu'on les observe à perpétuité ? Et
sans les prophéties? De plus, je retrouvais ici ces néoménies, ces ablutions, cette fête des
les malédictions amères lancées contre ceux tabernacles et les autres observances char-
(juine persévéreraient pas dans l'observation nelles prescrites par la loi et les Prophètes,
de ce qui est écrit dans le livre de la loi '. pourquoi les battez-vous, pour ainsi dire, en
Ainsi, craignant, d'un côté, une malédiction brèche, si le Christ ne leur a pas porté la plus
(juasi divine; entendant, de l'autre, le Christ, légère atteinte ? J'ai donc raison de dire que

le Fils de Dieu, affirmer qu'il n'est pas venu si vous voulez rendre raison de ce mépris,
abolir toutes ces choses, mais les accomplir : vous êtes forcés ou de renoncer à vous dire
vois toi-même si rien pouvait m'em pêcher disciples du Christ, ou d'avouer qu'il a été le
' Deut. XXVII, 2G.
' Oea. II, 2. — ' Id. xvii, 9-14.
LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONNÉE. 271

premier à détruire tout cela. Et la consé- gation du commandement saint, juste et bon,
quence de cet aveu sera que vous conveniez, avaitrendu coupables de rébellion des orgueil-
ou que le chapitre où il est écrit que le Christ leux qui présumaient beaucoup d'eux-mêmes ;

a dit n'être pas venu pour abolir la loi, mais afin que, humiliés par là, ils apprissent à
pour l'accomplir, est faux ou que ces paroles ;
recourir à la grâce par la foi pour n'être ,

ont un je ne sais quel autre sens, fort éloigné plus soumis à la loi par la prévarication ,

de celui que vous y attachez. mais associés à la loi par la justice. En effet,
le même Apôtre dit « Avant que la foi vînt, :

CHAPITRE Vil. « nous étions sous la garde de la loi, réscr-


« vés pour celte foi qui a été révélée ensuite.
c'est la loi mosaïque que le christ est venu,
« Ainsi », ajoute- t-il, « la loi a été notre péda-
non abolir, mais accomplir.
« gogue dans le Christ Jésus ; mais la foi

Axigttstin.que tu conviens que le


Dès a étant venue, nous ne sommes plus sous le pé-

Christ a dit a Je ne suis pas venu abolir


: « dagogue '
» ;
parce que, étant affranchis par
« la loi ou les Prophètes, mais les accom- la grâce, nous ne sommes plus liés par la
« plir » (et il te semblerait dur de re-
' prévarication de la loi. En effet, avant que
pousser l'autorité de l'Evangile ne trouve : nous fussions humiliés et reçussions la grâce
donc pas moins dur de contredire l'Apôtre qui spirituelle, la lettre, en nous commandant ce
nous dit: « Toutes ces choses ont été des que nous ne pouvions exécuter, ne faisait que
« figures de ce qui nous regarde - » et , nous donner la mort. C'est pourquoi le même
encore, à propos du Christ: « Il n'y a pas eu Apôtre dit a La lettre tue, mais l'esprit vivi-
:

en lui oui et non, mais oui en effet, toutes : a fie * ». Et encore « Car si une loi eût été :

« les promesses de Dieu sont en lui le oui' », « donnée qui pût vivifier, la justice viendrait
c'est-à-dire sont réalisées, accomplies en lui) : « vraiment de la loi mais l'Ecriture a tout ;

dès lors, dis-je, tu verras clairement quelle « renfermé dans le péché, afin que la promesse

est la loi qu'il a accomplie et comment il l'a « fût accomplie par la foi en Jésus-Christ en

accomplie. Tu seras dispensé de te promener « faveur des croyants ' ». Il dit encore « Car :

à travers trois espèces de lois et trois espèces CI ce qui était impossible à parce qu'elle la loi,

de Prophètes, en cherchant une issue pour « était affaiblie par la chair. Dieu, en envoyant
Car il est manifeste,
sortir, sans la trouver. « son Fils dans une chair semblable à celle
et le lui-même nous
Nouveau Testament « du péché condamné le péché dans la
, a
l'atteste souvent en termes plus clairs que la « chair par péché même, afin que la jus-
le
lumière du soleil, quelle est la loi quels ,
« tice de la loi s'accomplît en nous, qui ne
sont les Prophètes que le Christ est venu, non « marchons point selon la chair, mais selon
mais accomplir. C'est la loi même qui,
abolir, «l'esprit*». Voilà ce que signifie: « Je ne
donnée par Moïse, est devenue la grâce et « suis pas venu abolir la loi, mais l'accom-
la vérité par Jésus-Christ'. C'est, dis-je, la « plir». Car comme la loi, en aggravant le
loi donnée par Moïse, duquel le Christ a dit: péché, rendait les hommes orgueilleux cou-
« Car c'est de moi qu'il a écrit * ». C'est cer- pables du crime de rébellion, parce qu'elle
tainement cette loi qui est survenue pour leur commandait ce qu'ils ne pouvaient exé-
que le péché abondât ^ : ce que vous avez cuter la justice de la loi elle-même s'est
,

l'habitude de lui reprocher, dans votre inintel- accomplie chez ceux qui apprennent à être
ligence. Lisez donc ce passage et voyez que doux et humbles de cœur, par la grâce de
c'est d'elle qu'on dit : « Ainsi la loi est sainte, l'esprit du Christ qui est venu non abolir la
« et le commandement bon. saint, juste et loi, mais l'accomplir. Et comme il est difficile
« Ainsi ce qui est bon est donc devenu pour en cette vie mortelle, à ceux mêmes qui sont
« moi la mort ? Loin de là. Mais le péché, sous l'empire de la grâce, d'accomplir en
B pour paraître péché, a, par une chose bonne, tout sens ce qui est écrit dans la loi « Tu ne :

« opéré pour moi la mort '


». Car la loi ne a convoiteras pas '^
» , le Christ, devenu prê-
commandait pas le péché, pour que, elle sur- tre par le sacrifice de sa chair, nous obtient
venant, le péché abondât ; mais la promul- l'indulgence et , en cela même , accomplit
' Malt. V, 17. — • I Cor. x, 6. — II Cor. i, 20, 21. — '
Jean i, ' Gai. m, 23-23. — ' II Cor. m, 6. — '
Gai. m, 21 22. — •
Rom.
— —
,

17. ' Id. T, 46. — ' Rom. V, 20. ' Id. TU, 12, 13. Tlu, 3, 4. — ' El. IX, 17.
,
.

272 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

encore la loi ; afin que ce qui nous est diffi- pas la lettre qui commandait. De même toute
cile à cause de notre faiblesse, nous soit prophétie renfermée dans la loi , et qui pro-
accordé par la perfection de celui qui est notre mettait l'arrivée du Sauveur, non-seulement
chef et dont nous sommes les membres. Ce en paroles, mais aussi en actions figuratives,
qui fait Mes petits enfants, je
dire à Jean : « est devenue la vérité par Jésus-Christ. Car
« vous écris ceci pour que vous ne péchiez la loi a été donnée par Moïse mais la grâce ;

« point; cependant, si quelqu'un pèche, nous « et la vérité sont venues par Jésus-Christ ». '

« avons pour avocat auprès du Père, Jésus- C'est depuis son avènement que le royaume
a Christ le juste; et il est lui-même expiation du Dieu a commencé à être annoncé; parce
« pour nos péchés '
». que « la loi et les Prophètes ont duré jusqu'à
a Jean » la loi pour faire des coupables qui
;

CHAPITRE VllI. soupirassent après le salut les Prophètes ;

LES RITES PROPHÉTIQUES CESSENT d'ÈTRE OBSER- pour promettre le Sauveur. Du reste, qui ne
PARCE QUE LEUR BUT EST REMPLI. sait qu'il y a encore eu d'autres Prophètes
^'iS,
dans l'Eglise après l'ascension du Christ? C'est
a accompli les prophéties, parce qu'en
Or, il de ceux-ci que Paul dit: o Ainsi Dieu a éta-
lui les promesses de Dieu se sont réalisées. « bli dans l'Eglise premièrement des Apôtres,

J'ai déjà rappelé plus haut le mot de l'Apôtre : « secondement des Prophètes, troisièmement

« Car toutes les promesses de Dieu sont en lui « des Docteurs ^ », et ainsi du reste. Ce n'est

« le oui ». Le même dit encore « Car je dis : pas d'eux qu'il est dit : o La loi et les Pro-
((que le Christ a été le ministre de la circon- « phètes ont duré jusqu'à Jean », mais de ceux
« cision pour justifier la véracité de Dieu, et qui ont prophétisé le premier avènement du
« confirmer les promesses faites à nos pères ^ » Christ lequel avènement ayant eu lieu, ne
:

Donc , tout ce qui a été promis dans les Pro- peut évidemment plus être prophétisé.
phètes, soit ouvertement, soit en figures, soit
en paroles, soit en actions, s'est accompli en CHAPITRE IX.

celui qui est venu, non abolir la loi et les


POURQUOI LE CHRÉTIEN n'OBSERVE PLUS LA CIR-
Prophètes, mais les accomplir. Or, ce que vous CONCISION NI LE SABBAT.
ne comprenez pas, c'est que, si les chrétiens
observaient encore certains rites , certaines Par conséquent, quand tu demandes pour-
cérémonies qui étaient la figure de l'avenir, quoi le chrétien ne se circoncit pas dans sa
cela signifierait simplement que les choses chair, puisque le Christ n'est pas venu abolir
prédites par ces figures ne seraient pas encore la loi, mais l'accomplir, je réponds Le chré- :

arrivées. En effet, ce qu'on annonce comme à tien ne se circoncit plus précisément parce
venir, n'est pas encore arrivé, ou, si c'est que le Christ a accompli ce que la circonci-
arrivé, l'annonce qu'on en fait est inutile ou sion prophétisait. En effet, le dépouillement
mensongère. Ainsi donc ce qui vous fait de la génération charnelle, dont cette opéra-
croire que le Christ n'a pas accompli les Pro- tion était la figure, a été accompli par la ré-
phètes, à savoir parce que les chrétiens n'ob- surrectiondu Christ, et le sacrement de
servent plus certains rites imposés aux Hé- Baptême nous est un gage qu'il en sera de
breux par les Prophètes, c'est précisément ce même dans notre résurrection. Car le sacre-
qui prouve qu'il les a accomplis. En elfet, ce ment de la vie nouvelle n'a pas dû tout à fait
que ces figures prophétisaient est si bien ac- disparaître, parce que la résurrection des morts
compli, qu'elles ont cessé d'être des prophé- est encore pour nous un événement à venir :
ties. C'est ce que le Sauveur exprime quand et cependant il a dû faire place à quelque

il dit « La loi et les Prophètes ont duré


: chose de mieux quand le baptême est venu,
« jusqu'à Jean ^ ». Car la loi qui renfermait parce qu'alors il s'est passé un fait qui n'avait
les prévaricateurs sous l'abondance du péché pas encore eu lieu que la résurrection: c'est

en vue de la foi qui a été révélée ensuite, est du Christ nous a offert un modèle de ce que
devenue la grâce par Jésus-Christ, par qui la sera la vie éternelle. Quand tu demandes i)our-
grâce a surabondé et ainsi la grâce qui ; quoi le chrétien n'observe pas le repos du
aIVranchit, a accompli ce que n'accomplissait sabbat, puisque le Christ n'est pas venu abo-
' 1 Jcjn, II, 1, 2, — ' Rom. xv, 8. — ' Luc, xvt, 16. ' Jean, i, 17. — ' 1 Cot. xii, 2«.
.

LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONNÉE. 273

lir la loi, mais l'accomplir, je te répontls que ménies prescrites par la loi, puisque le Christ

letliiélien n'observe pas le repos du sabbat n'est pasvenu abolir la loi, mais l'accomplir,
précisément parce que accompli le Cbrist a je réponds que le chrétien ne les célèbre plus,
:

ce que celte figure Car nous prophétisait. parce que le Christ a rempli le but prophéti-
trouvons le sabbat (le repos) en celui qui a que pour lequel on les célébrait. Caria fête de
dit « Venez à moi, vous tous qui prenez de
: la nouvelle lune figurait par avance la nou-
« la peine et qui êtes chargés, et je vous sou- velle vie, dont l'Apôtre dit a Si donc il est :

alagerai; prenez mon joug sur vous, et ap- a une créature nouvelle dans le Christ, les
« prenez de moi que je suis doux et humble a choses anciennes ont passé voilà que tout :

« de cœur, et vous trouverez du repos pour « est devenu nouveau' ». Quand tu demandes
« vos âmes ' » pourijuoi le chrétien ne pratique pas les ablu-
tions prescrites par la loi pour diverses espèces
CHAPITRE X.
d'impuretés, puisque le Christ n'est pas venu
POURQUOI LB CnRÉTlEX N'OBSEUVE PLUS LA DIS- abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds :

tinction entre les aliments, les sacrifices que le chrétien ne les observe plus, précisé-
d'animaux, la paûue, etc.... ment parce qu'elles étaient les figures de
Quand tu demandes pourquoi le chrétien l'avenir et que le Christ les a accomplies. Car
n'observe pas la distinction établie par la loi il est venu nous ensevelir avec lui dans le

entre les aliments, puisque le Christ n'est pas baptême, nous y faire mourir, afin que, comme
venu abolir la loi, mais l'accomiilir, je ré- le Christ est ressuscité des morts, nous aussi

ponds que : le chrétien n'observe pas cette nous marchions dans une nouveauté de vie -.
distinction, parce que le but même de cette Quand tu demandes pourquoi la fête des Taber-
ligure prophétique est déjà rempli par le nacles n'est pas solennisée par les chrétiens
Christ, qui n'admet point dans son corps, puisque la loi a été, non abolie, mais accom-
qu'il a prédestiné à la vie éternelle dans ses plie par le Christ, je réponds que le taber-
:

saints , tout ce que les animaux immondes nacle de Dieu, ce sont les fidèles, unis et en
figuraient par avance dans la conduite des quelque sorte resserrés par la charité, dans
hommes. Quand tu me demandes pourquoi le lesquels il daigne habiter; et que la raison
chrétien n'offre point à Dieu par l'immolation pour laquelle les chrétiens ne célèbrent plus
des animaux, des sacrifices de chair et de cette fête, c'est que le Christ a accompli dans
sang, puisque le Christ n'est pas venu abolir son Eglise ce que promettait cette figure pro-
la loi, mais l'accomplir,réponds : que le je phétique.
chrétien doit surtout s'abstenir désormais de CHAPITRE XI.
sacrifices de ce genre, parce que le Christ a
l'avènement du CHRIST A MIS FIN A TOCS LES
accompli, par l'immolalion de sa chair et de
RITES QUI l'annonçaient.
son sang, tout ce que prophétisaient ces '

figures en action. Quand tu demandes pour- Nous avons traité ces questions, d'après
quoi le chrétien ne conserve pas l'usage des notre plan, le plus brièvement possible, et
azymes, puisque le Christ n'est pas venu abo- pour ne pas les passer absolument sous silence.
lir la loi, mais l'accomplir, je réponds: que Du reste on les a discutées en détail et article
c'est parce que le Christ a rempli le but même par article dans des livres considérables et
de cette figure prophétique, en purifiant du nombreux, qui démontrent que le Christ était
vieux levain et en faisant apparaître une vie l'unique objet de ces prophéties. De là il ré-
nouvelle '. Quand tu demandes pourquoi le sulte que, tandis que vous vous imaginez que
chrétien ne célèbre [)lus la pàque avec la tous ces rites prescrits dans l'Ecriture ne sont
chair d'un agneau, puisque le Christ n'est pas plus observés par les chrétiens et que le ,

venu abolir la loi, mais l'accomplir, je ré- Christ les a abolis, ils ne le sont plus juste-
ponds que le chrétien ne célèbre plus cette
: ment parce qu'il les a tous accomplis. En effet,
espèce de pàque, parce que le Christ, Agneau l'observation. de ces symboles était l'annonce
sans tache, a accompli par sa passion ce que du Christ. Qu'y a-t-il donc d'étonnant, qu'y
cette figure prophétisait. Quand tu demandes a-t-il d'absurde, ou plutôt quelle raison et

pourquoi le chrétien ne célèbre plus les néo- quelle convenance n'y a-t-il pas, à ce que tout
• M«tl. ïl, 28, 29. — ' 1 Cor. ï, 7. ' Il Cor. V, 17. — Itûm. vi, 4.

S. Auc. — ToiiE X!V. 48


27 i CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

ce qui pour annoncer l'avéne-


se pratiquait avènement, ils ont disparu, et ils ont disparu
ment du Clirist, avènement ?
cesfe après cet parce qu'ils étaient accomplis ; car le Christ
Il ne faut donc pas s'imaginer que. parce que n'est pas venu abolir
mais l'accomplir la loi, :

depuis l'ayénement du Christ on ne pratique et d'autres ont été institués^ d'une vertu plus

plusces rites fi guratifs, prophéties de cet avène- efficace, d'une utilité plus grande, plus faciles

ment, il.< n'ont pas été accomplis parle Christ; à pratiquer, d'un nombre moins considérable,
c'est que, tout au contraire, s'ils n'avaient pas qui sont comme la justification de la foi révélée,
été accomplis par l'avénement du Christ, on et destinés aux enfants de Dieu qui ont été ap-
les observerait encore. Or, les hommes ne pelés à la liberté et délivrés du joug de la ser-
sauraient être unis en un corps de religion vitude ', lequel convenait à un peuple indocile
vraieou fausse, sans être liés par une com- et livré à la chair.

munauté de signes ou de sacrements visibles :

sacrements dont la puissance est inexprimable CHAPITRE XIV.


et dont le mépris fait les sacrilèges. Car on ne si les anciens justes ont SOUFFERT POUR LEUR
méprise pas sans impiété ce qui est nécessaire LOI, A PLUS FORTE RAISON DOIT-ON SOUFFRIR
pour former la piété. POUR LA NOUVELLE. LA PROMESSE DE LA VIE
ÉTERNELLE DEJA RÉALISÉE DANS LE CHRIST.
CHAPITRE XII.

Cependant si les anciens justes, qui savaient


les impies participent aux sacrements, mais
que ces sacrements étaient l'annonce prophé-
n'ont point la charité.
tiquedela foi qui devait être un jour révélée,
Cependant comme les impies peuvent par- vivaient de cette foi même, laquelle, bien
ticiper aux sacrements visibles destinés à for- qu'obscure et cachée , était néanmoins sen-
mer la piété, puisque nous lisons que Simon sible pour leur personne ici-bas ne
piété (car
le Magicien lui-même avait reçu le saint peut être juste, sans vivre de la foi '); si, dis-je,
baptême ', il faut alors les ranger parmi ceux ces justes étaient prêts à souffrir et ont même,
dont parle l'Apôtre « Ayant une apparence: pour la plupart, souffert les tourments les
a de piété, mais en repoussant la réalité' ». plus durs et les plus affreux, pour ces sacre-
Or, la réalité delà piété est le but même du ments prophétiques figures d'événements ,

précepte, c'est-à-dire la charité qui vient d'un non encore accomplis si nous exaltons les ;

cœur pur, d'une bonne conscience et d'une trois enfants et Daniel, parce qu'ils n'ont pas
foi non feinte '. C'est pourquoi l'apôtre Pierre voulu se souiller en mangeant des mets de la
parlant du sacrementde l'Arche dans laquelle tabledu roi ', ce qui était contraire au sa-
la famille de Noé fut sauvée du déluge, dit : crement de ce temps-là si nous professons la ;

« Ce qui vous sauve vous-mêmes, c'est un ])lus grande admiration pour les Machabées,
«baptême semblable ». Et pour que les fi- parce qu'ils n'ont pas voulu toucher à des
dèles ne crussent pas que c'était assez du viandes dont l'usage est aujourd'hui permis
sacrement visible qui leur donnait l'apparence aux chrétiens *, parce que cela était défendu
de la piété et qu'ils n'en repoussassent pas la à cette époque toute prophétique à combien :

réalitépar une vie coupable et des mœurs cor- |)lus forte un chrétien doit-il être prêt à
raison
romjiues, il ajoute aussitôt : « Non pas une tout souffrir pour le baptême du Christ, pour
« purification des souillures de la chair, mais l'Eucharistie du Christ, pour le signe du Christ,
l'engagement d'une bonne conscience *». quand, d'un côté, il n'y avait que des pro-
messes d'avenir, et que, de l'autre, ce sont des
CHAPITRE XIII. |)reuves que les promesses sont accomplies ?

SACREMENTS DE LA LOI NOUVELLE SUBSTITUÉS Car ce qui est encore promis à l'Eglise, c'est-
A CEUX DE l'ancienne. à-dire au corps du Christ, est annoncé comme
déjà manifesté, et est certainement déjà ac-
Par conséquent,
les premiers sacrements qui compli dans le chef même et le Sauveur du
étaient observés et célébrés d'après la loi, corps, c'est-à-dire dans Jésus-Christ homme,
étaient des [irophéties annonçant la venue du médiateur entre Dieu et les hommes '. Que
Christ le Christ les ayant accomplis par son
;
' Gai. V, 1, 13. — • Rom. 1, 17, — ' Dau. i, 8. — ' Il Mac. vu. —
• Aci. vjii, 13.— 11 Ti«j. m, 5.- *
1 Tiœ. i, 5,— '
I Pet. iir, 21. ' 1
Tim. 11, V,
LIVRE XIX. — LA LOI PEIiFECTIONNÉE. 27.-)

promet-on, en effet, sinon la vie éternelle après sont accomplies par le rite évaflgélique ; ou
la résurrection des morts ? Or, cela est déjà qui pensent que, si les choses sont les mêmes,
accompli dans cette chair, qui a été le Verbe ou devrait, quand elles sont accomplies, les
fait chair et qui a habité parmi nous '. Alors annoncer au moyen des mêmes sacrements
donc la foi était occulte car tous les justes et : qui servaient à les prophétiser avant leur ac-
les saintsde ce temps-là croyaient les mêmes complissement. Car si les sons des mots qui
choses etespéraient les mêmes choses ; et tous forment le langage, varient selon le temps ; si
leurs sacrements et tous leurs rites sacrés n'é- on exprime différemment la même chose
taient que des promesses. Mais maintenant la quand elle est à faire ou quand elle est faite ;

foi a élé révélée, dans laquelle le peuple


la foi si ces deux mots mêmes : a devant être fait o,
était renfermé quand il était sous la garde delà et « fait B , n'ont pas la même quantité ,
loi': etcequiest promis auxfldèles pourlejour les mêmes lettres, les mêmes syllabes ni un
du jugement, est déjà accompli de fait, dans même nombre qu'y
d'étonnant qu'on
: a-t-il

la personne de Celui qui est venu, non abo- ait employé des signes et des rites différents
lir la loi et les Prophètes, mais les accomplir. pour promettre la passion et la résurrection
futures du Christ, et pour indiquer qu'elles
CHAPITRE XV. étaient accomplies puisque les mots mêmes
:

a futur » et a fait», « devant souffrir » et


QUESTIONS DIVERSES. CK N'eST POINT LE MOMENT
DE LES TRAITER. « ayant souffert », « devant ressusciter » et
« pu avoir la même lon-
ressuscité », n'ont
Ceux qui approfondissent les saintes Ecri- gueur ni se produire par les mêmes sons? Que
tures demandent, à cette occasion, si la foi au sont au fond les sacrements matériels, sinon
Christ devant souffrir et ressusciter un jour, des paroles rendues visibles, très-sainles il est
élait aussi utile aux anciens justes qui la pui- vrai, mais néanmoins sujettes à changement
saient dans quelques révélations ou dans les et dépendantes du temps ? Car Dieu est éter-
livres des Prophètes, que l'est aux fldèles nel, et cependant l'eau et toutes les cérémo-
d'aujourd'hui la foi au Christ quia souffert et nies qui se rattachent au baptême, se font, pas-
qui est ressuscité si l'effusion du sang de
; sent, et ne sont pas éternelles ; et, là encore,
l'Agneau qui a eu lieu, comme il le dit lui- ces syllabes passagères, ces sons rapides qui
même, a pour un grand nombre en rémission forment le mot « Deus, Dieu », ne produisent
« des péchés' », a servi à quelque chose, point l'effet sacré, si elles ne sont pas pronoa-
a rendu purs ou plus purs ceux qui y cées.Tout cela se fait et passe, tout cela bruit
croyaient comme à une chose à venir et sont et passe ; et cependant la puissance qui opère
sortis de cette vie avant qu'elle fût accomplie; en cela, demeure éternellement, et le feu spi-
et si la mort du Sauveur a étendu ses bien- rituel communiqué par là est aussi éternel.
faits jusqu'à ces justes au tombeau. Mais trai- Ainsi donc, celui qui dit : Si le Christ n'avait
ter maintenant cette question, la discuter, y pas aboli la loi et les Prophètes, les sacrements
démêler les éléments vrais et les étayer de prescrits par la loi et les Prophètes subsiste-
preuves, serait un travail de longue haleine raient et se célébreraient encore dans les as-
et qui n'est point nécessaire pour l'objet pré- semblées chrétiennes celui-là peut dire aussi ; :

sent. Si le Christ n'avait pas aboli la loi et les Pro-


CHAPITRE XVI. phètes, on annoncerait encore qu'il naîtra,
qu'il souffrira, qu'il ressuscitera ; tandis que ce
IL A FALLU DES RITES DIFFÉRENTS, UN AUTRE
qui prouve qu'il n'est pas venu abolir tout cela,
LANGAGE FOUR PROPHÉTISER CE QUI DEVAIT
mais l'accomplir, c'est qu'on ne promet plus
ARRIVER, ET INDIQUER CE QUI EST ACCOMPLI.
qu'il naîtra, qu'il souffrira, qu'il ressuscitera,
En attendant, qu'il de réfuter nous suffise ainsi que les anciens sacrements le signifiaient;
les calomnies que Fauste a avancées dans son mais qu'on annonce qu'il est né, qu'il a souf-
ignorance, de démontrer l'extravagante erreur fert, qu'il est ressuscité , comme l'indiquent
de ceux qui croient que, les signes et les sa- les sacrements célébrés chez l£s chrétiens.
crements étant changés, les choses promises Celui donc qui est venu, non abolir, mais
par le rite prophétique ne sont pas celles qui accomplir la loi et les Prophètes, a aboli, par
'Jean, i, 14. — ' Gai. m, 23. — '
Malt. ïjsvi, 28. cet accomplissemeutmémË, ce qui n'était que
27G CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

la promesse et le gage de l'accomplissement dans l'usage de ces sacrements, voulaient,


de ce qui est certainement accompli. C'est comme Timothée, y rester fidèles, on ne les
comme s'il faisait disparaître ces mots : Il en empêchait point; mais^s'ils s'imaginaient
naîtra, il souffrira, il ressuscitera, qui étaient que leur espérance et leur salut reposassent sur
justes quand il s'agissait du futur, et y sub- ces œuvres de la loi, on devait les en éloigner

stituait ceux-ci : Il est né, il a souffert, il est comme d'une mort assurée. C'est ce qui faisait
ressuscité, qui sont maintenant les seuls vrais, dire à l'Apôtre «Voici que moi, Paul, je vous
:

iniisque les autres sont accomplis et ont, pour « dis que si vous vous faites circoncire, le Christ
cela même, disparu. « ne vous servira de rien ». « Si vous vous '

«faites circoncire», bien entendu, comme ils le

CHAPITRE XVII. voulaient, comme des gens à qui des esprits


pervers avaient persuadé qu'ils ne pourraient
A QUI, PARMI LES PREMIERS CHRÉTIENS, LE JU-
être sauvés sans les œuvres de la loi '. En
DAÏSME ÉTAIT E^CORE PERMIS, A QUI IL ÉTAIT
effet, comme les Gentils venaient à la foi du
DÉFENDU.
Christ (surtout par la prédication de l'apôtre
Ainsi donc, comme ces paroles, les sacre- Paul), ainsi qu'ils devaient y venir, sans être

ments de l'ancien peuple ont dû disparaître surchargés d'observances de ce genre; comme


et se transformer, parce qu'ils avaient leur ces rites auxquels ils n'étaient point habitués,
accomplissement dans celui qui n'est pas venu et la circoncision, eussent détourné
surtout
abolir la loi et les Propbèles, mais les accom- de ceux qui étaient déjà avancés en âge;
la foi

plir. Et pour donner aux premiers cbrétiens, que leur naissance ne les disposait pas à pra-
convertis du judaïsme, le temps do s'en con- tiquer ces sacrements, en se faisant prosélytes
vaincre peu à peu et d'en avoir une parfaite à l'ancienne manière , comme si ces rites
intelligence, contrairement à une longue ha- mystérieux fussent encore chargés d'annoncer
bitude, aux projugés de la naissance et de le futur avènement du Christ; comme, dis-je,

l'éducation, les Apôtres leur permirent de ils venaient à la foi ainsi que des Gentils de-
conserver les rites et les traditions des an- vaient y venir ; ceux qui venaient de la cir-

cêtres, et en prévinrent ceux à qui cela était concision ne comprenant pas pourquoi on ne
nécessaire, afin de s'accommoder à la lenteur leur imposait pas les observances qu'on tolé-
de leur caractère et à leurs habitudes. Voilà rait chez eux , commençiiient à troubler

comment l'Apôtre circoncit lui-même Timo- l'Eglisepar certaines séditions charnelles ,

fhée, né d'une mère juive etd'un père grec, sous prétexte que les Gentils , en prenant
à cause de ceux chez qui il venait avec lui et place parmi le peuple de Dieu, n'étaient pas
qui se trouvaient dans le même cas ';et il tint d'abord devenus prosélytes par la pratique
cette conduite au milieu d'eux, non par dis- solennelle delà circoncision delà chair et des
simulation et pour tromper, mais par esprit autres observances de ce genre prescrites par
de précaution de prudence. En effet, pour
et la loi. Or, parmi ces gentils, il en était qui

des hommes nés et élevés dans de telles con- demandaient vivement à embrasser ces rites,
ditions, cesrilesétaientsansdanger,bien qu'ils parce qu'ils craignaient les Juifs au milieu
ne fussent plus nécessaires pour annoncer desquels ils vivaient. C'est contre ceux-là que
l'avenir. Il eût été bien plus dangereux de les Paul s'élève en beaucoup d'endroits de ses
défendre comme coupables à ceux jusqu'au écrits et Pierre même s'étant laissé aller à
:

temps de qui ils devaient durer; parce que le user en ce point de dissimulation , il lui
Christ, qui venu accomplir toutes ces
était adressa une correction fraternelle'. Mais après
propiiéties y avait trouvés ainsi initiés
, les ; que les Apôtres réunis ensemble eurent dé-
et, d'autre part, pour que ceux qui n'étaient cidé dans leur prudence qu'il ne fallait pas
point liés par de telles habitudes, mais qui obliger les Gentilsaux œuvres de la loi ', cette

venaient, comme d'un mur opposé, c'est-à-dire mesure déplut à certains Juifs devenus chré-
du milieu des incirconcis, à la pierre angu- tiens, quine savaient pas voir qu'on ne pouvait
laire (jui est le Christ', ne fussent pas astreints tolérer ces rites ijue chez ceux que la foi, ac-
à de telles obligations. Si donc ceux qui ve- tuellement révélée, y avait trouvés adonnés,
naient de la circoncision et qui étaient encore alin que l'opéialiou prophétique se consommât
' Art. vvi, 1-3. — • K|>h. II, 1 1, 20. '
Gai. V, '
Act. XV, 1. — ' Gai. M, II.—' AcI. AV, G-ll.
LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONiNÉE.

en ceux qui la pratiquaient déjà avant l'ac- trouver leur terme en ceux mêmes qui en
complissement même de la prophétie, et de étaient pénétrés, quand ils sont venus à la foi
peur que, sionlaleurinterdisait, ils ne la crus- du Christ qui a tout accompli? Est-ce
que les
sent plutôt désapprouvée qu'arrivée à terme ; chrétiens ne maintiennent pas ce qui est
tandis que, si on en faisait une loi aux Gentils, écrit o Ecoute, Israël
: le Seigneur ton Dieu :

on ou qu'elle n'avait pas été


i)Ourrait croire a est le seul Dieu tu ne te fabriqueras point
'
;

instituée en vue du Cbrist promis, jou qu'elle a d'idoles ù et tant d'autres choses de ce
,

continuait à être une promesse du Christ à ve- genre? Est-ce que les chrétiens n'observent
nir. Ainsi donc le premier peuple de Dieu, pas la défense a Tu ne prendras pas le nom
:

avant que le Christ vînt accomplir la loi et « du Seigneur ton Dieu en vain ?» Est-ce que

les Prophètes, avait ordre d'observer tout ce les chrétiens n'observent pas le sabbat, établi

qui était l'annonce prophétique de son avéne- comme symbole du véritable repos? Est-ce
nement : libre dans ceux qui connaissaient le qu'ils ne s'abstiennent pas de la fornication,
but où tout cela tendait, esclave dans ceux de l'homicide, du vol, du faux témoignage,
qui ne le comprenaient pas. Mais le peuple de la convoitise de la femme ou du biend'au-
nouveau, recevant la foi qui annonçait que le trui : toutes choses prescrites dans la loi '?
Christ était venu, qu'il avait souffert, qu'il Ici ce sont des préceptes moraux, et là des
était ressuscité, n'était ni obligé ni empêché rites renfermant des promesses les uns s'ac- ;

d'observer ces sacrements, dans la personne complissent avec l'aide de la grâce, les autres
de ceux qui les pratiquaient avant d'embrasser par la manifestation de la vérité mais les :

cette foi : mais il en était empêché dans ceux uns et les autres par le Christ, qui donne
qui, au moment où ils venaient à la foi, ne toujours cette grâce et la manifeste mainte-
connaissaient point ces pratiques, et n'y étaient nant ; qui promettait alors cette vérité et
tenus ni par naissance, ni par habitude, ni par maintenant la fait connaître puisque u la loi :

convenance aOn que par eux on commen-


; a a été donnée par Moïse, mais que la grâce
çât à voir que toutes ces œuvres avaient été a et la vérité sont venues par Jésus-Christ'».
instituées en vue de la promesse du Christ, et Enfin, ces préceptes, fidèlement conservés par
qu'elles devaient disparaître du moment que une conscience droite, sont accomplis parla
le Christ était venu et avait accompli les pro- foi qui agit par la charité mais ces rites, ;

messes. Mais cette prudence et ces sages mé- qui ne renfermaient qu'une promesse, ont
nagements, inspirés aux Apôtres par l'Esprit- passé, quand les faits promis ont eu lieu. Ils
Sainl, ayant déplu à certains Juifs devenus ne sont donc pas abolis mais accomplis , ;

croyants, qui ne les comprenaient pas, ils parce que le Christ, en accomplissant la pro-
persévérèrent dans la coupable pensée de messe qu'ils renfermaient, a démontré qu'ils
forcer les Gentils à pratiquer le judaïsme. Ce n'étaient ni inutiles, ni mensongers.
sont ceux-là que Fauste mentionne sous le
nom de Symrnaques ou de Nazaréens. On en CHAPITRE XIX,
trouve encore de nos jours, quoiqu'en très-pe- ERREUR DE FADSTE SUR CE POINT.
tit nombre.

CHAPITRE XVin. Fauste se trompe donc quand il affirme


que le Seigneur Jésus a accompli certaines
CE QIB LES CHRÉTIENS ONT GARDÉ DE LA LO!
choses qui avaient été dites aux anciens justes
AKCIENNE.
avant la loi de Moïse, comme par exemple :

Pourquoi donc ces sectaires calomnient-ils « Tu ne tueras pas » (précepte que le Christ :

la loi et les Prophètes, sous prétexte que le est loin de rejeter, puisqu'il le confirme, en
Christ est venu les abolir plutôt que les ac- défendant la colère et toute parole inju-
complir, et accusent-ils les chrétiens de ne rieuse *) mais qu'il en a aboli d'autres, qui
;

pas observer ce qui y est prescrit, quand les semblaient plu.s proprement appartenir à la
chrétiens n'en omettent que ce qui était une loi des Hébreux, comme par exemple o OEil :

promesse du Christ et l'omettent précisément « pour œil, dent pour dent », qu'il semble

parce que le Christ a accompli les promesses, avoir plutôt aboli que confirmé en disant :

que ce qui est accompli ne se promet plus,


' Dent. VI , 4. —Ex. xx ,
4-1 ". — ' Jean , i , 17. — * Ex. xx ,

et que tous ces signes prophétiques devaient 13 j Matl. V, 21 , 22.


278 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

moi je vous dis de ne point résister aux


El fendue, ou une autre défendue et ensuite
« mauvais traitements; mais si quelqu'un permise ? Tu ne porteras pas la folie jusque-
« vous frappe sur la joue droite, présentez- là. Mais quand tu le dirais, on te répondrait

« lui encore l'autre ' ». Car nous disons que que, d'après cette manière de voir, le Christ

ce que les Manichéens croient aboli par le ne serait pas venu combler les lacunes de la
Christ qui aurait établi des principes con- loi ancienne, mais créer une nouvelle loi;

traires, a été autrefois sagement institué pour puisqu'il eût été permis au temps des anciens
le temps, et est maintenant, non aboli, mais justes, de dire a Fou » à son frère, tandis que
accompli par le Christ. le Christ veut que ce soit une injustice telle
que quiconque prononce ce mot soit sou-
CHAPITRE XX. mis à la géhenne. Par conséquent, tu n'as pas
encore trouvé la loi à laquelle ces préceptes
CE n'est point la loi des anciens justes que le
cuRisT est venu accouplir.
aient fait défaut et que le Christ soit venu
accomplir en les y ajoutant.
Et d'abord, je demande aux Manichéens si
ces anciens justes, Enoch etSeth (ce sont ceux CHAPITRE XXI.
que Fauste se plaît surtout à citer) et tous LA LOI QUI DÉFEND L'aDULTÈRE ÉTAIT DÉJÀ
ceux qui ont pu non-seulement avant
exister,
COMPLÈTE CHEZ LES ANCIENS JUSTES.
Moïse, mais même
avant Abraham, se sont
lâchés sans raison contre leur frère ou lui ont Est-ce par hasard la loi qui défend l'adultère
dit « Fou? » S'ils ne l'ont pas dit, pourquoi
: qui aurait été incomplète chez les anciens
ii'ont-ils pas donné des enseignements en justes, jusqu'à ce que, pour la compléter, le
conséquence? Et s'ils en ont donné, je de- Seigneur venu défendre de porter sur
soit
mande comment a complété leur
le Christ une femme même un regard de convoitise?
justice et leur doctrine, en ajoutant o Et : Car c'est en ce sens que tu as rappelé ce pas-
u moi je vous dis que quiconque se met en sage « Vous avez entendu qu'il a été dit
: :

M colère contre son frère, ou lui dit Raca, ou : « Tu ne commettras pas d'adultère; mais je
j lui dit Fou, sera soumis au jugement, ou
: a vous dis de ne pas même convoiter», o C'est
« au conseil, ou à la géhenne du feu ^ », puis- un complément », dis-tu. Explique claire-
«
que ces justes se réglaient d'après ces prin- ment ces paroles mêmes de l'Evangile, n'y
cipes, et enseignaient qu'il fallait les suivre? mêle pas les tiennes pour les affaiblir et ,

Ces justes ignoraient-ils qu'il faut réprimer vois ce que tu penses de ces justes de l'anti-
sa colère, ne point provoquer un frère par quité la plus reculée. « Vous avez entendu,
des paroles injurieuses et insolenles ou, s'ils ; « dit le Sauveur, qu'il a été dit Tu ne com- :

le savaient, ne pouvaient-ils s'abstenir de ces « mettras pas d'adultère mais moi je vous dis ;

fautes? Ils étaient donc soumis à la géhenne : « que quiconque aura regardé une femme
mais alors, conmient étaient-ils justes? Tu « pour la convoiter, a déjà commis l'adultère
n'oses certainement pas dire que, dans leur «dans son cœur ' ». Est-ce que ces justes,
justice, ils étaient ignorants
de leurs devoirs, Seth ou Enoch, ou d'autres semblables, com-
ou incapables de se modérer, au point d'être mettaient l'adultère en leur cœur? Leur
soumis à la géhenne. Pourquoi doncle Christ cœur n'élait-il pas le temple de Dieu, ou
ajouterait-il à la loi selon laquelle ces justes commettaient-ils l'adultère dans le temple de
vivaient, et l'accompliraitil, puisque, sans ces Dieu? Tu n'oses pas le dire. Comment le
principes, ils ne pouvaient pas môme être Christ aurait-il com|)lété sur ce point par
justes? Diras-tu que la violence de la colère son avènement une loi qui était déjà com-
et l'insolence du langage ne sont devenues plète chez eux ?
des péchés que depuis l'avènement du Christ,
CHAPITRE XXll.
et qu'auparavant il n'y avait pas de mal à se
livrer à ces désordres du cœur ou de la bou- ET AUSSI CELLE QUI DÉFEND DE JURER. lE NOM
che; comme nous voyons qu'en certaines DE MANES TRANSFORMÉ PAR LES MANICHÉENS.
institutions accommodées aux temps, une Quant a la défense de jurer *, autre point
chose est d'abord permise et ensuite dé- tiur lequel tu prétends que le Christ a aussi
• Kx. XXI, ïl , MiU. V, 3S, :'.'J. — MaU. V, 22, * Ex. XX, li ; Matt. V, 27, 28. — ' Ex. xx, 7 ; Malt, v, 33-37.
LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONNÉE. 279

accompli leur ne puis affirmer que les


loi, je CHAPITRE XXIII.
anciens justes ne juraient 'pas car nous :

I.A LOI QUI DÉFEND LE PARJURE n'a POINT ÉTÉ


voyons que Paul lui-même a juré'. Or, le ju-
ABOLIE.
rement est sans cesse dans votre bouche ;

vous jurez par la lumière, que vous aimez En effet, comme, pour les Juifs, il n'y avait
aussi bien que les mouches, sans songer le d'homicide que dans l'acte violent qui prive
moins du monde à cette lumière des intelli- de vie un corps humain, le Seigneur a dé-
gences qui éclaire tout homme venant eu ce claré qu'il fallait considérer comme une es-
monde' vous jurez par votre maître Mani-
; pèce d'homicide tout mouvement coupable
chée, qu'on appelle Manès dans la langue de qui porte à nuire à un frère. C'est pourquoi
sa patrie ; mais pour éviter de passer pour Jean a dit : a Celui qui hait son frère, est un
fous chez les Grecs, vous déclinez son nom, « homicide ' ». Et comme pour eux encore,
vous l'allongez, et y ajoutez l'idée de répandre, iln'y avait d'adultère que dans le commerce
afin de faire une plus lourde chute. En effet, charnel illicite avec une femme, le Maître
un des vôtres m'a expliqué qu'on l'appelle leur a démontré que la simple convoitise
Manichée, pour lui donner, dans la langue était aussiun adultère. De même comme le
grecque, l'air de quelqu'un qui répand de la parjure estun péché grave, tandis que ne pas
manne, vu qu'en grec /iv.i signifie répan- jurer ou jurer la vérité n'est pas un mal, et
dre '. Et en cela je ne sais ce que vous avez fait, que celui qui n'a pas l'habitude de jurer est
siCe n'est de mieux faire ressortir les rêves beaucoup plus éloigné du parjure que celui
de votre folie. Car vous avez oublié d'ajouter qui est enclin à jurer la vérité le Seigneur :

une lettre dans la première partie du mot, aime mieux que nous nous éloignions du
afin qu'on y piit reconnaître la manne et ; parjure en ne jurant pas, que de nous en rap-
dans la seconde partie vous ajoutez deux syl- procher en jurantla vérité. C'est pourquoil'A-
labes, de manière à faire Manichée et non pôlre n'a jamais juré dans les discours qu'on
Mannichée en sorte que d'après la valeur
: rapporte de lui, de peur que l'habitude de
du mot, il ne vous aurait versé que la folie jurer ne l'entraînât au parjure, même sans
(la manie) dans ses longs et vains discours. qu'il s'en doutât. Mais dans ses écrits, là où
Vous jurez très-souvent aussi par le Paraclet, la réflexion est plus grande, et plus facile,
non pas celui que le Christ a promis et envoyé nous voyons qu'il a juré plusieurs fois, pour
à ses Apôtres *, mais ce même verseur de folie, qu'on ne crût pas qu'il y a du mal à jurer la
pour traduire son nom en latin. Puis donc vérité, mais que l'on comprît que s'abstenir
que vous ne cessez de jurer, je voudrais bien de tout serment est, pour la fragilité hu-
savoir comment vous entendez cette partie de maine, le plus sur moyen de se préserver du
la loi (très-ancienne , selon vous) surtout à parjure. Tout cela bien pesé, nous ne voyons
cause des serments de l'Apôtre. Car qu'est-ce pas, comme Fauste le pense, que ces points
que votre autorité, je ne dis pas pour moi, ou mêmes qu'il croit tenir plus particulièrement

pour tout autre homme, mais pour vous- ù la loi de Moïse, aient été abolis.
mêmes? Il me semble qu'on voit clairement
combien est différent le sens qu'il faut atta-
CHAPITRE XXIV.
cher à ces paroles du Christ « Je ne suis pas :
COMMENT ON PEUT TOUT A LA FOIS HAÏR ET AIMER
avenu abolir la loi, mais l'accomplir ». SON ENNE.MI. SYSTÈME EXTRAVAGANT DES MANI-
Quant aux additions qu'il y a faites, elles ne CHÉENS.
touchent point essentiellement à l'accomplis-
sement de la loi, mais c'est une explication Et ici je demande aux Manichéens pour-
des anciennes maximes dont il était question, quoi ils rattachent exclusivement à la loi de
ou qui étaient pratiquées par les anciens Moïse ce qui à été dit aux anciens : « Tu ai-
justes. u meras ton prochain et tu haïras ton en-
« nemi * ». Est-ce que l'apôtre Paul n'a pas
• Rom. 1,9; Phil. 1,8; H Cor. 1 , 23. — ' Jeao , l , 9. —
* Le
appelé certains hommes a Haïs de Dieu * ? » :
lexîe porte être répandu^ ce qui û'esl pas exact, yjùi ctaot ua Terbe
a«if. — ' JcjO, XiV, 16, Ï6, iVI,
7; Act. u, 2, i. Et d'autre part, dans ce même sermon, le
Seigneur lui-même nous exhorte à imiter
' I Jean, m, 15. — ' Lcv. XIX, 18. — '
Koœ. i, 30.
-2S0 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Dieu Afin », nous dit-il, « que vous soyez


: « partie ; et il a été si bien vaincu par elle dans
o les enfants de votre Père qui est dans les cette partie, qu'il n'a pu être affranchi tout

cieux, qui fait lever son soleil sur les bons entier. Les hommes donc, entendant, mais ne
<Tet sur les méchants, et pleuvoir sur les comprenant pas ce qui a été dit aux anciens :

«justes et les injustes ». 11 faut donc cher- a Tu haïras ton ennemi », étaient portés à

cher en quel sens on doit haïr ses ennemis à huïr l'homme, quand ils ne devaient haïr que
l'exemple de Dieu, de qui, suivant Paul, cer- le vice et le Seigneur les corrige en disant
;
:

hommes
tains sont haïs, et aussi aimer ces « Aimez vos ennemis »; en sorte que celui

mêmes ennemis à l'exemple de Dieu, qui fait qui avait dit « Je ne suis pas venu abolir la
:

lever son soleil sur les bous et sur les mé- «loi, mais l'accomplir», qui par conséquent
chants, et pleuvoir sur les justes et les in- n'effaçait point les paroles écrites dans la loi

justes.Par là, on verra que le Seigneur a sur la haine des ennemis, nous obligeait, en
voulu redresser l'erreur de ceux qui compre- nous commandant positivement d'aimer nos
naient mal ces paroles : « Tu haïras ton en- ennemis, à comprendre comment nous pour-
anemi», et leur apprendre, ce qu'ils ignoraient rions tout à la fois haïr le même homme à
absolument, à aimer leurs ennemis. Mais cause de son iniquité et l'aimer à cause de sa
comment observer l'un et l'autre point? C'est nature. Mais, pour les esprits égarés des Mani-
une question qui serait longue à traiter. En chéens, cela estdifficile à comprendre. 11 faut

attendant, nous avons un moyen de fermer la seulement les pousser à bout en les forçant,
bouche aux Manichéens qui ne peuvent en autant que le permet leur raison pervertie par
générai admettre l'idée qu'un homme haïsse un culte menteur, ou plutôt leur folie, à dé-
son ennemi c'est de leur demander si leur
: fendre leur propre dieu en qui ils ne peuvent
dieu aime le peuple des ténèbres et, si nous ;
reconnaître de l'amour pour le peuple des té-
devons aimer nos ennemis parce qu'ils ont nèbres; par conséquent, ils ne sauraient s'ap-
une partie bonne, pourquoi nous ne devrions puyer sur son exemple pour exhorter quel-
pas les haïr parce qu'ils ont une partie mau- qu'un à aimer son ennemi. Ce serait au
vaise. Mais il y a une règle qui résout la diffi- peuple même des ténèbres, plutôt qu'à leur
culté, et nous fait voir qu'il n'y a pas de con- dieu, qu'ils pourraient attribuer l'amour d'un
tradiction entre ces paroles de l'ancienne ennemi. Car, si on en croit leurs extravagantes
Ecriture : a Tu haïras tonennemi », et celles- rêveries, ce peuple se serait éjuis de la lu-
ci de l'Evangile : Aimez vos ennemis
a » ' : mière voisine de son séjour, aurait voulu en
c'est qu'il faut haïr tout homme méchant en jouir, et pour cela aurait imaginé d'y faire
tant qu'il est méchant, et l'aimer en tant irruption. Et en cela il n'y avait pus de mal,
qu'il est homme, de manière à condamner en puisque c'était désirer le vrai bien, la source
lui ce que nous avons raison d'y haïr, c'est-à- du bonheur., Aussi le Seigneur dit-il « Le :

dire le vice, afin que ce que nous avons rai- « royaume des cieux souffre violence, et ce
son d'aimer en lui, c'est-à-dire la nature hu- «sont les violents qui le ravissent ' ». Et
maine, puisse se corriger du mal et s'en voilà que, selon ces vaines doctrines, le peuple
affranchir. Voilà, dis-je, la règle en vertu de des ténèbres a voulu empluy'r la violence et
laquelle nous haïssons un ennemi à cause de ravir le bien qu'il aimait, et dont la clarté et
ce qu'il y a de mauvais en lui, c'est-à-dire de la beauté l'avaient séduit; mais, en revanche,
l'iniquité, et nous aimons ce même ennemi à le dieu ne put aimer ce peuple envahisseur
cause de ce iju'il y a de bon en lui, c'est-à-dire qui voulait jouir de lui ; et, le poursuivant de
parce qu'il est une créature faite pour la so- sa haine, il s'efforça d'en détruire jusqu'au
ciété et douée de raison, tout en restant con- dernier vestige. Or, si les méchants aiment le

vaincus qu'il est mauvais, non par sa propre bien pour en jouir, et si les bons haïssent le

nature ou celle d'un autre, mais par sa mau- mal pour ne pas s'en souiller, dites-nous,

vaise volonté personnelle. Quant à nos adver- Manichéens, lesquels d'entre eux accomplis-
pensent que l'homme est mauvais
saires, ils sent l'ordre du Seigneur : o Aimez vos en-
par la nature du peuple des ténèbres, que « neniis?» Que si ces deux principes vous pa-

leur dieu lui-même, suivant eux, craignait raissent devoir être séparés et se trouver
de toute son étendue, avant d'être vaincu en contradictoires entre eux, voilà que votre
' Malt. V, 43, 45. '
Malt. XI, 12.
LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONNÉE. 281

dieu a accompli ce qui est écrit dans la loi de l'incendie allumé. Car enfin il existe une
de Moïse a Tu haïras ton ennemi b
: et le ; vengeance juste, un droit équitable en faveur
peuple des ténèbres, ce qui est écrit dans l'E- de celui qui a reçu une injure d'où vient que ;

vangile : «Aimez vos ennemis ». D'autre quand nous pardonnons nous cédons en ,

part votre imagination elle-même n'a pu trou- quelque sorte de notre droit. Aussi sont-ce des
ver moyen de trancher la question entre les dettes que l'Oraison dominicale nous engage à
mouches qui cherchent la lumière, et les remettre aux hommes, afin que les nôtres
mites qui la fuient : car vous prétendez que nous soient remises de la part de Dieu '. Or, il
ces deux espèces d'insectes appartiennent au n'y a pas d'injustice à réclamer une dette,
peuple des ténèbres. Pourquoi donc les unes bien qu'il soit généreux de la remettre. Mais
aiment-elles la lumière qui leur est étrangère, de même que, en fait de serment, celui qui
et les autres ont-elles de l'aversion pour cette jure la vérité se rapproche du parjure, tandis
même lumière et restent-elles plutôt fidèles que celui qui ne jure pas du tout s'en éloigne,
à leur origine? Serait-ce que les mouches et que, bien que celui qui jure la vérité ne
naissent plus pures dans de fétides cloaques pèche pas, celui qui ne jure pas du tout est
que les mites dans d'obscurs cabinets? plus éloigné du péché, en sorte que nous en-
gager à ne pas jurer c'est nous préserver du
CHAPITRE XXV. péché de parjure ainsi, comme celui qui :

LA LOI DU TALION EN FACE DE LA DOCTRINE veut se venger immodérément se rend coupa-


ÉVANGÉilQLE. pable, et que celui qui ne veut qu'une juste
vengeance ne pèche pas, cependant celui qui
Maintenant, quelle contradiction y a-t-il ne veut en aucune façon se venger est à une
entre ce qui a été dit aux anciens : a OEil pour plus grande distancedu péché de vengeance
œil, dent pour deut », et ce que dit le Sei- injuste. En effet, celui qui exige plus qu'il ne
gneur : « Et moi je vous dis de ne point ré- lui est dû est coupable tandis que celui qui ;

« sisleraux mauvais traitements mais si quel- ; n'exige que sa dette ne l'est pas mais celui- :

« qu'un vous frappe sur la joue droite, pré- là est bien mieux garanti du péché d'une in-
« sentez-lui encore l'autre », et le reste? Le '
juste exaction, qui n'exige en aucune façon sa
précepte donné aux anciens avait pour but de dette, surtout pour n'être pas forcé de payer
réprimer l'ardeur de la haine, de mettre un sa propre dette à celui qui n'a pas de dettes.
frein à une fureur immodérée. Car quel est Je pourrais donc dire : Il a été dit aux anciens :

l'homme qui se contente de se venger dans la Tu ne vengeras pas injustement mais moi,
te ;

juste proportion de l'injure qu'il a reçue ? Ne je vous dis Ne vous vengez pas même
: voilà :

voyons-nous pas des hommes, légèrement of- le complément absolument comme Fauste a
;

fensés, méditer le meurtre, avoir soif de sang, dit : « Il Tu ne te parjureras pas et


a été dit : ;

et se montrer insatiables des maux de leur « moi je Ne jurez pas même voilà
vous dis : :

ennemi ? Quel est l'homme qui, ayant reçu a encore un complément ». Oui, je pourrais
un coup de poing, ne cite pas en justice celui dire cela si je voyais, dans les paroles du Christ,

qui l'a frappé pour le faire condanmer ou ; s'il une addition faite à la loi, pour combler une
veut se faire lui-même justice, n'accable pas lacune, et non plutôt le but même que la loi
son adversaire de coups de poing et de coups voulait atteindre, à savoir qu'on ne se venge
de pied du haut en bas, à supposer encore qu'il pas du tout pour mieux se préserver du péclié
ne se trouve pas une arme sous sa main pour de la vengtance injuste de même que son but :

l'en percer ? C'étaitdonc pour fixer une juste était de sauver plus sûrement du péché de par-
mesure à celte vengeance immodérée, et par jure, en engageant à ne pas jurer du tout. Car
là même injuste, que la loi avait établi la peine s'il y a contradiction entre a OEil pour œil », :

du talion, c'est-à dire réglé que la punition et :« Si quelqu'un vous frappe sur une joue,
serait telle que l'injure. Par conséquent le B présentez-lui encore l'autre », pourquoi n'y
principe « OEil [lour œil, dent pour dent »,
: en aurait-il pas aussi entre « Remplissez le :

n'avait pas pour but d'exciter la colère, mais a serment que vous avez fait au Seigneur»,
de lui donner une borne ni de rallumer une ; et « Ne jurez en aucune façon • ? » Et cepen-
:

flamme éteinte, mais de contenir les ravages dant, là, Fauste ne voit qu'un complément, et
' El. III, 2i i
M«n. V, 39, Matt. V», 13. — El. XX, 7j Mm. y, 33-37.
'
282 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

non une abolition ; il aurait donc dû en voir femme et de qui un acte de répu-
elle exigait

aussi un ici. Car si : Jure la vérité, est com- diation. Et cet acte ne pouvait être écrit que
plété par : Ne jure pas ;
pourquoi : Tire une par eux. Nécessité qui leur remettait en quel-
juste vengeance, ne serait-il pas complété par : que sorte cet homme en main, les autorisait à
Ne venge pas ? Pour moi, je vois dans l'un
te lui donner de bons conseils, et à intervenir pa-

et dans l'autre un préservatif contre le péché cifiquement pour rétablir entre les deux époux
de faux serment ou de vengeance injuste; et, l'amour et la concorde. Mais si l'aversion était
de plus, la remise complète de l'injure a cet tellement forte qu'elle ne pût être guérie ni
avantage que, en remettant ce qui nous est diminuée, alors l'acte de répudiation s'écri-
dû, nous méritons que nos propres dettes nous vait on supposait qu'un homme avait de jus-
;

soient remises. Mais à un peuple difflcile il tes raisons de renvoyer une femme qu'il haïs-

fallaitd'abord fixer une mesure, pour lui sait au point de ne pouvoir être ramené à

apprendre à ne rien exiger au-delà de la jus- l'affection conjugale par les conseils d'hommes

tice afin que, devenu maître de la colère qui


;
prudents. En effet, si on n'aime pas une
entraîne à une vengeance immodérée, l'homme femme, il faut la renvoyer ;mais comme on
calmé pût, s'il le voulait, réfléchir à ses dettes, ne doit pas la renvoyer, donc il faut l'aimer.
examiner ce qu'il aimerait à se voir remettre Or l'amour peut être réveillé par des avis,
par le Seigneur, et que cette considération le par des moyens persuasifs, mais non imposé
déterminât à remettre lui-même à son frère par la force. Voilà ce que devait faire un scribe
tout ce que celui-ci pourrait lui devoir. juste, sage, tel que le requérait sa profession.
C'étaitpour forcer le mari à aller à lui qu'il avait
CHAPITRE XXVI. reçu commission d'écrire l'acte; et un homme
LE DIVORCE, l'acte DE RÉPUDIATION. de bien, un homme prudent, n'écrit un tel
acte, que quand les conseils pacifiques sont
Quant à la défense faite par le Seigneur de sans effet sur une àmetrop méchante ou trop
renvoyer une femme, après qu'il a été dit aux égarée par la haine. En attendant, je vous de-
anciens « Que celui qui renvoie sa femme, lui
: mande pourquoi, d'après vos vaines et sacri-
adonne un acte de répudiation », nous ver- '
lèges erreurs, vous trouvez mauvais qu'un
rons, en y regardant de près, qu'il n'y a là homme renvoie sa femme qui n'est, selon vous,
aucune contradiction. En effet, le Seigneur a qu'un instrument de coupable libertinage et
d'abord exposé ce que veut la loi : elle or- non une compagne liée par la foi conjugale ?
donne que celui qui renvoie sa femme sans En effet, le mot même de mariage [malrimo-
raison lui donne un acte de répudiation. Elle ne nium) indique qu'une femme ne se marie que
dit pas Que celui qui veut renvoyer, renvoie
: : pour devenir mère : ce que vous repoussez
ce serait le contraire de ne pas renvoyer : avec horreur. Car vous pensez que, parla, une
mais évidemment son espoir était qu'une partie de votre dieu, déjà vaincue et prise
femme ne serait pas renvoyée par le mari, dans le combat contre le peuple des ténèbres,
quand celui-ci aurait, à l'aide du retard né- se trouve de plus enchaînée pur les liens de la
cessaire pour écrire un acte de répudiation, chair.
laissé tomber le premier mouvement qui le CHAPITRE XXVII.
poussait au divorce et réfléchi au mal qu'il y
quel est le véritable sens de ces paroles :

a à renvoyer une femme cela était d'autant :

«je ne suis pas venu abolir la loi, mais


plus probable que, chez les Hébreux, dit-on,
« l'accomplir ».
personne n'avait le droit d'écrire les lettres
hébraïques que les scribes, lesquels faisaient Mais, pour revenir à notre sujet si le Christ :

profession d'une plus haute sagesse, et dont en ajoutant à quelques anciennes prescriptions
(luelques-uns, doués de dignité et de piété, ces paroles: « Mais moi, je vous dis », n'a pas
non-seulement professaient cette sagesse, mais complété, par cette addition, la loi donnée
la pratiquaient. C'était donc à ces houmies, aux premiers hommes, et n'a point détruit,
qui devaient être des interprètes justes et |)ar des ordres contradictoires, celle qui a été
éclairés de la loi, et détourner du divorce, que donnée i)ar Moïse si, au contraire, il a con-
;

la loi adressait celui qui voulait renvoyer sa firmé tout ce qu'il a cité de la loi des Hébreux,
' Ex. .\.\iv, l ; Mail. V, al, 32. de telle sorte que tout ce qu'il a dit eu son
LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONNÉE. 283

propre nom n'avait pour but que d'éclaircir « pas la concupiscence, si la loi n'eût dit Tu ne :

ce que la loi avait laissé d'obscur, ou de ga- « convoiteras pas '


». Là, à l'honneur de la pa-
rantir plus efficacement les mesures qu'elle on loue l'homme
tience qui ne sait pas résister,
avait prises en est ainsi, tu vois
: si, dis-je, il qui |)résente sa joue à celui qui le frappe et
qu'il faut interpréter bien autrement ces pa- est rassasié d'opprobres '. Là on dit, à propos
roles «Je ne suis pas venu abolir la loi, mais
: de l'amour des ennemis a Si ton ennemi a :

a l'accomplir», et les entendre, non en ce sens « faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-
que le Christ ait rempli par ces mots une me- « lui à boire' » ; paroles que l'Apôtre cite lui-
sure à demi pleine, mais en ce sens que ce même *. On lit encore dans les Psaumes :

que la loi n'avait pu au moyen de la lettre et « J'étais pacifique avec ceux qui baissaient la
à raison de la présomption de forgueil, la a paix ^ », et beaucoup d'autres choses de ce

grâce- l'accomplit, à cause de l'humilité de genre. Or, que s'abstenir de la vengeance et


la confession, et non par une simple addition aimer même les méchants, cesoitiniiterDieu,
de paroles, mais par celle des œuvres. Car vous en trouverez la preuve dans un long
a la foi », comme dit l'Apôtre, « agit par la passage où l'on nous fait voir Dieu agissant

a charité » . Et encore : « Qui aime le prochain, ainsi on y lit : a Car la souveraine puis- :

« a accompli la loi * ». Et c'est parce que le « sance est à vous seul à jamais, et qui résis-
Christ a manifestement donné, par l'Esprit- '.< tera à la vertu de votre bras ? Comme ce
Saint qu'il avait promis et qu'il a envoyé ,
a grain qui fait pencher la balance, et comme
cette charité qui peut seule accomplir la jus- « une goutte de la rosée du matin qui descend
tice de la loi, c'est pour cela qu'il a dit : a Je « sur la terre, ainsi l'univers est devant vous ;

a ne suis pas venu abolir la loi, mais l'ac- a mais vous avez pitié de tous les hommes,
«complir ». Et c'est là ce Nouveau Testa- « parce que vous pouvez tout, et vous dissi-

ment, qui promet à cette charité l'héritagedu « muiez les péchés des hommes à cause du

royaume des cieux, mais qui était voilé sous « repentir. Car vous aimez tout ce qui est, et

les figures de l'Ancien Testament à raison de a vous ne haïssez rien de ce que vous avez
la nécessité des temps. Aussi a-t-il dit a Je : « fait; et vous n'avez rien établi avec haine.
«vous donne un commandement nouveau, « Comment quelque être pourrait-il subsister,
a c'est que vous vous aimiez les uus les « si vous ne l'aviez voulu, ou se conserver, si

a autres *». «vous ne l'aviez appelé? Mais vous êtes in-


a dulgent envers tous parce que tout est à ,

CHAPITRE XXVllI. a vous, ô Seigneur, qui aimez les âmes Car 1

« votre esprit est bon en toutes choses; c'est


l'a>cien testament contenait déjà les per-
« pourquoi vous châtiez peu à peu ceux qui
fecrionsements introduits par le christ.
« s'égarent vous les avertissez, vous les repre-
;

Ainsi donc tout, ou à peu près tout ce que le nez de leurs fautes afin que, renonçant au
Christ a donné de conseils ou de préceptes « mal, ils croient en vous, Seigneur' ». C'est

quand il ajoutait : « Mais moi, je vous dis », se cette indulgente patience du Dieu qui fait lever
trouve aussi dans les livres de l'Ancien Tes- son soleil sur les bons et sur les méchants, et
tament. Là on disait contre la colère « Mes : pleuvoir sur les justes et les injustes, que le
yeux sont troublés par la colère ' », et en- Christ nous exhorte à imiter, afin que nous
core « Celui qui dompte sa colère l'emporte
: nous abstenions de venger les injures que
« sur celui qui prend une ville'». Là on nous avons reçues et que nous fassions du
dit contre les [laroles injurieuses « Un coup : bien à ceux qui nous haïssent, pour être par-
« de fouet laisse une trace livide , mais un faits comme notre Père céleste est parfait '. Or,
« coup de langue brise les os ^ ». Contre l'a- que remise que nous faisons du droit de
la
dultère du cœur
Ne convoite point la : t. vengeance, nous obtienne le pardon de nos
a femme de ' »; non pas
ton prochain
Ne : péchés, et qu'il faille prendre garde que ce
commets pas d'adullère, mais « Ne convoite : pardon ne soit refusé même à nos prières, si
« pas ». Ce qui lait dire à l'Apôtre, en citant nous le refusons à un autre, c'est ce qui est
ce passage de la loi : « Car je ne connaîtrais encore écrit dans ces anciens livres en ces
' Rom. 1111, 8. — • Jean, xni, 34. — ' Ps. vi , 8 * Prov. xvj, ' Kom. VII, 7 — ' Thren. m, 30. — ' Prov. xxv, 21.— • Rom. xu,
32. — ' Eccli. Jiivm, 21, — • Ex. xn, 17. 20. - ' Ps. eux, 7. — ' Sag. il, SB ; iu, 2. — ' Maiu v, 41-18.
284 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

termes : « Celui qui veut se venger, rencon- démon ? Mais comment le bon Maître expli-
a trera la vengeance de la part de Dieu, et le que-t-il pourquoi Moïse, qui, dans le livre
« Seigneur consolidera la dette de ses péchés. qu'il vient de citer, à l'occasion de l'union
« Pardonne à ton prochain le tort qu'il te primitive des deux sexes, a proclamé la chas-
« fait, et quand tu prieras, tes péchés te se- teté conjugale dont le nœud est indissoluble,
ront remis. L'homme garde sa colère contre pourquoi Moïse a permis ensuite de renvoyer
a l'homme, et il demande à Dieu sa guérison? sa femme? Comme les Juifs lui répliquaient :

a II n'a pas pitié d'un homme semblable à lui, « Pourquoi doncMoïse a-t-il commandé de lui
a et il prie le Seigneur pour ses propres pé- « donner un acte de répudiation et de la ren-
a chés? Lui qui n'est que chair, garde sa co- (( voyer ? il leur répondit C'est à cause de :

a 1ère, et implore la clémence de Dieu? Qui


il a la dureté de vos cœurs, que Moïse vous a
« priera pour ses péchés ? » '
« permis de renvoyer vos femmes ' ». C'est ce
que nous avons exphqué un peu plus haut '.
CHAPITRE XXIX. Et combien était grande la dureté que l'inter-
LA LOI PRIMITIVE DU MAIUAGE. BÉVUE DE MANÈS. valle nécessaire pour formuler l'acte de répu-

POURQUOI MOÏSE PERMETTAIT LE DIVORCE. diation et les conseils d'hommes justes et


prudents qui avaient lieu à cette occasion, ne
Quant à la défense de renvoyer sa femme, pouvaient adoucir ni amener ou ramener à
pourrais-je citer de ces livres autre chose ou l'affection conjugale ! Ainsi le Seigneur a fait
quelque chose de plus convenable que ce que voir, par le témoignage même de la loi, ce que
le Seigneur lui-même répondit aux Juifs qui la loi prescrivait aux hommes de bien et ce

l'interrogeaient là -dessus? En efiet, ceux-ci qu'elle permettait aux hommes d'un caractère
lui demandant s'il était permis de renvoyer difficile, en nous rappelant, d'une part, qu'on

sa femme pour quelque cause que ce fût, il ne doit point renvoyer sa femme, selon l'Ecri-
leur dit : « N'avez-vous pas lu que celui qui ture et par suite de l'union de l'homme et de
a flt l'homme au commencement, les fit mâle la femme
qui y est mentionnée et qui y est
« et femelle, et qu'il dit : A cause de cela, fondée sur l'autorité divine elle-même d'au- ;

« l'homme quittera son père et sa mère et tre part, eu nous montrant qu'on pouvait
« s'attachera à sa femme, et ils seront deux en donner un acte de répudiation par égard pour
« une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, un caractère à dompter ou incapable d'être
« mais une seule chair. Ce que Dieu donc a dompté.
«uni, que l'homme ne le sépare point». Voilà CHAPITRE XXX.
que les livres de Moïse prouvent aux Juifs qu'il
POURQUOI LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIRLA LOI.
ne faut pas renvoyer sa femme, et ils croyaient,
LES ANCIENS JUSTES EN VOYAIENT LE BUT.
en la renvoyant, obéir aux ordres de Moïse.
Ce passage nous apprend en même temps, d'a- Mais puisque tous ces excellents précept&s
près le témoignage du Christ, que Dieu a créé du Seigneur, (jue Fauste voulait opposer aux
et uni les deux sexes, mâle et femelle ce que : anciens livres des Hébreux, se trouvent dans
lesManichéens nient et réprouvent, contraire- ces mêmes livres pourquoi le Seigneur est-
:

ment, non plus aux livres de Moïse, mais à il venu, non abolir, mais accomplir la loi, si-
l'Evangile du Christ. Or, si ce qu'ils pensent non pour que, à l'exception des figures qui
et prêchent est vrai , à savoir que c'est le n'étaient que des promesses et que la mani-
diable qui a créé et uni les deux sexes, par festation de la réalité a accomplies et fait dis-
quel tour de force diabolique Fauste blâme- |)araîlre, ces mêmes préceptes, qui rendaient
til Moïse d'avoir brise le nœud du mariage au la loi sainte, juste et bonne ^, s'accomplissent
moyen d'un acte de répudiation, et loue-t-il en nous, non pas selon la vétusté de la lettre qui
le Christ d'avoir resserré ce nœud par le pré- commandait et aggravait les péchés de l'or-
cepte évangéiique, alors qu'il aurait dû évi- gueil par crime de rébellion, mais dans la
le

demment, suivant su folle et sacrilège opi- nouveauté de l'esprit qui aide et qui affranchit
nion, louer Moïse d'avoir séparé ce que le par la grâce du salut les humbles (jui confes-
diable avait fait et uni, et blâmer le Christ sent leur impuissance? Au fond, si ces précep-
d'avoir consolidé l'œuvre et le lien créés par le tes sublimes sont contenus dans les anciens
' Eccli. XIVIIT, 1-5. ' Malt. XIX, l, 8. — Chap. xxvi. — ' Eom. vil, 12.
LIVRE XIX. — LA LOI PERFECTIONNÉE.

livres, lebut auquel ils se rapportent y reste « Dieu '? » Ces passages et beaucoup d'autres,
caché pourtant c'était en vue de ce but que
; et ou très-clairs, ou quelque peu obscurs, qu'on
vivaient les saints; ils en prévoyaient la future trouve dans ces livres, sont des témoignages
manifestation, et, suivant les besoins des de la vie éternelle. Les Prophètes ont même
temps, ou ils le voilaient sous la forme pro- parlé de la résurrection du corps ; aussi les
phétique, ou ils le comprenaient sagement Pharisiens combattaient-ils vivement les Sad-
sous le voile même de la prophétie. ducéens qui n'y croyaient pas, c'est ce que
nous voyons clairement, non-seulement dans
CHAPITRE XXXI. le livre canonique des Actes des Apôtres, que
les Manichéens rejettent pour ne pas être for-
LE MOT DE « ROYAUME DES CIEUX » NE SE TROUVE
PAS DANS l'ancien TESTAMENT, OU NÉANMOINS cés d'admettre la descente du vrai Paraclet

LA FOI A LA VIE ÉTERNELLE EST EXPRIMÉE. que Seigneur a promis ' mais même dans
le ;

l'Evangile, où les Sadducéens demandent au


Enfin, je ne sais si je me hasarde en disant Sauveur à qui, lors de la résurrection, appar-
qu'on ne trouvera pas dans ces livres le nom tiendra une femme qui avait épousé successi-
du royaume des cieux, que le Seigneur répète vement sept frères, morts les uns après les
si souvent. On y dit, il est vrai « Aimez la : autres. Ainsi l'ancienne Ecriture abonde en
« sagesse, pour régner à jamais ' ». Et si on témoignages sur la vie éternelle et la résur-
n'y eût parlé clairement de la vie éternelle, rection des morts mais je ne me souviens
;

le Seigneur n'aurait pas aux méchants


dit pas d'y avoir rencontré nulle part ce mot de
Juifs Scrutez les
: a. Ecritures, puisque vous royaume des cieux. Il appartient effective-
« pensez avoir en elles la vie éternelle ; car ce ment en propre à la révélation du Nouveau
« sont elles qui rendent témoignage de moi^». Testament, parce que les corps qui auront
Peut-on, en trouver un autre sens dans
effet, d'abord été terrestres, en vertu du change-
ces passages «Je ne mourrai pas, mais je
: ment dont Paul parle en termes exprès ,
a vivrai, et je raconterai les œuvres du Sei- deviendront spirituels lors de la résurrec-
« gneur ^ éclairez mes yeux, pour que je ne
; tion ' et par là même célestes, afin que nous
« m'endorme pas dans la mort * les âmes : possédions mieux le royaume des cieux. Et
« des justes sont dans la main de Dieu et le ce nom restait réservé pour la bouche de
a supplice ne les atteindra pas», et peu après: Celui que toute la pompe déployée dans l'An-
« Mais ils sont en paix; et si, devant les hom- cien Testament : générations, actes, paroles,
« mes, ils ont souffert des tourments, leur es- sacrifices, observances, solennités, éloges et
B pérance est pleine d'immortalité; leur af- louanges, faitsaccomplis, objets figurés, que
a fliction a été légère et leur bonheur sera tout , dis-je , enfantait et annonçait comme le
« grand ''i) et ailleurs «Mais les justes
; : vi- roi destiné à gouverner, le prêtre chargé de
« vront à jamais près du Seigneur est leur ; ré- sanctifier un jour ses fidèles; Celui qui, plein
compense et leur pensée près du Très-Haut; de grâce et de vérité, aidant par sa grâce à
« c'est pourquoi ils recevront leroyaumed'hon- exécuter les commandements , veillant par la
« neur et le diadème de gloire de la main de vérité à la réalisation des promesses, est venu,
— — non abolir la loi, mais l'accomplir.
• Sag. VI, 22. ' Jean, V, 39. - Ps. cxvii, 17. ' Id. ïii, 1.
— ' Sag. ni, 1-5. • Sag. V, 16, 17. ~ Act. xxi.j, 6-il. — ' 1 Cor. xv, 42-41.
LIVRE VINGTIÈME.
i'auste repoussant le reproche d'être idolâtre. — Le inaiiirléi--ine est aii-dcssniis même du paganisme. — Détails à ce sujet. —
Ridicules et cOLilradictions de la secte, notamment sur Jésus. Ilylé, ou la matièie. — — du manicliéen.
Sacrifice et prière —
L'allé de Dieu. —
Le sacrifice eucharistique, mémorial de la Croix. Le païen adore — un être quelconque ; le maDicliéen
adore ce qui n'est pas.

CH.\P1TRE PREMIER. bois, est la vie et le salut des hommes. C'est


pourquoi nous avons pour tout l'univers le
fauste se propose de hépondre au reproche même culte que vous pour le pain et le vin,
d'adouer le soleil et d'Être païen. bien que vous poursuiviez d'une haine impla-
Pourquoi adorez-vous le soleil
Faiiste. ,
cable ceux qui les produisent. Voilà notre foi ;
si que vous êtes des païens, un
ce n'est parce voilà ce que tu pourras en apprendre, en t'en

schisme de la gcntilité, et non une secte ? 11 informant ailleurs. Et ce n'est pas un mince
n'est donc pas hors de propos d'examiner argument en sa faveur que, si on te demande,
aussi celte question, pour savoir plus claire- à toi ou à tout autre, où vous pensez qu'ha-

ment à qui de nous ce nom doit être appliqué. bite votre dieu, vous répondiez sans hésiter:

Si je l'exposais simplement une croyance, dans la lumière. D'où il résulte que mon culte
comme je le ferais avec des amis, peut-ôlre est appuyé sur un consentement à peu près

auraisje de feindre pour m'excuser, ou


l'air universel.
(ce qu'a Dieu ne jilaise !) de rougir de recevoir CHAPITRE 111,

les lumières divines. Cependant prends fout


DIFFÉRENCE ENTRE SA DOCTRINE ET CELLE DES
ceci dans quel sens ta voudras pour moi, je :

PAÏENS.
ne me repentirai pas d'avoir parlé, ne fiU-ce
que pour instruire quelques ignorants et leur Maintenant venons à ce que t\i dis, que nous
apprendre que notre religion n'a rien de com- ne sommes pas une secte, mais un schisme
mun avec le paganisme. de la genlilité. Le schisme, si je ne me trompe,
consiste à avoir les mêmes croyances et le
CHAPITRE II. même rite que les autres, mais à se séparer
volontairement de leur communauté. Une
FAUSTE FAIT SA PROFESSION DE FOI.
secte au contraire est loin de partager les opi-
Nous adorons donc une seule et même divi- nions des autres, et rend aussi à la divinité
nité sous la triple invocation du Père, Dieu un culte tout à fait diiîérent. Or, s'il en est
lout-puissant, du Clii ist son Fils et du Saint- ainsi, et mes opinions et mon culte diffèrent
Esprit; mais nous croyons que le Père habite entièrement de ceux des païens. Nous nous
la lumière la plus élevée, la lumière princi- occuperons des tiens plus tard. Les païens
pale, celle que Paul lui-même appelle inac- enseignent que le bien et le mal, l'obscurité
cessible '
;
que le Fils réside dans notre lu- cl la lumière, ce qui dure toujours et ce qui
mière secondaire et visible, e* comme il est passe, ce qui change et ce qui est immuable,
lui-même double, selon que l'Apôtre lerecon- le matériel et le divin procèdent du même prin-
nait en disant que le Christ est la vertu de cipe. Moi, je pense tout l'opposé. Je reconnais
Dieu et la sagesse do Dieu ', nous croyons que Dieu comme le principe de tous les biens, et
sa vertu habite dans le soleil et sa sagesse Hylé comme le principe de tous les maux :

dans la lune. Nouscroyons aussi que l'atmos- car c'est ainsi que notre théologien appelle le

phère est le siège et l'habitation du Saint- principe et la nature du mal. Ensuite les
Esprit qui est la troisième majesté, et que la ])aïens croient qu'il faut honorer Dieu par des
terre, fécondée par ses forces et par son in- autels, des temples, des images, des victimes
fluence spirituelle, conçoit et enfante Jésus, et de l'encens. Je suis encore sur ce point à
sujet à la soufl'rance, lequel, suspendu à tout une distance infinie d'eux, moi qui me re-
• 1 Tim. VI, IG. — ' I Cor. I, 24. garde, si toutefois j'en suis digne, comme le
LIVRE XX. — LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. 287

temple raisonnable de Dieu ; qui considère le païens d'où il résulte que vous et les Juifs
;

Christ son Fils, comme la vivante image de n'êtes que des schismes de la gentilité, que
sa majesté \ivante ; moi qui ne vois d'autre vous en avez la foi et les rites quoique légère-
autel qu'une âme instruite dans les arts utiles ment modifiés et que vous n'avez d'autres
,

etformée aux bonnes doctrines, d'autres hon- raisons que vos réunions à part pour vous re-
neurs divins et d'autres sacrifices que Its orai- garder comme des sectes. Or, si vouscherchez
sons pures et simples. Comment doue suis-je quelles sont les sectes, vous n'en trouverez
un schisme de la gentilité? pas plus de deux celle des Gentils et la nôtre,
:

qui a des opinions si éloignées des leurs. Nous


CHAPITRE IV. sommes opposés les uns aux autres, comme la
vérité et le mensonge, le jour et la nuit, la
CE n'est point le manichéisme, mais lE CATHO-
pauvreté et la richesse, la maladie et la santé.
LICISME ET LE JUDAÏSME, QUI SONT DES SCHISMES
DE LA GENTILITÉ. Mais vous, vous n'êtes une secte ni de Terreur,
ni de la vérité, mais un simple schisme, et
Tu pu jusqu'à un aertain point m'ap-
aurais un schisme de l'erreur encore, et non de la
peler un schisme du judaïsme, puisque j'a- vérité.
dore le Dieu tout-puissant (ce que tout Juif CHAPITRE V,
prétend aussi dans son audace), pourvu toute-
RÉPONSE d'aCGUSTIN. LE MANICHÉISME EST AU-
fois que tu ne fisses pas attention à la diffé-
DESSOIS MÊ51E DU PAGAN4SME.
rence des rites par lesquels les Juifs et moi
adorons le Tout-Puissant, si tant est que les Augustin. peste de l'ignorance va- 1

Juifs Tadorent réellement. Mais il ne s'agit nité trompeuse pourquoi le faire des objec-
!

pour le moment que de l'erreur qui a en- tions que ne te fera jamais quiconque sait
traîné les païens au culte du soleil et les Juifs à qui il a affaire ? Nous ne vous appelons ni
au culte du Tout-Puissant. Si tu disais que je païens, ni schisme de païens nous disons seu- ;

suis un schisme de votre religion, tu te trom- lement que vous avez certains rapports avec
perais encore, bien que je vénère et adore le eux, puisque vous adorez beaucoup de dieux.
Christ mais avec un autre rite et une autre
; Mais nous ajoutons que vous êtes bien au-
foi que les vôtres. Or, un schisme ne doit rien dessous d'eux parce que ce qu'ils adorent
,

changer à la religion dont il se sépare, ou n'y existe, bien qu'indigne de toute adoration :
changer que peu de chose comme vous, par
: car ce sont au moins des idoles, quoique im-
exemple, qui, en vous séparant des Gentils, puissantes pour le salut. En effet, celui qui
avez d'abord emporté avec vous l'idée de honore un arbre, non en le cultivant, mais
l'unité monarchique, c'est-à-dire la foi que en l'adorant, n'honore pas un être imaginaire,
tout vieut de Dieu puis qui avez converti
; mais seulement un être qu'on ne doit pas
leurs sacrifices en agapes leurs idoles en
, adorer. Et les démons mêmes, à propos des-
martyrs à qui vous offrez les mêmes hom- quels l'Apôtre dit : a Ce qu'immolent les Gen-
mages; qui apaisez les ombres des morts avec a tils ils l'immolent aux démons et non à
,

du vin et des aliments, célébi'ez les mêmes « Dieu *


», les démons, dis-je, existent cer-
fêtes que les Gentils, comme les calendes et les tainement, puisque l'Apôtre dit que les païens
solstices par exemple, mais qui n'avez certai- leur immolent et qu'il nous défend d'avoir
nement rien changé à la manière de vivre. aucune société avec eux. D'autre part le ciel
Vous êtes évidemment un schisme, qui ne et la terre, la mer et l'air, le soleil, la lune et
dillérez du culte d'origine que par vos réu- les autres astres, apparaissent manifestement
nions à part. Du reste les Juifs, vos prédéces- à nos yeux et tombent sous nos sens. Les
seurs, en se séparant ainsi des Gentils, ne leur païens, en les honorant comme dieux, ou
avaient laissé que les figures taillées; mais comme des parties d'un grand dieu unique
les temples, les immolations, les autels, le (carquelques-uns d'entre eux regardent l'uni-
sacerdoce , tout le ministère sacré , ils les vers comme le plus grand des dieux), hono-
avaient conservés avec le même rite et plus rent des êtres réels. Et quand nous dis-
de superstitions encore que lesGeutils. Quant cutons avec eux pour les dissuader de les
à l'idée de l'unité monarchique, ils sont en- adorer, nous ne leur disons pas que ces êtres
core là-dessus parfaitement d'accord avec les • I Cor, i-, 20.
2S8 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

n'existent point , mais qu'il ne faut pas les eût fallu aussi acheter des paroles pour com-
adorer : nous les engageons à adorer le Dieu poser des fables d'hérétiques. Cependant on
invisible, qui a créé tout cela et dont la pos- peut encore supporter ce qu'il y a ici de ridi-
session peut seule rendre l'honime heureux ;
cule ou de déplorable ; mais ce qui est into-
ce que tous désirent, cela est hors de doute. lérable et criminel au plus' haut degré, c'est
Quelques-uns d'entre eux adorent aussi une que vous prétendez que sur ce navire sont
substance invisible et incorporelle ,
qui est exposés de bellesjeunes filles et de beaux jeu-
l'âme et l'intelligence humaine mais comme
; nes hommes, dont les éblouissants attraits en-
la jouissance de celte créature ne saurait en- flamment les princes des ténèbres, mâles pour
core donner le bonheur à l'homme, il faut femelles,etfemelles pour mâles, afin que, dans
donc adorer le Dieu, non-seulement invisible, l'ardeur de la passion et l'avidité de la jouis-
mais immuable, c'est-à-dire le vrai Dieu; sance, les membres de votre dieu soient déga-
parce (|u'on ne doit adorer que celui dont la gés de leurs membres comme des liens odieux
jouissance a seule le pouvoir de rendre heu- et impurs qui les enchaînent. Et c'est avec ces
reux celui qui l'adore, et dont la privation éléments obscènes que vous essayez de former
rend toute âme misérable quelque bien
,
l'ineffable Trinité, disant que le Père habite
qu'elle possède d'ailleurs. Mais vous, qui n'a- dans une certaine lumière à part; que la vertu
dorez que des êtres purement imaginaires, du Fils réside dans le foleil, sa sagesse dans
des fictions et des fables trompeuses, vous la lune, et l'Esprit-Saint dans l'air I

seriez moins éloignés de la vraie iiiélé et de


la vraie religion, si vous étiez au moins païens, CHAPITRE VII.

ou du nombre de ceux qui adorent des corps, LA LUMIÈRE MATÉRIELLE. LA H'MIÈRE DE LA RAI-
qu'il ne faut pas adorer, il est vrai, mais qui
SON. LA LUMIÈRE DIVINE.
sont du moins réels. Userait donc plus vi ai de
dire que vous n'adorez pas même ce soleil A propos de cette fable, en trois ou plutôt
matériel, que votre prière suit dans son cours. en quatre parties, que vous dirai-je de la lu-
mière secrète du Père, sinon que vous n'êtes
CHAPITRE VI.
pascapables d'imaginer une autre lumièreque
OBSCÈNES UÊVEBIES DES MANICHÉENS SUR LE celle qui frappe vos yeux? Envoyant cette lu-

SOLEIL. mière visible pourtoute chair, non-seulement


d'hommes, mais même d'animaux et d'insec-
Car VOUS dites de lui des choses si fausses, tes, cette lumière si universellement connue,

si abominables, que s'il pousait venger ses vous en formez ce rêve de votre cœur, vous
injures,il vous consumerait tout vivants. D'a- la dilatez à l'infini et vous dites que c'est en
bord vous en faites une es|ièce de vaisseau ;
elle que le Père habite avec ses sujets. Quand,
en sorte que vous ne vous égarez pas seule- en effet, avez-vous jamais distingué la lumière
ment, comme l'on dit, de toute la hauteur du matéiielle de la lumière intellectuelle, puis-
ciel, mais que vous y naviguez. Ensuite, bien que, pour vous, comprendre la vérité n'a
qu'il paraisse l'ond aux yeuv de tout le monde, jamais signifié autre chose que se figurer des
et que cette forme soit en rapport parfait avec formescorporelles, soit limitées, soit illimitées
le rang et la position qu'il occupe, vous pré- sous certains côtés :vains fantômes dont vous
tendez qu'il est triangulaire, c'est-à-dire que ne voyez pas le néant? Par conséquent, autant
sa lumière éclaire le monde et la terre en pas- il y a de différence entre la pensée qui me fait
sant par une de fenêtre ouverte en
csi)èce songer à votre région de lumière qui n'existe
triangle. C'est ce qui fait que vous courbez nulle part, et la pensée qui me fait songer à
le dos, il est vrai, et que vous inclinez la tête Alexandrie que je n'ai jamais vue, mais qui
devant cet astre, mais qu'au lieu d'un soleil existe, autant encore il y a de différence entre
rond, un globe si lumineux, vous adorez je ne la pensée qui me fait songer à Alexandrie que
sais quel vaisseau, produit de vos rêves, d'où je ne connais pas, et celle qui me porte vers
la lumière s'échajjpe à travers une ouverture Cailhage que je connais autant et in-
:

triangulaire. Ce vaisseau, votre fabriquant ne comparablement plus grande est la distance


l'eût pas construit, si, comme on achète du entre la pensée qui me représente des corps
bois pour former l'assemblage d'un navire, il réels et connus, et celle par laquelle je com-
LIVRE XX. — LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. 289

prends la justice, la chasteté, la foi, la vérité, tissu de rêveries folles et de fables absurdes.
la charité, la bonté, et toute autre chose de ce Mais au milieu de ces fourberies et de ces men-
genre. Dites-moi donc, si vous le pouvez ,
songes, avec quel défaut de justesse, avec quel
quelle espèce de lumière est cette dernière égarement d'esprit, vous nous dites que le siège
pensée : lumière qui fait discerner entre elles de la sagesse est moins lumineux que celui de

ne sont pas elle, et voir


toutes les choses qui la vertu ! Car à la vertu se rattache la faculté

clairement combien elles en diffèrent ? Et d'opérer et de produire, et à la sagesse la fonc-

cependant cette lumière n'est pas encore la tion d'instruire et de faire voir. Par conséquent,
lumière qui est Dieu : car l'une est créature, si la chaleur eût été prédominante dans le
et l'autre est le créateur ; l'une est l'ouvrage, soleil et la lumière dans la lune, tes rêveries

l'autre l'ouvrier ; l'une enfin sujette à chan- auraient pris la forme d'un brouillard propre

gement, voulant ce qu'elle ne voulait pas, ap- à tromper les hommes charnels et animaux,
prenant ce qu'elle ne savait pas, se souvenant qui ne peuvent s'imaginer qu'il y ait autre
de ce qu'elle avait oublié, tandis que l'autre chose que des corps car la vive opération de:

subsiste parune volonté immuable, par la vé- lachaleur tend à produire le mouvement, ce
rité, par l'éternité ;
que d'elle procèdent le prin- qui devrait être le propre de la vertu, tandis
cipe de notre existence, la raison de nos con- que de la lumière sert à faire
le brillant éclat

naissances, la de nos affections qu'elle a


loi : voir, ce qu'on devrait attribuer à la sagesse.
donné à tous les animaux privés de raison la Mais comme la lumière est beaucoup plus
nature qui les fait vivre, la vigueur qui les fait éclatante dans le soleil, comment y place-t-on
sentir, le mouvement qui forme leurs appétits ; la vertu, tandis qu'on fait résider la sagesse

qu'elle a aussi donné à tous les corps la mesure là où il y a inflniment moins de lumière ?

qui les fait subsister, le nombre qui fait leur sacrilège stupidité 1 Et puisqu'il n'y a qu'un
beauté et le poids qui détermine leur ordre. seul Christ, vertu de Dieu et sagesse de Dieu ',

Or, cette lumière, indivisible Trinité, est le et que FEsprit-Saint com-


n'est pas le Christ,
Dieu unique ; et cette substance qui n'a au- ment séparer le Christ de lui-même, quand
cun corps, qui est par elle-même incorporelle, FEsprit-Saint n'en est pas séparé ? En effet,

spirituelle,immuable, vous la partagez eutre l'airque votre système fabuleux assigne pour
les parties de l'espace vous n'assignez pas , demeure au Saint-Esprit, remplit selon vous,
même seulement trois places à la Trinité ,
toute l'étendue du monde. Aussi le soleil et la
mais quatre au Père une, c'est-à-dire la lu-
: lune sont-ils toujours avec lui dans leurs
mière inaccessible, que vous ne comprenez en cours. Or, la lune s'éloigne du soleil, puis s'en
aucune façon au Fils deux, le soleil et la
; rapproche, par conséquent, d'après votre en-
lune et au Saint-Esprit une
; c'est-à-dire , seignement, ou plutôt vos mensonges, la sa-
l'atmosphère ambiante. Je n'ai parlé jusqu'ici gesse s'éloigne de la vertu pendant la moitié
que de la lumière inaccessible du Père mais, ; de la durée du parcours et s'en rapproche
pour les vrais croyants, le Fils et le Saint-Esprit pendant l'autre moitié quand la lune est ;

n'en sont point séparés. pleine, la sagesse est loin de la vertu car ces :

deux astres sont à une telle distance Fun de


CHAPITRE VIII.
Fautre que, quand le soleil décline vers l'Oc-

niDICrLES COMRADICTIONS DE LA DOCTRINE MAM- cident, la lune se lève à FOrient : d'où il ré-

CUÉENNE SIR LE FILS DE DIEU. sulte que, comme tout ce que la vertu aban-
donne s'affaiblit, la sagesse est d'autant plus fai-
Quelle idée avez-vous eue, dans votre vain ble que la lune est plus pleine. Mais si, comme
système, de faire résider la vertu du Fils dans la vérité le veut, la sagesse de Dieu a toujours
le soleil, et sa sagesse dans la lune ? Puisque la même vertu, et la vertu de Dieu toujours la
le Fils est dans le Père même et en est insépa- même sagesse, pourquoi établissez-vous entre
rable, comment sa sagesse peut-elle être sé- ces deux choses un tel dualisme, que vous leur
parée de sa vertu, en sorte que l'une soit dans assigniezdes demeures différentes et les sépa-
le soleil et l'autre dans la lune, puisque les riez par des distances locales, tout en affirmant
corps seuls peuvent être divisés et séparés par que leurs demeures sont de mêmesubslance ?
des distances locales ? Si vous l'aviez su, vous hommes à Fe^rit aveugle et insensé, qui
vous seriez épargné la peine de composer un tel ' I Cor. I, 24.

S. AuG. — Tome XIV. 19


290 COMRE FAUSTE, LE MANICHÉEN,

ne pouvez sortir de vos rêves matériels et qui déjà filé et enroulé autour du fuseau, le pré-
êtesdénués de vertu et de sagesse au point sent qui passe actuellement entre les doigts de
de ne rien comprendre avec force et de ne rien la fileuse, l'avenir encore attaché à la que-
pouvoir avec sagesse Quoi le Christ, ô folie ! ! nouille et qui doit passer par les doigts, c'est-
abominable et digne de tout anathème le 1 à-dire glisserdu présent dans le passé) ils :

Christ tiraillé entre le soleil et la lune, habi- nous parlent de Vénus, épouse de Vulcain,
tant ici par sa vertu, là par sa sagesse, impar- parce que la chaleur produit naturellement la
fait et incomplet ici et là, sans sagesse dans le volupté, et adultère de Mars, parce que les
soleil, sans puissance dans la lune, le Christ guerriers s'accommodent peu de l'amour de ;

suborne ici et là de beaux jeunes hommes, de Cupidon, enfant ailé et armé de flèches, parce
belles jeunes filles pour les livrer à l'impure que l'amour déraisonnable et inconstant blesse
convoitise des princesses et des princes des le cœur de ses malheureuses victimes, et ainsi
ténèbres Vous lisez cela, vous croyez cela,
!
de beaucoup d'autres. Et voilà pourquoi
vous enseignez cela, vous vivez de cette foi nous nous moquons d'eux parce qu'ils ado- :

et de cette doctrine et vous vous étonnez de


:
renten connaissance de cause ce qu'ils seraient
rhorreur que vous inspirez ? encore coupables, quoique excusables , d'a-
dorer, s'ils ne le comprenaient pas. Leurs pro-
CHAPITRE IX,
pres interprétations leur démontrent qu'ils
CE QIE LES PAÏENS ADOREM, EXISTE : CE QIE LES n'adorent pas le Dieu dont la jouissance fait

MANICHÉENS ADORENT, EST PUR SÉANT. seule le bonheur, mais une créature, œuvre
de ses mains; et qu'ils ne se bornent pas à
Mais quand vous vous trompez si grossière- adorer les vertus de cette créature (comme
ment à propos de ces astres si distingués et si ils le font pour Minerve, par exemple, que la
connus , au point d'adorer en eux non ce , fable représente sortie de la tête de Jupiter et
qu'ils sont, mais ce qu'y suppose votre extrême qui est pour eux le symbole de la prudence,
folie, que dirai-Je de vos autres fables ? Qu'est- attribut propre de la raison, dont Platon place
ce, en effet, que ce Porte-lumière qui tient le le siège dans la tête) ; mais qu'ils adorent
monde suspendu et cet Atlas qui le supporte même ses vices, comme nous l'avons remar-
avec lui ? Ces êtres et une foule d'autres, pi'o- qué de Cupidon. Ce qui a fait dire à un de
duits de votre imagination en délire, n'exis- leurs auteurs tragiques :

tent enaucune façon; et vous les adorez. Voilà


Une passioa honteuse et amie du vice a fait un Dieu de l'amour.
pourquoi nous vous disons au-dessous des
(Séoèque, Hippolyte, act. I, se. n, vers, 194, 193.)
païens vous leur ressemblez en ce point que
;

vous adorez beaucoup de dieux vous en dif- ; Les Romains ont même consacré des statues
férez et vous descendez au-dessous d'eux eu ce aux infirmités du corps, comme à la Pâleur
sens qu'ils adorent comme
dieux ce qui n'est et à la Fièvre. Ainsi, pour ne pas parler des
pas dieu mais qui existe taudis que vous , sentiments que les adorateurs d'idoles éprou-
adorez non-seulement ce qui n'est pas Dieu, vent pour ces statues mêmes, au point de les
mais ce qui n'est rien, ce qui n'existe en au- redouter comme des dieux, en les voyant éle-
cune façon. Sans doute ils ont aussi des inven- vées dans des places d'honneur et objet de
tions fabuleuses, mais ils savent que ce sont tant d'hommages; nous avons de plus justes
des fables : ils affirment que les poêles les ont motifs d'accuser les interprétations mêmes, à
imaginées pour amuser, ou ils tâchent d'y l'aide desquelles on cherche à défendre ces
trouver un sens conforme à la nature des signes muets, sourds, aveugles, inanimés.
choses ou aux mœurs de l'humanité. Ainsi ils Néanmoins ils existent d'une manière quel-
nous peignent Vulcaiu boiteux, parce que telle conque, bien qu'inutiles au salut ou à quoi que
est la nature des tremblements de terre, cau- ce soit, comme je l'ai déjà dit, et le sens qu'on
sés par le feu ; la fortune aveugle, à cause de y attache se retrouve dans les réalités de la vie.
l'incertitude desévénements appelés fortuits ;
Mais votre premier homme luttant avec cinq
les trois Parques filant les destinées humaines éléments votre esprit puissant fabriquant le
;

avec de la lame et tenant, l'une la quenouille, monde avec les corps captifs du peuple des
l'autre le fuseau et la troisième le fil, emblème ténèbres, ou plutôt avec les membres de votre
des trois divisions du temps (le passé, qui est dieu, subjugués et vaincus ; votre Porte-lu-
LIVRE XX. — LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. 291

mière tenant en sa main les restes de ces mêmes sins du cadavre du paganisme que de la cen-
membres de votre dieu, et frappant tous les dre du manichéisme. Du reste, pour discerner
autres qui ont été pris, écrasés, souillés ; votre des objets quelconques, on établit ordinaire-
gigantesque Atlas en soutenant avec lui le poids ment entre eux des divisions fondées sur telles
sur ses épaules, de peur que la fatigue ne l'o- ou telles différenceset en changeant de diffé-
:

blige à tout lâcher, etque votre fable ne puisse rences, il que ce qui était d'un côté se
arrive
se prolonger jusqu'au jour où le manteau, trouve rejeté de l'autre où il n'était pasd'abord.
comme une toile de théâtre, doit couvrir les Ainsi, par exemple, si on divise toute chair en
restes du globe ces absurdités, ces folies et
: deux espèces les êtres qui volent et ceux qui
:

une multitude d'autres, vous ne les peignez ne peuvent voler, les quadrupèdes se trouve-
pas, vous ne les sculptez pas, vous ne les in- ront, à ce point de vue, plus rapprochés de
terprétez pas elles n'existent en aucune façon,
: l'homme que des oiseaux car ni les quadru-
:

et vous y croyez et vous les adorez et, de plus, ; pèdes ni l'homme ne peuvent voler. Mais si on
vous insultez les chrétiens en traitant de folle adopte une autre division, par exemple les :

crédulité la foi non feinte avec laquelle ils pu- êtres doués de raison et ceux qui en sont pri-
rifient les pieuses affections de leurs cœurs. vés, les quadrupèdes se trouveront plus rap-
Pour passer sous silence une foule d'arguments prochés des oiseaux que de l'homme, puisque
qui démontrent que tout cela est pur néant quadrupèdes et oiseaux sont également privés
(car un traité détaillé et digne sur la créa- de raison. C'est à quoi Faustene songeait pas,
tion du monde ne me serait pas difficile mais quand il disait «Or, si vous cherchez quelles
:

m'entraînerait trop loin), je me contente de « sont les sectes, vous n'en trouverez pas plus

dire que, si tout cela est vrai, la substance de « de deux celle des Gentils et la nôtre, qui a
:

Dieu est sujette au changement, à la corrup- « des opinions si éloignées des leurs » Et cette si
.

tion, à la souillUre. Or, c'est l'excès d'une folie grande différence, il l'avait exprimée plus haut
sacrilège que de le croire. Donc tout cela est en disant que les Gentils s'éloignent surtout des
vain, faux, nul. Par conséquent vous êtes pires Manichéens en ce qu'ils prétendent que tout
que sont connus, tels qu'ils
les païens, tels qu'ils provient d'un seul principe, ce que les Mani-
l'ont été dans l'antiquité et qui aujourd'hui chéens rejettent, eux qui admettent de plus le
rougissent, dans leurs restes; vous êtes au-des- principe du peuple des ténèbres. En ce point,
sous d'eux, parce qu'ils adorent des choses qui ilfaut l'avouer, la plupart des païens sont d'ac-
ne sont pas dieux, et que vous adorez des cho- cord avec nous; maisFauste n'a pas vu qu'en
ses qui ne sont pas. prenant un autre point de division, en distin-
guant, par exemple, parmi ceux qui ont une
CHAPITRE X. religion, ceux qui n'admettent qu'un Dieu, et
DIFFÉRENCES ENTRE LES DIVERSES RELIGIONS, SUI-
ceux qui en admettent plusieurs, parcelle dif-
férence, les païens se trouvent rejetés loin de
VANT LE POINT DE VUE OU l'ON SE PLACE.
nous et les Manichéens avec eux, tandis que
Si donc VOUS pensez être dans la vérité ,
nous nous rencontrons avec les Juifs. Sous ce
parce que votre erreur diffère beaucoup de rapport, on peut dire qu'il n'y a que deux
celle des païens, et si vous croyez que nous sectes. Peut-être direz-vous que vous préten-
sommes dans l'erreur, parce que nous som- dez que tous vos dieux sont de la même sub-
mes peut-être plus éloignés de vous que stance, comme si les païens n'en disaient pas
des païens il faudra dire qu'un mort est en
: autant des leurs, bien qu'ils leur attribuent
bonne santé, parce qu'il n'est plus malade, et des fonctions, des opérations et des pouvoirs
plaindre celui qui se porte bien, parce qu'il différents ; comme chez vous, l'un combat le
est plus rapproché de la maladie que delà peuple des ténèbres, l'autre fabrique le monde
mort. Ou s'il faut regarder la plupart des avec ce peuple prisonnier; celui-ci tient l'u-
païens non plus comme malades, maiscomme nivers suspendu, celui-là le supporte par des-
morts, il faudramettre la poussière du sépul- sous l'un tourne en bas les roues des feux,
;

cre qui a perdu la forme de cadavre, au des- des vents et des eaux l'autre, enveloppant le
;

sus du corps vivant qui est plus rapproché du ciel de ses rayons, recueille jusqu'au fond des
cadavre que de la poussière. C'est ainsi que cloaques les membres de votre dieu. Et qui
nos adversaires nous accusent d'êlre plus voi- pourrait compter toutes les fonctions de vos
292 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

dieux, fables qui ne reposent sur aucune vé- ne peut, selon vous encore, sans indignité
rité que ne représente aucun symbole ?
, faire naître d'une vierge ? Si vous regardez la
Mais si, adoptant une autre division, on par- chair comme immonde, pourquoi ne trouvez-
tage les hommes entre ceux qui croient que vous pas plus immonde encore ce qu'elle re-
Dieu s'occupe des choses humaines, et ceux jette naturellement pour se maintenir saine ?
qui ne le croient pas, nous nous trouverons d'un Quoi la chair est immonde et ses excréments
1

côté avec les païens, les juifs, vous et tous les ne le sont pas? Ne faites-vous donc pas atten-
hérétiques qui portent d'une façon ou de
, tion, ne voyez-vous pas comme les campagnes
l'autre, le nom de chrétiens, et de l'autre côté se trouvent bien du fumier qui les fertilise et
on verra les Epicuriens et ceux qui ont pu les féconde? Car votre folie revient à dire que
penser comme eux. Est-ce là une petite diffé- cet Esprit-Saint qui a, dites-vous, dédaigné
rence ? Pourquoi donc ne pas vous placer à les entrailles d'une vierge, féconde la terre
ce point de vue, pour dire qu'il n'y a que deux d'autant plus richement, d'autant plus géné-
que nous nous trouvions ensemble
sectes, afin reusement, qu'elle a été mieux engraissée par
dans l'une d'elles ? Oserez-vous, ici, vous sé- les ordures sorties de la chair. Pour justifier
parer de nous qui enseignons que Dieu s'oc- ces conséquences, direz-vous que l'Esprit-Saint,
cupe des choses humaines, et vous ranger présent partout, necontracteaucune souillure?
avec les Epicuriens qui le nient ? Or, en les On vous répond : Pourquoi excepter le sein
répudiant, vous venez évidemment à nous. d'une vierge ? Mais passons sur la conception
C'est ainsi que, d'après telle ou telle autre et voyons l'enfantement vous dites que la :

différence, on se trouve tantôt ici, tantôt là ;


terre, ayant conçu du Saint-Esprit, enfante
tantôt réunis, tantôt séparés
; tous à tour tous Jésus passible ; mais ce Jésus, vous le dites
sont avec nous et nous avec tous, puis per- souillé et suspendu à tout bois, dans les fruits,
sonne n'estavecnous nous ne sommes avec
et de manière à être encore souillé davantage
personne. Si Fauste y avait songé, il eût mis par les chairs des innombrables animaux qui
moins d'art à débiter ses folies. se nourrissent de ces fruits, et à ne pouvoir
être purifié que dans la partie où votre appé-
CHAPITRE XI. tit vient à son aide. Ainsi donc, nous croyons
QUESTIONS AUX MANICHÉENS SUR JÉSUS PASSIBLE. de cœur, nous confessons débouche le Christ
ABSURDITÉS DE LEUR DOCTRINE. Fils de Dieu, Verbe de Dieu, revêtu d'une
chair sans souillure, parce que la chair ne
Mais que dire de ceci : « La terre fécondée par peut souiller une substance que rien ne sau-
la force du Saint-Esprit et par son influence rait souiller et vous, vous prétendez dans vos
;

a spirituelle, conçoit et enfante Jésus sujet à rêves que Jésus suspendu à l'arbre est déjà
« la souffrance, qui,supendu à tout bois, est souillé avant même d'entrer dans la chair de
« la vie et le salut des hommes ?» insensé! celui qui mange le fruit car, s'il n'était pas
:

quoi ! (pour ne pas entrer maintenant en souillé, comment le purifieriez-vous en man-


discussion sur cette absurdité) quoi ! la terre geant ? Ensuite comme vous prétendez que
fécondée par l'Esprit-Saint a pu concevoir tout arbre est sa croix, puisque Fauste le dit
Jésus sujet à la souffrance, et la vierge Marie « suspendu à tout bois » pourquoi, à l'exemple ,

ne l'a pas pu ? Compare, si tu l'oses, les en- de Joseph d'Arimalhie qui fit la bonne œuvre
trailles d'une vierge , si chastes, si saintes, de descendre de la croix le vrai Jésus pour
avec tous les lieux de la terre, capables de l'ensevelir pourquoi ne cueillez-vous pas
'
,

produire des arbres et des plantes. Cette les fruits des arbres , pour ensevelir dans
femme, ce sein consacré à la pudeur, t'inspi- votre estomac Jésus descendu de la croix ?
rent-ils donc une si grande horreur, vraie ou Comment est-ce un acte de piété de mettre
feinte? Et tu n'en Jéprouves aucune à penser Jésus au sépulcre, et un acte d'impiété de le
que Jésus a pu être enfanté par des eaux descendre du bois? Serait-ce pour qu'on vous
d'égouts dans tous les jardins qui entourent ap|)Iique les paroles que l'Apôtre emprunte
nos villes? Quelles sont, en effet, les eaux fan- au prophète « Leur gosier est un sépulcre
:

geuses qui ne produisent et ne développent « ouvert - » que vous attendez bouche


, ,

d'innombrables végétaux ? Et c'est de là, se- béante, qu'on vous introduise le Christ dans la
lon vous, qu'est né ce Jésus passible, que l'on • Jeau, XIX, 38. — Ps. V, 11 j Rom. m, 13,
LIVRE XX. — LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. 293

gorge comme dans le tombeau le plus digne? Jésus est dans les arbres, que Jésus a été cru-
Enfin, dites-nous combien vous prétendez qu'il cifié sous Ponce-Pilate, que Jésus est partagé
y a de christs. Ce Christ passible que la terre entre le soleil et la lune, parce que tout cela
conçoit du Saint-Esprit, qui n'est pas seule- ne forme qu'une seule et même substance :

ment suspendu à tout bois, mais étendu même pourquoi n'enfermez-vous pas vos milliers de
sur l'herbe, est-il différent de celui que les dieux sous cette unique dénomination ? Pour-
Juifs ont crucifié sous Ponce-Pilate ? Y en a-t- quoi le Porte-lumière, l'Atlas, le roi de l'hon-
il un troisième partagé entre le soleil et la neur, l'esprit puissant le premier homme, ,

lune? Ou bien est-ce le même, un Christ tous ces êtres sans nombre à qui vous assignez
unique, en partie enchaîné dans les arbres, en des noms et des offices différents, ne sont-ils
partie libre, et venant, par la partie libre, en pas aussi Jésus ?

aide à la partie captive et enchaînée ? S'il en


est ainsi comme vous prétendez que celui
,
CHAPITRE XII.

qui a souffert sous Ponce-Pilate (il a existé, POURQUOI, d'après les mamchéens, le christ
vous en convenez) n'avait pas de chair, sans N"'EST-IL pas multiple ? POURQUOI k'est-ilpas
m'occuper encore de savoir comment il a pu, TOUT?
sans chair, subir une pareille mort, je vous
demande seulement à qui il a laissé ces vais- Enfin, pourquoi le Saint-Esprit est-il donné
seaux, avant d'en descendre pour souffrir des comme la troisième personne, puisqu'il fait

traitements qui ne peuvent avoir lieu que partie d'une multitude innombrable ? Pour-
dans un corps quelconque? Comme esprit, il quoi n'est-il pas aussi Jésus ? Que signifie,
ne pouvait en aucune façon les endurer ; dans les écrits de Fauste, ce tissu de paroles
comme corps, il ne pouvait être tout à la fois menteuses, où il cherche à ménager les vrais
dans le soleil, dans la lune et sur la croix. chrétiens, dont il est bien trop éloigné « Nous :

Par conséquent, s'il n'a pas eu de corps, il n'a « adorons donc une seule et même divinité

pas été crucifié ; et s'il en a eu un, je demande «sous la triple invocation du Père, Dieu
où il l'a pris puisque vous prétendez que
,
a tout-puissant, du Christ son Fils et du Saint-

tous les corps proviennent du peuple des té- « Esprit». Pourquoi une invocation triple et
nèbres, bien que vous ne puissiez concevoir la non multiple non-seulement en paroles
,
,

nature divine que comme une substance ma- mais en réalité, puisqu'il y a autant de per-
térielle. Vous êtes donc forcés ou de dire qu'il sonnes que de noms ? 11 n'en est pas ici
a été crucifié sans corps, ce qui est le comble comme, par exemple, dans les armes où trois
de l'absurdité et de la démence ou de dire; mots épée, tranchant, glaive, expriment une
:

qu'on a vu un fantôme sur la croix, plutôt seule et même chose, ni comme quand parles
qu'un vrai crucifié, ce qui est l'excès de l'im- mots de lune, de vaisseau moindre, de flam-
piété ; ou que tous les corps ne proviennent beau nocturne vous entendez désigner le
,

pas du peuple des ténèbres, mais que la divine même objet vous ne pouvez pas dire que le
;

substance est un corps qui n'est pas immortel, premier homme, l'esprit puissant, le Porte-
mais qui peut être crucifié et mis à mort, ce lumière, le colossal Atlas soient le même être;
qui n'est pas moins insensé ; ou que le Christ l'un n'est pas l'autre, ni celui-ci celui-là, et
a reçu un corps mortel du peuple des ténèbres, vous ne donnez à aucun le nom de Christ.
en sorte que vous ne redoutiez pas de le voir D'ailleurs comment n'y aurait-il qu'une seule
tenir des démons ce que vous redoutez de lui divinité, si les œuvres sont différentes ? Ou
voir prendre dans le sein de Marie, la Vierge pourquoi le Christ n'est-il pas tout à la fois si,
Mère. Enfin, puisque selon la pensée de Fauste à raison de l'unité de substance, il est en même
résumant en ce peu de mots l'interminable temps Christ dans les arbres. Christ dans la
fatras de vos rêveries « La terre conçoit du
: persécution des Juifs, Christ dans le soleil et
a Saint-Esprit et enfante Jésus sujet à la souf- dans la lune ? Vos rêveries sont en dehors
« suspendu à tout bois, est la vie
france, qui, de toutes les voies ce ne sont que des songes
;

« et le salut hommes », pourquoi ce Sau-


des d'hommes en délire.
veur est-il suspendu comme doit l'être tout ce
qui est suspendu et ne naît-il pas comme doit
naître tout ce qui naît ?Mais si vous dites que
294 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE XIII. de Saturne, quoiqu'ils aient observé le repos


du sabbat, parce qu'ils vivaient dans un temps
LE PAm ET LE VIN. COMBIEN LES CATHOLIQUES ET
prophétique.
LES MANICHÉENS PENSENT DIFFÉREMMENT LA-
CHAPITRE XIV.
DESSUS.
ERREURS DES MANICHÉENS SUR HYLÉ OU LA
Je ne sais comment Fauste s'est imaginé
MATIÈRE.
que nous avons le même culte pour le pain
et le vin, quand goûter le vin est pour les Mais pourquoi ne réclamez-vous pas aussi
Manichéens, non un acte de piété, mais un une communauté de culte avec les païens, à
sacrilège. En effet, ils reconnaissent leur dieu cause de cette Hylé, si souvent mentionnée
dans le raisin, mais non dans la coupe, comme dans quelques-uns de leurs livres ? Loin de là :

si, quand il enfermé, il les


a été foulé et vous prétendez au contraire que celte Hylé
blessait en quelque chose. Pour nous, au con- est bien inférieure à la vôtre et bien différente
traire, le pain et le vin (non jias tout pain et d'elle, puisque c'est le nom que votre théolo-
tout vin, ni parce que le Christ est enchaîné gien donne au principe et à la nature du

dans les épis et dans les ceps, comme les Ma- mal. En quoi vous faitespreuve d'une ex-
nichéens le disent dans leur folie), le pain et trême ignorance : car vous ne savez pas
le vin, di?-je, deviennent pour nous le Christ même ce que c'est que Hylé, et affectant un
en vertu d'une certaine consécration; mais le air de science, vous prononcez pompeusement

Christ n'y naît pas. En dehors de cela, le pain ce mot dont vous ne connaissez pas la signiû-
et le vin sont des aliments destinés à nous cation. Quand les Grecs parlent de la nature,
soutenir, mais non un sacrement religieux, ils donnent le nom de Hylé à une certaine

bien que nous les bénissions, et que nous matière des choses, qui n'a absolument au-
rendions grâces au Seigneur pour tous ses cune forme, mais qui est susceptible de rece-
dons, non-seulement spirituels, mais aussi voir toutes les formes du corps. Elle se recon-
corporels. Quant à vous, d'après vos fables, naît à la propriété de changer quant aux
on vous sert le Christ enchaîné dans tous les mêmes corps; car par elle-même elle ne peut
aliments, pour être enchaîné de nouveau être ni sentie ni comprise. Mais quelques
dans vos entrailles, puis dégagé par vos rots. païens se trompent en la faisant coéternelle et
Car quand vous mangez, vous vous restaurez en l'unissant à Dieu, de telle sorte qu'elle ne
aux dépens de votre dieu, et quand vous di- viendrait pas de Dieu, bien qu'elle en rece-
gérez, il se refait à vos propres dépens. En vrait sa forme opinion dont la Vérité elle-
:

effet, quand il vous remplit, votre réfection est même nous enseigne la fausseté. Et voilà que
pour lui un poids ce qui serait de sa part un
: vous vous trouvez d'accord avec ces païens
acte de miséricorde, puisqu'il souffrirait quel- sur cette Hylé, puisque vous prétendez aussi
que chose en vous a cause de vous, s'il ne (ju'elle a son principe en elle et qu'elle ne

vous laissait bientôt vides en fuyant pour se vient pas de Dieu. Pourtant vous affirmiez
dégager de sa prison. Comment donc oses-tu que vous vous sépariez d'eux sur ce point,
comparer à cela notre pain et notre vin, et mais vous ne saviez pas ce que vous disiez.
mets-tu au niveau de noire culte une erreur En tant qu'ils prétendent que cette Hylé n'a
si éloignée de la vérité? Tu es plus absurde, pas de forme propre et qu'elle n'en peut rece-
en cela, que ceux qui nous accusent, à l'occa- voir que de Dieu, ils sont dans le vrai et
sion du pain et du vin, d'adorer Cérès et d'accord avec nous, mais en opposition avec
Bacchus. Et si je rappelle ceci, c'est pour votre erreur car ne sachant ce que c'est que
:

vous combien est peu fondée celte


faire voir Hylé, c'est-à-dire la matière des corps, vous
autre opinion que vous avancez à l'occasion l'appelez peuple des ténèbres, et vous y pla-
du sabbat, à savoir que nos pères étaient cou- cez non-seulement des formes corporelles sans
sacrés à Saturne. Autant nous sommes loin nombre et divisées en cinq espèces, mais en-
de Cérès et de Bacchus, ces dieux païens, bien core l'esprit qui donne ces formes aux corps;
que nous vénérions, parmi nos rites, le sa- et pour comble d'ignorance ou plutôt de dé-
crement du pain et du vin, que vous louez mence, vous appelez Hylé ce même es|)rit
vous-mêmes jusqu'à vouloir le partager avec |ui, selon vous, donne les formes sans en re-
nous; autant nos pères cluicnlloiii tics chaînes cevoir lui-même. Mais s'il y avait là un esprit
LIVRE XX. — LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. 295

formateur et des éléments matériels à former, de lumière. Mais cette partie même de votre
il faudrait appeler ces éléments Hylé, c'est-à- être, vous avez coutume de l'appeler partie

dire matière apte à être formée par ce même ou membre de Dieu, et non temple de Dieu.
esprit dont vous faites le principe du mal. Si Il ne te reste donc d'autre ressource que de

vous vous ne seriez pas loin de la


disiez cela, te croire temple de Dieu par le corps seule-
vérité au sujet de cette Hylé, sauf que les élé- ment, lequel, selon toi, estl'œuvre du démon.
ments eux-mêmes, quoique destinés à rece- Et voilà comment vous blasphémez le temple
voir d'autres formes, par le fait qu'ils seraient de Dieu, non-seulementjusqu'àdire qu'il n'est
éléments en espèces parti-
et déjà distingués pas saint, mais jusqu'à l'appeler œuvre du dé-
culières, ne seraient plus proprement Hylé, mon et prison de Dieu Et cependant l'Apôtre 1

puisque Hylé est absolument informe. Néan- dit « Car le temple de Dieu est saint, et vous
:

moins votre ignorance serait tolérable, puis- « êtes ce temple ». Et pour que tu ne penses

que vous appelleriez Hylé ce qui reçoit la pas qu'il s'agit seulement de l'àme, écoute
forme, et non ce qui la donne. Et encore se- ces autres paroles plus expresses : « Ne savez-
riez-vous regardés comme absurdes et sacri- « vous pas que vos corps sont le temple de
lèges, parce que, ne sachant pas que toute « l'Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez

mesure dans les nombre dans


natures, tout « reçu de Dieu ? » Et vous, vous appelez le
'

les formes, toute quantité dans les poids ne temple de Dieu œuvre des démons, et là,
peuvent venir que du Père et du Fils et du comme dit Fauste, vous placez « le Christ,
Saint-Esprit, vous attribueriez un aussi grand « Fils de Dieu, vivante image de la majesté

bien au principe du mal. Mais maintenant « vivante » Soit que votre Christ chimérique
. :

que vous ne savez pas même ce que c'est que habite dans un tel temple de vanité sacrilège.
Hylé, pas même ce que c'est que le mal, oh ! On peut l'appeler simulacre, en tirant ce mot
que ne puis-je vous décider à vous contenir de « simulation » et non de « similitude ».
et à ne plus tromper les ignorants !

CHAPITRE XVI.
CHAPITRE XV.
LE SACRIFICE INTÉRIEUR SELON LA DOCTRINE
COMMEST CN MAMCHÉEN s' IMAGINE ÊTRE LE DES MANICHÉENS.
TEMPLE DE DIEU.
Ainsi tu fais de ton âme un autel, mais de
Mais qui ne rira, en vous entendant dire qui ? On par les arts et les doc-
le voit assez

que vous râlez mieux que les païens, parce trines, dont tu la dis pénétrée. Ces arts et
qu'ils pensent qu'on doit honorer Dieu par ces doctrines défendent de donner du pain à
des autels, des temples, des statues, des vic- un mendiant, afin que la cruauté se mêle au
times et de l'encens, et que vous ne faites rien sacrifice offert sur votre autel, autel que le
de tout cela ? Comme s'il n'était pas meilleur Seigneur renverse, en rappelant, d'après la
de dresser un autel même à une pierre qui, loi, quel est le parfum qu'il goûte a J'aime :

après tout, existe, et de lui offrir des victimes, « mieux la miséricorde que le sacrifice ' ».

que d'adorer, dans l'égarement de sa folie, ce Or, faites attention à la circonstance où le Sei-
qui n'existe absolument pas. Mais toi qui te gneur cite ce passage : c'est au moment où il

dis le temple raisonnable de Dieu, comment traversait des moissons, et que ses disciples
l'entends-tu ? Trouves-tu bon que Dieu ait un cueillaient des épis pour satisfaire à leur
temple construit en partie par le démon? faim. Or, selon la doctrine dont vous pénétrez
N'est-ce pas vous qui prétendez que tous vos votre àme, c'était là un homicide. Votre àme
membres, que tout votre corps a été formé est donc l'autel, non de Dieu, mais des dé-
par le méchant esprit que vous appelez Hylé, mons menteurs, dont les doctrines cautéri-
et qu'une partie de cette Hylé y habite avec sent la conscience pervertie ', laquelle donne
une partie de votre dieu ? Et comme celle-ci le nom
d'homicide à un acte que la Vérité dé-
y est, dites-vous, enfermée et enchaînée, fau- clare innocent. Voilà pourquoi le Seigneur,
dra-t-il dire temple de Dieu ou prison de Dieu? vous frappant et vous réfutant d'avance dans
A moins que tu ne places le temple de Dieu la personne des Juifs, a dit a Si vous com- :

dans ton àme, que tu crois tenir de la terre '


1 Cor. m, 17 ; VI, 19. — = Os. vi, 6. — ' I Tim. iv, 2.
296 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

« preniez ce que signifie : J'aime mieux la a gloire de votre nom, délivrez-nous; pour
« miséricorde que le sacrifice, vous n'auriez « votre nom, pardonnez- nous nos péchés » '
;

« jamais condamné des innocents ' ». mais que vous Tâchez de nous dé-
lui dites :

livrer, car c'est pour vous procurer la faculté


CHAPITRE XVII. de pleurer en paix dans votre royaume que
CE QBE c'est que LA PRIÈRE CHEZ LE nous sommes oppressés, déchirés, souillés.
MANICHÉEN. une accusation, et non une prière.
Or, c'est là
Vous ne pouvez pas dire non plus ce que le
Mais quelles oraisons simples et pures pou- Maître de la vérité nous a appris à dire :

vez-vous offrir à Dieu comme hommages et « Remettez-nous nos dettes, comme nous les

comme sacrifices, quand vous avez, de la na- « remettons nous-mêmes à ceux qui nous

ture même et de la substance divine, des «doivent* ». Car quels sont vos débiteurs,
idées si indignes, si honteuses, que non- ceux qui ont eu des torts à votre égard ? Si
seulement vos ne sauraient rendre
sacrifices c'est le peuple des ténèbres, lui remettez-
propice le vrai Dieu, mais que votre dieu vous ses dettes, à lui qui est extirpé à fond
même est immolé dans les sacrifices des et que vous tenez enfermé dans une prison
païens? Car vous le dites enchaîné de liens éternelle? Et quelles dettes votre dieu peut-il
qui le déshonorent et qui le souillent, non- vous remettre, puisqu'il est plutôt votre débi-
seulement dans les arbres, dans les plantes teur, pour vous avoir envoyés où vous êtes,
ou dans les membres humains, mais aussi que vous n'êtes les siens, pour avoir obéi à
dans les chairs des animaux. Et votre âme ses ordres? Ou s'il n'est pas coupable, parce
elle-même , à quel dieu adressera-t-elie ses qu'il a été forcé d'agir, vous êtes encore bien
louanges, quand elle se proclame une partie moins libres qu'il ne l'était avant que vous li-
de ce dieu, captive et enchaînée chez le vrassiez combat, puisque vous avez été vain-
peuple des ténèbres ? Fait-elle autre chose cus dans ce combat et que vous êtes couchés
que de blâmer ce dieu qui n'a pu (elle l'at- à terre. Car vous subissez le mélange du mal,
teste elle-même) se défendre contre ses enne- et il ne le subissait pas, lui, alors même qu'il
mis qu'en livrant ses parties à une si grande était déjà forcé d'agir, par exemple, de vous
corruption, aune si honteuse captivité? Les envoyer où vous êtes. Ainsi donc, ou il est
prières que vous lui adresseriez ne pourraient votre débiteur et c'est à vous à lui remettre
donc être que des sentiments de rancune, et sa dette ; ou il ne l'est pas, et vous l'êtes en-
non des actes de religion. Car quel mal lui core bien moins envers lui. Que sont donc vos
aviez-vous fait pour encourir un tel châti- sacrifices, vos oraisons simples et pures, sinon
ment et être réduits à lui adresser vos plaintes, des mensonges et d'impurs blasphèmes ?

vous qui ne l'avez pas abandonné volontaire-


ment et par le péché, mais qu'il a lui-même CHAPITRE XVllI,

livrés à ses ennemis pour procurer la paix à


DIVERSES ESPÈCES DE SACRIFICES. SACRIFICE DU
son royaume, et livrés, non pas comme des CHRIST. SACRIFICE DES MANICHÉENS.
otages que Ton doit conserver honorable-
ment? Il n'est pas non plus comme un berger Néanmoins, je voudrais bien que vous me
qui tend des pièges pour prendre une bête dissiezpourquoi vous donnez les noms de
sauvage car c'est une pièce de son bétail, et
: temple, d'autel, de sacrifice à ces choses que
non ses membres, qu'il emploie pour amorce, vous louez en vous. Car si ces véritables hom-
et encore de façon à ce que la bête soit ])rise mages ne sont pas dus au vrai Dieu, pourijuoi
avant que l'amorce soit entamée. Mais vous, les reconmiande-t-on pourquoi en fait-on ,

membres de votre dieu, vous êtes abandonnés l'éloge dans la vraie religion ? Mais si on doit
aux ennemis; vous ne pouvez garantir votre au Dieu véritable un véritable sacrifice (ce
dieu de leur férocité, sans vous souiller de qu'on appelle à juste titre honneurs divins) :

leur immondice, et cela, sans faute person- les autres ne sont a|)pelés sacrifices que
nelle,mais i>ar l'effet du poison ennemi qui par analogie à celui-là. Or, les uns sont des
vous mine. Ce qui tait que vous ne pouvez imitations suggérées par des dieux faux et
dire dans vos prières « Seigneur, pour la
: menteurs, c'est-à-dire par les dénions , qui
' Mali. Mi, '. '
l's. l.xjvili, '.I. — " Malt. VI, 12.
LIVRE XX. — LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. 207

exigent par orgueil les honneurs divins de la « naissant Dieu, ne l'ont point glorifié comme
part de leurs dupes; tels sont ou tels étaient <jDieu ou ne lui ont point rendu grâces
, ;

tous ceux qu'on offrait aux idoles dans les « mais ils se sont perdus dans leurs pensées,

temples païens. Les autres étaient des figures «et leur cœur insensé a été obscurci; ainsi,
du seul et très-réel sacrifice, qui devait être « eu disant qu'ils étaient sages, ils sont deve-

offert dans la suite pour les péchés de tous les « nus insensés et ils ont changé la gloire du

croyants tels étaient ceux prescrits par Dieu


;
« Dieu incorruptible contre une image repré-
aux anciens pères, où se trouvait même l'onc- « sentant un homme corruptible, des oiseaux,
tion mystique, emblème prophétique de celle «des quadrupèdes et des serpents ». Telles

du Christ qui lui a même emprunté son nom. sont les idoles des Gentils; il est impossible

Or, ce vrai sacrifice, dû au seul vrai Dieu, et d'y voir autre chose qu'un culte rendu à la

que le Christ seul a accompli sur son autel, les créature que Dieu a tirée du néant ; de telle

démons s'en attribuent arrogamment la fi- sorte que, dans cette interprétation même,
gure dans l'immolation des victimes. Ce qui dont les [)lus habiles d'entre eux ont coutume
fait dire à l'Apôtre a Ce qu'immolent les: de se vanter et de se pavaner, il leur arrive ce
« Gentils, ils l'immolent aux démons et non à que l'Apôtre dit un peu plus bas « Ils ont :

« Dieu » blâmant par là non ce qui était


'
: « adoré et servi la créature au lieu du Créa-
offert, mais le but pour lequel on l'offrait. « leur qui est béni dans les siècles '
» . Mais
Quant aux Hébreux, dans les sacrifices d'ani- vous, dans tous les points où vous vous rap-
maux qu'ils offraient à Dieu sous des formes prochez d'eux, vous déraisonnez et dans les ;

nombreuses et variées, comme le sujet le points où vous vous en éloignez, vous êtes au-
méritait, ils honoraient prophétiquement le dessous d'eux. En effet, vous n'admettez pas
futur sacrifice que le Christ a consommé. Eu- avec eux l'idée d'un pouvoir unique, qu'ils
suite les chrétiens célèbrent à leur tour la ont raison d'admettre, et vous croyez à une
mémoire du sacrifice accompli ,
par la très- substance divine unique, mais qui peut être
sainte oblation et la réception du corps et du vaincue et qui est sujette à corruption, ce qui
sang du Christ. Mais les xManichéens ignorant est une impiété absurde ; d'autre part, en
ce qu'il faut condamner dans les sacrifices des adorant plusieurs dieux ils se sont laissé en-
Gentils, ce qu'il faut entendre dans les sacri- traîner, par les démons menteurs, à adresser
fices des Hébreux, et ce qu'il faut croire et leurs hommages à des idoles, comme vous à
observer dans le sacrifice des chrétiens, offrent d'innombrables chimères.
leur folie en sacrifice au démon qui les a trom-
pés, s'éloignant de la foi pour se livrer à des CHAPITRE XX.
esprits séducteurs et aux doctrines des démons CE NE SONT PAS LES AGAPES CHRÉTIENNES, MAIS
hypocrites et menteurs. LES SACRIFICES DES MANICHÉENS, QUI RESSEM-
BLENT A CEUX DES PAÏENS.
CHAPITRE XIX.
LES PAÏENS ONT EC l'IDÉE d'UN POUVOIR DIVIN
Nous n'avons pas converti en agapes les
sacrifices des païens; mais nous nous en te-
UNIQUE, LES MANICHÉENS NE l'ONT PAS,
nons au sacrifice dont j'ai parlé tout à l'heure,
Que Fauste, ou
plutôt ceux qui goûtent ses sur cette parole du Seigneur « J'aime mieux :

écrits,apprennent donc que l'idée d'un pou- « la miséricorde que le sacrifice». Nos agapes

voir unique ne nous vient point des Gentils, nourrissent les pauvres ou de fruits, ou de
mais que les Gentils ne sont pas tombés assez chair. Ainsi une créature de Dieu est nourrie
bas dans l'idolâtrie pour perdre la notion d'un d'une autre créature de Dieu propre à servir
seul vrai Dieu auteur de toute espèce d'être. d'aliment à l'homme. Mais vous, comme les
Leurs sages (parce que, dit l'Apôtre, a les per- démons menteurs vous ont persuadé, non
a fections invisibles de Dieu, rendues compré- pour dominer la chair, mais pour pratiquer
« hensibles depuis la création du monde, sont le blasphème, « de vous abstenir des aliments

« devenues bien que sa puis-


visibles, aussi « que Dieu a créés pour être reçus avec actions

ci sance éternelle et sa divinité, de sorte qu'ils « de grâces par les fidèles et par ceux qui ont
« sont inexcusables») leurs sages, dis-je, «con- a connu la vérité ; car toute créature de Dieu

' I Cor. X, 20. ' Kom. I, 20-25.


298 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

bonne et on ne doit rien rejeter de ce qui


est lumière, pour laquelle elles ont combattu et
a se prend avec actions de grâces ' » vous, ; trouvé la mort par conséquent, qu'aucune
;

dis-je, ingrats envers le Créateur, et ne lui âme n'est retenue autour du tombeau où son
rendant, pour ses généreux bienfaits, que des corps a été enseveli. D'où viennent donc ces
injures sacrilèges, parce que l'on donne ordi- ombres de morts ? Quelle est leur substance ?
nairement de la viande aux pauvres dans les où est leur séjour? Mais Fauste, dominé par
agapes, vous assimilez la charité des chrétiens la passion de l'injure, a oublié la doctrine
aux quelques-uns des-
sacrifices des païens, à qu'il professait ou peut-être a-t-il écrit ce
;

quels vous ressemblez en cela même. En mot ombre en dormant ou en rêvant, et a-t-il
effet, tuer des troupeaux vous semble un relu sa page sans être éveillé. Le peuple chré-
crime, parce que vous croyez que les âmes tien célèbre avec une religieuse solennité la
humaines passent dans les animaux doctrine : mémoire des martyrs, pour exciter les fidèles
qu'on retrouve dans les livres de quelques à les imiter, pour s'associer h leurs mérites et
philosophes païens, bien que plus tard, dit-on, s'aider de leurs prières, de manière cependant
on l'ait entendu autrement. Mais sur ce point à n'élever d'autels qu'au Dieu même des mar-
encore, votre erreur est bien plus détestable tyrs, et non à aucun martyr, bien que ce
que la leur : car, en tuant un animal, ils soit en leur mémoire. Car quel est le pontife
craignaient seulement de donner la mort à un qui, célébrant le sacrifice à l'autel, dans les
de leurs semblables, et vous, vous craignez lieux où reposent les corps saints, a jamais
de tuer votre dieu dont vous pensez que les dit Nous l'offrons à vous, Pierre, ou Paul, ou
:

âmes mêmes des animaux sont les membres. Cyprien? Non, ce qui est offert, est offert au
Dieu qui a couronné les martyrs, près des
CHAPITRE XXI. autels de ceux qu'il a couronnés, afin que les

CULTE DES MARTYRS DIFFÉRENT DC CULTE DE lieux mêmes enflamment la piété, excitent à

LATRIE QUI n'est DU QU'a DIEU. LE SACRIFICE aimer et ceux que nous pouvons imiter et

EUCHARISTIQUE, MÉMORIAL DE CELUI DE LA celui qui nous aide à le pouvoir. Nous hono-
CROIX. rons donc les martyrs d'un culte d'amour et
de fraternité, semblable aux sentiments que
Pour ce qui est de l'accusation calomnieuse nous éprouvons en cette vie pour les saints,
de Fauste, qui prétend que le culte que nous pour les hommes de Dieu, que nous savons
rendons aux martyrs n'est qu'une idolâtrie prêts à supporter de tels tourments pour la
retournée, je n'y attache d'intérêt que pour vérité évangéUque. Et notre culte est d'autant
montrer qu'entraîné par le besoin de calom- plus fervent que ceux qui en sont l'objet sont
nier, Fauste lui-même a essayé de sortir du plus en sécurité, après tant de combats suivis
cercle des folies de Manès, et que, par je ne de la victoire, et nous en faisons l'éloge avec
sais quelle maladresse, il est tombé dans l'o- plus de confiance, depuis qu'ils jouissent du
pinion vulgaire et poétique des païens, tout triomphe dans une vie plus heureuse, que s'ils
en voulant paraître à une immense dislance combattaient encore dans cette vie mortelle.
d'eux. En effet, après avoir dit que nous avons Quant au culte que les Grecs appellent xarpefa,
changé les idoles en martyrs il ajoute , : et qui ne peut s'exprimer en latin par un seul
a Vous leur offrez les mêmes hommages, vous mot, comme il consiste en un hommage qui
« apaisez les ombres des morts avec du vin et appartient en propre à la divinité, nous ne le
« des aliments ». Quoi y a-t-il des ombres de
1 rendons, et nous enseignons qu'on ne peut le
morts? Nous n'avons jamais rien entendu de rendre qu'à Dieu seul. Et comme l'oblation
cela dans vos discours, rien lu de cela dans vos du sacrifice fait partie de ce culte, ce qui fait
livres bien plus, vous dites ordinairement
: qu'on appelle idolâtrie le sacrifice fait aux ido-
tout le contraire, en affirmant que les âmes les, nous n'offrons rien, nous défendons d'of-
des morts, coupables ou trop peu purifiées, frir rien de ce genre à un martyr, à une âme
subissent des métamorphoses ou d'autres , sainte, ou à un ange et quiconque tombe
;

peines plus graves; que celles des bons sont dans cette erreur, est repris et ramené à la
embarquées, voguent dans le ciel et passent saine doctrine, pour qu'il se corrige ou se
de là dans le séjour imaginaire de la terre de tienne en garde. D'ailleurs les saints eux-
• I Tim. IV, 2, 4. mêmes, soit hommes, soit anges, refusent de
LIVRE XX. — LES MANICHEENS ET LES PATENS. 299

telshommages qu'ils savent n'être dus qu'à a manifesterai mon salut' ». La chair et le

Dieu. On l'a vu par l'exemple de Paul et de sang, matière de ce sacrifice, étaient figurés
Barnabe, au moment où les Lycaoniens, frap- prophétiquement par des victimes, avant l'ar-
pés des prodiges qu'ils opéraient, voulaient rivée du Christ dans sa Passion ils furent
;

leur sacrifier comme à des dieux ils déchi- ; réellement immolés depuis l'Ascension du
;

rèrent leurs vêtements, protestèrent et prou- Sauveur, on célèbre le sacrifice en mémoire


vèrent qu'ils n'étaient point des dieux, et dé- de lui par conséquent, il y a autant de diffé-
;

fendirent qu'on les traitât comme tels'. On l'a rence entre les sacrifices des païens et ceux des
vu aussi pour les anges : car nous lisons dans Hébreux, qu'il y en a entre une imitation
l'Apocalypse que l'un d'entre eux défendit erronée, et un symbole prophétique. De même
qu'on l'adoràtj et dit à celui qui voulait le donc qu'il ne faut pas mépriser ni avoir en
faire : « Je suis serviteur comme vous et horreur la virginité des religieuses, parce que
« comme vos frères ^ ». Or, il est connu que les Vestales étaient vierges ainsi il ne faut;

les esprits orgueilleux, le démon et ses anges pas blâmer les sacrifices de nos pères, parce que
exigent ces hommages, comme cela se voit les Gentils ont aussi leurs sacrifices. En effet,

par tous les temples et tous les sacrifices des comme il y a une grande distance entre ces
Gentils. Et même certains hommes, aveuglés deux espèces de virginité, bien que cette dis-
par l'orgueil, imitent leur exemple, comme tance ne soit autre que celle même qui sépare
l'histoire nous le raconte de quelques rois de les êtres à qui elles étaient consacrées ainsi ;

Babylone. Ce fut ce qui attira au saint homme en est-il des sacrifices des païens et des Hé-
Daniel des accusations et des persécutions, breux, qui diffèrent essentiellement par la
parce que, nonobstant l'édit du roi qui défen- nature même de ceux à qui on les offrait à :

dait d'invoquer d'autre dieu que lui, on le savoir, d'un côté, à l'orgueil impie des démons
surprit à adorer et à prier son Dieu, c'est-à- qui s'arrogeaient les honneurs divins, puisque
dire le seul vrai Dieu ^ Quant à ceux qui le sacrifice n'est dû qu'à Dieu et, de l'autre, ;

s'enivrent aux tombeaux des martyrs, com- au seul vrai Dieu, à qui on offrait des sacri-
ment pourrions-nous les approuver, puisque fices , emblèmes du véritable sacrifice qui
la saine doctrine condamne même ceux qui devait lui être offert en réalité par l'immola-
s'enivrent chez eux ? Mais autre chose est ce tion du corps et du sang du Christ.
que nous enseignons, autre chose ce que nous
tolérons autre chose est ce que nous avons
;
CHAPITRE XXII.
mission de commander, autre chose ce que LES SACRIFICES DES JUIFS DIFFÉRENTS DE CEUX
nous avons ordre de corriger et que nous DES PAÏENS. LES DÉMONS SE REPAISSENT DES
sommes forcés de supporter en attendant. ERREURS HUMAINES.
Autre chose est la discipline chrétienne, autre
chose la débauche des hommes adonnés au Il est faux que, comme le dit Fauste, les
vin ou l'erreur des infirmes. Et encore y a-t-il Juifs qui nous ont précédés, étant séparés des
une grande distance entre la faute des ivrognes Gentils et ayant temple, sacrifices, autels, sa-
et celle des sacrilèges. Car il est infiniment cerdoce, n'aient renoncé qu'aux images tail-

moins coupable de revenir ivre des tombeaux aux idoles: car ils pouvaient,
lées, c'est-à-dire

des martyrs, que de sacrifier, même à jeun, comme quelques gentils, n'avoir point d'idoles
aux martyrs. J'ai dit Sacrifier aux martyrs, : sculptées et sacrifier aux arbres, aux monta-
et non Sacrifier à Dieu sur les tombeaux des
: gnes et finalement au soleil, à la lune et aux
martyrs ce que nous faisons très -souvent,
: autres astres. S'ils l'eussent fait par le culte
mais selon le rite que Dieu lui-même a pres- dit de latrie, comme ils auraient servi la créa-
crit pour le sacrifice par la révélation du Nou- ture au lieu du Créateur, et auraient été
veau Testament rite qui fait partie du culte
: atteints de la grave erreur d'une superstition
appelé latrie et qu'on ne doit qu'à Dieu seul. impie, les démons se seraient également prê-
Mais que faire ? Et comment faire sentir à ces tés à les tenir dans l'illusion et auraient ac-
hérétiques si aveugles, la force de ces paroles cepté leurs sacrifices. Car ce n'est pas, comme
du Psalmiste : o Le sacrifice de louange est le quelques-uns le pensent d'odeurs et de ,

« culte qui m'honore ; c'est par là que je lui fumée, mais des erreurs humaines que ces
• Act. xiv, 7-17. — ' Apoc. XLX, 10, xaa, 8, 9. — ' Dan. in. Ps. XLix, 23.
300 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

esprits orgueilleux se repaissent : ce qui les son, les maisons, les vêtements, les bains; et,
charme, ce n'est point le plaisir de manger, pour ceux d'entre nous qui sont mariés, des
mais une complaisance malveillante dans le femmes à épouser et à conserver, des enfants
succès d'une imposture quelconque, ou la à mettre au monde, à nourrir, à laisser pour
fastueuse satisfaction d'une fausse grandeur héritiers bien différente cependant est la ma-
:

quand peuvent se vanter de recevoir les


ils nière d'userde ces choseschez celui qui enrap-
honneurs divins. Nos pères n'ont donc pas porte l'usage à une autre fin, et chez celui qui
seulement laissé là les idoles mais ils n'ont : en rend grâces à Dieu sans avoir de lui aucune
sacrifié ni à la terre, ni à rien de terrestre, ni idée mauvaise ou erronée. Car bien que, au sein
à la mer, ni au ciel, ni là la milice du ciel; ils de votre erreur, vous mangiez le même pain
ont offert au Dieu unique, créateur de toutes que les autres hommes, que vous viviez de
choses, les victimes qu'il a lui-même exigées : fruits et de l'eau des fontaines, que vous soyez

nous promettant par ces figures le véritable vêtus de laine et de lin tissés de la même
sacrifice, au moyen duquel il nous a récon- manière, vous ne menez cependant point la
ciliés avec lui, par la rémission de nos péchés, même conduite, non précisément en man-
en Jésus-Christ Nôtre-Seigneur, chef du corps geant, en buvant ou en vous habillant autre-
que composent les fidèles, ainsi que Paul le ment que les autres, mais parce que vous avez
leur dit en ces termes « Je vous conjure : d'autres sentiments, d'autres croyances, et que
« donc, mes frères, par la miséricorde de Dieu, vous rapportez toutes ces choses à une autre
« d'offrir vos corps en hostie vivante, sainte, fin, à savoir à vos erreurs et à votre vanité.
«agréable à Dieu' ». Mais les Manichéens De même, quoique nous usions de ces choses
prétendent que les corps humains sont l'œu- et d'autres encore de la même manière que

vre du peuple des ténèbres, et des prisons où les païens, nous ne vivons cependant pas

leur dieu vaincu est enfermé; ainsi bien dif- comme les païens, parce que nous ne les rap-
férentes sont la doctrine de Fauste et celle de portons pas à la même fin, mais à la fin du
Paul. Mais puisqu'il est écrit quelqu'un : « Si précepte légitime et divin, à savoir la charité
« vous annonce un autre Evangile que celui qui vient d'un cœur pur, d'une bonne cons-
« que vous avez reçu, qu'il soitanalhème^» : cience et d'une foi non feinte. Quelques-uns,
le Christ dit la vérité par la bouche de Paul ;
pour s'en être écartés, se sont égarés en de
que Manès soit donc anathème dans la per- vains discours. Parmi ceux-là vous tenez évi-
sonne de Fauste I
demment le premier rang, vous qui ne voyez
CHAPITRE XXIII. pas, qui ne réfléchissez pas que la différence
de foi entraîne aussi une différence de con-
DANS l'usage des CHOSES ORDINAIRES DE LA VIE,
duite dans la possession et l'usage des mêmes
LES MANICUÉENSDIFFÈRENT BEAI COUPDES CATHO-
choses, tellement que, quand vos auditeurs ont
LIQUES ET SONT AU-DESSOUS MÊME DES PAÏENS.
des femmes, ont des enfants quoique malgré
ne sachant ce qu'il dit, prétend
Fauste, eux, leur amassent ou leur conservent un pa-
encore que nous n'avons rien changé aux trimoine, mangent de la viande, boivent du
mœurs des Gentils. Mais comme le juste vit vin, vont aux bains, moissonnent, vendangent,

de loi ' que la fin du précepte est la charité


;
font un négoce, exercent les fonctions publi-

qui vient d'un cœur pur, d'une bonne cons- (]ues, vous les regardez comme vos disciples
cience et d'une foi non feinte * que, pour ;
et non comme des païens, quoique leur con-
former la conscience des fidèles, ces trois duite semble plus se rapprocher de celle des
choses demeurent : la foi, l'espérance et la païens que de la vôtre. En effet, le genre de vie
charité '^
: comment celui qui n'a pas ces trois de certains païens ressemble plus au vôtre
choses pourrait-il avoir les mêmes mœurs que (ju'à celui de quelques-uns de vos auditeurs,

celui qui les possède ? Car nécessairement ]iuisque, dans leurs cérémonies sacrilèges, ils

celui qui croit, espère, aime autre chose, doit s'abstiennent du vin, de la chair et des fem-
vivre dilféremmcnt. Si nous paraissons avoir mes néanmoins, bien qu'ils fassent ce que
;

en commun avec les Gentils l'usage de cer- vous faites, vous admettez, plutôt qu'eux, dans
taines choses, comme la nourriture et la bois- vos rangs des auditeurs qui usent de toutes
ces choses et en cela s'éloignent de vous et
' Rom. XII, 1 — Gai.
' — Rom. 17. —
l, 9. ' l, ' 1 Tim. l, 5. »»
;

comme membre
.

' 1 Cor. xili, 13. vous regardez plutôt de votre


LIVRE XX. — LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. 301

secte une femme qui met au monde des en- nir et ne veulent point être guéris par elle.
fants, pourvu qu'elle croie à Manès, qu'une Car il faut bien admettre ce petit nombre
Sibylle qui ne se marie même pas. Mais, dites- d'élus, que le Seigneur indique en particulier
vous, il y a beaucoup de chrétiens appelés ca- au milieu de cette vaste, de cette immense
tholiques qui sont adultères, ravisseurs, avares, multitude répandue dans le monde entier '
:

ivrognes , ou entachés de tout autre vice cependant ce petit nombre de saints et de


condamné par la saine doctrine. Eh ! dans fidèles (il faut souvent le répéter), cette quan-
votre petit, dans votre très-petit nombre, la tité de grains si petite par comparaison à l'é-

plupart ne sont-ils pas tels, et n'y en a-t-il pas norme quantité de paille, forme par elle-
quelques-uns parmi les païens qui ne le sont même une telle abondance de froment qu'elle
pas ? Dites-vous pour cela que ces païens valent l'emporte sans comparaison sur tous vos jus-
mieux que vous ? Et cependant, à raison de tes et vos réprouvés, les uns et les autres éga-
ces vaines et sacrilèges erreurs de votre secte, lement réprouvés de la vérité. Nous ne som-
ceux d'entre vous qui n'ont point de ces vices mes donc pas un schisme des Gentils, dont
sont au-dessous des païens qui les ont. 11 est nous différons beaucoup en mieux vous n'en ;

donc clair que la saine doctrine, qui est la êtes pas un non plus, parce que vous en dif-
seule catholique, reste tout entière, bien férez beaucoup en pire.
qu'un grand nombre prétendent lui apparte- • Matt. XX, 16.
LIVRE VINGT-UNIEME.
Fauste nie admelte deux dieux. — Dieu
qu'il impénétrable dans ses voies, admirable dans toutes ses œuvres. — La Loi de
est
conservation. — Harmonie du corps humain d'après Paul. — Dieu a
saint corps humain. — Opinion manichéenne sur
fait le

les animaux. — Contradictions fables absurdes de ces


et — Les deux natures absurdités qui en découlent.
sectaires. et

CHAPITRE PREMIER. deux, parce que tous les deux font quelque
chose. Or, si cela est absurde, combien ne
FAUSTE VEUT PROUVER QU'iL N'ADMET PAS DEUX
l'est-il pas plus de regarder comme deux
DIEUX.
dieux, Dieu et Hylé, parce que l'un et l'autre
Fauste. N'y qu'un Dieu ou y en a-
a-t-il agissent ? C'est donc une sotie et pauvre ar-
t-il deux? — Evidemment
il n'y en a qu'un. gumentation que la tienne, quand n'ayant
— Comment donc affirmez-vous qu'il y en a rien à me répondre sur le fond, tu me fais
deux? —
Jamais il n'a été question de deux une méchante querelle sur les mots. Du reste,
dieux dans nos assertions. Je voudrais savoir je ne disconviens pas que quelquefois nous
ce qui a pu te le faire soupçonner. Parce — donnons le nom de dieu à la nature enne-
que vous admettez deux principes, celui du mie; en cela nous n'entendons pas exprimer
bien et celui du mal. —
Soit nous admettons : notre foi, mais nous conformer au langage de
deux principes, mais nous n'appelons Dieu ceux qui l'honorent et en font un dieu dans
que l'un des deux, et nous nommons l'autre leur ignorance comme nous entendons
;

Hylé ou démon, pour parier le langage ordi- l'Apôtre dire « Le dieu de ce siècle a aveuglé
:

naire. Si tu penses que ce soit, là, admettre les esjjrits des infidèles » l'appelant dieu, "^
;

deux dieux, tu pourras dire aussi qu'un mé- parce que les siens l'appelaient ainsi mais ;

decin qui discute sur la maladie et la santé, ajoutant qu'il aveugle les esprits, pour faire
admet deux santés que celui qui nomme le
;
comprendre qu'il n'est pas le vrai Dieu.
bien et le mal, admet deux biens; et en en-
tendant parler de richesse et de pauvreté, tu CHAPITRE II.

pourras croire que cela signifie deux richesses.


COMMENT DIEU PEUT AVEUGLER LES ESPRITS.
Et si je discute sur le blanc et le noir, le froid
et lechaud, le doux et l'amer, et que tu pré- Augustin. Nous entendons ordinairement
tendes que je parle de deux blancheurs, de parler de deux dieux dans vos discussions.
deux chaleurs, de deux douceurs, ne pas- Après l'avoir d'abord nié, tu as fini par
seras-tu pas pour un fou, pour un cerveau en convenir un moment après, et comme
fêlé? Ainsi, quand je parle de deux principes, pour justifier ce langage tu cites ce mot ,

Dieu et Hylé, tu ne dois pas t'imaginer que je de l'Apôtre a Le Dieu de ce siècle a


:

veuille dire deux dieux. Parce que nous attri- «aveuglé les esprits des infidèles». Mais ce
buons à Hylé tout pouvoir de faire le mal et passage, la plupart d'entre nous l'entendent
à Dieu tout pouvoir de faire le bien, comme en ce sens que c'est le vrai Dieu qui aaveuglé
cela doit être, diras-tu pour cela qu'il importe les esprits des infidèles. Après avoir lu a En :

peu que nous les appelions dieu l'un et l'autre, a quoi Dieu», ils suspendent la prononcia-

indilTéremnient? S'il en est ainsi, quand on tion puis ils continuent


,
« De ce siècle :

jiarlera de poison et d'antidote, tu pourras a a aveuglé les esprits des infidèles ». Si

dire qu'on peut indiflcremment les appeler tu n'admets pas cette manière de lire, et
tous les deux antidotes, parce qu'ils ont cha- que, pour expliquer ce passage, tu changes
cun leur pro|)riété, que tous les deux opèrent ainsi l'ordre des mots « En quoi Dieu a:

et produisent leur effet; (juand on parlera « aveuglé les esprits des infidèles de ce
d'un médecin et d'un empoisonneur tu , «siècle», tu retrouveras le même sens que
pourras donner à tous les deux le nom de dans l'autre manière de lire. Car roi)ération
médecins; quand on parlera d'un juste et d'un en vertu de laquelle les esprits des infidèles
injuste, tu pourras les appeler justes tous les ' II Cor. IV, 4.
LIVRE XXI. - LES DEUX NATURES DES MANICHÉENS. 303

sont aveuglés, sous certain rapport,


peut, « Dieu ! que ses jugements sont incompré-
s'attribuer au vrai Dieu. Il agit alors par jus- e hensibles I etc. ' »

tice et non par méchanceté, comme le même


Paul le dit ailleurs « Dieu est-il injuste d'en-
:
CHAPITRE ni.

« voyer sa colère '? » Et en un autre endroit:


DIEU CONDAMNE ET JUSTIFIE PAR DES VOIES
« Que dirons-nous donc? Y a-t-il en Dieu de
IMPÉNÉTRABLES.
« l'injustice? Nullement. Car il dit à Moïse :

« J'aurai pitié de qui j'aurai pitié, et je forai Mais vous, vous ne savez pas discerner ce
«miséricorde à qui je ferai miséricorde». que Dieu fait par bonté de ce qu'il fait par

Après avoir d'abord posé ce principe incon- justice, parce que, bien loin de votre cœur et
testable qu'il n'y a point d'injustice en Dieu, de vos lèvres est notre psautier oii on lit :

faites attention à ce qu'il dit peu après « Que : a Je chanterai votre miséricorde et votre jus-
« si Dieu voulant manifester sa colère et si- « tice, Seigneur ^ » tout à fait étrangers au ;

« gnaler sa puissance, a supporté avec une bon au jugement du vrai Dieu, vous
plaisir et
« patience extrême les vases de colère propres avez, pour tout ce qui vous blesse dans l'in-
« à être détruits, afin de manifester les ri- llrmité de notre condition mortelle, un autre
« chesses de sa gloire sur les vases de miséri- dieu tout prêt, un dieu méchant, que la vé-
« corde qu'il a préparés pour la gloire, etc. -» rité ne vous a point révélé, mais que votre

Certes, il est impossible ici de dire que le Dieu folie a imaginé, auquel vous attribuez non-
qui manifeste sa colère et signale sa puissance seulement tout ce que vous faites injuste-
sur les vases propres à être détruits, est autre ment, mais encore tout ce que vous souffrez
que celui qui manifeste ses richesses sur les justement vous laissez ainsi à Dieu la distri-
;

vases de miséricorde. L'enseignement de UA- bution des bienfaits, mais vous lui ôtez celle
pôtre prouve donc que c'est le seul et même des châtiments comme si celui dont le Christ
:

Dieu qui agit dans ces deux cas. C'est ce qui a dit qu'il a préparé un feu éternel pour les
lui fait dire encore « Aussi Dieu les a livrés : méchants ', était autre que celui qui fait lever
« aux désirs de leurs cœurs, à l'impureté, en son soleil sur les bons et sur les niéchants et
« sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres pleuvoir sur les justes et les injustes *. Pour-
« corps en eux-mêmes » ; puis peu après : quoi ne comprenez-vous pas qu'une si grande
« Et comme ils n'ont pas montré qu'ils avaient bonté ici, et, là, une si grande sévérité appar-
« laconnaissance de Dieu, Dieu les a livrés à tiennent au seul et même Dieu, sinon parce
a un sens réprouvé ' ». Voilà comment le que vous ne savez pas chanter la miséricorde
Dieu vrai et juste aveugle les esprits des infl- et la justice? N'est-ce pas le même Dieu qui
dèles. Jamais, dans ces textes de l'Apôtre que fait lever son soleil sur les bons et sur les
je viens de rapporter, on n'a vu un autre Dieu méchants, et pleuvoir sur les justes et les in-
que celui qui a envoyé son Fils, lequel Fils justes, qui brise aussi les rameaux naturels,
nous dit « C'est pour juger que je suis venu
: et ente, contre nature , l'olivier sauvage ?
« dans ce monde, afin que ceux qui ne voient N'est-ce pas du même que l'Apôtre dit : « Tu
a pas voient, et que ceux qui voient devien- a vois donc la bonté et la sévérité de Dieu ; sa
« nent aveugles * ». Ici les esprits des fidèles a sévérité envers ceux qui ont été brisés ; et
voient assez comment Dieu aveugle les esprits a sa bonté envers toi, si tu demeures ferme
des infidèles.Il se passe d'abord quelque chose a dans cette bonté ^». Vous entendez, vous

de secret dans le mystère, sur quoi Dieu remarquez, comme il n'ôte point à Dieu la
exerce son jugement souverainement juste, sévérité du juge, ni à l'homme son libre ar-
pour aveugler les esprits des uns et éclairer bitre. C'est un mystère, c'est un abîme, c'est
ceux des autres car c'est de lui qu'on a dit
: un secret impénétrable à la pensée humaine,
avec la plus parfaite vérité a Vos jugements : comment Dieu condamne un impie et justifie
a sont un profond abîme S). Et c'est devant un impie car la Vérité, dans les saintes Ecri-
:

ces impénétrables profondeurs que l'Apôtre tures, affirme de lui l'un et l'autre. Quoi I

frappé d'étonnement s'écrie : « profondeur faudra-t-il donc murmurer contre les juge-
a des trésors de la sagesse et de la science de ments divins, parce qu'ils sont inscrutables ?
' Rom. m, 5. — ' Id. ix, 14, 15, '
Id. I, 24, 26, 2B. — ' Rom. XI, 33. — ' Ps. c, ' Matt. XXV, 41. — * Id. V, 4 3. —
' Jean, IX, 39 — ' Ps. xxxv, 7. ' Rom. XI, n, 24.
304 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Combien il est plus convenable, combien il férieurs et soleil parmi les êtres supé-
le

est plus en rapport avec notre faiblesse, de rieurs dans des sphères célestes plus
; et

trembler où Paul tremblait et de nous écrier : élevées, mais déjà spirituelles et non plus cor-
« profondeur des trésors de la sagesse et de porelles, il a encore fait des êtres beaucoup
« la science de Dieu que ses jugements sont
I meilleurs que notre lumière, et que l'homme
« incomprébensibles et ses \oies impénétra- charnel ne comprend pas, à plus forte raison
« blés » Combien il vaut mieux admirer ce
! vous qui, en détestant la chair, détestez votre
que tu ne peux pénétrer, plutôt que d'inven- propre doctrine, la règle d'après laquelle vous
ter un autre dieu, un Dieu méchant, parce mesurez le bien et le mal. Car il ne peut y
que lu ne peux comprendre le dieu bon car 1 avoir d'autre mal pour vous que celui qui
ce n'est pas du mot qu'il s'agit, mais de la blesse le sens charnel, ni d'autre bien que
chose. celui qui flatte la vue charnelle.
CHAPITRE IV.
CHAPITRE V.
QUOI qu'il en dise, FAUSTE ADMET DEUX DIEUX.
DIEU ADMIRABLE DANS SES OEUVRES GRANDES ET
Fauste se presse trop de se croire justifié, PETITES. TOUT ANIMAL AIME SA PROPRE CHAIR.
pour avoir dit « Nous n'admettons pas deux
:
ILLUSION DES MANICHÉENS SUR CE POINT.
« dieux, mais Dieu et Hylé ». Car demandez-
lui ce que c'est et vous aurez bien-
que Hylé, Pour moi, quand je considère au degré le

d'un autre dieu. Si, en effet,


tôt la définition plus bas de l'échelle des êtres, ces œuvres de
à l'exemple des anciens, les Manichéens don- Dieu, terrestres, faibles, mortelles, mais ses
naient le nom de Hylé à la matière encore in- œuvres pourtant, je me sens irrésistiblement
forme, mais susceptible de recevoir les formes entraîné à louer leur créateur, qui sait se
corporelles, personne de nous ne les accuse- montrer grand dans les grandes choses, sans
rait d'en faire un dieu. Mais quelle erreur, cesser de l'être dans les plus petites. Car l'art
quelle ou d'appeler la matière des corps
folie, divin, qui produit les choses célestes et les
créatrice des corps, ou de nier que Dieu ait choses terrestres , au milieu des différences
créé les corps ? Mais comme vous attribuez à qui les séparent, reste en tout semblable à
je ne sais quel autre ce que le vrai Dieu a fait, lui-même parce qu'en créant chaque être
,

formes des corps,


c'est-à-dire les qualités et les parfait en son genre, il est lui-même parfait
des éléments, des animaux, ce qui les fait corps, partout. En effet, il ne crée pas dans cha-
éléments, animaux quel que soit le nom que
: que être un univers, mais en créant chaque
vous donniez à cet être, nous avons raison de être pour l'ensemble de l'univers, il se mon-
vous accuser d'erreur et de dire que vous tre universel même dans les détails, il fa-
créez un second dieu. Sur le même point çonne et arrange chaque chose pour son lieu
vous commettez deux erreurs sacrilèges la : et pour son rang, proportionnant tout dans le
première, en attribuant l'œuvre de Dieu à un détail etdans l'ensemble. Et voyez dans ces
être que vous rougissez d'appeler dieu mais : bas-fonds, pour ainsi dire, de toute la créa-
vous ne pourrez jamais lui ôter ce titre qu'en tion, cesanimaux qui volent, qui nagent, qui
lui refusant le pouvoir de faire ce que Dieu marchent ou rampent. Ils sont mortels en
seul peut faire la seconde , en prétendant
; ellet leur vie, comme il est écrit, « est une
:

que le bien que fait le dieu bon est produit a vapeur qui paraît pour un peu de temps ». '

par le dieu mauvais et devient un mal en- ; Mais la petite mesure que le Créateur leur a
traînés que vous êtes par une puérile horreur départie dans son excellente bonté, ils la met-

pour tout ce qui afflige et gêne notre faiblesse tent en quelque sorte en commun pour com-
mortelle et épris de ce qui lui plaît. Ainsi
,
pléter, chacun pour sa part, l'ensemble de
vous appelez mauvais celui qui a créé le ser- l'univers, afin que leur petitesse contribue à

pent, et le soleil qui nous éclaire vous paraît la perfection de ce même ensemble où se trou-
un si grand bien que vous ne le regardez pas vent, dans les sphères supérieures, d'autres
comme créé par Dieu, mais comme mis en êtres meilleurs qu'eux. Mais examinez et

évidence ou envoyé. Or, le vrai Dieu en qui, montrez-moi un seul de ces plus vils animaux
à mon extrême regret, vous ne croyez pas qui haïsse sa chair, qui ne la nourrisse pas,
encore, a créé le serpent parmi les êtres in- ' Jac. rv, 15.
LIVRE XXI. — LES DEUX NATURES DES MAMCHÉENS. 305

qui ne rentrutieiine pas, qui ne lui imprime CHAPITRE VII.


pas le mouvement qui fait la vie, qui ne la gou-
L\ LOI DE L.\ CONSERVATION EST UNIVERSELLE.
verne pas, qui n'administre pas en quelque
sorte son petit univers suivant les étroites En effet, en prescrivant l'amour chaste, tel
proportions de son espèce, en employant tous que le mari doit l'avoir pour sa femme ,

les moyens qui sont à sa disposition pour se l'Apôtre en cherche le modèle dans l'amour
conserver sain et sauf. Quant à l'âme raison- que l'homme se porte à lui-même « Celui », :

nable, en châtiant son corps et le réduisant dit-il, a qui aime sa femme s'aime lui-même ;

en servitude de peur que l'appétit immodéré « car personne n'a jamais haï sa chair, mais

des jouissances terrestres ne rempèche de « on la nourrit et on la soigne, comme le Christ

recevoir la sagesse, elle fait encore preuve l'Eglise ». Mais quoi'


vous avez sous les 1

d'amour pour sa chair, puisqu'elle la met à yeux toute substance charnelle voyez comme :

sa place, la soumet à son propre empire et la nature tient à maintenir cette loi de l'union
exige d'elle une obéissance légitime. Mais et de la animaux^
conservation chez tous les
vous, bien que, dans votre erreur charnelle, et que chacun aime sa chair. Et cela
fait
vous fassiez mine de détester votre chair, au n'existe pas seulement chez les hommes, qui,
fond vous ne pouvez aimer qu'elle, que veil- quand ils vivent en règle, ne se contentent pas
ler à sa santé, pourvoir à ses besoins, éviter de pourvoir à la santé de leur corps, mais en
tous les coups, les chutes, les intempéries qui répriment les mouvements charnels et les as-
pourraient lui nuire, désirer les garanties, sujétissent à l'empire de la raison ; les animaux
les conditions de salubrité qui tendent à sa eux-mêmes fuient la douleur , craignent la
conservation ; et par vous faites assez voir
là mort tout : ce qui pourrait détruire l'harmo-
que la loi de la nature prévaut contre vos opi- nie de leurs membres, briser le lien qui unit
nions et vos erreurs. leur âme à leur corps, ils l'évitent avec toute
l'agilité possible, et nourrissent et soignent
CHAPITRE VI.
leur chair. «Car», dit l'Apôtre, « personne
l'ouvrier suprême démontré par ses oeuvres. « ne hait sa chair, mais on la nourrit et on la
« soigne, comme le Christ l'Eglise » . Considérez
Quoi ces entrailles qui vivent dans la chair,
! les choses du point de vue oii Paul s'est placé ;

ces formes si bien proportionnées, ces mem- voyez, si vous le pouvez, quelle force la créa-
bres destinés à agir, ces organes adaptés pour tion tire du Créateur, à commencer par ces
sentir, tous distincts et en rapport avec la magnificences célestes en descendant jus- et
place qu'ils occupent et les fonctions qu'ils qu'à la chair et au sang, où elle se complète
exercent, tous disposés dans une harmonie et se termine, embellie par la variété de ses
parfaite, réglés dans leurs mesures, égalisés formes et réglée par les espèces différentes des
dans leurs nombres, combinés dans leurs êtres qui la composent.
poids quoi :tout cela n'indique pas le su-
I
CHAPITRE VllI,
prême ouvrier, le vrai Dieu, celui dont on a
dit avec tant de vérité « Vous avez réglé :
SUBLIME HARMONIE DU CORPS HUMAIN , D' APRÈS

SAINT PAUL.
« toutes choses avec mesure, avec nombre et
« avec poids '
? » Si votre cœur n'était pas D'un autre côté, l'Apôtre, en parlant des di-
perverti et gâté par de vaines chimères, vous verses fonctions de l'ordre spirituel, qui ce-
comprendriez et apercevriez ses perfections pendant rentrent toutes dans l'unité et nous
invisibles par ces êtres créés dans ce monde enseignent un mystère évidemment sublime
faible et charnel -. Car de qui tiennent-ils et divin, emploie une comparaison tirée de
tout ce que je viens de rappeler, sinon de notre propre chair, et ne manque pas de dire,
celui dont l'unité détermine toute mesure, à cette occasion, que Dieu même en est l'au-
dont la sagesse produit toute beauté, dont la teur. Comme le passage est très-important,
volonté établit tout ordre ? Et vous n'avez
si je le cite en entier, malgré sa longueur
ici :

pas d'yeux pour voir cela, croyez du moins à il est pris dans la première Epître aux Corin-

la parole de l'Apôtre. thiens « Quant aux donsspirituels, jene veux


:

'
Sag. Il, 21. — • Rom. I, 20. (cpas, mes frères, que vous soyez dans l'igno-
* Eph. V, 28, 29.

S. AuG. — Tome XIV. 20


306 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.
« rance. Or, vous savez quequand vous étiez B plus de soin, et ceux qui sont honteux, nous
Cl vous couriez aux idoles muettes,
gentils, « les traitons avec plus de respect
nos par- ;

« selon qu'on vous y conduisait. Je vous « ties honnêtes n'en ont pas besoin mais ;

« déclare donc que personne parlant dans « Dieu a réglé le corps de manière à accorder
,

«l'Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus; « plus d'honneur à celle qui n'en avait pas en
« et personne ne peut dire Seigneur Jésus, « elle-même , afin qu'il n'y ait point de scis-
n que par l'Esprit-Saint. A la vérité, il
y a des « sion dans le corps mais que tous les mem- ,

« grâces diverses, mais c'est le même Esprit ;


« bres aient les mêmes soins les uns pour les
o il y a diversité de ministères, mais c'est le « autres. Aussi dès qu'un membre souffre ,
n même Seigneur; et y a des opérations di-
il « tous les autres souffrent avec lui ou si un ;

verses, maisc'est le même Dieu qui opère tout « membre est gloriûé, tous les autres se ré-
« en nous. Or, à chacun est donnée la mani- « jouissent avec lui '
» . S'il vous reste, je ne
« fesfation de l'Esprit pour l'utilité car à l'un ;
dis pas un peu de foi chrétienne, pour croire
« est donnée par l'Esprit la parole de sagesse à l'Apôtre, mais une ombre de sens humain
;

« à un
autre, la parole de science selon le pour saisir l'évidence , que chacun voie et
« même Esprit; à un autre, la foi par lemênie considère en lui-même combien cela est vrai,
« Esprit; à un autre, la grâce de guérir par le combien cela est certain ,
quelle grandeur
même Esprit ; à un autre, la vertu d'opérer dans la petitesse, quelle utilité dans l'objet le
«des miracles; à un autre, la prophétie; à plus inhme; puisque l'Apôtre dit tout cela par
un autre, le discernement des esprits ; à un manière d'éloge ; afin que, par ces humbles
autre, le don des langues diverses ; à un êtres matériels qui se voient, notre intelli-
« autre, l'interprétation des discours ; or, tous gence s'élève plus facilement aux sublimes
« ces dons , c'est le seul et même Esprit qui objets spirituels qui ne se voient pas.
« les opère, les distribuant à chacun comme il

8 veut. Car comme le corps est un ,


quoique CHAPITRE IX.
« ayant beaucoup de membres , et que tous c'est dieu, et non le démon, qui est l'auteur
« les membres du corps, bien que nombreux, du corps humain.
ne sont cependant qu'un seul corps, ainsi
« est le Christ. Car nous avons tous été bap- Or, quiconque nie que Dieu soit l'auteur de
« tisés dans un seul Esprit, pour former un nos membres et de notre corps que l'Apôtre ,

« seul corps, soit juifs, soit gentils, soit escla- vante et loue si fort, est en contradiction, vous
« ves, soit libres ; et tous nous avons été voyez avec qui et vous annonce une autre
,

« abreuvés d'un seul Esprit. En effet, le corps doctrine que celle que nous avons reçue -. Est-
« n'est pas un seul membre, mais beaucoup. il besoin que je le réfute ? ne doit-il pas plu-

Si le pied disait Puisque je ne suis pas


: tôt être anathématisé par tous les chrétiens ?
« main, jene suis pas du corps; ne serait-il L'Apôtre dit « Dieu a réglé le corps »; Fauste
:

« ))oint pour cela du corps? Et si l'oreille di- dit : Ce n'est pas Dieu, mais Hylé. Qu'y a-t-il
sait : Puisque je ne suis pas œil, je ne suis de plus clair que ces contradictions hostiles ,
« pas du corps; ne serait-elle point pour cela qu'il faut anathématiser plutôt que réfuter ?
« du corps ? Si tout le corps était œil, où se- Est-ce que l'Apôtre en disant « Dieu », a :

« rait l'ouïe ? S'il était tout ouïe, où serait ajouté « de ce siècle ^ ? » Pourtant si on en-
:

«l'odorat? Mais Dieu a placé dans le corps tend dire que le démon aveugle les esprits
achacun des membres où il a voulu. Que si des infidèles, par des suggestions coupables ,

« tous n'étaient qu'un seul membre, où serait nous ne nierons pas et ceux qui y cèdent,
le ;

« le corps? U y a donc beaucoup de mem- perdent la lumière de la justice par une juste
bres, mais un seul corps. L'œil ne peut pas punition de Dieu. Nous lisons tout cela dans
«dire à la main : Je n'ai pas besoin de ton les saintes Ecritures : car voici un texte qui
«office; ni la tète dire aux pieds: Vous ne s'applique à la séduction venant du dehors :

« m'êtes pas nécessaires ; mais , au contraire ,


« Je crains que comme le serpent séduisit Eve
a les membres du corps, qui paraissent les 8 par son astuce, ainsi vos es|)rits ne se cor-
« plus faibles, sont le plus nécessaires ; et les « rompent et ne dégénèrent de la simjilicité
8 membres du corps que nous regardons « et de la chasteté qui sont dans le Christ *
»;
u comme jdus vils, nous les revêtons avec • I Cor. XII, l-:0 — ' Gdl. I, 9.— li Cor. iv, I.— ' Id. .\i, 3.
LIVRE XXI. — LES DEUX NATURES DES MANICHEENS. 307

puis cet autredu même genre «Les mauvais : M dieu de ce siècle», ni de « Dont le dieu est :

a entretienscorrompent les bonnes mœurs »; ' « le ventre », ni de « Les dieux des nations
:

puis un encore où chacun est représenté B sont des démons » mais on dit simplement ; :

comme son propre séducteur « Car si qiiel- : « Dieu a réglé le corps » et par Dieu on ne ;

« qu'un s'estime être quelque cliose, comme peut entendre ici que le vrai Dieu, créateur
« il n'est rien, il s'abuse lui-même - » ; et enfin de toutes choses. Là, en effet, c'est le langage
cet autre vengeance divine, que j'ai
sur la du blâme, ici, c'est celui de l'éloge. A moins
déjà cité plus haut « Dieu les a livrés à un : que Fauste n'entende que Dieu a réglé le corps,
« sens réprouvé, en sorte qu'ils ont fait les non en disposant ses membres, c'est-à-dire en
« choses qui ne conviennent pas ' ». De même, le formant et en le construisant, mais en y

dans les anciens livres, a|irès avoir d'abord mêlant sa lumière; en sorte qu'un autre au-
dit « Dieu n'a pas tait la mort et ne se ré-
: rait créé les membres, les aurait destinés à
« jouit pas de la perle des vivants '
», le sage leur usage propre et mis chacun à sa place, et
ajoute peu après : a C'est par la jalousie du que Dieu, en y mêlant sa bonté, aurait cor-
« démon que la mort dans le est entrée rigé le vice de la construction, car c'est par
« monde ». Et encore,
^ à propos de la mort, de telles fables qu'ils abrutissent les âmes
de peur que les homiues ne se croient inno- faibles. Mais Dieu, qui vient en aide aux petits
cents, il dit « Les impies l'ont appelée par
: par la ses saints, ne leur permet
bouche de
« leurs actions et par leurs paroles, et la re- pas même
de tenir ce langage. Car tu lis un
« gardant comme une amie, ils ont défailli *». peu plus haut o Mais Dieu a placé dans le
:

Mais ailleurs il dit : « Les biens et les maux ,


« corps chacun des membres comme il l'a

la vie et la mort, les richesses et la pauvreté « voulu ». Qui ne conclura de làque Dieu est
«viennent du Seigneur Dieu ' ». Ici les l'ordonnateur du corps, qu'il a composé de
hommes troublés ne comprennent pas que beaucoup de membres, dont les diverses fonc-
dans une seule et même mauvaise action (non tions se maintiennent dans l'ensemble pour
par l'effet d'une vengeance postérieure et concourir à l'unité ?
manifeste, mais par une certaine vengeance
qui s'y attache immédiatement] il y a une part CHAPITRE X.
à attribuer à la ruse de celui qui conseille, une KÉFCTATION IRONIQUE DE l'OPINION MANICHÉENNE
part à la malice de celui qui veut, et une troi- SUR LES ANIMAUX.
sième à la justice de celui qui punit : en effet,

le démon suggère, l'homme consent. Dieu Que les Manichéens nous disent donc si les
se retire. Ainsi, dans une œuvre mauvaise, animt^ux formés par Hylé, suivant leurs rêve-
par exemple dans l'aveuglement des infidèles, ries, n'avaient pas, avant que Dieu y mêlât sa
si par CCS mots a Le Dieu de ce siècle », on : lumière, cette harmonie des membres que
entend le démon comme perfide conseiller, je l'Apôtre loue ; si alors la tête disait aux pieds,
ne trouve point le sens absurde. Car on ne dit ou l'œil à la main«Je n'ai pas besoin de ton
:

pas a Dieu » suuplement, puisqu'on ajoute : « office ». Jamais ils n'ont dit cela, jamais ils
a de ce siècle », c'est-à-dire des impies, des n'ont pu le dire; car ils leur attribuent les
hommes qui ne veulent prospérer que dans actes, les fonctionsqui leur sont propres ces :

ce siècle, qu'on appelle aussi siècle mauvais , animaux rampaient, marchaient, nageaient,
comme il est écrit : « Afin de nous arracher à volaient, chacun selon son espèce ils voyaient, ;

a ce siècle mauvais * ». C'est ainsi que dans ce ils entendaient, ils sentaient par les autres
passage : « Dont le dieu est le ventre ', s'il sens, ils nourrissaient, ils soignaient leurs
n'y avait le mot : « Dont », on ne dirait pas : corps par des aliments et des précautions con-
« Le dieu est le ventre ». Et dans Psaume,
le venables : aussi leur union était féconde, car

on n'appellerait pas dieux les démons, si on les Manichéens conviennent qu'ils s'accou-
n'y ajoutait, des nations, car le texte porte : plaient. Et certainement toutes ces fonctions,
« Parce que les dieux des nations sont des dé- que Manès blâme comme œuvres de Hylé, ne
« mons '"
». Mais ici il ne s'agit ni de : « Le peuvent s'exécuter sans l'accord des membres,
que rAi)ôtre loue et attribue à Dieu. Douterez-
• I Cor. XV, 33. — ' Gai. VI, 3. — ' Rora. l , 28. — ' Sag. l , 13.
vous encore lequel des deux (de Paul ou de
- - '
Id. 11, 24. — '
Sag. 1,16.— ' Eccli. xi , 1 1. — '
Gai. 1,1.—
• Pliil. m, 19. — " Ps. xcv, 5. Manès) doit être écoulé, lequel doit être ana-
308 CONTRE FAUSTE, LE iMANlCHÉEiV.

Ibématisé ?Mais bien plus : il y avait alors des CHAPITRE XI.


animaux qui parlaient ; et tous , reptiles,
LE BLANC ET LE NOIR, LE CHAUD ET LE FROID.
quadrupèdes, oiseaux, poissons, écoutaient ces
CONTRADICTIONS MANICHÉENNES.
discours, les comprenaient, les goûtaient !

Eloquence merveilleuse et vraiment divine ! Fauste, dans le passage même auquel je


Et ces orateurs n'avaient eu aucune leçon de réponds maintenant, a élégamment rapproché
grammaire ni de rhétorique, ils n'avaient pas des contraires la santé et la maladie, la ri-
:

reçu d'instruction en pleurant sous les coups chesse et la pauvreté, le blanc et le noir, le

de la férule et de la verge. Mais Fausfe lui- chaud et le froid, le doux cl l'amer. Je n'ai
même, pour nous débiter ces sornettes avec rien à dire du blanc et du noir. Cependant, si

art, s'est initié tard aux ressources de l'élo- la question des couleurs a quelque impor-
quence ; et malgré la vivacité de son esprit, il tance au point de vue du bien et du mal si, ;

s'est brisé la poitrine à force d'études, en sorte comme les Manichéens le prétendent, le blanc
que sa parole faisait peu de conquêtes. Infor- appartient à Dieu et le noir à Hylé; si Hylé,
tuné, qui est né au sein de notre lumière, et suivant eux, a créé toutes les espèces d'oi-
non au milieu de ces ténèbres En ce temps-là, ! seaux, et que Dieu ait mis la couleur blanche
en prêchant contre la lumière, il aurait vu à leur plumage, je demanderai où se ca-
tous les bipèdes, tous les quadrupèdes, voire chaient les corbeaux , pendant qu'on blan-
même tous les reptiles depuis le dragon jus- chissait les cygnes? 11 n'est pas besoin non
qu'à l'escargot, l'écouler avec plaisir, lui obéir plus de parler du chaud et du froid car tous ;

avec joie; tandis que plus tard, en disputant les deux sont utiles, s'ils sont sagement tem-
contre les ténèbres, vu traiter par plu-
il s'est pérés, et deviennent nuisibles quand ils dé-
sieurs d'éloquent plutôt que de savant, et par passent la mesure. Voyons le reste. Fauste
un grand nombre, de séducteur profondément parle ici de bien et de mal. C'était la première
pervers. Et parmi le petit nombre des Mani- distinction à établir entre les contraires; mais
cbéensqui l'applaudissaient comme un maître il l'a fait d'une manière générale et de façon

distingué, pas un seul animal ne lui donnait à laisser entendre que la santé, la richesse, le
son suffrage, son cheval même ne savait rien blanc, le chaud, le doux appartiennent au
de sa doctrine, comme
une partie de la di-
si bien ; et la maladie, la pauvreté, le noir, le
vinité ue s'était fixée dans tous les animaux froid, l'amer, au mal. Ce qu'il y a d'ignorance
que pour les rendre stupides Qu'est-ce que ! et d'irréflexion dans ce jugement, le verra qui
cela, je vous le demande? Sortez donc enfin de pourra. Quant à moi, pour ne pas avoir l'air
votre sommeil, misérables, et comparez, d'a- de chercher querelle à cel homme, je ne fais
près vos fables, tous les animaux d'alors avec aucune observation sur le blanc et le noir,
ceux d'aujourd'hui alors sur leur terre, au-
: le chaud et le froid, le doux et l'amer, la santé
jourd'hui dans ce monde ; alors pleins de force, et la maladie. Cependant, si le blanc et le doux

aujourd'hui faibles ; alors munis d'une vue sont deux biens, et le noir et l'amer deux
perçante pourvoir le séjour de dieu, et goûter maux, comment se fait-il que souvent le rai-
le plaisirde l'envahir, aujourd'hui avec le sin, et toujours l'olive, deviennent doux en
regard si émoussé qu'il
se détourne des rayons noircissant, deviennent meilleurs à mesure
du soleil alors possédant une intelligence
; qu'ils reçoivent plus de mal? De même si la
étendue, capable de comprendre le sermon chaleur ot la santé sont deux biens, et le froid
d'un prédicateur, aujourd'hui frappés de stu- et la maladie deux maux, pourquoi en s'é-
pidité et privés de toute faculté de ce genre ;
chauftant les corps deviennent-ils malades?
alors doués naturellement d'une grande et si Est-ce que par hasard un corps sain a la
d'une si puissante éloquence, maintenant si fièvre? Mais je passe sur ces objections. Fauste
rétrécis dans leurs goûts, si bornés dans leurs n'y a pas pensé, ou peut-être, en mentionnant
travaux Oh quels grands avantages le peuple
! ! ces choses, a-t-il plutôt songé à former des
des ténèbres a perdus par le mélange du bien 1 contrastes qu'à indiquer des biens et des
maux; vu, surtout, que les Manichéens n'ont
jamais dit que le feu du peuple des ténèbres
fût froid, bien que sa chaleur, selon eux soit ,

cerlainenuuil un mal.
LIVRE XXI. — LES DEUX NATURES DES MANICHÉENS. 309

CHAPITRE XII. de chacun, il faut en effet que la nourri-


ture plaise ou déplaise. Si elle plaît , on
AUTRES CONTRADICTIONS DU MANICHÉISME. FABLES
l'appelle douce ou agréable au goût si elle ;
ABSURDES.
déplaît, on la dit amère, âpre, repoussante
Mais pour ne pas insister sur ces points, ve- par quelque qualité désagréable. Ne sommes-
nons-en à ceux de ces contraires que Fauste nous pas, nous hommes, ainsi constitués, que
appelle des biens hors de toute contestation :
l'un aime un aliment que l'autre écarte avec
à savoir la santé, la richesse, la douceur. Il horreur, soit penchant naturel, soit effet de
était donc dépourvu de la santé du corps, le l'habitude ou raison de santé? A combien
peuple au milieu duquel ces animaux ont pu plus forte raison les animaux, dont la cons-
naître, croître, engendrer et vivre, tellement titution physique est si dilférente de la nôtre,

que quelques-uns d'entre eux (suivant ces peuvent-ils trouver agréable ce que nous
rêveries insensées), ayant été pris et liés dans le trouvons amer ? Autrement, les chèvres grim-
ciel, leur portée, mise bas avant terme, tomba peraient-elles pour ronger l'olivier sauvage?
de ces prodigieuses hauteurs sur la terre, et put Car de même de certaine ma-
que, par l'effet

y vivre, y croître et produire ces êtres vivants, ladie, l'homme trouve


miel amer, ainsi cette
le

aujourd'hui innombrables ? Il n'y avait donc espèce d'animal trouve doux l'olivier sauvage.
pas de richesse dans ces lieux où les arbres Voilà comment un sage observateur apprécie
pouvaient naître , non-seulement dans les la valeur de l'ordre, quand cha(]ue être ren-
eaux et dans les vents, mais même dans le feu contre ce qui lui convient; par là, il voit que
et dans la fumée, et posséder une telle fécon- tout est bon, depuis le bas jusqu'au dessus,
dité que de leurs fruits naissaient des animaux depuis les êtres corporels jusqu'aux êtres spi-
de toute espèce, vivant et se nourrissant de rituels. Ainsi donc, dans le peuple des ténè-
cette fécondité même, et donnant, par leur bres, quand un animal de tel ou tel élément
nombreuse progéniture, une preuve certaine mangeait nourriture qui naissait dans cet
la

de leur situation prospère? Chose d'autant élément, sans aucun doute ce rapport de con-
plus remarquable qu'il n'y avait là aucun tra- venance la lui rendait douce mais s'il eût ;

vail agricole , aucune intempérie d'été ni rencontré une nourriture empruntée à un


d'hiver, puisque le soleil n'y parcourait point autre élément, ce défaut de convenance eût
son cercle, pour déterminer le cours des sai- blessé son goût. Or, si ce défaut de conve-
sons de l'année. Par conséquent, la fertilité nance, qu'on l'appelle amertume, âpreté, insi-
des arbres n'éprouvait aucune interruption; pidité ou autrement, est porté à un tel point
l'élément et l'aliment propres à chaque es- qu'il détruise violemment la structure ou
pèce et qui les avaient fait croître, ne cessaient l'harmonie du corps, et qu'il lui ôte la vie ou
jamais de les rendre féconds et ne les lais- les forces, il prend le nom de poison, unique-
saient pas manquer de fruits ; comme nous ment à cause du défaut de convenance, puis-
voyons les citronniers porter toute l'année des que la convenance se retrouve pour une autre
fleurs et des fruits, on a soin de les arroser
si espèce : comme, par exemple, le pain, qui
toujours. II y avait donc là une grande ri- fait notre nourriture quotidienne, tue l'éper-
chesse, et que l'on pouvait posséder en toute vier qui enmange, et nous sommes tués par
sécurité car on n'avait pas même à craindre
: que la plu[iart des animaux man-
l'hellébore
la grêle là oii il n'y avait point de ces collec- gent impunément. Néanmoins cette plante,
teurs de lumière, que le tonnerre met en mou- employée dans une certaine mesure, est pour
vement, d'après vos fables. nous un médicament. Si Fauste savait cela ou
y faisait attention, il ne donnerait pas le poi-
CHAPITRE XIII.
son et l'antidote pour exemple dans la ques-
SUR LES ALIMENTS, LE POISON, l'aNTIDOTE tion des deux natures du bien et du mal,
;

BÉVUES DE FAUSTE A CE SUJET. comme si Dieu était l'antidote et Hylé le poi-


son : puisque la môme chose, la même na-
Si les aliments n'avaient pas de douceur ni ture, prise ou employée à propos ou mal à
de goût agréable, ils n'exciteraient pas l'ap- propos, est utile ou nuisible. Par conséquent,
pétit, on ne les prendrait pas pour entretenir d'après les fables des Manichéens, on pourrait
la vie du corps. Eu égard au tempérament dire ijuc leur Dieu a été un poison pour le
310 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

peuple des ténèbres, puisqu'il y a tellement empires heureux sont ceux où tous sont d'ac-
gâté les corps que, de très-fermes, il les a ren- cord pour obéir au souverain. Ajoutons que
dus très-faibles. Mais comme la lumière elle- ce prince régnait non-seulement sur ceux de
même a été prise, opprimée, corrompue, ils son espèce, c'est-à-dire sur les bipèdes, que
sont devenus un poison l'un pour l'autre. vous déclarez pères des hommes, mais encore
sur toute autre espèce d'animaux, lesquels
CHAPITRE XIV. obéissaient à ses moindres signes, exécutaient

RAISONNEMENTS SIR LA DOCTRINE DES DEUX ses ordres, ajoutaient foi à sa parole. En dé-
PRINCIPES. bitant tout cela, vous croyez les hommes assez
stupides pour attendre que vous donniez le

Pourquoi donc n'appelez-vous pas ces deux nom de Dieu à cet autre dieu si clairement
choses ou deux biens ou deux maux, ou plu- et si ouvertement dépeint. En effet , si ce
tôt deux biens et deux maux deux biens en : prince pouvait réellement tout cela, son pou-
eux-mêmes, deux maux l'un pour l'autre? voir était grand; s'il était ainsi honoré, sa
Plus tard nous examinerons, s'il le faut, le- gloire était magnifique ; si on l'aimait, la con-
quel est le meilleur ou le pire. En attendant, corde était parfaite ; si on le craignait, l'ordre

admettons que c'étaient deux biens en eux- était admirable. Que y avait quelques
s'il

mêmes et voyons Dieu régnait sur sa terre


: maux au milieu de tous ces biens, on ne peut
et Hylé sur la sienne. Les deux rois jouis- néanmoins appeler cela la nature du mal, à
saient de la santé ici et là ici et là, abon- ; moins de ne savoir ce que l'on dit. En etlèt,
dance de fruits des deux côtés, nombreuse
; si vous pensez que cette nature était celle du

progéniture chez les uns comme chez les


;
mal, parce que non-seulement elle était en-
autres, douces voluptés en rapport avec leurs nemie de l'autre nature, mais parce qu'elle
natures. Mais, nous dit-on, outre que le peuple contenait le mal en elle-même ne regardez- ,

des ténèbres était ennemi de la lumière voi- vous donc pas comme un mal la dure néces-
sine, il était encore mauvais par lui-même. sité où était votre dieu avant le mélange de

Cependant, j'ai déjà énuméré beaucoup de la nature contraire, de combattre contre elle,
biens qu'il possédait si vous pouvez me faire
;
et d'introduire dans sa gorge ses propres
connaître ses maux, il s'ensuivra qu'il y avait membres pour y être oppressés, de manière à
deux royaumes bons, sauf que l'un était meil- ne pouvoir être entièrement piu-iflé lui-
leur que l'autre. Mais pouvez-vous me dire même? 11 y avait donc du mal dans sa nature
quels étaient ces maux? Ils se ravageaient de dieu, avant qu'il s'y mêlât quelque chose
entre eux, dites-vous, ils se blessaient, ils se de ce que vous appelez le seul mal. En effet,
tuaient, ils se détruisaient. Si c'était là leur ou il ne pouvait être attiré ni corrompu [)ar

unique occupation, comment s'engendraient, le peuple des ténèbres, et alors c'était folie de
se nourrissaient, s'élevaient de si grandes sa part de subir ou sa
de telles nécessités ;

multitudes? Il y avait donc aussi, là, du repos substance pouvait se gâter, et alors vous n'a-
et de Cependant, accordons que le
la paix. dorez pas le Dieu incorruptible que l'Apôtre
royaume exempt de discorde était le meil- prêche '. Quoi cette nature (|ui n'était pas
I

leur : néanmoins bien plus juste d'ap-


il est encore corrompue, pouvait être corrompue,
peler bons ces deux royaume?, que de dire et cette corruptibilité ne vous paraît pas un

l'un bon et l'autre mauvais celui-là meil- :


mal dans votre dieu !

leur, où personne ne nuisait à soi-même ni


CHAPITRE XV.
aux autres; celui-ci moins bon, oîi, malgré
une guerre intestine, chaque animal pour- DÉFAUT DE PRESCIENCE ET DE SÉCURITÉ DANS LE
voyait à sa vie, à sa santé, aux besoins de sa DIEU DES MANICHÉENS.
nature. Au fond on peut, sans trop grande
disproportion comparer à votre dieu ce
,
D'ailleurs, qui ne voit que là, ou il n'y avait
\irince des ténèbres, à (]ui personne ne résis- pas de prescience (et c'est à vous à voir si ce
tait, au sceptre duiiuel tout se soumettait, n'est pas un défaut en Dieu de n'avoir jias de
dont les prédications ont attiré tout le monde : prescience, et d'ignorer absolument ce qui le
toutes choses qui ne peuvent se faire sans une menace) ; ou, s'il y en avait, on manquait de
grande paix et une vraie concorde. Car les ' 1 riin. 1, 17.
LIVRE XXI. — LES DEl^ NATURES DES MANICHÉENS. 311

on vivait dans une crainte éternelle:


sécurité, moins vous renonciez à l'erreur qui vous fait
mal énorme, vous en conviendrez sans doute. dire que ces deux principes étaient deux na-
Votre dieu ne craignait-il pas de voir venir tures, l'une bonne, l'autre mauvaise parcon- ;

le temps où ses membres seraient tellement séquent deux dieux, l'un bon, l'autre mau-
ravagés et souillés dans ce combat, que malgré vais. Que si une chose est mauvaise parce
tant d'efforts, il ne viendrait pas à bout de qu'elle nuit à une autre, ces deux natures se
les délivrer et de les purifier entièrement ? sont nui réciproquement; l'une d'elles sera
Que si cela ne le regardait pas (voilà un mot plus méchante, pour avoir la première désiré
bien dur, vous le sentez vous-mêmes), au le bien d'autrui L'une a donc . fait le mal la pre-

moins ses membres redoutaient-ils les maux mière, et l'autre a rendu le mal pour le mal :

si grands qu'ils devaient souffrir dans ce non pas selon la loi du talion, œil pour œil ',
monde. Ignoraient-ils donc aussi l'avenir ? que vous condamnez étourdiment, mais d'une
11 n'y avait donc de prescience dans aucune façon beaucoup plus grave. Choisissez par
partie de la substance de votre dieu. Comptez conséquent celle des deux qui vous paraîtra
alors les maux qui sont dans votre souverain la pire ou celle qui a voulu nuire la pre-
:

bien. Ou bien, ne craignaient-ils pas, parce mière, ou celle qui a voulu et pu nuire da-
qu'ils prévoyaient aussi que leur délivrance vantage. L'une, en effet, a désiré, dans la
et le triomphe devaient s'ensuivre ? Mais du mesure de ses petites facultés, jouir de la
moins ils craignaient pour leurs compagnons, lumière ; l'autre a détruit sa rivale de fond en
qu'ils savaient condamnés à être exclus de comble. Si celle-là eût atteint l'objet de ses
leur rovaume et éternellement enchaînés sur désirs, elle n'en eût certes point souffert;
ce globe. celle-cipour repousser à jamais l'assaut
CHAPITRE XVI. ennemi, a causé à une partie de sa propre
substance un dommage considérable. C'est
les deux natures des manicheens sont ou deux
l'application de ce mot si connu, mentionné
biens ou deux maux. démonstration par
par l'histoire et dicté par la fureur « Que :
l'absurde.
« nos amis périssent, pourvu que nos en-

La charité y manquait-elle au point qu'on tenemis tombent en même temps*». En


n'éprouvait aucun sentiment de pitié frater- effet une partie de votre dieu a été con-
,

nelle pour ceux qui étaient menacés de suppli- damnée à une souillure ineffaçable, afin qu'il
ces éternels sans les avoir mérités par aucune y eût de quoi couvrir le globe où l'ennemi
faute antérieure ? Quoi ces âmes, qui de-
! doit être à jamais enseveli tout vivant : car,
vaient être enchaînées sur ce globe, n'étaient- quoique vaincu ,
quoique enfermé , il ins-
elles pas aussi des membres de votre dieu ? pirera encore une telle crainte , une telle
Tout au moins celles-là, dans la prévision de épouvante qu'il faudra l'éternelle misère
,

leur éternelle captivité, étaient en proie à la d'une partie du dieu pour procurer une sécu-
crainte, à la douleur. Ou si elles ignoraient ce rité quelconque au reste du dieu. bonté
point de l'avenir, y avait donc en votre
il merveilleusement innocente Voilà que votre !

dieu une partie qui prévoyait et une partie dieu, ce dieu à l'occasion duquel vous accu-
qui ne prévoyait pas comment cela ne for-
: sez si durement le peuple des ténèbres, se fait
mait-il qu'une seule et même substance ? du mal à lui-même et en fait aux autres !

Mais puisqu'il y avait, là, tant de maux, avant C'est le reproche qui s'élève contre lui de ce
le mélange d'un mal étranger pourquoi ,
globe reculé où s'on ennemi est enfermé, et
vanter dans votre dieu le bien pur, simple, une partie des siens clouée. Bien plus, la
souverain ? Vous êtes donc forcés de recon- partie que vous appelez dieu, l'emporte en
naîtreque ces deux natures étaient en elles- malice, puisqu'elle nuit et aux étrangers et
mêmes ou deux biens, ou deux maux. Si vous aux siens. En effet, Hylé n'a point cherché à
convenez que c'étaien', deux maux, nous vous détruire le royaume d'autrui, mais seulement
permettrons de désigner celle que vous vou- à s'en emparer et si elle tuait quelques-uns ;

drez pour le plus grand mal; si au contraire des siens par le moyen d'autres qui lui appar-
vous voulez que ce fussent deux biens, dites tenaient également, au moins elle les méta-
lequel vous paraît préférable ; ce sera le sujet mori)hosait, afin qu'en mourant et eu renais.
d'une étude plus approfondie ; mais qu'au '
lix. XXI, 21. — ' Cicer. pro Dejotttro.
312 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

sant ils jouissent par intervalles du bonheur impuissantes dans la guerre, misérables après
de vivre; tandis que Dieu, que vous dépeignez la guerre, elles n'ont jamais été divines. Or,
tout-puissant et tout bon, détruit les étrangers évidemment Dieu était ce qu'elles étaient,
et condamne les siens pour l'éternité : et, d'après l'unité de substance. Pouvons-nous
croyance plus folle et plus étonnante encore ! croire que vous compreniez la monstruosité
Hylé blesse ses animaux dans le combat de ces blasphèmes? Et cependant voulant
qu'elle livi'e, et Dieu punit ses membres dans justifier quelque peu la bonté de Dieu, vous
sa propre victoire. Qu'est-ce que cela, ô prétendez qu'il communique un peu de bien
hommes insensés Vous vous rappelez sans
1 à Hylé, de peur que, dans sa prison, elle ne
doute que Fauste a présenté Dieu comme un tourne sa fureur contre elle-même. Hylé aura
antidote, et Hyié comme un poison et voilà : donc un peu de bien, alors qu'elle est sans
que votre antidote fait plus de mal que le mélange de bien? Serait-ce que comme Dieu,
poison. Est-ce que Hylé enfermerait Dieu à avant la guerre et sans mélange de mal, su-
jamais dans un globe si horrible, ou y fixerait bissait le mal de la nécessité ainsi Hylé, après
;

ses propres entrailles ? Et, ce


qui est plus cri- la guerre et sans mélange de bien, jouira du
minel encore, calomnie-t-elle ces mêmes bien du repos ? Dites donc qu'il y a deux
restes de peur de paraître en défaut jjour
, maux dont l'un est pire que l'autre ou
, ;

n'avoir pas pu les purifler ? Car Manès dit qu'il y a deux biens non souverains, dont
dans la lettre du Fondement, que ces âmes l'un vaut mieux que l'autre de telle sorte
,

ont mérité ce supplice parce qu'elles se sont cependant que le meilleur soit le plus misé-
laissées égarer loin de leur première nature rable. Car si cette grande guerre doit aboutir
lumineuse et qu'elles sont devenues ennemies à ceci que Hylé étant vaincue et les membres
:

de la sainte lumière, tandis que c'est Dieu lui- de Dieu étant attachés au globe un peu ,

même qui les a poussées à s'égarer ainsi, afin de bien soit accordé aux ennemis, et beau-
que la lumière devînt ennemie de la lumière ; coup de mal infligé aux amis voyez de ,

injuste, s'il les y force malgré elles ; ingrat, quel côté est la victoire. Evidemment Hylé
si elles y consentent et qu'il les condamne est un poison, elle qui a pu former, fortifier,
ensuite. Pour elles, si elles ont pu prévoir nourrir, entretenir ses animaux et l'antidote
;

qu'elles démentiraient ainsi leur origine, tour- c'est Dieu, qui a pu condanmer et non guérir
mentées par la crainte avant la guerre, irré- ses membres. Insensés cette Hylé n'existe
,

médiablement souillées dans la guerre, éter- pas, ni ce dieu non plus. Ainsi rêvent ceux
nellement condamnées après la guerre, elles qui, ne supportant pas la saine doctrine, se
n'ont jamais été heureuses. Si elles n'ont pas tournent vers les fables '.

pu le prévoir, imprévoyantes avant la guerre, ' Il Tim. IV, 3.


LIVRE A INGT-DEUXIÈME.
Le Dieu de l'Ecriture, d'après Fansle. — Crimes allribués aux Patriarches et aux Prophètes. —Augustin rétablit l'idée de Dieu,
contre les reproches Manichéens. — —
Notions sur led'Abraham, de Sara, de Loth,
péché. Justification de Jacob, de d'Isaac,
Lia. de Rachel. — Sens mysiique dans ces deux femmes
à saisir dans servantes, Bala Zelpha. — La .Mandragore.
et leurs el
— L'inceste de Juda de Thamar. — Bénédiction de Juda. — Bons méchants. — David. — Eloge de Moïse, de Paul de
et et
d'Ahraham. — La guerre. — Moïse
,

Pierre. — Dépouillement des Egyptiens. — Sacrifice du reproche de cruauté. — justifié


Osée. — Salomon. — Sens prophétique de certaines actions même coupables, du dépouillement des Egyptiens, du veau d'or.
— L'Ecriture irréprochable en — Apostrophe aux Manichéens.
tout.

CHAPITRE PREMIER. nations, c'est-à-dire existait depuis le com-


mencement du monde, des écrivains hébreux
SELON FAUSTE, OC LES PATRLiRCHES ET LES PRO-
se sont en quelque sorte rués sur elle, et y ont
PHÈTES ONT ÉTÉ CRIMINELS OU LES ÉCRIVAINS
attaché une sorte de lèpre et de teigne, en
SACRÉS SONT DES FAUSSAIRES. y
mêlant leurs abominables et infâmes pres-
Fauste, Pourquoi blaspliémez-vous la loi criptions touchant la circoncision et les sacri-
ef les Prophètes? — Nous n'avons aucuue fices. Si donc tu es vraiment ami de la loi,
intention hostile, nous ne sommes nullement condamne avec moi ceux qui ont osé la souil-
les ennemis de la loi ni des Prophètes, ni de ler par un mélange de préceptes en désaccord
personne au monde à tel point que si vous
;
avec elle préceptes que vous savez parfaite-
:

y consentez, nous déclarerons faux tout ce ment n'être ni la loi, ni une partie de la loi,
qui a été écrit sur eux et nous les a rendus autrement vous les observeriez fldèlement
odieu.x. Mais vous n'y consentez pas, et en ac- même après avoir embrassé la justice, ou
ceptant les dires de vos écrivains, vous accusez vous avoueriez hautement que vous n'êtes
peut-élre des Prophètes innocents, vous diffa- point justes. Mais, tout au contraire, quand
mez les Patriarches, vous déshonorez la loi. et, vous voulez mener une bonne conduite, vous
ce qu'il y a de plus insensé encore, vous pré- mettez le plus grand soin à éviter les crimes
tendez d'une part (}ue vos écrivains ne sont défendus par les commandements, et vous ne
cependant pas menteurs, et, de l'autre, vous vous inquiétez en rien de ce qui regarde les
tenez pour hommes religieux et saints ceux Juifs : comment vous en excuser, s'il n'est
dont ils ont raconté les crimes et la coupable pas constant que ce n'est plus la même loi ?
conduite. Or, ces deux choses ne peuvent se En résumé, si tu te fâchais quand on t'accuse
concilier à la fois, il faut ou que ceux-ci aient d'être incirconcis, de ne pas observer le sabbat,
été méchants, ou que ceux-là aient été des comme gravement in-
tu t'irrites et le crois
menteurs et des faussaires. sulté quand on t'accuse de ne pas tenir compte
du commandement « Tu ne tueras pas », ou
: :

CH.\PITRE II.
a Tu ne commettras pas d'adultère o on ver- ;

FACSTE DISTINGUE, DANS LX LOI, LES PRÉCEPTES rait alors clairement qu'il y a, ici et là. pré-

MORAUX ET LES RITES QC'ON Y A ATTACHÉS. cepte et loi de Dieu. Mais maintenant, tu te
vantes et te glorifles de l'observation des uns,
Condamnons ensemble, si cela vous plaît, et tu ne redoutes nullement l'infraction des
les écrivains et entreprenons de défendre la autres, puisque tu les condamnes. Il est donc
loi et les Prophètes. Je parle pour le moment évident, que, comme je l'ai dit, ces rites ne
de la loi, et non de la circoncision, ni du sont pas la loi, mais la tache et la teigne de la

sabbat, ni des sacriflces, ni des autres rites loi, et sinous les condamnons, c'est comme
judaïques, mais de ce qui forme proprement faux et non comme légitimes. Et cela n'ou-
la loi, c'est-à-dire des commandements o Tu : trage ni la loi, ni l'auteur de la loi; mais l'ori-
« ne tueras pas ; tu ne commettras point d'a- gine remonte à ceux qui ont inscrit le nom
M dullère ; tu ne te parjureras pas '
» et le de l'un et de l'autre en tête de leurs prescrip-
reste. Comme cette loi était répandue chez les tions criminelles. Et si parfois notre blâme
'El. iï, 13, 11, 16. atteint le nom révéré de la loi, quand nous
314 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

combattons les préceptes judaïques, la faute manger du fruit de l'arbre de vie; tantôt avide
en est à vous qui n'admettez aucune distinc- du sang et de la graisse de toutes sortes de
tion entre les institutions hébraïques et la loi. victimes, et jaloux si on en offre à d'autres
Rendez donc à la loi sa dignité propre, déta- qu'à lui ; tantôt
alternativement contreirrité
chez-en les turpitudes judaïques comme ou les étrangers, ou contre les siens tantôt tuant ;

coupe des verrues, rejetez sur les écrivains le des milliers d'hommes pour des fautes légères
crime de l'avoir déformée et vous verrez, ou nulles ; tantôt menaçant de venir armé du
aussitôt que nous sommes les ennemis du glaive et de n'épargner personne, ni juste ni
judaïsme et non de la loi. C'est ce mot de loi pécheur ; il a bien pu se faire, dis-je, que des
qui vous trompe, parce que vous ne savez pas écrivains capables de débiter tant d'insolences
précisément à quoi vous devez l'attribuer. contre Dieu, aient aussi forgé des mensonges
sur le compte des hommes de Dieu.
CHAPITRE m.
CHAPITRE V.
LES ÉCRIVAINS DE l'ANCIEN TESTAMENT ONT SOUILLÉ
LA MÉMOIRE DES PATRIARCHES ET DES PRO- CRIMES ATTRIBUÉS A ABRAHAM, A ISAAC, A JACOB,
PHÈTES. A JUDA, A DAVID, A SALOMON, A OSÉE, A MOÏSE,
PAR LES ÉCRIVAINS SACRÉS.
Je ne vois pas non plus pourquoi vous vous
figurez que nous blasphémons vos Prophètes Du reste, ce n'est pas nous qui avons écrit
et vos Patriarches. Si nous avions écrit ou d'Abraliam que, brûlant d'un désir insensé
dicté tout ce que nous lisons d'eux en fait de d'avoir des enfants, et ne se fiant point à Dieu
crimes, votre accusation serait raisonnable ; qui lui en avait promis de Sara, son épouse,
mais quand ce sont eux-mêmes qui ont ou- il se vautra dans la fange avec une concubine,

tragé dans leurs écrits l'honnêteté des mœurs, au su (ce qu'il y a de plus affreux) de sa pro.
qui ont cherché à se glorifier du vice, ou pre femme'. Ce n'est pas nous qui avons écrit
quand ces écrits proviennent de leurs pairs que, par la plus infâme des spéculations, par
et compagnons, de quoi nous accuse-t-on ? avarice et par gourmandise, il livra à deux
Nous délestons et condamnons des actes in- rois, Abimélech et Pharaon, en des temps
justes dont les auteurs se reconnaissent cou- dilférents, en qualité de concubine cette ,

pables, de leur plein gré, sans qu'on les inter- même Sara sa femme qui était très-belle, ,

roge ; ou si ce sont là des inventions d'écri- après l'avoir fait passer pour sa sœur * ni que ;

vains méchants et jaloux, qu'on condamne ces Lotb, son frère, délivré de Sodome, eut un
écrivains, qu'on proscrive leurs livres, qu'on commerce charnel avec ses deux filles sur la
lave la mémoire des Prophètes d'une odieuse montagne ^ et mieux eût valu pour lui mou-
;

calomnie, qu'on rétablisse la grave et impo- rir du feu du ciel dans Sodome que de brûler
sante autorité des Patriarches. de la flamme impure sur la montagne. Ce
n'est pas nous qui avons écrit qu'Isaac fit la
CHAPITRE IV.
même chose que son père à l'égard de Rébecca,
DIEUj TEL QUE CES ÉCRIVAINS l'ONT DÉPEINT, son épouse, en disant qu'elle était sa sœur,
SELON FAUSTE. pour conserver par là ignominieusement sa
vie '•; ni (jue Jacob, son fils, entre Rachel et
Assurément, il a bien pu se faire que des Lia, deux sœurs, puis entre leurs deux ser-
hommes capables de forger tant de fictions vantes, mari de quatre femmes, passait de
impudentes sur Dieu de nous le montrer, ,
l'une à l'autre comme un bouc; en sorte que
tantôt vivant dans des ténèbres éternelles, puis c'était, entre ces quatre femmes perdues, un
frappé d'admiration à l'aspect de la lumière; débat (juotidien à qui parlagerait son lit quand
tantôt ignorant l'avenir au point de donner à il rentrerait de la campagne, et que (jucliiue-

Adam un commandement que celui-ci ne fois elles se le cédaient pour une nuit, à prix

devait pas garder tantôt ayant la vue courte


; convenu '*
; ni que Juda, son fils, eut un
jusipi'à ne pas voir ce même Adam (jui, hon- commerce imjjur avec Tiiamar sa bru, et
teux de sa nudité, s'était caché dans un coin veuve de ses deux premiers enfants, trompé,
(hi jniradis tantôt envieux et craignant que
;
'
Ocn. XVI, 2-1.— 'Id. XX, 2 ; XU, 13. '
Id. XIX, 33, 3j. —
rhuuime ne vive eteincllemenl, s'il vient à " Ui. .\XVI, 7,— * Ut. XXIX, XXX.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 31S

raconte-t-on, par l'habit de prostituée dont elle des coupables afin de leur inspirer le désir
s'était revêtue parce qu'elle savait parfaite-
', du promesse donnait de la solen-
salut, et la

ment que son beau-père était en rapport habi- nitéaux figures pour tenir dans l'attente du
tuel avec des femmes de cette espèce ; ni que Sauveur; ainsi, par l'avènement du Nouveau
David, ayant déjà tant de femmes, commit Testament, la grâce devait délivrer les cou-
l'adultère avec celle d'Urie,un de ses soldats, pables, et la manifestation de la vérité faire
qu'il flt périr dans le combat ^ ni que Salo- ;
disparaître les figures. La loi qui a été donnée
mon, son fils, eut trois cents femmes, sept par Moïse est devenue la grâce et la vérité par
cents concubines et des flUes de rois sans Jésus-Christ '
: la grâce, afin que, les péchés
nombre '; ni que Osée, le premier des Pro- étant remis, les commandements fussent ob-
phètes, eut des enfants d'une prostituée, et servés par le don de Dieu la vérité, pour ;

que (chose plus abominable Dieu qu'on !) c'est que, les observances symboliques ayant cessé,
accuse de lui avoir conseillé cette infamie ' ;
ce qui avait été promis sur la parole de Dieu
ni que Moïse commit un homicide % qu'il même, apparût enfin.
dépouilla l'Egypte, qu'il fit des guerres, qu'il
commanda et exerça beaucoup de cruautés
CHAPITRE VII.
%
et ne se contenta pas, lui non plus, d'une LEUR ININTELLIGENCE COMP.VRÉE A CELLE DU SOURD
seule femme. Ces faits, dis-je, et d'autres ET DE l'aveugle.
semblables, mentionnés dans les divers livres
des Juifs, ce nest pas nous qui les avons Par conséquent ceux qui, blâmant ce qu'ils
écrits, ce n'est pas nous qui les avons dictés ;
ne comprennent pas, appellent lèpre, teigne,
mais ce sont ou des calomnies de vos écrivains, verrues, les promesses données en figures par
ou de véritables crimes commis par vos pères, la loi, ressemblent à des hommes qui dédai-
choisissez. Pour nous, nous sommes forcés de gnent ce dont ils ne connaissent pas rutilité :

détester également ou les uns ou les autres ;


à un sourd, par exemple, qui voyant les mou-
car nous ne haïssons pas moins les méchants vements de lèvres de ceux qui parlent, les cri-
et les hbertins que les faussaires, tiquerait comme inutiles ou comme diffor-
mes; ou à un aveugle qui, entendant vanter
CHAPITRE YI.
une maison, voudrait, en la palpant, s'assu-
LES MAXlCHÉEÎiS NE COMPRENNENT PAS QU'UNE rer de ce qu'on dit, en trouverait les murs
unis, puis, rencontrant les fenêtres, les blâ-
PARTIE DE LA LOI DEVAIT SIBSISTER ET l'AITRE
DISPARAÎTRE. merait comme une solution de continuité
et les considérerait comme des brèches rui-
Augustin. Vous ne comprenez ni les sacre- neuses.
ments de la loi ni les actions des Prophètes,
,
CHAPITRE VIII.
parce que vous
aucune notion de n'avez
LUUIÉRE INCRÉÉE, LUMIÈRE CRÉÉE.
la sainteté ni Mais nous avons
de la justice.

déjà parlé plus d'une fois et bien au long Mais comment prouver que les actions des
des préceptes et des sacrements de l'Ancien Prophètes ont été elles-mêmes prophétiques
Testament, nous attachant à faire compren- et mystérieuses , et le faire comprendre à des
dre qu'il y avait en eux deux parties l'une :
hommes assez insensés pour s'imaginer que
qui devait s'accomplir en réalité par la grâce nous croyons que notre Dieu a été un jour
du Nouveau Testament, l'autre qui devait se dans les ténèbres, parce qu'il est écrit : a Les
montrer accomplie et disparaître devant la « ténèbres couvraient la face de l'abîme -
»,
manifestation delà vérité. Ainsi, par exemple, comme pour nous Dieu eût été cet abîme
si

le précepte de l'amour de Dieu et du prochain où les ténèbres régnaient, parce que la lumière
était pris de la loi pour être perfectionné
,
n'y était pas avant que Dieu l'eût créée d'un
tandis que la circoncision et les autres sacre- mot? Mais comme ils ne distinguent pas la
ments de ce genre démontraient par leur ,
lumière qui est Dieu lui-même de la lumière
suppression que les promesses de la loi
,
que Dieu a faite, ils s'imaginent (ju'il était lui-
étaient remplies. En effet, le précepte faisait même dans les ténèbres avant de créer la lu-
mière, parce que les ténèbres trouvaient l'a-
*
Gen. xxxviii. — 'II Rois, xr, 4, 15. — *
III liois , xi , 1-3. —
• Os. I, 2, 3. — ' Es. II, 12. - • Id. XVil, 9, «c. '
Jeao, I, 17. '
Gen. I, 2.
316 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

bîme avant qu'il eût dit « Que la lumière : Et pourtant elle n'est point inaccessible pour
lumière fut ' », Pourtant, comme
« soit, et la tous : Car « Heureux les miséricordieux, parce
dans le Nouveau Testament, on dit l'un et « qu'ils verront Dieu '
». Or, « Dieu est lu-
l'autre de Dieu puisque d'un côté nous y : « mière, et en lui il n'y a point de ténèbres»;
lisons « Dieu est lumière et en lui il n'y a
: mais, selon Isaïe, les impies ne verront pas
« point de ténèbres de l'autre «Ce Dieu '
o, et : la lumière donc pour eux qu'est inac-
-. C'est
« qui commanda que des ténèbres jaillît la cessible cette lumière source de lumière, qui
« lumière, a lui dans nos cœurs' »; de même, a créé, non-seulement la lumière spirituelle
dans l'Ancien Testament, on dit, d'une part, dans les âmes des saints, mais aussi la lumière
de la sagesse de Dieu qui certainement n'a corporelle, dont il n'interdit pas la jouissance
point été faite puisque tout a été fait par ,
aux méchants, puisqu'il la fait lever sur les
elle * : splendeur de la lumière
« Elle est la bons et sur les méchants '.
« éternelle ^ » ; et d'autre part en parlant , ,

d'une certaine lumière qui ne peut provenir CHAPITRE X.


que d'elle « Vous ferez luire le flambeau qui
:
QUELLE EST LA LUMIÈRE QUE DIEU A CRÉÉE? QUES-
a m'éclaire; mon Dieu, vous illuminerez mes TION CONTROVERSÉE.
« ténèbres" »; absolument comme quand Dieu
disait au commencement, alors que les ténè- Comme donc les ténèbres couvraient la face
bres régnaient sur l'abîme ; « Que la lumière de l'abîme , celui qui était la lumière dit :

« soit, et la lumière fut » lumière que pouvait ; « Que la lumière lumièresoit ! » Quelle est la
seule créer la lumière source de lumière, qui qui a créé la lumière, on n'en peut douter ;
est Dieu. car il est positivement écrit « Dieu dit » :
;

CHAPITRE IX. mais quelle est la lumière qu'il a créée, cela


n'est pas aussi clair. Est-ce celle qui est dans
DIEU EST LUMIÈRE ET SOURCE DE TOUTE LUMIÈRE.
les esprits des Anges, c'est-à-dire Dieu a-t-il
(]ar de même que Dieu suffit à se rendre alors créé ces esprits raisonnables? Ou bien
éternellement heureux et peut faire des heu- est-ce une certaine lumière matérielle, pla-
reux de l'abondance de son bonheur, ainsi il cée, bien loin de nos regards, dans les parties

est à lui-même son éternelle lumière et, de les plus élevées de ce monde? C'est une ques-
l'abondance de sa lumière, il peut éclairer : tion paisiblement controversée entre ceux qui
ne désirant point le bien d'un autre, puisque s'appliquent à l'étude des divines Ecritures.
toute bonne volonté jouit de lui ne crai- ; Car c'est le quatrième jour que Dieu a créé
gnant point le mal d'un autre, puisque toute ces brillants flambeaux du ciel. De plus, ont-
mauvaise volonté est abandonnée par lui en ;
ils été créés avec leur lumière? Ou ont-ils été
sorte que celui qui est heureux par l'eilet de allumés à la lumière déjà créée? C'est encore
sa bonté, ne lui procure aucun surcroît, et une question. Assurément une lumière quel-
que celui qui est malheureux par suite de son conque a été faite quand, les ténèbres cou-
jugement, ne lui cause aucune terreur. Ce vrant la face de l'abîme, « Dieu dit Que la :

Dieu, Manichéens, vous ne l'adorez pas; vous « lumière soit » Mais quiconque lit les
!

êtes bien loin occupés à poursuivre de lui , saintes lettres avec la piété qui rend digne de
vos fantômes, produits et variés de nombreux les comprendre, ne peut douter que la lu-
votre cœur présomptueux et vagabond, qui mière créée soit l'œuvre de la lumière créa-
ne reçoit que la lumière des astres matériels trice.

par les yeux du corps. Cette lumière, quoique CHAPITRE XI.


créée par Dieu, ne peut en aucune façon être
DIEU n'a jamais Été dans les TÉNÈBRES.
comparée à cette autre lumière dont Dieu
âmes pieuses, pour qui il fait jaillir
éclaire les 11 ne faut pas s'imaginer que Dieu, avant de
la lumière du sein des ténèbres comme la créer la lumière, habitait dans les ténèbres,
justice du milieu de l'impiété mais a com- : parce que « l'Esprit de Dieu était porté sur
bien plus forte raison est-elle au-dessous de « leseaux *», après qu'on avait d'abord dit :

la lunnère inaccessible, qui a créé tout cela? « Les ténèbres couvraient la face de l'abîme»,

l'ar abîme, on entend une immense profon-


' Gen. I ,
3.— ' 1 .Ir.iii , l , r».- M Cor. IV, G.— * Jean , I
, ^

'
Sag. v:r, M. — '
l's. xvii, 29. '
Malt. V, 8. — '
Is. U.\, 9, 10. — ' Malt. V, 15. — ' Gcn. 1, a.
LIVRE XXII. - LK DIFX DE L'ÉCRITURE. 317

deur d'eau. C'est ce qui peut donner occasion CHAPITRE XIII.


à la sagesse charnelle de supposer que l'Es-
DIEr A APPROUVÉ SON QECVRE ET NE l'a POINT
prit de Dieu, dont on dit : « II reposait sur
ADMIRÉE. JÉSCS-CHRIST A ÉPROLVÉ DE l'aDMI-
«les eaux », habitait dans les ténèbres qui
RATION.
couvraient la face de l'abîme cette sagesse :

ne comprenant pas comment la lumière luit Fausle dit positivement que notre Dieu fut
dans les ténèbres sans que les ténèbres la frappé d'admiration, et cela n'est pas écrit :

comprennent ', à moins que les ténèbres ne car, parce qu'on voit que son œuvre estbonne,
deviennent lumière par la parole de Dieu et il ne s'ensuit pas nécessairement f|u'on l'ad-

qu'on ne leur dise a Autrefois vous étiez : mire. Nous voyons, en effet, bien des choses
« ténèbres, mais maintenant vous êtes lu- bonnes , sans les admirer comme si elles
« mière dans le Seigneur' ». Or, si des intelli- étaient contre toute attente ; mais seulement
gences raisonnables, aveuglées par une vo- nous les approuvons, parce qu'elles sont ce
lonté impie, ne peuvent comprendre la lu- qu'elles doivent être. Du reste, nous prou-
mière de la sagesse de Dieu qui est présente vons à nos adversaires, non par l'Ancien Tes-
partout, éloignées qu'elles en sont par l'affec- tament, qu'ils dénigrent méchamment, mais
tion et non par l'espace : qu'y a-t-il d'éton- par le Nouveau, qu'ils admettent, pour trom-
nant à ce que l'Esprit de Dieu qui était porté per les ignorants, que Dieu a éprouvé de l'tid-
sur les eaux, fût aussi porté sur les ténèbres miration. En effet, ils reconnaissent que le
des eaux, à une distance immense, mais de Christ est Dieu : doucereuse amorce qu'ils
substance et non d'espace? mettent dans leur filet, pour y attirer les âmes
vouées au Christ. Or, le Christ a admiré, donc
CHAPITRE XII.
Dieu a admiré car il est écrit que le Christ,
:

COmiEM DIEU A TROOT: SES CEI VRES BONNES, CE voyant la foi du centurion, a fut dans l'ad-

OLE NE PELT FAIRE LE DIEL DES MANICHÉENS. « miration et dit à ses disciples En vérité, je :

« vous le dis, je n'ai pas trouvé une si grande

Je sais bien que je chante ici pour des « foi dans Israël ». Nous avons expliqué du
'

sourds. Cependant je ne désespère pas que mieux que nous avons pu ces paroles « Dieu :

mes chants rencontrent une oreille docile, « vit que c'était bon » d'autres pourront ;

ouverte par le Seigneur, de qui tout ce que faire mieux encore mais que les Manichéens :

nous disons tient son caractère de vérité. Mais nous expliquent à leur tour pourquoi Jésus
quels juges des divines Ecritures, que des a admiré une chose qu'il avait prévue avant
hommes qui trouvent mauvais que Dieu ait qu'elle arrivât, et qu'il connaissait avant de
jugé bons ses ouvrages, et qui le critiquent l'entendre. Du reste, bien qu'il y une dif-
ait
comme ayant été frappé d'admiration à l'as- férence entre voir qu'une chose est bonne et
pect de la lumière à laquelle il n'était point l'admirer, cependant, il y a entre ces deux
habitué ; tout cela parce qu'il est écrit : Dieu
a affections une certaine analogie, puisque Jésus
o vit que la lumière était bonne ' ? » Dieu ap- a admiré la lumière de la foi qu'il avait lui-
prouve ses ouvrages, parce qu'ils lui plaisent, même créée dans le cœur de ce centurion :

et c'est là voir qu'ils sont bons car il n'est : lui qui est la vraie lumière qui éclaire tout
point forcé d'agir contre son gré, de manière homme venant en ce monde ^
à faire ce qui ne lui plaît pas pas plus qu'il ;

n'agit par imprévoyance et par méprise, de CHAPITRE XIV.


manière à être mécontent d'avoir agi. Mais
CN PAÏEN POURRAIT RETOURNER CONTRE LE NOU-
comment les Manichéens ne trouveraient-ils VEAU TESTAMENT LES OBJECTIONS yUE FAUSTE
pas mauvais que noire Dieu ait vu que son
FAIT CONTRE l' ANCIEN.
œuvre était bonne, quand le leur, après avoir
précipité ses propres membres dans les té- Un impie pourrait certainement ca-
pa'ien
nèbres, mis un voile devant les yeux? Il
s'est lomnier dans l'Evangile,
et critiquer le Christ
n'a pas vu que^on œuvre était bonne; mais comme Fauste l'a fait pour Dieu dans l'Ancien
il n'a pas voulu la voir, parce qu'elle était Testament, II pourrait, en effet, accuser le
mauvaise. Christ d'imprévoyance, non -seulement pour
' Jean, i, 5. — ' Eph. v, 3. — ' Gen. i, 4. ' Mi-.t. vili, 10. — - Jean, I, 9.

318 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

avoir admiré la foi du cenlurion, mais aussi Fauste accuse Dieu de se fâcher, tantôt contre
pour avoir choisi entre ses disciples Judas^ les étrangers, tantôt contre les siens ce que :

qui ne devait point observer ses commande- l'Apôtre confirme des uns et des autres, en di-
ments comme Fauste blâme Dieu d'avoir
'
: sant Car tous ceux qui ont péché sans la loi,
: «

donné à l'homme dans le paradis un précepte a jiériront sans la loi et tous ceux qui ont péché ;

que celui-ci ne devait point garder ^ Le païen « dans la loi, seront jugés par la loi ». Le païen '

pourrait encore ajouter que le Christ n'a pas accuserait encore le Christ d'être meurtrier, de

su deviner qui l'avait touché, quand lafemme répandre sang d'un grand nombre pour des le

affligéed'un llux de sang toucha le bord de fautes légères ou nulles car ce serait pour lui :

son vêtement, comme Fauste accuse Dieu de une faute légère ou nulle d'être entré dans la
n'avoir pas su où se cachait Adam. Il me salle du festin sans la robe nuptiale (et cepen-
semble que Dieu a dit a Adam, où es-tu '?» : dant, pour cela, notre roi, d'après FEvangile,
comme le Christ a dit o Qui m'a touché '? » : fait jeter un homme, pieds et poings liés, dans
Le païen appellerait également le Christ en- les ou de ne pas recon-
ténèbres extérieures*) ;

vieux et dirait que lui aussi a eu peur que si les naître le Christ pour roi, péché dont il est
cinq vierges folles entraient dans son royaume, dit « Et pour ceux qui n'ont pas voulu que
:

elles ne vécussent éternellement, puisqu'il « je régnasse sur eux, amenez-les et tuez-les

leur ferma si sévèrement la porte iju'il n'ou- « devant moi ' » de même que Fauste accuse ;

vrit pas même quand elles frappaient '*,


Dieu dans l'Ancien Testament, et trouve qu'il
comme s'il eût oublié cette promesse faite par a tué des milliers d'hommes pour des fautes
lui : « et on vous ouvrira " »; abso-
Frappez, légères ou nulles. Quant au reproche que ce
lument comme Fauste accuse Dieu de jalousie même Fauste fait à Dieu d'avoir menacé de
et de crainte, parce qu'il n'a point admis le venir, le glaive à la main, et de n'épargnerni
pécheur à la vie éternelle. Il l'accuseraitaussi juste ni pécheur, comment le païen ne le fe-
d'être avide, non du sang des animaux, mais rait-il pas en entendant Paul dire : « Parce
de celui de l'homme, puisqu'il a dit a Qui- : « qu'il n'a pas épargné son Fils, mais qu'il l'a

« conque aura perdu son âme à cause de moi, B livré pour nous tous * »; en entendant Pierre
la retrouvera pour la vie éternelle ' », parler des grandes tribulations et du meurtre
comme il a plu à Fauste de calomnier Dieu à des saints, et dire, pour nous exhorter ta souf-
l'occasion des sacrifices qui promettaient, en frir a Voici le temps où doit commencer le
:

figure, le sacrificedu sang qui nous a ra- a jugement par la maison de Dieu et s'il ;

chetés. Il blâmerait aussi le zèle du Sauveur, « commence par nous, quelle sera la fin de

parce que l'Evangéliste, à l'occasion de la cir- « ceux qui ne croient pas à l'Evangile du Sei-
constance où il chassa du temple à coups de « gneur ? Et si le juste est à peine sauvé,
fouet les acheteurs et les vendeurs, rappelle a l'impie et le pécheur, où se présenteront-
que c'est de lui qu'il a été écrit : « Le zèle de B ils Car quoi de plus juste que le Fils
^ ? »

votre maison me dévore * » ; comme Fauste unique ? Et cependant le Seigneur ne l'a point
blâme le zèle que Dieu mettait à défendre qu'on épargné. El que Dieu n'épargne point les
offrît des sacrifices à d'autres qu'à lui. II dirait justes, mais les purifie par diverses tribu-
que le Christ s'est irrité contre les siens et lations, est-il rien de plus évident, puisqu'il
contre les étrangers : contre les siens, puis- est dit ouvertement « Et si le juste est à :

(ju'il Le serviteur qui connaîl la vo-


a dit : « B peine sauvé? » Car on ne lit pas seulement

ce lonté de son maître et ne fait pas ce qu'il dans l'Ancien Testament « Dieu corrige ce- :

doit faire, recevra un grand nombre de B lui qu'il aime et il châtie l'enfant qu'il re-
« coups '
»; contre les étrangers, puisqu'il a « çoit "
»; et encore : « Si nous avons reçu les

dit :Lorsque quelqu'un ne vous recevra


a a biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en
« point, secouez sur lui la poussière de vos 6 recevrions-nous pas ? » mais on
les maux '

« chaussures en vérité, je vous le dis il


y
; : lit aussi dans le Pour moi, je re-
Nouveau : a

aura moins à souffrir |)Our Sodome au jour je châtie celui que j'aime
*
« a i)rends et » et ;

« du jugement que pourcelteville '"»; comme ailleurs : a Que si nous nous jugions nous-

' Jean , VI , 71. — Gcn. ' Il , 10, 17, m, G. — ' Gen. m , 9. •


Rom. II, 12. — '
Matt. xxii, 1 1-13. — ' Luc, stx, 27. — ' Rom.
Lucvni, a, — Malt.
IS. '
xx\, 11,12. — ' Ibid. vu, 7. VIII, 32. — '
1 l'iur. IV, 17, 18. — * Prov. m, 12. -' Job, li, 10. —
Id. X , 39. — • Jean, li, 15, 17. — •
Malt, x. M, 15. — " Ibid. ' Apoc. III, 1».
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 319

« mêmes, nous ne serions point jugés par le rais peut-être les détendre en rappelant ,

«Seigneur; et lorsque nous sommes jugés, comme Paul l'a fait chez les Athéniens ', des
« c'est par le Seigneur que nous sommes re- doctrines analogues empruntées aux écrivains
« pris, afin que nous ne soyons pas con- du paganisme. Je pourrais, en effet, trouver
« damnés avec le monde ». Et cependant,
'
dans les écrits de ceux-ci un Dieu créateur et
si le païen blâmait dans le Nouveau Testament arciiitecte du monde, auteur de cette lumière
ce que les .Manichéens blâment dans l'Ancien, matérielle , lequel cependant , avant de la
ceux-ci n'en prendraient-ils pas la défense? créer, n'était point dans les ténèbres un Dieu ;

Et s'ils en venaient à bout, pourquoi critiquer ravi de son œuvre, ce qui veut certainement
d'un côté ce qu'ils défendraient de l'autre? dire plus que « Il vit que c'était bon »
: un ;

Et s'ils n'en pouvaient venir à bout, pour- Dieu qui porta une loi dont l'observation de-
quoi ne pas permettre, pour l'un comme vait profiter à l'homme, et la violation tourner
pour l'autre Testament, que ce que les impies à son détriment. Les païens ne diraient cepen-
y trouvent de mauvais sans le comprendre, dant pas qu'il ignorait l'avenir, parce qu'il
les hommes comprendre davan-
pieux, sans le aurait donné une loi qui devait être enfreinte.
tage, le trouvent bon quoique mystérieux? Ils ne l'appelleraient pas non plus impré-

voyant, et ne diraient pas que c'est un homme,


CHAPITRE XV. parce qu'il aurait fait une question eux :

LES MANICHÉENS NIERONT-ILS LES TEXTES CITÉS ? dont les lèvres abondent en interrogations qui
ne sont posées que pour fournir l'occasion de
Oseront-ils soutenir peut-être que les textes convaincre l'adversaire par ses propres ré-
que nous venons de citer du Nouveau Testa- ponses, alors que celui qui interroge, non-
ment sont faux ou altérés, en vertu du privi- seulement sait ce qu'il veut qu'on lui réponde,
lège diabolique qu'ils s'arrogent de tenir et mais prévoit même qu'on le lui répondra. Et
de prêcher comme paroles du Clu'ist et des si quelqu'un d'eux s'avisait d'accuser Dieu de

Apôtres tous les passages de l'Evangile et des jalousie, parce qu'il n'admet pas les méchants
épîtres canoniques qui peuvent appuyer leur au bonheur, il trouverait les livres de ses
hérésie, et de dénoncer, sans hésiter et avec maîtres pleins de raisonnements sur ce sujet
une impudence sacrilège, comme intercalés qui touche à la divine Providence.
par des faussaires, tous ceux qui sonnent
mal à leurs oreilles? J'ai déjà combattu, aussi CHAPITRE XVII.

longuement que me le permettait ma tâche COMMENT ON RAISONNERAIT AVEC LUI SLR LA


actuelle, cette manie insensée qui ne tend à QUESTION DU SACRIFICE.
rien moins qu'à détruire et à saper par la
base l'autorité de tous les livres. Quant aux sacrifices la seule objection ,

qu'un païen aurait à faire, serait de demander


CHAPITRE XVI.
pourquoi nous blâmons chez eux ce que
CN PAÏEN NE FERAIT PAS LES OBJECTIONS QUE FAIT notre Dieu avait exigé qu'on lui offrît dans
FAISTE.
l'ancienne loi. Pour moi, dis-je, traitant plus
Maintenant, je leur donne un avis. Puis- au long peut-être la question du vrai sacrifice,
qu'ils s'efforcent de dissimuler leurs folles et je démontrerais qu'on ne doit otTrir qu'au seul
sacrilèges rêveries sous le manteau du nom vrai Dieu le sacrifice que lui a offert le seul
chrétien, qu'ils fassent attention que quand vrai prêtre , médiateur entre Dieu et les
ils soulèvent une objection contre les Ecri- hommes - sacrifice dont il fallait célébrer la
:

tures des chrétiens, nous défendons la vérité promesse et la figure par des sacrifices d'ani-
des livres divins des deux Testaments, non- maux, en vue de la chair et du sang futurs,
seulement contre les païens, mais aussi contre par l'oblation desquels devaient être effacés
les Manichéens. Tous les faits que Fauste les péchés contractés de la chair et du sang :

vient de citer de l'Ancien Testament et qu'il car ni la chair ni le sang ne posséderont le


déclare indignes de Dieu, si un païen se met- royaume de Dieu, puisque la substance du
lait à en blâmer de semblables dans l'Evan- corps sera changée en une substance céleste,
gile et dans les épîtres des Apôtres, je pour- ce qu'indiquait le feu du sacrifice , absorbant,
•1 Cor. XI, 31, 33. '
Act. XVII, 2S1. — ' 1 Tim. II, 5.
320 CONTRE FAUSTE, LE MANICHEEN.

pour ainsi dire, la mort dans sa victoire '. Dieu, d après les deux Testaments, et voulait
Or, ces rites convenaient chez un peuple pointiller sur le mot il ne prouverait autre
,

dont royauté et le sacerdoce n'étaient que


la chose que son ignorance de toute littérature
la prophétie du Roi et du Prêtre qui devait ou son irréflexion. En effet, bien que leurs
venir pour gouverner et consacrer les fidèles savants distinguent entre la volonté et la
dans le monde entier et les introduire dans le passion, la joie et l'allégresse, la précaution et
royaume des cieux, dans le sanctuaire des la crainte, la clémence et la pitié, la prudence
anges et dans la vie éternelle. Mais, tandis que et la ruse, la confiance et l'audace et autres
les Hébreux célébraient religieusement l'an- choses de ce genre, en sorte que les premières
nonce du vrai sacrifice, les païens n'en prati- de ces expressions leur représentent des ver-
quaient qu'une sacrilège contrefaçon parce ;
tus, et les secondes des vices : cependant leurs
que, dit l' Apôtre, «ce qu'immolent les Gentils, livres sont remplis d'abusde ces mêmes ex-
((ils l'immolent aux démons et non à Dieu^». pressions, qui, quoique désignant un vice,
C'est, en effet, une très-ancienne institution, sont appliquées à la vertu, en prenant, par
que l'effusion propliétique du sang, attestant dès exemple, la passion pour la volonté;, l'allégresse
l'origine du monde la future passion du pour la joie, la crainte pour la précaution, la
Médiateur car nous voyons dans les saintes
; pitié pour clémence, la ruse pour la pru-
la
Ecritures qu'Abel l'offrit le premier \ Il dence, ou l'audace pour la confiance. Et qui
n'est donc pas étonnant que les anges prévari- pourrait dire toutes les locutions dont on
cateurs, dont les deux principaux vices sont abuse de cette manière en vertu de l'usage ?
l'orgueil et la fourberie, en parcourant la Ajoutons que chaque langue a son caractère
région des airs, aient exigé que leurs adora- propre. Ainsi jamais, dans le langage de l'E-
teurs, aux yeux de qui ils voulaient passer pour glise, le mot de pitié n'emporte un sens de
des dieux, leur offrissent ce qu'ils savaient blâme ; et ici le langage usuel s'accorde avec
n'êtredû qu'au vrai Dieu. Ici, la vanité du lui. Les Grecs appellent d'un même mot deux
cœur humain leur venait en aide, et la mé- choses, rapprochées, il est vrai, mais cepen-
moire des morts regrettés devint le principal dant différentes le travail et la douleur ;
,

motif de l'érection des statues qui a donné nous, nous leur donnons à chacune un nom ;
naissance au culte des idoles ', et, par un mais, à notre tour, nous donnons au mot vie
excès d'adulation, comme honneurs divins
les deux sens suivant que nous entendons dire
,

étaient rendus à ces morts que l'on supposait qu'un être vit, c'est-à-dire n'est pas mort, ou
admis au ciel, les démons se mirent à leur qu'un homme est de bonne vie tandis que ;

place pour être adorés sur la terre et solli- les Grecs emploient pour ces deux sens deux
citer des sacrifices de la part des victimes de expressions différentes. Il peut donc arriver
leur fourberie. Ainsi donc, non -seulement que, en dehors de l'abus des mots, si étendu
quand le viai Dieu exige k juste titre le sacri- dans toutes les langues, le mot jalousie se
fice mais encore quand un faux dieu le
, prenne, dans la langue hébraïque, en deux
réclame par orgueil, il est facile de voir à qui sens différents ou pour désigner le trouble
:

il est dû. Et si le païen avait quelque diffi- qui consume l'âme d'un époux à l'occasion de
culté à croire, je le convaincrais à l'aide des l'adultère de son conjoint, trouble que Dieu
prophéties mêmes qui ont annoncé si long- ne saurait éprouver ou pour marquer le
;

temps d'avance ce que je lui montrerais comme soin inquiet de ce même époux attentif à ,

accompU. Que s'il dédaignait encore cette veiller sur la chasteté de son épouse, soin que
jireuve, ce serait une confirmation pour moi, Dieu (nous aimons à le reconnaître, non-seu-
jdutôt qu'un sujet d'étonnement car je :
lement sans hésitation, mais encore avec un
constaterais la vérité de la prophétie (jui a sentiment de reconnaissance) prend réelle-
annoncé que tous ne croiront pas. ment, en parlant à son peuple comme à une
CHAPITRE XVIII. épouse qu'il ne veut pas voir tomber en adul-
tère avec une multitude de faux dieux. J'en
CONTINUATION DU SUJET. LA CATACHRÈSE, USITÉE
dis autant de la colère de Dieu : car la colère
DANS TOUTES LES LANGUES.
n'entraîne chez lui aucun trouble, mais elle se
S'il m'objectait la jalousie du Christ ou de prend pour la vengeance; soit par abus, soit par
' 1 Cor. XV, 50-51. —! Cor. i.v, 20. -'i3cn. iv, 1 -'Sag..\iv, 15. une particularité propre à la languehébraiquc.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 321

CHAPITRE XiX. parce qu'ils sont aveugles, ou leur déplaît


parce qu'ils sont pervertis.
CE qu'on répondrait au païen sur le repro-
En effet, le souverain maître de la vigne '

che DE cruauté fait A DIEU.


ne porte pas la serpe de la même manière sur
Pour ce qui est de ces milliers d'hommes lessarments qui donnent du fruit et sur ceux
mis à mort, le païen ne s'en étonnerait pas, si qui n'en donnent pas; cependant il n'épargne
toutefois il admettait le jugement de Dieu. Or, ni les bons ni les mauvais, mais c'est pour
les païens ne le nient pas, puisqu'ils recon- émonder les uns et retrancher les autres. Car,
naissent que la Providence divine règle et il n'y a pas d'homme si juste qui n'ait besoin

gouverne l'univers dans toutes ses parties de l'épreuve de la tribulation ou pour perfec-
élevées ou infimes. Que s'il n'en convenait tionner, ou pour consolider ou pour éprouver
pas, on l'en convaincrait facilement par l'au- sa vertu; à moins que par hasard on
ne
torité des siens, ou un peu plus lentement par veuille pas compter parmi les justes, Paul
la discussion et par des raisons irréfragables ;
l'apôtre, qui, malgré l'humble et sincère aveu
ou bien on l'abandonnerait comme endurci de ses péchés passés, se déclare cependant ,

et idiot à ce même jugement divin auquel il avec actions de grâces, justifié par la foi en
refuserait de croire. El s'il désignait expressé- Jésus-Christ *. A-t-il été épargné par celui
ment comme légères ou nulles les fautes que dont nos orgueilleux adversaires ne compren-
Dieu a punies de mort chez les hommes, nous nent pas la pensée quand il dit Je n'épar- :

lui démontrerions qu'elles ne sont ni nulles gnerai ni le juste ni le pécheur? qu'ils écou-
ni légères par exemple, pour celle que nous
;
tent donc Paul « Et de peur que la grandeur
:

avons déjà mentionnée, de l'homme qui n'avait a des révélations ne m'élève, il m'a été donné

point la robe nuptiale ', nous lui ferions voir a un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan

que le grand crime, c'était de se présenter a pour me donner des soufflets c'est pour- ;

aux noces saintes pour y chercher sa propre ce quoi j'ai prié trois fois le Seigneur qu'il le
gloire et non celle de l'époux, ou nous trou- « retirât de moi, et il m'a dit : Ma grâce te
verions quelque autre raison meilleure encore, « suffit ; car la puissance se mieux sentir
fait

cachée sous le symbole de la robe nuptiale. « dans la faiblesse ' » . Il n'épargnait donc pas
Pour ce qui est des hommes tués sous les le juste, afin de perfectionner sa vertu dans la
yeux du roi parce qu'ils n'ont pas voulu qu'il faiblesse, celui qui lui avait donné un ange de
régnât sur eux ^, nous n'aurions peut-être pas Satan pour le souffleter; à moins que vous ne
besoin de longs discours pour démontrer que prétendiez que c'était le diable qui avait donné
s'il n'y a pas de faute à un homme de refuser cet ange. Alors c'était le diable qui agissait
un homme pour roi, ce n'est pas une faute pour que la grandeur des révélations n'élevât
nulle ou légère, de ne pas reconnaître pour pas l'Apôtre et que sa vertu fût perfectionnée!
roi celui dans le royaume duquel seulement Qui oserait le dire? Il était donc livré à un
se trouve la vie sainte, heureuse et éternelle. ange de Satan pour être souffleté, par celui
qui se servait de lui pour livrer les méchants
CHAPITRE XX. à Satan comme Paul l'affirme lui-même
, :

COMMENT DIEU N'ÉPARGXE NI LE JUSTE NI LE a Que j'ai livrés à Satan, pour qu'ils appren-

PÉCHEUR. «nent à ne plus blasphémer ' ». Comprenez-


vous mainicnant comment Dieu n'épargne ni
Quant au dernier reproche que Fauste fait juste ni pécheur? Est-ce le mot de glaive qui
insidieusement aux livres de l'Ancien Testa- vous fait horreur? Autre chose est, en effet,
ment de nous représenter Dieu menaçant de de recevoir des soufflets autre chose d'être ,

venir, le glaive à la main, et de n'épargner ni mis à mort. Comme si des milliers de mar-
juste ni pécheur, quand nous aurions exphqué tyrs n'avaient pas subi divers genres de mort,
au païen dans quel sens il faut l'entendre, ou comme si leurs persécuteurs avaient pu les
peut-être ne rejetterait-il l'autorité ni du faire mourir sans la permission de Celui qui
Nouveau ni de l'Ancien Testament, et goûte- a dit : Je n'épargnerai ni juste ni pécheur;
rait-il cette comparaison évangélique qui reste alors que le Seigneur même des martyrs, « ce
cachée pour certains prétendus chrétiens
• Jean, xv, 1. —M Tim. i, 13. — '
II Cor. xii, 7, 9. — * I Tim.
• Matt. xin, 11, 13. — ' Luc, xix, 27. I, 20.

S. AcG. — Tome XIV. 21


322 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

« Fils que le Père « n'a point épar-


propre » nir, mais donnait un commandement et en
« gné '
ouvertement à Pilate
», a dit «Tu : punissait la transgression, afin de contenir
a n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne , par une juste vengeance les rebelles présents,

« t'avait été donné d'en haut-». Ces vexa- et de frapper d'é|)0uvante les rebelles à venir;

tions et ces persécutions des justes, ce même qui ne cherchait point par ignorance un pé-
Paul les appelle un exemple du jugement de cheur qu'il ne vît pas, mais l'interrogeait pour
Dieu '. Cette pensée est développée davantage le juger qui n'éprouve ni envie, ni crainte,
;

par l'apôtre Pierre quand que j'ai il dit ce mais écarte avec raison la prévarication de la
rappelé plus haut « Que voici le temps où : vie éternelle, juste récompense des fidèles ;

« doit commencer le jugement par la maison qui n'est point avide de sang ni de graisse,
«de Dieu ». Or, continue-t-il, « s'il com- mais qui a imposé à un peuple charnel des
« mence par nous, quelle sera la fin de ceux sacrifices convenables pour nous promettre
« qui ne croient pas à l'Evangile de Dieu ? Et en figure le véritable sacrifice dont la jalou-
;

a si le juste est à peine sauvé, l'impie et le sie n'est point accompagnée d'un trouble dé-
a pécheur, où se présenteront-ils * ? » Voilà vorant, mais procède d'une bonté tranquille et
qui fait comprendre comment on n'épargne veille à ce qu'une âme qui doit se conserver
pas les impies qui sont retranchés comme pure pour Dieu seul, ne se corrompe pas et
des sarments pour être jetés au feu, ni les ne se déshonore pas en se prostituant à une
justes qui sont émondés pour devenir par- multitude de faux dieux; dont la colère n'est
faits. Car Pierre lui-même atteste que tout point, comme celle de l'homme, un mouve-
cela se fait par la volonté de Celui qui a dit ment de cruauté, mais un courroux divin, qui
dans les anciens livres : Je n'épargnerai ni le punit avec justice et sévérité, et prend, dans
juste ni le pécheur. Il dit en effet : « Il vaut le langage usuel, le nom de colère, non pour

« mieux souffrir,Dieu le veut si l'Esprit de indiquer la passion de la vengeance, mais la


B ainsi, en faisant le bien qu'en faisant le fermeté du jugement; qui ne tue point des
mal S). Si donc, par la volonté de l'Esprit milliers d'hommes pour des fautes légères ou
de Dieu, on souffre en faisant le bien, c'est nulles, mais, par des morts temporelles et
que les justes ne sont pas épargnés; si l'on pour des motifs d'une parfaite équité, imprime
souffre en faisant le mal, c'est que les pé- aux peuples une salutaire terreur de son nom;
cheurs ne le sont pas davantage mais l'un : qui ne trappe point en aveugle et au hasard
et l'autre arrive par la volonté de Celui (jui a les justes et les pécheurs, mais qui distribue
dit : Je n'épargnerai ni le juste ni le pécheur, aux justes d'utiles épreuves pour les perfec-
corrigeant l'un comme un flls ,
punissant tionner et aux pécheurs des punitions méri-
l'autre comme un impie. tées pour satisfaire à la justice. Vous voyez
donc, Manichéens, que vos jugemeuts témé-
CHAPITRE XXI. raires vous égarent quand, pour avoir mal

RÉSDMÉDES RÉPONSES PRÉCÉDEMES APOSTROPHE :


compris nos Ecritures ou écouté ceux qui les
AUX MANICHÉENS. comprenaient mal, vous vous formez de faus-
ses idées des catholiques, et abandonnez la
Voilà que j'ai démontré comme j'ai pu que saine doctrine pour vous tourner vers des
nous n'adorons pas un Dieu qui ait été éter- fables sacrilèges; puis, trop profondément
nellement dans les ténèbres, mais Celui qui pervertis et séparés de la société des saints,
est la lumière et en qui il n'y a pas de ténè- vous ne voulez pas même être corrigés par le
bres ", qui habite en lui-même la lumière Nouveau Testament, où nous vous montrons
inaccessible', qui est la lumière éternelle dont des choses semblables à celles que vous blâ-
la sagesse coéternelle est la splendeur ', qui mez dans l'Ancien. D'où il résulte que nous
n'a pas été frappé d'admiration à l'aspect sommes obligés de défendre les deux Testa-
d'une lumière inattendue, mais qui a créé la ments contre vous et contre les païens.
lumière pour la faire exister, et l'a approuvée
l)our la faire durer; qui n'ignorait point l'ave-

' Rora. vni, 32. — ' Jean, xix, 11. — '


Il Tliess. i, S. — ' 1 Fier.
V, 17, 18. — ' Id. m , 17. — ' I Jean , i , 5. — ' 1 ïitn. yi , 16. —
' Sag. VH, 25.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 323

CHAPITRE XXII. prévoyait, et ne le craignait pas, il était dans


lesténèbres de la cruauté, pires que celles de
LE DIEU DES CATHOLIQUES, QUOIQUE DÉFORMÉ
l'ignorance ou de la crainte car votre Dieu ;
PAR LES MAMCHÉENS, VAUDRAIT MIEUX QUE LE
n'éprouvait pas dans sa chair ce que l'Apôtre
LEUR. DÉMONSTRATION d'APRÉS LA DOCTRINE
y loue « Si un membre souffre, tous les
:
MÊME DES SECTAIRES.
« membres souffrent avec lui '
», puisque vous
Mais supposez un homme tout à fait char- prétendez dans votre extrême folie que la
nel et tellement insensé qu'il adore Dieu, non chair a été créée par Hylé, et non par Dieu.
pastel que nous l'adorons, seul et vrai Dieu, Cependant, nous ne l'accusons pas il pré- :

mais que vous prétendez que nous l'ado-


tel voyait il craignait, il
, souffrait, mais il n'y
rons, déformé par vos calomnies et vos faux pouvait rien. Il a donc vécu de toute éternité
jugements n'adorerait-il pas encore un Dieu
: dans les ténèbres de sa misère; et plus tard
préférable au vôtre ? Faites attention, je vous il n'a point admiré une lumière nouvelle qui
prie, et ouvrez des yeux quelconques car il : vînt dissiper ses ténèbres; mais, au grand dé-
ne faut pas un génie bien perçant pour com- triment de sa propre lumière, il a été envahi
prendre ce que je vais dire; je fais appela par d'autres ténèbres qu'il avait toujours re-
tous, aux savants et aux ignorants écoutez, : doutées. Combien il lui serait préférable, je
faites attention, jugez. Combien il vaudrait ne dirai pas de commander comme Dieu
,

mieux que votre dieu eût habité éternelle- mais de recevoir un commandement comme
ment les ténèbres, plutôt que de plonger dans l'homme, sauf à se trouver bien de l'obser-
les ténèbres la lumière , sa sœur, éternelle ver, à se trouver mal de
l'enfreindre, mais
comme lui? Combien il serait préférable qu'il dans deux cas agissant avec une pleine
les
eût admiré et loué la lumière, toute nouvelle liberté de volonté au lieu d'être poussé
pour lui, et apparaissant pour dissiper ses contre sa volonté, par une nécessité invin-
ténèbres, plutôt que de ne pouvoir éviter l'in- cible, à obscurcir sa propre lumière II vau- 1

vasion des anciennes ténèbres autrement qu'en drait encore beaucoup mieux pour lui donner
changeant en ténèbres sa propre lumière! Mal- un commandement à la nature humaine,
heureux, s'il afaitcela parce qu'il était troublé; tout en prévoyant qu'elle le violera, que de
cruel, s'il l'a fait quoiqu'il n'eût rien à crain- forcer irrésistiblement sa nature divine à pé-
dre. 11 certainement meilleur de voir
lui serait cher. Ouvrez les yeux, et dites-nous comment
la lumière qu'il aurait faite et de l'admirer celui qui est sous l'empire de la nécessité
comme bonne, que de la rendre mauvaise après pourra vaincre les ténèbres. La nécessité était
l'avoir engendrée, et de la voir repousser de son plus grand ennemi et il la portait dans
lui les ténèbres ennemies, de manière à deve- son sein ; c'est elle qui l'a vaincu et forcé à
nir son ennemie elle-même. Car on fera un combattre avec un ennemi moindre. Combien
crime aux restes qui doivent être condamnés il vaudrait mieux pour lui ne pas savoir où
sur le globe, de s'être laissé entraîner loin de Adam aurait fui devant sa face, que de n'avoir
leur première nature lumineuse et d'être de- lui-même aucune retraite où échapper, d'a-
venus ennemis de la saine lumière: vivant de bord à la dure et cruelle nécessité, et ensuite
toute éternité dans les éternelles ténèbres de à une race indifférente et ennemie 1 Combien
l'ignorance, s'ils ne prévoyaient pas ce qui de- il lui serait meilleur de refuser par envie le
vaitleur arriver; ou dans les ténèbres éternelles bonheur à la nature humaine, que de livrer
de la crainte, s'ils le prévoyaient. Voilà donc lanature divine au malheur; d'être avide du
({u'une partie de la substance de votre dieu a sang et de la graisse des victimes, que d'être
été éternellement enveloppée dans ses propres lui-même tant de fois sacrifié aux idoles, mêlé
ténèbres; et plus tard, au lieu d'admirer la à la graisse et au sang de toutes les victimes;
lumière nou\elle, elle a subi des ténèbres d'être troublé {lar la jalousie en voyant sacri-
étrangères qu'elle avait toujours redoutées. fier à d'autres dieux, que d'être lui-même of-
Or, si le dieu dont elle taisait partie, crai- fert à tous lès démons , sur tous les autels
gnait pour elle un si grand mal à venir, il enchaîné non-seulement dans les fruits, mais
étaitdonc aussi envahi par les ténèbres de la même dans toute chair d'animal Combien il 1

crainte; s'il ne le prévoyait pas, il était aveu- vaudrait mieux pour lui éprouver l'agitation,
glé par les ténèbres de l'ignorance; s'il le • 1 Cor. XII, 26.
324 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.
le trouble d'une colère même humaine , , justement condamnés à souffrir sur ce globe.
contre les péchés des siens ou des étrangers, Or, vous ne pouvez pas dire que ces faibles
que d'être troublé, non-seulement dans tous parties de votre dieu n'aient eu une volonté
ceux qui se fâchent, mais dans tous ceux qui libre que le dieu n'avait pas dans son entier,
craignent, d'être souillé dans tous ceux qui puisque s'il ne les eût livrées au péché, en-
pèchent, d'être puni dans tous ceux qui sont vahi lui-même tout entier par le peuple des
condamnés enchaîné partout parla partie de
; ténèbres, il eût été forcé de pécher. Que si
lui-même qu'il a livrée, quoique innocente, à elles ne pouvaient pas être contraintes, il a
uu tel déshonneur, dans le but de vaincre péché en les envoyant là où elles pouvaient
par elle ce qu'il redoutait ; assujéti en per- l'être ;
par conséquent, en faisant cela par un
sonne à une si déplorable nécessité, afin que acte de libre autorité, il a mérité cette sorte

la partie condamnée pût lui pardonner, quand de supplice du sac réservé aux parricides,
il sera humble comme il est malheureux! plutôtque les parties elles-mêmes qui sont
Mais maintenant, est -il supportable de vous allées, par obéissance, là où elles ont perdu la
entendre blâmer Dieu, parce qu'il s'irrite liberté de bien vivre. Mais si, envahi et pos-
contre les péchés des siens ou des étrangers, sédé par l'ennemi, il pouvait être forcé à pé-
quand le dieu que vous imaginez condamne moins de pourvoir à son salut en con-
cher, à
lui-même, sur ce globe, ceux de ses mem- damnant une partie de lui-même, d'abord au
bres qu'il a forcés malgré lui à se précipiter crime, ensuite au supplice ; si, par conséquent,
dans l'abîme du péché? Vous dites, il est ni votre dieu, ni ses parties n'avaient le libre
vrai, qu'il fait cela sans colère. Mais je m'é- arbitre, alors qu'il ne s'imagine pas êtrejuge,
tonne qu'il puisse être fier d'exercer une mais qu'il se reconnaisse coupable, non préci-
sorte de vengeance envers des êtres à qui il sément pour avoir subi ce qu'il ne voulait
devait demander grâce et dire Je vous en : — pas, mais pour avoir feint les apparences de
prie, pardonnez-moi vous êtes mes mem- : la justice en condamnant ceux qu'il savait
,

bres comment aurais-je pu vous traiter


; avoir subi, plutôt que commis, le mal feinte :

ainsi, si je n'y avais été forcé? Vous savez qui n'a pas d'autre but que de dissimuler
vous-mêmes que quand je vous ai envoyés là, sa défaite : comme s'il y avait profit pour
un ennemi terrible nous avait attaqués, et si un malheureux à être appelé heureux ou
je vous y enchaîne maintenant, c'est que je fortuné. Assurément, il eût encore mieux
crains une nouvelle irruption de sa part. — valu pour votre dieu mettre de côté toute
Vous en conviendrez il vaudrait beaucoup : justice et n'épargner ni justes ni pécheurs
mieux donner la mort temporelle à des mil- (dernier reproche que Fauste , dans son in-
liers d'hommes pour une faute nulle ou lé- intelligence, adresse à notre Dieu), que de
gère, que de précipiter dans le gouffre du sévir ainsi contre ses propres membres, qu'il
péché et de condamner à uu supplice perpé- ne se contente pas de livrer à l'ennemi pour
tuel ses propres membres, c'est-à-dire les être empoisonnés sans remède, mais qu'il ac-
membres de Dieu, la substance de Dieu, par cuse encore faussement d'iniquité ; car il

conséquent Dieu lui-même. Ces membres prétend qu'ils ont bien mérité cet horrible
avaient-ils la liberté de pécher ou de ne pas et éternel supplice pour s'être laissé en-
pécher? On ne voit pas trop comment on traîner loin de leur première nature lumi-
pourrait le dire de
substance de Dieu, de la la neuse et être devenus ennemis de la sainte
vraie substance divine qui est absolument lumière. Et pourquoi cela, sinon, comme il

immuable. Car Dieu ne peut absolument pas le ditlui-même, parce qu'ils étaient si bien
pécher, pas plus qu'il ne peut se nier lui- incorporés à la première avidité des princes des
même '
; mais l'homme peut pécher et nier ténèbres, qu'ils n'ont pas pu se rappeler leur
Dieu, et pourtant il ne le fait pas, s'il ne le origine ni se distinguer de la nature ennemie?
veut pas. Si donc, comme je l'ai dit, ces Donc ces âmes n'ont point fait de mal, mais
membres de votre dieu avaient , comme ont été condanmées innocemment à un si
l'âme humaine et raisonnable la faculté , grand supplice. Et par qui, sinon par celui
de pécher ou de ne pas pécher peut-être , ,
qui leur a donné primitivement l'ordre de se
coupables de fautes graves, auraient-ils été séparer de lui pour aller subir une si terrible
II Tim. Il, 13. peine? Leur père a donc été pour elles pire
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE, 325

que leur ennemi. En effet, c'est leur père qui nécessité; de reconnaître pour votre juge un
les a livrées au malheur, tandis que leur en- dieu près duquel vous ne pouvez rien pour
nemi, en les convoitant, ne faisait que coa- les victimes dont vous défendez la cause, en
voiter un bien, et désirait jouir d'elles et non démontrant que leur crime a été involontaire ;

leur faire du mal. L'un leur a nui sciemment, de reconnaître enfln pour votre roi, ce même
et l'autre sans le savoir. Mais ce pauvre dieu, dieu dont vous ne pouvez obtenir pardon
faible et sans ressources, n'avait pas d'autre pour vos frères, ses flls et ses membres, bien
moyen de se protéger contre un ennemi, d'a- que vous prouviez qu'ils sont devenus vos
bord violent à l'attaque et ensuite enfermé. ennemis et les siens, non par leur volonté ,
Mais qu'au moins il n'accuse pas ces âmes mais par nécessité. cruauté qui dépasse
dont l'obéissance a fait son salut, dont la toutes les bornes à moins que vous ne cher-
I

mort fait sa sécurité. S'il a été forcé de com- chiez à le défendre lui-même et à l'excuser
battre, l'est-il aussi de calomnier? Quand elles en disant qu'il a agi aussi par nécessité. Si
se laissaient entraîner loin de leur première donc vous pouviez trouver un autre juge,
nature lumineuse et devenaient ennemies de qui, soustrait à l'empire de la nécessité, ob-
la sainte lumière, elles y étaient évidemment servât les lois de l'équité, il ne se contenterait
forcées par l'ennemi si elles n'ont pu résister
; pas de clouer votre dieu à la surface du globe,
à cet ennemi, elles sont condamnées innocem- mais il l'enfermerait dedans avec son redouta-
ment; si elles l'ont pu et ne l'ont pas voulu, ble ennemi. Pourquoi, en effet, ne serait-il pas

que deviennent toutes vos fables sur la nature juste que celui qui pousse le premier à pécher
du mal, puisque le péché provient de la vo- par nécessité, soit le premieràêtre condamné ?
lonté propre? Car, évidemment, c'est de plein Combien donc vous auriez encore de proflt à
gré et non par l'effet d'une violence extérieure, choisir, par préférence à ce pire des dieux,
qu'elles ont péché, puisque, pouvant résister l'autre dieu, non tel que nous l'adorons, mais
au mal, elles ne l'ont pas voulu. En résistant, telque vous croyez ou feignez de croire que
elles auraient bien fait; en ne résistant pas, nous l'adorons lequel sans aucune règle
; ,

elles ont commis un crime énorme, mons- d'équité, sans distinction de condamnation et
trueux ; si elles l'ont pu et ne l'ont pas fait, de punition, n'épargnerait pas ses serviteurs,
c'est évidemment qu'elles ne l'ont pas voulu. soit justes, soit pécheurs, mais du moins épar-

Donc, si elles ne l'ont pas voulu, il faut s'en gnerait ses membres, innocents si la nécessité
prendre à leur volonté et non à la nécessité. n'est pas un crime, coupables pour lui avoir
Donc, la volonté est le principe du péché or, ;
obéi, si la nécessité est un crime; et coupables

le principe du péché est le principe du mal, de manière à être condamnés pour l'éternité
c'est-à-dire la transgression du commande- par celui avec qui ils devaient être absous, si
ment juste et de la punition infligée par un la victoire lui eût permis de respirer en li-

juste jugement. Par conséquent, rien ne vous berté, condamnés si, après la victoire,
ou être
oblige, dans la question de l'origine du mal, la nécessité laissait du moins subsister un
de vous précipiter dans cette pernicieuse er- reste d'équité. Mais vous forgez un dieu qui
reur d'appeler nature du mal une nature qui n'est point le Dieu vrai et souverain que nous
possède abondamment tant de biens, et d'in- adorons, mais je ne sais quel faux dieu que
troduire l'horrible mal de la nécessité dans la vous prétendez, de bonne ou de mauvaise foi,
nature du souverain bien avant l'immixtion de que nous adorons car ni l'un ni l'autre :

la nature du mal. Et le principe de cette erreur, n'existent , ce sont des inventions de votre
c'est votre orgueil, que vous n'auriez pas, si part néanmoins celui que vous forgez et
: ,

vous ne le mais pour vouloir la


vouliez pas ; que vous nous accusez d'adorer , vaut encore
soutenir d'une façon quelconque parce que , mieux que celui que vous adorez vous-mêmes.
vous vous y êtes précipités, vous enlevez au li-
bre arbitre l'origine du mal, et vous la ratta- CHAPITRE XXIII.
chez à une fable vaine et fausse. Par là même,
LE SAINT JUSTIFIERA LES PATRIARCHES ET LES
il vous est force de dire que ces âmes con-
PROPHÈTES.
damnées à être éternellement enchaînées à ce
globe affreux, sont devenues ennemies de la 11 en est de même pour les Patriarches et
saine lumière, non volontairement, mais par les Proi>hètes : ceux ([ucvous blâmez ne sont
326 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

point ceux que nous honorons ; vous les avez CHAPITRE XXV.
forgés, dans un esprit d'orgueil malveillant,
MÉPRISE PUÉRILE DE CEUX QUI JUGENT LES
d'après nos livres mal compris. Néanmoins, à
PATRIARCHES.
les prendre tels que vous les faites, ils sont
non-seulement au-dessus de vos élus, de ceux Les Manichéens attribuent à la passion, chez
qui observent tous les commandements de dont la hauteur les
les Pro|ihètes, certains faits

Manès (ce serait trop peu dire) mais je prou- ; dépasse de beaucoup, comme quelques païens
verai qu'ils l'emportent même sur votre dieu. sacrilèges accusent le Christ de folie , ou
Toutefois, ce ne sera quequand j'aurai justifié I>lutôl de démence, pour avoir cherché hors
contre vos cœurs charnels, avec l'aide de Dieu de saison des fruits sur un arbre '
; ou de fa-

et de la saine raison, nos patriarches et nos tuité puérile, parce que, se baissant il écrivit
Prophètes des accusations que vous dressez du doigt sur la terre, et qu'il recommença
contre eux. En vérité, Manichéens, ce devrait après répondu à ceux qui l'interro-
avoir
être assez de vous répondre que les vices que geaient '. Car, ils ne savent rien, ils ne com-
vous reprochez aux nôtres, sont préférables à prennent pas que, dans les grandes âmes, il
ce que vous regardez comme des vertus chez existe des vertus qui ressemblent fort aux dé-
les vôtres; en ajoutant, pour mettre le comble fauts des petits enfants, en apparence, bien
à votre confusion, que votre dieu est encore entendu, et sans aucun point de comparaison
bien au-dessous de nos pères, telsque vous les possible. Ceux qui blâment de telles choses
dépeignez. Je le répète, cette réponse devrait dans ces âmes, ressemblent à des écoliers no-
suffire. Maintenant il en est qui en dehors de vices qui tout fiers de savoir que, quand le
votre futile babil, sont naturellement frappés sujet est au singulier, le verbe doit être aussi
de la comparaison de la vie des Prophètes de au singulier, critiquent le prince de la langue
l'Ancien Testament avec celle des Apôtres du latine pour avoir dit « Une partie coupent en :

Nouveau Testament, vu qu'ils ne savent pas « morceaux'», et prétendent qu'il devait dire :

faire la différence des mœurs de l'époque oîi «coufie en morceaux ». De mêuie sachant
la promesse était voilée, de celles du temps comme s'écrit Beligio, ils le blâment d'avoir
où la promesse est accomplie c'est à eux : doublé la consonne et écril:/îe///(7(0Ne/ja^nw/'.
surtout que je suis forcé de l'épondre soit ; On peut donc dire, avec raison, qu'autant il ya
que, modérés dans leur conduite, ils osent se de dislance entre les figures et les métaphores
mettre au-dessus des Prophètes , soit qu'ils des hommes instruits, et les solécismes et les
cherchent dans les exemples de ces mêmes barbarismes des ignorants, autant il y eu a,
Prophètes des prétextes pour excuser leur dans son genre, entre Its actions figurées des
propre malice. Prophètes, et les criminelles actions des mé-
CHAPITRE XXIV. chants. Par conséquent, comme un enfant
convaincu d'avoir fait un solécisme subirait
I^•DIVIDCS ET NATION, TOLT A ÉTÉ PROPHÉTIE la férule s'il essayait de se défendre par
CHEZ LES JlIFS. l'exemple de Virgile ainsi, quiconque se ,

commence donc par poser en principe


Je roulerait dans la fange avec la servante de
que, chez ces hommes, nou-seulement le sa femme et invoquerait, pour s'excuser, le

langage, mais la vie même étaH prophétique ;


faitd'Abraham rendant mère Agar, mériterait
que tout royaume des Juifs a été
le , en d'être corrigé, non plus avec la férule, mais à
quelque sorte, un grand prophète, et le pro- coui)S de bâton, pour ne pas être condamné
phète d'un grand personnage. Il faut donc comme les autres adultères à l'éternel sup-
chercher l'annonce Ju Christ et de l'Eglise, plice. Une formule de langage, un solécisme
d'une part, dans ce que disaient et luisaient sont peu de chose; un sacrement, un adultère
ceux que la sagesse divine avait éclair es et de ;
sont des choses importantes nous ne les ;

l'autre, dans les événements que la divine rapprochons pas pour les mettre de niveau ;
Provi<leuce ménageait dans les individus ou mais, proportionnellement et eu égard à la
à l'occasion de toute la nation judaïque. Car différence du genre, ce que sont la science ou
toutes ces choses, comme dit l'Apôtre, « ont l'ignorance en fait de qualités ou de défauts
été des figures de ce qui nous arrive '
».
— — '
Virg. Eneid. 212.—
'
Matt. IM. '
Jean, VIII. lib. 1, v.

'1 Cor. X, 6. • Id. hb. n, V. 715.


LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 327

dans le langage, la sagesse ou la folie le sont, naturel et défendant de le troubler. Nous


mais à un degré bien différent, dans les vices avons donc à chercher quel est l'ordre natu-
et dans les vertus. rel dans l'homme. L'homme, en effet, est com-
posé d'une âme et d'un corps et l'animal ;

CHAPITRE XXVI. aussi. Mais personne ne conteste que, d'après


l'ordre naturel, l'âme doit être préférée au
QUESTION PRÉLIMINAIRE : CE QUE C'eST QUE
corps. Or, l'âme de l'homme a la raison qui
LE PÉCHÉ.
manque à celle de l'animal. Par conséquent,
Avant donc de nous engager dans ce sujet, comme l'âme doit être préférée au corps,
et de dire au hasard ce qu'il faut louer ou ainsi, d'après la loi de la nature, la raison de
blâmer, accuser ou défendre, réprimer ou to- l'âme doit être préférée à toutes les autres
lérer, condamner ou absoudre, rechercher ou parties qui lui sont communes avec les ani-
éviter (toutes choses dans lesquelles consiste maux ; et, dans la raison elle-même, qui est
le mal ou le bien) nous devons d'abord
, en partie contemplative, en partie active, c'est
examiner ce que c'est que le péché, et ensuite, évidenmient la contemplation qui l'emporte.
étudier les actions des saints, telles qu'elles Car elle est une image de Dieu, puisque par
sont mentionnées dans les livres divins, afin elle,au moyen de la foi, nous sommes ré-
que, nous en trouvons quelques-unes de
si formés selon le modèle. Ainsi, l'action raison-
coupables, nous saisissions, autant que pos- nable doit obéir à la contemplation raison-
sible, la raison pour laquelle on les a consi- nable , soit que celle-ci commande par la
gnées par écrit et livrées à la mémoire. Quant foi, comme cela a lieu tant que nous voyageons
à celles qui ne paraissent coupables qu'aux in- loin du Seigneur' ; soit qu'elle commande par
sensés ou aux malveillants, et oîi l'on ne voit lactaire vue, ce qui arrivera quand nous serons
point éclater quelque exemple de vertu, nous semblables à lui, parce que nous
le verrons tel
examinerons aussi pourquoi elles sont rappor- qu'il est-. Alors, devenus par sa grâce, même
tées dans les saintes lettres que nous croyons dans notre corps spirituel, égaux à ses anges %
pieusement destinées à régler la vie présente, nousaurons recula robe primitive d'immorta-
et à procurer le bonheur dans la vie future. lité et d'incorruptibilité, dont ce corps mortel

Or, pour ce qui concerne les actions des saints et corruptible sera revêtu, afln que la mort soit
qui forment des exemples de justice, le plus absorbée dans sa victoire *, la justice ayantété
ignorant convient qu'elles ont dû être écrites. complétée par la grâce. Car les anges si saints,
II ne peut donc être (|uestion que de celles qui si élevés, ont aussi leur contemplation et leur

semblent ou écrites sans raison, si elles ne pa- action ; ils s'imposent à eux-mêmes le devoir
raissent ni bonnes ni mauvaises ; ou écrites d'exécuter les ordres de Celui qu'ils contem-
avec danger, si elles sont évidemment cou- plent, du Maître éternel qu'ils servent avec
pables, parce qu'elles peuvent trouver des ardeur, parce que son service est doux. Mais
imitateurs, soit que les Eci-itures elles-mêmes nous, dont le corps est mort par le péché,
ne les blâment point, ce qui peut faire suppo- jusqu'à ce que Dieu vivifiemême nos corps
ser qu'elles ne sont pas mauvaises soit , mortels par son esprit qui habite en nous %
qu'elles les blâment, parce que, nonobstant, nous vivons pour la justice, dans la mesure
on les commet dans l'espoir qu'elles seront de notre faiblesse, selon la loi éternelle, fonde-
facilement pardouuées, vu que les saints en ment de l'ordre, si nous vivons de la foi non
ont donné l'exemple. feinte qui agit par la charité *
; ayant, dans
une conscience bonne, la ferme espérance de
CHAPITRE XXVII. jouir dans le ciel de l'iinmortalité et de l'in-
corruptibilité, et de voir notre justice perfec-
DÉFINITION DU PÉCHÉ. LA CONTEMPLATION ET
l'action. LA VIE DE FOI ET LA CLAIRE VUE.
tionnée jusqu'à l'ineffable et délicieuse pléni-
tude dont nous devons avoir faim et soif tant
Le péché est donc une action, ou une pa- que nous marchons par la foi, et non par une
role, ou un désir, opposés à la loi éternelle. Or, claire vue '.
la loi éternelle est la raison divine ou la vo-
Cor. V, 6. —M Jean, ui, 2. — Matt. xxu,
' — *
' II 30. I Cor.
lonté de Dieu, ordonnant de maintenir l'ordre .\v, 53, 54. — ' Kom. vill> 10, II. — Gai. v, — 6. ' II (Jor. v, 7.
328 CONTRE FAUSTE, LE MANICHEEN.

CHAPITRE XXVIII. réparer ou maintenir la vie présente, soit dans


chaque homme, soit dans le genre humain ;
CE yCl EST ILLICITE. l'hOMME. l'ANGE. DEVOIR
si elles dépassent ce but, si elles arrachent
DE l'homme.
l'homme à lui-même et l'entraînent à violer
C'est pourquoi l'action de l'homme, obéis- les lois de la modération, elles deviennentdes
sant à la foi, qui elle-même est soumise à passions illicites, honteuses, et méritent d'être
Dieu, modère toutes les jouissances mortelles corrigées par les douleurs. Que si elles jettent
et les contient dans la mesure naturelle, pré- un tel trouble dans celui qui devait les domi-
férant, par un amour réglé, ce qui est meil- ner, et le précipitent dans un tel abîme d'ha-
leur à ce qui est moins bon. Si, en eflet, rien bitudes perverses qu'il vienne à se persua-
de ce qui est illicite n'avait d'attrait, personne der qu'elles resteront impunies, et qu'il né-
ne pécherait. Celui donc qui se livre à une glige ainsi le remède de la confession et de la
affection illicite, au lieu de la réprimer, pèche. pénitence qui pourrait le corriger et le sauver
Or, l'illicite c'est ce que défend la loi qui du naufrage ; ou si, dans un état de mort spi-
maintient l'ordre naturel. Mais y a-t-il une rituelle plus terrible encore, il cherche à les
créature raisonnable qui n'éprouve aucim justifier en blasphémant contre la loi éter-
attrait illicite ? C'est une grave question. S'il y nelle de la Providence et qu'il meure en cette
en a, ce n'est assurément pas l'homme, ni disposition : ce n'est plus une correction, mais
l'ange qui n'a point persévéré dans la vérité ;
la damnation que cette loi souverainement
mais ces créatures raisonnables ont été cons- juste lui inflige.
tituées de manière à avoir la faculté de résis-
ter à l'attrait illicite, et elles ont péché pour CHAPITRE XXX.
ne pas l'avoir fait. La nature humaine est ABRAHAM ET MANES JUGÉS d' APRÈS LA LOI
donc grande, puisqu'elle est restaurée par la ÉTERNELLE.
faculté même qui l'eût préservée de la chute,
si elle l'avait voulu. Le Seigneur qui l'a créée Consultons donc la loi éternelle qui or-
est donc bien grand
digne de toute louange '.
et donne de maintenir l'ordre naturel et défend
Il a fait des natures inférieures qui ne de le troubler, et voyons quel péché, c'est-
peuvent pas pécher ; il en a fait de supé- à-dire quelle infraction à cette loi a commise
rieures qui ne veulent pas pécher. En eifet, notre père Abraham dans ce que Fauste lui
l'animal ne pèche pas, parce qu'il ne fait rien reproche comme de a Brù-
si grands crimes,
contre la loi éternelle, à laquelle il est soumis « lant », nous d'un désir insensé
dit Fauste, «
sans pouvoir y prendre part. D'un autre côté, « d'avoir des enfants, et ne se fiant point à

la sublime nature angélique ne pèche pas, « Dieu qui lui en avait promis de Sara, son

parce qu'elle prend une telle part à la loi « épouse, il se vautra dans la fange avec une

éternelle, qu'elle n'a d'attrait que pour Dieu, M concubine ». Mais Fauste, aveuglé par le

à la volonté duquel elle obéit sans l'épreuve désir insensé de trouver à redire, trahit ici sa
de la tentation. Mais que l'homme, dont, à monstrueuse hérésie, et, en même temps ,
cause du péché, toute la vie est une épreuve tout en se trompant et sans s'en douter, fait
sur la terre ^, que l'homme prenne l'empire l'éloge de l'action d'Abraham. En effet, de
sur ce qu'il a de commun avec les animaux, même que la loi éternelle, c'est-à-dire la vo-
qu'il soumette à Dieu ce qu'il a de commun lonté de Dieu, auteur de toute créature, afin
avec les anges, jusqu'à ce que, perfectioimé de pourvoir au maintien de l'ordre naturel,
dans la justice et en possession de l'immorta- permet qu'on cède à la délectation de la chair
lité, il soit élevé au-dessus des uns et égalé mortelle dans l'acte conjugal, sous l'empire
aux autres, de la raison et non pour la satisfaction de la
CHAPITRE XXIX. passion, mais dans l'intérêt général, et seule-
ment pour la propagation de l'esiièce hu-
l'homme doit modérer SES JOUISSANCES.
maine ainsi, au contraire, la loi perverse des
;
PUNITION DE l'AUIS.
Manichéens ordonne avant tout d'éviler d'a-
Or, les jouissances mortelles doivent être voir dos enfants, de peur que leur dieu, qu'ils
excitées ou permises autant qu'il le faut |)our gémissent de savoir captif dans toutes les se-
' l's, iLVU, 2, — ' Job, vu, 1. mences, ne soit encore plus étroitement en-
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 329

chaîné par la conception de la femme, et ils CHAPITRE XXXII.


aiment mieux le voir dégagé par un crime
ÉT01RD*IE ou IMPUDENCE DE FAUSTE.
odieux que serré par un lien cruel. Abraham
ne brûlait donc pas d'un désir insensé d'avoir On ne pourrait certainement justifier Abra-
des enfants, mais Manès portait jusqu'au dé- ham, si, comme Fauste le prétend, il avait
lire la crainte d'être père. Par conséquent voulu avoir des enfants d'Agar, parce qu'il
l'un, Adèle à l'ordre de la nature, ne cher- ne se fiait pas à Dieu qui lui en avait promis
chait dans l'acte conjugal qu'à donner nais- de Sara. Mais cela est de toute fausseté Dieu :

sance à un homme ; l'autre, égaré par de cri- ne lui avait pas encore fait cette promesse. On
minelles rêveries, ne craignait que d'enchaî- peut, si on le veut, relire ce qui prêtède dans
ner son dieu. l'Ecriture on y trouvera que la terre de Cha-
:

naan et une postérité innombrable avaient


%-
CHAPITRE XXXI. déjà été promises à la race d'Abraham mais '
;

qu'on n'avait point encore révélé au patriarche


JUSTIFICATION DE SARA, ÉPOUSE D'ABKiHAM.
comment cette postérité lui viendrait : si ce
Et quand Fauste reproche à Sara d'avoir serait par la chair, en serait c'est-à-dire s'il

consenti à l'action d'Abraham, il est encore lui-même le vrai père ou si ce serait par le ;

égaré par sa malveillance et son désir de blâ- choix, c'est-à-dire s'il adopterait quelqu'un ;

mer; mais, sans le savoir et sans le vouloir, il et, dans le premier cas, si ce serait de Sara ou

fait l'éloge des deux époux. En effet, Sara n'a d'une autre femme. Qu'on lise, je le répète,
point été complice d'un crime, de l'assouvis- et on se convaincra que Fauste se trompe
sement d'une passion coupable et honteuse ;
étourdiment ou trompe impudemment. Aussi
mais, fidèle aussi à l'ordre naturel, elle dési- Abraham, voyant qu'il ne lui venait point
rait des enfants, et se voyant stérile, elle s'est d'enfants, et comptant cependant sur la pro-
approprié, en vertu de son droit de maîtresse, messe faite à sa race, songeait d'abord à une
la fécondité de sa servante ; en cela, elle ne adoption. Ce qui le prouve, c'est qu'en par-
cédait point à la passion de son mari, mais lant à Dieu, il dit d'un serviteur né chez lui :

elle lui donnait un ordre qu'il exécutait '. Et « Celui-ci sera mon héritier » ; comme pour
ce n'était point là un orgueil déplacé : car, • dire : puisque vous ne m'avez pas donné
qui ne qu'une femme doit obéir à son
sait d'enfants, accomplissez dans ce serviteur la
époux comme à un maître? Mais quant à ce promesse que vous avez faite à ma postérité.
qui tient aux membres du corps au point de Si, en effet, on n'appelait postérité que ce qui

vue de la distinction du sexe, l'Apôtre nous est né selon la chair, l'Apôtre ne dirait pas
dit « De même le mari n'a pas puissance sur
: que nous sommes la postérité d'Abraham -,
« son corps, c'est la femme * » en sorte que, ; nous qui certainement ne sommes pas enfants
tandis que, dans tout ce qui tend au maintien d'Abraham selon la chair, mais qui sommes
de la paix, la femme doit obéissance à son devenus sa postérité en imitant sa foi en ,

mari, cependant, en ce point seulement, en croyant au Christ, dont la chair provenait de


tout ce qui concerne la différence du sexe et la chair du patriarche. Ce fut alors qu'Abra-
l'acte conjugal, ils ont l'un sur l'autre la ham entendit le Seigneur lui dire « Celui-là :

même puissance, le mari sur la femme et la « ne sera point ton héritier mais celui qui ;

femme sur le mari. Sara voulut donc avoir, a sortira de toi sera ton héritier'». L'idée
d'une servante, des enfants qu'elle ne pouvait d'adoption disparut donc ; Abraham espérait
avoir d'elle-même, mais du même mari dont avoir lui-même des enfants ; mais serait-ce de
elle les aurait eus, si elle avait pu en avoir. Sara ou d'une autre, là était la question et :

Une femme ne se conduirait pas ainsi, si elle Dieu voulut la lui tenir cachée,jusqu'àceque
n'éprouvait pour son mari qu'une convoitise la servante fût devenue la figure de l'Ancien
charnelle ; elle jalouserait une concubine Testament. Q-u'y a-t-il donc d'étonnant à ce
plutôt qu'elle ne la rendrait mère. Mais ici, il qu'Abraham, voyant sa femme stérile et dé-
n'y a eu, d'un côté, qu'un pieux désir d'avoir sireuse d'avoir, de sa servante et de son mari,
des enfants, parce que, de l'autre, il n'y avait des enfants qu'elle ne pouvait avoir elle-
aucune volonté coupable. même, ait cédé, non à la passion charnelle,
Gen. XVI, 2, 1. —
' Cor. ïu, l.
I ' Gen. XII, 3. — = Gai. lu, 2, 7. — ' Geo. xv, 3, i.
330 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

mais à l'ordre de son épouse persuadé que : que Dieu ne permettrait pas qu'elle subît
Sara agissait en ^ela par permission de Dieu aucun traitement déshonorant et criminel. Et
qui lui avait iironiis qu'il aurait lui-même un sa foi et son espérance ne furent pas trompées :

héritier, mais sans lui dire de quelle femme ? car Pharaon , terrifié par des prodiges et
C'est donc bien à tort que Fauste, comme un affiigéde grands maux à cause d'elle, la ren-
insensé, s'est laissé aller à formuler ce re- voya intacte et avec tous les égards |)Ossibles,
proche, se montrant lui-même infidèle pour dès que Dieu lui eût révélé qu'elle était
prouver qu'Abraham a été infidèle. Car si ail- mariée et Abimélech, averti en songe, en fit
;

leurs, aveuglé par son incrédulité, il n'a pas tout autant ',

même pu comprendre ; ici, entraîné par le


CHAPITRE XXXIV.
besoin de calomnier, il n'a pas même pris la
peine de lire.
ABRAHAM A TU LA VÉRITÉ ET n'a POINT MENTI.

Quelques-uns, sans être calomniateurs ni


CHAPITRE XXXllI.
médisants comme Fauste, ayant au contraire
ABRAHAM n'a POIM TRAFIQUÉ DE SA FEMME. le respect dû aux livres que cet hérétique
Mais quand Fauste accuse ce juste et fidèle blâme sans les comprendre, ou ne comprend
époux d'avoir fait de sa femme le plus infâme pas quand il les blâme, quelques-uns, dis-je,
trafic ; d'avoir, par avarice et pargoursiiandise, en considérant cette action d'Abraham, ont
livré à deux rois, Abimélech et Pharaon, en cru voir qu'il avait un peu faibli et comme
deux occasions différentes, son épouse Sara chancelé dans sa foi, et renié sa femme par
pour qu'ils en abusassent, parce qu'elle était crainte de la mort, comme Pierre renia le
très-belle, et en affirmant faussement que Seigneur *. S'il fallait l'entendre ainsi, je con-
c'était sa sœur il est évident que ce n'est
: viendrais de la faute d'Abraham ; néanmoins
point là le dire d'une bouche véridique qui je ne croirais pas tous ses mérites détruits et
distingue l'honnêteté de l'infamie, mais l'as- effacés pour cela pas plus que ceux de ,

sertion d'une bouche médisante qui tourne l'Apôtre, quoiqu'il y ait de la différence entre
tout en crime. Sans doute, cette démarche renier sa femme et renier le Sauveur. Mais
d'Abraham a les apparences d'un marciié j'ai une autre interprétation que celle-là: il

honteux, mais seulement aux yeux de ceux n'y a pas de raison qui m'oblige à blâmer
qui ne savent pas discerner le bien du mal à témérairement un homme que personne ne
la lumière de la loi éternelle; de ceux qui peut convaincre d'avoir menti par peur. En
peuvent prendre la fermeté pour l'obstination, effet, comme on ne lui avait pas demandé si

la confiance qui est une vertu pour l'audace c'était sa femme, il n'a pas eu à répondre que

qui est un vice, et ainsi de suite, dans tout ce ce ne l'était pas mais comme on lui deman-
;

qui est reproché comme contraire à la justice dait ce que lui était cette femme, il a répondu
par ceux (|ui ne voient pas selon la justice. que c'était sa sœur
cependant , sans nier
Abraham n'a point été complice d'un crime qu'elle fût son épouse il a tu une partie de ;

de sa femme il n'a point spéculé sur un


, la vérité, mais il n'a point dit de mensonge.

adultère ; mais de même que Sara n'avait


point offert sa servante a son mari comme un CHAPITRE XXXV.
instrument de libertinage, mais dans le but USAGE DO NOM DE FRÈRE ET DE SŒUR DANS L' AN-
honnête d'avoir des entants , sans violer TIQUITÉ.
l'ordre naturel, en usant de son droit, et
donnant plutôt un ordre au patriarche obéis- Serons-nous assez fou pour suivre Fauste
ne cédait à ses convoitises ainsi,
sant, qu'elle ; affirmant qu'Abraliam nomma faussement
lui-même a donné le nom de sœur à une Sara sa sœur comme
si, dans le silence de
:

chaste épouse, unie à lui par l'affection la l'Ecriture, quelque autre source
il tenait de
plus pure, dont le cœur, sanctuaire de la pu- la généalogie de Sara ? Il me semble juste,
deur, ne lui insiiirait pas la moindre défiance: sur ce point qu'Abraliam connaissait et que
il n'a point dit (lu'elle était sa l'ennne, |)arce nous ne connaissons pas, de s'en rapporter
qu'il craignait d'être tué, et qu'ai)rès sa mort plutôt au patriarche disant ce qu'il sait qu'à un
elle ne tombât comme ca()tive en des mains manichéen blâmant ce qu'il ne sait pas.
étrangères et impies ; étant assuré, d'ailleurs, ' Gen. .\ii, XX. — ' Matt. XAVi, 7U, 71.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 331

Comme donc Abraham vivait à une époque peut agir, ne doit pas tenter le Seigneur
il

du genre humain où le mariage n'était plus son Dieu Le Sauveur, lui aussi
'. pouvait ,

permis entre enfants nés des mêmes parents, défendre ses disciples, et cependant il leur
ni entre frères et sœurs de père ou de mère, dit « Quand on vous persécutera dans une
:

mais où la coutume autorisait, sans qu'aucun « ville, fuyez dans une autre*». Et lui-même

pouvoir s'y opposât, l'union conjugale entre en a donné le premier l'exemple. Car, ayant
enfants de frères ou consanguins d'un degré le pouvoir de donner sa vie et personne ne
plus éloigné : qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'il pouvant la lui ravir malgré l(ii% il fuit cepen-
ait épousé sa sœur, c'est-à-dire une consan- dant en Egypte, enfant porté sur les bras de
guine de la famille de son père? En effet, il ses parents ' il alla à la fête, non publique-
;

dit au roi qui la lui rendait, qu'elle était sa ment, mais en cachette, bien que d'autres fois
sœur de père, non de mère et certes la peur ;
il parlât ouvertement aux Juifs furieux et
ne l'obligeait plus alors à mentir, puisque le extrêmement irrités de ses paroles, mais qui
roi avait appris qu'elle était sa femme, et qu'é- n'avaient pas le pouvoir de mettre la main
pouvanté par Dieu même, il la renvoyait avec sur lui, parce que son heure n'était pas encore
honneur. Or, l'Ecriture atteste que, chez les venue ^
; heure, qu'il n'était point obligé de
anciens, on donnait généralement le nom de subir pour sa mort, mais qu'il avait lui-même
frères et de sœurs aux consanguins et consan- trouvée convenable pour consommer son
guines. En effet, Tobie priant Dieu avant sacritice.Ainsi, taudis que, d'une part, il mon-
l'action du mariage, disait « Et maintenant, : trait lapuissance d'un Dieu en enseignant,
« Seigneur, vous savez (jue ce n'est point par en reprenant et en réduisant toutefois a l'im-
« un mauvais désir que je prends ma sœur puissance contre lui la rage de ses ennemis;
« pour éjiouse » bien qu'elle ne fût point
'
; de l'autre, en fuyant et en se cachant, il don-
née du même père ni de la même mère que nait une leçon à la faiblesse de l'homme, et
lui mais simplement issue de la même
,
lui apprenait à ne point tenter Dieu insolem-
famille -. On appelle également Loth frère ment, quand il a un moyen d'échapper à ce
d'Abraham ', quoique Abraham fût son oncle qu'il doit éviter. Et Paul l'apôtre,
ne désespé-
paternel *. C'est en verlu de cette coutume, rait point non plus du secours et de la protec-

qu'on donne dans l'Evangile le nom de frères tion de Dieu, et n'avait point perdu la foi,
du Seigneur à des personnes qui n'étaient quand on le descendit par la muraille dans
certainement pas nées de la vierge Marie ,
une corbeille, de peur qu'il ne tombât aux
mais qui étaient ses proches par consangui- mains de ses ennemis Il ne fuyait donc .

nité \ point ainsi faute deen Dieu mais pou- foi ;

CHAPITRE XXXVI. vant user de ce moyen il ne voulait pas ,

tenter Dieu. De même Abraham, se trouvant


ABR.\HAM KE VOULUT POINT TENTER DIEU.
dans un pays inconnu, et voyant que la rare
Quelqu'un dira peut-être Pourquoi Abra- : beauté de Sara mettait en péril la pudeur de
ham n'a-t-il pas eu assez de confiance en Dieu la femme et la vie du mari, et qu'il ne pouvait
pour ne pas craindre d'avouer que Sara était d'ailleurs parer aux deux dangers, mais seu-
son épouse? Car enfin, Dieu pouvait écarter la lement à un, c'est-à-dire sauver sa vie, fit ce
mort qu'il redoutait, le iirotéger, lui et sa qu'il put, afin de ne pas tenter Dieu, et aban-
femme, contre tous les dangers du voyage, en donna a Dieu le soin de faire ce que lui-même
sorte que personne ne la convoitât malgré sa ne pouvait faire. Ne pouvant donc se cacher
grande beauté, et que lui-même ne fût point comme homme, il se cacha comme époux,
tué à cause d'elle. Sans doute, Dieu pouvait pour ne pas être tué et il confia à Dieu sa ;

faire cela qui est assez insensé pour le


, et femme pour qu'elle ne fût pas déshonorée.
nier? Mais si Abraham interrogé, eût répondu
que cette femme était son épouse, il aurait CHAPITRE XXXVII.
confié à Dieu deux intérêts à sauvegarder : sa DOUTE A l'occasion DE SARA.
propre vie et pudeur de son épouse. Or, la
la
saine doctrine enseigne que quand l'homme Du reste, on pourrait à la rigueur discuter
' Job, ïui, 9. — = Id. vr, 11, VII, L>. — ' Gen. xiu, 8. — • Id. xi, ' Deut. VI, 16. —
= Matt. xii, 23. —
Jeao, x, '
18. — '
Matt. u,
31, — ' Matt. XB, 46. 11. — • Jeaii, vu, 10, 30. —
' Act.
II, 25.
332 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN,

sur de savoir si la pudeur de Sara eût


le point là le grand sacrement de mariage que l'Apô-
été violée dans le cas où l'on aurait eu avec tre recommande dans le Christ et dans l'E-
elle un commerce cliarnel, elle le permettant glise '. Aussi, la royauté terrestre de ce siècle,
pour sauver la vie de son )nari, non à Tinsu figurée par les rois qui n'eurent point per-
de celui-ci, mais par son ordre, tout en con- mission de toucher à Sara, n'a connu, n'a
servant la fidélité conjugale, et la soumission trouvé l'Eglise du Christ, c'est-à-dire n'a
à l'autorité de son époux vu que, d'un autre ;
compris avec quelle fidélité elle était attachée
côté, Abraham ne fut point adultère lorsque, à son époux comme à son principe, que quand
obéissant au pouvoir de sa femme, il consentit elle a essayé de lui porter atteinte alors elle ;

à avoir des enfants d'une servante '. Mais pour a dû, par la foi des martyrs , se rendre au
sauver les principes, et parce que la situation témoignage divin, l'embrasser, et honorer en-
d'une femme ayant un commerce charnel suite par des présents, dans la personne des rois
avec deux hommes n'est point la même que suivants, celle qu'elle n'avait pu soumettre
celle d'un homme ayant commerce avec deux à sa tyrannie dans la personne de ses pre-
femmes, nous nous en tenons à ce sentiment miers rois. Car, ce qui a été figuré par la con-
plus vrai et plus conforme à l'honnêteté, que duite qu'a tenue le même roi en premier et
notre père Abraham ne voulut point tenter en second lieu, s'est accompli dans le royaume
Dieu en ce qui concernait sa vie, puisqu'il temporel par les rois de la première et de la
pouvait la sauver par des moyens humains, et seconde époque.
que, d'autre part, il se conûa à Dieu pour ce
qui touchait à l'honneur de sa femme.
CHAPITRE XXXIX.
GÉNÉRATION SPIRITUELLE DE L'ÉGLISE.
CHAPITRE XXXVni.
CÔTÉ PROPHÉTIQUE DU FAIT DE SARA.
Mais, quand on ditque l'Eglise est sœur du
Christ de père et non de mère, on n'entend
Mais, qui n'aimerait à étudier dans ce fait, point parler de la parenté qui provient de la
exposé et fidèlement l'aconté dans les livres génération terrestre destinée à disparaître,
divins, le côté prophétique ; à frapper, avec mais de celle de la grâce céleste, qui subsis-
la foi de la piété, à la porte des
et le zèle tera éternellement. Par cette grâce, nous ne
mystères, afin que le Seigneur lui ouvre et serons plus une race mortelle, puisque nous
lui fasse voir de qui cet époux était alors la pourrons être appelés, et être réellement en-
flgure, et à qui a rapport celte épouse qui fants de Dieu^ Car ce n'est pas de la synago-
ne doit êti'e ni polluée ni souillée dans ce pè- gue, mère du Christ selon la chair, mais de
lerinage parmi des étrangers, mais rester sans Dieu le père que nous avons reçu cette
,

tache et sans ride pour son époux ? Evidem- grâce. Quant à la génération terrestre, qui
ment, c'est pour la gloire du Christ que l'E- s'opère dans le temps pour la mort, le Christ
glise vit selon la justice, afinque sa beauté en nous appelant à une autre vie où personne
soit l'honneur de son époux, comme Abraham ne meurt plus, nous a appris à la renier, à la
fut honoré parmi les étrangers à cause de la désavouer, quand il a dit à ses disciples :

beauté de sa fonnne ; et à celte épouse, à la- « N'appelez sur personne votre père
la terre ;

quelle on dit dans le cantique des cantiques : « car un seul est votre Père, lequel est dans

« la plus belle des femmes ^ 1 » les rois « les cieux' ». Et lui-même en a donné l'exem-

offrent des présents à cause de sa beauté, ple, quand il a dit « Qui est ma mère et qui
:

comme le roi Abimelech en offrit à Sara ,


« sont mes frères? Et étendant la main vers

épris aussi de sa beauté qu'il put aimer, mais « ses disciples, il dit Voici mes frères ». Et :

à laquelle ne put porter atteinte. En effet,


il de peur qu'on n'attachât à ces paroles un sens
l'Eglise est aussi en secret l'épouse du Soi- terrestre, il ajouta « Car quiconque fait la
:

gneur Jésus-Christ. C'est dans le secret, dans « mon Père, celui-hi est mon frère,
volonté de
la profondeur du mystère spirituel, que l'âme « et ma mère et ma sœur »; comme s'il eût '

humaine est unie au Verbe de Dieu , afin dit Cette parenté me vient de Dieu mon
:

qu'ils soient deux en une seide chair; et c'est Père, mais non tie la synagogue mu mère.

* Voir lo U-' livre sur le Sermon du Seigneur sur la Montagne^ • Eph. V, 31,32. 1 Jean, m , 1. — '
Mali. ,v,\m , u. — *
IJ.
cil. .\VI, n. l'J, 'M. — ' Cant. l, 7. ,\11, 18, 50.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 333

Car j'appelle maintenant à la vie éternelle ,


parmi les méchants et les impies, dont il ré- .

où je suis né immortel, et non à la vie tem- prouve les actions, et du mélange desquels il
porelle, où je suis né mortel pour appeler à sera délivré à la fin des siècles,
quand ceux-là
l'immortalité. serontcondamnés au supplice du feu éternel.
CHAPITRE XL. La femme de Loth représente une autre es-
pèce d'hommes, ceux qui étant appelés par la
LA PARENTÉ SPIRITUELLE DES CHRÉTIENS.
grâce de Dieu, regardent en arrière, à la dif-
Il est donc
de comprendre pourquoi
facile férence de Paul qui oubliant ce qui est en
on ne dit point aux étrangers de qui l'Eglise arrière, s'avance vers ce qui est en avant K
est l'épouse , tandis qu'on ne leur cache Aussi le Seigneur dit-il lui-même «Quicon- :

point de qui elle est la sœur, parce que c'est « que ayant mis main à
charrue, regarde
la la
une chose mystérieuse et difficile à compren- « en arrière, n'est pas propre au royaume de

dre comment l'âme humaine est unie ou mê- «Dieu*». Et il rappelle l'exemple de cette
lée (ou quelque chose de mieux peut-être femme, pour nous assaisonner, en quelque
encore) au Verbe divin, bien qu'il soit Dieu sorte, afin que nous ne tombions point dans
et elle créature. Car c'est en ce sens que le la fadeur par notre néghgence, mais que nous
Christ et l'Eglise sont ûancé et fiancée, époux nous tenions prudemment en garde contre ce
et épouse. Mais il est plus facile de dire et plus mal. Car c'est pour notre instruction qu'elle
aisé à comprendre, par quel genre de parenté a été changée en statue de sel. En efi'et, le
le Christel tous les saints sont frères, à savoir, Seigneur, insistant vivement sur la nécessité
par la grâce divine, et non par consanguinité de tendre constamment en avant en s'arra-
terrestre, c'est-à-dire frères de père et non chaut au passé, dit « Souvenez-vous de la :

de mère. En effet, par cette même grâce tous « femme de Loth ' ». Et quand Loth lui-même
les saints sont frères entre eux ;mais aucun eut un commerce charnel avec ses filles, ce
d'eux n'est l'époux de toute la communauté. n'était pas seulement un signe qu'il était dé-
Par conséquent, les étrangers n'ont pas eu la livré de Sodome, mais la figure de quelque
moindre peine, la plus faible répugnance à autre chose. En
il semble représenter
effet,

croire au Christ comme homme, bien qu'il alors la loi future que certains de ses enfants,
fût d'une justice et d'une sagesse éminente ;
établis sous son empire, comprennent mal,
et en ne se trompaient point, puisqu'il
cela, ils l'enivrent en quelque sorte; et en usant d'elle
était homme mais ils n'ont pas su comment
;
d'une manière illégitime, ils enfantent des
il était Dieu. Aussi Jérémie disait-il « Il est : œuvres d'inûdéhté. «La loi est bonne», dit
« homme aussi et qui le reconnaîtra ? — 11
,
'
l'Apôtre, si on en use légitimement *.

« est homme aussi », parce qu'il est manifesté

comme frère; « et qui le reconnaîtra?» parce CHAPITRE XLII.

qu'il est caché comme époux. Mais nous en l'iNCESTE DE LOTH.


avons assez dit sur notre père Abraham con-
tre la très-impudente, très-inepte et très-ca- Cependant, parce que l'action de Loth et de
lomnieuse accusation de Fauste. ses filles figurait d'avance la perversité de
certains hommes, nous ne prétendons pas la
CIL\PITRE XLI. justifier Autre était l'intention de
pour cela.

CE QUE FIGUR-ilEM LOTH ET SA FEMME. ces filles, autre celle de Dieu qui a permis
cet acte en vue de l'avenir maintenant, :

Lolh, son frère, homme juste et hospitalier d'une part, son juste jugement sur le péché
au milieu de Sodome, chaste et pur de toutes des hommes d'alors, et de l'autre , veillant ,

lessouillures des habitants de cette ville, mé- dans sa providence, à donner la clef des évé-
rita d'être sauvé de l'incendie qui était la nements futurs. Ainsi, ce fait, en tant que ra-
figure du jugement à venir. En cela, il était conté dans la sainte Ecriture, est une pro-
le type du corps du Christ, qui, dans la per- phétie; en tant qu'il se rattache à la vie de ces
sonne de tous les saints, gémit maintenant personnages, est un crime.
' Jer. xvu, 9. ' Phil. m, 13. — ' — Id. xvii, 32. —
Luc, IX, 62. • *
I Tim. i, 8.
334 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE XLIII. gnerie, mais de l'ivresse. Qu'est-ce qui l'obli-


geait enfin à céder ou à croire à ses filles lui
l'intention de ses filles.
versant à boire, à coups répétés , du vin mêlé
Du reste, il n'est pas blâmable et criminel d'eau ou pur peut-être ? Serait-ce qu'elles
au point de mériter le torrent d'injures que affectaient une tristesse excessive et qu'il
vou-
vomit à cette occasion Fauste aveuglé par sa lait les consoler et chasser de leur esprit, par
haine. En effet, si on consulte la loi éternelle l'effet de l'ivresse, la pensée de leur abandon,
qui ordonne de maintenir l'ordre naturel et le regret d'avoir perdu leur mère s'imagi- :

défend de le troubler, elle ne condamnera nant qu'elles buvaient autant que lui, tandis
pas celte action comme si Loth eût brûlé qu'elles usaient de ruse pour ne pas boire?
d'une coupable passion pour ses filles, jusqu'à Mais nous ne voyons pas comment il siérait à
commettre l'inceste avec elles ou à les pren- un homme de consoler de cette façon la tris-
dre pour femmes ou comme si elles-mêmes
;
tesse despersonnes qui lui sont chères. Serait-
eussent éprouvé une abominable convoitise à ce que, par quelque art emprunté à Sodome,
l'égard de leur père. La raison veut, la justice ces filles auraient su enivrer leur père sans le
exige qu'on ue se contente pas de voir ce qui faire beaucoup boire, de manière à commettre
s'est fait, mais qu'on recherche le motif qui le péché avec lui, ou plutôt sur lui, à son

a fait agir, afin de juger avtc équité les effets insu ? Mais je m'étonnerais que l'Ecriture eût
d'après leurs causes. Or, les filles de Loth tu cette circonstance, ou que Dieu eût permis
désirant perpétuer leur famille désir cer- { un tel outrage sur son serviteur sans qu'il y
tainement honnête et conforme à la nature )
eût pris part en quelque façon.
et croyant d'ailleurs qu'elles ne pourraient
plus trouver d'autres hommes pour époux, CHAPITRE XLV.
comme si l'incendie eût détruit le monde l'écriture raconts souvent sans approuver.
entier (elles n'avaient pu mesurer l'étendue
de ses ravages) dans cette persuasion, dis-je,
: Cependant, nous ne défendons que les sain-
ellessongèrent à user de leur père. Sans doute, non les péchés des hommes.
tes Ecritures, et
elles devaient plutôtrenoncer à être mères Mais nous n'entendons pas justifier le fait en
qu'user ainsi de leur père cependant, il y a ; question, en ce sens que noire Dieu l'ait or-
une grande différence entre agir par un tel donné, ou approuvé après qu'il fut commis :

motif ou céder à une si coupable convoitise. ni en ce sens que les hommes appelés justes
par les saints livres, ne puissent pas pécher
CHAPITRE XLIV. veulent. Or, Dieu n'ayant rendu aucun
s'ils le

l'ivresse de loth. témoignage favorable à l'action de Loth dans


les livres que les Manichéens rejettent, par
Mais elles savaient si bien que cette action quelle folle témérité viennent-ils accuser ces
ferait horreur à leur père, qu'elles désespérè- livres, quand il est démontré qu'en beaucoup
rent de venir à bout de leur dessein, à moins d'autres de leurs pages de telles actions sont
de lui en dérober la connaissance. En effet, défendues par les commandements de Dieu ?
l'Ecriture nous dit qu'elles l'enivrèrent et Voilà i)Ourquoi la conduite des filles de Loth
abusèrent ensuite de lui, sans qu'il en eût est simplement racontée, maisnonappiouvée.
conscience '. Il faut donc blâmer dans Loth, Or, parfois, dansle récit, il a fallu exprimer le

non l'inceste, mais l'excès du vin. Car cet excès jugement de Dieu, jiarfois le taire là, pour :

est aussi condamné par la loi éternelle, qui a instruire notre ignorance; ici, pour exercer
réglé l'usage de la nourriture et de la boisson, notre habileté et réveiller le souvenir de ce
selon l'ordre naturel et seulement pour l'en- que nous avons appris ailleurs, ou pour se-
tretien de la vie. Ainsi donc, bien qu'il y ait couer notre paresse et nous faire chercher ce
une grande différence entre un ivrogne et un que nous ne savons pas encore. Le Dieu, qui
homme ivre puisqu'un ivrogne n'est pas
: sait tirer du bien, même des péchés des
toujours ivre, et qu'un homme ivre n'est pas honunes, a fait naître, selon son bon jilaisir ,

nécessairement ivrogne néanmoins, chez ce; deux peuples de cet inceste, mais n'a point
juste, il faut se rendre raison, non de l'ivro- condamné ses Ecritures à cause des péchés
* Gen. XIX. des hommes. Il a manifesté ces faits, mais il
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 335

n'en est point l'auteur ; il nous les a mis sous par erreur, cherche attentivement le secret
les yeux, non pour que nous les imitions, mais de son époux dans les saintes Ecritures, et
pour que nous les évitions. trouve qu'il a quelque peu caché, sous la
forme d'un esclave, sa majesté qui, étant en
CHAPITRE XLVI. la forme de Dieu, est égale au Père afin '
;

RECONNU POL'R ÉPOCX DE que la faiblesse humaine pût la soutenir et s'y


COMMENT ISAAC EST
unir convenablement. Qu'y a-t-il donc d'ab-
BÉBECCA. SIGNIFICATION MYSTIQUE.
surde, ou plutôt quelle convenance n'y a-t-il
11 faut vraiment une étonnante impudence pas au ])oint de vue prophétique, à ce qu'un
chez Fauste, pour faire un crime à Isaac, fils proi)hète de Dieu ait joué charnellement avec
d'Abraham, d'avoir fait passer sa femme, Ré- son épouse pour gagner son affection, quand
becca, pour sa sœur '. L'origine de Rébecca leVerbe de Dieu s'est fait chair pour habiter
nous est donnée il ; est clair qu'elle était la parmi nous ^ ?

parente très-rapprochéed'Isaac,par conséquent CHAPITRE XLVII.


sa sœur -. Voulant laisser ignorer qu'elle était
sa femme, qu'y a-t-il d'étonnant, qu'y a-t-il JACOB JUSTIFIÉ d'avoir EU QUATBE FEMMES.
d'inconvenant, à ce qu'il imite son père, quand Quant au crime énorme que l'on fait à son
il pour se justifier les mêmes raisons que
a Jacob d'avoir eu quatre femmes ^, nous le
fils

lui ? Ainsi toutes les réponses que nous avons repoussons par une observation générale.
faites aux accusations de Fauste sur ce sujet, Quand c'était l'usage, ce n'était pas un crime,
à l'égard d'Abraham % ont la même valeur et maintenant c'est un crime, parce que ce
pour son flls Isaac. 11 est facile de les relire. n'est plus l'usage. En effet, il y a des péchés
Mais peut-être quelqu'un pénétrant plus avant, contre nature, il y en a contre la coutume, il

voudra-t-il savoir quelle mystérieuse signifi- y en a contre les commandements. Cela étant,
cation il faut attacher à celte circonstance que quel est donc le crime que l'on fait au saint
le roi étranger ne s'aperçut que Rébecca était homme Jacob d'avoir eu quatre femmes à la
l'épouse d'Isaac que quand il le vit jouer avec fois ? Si on consulte la nature, ce n'était point
elle. Or, il fallait, pour cela,
qu'il jouât avec par libertinage, mais pour avoir des enfants,
elle d'une façon qui serait dé|ilacée de la part qu'il agissait ainsi si on consulte l'usage, telle
;

de tout autre qu'un époux. Quand des saints était la coutume de ces temps et de ces pays-
se permettent des jeux de ce genre, ils ne le là si on consulte le commandement, il n'y
;

font pas sans but, mais par prudence : ils con- avait pas de loi qui le défendît. Et pourquoi
descendent, pour ainsi dire, à la faiblesse du est-ce un crime maintenant, sinon parce que
sexe féminin, en se livrant à de joyeuses ca- c'est contraire à la coutume et aux lois ? Or,
resses en paroles ou en actions, tempérant ainsi, quiconque les viole, n'usât-il d'ailleurs de
sans l'énerver, la fermeté propre à l'homme : plusieurs femmes que pour avoir des enfants,
paroles ou actions qui seraient coupables, pèche cependantet offense la société humaine,
adressées à toute autre épouse. femme qu'une à laquelle la propagation des enfants est né-
Cela tient à la nature de l'humanité, et même cessaire. Mais comme, dans l'état actuel des
je le dis pour que personne ne fasse un crime coutumes et des lois, l'usage d'une multitude
à ce saint patriarche d'avoir joué avec sa de femmes ne prouverait que l'étendue du
femme. Si ces durs censeurs voient un libertinage, on en conclut faussement qu'on
homme grave dire des mignardises à de petits n'a jamais pu avoir beaucoup de femmes sans
enfants et donner ainsi
, une nourriture aux sales
être livré à la convoitise charnelle et
agréable et digeste à leur intelligence naissante, voluptés. en se comparant, non pas à des
Ici,
ils le traitent de radoteur , oubliant eux- hommes dont la vertu dépasse leur intelli-
mêmes les moyens qui les ont fait grandir, ou gence, mais eux-mêmes à eux-mêmes, comme
regrettant d'avoir grandi. Or, ce que signifie, dit l'Apôtre ', nos adversaires ne compren-
au point de vue du sacrement du Christ et de nent plus. Et comme n'ayant qu'une femme,
l'Eglise, cette circonstance qu'un si grand ils n'en usent pas dans le but d'avoir des

patriarche ait joué avec son épouse, celui-là enfants, mais souvent ne font que céder lâche-
le voit qui, craignant de pécher contre l'Eglise
' Phil. II, 6, 7, — ' Jean, I, 14. - ' Gen. îxix-xxx. — '
H Cor.
' Gea. XXVI, 7 ' Id. xxiv. — • Ci-i , ch. xxxm-xxxTi. X, 12.
336 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

ment à l'aiguillon de la chair ils se croient , gneur et que le Seigneur écarta en lui disant :

dans le vrai en supposant que ceux qui usent Les renards ont des tanières et les oiseaux
de plusieurs femmes sont encore bien plus « du ciel des nids; mais le Fils de l'homme n'a
dominés par la passion, puisqu'ils se voient, « pas où reposer sa tête' ». Le Christ voyait,
avec une seule femme, incapables de garder là, un homme enveloppé dans les ténèbres

la continence. de la fraude et de la dissimulation, enflé d'une


vanité creuse; il n'y découvrait point la foi
CHAPITRE XLVIII.
disposée à accueillir un Maître humble ensei-
PCRETÉ d'intention CHEZ LES PATRIARCHES COMME gnant l'humilité parce que ce scribe, en s'of-
;

CHEZ LES APÔTRES. frant pour disciple, cherchait sa propre gloire,


Pour nous, nous ne devons pas confiera ceux et non celle du Christ. C'était encore ce même

qui manquent de cette vertu le soin de juger amour de la gloire qui gâtait certains prédica-
des mœurs des saints personnages, pas plus teurs que l'Apôlre signale, lesquels prêchaient
que nous ne nous en rapportons aux fiévreux le Christ par envie et par esprit de contention,
sur la douceur ou la salubrité des aliments ;
et non avec des vues pures ; toutefois l'Apôtre
nous les leur préparons d'après le goût des se réjouit de leur prédication -, parce qu'il
hommes bien portants et d'après les prescrip- savait que, malgré cette ambition de gloire hu-
tions des médecins, plutôt que d'après leurs maine chez ceux qui parlaient, la foi pouvait
dispositions maladives. Si donc nos adversai- naître chez ceux qui écoutaient: non par l'effet
res veulent posséder la vraie et solide pudeur, de la cupidité jalouse qui portait ces prédica-
non qui n'est qu'un mensonge et une
celle teurs à s'égaler ou même à se préférer aux
apparence; qu'ils croient à la divine Ecriture apôtres, mais par la vertu de l'Evangile qu'ils
comme à un livre de médecine : car ce n'est prêchaient, après tout, quoique avec des vues
pas sans raison qu'elle fait un si grand renom intéressées en sorte que Dieu tirât du bien
:

de sainteté même à des hommes qui avaient de leurs mauvaises dispositions. C'est ainsi
plusieurs femmes ,
puisqu'il peut se faire qu'il peut se faire qu'un homme fasse l'acte
qu'une âme domine tellement la chair et se conjugal, non dans les vues de la Providence,
maintienne si bien dans la continence, mais par esprit de libertinage, et que néan-
qu'elle ne laisse jamais aller au-delà des lois moins un enfant naisse, non par l'effet d'un
qui lui sont imposées le mouvement de dé- vice honteux, mais en vertu de la bonté de
lectation naturelle attaché à l'acte de la géné- Dieu qui donne la fécondité. De même donc
ration d'après les vues de la Providence. Au- que les saints apôtres jouissaient devoir leurs
trement, nos adversaires, juges médisants et auditeurs admirer leur doctrine, non par am-
calomniateurs plutôt que véridiques, pour- bition de gloire humaine, mais par zèle chari-
raient aussi accuser les saints apôtres d'avoir table pour la propagation de la vérité ainsi :

prêché l'Evangile à tant de nations plutôt par les saints patriarches usaient de leurs femmes,
ambition de gloire humaine que par le chari- non par entraînement de volupté, mais dans
table désir d'engendrer des enfants à la vie le but providentiel de se créer une famille; et,

éternelle. En effet, une renommée illustre ne par conséquent, ni la multitude des auditeurs
faisait point défaut à ces pères évangéliques ;
ne rendait ceux-là ambitieux, ni la pluralité
leur nom était célébré dans toutes les églises des femmes ne faisait ceux-ci libertins. Mais à
et dans toutes les langues; à un tel point que quoi bon tant parler de personnages à qui la
leshommes ne sauraient déférer à deshommes voix de Dieu rend le plus magnifique témoi-
plus d'honneur et plus de gloire. Simon, égaré gnage, quand il est de toute évidence que
par un désir pervers, convoita cette gloire leurs femmes elles-mêmes n'avaient d'autre
dans l'Eglise aveugle, il voulut acheter d'eux
;
désir que celui de mettre des enfants au
à prix d'argent ce (lu'ils avaient obtenu gra- monde ? En effet, dès qu'elles se voyaient sté-
tuitement de la grâce divine '. C'était aussi, à donnaient leurs servantes à leurs
riles, elles

ce qu'il paraît, cette gloire qu'ambitionnait ce époux pour rendre celles-là mères i)ar la chair,
scribe de l'Evangile qui voulait suivre le Sei- en devenant elles-mêmes mères parla volonté.
' AcU TOI, 18, 20. ' Malt. VIII, 20. — • Phil. I, 15, 18.
LIVRE XXn. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 337

CHAPITRE XLIX. elle avait fait un pacte avec sa sœur, et deve-


nue sa débitrice, elle lui transmettait son droit
FAUSTE CAIOMME JACOB, LIA ET RACHEL.
sur son mari. Car c'est là le mot que l'Apôtre
Quant à cette autre noire calomnie de emploie « Que le mari rende à la femme ce
:

Fauste jnétendant que quatre prostituées se «qu'il lui doit '«.Celle donc à qui le mari était
disputaient le lit de leur mari, je ne sais où il débiteur, avait reçu de sa sœur un prix libre-
a lu cela, sinon peut-être dans son cœur ment consenti, pour céder le droit qui lui
comme en un livre rempli d'odieux men- appartenait.
songes, où il se prostituait lui-même, mais CHAPITRE L.
avec ce serpent que l'Aiiôtre redoutait pour
CONTINENCE DE JACOB.
l'Eglise, pour celle qu'il désirait présenter
comme une vierge pure, à nn époux unique, Mais si ce patriarche, que Fauste, les yeux
au Clirist, craignant, disait-il, que comme le fermés ou plutôt en aveugle, accuse d'impu-
serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi il dicité, eût été esclave de la concupiscence et
ne corrompît les esprits en les détournant de non de la justice, n'eùt-il pas brûlé toute la
la chasteté du Christ '. Car les Manichéens sont journée des flammes voluptueuses de la nuit
tellement amis de ce serpent qu'ils prétendent où il devait posséder la plus belle de ses
que nuisible. C'est lui, évi-
qu'il a été plus utile femmes, celle qu'il aimait certainement le
demment, qui a semé dans l'âme pervertie de plus, celle qu'il avait achetée au prix de qua-
Fauste les germes du mensonge, et l'a déter- torze ans de travail gratuit ? Quand donc la
miné à verser, de sa bouche horriblement chute du jour lui procurait cette jouissance,
immonde, des calomnies mal imaginées, et à comment l'en eût-on arraché, s'il eût été tel
les livrer à la mémoire dans un style plein que Manichéens se le figurent dans leur
les
d'audace. Car aucune des servantes de Jacob ininteUigence? N'aurait-il pasdédaigné le bon
ne arraché à sa compagne, aucune de ses
l'a plaisir des autres et préféré sa belle, qui lui
épouses ne s'est disputée pour partager son devait cette nuit, non-seulement en qualité
lit. Bien plus l'ordre régnait là parce que
, ,
d'épouse, mais encore en vertu du droit que
la passion était absente et les droits de la ; lui assurait son tour? Il eût plutôt usé de son
puissance conjugale étaient d'autant mieux pouvoir conjugal, puisque « la femme n'a pas
respectés que la chasteté tenait mieux en garde « puissance sur son corps, mais le mari », et
contre les injustices de la convoitise charnelle. que d'ailleurs l'ordre établi entre elles l'y au-
Et si une des femmes de Jacob achète le droit torisait. Il eût donc d'autant plus facilement
de partager son lit, cela même est une preuve usé de son droit marital, si le charme de la
de l'exactitude de ce que nous disons, cela beauté eût exercé sur lui son empire. Mais les
même est le cri de la vérité réclamant contre femmes nous auraient paru plus estimables,
les calomnies des Manichéens. Pourquoi, en précisément parce qu'elles ne se seraient dis-
effet,achèterait-elle le droit d'une autre, si ce puté que l'honneur d'être mères, tandis que
n'eût pas été le lourde cette autre de jouir de leur époux n'aurait fait que céder aux attraits
son mari ? Jacob ne se serait i)oint abstenu de la volupté. Ainsi, cet homme d'une conti-
de Lia à jamais, quand même elle n'eût pas nence parfaite, cet homme vraiment homme,
acheté le droit de le possédercertainement
; puisqu'il use si virilement de ses épouses, jus-
il s'approchait d'elle quand son tour était qu'à maîtriser sa délectation charnelle, au
venu, puisqu'il en eut tant de fils, puisqu'il lieu d'eu être l'esclave, est plus disposé à
lui obéit, en rendant mère sa servante, et qu'il payer ce qu'il doit qu'à exiger ce qu'on lui
l'a rendue mère encore elle-même sans qu'elle doit il n'abuse point de son pouvoir au profit
;

en eîû acheté le droit. Mais alors c'était le de sa passion, mais il aime mieux rendre le
tour de Rachel de passer la nuit avec son devoir conjugal que de l'exiger. Par consé-
mari elle possédait sur lui ce droit que la
; quent, il devait le rendre à celle à qui l'avait

voix du Nouveau Testament proclame haute- transnùs l'épouse qui y avait droit. Instruit de
ment par la bouche de l'Aiiôtre, quand il nous la convention qu'elles ont faite librement,
dit De même le mari n'a pas puissance sur
: quoique écarté tout à coup et sans s'y attendre
« son corps, mais la femme ». C'est pourquoi de la plus belle pour passer à la moins belle,
Il Cor. XI, 2, 3. ' I Cor. VII, 4, 3.

S. AuG. — Tome XIV.


338 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

il ne se fâcha point, In tristesse ne voila pas CHAPITRE LU.


son front, ne recourut point à de molles ca-
il
CE QUE REPRÉSENTENT MYSTIQUEMENT LIA ET
resses envers les deux pour ramener à lui
RACHEL.
Rachel mais mari juste et père prévoyant,
;

la voyant désireuse d'avoir des enfants et lui- Bien que dans mon opinion
,
les deux ,

même n'ayant pas d'autre but dans le ma- femmes de Jacob figurent le Nouveau
libres

riage, il jugea bon de condescendre à im désir Testament par lequel nous avons été appelés à
qui étaitle même chez les deux épouses: sa la liberté, ce n'est cependant pas sans raison
volonté y trouvant aussi son compte, puisque qu'elles sont deux. A moins peut-être qu'on
toutes les deux lui donnaient des enfants. ne veuille y voir (ce qui peut se remarquer et
C'est comme Arrangez-vous à
s'il eût dit : se trouver dans les Ecritures) les deux vies
votre gré, voyez entre vous laquelle deviendra du corps du Christ: l'une temporelle, que
mère faites-vous les concessions que vous
;
nous passons dans le travail, l'autre éternelle,
voudrez je n'ai pas à m'en mêler, puisque,
;
oii nous jouirons de la vue de Dieu. Le Seigneur

d'un côté comme de l'autre, je serai père. Or, a marqué l'une par sa passion, et l'autre par
cette modestie, cet empire sur la concupis- sa résurrection. Les noms mêmes de ces
cence ce désir d'avoir des enfants, unique
, femmes nous aident comprendre. On dit, en à
mobile qui le portât à l'acte conjugal, Fauste effet, que l'un signifie: « Qui travaille », et

avait assez de pénétration pour les voir dans Rachel « Principe vu », ou Verbe par qui on
:

l'Ecriture sainte ci pour en faire l'éloge, si voit le principe. Ainsi, le mouvement de cette
son génie, peuverti par une hérésie détestable, existence humaine et mortelle, dans laquelle
eût cherché autre chose que le plaisir de blâ- nous vivons de foi, ai>pliqués à beaucoup
mer et n'eût regardé comme un très-grand d'oeuvres pénibles, incertains du profit qu'en
crime l'honorable union conjugale ,
que tireront ceux à qui nous nous intéressons,
l'homme et la femme contractent dans le but c'est Lia, la première femme de Jacob aussi ;

d'avoir des enfants. raconte-t-on qu'elle avait les yeux malades.


Car les pensées des hommes sont timides et
CHAPITRE Ll.
nos prévoyances incertaines '. Mais l'espoir de
CÔTÉ MYSTÉRIEUX A SAISIR. réterncUe contemplation de Dieu renfermant
l'intelligence et la jouissance assurée de la
Maintenant, après avoir justifié les Patriar- vérité, c'est Rachel ; aussi dit-on qu'elle avait
ches et réfuté les objections d'une secte cri- une figure agréable et une grande beauté.
minelle, cherchons de notre plein gréetselon Cette espérance est chère à tout homme sincè-
notre pouvoir, à pénétrer le côté mystérieux ; rement pieux qui sert, à cause d'elle, la grâce
frappons avec pour que le Seigneur
foi et piété de Dieu par laquelle nos péchés, fussent-ils
nous ouvre et nous révèle ce que figuraient rouges comme l'écarlate deviennent blancs ,

les quatre femmes de Jacob, dont deux libres comme en effet, Laban veut dire
la neige -
;

et deux servantes. Nous voyons, en effet, l'A- blancheur, et c'est Laban que Jacob servit
pôtre reconnaître les deux Testaments dans pour avoir Rachel '. Car personne ne se con-
lafemme libre et la femme servante qu'eut vertit par la grâce de la rémission des péchés
Abraham'; mais, là, l'interprétation est afin de servir la justice, si ce n'est pour vivre
facile, puisqu'il n'y en que deux, tandis
a en paix dans le Verbe par lequel on voit le
qu'ici il y en a deux d'un côté et deux de principe, qui est Dieu par conséquent, c'est ;

l'autre. Ensuite, là, le fils de la servante est ]iour Rachel, et non pour Lia. Car, qui aime,
déshérité, tandis qu'ici les enfants des ser- dans les œuvres de justice, le travail attaché
vantes, comme ceux des femmes libres, par- aux actions et aux souffrances ? qui désire
tagent la terre de promission. 11 y a donc évi- cette vie pour elle-même ? Pas plus que Jacob

demment une autre siguilication. ne désirait Lia. On la lui donna cependant par
' Gai. IV, 22-2). fraude, il en usa comme de son éjiouse et
connut par expérience sa fécondité. Comme
il ne pouvait l'aimer pour elle-même, le Sei-

gneur la lui rendit d'abord supportable par


'
Sag. is, 14. — ' l9. I, 18. — ' Oen. .\xiï, 17, 30.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 339

l'espoir de parvenir à Rachel ; ensuite, il la lui commandements concernant la justice, mais


rendit chère à cause de ses enfants. Mais la justice qui -vient de la foi, qui s'exerce à
quel but se proposait dans sa conversion tout travers les tentations et les incertitudes, qui
vrai serviteur de Dieu, établi sous la grcàce en croyant humblement à ce qu'elle ne com-
qui a blanchi ses péchés, que portait-il dans prend [las, mérite d'en avoir un jour l'intelli-
son cœur, qu'aimait-il avec passion, sinon la gence. H me semble que la signification des
doctrine de la sagesse ? La plupart espèrent paroles que je viens de citer Tu désires
: a
l'obtenir et la recevoir dès qu'ils ont mis en a la sagesse, observe les commandements, et
pratique les sept commandements qui con- « le Seigneur
te la donnera », est précisément
cernent le prochain et défendent de lui nuire, la mêmeque celle que renferme ce texte :

c'est-à-dire Honore ton père et la mère; tu


: « « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez
« ne commettras pas d'adultère tu ne tueras ; « pas » pour nous apprendre que la justice
'
:

a pas; tu ne voleras pas tu ne diras point de ; appartient à la foi et l'intelligence à la sagesse.


« faux témoignage tu ne convoiteras pas la ; 11ne faut donc point blâmer l'ardeur de ceux
« femme de ton prochain tu ne convoiteras ; qui brûlent du désir de voir la vérité, mais les
« paslebiende ton prochain' «.Après les avoir ramener à l'ordre qui est de commencer par
observés de son mieux, l'homme, au lieu de la foi et de mœurs régu-
s'efforcer, par des
la très-belle jouissance de la doctrine qu'il dé- but où l'on tend. Dausla
lières, d'atteindre le
sirait et qu'il espérait, doit traverser des tenta- condition présente, la vertu est pénible; mais
tions diverses, qui sont comme la nuit de ce au terme, objet des désirs, la sagesse brille
siècle, et subir un travail continu ; c'est Lia dans sa lumière. A quoi bon, dira-t-on, croire
inopinément substituée à Rachel. Pourtant s'il ce qui ne m'est point démontré ? Donne-moi
est constant dans son amour, il supporte celle- une parole qui me fasse voir le principe de
là pour parvenir à celle-ci, et il accepte sept toutes choses. C'est là, en efi"et, que se porte le
autres commandements (comme si on lui premier et le plus vif élan de l'âme raison-
disait a Sers pendant sept autres années pour
: nable et vide de la vérité, nous lui répondons :

« avoir Rachel »),de manière à être pauvre ce que tu désires est beau et très-digne de ton
d'esprit,doux, à verser des larmes, à avoir amour mais Lia se marie avant Rachel, que
;

faim et soif de la justice, à avoir le cœur pur, cette ardeur donc se soumette à l'ordre, au
à être pacifique ^ L'homme voudrait, en effet, lieu de s'y soustraire car sans l'ordre on ne ;

si cela était possible, arriver immédiatement peut parvenir au terme si vivement désiré.
aux délices de la belle et parfaite sagesse, sans Mais quand on y sera parvenu, on possédera
le travailde l'action, sans l'épreuve de la souf- tout à la fois, dans cette vie nouvelle, et l'in-
france mais cela n'est pas possible sur la terre
: telligence du beau et le fruit des travaux de
des mourants. C'est la, semble- t-il, le sens de la justice. Quelque pénétrante, quelque pure
ces paroles adressées a Jacob « Ce n'est pas :
que puisse être chez les mortelsla vuedubien
« l'usage dans notre pays de donner en ma- immuable, néanmoins le corps, qui se cor-
riage la plus jeune avant l'uîuée ^». On ap- rompt, appesantit l'àme, et cette dépouille ter-
pelle ici, et avec raison, l'aînée celle (jui est restre abat l'esprit et le trouble de mille soins'.
la première dans l'ordre du temps. Or, dans Il faut tendre à ce but unique, mais supporter
les règles de la saine instruction donnée à bien des choses pour l'atteindre.
l'homme, la peine de faire ce qui est juste
passe avant le plaisir de comprendre ce qui CHAPITRE LIY.
est vrai.
IMAGES AUSSI DE LA VIE ACTIVE ET DE LA VIE
CHAPITRE LUI.
CONTEMPLATIVE. BALA.
ELLES SOM l'image DE LA VIE PRÉSENTE ET DE
LA VIE FLTIRE. Jacob a donc deux femmes libres elles sont ;

en effet toutes les deux filles de la rémission


C'est là le sens de ces paroles: « Tu désires des péchés, c'est-à-dire de la blancheur ou de
« la sagesse : observe les commandements, Laban néanmoins, l'une est aimée et l'autre
;

«et Dieu te la donnera' », c'est-à-dire les supportée. Mais celle qui est supportée est
' Eï. SX, 12-17. — ' Matt. V, 3-9. - Geo. XïVii — féconde la première et plus féconde que
, 27, 26.
Eccli. I, 33. '
Is. vu, 9. — ' Sag. IX, 15.
340 CONTRE FAUSTE, LE MANICHEEN.

l'autre, en sorte que, si elle n'est pas aimée des images et des comparaisons matérielles
pour elle-même, elle l'est du moins pour ses pour donner une idée quelconque des choses
enfants. Ainsi, le travail des justes produit de divines, que de se soustraire au devoir de les
très-grands fruits dans ceux qu'ils enfantent enseigner comme Rachel aima mieux avoir
;

au royaume de Dieu, en prêchant l'Evangile des enfants de son époux et de sa servante,


à travers beaucoup d'épreuves et de tribu- que de n'en point avoir du tout. Car Bala,
lations et ceux pour lesquels ils endurent
;
dit-on, veut dire vieillie ; et c'était la servante
plus de travaux, une infinité de coups, divers de Rachel, C'est, en effet,de la vieille vie, livrée

genres de mort pour lesquels ils souffrent '


;
aux sens charnels, que viennent les images
au dehors des combats, au dedans des frayeurs % corporelles, qui se mêlent même à ce qu'on
ils les appellent leur joie et leur couronne '. entend dire de la substance spirituelle et

Or , ces enfants leur naissent plus facile- immuable.


ment et plus nombreux de la prédication CHAPITRE LV.
'
de la foi ([ui proclame le Christ crucifié
CE QUE REPRÉSENTE ZELPHA DANS LE SENS
et toute la partie de son humanité que
MYSTIQUE.
l'esprit humain saisit plus promptement et
qui ne trouble point les yeux malades de Lia. Lia, enflammée du désir d'avoir un plus
Rachel, au contraire, belle à voir, est empor- grand nombre d'enfants, en a aussi de sa ser-
tée hors d'elle-même vers Dieu \ et voit au vante. Or, nous trouvons que Zelpha (c'était
commencement le Verbe-Dieu, qui est en le nom de cette servante), veut dire Bouche
Dieu ° : car qui racontera sa génération ' ? béante. Ainsi quand nous voyons dans les
Ainsi donc la vie propre à la contemplation ,
Ecritures des auditeurs ouvrir la bouche, et
pour saisir et comprendre ce qui est invi- non le cœur, à la prédication de la foi évan-
sible à la chair, et voir, par les choses qui ont gélique, disons que c'est la servante de Lia.
été faites, et non par yeux malades de les En cU'et, il de quelques-uns
est écrit « Ce :

l'esprit, la puissance éternelle de Dieu et sa « peuple m'honore des lèvres ; mais son cœur
divinité ', aspire à se dégager de toute occu- « est loin de moi ' ». Et c'est à des hommes
pation, et pour cela reste stérile. En effet, en de ce genre que l'Apôtre dit « Toi qui :

cherchant calme du repos, particulièrement


le « prêches qu'il ne faut point dérober, tu dé-

propre à enflammer le désir de la contempla- « robes toi qui dis qu'il ne faut point com-
;

tion, elle ne s'accommode pas à la faiblesse des « mettre d'adultère, tu es adultère ^). Cepen-
hommes qui demandent que l'on subvienne à dant pour que cette femme libre de Jacob,
leurs nombreuses détresses. Mais brûlant, elle adonnée aux travaux, ait encore, par l'entre-
aussi, du charitable désir d'enfanter (car elle mise de sa servante, des enfants héritiers du
aime à communiquer ce qu'elle sait et ne veut royaume, voici ce que dit le Seigneur « Faites :

point, pour compagnon de voyage, de l'homme « ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils

consumé par l'envie "), elle voit sa sœur pro- « font ^ 0. Voilà pourquoi la vie apostolique,

duire de nombreux enfants par le travail pé- dans les travaux et dans les chaînes, nous dit :

nible et la souffrance ; et elle gémit de voir « Que le Christ soit annoncé par occasion ou

les hommes courir à la puissance qui vient « par un vrai zèle, je m'en réjouis, et je con-
en aide à leurs infirmités et à leurs nécessités, « tinuerai à m'en réjouir' » heureuse, pour :

plutôt qu'à celle qui [leut leur apprendre quel- ainsi dire, de voir sa servante augmenter le

que chose de divin d'immuable. Cette dou- et nombre de ses enfants.


leur est figurée par ce (|u'on écrit de Rachel :

«Et Rachel devint jalouse de sa sœur'"». CHAPITRE LVI.

Ainsi comme Tintelligence simple et pure de


CE QUE SIGNIFIE LA MANDRAGORE.
la substance qui n'est pas corps et qui pour
cela échappe aux sens de la chair, ne saurait Lia eut un enfant par suite de la concession
s'exprimer par des mots sortis de la chair la : de Rachel, qui, pour avoir des mandragores
doctrine de la sagesse aime mieux employer du fils de sa sœur, permit à celle-ci de par-
tager le lit de son époux, auquel elle-même
* II Cor. XI, 23. — Id.• VII 5. — ' Phil. iv, 1. — '
I Cor. 23.
— ' II Cor. V, 13. — Jean,

,

i, 1. - ' Id. lui , 8. — •


Rom.
i,

i , 20. '
Is. xxix, 13. — ' Rora. Il, 21 , 22. — " Matt. ÏXIII , 3. —
— ' Sag. VI, 25. — " Gen. ,\.\ï, 1. ' l'iul. I, 1«.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE LÉCRITURE. 341

avait droit pour cette nuit. Je sais que quel- miers qui parviennent à celte gloire popu-
ques-uns croient que ce fruit a la propriété laire, sont ceux qui mènent une vie d'action,
de rendre féconde la femme stérile qui eu de périls et de labeur. Voilà pourquoi le fils
mange, et ils pensent que Rachel n'insista si de Lia, allant à la campagne, c'est-à-dire se
vivement pour en avoir du flls de sa sœur que rendant honnêtement chez ceux du dehors,
parce qu'elle désirait ardemment avoir des trouve des mandragores. Mais cette doctrine
enfants. Je ne partagerais point cette opinion, de sagesse qui, loin du bruit de la foule, reste
quand même Racliel eût conçu en ce mo- fixée dans la contemplation et la douce jouis-
ment-là. Mais comme, après que Lia eût mis sance de la vérité, n'obtiendrait pas même au
au monde deux enfants, à partir de cette nuit. plus mince degré, cette gloire populaire, si ce
Dieu donna un fils à Racliel, il n'y a pas de n'était par l'entremise de ceux qui gouver-
raison pour que nous attribuions à la man- nent la multitude par l'action et par la parole,
dragore une propriété dont aucune femme n'a et sont avides non de commander, mais d'être
jamais fait l'expérience. Je dirai donc ma utiles. Comme ces hommes actifs et laborieux
pensée de plus savants donneront peut-être
; dévoués aux intérêts de la foule, et dont l'au-
une meilleure explication. Je vis un jour de torité est chère aux peuples, rendent témoi-
cette espècede fruit, qui est assez rare, et je gnage à la vie qui reste oisive par l'ardeur
me de cet heureux hasard, précisé-
félicitai qu'elle éprouve à rechercher et à contempler
ment à cause de ce passage des livres saints ; la vérité, les mandragores arrivent en quel-
j'en étudiai attentivement, et de mon mieux, que sorte à Rachel par Lia. Mais elles arrivent
la nature, non à l'aide de connaissances spé- à Lia par son premier-né, c'est-à-dire, par
ciales et dépassant ce que l'on sait communé- l'honneur de sa fécondité, laquelle renferme
ment des vertus des racines et des propriétés tout le fruit d'une activité laborieuse s'exer- ,

des herbes, mais d'après ce que la vue, l'odo- çant à travers les incertitudes, les épreuves
rat et le goût pouvaient m'apprendre, comme et les périls. Cette activité , la plupart des
au premier homme venu. J'ai donc trouvé un hommes doués d'un génie heureux et pas-
beau fruit, d'une odeur agréable, mais d'une sionnés pour l'étude, fussent-ils propres d'ail-
saveur insipide; et j'avoue que je ne com- leurs à gouverner les peuples, l'évitent cepen-
prends pas qu'une femme ait pu en avoir une dant à cause des occupations turbulentes
si forte envie, si ce n'est à cause de sa rareté qu'elle entraîne, et se portent de tout leur
et de son parfum. Mais pourquoi un tel fait cœur vers les loisirs de la doctrine, comme
est-il mentionné dans la sainte Ecriture qui , vers les embrassements de la belle Rachel.
tiendrait sans doute peu à nous faire con-
naître eus caprices de femmes, si ce n'était CHAPITRE LVII.

pour nous y faire soupçonner quelque chose SUR LES CONTEMPLATIFS PROPRES A LA VIE ACTIVE.
d'important ? Je ne puis supposer d'autre
raison que celle que suggère le bon sens, à Mais comme il est bon que cette vie soit
savoir que la mandragore figure ici la bonne mieux connue et obtienne aussi la gloire
réputation : non pas celle qui repose sur le populaire, et qu'il ne serait pas juste qu'elle
suffrage de quelques hommes justes et sages, l'obtînt, si elle retenait son amant dans l'oisi-

mais ce renom populaire, qui relève un per- veté, quoiqu'il de s'occuper des
fût capable
sonnage et le rend plus célèbre avantage : affaires de l'Eglise, et qu'elle ne lui donnât
qu'on ne doit point rechercher pour lui-même, aucune part aux travaux d'un intérêt général ;
mais absolument nécessaire aux gens de bien voilà pourquoi Lia dit à sa sœur « Ce n'est :

pour qu'ils puissent réaliser leurs vues d'in- « pas assez pour vous de vous être emparée
térêt général. Ce qui fait dire à l'Apôtre « Il : « de mon époux
vous voulez encore prendre
:

« faut avoir un bon témoignage de ceux qui « lesmandragores de mon fils ?» Par époux,
« sont dehors »; lesquels, bien qu'ils soient
'
on entend ici tous ceux que leur vertu rend
peu sages, procurent néanmoins ordinaire- capables d'agir, qui sont dignes de gouverner
ment, aux travaux dont ils sont l'objet, et l'éclat l'Eglise etde lui dispenser le sacrement de la
de la louange et la bonne odeur de l'opinion. foi,mais qui, enflammés du désir de la doc-
Or, de tous ceux qui sont dans l'EgUse, les pre- trine, et de la recherche et de la contempla-
> I Tim. m, 7. tion de la sagesse, veulent se soustraire à tous
342 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

les inconvénients de la \ie active et se ren- louent le genre de vie dont ils se sont épris
fermer dans calme pour s'instruire et en-
le jusqu'à renoncer à toutes les espérances du
seigner voilà pourquoi il est dit
; « Ce n'est : siècle, mais dont on les retire pour les em-
« pas assez pour vous de vous être emparée ployer aux œuvres de miséricorde dans la
« de mon mari vous voulez encore prendre
; direction des peuples. Car ils font tout, au
« les mandragores de mon fils? » Comme si milieu de leurs travaux, pour qu'on glorifie,
l'on disait Ce n'est pas assez pour la vie
: au loin et au large, la profession qu'ils avaient
d'étude de retenir dans loisivelé des hommes embrassée et qui donne de tels guides aux
nécessaires pour les travaux de l'adminis- nations. C'est Jacob consentant à passer cette
tration elle aspire encore à la gloire popu-
; nuit avec Lia, pour que Rachel obtienne des
laire ? mandragores belles et parfumées. Toutefois,
CHAPITRE LVHI. Rachel enfante elle-même, par la miséricorde
de Dieu, mais tard et avec peine parce qu'il ;
comment ils font estimer le genre de vie
est très-rare que le texte : « Au commence-
qu'ils avaient d'abord choisi.
« ment était le Verbe, et le Verbe était en Dieu
Donc, pour qu'elle y ail droit, Rachel cède « et le Verbe était Dieu '
», et tout ce que la

son époux à sa sœur pour cette nuit c'est-à- ;


piélé et la sagesse disent sur ce sujet, soit
dire i)0ur que ceux que leur vertu rend aptes compris, même en partie, sans les vains fan-

au laborieux gouvernement des peuples, bien tômes de la pensée charnelle et d'une manière
qu'ils aient préféré s'adonner à la science, se utile au salut.
résignent cependant à subir les épreuves et à CHAPITRE LIX.
porter le fardeau des soucis; de peur que la
CONCLUSION SUR LES TROIS PATRIARCHES.
doctrine de sagesse, à laquelle ils ont résolu
de s'adonner, ne soit blasphémée et qu'elle En voilà assez pour réfuter les calomnies
n'obtienne point, de la part des peuples trop que Fauste débite sur les trois patriarches
peu instruits, cette bonne opinion, figurée Abraham, Isaac et Jacob, dont Dieu a voulu
par les mandragores , et nécessaire pour être appelé le Dieu et que l'Eglise catholique
exercer de l'intluence sur les auditeurs. Mais, honore. Ce n'est point le lieu de parler de
pour leur faire accepter cette charge, il faut leurs mérites, de leur piété, et de leur carac-
leur faire violence. C'est ce que nous indique tère prophétique, si élevé, si au-dessus du ju-
assez clairement Lia allant au-devant de Jacob, gement des hommes charnels nous avons ;

qui revient de campagne, s'emparant de lui


la seulement dû, dans le présent ouvrage, les
et lui disant « Vous viendrez vers moi
: car ; défendre contre les attaques d'une langue mé-
« je vous ai obtenu pour les mandragores de disante et ennemie de la vérité pour ne pas ;

« mon fils '


». C'est comme si l'on disait : laisser croire à nos adversaires qu'ils aient

Vous voulez faire estimer la doctrine que vous dit quelque chose de sérieux contre nos

aimez? Alors, ne vous soustrayez pas aux saintes et salutaires Ecritures, parce qu'ils les
fonctions laborieuses. Avec un peu d'attention, ont lues dans un esprit pervers et hostile, et
chacun s'apercevra que c'est ainsi qu'on se qu'ils lancent il'insolentes injures contre des

conduit dans l'Eglise. Nous appliquons dans personnages (]ui y sontlouéset entourés d'un
la i)ratii|ue ce que nous appicnons dans les sigrand resi)ect.
livres. Qui ne voit cela dans toute l'élendue CHAPITRE LX.
de l'univers des hommes renonçant aux
:

IL Y A A LOUER ET A BLAMER DANS LOTH.


œuvres du siècle pour [lasser à l'étude et à la
JUDA n'est LOLÉ NULLE PART.
paisible contemplation de la vérité, c'est-à-
dire aux embrassements de Rachel; puis, pris Du reste Loth, frère, c'est-à-dire consanguin
en flanc par les besoins de l'Eglise, et ordonnés d'Abraham, ne peut en aucune façon être
pour le travail, conmie si Lia leur disait : comparé à ceux dont Dieu dit « Je suis le :

« Vous viendrez vers moi ? » Et quand ils « Dieu d'Abraham, le Dieu d'isaac, et le Dieu

sont chastement occupés à dispenser les mys- a de Jacob ' » il ne faut pas non plus le
;

tères de Dieu, i)0ur engendrer, dans la nuit mettre au nombre de ceux à qui l'Ecriture
de ce monde, des enfants à la foi, les peuples rend jusiju'à la fin un témoignage de justice,
' G«n. XXX, 11-16. 'Jean, i, I. — ' Ex. Ill, 6.
LIVRE XXH. — LE DIEU DE L'ÉCRITT RE. 343

biea qu'il soit resté pieux et chaste parmi les en évidence ? De même les méfaits d'un
habitants de Sodome, qu'il se soit rendu i-e- homme ne vicient point l'Ecriture qui ne fait
commaudable par la vertu d'hospitalité, qu'il que les révéler à ses lecteurs. Si on consulte
ait été préservé de l'incendie de cette contrée, celte loi éternelle qui ordonne de conserver
et que Dieu ait donné part à sa postérité dans l'ordre naturel et défend de le troubler, elle
la terre promise, en considération d'Abraham n'a établi l'acte conjugal que pour la propaga-
son oncle '. Voilà ce que les livres saints tion de l'espèce, et, cela, dans les conditions
nous montrent à louer dans sa conduite, et d'un mariage conforme au besoin de la so-
non son ivresse, et non son inceste -. Mais ciété et qui ne brise point le lien de la paix.

quand nous voyons raconter, du même Voilà pourquoi la prostitution de la femme,


homme, une bonne et une mauvaise action, qui a pour but, non la création de la famille,
c'est afin que nous imitions l'une et évitions mais l'assouvissement de la passion, est con-
l'autre. Or, si le péché de Loth, à qui on a damnée par la loi divine et éternelle, car toute
rendu un témoignage de justice avant qu'il le action coupable, achetée à prix d'argent, désho-
commît % non-seulement ne porte aucune at- nore celui qui l'achète. Voilà pourquoi, bien
teinte à la sainteté de Dieu ni à la vérité de que le péché de Juda eût été plus grave s'il eût
l'Ecriture, mais recommande même celle-ci sciemment abusé desa belle-fille (car si, comme
à nos éloges et à notre affection en nous faisant dit le Seigneur, l'homme et la femme « ne

voir que, comme un fidèle miroir, elle ne nous « sont plus deux, mais une seule chair* »,
montre pas seulement ce qu'il y a de beau et de une belle-fille doit être considérée comme
sale, mais aussi ce qu'il y a de difforme et de une cependant, il est hors de doute
fille) :

vicieux dans les personnes dont elle reproduit qu'il a voulu, autant qu'il était en lui, avoir
l'image à combien plus forte raison le fait
: un coupable commerce avec une prostituée.
de Juda abusant de sa bru \ n'ébranle-t-il Quant à qui a trompé son beau-père,
elle,
point cette sainte autorité, qui; solidement elle n'a point péché par convoitise charnelle,
fondée sur ces livres et en vertu de son ni par l'appât d'une récompense mais vou- ;

droit divin, ne se contente pas de dédaigner lant avoir un enfant de cette famille, où elle
les arguties calomnieuses d'un très -petit n'avait pu en avoir de deux frères qu'elle
nombre de Manichéens, mais aussi les terri- avait déjà épousés, ni d'un troisième qu'on lui
bles haines de tant de peuples païens qu'elle a avait refusé, elle a usé de fraude envers son
déjà fait [iresque tous passer de la criminelle beau-père, le père de ses maris, et est devenue
superstition idolàtrique au culte du seul vrai enceinte, après avoir reçu un gage qu'elle
Dieu, en établissant l'empii-e chrétien, en sub- conserva, non comme parure, mais comme
juguant le monde entier, non par la violence preuve. Elle eût sans doute mieux fait de
des armes, mais par l'invincible pouvoir de rester sans enfants que de devenir mère contre
,

la vérité ? En etfet, en quel endroit des saintes les lois du mariage cependant, eu cherchant
;

lettres a-t-on loué Juda? Quel bon témoignage à avoir, dans son beau-père, un père pour ses
l'Ecriture rend-elle de lui , si ce n'est que, enfants, elle a péché d'une tout autre façon
dans la prophétie relative au Christ, annoncé que si elle n'eût convoité en lui qu'un adul-
comme devant naître de sa tribu selon la chair, tère. Enfin, comme il la faisait conduire à la

il obtient une part plus grande que ses frères mort, elle montra le bâton, le collier et l'an-
dans la bénédiction de son père ^"
? neau, en déclarant qu'elle était enceinte de
celui à qui ces gages ap[)artenaient. Juda
CHAPITRE LXI. ayant reconnu que ces objets venaient de lui,
confessa qu'il était plus coupable qu'elle, de
l'inceste de idda et de thamar.
lui avoir refusé son fils pour époux ce refus ;

Du au crime de fornication que Fauste


reste, l'avait décidée à recourir à ce moyen pour
lui reproche nous en ajoutons un autre
, : avoir des ertfants de celte race, plutôt que de
c'est d'avoir vendu son frère Joseph pour rester sans postérité. En prononçant cette

l'Egypte ". Est-ce que des membres tortus sentence, il ne la justifiait point, mais il la

font tort à la lumière qui met tous les objets reconnaissait moins coupable que lui-même :

il ne l'approuva point, mais, par comparaison


• Gen. XIX. — ' Deut. Il , 9. — ' Sag. x, 6. — Geu. xxxviu,
13-18. — ' Id. XLIX, 8-12. — * Id. xxxvu, 26-28. • Malt, xsx, 6.
344 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

il se mit au-dessous d'elle ; le désir d'avoir des Juifs sont, là aussi, simplement racontés,
des enfants, qui l'avait portée à s'unir char- et non blâmés, quoique détestés par tout le
nellement à son beau-père, lui sembla moins monde.
condamnable que la passion qui l'avait dominé CHAPITRE LXIII.
lui-même et entraîné à avoir commerce avec
LA BÉNÉDICTION DE JUDA.
celle qu'il croyait une prostituée se rangeant :

ainsi parmi ceux dont on dit « Vous avez : Mais, disent-ils, ce Juda qui a commis un
o justifié Sodome », c'est-à-dire vous avez
'
inceste avec sa belle-fille, est compté parmi
péché au point que Sodome paraît juste en les douze patriarches '. Eh Juda, qui
! a trahi
comparaison de vous. Du reste, quand même le Seigneur, n'a-t-il pas été compté parmi les
on entendrait que le beau-père de cette fenune, douze Apôtres, et, quoique démon, envoyé
au lieu de la trouver seulement moins cou- avec eux et comme l'un d'eux, pour prêcher
pable que lui-même, l'a tout à fait approuvée, l'Evangile - ? A cela les Manichéens répon-
quoique, selon la loi éternelle de justice qui dent Après un si grand crime celui-ci
: ,

défend de troubler l'ordre naturel, non-seule- s'est pendu et s'est retranché par là même du
ment dans les corps, mais avant tout, et prin- nombre des Apôtres ' tandis que l'autre ; ,

cipalement dans les âines, elle ait réellement malgré son acte honteux, a été béni et loué
été coupable d'avoir violé les lois de l'union parmi ses frères et plus que tous ses frères,
conjugale quand cela serait, dis-je, qu'y au-
: par ce même père à qui Dieu rend un si glo-
rait-il d'étonnant à ce qu'un pécheur approu- rieux témoignage '. Oui, et c'est ce qui fait
vât une pécheresse ? voir plus clairement que ce n'est point à lui
que se rapporte la prophétie, mais au Christ
CHAPITRE LXII. qui était annoncé comme devant naître de sa
SOUVENT l'Écriture raconte sans expri- tribu selon la chair et c'est pour cela encore
;

mer DE JUGEMENT. que la divine Ecriture n'a point dû taire et


n'a point tu son crime, afin qu'on cherchât
Néanmoins Fauste et la secte perverse des quelque autre à qui appliquer ces éloges du
Manichéens croient trouver là un puissant ar- père, qui évidemment ne lui convenaient
gument contre nous, comme si, en vénérant plus après son action déshonorante.
l'Ecriture et en lui accordant de justes éloges,
nous étions forcés d'approuver les défauts CHAPITRE LXIV.
qu'elle mentionne dans les hommes. Tout au POURQUOI LE CHRIST A VOULU NAÎTRE DE PA-
contraire, plus est religieux le respect que RENTS BONS ET DE PARENTS MAUVAIS.
nous professons pour elle, plus nous mettons
d'assurance à blâmer tout ce que sa lumière Du reste, Fauste n'a voulu ici que donner
vraie nous montre comme blâmable. Or, la au Christ un coup de dent en passant, parce
fornication et tout commerce illicite y sont que nous enseignons que le Sauveur est né
condamnés par le droit divin - conséquem- ; de la tribu de Juda il a voulu surtout faire
;

ment, quand elle rapporte des faits de ce ressortir ce fait que, dans la généalogie du
genre, sans les blâmer en particulier, elle les Christ, l'évangéliste Matthieu donne place à
abandonne à notre jugement, mais ne nous Zara, l'enfant que Thamar eut de son in-
fait point une loi de les approuver. Qui de ceste ^ En effet, s'il en eût voulu à la race de
nous, par exemple, eu lisant l'Evangile, n'a Jacob, et non â la génération du Christ, il
pas horreur de la cruauté d'Hérode, qui, in- avait l'aîné de la famille, Ruben, qui souilla
(juiet de la naissance du Christ, fait mettre à le lit paternel par un acte odieux ^ par une

mort un grand nombre d'enfants '? Cepen-


si fornication inconnue, dit l'Apôtre, même chez
dant, le fait est simplement raconté, sans un les Gentils. Jacob ne l'a i)oint passée sous si-

mot de blâme. Mais si les Manichéens, dans lence, au moment où il bénissait ses enfants;
leur folle impudence, prétendent que ce car il a fait peser sur la tète de son fils le poids
récit est faux , ou (|u'ils nient la naissance de son accusation et de son horreur. Fauste
même du Christ qui troublait llérode, qu'ils
voient connuent la cruauté et l'aveuglement 'Geo. IXIV, 22-26. '

Malt. X, 2, 5; JcaD, vi, 71, 72.—
'
Mati. xivii, 5. • Gen. —
xli.v, 8-12. • Matt. ïui; Gen.—
• Ez. XVI, 52.— ' Ex. XX, 11, 17. — •
.Malt. ll,llj. xxxviii, 30. — * Gen. xxxv, 22.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ECRITURE, 345

nous aurait certainement objecté ce crime il essaya de le punir, par obéissance à Dieu
qui ne fut point causé par le déguisement qui avait porté la défense '
; ou le soin qu'il
d'une femme en prostituée, mais apparaît mit à faire disparaître de son royaume les ma-

comme une profanation volontaire de la giciens et les ventriloques ^ De même, parce


couche paternelle, si Thamar ne lui eût paru que David était digne d'éloges, il ne faut pas
plus oïlieuse pour avoir désiré être mère, que pour autant approuver ou imiter ses fautes
si elle eût cédé à l'impulsion de la convoitise que Dieu même lui reproche par la voix d'un
de la chair, et s'il n'avait cru ébranler la foi prophète ^ Egalement, il ne faut point blâmer
à l'incarnation, en jetant le blâme sur les an- Ponce-Pilate d'avoir proclamé l'innocence du
cêtres du Christ ignorant, le misérable, que
: Seigneur contre les accusations des Juifs* ; ni
ce très-vrai et très-véridique Sauveur ne s'est louer Pierre d'avoir renié ce même Sei-
pas montré notre maître seulement par sa pa- gneur ou de n'avoir pas goûté ce qui est de
^;

role, mais aussi par sa naissance. En effet, les Dieu, quand il voulait détourner le Christ de

fidèles qui devaient lui venir de toutes les na- sa passion, c'est-à-dire de notre rédemption,

tions avaient besoin de la leçon de sa nais- ce qui lui fit donner le nom de Satan à lui, ;

sance selon pour savoir que les ini-


la chair, qu'un instant auparavant, on venait d'ap-
quités de leurs pères ne pouvaient leur nuire. peler bienheureux ". Mais, ce qui triompha en
C'est pourquoi cet époux, s'accommodant à la lui, son apostolat et la couronne du martyre

condition de ses conviés, et devant un jour nous le font voir.


inviter a ses noces les bons et les méchants ',
a voulu naître de bons et de méchants, pour
CHAPITRE LXVI.
mieux prouver que la pàque prophétique où ÉLOGE DE DAVID.
il était prescrit de manger un agneau et un

chevreau % images du juste et de l'injuste, Ainsi, nous lisons dans l'Ecriture les pé-
n'était qu'une figure dont il était lui-même chés du roi David, mais nous y lisons aussi
l'objet. Toujours fidèle aux lois divines et hu- ses bonnes actions. Or, ce qui l'emporta chez
maines, il n'a pas dédaigné, en vue de son lui, et ce qui lui donna la victoire, c'est chose
humanité, d'avoir des parents bons et mau- assez évidente, non pour
l'aveugle malveil-
vais mais, à i-aison de sa divinité, il a voulu
;
lance avec laquelle Fauste se ruait contre les
naître miraculeusement d'une vierge. livres sacrés et contre les saints, mais pour la
prudence religieuse qui sait voir et distinguer
CHAPITRE LXV. l'autorité divine et les mérites de l'homme.
IL Y A A BLAMER CHEZ LES BONS, IL Y A A LOUER
Que les Manichéens lisent, et ils verront que
CHEZ LES MÉCHANTS. Dieu a trouvé plus à reprendre en David que
Fauste lui-même ' mais ils verront aussi, ;

donc à faux, c'est sur lui-même que


C'est dans les mêmes pages, un admirable exemple
Fauste frappe dans sa haine sacrilège, quand de pénitence, une incomparable douceur en-
il accuse l'Ecriture, si justement vénérée au- vers le plus acharné et le plus cruel des en-
jourd'hui du monde entier; ce miroir écla- nemis, qui tombé tant de fois entre ces mains
tant et fidèle, comme je l'ai déjà dit, qui ne vaillantes, sort autant de fois sain et sauf de
flattepersonne, mais juge les bonnes et les ces mains pieuses \ On y verra une humilité
mauvaises actions des honmies, ou les aban- touchante s'inclinant sous les fléaux de Dieu,
donne au jugement du lecteur; qui ne nous une tête couronnée soumise au joug du Sei-
présente pas seulement des personnages ex- gneur, à tel point que, entouré d'hommes ar-
clusivement digues de blâme ou d'éloge, mais més et armé lui-même, il supporte avec une
nous fait voir des actions louables chez des patience héroïque les injures amères vomies
hommes vicieux, et des actions blâmables par un ennemi; qu'il réprime avec douceur
chez des gens de bien. Ainsi, par exemple, de le zèle de son compagnon irrité d'entendre

ce que Saiil était digne de blâme, il ne suit ainsi traiter le roi et prêt à s'élancer ])our
pas qu'il ne faille pas louer le zèle qu'il mit frapper l'insulteur : le saint roi appuyant sa
à connaître celui qui avait goûté du miel
malgré Tanathème, et la sévérité avec laquelle
• I Rois, siv, 24-45. — • Id. ixvui, 3. — ' II Rois, xii, 1-14. —
* Jean, xu, 4, 6. — ' Mdtt. XXVi, 70-74. — '
Iil. XVI, 'S^, liS, 17. —
' Malt. -\XII, 10. - = Ex. iil, 3-5. ' 11 H'jis, in, Xïiv. — '
1 Uoib, iïlv, XSVl.
346 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

défense du motif de la crainte de Dieu et di- CHAPITRE LXVII.


sant qu'il souffrait ce qu'il avait mérité, que
DAVID PUNI DANS LE TEMPS POCR ÊTRE SAU>T:
leSeigneurlui-mème avait envoyé cet tionime,
DANS l'Éternité, faux repentir de saul. il
pour le couvrir ainsi d'opprobre '. On y verra
F.AUT accepter LE JUGEMENT DE DIEU SUR
le tendre amour d'un berger pour le troupeau
DAVID.
qui lui était confié, jusque-là qu'il voulait
mourir pour lui, quand après le dénombre- Car que voyait en luil'Espritde Dieu, sinon
ment de son peuple. Dieu, pour punir en lui le fond de son cœur, quand, repris par le
un mouvement de vanité, avait résolu de di- Prophète, il dit « J'ai péché », et mérita
:

minuer cette multitude de sujets qui flattait pour cette seule parole d'entendre dire qu'il
son orgueil : secret jugement de celui en qui il était pardonné? Et dans quel but, sinon pour

n'y a pas d'injustice % et qui, d'une part, en- le salut éternel? Car Dieu n'oublia point de
levait ainsi de ce monde des hommes indignes le frapper d'une main paternelle, comme il

de vivre, et de l'autre, guérissait l'enflure du l'en avait menacé, afin qu'il fût, par l'aveu
cœur chez un roi fler de la multitude de ses de sa faute, délivre de la peine éternelle, et
sujets, précisément, en lui en diminuant le en même temps éprouvé par l'affliction tem-
nombre. On y verra une religieuse crainte de porelle. Et ce n'était pasune médiocre preuve
Dieu, qui respectait le sacrement du Christ de foi ni un faible indice de douceur et d'o-
dans l'onction sainte, au point d'avoir le cœur béissance que de s'entendre dire par le Pro-
saisi d'une pieuse épouvante, lorsqu'il eut phète qu'il était pardonné de voir ensuite ,

coupé, sans être aperçu, un petit morceau du arriver ce dont on l'avait menacé, et néan-
vêtement de Saiil, pour pouvoir lui démon- moins de ne pas accuser le Prophète de l'avoir
trer qu'il n'avait pas voulu le tuer quoiqu'il trompé par un mensonge, de ne pas murmu-
le put. On y verra une sage clémence envers rer contre Dieu comme si ses péchés n'eus-
ses fils, et tellement grande qu'il ne pleura sent pas été véritablement effacés. Il compre-
pas même la mort de l'enfant dont il avait nait, ce grand saint, en élevant son cœur vers
demandé la guérison au Seigneur, prosterné Dieu et non contre Dieu, que si le Seigneur
à terre, versant un torrent de larmes et dans n'avait égard à sa confession et à son repentir,
les sentiments de la plus profonde humilité ; ses péchés mériteraient des peines éternelles;
qu'il voulait laisseren vie, et qu'il pleura et quand il était vivement affligé par des châ-
après sa mort, un jeune fils entraîné par une timents temporels, il que son pardon
sentait
fureur jiarricide, qui avait profané, par des étaitmaintenu, et que son médecin ne lui
actions honteuses, la couche paternelle et ménageait pas les remèdes. Mais pourquoi
excité contre lui une guerre criminelle : pré- Saiil repris par Samuel et disant aussi : « J'ai

voyant des supplices éternels pour cette âme « péché », ne '


méritait-il point comme David
souillée de tant de crimes, et désirant le voir d'entendre dire qu'il était pardonné? Y a-t-il
vivre et se corriger par l'humiliation et la en Dieu acception de personnes? Loin de là *.

pénitence ^ On trouvera, dis-je, dans ce saint Mais si c'était la même parole pour l'oreille

homme ces choses et beaucoup d'autres


, de l'homme, ce n'était point le même cœur
dignes d'être louées et imitées, si on étudie pour l'œil de Dieu. Que nous apprennent de
avec une intention droite les p;.ssages de l'E- tels exemples, sinon que le royaume des
criture qui parlent de lui, surtout si on ac- cieux est au dedans de nous ^ que nous de- ;

cepte avec soumission d'esprit, avec piété et vons honorer Dieu du fond de notre âme, afin
fidélité le jugement de Dieu, qui connaissait que la bouche parle de l'abondance du
le fond de ce cœur, ne pouvait se tromper, et cœur ' et ne pas ressembler à ce peuple (jui
;

l'agréa tellement (ju'il le proposait pour mo- honorait Dieu des lèvres, taudis que son cœur
dèle à ses enfants. était loin de lui ^ que nous ne devons point
'
n Rois, XVI. — ' Rom. ix, 14. — ' M Rois, iviii. nous permettre de juger des hommes dont
nous ne pouvons voir l'intéiieur, autrement
que Dieu qui le voit et qui ne peut être
trompé ni séduit ? Or, quand la sainte Ecri-
1 Rois, XV, 24. — = Gai. Il, fi. — ' Luc, xvii, 28. '
Matl. xii,
31.— 'Id. XT, 8.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ECRITURE. 347

ture, cette autorité si élevée, contient dans les barrasses d'une forêt d'épines et qui donnent
termes les jugement de Dieu
plus exprès le ensuite au centuple, à ceux qui n'ont jamais
sur David, quelle ridicule, ou plutôt quelle eu d'épines et qui rendent à peine trente
déplorable témérité que celle de l'homme qui pour un.
ose penser autrement Car il faut bien croire 1 CHAPITRE LXIX.
aux témoignages rendus aux anciens par ces
ÉLOGE DE MOÏSE d'APRÈS DIEU MÊME.
livres divins, qui ont prédit si longtemps d'a-
vance ce que nous voyons réalisé. Ainsi gardons-nous déjuger Moïse, ce servi-
teur Irès-fidèle dans toute la maison de son
CHAPITRE LXVIII. Dieu, ministre d'une loi sainte, et d'un com-

TOIT DÉPEND DE LA DISPOSITION INTÉRIEURE.


mandement saint, juste et bon, suivant le té-
moignage de l'Apôtre ', car ce sont ses pa-
que nous apprenons
N'est-ce pas là aussi ce roles (lue je rapporte; ce ministre des sacre-
dans l'Evangile, où, d'une part, on entend ments qui ne donnaient point encore le salut,
Pierre confesser que le Christ est Fils de mais promettaient le Sauveur ce que le :

Dieu et, de l'autre, les dénions faire le même


'
;
Sauveur lui-même atteste, en disant: «Si vous
aveu, dans les mêmes termes mais d'un ,
« croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute

cœur bien différent ^ ? Aussi c'est la même « aussi car c'est de moi qu'il a écrit ^ »
: sujet :

voix qui fait l'éloge de la loi de Pierre, et ferme que nous avons traité en son lieu, autant
la bouche impure des démons. Et de qui cette qu'il nous a paru bon, contre les impudentes
voix, sinon de celui qui pouvait pénétrer calomnies des Manichéens; Moïse donc, ce
jusqu'à la racine de ces paroles, non à l'aide serviteur du Dieu vivant, du Dieu vrai, du
de l'oreille humaine, mais par l'intelligence Dieu Très-Haut, qui a créé le ciel et la terre
divine, et tout discerner sans la moindre er- non avec des matières étrangères, mais du
reur? Combien d'autres hommes disent aussi néant, non par nécessité, mais par une effusion
que le Christ est le Fils du Dieu vivant et ne de sa bonté non par le supplice de ses
,

peuvent être comparés à Pierre; non-seule- membres, mais par la puissance de sa parole ;

ment ceux qui diront en ce jour-là « Sei- : ce Moïse, dis-je, humble quand il refuse un
« gneur, Seigneur », et à qui on répondra : si grand ministère ', soumis quand il l'ac-

« Retirez-vous de moi ' » ; mais encore ceux cepte ; fidèle à le maintenir, intrépide à l'exé-
qui seront séparés pour la droite \ parmi les- cuter; assidu à gouverner son peu|>le, zélé à
quels beaucoup n'auront pas renié le Christ le blâmer ; ardent à l'aimer, patient à le sup-

même une seule


ne l'auront point dé-
fois, porter ;
qui intercède en sa -faveur quand
tourné de souffrir pour notre salut, n'auront Dieu le quand Dieu
consulte, et s'interpose
point forcé les Gentils à vivre à la manière se fâche gardons nous de juger un si
: oui,
des Juifs °, et cependant seront bien au-des- grand homme d'après les médisances de
sous de Pierre, assis sur l'un des douze sièges, Fauste; mais acceptons pour juge Dieu lui-
et jugeant non-seulement les douze tribus, même qui connaissait parfaitement l'homme
mais même les anges! De même aussi beau- qu'il avait créé, qui ne fait point les péchés
coup d'hommes n'auront jamais convoité la des hommes, mais les condamne comme juge
femme du prochain, ni envoyé à la mort le dans ceux qui les nient, et les pardonne comme
mari de la femme convoitée, et néanmoins père dans ceux qui les confessent. C'est donc
n'égaleront pas en mérites devant Dieu, David d'après son témoignage que nous aimons son
coupable de ces crimes. Tant il importe à serviteur Moïse, que nous l'admirons, que
chacun de connaître son intérieur, de voir nous l'imitons autant que nous le pouvons,
ce qu'il doit condamner, afin de le déraciner en nous reconnaissant bien inférieurs à lui,
complètement, et pour qu'une moisson riche quoique nous n'ayons point tué ni dépouillé
et abondante s'élève à sa place. Car les agri- d'Egyptien, ni fait de guerre comme lui, qui
culteurs préfèrent les champs qu'ils ont dé- du reste agissait, là, comme futur libérateur
de son peuple, ici, par l'ordre de Dieu même.
' Ma», svi, 16. — ' Luc, vm, 28. '
Malt. VII, 22, 23. — * Id.
XXV, .33. — • Gai. II, 11, ' Heb. III, 5 ; Rom. vu, 12. — ' Jean, v, 46. — "
Ex. iv, 10.
348 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE LXX. cuteur action que


; Seigneur reprit avecle
menace, en disant Remets ton épée au
: «
CERTAINS DÉFAUTS SONT DES INDICES DE YEUTU.
« fourreau ; car celui qui se sert du glaive,
ZÈLE DE MOÏSE, DE SAUL, DE PIERRE.
« périra par le glaive ». Or, user du glaive,'

Je ne m'arrête point à prouver qne si Dieu c'est s'armer pour répandre le sang, en de-

n'ordonna pas à Moïse de tuer l'Egyptien, il le hors de l'ordre ou de la permission du pou-


permit du moins dans ses vues d'avenir et en voir légitime. Le Seigneur avait bien com-
exécution d'un rôle prophétique. Laissant de mandé à ses disciples de porter des armes,
côté ce point de vue, je prends lesfaitstelsqu'ils mais non de s'en servir pour frapper. Qu'y a-
sont, en dehors de leur signification prophé- t-il donc d'inconvénient à ce que Pierre soit

tique, et, consultant la loi éternelle, je trouve devenu le Pasteur de l'Eghse après cette faute,
qu'un homme qui n'exerçait aucun pouvoir comme Moïse est devenu le chef de la Syna-
régulier, n'en devait pas tuer un autre, gogue après avoir tué l'Egyptien? L'un et
même insolent, même méchant. Cependant l'autre ont dépassé la mesure de la justice,
les âmes capables de vertu et naturellement non par une cruauté digne de condamnation,
fécondes produisent d'abord souvent des dé- mais par une vivacité susceptible de correc-
fauts qui indiquent précisément la vertu qui tion l'un et l'autre ont péclié par haine de
:

ira lemieux à leur naturel, quand elles au- Pinjustice d'autrui, et par un amour, charnel
ront été cultivées par les commandements. encore, l'un pour son frère et l'autre pour le
Comme les labourenrsjugent propre à donner Seigneur. C'était un défaut à retrancher ou à
du froment une terre où ils voient pousser déraciner; et néanmoins un si grand cœur,
des herbes de haute taille, quoique inutiles; comme une terre fertile, était propre à pro-
estiment qu'un sol couvert de fougères qu'il duire des vertus.
faudra certainement arracher, est apte à pro-
ne doutent pas
CHAPITRE LXXI.
duire des ceps vigoureux ;

qu'une montagne couverte d'oliviers sauvages l'ordre ou LA PERMISSION DE DÉPOUILLER LES


ne soit excellente pour la culture du véritable ÉGYPTIENS A ÉTÉ JUSTE.
olivier ainsi l'émotion en vertu de laquelle
:

Moïse, sans y être régulièrement autorisé, ne Quelle idée a Fauste de nous objecter la spo-
peut supporter qu'un voyageur, son frère, liation des Egyptiens, sans savoir ce qu'il dit?
soit impunément maltraité par un méchant Moïse a si peu péché en cela péché qu'il eût
citoyen , n'est point étrangère aux vertus les en ne le faisant en avait reçu
pas : car il

plus fécondes: C'est le produit vicieux, il est l'ordre de Dieu % qui juge sans doute, non-
vrai, d'une âme
encore inculte, mais aussi le seulement d'après les actes, mais d'après le
signe d'une grande fécondité naturelle. Enfin cœur de l'homme, ce que chacun doit souffrir
Celui qui, par des voix divines et l'entremise et par qui il doit le souffrir. Le peuple hébreu

de son ange a appelé Moïse sur le mont


,
était encore charnel, avide des biens terres-
Sinaï, pour en faire lelibérateur de son peuple tres; les Egyptiens, d'autre part, étaient sacri-
captif en Egypte qui, par le miracle du buis-
;
lèges et injustes : car ils abusaient de leur or,
son enflammé qui ne se consumait point, et c'est-à-dire de la créature de Dieu, au service
par les paroles du Seigneur, l'a préparé à de leurs idoles, et ils accablaient injustement
cueillir les fruits de l'obéissance c'est le '
;
des étrangers de travaux pénibles et gratuits.
même que Celui qui a api)elé du ciel Saul per- Les Hébreux méritaient donc de recevoir de
sécuteur de l'Eglise, qui l'a abattu à terre, telsordres et les Egyptiens de tels châtiments.
relevé, rem|)li en (ineh|ue sorte frappé,
; ([ui l'a Et peut-être les Hébreux ont-ils eu la per-

taillé, greffe, fécondé '. En elTut, cette fureur mission plutôt que l'ordre d'agir conformé-
avec laquelle Faul persécutait l'Eglise, par ment à leurs volontés et à leurs désirs mais ;

zèle pour les traditions de ses pères ', était cette permission. Dieu a voulu la leur faire
comme lui défaut de sauvageon, mais l'indice connaître par son serviteur Moïse, quand il

d'une sève puissante. Autant faul-il en dire lui ordonna de parler. Peut-être y a-t-il eu en-
de Pierre (juand, tirant son épée pour défen- core d'autres raisons tout à fait mystérieuses,
dre le Seigneur, il coupa l'oreille d'un persé- pour que Dieu tînt ce langage à ce peuple :

' Ex. m, 1. — Act. i.\, 1. — Gai. i, M. 'Malt. X.Wl, 51, 5:;. — ' Ex. 111, 'Jl, -22; si, 2; XU, 35, 36.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 349

mais il faut céder aux ordres de Dieu en obéis- destruction d'animaux quelconques et un
sant, et non leur résister en discutant. L'A- grave dommage à des hommes. Or, qui serait
pôtre nous dit « Car qui a connu la pensée
: assez insensé pour dire qu'il n'aurait pas pu
adu Seigneur? ou qui a été son conseiller ?» '
chasser ces méchants esprits des corps hu-
Que ce soit donc pour la cause que je \iensde niains,sans leur permettre d'exécuter leur mal-
dire, ou par quelque secrète et mystérieuse veillante pensée de détruire des pourceaux?
disposition de sa providence, que Dieu ait dit Or, si le créateur et l'ordonnateur de tous les
aux Hébreux, par l'organe de Moïse, de deman- êtres a pu, par une raison mystérieuse, mais
der à emprunter des vases aux Egyptiens et toujours juste, lâcher la bride au désir cruel et
de les enlever, je persiste cependant à dire injuste d'esprits condamnés et déjà livrés au
que ce n'a point été sans raison ni injuste- feu éternel, en lui laissant suivre sa pente :

ment, et que Moïse n'a pu contrevenir à l'ordre qu'y a-t-il d'absurde à ce que les Egyptiens
de Dieu en sorte que, au Seigneur apparte-
: aient été dépouillés par les Hébreux, des tyrans
nait le droit de commander et au serviteur le iniques par des hommes libres à qui ils de-
devoir d'obéir. vaient même un salaire pour de si durs et de
si injustes travaux, dépouillés, dis-je, d'objets
CHAPITRE LXXII. terrestres dont ils abusaient par des rites

DIEU A EU SES RAISONS DE l'aCCORDER. sacrilèges, injurieuxau Créateur? Cependant


si Moïse l'eût ordonné de lui-même, ou si les

Mais, dira-t-on, il n'est pas possible d'ad- Hébreux l'eussent fait sans permission, ils au-
mettre que Dieu vrai et bon ait donné de tels
le raient certainement péché peut-être même ;

ordres. Personne, au contraire, n'a droit de les Hébreux se sont-ils rendus coupables, non

les donner que le Dieu vrai et bon, qui sait en faisant ce que Dieu leur avait ordonné ou
seul ce qu'il faut commander à chacun, et permis, mais en convoitant de tels objets. Que
seul ne permet pas que personne souffre sans si Dieu leur a accordé cette permission, il l'a

raison. Du reste, que cette prétendue bonté du fait par un jugement juste et bon, lui qui sait,
cœur humain, aussi ignorante que fausse, se par les châliments, contenir les méchants ou

pose aussi comm.e adversaire du Christ ;


qu'elle instruire les fidèles donner des préceptes plus
;

l'empêche d'exécuter les ordres du Dieu bon rigoureux aux forts, et ménager pour lesfaibles
pour la punition des impies, alors qu'il dira : des remèdes proportionnés à leur état. Quant
« Arrachez d'abord l'ivraie et liez-la en fais- à Moïse, on ne peut l'accuser ni d'avoir con-
ceauxpour les brûler». Néanmoins, comme voité ces objets, ni d'avoir résisté par orgueil
ses serviteurs voulaient faire cela avant le à aucun des ordres de Dieu.
temps, il s'y opposa en disant « Non, de peur :

« qu'en voulant arracher l'ivraie, vous n'arra-


CHAPITRE LXXIH.
« chiez aussi le froment avec elle ^ ». Ainsi le LE S.VCRIFICE d'ABRAHAM JUSTIFIÉ PAR LA VOLONTÉ
Dieu vrai et bon sait seul ce qu'il doit com- DE DIEU.
mander et permettre, et quand, et à qui et par
qui. Le même, non par bonté, mais par vanité En effetj la loi éternelle qui veut le main-
humaine, pourrait encore trouver mauvais tien de l'ordre naturel et défend de le troubler,
que le Seigneur ait accédé à la demande mal- a placé certains actes humains dans une
veillante des démons en leur permettant d'en- espèce de milieu, tellement qu'on blâme avec
trer dans des pourceaux ' d'autant plus que : raison ceux qui ont la témérité de les faire de
les Manichéens croient que des âmes humai- leur propre autorité, et qu'on loue avec au-
nes habitent, non-seulement dans les pour- tant de justice ceux qui les accomplissent par
ceaux, mais même dans les animaux les plus obéissance. Tant il importe, dans l'ordre na-
petits et les plus vils. Mais, tout en répudiant turel, de savoir par qui et par l'ordre de qui
cette opinion vaine et abjecte,
il faut cepen- une chose se fait. Si Abraham eût immolé son
dant convenir queNolre-Seigneur Jésus-Christ, fils par sa propre volonté, qu'eùt-ilété, sinon
le Fils unique de Dieu, et par là même le un homme horrible, un insensé? Mais, exécu-
Dieu vrai et bon, a permis aux démons de tant l'ordre de Dieu, qu'est-il, sinon un homme
causer la mort d'un troupeau étranger, une fidèle et dévoué '
? La vérité le proclame si

' liom. xi, 34. — = Malt, xiii, 3ii, 29. — ' Id. VJU, 31, 32. ' Gen. XXI!, 10.
350 CONTRE FAISTE, LE MANICHÉEN.

liaul que Fauste lui-mênie en est effraye en : venger ,


une animosité implacable et sans
cherchant, du bec et des ongles, à déchirer pitié, la fureur de la révolte, la passion de
Abraham, jusqu'à recourir au mensonge et à dominer, et autres défauts de ce genre, voilà
la calomnie, il n'a cependant pas osé blâmer ce que l'on condamne dans la guerre, et avec
ce fait: àmoins qu'il ne se soit peut-être pas raison. Et c'est souventpour punir ces excès,
rappelé une action tellement noble qu'elle pour résister à la violence, que des hommes
revient à l'esprit sans qu'on la
lise, sans qu'on de bien, par le commandement de Dieu ou de
la cherche, tellement célébrée dans toutes les quelque autorité légitime, entreprennent des
langues, tellement représentée partout, qu'elle guerres, quand ils se trouvent placés dans une
frappe forcément les yeux et les oreilles. Or, situation telle que l'ordre lui-même exige ou
si le meurtre volontaire d'un fils devient un ordonnent ou qu'ils les exécutent.
qu'ils les
acte exécrable, et si ce même meurtre exécuté Autrement quand les soldats venaient trouver
par obéissance à un ordre de Dieu, devient Jean pour recevoir le baptême et lui deman-
un non-seulement irrépréhensible, mais
acte, daient : « Et nous, que ferons-nous ? » il leur
louable; pourquoi, Fauste, fais-tu un crime à aurait répondu : Jetez bas vos armes, aban-
Moïse d'avoir dépouillé les Egyptiens? Si l'in- donnez votre drapeau; ne frappez, ne blessez,
justice bumaine que tu crois voir là t'irrite, ne tuez personne. Mais comme il savait qu'en
que d'un Dieu qui commande
l'autorité faisantcela à la guerre, ils n'étaient point
Quoi es-tu dansTintentiondeblàmcr
l'effraie. ! homicides, mais serviteurs de la loi qu'ils ne ;

la volonté de Dieu même ? « Retire-toi donc vengeaient point leurs propres injures, mais
« de moi, Satan parce que tu ne goûtes pas ce
;
pourvoyaient au salut public, il leur répondit :

« qui est de Dieu, mais des hommes ». Et ' « N'usez de violence ni de fraude envers per-
plût au ciel que tu eusses été aussi digne que cesonne, et contentez-vous de votre paie ' ».
Pierre d'entendre ces paroles, et que tu eusses Mais puisque les Manichéens ont coutume de
ensuite prêché ce que tu blâmes en Dieu par poursuivre Jean de leurs blasphèmes, qu'ils
faiblesse d'intelligence; comme ce glorieux écoutent du moins le Seigneur Jésus-Christ
Apôtre annonça plus tard avec éclat aux na- ordonnant de rendre à César cette même paie
tions ce qui l'avait d'abord choqué quand le dont Jean veut (jue les soldats se contentent :

Seigneur se disposait à le faire 1 Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu


« ce qui est à Dieu ^ ». Car les tributs sont
CHAPITRE LXXIV. destinés à payer la paie du soldat qui est
nécessaire pour la guerre. Aussi quand le
LA GUERRE PEUT ÊTRE JUSTE.
centurion lui dit Moi qui suis un bomme
: «

Maintenant, si bumaine bor-


l'intelligence «soumis à la puissance d'un autre et qui ai
née, pervertie incapable de bien juger,
et «sous moi des soldats, je dis à l'un Va, : et il

comprend la dislance qu'il y a entre agir par «va; et à un autre Viens, et il vient; : et à
passion ou par témérité et obéir à l'ordre de a mon serviteur : Fais cela, et il. le fait' », le

Dieu, qui sait ce qu'il permet ou ordonne, et Christ fait-ii lui juste éloge de sa ne lui foi, et

quand et à qui, et aussi ce qu'il convient à ordonne point de renoncer à sa profession.


chacun de faire ou de souffrir ; dès lors elle Mais il serait long de discuter maintenant sur
n'éprouvera ni admiration ni horreur pour les les guerres justes et injustes, et cela u'est pas
guerres faites par Moïse, [larce (ju'il n'a fait nécessaire.
qu'exécuter les ordres de Dieu, sans cruauté CHAPITRE LXXV.
mais i»ar obéissance et que Dieu lui-même;
c'est au roi a la COMMANDER ET AU SOLDAT A
en donnant ces ordres, mais
n'était point cruel
OBÉIR. CELLES QUE DIEU ORDONNE SONT TOU-
punissait justement les coupables et tenait les
JOURS JUSTES.
justes dans la crainte. En effet, que blànie-t- on
dans la guerre ? Est-ce que des hommes qui Il importe assurément de voir pour quelle
doivent mourir tôt ou lard , meurent [)our raison et par l'ordre de qui la guerre est en-
établirla paix par la victoire? C'est là le treprise cependant l'ordre naturel exige,
;

reproche d'un lâche, et non d'un homme reli- dans l'intérêt de la paix du genre humain,
gieux le désir de nuire, l'envie cruelle de se
:
que le pouvoir de la commander appartienne
' Mutt. XVI, 23. Luc, Ul, 11. — ' Mail, xxll, 21. Id. vu, 9, 10.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ECRITURE. 351

au prince, et que le devoir de la faire, pour la plie sur les ennemis, et pour lesquels la cité
paix et le bien général, incombe au soldat. des impies répandus dans le monde entier,
Mais (juand elle est entreprise par l'ordre de offre plus spécialement ses prières aux idoles
Dieu même, on ne peut sans crime douter et aux démons. Voilà pourquoi l'Ancien Tes-
qu'elle soit juste, etque son but soit ou d'ef- tament voilait sous des promesses tempo-
frayer, ou d'écraser ou de subjuguer l'orgueil relles, et tenait en quelque sorte dans l'ombre,
humain puisque même quand elle est le ré-
;
le secret du royaume des cieux qui devait être
sultat de l'ambition de Ihomnie, elle ne sau- révélé en temps opportun. Mais, quand vint
rait nuire, non-seulement à Dieu qui est im- la plénitude des temps, le jour où le Nouveau
muable, mais même à ses saints, pour qui Testament voilé sous les figures de l'Ancien,
elle devient un exercice de patience, un su- devait être manifesté, il fallut donner des
jet d'humiliation et l'épreuve d'une main pa- preuves évidentes qu'il existe une autre vie
ternelle. Car, personne n'aurait sur eux au- pour laquelle on doit mépriser celle-ci, un au-
cun pouvoir, s'il n'était donné d'en haut; tre royaume pour lequel il fautsupporter avec
jiuisqu'il n'y a pas de puissance qui ne vienne patience tous les inconvénients des royaumes
de Dieu ', soit qu'il commande, soit qu'il per- terrestres. Or, ceux par la confession, les souf-
mette. Or, si un juste, engagé comme soldat frances et la mort desquels il a plu à Dieu de
sousun roi, même sacrilège, a droit de de- donner en
cette preuve, s'appellent martyrs,
mander à combattre par son commandement, latin témoins : que si le
multitude telle
en respectant l'ordre et la paix chez les citoyens, Christ, qui a appelé Saul d'en haut et l'a en-
quand il est assuré que ce qu'on exige de lui voyé au milieu des loups, loup devenu bre-
n'est point contre la loi de Dieu, ou du moins bis ', voulait les réunir, les armer et les sou-
quand il n'est pas sûr du contraire, en sorte tenir dans le combat comme il l'a fait pour
que l'injustice de l'ordre rende peut-être le les anciens Hébreux, il n'est pas de nations qui
roi coupable, pendant que l'obéissance excuse pussent leur résister, pas de royaumes qui ne
le soldat si, dis-je, il en est ainsi, à combien
: dussent leur céder. Mais, pour confirmer par
plus forte raison celui qui fait la guerre par le témoignage le plus éclatant, cette vérité
ordre de Dieu est-il irrépréhensible, Dieu ne dès lors à enseigner, qu'il ne faut pas servir
pouvant jamais commander le mal, comme Dieu pour le bonheur passager de ce monde,
lesavent tous ceux qui le servent ? mais en vue de l'éternelle félicité de l'autre
vie, il a fallu subir et supporter pour celle-ci
CHAPITRE LXXVI. ce qu'où appelle communément le malheur.

IL FACT SUPPORTER LA GUERRE EX VUE DE LA VIE Aussi, dans la plénitude des temps, le Fils de

ÉTERNELLE. LES MARTYRS. LES PRINCES CURÉ- Dieu, formé d'une femme, soumis à la loi,

TIENS.
pour racheter ceux qui étaient sous la loi -,
né de la race de David selon la chair \ envoie
Si nos adversaires prétendent que Dieu n'a ses disciples comme des brebis au milieu des
pu commander la guerre, parce que plus tard loups; les avertit de ne point craindre ceux
le Seigneur Jésus-Christ a dit « Et moi je : qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer
« vous dis de ne point résister aux mauvais l'àme leur promet que leur corps sera réta-
;

B traitements mais si quelqu'un te frappe


; blidans son intégrité, sans qu'il y manque
« sur la joue droite présente-lui encore la ,
un cheveu * fait rentrer l'épée de Pierre
;

« gauche ' » qu'ils comprennent que celte


: dans le fourreau guérit l'oreille d'un ennemi
;

disposition n'est pas dans le corps, mais dans que l'Apôtre avait coupée ; affirme qu'il pour-
l'âme car là est l'asile sacré de la vertu qui
: rait commander à dix légions d'anges de dé-
a habité aussi chez les anciens justes nos , truire ses ennemis, s'il ne devait boire le ca-

pères. Mais l'ordre exigeait que les circons- lice que de son Père lui a donné ° ;
la volonté
tances fussent ménagées et les temps distri- le boit le premier, le passe à ceux qui le sui-

bués, de manière à faire voir clairement que vent; prêché eu paroles la vertu de patience,
le vrai Dieu est seul le maître et l'arbitre confirme sa doctrine par son exemple. « C'est
même des biens terrestres, au nombre des- a pourquoi Dieu l'a ressuscité d'entre les
quels on range l'autorité royale et le triom- — — * Rom. — ' Matt. x, 16, 28,
» Act. is. ' Gai. IV, 4, 5. i, 3.
' Rom. xiii, 1. — '
Matl. v, 39. 30. — '
Id. Xïïi, 52, 53 ; Luc, xxu, 51, 42 ; Jeao, xim, 11.
3S2 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

« morts et lui a donné un nom qui


est au- « sure, quelque chose vous a-t-il manqué ?
« dessus de tout qu'au nom de nom : afin « Ils répondirent : Rien. 11 ajouta donc : Mais
« Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur a maintenant que celui qui a un sac ou une
a la terre et dans les enfers, et que toute lau- K besace, les prenne, et que celui qui n'en a
« gue confesse que le Seigneur Jésus est dans (I point vende sa tunique et achète une épée».
a la gloire de Dieu le Père ». D'un côté donc, '
A coup nos adversaires lisaient ces
sûr, si
les Patriarches et les Prophètes ont régné pour textes différents dans les deux Testaments,
qu'il fût démontré que c'est Dieu qui donne l'Ancien et le Nouveau, ils ne manqueraient
et ôte les emjiires; de l'autre, les Apôtres et pas de crier à la contradiction. Que répon-
les martyrs n'ont pas régné pour faire voir dront-ils donc quand c'est le même Sauveur
qu'il faut désirer avant tout le royaume des qui dit Ci-devant « je vous ai envoyés sans
:

cieux. Ceux-là, étant rois, ont fait des guerres, B sac, sans besace et sans chaussure » et rien ,

pour qu'il fût prouvé que c'est Dieu qui donne « ne vous a manqué » mais « maintenant, que ,

même de telles victoires ; ceux-ci se sont « celui qui a un sac ou une besace les prenne,
laissé tuer sans résistance, pour nous appren- que celui qui n'en a point vende sa tuni-
et
dre que la plus belle des victoires est de R que et achète une épée ? » Comprendront-

mourir pour la foi. Du reste, là les Prophètes ils enfin que ces changements de préceptes,

savaient aussi mourir pour la vérité, comme de conseils ou de permissions, ne sont point
le Seigneur lui-même Depuis l'atteste : « le des preuves d'inconstance chez celui qui les
sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie - » ;
donne, mais des mesures ménagées par la
quand
et ici, que le Psalmiste
ce avait prédit sagesse du dispensateur selon la diversité du
de Salomon (qui en latin veut dire Pacitî- temps? Car s'ils nous disent que c'est par
que) : «Et tous les rois de la terre l'adoreront, quelque raison mystérieuse que le Christ a
« et toutes les nations lui seront soumises '
», parlé de prendre son sac et sa besace et d'a-
se fût accompli dans le Christ Noire-Seigneur : cheter une épée ;
pourquoi n'admeltent-ils pas
(car il est lui-même notre paix *), les empe- aussi que c'est par quelque raison mystérieuse
reurs chrétiens, pleins de piété et de con- que le même Dieu a ordonné aux Prophètes
fiance en Jésus-Christ, ont remporté la plus de faire des guerres justes et l'a défendu aux
glorieuse des victoires sur des ennemis sacri- Apôtres ? Car tout ne se borne pas aux paroles
h'iges, qui avaient mis leur espérance dans du Seigneur que nous venons de citer d'après
le culte des idoles et des démons : ceux-ci l'Evangile il y a de plus la conduite des Apô-
;

étant trompés par les oracles des démons, et tres qui s'y sont conformés. Car là, ils s'en
ceux-là étant rassurés par les prédictions des sont allés sans sac et sans besace, et rien ne
saints, ainsi que le constatent des documents, leur a manqué : comme le prouve leur ré-
très-clairs et très-connus, que quelques auteurs ponse à la question du Sauveur ; et, ici, quand
ont déjà consignés par écrit. il leur parlait d'acheter une épée, ils disaient:
« Voici deux épées », et il leur répondit :

CHAPITRE LXXVII. a C'est assez » . Voilà que comment il se fait

Pierre était armé quand il coupa l'oreille du


DIEU A DES RAISONS MYSTÉRIEISES POUR COM-
persécuteur, et que le Christ réprime l'élan
MAKDEll LA GUERRE OU LA PAIX.
de son audace '; parce que s'il avait reçu l'or-
Si ces hommes irréfléchis s'étonnent que dre de s'armer, il ne l'avait point reçu de
Dieu ait donné aux dispensateurs de l'Ancien frapper. Assurément, le Seigneur avait quel-
Testament (voile sous lequel se cachait la que dessein secret en commandant à ses dis-
grâce du Nouveau), des connnandements dif- ci|)les de prendre des armes et en leur défen-

férents de ceux qu'il a donnés aux prédica- dant de s'en servir. Néanmoins, à lui appar-
tions du Nouveau Testament où se dissipe tenait le droit de commander avec raison, à
l'obscurité de l'Ancien ;
qu'ils fassent atten- eux incombait le devoir d'obéir sans résis-
tionque le Seigneur Christ a aussi changé de tance.
langage lorsqu'il a dit o Quand je vous ai : ' Luc, SSII, 35, 36, 38, 50, 51.

a envoyés sans sac, sans besace et sans chaus-

' Phil. II, 9-11. — '


Malt. .XXIII, 35 - ' l'i. LXXl, 11. - ' Epli.
I[, 14.
LIVRE XXH. — LE DIEU DE L'ÉCKITURE. 353

CHAPITRE LXXVIII. jugements du Dieu en qui il n'y a point d'in-


justice '. L'infaillible parole de Dieu nous a
uien ne change pour dieu. iniquité dans
l'homme, action mystérieuse de la provi-
révélé le péché d'Adam et c'est avec vérité ;

qu'il est écrit que tous meurent en lui, et


dence.
que le péché est entré par lui dans ce monde,
C'est donc ignorance et calomnie que de et par le péché, la mort '. Nous savons aussi
blâmer Moïse d'avoir fait la guerre, lui qui de la manière la plus claire et la plus certaine
eût été moins coupable de la faire de sa pro- que le corps qui se corrompt, appesantit l'âme,
pre autorité, que de ne pas la faire quand le et que cette dépouille terrestre abat l'esprit
Seigneur l'exigeait. Mais pour blâmer Dieu et le remplit de mille soins '
; et il est égale-
d'avoir donné de tels ordres, ou prétendre ment certain que la grâce miséricordieuse
qu'un Dieu juste et bon n'a pu les donner, nous délivre seule de cette punition. C'est ce
c'est (pour ne pas me servir d'un langage qui que l'Apôtre s'écrie en gémissant
fait :

plus dur) le d'un bomme incapable de


fait « Malheureux homme que je suisl qui me dé-
comprendre que, pour la divine Providence « livrera du corps de cette mort ? La grâce de
qui embrasse l'univers entier, ce qui naît « Dieu par Jésus-Christ Notre-Suigneur * ».
n'est point nouveau, et ce qui meurt n'est Mais comment Dieu distribue-t-il ses juge-
point perdu, mais que chaque chose, soit na- ments et ses miséricordes, pourquoi ceci à
tures, soit mérites, disparaît, arrive
ou sub- l'un, pourquoi cela à l'autre la raison en est :

siste en son lieu


dans son ordre ; que la
et mystérieuse, quoique juste. Nous savons ce-
bonne volonté chez les hommes, se conforme pendant que tout se fait par le jugement ou
à la loi divine, et que toute passion désor- la miséricorde de Dieu, bien que nous ne con-
donnée réprimée par cette même loi di-
est naissions pas les poids, les nombres et les
vine en sorte que le bon ne veut que ce qu'on
; mesures selon lesquels tout est réglé par le
lui commande et que le méchant ne peut que Dieu qui a créé tout ce qui existe avec une
ce qu'on lui permet, et de façon encore à ce nature propre " qui n'a point créé le péché,
;

que sa volonté injuste ne reste pas impunie. mais qui en tire parti, et fait en sorte que
Ainsi donc, dans tout ce que la nature hu- les péchés, qui ne seraient point péchés s'ils
maine déteste ou craint, il n'y a de condam- n'étaient contre la nature, soient jugés et ar-
nable en droit que l'iniquité ; tout le reste est rangés de manière à ne point troubler ni
ou le tribut de la nature, ou la peine du pé- déformer l'ordre universel et se trouvent ,

ché. Or, l'iniquité dans l'homme consiste à dans les lieux et les conditions convenables.
aimer pour elles-mêmes des choses qui doi- Les choses étant ainsi, et comme, par l'action
vent être acceptées pour une autre fin, ou à secrète des jugements de Dieu et des volontés
aimer pour une autre fin les choses qu'il faut humaines, les uns sont gâtés par la prospérité,
aimer pour elles-mêmes. Car, par là, il trou- et les autres en usent modérément, les uns
ble, autant qu'il est en lui, l'ordre naturel sont abattus par la prospérité, et les autres
dont la loi éternelle exige le maintien. La jus- en profilent ; et comme la vie humaine et
lice dans l'homme consiste, au contraire, à mortelle est elle-même une épreuve sur la
vouloir n'user des choses que pour les fins aux- terre " : quel homme
peut savoir à qui il est
quelles Dieu les a destinées, ne jouir de Dieu que avantageux ou nuisible de régner ou d'obéir,
pour Dieu même, et de soi et de son ami qu'en de s'appliquer au travail ou d'être oisif, ou de
Dieu et pour Dieu. En effet, celui qui aime mourir en paix ou, au contraire, de com-
:

Dieu en son ami, aime son ami pour Dieu. mander, de combattre, de vaincre ou d'être
Or, ni injustice ni justice ne seraient possi- tué en guerre, quoiqu'il soit d'ailleurs certain
bles, si elles n'existaient dans la volonté ; et si que rien de cela n'est avantageux que par l'ef-
elles n'étaient pas possibles, il n'y aurait de fet de la bonté divine, que rien de cela n'est
justice ni à récompenser, ni à punir : ce qu'on nuisible qu'.en vertu d'un jugement divin?
ne peut dire ;i moins d'être fou. Mais l'igno-
' Rom. IX, 11. — ' Id. V, 12, la. — ' Sag. i.v, 15. — '
Rom. vu,
rance et l'infirmité qui font que l'homme ne 24, 25. — > Sag. XI, 21. — ' Job, vu, 1.

sait pas ce qu'il doit vouloir, ou ne peut pas


tout ce qu'il veut, appartiennent à un genre de
punition mystérieux, et aux impénétrables
S. AoG. — Tome XIV. 23
CONTRE FAUSTE , LE MANICHÉEN,

CHAPITRE LXXIX. nom des Apôtres. Au temps de leurs auteurs,


elles eussent eu l'bonneur d'être revêtues de
MOÏSE~JUSTIFIÉ d'avoir PUNI LES ADORATEURS
l'autorité de l'Eglise, si les saints et les sa-
DU VEAU d'or, anecdote RELATIVE A L' APÔTRE
vants qui vivaient alors et pouvaient les exa-
SAINT THOMAS.
miner, les eussent trouvées véridiques. Là, on
Mais à quoi bon réfuter des critiques témé- litcependant que l'apôtre Tbomas, se trou-
raires qui s'adressent, non plus à des bommes vant comme étranger et tout à fait inconnu à
(plût au ciel que cela se bornât là 1) mais à un repas de noces, reçut un soufflet d'un ser-
Dieu? Que les dispensateurs de l'Ancien Tes- viteur et appela sur le coupable un cbâtiment
tament, qui étaient en même temps les Pro- prompt et sévère. Ce serviteur étant allé à la
pbètes du Nouveau, aient obéi en tuant des fontaine cberclier de l'eau pour les convives, un
pécbeurs; que les dispensateurs du Nouveau lion se précipita sur lui et le tua main qui ; et la
Testament, qui étaient en môme temps les in- du
avait frap|)é la joue de l'apôtre fut séparée
terprètes de l'Ancien, aient obéi en mourant corps, suivant le vœu et la menace du saint,
de la main des pécbeurs ils ont obéi les uns : et apportée par un cbien sur la table même où
et les autres au même Dieu qui nous apprend, était Tbomas. Que peut-on voir de plus cruel?
avec l'à-propos convenable et selon la diver- Mais comme on lit, là encore, si je ne me
sité des temps, que c'est à lui qu'il faut de- trompe, que le saint demanda la grâce du
mander les biens temporels et pour lui qu'il coupable pour le siècle à venir, le mal se
faut les mépriser qu'il peut envoyer des af-
;
trouva bien compensé de telle sorte que ces ;

flictions temporelles et qu'on doit les suppor- inconnus , frappés de terreur , comprirent
ter pour lui. Qu'a donc fait Moïse, qu'a-t-il combien l'apôtre était chéri de Dieu, et que
donc commandé de si cruel, lorsque plein cet bomme, privé d'une vie qui devait tôt ou
d'un saint zèle pour les intérêts du peuple tard finir, fut sauvé pour l'éternité. Que ce
conOé à ses soins, désirant le voir soumis au récit soit ou fabuleux, peu m'importe
vrai
seul vrai Dieu, et voyant qu'il s'était laissé pour le moment. Mais du moins les Mani-
aller à fabriquer et à adorer une idole et à cbéens qui admettent comme vraies etautben-
prostituer aux démonssoncœur impudique, il tiques ces écritures l'ejetées du canon de
tiravengeance par le glaive de quelques-uns l'Eglise, sont forcés de convenir, d'après elles,
d'eux, ordonna de frapper sur-le-cbamp ceux que la vertu de patience, telle que
Seigneur le

que le Dieu qu'ils avaient offensé condamnait à la recommande en disant « Si quelqu'un te :

mort par un secret jugement, inspirant ainsi « frappe à la joue droite, présente-lui encore

pour le présent une salutaire terreur, et don- « l'autre », peut exister dans les dispositions
'

nant une sévère leçon pour l'avenir ? Qui ne du cœur, sans se manifester par des gestes ou
reconnaîtra qu'il a agi par un vif sentiment des paroles; puisque l'apôtre souffleté aima
d'amour et non par cruauté, quand on entend mieux prier Dieu d'épargner l'insulteur dans
la prière qu'il adresse à Dieu, en faveur des le siècle à venir et de le punir dans ce monde-
coupables « Si vous voulez remettre leur
: ci, que de lui tendre l'autre joue et de l'enga-
a pécbé, remettez-leur sinon, effacez-moi de ; ger à fra|)per une seconde fois. Ce qu'il y a de
« votre livre ? » Tout bonnne pieux et sage,
'
certain, c'est qu'intérieurement il conservait
en rapprocbant ce massacre et cette prière, le sentiment de la cbarité, et qu'extérieure-
voit clairement et sans aucun doute, quel mal ment il demandait une punition pour l'exem-
c'estpour l'âme de se prostituer aux démons, ple. Que ce fait soit vrai ou une invention,
puisqu'un bomme qui aime tant se montre si pourquoi les Manicbéens ne voulurent-ils pas
sévère. C'est ainsi que l'Apôtre agit par amour croire que Moïse, le serviteur de Dieu, était
et non par cruauté, quand il livre un bomme animé de semblables dispositions à l'égard de
à Satan pour la mort de sa cliair, afin que son ceux (jui avaient fabricjué et adoré l'idole,
esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus-. puisque son langage démontre qu'il demanda
Ilen a encore livré d'autres, pour qu'ils ap- pardon pour ce pécbé, en priant Dieu, s'il ne
prissent à ne plus blaspbénier '. Les Mani- voulait pas faire grâce, de l'ellacer lui-même
cbéens lisent des écritures apocrypbes, for- de son livre V Et quelle dillcrcncc entre un
gées par je ne sais quels savetiers sous le bomme qui reçoit un soufflet et Dieu quia
' Ex. xxxil. — '
I Cor. V, 5. — '
I Tiiii. i, 20. '
Mail. V, '^\f.
LIVRE XXir. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 355

délivré son peuple de la servitude de l'Egypte, CHAPITRE LXXXI.


qui a divisé la mer pour lui livrer passage,
SALOMON JUGÉ PAR LES ÉCRITURES.
qui a enseveli sous ceux qui le pour-
les flots
suivaient, et qu'on abandonne, qu'on méprise, Mais de Salomon que dirai-je, sinon que les
à qui l'on préfère une idole! Et, quant au reproches que lui adresse la fidèle et sainte
cliàliment, quelle différence encore entre pé- Ecriture sont bien plus graves que les violen-
rir par le glaive, et être tué et mis en pièces tes et niaises injures de Fauste ? En effet, elle
par les bêtes féroces, puisque les juges, fi- a exposé avec vérité et exactitude le bien qu'il y
dèles à l'esprit des lois publiijues, exigent un eut d'abord en mal qu'il fit ensuite, en
lui, elle
crime plus grave pour être livré aux bêtes fé- abandonnant où il était entré '.Fauste,
la voie
roces que pour subir le supplice du glaive. au contraire, lesyeux fermés, ou iilutôt éteints,
n'a pas suivi la lumière qui lui montrait
CHAPITRE LXXX. clairement chemin, mais s'est précipité où
le

SUR OSÉE ÉPOVSANT, PAR l'orDRE DE DIEC, UNE son extrême malveillance l'entraînait. Oui, aux
FEMME DE MAUVAISE VIE. yeux des lecteurs religieux et qui les aiment,
les saints livres, en produisant les exemples
ne reste plus rien des critiques méchan-
Il des saints qui ont vécu chastes avec plusieurs
tes et sacrilègesde Fauste, auxquelles je ré- femmes, ont mieux fait ressortir l'inconduite
ponds maintenant, sinon celle qui a pour objet de Salomon, qui cherchait moins à remplir le
ces paroles du Seigneur au prophète Osée : but du mariage, qu'a assouvir sa passion tou-. ;

« Prends une femme de mauvaise vie et jours également vrais et sans faire acception
a qu'elle te donne des enfants' ». A propos de de [lersoniie, ils l'ont blâmé et désapprouvé en
ce texte, le cœur impur de nos adversaires est disant simplement qu'il aima les femmes, et
tellement aveuglé qu'ils ne comprennent pas que ce fut là ce qui l'entraîna dans le profond
même les paroles si claires que le Seigneur abîme de l'idolâtrie.
adresse aux Juifs dans l'Evangile « Les :

a femmes de mauvaise vie et les publicains


CHAPITRE LXXXII.
« vous précéderont dans le royaume des SENS MYSTIQUE DE LA VIE DES PATRIARCHES.
a cieux ' ». Qu'y a-t-il de contraire à la bonté
ABRAHAM. ISAAC. JACOB. LOTH.
divine, qu'y a-t-il d'opposé à la toi chrétienne,
à ce qu'une femme de mauvaise vie renonce Nous avons passé en revue tous les person-
à ses désordres et devienne une épouse chuste ? nages à l'occasion desquels Fauste attaque
Et qu'y a-t il de plus opposé, de plus réjJU- les Ecritures de l'Ancien Testament ncus ;

gnant à la foi d'un prophète, que de ne pas avons rendu à chacun son langage propre ;
croire que tous les péchés d'une femme impu- parmi ces hommes de Dieu, nous avons vengé
dique lui sont remis, dès qu'elle change de les uns des calomnies des hérétiques charnels,
vie ? Ainsi, dans ce prophète épousant une nous avons blâmé les autres, mais en mon-
prostituée, et dans le salut de cette femme trant que l'Ecriture est toujours digne d'éloge
changeant de vie, nous voyons expressément et de respect. Voyons maintenant, et selon
la figure du sacrement dont je parlerai tout à l'ordre que Fauste lui-même a adopté pour les
l'heure. Mais qui n'est d'abord frappé de ce
que accuser, ce que signifient les actions de ces
ce renferme d'ojiposé à l'erreur des Mani-
fait personnages, ce qu'elles renferment de pro-
chéens? En effet, les femmes perdues prennent phéhque, à quels événements futurs elles se
des mesures pour ne pas devenir mères. Or, rapportent: ce que nous avons déjà fait pour
nos adversaires devraient préférer voir cette Abraham, Isaac et Jacob, dont Dieu a voulu
femme persévérer dans sa mauvaise conduite, être appelé le Dieu ', comme s'il ne l'était que
pour ne pas enchaîner leur dieu, plutôt que d'eux, lui qui l'est de toute créature ne leur :

de la voir épouser un seul homme pour lui accordant point cet honneur sans raison, mais
donner des enfants. parce que, possédant la science parfaite et sou-
'
Os. 1, 2. — Mau. XXI, 31. veraine, il voyait en eux une charité sincère
ettrès-grande,etaussi,parcequ'ila, en quelque
sorte, consommé dans ces trois Patriarches le
'
lU Rom, m, XI ; Eccli. xLvii. — ' lia. m, 15.
336 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

grand et admirable mystère de son peuple tion elle-même est une prophétie, les biens à
futur. Ils ont engendré, en effet, non-seulement venir peuvent être prédits par des actions cou-
pour la liberté par des femmes libres, comme pables,non par le fait de celui qui les commet,
Sara, par exemple ', Rébecca% Lia et Rachel ' ;
mais bien de celui qui les écrit. Assurément
mais aussi, pour la servitude, par la même quand Juda, dominé par la passion, abusait
Rébecca, mère d'Esaû à qui il a été dit « Tu : de Thamar, il n'avait aucune intention d'at-
B seras le serviteur de ton frère ». Ils ont en- '•
tacher à son action un sens prophétique rela-
suite engendré par des servantes, non-seule- tif au salut du genre humain et Judas, qui a ;

ment pour la servitude, comme par Agar % trahi le Seigneur, n'avait non plus aucune
mais aussi pour la liberté, comme par Bala intention qu'il résultât de son crime rien qui
et Zclpha ". De même, dans le peuple de Dieu se rapportât à ce même salut des hommes. Or,
et bommes spirituels, il naît des enfants
par des si, du crime de Judas, le Seigneur a fait résul-
pour une glorieuse liberté, comme ceux à qui ter un bien immense, notre rédemption parle
il est dit a Soyez mes imitateurs comme je le
: sang de sa passion qu'y aurait-il d'étonnant
;

asuisduCbrist'» ; d'autres pour une misérable à ce que son Prophète, celui dont il a dit lui-
servitude, comme, par l'bilippe, Simon "
;
puis, même Car c'est de moi qu'il a écrit » eût
: « '
,

par des serviteurs cbarnels, il en naît, non- attaché l'annonce de quelque bien à la mau-
seulement pour un damnable esclavage, à vaise action de Juda, dans le but de nous ins-
savoir, ceux qui les imitent, mais encore pour truire ? Car, sous la direction et l'inspiration
une glorieuse liberté, comme ceux à qui l'on du Saint-Esprit, le Prophète narrateur re-
dit : « Faites ce qu'ils disent, mais ne faites cueille, parmi les actions des hommes, celles
Tout homme sage, re-
pas ce qu'ils font ' ». qui ont quelque rapport avec les choses qu'il
connaissant ce grand mystère dans le peuple veut prophétiser ; et fiour prophétiser des
de Dieu, maintient, jusqu'à la fln, l'unité de biens, importe peu que les actions qui y
il

l'Esprit dans le lien de la paix, en s'unissant sont destinées, soient bonnes ou mauvaises.
aux uns, en supportant les autres. Nous en Que m'importe, en effet, quand je veux lire
avons autant fait à propos de Lolb, en mon- l'histoire, qu'on me dise en encre rouge que
trant ce que l'Ecriture nous raconte de louable les Ethiopiens sont noirs, ou en encre noire
et de blâmable en lui, et quel sens il faut atta- que les Gaulois sont blancs ? Cependant, s'il
cher à tout ce récit '". s'agissait de peinture et non d'écriture, j'y
trouverais à redire. De même, pour les actions
CHAPITRE LXXXIII. qu'on nous propose à imiter ou à éviter, il
UNE ACTION MAUVAISE PEUT PROPHÉTISER LE BIEN. importe beaucoup qu'elles soient bonnes ou
mauvaises mais quand il s'agit de prophé-
:

Nous avons maintenant à examiner à quel ties ou écrites ou parlées, la conduite des ac-
événement futur a trait l'inceste de Juda avec teurs est indifférente; qu'ils soient bons ou
sa belle-fille ". Mais il faut d'abord admettre, mauvais, peu importe, pourvu que leur action
pour ne pas choquer les esprits faibles, que soit en quelque point la figure de la chose
certaines mauvaises actions, racontées dans qu'il est question de prophétiser. Voilà, par
les Ecritures, ne pronostiquent pas un mal, exemple, Caïphe dans l'Evaugile à considérer :

mais un bien. Car partout la divine Provi- son esprit méchant et malveillant, à peser
dence maintient la puissance de sa bonté; et même, au point de vue de l'intention qui les
comme, d'un commerce adultère, uu homme dictait, les paroles qu'il prononçait pour faire
se forme au monde. Dieu tirant ainsi
et vient condamner un juste à une mort injuste, cer-
le bien du mal, ainsi que nous l'avons déjà tainement ces paroles étaient mauvaises ; ce-
dit ", et cela par la fécondité de l'union conju- pendant, à son insu, elles exprimaient un
gale et non par la honteuse puissance du vice ;
grand bien quand il disait « 11 est avanla- :

de même
dans les Ecritures prophétiques, qui « geux qu'un seul homme meure pour le
l'acontent les mauvaises actions des hommes « peuple, et non pas que toute la nation pé-

aussi bien que les bonnes, puisque la narra- « risse ». Aussi dit-on de lui « Or, il ne dit :

• Gcn. XVI, 1, 2. — ' Id. XXV, 21. — ' Id. xxix, XXX. — "
Id.
a pas cela de lui-même ; mais étant le pontife
XXVll, 4U. — '
Id. iVI, 15. — ' Id.
XXX. — '
I Cor. IV, lu. — '
Act.
« de cette année-là, il prophétisa que Jésus
VIII , 13. -
Matt. XXIII , 3.
• — •"
Gen. xix. — " Id. xxxvrii. —
'» Supra, ch. XLviir. * Jean, v, 4G.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 357

a devait mourir pour la nation '


» . Ainsi l'ac- figure qu'il a privé du royaume ces deux es-
tion de Juda, comme inspirée par le liberti- pèces d'hommes. Quant au troisième fils de
_ nage, était mauvaise ; mais, à son insu, elle Juda, il n'est point uni à Thamar, ce qui in-
prophétisait un grand bien de lui-même il : dique l'époque où les rois du peuple juif ont
a fait le mal, mais ce n'est pas de lui-même cessé d'être tirés de la tribu de Juda. 11 était
qu'il a prophétisé le bien. Ces observations pourtant fils de Juda, mais on ne le donnait
préliminaires ne doivent pas seulement s'ap- point pour époux à Thamar la tribu de Juda ;

pliquer à l'acte de Juda, mais à toutes les subsistait encore, mais elle ne donnait plus de
mauvaises actions des hommes
qui pourront rois au peuple. Aussi le nom de celui-là est-il
se rencontrer et qui sont, dans l'intention «Seloni», qui signifie « son renvoi». Evi-
du narrateur, la prophétie de quelque bien. demment, cette signification ne s'applique
point aux saints et aux justes qui, bien qu'ils
CHAPITRE LXXXIV. vécussent en ce temps-là, appartenaient ce-
thamar; les trois de juda, her, onan,
fils pendant au Nouveau Testament, auquel ils
SELOM. interprétation DE CES NOMS PROPHÉ- étaient utiles par des prophéties dont ils com-

TIQUES. prenaient le sens, comme David par exemple.


Mais, à l'époque où la tribu de Juda a cessé de
Dans Thamar donc, belle-fllle de Juda, on donner des rois à la Judée, il ne faut pas
entend le peuple du royaume des Juifs, à qui compter, parmi ses rois, Hérode le Grand,
les rois issus de la tribu de Juda étaient unis comme s'il eût été l'époux de Thamar car il ;

comme époux. C'est avec raison qu'on inter- était étranger, et ne tenait point à la nation
prète ce mot de Thamar par amertume, car par le sacrement de l'onction mystérieuse,
c'est ce peuple qui a présenté le vase de fiel espèce de contrat de mariage mais il régnait ;

au Seigneur -. Deux espèces de princes qui en qualité d'étranger et avait reçu le pouvoir
agissaient mal au sein de la nation, les uns des Romains et de César. Il en faut dire autant
comme nuisibles, les autres comme inutiles, de ses fils les Télrarques, dont l'un s'appelait
sont représentés par les deux fils de Juda, dont Hérode, comme son père, et s'entendit avec
l'un était méchant ou cruel aux yeux du Sei- Pilate lors de la passion du Seigneur '. Ces
gneur, et dont l'autre abusait du mariage étrangers étaient si peu regardés comme ap-
pour ne point rendre mère Thamar. Au fait, partenant au royaume mystique des Juifs, que
il n'y a que deux espèces d'hommes inutiles les Juifs eux-mêmes, frémissant de rage contre

au genre humain : uns parce qu'ils


les le Christ , s'écriaient : « Nous n'avons pas
nuisent, les autres parce qu'ils ne veulent « d'autre roi que César ^ ». Cela n'était vrai
pas donner ce qu'ils ont de bien, préfèrent le qu'en ce sens que les Romains dominaient le

perdre en cette vie terrestre et le répandent, monde entier car César n'était pas propre-
:

pour ainsi dire, à terre. Et comme celui qui ment le roi des Juifs mais ils se condam- ;

nuit est pire que celui qui est inutile, on ap- naient ainsi eux-mêmes dans le double but de
pelle l'aîné méchant ; celui qui abusait du rejeter le Christ et de flatter César.
mariage ne venait qu'après. De plus, le nom
de Her, que portait l'aîné, veut dire « Vêtu de
CHAPITRE LXXXV.
B peaux » car c'était de peaux que se revêtaient
;
APPLICATION PROPHÉTIQUE. PROPHÉTIE DE JACOB
les premiers hommes, expulsés du paradis en RÉALISÉE DANS LE CHRIST.
vertu de leur condamnation ^ Le nom du se-
cond était Aynan (Onan) qui signifie « leur cha- Le temps où la royauté était sortie de la tribu
« grin » le chagrin de qui, sinon de ceux à
: de Juda , était donc celui de l'avènement du
qui il n'est point utile, bien qu'il ait de quoi Christ, le vrai Sauveur, notre Seigneur, qui
l'être, et qui aime mieux répandre son bien à loin de nuire devait rendre tant de services.
terre ? Or, c'est un plus grand mal d'ôter la Car la prophétie portait : « Le roi ne sortira
vie, ce que signifie « vêtu de peaux », que de « pas de Juda ni le prince de sa postérité, jus-
ne pas lui venir en aide, ce que signifie «leur « qu'à ce que vienne celui à qui appartient le
« chagrin » cependant, on dit que Dieu les
; « sceptre ; et il est lui-même l'attente des na-
mit tous les deux à mort, ce qui signifie en « fions '
». Déjà alors, suivant la prophétie de
Jeau, XI, 5U, jl. —
'
Matt. xxvil, 31. —
' Gc-n. m, 21. ' ' Luc, xxiii, 12, — ' Jean, xix, 15. — ' Geu. ïllx, lU.
358 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Daniel, toute autorité avait disparu du milieu car Thamar veut dire aussi « qui change » ;

des Juifs, ainsi que l'onction mystique, qui mais qu'elle conserve le nom d' « amertume »,
donnait son nom aux christs. Alors vint celui non de l'amertume du fiel qu'elle a présenté
à qui le sceptre était réservé, l'attente des na- au Seigneur, mais de l'amertume des larmes
tions, celui qui a reçu Tonction en qualité de de Pierre '. Car Juda se traduit en latin par
saint des saints ', l'onction de joie au-dessus « confession ». Que l'amertume se mêle donc

de tous ceux qui doivent y participer ^ Il est à la confession, pour indiquer une vraie péni-
né, en eflet, sous Hérode le Grand % mais il a tence. C'est celte jiénitence qui féconde l'E-
souffert sous Hérode le Jeune, le tétrarque. glise établie chez toutes les nations. Car a il

Venu pour les brebis perdues de la maison « fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressus-
d'Israël \ il avait été ligure par Juda allant « citât d'entre les morts le troisième jour, et
tondre ses brebis à Tbamna, qui veut dire « qu'on prêchât en son nom la pénitence et
a manquant », selon les interprètes. Car déjà « la rémission des péchés à toutes les nations,

le prince, l'autorité, l'onction des Juifs man- « en commençant par Jérusalem ^ » En effet, .

quaient à Juda, en attendant l'arrivée de celui l'habit de la prostituée, c'est la confession des
à qui tout cela était réservé. Or, Juda était ac- péchés. Thamar as?ise sous ce vêlement à la
compagné de son berger d'OdoUam, nommé [lorfe d'Enan ou Enaïm, qui veut dire « fon-
Iras et odollamite veut dire « témoignage
;
M laines», est le type de l'Eglise formée de

«dans l'eau». Evidemment le Seigneur est toutes les nations celle-ci a couru, en effet,
:

venu avec ce témoignage, quoique en ayant comme le cerf aux sources d'eau vive, pour
un plus grand que celui de Jean ^ néan- ; arriver à la postérité d'Abraham, et là, elle
moins, par égard pour la faiblesse de ses bre- est fécondée par quelqu'un qui ne la connaît

bis, il a reçu le témoignage de Jean dans jioint, parce qu'il a été prédit d'elle « Un :

l'eau. Le nom de ce berger, lias, signifie peuple que je ne connaissais point est de-
« vision de mon frère ». Eu eflet, Jean vil son <fvenu mon serviteur ' ». Elle a reçu en se-
frère, son frère selon la race d'Abrabam, selon cret l'anneau, le collier et le bâton elle est ;

la parenté de leurs deux mères, Marie et Eli- marquée de la vocation, ornée de la justifica-

sabeth ; et, en même temps, il vit son Sei- tion, exaltée par la glorification. Car o ceux
gneur et son Dieu, celui de la plénitude du- « qu'il a [irédestinés, il les a appelés; ceux
quel il a reçu, comme il le dit Uii-méme \ 11 8 qu'il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux

l'a vu parfaitement, et voilà pourquoi il ne «qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés * ».

s'est pas élevé, entre les enfants des femmes, Mais tout cela, comme je l'ai dit, encore dans
de plus grand que lui parce que, de tous '
: le secret, la forme la où se conception de la
ceux qui ont annoncé le Christ, il a vu ce que sainte fécondité. Puis on envoie, comme à une
beaucoup de justes et de prophètes ont désiré autre femme de mauvaise vie, le bouc pro-
voir et n'ont pas vu *. Il l'a salué des le sein mis, le bouc qui est le reproche du péché et ;

de sa mère 'reconnu, mieux encore,


; il l'a on l'envoie par ce même odollaniite qui
à la colombe ; et par là, en vrai odollamite, il semble gronder et dire « Race de vi[ières' ». :

lui a rendu témoignage dans l'eau '". Or, le Mais le reproche du péché ne tombe plus sur
Seigneur est venu pour tondre ses brebis, celle que l'ameitume de la confession a chan-
c'est-à-dire les décharger de leurs peines et gée. Plus tard, en montrant les signes, l'an-
en former les dents de cette Eglise vantée neau, le collier et le bâton, elle a confondu le
dans le cantique des cantiques, qui ressem- jugement téméraire des Juils déjà alors re-
blent aux dents d'un troupeau de brebis dé- présentés par Juda, qui prétendent, même
pouillées de leur toison ". encore aujourd'hui, que ce n'est point là le
peu|)le du Christ, que nous ne sommes point
CHAPITRE LXXXVI. la race d'Abraham. Mais par la production des

preuves les plus certaines de notre vocation,


THAMAR, FIGURE DE L'ÉGLISE.
de notre justification, de notre glorification,
Maintenant que Thamar change d'habits : ils seront sans iloute confondus, et convien-

dront que nous sommes justifiés plus qu'eux.


' Dan. II , 24 , 27. — ' Ps. XLiv, 3. — ' Malt, il , 1. - ' Id. xv,
21. —' Jean
, T, 36. — • Id. 1 , IB. — '
Matt. xi , 11. — Id. xin, '
Matt. X.vvl, 75. — ' Luc, ÎSIV, 16, 17. — '
Ps. xvil, 13. —
17. — Luc, 1, ii,
' — ••
Id. m, 21, 22. — " Gant. IT, 2. '
Rom. yiii, 30. — ' Matt. m, 7.
LIVKE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 359

Je m'étendrais avec plus de détail sur ce sujet « Dieu » ; et Chettéen (Héfhéen) veut dire
et le traiterais en quelque sorte membre par « Coupé» , ou qui n'est pas demeuré
c'est-à-dire
membre et arlicle par article, autant que Dieu dans la vérité ', mais a été séparé, à cause de
voudrait bien bénir mes efforts, si le besoin son orgueil, de la lumière supérieure qu'il
de finir cet ouvrage, déjà plus considérable tenait de Dieu ou qui, tombé pour avoir
;

que ne l'aurais voulu, ne m'interdisait


je perdu ses véritables forces, se transforme ce-
des développements qui exigeraient trop de pendant en ange de lumière " et ose encore
travail. dire Ma lumière est de Dieu. David a donc
:

CHAPITRE LXXXVII. commis un péché grave, monstrueux Dieu ;

le lui reproche vivement par la voix du pro-


SENS PROPHÉTIQUE DU PÉCHÉ DE DAVID.
phète, etil le lave lui-même par le repentir:

Je dirai maintenant le plus brièvement pos- néanmoins le Désiré de toutes les nations a
prophétique du péché
sible quel était le sens aimé l'Eglise se lavant sur le toit, c'tst-à-dire
de David \ L'interprétation seule des mots in- se purifiant des souillures du siècle, s'élevant
dique déjà ce que ce fait figurait. David veut par la contemplation spirituelle, au-dessus de
dire « Fort de la main » ou k Désirable » Or, , . la maison de boue et la foulant aux pieds;
quoi de plus fort que ce lion de la tribu de puis, après avoir fait une première connais-
Juda, qui a vaincu le monde ^? Et quoi de sance en s'unissant à elle, il en a tout à fait

plus désirable que celui dont le Prophète a éloigné le démon, qu'il a tué ensuite, et con-
dit « Le désiré de toutes les nations vien-
: tracté avec elle une alliance perpétuelle. Haïs-
dra '? » D'après les interprètes, Bersabée sons donc le péché, mais ne lui ôtons pas son
veut dire « Puits de rassasiement ou septième sens prophétique; aimons, autant qu'il mérite
a puits ». Or, laquelle que ce soit de ces deux de l'être, le David qui nous a délivrés du
significations que nous adoptions, nous la démon par sa miséricorde ; aimons aussi
trouverons assez convenable car l'Eglise est ; l'autre David qui a guéri en lui, par l'humi-
cette épouse du Cantique des cantiques, que lité de la pénitence, la grave blessure que lui

l'on appelle « Puits d'eau vive ' » : et le avait faite son iniquité.
nombre sept s'adapte à ce puits à cause du
Saint-Esprit, à raison de la Pentecôte qui est CHAPITRE LXXXVIII.
le jour où le Saint-Esprit descendit du ciel ^ CONJECTURE SUR LE SENS DE LA CHUTE
En effet, il est constant que ce jour se forme DE SALOMON.
de semaines, ainsi que l'atteste le livre de
Tobie '. Or, à quarante-neuf, résultat de sept Maintenant, que dire de Salomon, que la
multiplié par sept, on ajoute un pour signi- sainte Ecriture blâme vivement et condamne'
fier l'unité. C'est à cette raison que se rapporte sans dire nulle part qu'il ait fait pénitence ou
la pensée de l'Apôtre o Vous supportant mu- : que Dieu lui ait pardonné ? Je ne vois abso-
« tuellement en charité, appliqués à conser- lument pas de quel bien sa déplorable chute a
« ver l'unité d'esprit, par le lien de la paix ' ». pu être la figure, à moins qu'on ne dise que les
Ainsi, en vertu du don spirituel, c'est-à-dire femmes étrangères qu'il aima passionnément,
septénaire, l'Eglise est devenue le puits deras- étaient le symbole des Eglises choisies du
sasiement; parce qu'il s'est formé en elle milieu des nations. Assurément, cette inter-
« une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie prétation serait admirable si, pour plaire à
« éternelle», etque celui qui en boira «n'aura Salomon, ces femmes eussent abandonné leurs
a jamais soif * ». Quant à Urie, l'époux de dieux et adoré le sien mais comme c'est lui, ;

Bersabée, que signifie son nom, si ce n'est le au contraire, qui, par condescendance pour
diable, à qui étaient unis par une alliance son Dieu et adoré les leurs, il
elles, a offensé
détestable, tous ceux que la grâce de Dieu af- n'est pas possiblede voir là aucun symbole de
franchit, pour qu'une Eglise sans tache et bien. Cependant, je crois qu'il y a une prophé-
sans ride soit unie à son véritable Sauveur ^ ? tie, mais dans un mauvais sens, comme nous

En effet, Urie est interprété « ma lumière de l'avons dit à propos de la femme et des filles
de Lolh. On voit en effet dans Salomon, un
' II Rois. XI. — ' Apoc. V, 3. — ' Agg. II, 8. — '
Cant. iv, 15. — mérite étonnant et une chute non moins éton-
* Act. u, I, 4. —
' Tob.
11, suiv. les Sept. — ' Eph. iv, 2, 3. —

Jean, iv, 11, 13. —
' Eph. v, 27. '
Jean, vitl, 41. '
U Cor. XI, 14. '
III Koi3, xu
.

360 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

liante. Or, ce qui se montre en lui à des époques « fania un fils. Et le Seigneur lui dit: Appelle-
différentes, le bien d'abord et le mal ensuite, « le: Non mon peuple (Loammi), parce que
se fait voir encore aujourd'hui dans l'Eglise, « vous n'êtes plus mon peuple , et je ne
mais en même temps. Je pense donc que le B serai plus votre Dieu. Et le nombre des en-
bien dans Salomon est la figure des bons dans « fants d'Israël sera comme le sable de la mer,
l'Eglise, et le mal, celle des méchants; il n'y a « qui ne peut se mesurer ni se compter; et
qu'une aire ici, comme il n'y avait là qu'un « dans ce lieu même où il leur a été dit Vous :

homme; les bons sont représentés par les grains, « n'êtes plus mon peuple, on les appellera :

les méchants par la paille ou, dans la même ;


« Les fils du Dieu de Juda vivant. Et les fils

moisson, les bons par le froment, les méchants « et les fils d'Israël s'assembleront,et ils se don-

par l'ivraie '. Peut-être une lecture plus atten- ce neront un seul chef, et ils s'élèveront de la
tive de ce qu'on a écrit sur ce prince, pour- « terre parce que le grand jour de Jézrahel

rait-elle suggérer quelque chose de mieux ou « sera venu. Dites à vos frères Mon peuple, :

à moi, ou à de plus savants et de plus vertueux. « et à votre sœur Qui a obtenu miséricorde » :
'

Mais, pour le moment, nous ne nous y arrê- Quand donc le Seigneur explique lui-même
tons pas davantage, parce que nous sommes clairement le sens figuré de l'ordre qu'il donne
pressés par notre sujet, et que nous ne pou- et de l'action qui s'ensuit, et quand les épîtres
vons nous laisser aller à des digressions qui de l'Apôtre attestent que la prophétie s'est ac-
retarderaient notre marche. complie dans la prédication du Nouveau Tes-
tament qui osera nier que cet ordre et cette
:

CHAPITRE LXXXIX. action aient eu le but que lui assigne, dans


les saintes lettres, celui même qui a fait agir
BXPLICATION SUR OSÉE. TEXTE DE SAINT PAUL.
le Prophète ? En effet, l'apôtre Paul nous dit :

Pour ce qui concerne prophète Osée, je le « Afin de manifester les richesses de sa gloire

n'ai pas besoin d'expliquer le sens de son « sur les vases de miséricorde qu'il a préparés

action ni de l'ordre qu'il reçut du Seigneur: « pour la gloire, sur nous qu'il a de plus

« Va, épouse unefemme de mauvaise vie, et « appelés non-seulement d'entre les Juifs
,
,

« qu'elle tedonne des enfants de fornication », « mais aussi d'entre les Gentils, comme il dit
puisque l'Ecriture elle-même nous fait assez « dans Osée J'appellerai celui qui n'est pas
:

voir l'origine et la raison de cet ordre. Voici, « mon peuple, mon peuple celle qui n'a point :

en effet, la suite du texte : « Parce que cette « obtenu miséricorde, objet de miséricorde;
« terre se prostituera et s'éloignera du Sei- a et il arrivera que dans le lieu même où il
« gneur Et . pour femme Gomer,
il alla et il prit « leur fut dit Vous n'êtes point mon peuple,
:

« fille de Débélaïm, et elle conçut et elle lui « ils seront appelés enfants du Dieu vivant - ».
« donna un fils. Et le Seigneur lui dit Nomme : Paul prouve donc que cette prophétie concer-
a l'enfaut Jézrabel, car, dans peu de temps, nait les Gentils. Pierre, à sou tour, écrivant
« je visiterai le sang de Jézrahel sur la maison aux Gentils, reproduit la prophétie d'Osée,
«deJuda, etje ferai cesser et disparaître le saiis nommer le prophète : « Mais vous êtes,
« règne de la maison d'Israël. Et il arrivera « vous, une race choisie, un sacerdoce royal,
« encejour-làquejebriserail'arcd'lsrael dans Cl une nation sainte, lai peuple conquis, afin
« la vallée de Jézrahel. Et elle conçut encore et c( que vous annonciez les grandeurs de celui qui
« elle enfanta une fille. Et le Seigneur dit àOsée: « des ténèbres vous a appelés à son admirable
« Nonime-la Sans miséricorde (Loruchama),
: M lumière vous qui, autrefois, n'étiez point son
;

« parce que je ne serai plus touché de commi- « peuiile, mais qui êtes maintenant le peuple
« sération pour la maison d'Israël, mais que M de Dieu ; vous qui n'aviez point obtenu mi-
«je l'oublierai entièrement: et j'aurai pitié ceséricorde, mais qui maintenant avez obtenu
« de la maison de Juda, et je les sauverai par « miséricorde '». Cela prouve donc clairement
« le Seigneur leur Dieu, mais je ne les sau- que ces paroles du Proiihète : « Et le nombre
« verai point par l'arc, ni par le glaive, ni par « des enfants d'Israël sera comme le sable de
« la guerre, ni par les chevaux, ni par les ca- « la mer, (juine peut se mesurer ni se comp-
« valiers. Et (iomer sevra celle qui s'appelait « ter », et celles qui suivent « Et dans ce lieu :

« Sans miséricorde, et elle conçut, et elle en- « même où il leur a été dit Vous n'êtes plus :

' Mail. III, 12 ; XIII, 3U, '


Os. I, 2-n ; 11, 1. — ' UoBi. LX, 23, 2B. —M Pier. li, il, 10.
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ECRITURE. 361

« mon peuple, on les appellera : Les fils du CHAPITRE XC.


« Dieu vivant » que ces paroles, dis-je ne ;
,
SENS SYMBOLIQUE DC MEURTRE DE l'ÉGYPTIEN
s'appliquent nullement à Israël selon la chair,
PAR MOÏSE.
mais à cet autre Israël dont l'Apôtre dit aux
Gentils « Vous êtes donc la postérité d'Abra-
: Moïse, défendant un frère et tuant un égy-
« hani, héritiers selon la promesse' ». Mais ptien, c'est évidemment la figure du Christ
comme, dans l'Israël des Juifs, beaucoup ont Notre-Seigneur prenant notre défense et met-
cru et croiront, car de là venaient les Apôtres tant à mort le démon, acharné à nous nuire
et tant de milliers d'hommes qui s'attachèrent pendant ce pèlerinage. Si Moïse ensevelit dans
à eux dans Jérusalem -
; de là venaient les le sable l'homme qu'il a tué ', il est clair qu'il
Eglises dont Paul disait aux Galates « Or, : a vu d'avance le cadavre caché chez ceux qui
a j'étais inconnu de visage aux Eglises de Ju- ne sont point établis sur un fondement solide.
if dée qui sont dans le Christ ^ » : ce qui fait Aussi, le Seigneur fonde-t-il son EgUse sur la
qu'il entend par la pierre angulaire dont parle pierre et il compare ceux qui écoutent sa
,

le Psalmiste *, le Seigneur lui-même, en ce parole et la mettent en pratique à un homme


sens qu'il a uni en lui deux murailles à savoir, . prudent qui bâtit sa maison sur la pierre,
celles de la circoncision et de Fincirconcision pour qu'elle ne cède pas aux tentations et ne
« pour des deux former en lui-même un seul tombe pas en ruine et ceux qui l'écoutent et ;

« homme nouveau, en faisant la paix, et pour ne la mettent pas en pratique, il les compare
« réconcilier à Dieu les deux réunis en un à un insensé qui bâtit sur le sable, et dont la
a seul corps, détruisant en lui-même leurs ini- maison, éprouvée par les tentations, devient
« niitiés par la croix et, en venant évangé- ; une grande ruine.
« User la paix à ceux qui étaient loin et à ceux

s qui étaient près », c'est-à-dire aux Gentils


CHAPITRE XCI.
qui étaient loin, et aux Juifs qui étaient près; CE QUE SIGNIFIENT LES DÉPOUILLES DES ÉGYPTIENS.
« car c'est lui qui est notre paix, lui qui des
a deux choses, en a fait une seule ^ » : les choses, Moïse dépouille les Egyptiens par l'ordre
dis-je, étant ainsi, c'est avec raison qu'Osée du Seigneur son Dieu '-, qui ne commande
désignant les Juifs par fils de Juda, et les Gen- jamais rien qu'avec la plus parfaite équité. Je
tils par fils d'Israël, a dit : « Et les fils de Juda me rappelle avoir exposé, autant que je l'ai
a et les fils d'Israël s'assembleront , et ils se pu, le sens de cette figure, dans certains livres
a donneront un seul chef et ils s'élèveront de que j'ai écrits sur la doctrine chrétienne' : à
a terre». Par conséquent, quiconque rejette savoir que l'or, l'argent et les vêtements
une prophétie si évidemment vérifiée par l'ac- des Egyptiens signifiaient certaines doctrines
complissement des faits, ne contredit pas seu- qu'il n'est pas sans profit d'étudier dans les
lement un prophète, mais aussi les épîtres rites mêmes des Gentils. Mais que ce soit là
des Apôtres; il ne repousse pas seulement, dans la vraie signification, ou que cela veuille dire
son insolence, des écritures quelconques, mais que les âmes précieuses, choisies parmi les
ils'obstine contre des faits accomplis et d'une Gentils , comme des vases d'or et d'argent,
évidence éclatante. Peut-être, pour l'action de avec leurs corps, indiqués par les vêtements,
Juda, fallait-il étudier plus soigneusement la se joignent au peuple de Dieu, pour être déli-
question, afin de f)Ouvoir reconnaître sous le vrées de ce siècle comme d'une autre Egypte :

vêtement de la femme appelée Thamar, la que ce soit, dis-je, l'un ou l'autre de ces sens,
prostituée qui représente l'Eglise de la prosti. ou peut-être un autre encore, il est certain,
tution du culte idolàtrique mais ici, comme ; pour ceux qui lisent ces Ecritures avec piété,
l'Ecriture s'explique elle-même clairement ,
que ce n'est point au hasard et dans un but
et comme le témoignage des Apôtres y apporte prophétique que tout cela a été commandé,
encore un nouveau jour, à quoi bon insister exécuté, écrit.
là-dessus, et ne pas passer à ce qui nous reste ' Ex. II, 12.— = Ex. m, 22; \I, 2; iU, 35, 36.— ' Liv. II, ch. XL.

à dire de Moïse, le serviteur de Dieu, et voir ce


que valent les objections de Fauste ?
'
Gai. m, 29. — ••
.\ct. II, 41 ; r?, 1. — ' Gai. i, 22. - '
Ps. ciTii,
22. — ' Eph. u, 11-22.
362 CONTRE FAUSÏE, LE SIANICHÉEN.

CHAPITRE XCIl. Dieu, c'est-à-dire par l'opération du Saint-


Esprit, parce qu'il jugeait ce peuple indigne
QUEL ENSEIGNEMENT RENFERME LE MASSACRE DES
de les entendre lire ;
qu'ensuite, pour détruire
FABRICATEIRS DU \EAL d'OR.
jusqu'aux derniers vestiges de l'idole, il l'ait
Il serait trop long de traiter en détail de livrée aux flammes, broyée, et jetée dans l'eau,
toutes les guerres faites par Moïse. C'est assez soit mais pourquoi la fit-il boire au peuple?
!

d'avoir parlé plus haut, dans cet ouvrage Qui ne serait curieux de chercher et de saisir
même où je réponds à Fauste, de la guerre la signification prophétique de ce fait ? Avec de

faite contre Anialech ', et d'avoir, autant que l'attention on reconnaîtra d'abord dans ce
le sujet me semblait l'exiger, exposé ce que ce veau le corps du démon , c'est-à-dire les

fait contenait de prophétique et de mysté- hommes de toutes les nations, dont le démon
rieux. Voyons, maintenant, sur quoi se fonde est le chef et qu'il entraîne à de tels sacrilèges.

ce reproche de cruauté adressé à Moïse par Le veau parce que les rites de l'ido-
est d'or,
des hommes, ou ennemis des anciennes Ecri- lâtrie sont institués par des hommes qui sem-
tures,ou étrangers à toute espèce de littéra- blent sages. L'Apôtre dit d'eux « Parce que, :

ture ce que Fauste n'a point dit expressé-


: « ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié
ment, quand il accusait Moïse d'avoir ordonné « comme Dieu, ou ne lui ont point rendu
et commis bien des cruautés. Mais comme je a grâces, mais ils se sont perdus dans leurs

sais que c'est là le thème habituel de leurs a pensées, et leur cœur insensé a été obscurci ;

déclamations malveillantes, j'en ai moi-même « en disant qu'ils étaient sages, ils sont deve-
lait mention plus haut, et justifié le fait pour « nus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu
que les Manichéens de bonne foi, ou les igno- « incorruptible contre une image représentant
rants et les impies cessassent d'y voir un crime. « un homme corruptible, des oiseaux, des
Maintenant, il s'agit de chercher le sens pro- « quadrupèdes et des reptiles ». C'est celte '

phétique de cette circonstance que Moïse flt apparence de sagesse qui avait fabriqué ce
mettre à mort, sans distinction, sans examen veau d'or, à l'exemple des Egyptiens dont les
préalable, beaucoup de ceux qui avaient fa- grands et les savants adoraient des idoles de
briqué l'idole eu son absence ^ Or, il est facile ce genre. Ce veau figure donc tout le corps de
decomprendreque le massacre de ceshommes, la gentililé, c'est-à-dire tous les peuples livrés
figure la guerre àdéclarer aux vices, semblables à l'idolâtrie. Or, cette société sacrilège , le
à ceux qui ont entraîné ces Israélites au même Christ Notre-Seigneur la consume de ce feu
acte d'idolâtrie. C'est à faire la guerre à ces dont il dit dans l'Evangile « Je suis venu :

vices que le Psalmiste nous excite, quand il M apporter le feu sur la terre - » aûn que, ;

dit « Fâchez-vous et ne péchez point ^ ». C'est


: personne ne pouvant se dérobera sa chaleur ',
encore Tordre que nous donne rA[iôtre en ces et les nations croyant en lui, le feu de sa
termes « Faites mourir vos membres qui
: vertu brûle en elles l'image du démon. Ensuite,
« sont sur la terre la fornication, l'impureté,
: tout le corps est brisé, c'est-à-dire, après avoir
« la luxure, les mauvais désirs, et l'avarice, été séparé du moule d'une coupable fabrica-
« qui est une idolâtrie * ». tion, il est humilié par la parole de vérité;
après quoi il est réduit en poudre et jeté dans
CHAPITRE XCIII. l'eau, aûn que les Israélites, c'est-à-dire les

MYSTIQUE DE LA DESTRUCTION DE CETTE prédicateurs de l'Evangile, se l'assimilent par


SERS
le baptême, c'est-à-dire, le fassent entrer dans
IDOLE.
le corps du Seigneur. C'est à un de ces Israé-
Mais nous avons besoin d'un examen plus lites, à Pierre, qu'il a été dit des nations
attentif pour pénétrer le sens de ce que Moïse mêmes « Tue et mange * » «Tue et mange
: » . !

lit d'abord, quand il jeta le veau d'or dans les et pourquoi pas aussi, brise et bois? Ainsi ce
flammes, le réduisit en cendre, le mêla à de veau, au moyen du feu, du zèle, du glaive de
l'eau et le fit boire au peujde. Qu'il ait brisé la parole et de l'eau du baptême, est absorbé
les tables qu'il avait reçu(;SLcrites du doigt de l>ar ceux mêmes (juil s'etloioait d'absorber.
' Ex. XVII, 8, 16. — ' Id. xxxil. — '
Ps. IV, 5. — ' Col. m, 5. '
Hom. ;, 21, 23.— ' Luc, .\ll, 19.— ' Ps. xvill, T.— * Ad. X, 13.
LIVRE XXII. - LE DIEU DE L'ECRITURE. 363

CHAPITRE XCIV. ments divins, ou sont destinés à former les


mœurs et la piété, ou ont quelque sens figuré ;
tout, dans les écritures, tend au christ et a
et, dans ce dernier cas, qu'ils rattachent ces
l'Église.
paroles et ces actions figurées à ces mêmes
donc ces passages des Ecritures, qui don-
Si bonnes mœurs et à la piété. Donc, si les Mani-
nent occasion aux hérétiques de calomnier les chéens ou d'autres ne goûtent pas, au sujet
Ecritures, élanl soigneusement étudiés, et en des figures renfermées dans les faits, notre
quelque sorte interrogés répondent qu'ils
, interprétation , notre raison, notre opinion :
renferment des trésors de mystère?, d'autant que ce soit assez pour nous, que nos pères, à
plus admirables qu'ils semblent plus obscurs ;
qui Dieu lui-même rend le témoignage d'une
à combien plus' forte raison, la bouche de ces vie vertueuse et fidèle à ses commandements,
impies blasphémateurs devrait-elle rester soient justifiés en vertu d'une règle de vérité
muette, quand ils sont comme éblouis par qui ne peut déplaire qu'à des cœurs dépravés
l'éclat de la vérité contre laquelle leur esprit et faussés dans leurs voies : et aussi que cette
oppressé ne sait plus que balbutier; bien que, partie de l'Ecriture, détestée de l'erreur ma-
les misérables, ils aiment mieux être étouffés nichéenne reste exempte de reproches et
,

par son évidence, que rassasiés de sa douceur ! digne de respect dans tous les récits qu'elle
Ainsi, tout cela n'a qu'une voix pour nommer nous fait des actions des hommes, soit qu'elle
le Christ; c'est vers cette tète, déjà montée au les loue, soit qu'elle les blâme, soit qu'elle se
ciel, et ce corps qui se débat sur
la terre jus- contente de les raconter en les abandonnant à
qu'à des siècles, que converge la pensée
la fin notre jugement.
de tous ceux qui ont écrit les saintes lettres ;
il faut croire qu'il n'y a pas un texte dans les
CHAPITRE XCVI.
livres prophétiques qui n'ait trait à un événe- UTILITÉ DES SAINTES ÉCRITURES.
ment futur; sauf les passages dont le but est
de relier ce qui prédit ce roi et son peuple, Du reste, que pouvait-on imaginer de plus
par des paroles ou des actes propres ou figurés. utile et de plus salutaire pour ceux qui lisent
En etiet, comme dans une lyre ou tout autre ou écoutent avec piélé les saintes Ecritures,
instrument de musique, tout ce qu'on touche que de leur mettre sous les yeux, non-seule-
ne rend pas des sons, mais les cordes seule- ment des hommes de bien à imiter, et des
ment; et néanmoins les autres parties de l'ins- hommes coupables propres à inspirer de l'hor-
trument ont été fabriquées pour pouvoir reur pour le mal, mais encore les faiblesses et
attacher et tendre ces mêmes cordes que le les chutes de quelques hommes de bien, soit
musicien doit accorder et frapper pour en ti- qu'ils aient fait pénitence et repris le droit
rer une douce harmonie ainsi, dans ces ré-
: chemin, soit qu'ils aient persévéré dans leur
cits prophétiques, tout ce que l'esprit de pro- égarement; et encore la conversion de certains
phétie choisit dans les actions humaines ou a méchants et leurs progrès dans le bien, soit
quelque raiiport avec l'avenir, ou est introduit qu'ils aient tenu fermejusqu'à la fin, ou qu'ils

dans le texte pour relier et rendre sonores, en soient retombés dans leurs anciens désordres ;

quelque sorte, les parties qui renferment l'an- en sorte que les justes ne s'enflent point d'or-
nonce des événements futurs. gueil dans une fausse sécurité, et que les mé-
chants ne repoussent pas les remèdes dans
CHAPITRE XGV. l'eudurcissement du désespoir ? Quant aux
actions humaines qui n'offrent rien à imiter
LES ÉCRITURES SONT IRRÉPROCHABLES EN TOUT.
ni à éviter et que la sainte Ecriture raconte
Si les hérétiques ne veulent pas entendre néanmoins, ou elles sont là comme des traits
comme nous ces récits de faits allégoriques
,
d'union, comme préparation à des sujets plus
ou prétendent qu'il n'y faut voir autre chose importants ; ou, par cela même qu'elles sem-
que le sens littéral, il est inutile de lutter avec blent inutiles, elles laissent supposer qu'il y a
des gens qui vous disent : Mon palais n'a pas en elles quelque signification mystérieuse ou
le même goût que le vôtre ; mais qu'au moins prophétique. Car nous ne parlons pas de ces
ils croient et comprennent ^l'un et l'autre plu- livres quine contiennent point de prophéties,
tôt que ni l'un ni l'autre) que les commande- ou qui n'en renferment qu'un petit nombre,
364 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

dont l'accomplissement démontre l'autorité tre avecune femme de mauvaise vie, que d'être
divine par l'éclat le plus visible, le plus frap- la lumière très-pure, et de se souiller en se
pant, de la vérité; en sorte qu'il faut être mêlant aux ténèbres? Voilà un homme qui, par
complètement fou, pour croire leur langage avarice et par gourmandise, ditque sa femme
inutile ou ridicule, quand, non-seulement on est sa sœur, et la vend à un adultère, soit ;

humblement acceptés par toute espèce


les voit mais combien plus pervers, combien plus
d'hommes et d'esprits, mais qu'on lit ou qu'on exécrable est celui qui feint d'accommoder
sait que tout ce qu'ils contiennent de prédic- son sexe à la convoitise des impudiques, et se
tions est parfaitement réalisé. livre gratuitement à la profanation et à la cor-
ruption ? Celui qui abuse, même sciemment,
CHAPITRE XCVII. de ses filles, n'est-il pas moins coupable que
c'est le remède, et no> le poison, qu'offrent celui qui môle ses membres à de tels désordres,

les écritures.
et à de plus grandes turpitudes encore ? Car,
que peut-on commettre d'impur, de criminel
Quoi donc quelqu'un, par exemple, en
! si en ce genre, où votre dieu. Manichéens, ne
lisant le fait de David, dont il a fait pénitence participe pas ? Si enfin Jacob, placé, comme
sur les reproches elles menaces du Seigneur, dit Fauste, entre quatre femmes, eût passé

y prenait occasion de commettre le péché , vraiment comme un bouc de l'une à l'autre,


quoi faudrait-il s'en prendre à l'Ecriture ?
! sans s'inquiéter d'avoir des enfants, mais par
cet homme ne devrait-il pas, au contraire, être pure volupté combien il serait encoi'e moins
:

d'autant plus sévèrement condamné qu'il misérable que votre dieu, qui ne subirait pas
aurait abusé, pour se blesser ou se tuer, d'un seulement cette ignominie dans Jacob et dans
récit qui était destiné à le guérir et à le déli- ses quatre femmes, comme faisant partie de
vrer ? effet, comme les hommes tombés
En leurs corps et étant mêlé à tous leurs mouve-
dans péché négligent par orgueil le re-
le ments; mais éprouverait encore la passion
mède de la pénitence, ou se perdent tout à dans le bouc même (hideux objet de compa-
fait parce qu'ils désespèrent de recouvrer la raison produit par Fauste), et se retrouverait
santé et de mériter le pardon voilà pourquoi
: partout, par l'effet de son ignoble condition,
on a cité l'exemple d'un si grand homme, alin brûlé d'une ardeur impure dans le bouc ,

que les malades se guérissent, et non pour conçu dans la chèvre et engendré dans le che-
que ceux qui Ce
se portent bien se blessent. vreau ? Par conséquent, si Juda a été sciem-
n'est point à lamédecine qu'il faut s'en pren- ment coupable, non-seulement de fornication,
dre, si les remèdes servent aux fous à se tuer mais d'inceste avec sa propre fille, votre dieu
eux-mêmes, ou aux malfaiteurs à tuer les se serait arrêté, vautré, enflammé dans ce
autres. crime honteux. David s'est repenti de l'ini-
CHAPITRE XCVIII. quité qu'il avait commise en aimant une
femme étrangère et en faisant périr son mari ;
LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES , FUSSENT-
mais quand votre dieu se repentiia-t-il d'avoir
ILS AUSSI COUPARLES QUE LE VEUT FAUSTE,
été aimé par la race infernale des princes des
VAUDRAIENT ENCORE MIEUX QUE LE DIEU DES
ténèbres, mâles et femelles, d'avoir livré ses
MANICHÉENS.
membres à leur passion ; d'avoir tué, non pas
Et néanmoins, nos pères les Patriarches et le mari d'une femme qu'il aurait aimée, mais
les Prophètes, à qui l'Ecriture rend un si glo- ses propres fils dans les membres des dénions
rieux témoignage de sainteté et de piété celte : dont il a été passionnément aimé? El quand
Ecriture donnée de Dieu pour le salut du genre même David n'aurait pas fait pénitence, quand
humain, de l'aveu de quiconque la connaît il n'aurait jias recouvré, au moyen de ce re-

ou n'a pas perdu le sens commun nos pères, : mède, la santé de la justice, il eût encore été
dis-je, dussent-ils être voluptueux et cruels, meilleur (]ue le dieu des Manichéens. Admet-
comme en accuse l'erreur,
les la ou plutôt tons, en ellèt, que parcelle seule action ou par
fureur des Manichéens ne seraient-ils
, pas toutes celles qu'on voudra, il a commis tous
encore évidemment au-dessus, je ne dis pas les crimes qu'un homme peut conimettre le ;

de leurs élus, mais même de leur dieu ? Ne dieu des Manichéens, lui, est convaincu de
vaut-il pas mieux qu'un homme marié se vau- participer à tous les crimes commis par tous
LIVRE XXII. — LE DIEU DE L'ÉCRITURE. 365

les hommes, d'être déshonoré et souillé par le nir la proie du peuple des ténèbres Et après I

mélange de tous membres. Et Fauste ac-


ses qu'il a fait une guerre si malheureuse, ses
cuse le prophète Osée Et si Osée, par un
I adorateurs reprochent au serviteur de notre
motif de honteuse convoitise, eût aimé et Dieu d'avoir (ait des guerres ; des guerres où
épousé une femme de mauvaise vie, les âmes lui et les siens ont constamment triomphé des
des deux, celle du voluptueux amant et celle de ennemis, où le peuple d'Israël a fait des pri-
l'immonde prostituée, eussent été, d'après vos sonniers et des prisonnières : ce que votre
enseignements, des parties, des membres, la dieu n'eût certainement pas manque de faire
nature même de votre dieu par conséquent, ;
s'il l'avait pu. Ce n'est donc pas là blâmer le
cette prostituée, (à quoi bon user de détours mal, mais jalouser plus heureux que soi. Et
et ne pas dire la vérité ? ) cette prostituée eût en quoi Moïse a-t-il été cruel pour avoir puni
été votre dieu Car vous ne pouvez objecter
1 par le glaive un peuple qui avait si grave-
qu'il eût maintenu et conservé la sainteté de ment offensé Dieu ? Et pourtant il demande
sa nature, qu'il n'eût été que présenté et non grâce pour cette faute et s'offre lui-même
enchaîné à ce corps de prostituée puisque : comme victime à la vengeance céleste. Mais
vous convenez que ces membres de votre dieu admettons qu'il ait agi en cette circonstance
sont horriblement souillés, et qu'ils ont grand par cruauté, et non par pitié il serait encore
:

besoin d'être purifiés. Cette femme de mau- bien au-dessus de votre dieu. Car certaine-
vaise vie, que vous osez reprocher à l'homme ment s'il eût envoyé contre un gros d'ennemis
de Dieu d'avoir épousée, serait donc votre un des siens, un homme innocent et docile,
dieu, quand même elle ne se fût pas convertie et que celui-ci eût été fait prisonnier, jamais,
par un chaste mariage ; ou, si c'est trop, tout après la victoire, iln'eûtcondamnécethomme;
au moins vous ne pouvez nier que son âme cependant ce que votre dieu a fait
et c'est
eût été une partie, quoique minime, de votre d'une partie de lui-même qu'il clouera au
dieu. Et elle eût encore valu mieux que lui, globe, parce qu'elle a obéi à ses ordres, parce
parce que, après tout, ce n'était qu'une pros- qu'elle amarché contre les bataillons en-
tituée, tandis que lui, à raison de son mé- nemis, et bravé la mort pour sauver son
lange avec tout le peuple des ténèbres, est royaume. Mais, dit-on, pendant une série de
prostitué dans toutes les prostituées, se vautre, siècles,cette partie déjà mêlée et unie aux
est déUé, lié, au loin et au large, dans tous méchants, n'avait point obéi aux commande-
ceux, mâles et femelles, qui commettent la ments. Voyons pourquoi. Si c'était de sa propre
fornication ou se corrompent eux-mêmes, volonté, la faute était réelle et la peine était
sauf à se vautrer de nouveau, à être délié, lié, juste; mais si la volonté peut être coupable, il

dans toute leur progéniture, jusqu'à ce que n'y a donc pas de nature contraire qui force à
cette très-immonde partie de votre dieu soit pécher, et par conséquent le système des Ma-
reléguée à l'extrémité du globe comme une nichéens est convaincu de mensonge et se
prostituée perdue sans ressource. Et ces maux, trouve sapé par la base. Si, au contraire, elle a
ces turpitudes, ces déshonneurs, votre dieu été vaincue par l'ennemi contre qui on l'avait
n'a pu en préserver ses membres; il y a été envoyée, si elle a été accablée par un désastre
invinciblement forcé par un impitoyable en- extérieur auquel elle n'a pu résister, la peine
nemi, qu'il n'a pu tuer, malgré ses injures et est injusteet devient une monstrueuse cruauté.
ses \iolences, pour sauver soit ses sujets, soit Mais on invoque, pour excuser le dieu, la loi
ses membres. Combien donc vaut mieux celui de la nécessité. Eh bien que ce soit là le dieu
!

qui tue un égyptien pour défendre un frère de ceux qui ne veulent par adorer Dieu. 11
et sans souffrir lui-même, cet homme que faut néanmoins convenir que les adorateurs de
Fauste accuse, avec une étonnante légèreté, et ce dieu, quoique très-coupables de l'adorer,
sans songer à son Dieu aveuglement plus: valent encore mieux que lui, puisqu'ils exis-
étonnant encore ! Qu'il eût bien mieux valu tent; taudis qu'il n'est, lui, que néant, qu'une
pour ce dieu enlever les vases d'or et d'argent vaine fiction, une chimère. Passons mainte-
des Egyptiens que de voir ses membres deve- nant aux autres arguties et rêveries de Fauste.
LIVRE VINGT-TROISIÈME.
Fauste attaque la généalogie du Christ selon saint Mattliieu. — Le Saint prouve que Christ le est tout à la fois Fils de Dieu
et issu de la race de David par Marie et par Joseph son époux. — L'homme tout entier vient de Dieu. — Joachira ,
père de
Marie. — Dieu est l'auteur de notre corps.

CHAPITRE PREMIER. lion sacrilège, attestant que c'est le fils de


David et non le Fds de Dieu qu'il fait sortir
,
il y a eu plusieurs jésus : duquel
de cette suite de générations. Si tu consultes la
s'agit-il?
pensée et le but de l'écrivain, il entend moins
Fauste. Un jour que je disputais dans nous le donner comme né de Marie que ,

une nombreuse assemblée, un bomme prit la comme formé par le baptême dans l'eau du
parole et me dit Admets-tu que Jésus soit né : Jourdain. Il nous dit, en effet, que celui que
de Marie? —
De quel Jésus parles-tu ? répon- Jean a baptisé, celui qu'il a, dès le début, dé-
dis je. Caril y a eu plusieurs Jésus dans la loi signé comme fils de David est devenu ce , ,

liébraïque ; un, fils de Navé et disciple de jour-là. Fils de Dieu ', à un certain âge déjà,
Moïse '
; un autre, fils du grand-prêtre José- (environ trente ans, selon Luc), alors qu'on
decb * un troisième, qu'on appelle fils de
; entendait une voix lui dire : «Tu es mon Fils;

David* un autre encore qu'on appelle Fils de


; c( jeengendré aujourd'hui ^ ». Tu vois donc
t'ai

Dieu '. Duquel des quatre me demandes-tu si que ce qui était né de Marie, trente ans aupara-
je le crois fils de Marie ? —
Du Fils de Dieu, vant, selon Luc, n'était point proprement le
réplique-t-il. — Et sur quelle aulonté, d'après Fils de Dieu, mais ce qui a été fait par le bap-
quel maître l'admettrais-je ? D'après Mat- — tême dans le Jourdain, c'est-à-dire un homme
thieu. —
Qu'a donc écrit Matthieu ? «Livre — nouveau, tel qu'il se forme en nous quand
« de la généalogie de Jésus-Cbrist, fils de nous passons des erreurs de la gentilité à la
a David, d'Abraham, etc
fils ^ » — Je pen- foi en Dieu. Et encore, je ne sais si la foi que
sais, reparlis-je que tu allais dire
,
: Livre vous appelez catholique lui donne suffisam-
de la généalogie de Jésus-Christ Fils de Dieu, ment celte qualité mais, en tout cas, c'est ;

et je me disposais à protester ; mais comme tu l'opinion de Matthieu, si toutefois ces paroles


as cité le texte si fidèlement, je n'ai qu'une sont de Car nulle i»art on ne lit, à propos
lui.

observation à le faire : c'est de réfléchir à ce des enfantements de Marie que ces paroles ,

que tu viens de dire. Car ce n'est pas la aient été prononcées «Tu es mon Fils, je t'ai :

généalogie du Fils de Dieu que Matthieu pré- « engendré aujourd'hui », ou « Celui-ci est :

tend s'être proposé d'écrire, mais celle du fils mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes
de David. « complaisances ». Cela n'a été dit que lors de

CHAPITRE II. l'expiation du Jourdain. Si tu crois à ces


textes tels qu'ils sont écrits, tu seras un dis-
SAIM MATTHIEU, SELON FAUSTE, NE DONNE JÉSUS
ciple de Matthieu (car c'est là le terme que je
POUR FILS DE DIEU QU'AU SORTIR DU BAPTÊME.
dois employer), mais point un catholique. Car
Jusque-là, à ajouter foi à ses paroles, l'enfant nous connaissons la foi catholi(iue, qui est
de Marie sera pour moi le fils de David mais, ; aussi éloignée de la pensée de Matthieu qu'elle
dans toute cette généalogie, il n'est nulle part l'est de la vérité. En eltèt, d'après votre sym-
fait mention du Fils de Dieu, jusqu'à l'époque bole, vous croyez en Jésus-Christ Fils de Dieu,
du bai)tême, et tu calomnies l'écrivain en qui est né de la vierge Marie jiar conséquent
:

pure perte, quand lu su|)|)Oses qu'il a enfermé votre foi est que le Filsde Dieu est venu par
le Fils de Dieu dans le sein d'une femme. Mais la vierge Marie ; celle de Matthieu, qu'il est

Matthieu réclame, comme on le voit, dès la venu par le Jourdain ; et la nôtre qu'il vient
première ligne, il se justifie de cette imputa- de Dieu, d'où il que Matthieu, en suppo-
suit

sant le texte authentique, vous est aussi


• El. xxilil. Il ; Eccli. XLVi, 1. — ' Agg. l, 1. - ' Rom. l, 1, 3.
— ' Marc, I, 1. — '
M«tl. 1, 1. •
Matt. m, 16, 17, — * Luc, m, 23, 22.
LIVRE XXIII. GÉNÉALOGIE SELON SAINT MATTHIEU. 367

opposé qu'à nous ; sauf qu'il est un peu plus n'appartenaient ? Par conséquent, tout ce qui
habile que vous en nommant ce qui est né a pu naître d'elle, n'est point flls de David,

d'une femme, fils de David, plutôt que le Fils à moins qu'on ne la rapproche tellement de
de Dieu. Vous êtes donc forcés d'avouer de Joseph, qu'elle soit évidemment ou sa fllle ou
deux choses l'une : ou que ce n'est pas Mat- sou épouse.
thieu qui a écrit cela, ou que vous n'avez pas CHAPITRE V.
la foi apostolique.
FAUSTE RÉFUTÉ PAR LE TEXTE DE SAINT MATTHIEU.
CHAPITRE III,
Augustin. La foi catholique et en même ,

JÉSUS n'étant pas fils de JOSEPH, N EST temps apostolique , est que Notre-Seigneur
POINT FILS DE DAVID. et Sauveur Jésus-Christ est Fils de Dieu se-
lon la divinité, et fils de David selon la chair.
Pour nous, bien que personne ne puisse Nous le démontrons par l'Evangile et par les
nous faire renoncer à la croyance que le Fils lettres des Apôtres, de telle sorte qu'on ne
de Dieu vient de Dieu, cependant s'il fallait peut contester nos preuves, à moins de rejeter
faire une large concession à l'ignorance mal- ces parties de l'Ecriture. Nous ne procédons
habile, et si nous devions absolument ad- pas comme cet inconnu que Fauste se ,

mettre des erreurs, nous aimerions mieux donne pour adversaire qui cite quelques ,

Jésus devenu Fils de Dieu dans le Jourdain mots, et n'a plus d'autres témoignages à oppo-
que naissant Fils de Dieu du sein d'une ser aux arguties de l'imposteur. Quand j'au-
femme. Du reste, l'enfant né de Marie, s'il en rai produit ces témoignages, Fauste n'aura
est né un, ne peut être nommé fils de David, plus rien à répliquer ; il ne lui restera d'autre
à moins qu'il ne soit prouvé qu'il a Joseph ressource que de recourir au moyen par le-
pour vrai père. Or, c'est ce que vous n'accordez quel il cherche à éluder les vérités les plus
pas il faut donc que vous renonciez à le dire
; clairement exprimées dans les Ecritures, à
fils de David. En effet, la généalogie descend savoir de prétendre qu'il y a eu des falsifica-
d'Abraham à David, et de David à Josepii par tions et des interpolations dans ces livres di-
tous les patriarches des Hébreux mais Jésus : vins. J'ai déjà réfuté plus haut, autant que
n'étant point conçu de Joseph, comme on le cela m'a paru nécessaire, et dans cet ouvrage
lit il
, n'est donc point flls de David et : même, cette folie, cette manie présomptueuse
Matthieu est véritablement fou de nous donner et cette audace je n'ai donc pas besoin de
;

tout d'abord pour flls de David celui dont il va répéter ce que j'ai dit, puis(|u'enfin il faut
dire qu'il n'est point né de l'imion de Joseph songer à garder des bornes. A quoi bon re-
et de Marie. Ainsi donc, si le fils de Marie chercher et recueillir tous les témoignages
même ne peut être appelé fils de David ,
dispersés dans toutes les Ecritures, pour prou-
parce qu'il n'est pas le flls de Joseph, à com- ver contre Fauste, par des livres d'une auto-
bien plus forte raison ne peut-il être nommé rité incontestable et divine, que celui que
le Fils de Dieu. nous appelons Fils unique de Dieu, Dieu en
CHAPITRE IV.
Dieu de toute éternité, est le même que nous
appelons aussi fils de David, parce qu'il a pris
MARIE ELLE-MÊME NE DESCEND POINT DE DAVID, la forme d'esclave de la Vierge Marie, épouse
SELON FAUSTE.
de Joseph? Mais comme Fauste discute ici sur
De plus, la Vierge elle-même ne nous est Matthieu, et que je ne puis pas donner en en-
point donnée comme
issue de la tribu à la- tier le livre de cet évangéliste, chacun peut
quelle certainement David je
appartenait ,
le lire et voir comment Matthieu suit jusqu'à
veux dire la tribu de Juda. qui fournissait des sa passion et à sa résurrection celui qu'il

rois aux Juifs mais elle était de la tribu de


; nomme de David au moment de donner
fils

Lévi, qui donnait les prêtres ce qui est évi- : sa généalogie, et ne le distingue point de ce-
dent, puisqu'elle a eu pour père un certain lui qu'ildéclare conçu du Saint-Esprit et né
prêtre du nom de Joachim, qui n'est men- de Vierge
la Marie. Et il apporte en preuve
tionné nulle part dans la susdite généalogie. ces paroles du Prophète « Voilà que la :

Comment donc rattachera-t-on Marie à la race « Vierge concevra et enfantera un Fils et on

de David, à laquelle ni son père ni son mari a le nommera Emmanuel, ce que l'on inter-
.

368 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

a prête par, Dieu avec nous' ». 11 déclare que écrasé sous le poids d'un nom d'apôtre), qui a
celui qui, étant baptisé par Jean, entendit une écrit sur le Christ des choses qu'il ne veut pas
voix du ciel dire : « Celui-ci est mon Fils croire, et qu'il essaie de réfuter par de calom-
« bien-ainié en qui j'ai mis mes complaisan- nieux sophismes.
« ces ^
», est le même que celui qu'on appelle,
à partir de l'enfantement de
Dieu la Vierge : « CHAPITRE Vn.
« avec nous ». A moins que Faustc ne trouve
JÉSUS EST A LA FOIS FILS DE DIEU ET FILS DE
que le nommer Dieu, soit moins que de l'ap-
DAVID.
peler Fils de Dieu. Car pour prouver que Mat-
thieu ne l'a cru Fils de Dieu qu'au sortir du Ces paroles « Celui-ci est mon fils bien-
:

baptême, il se base sur cette parole descendue aaimé, en qui j'ai mis mes complaisances »,
du ciel : « tandis que
Celui-ci est mon Fils » ; qui ont été prononcées près des eaux du Jour-
TEvangéliste a déjà témoignage du cité le dain, l'ont été également sur la montagne '.
Prophète inspiré d'en haut, où l'enfant même Or, de ce que cette voix a retenti, aussi, du
ici

de la Vierge est appelé « Dieu avec nous » : haut du ciel, il ne suit pas que Jésus n'ait pas
été Fils de Dieu auparavant; puisque c'est du
CHAPITRE VI. sein de la Vierge «qu'a pris la forme d'esclave
« Celui qui étant dans la forme de Dieu, n'a
FAUSTE QUI A CALOMNIÉ ABRAnAJI, ISAAC ET JA-
« pas cru que ce fût une usurpation de se faire
COB, ESSAIE d'Ébranler l'aitorité de saint
« égal à Dieu ^ ». Enfin, le même apôtre Paul
MATTHIEU.
dit ailleurs , dans le langage le plus clair :

Nous devons ainsi observer et suivre pas à « Mais venue la plénitude des
lorsqu'est
pas ce fou, ce misérable babillard qui ne a temps, Dieu a envoyé son Fils formé d'une
manque jamais l'occasion de donner une ap- a femme, soumis à la loi ' » employant le mot ;

parence de fausseté aux textes de l'Ecriture femme dans le sens de la locution hébraïque
dans l'esprit de ceux qui lisent ses sottises. [Millier au lieu de Femina). Jésus est donc
C'est ainsi qu'il a dit qu'Abraham, lorsqu'il Fils de Dieu et Seigneur de David, selon la
rendait mère sa servante, ne croyait point à la divinité, et en même temps fils de David, de
promesse que Dieu lui avait faite de lui don- de la race de David, selon la chair. Et si ce
ner un flls de Sara, tandis que l'Ecriture at- point de notre croyance était inutile, l'Apôtre
teste que cette promesse n'a été faite que plus ne le recommanderait pas aussi vivement à
tard '. C'est ainsi qu'il accuse le patriarche d'a- Timothée, en disant a Souvenez-vous que le :

voir menti en faisant passer Sara pour sa a Seigneur Jésus-Christ, de la race de David,

sœur, tandis qu'il n'a lu nulle part la généa- a est ressuscité d'entre les morts, selon mon

logie de Sara dans les Ecritures, qui sont ici a Evangile '».11 a d'ailleurs soigneusement

les seuls témoins à consulter *. C'est ainsi qu'il prévenu les fidèles que quiconque annonce
accuse Isaac d'avoir aussi menti en donnant un autre Evangile, doit être anathème ^
Rébecca pour sa sœur, alors que l'origine de
colle-ci est clairement constatée dans l'Ecri- CHAPITRE VIII.

ture ^ qu'il fait un crime à Jacob, de ce qu'il


;
COMMENT LE CHRIST, MARIE ET JOSEPH SONT DE LA
y avait chaque jour contestation entre ses FAMILLE DE DAVID.
quatre femmes, à qui s'emparerait de lui pour
la nuit, lorsqu'il rentrait de la campagne, Qu'il y a-t-il donc de choquant, pour un
(juand on lui démontre qu'il n'a lu cela nulle disciple du saint Evangile, à ce que le Christ
part. Voilà l'homme qui se vante de haïr né de la Vierge sans la participation de Jo-
comme menteurs les auteurs des divines seph, soit cependant appelé fils de David, quoi-
Ecritures qui ose calomnier l'autorité de
;
que Matthieu l'Evangéliste fasse descendre sa
l'Evangile, si haute, si respectée du monde généalogie, non i)as jusqu'à Marie, mais jus-
entier, jusqu'à croire que chercher à faire qu'à Joseph? La première raison de cela, est
c'est un inconnu sous de Matthieu il le nom ( qu'il fallait d'abord faire honneur à l'époux,
n'ose dire Matthieu lui-même, pour ne pas être à cause de son sexe : car, pour s'être abstenu
' Luc , vil , 11 ; Matt. i, 23. — Malt. III , 17. — ' Gen. xvi, 4 • Matt. xvil, 5. — ' Pbil. Il, 7, G ' Gai. iv, 1. — ' Il Tim. il

XVII, 17. — ' U. XII, 13; XX, 2, 12. — ' Id. xx-vi, 7 ; xxiï.
;

8. — ' Gai. I,
8, 9.
LIVRE XXIII. — GÉNÉALOGIE SELON SAINT MATTHIEU. 369

de son épouse , Joseph n'en est pas moins cause de sa dignité d'homme et pour ne pas
son époux, puisque le même Matthieu qui paraître séparé de la femme à qui son affec-
nous raconte que la Vierge avait conçu, non tion l'unissait, et aussi pour que les disciples

de son époux, mais du Saint-Esprit, nous dit fidèles du Christ ne considérassent point l'u-
aussi que l'Ange appela Marie épouse de Jo- nion charnelle comme tellement essentielle
seph. El si ce n'est pas l'apôtre Matthieu qui au mariage, qu'on ne puisse être époux sans
a écrit ces vérités, mais, comme le pensent les elle, mais qu'ils apprissent que des époux

Manichéens, quelque autre qui aurait écrit fidèles sont d'autant plus unis aux membres

ces faussetés sous son nom, ce faussaire se du Christ, qu'il imitent de plus près les pa-
serait-il contredit dans des choses si évi- rents du Christ.

dentes, si rapprochées au point d'amener,


,
CHAPITRE IX.
sans raison aucune, jusqu'à Joseph, qu'il dit
JOACHIM, PÈRE DE MARIE, SELON UN LIVRE
n'avoir point connu Marie, la généalogie de
né de la APOCRYPHE.
celui qu'il appelle Fils de David ,

Vierge Marie sans la participation d'aucun Nous croyons donc que Marie tenait aussi à
homme, et cela, en donnant par ordre de gé- larace de David, parce que nous croyons aux
nérations tous les noms de ses ancêtres? Si, Ecritures qui affirment ces deux choses que :

en effet, un homme énumérait les ancêtres du le Christ est de la race de David selon la chair ',
Christ, de David à Joseph, et l'appelait fils de et que Marie est devenue sa mère, non par
David, et qu'un autre le déclarât né de la union charnelle avec aucun homme, mais en
Vierge Marie, sans la participation d'aucun restant Vierge *. Ainsi, quiconque nie que Ma-
homme, mais ne l'appelât point flls de David : rie ait été de la famille de David, résiste évi-
ilne faudrait pas pour cela conclure de leur demment à l'autorité si respectable des Ecri-
contradiction que l'un du moins, sinon tous tures; il faut qu'il nous démontre le contraire,
les deux, serait dans le faux. Nous devrions il faut qu'il le prouve, non par des écrits quel-
penser, au contraire, que tous les deux ont pu conques , mais par des Ecritures ecclésias-
dire la vérité à savoir que Joseph devait
: tiques, canoniques, catholiques. Les autres
être nommé époux de Marie, chaste époux, sont pour nous, sous ce rapport, sans poids et
non par le commerce charnel, mais par l'af- sans autorité. Ce sont celles-là que reçoit et
fection non par l'union du corps mais par
, , maintient l'Eglise, l'Eglise qu'elles ont pro-
celle, bien plu? précieuse de l'âme; que
, phétisée et qui existe telle qu'elle a été pro-
par conséquent l'époux de la Vierge mère mise. Par conséquent, l'assertion de Fauste,
du Christ n'a point dû être détaché de la que Marie aurait eu pour père un prêtre
suite des parents du Christ, et que Marie elle- nommé Joachim, de la tribu de Lévi, ne re-
même avait dans les veines quelques gouttes posant sur aucun témoignage canonique, je
du sang de David, afin que la chair du Christ, ne m'en embarrasse pas le moins du monde.
quoique enfantée d'une Vierge, ne pût être Mais quand je l'admettrais, je pourrais m'en
étrangère à la race de David. Mais comme tirer encore en disant que ce Joachim devait
c'est un seul et même écrivain qui dit les deux tenir en quelque façon à la race de David et
choses, qui nous présente Joseph comme était passé par quelque adoption de la tribu

époux de Marie et la Vierge comme mère du de Juda à celle de Lévi, soit lui, soit un de ses
Christ, le Christ comme issu de la race de aïeux; ou qu'il était né dans la tribu de Lévi,
David, et Joseph comme faisant partie de la de manière à avoir des liens de consanguinité
généalogie du Christ, à partir de David que : avec la race de David. C'est ainsi que Fauste
reste-t-il à qui aime mieux croire à
celui lui-même avoue qu'il aurait pu se faire que
l'Evangile qu'aux fables des hérétiques, sinon Marie fût de la tribu de Lévi, bien qu'il soit

d'admettre que Marie n'était point étrangère constant qu'elle a été donnée à un homme de
à la famille de David, qu'on ne l'a pas appelée, la race de David, c'est-à-dire de la tribu de

sans raison, épouse de Joseph, bien qu'il ne Juda; il ajoute même qu'on aurait pu admet-
uni charnellement, mais par
lui ait point été tre le Christ comme un fils de David, si Marie

égard pour le rang dû au sexe, et à cause de avait été fille de Joseph. Par conséquent, si,
l'union de leurs cœurs ; que Joseph n'a point étant fille de Joseph, elle s'était mariée dans
dû être détaché de l'arbre généalogique à ,
'
Rom. 1, 3; W Tim. Il, 8. '
Matt. I, 18 ; Luc, l, 27.

S. Adg. — Tome XIV. 24


370 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

de Lévi, on serait autorisé à appeler


la tribu Assurément, qui reconnaît
la foi catholique,
de David tout enfant qui naîtrait d'elle,
lils que de Dieu, est né d'une vierge
le Christ, Fils
même dans la tribu de Lévi de même si la ; selon la chair, n'enferme pas ce même Fils de
mère de ce Joachim, que Fauste donne pour Dieu dans le sein d'une femme, de telle sorte
père à Marie, étant de la tribu de Juda et de qu'il ne soit plus dehors, qu'il ait cessé de
la race de David, s'était mariée dans la tribu gouverner le ciel et la terre, qu'il ait quitté
de Lévi, on pourrait en toute vérité dire que le sein de son Père, Mais vous, Manichéens,
Joachim, Marie et son lils seraient de la race dont l'intelligence ne saisit que des images
de David. Voilà ce que j'admettrais, ou quel- matérielles, vous ne comprenez rien à ceci :

que autre chose de ce genre, si j'attachais de comment le Verbe de Dieu, vertu et sagesse
la valeur à un livre apocryphe où on lit que de Dieu, subsistant en lui-même et dans son
Joachim fut père de Marie, plutôt que d'accu- Père, gouvernant l'univers créé, atteint d'une
ser de mensonge l'Evangile où il est écrit, extrémité à l'autre avec force et dispose toutes
tout à la fois que Jésus-Christ, Fils de Dieu, choses avec douceur '. Dans cette merveil-
notre Sauveur, était, selon la chair, de la race leuse et ineffable facilité de tout disposer, il

de David, et qu'il est né de la Vierge Marie. s'estpréparé une mère sur la terre; et, pour
11 nous sufût donc que les Ecritures qui affir- racheter ses serviteurs de la servitude de la
ment cela, et auxquelles nous croyons, ne puis- corruption, il a pris en elle la forme d'un es-
sent être convaincues de fausseté par ceux clave, c'est-à-dire un corps mortel; après avoir
qui les combattent. pris ce corps, il l'a montré; après l'avoir
montré, il l'a livré à la mort après
; l'avoir
CHAPITRE X. livré à la mort, il l'a ressuscité, il l'a rebâti

COMMENT LE FILS DE DIEU A ÉTÉ ENFERMÉ DANS comme on relève un temple détruit. Mais vous

LE SEIN d'une vierge. APOSTROPHE AUX MANI- qui repoussez ces croyances comme sacri-

CHÉENS. lèges, vous enfermez votre dieu, non plus


dans le sein d'une vierge, mais dans le ventre
Que Fauste ne réplique pas Si ne puis : je de toutes les femelles des animaux, depuis l'é-
prouver que Marie n'était pas de de la race léphant jusqu'à la mouche. Quoi vous mépri- 1

David, c'est à toi à démontrer qu'elle en sez le vrai chrétien parce qu'il reconnaît que
était. Car je le démontre par le document le le Verbe s'est fait chair dans le sein d'une
plus clair, le plus irréfragable, puisque l'E- vierge, qu'il s'est fait de l'homme un temple,
criture, dont l'autorité ne saurait être ébranlée, sans aucun changement dans sa nature propre,
affirme que le Christ est de la race de David en conservant son immuable pureté et votre ;

et qu'il a eu pour mère la Vierge Marie sans dieu vous est cher parce qu'étant enchaîné
la participation d'aucun homme. Mais quelle par tant de liens charnels, souillé même dans
délicatesse dans Fauste, quelle sainte horreur la partie qui doit être clouée à notre globe, il

pour tout ce qui blesse la décence, quand il demande en vain merci, ou même est telle-
nous dit « Vous calomniez l'écrivain en pure
: ment accablé, qu'il n'a pas seulement la force
a perte, quand vous supposez qu'il a enfermé de crier au secours 1

« le Fils de Dieu dans le sein d'une femme! » * Sag. viii, 1,


.

LIVRE VINGT-QUATRIEME.
Dieu, selon Fauste, n'a créé en nous que l'homme intérieur, et n'est point l'auteur de notre corps.

Dieu a fait l'homme tout entier.

CHAPITRE PREMIER. sous l'enseignement des hommes de bien : ce


qui que toute religion, et surtout la chré-
fait
QUEL EST, d'après FACSTE, l'hOMME QUE DIEU
tienne, appelle au sacrement dès la première
CRÉE EN NOUS. DIEU n'eST PAS l'aUTEUR DE
enfance. Tel est le sens de ces paroles de l'A-
NOTRE CORPS.
pôtre : « Mes petits enfants, pour qui je sens

Fauste. Pourquoi niez-vous que l'homme « de nouveau douleurs de l'enfantement,


les

soit créé de Dieu ? —


Nous ne nions pas abso- « jusqu'à ce que le Christ soitformé en vous ' »

lument que l'homme soit créé de Dieu ; nous Ainsi donc, il ne s'agit plus de savoir si Dieu
demandons seulement quelle espèce d'homme, l'homme; mais quand, quel et comment
fait

quand et comment il est créé. En effet, selon il car si Dieu nous fait à son image
le fait;
l'Apôtre, il y en a deux : l'un qu'il appelle quand nous sommes formés dans le sein ma-
parfois extérieur, plus souvent terrestre, ou ternel, suivant l'opinion des Gentils, des Juifs
encore vieil homme; l'autre qu'il appelle in- et la vôtre, alors il nous fait vieil homme, il

térieur, céleste,nouveau '. Nous demandons nous crée par le moyen de la passion et de la
lequel de ces deux hommes est l'œuvre de volupté, et je ne sais si cela est digne de sa

Dieu. Il y a aussi dans notre naissance deux divinité. Mais au contraire, nous sommes
si,

époques l'une
: quand nous sommes en-
,
formés de Dieu quand nous croyons et que
chaînés dans les liens de la chair et que la nous passons à un meilleur état de vie, ce qui
nature nous met au jour l'autre, quand la ; est l'opinion du Christ, desApôtresetlanôtre,
vérité nous arrache à l'erreur et nous régé- alors Dieu nous fait évidemment hommes
nère, en nous initiant à la foi. C'est cette se- nouveaux, et il agit d'une manière convena-
conde naissance que Jésus désigne dans l'E- ble et pure et quoi de plus raisonnable, et
:

vangile, quand il dit « Si qu'elqu'un ne naît de


: qui s'accorde mieux avec sa sainte et véné-
« nouveau, il ne peut voir le royaumede Dieu». rable Majesté? Si vous ne dédaignez pas l'au-
Et comme Nicodème, comprenant mal et hési- torité de Paul, nous vous montrerons par lui
tant, demandait comment cela pouvait se faire, quel est l'homme que Dieu fait, quand et
puisque le vieillard ne peut pas rentrer dans comment il le fait. Il dit aux Ephésiens :

le sein de sa mère et naître une seconde fois, « AQn que vous dépouilliez, par rapport à
Jésus lui répondit et lui dit « Si quelqu'un : « votre première vie, le vieil homme qui se
B ne naît pas de l'eau et de l'Esprit-Saint, il « corrompt par les désirs de l'erreur renou- ;

« ne peut voir le royaume de Dieu ». Puis il « velez-vous dans l'esprit de votre âme, et re-

continue « Ce qui naît de la chair est chair,


: « vêtez-vous de l'homme nouveau, qui a été

« et ce qui naît de l'Esprit est esprit ^ ». Si « créé selon Dieu dans la justice et la sainteté

donc notre naissance corporelle n'est pas la 8 de la vérité * ». Tu vois donc quand l'homme

seule, mais qu'il y en ait une autre par laquelle est créé à l'image de Dieu tu vois qu'on nous ;

nous renaissons de l'Esprit, il n'est pas d'un montre ici un autre homme, une autre nais-
médiocre intérêt de chercher de laquelle des sance une autre manière de naître. Car,
,

deux Dieu est l'auteur. Il y a également deux quand l'Apôtre dit : Dépouillez-vous et revê-
manières de naître: l'une propre à la passion tez-vous, il indique évidemment le moment
et à l'incontinence, par laquelle nous sommes de la conversion à la foi ; et quand il atteste
engendrés d'une manière honteuse par des que Dieu crée un nouvel homme, il affirme
esclaves de la volupté l'autre honnête et
; par là même que le vieil homme ne vient pas
sainte, par laquelle nous sommes initiés à la de Dieu, n'est pas formé à son image. Et
foi, dans le Christ Jésus, par l'Esprit-Saint, quand il continue en disant que l'homme
Rom. VI, vil; I Cor. .\T; Epli. m, iv; C-A. m.— 'Jean, ra, 3, fi.
' Gai. iv, 19. — ' Epb. iv, 22, 23, 24.
372 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

nouveau est créé dans la sainteté, la justice « me révéler son Fils pour que je l'annon-
et la vérité, il indique, il signale par là l'autre « parmi les nations, aussitôt, sans ac-
casse
espèce de naissance dont j'ai parlé, très-diffé- «quiesceràla chair et au sang'... »Tu le vois
rente de celle-ci qui a produit nos corps par donc partout affirmer que c'est dans l'autre
l'union voluptueuse de nos par&nts ; et en fai- naissance, dans la naissance spirituelle seule-
sant voir que l'autre vient seule de Dieu, il ment, que nous sommes formés par Dieu et ;

démontre par le fait que celle-ci n'en vient pas. non dans première naissance obscène,
cette
11 répète encore la même chose aux Colos- dégoûtante, par laquelle nous sommes conçus,
siens : «Dépouillez le vieil homme avec ses formés et engendrés dans le sein maternel,
B œuvres, et revêtez le nouveau qui se renou- d'une manière aussi ignoble, aussi impure
« dans la connaissance de Dieu, selon
velle que les autres animaux. Si vous voulez y faire
« l'image de celui qui l'a créé en vous ». Par attention, vous remarquerez que, là-dessus,
là, non-seulement il nous montre que c'est nous ne différons pas tant de vous par le sym-
l'homme nouveau que Dieu crée mais en- ; bole que par le sens que nous y attachons. Il

core il nous indique quand et de quelle ma- vous plaît d'attribuer à Dieu la formation du
nière il le forme, c'est-à-dire « Dans la con- : vieil homme, de l'iiomme extérieur et ter-
a naissance de Dieu », autrement dans le : restre : nous
au contraire celle
lui attribuons
moment de la conversion à la foi. Il ajoute de l'homme céleste, intérieur et nouveau;
encore « Selon l'image du Dieu qui l'a
: non sans raison et par conjecture, mais d'a-
« créé », pour nous faire voir clairement que près les leçons du Christ et de ses Apôtres,
le vieil homme n'est point l'image de Dieu et qui ont évidemment enseigné les premiers
n'a point été formé par lui. Et quand il ajoute cette doctrine dans le monde.
ensuite « Renouvellement où il n'y a plus
:

a ni homme ni femme, ni Juif, ni Grec, ni CHAPITRE IL


abarbare ni Scythe », il indique de plus en '
RÉFUTATION DE l'OPINION DE FAUSTE. l'hOMME
plus visiblement que l'autre naissance qui TOUT ENTIER VIENT DE DIEU.
nous fait hommes et femmes, Grecs et Juifs,
Scythes et barbares, n'est pas celle où Dieu Augustin. Sans doute, Paul veut qu'on
opère, celle où mais bien
il forme l'homme ; entende que l'homme intérieur est dans l'es-
celle-ci qui efface toute différence de nation, prit de l'âme et l'homme extérieur dans le
,

de sexe et de condition et fait de nous une corps et dans cette vie mortelle cependant, ;

seule chose, à l'exemple de celui qui est un, on ne lit nulle part dans ses lettres qu'il ait
c'est-à-dire le Christ ; comme le même Apôtre voulu parler de deux hommes distincts; il
le répète encore ailleurs, quand il dit ; « Tous n'en nomme qu'un, que Dieu a fait tout en-
«ceux qui ont été baptisés dans le Christ, ont tier, c'est-à-dire dans sa partie intérieure et

« été revêtus du Christ ; il n'y a plus ni Juif dans sa partie extérieure mais c'est dans la ;

« ni Grec ;
plus d'homme, ni de femme ; plus partie intérieure qu'il l'a fait à son image, en
« d'esclave ni de libre ; mais tous sont une seule le créant, non-seulement incorporel, mais en-
«chose dans le Christ ^ ». Donc, l'homme est core raisonnable, à la différence des animaux.
formé de Dieu quand, de beaucoup, il devient Il n'a donc pas fait un homme à son image,

un, et non quand d'un, il se divise en beau- et l'autre, mais comme l'intérieur et
non :

coup. Or, la première naissance, c'est-à-dire ne font qu'un seul homme, cet
l'extérieur
la naissance corporelle, nous a divisés la se- ; homme un, il l'a fait à son image, non quant
conde, celle qui est spirituelle et divine, nous au corps et à la vie corporelle, mais en tant
unit; et nous avons toute raison d'attribuer qu'il a une âme raisonnable, capable de con-
l'une à la nature du corps , et l'autre à la su- naître Dieu, et qui le place, par le privilège
prême majesté. C'est ce qui fait encore dire à même de sa raison, au-dessus de tous les êtres
l'Apôtre, écrivant aux Corinthiens : a C'est moi qui en sont privés. Or, Fauste convient que
« (jui par l'Evangile, vous engendrés dans le
ai cet homme intérieur est formé par Dieu
o Christ Jésus '
» ; et aux Calâtes, en parlant « quand il est renouvelé » nous dit-il, « dans la
,

de lui-même Mais lorsqu'il plut à celui


: « « connaissance de Dieu, selon l'image de celui
a qui m'a choisi dans le sein de ma mère, de « qui l'a créé ». J'admets complètement cette
'
Col. u\, S), 11. — ' Gai. m, 27, 28. — '
1 Cor. IV, 15. ' Gai. I, 15, 16.
LIVRE XXIV. — DIEU A CREE L'HOMME TOLT ENTIER. 373

pensée de l'Apôtre ', mais pourquoi Fauste « entré dans le monde par un seul homme,
n'admet-il pas l'autre : « Dieu a placé dans le « et la mort par le péché ; mort a
et ainsi, la
« corps chacun des membres, comme il l'a a passé dans tous les hommes, par celui en
« voulu -? B Voilà que le même Apôtre déclare qui tous ont péché '
». Donc, l'homme tout
Dieu créateur de l'homme extérieur pour- : entier, c'est-à-dire dans son intérieur et dans
quoi notre adversaire choisit-il ce qu'il croit son extérieur, a vieilli à cause du péché et a
convenir à son système, et passe-t-il sous si- été condamné à la mortalité mais mainte- ;

lence ou rejette-t-il ce qui sape par la base les nant il est renouvelé selon l'homme inté-
fables de Manès? De même, quand Paul dis- rieur, où il est de nouveau formé à l'image
sertait surl'homme terrestre et l'homme cé- de son Créateur, en se dépouillant de l'injus-
leste, distinguant entre l'homme mortel et tice, c'est-à-dire du vieil homme, et en revê-

l'homme immortel, c'est-à-dire entre ce que tant la justice, c'est-à-dire l'homme nouveau.
nous sommes dans Adam et ce que nous se- Mais quand le corps, qui est semé animal, res-
rons dans le Christ, il a tiré de la loi même, suscitera spirituel, alors l'homme extérieur
du livre même, du passage même, un témoi- participera à la dignité de l'état céleste, afin
gnage en faveur du corps terrestre, c'est-à- que tout ce qui a été créé soit recréé, que
dire animal, du passage, dis-je, où il est écrit tout ce qui a été par Celui qui
fait soit refait

que Dieu a créé aussi l'homme terrestre. Car, a créé et qui recrée, qui a fait et qui refait.
en traitant de la manière dont les morts res- C'est ce que l'Apôtre exphque brièvement,
susciteront, du corps avec lequel ils revien- quand il dit « Le corps est mort par le pé-
:

dront, il emprunte une comparaison à la se- « ché, mais l'esprit vit par l'effet de la justifl-

maine des grains, disant qu'on sème une « cation. Que si l'Esprit de Celui qui a ressus-

simple graine, et que Dieu lui donne un corps « cité Jésus d'entre les morts habite en vous,

comme il veut, à chaque semence son corps « Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les
propre (en quoi il renverse l'erreur de Manès a morts, vivifiera aussi vos corps mortels par
qui attribue, non à Dieu, mais au peuple des « son Esprit qui habite en vous - ». Et quel
ténèbres la création des grains, des herbes, de homme instruit de la vérité catholique ignore
toutes les racines et de tous les végétaux, et que uns sont hommes, les autres femmes
les
croit que Dieu est enchaîné dans ces formes et selon le corps, et non selon l'esprit de l'âme,
espèces d'êtres, plutôt que d'y agir en quoi dans lequel nous sommes renouvelés selon
que ce soit) ; et après avoir ainsi combattu les l'image de Dieu? Mais le même Apôtre atteste
sacrilèges rêveries de Manès, il en vient aux que Dieu a créé les deux sexes quand il dit :

différences des chairs : « Toute chair n'est pas « Ni la femme n'est sans l'homme, ni l'homme

la même chair», dit-il; puis il passe à la a sans la femme, dans le Seigneur car comme :

distinction des corps célestes et des corps ter- « la femme a été tirée de l'homme, ainsi

restres, et ensuite au changement qui s'opé- « l'homme est par la femme mais tout vient ;

rera dans notre corps et le rendra spirituel et « de Dieu ' » Mais que disent à cela ces
.

céleste : « Il est semé », dit-il, « dans l'abjec- hommes ineptes et trompeurs, entièrement
« tion, il ressuscitera dans la gloire ; il est éloignés de la vie de Dieu par l'ignorance qui
a semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans est en eux, à cause de l'aveuglement de leur
« la force ; il est semé corps animal, il ressus- cœur ', que disent-ils, sinon ce qui nous ac- :

o citera corps spirituel ». Et voulant, à cette commode dans les lettres de l'Apôtre est vrai,
occasion, montrer l'origine du corps animal : ce qui ne nous accommode pas est faux? Voilà
« S'il y a », dit-il, « un corps animal, il y a jusqu'où les Manichéens portent le délire ;
« aussi un corps spirituel comme il est écrit ; : mais qu'ils reviennent à la raison, et qu'ils
« Adam, premier homme, a été fait âme
le cessent d'être Manichéens. Ils avouent que
« vivante ' » Or, ceci est écrit dans la Genèse l'homme intérieur est renouvelé à l'image de
.
%
où l'on raconte comment Dieu lit l'homme et Dieu, et ils citent d'eux-mêmes le témoignage
anima le corps qu'il avait formé de terre. Mais de l'Apôtre 'la-dessus et Fauste dit que Dieu ;

par vieil homme, l'Apôtre n'entend pas autre fait l'hoinme quand l'homme intérieur est
chose que la vieille vie, la vie du péché, la renouvelé dans la connaissance de Dieu. Et
vie selon Adam, dont il dit : a Le péché est
Rom. V, 12. — '
Id. vm, 10, 11. — ' 1 Cor. XI, II, 12.— ' Eph.
*Col. m, 10,— - I Cor. xil, 18. — ^ Id. xv, 35, 45. — *
Gen. u, 7. IT, 18.
374 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

lorsqu'on leur demande si celui qui refait subi le joug de la nécessité, qu'il ait été défi-
l'homme est le même qui l'a fait, si celui qui guré par ennemis, et autres billevesées
les
le renouvelle est celui qui l'a créé, ils ré- qu'il me répugne
de redire. Là, en effet, ils
pondent oui. Mais si, parlant de celte réponse, parlent d'un premier homme, non de celui
nous insislonset leur demandons quand celui que l'Apôtre appelle terrestre ,tiré de la

qui reforme l'homme maintenant, l'a formé, terre ', mais d'un je ne sais quoi qu'ils ont
ils ne sauront à quel subterfuge recourir pour fabriqué et tiré de leur arsenal de mensonge.
dissimuler la honte de leur fabuleux système. Sur ce point, Fausle garde un silence com-
Car ne disent pas que l'homme a été formé
ils plet, bien qu'il se soit proposé de parler de

ou créé, ou établi par Dieu, mais qu'il est une l'homme. Il craint de se démasquer par quelque
partie de la substance de Dieu envoyée contre côté aux yeux de ceux contre qui il dispute.
les ennemis ils ne veulent pas qu'il soit de-
;
' I Cor. XV, 47.

venu vieil homme par le péché, mais qu'il ait


LIVRE VINGT-CINQUIEME.
Objection de Fauste sur le Dieu d'Abraham. — Courte réponse d'Augustin.

CHAPITRE PREMIER. sût qu'ils lui appartenaient, chez quelque na-


tion, en quelque pays qu'ils se trouvassent
FAUSTE OBJECTE QUE LE DIEU d'aBRAHAM N'EST
;

et eux, à leur tour, le surnommaient Dieu de


PAS INFINI. SELON LUI, LE BIEN ET LE MAL SE
leurs pères, afin que, en quelque heu qu'il
LIMITANT, DIEU A DES BORNES.
fût, même parmi une multitude d'autres
Fauste. Dieu est-il fini ou infini? Si l'on dieux, dès qu'il entendrait dire : Dieu d'Abra-
peut s'en rapporter à votre prière , ainsi ham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob, il recon-
conçue Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et
:
nût que c'était lui qu'on invoquait. Il arrive,
Dieu de Jacob ', Dieu est fini, à moins qu'il en effet, que quand beaucoup de personnes
n'y ait un Dieu pour qui tu pries, et un autre portent le même nom, aucune ne répond à
que vous priiez sinon le cercle de la cir-
;
l'appel, si on n'y ajoute un surnom. Ainsi en-
concision, qui sépare Abraham, Isaac et Jacob core, les bergers font des marques à leurs
de la société des autres nations % formera aussi troupeaux, de peur qu'un étranger ne s'en
la limite de la puissance de Dieu à leur égard. empare comme de son bien propre. Et comme
Or, celui dont le pouvoir est limité, a lui-même vous en faites autant, que vous parlez aussi
des bornes. D'autre part, dans cette prière, du Dieu d'Abraham, du Dieu d'Isaac et du
vous ne faites aucune mention des anciens Dieu de Jacob, vous indiquez par là non-seu-
qui ont précédé Abraham Enoch, Noé,Sem % : lement que votre Dieu est fini, mais encore
et autres de ce genre, qui cependant, de votre que vous lui êtes étrangers, que vous n'avez
aveu, ont été justes dans l'incirconcision. Mais point son signe ni son sacrement, qui est la
comme ils ne portaient point le signe spécial mutilation des parties viriles, à quoi Dieu re-
de la circoncision, vous ne voulez pas que connaît les siens. Par conséquent, si c'est là le
Dieu soit leur Dieu ; il ne l'est que d'Abraham Dieu que vous adorez, il est parfaitement clair
et de sa postérité. Si donc il existe un Dieu qu'il a des bornes. Mais si vous prétendez que
unique et infini, pourquoi ce soin, cette pré- Dieu est infini, il vous faut d'abord renoncer à
caution dans votre prière ? pourquoi, non con- celui-là, changer votre prière et déplorer
tents d'avoir nommé Dieu, ajoutez-vous de votre erreur passée. Si nous tenons ce langage,
qui il est le Dieu, c'est-à-dire d'Abraham, c'est pour vous battre avec vos propres armes ;

d'Isaac et de Jacob, comme si votre oraison car, sur cette question Le Dieu souverain, le
:

devait se perdre à travers une foule de dieux vrai Dieu est-il infini ou non ? L'opposition
et faire naufrage, à moins qu'elle ne porte le du bien et du mal nous api)rendra vite la vé-
pavillon d'Abraham? Assurément, cela se com- rité. En effet, si le mal n'existe pas, Dieu est
prend de la part des Juifs qui sont circoncis : certainement infini mais il a des bornes, si
;

car, par là, ils indiquent qu'ils s'adressent au le mal existe. Or, il est certain que le mal
Dieu de la circoncision, à l'exclusion des existe. Dieu n'est pas infini; car c'est chose
dieux des incirconcis mais que vous le fus-
; reçue que le mal commence là où le bien
siez, vous, voilà ce que je ne comprends guère, finit.
puisque vous ne portez point le signe de la CHAPITRE II.

circoncision comme Abraham, dont vous in-


RÉPONSE DU SAINT. L'ERREUR DES MANICHÉENS LES
voquez le Dieu. En effet, il paraît vraiment
REND INCAPABLES DE TRAITER LES QUESTIONS
que les Juifs et le Dieu des Juifs s'étaient mu-
QUI ONT DEJA ÉTÉ DISCUTÉES PLUS HAUT.
tuellement donné des signes pour se recon-
naître, pour ne pas se perdre de vue entre Augustin. A Dieu ne plaise que qui-
eux il : les avait, lui, marqués du cachet im- conque vous connaît , vous interroge là-
pur de la circoncision, afin que, par là, on dessus et entre en discussion sur ce point avec
* Ex. ui, 15. — * Gen. xvii, 9, II. — ' Gen. v. des gens tels que vous. Car vous avez besoin
376 CONTRE FAUSTE, LE MANICHEEN.

d'être d'abord dégagés des fictions d'uu esprit siDieu est fini ou infini, vous feriez mieux de
charnel et matériel et purifiés par une foi terminer la question en gardant le silence,
pieuse et un rayon de vérité, si faible qu'il jusqu'à ce que vous cessiez d'être à une si
puisse être, avant d'être capables de concevoir grande distance de la fin de la loi qui est le
des idées spirituelles dequelque manière et à Christ. Pourquoi le vrai Dieu, le Dieu de toute
quelque degré que ce soit. Tant que vous ne créature, a-t-il voulu s'insinuer dans l'esprit
le pourrez pas (car votre hérésie ne sait faire de son peuple, en se faisant appeler Dieu
autre chose que d'étendre le corps, l'âme et d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est ce que
Dieu à travers les espaces locaux, finis ou in- nous avons déjà suffisamment expliqué.
finis, quoique la matière seule occupe ces es- Nous avons aussi parlé plus d'une fois de la
paces ou est occupée par eux), tant que vous ne circoncision dans les premières parties de cet
le pourrez pas, dis-je, vous ferez bien mieux ouvrage, en réponse à d'ineptes calomnies.
de ne pas vous mêler de cette question, dans Et nos adversaires ne se railleraient point de
laquelle vous ne savez pas enseigner un mot ce signe imprimé dans la partie du corps dési-
de vrai, pas plus qu'ailleurs du reste, et où gnée de la manière la plus convenable par Dieu
vous n'êtes pas même capables d'apprendre, lui-même, comme marque figurative du dé-
comme vous le seriez peut-être dans d'autres pouillement de la chair, s'ils réfléchissaient,
sujets, sans votre orgueil et votre esprit de non eu hérétiques, mais en chrétiens, au sens de
contention. En effet, dès qu'on pose seulement ces paroles « Tout est pur pour ceux qui sont
:

ces questions : comment Dieu serait fini, lui « purs ». Mais comme l'Apôtre ajoute avec
qu'aucun ne renferme comment est-il
lieu ; beaucoup de vérité : « Mais pour les impurs
infini, lui que le Fils connaît tout entier; a et les infidèles, rien n'est pur : leur esprit
comment serait fini, celui qui est immense; « et leur conscience sont souillés '
» ; nous fai-

comment est infini, celui qui est parfait; sons humblement observer à ces railleurs, à
comment serait fini, celui qui n'a pas de me- ces insulteurs impudents, que si, selon eux,
sure ; comment est infini, celui qui est la me- la circoncision est honteuse, il n'y a pas pour
surede toutes choses; dès qu'on pose, dis-je, ces eux sujet de rire, mais de pleurer, puisque
questions, toute pensée charnelle disparaît ;
leur dieu est enchaîné, souillé et mêlé à la
et si le manichéen veut devenir ce qu'il n'est particule de chair qui est retranchée et au
pas encore, il faut d'abord qu'il rougisse de sang qui en découle.
ce qu'il est. Ainsi au lieu de nous demander ' Tu. I, 15.
LIVRE VINGT-SIXIÈME.
Fausle veut prouver que le Cbrist a pu mourir sans être né et cite l'exemple d'Elie qui est né et n'est point mort. Augustin —
rétablit les vraies notions sur le cours de la nature, sur la volonté et la puissance de Dieu. —
Ce qu'il faut croire d'Elie. —
Tout a été vrai dans le Christ.

CHAPITRE PREMIER. Que si nous comparons, dans Dieu et dans


l'homme, le pouvoir de faire sa volonté, il me
arguments de facste pocr prouver que jésus
semble que Jésus a plutôt pu mourir, qu'Elie
a pu mourir sans être né. preuve tirée de
ne pas mourir car Jésus était plus puissant
:

l'enlèvement d'élie.
qu'Elie. Et si, contre toutes les lois de la na-
Fausie. Si Jésus n'est pasné,commentest-iI ture, tu élèves le plusfaiblejusqu'auciel,etle
mort ? — Evidemment ce n'est là qu'une con- consacre à l'immortalité, sans égard pour sa
jecture. Or, on ne recourt aux conjectures nature et pour sa condition pourquoi u'ac- :

qu'à défaut de preuves. Cependant nous ré- corderais-je i)as, moi, que Jésus a pu mourir
pondrons encore à cela, et nous ne produirons s'il l'a voulu, quand même je serais obligé

que des exemples pris chez vous, dans les ob- de voir, là, une mort réelle, et non fictive ?
jets de votre croyance. Si ces exemples sont En effet, comme il avait dès le commencement
vrais, ils seront en notre faveur; s'ils sont la ressemblance de l'homme et simulé toutes
faux, ils tourneront contre vous. Tu dis donc: les affections propres à la condition humaine,
Comment Jésus est-il mort , s'il n'était pas il n'était pas hors de propos qu'il achevât son
homme ? Et moi je te demande Comment
: rôle, en subissant une mort apparente.
Elie, qui était homme, a-t-il pu ne pas mou-
rir ? Quoi 1 un mortel aura pu, contre les lois CHAPITRE II.

de sa nature, usurper le droit à l'immortalité, autre preuve tirée des miracles de JÉSUS.
et le Christ immortel n'aura pu, au besoin,
empiéter quelque peu sur la mort? Si Elie, De plus il faut noter que s'il s'agit de cher-
malgré la nature, vit éternellement, pour- cher ce que chacun peut, d'après de les lois
quoi refuses-tu à Jésus le pouvoir de mourir, la ne faut pas borner cette question
nature, il

malgré la nature, seulement pour trois jours : à la mort de Jésus, mais l'étendre à toutes ses
surtout quand vous n'accordez pas seulement actions. Par exemple, la nature ne permet pas
l'immortalité à Elie, mais encore à Moïse et à à un aveugle de naissance de voir la lumière,
Enoch, qui auraient été enlevés au ciel avec et cependant Jésus a opéré ce prodige sur des
leurs corps ? Donc si de ce que Jésus est mort, aveugles de cette espèce, à tel point que les
on a droit de conclure qu'il était homme, ou Juifs eux-mêmes s'écriaient qu'on n'avait
pourra également, de ce qu'Elie n'est pas mort, jamais vu depuis le commencement du
,

conclure qu'il n'était pas homme. Or, il est monde, quelqu'uuouvrirlesyeuxd'un aveugle-
faux qu'Elie n'ait pas été homme, bien qu'on né '. Et qui ne sera frappé d'étonnement en
le croie immortel il est donc aussi faux que
; entendant dire qu'il a guéri une main dessé-
Jésus ait été homme, quoiqu'on pense qu'il chée, rendu la voix et la parole à ceux qui en
soit mort. Et si tu veux me croire, à moi qui étaient privés, rétabli l'esprit vital dans des
dis la vérité : les Hébreux se trompent sur corps déjà entrés en décomposition ? qui ne
l'un et sur l'autre point , sur la mort de sera forcé, en quelque sorte, d'être incrédule et
Jésus et sur l'immortalité d'Elie; car le pre- de se rappeler ce que la nature permet ou ne
mier n'est pas mort, et le second est mort; permet pas ? Cependant, nous tous chrétiens,
mais vous croyez ce qu'il vous plaît de croire, nous croyons que le même Jésus a opéré tous
et vous mettez le reste sur le compte de la ces prodiges, non par les forces de la nature,
nature. Or, si on s'enquiert des lois de la na- mais par la puissance et la vertu de Dieu. On
ture, elle exige que ce qui est immortel ne lit encore que les Juifs l'ayant un jour préci-
meure pas et que ce qui est mortel meure. * Jean, ix.
378 CONTRE FAUSTE , LE MANICHÉEN.

pitédu haut d'une montagne, il n'en éprouva nature ce qu'il fait contre ce que nous savons
pas moindre mal. Or, un homme qu'on jette
le de la nature. Car nous donnons aussi le nom

en bas d'une montagne et qui ne meurt pas, de nature au cours connu et ordinaire de la
parce qu'il ne veut pas mourir, ne peut-il pas nature; et quand Dieu agit contre ce cours,
mourir quand il veut ? Tout ceci soit dit parce nous appelons ses actions merveilles ou pro-
qu'il vous plaît d'argumenter, et d'employer diges. Mais la loi souveraine de la nature, si

la dialectique, arme qui n'est point faite pour élevée au-dessus de l'intelligence des impies
vous: car du reste, pour nous, Jésus n'est pas ou des faibles. Dieu ne peut pas plus agir
mort et Elle n'est point immortel. contre elle que contre lui-même. Plus une
créature spirituelle et raisonnable , comme
CHAPITRE m. l'âme humaine, par exemple, participe à cette
loi immuable et à cette lumière, mieux elle
NOTIONS PRÉCISES SUR LE COURS DE LA NATURE.
connaît ce qui est possible et ce qui ne l'est

Augustin. Tout ce que l'Ecriture sainte , pas plus elle en est éloignée, plus elle
;
s'é-

l'autorité la plus haute, la plus certaine, la tonne de ce qui sort du cours ordinaire des
mieux fondements de la
établie sur les solides choses, parce qu'elle prévoit moins l'avenir.
foi, nousd'Enoch, d'Elie et de Moïse, nous
dit
le croyons, mais non point ce queFauste nous
CHAPITRE IV,

soupçonne de croire. Or, les hommes qui se LA VOLONTÉ DE DIEU, SOUVERAINE RAISON DES
trompent comme vous, ne peuvent savoir ce CHOSES.
qui est selon ou contre la nature. Nous ne
contestons pas que, dans le langage humain, Voilà pourquoi nous ne savons pas ce qui
ce qui sortdu cours ordinaire de la nature est s'estpassé dans Elle nous croyons pourtant
;

dit contre nature. Tel est le sens de ces paroles ce que nous en dit la véridique Ecriture. Il
de l'Apôtre : « Si tu as été coupé de l'olivier est pour nous une chose certaine, c'est que

« sauvage, ta tige naturelle et enté contre , Dieu a fait de lui ce qu'il a voulu, et que ce
« nature sur l'olivier franc », oîi il appelle '
que Dieu ne veut pas, n'est possible chez per-
« contre nature » ce qui n'entre pas dans le sonne. Par conséquent, si l'on me dit qu'il est

cours de la nature, tel qu'il est connu des possible, par exemple, que de tel ou
la chair

hommes, que l'olivier sauvage enté


à savoir tel homme soit transformée en corps céleste,
sur l'olivier franc, ne donne point de fruits je l'accorderai ; mais cela arrivera-t-il ? je

sauvages, mais produise de grasses olives. n'en sais rien, et je n'en sais rien parce que
Mais Dieu, créateur et auteur de toutes les na- j'ignore quelle est, là-dessus, la volonté de
tures, ne fait rien contre nature car tout ce : Dieu; mais ce que je n'ignore pas, c'est que
qu'il fait entre dans la nature de chaque chose, cela arrivera certainement, si telle est la vo-
lui de qui vient toute mesure, tout nombre, lonté de Dieu. Or, si j'entends dire qu'une
tout ordre dans la nature. Ni l'homme non chose devait arriver, mais que Dieu a fait en
plus ne fait rien contre nature, sinon quand sorte qu'elle n'arrivât pas, je répondrai en
il pèche et encore la punition le ramène-t-
;
toute confiance La chose qui devait arriver,
:

elle à la nature.Car l'ordre naturel de la jus- c'est celle que Dieu a faite, et non celle qu'il

tice exige ou que le péché ne se commette pas, eût faite si elle eût dû arriver. Car Dieu savait
ou qu'il ne reste pas impuni. Mais, dans les certainement ce qu'il devait faire, et par là et

deux hypothèses, l'ordre naturel est sauf, en même temps, que ce qu'il empêcherait
sinon de la part de l'homme, au moins de la d'arriver, n'arriverait pas. Ainsi il est iiors de

part de Dieu. En péché nuit à la cons-


effet, le doute ([ue ce que Dieu sait est plutôt vrai que
cience, et nuit à Tàme elle-même, en la pri- ce que l'honnue pense. Par couséiiuent, ce qui
vant de la lumière de justice, bien qu'il ne doit arriver ne peut pas plus ne pas arriver,
soit pas inunédiatemeut suivi de douleurs, que les faits passés ne peuvent n'être pas des
réservées comme remède à ceux qui doivent faits, parce (lu'il n'est [las dans la volonté de

se corriger, ou comme dernier supplice à ceux Dieu qu'une chose soit fausse par ce qui la

(jui seront restés incorrigibles. Mais il n'y a rend vraie. C'est pourquoi tout ce qui est
rien de messéant à dire que Dieu fait contre vraiment futur, arrivera sans aucun doute ;

* Hom. XI, -l. et si les choses n'ont pas lieu, c'est qu'elles
LIVRE XXVI. — TOUT EST VRAI DANS LE CHRIST. 379

n'étaient pas futures comme tout ce qui est


; tout ce qui est, d'une façon ou de l'autre, spi-
vraiment passé, est indubitablement passé. rituel ou corporel, tient l'existence. Or, il use
de toutes ses créatures comme il lui plaît et, ;

CHAPITRE V. suivant la vraie et immuable justice, qui n'est


DIEC NE PEUT PAS FAIRE QCE CE QUI A ÉTÉ, N'AIT autre chose que lui-même, il lui plaît, touten
PAS ÉTÉ. IL EST NÉANMOINS TOLT-PUISSANT. restant immuable, de régler changements
les
des êtres changeants selon leurs natures ou
Ainsi donc, quiconque dit: Si Dieu est tout- leurs actions. Oserons-nous dire qu'Elie, étant
puissant, qu'il fasse que ce qui a été fait n'ait une créature, n'a pu subir un changement en
pas été fait, ne s'aperçoit pas que cela revient bien ou en mal, ou n'a pu en subir un qui fût
à dire : Dieu est tout-puissant, qu'il fasse
Si extraordinaire pour le genre humain, mais
que ce qui est vrai soit faux, par cela même conforme à la volonté du Dieu tout-puissant?
qu'il est vrai. En effet. Dieu peut faire que quel- Quel est l'homme assez fou pour le soutenir?
que chose qui était, ne soit plus : car alors il Pourquoi donc ne croirions-nous pas d'Elie ce
trouve une chose existante, sur laquelle exer- que la très-véridique Ecriture nous en raconte ?
cer le pouvoir de détruire comme par : A moins que nous ne pensions que Dieu ne
exemple,quand il fait cesser d'être, parla mort, peut faire que ce que nous avons l'habitude
commencé à être en naissant là il
ce qui a : de voir.
trouveun fait sur lequel agir. Mais qui peut CHAPITRE VI.
demander qu'il fasse cesser d'être ce qui
SCR ÉLIE ET SUR LE CHRIST,IL FAIT s'EN RAP-
n'existe pas ? Or, tout ce qui est passé, n'est
PORTER A l'Écriture, la mort du christ
plus ; s'il y avait encore quelque chose à en
n'a pu être fausse.
faire, c'est que cela serait encore, et si cela
était encore, comment cela serait-il passé ? Mais, dit-on, si Elie, étant homme, a pu ne pas
Donc, ce que nous pouvons véritablement dire mourir, pourquoi le Christ, n'étant pas homme,
avoir été, n'est plus ; et s'il est vrai que cela n'aurait-il pas pu mourir? — C'est comme si

a été, c'est une vérité qui ne subsiste que dans l'on disait : de l'homme a pu
Si la nature
notre esprit, et non dans la réalité qui a cessé subir un changement en bien, pourquoi celle
d'être. Quand nous disons que quelque chose de Dieu n'en pourrait-elle subir un en mal?
a été, nous ne disons la vérité que parce que Insensé c'est parce que la nature de l'homme
!

la chose dont nous parlons n'est plus. Dieu ne est changeante, et celle de Dieu immuable.
peut pas rendre fausse notre pensée, parce Un autre fou pourrait aussi bien nous dire :

qu'il ne peut être contraire à la vérité. Si vous Si Dieu peut faire régner l'homme éternelle-
me demandez où est cette pensée, je vous ré- ment, pourquoi ne pourrait-il pas lui-même
pondrai qu'elle se trouve d'abord dans notre se damner éternellement? —
Ce n'est point
esprit, quand nous savons que la chose est là ce que je veux dire, réplique-t-on je com- ;

vraie et que nous le disons. Mais si, en vertu pare seulement la vie éternelle pour l'homme
de l'oubli, cette pensée est sortie de notre à une mort de trois jours pour Dieu. Evi- —
esprit, elle subsiste néanmoins dans la vérité demment, tu serais dans le vrai si, par une
même. Car il sera toujours vrai que ce qui mort de trois jours en Dieu, tu entendais la
était et n'est plus, a été et il sera vrai que ce; mort de la chair qu'il a empruntée de notre
qui était a été, là même où il était vrai que nature car la vérité évangélique proclame
:

la chose future serait, avant qu'elle fût. Dieu que le Christ a subi une mort de trois jours
ne peut être contraire à cette vérité, lui en pour procurer la vie éternelle aux hommes.
qui est la souveraine et immuable vérité, lui Mais quand tu prétends qu'il n'est pas ab-
de qui vient toute la lumière du vrai qui surde d'admettre une mort de trois jours,
éclaire les âmes et les esprits. Mais quand dans la nature divine elle-même, et en dehors
nous disons que Dieu est tout-puissant, nous de notre chair mortelle, par la raison que la
ne l'entendons pas en ce sens qu'il puisse aussi nature humaine peut être dotée de l'immor-
mourir, et que, parce qu'il ne peut pas mourir, talité tu déraisonnes complètement, comme
:

il ne faut pas l'appeler tout-puissant. Car un homme qui ne connaît ni Dieu, ni les dons
celui-là seul peut-être nommé vraiment tout- de Dieu. Ensuite, est-ce que tu ne dis pas, est-ce
puissaritj qui existe réellement, et de qui seul que tu ne penses pas ce que je disais tout à
380 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

l'heure,que Dieu s'est condamné lui-même à la vierge Marie, ce n'est pas parce que nous
une damnation éternelle, puisqu'une partie de regardons comme impossible qu'il prît une
votre dieu est clouée à ce globe pour l'éternité? vraie chair d'une autre manière, pour appa-
Diras-tu à cela qu'une partie de la lumière est raître aux yeux des hommes mais ; parce que
lumière, et qu'une partie de Dieu n'est pas cela est écrit dans cette Ecriture à laquelle il

Dieu ? En résumé, pour vous dire sans rai- faut croire sous peine de n'être ni chrétien ni
sonnement et sur la simple autorité de la sauvé. Nous croyons donc que le Christ est né
vraie foi, pourquoi nous croyons qu'Elie, né de parce que cela est écrit
la vierge Marie,
mortel, a été enlevé de terre par la puissance dans l'Evangile nous croyons qu'il a été cru-
;

de Dieu, et, d'autre part, que le Christ est cifié et qu'il est mort, parce que cela est écrit

réellement né d'une vierge et réellement dans l'Evangile; qu'il est vraiment né et vrai-
mort sur la croix : nous le croyons, parce que ment mort, parce que l'Evangile est la vérité.
cela nous est attesté et d'Elie et du Christ par Mais pourquoi a-t-il voulu souffrir tout cela
la sainte Ecriture ', qu'il faut croire pour être dans une chair prise du sein d'une femme,
pieux qu'on ne peut rejeter sans être impie.
et c'est là son secret, à lui soit qu'il ait voulu
:

Mais vous niez, vous, ce qui concerne Elie, par là relever et honorer les deux sexes qu'il
parce que tout est simulation chez vous ;
avait créés, en prenant la forme d'un homme
quant au Christ, vous ne dites pas qu'il n'a et en naissant d'une femme soit qu'il ait eu ;

pas pu naître et qu'il a pu mourir, mais vous une autre raison, et laquelle? je n'aurai point
prétendez qu'il n'est pas né d'une vierge et la témérité de le dire. Mais j'affirme, en toute
que sa mort sur la croix a été fausse, c'est-à- sécurité, que tout s'est passé comme l'en-
dire non réelle, mais simulée pour faire illu- seigne la vérité évangélique, et que cela n'a
sion aux regards des hommes et cela dans : point dû se faire autrement que la sagesse de
l'unique but de vous faire pardonner vos Dieu l'avait décidé. Nous mettons la foi à
mensonges perpétuels par ceux qui croient à l'Evangile au-dessus de tous les raisonne-
vos assertions sur ces deux points. ments des hérétiques, et nous reconnaissons
que le plan de la sagesse divine l'emporte sur
CHAPITRE VII. tous les plans d'une créature quelconque.

NOUS CROYONS DU CHRIST TOUT CE QU'EN DIT


CHAPITRE VIII.
l'Évangile.
TOUT A ÉTÉ VRAI DANS LE CHRIST J
IL n'a RIEN
Mais cette question que Fauste se pose à SIMULÉ.
lui-même « Si Jésus n'est pas né, comment
:

« est-il mort? » qui donc vous la fera, sinon Cependant Fauste nous invite à le croire
celui qui oublie qu'Adam lui-même n'est pas sur parole « Et si tu veux me croire, à moi
:

né et qu'il est cependant mort ? Si donc le « qui dis la vérité les Hébreux se trompent
:

Fils de Dieu eût jugé à propos de se former « sur l'un et sur l'autre point, sur la mort de
de terre une véritable chair d'homme, comme « Jésus et sur l'immortalité d'Elie » ; bien
il l'a formée pour notre premier père, puisque qu'il nous dise un peu plus bas En effet,
: «

tout a été fait par lui ^ qui oserait soutenir ;


« comme il avait pris, dès le commencement,

qu'il ne l'aurait pas pu? Et encore, s'il eût « la ressemblance de l'homme , et simulé
voulu prendre quelque matière, ou céleste, « toutes les affections propres à la condition
ou aérienne, ou humide, et la transformer « humaine, il n'était pas hors de propos qu'il
très-réellement en chair humaine qui ose- ;
« achevât son rôle en subissant une mort ap-
rait lui en contester le pouvoir, à lui Fils « parente » Homme détestable et monstre
.

tout-puissant du Tout-Puissant ? Enfin si , d'imposture, comment te croirai-je comme si

laissant de côté tous les éléments matériels tu disais la vérité, quand tu prétends que le
créés par lui, il eût voulu se tirer à lui-même Claist a menti en feignant de mourir? Le
du néant une véritable chair, comme il a Christ mentait donc, quand il disait « 11 faut :

créé tout ce (jui n'était i)as ;


qui de nous ose- « que le Fils de l'homme soit mis à mort et
rait contredire, et affirmer qu'il ne l'aurait « qu'il ressuscite le troisième jour '
» ; et toi
pas pu ? Si donc nous croyons qu'il est né de tu ne mens pas, et tu prétends que nous ajou-
• IV Koi», 11, Il ; Wall, i, 2o ; -vvu, ^lO. — Jean, i, 3. '
Luc, xxiv, 7.
LIVRE XXVI. — TOUT EST VRAI DANS LE CHRIST. 381

lions foiàia parole, comme si lu disais la vé- eu soif ', il a été triste % il s'est réjoui et
rité ? Pierre était doue plus sincère que toi, autres choses de ce genre très-certainement :

quand il disait au Sauveur : « A Dieu ne plaise, tout cela est vrai, tout cela est raconté d'une
« Seigneur ! cela ne vous arrivera point », ce manière qui ne permet pas de supposer qu'il
qui lui attira cette apostrophe : « Arrière, Sa- y ait eu feinte, mais qui prouve que le Sau-
« lan ' 1 » paroles qui ne furent point stériles veur a réellement éprouvé et manifesté ces
pour lui : car plus tard, corrigé et parvenu affections, non certes, par la nécessité de sa
à la perfection, il prêcha jusqu'à sa morl la condition, mais par l'empire de sa volonté et
vérité de la mort du Christ. Mais si^ pour avoir aussi en vertu de son pouvoir divin. Car sou-
seulement pensé que le Christ ne mourrait vent l'homme se fâche sans le vouloir, est
pas, il a mérité de s'entendre appeler Satan : triste malgré lui, dort malgré lui, a faim et
que mérites-tu, comment t'appellera-t-on, toi soif malgré lui mais le Christ a souffert tout
;

qui prétends que le Christ a simulé la mort? cela, parce qu'il l'a voulu. De même, les
11 faut, nous dis-tu, supposer qu'il a aussi si- hommes naissent et souffrent , non parce
mulé la mort, puisqu'il a simulé toutes les qu'ils le veulent ni comme ils le veulent ;

affections propres à la condition humaine. mais lui est né et a souffert parce qu'il l'a
Mais qui donc, en face de l'Evangile, t'accor- voulu. Néanmoins , toutes ces choses sont
dera que le Christ a simulé toutes les affec- vraies et ont été écrites de lui avec fidélité et
tions propres à la condition humaine ? Très- véracité afin que quiconque croira à son
,

certainement, si l'Evangéliste nous dit: Jésus Evangile, possède la vérité et ne soit point le
a dormi '; s'il nous dit : Il a eu faim ', il a jouet du mensonge.
' Matt. XVI, 22, 23. — ' Id. Tin, 24. — ' Id. iv, 2. ' Jean, xix. — ' Matt. Xim, 37.
LIVRE VINGT-SEPTIÈME.
Jésus est né et mort comme il l'a voulu. — L'Evangile est plus croyable là-dessus que Manès.

CHAPITRE PREMIER. CHAPITRE IL

SI JÉSCS A PU NAÎTRE d'uNE VIERGE, IL A AUSSI LE CHRIST l'aurait PU, MAIS NE l'a PAS VOULU.
BIEN PU MOURIR SANS AVOIR ÉTÉ ENFANTÉ.
AuQiistin. Personne ne te pose la question
Fatiste. Si Jésus n'est pas né, il n'a pas souf- que tu te poses toi-même, si ce n'est l'ignorant
fert;mais s'il a souffert, donc il est né. Il — que tu trompes, mais non l'homme instruit
ne vous sert à rien, croyez-moi, de raisonner qui te confond. En effet, Jésus pouvait naître
ici d'après les lois de la nature : autrement, sans la p;irlicipation d'un homme et souffrir
votre foi tout entière croule par la base. Car sans avoir été enfanté ; mais il a voulu l'un et
vous croyez que Jésus est né d'une Vierge, n'a pas voulu l'autre. Il a voulu naître sans
sans la participation de l'homme or, si les ; la participation d'un homme ; il n'a pas voulu

prémices doivent se prouver par la consé- souffrir sans avoir été enfanté, car il a été
quence, cela deviendra faux. En effet, on enfanté et il a souffert. Tu me dis Comment : le
pourra vous répondre Si Jésus est né d'une
: sais-tu ? Parce que je le lis dans l'Evangile de
femme, donc il a un homme pour père, et s'il la vérité. Et moi si je te demande : Où as-tu
n'a pas un homme pour père, donc il n'est pas appris ce que tu dis là? tu t'appuies sur l'au-
né d'une femme. Or, il a pu, selon vous, toritéde Manès, et tu prétends qu'il y a erreur
naître sans la participation d'un homme : dans l'Evangile. Pour moi je ne croirais point
pourquoi donc n'aurait-il pas pu mourir sans à Manès disant cela, quand même il ne loue-
avoir été enfanté ? rait pas le Christ de m'avoir menti. Il ne
nous dit pas ce qu'il a trouvé dans le Christ ;
il nous donne simplement sa propre pensée.
LIVRE VINGT-HUITIÈME.
Fanste nie qu'un Dieu ait pu — Le Christ pu mourir sans
naître. a être né. — Augustin prouve que saint Matthieu est plus
digue de foi que Manès. — Les deux pères de Joseph. — Sur Jésus il faut croire à ses disciples. — 11 n'y a pas de raison de
rejeter l'Ecriture.

CHAPITRE PREMIER. Matthieu. Et, à ce livre, quel livre m'oppo-


seras-tu? Peut-être un livre de Manès, où l'on
LE CHRIST A PD ÊTRE DIEU ET NAÎTRE, IL A DONC
nie que Jésus soit né d'une vierge. De même
PU MOURIR SAAS ÊTRE NÉ.
donc que je crois que ce
de Manès, livre est

Fauste- ne pouvait pas mourir, à


Mais il parce qu'il a été conservé et transmis, depuis
moins d'être né. — Et moi je
réponds II ne : le temps où Manès vivait, jusqu'au moment

pouvait pas naître, à moins de ne pas être présent, par ses disciples et la succession cer-
Dieu. Que s'il a pu être Dieu et naître, pour- taine de vos chefs; crois donc aussi que cet
quoi n'a-t-il pas pu ne pas naître et mourir? autre livre est de Matthieu, puisque l'Eglise
Tu vois donc que, quand il s'agit de Jésus, il l'a maintenu jusqu'à nos jours, depuis le

n'y a pas de profit à être logique ou à s'ap- temps où Matthieu vivait en personne, et cela
puyer sur des arguments. Il faut plutôt s'en à travers la suite des siècles et par une suc-
référer à ce qu'il a dit de lui-même et à ce cession non interrompue. Et dis-moi un peu
qu'en ont dit ses Apôtres. Par conséquent il auquel nous devons plutôt ajouter foi ou au :

faut étudier sa généalogie, et voir si elle est livre d'un Apôtre qui a suivi le Christ pen-

d'accord avec elle-même, et non chercher dans dant qu'il était encore sur la terre, ou à celui
sa passion une preuve de sa naissance : car il de je ne sais quel Persan qui est né si long-
a pu né et ne pas
souffrir sans être né, et être temps après ? Mais, peut-être, nous montreras-
souffrir, surtout quand, de votre aveu, rien tu un autre livre, qui porte le nom de quelque
n'est impossible à Dieu ce qui deviendrait : apôtre certainement choisi par le Christ et où
faux, s'il était démontré qu'il n'a pas pu mou- tu liras que le Christ n'est pas né de Marie.
rir sans être né. Mais comme il faudrait nécessairement que
l'un de ces deux livres fût menteur, auquel
CHAPITRE II.
penses-tu que nous devions donner la préfé-
A QUI CROIRE, DE SAINT MATTHIEU OU DE MANÈS ?
rence ? Est-ce à celui que l'Eglise, fondée par
Augustin.Tu ne cesses de te poser des ques- le Christ lui-même, propagée par les Apôtres

tions que ne t'adressent point ceux qui te réfu- et par leurs successeurs, jusqu'aujourd'hui,
tent. Personne ne te dit que le Christ ne pou- répandue dans le monde entier, approuve et
vait mourir sans être né, puisqu'Adam est reconnaît comme donné dès le commence-
mort quoiqu'il ne fût point né. On te dit sim- ment et conservé ; ou à celui que cette même
plement Le Christ est né puisque cela est dit,
: Eglise ne connaît point et réprouve, quand il

non par un hérétique quelconque, mais par lui est présenté par des hommes tellement
le saint Evangile ; il est mort, puisqu'on le lit, amis de la vérité, qu'ils louent le Christ
non dans un livre hérétique quelconque, mais d'avoir menti ?
dans le saint Evangile mais toi qui défends ;
CHAPITRE m.
d'argumenter quand il s'agit de Jésus, qui veux
qu'on s'en rapporte à ce qu'il a dit de lui- LES DEUX PÈRES DE JOSEPH.
même, à ce qu'en ont prêché les Apôtres si : Ici nous dire Examinons la généalo-
tu vas :

je cite les premières lignes de son apôtre Mat- gie dans deux livres de l'Evangile, et voyons
thieu,où sa naissance est racontée, tu t'écries si elle est- d'accord avec elle-même. Nous

aussitôtque ce récit n'est pas de Matthieu, avons déjà exposé dans une autre partie de
bien que l'Eglise universelle, perpétuée des cet ouvrage ce qu'il y a à dire là-dessus. Tout
'

Apôtres jusqu'aux évèques d'aujourd'hui par ce qui vous intrigue, c'est que Joseph a eu
une succession certaine, afûrme qu'il est de * Voir lir. III, ch. ra.
384 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

deux pères. Quand même la pensée d'un père personnage venu de Perse, par un chemin
selon la nature et d'un père par adoption ne oblique, plus de deux cents ans après, et cher-
se serait pas présentée à votre esprit, vous chant à persuader que c'est lui qu'il faut
n'auriez pas dû vous prononcer si facilement croire de préférence sur les paroles et les
et si mal à propos contre une si grande auto- actions du Christ : quand l'apôtre Paul lui-

rité. Mais puisqu'on vous a fait sentir qu'il même, appelé par une voix du ciel après
n'y a là aucune difficulté, croyez simplement l'ascension du Seigneur n'eût obtenu ' ,

à l'Evangile, et cessez plutôt vous-mêmes d'ar- aucune créance dans l'hglise, s'il n'avait pas
gumenter avec tant de malice et de perversité. trouvé les Apôtres en personne, pour commu-
niquer avec eux, conférer sur l'Evangile, et
CHAPITRE IV. prendre rang dans leur société? Mais assurée
qu'il prêchait ce que prêchaient les Apôtres,
POUR CE yCI REGARDE JÉSUS, IL FAUT CROIRE A
qu'il vivait dans leur communion et dans leur
SES DISCIPLES PLUTÔT QU'A MANÈS.
société ,
qu'il faisait les mêmes miracles
Quant à ce que dit Fauste qu'il faut cher- qu'eux, qu'il était d'ailleurs recommandé par
cher ce que Jésus a dit de lui-même, qui ne le Seigneur, elle lui accorda une autorité telle

le trouvera juste ?Mais peut-on le savoir au- qu'elle écoute aujourd'hui ses paroles, comme
trement que par le récit même de ses disci- si le Christ parlait par sa voix, ainsi que Paul
ples? Et si on ne les croit pas quand ils pro- le ditlui-même avec beaucoup de vérité '. Et
clament que Jésus est né d'une vierge, com- Manès s'imagine que l'Eglise du Christ doit le
ment les croira-t-on quand ils exposeront ce croire quand il parle contre les Ecritures éta-
qu'il a dit de lui? Car si on nous produit blies sur une autorité si grande, si régulière,

quelques écrits comme étant du Cbrist même, surtout après la recommandation qui y est si
sans aucun témoignage à l'appui, je deman- formellement faite, de regarder comme ana-
derai comment il a pu se faire, si cela est, thème quiconque lui prêche un autre Evan-
que ces écrits n'aient point été lus, point accep- gile que celui qu'elle a reçu ' I

tés, point regardés comme la plus haute des


autorités dans l'Eglise même du Christ CHAPITRE V.
,

laquelle, à partir de lui, par les Apôtres et la A QUOI SE RÉDUIT L'ARGUMENTATION DE FAUSTE.
succession des évêques , s'est propagée et IL n'y a aucune raison de REJETER LES ÉCRI-
étendue jusqu'à ces temps; quand elle a vu TURES.
s'accomplir en elle bien des choses prédites
autrefois et quelle doit voir sans aucun doute Mais je donne, dit notre adversaire, une rai-
la réalisation de ce qui est encore annoncé son qui prouve qu'il ne faut point croire à ces
pour l'avenir? C'est que si de tels écrits Ecritures. Et tu n'argumentes pas? Néanmoins
étaient produits, il faudrait examiner par qui. tu es battu, même dans ton argumentation.
S'ilsprovenaient du Christ lui-même, ils au- Car elle se réduit toute à dire qu'en dernier
raient sans doute pu tout d'abord être com- résumé l'âme doit croire qu'elle est misérable
muniqués à ceux qui étaient attachés à sa en ce monde, parce que sa misère vient en
personne, et, par leur moyen, parvenir à aide à sou Dieu, et l'empêche de perdre son
d'autres. Or, si cela était arrivé, ils auraient royaume que la substance de ce Dieu est tel-
;

joui d'une incontestable autoiité à travers lement sujette au changement, à la corru-


toute la succession de chefs et de peuples dont ption, au dommage et à la souillure, qu'une

je viens de parler. Quel est donc l'homme partie d'elle-même ne saurait être puriflée, et

assez insensé pour croire à une lettre du Christ que, bien que ce Dieu la sache sortie inno-
l)roduite par Manès, ne pas croire aux
et cente de ses propres entrailles, exempte de
actions et aux paroles du Christ écrites par tout péché, il la mêle à une fange horrible et

Matthieu? Ou, s'il doute que Matthieu lui- lapunit du supplice éternel du globe. Voilà
même les ait écrites, pour ne pas croire de où aboutissent tous vos arguments et toutes
Matthieu ce qu'il en trouve admis dans l'Eglise vos fables. Et jilùt à Dieu que leur dernier
qui s'est manifestée, dès le temps de Matthieu terme fût là, et non dans votre cœur et sur vos
jusqu'à nos jours, par une série de successions lèvres, et que vous cessassiez enflu de penser
non interrompues ; et croire à je ne sais quel '
Act. ix. — H Cor. iiii, 3. — Gai.
' '
8, 9. i,
LIVRE XXVIII. — L'ÉVANGILE ET MAXÈS. 385

et de proférer de si exécrables blasphèmes I damnation de Dieu. — Nulle part, dis-tu, on


Mais, dit Fauste, c'est par ces Écritures mêmes ne croit à des écrits qui se contredisent eux-
que je prouve qu'il ne faut point les croire, mêmes. — Voilà ce que tu te flgures, parce
parce qu'elles se contredisent elles-mêmes. que tu ne comprends pas on te l'a démontré
;

Pourquoi ne pas plutôt dire ne faut y


qu'il pour tout ce que tu as dit jusqu'ici; on te le
croire nulle part, pas plus qu'à des témoins démontrera pour tout ce que tu pourras dire
qui varient et se combattent eux-mêmes? encore. Nous n'avons donc aucune raison de
Mais, reprend-il, j'y choisis ce que j'y vois de ne pas croire à ces Ecritures, revêtues d'une
conforme à la vérité. A quelle vérité ? Dis si grande autorité et c'est évidemment la
;

donc à ton chimérique système, dont le com- principale raison pour laquelle nous ana-
mencement est la guerre contre Dieu le mi- ; thématisons ceux qui nous prêchent autre
lieu, la souillure de Dieu la fln, la cou-
; chose.

S. AuG. — Tome XIV.


LIVRE VINGT-NEUVIEME.
La naissance du Oirisl n'a été qu'apparente et un effet de magie, selon Fanste. —
Réfutation de cette erreur. — Accord impos-
silile proposé par Fauste. —
Il n'y a rien d'impnr dans le corps des saints, surtout dans celui de Marie. — Le né
Clirist est

comme il l'a voulu.

CHAPITRE PREMIER. puisque cela est arrivé pour Adam, comme


nous l'avons déjà dit mais quand
plus haut ;
fauste objecte qie la naissance du christ
même cela n'aurait jamais eu lieu, si le Christ
n'a Été qu'apparente et effet de magie.
Notre-Seigneur eût jugé à propos de venir
Fanste. S'il a été vu et s'il a souffert sans sur la terre de manière à paraître revêtu d'une
être né, c'étaitdonc magie. On te rétorque — vraie chair, quoique non prise dans le sein
l'argument a été dans le sein d'une
: S'il d'une vierge, et à nous racheter par une mort
femme et qu'il ait été mis au monde, sans réelle, qui donc oserait dire qu'il ne l'aurait
avoir un homme pour père, c'était donc ma- pas pu ? Mais il était meilleur de faire ce qu'il
gie. Il est certain qu'il est en dehors des lois a fait, de naître d'une vierge, et, en naissant
de la nature qu'une vierge enfante, et bien homme d'une femme, de relever ainsi les deux
plus encore qu'elle reste vierge après avoir sexes qu'il devait délivrer par sa mort ; vous
enfanté. Pourquoi donc ne veux-tu pas que, condamnant, vous surtout, par ce seul fait,
en dehors des lois de la nature, il ait pu souf- renversant par la base votre doctrine qui
frir volontairement sans être né ? Crois- enseigne que le sexe masculin et le sexe fé-
moi au fond, nous admettons, les uns et les
: minin ne sont pas l'œuvre de Dieu, mais du
autres, des faits contraires à la nature ; avec démon. Ce qui ressemble à la magie, c'est ce
cette différence que les nôtres sont honnêtes, que vous affirmez : que la passion et la mort
et les vôtres honteux que nous trouvons une
;
(lu Christ n'ont existé qu'en apparence, qu'il
raison à la passion du Christ, et une raison là, que mensonge et chimère, qu'il a
n'y a eu,
probable tandis que vous n'en présentez
, paru mourir et n'est point mort. D'où il suit
qu'une fausse ou même aucune, pour sa
, que vous déclarez aussi sa résurrection ap-
naissance enfin que nous professons qu'il n'a
; parente imaginaire trompeuse
,
car après
, : ,

souffert qu'en apparence et qu'il n'est point tout, celui qui n'est pas vraiment mort ne peut
vraiment mort, tandis que vous tenez pour ressusciter réellement. D'où il suit encore
certain qu'il a été enfanté et porté dans le sein montré à ses disciples hésitants que de
qu'il n'a
d'une femme. Si cela n'est pas, convenez donc fausses cicatrices que Thomas n'était point
;

aussi que, là, tout a été imaginaire, qu'il n'est affermi dans la vérité, mais trompé par une
né qu'en apparence, et il n'y aura plus de dé- supercherie, quand il s'écriait « Mon Sei- :

bat entre nous. Car ce que vous répétez sans « gneur et mon Dieu » et néanmoins vous
'
;

cesse, qu'il a nécessairement dû naître, puis- cherchez à faire croire que votre langue est
qu'autrement il n'aurait pu être vu ni parler l'organe de la vérité, tout en affirmant que le
avec les hommes , est une chose ridicule, Christ a menti de tout sou corps. Voilà ce
quand il est constant, comme les nôtres l'ont qu'on vous objecte, à vous qui vous forgez un
démontré, que bien des fois les anges se sont Christ dont vous ne pouvez être les vrais dis-
montrés aux hommes et se sont entretenus ciples, à moins d'être aussi des menteurs. Il n'y
avec eux. a point du tout de magie à ce qu'une chair
CHAPITRE II. d'homme soit sortie du sein d'une vierge,
parce que celle du Christ est la seule qui ait
IL n'y a point eu de magie dans la vie, ni
été ainsi formée pas plus qu'il n'y en a à ce
;
DANS LA MORT , NI DANS LES MIRACLES DU
que la chair du Christ soit seule rcssuscitée le
CllKlSl.
troisième jour, pour ne jikis jamais mourir,
Auguslin. On ne vous dit point qu'il y ait Aulrement, tous les miracles de Dieu auraient
magie à ce qu'un homme meure sans être né, ' Jean, XX, 28.
LIVRE XXIX. — KÉALITÉ DE LA NAISSANCE DU CHRIST. 387

été de la magie, puisqu'ils sont uniques ; mais même été simulée comme sa mort, mais ab-
ils ont été vrais, réellement opérés ils ont ; solument fausse.
servi à prouver la vérité, et non à tromper les
regards des hommes par de vains prestiges CHAPITRE IV.
;

et sion dit ordinairement qu'ils sont contre LES MEMBRES DU CORPS. PURETÉ DE LA VIERGE.
nature, ce n'est point parce qu'ils lui sont LE CHRIST AURAIT PU NAÎTRE AUTREMENT ET NE
contraires, mais parce qu'ils sontau-dessus de
l'a PAS VOULU.
son cours ordinaire. Que le Seigneur écarte
donc de l'esprit de ses enfants, l'idée que Fauste A Dieu ne plaise qu'il y ait rien de hon-
cherche à leur insinuer par forme d'avis à : teux dans le corps des saints, même dans les
savoir que nous ne reconnaissionsdans le Christ parties sexuelles I II est vrai qu'on les appelle
qu'une naissance imaginaire et non réelle, et déshonnêtes, parce qu'elles n'ont pas le même
que nous mettions, par là, fin au débat. Non, degré de beauté que les autres parties qui
non ;
luttons contre nos adversaires pour les sont en évidence '. Mais voyez ce qu'en dit
droits de la vérité, plutôt que de tomber d'ac- l'Apôtre, quand il présente à l'Eglise le type
cord avec eux pour le mensonge. de la charité dans une comparaison prise de
l'assemblage et de l'unité des membres de
CHAPITRE III.
notre corps. « Mais au contraire », dit-il, aies

SUR l'accord proposé par fauste. « membres du corps qui paraissent les plus
«faibles, sont les plus nécessaires; et les
Toutefois je leur pose une question : Si une « membres du corps que nous regardons
seule parole de notre part terminait le dé- « comme plus vils, nous les revêtons avec plus
bat, pourquoi eux-mêmes ne la prononcent- «de soin; ceux qui sont honteux, nous les
et
ils ? Pourquoi affirment-ils que la mort
pas « traitons avec plus de respect
nos parties ;

du Christ n'a pas été réelle, mais imaginaire, « honnêtes n'en ont pas besoin mais Dieu a ;

et, d'un autre côté, lui refusent-ils une nais- « réglé le corps de manière à accorder plus
sance, même imaginaire ? S'ils ont eu peur « d'honneur à celle qui n'en avait pas en
d'être écrasés sous le poids de l'autorité « elle-même, afin qu'il n'y ait point de scis-
évangélique, et que, pour cela, ils n'aient pas « sion dans le corps ^ ». Ainsi l'usage illicite,

osé nier que le Christ ait soulTert, au moins désordonné, de ces membres, est honteux;
en apparence est-ce que la même autorité
, mais non ces membres eux-mêmes qui ne ,

n'atteste pas aussi sa naissance ? S'il n'y a que restent seulement parfaitement purs chez
i)as

deux évangélistes qui aient raconté l'enfante- les célibataires et les vierges, mais chez les
ment de Marie ', au moins aucun d'eux n'a saints patriarches eux-mêmes , hommes et
manqué de dire que Jésus avait une mère -. femmes, qui n'en usaient que selon les vues
Aurait-on dédaigné d'accorder au Christ une de la Providence, en sorte que le penchant de
naissance même simulée, parce que Matthieu la nature n'avait rien de coupable, puisqu'il
mentionne certaines générations et Luc ,
était guidé par la raison, et non inspiré par le
d'autres, en sorte qu'ils semblent n'être pas libertinage. A combien plus
donc forte raison
d'accord ? Mais donne-moi un homme sans ces membres eu de honteux
n'ont-ils rien
intelligence, il trouvera aussi que les évangé- dans la sainte Vierge Marie, qui a conçu la
listes ne s'accordent pas sur les circons- chair du Christ par la foi puisqu'ils n'ont ,

tances de la passion du Christ; donne-moi un pas même instruments d'un acte hu-
été les
homme qui sache comprendre, et l'accord main et permis, mais d'un enfantement tout
des évangélistes sera parfait. Serait-ce qu'une divin ? Vierge tellement honorée que sans ,

mort simulée honnête et une naissance


est perdre sa parfaite intégrité, nous a donné elle
simulée honteuse ? Pourquoi Fauste nous in- corporellement le Christ, pour que nous pus-
vite-t-il à faire l'aveu qui mettrait fin au dé- sions le concevoir par la foi en des cœurs
bat ? Nous allons prouver, en répondant à purs, et l'enfanter, en quelque sorte, en le
l'autre question, que Fauste a eu intention confessant de bouche. Car le Christ n'a rien
de déclarer que la naissance du Christ n'a pas ôté à sa mère en naissant en lui faisant don;

• Mali. I, 25 — de la fécondité, il ne lui a point enlevé la fleur


Lac,
; ii, 7. * Malt, ii, 11 ; Marc, m, :i2
; Luc, ii,

33; Jeao, n, 1. ' liétract., liv. II, ch. ra, n. 3. — I Cor. xn, 22-25.
388 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

de sa virginité. Tout cela s'est fait en toute Comme si nous prétendions que le Christ
vérité et non par tromperie mais cela est
: n'aurait pu ni être vu, ni parler, ne fût pas
s'il

nouveau, cela est insolite, cela est contraire né d'une femme Il ! l'aurait pu, mais il ne l'a
au cours ordinaire de la nature, parce que pas voulu; et cela est mieux, puisqu'il l'a
cela est grand, parce que cela est merveilleux, voulu. Et il est certain qu'il l'a voulu, parce
parce que cela est divin, et conséquemment, qu'il l'a fait, lui qui agit toujours librement,
d'autant plus vrai, d'autant plus certain, d'au- et non par nécessité, comme votre dieu. Et
tant plus indubitable. nous ne doutons nullement qu'il l'ait fait,
Les anges aussi, nous dit-on, ont été vus, parce que nous croyons à l'Evangile et non
ont parlé ,
quoiqu'ils ne fussent pas nés. au premier hérétique venu.
LIVRE TRENTIEME.
Nouvelles altaqnes de Fanste sur l'abstinence , le mariage , la virginité. — Augustin répond sur ces divers points,
et justifie la doctrine évangélique.

CHAPITRE PREMIER. ras préalablement Moïse et les Prophètes en :

sorte que tu te décides à faire par gourman-


c'est par moïse et par les prophètes qu'a été
dise ce que tu n'aurais peut-être jamais fait
introduite la doctrine des démons, selon
par conviction de raison et par amour pour
FAUSTE.
la vérité à blasphémer Moïse.
:

Fatiste. C'est de vous que Paul a écrit de-


puis longtemps « : Quelques-uns abandonne- CHAPITRE H.

« ront la foi s'attachant à des esprits d'er-


,
OBJECTION TIRÉE DE DANIEL ET DES TROIS ENFANTS.
« reur, à des doctrines de démons, parlant le

« mensonge avec ayant la cons-


hypocrisie, y a d'ailleurs un passage de Daniel, rela-
Il

a cience défendant le mariage ,


cautérisée, tifaux trois enfants, qui doit absolument vous
a ordonnant de s'abstenir des aliments que confondre, s'il est prouvé que s'abstenir de
a Dieu a créés pour être reçus avec actions de certains aliments soit une superstition diaboli-
a grâces par les fidèles ' ». — Je ne t'accorde- que. On
en lit effet que ces trois enfants, que
rai jamais que Paul ait dit cela, à moins que lu vous admirez fort et que vous comptez au

ne conviennes d'abord que c'est à Moïse et aux nombre des martyrs, s'abstinrent non-seule-
Prophètes qu'on doit l'introduction de la doc- ment des aliments interdits par la loi, mais
trine des démons, qu'ils ont été les interprè- de ceux mêmes qu'elle permettait '. Et cepen-
tes de l'esprit séducteur et méchant eux qui : dant, si le texte de l'Apôtre est authentique,
défendent rigoureusement l'usage de la viande ils suivaient en cela l'enseignement des dé-
de porc et d'autres encore qu'ils qualifient ,
mons. Bien plus, Daniel lui-même atteste, que,
d'immondes. Vous avez donc, en premier lieu, pendant trois semaines de jours, il jeûna, ne
à délibérer, à peser longtemps et mûrement, mangea pas de chair, ne but pas de vin, tout
comment tout ceci doit s'entendre, si c'est au occupé à prier pour son peuple '. Comment
nom de Dieu, ou au nom du démon qu'ils donc en vient-il, lui aussi, à se glorifier de la
ont parlé? Jusque-là ou Moïse et les Prophè- doctrine des démons et à tirer vanité des folles
tes seront condamnés avec nous, ou nous se- inspirations de l'esprit séducteur?
rons absous avec eux. Car, pour le moment,
vous n'êtes pas justes de nous faire passer CHAPITRE ni.

pour des partisans de la doctrine des démons, SI l'abstinence de certains ALIMENTS EST UNE
nous qui n'interdisons qu'aux prêtres l'usage DOCTRINE PERVERSE LES CATHOLIQUES S'eN
,
de la viande, tandis que vos Prophètes, et RENDENT COUPABLES.
Moïse lui-même qui le premier a défendu,
non-seulement aux prêtres, mais à tout le Mais que dirai-je de vous, c'est-à-dire des
peuple sans distinction, la chair de porc, de plus chrétiens d'entre vous, dont quelques-uns
lièvre de hérisson, la sèche le calmar et
, , s'abstiennent tout à fait non-seulement de ,

toutes les espèces de poissons privés d'écaillés-, porc, mais de tout quadrupède, voire même de
passent à vos yeux pour avoir parlé, en cela, toute espèce d'animal, et sont pour cela
non d'après l'esprit séducteur, non d'après même proposés comme modèles par toute
l'enseignement des démons , mais bien par l'Eglise qui ne les voit qu'avec la plus grande
l'inspiration de Dieu et de l'Espril-Saint. vénération et ne leur refuse que le nom de
Ainsi, tout en admettant par pure concession Dieu? Et vous ne voyez pas, indociles que
que Paul a dit cela, je ne me tiendrai cepen- vous êtes, que si le témoignage de l'Apôtre est
dant pour battu qu'autant que tu condamne- vrai et authentique, ces hommes sont le Jouet
' I Tim. IV, 1-3. — ' Levit. xi. ' Dan. 1. \2. — ' Id. x, 2, 3.
390 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

des doctrines des démons Et que dirons-nous


! sance à une loi divine, que vous vous abstenez
de cette pratique dont personne n'oserait se de vin de viande pendant le Carême faites
et :

dispenser sans raison, puisqu'elle est admise attention, je vous prie, prenez bien garde que
par tous, et qu'elle est observée chaque année ce ne soit chez Paul un acte de la plus insigne

avec l'exactitude la plus rigoureuse chez tous folie de regarder comme une doctrine de dé-

les catholiques dans le monde entier ? Je parle mons toute espèce d'abstinence d'aliments et
du Carême. Quiconque d'entre vous veut l'ob- la défense du mariage. J'en dis autant de la

server selon les règles, est obligé de s'abstenir consécration des vierges au Christ, qui serait
de tout ce que le texte de l'Apôtre nous donne aussi, selon lui, une doctrine de dénions. Et
comme créé de Dieu pour être reçu par nous : vous, lisant cela, comme tant d'autres choses,
abstinence que le même Apôtre appelle doc- sans réflexion, vous jetez vite les yeux sur
trine de démons. Eh bien ! mes très-chers, nous ; et vous ne voyez pas que vos vierges
qu'en pensez-vous ? En célébrant ainsi les sont prises dans les des démons, que
filets

mystères de la passion du Christ, vous vivez vous êtes les démons, vous qui
prêtres des
donc selon la doctrine des démons, vous tom- excitez à l'envi ces vierges à embrasser cette

bez dans les pièges de l'esprit séducteur, vous profession, à tel point qu'on en compte pres-
parlez le mensonge avec hypocrisie, vous avez qu'autant que de femmes mariées dans toutes
la conscience cautérisée? Mais si aucun de vos Eglises ? Pourquoi ne sortez-vous pas,
ces reproches ne tombent sur vous, ils ne vous aussi, de la voie où vous êtes entrés?
tombent pas davantage sur nous. Que signifie Pourquoi tromper les malheureuses filles des
donc ce texte ? Par qui et contre [qui devons- hommes, si ce n'est pas la volonté du Christ,
nous le croire écrit, puisqu'il n'est conforme mais celle des démons qui s'accomplit en ,

ni aux traditions de l'Ancien Testament, ni elles ? Je voudrais que vous répondissiez

aux prescriptions du Nouveau? En effet, le d'abord à cette question La doctrine des dé- :

Nouveau Testament veut que l'on s'abstienne mons consisle-t-elle à faire des vierges, ou
de toute espèce d'aliments, comme votre pro- simplement à défendre le mariage ? Dans ce
pre exemple le prouve l'Ancien ne l'exigeait
;
dernier cas, cela ne nous regarde pas car, :

que pour quelques-uns, mais l'exigeait pour- pour nous, celui qui défend le mariage, est
tant; néanmoins, d'après vous, cette abstinence aussi insensé que celui qui l'impose par force

de presque toute espèce de chair est une |doc- est impie et criminel. Mais si favoriser le ma-

trine de démons. Si c'est là votre foi, je vous riage, ne pas s'opposer à celui qui veut l'em-

le répète encore, condamnez Moïse, renoncez brasser, est encore, selon vous, une doctrine
aux Prophètes, mais prononcez contre vous le de démons, je me tais sur le danger que
même arrêt : car s'ils prescrivaient l'absti- vous courez, mais je crains fort que l'Apôtre
nence de quelques aliments , vous étendez ,
lui-même n'ait introduit à Iconium une doc-
vous, cette abstinence à tous les aliments. trine de démons, quand il s'efforçait d'inspi-
rer à Thècle, déjà fiancée, le désir de la vir-
CHAPITRE IV. ginité perpétuelle. Mais que dirons-nous du
Maître, de l'auteur de toute sainteté, Jésus,
OBJECTION DE FAUSTE SUR LA VIRGINITÉ ET LE MA-
l'Epoux-Vierge de toutes les vierges de pro-
RIAGE.
fession, lequel, distinguant dans l'Evangile

Que si Moïse et les Prophètes vous parais- trois espèces d'eunuques, ceux qui sont nés
sent les interprètes de Dieu, et non des dé- tels,ceux que l'on a faits tels, et ceux qui se
mons, quand ils établissent des distinctions sont eux-mêmes rendus tels, donne cependant
entre les aliments; si c'est par l'inspiration la préférence à ceux « qui », dit-il, « se sont

de l'Esprit-Saint que Daniel jeûna trois se- « eux-mêmes rendus eunuques à cause du
maines si les trois jeunes hébreux, Ananias,
;
« royaume des cieux » indiquant par là les
'
:

Azarias et Mizaël, cédaient à un mouvement vierges et les jeunes gens, qui, ayant arraché
d'en haut quand ils donnaient la préférence de leur cœur le désir du mariage, jouent dans
aux herbes et aux légumes si enfin tous ceux ;
son Eglise le rôle des eunuques qu'on voit
d'entre vous qui pratiquent l'abstinence ne dans les palais ? Quoi ! cela vous semble-t-il
cèdent pas à l'impulsion des démons; si ce aussi une doctrine de démons, une inspira-
n'est point par superstition, mais par obéis- ' Matt. .\ui;, 12.
LIVRE XXX. - DOCTRINE ÉV ANGÉLIQUE. 391

lion de l'esprit séducteur ? Mais qui donc vous CHAPITRE V.


parlera au nom de Dieu, s'il est démontré que
DIFFÉRENCE ENTRE l'aBST1>E>XE DES CATHOLIQUES
Paul et le Christ sont des prêtres des démons'
ET CELLE DES MANICHÉENS.
Je passe sous silence les autres apôtres du
même Seigneur, Pierre et André, Tliomas et Augustin. Apprends donc dans quelle pensée
Jean, Jean proclamé heureux entre tous pour ou dans quel but nous vous objectons ce cha-
n'avoir point connu les atteintes de Vénus ; pitre, puisque tu avoues que lu ne le vois pas.
lesquels, d'une manière ou de l'autre, ont Ce n'est pas parce que vous vous abstenez de
exalté et préconisé au nom de Dieu la profes- chairs car, : comme lu le dis, nos pères s'en sont
sion de la virginité parmi les jeunes filles et aussi abstenus, de quelques-unes au moins,
lesjeunes hommes, nous laissant, ainsi qu'à non pour les condamner, mais dans un but
vous, le modèle pour former des vierges. En- figuratif que vous ne comprenez pas, ce qui
core une fois, je n'en parle pas, puisque vous m'a obligé h traiter ce point avec l'étendue
les avez exclus de votre canon et qu'il n'en que j'ai jugée nécessaire, dans les premières
coûte guère à vos esprits sacrilèges de leur parties de cet ouvrage. Les chrétiens (catholi-
prêter des doctrines de démons. Mais en di- ques, et non hérétiques) s'abstiennent aussi,
rez-vous donc autant du Christ et de l'apôtre non-seulement de chairs, mais encore de cer-
Paul qui (c'est une chose constante) a toujours tains fruits de la terre, non parce qu'ils les
préféré les vierges aux femmes mariées, et croient immondes, mais pour mortifier leur
l'a prouvé de fait à l'occasion de la très- corps, et mieux humilier leur âme dans la
sainte Thècle ? Et si ce n'est pas une doctrine prière. Les uns (c'est le petit nombre) s'en
de démons que Paul enseigne à Thècle et abstiennent toujours seulement à
; les autres
que prêchent les autres Apôtres, qui pourra certains jours et en certains temps,comme en
croire que Paul ait enseigné qu'engager à Carême, par exemple, que presque tous obser-
garder la virginité était entrer dans l'inten- vent plus ou moins, suivant la mesure de leur
tion et dans la doctrine des démons ? En volonté ou de leur force. Mais vous, vous pré-
attendant, vous n'avez pas de raison de pen- tendez que la créature n'est pas bonne, vous
ser que ce sont seulement les exhortations la déclarez immonde, sous prétexte que c'est
qui font les vierges, et non la défense du ma- le démon qui forme les chairs avec le résidu
riage. Ce dernier point est comme naturalisé le plus grossier de la matière du mal et pour ;

chez nous ne serait pas seulement folie,


: et ce cela, vous les rejetez avec horreur comme les
mais délire, de penser qu'on peut empêcher liens les jilus terribles et les plus immondes
par un règlement particulier ce qui est per- de votre dieu. Néanmoins, par condescen-
mis par la loi publique je parle du mariage.
: dance, vous en permettez l'usage à vos audi-
C'est pourquoi nous exhortons les femmes qui teurs, que vous avez soin de distinguer de la
en ont l'intention à y persévérer mais nous ; race des prêtres; comme l'Apôtre, aussi par
ne forçons point celles qui s'y refusent. Car condescendance, permet à certains fidèles, non
nous savons tout ce que la volonté, tout ce pas tout acte conjugal, même celui qui a pour
que la nature elle-même a de force contre la but la génération, mais celui qui se fait par
loi publique, h plus forte raison contre une incontinence, pourvu que ce soitentreépoux '.

loi particulière à laquelle on peut toujours ré- Car on ne permet rien par condescendance,
pondre Je ne veux pas. Si donc il est permis
;
si ce n'est le péché. Voilà ce que vous pensez
de faire ainsi des vierges, nous sommes, nous de l'usage de toute espèce de chair, ce que
aussi, irréprochables ; si, au contraire, c'est vous a appris votre hérésie, ce que vous en-
un crime d'en faire par quelque procédé que seignez à vos auditeurs mais tout en accor- ;

ce soit, vous êtes vous-mêmes criminels. En dant, comme je l'ai déjà dit, qu'il faut avoir
tout cas, je ne vois pas dans quelle pensée de condescendance pour ceux-ci
la parce ,

ou dans quel but, vous nous objectez ce cha- qu'ils vous fournissent le nécessaire, vous ne
pitre. dites pas qu'ils ne pèchent pas seulement vous ;

leur pardonnez leur péché. Quanta vous, vous


vous tenez en garde là-dessus comme contre
une contagion mauvaise immonde ; et voilà .

' I Cor. vu, 3, 6.


.

392 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

pourquoi nous vous appliquons ce texte de celui qui seul est honnête et vraiment conju-
l'Apôtre, à cause des paroles qui suivent celles gal, celui qui est inscrit dans les tables matri-
par lesquelles tu as terminé la citation de ce moniales, et a pour but de donner des enfants :

chapitre. Et tu le savais bien, je pense ; tu as c'est donc moins la passion de la chair que le
d'abord passé ces paroles sous silence, pour mariage légitime que vous défendez. Car, on
nous dire en concluant: « Je ne vois pas dans peut s'unir pour satisfaire la passion mais on ;

a ou dans quel but vous nous


quelle pensée se marie pour avoir des enfants. Et ne dites
objectez ce chapitre » aimant mieux ne pas ; pas que si vous n'interdisez pas le mariage,
dire ce but que de l'exprimer. En eiîet, après c'est par tolérance et pour sauver les bons
avoir dit « Ordonnant de s'abstenir des ali-
: rapports avec vos nombreux auditeurs qui ne
a nients que Dieu a créés pour être reçus avec voudraient pas ou ne pourraient pas vous
« actions de grâces par les fldèles ù, l'Apôtre obéir. Car, d'une part, l'interdiction du ma-
ajoute « Et par ceux qui ont connu la vérité ;
: riage fait partie de votre enseignement erroné,
« car toute créature de Dieu est bonne, et on et, de l'autre, votre tolérance n'est qu'une

« ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec concession faite aux besoins de la société. Et
« actions de grâces, parce qu'il est sanctifié voilà la raison que j'avais différéde vous dire,
« par la parole de Dieu et par la prière '
» pour laquelle vous jugez à propos d'admettre
Voilà ce que vous niez voilà l'esprit, l'inten- ; la mort du Christ, même fausse, même simu-
tion, la croyance dans lesquels vous vous lée, et point du tout sa naissance. En effet,
abstenez de ces sortes d'aliments vous les : vous proclamez, vous exaltez la mort comme
regardez comme mauvais, comme immondes, séparation de l'âme, c'est-à-dire de la nature
non par signification, mais par nature. En de votre dieu, du corps de ses ennemis, autre-
quoi vous blasphémez évidemment celui qui ment, de l'ouvrage du démon et par consé- ;

les a créés et voilà ce qui appartient à la


; quent vous trouvez bien que le Christ l'ait
doctrine des démons. Ne vous étonnez donc consacrée par son exemple, non en mourant,
pas que l'Esprit-Saint ait prédit cela de vous mais en feignant de mourir. Mais comme, selon
si longtemps d'avance. vous, la naissance enchaîne votre dieu, au
lieu de l'affranchir, vous ne voulez pas que le
CHAPITRE Vl.
Christ l'ait subie, même en apparence en ;

sorte que, si Marie se fût livrée à un homme


LE SAINT RÉTABLIT LA VRAIE NOTION SUR LA VIR-
et ne fût pas devenue mère, elle ne vous
GINITÉ ET l'abstinence.
déplairait pas comme elle vous déplaît pour
D'un autre côté, si vous conseilliez la virgi- avoir enfanté en restant vierge. Vous voyez
nité conformément à l'enseignement de l'A- donc quelle distance il y a entre ceux qui
pôtre «Celui qui marie sa fille, fait bien;
: exhortent à la virginité comme à un bien plus
« et celui qui ne la marie [las, fait mieux - » ; grand, par préférence à un moindre, et ceux
en sorte que vous reconnaissiez que le mariage qui défendent le mariage et se déchaînent

est bon, mais que la virginité est meilleure, contre l'acte destiné à la propagation de l'es-

comme le fait l'Eglise qui est la vraie Eglise jièce humaine, levraiment conjugal;
seul
du Christ : si cela était, dis-je, l'Esprit-Saint quelle distance ii y a encore entre ceux qui
ne vous aurait pas ainsi signalés d'avance s'abstiennent des aliments, dans un but reli-
comme « défendant' ». Car celui- le mariage gieux ou pour châtier leur corps, et ceux qui
là défend une chose qui la déclare mauvaise, s'abstiennent des aliuients que Dieu a créés,
et non celui qui, la reconnaissant comme en disant (jue Dieu ne les a pas créés. Par
bonne, lui en préfère une meilleure. Enfin, consé(]uciit, la première doctrine est celle des
vousavez surtout en horreur l'acte du mariage, Prophètes et des Apôtres, et la seconde celle
' I Tim. IV, 3-5. — I Cor. vu, 3S. — ' 1 ïim. iv, 3. des démons menteurs.
LIVRE TRENTE-UNIÈME.
Fausle revient à la charge pour prouver que l'abstinence de certains aliments est un crime. —
Vision de saint Pierre. —
Augustin explique le texte de saint Paul :« Tout est pur pour ceux qui sont purs ». Argument ad hominem adressé aux Manichéens.

CHAPITRE PREMIER. nelles,en s'abstenant rigoureusement de la


nourriture des Gentils et surtout des viandes
MOÏSE ET LES PROPHÈTES n'OM PU VOIR DIEl",
immolées '. Mais maintenant, il est clair que
ÉTANT SOCILLÈS PAR l'ABSTI>"E>CE DE CERTAINS
leur esprit et leur conscience étaient souillés,
ALIMENTS.
notamment pour s'être abstenus de sang et de
Faiiste.Tout est pur pour ceux qui sont
« la chair des vicliines.
a purs mais, pour les impurs et pour ceux
;

« qui sont souillés, rien n'est pur; leur esprit


CHAPITRE II.

«et leur conscience sont souillés ». Il y a — FAUSTE REVIENT A SES OBJECTIONS CONTRE
encore à examiner si vous gagnez à ce que l'abstinence des CATHOLIQUES.
Paul ait dit cela car jusqu'ici il reste établi,
:

non-seulement que Moïse et les Prophètes Mais peut-être l'ignorance les excusait-elle ;

étaient inspirés des démons, pour avoir porté la foi chrétienne n'existant pas encore pour
tant de lois relatives à la distinction des ali- leur apprendre que tout est pur pour ceux
ments, mais encore qu'ils étaient eux-mêmes qui sont purs, ils ont pu croire qu'il existait
immondes, que leur esprit et leur conscience des choses immondes. Mais vous, comment
étaient souillés, au point qu'on peut à bon vous excuser, quand Paul, s'écriant qu'il n'y
droit leur appliquer la suite du texte : « Ils a rien d'impur, qualifiant de doctrine de dé-
o confessent qu'ils connaissent Dieu, et ils le mons l'abstinence des aliments % et appelant
nient par leurs œuvres'». A qui, en effet, ces souillésceux qui croient qu'il y a quelque
paroles peuvent-elles mieux s'appliquer qu'à chose de souillé, non -seulement vous vous
Moïse et aux Prophètes qui ont vécu (c'est abstenez, comme je l'ai dit, mais vous en lirez
chose prouvée) bien autrement qu'il ne con- même gloire et vous croyez d'autant plus
venait à des hommes qui connaissaient Dieu? agréables au Christ que vous portez plus loin
Jusqu'ici, cependant, je ne voyais d'autres souil- cette abstinence, c'est-à-dire que votre esprit
lures dans leur conscience que des adultères, et votre conscience sont plus souillés, à s'en
des fraudes et des homicides ; mais mainte- tenirdu moins au texte de l'Apôtre ? Et si
nant, grâce à ce chapitre, je vois clairement que trois religions se partageant le
j'ajoute
qu'ils ont encore été souillés pour avoir cru monde, à savoir le Judaïsme, le Christianisme
qu'il y a quelque chose de souillé. Sur quel et le Paganisme, et que toutes les trois faisant

fondement pouvez-vous donc vous imaginer consister la purification de l'àme dans la chas-
qu'ils aient été honorés de l'aspect de la Ma- teté et l'abstinence, quoique sous des formes
jesté divine, puisqu'il est écrit que personne très-différentes, il est impossible de savoir de
ne peut voir Dieu que ceux qui ont le cœur laquelle des trois provient ce principe qu'il
pur *7 Mais, eussent-ils été d'ailleurs irrépro- n'y a rien d'impur? Car ce n'est certainement
chables, la pratique superstitieuse de l'absti- pas du Judaïsme, ni du Paganisme, puisqu'il
nence de certains aliments eût suffi, si elle établit aussi des distinctions entre les aliments,
souille l'àme, à les rendre indignes de voir la et qu'il importe peu qu'il soit sur certains ,

divinité. C'en est donc


à tout jamais de la fait animaux, en désaccord avec la loi hébraïque.
gloire de Daniel et des trois enfants de la four- Reste donc la foi chrétienne or, si tu penses :

naise. Jusqu'au moment où l'on a annoncé qu'il n'y a" réellement rien de souillé pour
d'impur, ils passaient chez les
qu'il n'y a rien elle ,tu es tout d'abord forcé de convenir
Juifspour des hommes très-purs et très-ver- qu'il n'y a pas de chrétiens chez vous. Car,
tueux, pour avoir observé les traditions pater- pour ne rien dire du reste, vous regardez tous
' Tit. I, 13, 16. — - Matt. V, 8. DiD. I, 12. — ' 1 Tim. IV, 1, 3.
394 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

comme une grande souillure de toucher à des CHAPITRE IV.


chairs d'animaux étouffés ou sacrifiés aux "

EXPLICATION DU TEXTE DE SAINT PAUL : TOUT


idoles ou si la loi chrétienne vous autorise
'
;
EST PUR ETC. APPLICATION AUX MANICHÉEKS.
à le faire, il faut donc encore chercher en
dehors d'elle le principe qui supprime abso- Augustin. En disant : « Tout est pur pour
lument toute abstinence d'objets immondes. « ceux qui sont purs » , l'Apôtre a voulu
Comment donc Paul a-t-il pu émettre un parler des natures mêmes que Dieu a créées,
principe qui ne convient à aucune religion? suivant le témoignage de Moïse dans la Ge-
En effet, l'Apôlre, en passant du Judaïsme au nèse : « Dieu flt toutes choses , et voilà que
Christianisme a moins changé de religion
, K tout était très-bon '
», et non les significa-
que de rite. Mais l'auteur de ce chapitre me tions symboliques en vue desquelles, par l'en-
semble ne s'être appuyé sur aucun système tremise du même Moïse, il établit une distinc-
religieux. tion entre les animaux inondes et les animaux
CHAPITRE III. immondes -. Comme j'ai déjà traité ce sujet
avec détail en plus d'un lieu, il sufût que
et
OBJECTION TIRÉE DE LA VISION DE PIERRE.
j'en dise un mot en passant. Donc c'étaient
Ainsi donc, quand il vous arrivera, à l'ave- ceux qui, au temps de la révélation du Nou-
nir, de trouver dans les Ecritures quelque veau Testament, s'imaginèrent qu'il fallait
passage opposé à notre croyance, prenez bien conserver ces ombres de l'avenir et préten-
garde de chercher à le faire valoir contre daient que les Gentils ne pouvaient sans elles
nous, avant de vous être assurés qu'il ne profiter du salut qui est dans le Christ c'é- :

vous contrarie pas vous-mêmes. Tel est, par taient ceux-là, dis-je, que l'Apôtre appelait
exemple, ce texte que vous citez souvent, où immondes, parce qu'ils avaient des goûts char-
l'on raconte que Pierre vit un jour un vase nels, et infidèles, parce qu'ils ne distinguaient
descendu du ciel, dans lequel étaient ren- pas le temps de la grâce du temps de la loi :

fermés des animaux et des reptiles de tout c'est pour eux qu'il prétend que rien n'est
genre, et que, frappé d'étonnement et d'admi- pur, parce qu'ils n'usaient saintement et con-
ration, il entendit une voix d'en haut qui lui venablement ni de ce qu'ils rejetaient, ni de
disait : « Pierre, tue » tout ce que tu vois ce qu'ils mangeaient, comme tous les infi-
dans ce vase, «et mange». A quoi il répon- dèles, il est vrai, et vous surtout, comme
dit: « Seigneur, je ne toucherai h rien d'im- Manichéens, pour qui rien n'est pur. Car la
« pur ni de souillé ». Et la voix reprit « Ce : nourriture même que vous prenez, et que
« que j'ai sanctifié ne s'appelle pas impur - ». vous mettez le plus grand soin à préserver de
Bien que ces paroles aient un sens allégorique tout contact avec la chair, n'est pas pure pour
et ne se rapportent point à l'indifférence des démon. Vous
vous, qui la dites créée par le
aliments, cependant, puisque c'est en ce sens prétendez même, en
mangeant, purifier la

qu'il vous plaît de l'interpréler vous voilà ,


votre dieu qui est enchaîné et souillé. Tout
donc obligés de manger de toute espèce d'ani- au moins vous devriez vous croire purs ,

maux, voire, même des vipères, des couleu- puisque ce dieu a l'honneur d'être purifié
vres et de tout autre genre de reptiles, suivant par vos estomacs. Mais non vous affirmez :

la vision de Pierre. Par là, vous ferez voir que encore que vos corps sont la nature et l'œu-
vous obéissez réellement à la voix qu'il a, dit- vre du peuple des ténèbres, et que vos âmes
on, entendue. Et pourtant, n'oubliez jamais sont souillées par vos corps. Qu'y a-t-il donc
que, par là aussi, sont condamnés Moïse et de pur pour vous? Ce n'est pas ce que vous
les Prophètes (}ui ont regardé comme im- prenez, ce n'est pas l'estomac où vous le
mondes un grand nombre des animaux que faites descendre ce n'est pas même vous ,
,

Dieu a sanctifiés, d'après cette parole descen- qui cependant purifiez ce que vous pre-
due du ciel. nez. Vous voyez donc à qiù s'adresse celte
' Act. iv, 29. — • Id. .\-U, 15. sentence de l'Apôtre c'est évidemment à tous ;

ceux qui sont infidèles et impurs. Mais il a


surtout et principalement en vue de vous con-
fondre. « Tout est donc pur pour ceux qui
' Gen. I, 31. — = Lev. xi.
.

LIVRE XXXI. — ABSTINENCE DE CERTAINS ALIMENTS. 395

sont purs», au point de vue delà nature son ordre naturel, «tout pur pour ceux
est
dans laquelle chaque chose est créée mais
; « qui sont purs ; impurs elles
mais pour les
tout n'était pas pur pour le peuple juif, au «infidèles », surtout tels que vous, «rien
point de vue du sens figuré ni tout n'est pas
; « n'est pur » vous vous appliqueriez avec
;

convenable pour nous, au point de vue de la grand profit la suite des paroles de l'Apôtre,
santé du corps ou des usages de la société si vous vouliez guérir votre conscience cauté-

humaine; seulement, quand chaque chose est risée; car il dit: «Mais leur esprit et leur
attribuée à qui elle convient et placée dans « conscience sont souillés »
LIVRE TRENTE-DEUXIÈME.
Fauste veut trier dans le Nouveau Testament. —
Les Evangiles sont supposés, vu qu'ils ne s'accordent pas. Les catholiques —
aussi font un choix dans l'Ancien Testament. Preuves. — —
Augusliu montre la différence , expose ce que les cathohques
laissent ou conservent de l'Ancien Testament. La Pàque. —
La Pentecôte. —
La chair des animaux. —
Le Paraclet. — —
Les Evangiles n'ont pu être falsifiés. Les Calaphrygiens. — —
Les Manichéens n'ont point le Paraclet. Le sens charnel les —
égare. —
L'Evangile et les écrits de Manès. —
La doctrine des ApOtres et celle de Manès.

CHAPITRE PREMIER. l'a écrit, ni ses Apôtres, mais je ne sais quels

personnages douteux qui, pour rendre croya-


FAUSTE CHOISIT CE QUI LUI CONVIENT DANS LE
ble ce qu'ils écrivaient sans savoir et longtemps
NOUVEAU TESTAMENT, COMME LES CATHOLIQUES
après coup, ont mis en tête de leurs livres
DANS l'ancien.
noms des Apôtres, soit les noms de ceux
soit les

admets l'Evangile, tu dois croire


Fauste. Si tu qui avaient suivi les Apôtres, en affirmant
tout ce qu'il renferme. Quoi doue parce — ! qu'ils écrivaient d'après eux? En quoi, ce me
que tu admets l'Ancien Testament, admets- semble, ils ont fait grande injure aux disciples
tu indifféremment tout ce qui y est consigné? du Christ; puisqu'ils mettaient sur leur
Vous en extrayez simplement les propliéties compte leurs propres divergences et leurs
qui annoncent un roi futur pour les Juifs, contradictions , et affirmaient écrire d'après

Jésus selon vous puis quelques axiomes vul- ;


eux des Evangiles remplis de tant d'erreurs,
gaires de la vie sociale, comme « Tu ne : de tant de récits et de sentences contradic-
«tueras pas; tu ne commettras pas d'adul- toires, au point de ne s'accorder en aucune

« tère »; après quoi vous passez tout le reste


' façon ni entre eux ni avec eux-mêmes. N'est-
sous silence, et l'estimez à l'égal de ce que Paul ce pas là simplement calomnier les gens de
regarde comme du fumier ^ Qu'y a-t-il donc bien et jeter un brandon de discorde dans
,

d'étrange, qu'y a-t-il d'étonnant à ce que, l'assemblée fraternelle des disciples du Christ?
moi aussi, je prenne dans le Nouveau Testa- Or, en les lisant, en les étudiant avec l'œil
ment ce qu'il y a de plus pur, ce qui convient parfaitement pur de notre cœur, nous avons
à mon salut, et que je laisse de côté tout ce jugé qu'ilétait de toute justice d'en prendre

que vos ancêtres y ont frauduleusement in- ce qu'il y a d'utile, c'est-à-dire ce qui est pro-
troduit, au grand détriment de sa dignité et pre à édifier notre foi et à procurer la gloire

de sa beauté ? du Christ Notre-Seigneur, et de son Père le


CHAPITRE n. Dieu tout-puissant; puis de rejeter le reste
qui ne s'accorde ni avec la Majesté divine ni
les évangiles sont supposés; ils ne
avec notre foi.
s'accordent sur rien.
CHAPITRE III.
Quoi ! si le Testament du Père renferme
LES CHRÉTIENS PRENNENT UNE PARTIE DE l' ANCIEN
des parties où de reconnaître sa
il est difficile
TESTAMENT ET LAISSENT LE RESTE.
voix (car vous prétendez que la loi judaïque
a été donnée par le Père, et nous savons com- Ainsi donc, comme je le disaisd'abord, mal-
bien elle renferme de choses qui vous font gré l'Ancien Testament, vous n'admettez pas
horreur, des choses dont vous rougissez, au la circoncision de la chair, quoiqu'elle y soit

point que, depuis longtemps, vous la croyez prescrite '


; ni le repos absolu du sabbat ,

altérée quant à l'esprit, bien qu'une partie quoiqu'il y soit exigé ^


; ni les sacrifices selon
ait été écrite la main même du
pour vous de le rite de Moïse, ni les immolations destinées
Père, et une autre de la main de Moïse), quoi! à apaiser Dieu '; mais vous méprisez tout cela
vous iinagincrcz-vous que le Testament du comme absolument étranger au culte chré-
Fils seul n'a pu être gâté, seul ne renferme tien et complètement inacceptable. 11 est d'au-
rien (]ui doive être désapprouvé surtout ,
tres préceptes que vous avez partagés en deux,
(juand il est certain (lue ce n'estpoint lui qui ()0ur eu prendre une partie et laisser l'autre:
' Ex. .Vi, 13, 11.— ' l'hil. ui, 8. '
Gcn. .wii, U-ll. K.t. .\A.\i, 13. — *
Luv. I.
LIVRE XXXII. — TRIAGES DANS L'ÉVANGILE. 397

conime la Pâque, par exemple, qui était la vant le tribunal des anciens, à l'effet d'y ame-
fête anniversaire de l'Ancien Testament et ner le coupable pour recevoir une sévère
devait se célébrer (comme cela est écrit pour réprimande ; et, s'il persiste dans son refus,
vous) non-seulement en tuant et mangeant un être puni par eux, déchaussé du pied droit,
agneau mais encore en
à l'entrée de la nuit, souffleté par la femme, renvoyé couvert de
s'abstenant de toute pâte femientée pendant crachats et de malédictions, et flétri, lui et sa
sept jours, et en se contentant d'azymes et de race, à perpétuité '. Voilà, entre bien d'autres,
laitues amères '. Vous adoptez la fête de Pâ- des exemples et des lois pris dans l'Ancien
ques, mais vous laissez de côté le rite et les Testament. S'ils sont bons, pourquoi ne les
cérémonies qui étaient si rigoureusement pres- imitez-vous pas ? S'ils sont mauvais, pourquoi
crits. Ilen est de même de la fête qui se célé- n'en condamnez-vous pas l'auteur, c'est-à-dire
brait sept semaines après la Pàque, c'est-à-dire l'Ancien Testament lui-même ? Que si vous y
de la Pentecôte, pour laquelle Moïse exigeait voyez des falsifications, comme nous en voyons
également un certain genre et un certain dans le Nouveau, nous voilà de pair. Cessez
nombre de sacrifices - vous l'avez conservée, ;
donc alors d'exiger de nous pour le Nouveau
mais en en rejetant une partie, c'est-à-dire Testament, ce dont vous vous dispensez pour
les immolations et les sacrifices qui ne s'ac- l'Ancien.
commodent plus avec la foi chrétienne. Pour CHAPITRE V.
cequi concerne l'abstinence des mets profanes,
AUTRES PRINCIPES DE L'ANCIEMESTAMENT REJETÉS
vous jugez et croyez fermement que les chairs
PAR LES CATHOLIQUES.
de cadavres et les chairs offertes aux idoles sont
tout à fait immondes ' mais vous : n'en croyez Autant que je puis voir, il me semble que,
pas autant de la chair de porc, de lièvre, de puisque vous voulez faire croire que l'Ancien
hérisson, ni du mulet, du calmar et autres es- Testament vient aussi de Dieu, il serait plus
pèces de poissons que vous aimez, bien que commode, plus excusable pour vous qui n'ob-
Moïse les déclare également immondes *. servez pas ses prescriptions, de convenir qu'il
a été altéré et falsifié, que de le rejeter quoi-
CHAPITRE IV. que pur et sans altération. Aussi j'ai toujours

QUELQUES EXEMPLES POUR PREUVE. pensé, et je pense encore, chaque fois qu'on
demande pourquoi vous péchez contre les
Mais voici que vous ne pouvez, ce me sem- ordonnances de l'Ancien Testament, ou que
ble, pas même entendre, encore moins admet- vous le dédaignez sagement comme faux, ou
tre dans l'Ancien Testament à savoir qu'un : que vous l'abandonnez quoique vrai, par un
beau-père ait un commerce charnel avec sa esprit de rébellion et d'impiété. En attendant,
belle-fille, comme Juda, par exemple ; ou un puisque tu prétends que si j'admets le Nouveau
père avec ses comme Loth; ou un pro-
filles, Testament, je dois croire tout ce qu'on y a in-
phète avec une femme de mauvaise vie ,
troduit sache que toi-même rejettes, quant à
;

comme Osée ou qu'un mari livre sa femme


; l'esprit, bien des choses contenues dans l'An-
à des amants pour un prix convenu, comme cien Testament, quoique tu fasses profession
Abraham qu'un mari épouse les deux sœurs
; de l'admettre. Car certainement tu n'avoues
à la fois, comme Jacob que des chefs de peu- ; pas, tu ne regardes pas comme acceptable ce
ple, des hommes que vous regardez surtout qu'on y lit : que tout homme suspen-
à savoir
comme inspirés de Dieu, se vautrent dans la du au bois est maudit '\ puisque cet auathème
fange avec mille et miUe concubines, comme atteindrait évidemment Jésus; nique quicon-
David et Salomon
ou encore que, suivant la
; que ne laissera pas de postérité en Israël
législation matrimoniale du Deutéronome, la sera également maudit, puisque cette malédic-
veuve d'un homme mort sans enfants soit tion tomberait sur les vierges et les jeunes
obligée d'épouser le frère du défunt, que ce gens dévoués à Dieu ; ni que celui qui ne por-
nouvel époux doive former une famille à la tera pas dans sa chair le signe de la circonci-
place de son frère, et, dans le cas où il s'y sion, devra être exterminé du milieu de son
refuserait, que la femme ait le droit de dépo- .
peuple ', puisque la sentence envelopperait
ser une plainte contre une telle iniquité de- tous les chrétiens ; ni qu'il faut lapider le vio-
• Ex. xn. — ' Lev. sïiii. — =
AcI. iv, 2y. — '
Lev. xi. '
Deut. XXV, 5, lu. — ' Id. XXI, 23. — • Gen. xni, M.
398 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN,

lateur du sabbat ni qu'il faut punir sans


'
; de l'Ancien Testament, que les prophéties, et
ménagement celui qui aura transgressé le- de plus, ainsi que je l'ai dit, quelques précep-
quel que ce soit des commandements de la tes vulgaires concernant les devoirs de la vie
loi. Crois-moi, si tu étais bien persuadé de civile, et que vous laissez de côté la circonci-

tout cela, si que ce sont là


tu étais convaincu sion, les sacrifices, le sabbat et son repos, et
des ordres de Dieu, tu aurais été le premier à les azymes : qu'yd'étrange à ce que nous
a-t-il

jeter la main sur le Christ, et tu ne serais pas ne prenions du Nouveau Testament que ce
indigné contre les Juifs qui l'ont persécuté de que nous y trouvons de paroles tournant à
toute leur âme et de toutes leurs forces, pour l'honneur et à la gloire de la majesté du Fils
exécuter la volonté de leur Dieu. et prononcées par lui ou par ses Apôtres, mais
par ses Apôtres devenus parfaits et fidèles, et
CHAPITRE VI. que nous passions sous silence tout le reste,
soit ce que ces mêmes Apôtres, encore novices,
fauste demande a tkier dans le nouveau tes-
ont pu dire dans leur simplicité et dans leur
tament, comme les catholiques trient dans
ignorance, soit les allusions méchantes et les
l'ancien.
objections des ennemis, soit les affirmations
Je sais, il que vous n'osez pas traiter
est vrai, imprudentes des écrivains, par eux transmises
tout cela de faussetés, mais que vous dites que à la postérité ? Et par ces dernières j'entends
ces règlements convenaient au temps et de- ce qu'on nous raconte de Jésus naissant hon-
vaient subsister pour les Juifs jusqu'à l'avéne- teusement d'une femme, circoncis à la juive,
ment de Jésus, lequel, annoncé, selon vous, sacrifiant à la manière des Gentils, recevant un

par l'Ancien Testament, vous a enseigné ce ignoble baptême, promené par le démon dans
qu'il fallait prendre et ce qu'il en fallait
en les déserts, et tenté par lui de la façon la plus

laisser.Nous verrons plus bas si les Prophètes misérable. Excepté cela, et encore ce que les
ont réellement prédit Jésus pour le moment, ;
auteurs ont cité de l'Ancien Testamentsousune
ce que j'ai à répondre, c'est que si Jésus, an- attestation mensongère, nous croyons tout le

noncé par l'Ancien Testament, juge mainte- reste, principalement son mystérieux crucifle-

nant et détermine le peu qu'il faut eu prendre ment emblème des souffrances et des bles-
,

et les choses nombreuses qu'il faut y laisser ; sures de notre âme et aussi nous reconnaissons
;

le Paraclet, promis par le Nouveau Testament, sans hésiter, comme venant de lui, ses com-
nous enseigne également ce que nous devons mandements salutaires, ses paraboles, et tout ce
en prendre et en laisser ce Paraclet dont ;
divin langage oîi se fait surtout sentir la dis-
Jésus a dit au moment où il le promettait : tinction des deux natures. Tu n'as donc aucune
« Il vous enseignera toute vérité, lui-même raison de me croire obligé d'admettre tout ce
a vous dira toutes choses et vous en fera sou- que renferment les Evangiles, puisque, comme
« venir^) Laissez-nous donc prendre à l'égard
. jel'ai démontré, tu touches à peine du bout des

du Nouveau Testament, au nom du Paraclet, lèvres (passe-moi cette expression populaire)


les licencesque vous prenez, au nom de Jésus, au divin calice de l'Ancien Testament.
à l'égard de l'Ancien Testament à moins que :

peut-être vous n'attachiez plus de prix au CHAPITRE VllI.

Testament du Fils qu'à celui du Père, si tant DIFFÉRENCE ENTRE LES CATHOLIQUES ET LES
est qu'il soit du Père, en sorte qu'il y ait MANICHÉENS, RELATIVEMENT AU CHOIX A FAIRE
beaucoup à réprouver dans celui-ci et rien DANS LES ÉCRITURES.
dans celui-là, bien qu'il soit constant que le
Nouveau Testament n'a été écrit ni par le Augustin. Nous honorons tous les livres

Christ ni par ses Apôtres. de l'Ancien Testament comme vrais et divins,


ainsi que cela doit être, et vous, vous triez
CHAPITRE Vil.
ceux du Nouveau Testament comme falsiûés
et altérés. Non-seulement nous disons que
CE QUE FAUSTE REJETTE ET ADMET DANS LE NOU-
VEAU TESTAMENT. tout ce que nous n'observons plus dans l'An-
cien Testament, a été sagement prescrit eu
Par conséquent, comme vous n'admettez, égard au temps et au peuple juif, et a été pour
* Num. xv, :ij- — ' Jcin, XVI, 13. nous, qui ne l'observons plus, la figure de ce
LIVRE XXXIl. — TRIAGES D.VNS L'ÉVANGILE. 399

que nous comprenons et possédons spirituel- a et sur le boire, ou à cause des jours de fête,
lement ; mais encore, nous le démontrons et « ou des néoménies, ou des sabbats, choses
l'enseignons d'après les écrits des Apôtres ;
a (jui ne sont que l'ombre des futures ». Par '

tandis que vous, vous blâmez dans les livres là donc, il nous fait voir pourquoi il faut lire

du Nouveau Testament tout ce que vous n'ad- et accepter ces choses pour ne pas laisser périr
mettez pas, et affirmez q«e cela n'a été ni dit les prophéties,vu que ces rites étaient les
ni écrit par le Christ ou par ses Apôtres. Vous figures de l'avenir mais en même temps il ;

voyez donc quelle distance il y a entre nous nous apprend à ne tenir aucun compte du
et vous sous ce rapport. Aussi, quand on vous jugement de ceux qui voudraient nous faire
demande pourquoi vous n'acceptez pas tout un crime de ne point pratiquer corporelle-
dans les livres du Nouveau Testament, pour- ment ces observances. C'est ce qu'il insinue
quoi, excepté le peu que vous y prenez, vous encore ailleurs en disant : « Toutes ces choses
rejetez, critiquez, accusez tout le reste, vous « leur arrivaient en figure, et elles ont été
prétendez que ce sont des interpolations de « écrites pour nous être un avertissement, à
faussaires. Ne vous appuyez donc plus sur les a nous pour qui est venue la fin des temps*».
distinctions que nous sommes obligés de faire Quand donc nous lisons dans l'Ancien Testa-
dans nos croyances et dans nos pratiques, ment quelque chose que le Nouveau ne nous
mais rendez compte de votre présomptueuse commande pas, ou même qu'il nous défend,
témérité. nous ne devons point le blâmer, mais en cher-
CHAPITRE IX. cher la signification car par là même qu'on :

ne l'observe plus, c'est une preuve qu'il est


EN QUOI LES CATHOLIQUES REJETTENT l'aNCIEN
non condamné, mais accompli. Du reste, nous
TESTAMENT.
avons déjà traité ce sujet longuement et plus
Car si on nous demande pourquoi nous, d'une fois.

nous n'observons pas dans le culte divin les CHAPITRE X.


rites que les flébreux, nos pères, observaient
SENS PROPHÉTIQUE DE l'OBLIGATION d'ÉPOCSER
dans le temps de l'Ancien Testament nous ;
LA VEUVE d'un FRÈRE.
répondons, que Dieu nous a donné d'autres
prescriptions par les pères du Nouveau Testa- Quant à ce que Fauste reproche avec si peu
ment : ce qui ne contredit pas l'Ancien ,
d'intelligence aux commandements de l'an-
puisque l'Ancien l'avait prédit. Voici, eu effet, cienne loi, à celui par exemple qui obligeait
ce que disait là-dessus un prophète « Voilà : un homme à épouser la veuve de son frère,
a que les jours viennent », dit le Seigneur, pour créer une postérité, non à lui, mais au
o et j'établirai une nouvelle alliance avec la défunt, dont les enfants devaient porter le
maison d'Israël et la maison de Juda non ;
nom ' que signifiait cette prescription, au
:

« pas selon l'alliance que j'ai formée avec point de vue prophétique, sinon que tout pré-
a leurs pères, au jour où je les pris par la dicateur de l'Evangile doit travailler dans l'E-
« main, pour les faire sortir de la terre d'E- glise pour créer une postérité à son frère dé-
« gypte ». Il a donc été prophétisé que l'An-
' funt, le Christ, qui est mort pour nous, et
cien Testament cesserait un jour, et qu'il y en que cette postérité doit porter le nom du
aurait un nouveau. Si on nous objecte ici que Christ? Aussi l'Apôtre, remplissant en lui-
nous ne sommes point de la maison d'Israël même cette signification, non dans le sens
ni de la maison de Juda, nous nous couvrons charnel, mais selon la vérité accomplie spiri-
de l'autorité de l'Apôtre car Paul nous en- : tuellement, s'indigne contre ceux qu'il a en-
seigne que le Christ est issu d'Abraham, et il gendrés en Jésus-Christ par l'Evangile \ et les
nous dit, à nous qui formons le corps du reprend vivement parce qu'ils voulaient être
Christ « Vous êtes donc la postérité d'Abra-
: à Paul et leur dit « Est-ce Paul qui a été cru- :

ahara'». Et si on nous demande pourquoi nous ((cifié pour vous? Ou est-ce au nom de Paul

maintenons l'autorité d'un Testament dout « que vous avez été baptisés * ? » Comme s'il

nous n'observons plus les rites, l'Apôtre nous disait Je vous ai engendrés pour mon frère
:

fournit encore la réponse, quand il dit : Que « mort prenez le nom du Christ et non celui
;

a personne donc ne vous juge sur le manger • Col. n , 16 , 17. — ' I Cor. x , 11. — ' Daut. XiT , 5-10. —
• Jer. sxxi, 31, 32. — ' Gai. ra, 29. • 1 Cor. IV, 15. — ' Id. I, 13.
400 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

de Paul. Mais celui qui, étant élu par l'Eglise CHAPITRE XII.
pour la fonction de prédicateur de l'Evangile,
LA PEMECÔTE. RAISON DE LA FÊTE DE PAQUES.
refuse de l'exercer, est à juste tilre mal vu de
l'Eglise elle-inême. Voilà pourquoi elle a Nous célébrons la Pentecôte, c'est-à-dire le
l'ordre de lui cracher au visage, sans comp- cinquantième jour après la Ré- la Passion et
ter cet autre signe d'opprobre, qu'il soit dé- surrection du Seigneur, où nous a envoyé il

chaussé d'un pied, pour être exclu du nombre le Saint-Esprit, le Paraclet qu'il nous avait

de ceux à qui l'Apôlre dit « Et chaussant vos : promis événement prédit aussi par la
'
:

« pieds pour vous préparer à l'Evangile de la Pâque des Juifs puisque le cinquantième
,

« paix » et dont le Prophète avait déjà parlé,


'
; jour après l'immolation de l'agneau. Moïse
en disant : « Qu'ils sont beaux les pieds de reçut sur la montagne la loi écrite du doigt de
« ceux qui annoncent la paix, de ceux qui an- Dieu ^ Lisez l'Evangile, et voyez que l'Esprit-
a noncent le bonheur » En effet, celui qui M Saint y est appelé le doigt de Dieu'. On célèbre
possède la foi évangélique de manière à en en chaque année dans l'Eglise, à des jours
effet

tirer profil pour lui-même et à travailler dans fixes, les principaux événements qui se sont

l'intérêt de l'Eglise, peut bien être considéré passés, afin d'en perpétuer, par une fête solen-
comme chaussé des deux pieds. Mais celui qui nelle, le souvenir si nécessaire et si utile. Et si

ne cherche dans la foi que son propre avan- vous voulez savoir pourquoi nous célébrons la
tage et refuse d'en gagner d'autres, ne sera Pâque, c'est parce que le Christ a été immolé
pas seulement figuré par l'homme déchaussé pour nous à cette époque. Si vous voulez sa-
d'un pied : il en reproduira l'opprobre dans voir pourquoi nous ne la célébrons pas selon
la réalité. le rite des Juifs, c'est parce que la leur était
CHAPITRE XI. une figure de la réalité à venir, et que la nôtre
est le souvenir d'un fait accompli. Or, dans
LA PAQUE DES CATHOLIQUES.
lelangage même, le futur et le passé ne s'ex-
Pourquoi Fauste nous objecte-t-il que nous priment point de la même manière. Mais nous
célébrons la pâque, et nous insulte-t-il parce en avons déjà assez dit là-dessus dans cet ou-
que nous ne la célébrons pas comme les Juifs, vrage.
alors que nous avons l'Agneau dans la réalité CHAPITRE XIII.
de l'Evangile actuel et non plus dans les ,

LA CHAIR DES ANIMAUX. PRINCIPES DES


ombres de l'avenir, quand chaque jour et sur-
CATHOLIQUES SUR CE POINT.
tout dans le solennel anniversaire, nous fai-
sons mémoire de son immolation, non plus VOUS nous demandez pourquoi, de toutes
Si
future, mais accomplie? Sans doute, notre les d'aliments interdits au peuple
espèces
fête de Pâques ne tombe point le même jour hébreu en figure de l'avenir, nous ne nous
que la pâque figurative des Hébreux mais ; abstenons que des chairs mortes et immolées
c'est pour qu'elle coïncide avec le dimanche, aux idoles, écoulez ce que je vais dire, et
jour où le Christ est ressuscité. Quant aux préférez une fois la vérité à de vaines calom-
azymes, les vrais chrétiens les observent, non nies. L'Apôtre nous explique pourquoi il ne

avec le levain de la vie ancienne, c'est-à-dire convient pas au chrétien de manger des
de la malice, mais dans la vérité et la sincé- viandes immolées, quand il dit « Je ne veux :

rité de la foi même ^


; non pendant seiit jours, « pas que vous ayez aucune société avec les

mais toujours ce que figurait l'espace de sept


: « démons». Au fond, ce n'est point l'immola-

jours, qui se reproduit sans cesse lui-même. tion qu'il blâme, |)uisque nos pères la prati-
Et s'il y a quelque chose de pénible dans ce quaient jiour figurer d'avance le sang du sa-
monde, parce que le chemin qui mène à la crifice par lequel le Christ nous a rachetés :

vie est étroit et resserré \du moins on est sûr « Mais qu'immolent les Gentils,
», dit-il, « ce

de la récompense : et celte peine était figurée « ils riinniolent aux démons et non à Dieu ».

par les laitues, qui sont quelque peu amcres. Après quoi il ajoute ce que je rapportais tout

Kph. VI, 15. - ' l9. LU, 7. — ' 1 Cor. v, «. 'Matt. Ml, la. à l'heure « Je ne veux pas que vous ayezau-
:

« cune société avec les démons'' ». En effet, si

•Act. 1-4. _ " Ex. XLX-X.VIX. — ' Luc, .\i , 20. — " I Cor.
X, 20.
LIVRE XXXll. — TRIAGES DANS L'ÉVANGILE. 4UI

la chair immolée était immonde par sa nature, aliments, ils sont ridicules aux yeux des au-
elle souillerait même celui qui en mangerait tres, tant tout le monde est bien pénétré de
sans le savoir : car elle n'en serait pas moins cette sentence de la Vérité : « Ce n'est pas ce
impure ,
pour être mangée par ignorance. a qui entre dans votre bouche qui vous souille,
.Mais il faut s'en abstenir par raison de cons- a mais ce qui en sort » par où le Sauveur '
:

cience pour ne pas avoir l'air d'entrer en


,
condamne, non aucune espèce d'ahment en
société avec les démons. Quant à la chair usage parmi les hommes, mais les péchés
morte, il me semble qu'elle n'est point en usage commis contre la justice.

parmi les hommes, parce que la chair des ani-


maux qui meurent naturellement, sans être CHAPITRE XIV.
tués, n'est ni saine ni bonne pour la vie du corps, AUTRES OBJECTIONS DE FACSTE DÉJÀ RÉFUTÉES,
qui est le but de l'alimentation. Pour ce qui COMPARAISON TIRÉE DE LA MÉDECINE,
concerne l'ordre donné en figure aux anciens,
c'est-à-dire à Noé après le déluge, relativement Pour ce qui regarde les actions des anciens
à l'effusion du sang nous en avons déjà' , qui passent pour coupables aux yeux des in-
expliqué le sens, et la plupart le savent ^ Lis sensés et des ignorants et ne le sont pas, ou
dans les Actes des Apôtres le commandement celles qui sont réellement coupables, nous
fait parApôtres eux-mêmes aux Gentils, de
les avons suffisamment expliqué pourquoi elles
s'abstenir de la fornication, des viandes im- ont été mentionnées dans l'Ecriture, sans rien
molées aux idoles et du sang, c'est-à-dire de la ôter à celle-ci du respect que nous lui devons.
chair d'animaux dont le sang n'aurait pas été Nous avons aussi répondu en son lieu à ce que
répandu. D'autres expliquent ce passage diffé- Fauste objecte sur la malédiction lancée contre
remment, et pensent qu'il s'agit ici du sang hu- tout homme suspendu au bois, et contre celui
main et de la souillure contractée par l'homi- qui ne laisse pas de postérité en Israël^ et :

cide. 11 serait long et inutile d'entrer mainte- toutes ces questions, soit celles que nous avons
nant dans celte discussion. Si les Apôtres ont déjà traitées dans les premières parties de cet
prescrit alors auxchrétiens de s'abstenir du sang ouvrage, soit celles de même genre que Fauste
des animaux, dene pas mangerdeschairs étouf- a pu soulever dans l'écrit auquel nous répon-
fées, ils me semble, une chose fa-
ont choisi, ce dons maintenant, nous les avons toutes éclair-
cile à observer, en rapport avec le temps, peu nous avons tout justifié à l'aide de la rai-
cies,
onéreuse, que les Gentils pouvaient pratiquer son appuyée sur l'inébranlable vérité que
en même temps que les Israélites, à cause de nous tenons de l'autorité des saintes Ecritures.
la pierre angulaire qui des deux ne faisait Nous déclarons que tout ce qui est écrit dans
qu'un' ; propre à leur rappeler qu'au
et aussi les livres de l'Ancien Testament, l'a été avec
moment où Dieu donnait ce commandement, une parfaite vérité et une très-grande utilité
l'arche de Noé figurait l'Eglise universelle, en vue de la vie éternelle nous l'accep- ;

prophétie qui commençait déjà à s'accomplir tons, nous l'approuvons mais les prescrip- ;

par la converàon des Gentils à la foi. Mais tions qui avaient le corps pour objet, et
cette époque une fois passée, où les deux murs, que nous n'observons plus nous savons ,

celui qui provenait de la circoncision et celui qu'elles ont été très-sagement établies pour
qui provenait de l'incirconcision quoique ,
le temps, qu'elles n'étaient que des figures
réunis dans la pierre angulaire, conservaient de l'avenir, et que tout ce qu'elles prophé-
cependant plus visiblement encore certaines tisaient est accompli. Par conséquent, qui-
propriétés particulières, et où l'Eglise des na- conque n'observait point alors ces rites sym-
tions est devenue telle qu'elle ne renferme boliques, subissait par un très-juste jugement
plus aucun Israélite charnel quel est le chré- : les peines établies par la Divinité, comme les

tien qui s'abstienne encore de manger des subirait celui qui aurait la témérité sacrilège
moins que leur sang
grives ou des oisillons, à de profaner les sacrements du Nouveau Tes-

n'ait étérépandu, ou qui pe mange pas de tament, institués pour les besoins du temps.
lièvre mort s'il a été assommé sur la tête
, Et comme on préconise à juste titre les an-
et sans blessure? Et s'il en est, par hasard, ciens justes qui ont souffert la mort pour les

quelques-uns qui n'osent toucher à de tels sacrements de l'ancienne loi, ainsi exalte-t-on
'
Gei,. IX, 6. — '
Act. sv, 29. — '
EjA\. ii, 11-22. '
Mat:. .v\-, 11. — = Voyez ci-desîus, liv. XXU.

S. AuG. — Tome XIV. 2G


402 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

avec raison les martyrs qui l'ont subie aussi CHAPITRE XVI.
pour les sacrements de la loi nouvelle. Et IMPOSSIBILITÉ DE FALSIFIER l'ÉVANGILE.
comme un malade ne doit point blâmer la
médecine qui lui prescrit une chose aujour- Dites-nous donc enlin pourquoi vous n'ad-
d'hui, une autre demain, qui lui défend même mettez pas tout dans les livres du Nouveau
ce qu'elle lui avait d'abord ordonné, parce que Testament. Est-ce parce qu'ils ne sont pas des
l'étatde sa santé l'exige ainsi de même le ;
Apôtres du Christ, ou parce que les Apôtres
genre humain, malade et blessé depuis Adam du Christ ont enseigné (luelque chose de
jusqu'à la fin des siècles, tant que le corps qui mauvais? Vous répondez C'est parce qu'ils
;

se corrompt appesantit l'âme', ne peut blâmer ne sont pas des Apôtres du Christ car il n'y ;

la médecine céleste qui lui prescrit sur cer- a que des païens qui pourraient dire que les
tains points la même chose sur d'autres Apôtres du Christ ont enseigné le mal. Que
,

points, telle chose d'abord et telle autre en- dites-vous donc alors, et comment prouvez-
suite, surtout quand elle l'a prévenu de ces vous que ces Ecritures ne viennent pas des
changements. Apôtres ? Parce que, répondez-vous, sur bien
des points ils ne sont d'accord ni les uns avec
CHAPITRE XV,
les autres, ni avec eux-mêmes. Voilà qui est
SUR LE PARACLET. parfaitement faux vous ne comprenez pas.
;

On vous a montré que tout ce que Fauste a


La comparaison de Fauste prétendant que
le Paraclet, prophétisé par le Nouveau Testa- pu avancer en ce sens, n'est point ce que vous
pensiez; et tout ce que vous pourriez dire
ment, vous a enseigné ce qu'il faut en pren-
vous-mêmes là-dessus, nous nous chargerons
dre et ce qu'il faut en rejeter, comme le Christ
l'a fait pour nous par rapport à l'Ancien
Tes- de vous l'éclaircir. Mais peut-on supporter
tament qui le prophétisait aussi : cette com- qu'un lecteur ou un auditeur ose s'en prendre
paraison, dis-je, est absolument nulle. Elle à l'Ecriture, à un livre d'une autorité si res-
était rien pectable, plutôt qu'à son propre défaut d'in-
aurait une apparence de vérité, s'il

telligence? Direz-vous que le Paraclet vous a


dans les livres de l'Ancien Testament que
appris que ces Ecritures ne sont pas des Apô-
nous ne reconnaissions comme dit avec rai-
tres, mais fabriquées par d'autres sous leurs
son, ordonné par le ciel, écrit avec véracité.
noms? Proclamez donc que celui qui vous a
Or, il nous acceptons tout,
n'en est pas ainsi :

pour bien vivre, appris que ne sont pas des Apôtres


ces livres
et ce que nous observons
Paraclet en personne. Direz-vous que
et ce que nous n'observons plus mais que ,
est le
c'est bien celui-là que le Christ a promis et en-
nous savons avoir été prescrit et observé dans
voyé ? n'est point du tout
On vous répond Ce
des vues [irophétiques , et qui sont mainte-
:

nant accomplies. Ensuite, comme nous lisons celui-là que le Christ a promis et envoyé; et
dans les livres que vous n'acceptez qu'en par-
en même temps on vous fait voir quand il a
que le Paraclet a été promis, ainsi lisons-
tie,
envoyé celui qu'il a promis. Prouvez donc
nous dans le livre que vous craignez même que c'est l'autre qu'il a envoyé. Quelle auto-
envoyé. En effet, ritéapportez-vous en faveur de votre auteur,
de nommer, qu'il a été

comme je vous l'ai rappelé bien des fois et ou plutôt de votre imposteur? L'Evangile,
dites-vous. Quel Evangile? Celui que vous
tout à l'heure encore, nous lisons de la ma-
n'admettez pas en entier, que vous prétendez
nière la itlus claire, dans les Aces des Apôtres,
envoyé le jour de la être falsiiié? Mais qui donc, avant de produire
(lue le Saint-Esprit a été
son témoin, commence par dire qu'il est cor-
Pentecôte et qu'il s'est fait connaître pai- ses
rompu? Enellét,si nous admettons l'Evangile
œuvres. Car ceux qui l'ont reçu les premiers
sur ce qui vous plaît, et le rejetons sur ce qui
ont parlé toutes les langues-'; signe expri-
vous déplaît, ce n'est plus à lui, mais à vous
mant la promesse (luc l'Egiise, qui devait le
l>rêcher en toute vérité comme le
Père et le que nous croyons. Or, si nous avions foi en
langues, c'est-à- vous, nous ne vous demanderions pas de té-
Fils, embrasserait toutes les

dire toutes les nations.


moin. Ensuite le'Saint-Esprit Paraclet nous a
étépromis en ces termes « Il vous ensei-
:

' Sag. IX, 15. — A


' t. II.

«gnera toute vérité ». Mais comment votre


'

' Jean, xvi, 13.


LIVRE XXXn. — TRIAGES DANS L'EVANGILE. 403

Paraclet « enseignera-t-il la vérité », lui qui raison pour qu'il tut donné. Les Cataphrygiens
vous enseigne que le Christ est un imposteur? aussi ont prétendu avoir reçu le Paraclet pro-
De plus, quand vous démontreriez que tout ce mis, et ils ont ainsi dévié de la foi catholique
qu'on lit dans l'Evangile sur la promesse du eu cherchant à défendre ce que Paul a permis,
Paraclet, ne peut s'entendre que de votre Manès, et en condamnant secondes noces qu'il a
les
comme on démontre que tout ce qu'ont pré- autorisées. Ils cachaient leurs pièges sous
dit les Prophètes ne peut s'appliquer qu'au ces paroles écrites du Paraclet « 11 vous en- :

Christ :sij lorsque vous extrairiez de ces livres te seignera toute vérité » comme si Paul et ;

que vous dites falsifiés, les textes à l'appui de les autres Apôtres n'avaient pas enseigné
votre assertion, nous vous disions qu'ils sont toute vérité, et qu'ils eussent réservé la place
faux, qu'ils ont été intercalés par vos ancêtres au Paraclet des Cataphrygiens. Ils tiraillaient
de manière à ce qu'on ne pût les appliquer à aussi dans ce sens ce texte de Paul a Car :

un autre que Manès : que feriez-vous, dites- « c'est imparfaitement que nous connaissons,
moi, sinon de vous écrier que vous n'avez pu a et imparfaitement que nous prophétisons
;

en aucune façon altérer des livres qui étaient « mais quand viendra ce qui est parfait, alors
déjà entre les mains de tous les chrétiens? En a s'anéantira ce qui est imparfait
» en sorte '
;

effet, à la première tentative de ce genre, que c'eût en ne connaissant et en ne pro-


été
vous auriez été confondus par la comparaison phétisant qu'imparfaitement que l'Apôtre au-
d'exemplaires plus anciens. Or, la raison qui rait dit : « voudra; il ne
Qu'il fasse ce qu'il
vous aurait empêchés d'altérer ces livres, en « péchera point marie », et que le si elle se -

a également empêché tout autre. Car quicon- parfait du Paraclet de Phrygie eût anéanti
que aui'ait eu le premier cette audace, aurait cette concession. Et quand on leur dit qu'ils
été réfuté par le rapprochement d'autres sont condamnés par l'autorité de l'Eglise pro-
copies plus anciennes; surtout quand l'Ecri- mise longtemps avant eux et répandue dans
si

ture n'est pas en une seule langue, mais en un le monde entier, ils répondent que c'est pré-

grand nombre. Car, même aujourd'hui, on y cisément en eux que s'est accompli ce qui a
corrige des fautes, soit à la vue de manuscrits été dit du Paraclet, que le monde ne peut pas
plus anciens, soit par comparaison avec la le recevoir. Ne dites-vous pas aussi que c'est

langue d'où ces livres ont été traduits. Vous de votre Manès qu'il a été prédit « Il vous :

êtes donc forcés ou de reconnaître qu'ils sont « enseignera toute vérité quand viendra ce ;

authentiques, et par là même votre hérésie « qui est parfait, alors s'anéantira ce qui est

est sapée par la base ou, si vous les dites en-


; « imparfait le monde ne peut le recevoir ' ? »
;

core falsifiés, de ne pouvoir invoquer leur Et quelle hérésie qui ne puisse se produire
autorité en faveur de votre Paraclet, ce qui sous le nom du Paraclet, et s'emparer de ces
détruit également votre hérésie. textes aussi insolemment et avec autant de
vraisemblance une seule
? Y a-t-il, en effet,
CHAPITRE XVII. hérésie qui ne s'appelle la vérité et ne se dise

LES CATAPHRVGIENS ONT AUSSI LEUR PARACLET. même la vérité parfaite, avec d'autant plus
PRÉTEXTION COMMUNE A TOUTES LES HÉRÉSIES. d'assurance qu'elle est plus orgueilleuse, jus-
qu'à promettre d'enseigner toute vérité et
Ajoutons que tout ce qui a rapport à la pro- tâcher d'anéantir tout ce qui contrarie ses er-
messe du Paraclet, a été dit pour exclure com- reurs dans la doctrine des Apôtres, comme si
plètement d'une telle prétention votre Manès ce qui est parfait devait venir par elle ? Et
venu tant d'années après. En effet, Jean dit de tandis que l'Eglise tient à ce que l'Apôtre re-
la manière la plus claire que l'Esprit-Saint commande si vivement, quand il dit « Si :

devait venir aussitôt après la résurrection et 8quelqu'un vous annonce un autre Evangile
l'ascension du Christ « Car l'Esprit n'avait
: « que celui que vous avez reçu, qu'il soitana-
a pas encore été donné, parce que Jésus n'était « thème *»,y a-t-il une hérésie anathématisée
« pas encore gloriûé ». Or, si la raison pour
'
par le monde entier, qui ne s'empresse de
laquelle il n'avait pas été donné, était que s'appuyer sur ce texte : «Le monde ne peut le
Jésus n'était pas encore glorifié ; sans aucun M recevoir? »

doute, dès que Jésus eut été glorifié, c'étaitune • I Cor. .\iii, 9, 10. - ' Id. vil, 36.— '
Jean, .\iv, 17.— '
Gai. i, 9.
• Jean,™, 39.
40i CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE XVni. sont divins, séduits en cela par le verbiage d'un


auteur que tous, trompés et trompeurs, vous
LES MANICHÉENS NE PEUVENT PROUVER QC'iLS ONT
LE PARACLET.
appelez Paraclet. Or, comme vous ne pouvez
en aucune façon prouver qu'il est le Paraclet,
Comment donc donnez-vous la preuve vous n'avez aucune autorité solide pour dé-
qu'on vous demande que le Paraclet lui- : montrer que les écrits évangéliques , dont
même vous a appris que les livres évangéli- vous rejetez certaines parties, ne sont pas des
ques ne sont pas des Apôtres, puisque nous Apôtres du Christ. Il ne vous reste donc qu'à
prouvons, nous, qu'il n'y a pas d'autre Para- dire qu'il s'y trouve des choses qui désho-
clet Esprit-Saint, que celui qui est venu après norent le Christ: à savoir qu'il est né d'une
que Jésus a été glorifié ? Car, « il n'avait pas Vierge, qu'il a été circoncis, qu'on a fait pour
« encore été donné, parce que Jésus n'était pas lui l'offrande en usage alors, qu'il a été baptisé,
« encore glorifié». Nous prouvons également qu'il a été tenté par le démon.
qu'il enseigne toute vérité, parce qu'on ne
parvient à la vérité que par la charité; or, CHAPITRE XIX.
nous dit l'Apôtre, a La charité de Dieu est LA DOCTRINE CATHOLIQUE EST BIEN PLUS CROYABLE
« répandue dans nos cœurs par l'Esprit-Saint
QUE LE SYSTÈME MANICHÉEN.
« qui nous a été donné » Nous enseignons '
.

aussi que ces paroles de Paul « Quand vien- : Excepté cela et les témoignages de l'Ancien
« dra ce qui est parfait *, ne doivent s'enten- Testament qui y sont cités, vous convenez que
dre que de la perfection qui s'ohtiendra au vous acceptez tout le reste, selon le langage de
sein de la vie éternelle. C'est ce qu'il exprime Fauste, « et principalement son mystérieux
lui-même quand il dit « Nous voyons main- : « crucifiement, emblème des souffrances et
tenant à travers un miroir, en énigme; mais
ci « des blessures denotre âme. Ensuite B,ajoute-
« alors nous verrons face à face ^ » Certes, à . t-il, « nous reconnaissons sans hésiter comme
moins d'être évidemment fous, vous avouerez « venantdelui ses commandements salutaires,
qu'ici-bas vous ne voyez pas Dieu face à face. n ses paraboles, et tout ce divin langage où
Donc ce qui est parfait n'est pas encore en a se fait surtout sentir la distinction des deux
votre possession. Par ces expressions l'Apôtre a « natures ». Vous voyez donc que vous faites

suffisamment expliqué sa pensée là-dessus; et tout ce qu'il faut pour ôter aux Ecritures toute
les saints ne parviendront à cette perfection leur autorité, et laisser chacun libre d'y ap-
que quand ce que dit Jean sera aussi réalisé : prouver ou d'y rejeter ce que bon lui semblera,
« Nous sommes enfants de Dieu, mais on ne c'est-à-dire de ne point soumettre sa foi à
« voit pas encore ce que nous serons. Nous l'autorité des Ecritures, mais de soumettre les
« savons que lorsqu'il apparaîtra, nous serons Ecritures à son propre jugement; de ne pas
« semblables à lui, parce que nous le verrons approuver un texte parce qu'il repose sur la
tel qu'il est ». L'Esprit-Saint dont nous
'^
, sublime autorité de ces livres, mais de n'ap-
avons reçu le gage, nous introduira alors dans prouver ce texte que parce qu'il lui convient.
la connaissance de toute vérité. Quant à ces Où vas-tu, âme misérable, faible, enveloppée
paroles « Le monde ne peut le recevoir »,
: des ténèbres de la chair, où vas-tu ? Voyons
elles s'appliquent à ceux que l'Ecriture dési- cependant : écarte cette autorité, écarte-la ;

gne ordinairement sous le nom de monde, écoute ta raison : ta raison en est-elle à ce


d'amateurs du monde, d'impies, de charnels, point qu'à moins d'admettre que la nature
comme ceux dont l'Apôtre dit « L'homme : divine est sujette à la profanation et à la cor-
« animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit ruption, votre longue comédie ne puisse avoir
« de Dieu *». En effet, ou dit qu'ils sont de ce de dénouement ? Eu somme, comment sais-tu

monde, tant qu'ils ne peuvent s'élever au-des- qu'il y a huit terres et dix cieux, portés par
sus des objets matériels qu'ils ont vus dans ce Atlas et suspendus par le porte-lumière ? Com-
monde; connue vous, ])ar exemple, qui pleins ment sais-tu une foule d'autres choses de ce
d'admiration pour la lumière du soleil et de genre ? de qui les tiens-tu ? — C'est Mauès,
la lune, vous êtes imaginé que de tels corps me m'a enseigné tout cela.
diras-tu, qui —
— Mais, malheureux, tu as cru sur parole tu
* iiom. V, 5. I Cor. lu , 12 M Jean , iri , 2. — ;

'
I Cor. Il, II. n'as pas vu. Or, si tu admets par milliers des
LIVRE XXXII. — TRIAGES DANS L'ÉVANGILE. 405

contes fantastiques dont le poids honteux t'ac- préférais croire que tu n'en sais pas la raison
cable, par soumission à l'autorité d'un homme parce que tu n'es qu'un homme, plutôt que
entièrement inconnu et vrai fou furieux ,
de te hasarder insolemment à critiquer les
parce que ces rêveries sont consignées dans œuvres de Dieu jamais tu ne te serais laissé
:

des livres auxquels, par une misérable er- alleraux sacrilèges niaiseries, aux inventions
reur, tu as cru devoir ajouter foi, bien qu'on blasphématoires par lesquelles dans ton ,

te démontre que ce sont de pures chimères : ignorance de la source du mal, tu t'efforces


pourquoi ne te soumets -tu pas plutôt à l'au- de charger Dieu lui-même de toute espèce de
torité évangélique, si solide, si bien établie, maux.
propagée avec tant d'éclat, et transmise depuis CHAPITRE XXI.
les temps des Apôtres jusqu'à nos jours par
l'authenticité DE l'ÉVANGILE SE PROUVE
des traditions non interrompues de manière ;

COMME CELLE DES ÉCRITS DE MANES.


à croire, à voir, à apprendre que tout ce qui
te choque dans les saints Livres, ne heurte en Que si vous nous demandez comment nous
toique de vains et coupables préj ugés qu'il est ; savons que ces écrits sont des Apôtres, nous
bien plus vrai que l'immuable nature de Dieu vous répondrons en peu de mots que nous le
a pris quelque chose de la nature humaine, savons, comme vous savez vous-mêmes que
pour y faire et y souffrir, non Activement, les écrits que vous préférez misérablement à
mais réellement et sans rien perdre de son une telle autorité sont de Manès. En effet, si
immutabilité, tout ce qu'il convenait à cette quelqu'un élevait un doute sur ce point et
même nature de faire et de souffrir pour le vous contredisait par scrupule, en vous disant
salutdu genre humain, de qui elle était em- que les livres que vous attribuez à Manès ne
pruntée que cela est plutôt vrai, dis-je, qu'un
: sont point de lui : que feriez-vous ? Ne ririez-
système où il faut croire que la nature divine vous pas comme
d'un fou, de l'homme qui
est sujette à la profanation et à la corruption ;
émettrait un doute aussi insolent contre un
que, souillée et opprimée, elle ne peut être en- fait établi sur une telle succession de témoi-
tièrement affranchie ni purifiée, mais qu'elle gnages, sur une chaîne de traditions aussi
est condamnée, par la loi divine de la néces- fortement serrée ? Or, de même qu'il est cer-
sité, à la peine éternelle du globe ? tain que ces livres sont de Manès, et que qui-
conque viendrait, si longtemps après, vous
CHAPITRE XX. susciter une querelle là-dessus, passerait pour

LE SENS CHAR>'EL, SOURCE DE l'ERREUR un être ridicule; ainsi est-il certain que Manès
MANICHÉEN>E. ou les Manichéens sont ridicules, ou plutôt
dignes de compassion, d'oser soulever des
Mais, dis-tu, cru ce qu'on ne me dé-
j'ai objections de ce genre contre une autorité si
montrait pas, parce qu'on m'a fait voir clai- solide, maintenue et transmise par des succes-
rement en ce monde deux natures, celle du sions indubitables, depuis le temps des Apô-
bien et celle du mal. Et voilà précisément, tres jusqu'à nos jours.
malheureux, la source de ton erreur tu n'as :
CHAPITRE XXn.
pu imaginer dans ce monde, pas plus que
dans les écrits évangéliques, d'autre mal que LA DOCTRINE DES APÔTRES ET CELLE DE MANÈS.
ce qui blesse ton sens charnel, le serpent ,
Maintenant il est temps de comparer l'auto-
par exemple, le feu, poison et autres choses
le rité de Manès à celle des Apôtres, car il est
de ce genre ; ni d'autre bien que ce qui cha- certain que , des deux côtés, les écrits sont
touille en quelque manière ce même sens authentiques. Or, qui donc comparera Manès
charnel, comme l'agrément des saveurs, le aux Apôtres, sinon celui qui se sépare du
parfum des odeurs, l'aspect de la lumière et Christ qui a envoyé les Apôtres? Ou encore,
tout ce qui peut flatter l'ouïe, la vue, l'odorat, qui a jamais trouvé, dans les paroles du Christ,
le goût ou le toucher. Mais si , lisant pour la moindre trace de deux natures radicale-
ainsi dire dans le grand livre de la nature, tu ment opposées, sinon celui qui ne comprend
embrassais d'abord l'ensemble de la création point les paroles du Christ? Ainsi donc les
pour reconnaître que Dieu en est l'auteur; si, Apôtres, en qualité de disciples de la vérité,
dans le cas où quelque chose t'y blesserait, lu prêchent la naissance réelle, la passion réelle
•400 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

du Clirist; el Manès qui se vante d'enseigner qu'ilne saurait en sortir entièrement, et (|ue
toute vérité, nous prêche un dont il
Clirist qui n'aura pu être purifiée, sera punie
la partie
déclare la passion fictive. Les Apôtres ensei- d'une damnation éternelle. Suivant les uns, la
gnent que le Christ a été circoncis dans la chair du Christ a été tentée par le chef des
chair qu'il tenait de la race d'Abraham; Manès dénions selon l'autre, une partie de Dieu est
;

prêche un Dieu mutilé dans sa nature par le en la possession des démons mais, là, la chair ;

peuple des ténèbres. Ceux-là parlent d'une du Christ a été tentée pour nous apprendre à
offrande faite pour racheter la chair du Christ résister au tentateur; ici, une partie de la

enfant, selon la pieuse coutume de ce temps- substance divine est si bien au pouvoir des
là; celui-ci parle d'un membre, non de la démons, qu'elle ne peut être rendue ni à son
chair^ mais de la substance même de Dieu, Père, ni à son vainqueur. Enfin Manès, d'après
qui doit être immolé à tous les démons et la doctrine des démons, annonce un autre
livré à la nature du peuple ennemi. Ceux-là Evangile, comme pour s'élever au-dessus des
racontent que le Christ a été baptisé dans le autres ; et les du
Apôtres, d'après la doctrine
.lourdain pour donner l'exemple celui-ci
, ; Christ, recommandent de dire anathème à
nous conte que Dieu est plongé lui-même et quiconque prêche un autre Evangile '.
par lui-même dans la souillure des ténèbres. ' Gai. I, 8, 9.
LIVRE TRENTE-TROISIÈME.
Fauste revient encore sur les Patriarches, sur le désaccord entre saint Matthieu et saint Luc sur le défaut d'authenticité des ,

Ecritures. —
Le saint Docteur répond en peu de mots. —
Certitude historique. —
Saint Matthieu et saint Luc se concilient
parfaitement. —
Différer n'est pas se contredire. Conclusion. — —
Avis aux Manichéens.

CHAPITRE PREMIER. raison pour être jaloux et porter l'inhuma-


nité jusqu'à trouver mauvais un acte de si
SI LES PATRIARCHES HÉBREUX SOM AU CIEL, CE
grande bonté. Cependant, parce que Jésus a
n'est PAS PAR LEURS MÉRITES. LES PATRIAR-
pardonné au larron, nous ne dirons pas pour
ches des gentils y ont autant de droit
cela que la conduite et les mœurs des lar-
qu'eux.
rons sont dignes d'approbation, pas plus que
Fauste. Il est écrit dans l'Evangile « Beau- : celles des publicains ou des femmes de mau-
« coup viendront de l'Orient et de l'Occident, vaise vie, à qui il a fait grâce de leurs égare-
« et auront place dans le royaume des cieux ments, et dont il a dit qu'ils précéderont les
« avec Abraliani, Isaac et Jacob » Pourquoi '
. orgueilleux dans le royaume des cieux '.

donc ne recevez-vous pas les Prophètes? — Il a également absous , malgré les accusa-
Loin de nous la pensée de porter envie à tout tions des Juifs, une femme surprise en fla-
mortel que Dieu regardera dans sa miséri- grant délit d'injustice et d'adultère, en lui
corde et sauvera de l'abîme déperdition. Mais recommandant de ne plus pécher à l'avenir ^
au moins, nous en faisons honneur à la clé- Si donc il a fait quelque chose de ce genre à
mence de ce Dieu miséricordieux, et non au l'égard d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qu'il
mérite d'un homme dont la vie, tu ne sau- en soit béni
de telles œuvres sont dignes de
!

rais le nier, fut peu honorable. Ainsi donc, Celui qui fait lever son soleil sur les bons et
que les pères des Juifs, Abraham , Isaac et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et
Jacob (si toutefois le témoignage du Christ, les injustes \ Mais une chose me déplaît dans
que vous citez en leur faveur, est authentique, votre manière d'envisager la question pour- :

bien qu'ils aient été très-vicieux comme en , quoi vous ne parlez que des patriarches des
convient à peu près leur arrière-pelit-fils, Juifs, et ne dites pas que les patriarches des
Moïse, ou l'écrivain auteur de l'histoire ap- Gentils aient aussi éprouvé les effets de la
pelée la Genèse, qui nous a raconté leurs vies grâce de notre Libérateur; surtout quand l'E-
si odieuses et si dégoûtantes) ; que ces pa- glise chrétienne est formée de leurs enfants
triarches, dis-je, soient déjà dans le royaume beaucoup plus que de la race d'Abraham ,

des cieux, qu'ils habitent dans un séjour au- d'Isaac et de Jacob. Tu dis, il est vrai, qu'ils
quel Us n'ont jamais cru ,
qu'ils n'ont point adoraient que ceux-là hono-
les idoles, tandis

espéré, comme leur histoire le laisse assez raient le Dieu tout-puissant, etque c'est pour
voir, soitpourvu cependant qu'il soit établi
;
cela que Jésus a pris soin d'eux. Ainsi donc le
et que vous conveniez vous - mêmes qu'il y culte du Tout-Puissant mène en enfer, et
a une immense distance entre la sombre et celui qui adore le Père a besoin du secours du
douloureuse prison de l'enfer, ot!i ils subis- Fils' Mais c'est à toi à voir. Qu'il soit seule-
saient la peine de leur mauvaise conduite , ment convenu entre nous que si les patriar-
et le ciel où ils ont pu parvenir , affranchis ches hébreux sont au ciel, ce n'est pas pour
par le Christ Notre-Seigneur, en vertu de l'avoir mérité, mais parce que la clémence
sa mystérieuse passion, si tant est cependant divine a triomphé de la force de leurs péchés.
qu'ils y soient parvenus, comme on l'écrit. As- '
Malt. X.V1, 31. — 'Jean, vin, 3-11. — » MatU v, 15.

surément, parce que Notre-Seigneur a délivré


un des larrons du haut de sa croix et lui a
promis qu'il serait, ce jour même, avec lui
dans le paradis de son Père -, ce n'est pas une
Maa. vm, U. — Luc, wm, -13.
' -
408 CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE II. bâtîtune synagogue! Toutefois Luc ne passe


pas absolument cette parole sous silence, dans
DÉSACCORD ENTRE SAINT MATTHIEU ET SAINT LUC,
la crainte ,
je pense ,
qu'elle ne se trouve
d'après FAUSTE.
vraie ; mais il la déplace et l'applique à un
Cependant, nous doutons que le Christ ait sujet fort différent, à celui que Jésus traitait
dit cela, àcause de la différence du texte des quand il dit : « Efforcez-vous d'entrer par la
Evangélistes. Il y en a deux, Matthieu et Luc, « porte étroite ; car beaucoup chercheront à
qui racontent le fait du centurion dont le ser- « entrer et ne le pourront pas. Lorsque le
viteur était alors malade, et à l'occasion du- « Père de famille», ajoute-t-il, « sera entré
quel Jésus paraît avoir prononcé ces paroles, à « et aura fermé la porte, vous commencerez
savoir : qu'il n'avait point trouvé en Israël « par vous tenir dehors et par frapper à la
une grande foi que dans cet homme, qui
aussi « porte, en disant: Seigneur, ouvrez-nous. Et,
était cependant gentil et païen et cela parce ; « vous répondant, il vous dira Je ne vous :

qu'il avait dit qu'il n'était pas digne que Jésus 9 connais pas. Alors vous commencerez à
entrât sous son toit, mais qu'il le priait seule- <,( lui dire : Nous avons mangé et bu devant
ment de prononcer une parole et que son ser- a vous, et vous avez enseigné sur nos places
viteur serait guéri. Matthieu seul rapporte que « publiques et dans nos synagogues. Et il vous
Jésus aurait ajouté « En vérité, je vous dis
: « dira Je ne sais d'où vous êtes; retirez-vous
:

((que beaucoup viendront de l'Orient et de « de moi, vous tous, ouvriers d'iniquité. Là


« l'Occident et auront place dans le royaume K sera le pleur et le grincement de dents,
« des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, « quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob
« tandis que les enfants du royaume seront a et tous les Prophètes entrer dans le royaume
o jetés dans les ténèbres extérieures ». Par ce « vous chassés dehors et il en
de Dieu, et ;

grand nombre qui doit venir, Jésus entend « viendra de l'Orient et de l'Occident, et du

il dit cela à cause du centurion,


les païens; et « Midi et de l'Aquilon, et ils auront place au

qui lui-même païen ete n qui il avait


était « festin dans le royaume de Dieu ». Que '

trouvé une grande foi et par les enfants du; beaucoup seront exclus du royaume de Dieu,
royaume, il désigne les Juifs, en qui il n'avait pour avoir seulement porté son nom sans faire
pas trouvé de foi. Mais Luc, bien qu'il
ait cru ses œuvres, c'est ce que Matthieu n"a pas
nécessaire dans son Evangile ce
d'insérer manqué de dire non plus^; mais, là, il ne
trait, mémorable entre tant d'autres, de la vie fait aucune mention d'Abraham, d'Isaac ni de

du Christ, n'y fait cependant aucune mention Jacob. Luc, à son tour, parle bien du centu-
d'Abraham, ni d'Isaac ni de Jacob. Et si on dit rion et de son serviteur ; mais en cette cir-
que c'est parce que Matthieu en avait suflisam- constance il ne dit pas un mot d'Abraham,
nient jiarlé, pourquoi donc a-t-il raconté la d'Isaac ni de Jacob; en sorte que, comme il
conversation avec le centurion, et la guérison n'est pas possible de constater quand cette
du serviteur, puisque l'habile Matthieu en parole a été prononcée, rien n'empêche de
avait aussi dit assez long ? Mais cela est faux. croire qu'elle ne l'a pas été.
En effet Matthieu , à propos de l'invitation
faite à Jésus de venir, dit que le centurion
CHAPITRE III.

vint lui-même demander la guérison et Luc, ;


FAUSTE A RAISON DE NE POINT TOUT ADMETTRE
de son côté, ne dit point cela, mais que le DANS DES ÉCRITURES QUI NE SONT PAS AU-
centurion envoya des anciens d'entre les Juifs, THENTIQUES.
parce qu'il craignait d'être repoussé en qua-
lité de gentil (on veut que Jésus soit complè- Nous avons donc bien raison de ne pas
tement que ceux-ci essayèrent de
Juif), et écouter, sans jugement et sans motif, des Ecri-
persuader le Sauveur en lui disant que cet tures différentes et si peu d'accord entre
si

homme méritait qu'il fît cela pour lui, parce elles; mais de les étudier, de les collationner
qu'il aimait leur nation et qu'il leur avait et d'examiner dans leur contenu ce que le

même bâti une synagogue ' : comme si le Christ a pu dire ou n'a pas pu dire. Car vos
Fils de Dieu avait quehiue intérêt à ce que les ancêtres ont intercalé dans les discours du
Juifs eussent mérité qu'un centurion leur Seigneur bien des choses qui portent son
'
Mail, vin, 5-13 i
Luc, vu, 2-10. '
Luc, i-lil, 21-29. — » Mail, vu, 21.
LIVRE XXXIII. — AUTORITÉ DES ÉVANGILES. 409

nom, mais ne s'accordent point avec sa foi ;


dant leur vie, mais qu'ils ont été plus heu-
surtout parce que ces livres, comme nous reux que lui dans leur mort. D'autre part,
l'avons déjà prouvé plus d'une fois, ne sont quels séjours habitaient les justes morts avant
ni de lui ni de ses Apôtres, mais ont été fabri- l'incarnation du Christ, et la passion du Sau-
qués longtemps après son ascension, sur des veur les a-t-elle fait passer à un état meilleur,
bruits vagues et des opinions, par je ne sais ceux qui non - seulement avaient cru qu'il
quels demi-Juifs qui ne s'accordent (las même viendrait, qu"il souffrirait, qu'il ressusciterait,
entre eux, mais qui, en inscrivant partout sur mais qui l'avaient même annoncé, comme il le

leurs œuvres les noms des Apôtres ou de ceux fallait, par inspiration prophétique : ce sont
quiparaissaientavoir été disciples des Apôtres, des questions qui ne peuvent s'éclaircir que
leur ont faussement attribué leurs erreurs et par les saintes Ecritures si tant est que cela
,

leurs mensonges. C'est à toi à voir. Je ne veux soit possible, et non point se décider sur les
point, comme je l'ai déjà fait, trop disputer téméraires opinions des premiers venus, et
avec toi sur ce chapitre. Je suis suffisamment encore moins sur les assertions perverses
à l'abri sous la proposition que j'ai émise d'une hérésie exécrable et si éloignée de la
plus haut et qu'il vous est impossible de con- vérité. C'est en vain que Fauste use de dé-
tester, à savoir : qu'avant l'avènement de tours pour faire luire l'espérance qu'un jour
Notre-Seigneur tous les Patriarches et les on pourra obtenir, après la mort, ce qu'on ne
Prophètes d'Israël étaient enfermés selon ,
se sera point mis en peine de mériter pendant
leurs mérites, dans les ténèbres de l'enfer. Or, la vie. 11 serait heureux pour vous de renon-

si leChrist lesen a tirés pour les ramener au sein cer à cette erreur, pendant que vous vivez,
de la lumière, en quoi cela diminue-t-il l'hor- de connaître et d'embrasser la vérité de la foi
reur que leur vie doit inspirer? Car ce que catholique. Autrement, ce que l'injuste se pro-
nous haïssons et repoussons en eux, ce n'est met lui fera complètement défaut, quand les
pas qu'ils aient existé, c'est-à-dire qu'ils aient menaces que Dieu lui fait commenceront à
été hommes, mais qu'ils aient été tels, c'est- s'accomplir.
à-dire méchants; ce n'est pas ce qu'ils sont CHAPITRE V.
maintenant, c'est-à-dire purifiés, mais ce qu'ils
c'est BIEN LA VIE DES PATRIARCHES QUI EST
ont été jadis, c'est-à-dire impurs. En tous cas,
LOUÉE DANS l'ÉCRITURE.
et de quelque manière que vous preniez la
chose, ce chapitre ne nous contrarie aucune- J'ai déjà dit tout ce que je croyais devoir
ment, puisque, s'il nous y voyons avec
est vrai, dire sur la vie des Patriarches, en réponse
bonheur la miséricorde et la bonté du Christ; aux calomnies de Fauste. Evidemment ce
et s'il ne l'est pas, le crime en retombe sur ses n'était point aux Patriarches corrigés à la
auteurs. Mais dans les deux hypothèses, nous mort, ou justifiés après sa passion , que le
sommes en sûreté, comme toujours. Christ rendait témoignage, quand il disait
aux Juifs que, s'ils étaient enfants d'Abraham,
CHAPITRE IV.
ils devaient faire les œuvres d'Abraham
; que

COURTE RÉPONSE A FAUSTE. QUESTIONS ce même Abraham avait désiré voir son jour,

OBSCURES. qu'il l'avait vu ', et que c'était


et s'était réjoui
dans son sein, c'est-à-dire dans je ne sais
Auguslin. En sûreté, misérable! comment quelle grande et mystérieuse profondeur du
serais-tu en sûreté, toi qui prétends haïr les repos bienheureux, que les anges avaient
Patriarches parce qu'ils sont impurs, et qui transporté ce pauvre, affligé, méprisé par un
déplores encore l'impureté de ton dieu? Du riche orgueilleux ^ Que dirai-je de l'apôtre
moins tu accordes qu'après l'avènement du Paul? Est-ce Abraham justifié après sa mort
Sauveur, ces Patriarches ont été purifiés et qu'il loue d'avoir cru avant d'être circoncis,
placés dans l'heureux séjour du repos tandis , ce qui lui fut imputé à justice'', et qu'il es-
que votre dieu, même
après l'avènement du time, lui, au point de dire que c'est pour cela
Sauveur, est encore gisant dans les ténèbres, seulement, pour avoir suivi les traces de sa foi,
plongé dans tous
les crimes, mêlé à toutes les (|ue nous sommes devenus ses enfants, nous
impuretés en sorte que, non-seulement ces
; (jui n'étions point sa postérité selon la chair ?
hommes ont mieux valu que votre dieu pen- • Jean, vin, 39, 56. '
Luc, XVI, 23. — '
Rom. rv, 3.
410 COMRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

CHAPITRE VI. comme tels depuis le temps d'Hippocrate jus-


qu'à nos jours, tellement qu'il faut être fou
COMMENT SE FONDE LA CERTITCDE HISTORIQUE.
pour élever un doute là-dessus ? Et les ou-
Mais que puis-je faire avec vous, que l'ini- vrages de Platon, d'Aristote, de Cicéron, de
quité rend tellement sourds aux témoignages Varron auteurs de ce genre, com-
et d'autres

des Ecritures, que tout ce qu'on peut en pro- ment sait-on qu'ils sont d'eux, si ce n'est par
duire contre vous, vous l'attribuez, non plus le témoignage ininterrompu des temps qui se

à l'Apôtre, mais à je ne sais quel faussaire qui sont succédé ? Ainsi, dans la littérature ec-

l'aurait écrit sous son nom? La doctrine des dé- clésiastique, beaucoup ont écrit bien des cho-
mons que vous prêchez est tellement éloignée ses sans autorité canonique, mais dans le désir

de doctrine chrétienne, que vous ne pouvez


la d'être utiles aux autres ou de s'instruire eux-

la défendre sous le nom de doctrine chré- mêmes. Comment sait-on avec certitude de
tienne, qu'en niant l'authenticité des écrits des qui est tel livre, sinon parce que, quand l'au-
il l'a communiqué et publié
Apôtres. Malheureux ennemis de votre âme, teur l'écrivait,
quelles écritures auront jamais pour vous la autant qu'il l'a pu, que la connaissance s'en
moindre autorité, si celles des Evangélistes, si est transmise des uns aux autres, puis est passée

celles des Apôtres n'en ont pas ? Quel livre à la postérité et est parvenue jusqu'à nous;

sera jamais authentique, sidouter


l'on peut en sorte que, quand on nous demande de qui
que des écrits que l'Eglise, propagée par les est tel ou tel livre, nous n'hésitons pas sur la

Apôtres, et si glorieusement connue dans le réponse ? Mais pourquoi remonter si loin dans
monde entier, déclare et conserve comme le passé ? Voilà des écrits dans nos mains si, :

venant des Apôtres, en soient réellement ; et quelque temps après notre mort, quelqu'un
que, d'autre part, il soit certain que les mêmes s'avisait de nier que les uns sont de Fauste et

Apôtres aient écrit ce que produisent des héréti- les autres de moi, comment le convaincrait-

ques ennemis de cette même Eglise, et por- on, sinon par celte raison que ceux qui les
tant le nom de leurs propres fondateurs, qui ont connus dans le moment, ont transmis
ont vécu longtemps après les Apôtres ? Comme cette connaissance, qui se perpétuera jusqu'à

si,dans la littérature profane, il n'y avait pas la postérité la plus reculée ? Cela étant, quel

aussi des écrivains sur l'existence desquels est l'homme assez insensé , assez aveugle
volontairement laissé
on ne peut élever le moindre doute, mais (sauf ceux qui se sont
séduire par malice et la supercherie des
sous le nom desquels beaucoup d'ouvrages la

ont été publiés ensuite, puis rejetés, ou parce démons menteurs), pour dire que l'Eglise des
qu'ils ne s'accordaient point avec ceux qu'on Apôtres, une si fidèle, une si nombreuse as-

leur attribuait en toute certitude, ou parce semblée de frères parfaitement unis, n'a pu
qu'ils étaient inconnus dans temps où ces
le mériter que les écrits de ses fondateurs passas-
écrivaient, et n'avaient pas eu l'honneur sent à la postérité, quand leurs sièges ont été
auteurs
d'être recommandés et confiés à la postérité maintenus jusqu'à nos jours par une succes-
Pour n'en citer sion incontestable d'évèques, quand d'ailleurs
par leurs plus intimes amis !

le fait se produit avec tant de facilité pour des


qu'un exemple: N'a-t-on pas publié, sous le
écrits quelconques, soit en dehors, soit au de-
nom de l'illustre médecin Hippocrate , des
livres dont les médecins n'ont pas reconnu dans de l'Eglise ?

l'authenticité ? Une certaine ressemblance de


CHAPITRE VII.
choses et de mots ne leur a servi de rien :
raiiprochés de ceux qui sont certainement COMMENT SAINT MATTHIEU ET SAINT tCC PEUVENT
d'Hippocrato, ils ont été jugés inférieurs, ou- SE CONCILIER SUR l'HISTOIRE DU CENTURION.
n'a point été constatée
tre que leur authenticité
même temps que celle des autres. Mais Mais, dit-on, ces écrits ne sont pas d'accord
en
comparaison des- entre eux. Méchants que vous êtes, vous lisez
ces livres aulhenli(iues, en
quels ceux-là sont rejelés, comment sait-on avec une intention perverse; insensés, vous
qu'ils sont d'Hii>pocrate, comment se fait-il ne comprenez pas ; aveugles, vous ne voyez
(pie l'on ne réfute pas celui qui le nie, mais pas Uu'y aurait-il de difficile à les étudier
!

qu'on se contente d'en rire, si ce n'est parce avec attention, à saisir l'accord si parfait, si
tradition constante ks a transmis éditianl <iui règne entre eux, si l'esprit de
qu'une
LIVRE XXXIII. — AUTORITÉ DES ÉVANGILES. Mi
contention ne vous égarait pas, et si la piété puisse rien dire de plus, n'employons-nous
vous aidait ? Et au fond, qui donc, lisant dans pns souvent cette expression, même quand la

deux liistoriens le récit du même fait, s'avisera chose s'est faite par intermédiaire, disant par
de croire que l'un et l'autre, ou l'un des deux exemple : Il a plaidé sa cause, il est parvenu
trompe oti est trompé, parce que l'un dit jusqu'au juge; ou encore 11 est parvenu à tel :

quelque chose que l'autre passe sous silence ;


ou tel puissant personnage, quand le plus
ou parce que l'un raconte plus brièvement ,
souvent tout s'est fait par l'entremise d'amis,
tout en conservant la même jiensée pleine et sans qu'on ait vu seulement
celui à qui on est
entière, tandis que l'autre entre dans les plus censé être parvenu D'où vient même qu'on ?

petits détails et expose, non-seulement le fait, donne vulgairement le nom de pervento-


mais toutes les circonstances du fait ? Cepen- res à ces hommes habiles dans l'art de
dant Fauste veut atta(|uer la véracité des l'intrigue, qui parviennent à intéresser des

Evangiles parce que Matthieu mentionne


,
potentats d'un caractère en quelque sorte inac-
quelque accessoire que Luc a négligé en ra- cessible ? Quoi encore ? oublions-nous donc,
contant la même chose comme si Luc niait ;
quand nous lisons, quelle langue nous par-
que le Christ ait dit ce que Matthieu écrit lons ? Et la divine Ecriture pouvait-elle nous
qu'il a dit. 11 n'y a donc, là, aucune difficulté, tenir un autre langage que celui qui est
et de telles objections ne peuvent être soule- usité parmi nous ? Voilà ce que je répondrais
vées que par des hommes tout à fait irréfléchis à des hommes obstinés et querelleurs, sur les
et qui manquent de volonté ou de capacité formes ordinaires du langage.
pour examiner sérieusement des questions de
ce genre. Sans doute les infidèles peuvent de-
CHAPITRE VIII.

mander un éclaircissement, les fidèles même DEUX ÉCRIVAINS PEUVENT DIFFÉRER SUR LE MÊME
proposer une objection (et encore des infidèles FAIT SANS SE CONTREDIRE.
peu instruits, ou trop opiniâtres, s'ils ne cèdent
pas à une simple explication), proposer, dis-je, Du que ceux qui portent dans ces re-
reste,
une objection sur ce que Matthieu a dit « Un : cherches, non un esprit de contention, mais un
a centurion s'approcha de lui, le priant et di- esprit de calme et de fidélité, s'approchent de
« sant....», tandis que Luc raconte que ce cen- Jésus, non par la chair, mais de cœur non par ;

turion envoya à Jésus des anciens des Juifs, la présence corporelle, mais par la puissance de

pour le prier de guérir son serviteur qui était la foi, comme ce centurion, et alors ils com-
malade, et que, comme Jésus n'était plus loin prendront mieux ce qu'à dit Matthieu. C'est aux
de la maison, le même centurion envoya hommes de cette trempe que le Psalmiste dit :

d'autres personnes lui dire qu'il n'était pas « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés,

digne que Jésus entrât dans sa maison, pas « et votre visage ne sera pas couvert de
même digne d'aller à Jésus. Comment alors « honte ' ». C'est ainsi que le centurion, dont

Matthieu a-t-il pu dire : « Il s'approcha de lui, le Christ a loué la foi, était plus près du Christ
« le priant et disant : Mon serviteur gît para- que messagers mêmes qu'il lui envoyait.
les

« lytique dans ma
maison^ et il souffre violem- C'est encore quelque chose de semblable que
« ment '
donc entendre que Matthieu a
?» Il faut le Seigneur exprimait lorsqu'il dit « Quel- :

abrégé le récit, touten lui conservant son fond aqu'un m'a touché » au moment où la ,

et sa substance il a dit que le centurion s'est


;
femme qui souffrait d'un flux de sang, touchait
approché de Jésus, sans expliquer si c'était par le bord de son vêtement et était guérie. Les

lui ou par d'autres qu'il a parlé de son ser-;


disciples semblaient étonnés qu'il leur dît :

viteur malade sans exprimer si c'était par


,
«Qui m'a touché ?» et encore « Quelqu'un :

lui-même ou par des intermédiaires. Quoi « m'a touché», alors que la foule le pressait de

donc ? le langage humain n'est-il pas rempli tout côté. Ils lui répondirent enfin a La foule :

de locutions de ce genre, comme quand nous « vous presse, et vous demandez: Qui m'a tou-

disons, par exemple, que quelqu'un a fort ap- « ché - ? » De même donc que la foule pressait

proché de quelque chose, sans dire encore le Christ, et que la femme le touchait ; ainsi
qu'il y est déjà parvenu ? Et quoique parvenir lesmessagers approchèrent du Christ, mais le
soit le dernier terme, et qu'il semble qu'on ne centurion en approchait davantage. Matthieu
' Malt, vm, 5-13 j Luc, vu, 2-10. ' i's. .vxxui, 6. — ' Luc, vm, 43-16.
412 CONTRE FALISTE, LE MANICHÉEN.

a donc employé une forme de langage qui lomnies de Fauste sur ces sujets seulement, et
n'est point du tout inusitée, et a laissé percer lui avoir, avec l'aide de Dieu, répondu suffi-
un sens mystérieux et Luc a exposé le fait
; samment, je pense, et avec toute l'étendue
tel qu'il s'est passé, afin de nous forcer à pé- nécessaire, il me reste à vous donner en peu
nétrer le sens de Matthieu. Je voudrais bien de mots un avis, à vous qui partagez cette cri-
qu'un de ces orgueilleux eût à raconter deux minelle et détestable en-eur c'est que si vous
:

fois la même chose, non pour mentir ni pour voulez suivre l'autorité des Ecritures, la pre-
tromper, mais dans l'intention sincère de dire mière de vous devez vous attacher à
toutes,
et d'exposer la vérité, et qu'on recueillît ses celle qui date la présence du Christ sur la
de
paroles, la plume à la main, pour les lui lire terre, et nous est parvenue par l'entremise des
ensuite on verrait s'il n'aurait pas dit plus
: Apôtres, et une suite incontestable d'évêques
ou moins, ou dérangé l'ordre, non-seulement se succédant sur leur sièges, et s'est mainte-
des paroles, mais des choses s'il n'aurait rien
; nue, illustrée et glorifiée dans tout l'univers
donné de son cru, en le prêtant à un autre, à jusqu'à nos jours. Là, en efl'et, vous verrez s'é-
qui il ne l'aurait pas entendu dire, mais qu'il claircir tout ce que l'Ancien Testament ren-
saurait l'avoir voulu et pensé s'il ne resserre-
; ferme d'obscur, et s'accomplir tout ce qu'il a
rait pas en moins de mots le récit vrai d'une prédit. Que si, au contraire, vous prenez la rai-
chose qu'il aurait exposée la première fois avec son pour guide, songez d'abord à ce que vous
plus de détails; si enfin, par tout autre inci- êtes, combien vous êtes incapables de com-
dent de ce genre qui puisse se ramener à des prendre la nature, je ne dis pas de Dieu, mais
règles positives, on ne verrait pas clairement de votre âme ; de la comprendre dis-je, ,

comment il peut arriver que, dans deux expo- comme vous prétendez le vouloir ou l'avoir
sés faits sur le même sujet par deux personnes, voulu, d'une vue rationnelle absolument cer-
ou même par un seul écrivain, il se trouve taine, et non d'après données de la crédulité
les

bien des choses différentes, mais non opposées ;


la plus absurde. Comme vous
ne le pouvez en
des variantes, et non des contradictions. C'est aucune façon (et vous ne le pourrez certaine-
ainsi que se résolvent toutes les difficultés ment jamais tant que vous serez ce que vous
dans lesquelles ces malheureux s'enchevêtrent, êtes), tout au moins tenez-vous-en à ce que la
pour conserver intérieurement leur espri t d'er- nature a gravé au fond de toute âme humaine
reur, et repousser extérieurement tout moyen que n'a point troublée quelque funeste erreur :

de salut. pensez, croyez que la nature et la substance


CHAPITRE IX. de Dieu est absolument immuable, absolu-
ment incorruptible, et dès lors vous cesserez
CONCLUSION. AVIS AUX MANICHÉENS.
d'être Manichéens, et vous pourrez un jour de-
Ainsi donc, après avoir réfuté toutes les ca- venir cathohques.

Ces vinyt-deux derniers licres ont été traduits par M. l'abbé DEVOILLE.
CONFERENCES
Entre saixLt ATxgustixi et le m^anieliéen. Félix.

LIVRE PREMIER.

PREMIÈRE CONFERENCE.

I. Sous le sixième consulat d'Honorius Félix. J'en suis persuadé.


Auguste, le sept des ides de décembre, Au- Augustin. Prouvez-nous donc à quel titre
gustin, évêque de l'Eglise catholique dans la Manès est l'apôtre de Jésus-Christ. En par-
région d'Hippone, commença la discussion en courant l'Evangile, je n'y ai rencontré nulle
ces termes : Hier, vous le savez, vous avez dé- part son nom parmi ceux des Apôtres; d'un
claré que vous pouviez justifier les écrits des autre côté, nous savons que le traître Judas fut
Manicbéens et prouver qu'ils contiennent la remplacé par saint Matthias, et que Paul fut,
vérité. Si vous avez encore aujourd'hui cette dans la suite, appelé à l'apostolat par la voix
pleine assurance, parlez. du Seigneur lui-même '. Prouvez-nous donc
Félix. Je ne rétracte pas ce que j'ai dit; oui que le titre même de cette lettre n'est pas un
j'aipromis de justifier ma loi, pourvu qu'on en mensonge, et que Manès est véritablement
présente le texte et qu'on en cite les auteurs. l'apôtre de Jésus-Christ.
Aicf/ustiii produisit aussitôt la lettre que les II. Félix. Que votre sainteté me prouve elle-
Manichéens appellent fondamentale et ajouta : même l'accomplissement de cette parole du
Voici le document dans lequel je vais lire, Seigneur a Je m'en vais à mon Père et je vous
:

c'est la lettre que vous appelez fondamentale ;


« enverrai le Saint-Esprit Paraclet, pour vous
la reconnaissez-vous ? « enseigner toute vérité - ». En dehors de ce

Félix. Je la reconnais. passage, montrez-m'en un autre où le Christ


Augustin. Prenez-la vous-même, et lisez. ait formulé la promesse de donner le Saint-
Félix la prit en effet et lut « Manès, apôtre
: Esprit pour nous enseigner toute vérité. Et si
« de Jésus-Christ par providence de Dieu le
la je trouve la vérité dans d'autres livres où il ne
« Père. Voici les paroles salutaires issues d'une soit nullement question de Manès, j'en con-
« source éternelle et vivante celui qui les ; clurai que c'est Jésus-Christ qui les a dictés,
(( écoutera, et après y avoir cru, les mettra en car c'est lui qui a déclaré que le Saint-Esprit
« pratique, ne mourra jamais et jouira de la Paraclet enseignerait toute vérité. Quand donc
« vie éternelle et glorieuse. Bienheureux, en vous m'aurez convaincu sur ce point, je m'at-
« effet, celui qui aura reçu cette doctrine, car tacherai aux paroles du Sauveur et je foulerai
a il y trouvera la liberté de la vie éternelle ». aux pieds de Manès.
les écrits
Augustin. Vous reconnaissez que cette lettre Augustin. Vous ne pouvez me prouver à quel
est bien celle de votre Manès ? ' Act. I, 26 ; TX. — ' Jean, xvi, J3.
414 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

titre Manès est l'apôtre de Jésus-Clirist et , venons d'entendre l'Evangéliste rappelant la


vous voyez que je montre comment fut accom- Ijromesse faite par Jésus-Christ et contenue
plie la promesse donnée par Jésus-Christ d'en- aussi dans l'Evangile de saint Jean, comme Fé-
voyer le Saint-Esprit. Vous vous engagez en- lix, ici présent, en a fait l'observation. Eneflfet,
suite à rejeter les écrits de Manès^ si en deliors c'est en saint Jean que nous lisons ces paroles
de ces écrits vous trouvez l'accomplissement du Sauveur « Je vous envoie le Saint-Esprit
:

de la promesse divine. C'est vous qui le premier « Paraclet ' » Quant au passage que je viens de
,

deviez répondre à ma question; cependant, je citer, il est tiré de saint Luc, qui, en ce point,
n'hésite pas à changer les rôles et à vous est parfaitemend
d'accord avec le disciple
montrer dans quelles circonstances Jésus- bien-aimé. Voyons donc de quelle manière
Christ accomplit sa promesse et envoya le cette promesse s'accomplit; si nous trouvons
Saint-Esprit. Augustin se saisit aussitôt de l'E- dans les livres de la sainte Eglise l'accomplis-
vangile et des Actes des Apôtres. sement formel de cette promesse, nous n'au-
111. Ouvrant doncl'Evangile illut ce qui suit : rons plus à chercher un autre Saint-Esprit, et
«Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi, Jésus nous échapperons ainsi aux séductions qui
« setrouvadehout au milieu d'eux et leur dit : nous sont otièrtes pour nous faire tomber dans
La paix soit avec vous ; c'est moi, ne craignez l'erreur.
« rien ». Ceci, ajouta Félix, se passa après la IV. Augustin lut ce qui suit, dans les Actes
résurrection, puis il continua de lire : o Mais des Apôtres : « J'ai parlé dans mon premier
« troublés et saisis de frayeur, ilscroyaient voir « livre, ô Théophile, de toutce que Jésus a fait
« un esprit. Jésus leur dit : Pourquoi vous « et enseigné depuis le commencement, jus-
« troublez-vous, et pourquoi s'élève-t-il tant « qu'au jour où il fut enlevé dans le ciel, après
« de pensées dans vos cœurs Regardez mes
? « avoir instruit, par le Saint-Esprit, les Apôtres
« mains et mes pieds, c'est moi-même. Tou- qu'il avait choisis. Il s'était montré à eux
te chez comi)renez qu'un esprit n'a ni chair
et « depuis sa passion, les avait convaincus, par
« ni os, conmie vous voyez que j'en ai. A ces « différentes preuves, qu'il était vivant, etleur
mots, il leur montra ses mains et ses pieds. « avait apparu pendant quarante jours, les en-
« Mais comme ils ne croyaient point encore ,
a tretenant du royaume de Dieu. En mangeant
« tant ils étaient transportés dejoieetd'admira- (1 avec eux, il leur ordonna de ne point sortir
« tion, il Avez- vous là quelque chose
leur dit : « de Jérusalem, mais d'attendre la promesse
« à manger ? Ils lui présentèrent un morceau « du Père, telle que je vous l'ai annoncée, leur
« de poisson rôti et un rayon de miel. Après « dit-il, de ma propre bouche. Jean a baptisé

« qu'il eut mangé devant eux, il recueillit les « dans l'eau mais pour vous, dans peu de
;

« restes, les leur donna et leur dit : Voilà ce « jours vous serez baptisés dans le Saint-Esprit.
(( que vous disais étant encore avec vous,
je « Alors ceux qui se trouvaient présents lui de-
« qu'il fallaitque tout ce qui a été écrit de « mandèrent Seigneur, sera-ce en ce temps
:

« moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes « que vous rétablirez le royaume d'Israël ? II

8 et dans les psaumes, s'accomplît. Alors il « leur répondit ne vous appartient pas de
: 11

« leur ouvrit l'esprit, aOn qu'ils comprissent « savoir les temps et les moments que le Père
« les Ecritures. Puis il leur dit : 11 est écrit « a mis en son pouvoir. Mais vous recevrez la
« qu'il fallait (jue le Christ souffrît de la sorte, « vertu du Saint-Esprit qui descendra sur
«qu'il ressuscitât le troisième jour et qu'on « vous, et vous me rendrez témoignage dans
prêchât en son nom la iiénitence et la ré- « Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie,
« mission des péchés imrmi toutes les nations, « et jusqu'aux extrémités de la terre. Après
« en commençant par Jérusalem. Or, vous êtes « qu'il eut prononcé ces paroles, ils le virent
« témoins de ces choses. Et je vais vous en- s'élever vers le ciel, et il entra dans une nuée
« voyer le don que mon Père vous a promis ;
« qui le déroba à leurs yeux. Et comme ils

« cependant, ne sortez pas de la ville jusqu'à « étaient appliqués à le regarder montant au


« ce ([ue vous soyez revêtus de la force d'en « ciel, deux hommes vêtus de blanc se présen-
« haut' ». tèrent tout à coup à eux et leur dirent :

Augustin déposa alors le texte de l'Evangile, « Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-
prit celui des Actes des Apôtres et dit : Nous « vous à regarder au ciel ? Ce Jésus qui, en se
' Luc, xxiv, a6-l'.l. ' Jeau, XVI, 7.
.

LIVRE PREMIER. — PREMIÈRE CONFÉRENCE. 415

« séparant de vous, s'est élevé dans le ciel ,


dre le nom d'apôtre pour mieux tromper les
« viendra de la même manière que vous l'y ignorants.
a avez vu monter. Ils quittèrent donc la mon- V. Voyons maintenant la réalisation de la
te tagne des Oliviers, qui est éloignée de Jéru- promesse relative au Saint-Esprit. Aussitôt
« salem de l'espace du chemin qu'on peut faire Augustin lut ce qui suit a Quand les jours :

a le jour du sabbat et ils s'en retournèrent à


;
« de la Pentecôte furent accomplis, au mo-
« Jérusalem. Etant donc rentrés, ils montèrent a ment où les disciples étaient tous assemblés
« dans ime chambre, où demeuraient Pierre, « dans un même lieu, on entendit tout à coup
a Jean, Jacques, André, Philippe, Thomas, a un grand bruit, comme celui d'un ventim-
« Barthélémy, Matthieu, Jacques fils d'Alphée, « pétiieux qui venait du ciel et qui remplit
« SimouappeléleZélé,etJudefrèrede Jacques, « toute la maison où ils étaient assis. En
« qui persévéraient tous unanimement dans « même temps ils virent paraître comme
a la prière, avec les femmes, Marie mère de « des langues de feu , qui se partagèrent et
« Jésus et ses frères. Pendant ces jours-là ,
a qui s'arrêtèrent sur chacun d'eux. Alors ils

n Pierre se leva au milieu des frères qui « furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils

« étaient tous réunis au nombre de cent vingt, « commencèrent à parler diverses langues,
« et leur dit : 11 faut que s'accomplisse ce que a selon que le Saint-Esprit leur donnait de les
a l'EspritSaint a prédit dans l'Ecriture par la « parler. Or, il y avait à Jérusalem des Juifs
« bouche de David, touchant Judas, qui a été « religieux de toutes les nations qui sont sous
« le conducteur de ceux qui se sont emparés a le ciel. Après que ce bruit se fut répandu, il
« de Jésus. Il nous était associé et il était ap- a s'en assembla un grand nombre, et ils fu-
« pelé aux fonctions du même ministère. Mais « rent très-surpris de ce que chacun d'eux
a il a acquis un champ avec de son pé-
le prix a entendait les Apôtres parler en sa langue.
» ché ; et s'élant pendu il a crevé parle milieu a Ils en étaient tous hors d'eux-mêmes et ;

« du ventre, et toutes ses entrailles se sont a dans cet étonnement ils s'entredisaient Ces :

a répandues. Ce devenu tellement pu-


fait est a gens-là qui se parlent ne sont-ils pas tous
ce blic parmi les habitants de Jérusalem, que « Galiléens ? Comment donc
les entendons-
« ce champ a été nommé en leur langue Hâ- a nous parler chacun
langue de notre la
te celdama, c'est-à-dire le champ du sang. Car a pays? Parthes, Mèdes, Elamites, ceux d'entre
« il est écrit dans le livre des Psaumes : Que a nous qui habitent la Mésopotamie, la Judée,
a leur demeure reste déserte ;
qu'il n'y ait a la Cappadoce, le Pont et l'Asie, la Phrygie,
« personne qui l'habite, et qu'un autre prenne « la Pamphylie, l'Egypte et la Libye qui est
« sa place dans l'épiscopat. Dès lors, parmi « proche de Cyrène; et ceux qui sont venus de
« ceux qui ont été en notre compagnie pen- a Rome, Juifs et prosélytes, Cretois et Arabes,
« dant que Jésus a vécu avec nous, à com- a nous les entendons parler chacun en notre
« mencer au baptême de Jean jusqu'au ,
a langue des merveilles de Dieu ». Après '

« jour où il a été enlevé du milieu de nous, cette récitation, Augustin s'écria Avez-vous :

a il faut qu'on en choisisse un qui soit, avec compris comment le Saint-Esprit fut envoyé ?
« nous, témoin de sa résurrection. Alors ils en Je viens de vous prouver ce que vous me de-
« présentèrent deux Joseph, appelé Barsa-
: mandiez à vous maintenant de réahser votre
;

« bas, surnommé le Juste, et Matthias. Et se promesse. Nous savons dans quelle circon-
« mettant en prière, ils dirent : Seigneur, stance le Saint-Esprit promis fut réellement
« vous qui connaissez cœurs de tous les
les envoyé il ne vous reste plus qu'à couvrir de
;

« hommes, montrez-nous lequel de ces deux tous vos mépris cette Ecriture qui, sous le
« vous avez choisi pour remplir ce ministère nom du Saint-Esprit, n'aspire qu'à tromper le
« et l'apostolat, que Judas perdit par son lecteur ou l'auditeur.
« crime, pour s'en aller en son lieu. Alors ils VI. Félix. Je ne rétracte aucune de mes pa-
« les tirèrent au sort, et le sort tomba sur roles, je soutiens encore que quand il m'aura
« Matthias, et il fut associé aux onze A|)ôtres » été prouvé que le Saint-Esprit a enseigné
Après cette lecture, nous venons de voir, dit la vérité que je cherche, je foulerai aux pieds
Augustin, celui qui a remplacé le traître Judas ;
cet écrit. Or, votre sainteté vient de me lire le
il donc plus possible de s'immiscer par
n'est passage où nous voyons que les Apôtres ont
fraude dans les rangs apostoliques, et de pren- • Act. l-ll, 11.
416 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

reçu le Saint-Esprit ; mais parmi ces Apôtres, Toutefois ,


prophétiquement éclairé par le

j'en cherche un qui m'apprenne l'origine, le Saint-Esprit (ju'il avait reçu, saint Paul parle
milieu de toutes choses.
et la lin de certains hérétiques, au nombre desquels
Augustin. vous lisez quelque part que le
Si vous pouvez vous ranger sans crainte, vous et
Seigneur ait dit ,1e vous envoie le Saint-Es-
: Manès. Ecoutez plutôt ce qu'il dit dans sa lettre
prit qui vous apprendra le commencement, le à Timothée « L'Esprit de Dieu dit ouverte-
:

milieu et la fin, vous avez raison de me pro- « ment que dans les temps à venir, quelques-

voquer à vous montrer ceux que le Saint- « uns abandonneront la foi, en suivant des

Esprit a instruits. « esprits d'erreurs et des docîtrines diaboli-

Félix. Votre sainteté a soutenu que les « ques, enseignées par des imposteurs pleins
Apôtres ont reçu le Saint-Esprit Paraclet ;eh « d'hypocrisie, dont la conscience est noircie de
bien ! je somme celui des Apôtres qu'il vous « crimes, qui interdiront le mariage et l'usage
plaira de m'apprendre ce que Manès m'a « des viandes que Dieu a créées pour être
appris, ou de réfuter son enseignement. « reçues avec action de grâces par les fidèles
Augustin. Assurément les Apôtres se sont « et par ceux qui connaissent la vérité. Car

bien gardés d'enseigner la doctrine du sacri- « tout ce que Dieu a créé est bon , et on ne doit
lège manichéen. Mais puisque vous prétendez « rien rejeter de ce qui se mange avec action de
que l'un d'eux doit réfuter et confondre cette « grâces, parce qu'il est sanctifié par la parole
doctrine, veuillez donc remarquer que les « En enseignant ceci
de Dieu et par la prière.
Apôtres n'habitent plus ce monde corporelle- « à nos frères vous serez un bon ministre
,

menl. Quanta moi, qui ne suis que le dernier, a de Jésus-Christ' ». Après cette citation,
non pas des Apôtres, mais des évêques (de l'évêque ajouta : Je déclare que cette prophétie

quel droit aspirerais-je à la gloire des Apôtres?) de l'Esprit-Saint vous désigne directement,
selon la part que le Seigneur a daigné m'ac- vous et tous ceux qui affirment que parmi les
corder dans les lumières de l'Esprit-Saint, je créatures de Dieu il en est d'impures, et qui
réfute la doctrine de Manès, à mesure que l'on traitent de fornication véritable l'acte conju-
continue à lire la suite de celte lettre que gal le plus légitime. Quant à vous, si vous ne
vous n'hésitez pas h. attribuer à Manès. regardez pas conjugal comme une for-
l'acte

Félix, Vous dites que les Apôtres sont nication, ou si vous reconnaissez que toute
morts, mais leurs écrits sont là.
c'est vrai ;
nourriture accordée aux hommes pour leur
Usant donc du que vous m'avez donné
droit alimentation, est pure en elle-même, ce n'est
de tout dire, je rappelle cette parole de votre plus à vous que s'appli(iue la prophétie de
sainteté Je réfute la:loi de Manès et je vous ;
l'Apôtre. Au contraire, si vous méritiez les ana-
réponds « Tout homme est menteur, Dieu
: thènies formulés par cet oracle, il ne vous res-
« seul est véridique ' ». Ici c'est l'Ecriture qui terait plus qu'à voir dans cette sentence apos-

parle. tolique la réfutation anticipée, radicale et


VII. Vous êtes homme vous-
Augustin. complète de la doctrine de Manès. Répondez
même, conuuc tel, menteur, comme les
et donc à cette question Tout acte conjugal est-il :

faits vont bientôt nous le prouver. Et puisque une fornication, est-il ou n'est-il pas un péché ?
vous vous êtes donné toute liberté de langage, VIII. Félix. Que l'on me récite de nouveau
j'userai du même droit. En effet, si la vérité les paroles de l'Apôtre. Elles lui furent ré-
est du côté de Manès, ce n'est pas moi qui citées aussitôt. Il ajouta : Manès n'a point
pourrai la détruire s'il est dans l'erreur, peu ; renoncé à la foi, dans le sens formulé par l'A-
importe jiar (jui celte erreur soit réfutée. Ce- pôtre, dont les paroles ne s'applitiuent qu'à
pendant je dois relever cette distinction que ceux (jui ont quitté la foi pour former une
vous établissez entre les Apôtres et leurs écrits, secte particulière. Or, Manès n'a jamais quitté
quand vous dites que si les Apôlres sontmoris, aucune secte, de manière à mériter le reproche
leurs écrits restent. Je dis donc que les d'avoir quitté la foi,

Apôtres avaient disparu longtemps avant l'ap- Augustin. Je vois que vous refusez de ré-
parition de l'erreur manichéenne; est-il donc pondre à ma question vous craignez, sans ;

étonnant que dans leurs écrits ne se trouve doute, ou bien qu'on ne vous accuse de ne
aucune réi'ulalion directe du manichéisme ? pas croire à la venue du Saint-Esprit dans les

'
l'b. cxv, 2; Uuui. 111, •!.
'
I Tim. IV, 1-li.
LIVRE PREMIER. — PREMIÈRE CONFÉRENCE, 4i7

Apôtres, malgré les preuves que nous en tendu ce langage de Paul, nous voyons venir
avons données, ou bien qu'on ne vous mette Manès avec sa prédication, et nous le recevons
au nombre de ceux à qui s'applique la pro- comme du Seigneur
réalisant ces paroles :

phétie de saint Paul. Eh bien! pour moi, je « Je Paul est venu


vous envoie le Saint-Esprit '
» .

n'hésite pas à répondre à votre question, et je annonçant qu'il viendrait lui-même et per- ,

le fais en peu de mots. Ils abandonneront la sonne n'est venu ensuite; voilà pourquoi nous
foi, avez-vous dit je prends ces paroles dans ;
avons accueilli Manès. Et parce que Manès est
le sens que vous leur donnez et je dis que, venu, sa prédication nous a révélé le com-
pour renoncer à la foi, il faut de toute néces- mencement, le milieu et la fin; il nous a en-
sité qu'on l'ait or, Manès n'eut jamais à re-
; seigné l'origine du monde, pourquoi, com-
noncer à aucune croyance, il put toujours ment et par qui elle s'est accomplie; il nous a
conserver la sienne. Alors je vous demande si expliqué pourquoi le jour et pourquoi la nuit;

Manès, ou plutôt la doctrine des démons qui il nous a appris la course du soleil et de la
étaientenlui,neséduisitjamaisaucunchrétien, lune. Et puisque rien de tout cela ne nous
de manière à lui faire abjurer la foi. En effet, si, aucun autre
avait été révélé ni par Paul, ni par
grâce à vos séductions et à votre fallacieuse apôtre, nous croyons que Manès est lui-même
doctrine, un grand nombre de chrétiens re- le Paraclet. Je répète donc ce que j'ai dit plus
noncent à la foi et obéissent aux esprits men- haut Montrez-moi dans un autre livre des
:

songers, comme fut celui qui inspira Manès; preuves de la venue du Paraclet ou du Saint-
si, par conséquent, ils regardent le mariage Esprit rendez-moi ces preuves convain-
,

comme une fornicahon, et la nourriture qui cantes aussitôt j'y crois et je renonce au
;

sert à l'alimentation des hommes, comme manichéisme.


l'œuvre non pas de Dieu, mais des démons; X. Augustin. Parce que Paul a dit Ce que :

il est évident que c'est d'eux qu'a parlé l'Es- nous avons de science et de prophétie est
prit-Saint par la bouche de saint Paul, quand imparfait, vous concluez que Paul n'a pas reçu
il annoncé qu'ils renonceraient à la foi,
a le Saint-Esprit, et qu'il annonce même la
pour obéir aux esprits séducteurs comme venue d'un autre prophète plus grand que
était celui qui inspirait le manichéen. Mainte- lui, qui enseignera ce qu'il n'a pu enseigner
nant, puisque j'ai répondu à votre question, parce qu'il n'avait pas la science entière; et
il est juste que vous répondiez à la mienne, et ce personnage, c'est,àvosyeux,Iefoudateurdu
que vous me disiez si tout mariage n'est manichéisme. D'abord je trouve dans le texte
qu'une véritable fornication. Ou bien, si vous lui-même, l'explication de cette parole de l'A-
refusez de répondre à cette question, répondez pôtre ensuite, parce que vous avez dit que
;

du moins à la première que je vous ai adressée, Manès vous a enseigné le commencement, le


et prouvez-moi (jue Manès est l'apôtre de Jé- milieu et la fin, qu'il vous a expliqué le com-
sus-Christ; enfln, si vous refusez de me ré- ment et le pourquoi de la création du monde,
pondre sur ce point, permettez-moi de réfuter la course du soleil et de la lune et autres choses
sa doctrine, puisque j'en ai pris l'engagement que vous avez énumérées moi je vous déclare ;

en donnant lecture de la lettre que vous ap- que jamais lEvangile ne met sur les lèvres
pelez fondamentale. du Seigneur des paroles comme celles-ci : Je
l\. Félix. Votre sainteté a soutenu que Paul vous envoie Paraclet pour vous enseigner
le
avait reçu le Saint-Esprit Paraclet, c'est à cela la course de la lune et du soleil. Jésus-Christ
que je réponds. voulait faire des chrétiens et non des mathé-
Augustin. Il n'est pas le seul. maticiens. Sur ces matières, les hommes n'ont
Félix. C'est de lui seul que je parle; car il besoin que des enseignements qui leur sont
est clair que s'il l'a reçu, tous l'ont reçu éga- donnés dans les écoles. D'un autre côté, le
lement. Or, comment peut-il l'avoir reçu ,
Sauveur annonce le Paraclet comme devant
quand nous entendons dire dans une autre
lui révéler toute vérité; mais du commence-
épître : « Ce que nous avons de science et de ment, du milieu et de la fin, de la course de
« prophétie est très-imparfait. Mais quand la lune et du soleil, il n'en est nullement ques-
a sera venue la perfection, ce qui n'a été tion. Seriez-vous tenté de croire que tout
qu'imparfait, sera aboli '
». Après avoir en- cela est renfermé dans cette expression Toute :

' 1 Cor. xm, 9, 10. 'Jean, xvi, 7.

S. AuG. — Tome XIV. 27


418 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

vérité ? alors veuillez me dire, par exemple, « nous verrons face à face ». Après cette lec- '

quel est le nombre des étoiles. Si vous avez ture, Augustin ajouta Puisque, à vous en :

reçu cet Esprit dont la mission était de pro- croire, l'Apôtre prophétisait l'apparition fu-
mulguer ces enseignements que je regarde ture de Manès, vous voyez Dieu maintenant
comme étrangers à la doctrine chrétienne, de face à face.
toute nécessité vous devez répondre et me Xll. Félix. La dignité épiscopale vous
m'instruire. Aujourd'hui vous êtes devenu donne une vertu contre laquelle je ne puis
mon débiteur; ne pas répondre aux questions rien je ne puis rien non plus contre les lois
;

que je vous adresse, ce serait prouver que des empereurs, et [ilus haut, je vous ai prié
vous n'avez pas reçu cet Esprit dont il a été de me dire ce qu'est la vérité. Quand vous me
dit qu'il révéleraittoute vérité ;
je suppose tou- l'aurez enseigné, je serai évidemment con-
jours que dans cette vérité sont renfermés les vaincu de mensonge.
faits dont je parle. Voyez donc si vous voulez Augustin. Il est clair qu'il vous est impossible
me répondre, vous qui avez reçu le Saint- de prouver que Manès soit l'apôtre de Jésus-
Esprit révélateur de toute vérité, vous qui Christ eh bien je vais essayer en quelques
; !

soutenez que cette révélation a pour objet la mots de dire pourquoi vous ne le pouvez pas.
connaissance même des choses temporelles. C'estdans la promesse par Jésus-Christ
faite
Quant à moi, je puis vous exposer les vérités d'envoyer le Saint-Esprit, que vous prétendiez
qui constituent la doctrine chrétienne; pour trouver la preuve de cet apostolatcar ne sa- ;

vous, qui la croyez insuffisante on n'y ajoute si chant pas à quelle époque cette promesse a
pas la connaissance du monde, de son origine été réalisée, vous croyez pouvoir conclure
et de ce qu'il renferme, vous devez nécessai- que Manès est véritablement le Saint-Esprit.
rement me répondre sur tous ces points. Or, m'appuyant sur les Ecritures saintes, ec-
N'oubliez pas, du reste, que vous aurez à clésiastiques et canoniques, je vous ai rappelé
prouver tout ce que vous avancerez. Mais avec la dernière évidence, la circonstance dans
avant de vous céder la parole, si toutefois vous laquelle s'est réalisée la venue du Saint-
vous sentez capable de justifier la doctrine de Esprit ; alors, faisant volte-face, vous avez de-
votre maître, je tiens, comme je l'ai promis, mandé que vous exposât sa doctrine, et
l'on
à expliquer cette parole de l'Apôtre : « Ce que que montrât si elle détruisait celle
l'on vous
nous avons de science et de prophétie est de Manès. Je vous ai répondu que Manès
« imparfait ». n'avait paru que longtemps après la mort des
Nous allons reconnaître, par la lecture
XI. Apôtres, et après la diffusion de leur doc-
du lui-même, que l'Apôtre, se fondant
texte trine ;
j'ai cependant ajouté que l'un des
sur l'expérience, constatait uniquement que, Apôtres , Paul, inspiré par le Saint-Esprit,
dans cette vie, l'homme ne peut tout embras- avait prophétisé l'apparition de votre ensei-
ser d'une manière parfaite, tandis que l'Esprit- gnement, et l'avait qualifié à l'avance d'ensei-
Saint qui ue peut, pour ménager notre fai- gnement des démons, pères du mensonge. En
blesse, soulever à nos yeux, ici-bas, qu'un même temps, j'ai prouvé que tous les carac-
coin du voile qui nous cache la vérité, nous tères de la prophétie de Paul s'appliquaient
la révélera tout entière après cette vie. Pour parfaitement à votre croyance, dont un des ar.
vous en convaincre, écoutez l'Apôtre. Augustin ticles principaux est la prohibition des noces,
lut aussitôt : « Les [)rophéties seront anéanties, d'où vous concluez que le mariage n'est
« les langues cesseront, la science sera abolie, qu'une véritable fornication. Ajoutez-y en-
a Car ce que nous avons maintenant de science core l'abstinence de nourritures créées par
« et de prophétie est très-imparfait. Mais lors- Dieu, car il est des aliments que vous regar-
que nous serons dans l'état parfait, tout ce de/, comme impurs, quoique l'Apôtre ait dé-
a qui est imparfait disparaîtra. Quand j'étais claré que toute créature de Dieu est bonne ^
« enfant, je parlais en enfant, je jugeais en A tout cela, je vous demandais une réponse ;

'i enfant, je raisonnais en enfant ; mais lors- et pour uk; satisfaire


,
vous avez dit ijue ,

« que je suis devenu homme, je me suis dé- Manès vous enseigne le commencement, le
« pouillé de tout ce qui tenait de l'enfant. milieu et la fin, la course du soleil et de la
« Nous ne voyons maintenant que connue lune, et :uilres choses semblables. Je répliquai
« dans un miroir et en énigme, mais alors ' 1 Cor. .\lll,8-lJ.— = I Tim. iv, 1-4.
LIVRE PREMIER. — PREMIÈRE CONFÉRENCE. 419

que la doctrine chrélieime n'avait pas à s'oc- n'eussiez-vous pas cette crainte, vous nous en
cuper de ces faits ; et aussitôt vous m'avez donneriez assez d'autres preuves.
répondu que Paul lui-même avait déclaré que Félix. La crainte a aussi trouvé ses victimes
notre science et notre prophétie sont très-im- dans les Apôtres.
parfaites. J'ai prouvé que ces paroles signifient Augustin. La crainte leur a inspiré de
que, pendant cette vie, nous ne pouvons avoir prendre des précautions ; mais une fois tom-
de Dieu une connaissance parfaite, que nous bés entre les mains de leurs ennemis, jamais
ne voyons maintenant que dans un miroir et ils n'ont craint de confesser hautement leur
en énigme, tandis qu'au ciel nous verrons foi. De même, vous auriez pu craindre de
face à face. Puisque dans votre pensée , ,
vous exposer ici à nos regards maintenant ;

Paul annonçait la veuue de ce Manès qui en- que vous êtes en notre présence, si vous crai-
seignerait ce que Paul ne pouvait lui-même gnez, n'est-ce point parce que vous ne savez
enseigner, je vous ai dit alors que vous flattant que répondre? Si, en effet, vous aviez réelle-
d'avoir reçu le Saint-Esprit, vous devez voir ment craint. les empereurs, vous auriez com-
Dieu face à face dès maintenant. Cepen- mencé par vous enfermer dans un profond
dant vous ne pouvez le voir
, d'où je ; silence. En a-t-il été ainsi? Hier, en remettant
conclus que Paul parlait évidemment de votre libelle au curateur, n'avez-vous pas pro-
cette vie, dont saint Jean a dit « Mes bien- : clamé hautement que vous consentiez à être
a aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et brûlé avec vos livres, si on les trouvait dignes
« nous ne pouvons comprendre ce que nous de quelque censure. Hier donc, tout fier de
serons un jour nous savons seulement; vos forces, vous invoquiez le recours aux lois,
« que quand le Seigneur se sera révélé à et aujourd'hui, saisi par la crainte, vous fuyez

« nous, nous lui serons semblables, car nous la vérité.


« le verrons comme il est en lui-même ». A ' XIII. Félix. Je ne fuis pas la vérité.
ces paroles, vous m'avez dit que vous ne pou- Augustin. Accomplissez donc votre pro-
viez rien contre ma vertu ; cette vertu, si j'en messe , si vous voyez Dieu face à face ;
ai, ne vient pas de moi, mais de Celui qui me car n'avez-vous pas affirmé que l'apôtre
l'a donnée pour réfuter l'erreur, et qui est la saint Paul avait annoncé que la vérité nous
vertu même de tous ses fidèles serviteurs, et serait révélée tout entière ? N'avez-vous pas
de ceux qui placent en lui toute leur con- voulu nous faire croire que l'Apôtre n'avait
fiance. Vous ajoutiez que l'autorité épiscopale qu'une science imparfaite, tandis que vous
vous inspirait une sorte de terreur vous voyez ;
aviez, vous, la science parfaite?
cependant que nous agissons ensemble et que Félix. Loin de fuir la vérité, je la cherche.
nous discutons avec la paix la plus parfaite et Vous dites que je ne la possède pas, j'en étais
la tranquillité la plus profonde. D'un autre déjà convaincu par les saintes Ecritures. Voilà
côté, cette foule qui nous écoute ne vous fait pourquoi je cherche la vérité.

aucune violence, ne vous inspire aucune ter- Augustin. Avouez d'abord que vous n'avez
reur elle se tient dans le calme parfait qui
;
pu prouver que Manès fût l'apôtre de Jésus-
convient à des chrétiens. Mais, disiez-vous Christ. Ensuite, quand j'aurai arraché de votre
encore, vous craignez les lois des empereurs : cœur tout ce qui empêche le succès de mon
celui qui est tout rempli de l'Esprit-Saint ne ministère, si Dieu m'en fait la grâce, je vous
saurait avoir une telle crainte pour la foi. ferai comprendre quelle est la véritable con-
Pierre a été saisi de crainte pendant la passion naissance de la vérité, de celle qui, commen-
du Sauveur, et trois fois il a renié son Maître ;
çant par la foi, nous conduit infailliblement
fnais quand il eut été rempli de l'Esprit-Saint, à Dieu.
il devint capable d'être crucifié pour la foi en Félix. Vous prétendez que je dois abjurer
Jésus-Christ ;arracha un
lui à qui la crainte ma pour en embrasser une autre que vous
loi

triple reniement, se couronna ensuite de la dites meilleure et que je cherche je ne puis ;

mort glorieuse du martyre. Vous craignez les m'engager ainsi à abjurer ma loi avant d'avoir
empereurs cela me suffit, sans parler
lois des ; reçu l'autre.
du pour conclure que vous n'avez pas
reste, Augustin. Avant de verser une bonne
encore trouvé l'Esprit de vérité; du reste, liqueur dans un vase, on le purifie d'abord
'
I Jean, m, 2. de ce qu'il renferme de mauvais. Si vous n'y
420 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

consentez pas, justifiez la doctrine qui vous Félix. Voici ma réponse : Si le Paraclel a
obsède. Autant que Dieu m'en fera la grâce, parlé par les Apôtres et par Paul, montrez-
je vous prouverai que la doctrine mani- moi ce que je vous ai demandé.
chéenne n'est qu'un (issu d'impuretés et de Augustin. Avouez que vous n'avez pu ré-
blasphèmes permettez-moi seulement de lire
;
pondre à mes questions, et m'appuyant sur les
cette épître dont je vous ai parlé en commen- saintes Ecritures, je vous enseignerai ce qui
çant et avec laquelle vous n'avez pas pu
,
constitue la foi chrétienne.
prouver que Manès fût l'apôtre de Jésus- Félix. Présentez-moi les écrits de Manès
Christ. Quand je veux en venir au fait, vous et les cinqauteurs que je vous ai désignés, et
soulevez des difficultés qui m'arrêtent, car je vous répondrai.
vous craignez que cette lecture ne dévoile Augustin. Vous parlez des cinfj auteurs de
tous vos sacrilèges. Permettez-vous qu'on cette lettre dont nous avons lu le titre ainsi

lise? conçu : Manès, apôtre de Jésus-Christ ». Or,


«

Félix. Je le permets; cependant, je relève je vois que vous ne m'expliquez pas ce titre,
ce mot de votre sainteté vous avez dit que
: puisque vous ne me prouvez pas comment
l'on rejette d'abord ce qu'il y a d'impur, et Manès de Jésus-Christ.
est l'apôtre
qu'ensuite on verse la bonne liqueur. A quoi Félix. Ce que je ne fais pas avec cette lettre,

je répondsque personne ne peut jeter l'eau je le fais avec un autre volume.


d'un vase qu'autant qu'un autre y en a
,
Augustin. Avec lequel?
versé. Félix. Avec le Trésor.
Augustin. Voyez, de votre part, quelle pa- Augustin. Quel est donc l'auteur de ce livre

role inconsidérée, pour ne pas dire insensée. auquel vous donnez ce titre pompeux pour
J'ai cherché la comparaison d'un vase : si un mieux tromper les faibles? Est-ce Manès? De
vase est plein, on ne peut y rien verser qu'a- grâce, n'invoquez pas son propre témoignage
près avoir répandu ce qu'il contenait. en sa faveur; en se disant ce qu'il n'est pas, il
Félix. Vous n'avez parlé que d'un vase et n'est qu'un audacieux menteur.
moi j'ai parlé de deux. Félix. Prouvez-moi par un autre témoi-
Augustin. Si vous avez parlé de deux vases, gnage.
voulez-vous que nous vidions celui de votre Augustin. Que voulez -vous que je vous
ami pour remplir celui-ci, et que vous puis- prouve ?
siez verser ce que vous avez ? Félix. Que Manès est un menteur.
Félix. Nous n'avons tous deux qu'une seule Augustin. Puisque vous ne pouvez prouver
et même eau. que Manès dise la vérité, faudra-t-il que je
Augustin. Puisque vous êtes tous deux rem- prouve qu'il est menteur?
plis de votre eau, comment voulez-vous que Félix. Pourquoi n'ai-je pas pu le prouver?
nous versions celle de notre doctrine, si l'un de M'a-t-on présenté les écrits que j'avais deman-
vous au moins ne répand au dehors celle dont dés?
il est rempli ? —
Si votre foi est bonne, défen- .Augustin. \o\i?, invoquez les écrits de Manès ;

dez-la; qu'on lise cette épître vous n'avez pu : nous n'y croyons pas cherchez donc vos
;

en justifier le titre, voyons si vous serez plus preuves ailleurs. D'un autre côté, sa lettre en
heureux pour le reste. Vous obstinez-vous à main, je vous prouve (jue Manès est un men-
maintenir la véracité du titre? alors prouvez- teur et un blasphémateur.
nous comment Manès est l'apôtre de Jésus- Félix. Qu'on apporte les livres.
Christ. Augustin. Nous avons ici la lettre que vous
XIV. Félix. Jésus-Christ a promis d'envoyer appelez Fondamendale. Le titre est radicale-
nt-Esprit pournous enseigner toute vérité.
le Sai ment nul le titre n'est-il pas le fondement ?
;

Augustin. Si vous avez reçu le Saint-Esprit, Si je vous montre que l'édifice croule par le
répondez donc à mes questions. N'avez-vous fondement lui-même, pourquoi vous occuper
pas soutenu que cette doctrine renferme la du reste de la construction ?
connaissance des choses de ce monde? Alors, XV. Félix. Il vous plaît de le dire et moi ;

dites-moi combien il y a d'étoiles au firma- je vous réponds: Amenez-moi des arbitres au-
ment vous devez
; le savoir, si lu vérité vous a tant que vous en avez vous-même et je vous
été révélée tout entière. |)rouverai que Manès n'est pas menteur.
LIVRE PREMIER. — PREMIÈRE COINFÉRENCE. 421

Aitgicstin. Pour notre honneur et celui du mêmes réellement dangereux. Si la suite


et
genre humain tout entier ,
gardez-vous de doit être bonne et inspirée par la vérité, nous
croire que tous ces assistants soient mani- le verrons nécessairement. Permettez donc
chéens. qu'on lise ce qui suit.
Félix. Je répète, donnez-moi ce que je vous Vous affirmez qu'on ne place le bien
Félix.
ai demandé. en avant que pour ouvrir le passage au mal ;

Augustin. Qui donc voulez-vous que je vous comment donc puis-je vous croire puis- ,

amène ? que vous aussi vous avez commencé par le


Félix. Ceux que vous voudrez. bien ?

Auguslin. Je vous offre cette foule; si Augustin. Jusque-là je ne me suis pas encore
d'autres vous paraissent meilleurs, demandez. prononcé sur la bonté ou la malice de ces pre-
Félix. Comment offrez- vous ces assistants? mières paroles. J'ai dit que nous n'avions
Augustin. Ne sont-ils pas là pour nous en- rien entendu de répréhensible, mais je n'ai
tendre? pas dit que nous ayons entendu quelque chose
Félix. Ils ne me sont pas favorables. de bon. La seule erreur que j'ai relevée, c'est
Auguslin, Ah
vous demandez des arbitres
! qu'il ait osé se dire l'apôtre de Jésus-Christ.
en votre faveur, et non en faveur de la vé- Quant aux paroles que nous venons d'enten-
rité I dre, elles seront mauvaises si elles ont pour
Félix. Je demande des arbitres qui m'é- but d'introduire le mal elles seront bonnes,
;

coutent, moi et la lettre en question, afin si elles ne sont que les préliminaires du bien.

qu'ils décident si Manès dit la vérité ou s'il est Laissez donc continuer la lecture que crai- ;

menteur. gnez-vous ?

Augustin, Mais ne voyez-vous pas que ceux- Félix. Je ne crains pas.


ci vous écoutent? Lisons plus loin, puisque Augustin. Permettez donc qu'on lise.

vous avez avoué que cette lettre est bien Félix. Lisez.
l'œuvre de Manès. XVII. La lecture fut reprise jusqu'à ce pas-
Félix. Je ne le nie pas. sage :« C'est ainsi que son bi'illant royaume

Augustin. Qu'on lise donc. « fut fondé sur la terre de lumière et de bon-
XVI. Félix. Je n'ai point d'arbitres. Il ajouta : heur, et personne ne peut ni l'ébranler ni le
Qu'on lise le chapitre. On donna lecture et « détruire ». A ces paroles, Augustin s'écria :

bientôt on arriva au passage suivant : «Que A quel titre dont vous parlez, lui
cette terre
a la paix du Dieu invisible et que la connais- appartenait-elle? L'a-t-il créée? l'a-t-il engen-
a sance de la vérité soit avec ses frères et ses drée ? lui est-elle égale et coéternelle?
« bien-aimés qui croient aux préceptes divins Félix. Que signifient ces paroles : « Au
« et les accomplissent. Que la droite de la lu- commencement Dieu créa le ciel et la terre,
« mière vous défende et vous arrache à toute « et la terre était invisible, incapable de toute
« incursion mauvaise, à toutes les séductions a souillure et sans ordre ? » Voici comme
« du monde que la piété du Saint-Esprit
;
je les comprends : Au commencement Dieu
« ouvre les secrets de votre cœur, afin que de créa le ciel et la terre, et la terre était ;
je

« vos propres yeux vous voyiez vos âmes ». A crois qu'il y avait deux terres, comme Manès
ces mots, Félix s'écria Dans quelle écriture
: prétend qu'il y avait deux royaumes.
trouverez-vous la réfutation de ces paroles? Augustin. Vous venez de citer notre Ecri-
Augustin. Jusque-là , nous ne trouvons de ture, que vous avez coutume de blasphémer ;

répréhensible que l'audace avec laquelle il j'ai donc le droit de vous en exposer le sens

ose se dire l'apôtre de Jésus-Clirist. Quant à et de vous montrer quelle est pure de tout
ces phrases que nous venons d'entendre, elles blasphème, qu'elle est la vérité mêmeetqu'elle
ne sont qu'un pour mieux déguiser le
voile condamne Manès vous répondrez ensuite à
,

mensonge peau de brebis; l'exlérieur


: c'est la mes questions.
en est beau et bon, mais intérieurement elle Félix. Je réponds.
recouvre bien des maux. Voyons dune quelles Augustin. Ces premières paroles : «Au com-
doctrines il veut faire passer sous la beauté «mencement Dieu créa le ciel et la terre»,
de ces formes. Si ces doctrines sont mau- sont comme le résumé succinct de toutes les
vaises, ces préliminaires seront mauvais eux- œuvres de Dieu. Mais comme cette terre non-
422 CONFERENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

vellement créée, et avant d'avoir reçu une rien ne vous a choqué dans mes paroles; peut-
forme distincte et particulière, n'offrait encore être en sera-t-il de même pour moi, quand
aucune apparence extérieure, l'Ecriture, sup- vous me répondrez. Répondez donc.
posant que nous cherchons cette terre, ajoute XVIIl. Félix. Je réponds. 11 ajouta En par- :

immédiatement « Or, la terre » c'est-à-dire,


: , lant de cette terre dans laquelle Dieu habite,
celle que Dieu avait faite et dont il vient vous demandez si elle a été créée par lui, ou
d'être parlé dans ces paroles « Au conimen- : engendrée par lui, ou si elle lui est coéter-
« cément Dieu créa le ciel et la terre, cette nelle. Je disdonc que comme Dieu est éternel,
« terre était invisible sans forme et sans , et que rien de créé ne peut exister en lui,
« beauté ». Le texte sacré ne parle pas de
'
tout est éternel.
deux terres, il dit seulement ce qu'était cette Augustin. Cette terre n'a donc été ni en-
terre. Maintenant, répondez à cette question gendrée ni créée par lui ?
que je vous pose en peu de mots Cette terre : Félix. Non ; elle lui est coéternelle.
de lumière et de félicité, dont parle Manès, et Augustin. S'il l'avait engendrée, elle ne lui
sur laquelle était établi le royaume de Dieu, serait pas coéternelle.
avait-elle été créée par Dieu, ou engendrée Félix. Ce qui naît doit avoir une fin ; ce
par lui, ou De ces
lui était-elle coéternelle? qui n'est pas né n'a pas de fin.
trois hypothèses, choisissez-en une, mais sans Augustin. Vous donniez tout à l'heure à
tergiversation. Dieu le nom de Père ; de qui est-il donc le
Félix. L'écriture s'interprète par elle-même. Père ? S'il n'a pas engendré il ne peut être
Augustin. Si dans cette écriture se trouve Père.
un passage où que Dieu, ou bien en-
il est dit Félix. 11 a engendré d'autres choses.
gendra cette terre, ou la créa, ou l'avait pour Augustin. Ces autres choses qu'il a engen-
coéternelle, donnez-en lecture. drées, lui sont-elles, ou non, coéternelles ?
Félix. Ce passage ne se trouve pas dans la Félix. Tout ce que Dieu a engendré lui est
lettre, mais dans un autre écrit. coéternel.
Augustin. Je pense que si ce passage se Augustin. Vousdisiez, il n'y a qu'un ins-
trouve quelque part, vous savez où il est. Dès tant, que tout ce qui naît a une lin; avouez
lors, puisque vous connaissez cet écrit, ré- que c'était là une grossière erreur.
pondez-moi c'est le seul moyen de me con-
; Félix. Je me suis trompé, c'est parce que
vaincre que je suis dans l'erreur en soutenant je parlais de la génération selon la chair.
qu'il n'existe pas. Quand je saurai ce qu'il en Auguitin. En
confessant avec autant de
est, je discuterai votre réponse. Dites-moi modestie votre erreur, vous mériteriez de
donc franchement si Dieu a créé cette terre, comprendre la vérité.
ou s'il l'a engendrée, ou si elle lui est coéter- Félix. Que Dieu vous entende.
nelle; vous avez lu en effet, dans je ne sais Augustin. Réfléchissez un peu et vous sai-
quel livre, la réponse à cette question. sirez l'erreur de cet écrit. Si ce que Dieu a
Félix. Votre sainteté vient d'interpréter engendré ne lui est pas coéternel, cette terre
votre écriture comme elle l'a voulu, et j'ai que Dieu n'a pas engendrée et où habite tout
tout accepté ; acceptez de même l'interpréta- ce que Dieu a engendré, est meilleure que ses
tion qu'il me plaira de donner. habitants et que la terre engendrée par Dieu.
Augustin. J'accepte de votre part tout ce Félix. 11 y a entre tous ces objets une éga-
qui ne me paraît pas faux ;
quand j'entrevois lité parfaite, qu'ils soient engendrés, ou qu'ils

une contradiction, je vous en fais part ; c'est à ne le soient pas.


vous à me répondre. Augustin. Et celui qui les a engendrés, est-il

Félix. Je n'ai pas répondu à ce que vous leur égal ou leur supérieur ?

avez avancé. Félix. Celui qui a engendré, ceux qu'il a


Augustin. C'est moi qui ai proposé la pre- engendrés, et la terre où ils habitent, ne pré-
mière question, vous deviez donc répondre le sentent entre eux aucune différence.
premier, cependant j'ai poussé la délica-
et Augusti7i. Ils sont donc d'une seule et même
tesse jusqu'à répondre avant vous. Si vous substance ?

n'avez pas répondu, c'est sans doute parce que Félix. D'une seule.

Gcn. I, 1,2. Augustin. Ce que Dieu est par essence, ses
LIVRE PREMIER. — PREMIÈRE CONFERENCE. 423

filsle sont aussi, ainsi que cette terre dont « sainte ». Quel est ce côté, demanda-t-il aus-
nous parlons ? sitôt? est-ce le côté droit, ou le côlé gauche?
Félix. Ils ne sont tous qu'une seule et même Félix. Je ne puis vous expliquer ce passage
cbose. nivous montrer ce qui n'y est pas. Ce pas-
Augustin. Dieu n'est donc pas le Père de sage, en effet, s'interprète par lui-même;
cette terre, il n'en est que l'habitant ? quant à l'interpréter moi-même, je ne le pour-
Félix. Assurément. rais pas sans péché.
Augustin. Ainsi il ne l'a pas engendrée, il Augustin. Alors lisons la suite. On arriva
ne l'a pas créée il n'y a donc entre lui et elle
; bientôt au passage suivant : « Or, le Père de
qu'un rapport de proximité ou de voisinage, 9 l'heureuse lumière, prévoyant le grand dé-
mais d'un bon voisinage. La terre et le Père « sastre que devaient causer les ténèbres, en
sont deux cboses inengendrées. « se soulevant contre la sainteté de son em-
Félix. Il n'y en a pas deux, mais trois le : « pire, comprit qu'il devait leur opposer une
Père inengendré, la terre inengendrée et l'air c( puissance excellente, capable de triompher
in en gendre. « des ténèbres et de les extirper jusqu'à la
Augustin. Tout cela est d'une seule et même M racine ; car ce n'est qu'après cette destruc-
substance ? « lion que les habitants de la lumière pou-
Félix. D'une seule. « valent espérer quelque repos ». Après la
Augustin. Et tellement bien constitué que lecture de ces paroles, Augustin reprit Voici :

rien ne peut ni l'ébranler ni le détruire ? que blasphèmes commencent à se dévoi-


les
Félix. Toute secousse et tout ébranlement ler si vous croyez pouvoir les justifier, dites-
;

supposent la distance. nous quelle est cette nation des ténèbres dont
Augustin. Soit ; cependant est-il encore l'apparition fit craindre à Dieu que quelque
d'autres cboses qui bravent la secousse et la grand désastre ne se produisit dans son em-
destruction ? pire, et ne lui portât atteinte à lui-même.
Félix. Il y a une différence entre être mù Cette crainte devait être bien violente, puisque
et être ébranlé. vous avez dit plus haut que son royaume ne
Augustin. Ce n'est pas là la question. pouvait être ni déplacé ni ébranlé. Qu'est-ce
Félix. Cependant c'est parla que vous vou- que cette nation devait donc tenter contre
lez me surprendre. lui? Pouvait-elle ou ne pouvait-elle pas lui
Augustin. Prenez le terme mouvoir dans le nuire Vous avez à choisir, répondez.
?

sens que vous voudrez-, et dites-moi : la terre Félix. Je réponds Si Dieu n'avait aucun
:

ne pouvait-elle être mue ? ennemi, et comment lui en supposer, si l'on


Félix. Je ne dis pas qu'elle ne pouvait être n'admet pas avec Manès qu'il y avait un au-
mue; je dis seulement que le mouvement tre royaume peut-on soutenir que le Christ
;

implique l'idée de distance. a été envoyé pour nous délivrer du lien de


Augustin. J'ai dit qu'elle ne pouvait être ni la mort? Quel est ce lien, quelle est cette
mise en mouvement ni ébranlée. Je n'ai éta- mort? Si aucun adversaire ne s'élève contre
bli entre ces deux propositions aucune exclu- Dieu, pourquoi avons-nous été baptisés? Pour-
sion possible je les ai afQrmées toutes les
;
quoi l'Eucharistie, le christianisme, si tout est
deux en disant tout à la fois elle ne peut être ; en paix avec Dieu ?
mise en mouvement ni ébranlée. Augustin. Je m'aperçois que vous refusez
Félix. Il y a une différence entre être mis de me répondre, et que vous vous obstinez à
en mouvement et èlre ébranlé. m'interroger. J'y consens ; toutefois à la con-
XIX. Augustin. Lisons ce qui suit, et après dition que vous n'oublierez pas que je réponds
avoir dit que Dieu a établi son empire sur la toujours à vos questions, et que vous refusez
terre de lumière et de bonheur, empire qui de répondre aux miennes. Voici donc ma ré-
ne peut être ni déplacé ni ébranlé par per- ponse Nous croyons que Jésus-Christest venu
:

sonne, voyons si ce Dieu ne craint réellement nous racheter nous disons que nous avons
;

aucun ennemi comment, en effet, lui suppo-


; été délivrés de nos péchés, parce que nous ne
ser cette crainte, puisque son empire ne peut sommes pas engendrés de la substance de
être ni déplacé ni ébranlé ? 11 lut ce qui suit : Dieu, et que nous ne sommes que l'œuvre de
« Auprès et à côté de celte terre illustre et la création de Dieu par son Verbe. Or, nous
424 CONFERENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FELIX.

voyons une grande différence entre ces deux yeux de cette cité, de l'univers tout entier et à
états naître de la substance même de Dieu
: mes propres yeux.
et être créé par Dieu car, par cela même;
Augustin. Dites plutôt que si vous prenez la
qu'on est créé par lui, on n'est pas de sa sub- vous voulez que cette fuite soit regardée
fuite,

stance. Donc, tout ce que Dieu a fait est sujet comme un anathème lancé par vous contre
au changement lui seul n'y est pas soumis
; : Manès.
l'œuvre peut-elle être aussi parfaite que celui un semblable langage.
Félix. Je ne puis tenir
qui l'a créée? Or, répondant à une de mes Augustin. Alors avouez franchement que
questions, vous avez dit « Le Père y a engen-
: vous vous proposez de fuir; du reste, personne
« dré de la lumière ; et l'air, la
les enfants ne vous retient.
« terre et les fils ne sont que d'une seule et Félix. Je ne prends pas la fuite.
a même substance; ils sont tous d'une égalité Augustin. Comme je le vois, vous ne voulez
« parfaite » ; dites-moi donc maintenant com- pas vous exposer à vous retirer vaincu ; dites
ment la nation des ténèbres peut nuire à cette seulement : Si je fuis, c'est que je serai vaincu.
substance incorruptible. Si on peut lui nuire, Félix. Je l'ai dit.

donc pas une nature incorruptible


elle n'est ;
Augustin. Comment saura-t-on que c'est à
si on ne peut lui nuire, à quoi bon tout l'ap- cause de ce qui s'est passé que vous avez pris
pareil de la guerre ? à quoi bon cette puis- la fuite?
sance envoyée pour soutenir le choc et diriger Félix. Veuillez me donner pour témoin ce-
la bataille ? lui que je choisirai.
Félix. Avant de répondre, je demande quel- Augustin. Choisissez votre témoin parmi
que répit. ceux de nos frères qui sont ici près de la
Augustin. Suffit-il de vous accorder un grille.
jour? Félix. Je choisis celui qui se trouve au mi-
XX. Félix. Accordez-moi trois jours au- :
lieu.
jourd'hui, demain et le jour suivant ou plutôt, ;
Augustin. Je vous l'accorde, qu'il reste avec
remettons la suite de la discussion au lende- vous jusqu'au jour fixé.
main du dimanche, c'est-à-dire à la veille des Félix. C'est bien, j'y consens.
ides de décembre. Boniface. Que Jésus-Christ veuille que ce-
Augustin. Je vois que vous demandez du lui que j'accompagnerai soit chrétien 1

répit pour répondre la bienséance exige que je


; Moi, Augustin, évêque de l'Eglise catholique
vous l'accorde. Mais si, au jour fixé, vous ne d'Hippone, j'ai sigué ceci comme s'étant passé
pouvez me
répondre, qu'arrivera-t-il? en face du peuple, dans l'église.
Félix. Je m'avouerai vaincu. Moi, Félix, chrétien et disciple de Manès, j'ai

Augustin, Et si vous preniez la fuite? signé ceci comme s'étant passé dans l'église,
Félix. Ce serait me rendre criminel aux en présence du peuple.
LIVRE SECOND.

SECONDE CONFERENCE.

I. Au
jour fixé, c'est-à-dire la veille des raient et que je retrouve encore aujourd'hui,
ides de décembre, les choses se passèrent savent que vous avez demandé un répit que ;

ainsi dans l'église de la paix. ne demandiez-vous alors les écrits, si vous


Augustin, évèque de l'Eglise catholique dans pensiez en avoir besoin pour préparer vos ré-
la province d'Hippone, prit la parole et dit : ponses? Vous ne l'avez pas fait. Je sais que
Dans notre première conférence vous avez vous les avez demandés longtemps avant de
demandé un répit, il vous en souvient, parce réclamer un répit, mais alors vous n'aviez pas
que vous ne pouviez répondre immédiatement pour but de vous instruire. Quand vous avez
aux questions que je vous adressais. Si donc, demandé ce répit, vous n'avez manifesté au-
après ce long intervalle de cinq jours, vous cun désir d'avoir ces livres pour les étudier et
vous en sentez capable, répondez. Voici la les approfondir.
question que je vous posais Si rien ne pou- : Félix. Je demande que ces livres me soient
vait nuire à Dieu, pourquoi a-t-il déclaré la rendus immédiatement, et dans deux jours je
guerre à cette nation que vous appelez la na- reviens au combat. Si je suis vaincu, je subirai
tion des ténèbres, de telle sorte que pendant la sentence qu'il vous plaira de porter.

cette guerre il mêla sa substance à la nature Augustin. Je ne vous regarde pas comme
des démons ; c'est vous-même qui l'avez dit? un ignorant dans votre secte criminelle; vous
Au contraire, quelque chose pouvait nuire à
si avouez vous-même que vous connaissez sa
Dieu, le dieu que vous adorez n'est donc pas doctrine. Mais lors même que vous n'avoue-
un dieu incorruptible comme l'atteste la doc- riez pas que vous ne pouvez répondre, cette
trine apostohque ? impossibilité ne serait un mystère pour per-
Félix. Depuis que j'ai quitté votre sainteté, sonne. Maintenant, vous demandez vos écrits
je n'ai pas oublié le jour fixé pour une se- qui sont gardés sous le sceau public, et vous
conde conférence dans laquelle je devrais ré- promettez, après les avoir étudiés, de revenir
pondre à toutes vos questions. Mais je n'ai pu dans deux jours mais avant tout, constatez
;

me procurer aucun des écrits qui m'étaient une chose évidente c'est que vous ne pouvez
:

me mettre en état de com-


nécessaires pour répondre à mes questions. Emportez donc vos
battre; de même donc qu'on ne peut aller livres et dites-nous en quoi ils pourront vous
au combat sans être armé, de même qu'un aider pour vous instruire et pour répondre.
mon avocat ne peut plaider sans avoir de Félix. Je réclame toutes les écritures qui
dossier, moi je ne puis répondre sans écri- m'ont été enlevées. D'abord cette lettre Fon-
ture. damentale car votre sainteté n'ignore pas, je
;

Augustin. Cette tergiversation est tout ce le lui ai dit du reste, qu'elle renferme le com-
que vous avez trouvé de mieux après cinq mencement, le milieu et la fin qu'on la lise et
;

jours de réflexion; ce n'est pas elle qui vous qu'on prouve qu'elle renferme des erreurs ;
aidera beaucoup à vous tirer honorablement quand cette preuve m'aura été fournie, j'ana-
d'une cause perdue et d'une erreur sacrilège. tbématise cette lettre.
En effet, tous les chrétiens qui nous entou- Augustin. Puisque vous avouez que cette
i'26 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

lettre renferme le commencement, le milieu compli mes œuvres « Allez au feu éternel qui :

et la fin de votre doctrine, je prouve d'abord B a été préparé au démon et à ses anges ». '

que le commencement en est saci'ilége, car Quels sont ceux qui portent le nom de Jésus-
vous y dites que Dieu a combattu contre la Christ et sont jetés au feu éternel avec le démon
nation des ténèbres, qu'il a mêlé sa substance et ses anges? à quel parti ajtpartiennent ceux
à la nature des démous sans reculer devant en qui Jésus-Christ n'est pas mêlé et qui portent
les souillures qui devaient atteindre cette sub- son nom ? Manès répond que ceux que Jésus-
stance, qui n'est autreque lui-même. Il yalà Christ condamne ne sont pas de lui. Paul
une affirmation tellement sacrilège, qu'elle dit également « La prudence de la chair est
:

soulève l'indignation dans l'àme de tous ceux a l'ennemie de Dieu ; car elle n'est pas soumise

qui l'entendent. Et c'est là le premier repro- « à la loi de Dieu, et elle ne peut l'être ^ ».

che que j'adresse à votre secte, qu'il s'agisse Manès dit de même que ce qui est ennemi de
du commencement, du milieu ou de la fln, Dieu n'appartient pas à Dieu pour lui appar- ;

peu m'importe. Or, vous avouerez, je pense, tenir, il faudrait que Dieu se fût fait à soi-

que nous avons lu ce passage de la lettre Fon- même son ennemi c'est ce que Manès ne dit ;

damentale, que vous attribuez à Manès. C'est pas. Paul dit encore « Le Dieu de ce siècle a :

ce passage que je vous oppose; défendez-le, si « aveuglé l'esprit des infidèles afin qu'il ne

vous pouvez, avant (|ue nous passions à autre ((leur fût pas donné de contempler la clarté
chose. Je demande donc de nouveau Si c'est : B de l'Evangile de Jésus-Christ qui est l'image
un Dieu incorruptible que vous adorez, com- de Dieu Et ailleurs : « Il me fut donné
ment pourrait lui nuire cette nation ennemie a l'aiguillon de la chair, l'ange de Satan, pour
que vous imaginez à plaisir? Si elle ne pouvait 6 me frapper le jour et la nuit voila pour- :

rien contre Dieu, pourquoi alors mèlait-il sa B quoi j'ai demandé trois fois au Seigneur de
substance à la nature des démons ? Si elle B m'en délivrer ; et il m'a dit : Ma grâce te
pouvait lui nuire, Dieu n'est donc pas incor- a suffit; car la vertu s'éprouve dans la faiblesse

ruptible ? a et l'adversité S). Ce que l'Apôtre avance, ce


II. Manès affirme l'existence de deux
Félix. que l'évangéliste affirme, c'est ce que Manès
natures, l'une bonne et l'autre mauvaise et ; ne fait que répéter quand il déclare que celui
c'est cette dualité que vous lui reprochez. qui combat contre Dieu, est étranger à Dieu.
Dans l'Evangile Jésus-Christ parle de deux ar- De même que Jésus-Christ, tous les Apôtres
bres: « L'arbre bon ne porte pas de mauvais ont payé de leur sang leur fidélité aux ordres
« fruits, et larbre mauvais n'en porte pas de de Dieu ; eh bien ! que votre sainteté me dise
« bons ' B Voilà bien deux natures. Nous lisons
. sans détour si celui qui les a crucifiés en haine
également dans l'Evangile : o N'avez-vous pas de la loi de Dieu, appartient à Dieu.
a semé une bonne semence dans votre champ? III. Augustin. C'est parce que vous ne com-
« pourquoi donc y voit-on de la zizanie ? C'est prenez pas les saintes Ecritures que vous êtes
a là l'œuvre de l'ennemi prouve
- ». Qu'on me en proie à de grandes erreurs et voici ce-
si ;

que cet ennemi n'est pas étranger à Dieu s'il : l>endant que vous ne craignez pas d'invoquer
lui appartient, quelle semence a-t-il semée ? ces mêmes Ecritures pour patronner vos so-

De même il est écrit dans l'Evangile, qu'à la phismes. Or, malgré tous ces passages que
fin des temps, Jésus-Christ établira son trône vous citez textuellement ou que vous dénatu-
au milieu dusiècle, enverra ses anges à l'Orient rez, vous n'avez pu prouver que pour sous-

et à l'Occident, au Septentrion et au Midi, qu'il traire son royaume aux attaques imminentes

rassemblera toutes les nations en sa présence, de la nature ennemie, et pour se procurer le


et les séparera comme le berger sépare les repos et la tranquillité, Dieu ait mêlé sa sub-
agneaux du milieu des boucs. Je ne fais qu'a- stance, c'est-à-dire lui-même, à la nature des

nalyser il dira donc aux agneaux a Entrez :


démons , l'exposant ainsi d'une manière ,
;

« dans le royaume qui vous a été préparé dès infaillible, à toutes les hontes et à toutes les

« le commencement du monde ». 11 dira aux souillures possibles. Ne pouvant résoudre les

boucs placés à sa gauche « Retirez-vous de :


objections qui vous sont faites, vous avez cité,

moi, vous qui avez commis l'iniquité »; vous de l'Ecriture les passages dans
,
lesquels

jiorliez mon nom, mais vous n'avez pas ac- '


Malt. .\xv, 31-41. — ' Rom. Mil , 7. — ' Il Cor. iv, 1. - ' IJ.

• Malt. VII, 17. — Md. Xlll, 27, iS. XII, 7-9.


LIVRE SECOND. — SECONDE CONFÉRENCE. 427

l'Esprit-Saint affirme que les pécheurs n'ont établi différents degrés dans les choses créées,
aucun droit à cette vie bienheureuse que Dieu et les a distinguées par genres; ainsi nous
accorde aux hommes justes et fidèles. De là avons les choses célestes et terrestres, les cho-
vous concluez la dualité des natures, telle que ses immortelles et mortelles et dans son ;

Manès l'a rêvée dans son délire. Or, la Vérité genre chaque chose est bien. Quant à l'âme
nous déclare que tout ce qui existe, visible ou douée du libre arbitre, en lui conservant son
invisible, est l'œuvre de Dieu. De plus la na- infériorité à l'égard du Créateur, il l'a placée
ture raisonnable, créée elle-même par Dieu, au-dessus de toutes les autres substances
a été douée du libre arbitre dans la personne créées, de manière que si elle obéit à son su-
des anges et des hommes. En vertu de ce li- périeur,elle règne sur tout cequiest au-dessous
bre arbitre, si cette nature raisonnable soumet d'elle; tandis que si elle offense son supérieur,
sa volonté à la volonté et aux ordres de Dieu, les choses mêmes qui devaient lui être sou-
elle obtiendra pour récompense la félicité mises se tournent contre elle pour la punir.
éternelle; au contraire, si elle use du pouvoir Par ces paroles ou faites ceci ou faites cela,
:

dont elle jouit, pour se révolter contre Dieu et le Sauveur indique clairement que, quoi que

fouler aux pieds ses commandements. Dieu, l'homme fasse. Dieu en lui-même ne peut en
dans sa rigoureuse justice, la frappera de châ- recevoir aucune atteinte, tandis que si les

timents éternels. C'est ainsi que Dieu a mani- hommes choisissent le bien, ils en recevront
festé sa toute-puissance par la création et ma- la récompense ; ets'ilschoisissent le mal, ils en
nifesté sa justice par la punition des pécheurs. subiront le châtiment. Mais dans ces récom-
Quant au libre arbitre, qui donne le pouvoir penses et dans ces cliâtiments, Dieu reste tou-
de pécher si on le veul^ ou de ne pas pécher si jours la Justice même.
on ne le veut pas, je puis en prouver l'exis- V. Nous savons que Manès a poussé la per-
tence, non-seulement parles saintes Ecritures versité et l'orgueil jusqu'à supposer la dualité
que vous ne comprenez pas, mais aussi par les des natures pour se faire l'égal de Dieu et
paroles mêmes de Manès. En effet, quelque en- abaisser Dieu à son propre niveau. Eh bien 1

chaîné qu'il soit dans le cercle de ses erreurs, voyons comment il affirme l'existence du libre
il de reconnaître la puissance de la
est forcé arbitre. Dans cet ouvrage au titre pompeux,
vérité, quoique dans ses rêves insensés et que vous avez appelé le Trésor pour mieux
trompeurs il ait cherché à opposera Dieu une tromper les simples, nous trouvons le passage
nature que Dieu n'aurait point créée. Mais suivant que vous connaissez assurément vous-
pour rendre témoignage à l'existence du libre même a Quant à ceux qui, par leur négli-
:

arbitre, la nature humaine que Dieu lui a « gence, ont omis de se purifier de la tache

donnée a eu plus de puissance et d'efficacité « des esprits dont nous avons parlé précédem-

que n'en a eu, pour le nier, la fable sacrilège « ment, qui ont refusé d'obéir parfaitement aux

qu'il a imaginée à plaisir. « préceptes divins, qui ont violé la loi qu'ils
IV. Au sujet du libre arbitre, voulez-vous en- a avaient reçue de leur Libérateur, et qui, dans
tendre le Seigneur lui-même ? Rappelez-vous « leur conduite, n'ont pas suivi les règles de la
la parabole des deux arbres , telle que vous a décence, etc. » J'admets que l'auteur ne sa-
l'avez citée vous-même. Voici les paroles du vait pas ce qu'il disait, mais toujours est-il
Sauveur « Ou rendez bons l'arbre et sou
: qu'il rend formellement témoignage à l'exis-
« fruit , ou rendez mauvais l'arbre et son tence du libre arbitre. En effet il proclame
« fruit » Par ces mots
'
. ou faites ceci, ou fai- : que celui qui ne veut pas observer la loi, a le
tes cela, le Sauveur parle de la puissance d'agir pouvoir de la violer s'il le veut. Il ne dit pas
et non de la possibilité de créer une nature. qu'ils n'ont pas pu, mais qu'ils n'ont pas
Eu effet. Dieu seul peut faire un arbre tandis ;
voulu. Dira-t-on que s'ils ne veulent pas
que chaque homme a le pouvoir, par sa obéir à la loi, c'est qu'ils y sont forcés par la
volonté, de choisir le bien et de devenir un nation des ténèbres ? Puisque vous admettez
arbre bon; ou de choisir le mal et de devenir qu'ils sont forcés, ne dites point qu'ils n'ont
un arbre mauvais. Je n'entends pas par 1 que 1 pas voulu, mais qu'il n'ont pas pu. D'un
le mal que l'on choisit soit en lui-même une autre côté, s'ils n'ont pas voulu, le refus d'agir
substance je rappelle seulement que Dieu a
;
vient de leur volonté et non de la coaction. Si
'
Mali. Xll, 33. donc on admet en eux la puissance de ne pas
428 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

vouloir, on n'a plus besoin de recourir à l'in- «cessible '


». Est-elle inaccessible pour les
fluence nécessitante de la nation des ténèbres, saints dont il est écrit : « Approchez de
pour admettre l'existence du péché. Avouez le lui et soyez éclairés - ? » Est-elle inacces-
péché, et reconnaissez le principe d'où décou- sible pour ceux dont il est dit « Bienheureux :

lent toutes les fautes, le droit au châtiment et « ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils ver-

la répartition des peines. «ront Dieu ^ ? » Il est certain que personne


VI. On trouve cette même vérité
attestée par ne peut en approchera moins que Dieu ne lui
les écritures apocryphes que le canon catlio- en donne la grâce, voilà pourquoi il est vrai
lique n'admet pas mais qui ne vous en ,
de dire que par elle-même cette lumière est
paraissent, à vous que plus précieuses et ,
inaccessible. Si personne ne peut en approcher
plus dignes. Permettez que je vous en cite un que par la grâce de Dieu, comment donc cette
passage n'en reconnais pas l'autorité
;
je ,
nation des ténèbres pouvait-elle s'approcher
mais il me
sufûra du moins pour vous con- de cette demeure de Dieu, toute remplie d'une
vaincre. Dans les Actes composés par Lentius, lumière inaccessible à quiconque Dieu n'en
sous le nom d'Actes des Apôtres, nous lisons : a pas accordé la grâce ? Direz-vous que le
«Les fictions spécieuses, l'ostentation simulée, Seigneur la lui avait accordée ? soit mais ;

B la coaction des choses visibles ne procèdent convenez alors que ce n'était pas pour renver-
«pas de leur propre nature, mais de l'homme ser son royaume, et dès lors qu'il n'avait rien à
«qui, par lui-même, » s'est avili parla séduc- craindre sur ce point. Au contraire, s'il n'avait
a tion » . Par lui-même,
Remarquez ces mots : a pas permis à cette nation d'approcher, il de-
8 par la séduction » Le séducteur de l'homme,
. vait parfaitement en repos dans son
être
c'est le démon, qui se rendit pécheur, non par royaume, au sein d'une lumière inaccessible ;

sa propre nature, mais par la dépravation de sa qu'avait-il à redouter de la part de la nation


volonté. Malgré ses ruses l'homme pouvait lui des ténèbres? et alors qu'est-ce qui pouvait
résister ;
pouvoir que l'on a voulu
et c'est ce mêler sa substance aux démons et
l'obliger à
signifier par ces mots « Par lui-même, par : à la condamner ainsi à la honte, à l'esclavage
« la séduction». Par lui-même désigne le libre et à des souilluresde toute sorte? Et par quel
arbitre par la séduction, on doit entendre le
;
moyen Nous rougissons de le
la purifiera-t-il?

démon dont le pouvoir ne va pas jusqu'à dire; cependant, le désir de vous confondre et
forcer la volonté ; il ne peut que la tenter et la peut-être devons sauver, ne nous permet pas
séduire. de garder le silence. Vous ne rougissez pas de

VII. .le crois avoir prouvé que les passages dire que la substance de Dieu a dû être pu-
empruntés à l'Ecriture sainte et cités plus rifiée dans un vaisseau de lumière que vous

haut, s'appliquent, non pas à la dualité des na- appelez le soleil se pouvait-il imaginer une
;

tures, mais à la séparation des pécheurs et des honte plus grande pour le Créateur et pour le
justes, età la distinction des mérites librement soleil lui-même, dont vous ne proclamez la

acquis en sorte que c'est la volonté qui pro-


;
création que pour vous donner le plaisir de
duit la faute, sans que la nature y exerce au- porter l'injure à son comble ? En effet, si vous
cune nécessité. Maintenant répondez à la faitesintervenir la Divinité, c'est pour nous la
question déjà posée: Si rien ne pouvait nuire représenter employant sa puissance à enflam-
à Dieu, pourquoi a-t-il exposé à la souillure et mer concupiscence des démons auxquels
la

à la servitude sa propre substance en la mê- vous supposez toutes les passions des deux

lant aux démons ? Nulle part vous ne trouve- sexes, dont le jeu infâme permet à la substance

rez cette assertion dans les Ecritures cano- de Dieu de se réunir et de s'échapper. Vous
niques. D'un autre côté, si quelque chose pou- osez croire, vous n'hésitez pas à prêcher de
vait nuire à Dieu, le Dieu que vous adorez telles infamies, un sacrilège aussi horrible.
n'est donc plus un Dieu incorruptible, ce n'est Tel est pourtant le milieu de votre doctrine.
donc pas de lui que l'Apôtre a dit « Au Roi : Et la fin, quelle est-elle ? N'est-ce pas que Dieu
« des siècles, immortel invisible incorrup- , , n'a pu se purifier tout entier? En conséquence,
« tible, à Dieu seul honneur et gloire dans les ce (lui n'a pu être purifié servira comme d'en-

« siècles des siècles ?» Le même Apôtre dit ' duit à la nation des ténèbres pour être avec
encore « Dieu habite une lumière inac-
: elle, et sans aucune faute volonlairedesa i)art,

' I Tim.l, 17.


'
1 Tim. vr, 10. — ' Ps. xxxiii, 6. — '
Mail, v, 8.
LIVRE second; — SECONDE CONFERENCE. 429

damné éternellement. C'est ainsi que votre table du libre arbitre, le rémunérateur des
dieu, non pas le Dieu véritable, mais un dieu fidèles,de ceux qui lui obéissent et qui cher-
de votre invention ,
n'existant nulle part chent leur guérison, et l'ennemi des orgueil-
ailleurs que dans votre cœur, mêle mal- leux et des impies. Parce qu'il est venu guérir
heureusement sa substance, la purifie hon- les pécheurs, il guérit, en effet, ceux qui ac-

teusement et la damne cruellement. Répondez cusent leurs péchés et qui font pénitence. Or,
à cela; et pour suivre l'ordre naturel, dites- personne ne serepent d'un péché qu'un autre
nous d'abord pourquoi Dieu, à qui rien ne a commis; mais si la pénitence est juste et

pouvait nuire, a ainsi mêlé sa substance; si véritable, si elle est de celle dont parle le

vous soutenez, au contraire, que quelque Sauveur : « Je ne suis pas venu appeler les

chose pouvait lui nuire, dites-nous comment «justes, mais les pécheurs à la pénitence '
»,

il est incorruptible. elle prouve évidemment qu'elle n'est pas


VllI. Félix. Vous accusez Manès de cruauté ;
l'œuvre d'une nature étrangère, mais de notre
que disons-nous de Jésus-Christ qui a formulé volonté. Une pénitence qui aurait pour objet
cette sentence « Allez au feu éternel ? »
:
'
un péché commis par un autre, ne serait pas
Augustin. Elle s'applique aux pécheurs. une pénitence prudente, mais insensée. Quant
Félix. Et ces pécheurs pourquoi n'ont-ils ,
à vous, vous niez l'existence du péché. D'a-
pas été purifiés? bord, la nation des ténèbres ne pèche pas,
Aiifjustin. Parce qu'ils ne l'ont pas voulu. puisque le mal constitue sa nature de même ;

Félix. Parce qu'ils ne l'ont pas voulu, avez- la nature de lumière ne pèche pas, puisqu'elle

vous dit? n'est pas libre dans ses actions. Où trouver


Angustin. Oui, parce qu'ils ne l'ont pas dès lors un péché que Dieu puisse condam-
voulu. ner, un péché que la pénitence puisse guérir?
Félix. Pourquoi ne l'ont-ils pas voulu ? Admettre la pénitence, c'est admettre la faute;
Trouve-t-on un malade qui ne veuille pas être s'ily a faute, il y a volonté et enfin, si c'est ;

guéri? un coupable qui refuse la justifica- dans la volonté que le péché se consomme, on
tion ? un aveugle qui refuse la lumière ? Quel ne peut plus admettre de coaction de la part
homme infirme refuse la santé ? Si Manès a d'une nature ennemie. 11 est vrai que parfois
fait de la cruauté en disant que la substance la faiblesse est si grande, que l'on ne peut
divine qui n'a pu se purifier, a été enveloppée faire ce que l'on voudrait. C'est ce que l'A-
dans le goutfre de la damnation, Jésus-Christ pôtre exprime en ces termes : « Je vois dans
n'a pas été cruel, lui qui, après avoir dit Je : « mes membres une autre loi qui répugne à
suis venu pour les pécheurs, condamne aus- « la loi de mon esprit, et qui m'enchaîne à la
sitôt au feu éternel ceux qui ont porté son « loi du péché qui est dans mes membres * ».
nom? Mais ils n'ont pu, je crois, accomplir les Or, il est évident que cette faiblesse est le ré-
préceptes. Ou est donc la plus grande cruauté ? sultat tout à la fois et de la transmission du
S'il est cruel que Dieu n'ait pu les purifier et premier péché d'Adam d'une mauvaise ha- et

les ait jetés dans les chaînes de la damnation ; bitude. Si les hommes, aujourd'hui même,
n'est-il jias plus cruel encore que Jésus-Christ contractent de mauvaises habitudes, n'est-ce
envoie au feu éternel ceux qu'il n'a pu puri- pas par l'effet de leur volonté propre ? et quand
fier? Que votre sainteté me dise ce qu'elle l'habitude est formée, il est bien difficile de
pense de cette cruauté. la surmonter. Si donc la loi contraire ou mau-
Augustin. Si vous aviez compris mes pa- vaise habite dans leurs membres, c'est à eux-
roles, ou plutôt, si vous vouliez avouer que mêmes que les hommes doiventen attribuer la
vous les avez comprises, peut-être, en efiet, cause. Ceux, au contraire, qui se laissent con-
que, ne sachant que répondre, vous avez cru duire par la crainte de Dieu, et qui, en vertu
plus prudent de feindre que vous ne compre- de leur libre arbitre, vont chercher leur gué-
niez pas ce qui est pourtant d'une clarté évi- rison auprès du médecin suprême, grâce à la
dente ; toujours est-il que vous ne tiendriez miséricorde infinie du Créateur, l'obtiennent
pas ce langage. J'ai déjà affirmé et prouvé par infailliblement par l'humilité de leur confes-
les saintes Ecritures, l'existence du libre ar- sion et la sincérité de leur pénitence. Quant
bitre; j'ai ajouté que Dieu est le juge équi- aux orgueilleux qui se disent justes et sou-
' Malt. X.XV, II. '
Matt. IJS, 13. — Rom. vu, 23.
430 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

tiennent que si le péché est en eux, il n'est l'exemple de la patience à souffrir, il s'est fait

pas l'œuvre de leur volonté propre mais , l'un de nous, homme sorti de l'homme, chair
d'une nature étrangère, ils se rendent par là formée de la chair. Toutefois, en se faisant
même toute guérison impossible, et subissent chair, il n'a rien perdu de sa grandeur natu-
les effets du juste jugement de Dieu qui ré- relle ; c'est la chair qui en lui a revêtu une
siste aux superbes et donne sa grâce aux nouvelle dignité. Examinons au contraire
humbles '. Quoi, dos lors, de plus naturel que celte partie de votre dieu'; elle n'a revêtu au-
Dieu dise à ceux qui, par leur libre arbitre, cune chair, car elle n'était pas dans la nation
ont méprisé sa miséricorde « Allez au feu : des ténèbres, pour laquelle elle devait souf-
« éternel » ; et à ceux qui, par ce même libre frir elle est donc descendue pour être en-
;

arbitre, ont embrassé la foi, confessé leurs chaînée, liée, polluée, et pour subir une pu-
péchés, fait pénitence, regretté leur ancien rification plus honteuse même que ne l'était
état et béni celui dans lequel la grâce les a son esclavage. J'ai parlé de celte purification.
placés a Venez, les bénis de mon Père, pos-
: Plus ces assertions inspirent d'horreur, plus
« sédez le royaume ^ ? » Maintenant donc, ré- il est facile de comprendre qu'elles ne peuvent
pondez à mes questions, et faites-le sans re- s'appliquer à la nature de Dieu. Une intelli-

tard, je vous prie. Si rien ne pouvait nuire à gence pieuse et fidèle rougira toujours de
Dieu, pourquoi nous a-t-il envoyés ici-bas? croire d'un Dieu bon et véritable ce que vous
Si quelque chose ])0uvait lui nuire, il n'est croyez du vôtre, non pas tel que vous l'avez
donc plus un Dieu incorruptible. trouvé, mais tel que vous l'avez inventé. Ré-
IX. Félix. Si rien ne pouvait nuire à Dieu, pondez donc si rien ne pouvait nuire à Dieu,
:

pourquoi a-t-il envoyé son Fils sur la terre? dites-nous pour quelle raison et dans quel but
Augustin. Pourquoi donc interroger sans fut envoyée sur la terre cette partie de la sub-
cesse, et ne jamais répondre aux questions stance divine, qui ne devait revêtir aucune
qui vous sont faites? J'ai parfaitement com- chair et ne devait rien souffrir ou du moins,
;

pris votre demande, mais n'oubliez pas que si elle devait souffrir, ce ne pouvait être dans
vous ne me répondez jamais, tandis que je la chair ?

vous réponds toujours. Non, rien ne peut X. Félix. Si aucune nature ennemie ne pou-
nuire à Dieu, et cependant, il a envoyé son vait nuire ni à Dieu ni à Jésus-Christ, qui donc
Fils avec mission de revêtir notre humanité, Jésus-Christ est-il venu délivrer ? Il est venu,
de se montrer aux hommes, de guérir les pé- dites-vous, pour nous rendre la liberté; nous
cheurs, et de souffrir pour nous dans la chair étions donc esclaves. Si nous étions esclaves,
qu'il nous a empruntée. En effet, comme et si Jésus-Christ est venu pour nous rendre
Dieu, il ne pouvait souffrir, car « au commen- la liberté, cette liberté ne pouvait être en-
cecément était le Verbe, et le Verbe était en chaînée que par un ennemi de Dieu ou par la
« Dieu, et le Verbe était Dieu ». En sa qualité puissance même de Dieu. Dans ce dernier cas,
de Dieu et de Verbe éternel, il n'était pas sou- quel besoin avait celui qui nous enchaînait
mis à l'aiguillon de la souffrance. AQu donc d'envoyer Jésus-Christ? Et si Dieu était par-
de pouvoir souffrir pour nous , « le Verbe faitement libre de fixer le moment de notre
^
« s'est fait chair, et il a habité parmi nous ». délivrance, pourquoi Jésus-Christ a-t-il été
«Le Verbe s'est fait chair», en prenant un crucifié? Personne cependant n'ignore que
corps, et non pas en se changeant en un Jésus-Christ ait été crucifié. Pourquoi donc
corps; il a revêtu notre humanité sans perdre l'ont-ils crucifié? Si c'est la puissance de Dieu

sa divinité. Il est donc tout à la fois Dieu et qui nous retenait captifs, aucun inconvénient
honnue comme Dieu, est parfaitement égal
;
il ne pouvait en résulter pour nous au lieu ;

à son Père comme honnne, il est mortel,


;
nous lui étions unis
d'être captifs par lui,
parmi nous, pour nous, notre frère, restant comme des sujets à leur prince, comme des
ce qu'il était, devenant ce qu'il n'était pas, afin enfants à leur père, et non comme des Ro-
de sauver ce qu'il avait créé et non ce qu'il mains à des barbares. Puisque nous étions en-
était. La i)assion du Sauveur n'est donc pas de tièrement sous la dépendance divine, quel
sa part une œuvre de nécessité, mais une besoin Dieu pouvait-il avoir d'envoyer son
œuvre de miséricorde. Pour nous donner Fils ï Etait-ce jiour qu'il fût dit (lue notre Libé-
'
Jaui. IV, 6. — Mail. x.\v, 11, 31, — Jean, i, I-M. rateur est venu? Admettons (jue tout ce (lue
LIVRE SECOND. — SECONDE CONFÉRENCE. 431

nous sommes, nous le sommes par la puis- grâce; de là cette parole de la loi
« Maudit :

sance de Dieu n'oublions pas ces paroles de


;
« soit suspendu au bois ». C'est
celui qui est
l'Apôtre « Jésus-Christ nous a délivrés de la
: la mort elle-même qui était suspendue au

a malédiction de la loi, car il est écrit Mau- : bois, et la mort était l'œuvre de la malédic-
« dit soit celui qui est suspendu sur le bois ». '
tion. De même donc qu'en consentant à mou-
C'est ainsi que s'exprime l'Apôtre. Ou ne sau- rir, Jésus-Christ a détruit la mort de même, ;

rait douter qu'il y a ici une nialédiclion portée en assumant sur lui la malédiction, il a détruit
contre celui qui est suspendu au bois or, ; la malédiction. De là ce mot de l'Apôtre :

Jésus-Christ y a été suspendu, ses Apôtres 8 Nous savons que notre \ieil homme a été

soutîrirent également pour lui le dernier sup- « attaché à la croix avec Jésus-Christ '
» . En
pUce, afin d'obéir à ses ordres quel est donc ;
effet, c'est du vieil homme condamné à la
celui qui prononce la malédiction contre qui- mort, en punition de son péché, que Jésus-
conijue est suspendu au bois ? Christ a daigné prendre une chair mortelle
XI. Augustin. Ceux que Jésus-Christ a ra- dans le sein de la Vierge Marie, afin de nous
chetés de l'esclavage du démon, n'étaient donner l'exemple de la passion et de la résur-
tombés dans cet esclavage que par l'effet de rection. De la passion, afin d'affermir la péni-
leur volonté propre; eu consentant librement tence ; de d'enflammer
la résurrection, afin
aux séductions du démon, ils avaient attiré l'espérance. De cette manière, nous trouvons
sur eux la rigueur du juste jugement de deux vies dans la chair qu'il a empruntée à
Dieu. De même donc que l'homme fut par- notre mortalité : l'une laborieuse et l'autre
faitement libre d'écouter le démon et de se heureuse ; une que nous devons
vie laborieuse
soumettre à sa tyrannie ; de même le démon, tolérer, et heureuse que nous devons
une vie
en sa qualité d'ange, eut le pouvoir de pécher espérer. En supportant la vie laborieuse, nous
et de déchoir de son état de grandeur. Pé- ne faisons qu'accepter le châtiment dû à nos
cheur par son libre arbitre, l'ange déchu ins- péchés; pour Jésus-Christ, au contraire, cette
pira le péché à l'homme qui jouissait égale- vie laborieuse, loin d'être en lui le châtiment
m'ent de la liberté l'auge n'eût pas péché s'il
; d'un péché personnel, n'a été qu'une inspi-
l'avait voulu s'il l'avait voulu aussi, l'homme
; ration sublime de son infinie miséricorde. La
n'aurait pas consenti. Mais en péchant , promulgation de la loi, dit saint Paul, a été
l'homme devint l'esclave de celui à qui il pour le péché une occasion de se multiplier.
non pas sans doute
avait sacrifié sa volonté, Il y a là un reproche inhérent à toute loi ;

que le démon eût par lui-même aucun em- mais au lieu de la blâmer, si vous voulez con-
pire, mais Dieu en décida ainsi pour punir naître ses avantages, écoutez ce qui suit :

celui qui s'était révolté contre ses ordres. « Mais là où le péché a abondé, la grâce a

Quand donc Jésus-Christ vint au secours des a surabondé - ». En effet, si la loi a été impo-

pécheurs, il les trouva soumis à l'empire du sée aux hommes orgueilleux, qui espèrent tout
péché, et pour être rachetés, il leur suffit de de leurs propres forces c'est afin que, ne ,

renoncer à l'orgueilleux tyran qui les oppri- pouvant accomplir la loi et bien convaincus
mait. Vous avez cette parole « Maudit
cité : de leurs prévarications, ils courussent implo-
« soit celui qui est suspendu au bois» ce qui ; rer la miséricorde du Législateur lui-même.
a fait dire à l'Apôtre « Jésus-Christ nous a : Voilà pourquoi l'Apôtre ajoute presque aussi-
« rachetés de la malédiction de la loi en se tôt « La loi est sainte, le commandement est
:

« faisantmaudit pour nous, car il est écrit : « saint, j uste et bon » Et gardez-vous de croire
.

Maudit soit celui qui est suspendu au bois» ;


qu'il s'agisse d'un autre précepte que de
remarquez donc qu'il n'y a là aucuu reproche celui dont il a dit a La loi est entrée
: afin
adressé à la loi, mais une glorificatiou de la « que le péché abondât» ne l'entendons-nous ;

miséricorde. En péchant, Adam avait attiré la pas formuler aussitôt cette question a Ce :

malédiction sur lui et sur toute sa postérité ;


« qui est bon est-il devenu pour moi la mort?
or, le Sauveur a voulu prendre chair dans a Nou mais' c'est le péché qui, m'ayautdouné
;

qu'en revêtant notre mor-


cette postérité, afin a la mort par une chose qui était bonne, a fait
talité, qui était pour nous uu châtiment, il j paraître ce qu'il était * ». Le péché existait,

détruisît la mort et rétablît le règne de la mais il ne paraissait pas péché la loi a été ;

Gai. iiJ, 13 ; Deut. \xi, ÏJ. * Rom. V!, 6. •


Id. V, :o. — ' Id. vu, 12, 13.
432 CONFERENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

imposée à l'orgeilleux ; alors il s'est révolté suis pas dans la vérité, et croyez-moi tout dis-
contre la loi,péché, qui existait déjà,
et le posé à accepter la foi.

mais qui ne paraissait pas, s'est dévoilé dans Augustin. 11 est d'abord suffisamment prouvé
toute sa laideur. Or, en apparaissant dans toute que vous êtes dans l'erreur. En effet, il ré-
sa réalité, le péché a humilié l'orgueilleux ; l'or- pugne à la foi véritable de croire que Dieu
gueilleux, en s'humiliant, a fait pénitence, et s'est vu dans la nécessité de mêler sa sub-

sa pénitence lui a obtenu miséricorde. Voilà stance à la nature des démons, pour l'y enchaî-
ma réponse donnez-moi la vôtre La nation
; : ner et la souiller. Il répugne à la foi de croire

des ténèbres ne pouvait nuire à Dieu en quoi que Dieu, pour délivrer sa substance, soulève
que ce fût pourquoi donc Dieu a-t-il envoyé
;
toute l'ardeur des concupiscences charnelles
sa substance pour la mêler aux démons, et, Il répugne à la foi
entre mâles et femelles.
par eux, la voir se couvrir de souillures ? que Dieu damne éternellement sa propre
XII. Félix. Si nous jouissons du libre ar- substance mêlée aux démons. II est évident
bitre, que personne ne me fasse violence ;
que tous ces points de votre doctrine sont
quand je voudrai, je serai chrétien. Il doit autant d'erreurs grossières. Si donc, après
dépendre de notre volonté, d'être chrétien ou avoir renoncé à ces mensonges, vous désirez
de ne pas l'être. connaître la vérité, si vous éprouvez quelque

Augustin. Oui, la volonté nous appartient attrait pour la foi catholique vous pouvez ,

et nous est soumise, je l'ai clairement prouvé remonter aux principes. Ce qui surtout rend
par les saintes Ecritures l'auteur même de ; facile la perception de l'immuable vérité, c'est
votre hérésie en est convenu, forcé par l'évi- une foi pieuse rejeter cette foi, c'est se con-
;

dence. Vous ajoutez « Que personne ne me


: damner pour toujours à l'orgueil, et se rendre
« fasse violence, je serai chrétien quand je incapable de parvenir jamais au but auquel
«voudrai». Personne, assurément, ne vous on aspire. Si donc la fausseté de votre doctrine
fait violence quand vous voudrez, soyez chré-
;
vous paraît évidente, analhématisez cette doc-
tien ;si vous êtes ici, c'est que vous l'avez trine alors seulement vous serez apte à con-
;

voulu vous avez également consenti à la dis-


; naître la vérité.
cussion qui s'est engagée. Toutefois, malheur XIV. Félix. Je lancerai l'anathème contre
à la volonté mauvaise, si elle est mauvaise; et cette doctrine quand elle me sera démontrée
paix à la bonne volonté, si elle est bonne. fausse ;
jusque-1^, je ne le puis.
Qu'elle soit bonne, qu'elle "soit mauvaise, elle Augustin. Une erreur qui fait de Dieu un
n'en reste pas moins la volonté. La couronne être corruptible, doit-elle, oui ou non, être
attend la bonne volonté, et le châtiment la anathémalisée?
mauvaise. Dieu est donc tout à la fois le Juge Félix. Répétez.
des volontés et le Créateur des natures. Si vous Augustin. Une erreur qui fait de Dieu un
pensez que l'on vous fait violence pour vous être corruptible, doit-elle, oui ou non, être
rendre chrétien, sachez que jamais nous n'a- anathématisée ?

vons usé de coaction envers vous. Tout ce que Félix. Il faut prouver qu'il enseigne cette
nous vous demandons, c'est de peser et d'exa- erreur.
miner ce que nous vous disons, et cela ne dé- Augustin. Voici ma question Celui qui :

pend que de votre volonté. Si la prudence enseigne que Dieu est un être corruptible,
vous dirige, fût-elle une prudence tout hu- doit-il, oui ou non, être anathématisé?
maine, appliquez-la tout entière à examiner Félix. Vous me demandez si l'on doit ana-
si nous vous disons la vérité, si vous êtes im- thématiser celui qui enseigne que Dieu est
puissant à justifier la doctrine de votre Manès, corrui)tible?
et ici l'évidence s'impose d'elle-même. Et Augustin. C'est ma question.
quand cela vous plaira, soyez ce que voils Félix. Pourquoi ne dites-vous plus, comme
n'êtes pas encore, et cessez d'être ce que vous lirécédemment, que Dieu est corruptible, parce
êtes. qu'il a mêlé sa substance à ses adversaires?
XIII. Félix. Résumons, suivant le désir for- Augustin. Voici la question à lai]uelle je
mulé par votre sainteté. Si vous y consentez, vous prie de répondre Celui qui affirme la
:

laissons de côté tous ces écrits me voici , ; corruptibilité de Dieu, doit-il oui ou non, ,

montrez-moi la vérité, prouvez-moi que je ne être anathématisé ?


.

LIVRE SECOND. — SECONDE CONFÉRENCE. 433

Félix. Sans aucun doute. a été obscurcie dans les ténèbres, et que les

Augustin. Celui qui soutient la possibilité ténèbres ne l'ont point comprise.


pour la nature et la substance de Dieu d'être Félix. Mais celui qui était enchaîné et

corrompues, doit-il, oui ou non, être anathé- souillé, a été délivré ; nous qui avons été

matisé? souillés, nous sommes purifiés.

Félix. Je n'ai pas compris. Augustin. Ce langage ne peut pas s'appli-


Augustin. Ce que je dis, tout bomrae le quer à la nature de Dieu, mais uniquement à
comprend, pourvu qu'il n'affecte point de ne toute nature corruptible; celle-ci peut être
pas comprendre celui qui soutient la possi-
: souillée et purifiée. Mais quand il s'agit d'une
bilité pour la nature et la substance de Dieu, nature incorruptible, ne sentez-vous pas que
c'est-à-dire pour l'être même de Dieu, d'être c'est un horrible sacrilège de dire qu'elle est

corrompu, mérite-t-il, oui ou non, l'ana- souillée et purifiée? Et n'est-ce pas y mettre
thème? lecomble que d'ajouter qu'une certaine partie
Félix. Il le mérite, pourvu qu'il soit prouvé de Dieu a été tellement souillée que, ne pou-
qu'il l'a soutenu réellement. vant être purifiée, elle est damnée pour l'éter-
Augustin. Je ne vous ai pas dit que Manès nité? Ne pas anathématiser une telle doctrine,

enseignât la corruptibilité de Dieu ;


je déclare c'est s'obstiner dans l'erreur ; car, vous l'avez
seulement que celui qui avance une sem- dit vous-même, celui qui fait de Dieu un être
blable proposition mérite l'anathème. corruptible, mérite l'anathème.
Félix. J'ai répondu affirmativement. XVI. Félix. Vous parlez de cette partie qui
XV. Augustin. Cette substance, qui a été ne s'est pas purifiée des souillures contractées
mêlée à la nation des ténèbres, faisait-elle par- au contact de la nation des ténèbres. Or, Manès
tie de la nature de Dieu ou d'une autre nature? déclare que ceux qui possédaient cette nature
Félix. De la nature de Dieu. ne sont pas entrés dans le royaume de Dieu.
Augustin. Ce qui fait partie de la nature Vous affirmez, vous, qu'ils ont été damnés ;

même de Dieu, participe-t-il à l'être divin, Manès ne dit pas qu'ils ont été damnés il ,

ou est-il quelque chose d'étranger à Dieu ? affirme uniquement qu'ils ont été placés à la
Félix. Ce qui est de la nature de Dieu, est garde de cette nation des ténèbres.
Dieu, selon ce qui est écrit « La lumière : Augustin. Je traite en ce moment avec
B brille dans les ténèbres et les ténèbres ne , vous de cette partie que vous dites avoir été
l'ont point comprise '
». — « Car Dieu est la purifiée de ses souillures. Plus tard, s'il eu
« lumière, et en lui il n'y a point de ténèbres- » est besoin, je parlerai de celle qui est retenue
Augustin. Vous avez dit la vérité :Ce qui dans les ténèbres. Constatons seulement que
est de la nature de Dieu, est Dieu, et Dieu est celle qui est purifiée, avait été souillée.
la lumière en lui il n'y a point de ténèbres,
; Félix. Elle est souillée et purifiée.
et cette lumière a brillé dans les ténèbres, et Augustin. Celui qui affirme que la nature
les ténèbres ne l'ont point comprise. Reste à et la substance même de Dieu peuvent être
savoir ce que Manès fait de la substance de souillées, enchaînées par la nation des ténè-
Dieu ne dit-il pas que la lumière a été ren-
: bres, ne mérite-t-il pas l'anathème?
fermée dans les ténèbres, qu'elle y a été rete- Félix. De quoi Jésus-Christ nous a-t-il puri-

nue dans l'esclavage, souillée, corrompue, à fiés? de quoi nous a-t-il délivrés ?
tel point qu'elle a eu besoin de la miséricorde Augustin. Ce n'est pas la partie, la nature
d'un Libérateur? Si c'est là sa doctrine, vous de Dieu que Jésus-Christ a délivrée ce qu'il ;

en avez fait l'aveu, il mérite anatbème car, ; a délivré, dans son infinie miséricorde, c'est
en disant que la nature de Dieu, ou Dieu lui- sa créature , l'œuvre de ses mains , tombée
même, a été enchaînée et souillée dans les dans le péché par son libre arbitre. Il a purifié
ténèbres, il est en contradiction formelle avec cette créature qui pouvait être souillée; il a
vous, qui avez dit vrai en citant cette parole délivré cette créature qui pouvait tomber
de l'Evangile « La lumière brille dans les
: dans l'esclavage il a guéri cette créature qui
;

« ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point com- pouvait être malade. Mais il ne s'agit en ce
« prise ». Vous devez donc anathématiser moment que de la nature, de la substance
Manès, puisqu'il ose affirmer que la lumière même de Dieu ; cette substance pouvait-elle,
' Jeao, I, 5. — ' I Jean, i, 5. oui ou non, être souillée?

S. AuG. — Tome XIV. i>8


434 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

XVII. Félix, Notre âme, qui a été souillée, elle peut Dieu n'est donc pas incorrup-
l'être.
vient-elle de Dieu?
ne vient pas de Dieu, Si elle tible, et un
langage mérite assurément
tel
comment Jésus-Christ a-t-il été cruciûé pour l'analhème. Si elle ne peut être souillée, vous
elle? Cependant il est certain que Jésus-Christ voyez que vous devez anathématiser Manès,
a été crucifié pour notre âme, et que celte puisqu'il assure que la partie ou la nature de
âme vient de Dieu, qu'elle a été souillée et Dieu a été mêlée à la nation des ténèbres, e
purifiée. qu'elle y a été tellement enchaînée et souillée,
Augustin. Je dis que Dieu est le Créateur, qu'elle a eu besoin d'être purifiée et délivrée.
non-seulement de notre âme, mais aussi de XVllI. Félix. Vous avez dit de l'âme qu'elle
notre corps et de toute nature spirituelle et n'est pas de Dieu.
corporelle cette vérité est de foi catholique.
; Aiujustin. J'ai dit que l'âme n'est pas de
Mais entre ce que Dieu a engendré et ce qu'il Dieu, en ce sens qu'elle soit née de la sub-
a créé, n'y a-t-il pas une distance infinie ? Ce stance même de Dieu, mais qu'elle est de Dieu
que Dieu a engendré est égal au Père; ce que en tant qu'elle est sou œuvre.
Dieu a créé ne peut être égal au Créateur. Félix. Vous avez dit de l'âme qu'elle n'est
Ainsi nous mettons une distinction essentielle pas de Dieu, mais qu'elle est la créature de
entre ce qui procède de la nature de Dieu, Dieu, parce que Dieu est l'auteur de tout ce
comme le Fils unique ou le Verbe, par qui qui existe; pourquoi donc ne pas dire que
tout a été fait et qui est Dieu lui-même ', et ce rame est de Dieu ?
qui est sorti des mains de Dieu, qui a dit et Augttstin.YAXe est par Dieu, parce qu'elle a
tout a été fait, qui a commandé et tout a été été créée par lui.
établi '\ Or, notre âme n'est qu'une simple Félix. Qu'elle soit faite, envoyée ou donnée,
créature de Dieu, sans être nullement engen- elle est de Dieu. Si elle est de Dieu, si elle a
drée de sa nature. Voilà pourquoi nous disons été souillée, et si de cette
c'est |)Our la délivrer

que ce qui a été engendré par le Verbe n'a souillure que Jésus-Christ est venu sur la
pu, ne peut et ne pourra être souillé. Au con- terre, qu'avez-vous à reprocher à Manès?
traire , notre âme constituée maîtresse du Augustin. Je dis que l'âme n'est pas de la
corps, avec mission d'obéir à son Supérieur et nature de Dieu, qu'elle en est une simple
de commander à son inférieur, c'est-à-dire de créature,tombée dans le péché par son libre
servir Dieu et de régner sur le corps, s'est ren- péché et purifiée parla
arbitre, souillée par le
due coupable de péché en méprisant la loi miséricorde de Dieu. De votre côté, vous sou-
divine; et Dieu, touché de miséricorde pour tenez que la nature même de Dieu, Dieu lui-
sa créature, a envoyé son Fils unique pour même, a été enchaînée etsouillée dansla nation
refaire ce qu'il avait fait. Quand il s'est agi de des ténèbres. N'y a-t-il donc aucune diffé-
donner l'être à ce qui n'était pas, c'est le rence entre ce qui est né de la substance
Verbe (jui a été la parole créatrice quand ;
il même de Dieu, et ce qui a été par lui créé du
s'est agi de refaire ce qui s'était laissé cor- néant?
rompre, c'est le Verbe encore qui a revêtu Félix.Donc l'âme est une partie de Dieu.
notre humanité dans le sein de la Vierge Augustin. Je vous ai déjà prouvé qu'elle
Marie, afin que dans ce corps qui nous était n'est pas une partie de Dieu, et comprenez
commun, il montrât à l'homme ce qu'il de- enfin ce que nous entendons quand nous di-
vait souffrir et ce (ju'il devait espérer. 11 suit sons que Dieu est le Créateur tout-puissant.
de là que la nature même du Verbe, en tant Faire quelque chose, c'est ou le tirer de soi-
que substance du Fils unique de Dieu, ne même, ou le tirer d'un autre, ou le tirer du
put rien souffrir des persécutions des Juifs ni néant. Parce que riiomme n'est pas tout-puis-
de la haine du démon. Mais en se revêlant de sant, c'est de lui-même qu'il tire son fils; d'un
la chair il revêtit la mortalité, la souffrance, autre côté, pourformer une arche, l'artiste doit

le changement ; et dans cette chair il souffrit se servir de bois, et d'argent pour former un
ce qu'il voulut pour nous donner l'exemple vase. 11 a pu faire le vase, mais il n'a pu faire

de la patience, et il nous reforma sur le mo- l'argent ; il a ]iu faire l'arche, mais il n'a pu
dèle de la justice. Dites-moi donc si cette par- faire le bois. Quant à faire quelque chose de

tie de Dieu peut être souillée, oui ou non. Si rien, l'homme en est incapable. Au contraire,
* Jean, i, 3. — ' l'e. cxLvnr, 5. voyez Dieu avec sa toute-puissance : il a en-
LIVRE SECOND. — SECONDE CONFÉRENCE. 43S

gendre son Fils de lui-même , il a créé le qu'il a créé ne lui est pas égal; mais ce qu'il
monde de rien, et il a fait l'homme du limon engendre donc à mon
lui est égal. Je reviens
de la terre ; ces trois opérations ne prouvent- dilemme: est-ce la créature que vous croyez
en lui-même une toute-
elles pas qu'il possède muable, ou bien la nature de Dieu?
puissance universelle? Tirer quelque chose Félix. Ce que Dieu a engendré est immua-
de soi-même, cela ne s'appelle pas créer, mais ble, comme Dieu lui-même est immuable de ;

engendrer. Pour faire l'homme, Dieu s'est même, si ce qu'il a fait est de la même nature
servi du limon de la terre, mais ce n'est pas que lui, on doit dire que la créature est im-
en ce sens qu'un autre lui ait fourni la terre, muable. (11 l'a faite de rien, car son œuvre ne
comme c'est lui qui fournit l'argent à l'ou- change pas '.)
vrier pour en faire un vase cette terre, c'est ; Augustin. Je vous ai déjà prouvé que l'œuvre
Dieu lui-même qui l'avait créée, c'est-à-dire de Dieu n'est pas de la nature de Dieu tout a ;

qu'il l'avait tirée du néant. Ce que nous disons été créé de rien, parce que Dieu est tout-puis-
du corps, disons-le de l'âme disons-le de ,
sant. Rien n'existait, et Dieu a tout fait de rien,
toute créature elle est sortie des mains de
;
etnon pas de sa propre nature ou de quelque
Dieu, mais elle n'est pas née de Dieu ou de sa chose de préexistant.
substance. Maintenant, je vous laisse le choix : Félix. Vous supposez ce que je n'ai pas dit;
nous avons sous les yeux une multitude de j'aiseulement affirmé que Dieu est immuable
choses muables, qui cependant sont bonnes aussi bien que ce qu'il a engendré et que ce
quoique muables beaucoup de choses ca-
; qu'il a créé. Je ne me suis pas occupé de
duques et mortelles, qui cependant sont bonnes savoir d'où il avait tiré ce qu'il a fait.
malgré leur caducité; quant à Dieu, il est le Augustin. Ce que vous ne demandiez pas à
bien immuable; choisissez donc est-ce Dieu : savoir, je vous l'ai enseigné pour mettre un
qui est muable, ou bien la créature qui est terme à votre langage insensé. Dieu, tout-
sortie de ses mains? Il faut absolument que puissant par nature, a pu engendrer de lui-
vous choisissiez l'une ou l'autre de ces deux même, créer de rien, et former quelque chose
alternatives. Si vous n'admettez pas la mutabi- avec ce qu'il avait créé. De lui-même il a en-
lité de ce que Dieu a créé, il faut que vous gendré son Fils qui lui est égal en tout; de
disiez que Dieu lui-même est muable. Et ne rien il a fait le monde et tout ce qui existe; de
croyez pas échapper à ce blasphème sacrilège, la terre qu'il avait créée, il a formé l'homme;
en disant que la substance de Dieupeutchan- et tout cela parce qu'il est tout-puissant. Ce
ger, parce que vous n'admettez pas que Dieu, qui vient de sa nature, n'a pu être souillé, pas
qui est essentiellement immuable, comme il plus que lui-même; ce qu'il a fait de rien a
l'a prouvé lui-même dans ces paroles « Je suis : pu être souillé par le libre arbitre, et purifié
a celui qui suis '
», ait créé tout ce qui est bien par sa miséricorde, pourvu que la créature
en diversiflant les degrés de boulé. Puisque réprouvât son péché et reconnût son Créateur.
Dieu est immuable, il n'est pas étonnant que Maintenant, vous n'oubliez pas que vous avez
les choses créées soient essentiellement chan- dit précédemment que celui qui soutient
geantes, car elles ne peuvent être égales à leur qu'une partie de Dieu peut être corrompue et
Créateur. L'homme, par son libre arbitre, a souillée, mérite l'anathème;pouvez-vous donc
donc pu tomber dans le péché, y contracter nier que Manès affirme qu'une
partie de Dieu
une souillure et en être délivré par la miséri- a été captive et souillée dans la nation des
corde de Dieu. ténèbres? pouvez-vous imaginer un blasphème
XIX. Félix. Vous avez dit que l'homme en- plus criminel que celui-là ? Donc, ou bien
gendre de lui-même son fils: or, le fils est anathématisez Manès, ou vous serez avec lui
semblable à son père de là je conclus qu'entre ; frappé d'anathème et de honte.
Dieu œuvres il y a aussi égalité.
et ses XX. Félix. Manès soutient qu'une partie de
Augustin. Vous ne voulez pas comprendre Dieu a été souillée et Jésus-Christ affirme que
;

que la naissance d'un enfant n'est pas, à pro- l'âme a été souillée et qu'il est venu la délivrer.
prement parler, une création, mais une simple Augustin. C'est vrai, mais l'âme n'est pas
génération voilà pourquoi je vous ai dit que
: une partie de Dieu. Vous en avez fait l'aveu :

Dieu engendre son Fils et ne le crée pas. Ce Manès soutient qu'une partie de Dieu a été
* Exod. UI, U. ' Ces derniers mots ne sont pas dans beaucoup de manuscrits
436 CONFÉRENCES ENTRE SAINT AUGUSTIN ET FÉLIX.

pour nous, nous affirmons que l'âme


souillée; que l'âme a été créée et non engendrée par
consentement qu'elle a
a été souillée par le Dieu. Mettez en face les unes des autres vos
donné au péché mais en même temps nous
; affirmations et les nôtres.Nous enseignons
déclarons sans hésiter qu'elle n'est point une que l'âme Dieu ni une partie de Dieu
n'est ni ;

partie de Dieu, qu'elle n'a pas été engendrée de votre côté, vous avouez que Manès sou-
de Dieu, et qu'elle est une simple créature. tient qu'une partie de Dieu a pu être souillée
Quand donc nous disons: l'âme est de Dieu, et purifiée. Jetez-lui l'anathème, ou vous se-
nous donnons à ces paroles le même sens que rez vous-même anathématisé si vous partagez
quand nous disons que telle œuvre est de tel ses erreurs.
ouvrier ou qu'elle a été faite par lui, ce qui XXI. Félix. L'âme souillée par le péché
ne signifie pas, assurément, qu'elle ait été en- appartient-elle à Dieu, oui ou non ?
gendrée de lui ou qu'elle soit son fils. En Augustin. Elle lui appartient, mais elle
avouant que Manès enseigne la corruiitibilité n'est pas une portion de Dieu.
d'une partie de Dieu; eu déclarant, d'un autre Félix. Ce n'est pas là ma question.
côté, qu'il faut frapper d'anathème celui qui Augustin. Quelle est-elle donc ?
soutient la corruptibilitédeDieuen lui-même Félix. Appartient-elle à Dieu ou ne lui ap-
ou dans sa nature, c'est Manès que vous avez partient-elle pas ?
anathématisé, quoique vous refusiez d'en con- Augustin. Je viens de vous dire qu'elle lui
venir. Epiloguez si vous voulez sur le mot appartient et comment elle lui appartient.
souillure, car du moment que vous soutenez Félix. Je demande si véritablement elle est
qu'une partie de Dieu a été purifiée, vous de Dieu.
affirmez qu'elle a été souillée Manès et vous,
; Augustin. Oui, elle est de Dieu, en ce sens
vous soutenez donc qu'une partie de Dieu a seulement qu'elle a été créée par lui.
été souillée. Anatbématisez donc Manès, ou Félix. Quoique aucun péché n'ait été com-
vous serez avec lui frappé d'anathème. mis, si l'âme est de Dieu, si elle a été souillée,
Félix. Je n'ai vu nulle part, dans la doc- si Jésus-Christ venu pourla délivrer l'a réelle-
trine de Manès, qu'une partie de Dieu ait été ment délivrée du péché, pourquoi faire un
souillée mais j'ai appris de Jésus-Christ
; crime à Manès d'avoir dit qu'une partie de
qu'il est venu pour purifier l'àme de ses souil- Dieu a été souillée, mais que par la suite elle
lures. a été purifiée ?
Augustin. Jésus-Christ ne vous a pas ensei- Augustin. Vous avouez que Manès enseigne
gné que l'âme est une partie de Dieu. qu'une partie de Dieu a été souillée, et vous
Félix. m'a enseigné que l'âme est de Dieu.
11 soutenez que ce n'est pas un péché de lancer
Augustin. Nous aussi nous avons appris que contre Dieu un semblable blasphème Pour !

l'âme est de Dieu, mais qu'elle n'est pas une nous nous soutenons que l'âme a abusé de
,

partie de Dieu. L'àme est de Dieu, comme l'ou- son libre arbitre pour pécher, et qu'en se re-
vrage est l'œuvre de l'ouvrier elle n'est
; [)as pentant elle a été purifiée par la miséricorde
de Dieu, comme ua fils est de son père. de son Créateur. En effet, l'âme n'est point une
Félix.11 s'agit entre nous de la souillure. partie de Dieu, elle n'a pas été engendrée de
Si donc l'âme, qui est de Dieu, a été souillée, lui; de
elle est Dieu, parce qu'elle est son
si elle a pu être purifiée par Jésus-Christ venu œuvre et sa créature. Cela suffit pour rendre
pour elle sur la terre, je dis que cette partie évidente la dilTérence qui sépare notre foi de
de Dieu, dont parle Manès, a pu être souillée votre perfidie. Je reviens donc à votre premier
et purifiée par l'ordre de Dieu même. aveu : vous avez déclaré digne d'anathème
Augustin. Voici que de nouveau vous affir- celui qui enseigne la corruptibililé de la na-
mez qu'une partie de Dieu a été souillée et ture de Dieu ; or, cette erreur est évidemment
purifiée, et tout à l'heure vous disiez que celui celle de Manès ; dès lors l'anathème, dont vous
qui croit à la corruptibililé d'une partie ou de refusez de le frapper, retombe sur vous de tou t
la nature de Dieu, mérite anathème. Comment son poids.
donc vous tirerez-vous de cette évidente con- XXII. Cette discussion fut suivie d'un long
tradiction ? Pour nous, nous proclamons l'in- échange de paroles après quoi ,
:

corruptibilité de Dieu et la corruptibililé de Félix. Dites-moi, que voulez- vous que je


l'âme ; la preuve que nous en donnons, c'est fasse ?
UVRE SECOND. — SECONDE CONFÉRENCE. 437

Augustin. Jetez l'anathème à Manès et à séducteur, le père du mensonge et non de la


tous ses blasphèmes. Pourtant un tel acte vérité de nouveau j'anathématise ce même
;

doit être sérieux de votre part, car personne Manès et l'esprit de son erreur.
ne prétend vous y forcer. Ensuite il présenta le parchemin à Félix
Félix. Dieu sait si j'agis dans toute la sin- qui écrivit de sa propre main Moi Félix, qui :

cérité de mon âme l'iiomnie ne peut voir le


; avais d'abord cru à Manès j'anathématise
,

fond du cœur mais je vous demande de ve-


;
aujourd'hui ce même Manès, sa doctrine et
nir à mon aide. l'esprit séducteur qui fut en lui je lui jette ;

Augustin. Quel secours me demandez-vous? l'anathème pour avoir dit que Dieu a mêlé
Félix. Formulez d'abord l'anathème; je une partie de lui-même à la nation des ténè-
vous imiterai. bres , et que pour la délivrer de ce honteux
Augustin. Voici que je l'écris de ma propre état, il use de moyens plus honteux encore ,

main car je veux que vous l'écriviez aussi.


, le soulèvement de toutes les plus sales passions
Félix. Faites en sorte que l'anathème frappe de la volupté, sauf à enchaîner éternellement
en même temps l'esprit (jui s'était emparé de dans le globe des ténèbres ce qui n'aura pas
Manès et qui parla par sa bouche. été évacué par ces voies criminelles. J'anathé-
Augustin prit le parchemin et traça ces pa- matise ces blasphèmes et tous les autres sortis
roles : des lèvres de Manès.
Augustin, évêque de l'Eglise catholique, Augustin, évêque, déclare que tout ceci s'est
j'ai anathématisé Manès, sa doctrine et l'es- passé dans l'église en présence du peuple, en
prit qui par son organe a prononcé ces exé- foi de quoi j'ai signé.

crables blasphèmes, car c'était là un esprit Moi, Félix, j'ai souscrit à ces actes.

Traduction de M. t'abbé Bi'RLERAUX.


DE LA NATURE DU BIEN.

CHAPITRE PREMIER. même, quoique ses effets nous soient parfai-


tement sensibles.
DIEU, BIEN SUPRÊME ET INCORRUPTIBLE.

Dieu, tel est le bien suprême et infini; c'est CHAPITRE II.

dire clairement que ce bien est souverainement COMMENT CES PRINCIPES SUFFISENT POUR RÉFUTER
immuable et dès lors essentiellement immor- LES MANICHÉENS.
tel, essentiellement éternel. Tous les autres
biens particuliers n'ont d'autre principe que Nous connaissons des hommes qui, ne pou-
ce bien suprême, mais ils ne sont pas de même vant comprendre que toute nature, esprit
nature. Ce qui est de même
nature que lui, ou corps est bonne par elle-même , parce
,

n'est autre que lui-même mais ce qui a été


; qu'ils voient l'esprit victime de l'iniquité, et
fait par lui, n'est pas ce qu'il est lui-même. le corps, de la mortalité, ne trouvent d'autre
Puisque seul il est immuable, tous les autres parti à prendre que de soutenir que Dieu
biens tirés du néant sont soumis au change- n'est l'auteur ni de l'esprit méchant ni du
ment. S'ils existent, c'est de lui qu'ils ont reçu corps mortel. C'est à eux que nous nous adres-
l'être, car il est tout-puissant, et du néant ou sons eu ce moment. Ils avouent que tout ce
de ce qui n'est pas il peut créer des biens ou qui est bien n'a d'autre principe que le Dieu
plus grands ou plus petits, célestes et terres- suprême et véritable : c'est là une vérité hors
tres, spirituels et corporels. Il est aussi souve- de toute discussion, et je déclare que s'ils
rainement juste : voilà pourquoi ce qu'il a tiré veulent en peser les conséquences, elle suffit
du néant, il n'a pu l'égaler à ce qu'il a engen- à elle seule pour les arracher à l'erreur.
dré de sa propre nature. Ainsi donc, tous les
biens particuliers, quel que soit leur degré CHAPITRE III.

dans l'échelle des êtres, les grands comme les BIENS GÉNÉRAUX QUE NOUS TROUVONS DANS LES
petits, n'ont queDieu pour principe. D'un CUOSES CRÉÉES.
autre côlé, toute nature en tant que nature est
toujours un bien ; à ce titre elle est nécessai- Nous, catholiques, nous adorons Dieu prin-
rement l'œuvre du Dieu suprême et véritable, cipe de tous les biens grands ou petits, prin-
car tous les biens, que leur excellence les cipe de tout monde grand ou petit, prin-
rapproche du souverain bien ou que leur sim- cipe de toute beauté grande ou petite, prin-
plicité les en éloigne et les place au dernier cipe de tout ordre grand ou petit. Plus les

rang, tous ont infailliblement pour principe choses créées reflètent mode, la beauté et
le

le bien suprême. De là je conclus que tout l'ordre ,


plus elles sont bonnes moins elles ;

esprit est soumis au changement, et que tout brillent par le mode, la beauté et l'ordre,
corps vient de Dieu : l'esprit et la matière moins elles sont bonnes. Sans parler d'une
c'est là toute la Donc toute
nature créée. multitude d'autres caractères qui découlent
nature est nécessairement ou esprit ou corps. plus ou moins directement de ceux-ci, je dis
Dieu aussi est Esprit, mais l'Esprit immuable; que le mode, la beauté et l'ordre sont trois
toutesprit soumis au changement n'estqu'une biens généraux que nous rencontrons dans
nature créée, quoique supérieure au corps. De toutes les choses créées, spirituelles ou cor-
son côté, le corps n'est pas un esprit, (|uoi(|ue porelles. Dieu surpasse donc infiniment toute
dans le sens ligure on donne le nom d'esprit créature quant au mode, quant a la beauté et
au vent, |)arce qu'il nous est invisible en lui- ([uant à Tordre il ne s'agit pas ici d'une su-
;
DE LA NATURE DU BIEN. 439

périorité résultant de rélévation locale, mais elle-même. Supposez un esprit de vie aussi
d'une puissance ineffable et divine, d'où dé- corrompu que vous voudrez, il peut toujours
coule nécessairement tout ce qui est mode, donner la vie au corps et, en cette qualité,
;

beauté ou ordre. Là où ces trois caractères sont fùt-il corrompu, il l'emporte sur le corps,

à un haut degré, le bien y est dans la même celui-ci fùt-il dans toute son intégrité.
proportion de même, le bien est médiocre,
;

CHAPITRE VI.
là où ils sont à un faible degré sont-ils nuls?
;

le bien y est également nul. De même, là où LA NATURE INCORRUPTIBLE CONSTITUE


ces trois caractères sont grands, les natures LE SOUVER.\IN BIEN.
sont grandes; s'ils sont faibles, les natures
sont petites; s'ils manquent absolument, la Si la corruption défruit, dans les choses
nature est nulle. Donc toute nature est bonne. corruptibles, tout ce qui y constituait le mode,
la beauté et l'ordre, elle détruit aussi par le
CHAPITRE IV.
fait la nature elle-même. 11 suit de là que

LE UAL n'est QLE LA CORRUPTION DU MODE, DE


toute nature essentiellement incorruptible est

LA BEAUTÉ ET DE l'ORDRE.
par elle-même le souverain bien, c'est-à-dire
Dieu. Dès lors toute nature soumise à la cor-
Avant de demander d'où vient le mal, il ruption n'est qu'un bien imparfait et particu-
iaut d'abord chercher quelle est sa nature. lier, car la corruption ne peut l'atteindre

Or, le mal n'est autre chose que la corruption qu'en détruisant ou en diminuant en elle ce
ou du mode, ou de la beauté, ou de l'ordre qui constitue sa bonté.
naturel. La nature mauvaise est donc celle
qui est corrompue car toute nature qui n'est
;
CHAPITRE VII.

pas corrompue est bonne. Même la nature POUR LES AMES RAISONNABLES IL Y A UNE COR-
corrompue ne laisse pas que d'être bonne en RUPTION VOLONTAIRE ET UNE CORRUPTION PÉ-
tant qu'elle est nature; mais elle est mauvaise NALE.
en tant qu'elle est corrompue.
Tel est le don fait par le Créateur aux créa-
CHAPITRE V.
tures les plus excellentes , c'est-à-dire aux es-
UNE CHOSE d'un ORDRE SUPÉRIEUR, QUOIQUE prits raisonnables, que s'ils le
peu- veulent, ils

CORROMPUE, l'emporte SUR UNE CHOSE d'uN vent se soustraire à la corruption. En effet, s'ils
ORDRE INFÉRIEUR, QUOIQUE NON CORROMPUE. se conservent dans une parfaite dépendance à
l'égard du Seigneur, ils restent en communi-
Il peut arriver qu'une nature, placée dans cation avec son incorruptible beauté ; au con-
un ordre plus élevé quant au mode
quant à et traire, s'ils se révoltent contre Dieu, c'est
vo-
la beauté, se corrompe et reste cependant su- lontairement qu'ils se livrent à la corruption
périeure à une autre nature non corrompue, du péché, et ensuite ils subiront involontaire-
mais placée dans un ordre inférieur quant au ment la corruption pour châtiment. Dieu
mode et quant à la beauté. C'est ainsi qu'en estpour nous un bien si grand et si généreux,
se renfermant dans l'effet produit sur les yeux qu'en nous attachant à lui, aucun mal ne peut
de l'homme, l'or, même corrompu, l'emporte nous atteindre de même, parmi les choses
;

sur l'argent non corrompu et que l'argent,


; créées, la nature raisonnable est une chose si
quoique corrompu, l'emporte à son tour sur le excellente, qu'aucun bien ne peut la rendre
plomb non corrompu. Il en est de même dans heureuse si ce n'est Dieu. En péchant, Thonmie
les choses morales et spirituelles. Ainsi une sort de l'ordre, le châtiment l'y fait rentrer ;

puissance rationnelle, quoique corrompue, mais parce que cet ordre n'est pas conforme
reste supérieure à toute substance privée de à sa nature, nous l'appelons une peine. Au
raison, quoique non corrompue ; un esprit, contraire, envisagé par rapport à sa faute, ce
quoique corrompu, est supérieur à un corps châtiment lui est parfaitement approprié :

quoique non corrompu. En effet, toute nature voilà pourquoi nous l'appelons justice.
qui,envertu de sa supériorité sur le corps, est
pour lui un principe de vie, l'emporte tou-
jours sur une nature qui n'a pas la vie par
440 DE LA NATURE DU BIEN.

CHAPITRE VIII. raient pas corruptibles si elles avaient été


engendrées de la substance divine, car alors
DE QUOI RÉSILIE LA BEAtTÉ DE L UNIVERS.
elles seraient ce qu'est Dieu lui-même. Dès
En dehors de l'esprit raisonnable, aucune lors, de quelque mode, de quelque beauté, de
des autres créatures inférieures ne peut être quelque ordre qu'elles jouissent, elles n'en
ni heureuse ni malheureuse. Toutefois, comme jouissent que parce qu'elles ont été créées par
l'ordre et la beauté rendent ces natures bonnes Dieu ; et si elles sont corruptibles, c'est uni-

en elles-mêmes ;comme, en cette qualité, quement parce qu'elles ont été tirées du
c'est de Dieu seul qu'elles ont reçu l'existence néant. N'est-ce donc pas une sacrilège audace
et la bonté, nous affirmons sans crainte que d'égaler le néant à Dieu, en comparant ce
ces natures d'un degré inférieur ont été ordon- qui est né de Dieu avec ce qui est sorti du
nées de telle sorte que les plus faibles doivent néant?
le céder aux plus fortes, les plus fragiles aux
plus durables, les plus impuissantes aux plus
CHAPITRE XI.

puissantes, les terrestres aux célestes ; l'har- COMMENT UNE CHOSE PEUT NUIRE, ET A QUI.
monie de l'ensemble résulte de cette dépen-
dance générale. Dans l'ordre naturel les cho- Rien ne peut nuire à Dieu, de quelque ma-
ses paraissent et disparaissent pour faire place nière que ce soit; quant aux créatures, rien ne
à d'au très: cette variété est un des principaux doit leur nuire injustement. En effet, s'il en
caractères de la beauté de cette manière, ce
;
est qui nuisent injustement, la volonté injuste
qui périt ou cesse d'être ne porte aucune at- qui les dirige leur sera imputée comme un
teinte au mode, à la beauté et à l'ordre de crime. D'un autre côté, la puissance qui leur
l'ensemble. Voyez un discours : chaque syl- permet de nuire, c'est de Dieu même qu'ils la
labe, chaque son naît et disparaît; et de cette tiennent, et Dieu sait quels châtiments méri-
succession bien harmonisée résulte la beauté tent à leur insu, ceux à qui il permet que le

du discours. mal arrive.


CHAPITRE IX. CHAPITRE XII.

CHAQUE FAUTE A SON CHATIMENT DÉTERMINÉ. TOUS LES BIENS VIENNENT DE DIEU.

Quant à fixer la nature et la gravité du Si nos adversaires qui supposent l'existence

châtiment dû à telle faute, l'homme n'y peut d'une nature que Dieu n'a pas créée, voulaient
rien. Dieu seul en est juge. Quand Dieu fait seulement réfléchir sur ces considérations si
remise de ce châtiment aux pécheurs con- simples et si évidentes, ils ne seraient plus"
vertis, c'est un effet de sa bonté infinie, mais tentés de recourir à cesnombreux blasi)hèmes
il n'y a aucune injustice de sa part, quand il
par moyen desquels ils prétendent concilier
le

frappe le coupable du châtiment qu'il mérite; le souverain mal avec des biens de toute

car la nature de l'ordre exige que le pécheur sorte, et trouver en Dieu des maux si nom-

gémisse plutôt dans son supplice, que de se breux. Comme je l'ai dit plus haut, il suffirait,

réjouir impunément dans son péché. Eh pour ramener à la vérité dont l'évidence
les

bien fût-elle accablée dans son châtiment,


!
les frappe malgré eux, qu'ils voulussent ne

cette nature présente encore du mode, de la pas perdre de vue que tout ce qui est bien ne
beauté et de l'ordre, elle est donc encore un peut venir que de Dieu. Soutenir que les
bien en elle-même elle ne cesserait d'être un
;
grands biens viennent de celui-ci, et les petits
bien qu'en cessant d'être une nature, c'est- biens de celui-là, c'est une absurdité tous les ;

à-dire en perdant entièrement le mode, la biens, grands et petits, n'ont d'autre principe

beauté et l'ordre. que Dieu, qui est le souverain bien.

CHAPITRE X. CHAPITRE Xlll.

LE NÉANT, PRINCIPE ET CAUSE DE LA CORRUPTION. DIEU, SOURCE DE CHAQUE BIEN PARTICULIER.

Toutes les natures corruptibles ne sont Enuméroiis tous les biens en aussi grand
donc des natures (juc parce qu'elles ont reçu nombre qu'il nous sera possible, et quand
l'être de Dieu. D'un autre côte, elles ne se- nous aurons attribué à Dieu tous ceux dont il
DE LA NATURE DU BIEN. 441

est la source, nous verrons si, en dehors de ces par le fait même
de la destruction du bien, il
biens, une seule nature nous paraîtra capable faut conclure rigoureusement que la nature
d'exister. Toute existence grande et petite, est bonne. De même, dans la lenteur nous

toute puissance grande et petite, toute santé voyons le contraire de la rapidité et cepen- ;

grande et petite, toute mémoire grande et dant on ne [leut appeler lent celui qui ne se
petite, toute force grande et petite, tout en- donne aucun mouvement. Le son aigu nous
tendement, toute tranquillité, toute riciiesse, paraît contraire au son grave faites que la ;

tout seatimeut, toute lumière, toute suavité, voix n'ait plus ni forme ni caractère, vous
toute mesure, toute beauté, toute paix et au- tombez dans le silence le plus profond et ce- ;

tres biens semblables soit spirituels, soit cor- pendant le silence est regardé comme étant le
porels, tout mode, toute forme, tout ordre contraire de la voix. Ce qui est clair et ce qui
grand ne peut venir que de
et petit, tout cela est obscur nous paraissent deux choses con-
Dieu. Celui qui voudra abuser de tous ces traires; et cependant, même ce qui est obscur
biens, Dieu le frappera dans sa justice; sup- possède encore quelque lumière, car si la lu-
posez au contraire qu'aucun de ces biens mière manquait absolument, les ténèbres
n'existe, comment une seule nature pour- dans l'absence de toute lumière seraient ce
rait-elle exister ? qu'est le silence par l'absence de toute voix.

CHAPITRE XIV. CHAPITRE XVI.


POCRQUOl LES BIENS INFÉRIEURS SONT DÉSIGNÉS DIEU A JUSTEMENT ORDONNÉ LA PRIVATION DES
DIFFÉREMMENT. BIENS.

Parmi ces biens, ceux qui sont d'un ordre Nous remarquons dans les choses créées
inférieur portent, il est \Tai, des noms con- une belle variété dans la distribution des
traires, mais ce n'est que par comparaison biens, et pour peu qu'on y prête attention ou
avec ceux d'un ordre supérieur. Par exemple, estfrappé de l'admirable succession dans la-
la forme humaine est le véritable type de la quelle ils se présentent. Par exemple, Dieu, en
beauté ; si vous comparez celle
à cette beauté privant de lumière certains lieux du monde
du singe, cette dernière vous paraîtra une heures du jour, s'est montré aussi
et certaines
difformité véritable. Cela suffit pour qu'un sage dans la formation des téuèbres que dans
ignorant se trompe jusqu'à appeler la pre- la création du jour. Les silences dont nous
mière un bien, la seconde un mal il ne con- ; entrecoupons un discours, en rehaussent la
sidère plus dans le corps du singe le mode beauté et prouvent notre talent; combien plus
qui lui est propre, l'harmonie des membres, belles assurément sont les privations dont cer-
la concordance des parties, le soin de son tains objets furent frappés de la part du Créa-
existence et une multitude d'autres choses teur de toutes choses ! De là vient que, dans
qu'il serait trop long d'énumérer. le cantique des trois jeunes Israélites, la lu-
mière et les ténèbres louent de concert le
CHAPITRE XV. Seigneur ', c'est-à-dire qu'elles soulèvent le

LA BEAITÉ DANS LE CORPS D'cN SINGE EST UN besoin de la louange dans le cœur de ceux
BIEN, QUOIQUE d'uN ORDRE INFÉRIEUR. qui savent les contempler.

Faisons en sorte d'être compris, même par CHAPITRE XVII.


les intelligences les plus paresseuses pous-
; AUCUNE NATURE n'eST MAUVAISE EN ELLE-MÊME.
sons à bout ceux qui s'obstinent dans leur ré-
sistance et refusent d'avouer l'évidence ; de- Aucune nature, comme telle , n'est donc
mandons-leur si la corruption peut nuire au mauvaise, et le mal en elle n'est qu'une di-
corps d'un singe. Si la corruption [leut le minution du bien. Si, à force de diminuer, le
rendre plus laid, que lui enlèvera-t-elle ? bleu disparaissait entièrement, toute nature
n'est-ce pas le bien delà beauté? Au contraire, serait anéantie par le fait, non-seulement telle
aussi longtemps que cette beauté persé- nature eu particulier, non-seulement la na-
vère, aussi longtemps subsiste la nature même ture imaginée par les Manichéens, et dans la-
du corps. Mais puisque la nature est détruite ' Dan. UI, 72.
442 DE LA NATURE DU BIEN.

quelle nous trouvons tant de caractères de « Celui qui est m'a envoyé vers vous o Dieu '
.

bonté, mais toute nature dont il soit possible est l'être parfait, puisqu'il est immuable. En
de se faire l'idée. effet, un objet, en changeant, devient ce qu'il
n'était pas ; il n'y a donc que celui qui est im-
CHAPITRE XVIII, muable qui ait l'être véritable ; et tout ce qui
l'hylé des ancie>s n'était pas un mal. a été créé par lui a reçu de lui une manière
d'être particulière. Celui qui est l'être souve-
Cette matière que les anciens appelaient rain, n'adonc pour opposé que le néant; et
Hylé, ne doit pas être regardée comme un mal puisque tout bien vient de lui, ce qui n'a
en soi. Je ne parle pas de ce je ne sais quoi, qu'une bonté naturelle vient également de
que Manès, dans son orgueilleuse démence, a lui,puisque tout ce qui a l'être naturel est
appelé Hylé. Comme il lui attribuait la forma- bon. D'où je conclus de nouveau que toute
tion des corps, on a conclu qu'il en faisait un nature est bonne, que tout bien vient de Dieu ;
Dieu, car Dieu seul a le pouvoir de former et et, par conséquent, que toute nature vient de
de créer les corps. En
pour qu'un corps
effet, Dieu.
existe, il doit présenter un mode, une forme, CHAPITRE XX.
un ordre, trois caractères qui sont tout autant
la doulecr dans les natures bonnes.
de biens réels, et qui ne peuvent avoir d'autre
principe que Dieu, comme, sans doute, ils en La douleur, que certains hommes regardent
conviennent eux-mêmes. Or, cette Hylé n'est comme le plus grand de tous les maux, qu'il
qu'une matière informe et sans qualité, ce s'agisse de la douleur de l'esprit ou de la dou-
qui ne les empêche pas de croire que c'est leur du corps, ne peut se rencontrer que dans
d'elle que sont formées toutes les qualités que les natures bonnes. En effet, ce qui résiste
nous percevons dans les objets; une telle doc- jusqu'à la douleur affirme à sa manière qu'il
trine était déjà professée par les anciens. C'est, refuse de ne pas être ce qu'il était, parce qu'il
du reste, sous ce nom que les Grecs désignent était bien. Quand
pour devenir meilleur
c'est

la forêt, parce qu'elle fournit les matériaux que l'on souffre, la douleur est utile quand ;

aux constructions, quoique par elle-même elle c'est pour devenir pire, la douleur est inutile.
soit incapable de faire quoi que ce soit. Même, La douleur dans l'esprit n'est donc, à propre-
cette Hylé ne doit donc pas être regardée ment parler, que l'effort de la volonté pour
comme un mal, quoique, loin de la percevoir résister à une puissance supérieure dans le ;

par une forme extérieure déterminée on , corps, ce qui constitue la douleur, c'est la ré-
puisse à peine s'en faire une idée par l'absence sistance opposée par les sens à un corps plus
de toute forme. 11 suffît qu'elle soit capable puissant. Les plus grands maux sont ceux qui
de recevoir forme que ce soit or, si elle
telle ; sont sans douleur; ainsi, se réjouir de l'ini-

n'avait pas au moins cette capacité, ou ne quité est un mal bien plus grand que de s'at-
pourrait plus l'appeler matière. Si donc la trister de la corruption. Toutefois cette joie,
forme est un bien comme la beauté, la capa- même dans ne peut venir que de
l'iniquité,

cité même de recevoir une forme doit égale- l'acquisition de biens d'un ordre inférieur,
ment être un bien. La sagesse est un bien ;
tandis que l'iniquité est un acte de renonce-
c'est un bien aussi d'être capable de sagesse. ment aux biens supérieurs. De même, quand
El puisque tout bien vient de Dieu, il faut ri- il s'agit du corps, une plaie accompagnée de

goureusement conclure que cette matière douleur est préférable à une putréfaction sans
grossière dont nous parlons, si elle existe, ne douleur : ce qui constitue proprement la cor-
peut être que l'œuvre de Dieu. ruption. Cette corruption n'a pas été goûtée
par le corps du Sauveur, et ainsi fut accom-
CHAPITRE XIX. plie la propliétie « Vous ne permettrez pas
:

«que votre saint voie la corruption-». Ne

l'ètue véiutable n'appartient qu'a dieu. sait-on pas que ce corps a été perforé par les

clous et transpercé par une lance? Du reste,


Quelle magnificence dans cette parole adres- la corruption même du corps n'est possible

sée par Dieu à son serviteur : « Je suis Celui qu'autant (ju'il y a quehiue bien à détruire.
« (jui suis ; et lu diras aux enfants d'Israël : ' Exod. ut, 11. - ' Ps. XV, lu.
DE LA NATURE DU BIEN. 443

Si toute espèce de bien a disparu, la nature CHAPITRE XXIII.


même a cessé d'être, et la corruption, par le
POURQUOI DIT-ON UN M.4UVA1S MODE, UNE MAUV.USE
fait, devient impossible.
FORME, UN MAUVAIS ORDRE ?

CHAPITRE XXI. On mode, d'une forme, d'un ordre


dit d'un
qu'ils sont mauvais, quand ils sont inférieurs
ETYMOLOGIE DE l'ESPRESSION : MODIQUE.
à ce qu'ils devraient être, ou quand ils ne sont
Ce qui est petit, exigu, nous le désignons pas appliqués aux objets auxquels ils con-
d'ordinaire par cette expression : modique ;
viennent, ou qu'ils leur sont appliqués d'une
et cela, parce qu'il y a encore un certain mode manière inconvenante. Ainsi on dit de quel-
qui résiste, autrement cet objet n'existerait qu'un qu'il n'a pas agi suivant un bon mode,
pas.Au contraire, ce qui prend des propor- soit parce qu'il n'a pas fait ce qu'il devait, soit

tions trop grandes s'appelle immodique, im- parce qu'il n'aurait pas dû agir de cette sorte
modéré, et ce trop constitue de lui-même une en telle matière, soit parce qu'il a violé les
faute; cependant, sous un Dieu qui a tout règles de la convenance. En conséquence, il

disposé avec poids, nombre et mesure ', il est peut se faire qu'on lui reproche son acte, non
nécessaire que, même ces excès soient enchaî- pas à cause de l'acte en lui-même, mais uni-
nés dans un mode quelconque. quement parce qu'il ne lui a pas imprimé le

mode même, la forme peut


convenable. De
CHAPITRE XXII. paraître mauvaise, imiquement par compa-
raison avec une forme plus belle ou mieux
LE MODE SE TROITS'E-T-IL EN DIEU DE QUELQUE
proportionnée ; celle-là sera moindre, celle-ci
MANIÈRE.
sera plus grande, non pas quant à la masse,
On ne saurait dire que le mode s'applique mais quant à la beauté. Elle peut aussi être
à Dieu, dans la crainte qu'on ne lui suppose défectueuse paixe qu'elle n'aurait pas dû être
une fin. Toutefois, ce serait un blasphème de appliquée à tel objet auquel elle ne convient
soutenir que Dieu est immodéré dans son pas : parexemple, il est indécent qu'un homme
être, puisque c'est lui qui est la source du se promène nu dans une place pubUque ,

mode sans lequel rien ne pourrait exister. tandis qu'il est tout naturel de le voir nu dans
D'un autre côté, on ne peut pas dire que Dieu un bain. Enfin l'ordre lui-même est mauvais,
est modéré, en ce sens du moins qu'il aurait quand il est inférieur à ce qu'il devrait être ;
reçu le mode d'un être étranger. Il nous suffit qu'une chose soit moins ordonnée ou ordon-
donc de dire qu'il est le mode suprême, en née autrement qu'il ne faut, cela suffit pour
entendant par là qu'il est le souverain bien. qu'elle paraisse désordonnée. Toutefois, par-
En etfet, tout mode est un bien en soi d'où ;
tout où nous rencontrons un certain mode,
il suit que tout ce qui est modéré, modeste, une certaine forme, un certain ordre, nous
modilié, mérite nos éloges. Nous prenons pouvons affirmer qu'il y a là quelque bien,
aussi quelquefois le mode dans le sens de fin quelque nature au contraire, là où il n'y a
;

ou de terme c'est ainsi cjne nous disons qu'il


: aucun mode, aucune forme, aucun ordre,
n'y a aucun mode, quand il n'y a aucune fin il n'y a non plus aucun bien, aucune nature.
;

souvent c'est là un titre d'éloges comme dans


ces paroles « Et son royaume n'aura pas de
:
CHAPITRE XXIV.
a fin ' ». On pourrait dire également Son :
l'immutabilité DE DIEU PROU\"ÉE PAR
règne n'aura pas de mode, en donnant à ce L'ÉCRITURE.
mot la signification de fin ou de terme car, ;

dans son sens premier, il exprimerait l'absence Nous devons toujours chercher dans les
complète de règne, puisque ce n'est pas régner saintes Ecritures lefondement à l'édifice de
que de régner sans mode. notre croyance et aux investigations de la rai-
'Sag. XI, 21. - = Luc, 1, 33. son ; de cette manière, ceux qui ont l'intel-

ligence moins perspicace peuvent toujours


s'appuyer sur l'autorité et mériter ainsi de
comprendre. Quant à ceux qui ont l'intel-
ligence plus développée, mais qui n'ont pas des
Ui DE LA NATURE DU BIEN.

saintes lettres une connaissance suffisante ,


VOUS fait, et qu'il réponde Rien que penserait- :
;

qu'ils se gardent biende croire que nous on d'un calomniateur qui lui dirait: Vous
comptons plus sur notre intelligence que sur avez donc fait quelque chose, car le mot rien
les livres sacrés. Parlant donc de l'immutabi- signifie quelque chose? Mais nous trouvons le
lité de Dieu, le Psaimiste s'écrie: « Vous les Sauveur lui-même se servant de la même ex-
« changerez et ils seront changés tous., au ; pression à la fin d'une phrase : « Et je n'ai
a contraire, vous êtes toujours le même '
». «jamais rien dit secrètement »; qu'ils lisent '

Nous lisons au livre de la Sagesse « Elle : donc et se renferment dans un profond silence.
« demeure en elle-même, et renouvelle toutes
« choses - ». Saint Paul nous dit: « Gloire au CHAPITRE XXVI.
a Dieu invisible, incorruptible ' » saint Jac- ;
LES CRÉATURES TIRÉES DU NÉANT.
ques a Tout don excellent et parfait nous vient
:

« d'en haut, du Père des lumières, en qui il Dieu n'a pas engendré les créatures de sa
« n'y a ni changement, ni obscurité du mo- propre substance, il les a par son Verbe, faites
« ment * » D'un autre côté, pour nous prouver
. et pour ne s'est pas servi d'une
les faire il

que ce qui est engendré de Dieu est de la matière préexistante, mais il les a tirées du
même nature que lui, le Sauveur nous dit: néant voilà pourquoi l'Apôtre a dit
; a Les :

« Moi et mon Père nous ne sommes qu'une). a choses qui ue sont pas. Dieu les appelle

Pour nous prouver que le Fils n'a été ni fait B comme celles qui sont - ». Le passage sui-

ni créé, mais qu'il a fait toutes choses, l'écri- vant du livre des Macchabées est plus formel
vain sacré s'exprime ainsi : « Au commence- encore « Je vous eu prie, mon fils, regardez
:

« ment était le Verbe, et Verbe était en Dieu


le « le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment ;

« et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui, « voyez sachez que rien de tout cela n'exis-
et
« et sans lui rien n'a été fait * » ; c'est-à-dire « tait et n'avait besoin d'être pour que Dieu nous
que rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui. a créât' ». Nous lisons au livre des psaumes :

a Dieu dit, et tout a été fait est donc


* ». 11
CHAPITRE XXV. évident que ce n'est pas de lui-même que Dieu

fausse interprétation de ces paroles : rien a engendré tout ce qui existe il a tout créé ;

par la puissance de sa parole et de son com-


n'a Été fait sans ldi.
mandement. Si ce n'est pas de lui qu'il a tiré

Que penser de l'extravagance de certains toutes choses, c'est donc du néant. Et en effet,

hérétiques qui veulent que le mot rien signifie où pouvait-il prendre ailleurs la matière de la
quelque chose dans le sens positif, eten donnent création, puisque l'Apôtre dit clairement :

pour raison que ce mot a été placé à la fin de « Tout est de lui, par lui et en lui ». '^

la phrase? Quelque chose a été fait, disent-ils,


CHAPITRE XXVII.
et puisque quelque chose a été fait, le mot
rien signifie ce quelque chose. Assurément le EXPLICATION DES PAROLES DE l'.U>ÔTRK.
besoin de contredire leur a fait perdre le sens
commun; aussi ne peuvent-ils pas comprendre Ce mot Tout : est de Dieu, ne signifie pas que
que cette proposition : « Sans lui il n'a été fait tout soit de la substance de Dieu ; ce qui est
«rien», est identiquement lamèmequecelle-ci: de sa substance est assurément de lui mais ;

« Sans lui rien n'a été fait » Prenons une autre .


tout ce qui est de lui n'est pas pour cela de
forme, en donnant au mot rien un sens positif, sa substance. Le ciel et la terre sont de lui
remplaçons-le par le mot maison ; nous aurons parce qu'il les a créés, mais ils ue sont pas de lui
alors: Sans lui fut faite la maison, ou, ce qui en ce sens qu'ils sont de sa substance. Qu'un
revient au même: Sans lui la maison fut faite. homme donne naissance à un fils et construise

Laissons maintenant au mot rien son sens une maison : le fils et la maison sont de lui ;

naturel de néant, et nous retrouvons l'iden- mais formé de sa propre substance,


le fils est

tité de ces deux propositions Sans lui rien : tandis que la maison est formée de terre et de

n'a été fait ; sans lui il Su p-


n'a été fait rien. bois. De plus, ces matériaux de construction

posé qu'on demande à quelqu'un: Qu'avez - lui sont nécessaires parce qu'il est homme et

' Ps. Cl, 27. — Sa)j. vu, 27. — 'I Tim. i, 17 '
Jac. I, 17. — '
Jean, xvin, 20. — ' Bom. iv, 17. — ' II Macch. vii, iS. —
'Jean, x,3u. — • Id. i, 1-3. ' Ps. cxLvm, 5. — ' Rom. zi, 36.
.

DE LA NATURE UU BIEN. 44S

qu'en celte qualité il ne peut faire quoi que ce « membre souffre, tous les autres partagent sa
soit de rien quant à Dieu, de qui, par qui,
;
« douleur » il dit encore « Dieu a disposé
; :

en qui tout existe, il est tout-puissant et comme « chaque membre du corps comme il l'a voulu ;

tel il n'avait besoin d'aucune matière pré- « Dieu a harmonisé le corps, donnant à celui

existante pour créer l'univers. « qui en manquait un plus grand honneur,

« atiii qu'il n'y eût pas de ruptures dans le


CHAPITRE XXVIII. « corps, et que les membres fussent épris les uns
a à l'égard des autres d'une véritable soUici-
LE PÉCHÉ EST l'OECVRE PROPRE DC PÉCHEUR.
a tude ». Ce mode, cette forme et cet ordre
'

Ces paroles : « Tout est de lui, par lui, en que l'Apôtre admire dans le corps humain,
« lui »,désignent à notre intelligence tout ce vous pouvez les l'emarquer dans tous les ani-
qui a une existence naturelle. Il n'en peut maux, les plus grands comme les plus petits ;

être ainsi du péché, qui vicie et détruit la voilà pourquoi toute chair est regardée comme

nature; il ne peut donc être de Dieu, et un un bien terrestre, quoique placée dans les
grand nombre de passages de la sainte Ecri- rangs les plus inférieurs.
ture nous prouvent que le péché est l'œuvre
propre de la volonté des pécheurs. Citons seu- CHAPITRE XXXI.
lement ces paroles de l'Apôtre o Vous donc :
IL APPARTIENT ÉGALEMENT A DIEU DE PUNIR ET DE
« qui condamnez ceux qui le commettent et
PARDONNER.
« qui le commettez vous-mêmes, pensez-vous

a pouvoiréchapperàla condamnation de Dieu? Proportionner le châtiment à la faute est


« Est-ce que vous méprisez les richesses de sa l'œuvre de Dieu et non des hommes; voilà
« bonté, de sa patience et de sa longue tolé- pourquoi il est écrit « profondeur des ri- :

« rance ? Ne savez-vous pas que la bonté de « chesses de la science et de la sagesse de

« Dieuvous inviteàla pénitence? Etcependant, « Dieu ! que


jugements sont profonds et ses
ses
« par votre dureté et par l'impénitence de votre « voies insondables M » De même, que Dieu
« cœur, vous vous amassez un trésor décolère pardonne aux pécheurs convertis, c'est ce que
« pour le jour de la vengeance et de la mani- prouve évidemment la mission du Sauveur sur
« festation du juste jugement de Dieu, qui la terre. Unissant notre humanité à sa divinité,
a rendra à chacun selon ses œuvres ' » c'est dans l'humanité qu'il avait revêtue dans
le sein d'une femme, qu'il a daigné mourir
CHAPITRE XXIX. pour nous. L'Apôtre exalte cet excès de la
bonté et de l'amour de Dieu pour nous a Dieu
DIEU n'est nullement SOUILLÉ PAR NOS PÉCHÉS. :

a a fait éclater son amour pour nous, en ce

Tout ce que Dieu a créé existe en lui, mais a que, alors même que nous étions encore

il ne suit pas de là qu'il soit souillé par le « pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous

péché, car il a été dit « 11 atteint à toutes : « dans le temps marqué. Maintenant donc

«choses par sa pureté, mais rien de souillé ne « que nous sommes justifiés par son sang,

«peut arriver jusqu'à lui-». En effet, nous « nous serons, à plus forte raison, délivrés par

avons prouvé que nécessairement Dieu est a lui de la colère de Dieu. Car si, lorsque nous

incorruptible et immuable : la conclusion évi- a étions ennemis de Dieu, nous avons été ré-

dente , c'est qu'il n'est accessible à aucune a conciliés eu lui par la mort de son Fils, à

souillure. a plus forte raison, étant maintenant récon-

CHAPITRE XXX. a ciliés avec lui, nous serons sauvés par la

a vie de ce même Fils'». Voulant ensuite


dieu ACTEUR DES BIENS INFIMES ET TERRESTRES.
nous montrei qu'en faisant aux pécheurs con-
Que Dieu seul soit le principe des biens les donation du châtiment qu'ils méritent, Dieu
plus inférieurs, c'est-à-dire des biens terres- ne commet aucune injustice, le même Apôtre
tres et mortels, l'Apôtre le prouve clairement ajoute « Que dirons-nous? est-ce que Dieu est
:

dans ce passage où il parle des membres de a injuste en déposant sa colère ' ? » Enfin, dans

notre chair : a Car si un membre est glorifié, un autre passage il expose en peu de mots, et
a tous les autres sont dans la joie; et si un — —

I Cor. XII, 26, 18, 24, 25. " Kom. xi, 33. '
Id. V, 8-10. —
• Rom. Il, 3-6. — ' Sag. vu, 24, 25. Id. m, 5.
.

446 DE LA NATURE DU BIEN.

la bonté de Dieu « Vous voyez


et la sévérité : a pour les punir à l'heure du jugement ' ».

« donc bonté et la sévérité de Dieu sa sé-


la ; Cet Apôtre annonce clairement par là qu'un
« vérité contre ceux qui sont tombés dans le nouveau châtiment leur est réservé au juge-
« péché, et sa bonté envers vous si vous per- ment dernier ; et c'est de ce châtiment que
« sévérez dans le bien ' ». parlait le Sauveur quand il disait : a Allez au
a feu éternel qui a été préparé au démon et à
CHAPITRE XXXII. a ses anges». Ces démons subissent déjà les
tourments de l'enfer dans ce lieu ténébreux qui
LE POCVOIR DE MIRE VIEM DE DIEU.
leur sert de prison. Dès lors, quand leur séjour
Même pouvoir de nuire ne peut venir
le est désigné sous le nom de ciel, il ne faut pas

que de Dieu. Voilà pourquoi nous lisons entendre par là celte atmosphère supérieure
dans la Sagesse « Les rois régnent par moi,
: où se jouent les étoiles, mais uniquement les
« c'est par moi aussi que les tyrans pos- basses régions où les oiseaux déploient leur
tesèdent la terre ^». L'Apôtre dit de même: vol de là leur nom les oiseaux du ciel. Voilà
; :

B Toute puissance vient de Dieu'». Job, pour pourquoi, parlant de ces anges mauvais contre
justifier Dieu ne craint pas de dire de lui
,
lesquels il nous faut combattre sans relâche, si
a qu'il fait régner l'homme hypocrite, à cause nous voulons vivre dans la piété, l'apôtre
« de la perversité du peuple * ». En parlant du saint Paul les appelle « Des esprits de malice :

peuple d'Israël, Dieu prononce cette terrible «répandus dans l'air* ». Et pour que nous
parole « Je leur ai donné un roi dans ma
: comprenions plus facilement qu'il ne s'agit
« colère^». Quelle injustice peut-il y avoir de pas ici des régions supérieures du ciel, il dit

la donner aux méchants le


part de Dieu à dans la même épître : « Selon le prince des
pouvoir de nuire, puisqu'il ne se propose que a puissancesde l'air, cet esprit qui exerce
d'éprouver la patience des bons et de punir « maintenant son pouvoir sur les enfants de
l'iniquité des méchants? En vertu de ce pou- a l'incrédulité ^ ».

voir donné au démon, Job fut éprouvé, pour


que sa justice parût avec plus d'éclat '^; Pierre
CHAPITRE XXXIV.
fut tenté pour être corrigé de sa présomption ' ; LA N.\TLRE DU PÉCHÉ,
Paul fut souffleté de peur qu'il ne cédât à l'or-
gueil % et Juda condamné à se pendre '. On Le péché, à proprement parler, ne consiste
ne peut donc reprocher à Dieu aucune pas à désirer des natures mauvaises, mais à
injustice dans ce pouvoir de nuire qu'il abandonner les meilleures. Nous lisons dans
accorde au démon; toutefois, comme dans l'Ecriture: «Toute créature de Dieu est bon-
l'exercice de ce pouvoir le démon se laisse « ne' » dès lors tout arbre planté par Dieu dans
;

diriger par sa volonté perverse, c'est cette vo- le 11 suit de là qu'en


paradis terrestre était bon.
lonté même
que Dieu punit d'un châtiment touchant à l'arbre défendu, le véritable crime
éternel dans la personne du démon et des im- de l'homme n'a pas été de désirer une nature
pies qui persévèrent dans ses voies c'est à eux ;
mauvaise; s'il a péché, c'est en renonçant à ce
qu'il sera dit « Allez au feu éternel que mon
: qui était meilleur. En effet, le Créateur est un
a Père a préparé pour le démon et ses auges '" » bien plus excellent que ne l'est toute créature
sortiede ses mains; ses ordres ne devaient
CHAPITRE XXXlll. donc pas être violés pour toucher à un fruit
défendu, quoique bon en renonçant à un bien
LES ANGES DEVENUS MAUVAIS PAU LE PÉCDÉ. ;

plus excellent, le bien de la créature devenait


Dieu avait créé les anges dans un état de l'objet de ses désirs, et il y touchait malgré la
justice et de sainteté mais en péchant ils ;
défense de Dieu même. Aucun arbre mauvais
devinrent mauvais. De là ces paroles de saint n'avait donc été planté par le Créateur dans le

Pierre a Si Dieu n'a pas épargné les anges


:
paradis terrestre ; mais ce qui était un bien
a devenus pécheurs, s'il les a enchaînés dans plus excellent que tous les autres, c'était Dieu
a une prison de ténèbres où il les conserve lui-même qui défendait de toucher à tel arbre
en particulier.
' Rom. XI , 22. —' Prov. vui
, 15. ' Rom. —xm ,1. * —
Job , — — Tim.
iUiv, 30. — ' Osée, ïiii, U. —
' Job, i, ii. —
' Malt,
xxvi, 31-35,
' II Pier. il, 4. '
Eph. VI, 12. ' Id. Il, 2. ' 1 iv, 4.

09-75. — ' U Cor. .\ii, 7. •—Matih., ïxvu, 5. —"


Id. Xiv, 41.
DE LA NATURE DU BIEN. 447

CHAPITRE XXXV. leur forme et l'ordre qui leur est propre, le


mal n'existerait pas. D'un autre côté, on peut
\J POIRQIOI LA DEFENSE FAITE A ADAM.
vouloir abuser de ces biens, mais rien ne peut
En formulant à l'homme cette défense, vaincre la volonté de Dieu qui sait,dans sa
Dieu voulait lui faire sentir que l'âme raison- toute-puissance , faire entrer les pécheurs
nable ne s'appartient pas à elle-même, mais mêmes dans l'ordre général de la création. Si,
qu'elle doit être soumise à Dieu, qu'elle reste par dérèglement de leur volonté, ils ont
le

dans l'ordre de son salut par l'obéissance, et abusé des biens de la nature, Dieu dans sa
qu'elle le corrompt par la révolte. Voilà pour- justice infinie saura tirer le bien du mal en

quoi l'arbre objet de la défense était appelé : frappant de châtiments mérités ceux qui
« L'arbre de la connaissance du bien et du avaient embrassé la voie perverse de l'iniquité.
«mal'». En y touchant malgré la défense,
l'homme devait subir le châtiment de son CHAPITRE XXXVHI.
péché et éprouver par là quelle était la diffé- l'enfer en soi n'est pas un mal.
rence entre le bien de l'obéissance et le mal
de la rébellion. Ce feu éternel réservé pour le tourment des
impies, par lui-même n'est pas un mal, car il
CHAPITRE XXXVI. a son mode, sa forme, son ordre, sans qu'au-

LE MAL VIENT DE l'aBUS DES CRÉATURES.


cune iniquité y ait porté la dépravation. Ce
qui est lui mal pour les damnés, c'est le châti-
Personne ne poussera la folie jusqu'à sou- ment dû à leurs péchés. La lumière qui nous
tenir qu'une ci'éalure de Dieu était digne de éclaire est un tourment pour ceux qui ont
mé|iris, surtout quand il s'agit d'un arbre mal aux yeux il ne suit pas de là cependant
;

planté par lui dans le paradis terrestre. Peut- que la lumière soit une nature mauvaise.
on même mépriser les ronces et les épines
enfantées par la terre pour punir l'homme de
CHAPITRE XXXIX.
son péché, et envoyées par Dieu pour rendre EN QUEL SENS LE FEU DE L'ENFER EST-IL ÉTERNEL.
son travail plus amer? Ces plantes n'ont-
elles pas leur mode, leur forme et leur ordre ? En disant que le feu de l'enfer est éternel,
il suffit de les examiner à ce point de nous entendons uniquement qu'il ne finira
vue pour les trouver dignes d'éloge. Si donc jamais; ce n'est donc pas en ce sens que,
elles deviennent des maux pour l'homme, comme Dieu n'a pas eu de commencement,
c'est qu'elles devaient lui servir de châtiment ce feu n'en aurait pas eu davantage il n'est :

pour son péché. Le péché, comme je l'ai dit, donc pas éternel dans toute l'étendue de ce
ne consiste donc pas à désirer une mauvaise mot. De plus, quoique destiné à servir perpé-
nature, mais à renoncer à une nature plus tuellement de châtiment aux pécheurs, il est
excellente; c'est celte préférence même qui soumis au changement par sa nature même.
est un péché, et non la nature dont on abuse Au contraire, ce qui est véritablement éternel,
en péchant. Par conséquent, le mal vient uni- non-seulement n'a pas eu de commencement
quement de l'abus du bien. De là celte menace et n'aura pas de fin, mais encore jouit d'une
des rigueurs du jugement de Dieu, lancée par immutabililé réelle et à ce titre encore Dieu ;

l'Apôtre contre ceux qui « ont servi et honoré seul est éternel, car lui seul ne peut changer.
«la créature de préférence au Créateur^». Autre chose est de ne pas changer, malgré la
Ce n'est pas la créature qu'il condamne la ;
possibilité où l'on est de changer, autre chose
condamner ce serait faire injure à Dieu, mais est de ne pouvoir changer. Ainsi nous disons
ceux qui ont abusé du bien en renonçant à de tel homme qu'il est bon cependant il est ;

un bien supérieur. certain qu'il n'est pas bon de la bonté de Dieu


môme, car il est dit « Personne n'est bon si :

CHAPITRE XXXVII. « ce n'est Dieu » notre âme est immortelle,


'
;

DIEU TIRE LE BIEN DU MAL. cependant elle ne l'est pas comme Dieu dont
il est écrit « qu'il a seul l'immortalité ^ » ;

Si toutes les natures conservaient leur mode, on dit de l'homme qu'il est sage, mais il ne
'
Gen. 11, 9. — ' Rom. I, 25. ' Marc, X, 18. — I Tmi. VI, 16.
.

448 DE LA NATURE DU BIEN.

l'est pas comme Dieu dont il est dit : n A Dieu dans leur royaume ils ont eu la santé, la mé-
« seul sage '
» ; de même enfin, quand nous moire et l'intelligence; car ils supposent que
disons du feu de l'enfer qu'il est éternel, nous le prince des ténèbres a prononcé une haran-

déclarons qu'il n'est pas éternel dans le même gue telle que, sans le secours d'une grande
sens que Dieu, à qui seul appartient la véri- mémoire et d'une vive intelligence, il n'aurait
table éternité dans toute l'extension et la j)U ni la débiter ni être compris par ses audi-
portée du mot. teurs; ils ajoutent qu'il y avait une harmonie
parfaite entre leur âme et leur corps, qu'ils
CHAPITRE XL. régnèrent par l'éclat de la puissance, qu'ils pos-
RIEN KE PECT NtIRE A DIEU. sédèrent d'immenses richesses, qu'ils avaient
des yeux pour percevoir la lumière naturelle et
La foi catholique , la saine doctrine , la dont la perspicacité était immense que ces ;

vérité même,
bien comprise, nous enseignent yeux cependant avaient besoin de lumière pour
que personne ne peut nuire à la nature de voir; et de là vient qu'ils onti'eçu le nom de
Dieu, que cette nature ne peut nuire injuste- lumières ou flambeaux; qu'ils ont joui de
ment à personne, et enfin que personne ne toute la suavité du bonheur, et qu'ils avaient
nuit sans en recevoir le châtiment. Ecoutons des membres et des habitations déterminées.
rA|)ôlre : a Celui qui nuit subira le même 11 faut même
avouer qu'il y avait là quelque
a châtiment ; car en Dieu il n'y a aucune ac- beauté, car autrement ils ne se seraient pas
« ception des personnes - » épris d'amour pour leurs mariages, et les
parties de leur corps n'auraient conservé au-
CHAPITRE XLI. cune harmonie; ce n'est même qu'à cette con-
dition qu'ils peuvent donner un caractère de
ERRECRS MANICHÉENNES SUR LA NATURE DU BIEN
probabilité à toutes les suppositions déhrantes
ET DU MAL.
auxquelles ilss'abandonnent sur cette matière.
Quand donc les iManichéens consentiront-ils De même il y fallait la paix, autrement l'au-
à peser sérieusement ces considérations sans torité du prince aurait été méprisée. Il y
aucun parti pris de justifier leur erreur, et fallait un certain mode autrement il n'y ;

sans fouler aux pieds la redoutable majesté de aurait eu entre eux aucune société possible ni
Dieu ? Alors du moins ils cesseraient leurs pour agir, ni pour manger, ni pour boire, ni
blasphèmes criminels ils comprendraient , pour persécuter, ni pour taire toute autre
toute la folie d'un système qui suppose deux chose; d'ailleurs, sans un mode quelconque il

natures indépendantes et éternelles l'une : n'aurait pu y avoir aucune forme déterminée,


bonne, qu'ils appellent Dieu et l'autre mau- ; et c'est le contraire qui résulte de la descrip-
vaise, que Dieu n'a pas créée. Quelle n'est donc tion qu'ils nous font de leur vie et de leurs
pas l'erreur, la folie, disons le mot, l'absur- actes. Ilfallait une forme, car sans elle
y
dité qui les aveugle, puisqu'ils ne voient pas aucune qualité naturelle ne saurait exister. Il
que dans ce qu'ils appellent le souverain mal y fallait un ordre, car sans cela on ne trouve
par nature, ils supposent des biens en grand plus ni maîtres pour commander, ni sujets
nombre : la vie, la puissance, la santé, la pour obéir, ni harmonie dans les êtresvivants,
mémoire, l'intelligence, l'harmonie, la force, ni convenance dans la disposition des mem-
la richesse, le sentiment, la lumière, la dou- bres, ni par là même possibilité d'agir. Quanta
ceur, la mesure, le nombre, la paix, le mode, à la nature de Dieu, ou ils la supposent morte,
la forme et l'ordre? Au contraire, dans ce qu'ils ou je ne vois plus à quoi Jésus-Christ est venu
appellent le souverain bien, supposent une
ils apporter de la résurrection. Si elle
le bienfait

multitude de maux : la mort, la maladie, n'est pas malade, qu'est-ce que Jésus-Christ
l'oubli, la folie, la perturbation, l'impuissance, guérit? Si elle n'a rien oublié, pourquoi le
la pauvreté, la sottise, l'aveugleuienl, la dou- Sauveur lui rap[ielle-t-il? Si elle n'est pas igno-
leur, l'iniquité, la honte, la guerre, l'intem- rante, |)Ourquoi ses enseignements? Si elle
pérance, la ditformilé, la perversité. Ils sou- n'est pas troublée, pourquoi la réintégrer ? Si
tiennent, par exemple, que les princes des elle n'est pas vaincue et captive, pourquoi la
ténèbres ont vécu dans leur nature, et que délivrer? Si elle n'est pasdans le besoin, pour-
' Kona. XTI, 27. — Coloss. ni, 25. quoi venir a son secours ? Si elle n'a |)as perdu
DE LA NATURE DU BIEN. 449

le sentiment, pourquoi lui rendre la vigueur? une nature incorruptible ne méritera nos
Si elle n'est pas aveugle, pourquoi réclairer?Si éloges que parce qu'elle ne se nuit pas à elle-
elle n'est pas dans la douleur, pourquoi lui même, et non parce qu'elle serait hors d'at-
rendre la joie ? Si elle n'est pas portée au mal, teinte de la part de quiconque voudrait la
pourquoi la corriger par des préceptes ? Si frapper. De plus, si la nature des ténèbres a nui
elle n'est pas souillée, pourquoi la purifier? à la nature de Dieu, la nature de Dieu a nui
Si elle n'est pas en guerre, pourquoi lui pro- à la nature des ténèbres. Ce sont donc là deux
mettre la paix? Si elle n'est pas immodérée, maux qui se combattent réciproquement;
pourquoi lui inifioser le frein de la loi ?Si elle encore faut-il remarquer que la nation des
n'est pas difforme, pourquoi la réformer? Si ténèbres a été la moins coupable car si elle a:

elle n'est pas pervertie, pourquoi l'amender? nui, elle a nui sans le vouloir; ce qu'elle se
Tous ces fruits de salut ap|iortés par Jésus- proposait, ce n'était pas de nuire, mais de jouir
Christ ne s'appliquent nullement à cette na- du bien de Dieu. Au contraire. Dieu voulait
ture que Dieu a faite, et que son libre arbitre c'est du moins ce
anéantir cette nation rivale;
a dépravée par le péché, mais bien à celle que Manès afOrme clairement dans la lettre
nature, à celte substance de Dieu, qui n'est de son Fondement ruineux. Il venait de dire:
autre chose que Dieu lui-même. Se peut-il « Ainsi fut fondé son glorieux empire sur la

une erreur plus grossière ? « terre de lumière et de bonheur, en sorte


« que rien au monde ne peut ni l'ébranler ni
CHAPITRE XLII. a le détruire ». Puis, oubliant ces paroles, il

BLASPHÈMES MANICHÉENS CONTRE LA ajoute presqueaussitôl: «LePère delalumière


NATURE
DE DIEU. « bienheureuse, prévoyant la ruine immense
« qui devait surgir du sein des ténèbres et
A
quoi pourrait-on comparer ces blasphè- « menacer son règne de bonheur, comprit
mes? Les autres sectes les plus perverses leur opposer une puissance im-
« qu'il fallait
n'ont rien imaginé de semblable. Et cepen- « posante, capable de détruire la race des ténè-
dant si nous envisageons le manichéisme ta un « bres, afin qu'après cette destruction les habi-
autre point de vue dont nous n'avons pas « tants de la lumière pussent jouir d'un repos
encore parlé, nous trouvons que ces blasphè- « éternel ». Voilà donc que Dieu craint pour
mes contre la nature de Dieu révèlent un ca- son empire le ravage et la destruction. Com-
ractère plus grand
encore de perversité et ment alors cet empire était-il fondé sur une
d'horreur. En effet, ils ne craignent pas de terre brillante et heureuse, à tel point qu'il
soutenir qu'un certain nombre d'âmes, for- ne pouvait être ni ébranlé ni renversé par
mées de la substance et de la nature même de personne ? Mù par la crainte, le voilà qui en-
Dieu, sont enchamées pour l'éternité dans le treprend de nuire à la nation voisine il mul- ;

gouffre horrible des ténèbres, non pas pour tiplie les efforts pour la détruire, afin de pro-
s'être abandonnées volontairement au péché, curer aux habitants de la lumière un repos
mais i)arce qu'elles ont été vaincues et oppri- éternel. Pourquoi ne pas ajouter et un escla- :

mées par la nation des ténèbres, nature essen- vage éternel? Est-ce que ces âmes fixées pour
tiellement mauvaise qu'elles étaient venues jamais dans le gouffre des ténèbres, n'habi-
combattre, non pas volontairement, mais pour taient pas ce royaume de lumière? n'est-ce
obéir aux ordres de leur père. Quel crime I pas d'elles qu'il a dit qu' « elles avaient été
quelle audace incroyable! se peut-il que Dieu «condamnées à errer loin de leur nature
d'une telle croyance, d'un tel lan-
soit l'objtt «lumineuse?» 11 était ainsi forcé d'avouer
gage, d'une semblable doctrine? Les pressez- qu'elles avaient péché par l'effet de leur libre
vous de se justifler, ils se précipitent en aveu- volonté, lui qui ne voit dans le péché que le
gles sur des affirmations plus criminelles résultat de la coaction exercée par la nature
encore, soutiennent que si la nature de
ils contraire. Il prouve ainsi qu'il ne sait pas ce
Dieu, bonne par elle-même, devient victime qu'il dit; je me le représenterais volontiers
de si grands maux, c'est par suite de son mé- comme renfermé lui-même dans le gouffre
lange avec la nature mauvaise. Ab;indonnée de ténèbres dont il a le mérite de l'inven-
à elle-même elle ne serait jamais devenue la tion, et dont il cherche inutilement à sortir.
victime de toutes ces infortunes. A ce prix Mais libre à lui de débiter ses mensonges aux
S. Adg. — Tome XIV. 29
450 DE LA NATURE DU BIEN.

malheureux qu'il a séduits, et qui ont pour lui ment volontaire, pourquoi dès lors ne pas
plus de respect qu'ils n'en ont pour Jésus- attribuer ouvertement la volonté de pécher à
Christ; ce n'est pas trop de leur vendre ses la lumière que Dieu a engendrée, plutôt qu'à
fables ,
ennuyeuses que sacrilèges ,
aussi la nature qu'il a tirée du néant ?
moyennant quelques témoignages d'adora-
tion. Je lui laisse toute son éloquence: libre à
CHAPITRE XLIII.

lui d'enchaîner la nation des ténèbres dans LA NATURE DE DIEU ACCUSÉE PAR LES MANICBÉENS.
un cachot ténébreux, sauf à enchaîner au
dehors la nature de lumière, à laquelle il nous parvenons à prouver que, même
Si
promet un repos perpétuel, après la destruc- avant le mélange du mal, inqualifiable folie à

tion de son ennemi. Dans une telle condition, laquelle cependant ils n'hésitent pas à ajouter
est-ce que le châtiment de la lumière n'est foi, la nature même de la lumière se trouvait

pas plus cruel que celui des ténèbres? est-ce entachée de grands maux, que pourrons-nous
que la nature divine n'est pas punie plus ajouter à d'aussi horribles blasphèmes ? D'a-
rigoureusement que la nation ennemie? Celle- bord, avant de combattre, elle subit la dure et
ci, sans doute, est plongée dans les ténèbres, inévitable nécessité de faire la guerre n'était- ;

mais il est dans sa nature d'habiter les ténè- ce pas là déjà un bien grand mal, quand il
bres quant à ces âmes, qui n'ont d'autre na-
;
n'y avait encore en aucun mélange du mal ?
ture que la nature même de Dieu, et qui, Pourrait-il m'expliquer cette effrayante con-
dit-il, n'ont pu entrer dans ce royaume paci- tradiction ? Si la nécessité n'est pour rien
fique, elles seront donc privées de la vie et dans ce phénomène, toute la responsabilité
de la liberté de la lumière sainte, et fixées doit peser sur la volonté ; mais encore ne
pour toujours dans ce gouffre d'horreur Voici, I puis-je comprendre un Dieu qui veut
pas
sur ce sujet les paroles mêmes de Manès
, : nuire à sa propre nature, quand aucun ennemi
« Ces mêmes âmes adhéraient aux objets ne pouvait l'atteindre; un Dieu qui pousse la
a qu'elles avaient aimés; rejetées pour tou- cruautéjusqu'à mêler au mal sa propre nature,
« jours dans ce gouffre de ténèbres, elles sauf par la suite à en purifier une partie
«cherchaient encore à en sortir par leurs d'une manière honteuse, et à damner injus-
«mérites». La volonté ne jouit donc pas du tement l'autre parlie? C'est là cependant le
libre arbitre ? Voyez jusqu'à quel point cet triste effet d'une volonté criminelle, barbare
insensé ignore ce qu'il avance, comme par et cruelle, et cela avant d'avoir été mêlée à la
ses contradictions il se fait à lui-même une nation contraire! Ce Dieu ignorait-il donc que
guerre plus cruelle que celle même qu'il dé- ses membres s'éprendraient d'amour pour les
clare au dieu de la nation des ténèbres. Si les ténèbres, et qu'ils se poseraient en ennemis de
âmes de la lumière font damnées parce lumière, c'est-à-dire en ennemis non-
la sainte

qu'elles ont aimé les ténèbres, quelle injus- seulement de leur Dieu, mais encore du Père
tice de damner la nation des ténèbres, qui a qui les avait engendrés ? Mais alors com-
si ardemment aimé la lumière Oui, dès le 1 ment expliiiuer en Dieu cette affreuse igno-
commencement la nation des ténèbres a ar- rance avant qu'il eût subi aucun mélange
demment aimé la lumière ;
puisqu'elle vou- avec la nation des ténèbres ? Admettez-vous

lait la posséder, pouvait-elle avoir la volonté que rien ne lui étailcaché?j'en conclurai alors
de l'éteindre ? .\u contraire, la nature de lu- qu'il était victime d'une éternelle cruauté,
mière a voulu détruire les ténèbres à peine ; puisqu'il contemplait d'un œil tranquille la
vaincue, elle les a aimées. Je vous donne le future souillure et la future dairnation qui
libre choix: Son amour pour les ténèbres attendait sa nature; s'il en souffrait à l'avance,

lui était-il imposé par une invincible né- il était donc éternellement malheureux. D'un
cessité, ou procédait-il d'une volonté libre ? côté comme de l'autre, comment m'explique-
Dans premier cas, |)Ourquoi est-elle damnée?
le rez-vousun mal aussi grave dans le souverain
Dans le second, comment expliquer une telle bien, avant tout mélange avec le souverain
iniquité dans la nature de Dieu ? Si la nature mal ? Attribuerez-vous celte ignorance uni-
de Dieu a subi la nécessité d'aimer les té- quement à la partie de sa nature qui est en-
nèbres, elle a donc été vaincue et non victo- chaînée dans le gouffre éternel ? Celte partie
rieuse si cet amour a été de sa pari |)arfaite-
; appartenait à la nature de Dieu ; donc il pou-
DE LA NATURE DU BIEN. 4SI

vait y avoirune ignorance. éternelle dans la enchaînée, opprimée , souillée, et elle obtient
nature de Dieu. Le savait-elle ? alors de toute sa délivrance, sa liberté, sa purification, non-
éternité elle était mallieurense. Encore une seulement par la course du soleil et de la lune
fois, comment un grand mal avant qu'elle
si et par les forces de la lumière, mais aussi par
eût été mêlée à la ? Mais
nation des ténèbres ses élus. De semblables erreurs, de telles tur-
peut-être qu'elle était dans toute la joie de la pitudes aussi sacrilèges qu'incroyables, loin
charité, parce que le châtiment qu'elle devait d'être acceptées, ne peuvent être décrites et
subir procurerait un éternel repos aux habi- répétées sans soulever une horreur profonde.
tants de la lumière ? Pour peu que l'on com- Comment parler sans frémir de ces forces de
prenne l'horreur d'un tel langage, on ne peut la lumière, successivement transformées en
que le frapper d'anathème. Et encore, si en figures d'hommes superbes et de femmes ra-
faisant preuve d'un tel amour, elle ne devait vissantes opposées les unes aux autres; de
paselle-mème devenir l'ennemie de la lumière; cette vie, de ce contact résulte l'affreux bouil-
oubliant un instant qu'il s'agit de la nature de lonnement de toutes les passions, de la plus
Dieu, on pourrait la louer, comme on applau- grossière concupiscence. De ce foyer incan-
dit à tout homme qui, pour sauver sa patrie, descent la nature de Dieu s'écoule et s'échappe
se condamne volontairement pourvu
à tel mal, parla génération; c'est cette délivrance qui
que ce mal ne soit que pour un temps et non constitue sa purification ,
purification plus
pas éternel. Or, il n'en est pas ainsi dans la honteuse assurément que la souillure elle-
question qui nous occupe, car c'est pour l'éter- même '. Croira-t-on jamais, non-seulement
nité que cette nature, la nature même de qu'il en soit ainsi, mais que de telles horreurs
Dieu, est enchaînée dans le gouffre des ténè- puissent être écrites et répétées Et ces Mani- I

bres. Libre donc à vous de supposer en Dieu chéens, qui craignent de lancer l'anathème à
cette joie, mais avouez du moins que cette joie Manès et à sa doctrine, n'hésitent pas à
est uniquement criminelle horriblement
et croire en Dieu des actions aussi repous-
sacrilège, si elle doit avoir pour effet en Dieu santes, des œuvres aussi criminelles!
d'aimer les ténèbres et de devenir l'ennemi de
la sainte lumière. Comment donc expliquer CHAPITRE XLV.
un sigrand mal avant que la nature de Dieu
TURPITUDES JUSTEMENT ATTRIBUÉES
eiit été mêlée à la nation ennemie ? Attribuer
AUX MANICHÉENS.
tant de biens au souverain mal, tt de si grands
maux au souverain bien qui est Dieu, n'est-ce Voyons ensuite comment cette purification
pas là une absurdité aussi impie que crimi- de la nature de Dieu s'opère par le moyen des
nelle, et qui soulève de dégoût le cœur le plus élus. Cette substance, disent-ils, est enchaî-
insensible ? née dans tous les aliments; que les élus, les ini-
CHAPITRE XLIV. tiés absorbent ces aliments, qu'ils les mangent
ou les boivent, la haute sainteté qu'ils prati-
TIRPITCDES lACROYABLES IMAGINÉES EN DIEU
quent devient l'arme infaillible avec laquelle
PAR MANÈS.
ils mettent en liberté cette malheureuse nature
Nous savons qu'ils enseignent que la partie de Dieu jusqu'alors tristement enchaînée. Ces
de la nature de Dieu a été mêlée au ciel, à la misérables ne voient donc pas les horribles
terre, aux choses souterraines, corporelles, conséquences que l'on tire contre eux de leur
sèches et humides, à toutes les chairs, à toutes propre doctrine; ils s'abritent, il est vrai, der-
lessemences d'arbres, d'herbes, d'hommes et rière des dénégations, mais ces dénégations ne
d'animaux. Nous catholiques nous enseignons sont rien tant qu'ils n'ont pas analhématisé
que Dieu est présent partout et en tout par sa Manès et cessé d'être Manichéens. Si, comme ils
puissance divine, pour tout administrer et tout le disent, la partie de Dieu est liée à toutes les
gouverner seulement nous le croyons évi- semences, et qu'elle soit purifiée par la man-
demment dégagé de toute union substantielle *
El cependant de abominatioos, décrites avec complai-
telles

avec les choses créées, à plus forte raison, sance, se lisent datis le livre septième du Trésor, car c'est de ce
titre qu'ils décorent l'écrit de Manès où il a
consigné tous ces
nous déclarons qu'il n'en reçoit aucune souil- blasphèmes d'impureté et d'audace. Nous renonçoQs à présenter à
lure, aucune tache, aucune corruption. Pour nos lecteurs le texte même que nous venons d'analyser, le cœur Be
soulève de dégoût et d'indignation deraot de telles impudlcités
eux, au contraire, la substance divine a été commises pat la nature même de Dieu.
452 DE LA NATURE DU BIEN.

ducation des élus, comment ne pas conclure dans des détails que la pudeur nous défend de
qu'ils fonteux-mêmes ce que le Trésor attribue reproduire. Cette assemblée des princes des
aux vertus du ciel et aux princes des ténèbres? ténèbres est formée, comme nous le disions
Ne disent-ils pas, en effet, que leur corps a été plus haut, d'hommes superbes et de femmes
formé par la nation dos ténèbres, et qu'en lui ravissantes. Une scène d'horrible corruption
se trouve enchaînée cette substance vitale, qui se produit. Le prince des ténèbres dévore avi-
n'est autre qu'une partie de la substance même dement le produit de ce libertinage; ainsi
de Dieu? Il faut délier cette nature, il faut repu, il s'approche de sa propre fenune et re-
la purifier par la manducation, ce sont eux- jette ainsi tous les maux qu'il s'était incor-

mêmes qui l'avouent; que l'on juge alors des porés par son horrible manducation, en y
horribles conséquences qui découlent néces- ajoutant ceux qu'il possédait au|)aravant. Tel
sairement de semblables principes 1 est le moyen par lequel se formèrent toutes
les images des choses célestes et terrestres;
CHAPITRE XLVI. voilà comment l'univers se peupla d'habi-

CRIMINELLE DOCTRINE DE LA LETTRE tants.

FONDAMENTALE. CHAPITRE XLVII.

MANÈS COMMANDE LA PERPÉTRATION DE CES


Les Manichéens soutiennent également
HORREL'RS.
qu'Adam, le premier homme, a été créé par
les princes des ténèbres, mais que dans celte monstruosité criminelle 1 ô affreuse ruine
création ils ont agi de manière à ne pas laisser de toutes les âmes trompées et séduites! Je
s'échapper la lumière qui était eu eux. En laisse de côté les hontes infligées à la nature
effet, dans la Lettre fondamentale ils nous de Dieu dans ce triste esclavage; mais, du
représentent le père du premier homme, le moins, que tous ces malheureux qui se sont
prince des ténèbres siégeant au milieu des laissé prendre aux séductions empoisonnées
autres princes et leur adressant les paroles de l'erreur, veuillent donc bien rétléchir un
suivantes que Manès nous a conservées : « Que instant; s'ils admettent que c'est par la géné-
a vous semble-t-il de cette grande lumière ration que la partie de Dieu se trouve enchaî-
« qui commence à briller? Voyez comme elle née, s'ils croient que cette partie n'est déli-
« agite le pôle, comme elle ébranle une mul- vrée et purifiée que par la manducation,
« tilude de puissances! Il m'a donc paru con- qu'ils acceptent la rigoureuseconséquence de
« venable de vous demander tout ce que vous cette erreur, qu'ils ne se contentent plus de
a possédez de lumière; alors de ce héros qui la manducation du pain et des légumes, car ils
« nous a apparu dans toute sa gloire, je re- affectent extérieurement de ne se nourrir que
« produirai l'image, et c'est par celte image que de ces substances, et qu'ils délivrent et purifient
'i nous pourrons régner un jour, quand nous la partie de Dieu partout où elle se trouve
« serons délivrés des ténèbres. Après une mûre enchaînée, qu'ils ne reculent pas devant les
« délibération sur ces paroles, ils proclamèrent conséquences de la génération. On cite en
« la justesse et l'équité de la demande qui leur efï'et des Manichéens qui devant les tribu-
,

« était faite. En effet, ils ne pouvaient pas naux, en Paphiagonie et même dans les
« espérer qu'ils conserveraient toujouis celte Gaules, n'ont pas rougi d'avouer publique-
« lumière; ils crurent donc plus convenable ment qu'ils étaient fidèles à leur doctrine
a de spontanément à leur chef, comp-
l'offrir jusque dans ses dernières conséquences.
B tant bien (ju ils pourraient ainsi régner un Quand on leur demandait sur l'autorité de
«jour. Maintenant voyons comment ils se dé- quel livre ils s'appuyaient, ils citaient le
« pouillèrent de la lumière qu'ils possédaient. Trésor et en particulier le passage dont j'ai
« Toutes les divines Ecritures, toutes les révé- ])arlé plus haut. Quant à nos Manichéens plus
« talions célestes sont pleines de l'explication discrets et plus prudents, si on leur fait cette

« de ce mystère. Il est du reste très-facile de objection, ils ont une réponse toute stéréo-
« comprendre comment les sages ont reç^'u typée; ils disenl(|u'un malheureux du nombre
«celte connaissance, puisqu'elle jaillit d'elle- de leurs élus, poussé sans doute jiar la jalousie
« même à l'esprit de celui qui se livre atten- et par la haine, a formé un schisme el ima-
« tivement à cette étude». Manès entre ici giné celte infâme hérésie. AJnieltons ,
s'ils le
DE LA NATURE DU BIEN. 4S3

veuleni, qu'ils ne se livrent pas à ce comble pas la mort du pécheur, mais qu'il se conver-
de la dégradation mais qu'ils conviennent
; tisse et qu'il vive'; qui appelez les coupables

aussi que ceux qui s'y livrent ne font (|ue à faire pénitence, à renoncer à leur méchan-
mettre en pratique la doctrine de leurs pro- ceté et croire en vous'; qui par votre longani-

pres écrits. S'ils ont horreur du crime, qu'ils mitéinvilezau repentir, quoiqueuntrop grand
brûlent donc leurs livres; mais s'ils les con- nombre s'amassent un trésor de colère pour
servent et qu'ils soient conséquents avec eux- le jour de la vengeance et de la révélation du
mêmes, ils se trouvent forcés de le commettre; dernier jugement où vous rendrez à chacun
si malgré cela ils ne le commettent pas, j'en selon ses œuvres'; qui, le jour où l'homme^
conclus qu'ils valent mieux que leurs livres. renonce à son iniquité pour se jeter dans les
Mais voici qu'on leur pose le dilemme suivant: bras de votre miséricorde et de votre vérité,
Ou purifiez la lumière de toutes les semences oubliez toutes ses iniquités'; puisque vous
qui la renferment, et ne reculez devantaucune avez inspiré à mon ministère de réfuter cette
des infamies que vous affirmez ne pas com- erreur aussi horrible que criminelle, accordez-
mettre, ou lancez l'analhème contre Manès, qui moi la grâce d'arracher tous ces pécheurs à
afGrme que la nature de Dieu se trouve dans l'iniquité, comme beaucoup d'autres ont
toutes les semences, qu'elle est enchaînée par déjà retrouvé l'innocence, soit dans le saint
la génération j et qu'elle se trouve puritîée baptême, soit dans le sacrifice d'un esprit
toutes les fois qu'elle est assez heureuse pour confus d'un cœur contrit et humilié \ Quei^
et

devenir l'aliment des élus. A cela que peu- les douleurs de la pénitence leur obtiennent
vent-ils répondre? à quelles tergiversations la rémission des péchés et des blasphèmes
auront-ils recours? comment ne pas admettre qu'ils ont commis contre vous, sans savoir ce
ou qu'il faut anathématiser la doctrine, ou con- qu'ils faisaient. Telle est l'efficacité de votre
sommer les horreurs qu'elle commande ? J'ai miséricorde, telle est la vérité de votre bap-
rappelé précédemment les maux intolérables tême telle est la puissance des clefs du
,

qu'ilssupposent dans la nature de Dieu, et qui royaume des cieux, confiées par vous à votre
dans la nécessité de faire la guerre.
l'ont placée sainte Eglise, que nous ne devons jamais dé-
J'en ai conclu ou que Dieu était dans une sespérer de ces pécheurs pendant que votre
ignorance absolue, seul moyen d'expliquer patience les conserve en ce monde. Ils peu-
son éternelle sécurité, ou qu'il était en proie vent comprendre encore quel crime c'est d'a-
à une douleur et à des alarmes éternelles, dans voir de vous de telles idées, de tenir sur vous
l'attente du triste moment où arriveraient, un semblable langage; ils peuvent reconnaître

pour une partie de lui-même, la corruption qu'ils ne sont retenus dans cette erreur dé-
du mélange et les chaînes de la damnation plorable que par des intérêts, des habitudes,
éternelle. J'ai dit que la guerre éclata, mais des liens temporels et terrestres; faites donc
que la substance de Dieu devint captive, oppri- que, frappés de vos reproches et de vos me-
mée, souillée; qu'après une fausse victoire naces, ils se réfugient dans l'im.mensité infinie
elle sera éternellement fixée à un horrible de votre bonté, et qu'ils foulent aux pieds
globe de ténèbres, et séparée pour toujours toutes les séductions charnelles pour s'assurer
de la félicité dont elle jouissait à son origine. la vie céleste et le bonheur éternel.
Or, tous ces maux, quelque repoussants qu'ils

' Ps. eu , 8. — ' Ma». V, 15. ' Ezéch. xxxm , 11. — ' Sag.
soient, ne me paraissent rien en comparaison III, 2. — ' Rom. Il, 1-6. — ' Ezéch. xym, 21. — ' Ps. L, 19.

de toutes ces turpitudes que je viens de dé-


crire.
CHAPITRE XLVm.
AUGUSTIN DEMANDE A DIEU LA CONVERSION
Traduction de M. Vabbé BURLERAUX.
DES MANICHÉENS.

Seigneur, Dieu de toute patience, de toute


miséricorde et de toute vérité*^; vous qui faites

lever votre soleil sur les bons et sur les mé-


chants, qui faites tomber la rosée du ciel sur
les justes et sur les coupables*; qui ne voulez
LETTRE
r>e Sécxuad-inu-s à A.xigvistin.

Je rends grâces à l'inetfable et auguste Ma-


I. armes du péché, comme celles de la justice

jesté, à son Fils unique. Roi de toutes les lu- ce sont les préceptes salutaires '. Telle est la

mières, Jésus-Christ, et au Saint-Esprit, qui doctrine de Paul, telle est aussi celle de Manès.
m'ont donné occafiond'offriren toute sécurité 11. Dans ce combat il ne s'agit donc pas des
mes hommages à votre haute sainteté, que je armes, mais des esprits qui s'en servent. L'en-
proclame digne de toutes mes louanges et de jeu de cette guerre, ce sont les âmes. Au milieu
tous mes respects. Quoi de plus juste ? Ces des combattants est placée 1 âme à laquelle,
trois personnes de la Trinité ne sont-elles pas dès le commencement, sa propre nature a
pour nous le gage assuré de la possession de donné la victoire. Si elle prête main-forte à
tous les biens et de l'éloignement de tous les l'esprit des vertus, elle possédera avec lui la

maux? ne servent-elles pas de protection in- vie éternelle et le royaume auquel le Sauveur
faillible à votre bienveillance ? ne nous arra- nous appelle. Mais si elle se laisse entraîner

chent-elles pas au mal, non pas à ce mal qui par l'esprit des vices, si elle consent à ses sé-
n'est rien ou qui est le fruit des factions et ductions, et qu'après ce consentement elle
des passions humaines, mais à ce mal dont fasse pénitence, elle obtiendra le pardon de
nous sommes menacés pour l'avenir? Malheur ces souillures. En effet, elle subit, malgré elle,
à celui qui s'exposera à en devenir la victime! lesconséquences de son mélange avec la chair.
Pour vous, je le proclame en toute sincérité, Mais si, après avoir acquis la connaissance

vous méritez d'obtenir ces bienfaits de leur d'elle-même, elle consent au mal, elle ne
part, de trouver en elles l'aliment éternel de s'arme pas contre l'ennemi, son péché devient
la vérité qui vous éclaire, et le flambeau tou- l'œuvre de sa volonté propre. Vient-elle à
jours brillant placé sur le cliandelier de votre rougir de nouveau de ses erreurs, elle trouve
cœur, pour assurer la possession de votre tré- l'Auteur des miséricordes lui ouvrant son sein
sor contre les dilapidations du futur ennemi. pour la recevoir. En effet, ce ne serait point
Que ces personnes sacrées préservent de toute parce qu'elle a péché qu'elle serait punie, mais
ruine la demeure que vous avez édiflée, non parce qu'elle ne s'est pas repentie de son péché.
pas sur le mais sur le roc de
sable de l'erreur, Mais si elle quitte la vie sans avoir reçu le par-

la science qu'elles éloignent de nous cet es-


;
don de son péché, elle est impitoyablement
prit cruel qui inspire aux hommes la crainte repoussée, comparée à lavierge folle placée à la
et la perfldie afin de détourner les âmes de gauche du souverain Juge, chassée par le Sei-
l'étroit sentier tracé par le Sauveur, et qui gneur du festin des noces, à cause des souil-
souffle sa rage à ces princes contre lesquels, lures de son vêtement, et précipitée dans ce lieu
dans son épîlre aux Ephésiens, l'Apôtre avoue où il y aura des pleurs, des grincements de

qu'il eut à soutenir un rude combat. Voici ses dents et les tourments du feu allumé dès le
paroles a Ce n'est ni la chair ni le sang
: commencement pour le démon et ses anges. Ce
« que nous avons à combattre, mais les princes, feu, ou vous conviendrez dans votre prudence
« les puissances et les esprits d'iniquité répan- qu'il a été allumé par l'archange, ou qu'il n'est
adus dans les airs ». Quoi de plus naturel ?
'
rien. Pourquoi donc les justes régneront-ils ?
Si l'onprend les armes, n'est-ce pas contre Pourquoi les Apôtres et les martyrs seront-ils
celui qui est armé, qui marche déjà au com- couronnés ? Est-ce parce qu'ils n'ont vaincu
bat ? Les corps des hommes, telles sont les que le néant ? quelle déception pour la
• Ephés. VI, IJ. • Hom. VI, 13.
LETTRE DE SÉCUNDINUS A AUGUSTIN, 455

puissance du vainqueur quand on proclame conduit à l'abîme ? Paul est-il menteur? est-
'

l'impuissance absolue de l'adversaire Chan- ! ce qu'il ne sera pas rendu à chacun selon ses
gez d'avis, je vous en prie, dépouillez la per- œuvres ^ ? Si seulement, en vous séparant de

fidie de la race carthaginoise ; vous n'avez Manès, vous étiez entré à l'Académie, ou si
quitté la vérité que sous les coups de la crainte, vous vous étiez fait l'historien des guerres ro-
revenez-y franchement , et ne cherchez pas maines qui ont soumis au grand peuple le
d'excuses dans de honteux mensonges. monde tout entier Frappé alors des belles ac- !

III. Avec ma faible intelligence de romain, tions que vous auriez eues sous les yeux, vous,
j'ai lu les écrits de votre grandeur vous y ;
le grand admirateur de la pudeur et de la

montrez autant de colère contre la vérité, pauvreté, vous ne vous seriez pas avili jusqu'à
qu'Hortensius en montrait contre la philoso- vous réfugier dans la secte judaïque, aux
phie. Avec un regard prompt et un esprit in- mœurs barbares et dissolues. Mêlant aux
quiet j'ai lu et relu, et partout j'ai reconnu préceptes des fables indignes, vous introduisez
l'habile orateur et presque le dieu de l'élo- des paroles comme celles-ci « La femme :

quence ; mais nulle part je n'ai trouvé le « adultère vous vous créerez des enfants de
;

ciirétien niant tout, n'affirmant rien. Avouez a fornication la terre se rendra coupable de
;

que vous auriez dû montrer plus de science et a fornications multipliées à l'égard du Sei-
moins de loquacité. Que votre sainteté me « gneur '
; vous ne laverez pas vos mains
permette de le lui dire franchement il m'a : « après l'acte conjugal; placez votre main sur
paru, bien plus je suis certain, que jamais « mon fémur tuez et mangez ' '
croissez
; ;

vous n'avez été manichéen, que dès lors vous «et multipliez ^». Les lions pris au piège
n'avez pu connaître les mystères du secret, et vous ont-ils plu, parce qu'il n'y avait pas
que sous le nom de Manès vous attaquez uni- de cavernes ? Avez-vous gémi sur la stérilité
quement Annibal et Mithridate. D'un autre de Sara, quand son mari s'était fait le bour-
côlé, je suis assuré que le palais d'Aniciana reau de sa pudeur en la disant sa sœur'?
brille moins par l'éclat et la richesse de ses Peut-être qu'après le combat de Darète et
marbres, que vos écrits ne brillent par leur d'Entelle % vous attendiez le combat de Jacob ?
éloquence. Si vous aviez consacré ce talent Vous disposiez-vous à contempler le nombre
prodigieux à la défense de la vérité, vous au- des Amorrhéens ^ ou la foule des animaux
riez été le plus bel ornement de notre société. renfermés dans l'arche de Noé ? Je sais que
De grâce, ne luttez pas contre votre nature, vous avez toujours eu ces objets en horreur ;

ne soyez pas cette lance de l'erreur avec laquelle je sais que vous avez toujours aimé les grandes
on perce encore la poitrine du Sauveur. Ne choses capables de faire quitter la terre, ga-
voyez-vous pas qu'il a été crucifié dans le gner le ciel, mortifier les corps et vivifier les
monde tout entier et dans toute âme, quoique âmes. Qui donc a produit en vous un change-
cette âme
n'ait jamais eu de motif de s'irriter ment si subit ?
contre nature? Vous donc qui tirez d'elle
la IV. Je conviens qu'il y a plus que de l'absur-
votre existence, déposez, je vous prie, ces dité à adresser à votre sainteté un semblable
vaines accusations, oubliez ces controverses langage. Vous n'êtes pas sans connaître la per-
inutiles. Quoique placé pendant si longtemps, méchanceté et les ruses de celui
versité, la
avec l'auteur de vos jours, au sein des té- qui combat contre les fidèles et contre les
nèbres, jamais vous n'avez permis à l'insulte hommes les plus illustres , jusqu'à forcer
de souiller vos lèvres et mainlenantquevous
: Pierre, dans une seule nuit, à renier trois fois
vous trouvez entre le soleil et la lune, vous son Maître, jusqu'à ne pas permettre à Tho-
êtes devenu un indomptable accusateur. Qui mas de croire à la résurrection du Seigneur.
donc vous défendra au pied du tribunal du Disons toutefois que le remède du pardon a
souverain Juge quand vous-même en êtes
,
guéri toutes ces blessures. Mais quelle trame
réduit à attester l'injustice de vos paroles et audacieusement ourdie, de mêler la zizanie à
de vos œuvres? Le Perse que vous avez accusé la bonne semence répandue par le Seigneur,
ne sera pas présent. Si ce n'est lui, qui donc et de ravir l'Iscariote au bon Pasteur, de venir
vous consolera dans vos larmes ? qui sau-
vera l'Africain ? L'Evangile a-t-il été changé ? '
Matt. vu, 13. — ' Rom. xiv, 12. — ' Osée, i, 2. — ' Gen. .\iiv,
2 XLVii, 29.
;

' Act. x, 13. — ' Gen. i, — 28. ' Gen. xn, 13, et
est-ce que ce n'est plus la voie large qui \x, 2. —
' Virg., Enéide, liv. V, vers 362-181. — ' Jos. x, 5.
436 LETTRE DE SÉCUNDINUS A AUGUSTIN.

jusqu'au dernier supplice de la croix, d'ins- des vengeances. Elle ne se contente pas de
pirer aux scribes et aux pharisiens un tel désir pardonner jusqu'à sept fois ; elle jouit du pou-
de la mort du Sauveur, qu'ils demandent à voir de lier et de délier à l'infini. Vos yeux
grands cris la délivrance de Barrabas et le plongeaient si profondément dans la lumière,
cruciflement de Jésus Nous avons donc ! ne faites pas de vous un aveugle; ne vous
échappé à ce désastre, uniquement parce que avilissez pas au rang de disciple, vous qui
le Sauveur pour nous était un être tout spiri- êtes capable d'enseigner. Quittez la gloire hu-
tuel. En effet, telle fut l'audace de cet adver- maine, si vous voulez plaire à Jésus-Christ.
saire, que si Notre-Seigneur eût été charnel, Soyez le Paul de notre époque Paul, docteur :

toutes nos espérances disparaissaient comme de la loi judaïque, à peine a-t-il reçu la grâce
un rêve. Le supplice même de la croix ne de- de l'apostolat, que, pour plaire à Jésus-Christ,
vait pas suffire à apaiser sa haine ; il lui fallut il ne voit jikis dans les avantages de la terre

le couronner d'épines, l'abreuver de flel et qu'une véritable boue digne de tous les mé-
de vinaigre, le percer avec la lance du soldat, pris '. Prenez pitié de votre âme si belle, car
le couvrir des blasphèmes vociférés par le vous ignorez à quelle heure le voleur doit
mauvais larron K La mort du Sauveur sem- vous assaillir. Gardez-vous d'enrichir les
bla en quelque sorte inspirer à sa haine une morts, vous qui êtes l'ornement des vivants.
nouvelle énergie. En effet, à peine les Apôtres Evitez la voie large que foulent seuls les
commençaient-ils à enseigner, qu'il souleva Amorrhéens hâtez-vous de prendre la voie
;

contre eux une multitude de questions, et, ce étroite qui vous mènera à la vie éternelle.
qui est pire encore, couvrit du nom de su- Cessez de renfermer le Christ dans un sein, de
perslilions les dogmes les plus sublimes de la crainte que vous n'y soyez enchaîné vous-
doctrine catholique. Je passe sous silence la même. Cessez de confondre en une seule deux
révolte qu'il souffla à chacun des disciples natures bien distinctes, car le jugement du
contre les magistrats, les séductions dont il Seigneur approche. Malheur à ceux qui rece-
rendit victimes Hyménée et Alexandre ^
; les vront, car, pour eux, toutes les douceurs
crimes commis à Antioche, à Smyrne et à reçues se changent en amertume.
Iconium ajoutez-y les crimes commis ac-
; VI. Si l'origine du combat laisse encore dans
tuellement par la multitude, pour qui la vertu votre esprit quelques doutes, on peut les dis-
est chose entièrement inconnue. Peut-on par- siper dans un long traité ou dans une paisible
ler de vertu, quand il s'agit de la foule et conférence. Seulement, que votre haute bonté
surtout des femmes? Mais je m'abstiens de veuille bien remarquer que certaines vérités,
révéler toutes ces turpitudes intérieures, dans quelle que soit la clarté de l'enseignement,
la crainte de donner encore plus d'élan aux ne seront jamais comprises, parce que l'intel-
scandales. Le propre des sages est pourtant de ligence divine surpasse infiniment la faible
fout supporter, de rire de tout et de s'appli- portée de l'esprit humain. Telle est , par
quer uniquement à ce qui mérite la béatitude, exemple, la dualité de natures, ou la nécessité
à ce qui enfante à la vie. du combat pour un être qu'aucune souffrance
V. Toutefois, je vous prie et vous conjure ne peut atteindre ; telle est aussi l'existence
de nouveau de me pardonner tout ce qui, du siècle nouveau qui surgira après la cessa-
dans mes paroles^ pourrait blesser votre cœur lion des mouvements de celle vaste terre. Or,
d'or. Le seul désir qui m'inspire, c'est celui peut-on admettre des divisions dans les choses
de vous conserver dans notre troupeau je ;
divines? peut-être dans le langage en sup-
fus moi-même sur le point de le quitter, et pose-t-on quelquefois, mais alors ce sont de
autant je m'en éloignais, autant je m'appro- simjjles figures mises à la portée de l'auditeur.
chais de ma perte heureusement que je ; Supposez même que l'auditeur con-
soit déjà
brisai sur-le-champ toute relation avec une vaincu, ces divisions dans !e langage n'en
nature toute remplie d'iniquités. Réconciliez- continueront pas moins. Il en serait autre-

vous avec notre communion, car elle ne vous ment vous aviez sur ce siècle futur ces idées
si

a aucunement offensé rentrez dans son sein, ; folles et ineptes qui courent encore parmi le
à ce prix, elle vous protégera au grand jour peuple. 11 en est de même du combat dont

'Mail, xivi, xxvu — nous parlons ; avant tout, vous ne devez pas
; Luc, xxn', xxiu ; Jean, xvm-xx.
' I Tim. I, 20. ' Philipp. ui, 8.
LETTRE DE SÉCUNDINUS A AUGUSTIN. 487

oublier que Dieu est toute justice, et que le expressions : « Venez, et retirez- vous '«.Pour
plus grand crime consiste à s'emparer du bien vous, lorsque vous faites de la poésie, si dans
d'autrui. Or, quand la nature contraire serait ce vers :

venue pour l'attaquer. Dieu ne pouvait rien


craindre ni rien souffrir, parce que l'avenir Orbis, vita, salus, lumen, lus, ordo, poteslas,

lui était connu ; cependant, s'il n'avait pas


combattu, il aurait paru consentir au crime. vous confondez la vocale avec la muette ,

Voiicà pourquoi aux attaques de l'ennemi il la longue avec la brève, il n'en est pas moins
opposa une force imposante, aDn que sa jus- vrai que ce sont là des choses naturellement
tice ne pût être accusée de s'être souillée en opposées ou contradictoires.
consentant au sacrilège. En effet, la justice de \'ll. Mais, en me permettant de vous tenir ce

Dieu consiste à ne jamais pécher et à ne jamais langage, ne puis-je pas me comparer au Jour-
consentir au péclié. D'un autre côté, Dieu, dain qui voudrait prêter son eau à l'Océan;
dans son royaume, exerçait sur la nature une au flambeau qui voudrait prêter sa lumière
puissance absolue, en sa qualité de Maître et au soleil, et au peuple qui voudrait prêter
de Juge suprême. Du reste, si je me suis per- sa sainteté à l'évêque ? 11 faut donc vous
mis ce langage, je voulais seulement expri- résigner à subir le contenu de ma lettre. Si
mer ma propre pensée, sans aucune prétention je n'avais compté sur votre patience à toute
de remonter jusqu'à la nature des choses la : épreuve, je ne vous aurais pas adressé cette
perfidie ne produit aucun effet, le soleil ne se épitre; mais je sais que vous pardonnez faci-
lève pas pour les aveugles, la parole ne se fait lement à tous. Malgré cela, j'ai usé de toute
pas entendre pour les sourds, et aucun festin la circonspection possible et multiplié les
n'est préparé pour les morts. Quant à l'im- précautions pour ne pas vous paraître si long.
possibilité d'assigner à chaque nature l'espace Puissions-nous donc recevoir cette fois, de
qui lui est propre, notre misérable condition votre sainteté, et apprendre de vous le chemin
humaine la proclame d'une manière absolue. du salut ; ce sujet, glorieux maître, vous four-
Au contraire tout est facile au Sauveur
, ; nirait l'occasion d'enfanter des milliers de
aussi désigne-t-il sous le nom de droite et de volumes. Adieu 1

gauche, d'intérieur et d'extérieur, ces deux ' Matt. XXV.

Traduction de M. l'abbé BURLERÂVX.


RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

I. Je suis très-sensible à la bienveillance que dans des vues d'ambition ,


je porte la cha-
vous me
témoignez dans votre lettre, et soyez rité plus loin à votre égard, et je veux bien
assuré que raiTeclion dont vous m'entourez croire que vos soupçons ne sont pour moi
est pour moi un nouveau motif de vous pro- que de la bienveillance; je suis persuadé éga-
diguer mon amour. Mais hélasl je suis saisi lement que votre lettre vous a été inspirée,
d'une profonde tristesse quand je vous vois, non pas dans le but de m'accuser, mais dans
par opposition contre moi et surtout contre le désir sincère de me ramener au bien. De
l'immuable vous attacher obstinément
vérité, votre côté, si votre bienveillance veut bien al-
à ces opinions dont la fausseté me paraît de la ler jusqu'à croire à la sincéritéde mes pa-
dernière évidence. Quant aux fausses idées roles, comme
ne puis dévoiler physique-
je
que vous vous faites de moi, je les méprise ment à vos yeux et vous prouver les disposi-
facilement; il me suffit pour cela de savoir tions qui m'animent intérieurement et que
que ce que vous pensez de moi, bien à tort vous incriminez avec violence, vous change-
assurément, peut encore se supposer dans un rez promptement d'opinion à mon égard, et
homme. Vous êtes dans l'erreur à mon égard, vous ne vous exposerez plus à afflrmer témé-
cependant cette erreur ne va pas jusqu'à me rairement ce que vous ignorez.
jeter absolument au ban de l'humanité; en II. Je l'avoue, c'est par crainte que j'ai
effet, si je ne suis pas coupable des erreurs quitté les Manichéens, mais par crainte de ces
dont vous m'accusez, ces erreurs du moins ne paroles de l'Apôtre: « L'Esprit de Dieu ditou-
sont pas inconciliables avec unesprithumain. « vertement que, dans les temps à venir,
Je ne me crois donc pas obligé à beaucoup a quelques-uns abandonneront la foi, en sui-
d'efforts pour me justifier à vos yeux sur ce « vaut des esprits d'erreur et des doctrines
point. Ce n'est pas sur moi que repose votre « diaboliques, enseignées par des docteurs
espérance, et vous pouvez être bon, quoique a pleins d'hypocrisie, et dont la conscience est
je sois mauvais. Ayez d'Augustin l'opinion « noircie de crimes, lis interdiront le mariage
qu'il vous plaira mon seul désir, c'est que
; « et l'usage des viandes que Dieu a créées pour
ma conscience ne m'accuse pas aux yeux de être reçues avec action de grâces par les fi-

Dieu. Je puis dire comme l'Apôtre : « Peu a dèles, et par ceux qui connaissent la vérité,
« m'importe d'être jugé par vous ou par le a Car tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne
genre humain ». Je ne marcherai donc pas
'
a doit rien rejeter de ce qui se mange avec
sur vos traces, je rougirais de supposer en « actions de grâces » Ces paroles s'appliquent
'
.

vous arbitrairement la plus légère disposition parfaitement à tous les hérétiques, mais les
mauvaise. Je ne dis pas <jue vous avez voulu Manichéens y sont caractérisés avec une évi-
me déchirer tout en prodiguant des formes dence frappante. Dès que dans ma jeunesse je
flatteuses; pour moi, je vous juge uniquement pus comprendre ces mêmes paroles, jefussaisi
d'après vos paroles. Malgré la mauvaise opi- de crainte et je laissai tous les biens qui m'atta-
nion que vous avez sur moi quoi(iue vous ;
chaient à cette société. Il est vrai, l'amour de
supposiez qu'en quittant l'hérésie mani- l'honneur fut aussi pour moi un puissant mo-
chéenne, j'aie voulu me soustraire à certaines tif d'opérer cette séparation, mais de cet hon-

mortifications de la chair qu'il m'aurait fallu neur dont parle également l'Apôtre a Gloire, :

subir dans votre secte ;


quoique vous disiez a honneur et paix à celui qui faille bien- ».0r,

que je n'ai embrassé le catholicisme que comment fera-t-il le bien celui qui voit le mal.
' I Cor. IV, 3. '
1 Tiiii. IV, 1-1. — Koin. Il, m.
RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS. 439

non pas seulement dans une Tolonté chan- auguste Majesté, et à son Fils,
l'ineffable et

geante, mais même jusque dans la nature « Roi de toutes les lumières, Jésus-Christ ».
immuable? S'adressant à ceux qui se flattaient Dites-moi donc de quelles lumières Jésus-
de bien parler, quand ils étaient eux-mêmes Christ est roi ? Est-ce de celles qu'il a créées ou
mauvais, le Sauveur s'écrie « Ou bien ren-: de celles qu'il a engendrées? Nous disons,
a dez l'arbre bon ainsi que son fruit, ou rendez nous, que Dieu le Père a engendré son Fils
a l'arbre mauvais ainsi que son fruit'». A égal à lui-même, que par lui il a créé la na-
ceux qui avaient cessé d'être mauvais pour ture inférieure, qui dès lors ne peut être ni de
devenir bons, l'Apôlre dit « Autrefois vous
: la même substance ni de la même nature que
a étiez ténèbres, maintenant vous êtes lu- Celui qui l'a faite ou créée. Parce que c'est par
a mière dans le Seigneur - ». Si vousne croyez Jésus-Christ que Dieu a créé les siècles, l'A-
pas à la sincérité de mon esprit, pensez de pôtre l'appelle le Roi des siècles '
; il en est le

moi ce que vous voudrez mais quand il s'a-


; Roi puisqu'il possède la supériorité et le pou-
git de la vérité, réfléchissez-y plus sérieuse- voir de gouverner. Vous dites de Jésus-Christ
ment. N'ayez qu'une tentation humaine '. La qu'il est le Roi des lumières; si ces lumières
mauvaise idée que vous avez de ma personne ont été engendrées par lui, pourquoi ne lui

n'est qu'une erreur humaine, car ce dont sont-elles pas égales? Si elles lui sont égales,
vous m'accusez faufsement pourrait être vrai. comment peut-il en être le Roi, puisqu'il est
Mais quand il s'agit de cette fable persique où de l'essence d'un roi de gouverner, et qu'il est
le grotesque le dispute à la ruse et au men- évidemment impossible que ce qui est gou-
songe, ce n'est plus d'un homme mais de Uieu verné au gouverneur lui-même? Si
soit égal

qu'il s'agit; c'est la vérité elle-même que au lieuengendrer il les a créées, d'où
de les
vous dénaturez par vos honteux mensonges; les a-t-il créées ? Si elles sont émanées de lui-
le silence devient donc impossible, quand il même, pourquoi lui sont-elles inférieures?
s'agit de la mort éternelle de lame le mépris ;
pourquoi ont-elles dégénéré? S'il ne les a pas
serait un crime. Tel est donc le point qu'il tirées de lui-même, dites-moi, d'où les a-t-il
s'agit de discuter avec vous. Quant à ce qui tirées? Mais peut être n'a-t-il ni engendré ni
me concerne personnellement, je ne puis que créé ces lumières dont il est le Roi? Elles ont
vous dire de me croire si vous refusez, je n'ai
; donc alors une origine et une nature qui leur
plus qu'à garder le silence. En efTet, puisque est mais cette nature doit être assez
propre ;

vous vous faites une idée fausse de la lumière imparfaite pour qu'elle ait besoin ou qu'elle
des esprits, lumière que l'on contemple avec désire d'être gouvernée par une puissance
d'autant plus de calme qu'on l'étudié avec uu voisine. S'il en est ainsi, connaissez-vous, en
œil plus pur, je me trouve dans limpossibi- dehors de la nation des ténèbres, deux natures
lité de vous prouver que vos impressions sont dont l'une ait besoin du secours de l'autre,
erronées, lors même que vous apporteriez à mais qui ne dépendent aucunement du même
m'écouter toute la patience possible. La sen- principe? Une semblable ofiinion doit vous
sation éprouvée par votre œil m'est entière- paraître digne du plus profond mépris, car elle

ment étrangère et réciproquement; sur ce est directement contraire au manichéisme, qui


point dès lors, tout ce que nous pouvons, c'est se garde bien de désigner dansl'énumération
d'y croire ou de ne pas y croire. Il en est de des deux natures le Roi des lumières et les lu-
même des afl'ections qui nous sont propres; mières qui sont gouvernées, mais le royaume
mais quand il s'agit de la vérité qui ne vous des lumières et le royaume des ténèbres.
est pas une chose plus personnelle qu'à moi, Voilà, sans doute, ce que vous me direz pour
la situation n'est plus la même on nous la ; me prouver que ces lumières sont engendrées;
propose, c'est à nous de l'examiner avec fran- et si je vous demande pourquoi elles sont in-
chise et sans aucune prévention desprit ou férieures, vous me répondrez qu'elles sont
de cœur. égales. J'insiste et je veux savoir pourquoi
111. Pour vous rendre éAidente l'erreur ma- elles sont gouvernées ? vous nierez qu'elles le
nichéenne, je n'invoquerai d'autres arguments soient. Mais alorspourquoi ont-elles un roi?
que ceux que vous me fournissez dans votre Je ne vois pas tirer de cet em-
comment vous
lettre, a Vous rendez grâces, dites-vous, à barras, à moins de vous repentir d'avoir placé
• Mait. m, 33. — Eph. v, 8. —*
Cor. x, 13.
I ' I Tim. I, 17.
460 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

dans votre lettre une porte par laquelle il réaliser ce qu'il voulait
s'il n'avait été aidé par

vous est impossible de sortir. Mais je suppose cette matière préexistante ; mais alors vous
votre repentir, je veux même que vous alliez allez vous enfoncer dansun dédale inextricable
jusqu'à dire qu'on ne doit pas regarder le de ténèbres et d'erreurs. Par respect pour
manichéisme comme vaincu par cela seul
,
l'ineffable et auguste Majesté, acceptez dans
qu'il vous est échappé une imprudence toute la simplicité de votre intelligence ces
dans votre lettre ; alors je vous citerai un paroles révélatrices : « Dieu dit, et tout a été

grand nombre de passages des livres de Manès, a fait; il commanda, et tout fut créé '
» ; alors
où il est dit clairement que le royaume de vous comprendrez pourquoi la foi catholique
lumière ne porte ce nom que par opposition nous enseigne que c'est Dieu qui a créé tout
au royaume des ténèbres; il ne s'agit pas d'un ce qui est et qu'il a bien fait toutes choses *.
seul royaume, mais de plusieurs; en voici une Si pour créer il a eu besoin d'une matière
preuve dans les paroles suivantes de la lettre préexistante, cette matière était de lui ou n'en
du Fondement ruineux. En parlant du Père était pas. Si elle était de lui, il ne l'avait pas
il est dit
: « Dans ses royaumes il n'y a ni in- créée, mais engendrée ; comment pouvait-il
« digent ni infirme ». Quand il s'agit de plu- donc engendrer une chose inférieure à lui-
sieurs royaumes, à moins de pousser l'aveu- même ? Puisqu'il en était roi, ce dont il élai
glement jusqu'à l'absurdité la plus révoltante, roidevaitlui être intérieur. Si cette matière n'é-
on comprend que l'égalité ne peut exister tait i)as de lui-même, elle ne pouvait pas être

entre des Rois dont les uns régnent sur les davantage d'un autre que Dieu n'avait pas créé;
autres. Réfléchissez-y quelquepeu et vous autrement il faudrait admettre l'existence d'un
comprendrez que ce serait pour vous une bien que Dieu n'avait pas créé et qui lui au-
honte de vous repentir de ce que vous avez rait servi à établir son empire. A ce prix il

écrit dans votre lettre. Oui, Jésus-Christ est n'est donc plus Créateur de tous les biens,
le

en toute vérité le Roi des lumières celles-ci


;
puisqu'il existait un bien qu'il n'avait pas créé;
ne lui sont pas égales, mais inférieures par il ne peut être question ici d'un mal, car ce

nature. Repentez-vous plutôt d'avoir été ma- n'est pas d'un mal étranger qu'il a pu se ser-
nichéen, car le début seul de votre lettre dé- vir pour créer les lumières sur lesquelles il
joue d'un seul coup toutes les machinations devait régner. Concluons: Si pour créer l'uni-
séductrices sur lesquelles s'appuie cette hé- vers, Dieu s'est servi d'une matière préexis-
résie.Puisque Jésus-Christ est le Roi des lu- tante, cette matière préexistante ne pouvait
mières, il est évident qu'il n'a pas engendré être que son œuvre.
de sa propre substance les natures inférieures V. Le néant, c'est donc de là qu'est sorti
sur lesquelles il exerce son empire: de même l'univers, sous la main créatrice du Tout-
il est impossible qu'il ait étendu son règne et Puissant. Mais peut-être qu'en appelant Jésus-
sa puissance sur une nation voisine qu'il n'a Christ le premier-né de l'ineffahle et auguste
ni engendrée ni créée, car alors nous aurions Majesté, vous vous placez en dehors de la sphère
deux natures bonnes par elles-mêmes, qui de l'Incarnation, en vertu de laquelle, selon
n'auraient entre elles aucune relation de l'Apôtre, nous avons été nous-mêmes adoptés
principe, et dont l'une cependant aurait be- pour devenir les enfants de Dieu, en sorte que
soin de l'autre; l'évidence se refuse aune telle Jésus-Christ, Fils de Dieu par nature, a daigné
conclusion. La seule que l'on puisse tirer, c'est nous adopter pour ses frères et s'appeler le
que Jésus-Christ n'a pas engendré les lu- premier-né d'entre nous '. Ce serait donc au
mières sur lesquelles il règne, et qui néan- point de vue de la Divinité même que vous
moins sont bonnes, puisqu'elles lui sont infé- l'appeleriez le premier-né, en sorte qu'il serait
rieures et soumises quoiqu'il ne les ait pas
;
proprement le frère de ces lumières sur les-
engendrées, elles lui appartiennent de droit quelles il règne. Ces lumières n'auraient pas
et sans usurpation aucune, puisqu'elles sont été créées par le Père, mais engendrées du
l'œuvre et la création de Dieu. Père après Jésus-Christ, de telle sorte que
IV. Pour expliquer cette création, vous allez Jésus-Christ serait le premier-né, les lumières
l)eut-ètre imaginer qu'il s'est servi d'une cer- ne seraient nées qu'après lui, mais tous se-
taine matière, préalablement existante et qu'il raient d'une seule et même substance. Si
n'aurait pas créée, en sorte qu'il n'aurait pu '
Ps, cXLViii, 5. — ' Gen. i, 31. — * Kom. vin, 29.
RÉFUTATION DE SÉCUNDIINUS. 461

c'est là ce que vous croyez, vous vous mettez pouvoir de le devenir que par la foi en Celui
en contradiction directe d'abord avec l'Evan- « qu'il n'a pas épargné et qu'il a livré pour
gile qui appelle Jésus-Clirist le Fils unique de a nous tous' ». afin que Celui qui était en lui,
Dieu « Et nous avons vu la gloire de celui
; son Fils unique, devînt pour nous son Fils
« qui est le Fils unique du Père ». Si cette pa- premier-né. En tant que Fils unique il est né
role est vraie, impossible desupposerdes il est de Dieu et non de la chair, du sang, do la vo-
frères consubstantiels à Celui qui est la vertu lonté de l'homme ou de la volonté de la chair;
et la divinité même consubstanlielle au Père. en tant que premier-né pour ses frères dans
Dans l'Ecriture Jésus-Christ est donc désigné l'Eglise, « le Verbe s'est fait chair et il a habité
les titres de Fils unique et de premier-ne:
sous « parmi nous - ». En tant que nous avons été
Fils unique parce qu'il n'a pas de frère pre- ;
naturellement les enfants de colère, c'est-à-
mier-né parce qu'il a des frères. Or, il est
,
dire les enfants de la vengeance, enchaînés
impossible de concilier ces deux expressions dans les liens de la mortalité, il est vrai que

si on les applique dans leur sens absolu à la nous avons été créés et formés par Dieu qui,
seule et même nature divine. La foi catho- depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, dispose toutes
lique, qui établit une distinction essentielle choses avec poids, nombre et mesure; cepen-
entre le Créateur et la créature, ne laisse au- dant uous sommes nés de la chair, du sang et
cune difficulté dans l'interprétation de ces de la volonté de la chair. Mais en tant que nous
deux termes. Elle appelle Jésus-Christ Fils avons reçu le pouvoir de devenir les enfants
unique suivant cette parole a Au commen- : de Dieu, nous naissons non pas de la chair,
« cernent était le Verbe, et le Verbe était en du sang, de la volonté de l'homme ou de
«Dieu, et le Verbe était Dieu' ».Elle l'appelle la volonté de la chair, mais de Dieu; non point
ensuite premier-né de toute créature, dans
le de sa substance même qui nous rendrait
le sens marqué par
ces paroles de l'Apôlre : égaux à lui-même, mais de sa grâce qui uous
« Afin qu'il soit le premier-né parmi un grand adopte pour enfants.
« nombre de frères - » Ces f ères, ce sont ceux . i VI. Supposons qu'au point de vue même de
que le Père lui a engendrés non pas dans l'é- la substance divine, Jésus-Christ ne soit pas
gahté de la substance, mais par l'adoption de le Fils unique du Père, qu'il ait des frères
la grâce, pour établir entre eux et lui une puinés; comment pourrait-il en être le Roi ?
société de frères. Lisez donc les Ecritures, ja- Direz-vous qu'il était le plus fort parce qu'il
mais vous n'y trouverez >m seul mot qui était l'aîné ? Une
réponse vous ferait rou-
telle
laisse supposer de Jésus-Christ qu'il est Fils de gir; mais alors que répondrez-vous? Calmez
Dieu par adoption. Or, cette adoption nous votre indignation, restez calme et rendez-vous
est très-souvent attribuée « Vous avez reçu : capable de contempler la vérité sans y mêler
« l'esprit des enfants d'adoption , attendant d'obstination. Dites-moidonc comment, dans
l'adoption, la rédemption de notre corps ^
;
vous com-
celte substance divine et éternelle,
« afin que nous recevions l'adoption des en- prenez que Jésus-Christ ne soit que le Fils
« fants* ; il nous a (irédestinés pour l'adoption premier-ué; est-il seulement l'aîné eu ce sens
« des enfants*; nation sainte, peuple d'adop- que d'autres frères soient nés après lui? pour-
« lion ^ vous a appelés par notre Evangile à
; il riez-vous me dire de combien d'heures, de
a l'adoption de la gloire de Aoire-Seigneur jours, de mois ou d'années sa naissance a pré-
« Jésus-Christ' ». Lisez, et vos souvenirs ou la cédé celle de ses frères ? Est-ce d'après l'in-
lecture vous offriront un grand nombre de tervalle temporel que ces naissances se spéci-
passages du même genre. Autre chose est fient'? Si ce n'est pas par le temps, c'est donc
d'être Fils unicjue de Dieu par l'excellence du par l'excellence même et par le degré de di-
Père; autre chose de recevoir, par la toi en gnité et de majesté, en sorte que si Jesus-Christ
lui, le pouvoir de devenir par la grâce enfants a mérité la royauté sur ^es frères, c'est parce
de Dieu. « 11 leur a donné le pouvoir de de- qu'il est né en quelque sorte dans une autre
ce venir les enfants de Dieu* ». Ils ne l'étaient royauté. Dirtz-vous qu'il a sur ses frères une
donc pas par nature, puisqu'ils n'ont reçu le priorité temporelle, en ce sens qu'il est né
avant eux et qu'il fut un temps où ils n'étaient
'Jean.i, 1. — ' Coloss. i, 18. — ' Rom. viii, 15, 23. — pas ? Que pensez-vous d'un tel blasphème ?
' Gai. V, 4. — ' Ephés. l, 5. - ' I Pierre ,u 9. ,

U Thess.'
li,
12, 13. — •
JeaD, I, 14. '
Rom. Tin, 32. — ' Jean, i, 12, 14.
462 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

Ne voyez-vous pas dans quel gouffre d'impiété infinie entre le Créateur et la créature, et dès
vous vous précipitez, si'dans la nature suprême lors, que la génération dans le Créateur ne peut
de Dieu vous admettez une succession de avoir pour terme une simple créature; autre-
temps et d'époques, jusqu'à croire qu'à tel ment la créature, loin d'être inférieure à Dieu,
moment elle fut ce qu'elle n'était pas aupara- serait àson égard dans une parfaite égalité de
vant ? Ou bien admettez-vous la nécessité où substance; l'adorer ce serait adorer le Créateur
étaient les lumières de marcher contre la na- lui-même. Or, l'Apôtre réprimande vivement
tion des ténèbres, eu sorte que ces départs etcouvre de honte ceux qui outadoré et servi
successifs des lumières sont pour vous ce que la créature de préférence au Créateur ; quelle
vous appelez des générations, générations tem- preuve plus évidente pouvait-il donner de leur
porelles destinées à combattre temporelle- différence de nature ? De même qu'on ne peut
ment ? Une seule lumière ne suffisait donc pas voir le Fils, c'est-à-dire le comprendre, qu'on
pour remporter la victoire, il fallait toute la ne comprenne en lui le Père, selon cette
vertu divine pour terminer cette guerre ? S'il parole : a Celui qui me voit, voit aussi mon
fallaitun grand nombre de lumières, pourquoi « Père de même le Fils ne peut être honoré
'»;

ne pas les lancer toutes à la fois. Est-ce donc sans que le Père soit honoré en lui. Si donc
qu'elles n'étaient pas spirituelles, est-ce que la créature était Fils de Dieu, celle-ci ne serait

l'issue n'était pas assez vaste, de manière que jamais honorée sans que le Créateur le fût par
celui qui a eu le bonlieur de sortir le premier, le fait même, et dès lors il n'y aurait plus lieu
a mérité par la d'être appelé le premier-né et de condamner ceux qui ont honoré la créature
de régner sur ses frères ? Je ne veux pas exa- de préférence au Créateur. Vous comprenez,
miner chacun des détails en particulier, car je pense, qu'il ne vous est pas permis d'appe-
je de fatiguer votre attention.
craindrais ler Jésus-Christ le premier-né de l'ineffable et
Elevez donc vos pensées plus haut, secouez auguste Majesté et le Roi des lumières, à
de la discussion. A mes yeux,
les obscurités moins que vous ne renonciez au manichéisme,
tout cet échafaudage de lieux, de tem|)S, de et qu'alors vous puissiez établir une distinc-
mouvements, de sorties, de ruines, ne peut tion entre le Créateur et la créature. Alors
s'appliquer qu'à une nature changeante et ;
aussi vous comprendrez que Jésus-Christ est
pourtant, quoique changeante, cette nature le Fils uni(|ue de Dieu en tantqu'il est le Verbe
n'a d'autre principe d'existence que la création de Dieu, Dieu en Dieu, immuable et iHernel
même de Dieu autrement l'Apôtre n'aurait
; comme Dieu, et pouvant ainsi sans usurpation

pas dit : « Ils ont adoré et servi la créature de se dire en tout égal a Dieu -. Vous comprendrez
« préférence au Créateur qui est béni dans qu'il est le premier-né de toute créature, en ce
« tous les siècles ' ». sens que tout a été créé en lui et par lui, au
Ml. Dans ce texte de l'Apôtre il y a deux ciel et sur la terre, les choses visibles et les
points nécessaires à considérer entre nous : choses invisibles. Vous connaissez, je pense, les
D'abord, y avait une seule créature étran-
s'il paroles de l'Apôtre auxColossiens '.

gère à Dieu, l'Apôtre ne pourrait plus dire que donc je vous demande de quoi a été
Vlll. Si
Dieu en est le Créateur ensuite, si le Créateur ; tirée toute créature qui, quoique bonne en
et la créature étaient d'une seule et même sub- elle-même, est cependant inférieure au Créa-
stance, on ne pourrait plus faire un reproche teur et muable par nature, quoique Dieu soit
aux hommes de ce qu'ils ont servi la créature essentiellement immuable, il vous est impos-
de préférence au Créateur; car, que l'on serve sible de me répoudre, à moins que vous ne
l'un ou l'autre, ce serait toujours à la même consentiez à avouer qu'elle a été tirée du néant.
nature et à la même substance que l'on reste- Maintenant, que cette créature vienne à pécher,
rait uni. De mêniec|u'on ne peut adorer le Fils du moins celle qui en est capable, n'esl-il pas
sans adorer Père, parce qu'il y a entre eux
le évident que par là elle retourne au néant, non
unité (le nature; de même ou ne pourrait servir pas sans doute ])our y devenir néant, mais
la créature sans servir par là même le Créateur, pour s'en rapprocher en perdant de sa force
s'ils étaient l'un et l'autre d'une seule et même etde sa vigueur? Que cette force et cette vi-
substance. Avec un peu de réllexion vous gueur continuent à diminuer de plus en plus;
pouvez conclure de là qu'il y a une distance est-ce que, à la fin, le dernier état ne serait pas
* Hom. 1, "Ji. * Jean, xiv, 9, — ^ philipp. ii, 6. — * Coloss. i, 15, l*j.
RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS. 463

le néant? Se détacher volontairement des fon- « royaume auquel le Seigneur nous convie ;

dements inébranlables de pour sui- la vérité, « si au contraire entraînerpar l'es-


elle se laisse
vre des opinions essentiellement caduques et « prit des vices, et qu'après son consentement
changeantes, c'est de sa part aimer la vanité. « donné elle fasse pénitence, elle obtiendra le
Quand elle en subit le juste châtiment, l'empire « pardon de ses souillures ». Vous reconnais-
de la vanité s'impose à elle contre sa volonté. sez ces paroles de votre lettre, vous reconnais-
De là ce mot de l'Apôtre: a Toute créature est sez donc aussi que vous avez affirmé de l'âme
« soumise à la vanité, et ce n'est pas volontai- qu'elle est changeante et muable par nature.
« rement ' B, car l'homme n'est que vanité. Consentir à l'esprit des vices, puis faire péni-
En effet, il y a dans l'homme une partie invisi- tence, n'est-ce pas passerdumalau bien? n'est-
ble, l'esprit, et une partie visible, le corps ;
ce pas changer ? Constatons cet aveu qui vous a
voilà pourquoi en parlant de l'homme, nous été arraché par l'évidence de la vérité. Votre
disons que toute créature est en partie visible âme, si vous en doutiez, vous convaincrait
et en partie invisible ; il n'en est pas de même elle-même de sa mutabilité; elle vous rappel-
des animaux, car ils sont privés de la partie lerait le nombre de fois que, depuis votre nais-
intellectuelle. Dans cet état l'homme conserve sance, elle a changé de volonté, de doctrine et
pourtant l'espérance, parce qu'il compte sur la de consentement; et pour cela elle n'aurait be-
miséricorde de son Libérateur, sur la rémission soin d'aucun document extérieur.
des péchés et l'adoption de la grâce. Au con- IX. Mais en
affirmant l'immutabilité de
si vous soutenez que la créature qui,
traire, l'âme, peut-être pensez-vous pouvoir vous
quoique bonne, est cependant inférieure au appuyer sur les paroles suivantes « Car elle :

Créateur et essentiellement muable, n'a pas « n'a pas péché par sa propre volonté, mais
été tirée du néant par le Père, par l'organe du « sous l'impulsion et la direction d'un autre ;

Fils, dans la bonté du Saint-Esprit, c'est-à-dire « en effet, elle est gouvernée par le mélange de
par la Trinité consubstantielle, éternelle et im- « la chair et non par sa propre volonté ». Par
muable, vous tombez logiquement dans des ces paroles vous voulez dire, sans doute, que
absurdités sacrilèges; vuus serez réduit à dire, l'âme [lar sa propre nature est immuable, mais
par exemple, que Dieu a engendré de lui- que mélangée à une autre nature elle devient
même un être qui n'est pas égal à celui qui changeante. Remarquez donc que l'on ne vous
l'a engendré et qui peut devenir victime delà demande pas s'il en est ainsi, mais pourquoi
vanité. Direz-vous que celui qui engendre et il en est ainsi. On a dit d'Hector, d'Ajax et
que celui qui est engendré sont égaux, alors même de tous les hommes et de tous les ani-
vous les condamnez tous les deux à la mutabi- maux, que leurs corps seraient appelés invul-
lité. Se peui-il une impiété |)lus grande que de nérables s'il pouvait arriver que jamais au-
croire et de formuler de telles erreurs? quel cune blessure ne Le corps seul
les atteignît.
aveuglement et quelle perversité de préférer d'Achille, si l'on en croit certaines fictions
avilir Dieu plutôt que de travailler soi-même poétiques, fut regardé comme invulnérable ;

à devenir meilleur Dire que Dieu est muable,


! cependant put être atteint sur un point, sur
il

cela vous paraîtrait une impiété tropmanifeste, ce point dès lors il ne fut point invulnérable.
vous vous y refusez; et par contre, vous faites Si l'âme était immuable, aucun mélange, quel
de la créature un être immuable, afin de pou- qu'il soit, ne pourrait la faire changer comme ;

voir l'égaler au Créateur, et soutenir que le un corps, s'il ne peut être


est invulnérable,
Créateur et la créature sont d'une seule et blessé par le contact ou le choc de quoi que
même substance. Dans ce cas, relisez votre ce soit. Nous, catholiques, nous disons du Verbe
lettre, vous trouverez la réponse. En effet, d'où de Dieu qu'il est essentiellement immuable et
vient donc celte âme que vous placez aumi- incorruptible en conséquence nous n'hésitons
;

lieu des esprits et à laquelle vous soutenez pas à enseigner que, revêlant une chair mor-
que «dès le principe sa nature a donné la vic- telle et vulnérable, afin de nous apprendre à
« toire ? Vous lui proposez ensuite une loi et mépriser la mort et toutes les souffrances cor-
une condition ; car, « si elle agit de concert porelles, il a réellement pris naissance dans le
« avec l'esprit des vertus, elle participera avec sein d'une Vierge. Vous, au contraire, parce
« lui à la vie éternelle et elle possédera ce que vous poussez la perversité jusqu'à admet-
*
Rom. Viii, 20. tre que le Fils de Dieu est corruptible, vous
464 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

craignez dele mettre en contact avec la chair ;


ce qui existe estbon toutefois cette bonté a ;

comme vous le proclamez de la même nature des degrés. Ainsi, parmi tous ces biens sortis
que l'âme, vous assurez qu'étant mêlé à la des mains du Créateur et distribués dans une
chair il suhirait un véritable avilissement. progression parfaite, les uns occupent des pla-
Voyons, choisissez Admettez-vous que Dieu
: ces et des lieux différents et déterminés ce :

est un être muable, et que de sa substance sont tous les biens corporels; les autres tirent
muable le Père a engendré son Fils également leur excellence de leurs avantages naturels: à
muable ? vous sentez toute l'impiété d'une ce litre l'âme l'emporte sur le corps les autres, ;

pareille doctrine ou bien admettez-vous que


; des droits qu'ils ont acquis à la récompense
Dieu est immuable, mais que de sa substance ou au châtiment: à ce pointdevue l'âme jouit
il a engendré un Fils muable? celte seconde du repos ou devient victime de la douleur.
proposition ne doit pas vous paraître moins Quant à ces princes contre lesquels l'Apôtre
absurde et impie ou bien admettez-vous non-
; déclare que nous avons à lutter, avant de nuire
seulement que Dieu est immuable, mais que ils subissent déjà le châtiment de leurs péchés.
de sa substance il a engendré son Fils égale- En effet, avant qu'un envieux cherche à nuire,
ment immuable, et par là même étant comme il est déjà pour lui-môme son pro[)re tour-
lui le bien suprême et souverain ? quant aux ment. D'un autre côté, ce sont les plus forts
autres biens inférieurs, que nous ajjpelons les qui nuisent aux plus faibles car pour l'em- ;

créatures, admettez-vous qu'ils ne sont pas de liorter sur quelqu'un il faut être le plus fort ;

sa substance, autrement ils lui seraient égaux ;


nous pouvons remarquer cependant que dans
que parce qu'ils sont de véritables biens, c'est l'état où les a jetés leur iniquité, ces |)rinces
Dieu qui a créés; que parce qu'il les a tirés
les sont plus faibles qu'ils n'auraient élé s'ils

du néant, ils ne lui sont pas égaux? Si c'est là avaient persévéré dans leur premier état et
votre croyance, vous cessez d'être impie, vous dans la justice. Il importe aussi de savoir d'où
oublierez vous serez des nôtres.
les F^erses et peut venir celte supériorité de forces; est-ce
X. L'Apôtre a dit a Nous n'avons pas à lul-
: du corps? sur ce point les hommes le cèdent
a ter contre la chair et le sang, mais contre les aux chevaux; est-ce de la nature de l'âme?
« principautés et les puissances' »;car, en sui- Fâme qui a la raison l'emporte sur celle qui
vant la pente de leur volonté impie, elles des- en est privée; est-ce des affections du cœur?
cendent jusqu'à l'amour de leur propre faste l'homme vertueux est plus pccheur ; fort que le

et de leur honneur personnel, et par jalousie esl-ce de la puissance hiérarchique? le géné-


ferment aux âmes ])ieuses tout retour vers le ral l'emporte sur le soldat ou sur le gouver-
bien. Toutefois, entre votre opinion et notre neur de province. Quant à la puissance en
foi, voici la différence : Selon vous, ces princes elle-même, il est hors de doute qu'elle est ac-
issus d'une nature qui leur est propre, etque cordée par la souveraine puissance de Dieu ;

Dieu n'a ni engendrée ni créée et qui lui était si les méchants se soulèvent contre les bons,
contiguë par l'effet d'une éternelle proximité, c'est-à-dire les pécheurs contre ceux qui sont
ont fait la guerre à Dieu avant même tout déjà en possession de la justice ou qui s'effor-
mélange du bien et du mal. Quel mal, dès cent d'y arriver, c'est Dieu lui-même qui leur
lors, n'a-ce pas élé pour Dieu de se voir réduit donne ce pouvoir, soit pour éprouver ces justes
à la nécessité d'unir à ces princes sa propre par la ])alience ', soit pour ranimer leur espé-
substance, malgré la certitude où il était qu'elle rance, soit pour les faire servir de modèles
serait souillée, troublée, soumise à l'erreur et aux autres. « Sachant, dit l'Apôtre, que la tri-

à l'oubli d'elle-même, à tel point qu'elle aurait ci bulation produit la |)alience ; la patience, la
besoin d'un libérateur, d'un maître, d'un « pureté et la i)ureté l'espérance' ». Ce genre

sauveur Vous voyez à cjnelles folies il faut


1 de combat se réalise quand un fidèle lutte
avoir recours quand on a rivé sur soi les chaî- contre les princes des anges prévaricateurs et
nes de l'impiété. Pour nous, la toi catholique contre les esprits d'iniquité ; ceux-ci reçoi-
nous enseigne que seul le néant absolu est vent la puissance de tenter, le fidèle reçoit
contraire à Dieu qui est l'Etre par essence ;
celle d'accomplir les préceptes. Il suit de là
quant à ce qui existe, son existence n'a d'autre que ces princes triomphent dans les choses de
principe que Dieu lui-même, et à ce titre tout meindre importance, et sont vaincus dans les
* E[jUés. VI, 12. 1 Cor. .\l, 19. — ' Rom. v, 3, i.
.

RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS. 465

choses les plus importantes ils triomphent ; « Esprit qui habite en vous o. En punition '

souvent du corps à cause de sa faiblesse, mais de son péché, l'àme est condamnée à vivre
ils sont vaincus par l'àme qui est pins puis- avec une chair de péché; si elle se retourne
sante. Quand ils usent de violence, c'est par la vers Dieu et aspire à devenir meilleure, elle
patience qu'on les combat, et il faut la pru- cesse aussitôt de vivre selon la chair; bien
dence quand emploient la ruse; parce
ils plus,si elle cherche sérieusement à perfection-

moyen ils n'obtiennent de nous aucun consen- ner sa chair, elle méritera d'avoir un corps
tement, soit qu'ils essaient de nous dompter immortel ; mais ce bonheur ne lui sera accordé
par la \iolence, soit qu'ils cherchent à nous qu'à la fin des temps, quand la mort, notre
tromper par la ruse. Mais n'oublions pas que dernière ennemie, sera détruite, quand cecorps
la vertu et la sagesse appartiennent à Dieu, et corruptible aura revêtu l'incorruptibilité. Il

que c'est par elle qu'il a créé toutes choses ;


n'est pas ici question de ce globe fabuleux dont
voiltà pourquoi quand, parmi les créatures, vous faites grand bruit, mais de ce changement
celles qui sont supérieures s'abaissent vers dont il est dit: «Nous ressusciterons tous, mais
celles qui sont inférieures, ce qui constitue «tous nous n'obtiendrons pas l'immutabilité »
le péché et le mal, la force singe la vertu et L'écrivain sacré venait de dire « Elles morts :

la ruse la sagesse. Qn'au contraire, elles se a ressusciteront incorruptibles, et nous joui-

relèvent de cet abaissement, la magnanimité « ronsderimmutabilité» ; expliquant ensuite

imite la vertu, et la science imite la sagesse. cette immutabilité, il ajoute : « Il faut que ce
Les pécheurs imitent Dieu Père par leur le « corps corruptible revête l'incorruptibilité, et
orgueil impie, et les justes limitent par une « que ce corps mortel revête rimmortalité ».
pieuse libéralité. Les pécheurs par leur cupi- importante ques-
C'est ainsi qu'il traitait cette
dité et les justes par leur charité, imitent le tion de la résurrection, qu'il avait posée en ces
Saint-Esprit ; toutefois, si vicieuse que soit pour termes « Mais, dira quelqu'un, comment les
:

les uns, si louable que soit dans les autres « morts ressusciteront-ils ? Quel sera leur
cette imitation de Dieu en qui et par qui toutes « corps * ? » Lisez attentivement tout ce pas-
les natures ont été créées, il est certain que sage, déposez pour cette lecture tout esprit
l'homme peut s'en éloigner à différeuts degrés. d'obstination et de chicane, conjurez Dieu de
Supposé même qu'un combat s'élève entre verser en vous ses lumières et son secours, et
ceux qui imitent Dieu pour s'avancer dans le vous reconnaîtrez la vérité de mes paroles.
bien, et ceux qui limiteut en prenaut le parti Maintenant revenez au sujet que nous traitons,
du mal, l'imitation de ces derniers est tou- et comprenez, si vous le pouvez, la portée de
jours vaincue par l'imitation des premiers ;
mon langage je n'ai pas à dire que les justes
;

plus les uns s'élèvent par l'orgueil, plus ils combattent contre le néant, mais contre ces
sont abaissés ; et plus les autres s'abaissent substances qui sont tristement déchues, parce
par l'humilité, plus ils s'élèvent en réalité. qu'elles n'ont pas persévéré dans la vérité.
Si l'on comprend difficilement pourquoi XI. Déchoir, ce n'est pas encore retomber
ceux qui sont les plus forts par l'esprit, sont dans le néant, mais c'est y tendre ou s'en rap-
les plus faibles par le corps, je trouve tout na- procher. Quand les choses supérieures se rap-
turelque ceux qui ont été mis en liberté par prochent des choses inférieures, celles-ci res-
la rémission de leurs péchés, subissent l'é- tent ce qu'elles sont; mais les autres déchoient
preuve de la mortalité du corps en attendant et tombent dans un état inférieur; je ne veux
qu'ils soient couronnés du diadème de l'im- pas dire qu'elles s'assimilent entièrement aux
mortalité. On échappe difficilement au châti- choses vers lesquelles elles s'inclinent ; mais,
ment; pour y échapper il faut l'avoir mérité. dans ce qu'elles sont, elles éprouvent une di-
De là ces paroles de l'Apôtre « Si Jésus-Christ : minution plus ou moins sensible. Ainsi en
est en vous, quoique votre corps soit mortel s'inclinant vers le corps, l'àme pour cela ne
à cause du péché, votre esprit est vivant à de\ient pas corps; cependant elle se matéria-
a cause de la justice. Car si l'esprit de Celui lise, d'une cettaine manière, sousrinfluencede
a qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les cet appétit défectif. De même quand, dans sa
« morts, habite en vous, Celui qui a ressuscité sublimité, la nature angélique se fut complu
V Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi en elle-même, elle sentit ses affections s'incli-
« la vie à vos corps mortels, à cause de son ' Rom. vm, 10, 11.— = 1 Cor. XV, 26, 51-53, 35.

S. Adg. — Tome XIV. 30


466 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

ner vers ce qui elle-même


lui était inférieur ; par sa propre volonté. Mais quel est donc le
devint inférieure à ce qu'elle peu à était, et mal auquel elle ne peut donner son consente-
peu elle tendit au néant. En effet, plus une na- ment, sans pécher par sa propre volonté ? Ce
ture diminue, plus elle se rapproche du néant. mal ne peut être que celui dont vous faites une
Or, quand ces défaillances sont volontaires, substance.
elles sont criminelles et prennent le nom de XIII. II y a dans cette proposition trois cho-

péché. Quand elles sont suivies de leur châti- ses que je remarque et que, sans doute, vous
ment, nous avons aussitôt à souffrir dans notre remarquez aussi vous-même. D'abord l'âme
volonté les incommodités, les chagrins, les qui consent au mal en second lieu le mal
;

douleurs, les adversités ; d'oîi il suit, en toute auquel elle consent en troisième lieu le con-
;

justice,que le péché est puni par des supplices sentement lui-même ce consentement, en
;

ou purifié par des épreuves. Etudiez sérieu- effet, vous ne me direz pas que c'est l'âme elle-

sement cette économie de l'expiation, et vous même, mais un acte de l'âme. Quant à l'âme,
cesserez de vous attaquer aux natures elles- il est certain qu'elle est une substance d'après ;

mêmes et d'incriminer les substances. Si vous votre opinion, le mal auquel l'âme consent est
désirez sur cette matière de plus longsdévelop- également une substance reste le consente-;

pements, lisez les trois livres où j'ai traité du ment, est-il une substance, ou bien direz-vous
librearbitre, vous les trouverez à Noie en qu'il est dans la substance ? Si vous en faites
Campanie, chez Paulin, ce grand serviteur de une substance, ce n'est plus deux substances
Dieu. que nous avons, mais trois. Comme vous n'en
XII. Mais j'oublie que ce n'est qu'une lettre, voulez que deux, vous direz sans doute que le
déjà beaucoup trop longue, que j'écris pour consentement est de la même substance que
répondre à la vôtre. J'avais promis de trouver l'âme elle-même. Alors, dites-moi, ce consen-
dans votre lettre toutes les raisons possibles tement est-il bon ou mauvais ? S'il est bon, il

pour vous persuader de la fausseté de votre devient impossible d'admettre que l'âme pèche
croyance et de la vérité de la foi catholique. Si quand elle consent au mal. Et cependant l'é-

j'ai parlé d'autres écrits, c'était pour me sous- vidence elle-même proclame, et vous écrivez
traire à la nécessité de dire partout la même vous-même que l'àme pèche alors par sa vo-
chose. y a un point qui nous sépare, le voici
Il : lonté. Ce consentement est donc mauvais ;

Vous prétendez que le mal est une substance ;


conséquemment substance de l'âme est
la
nous, au contraire, nous voyons dans le mal, eile-iuême mauvaise, puisque cette substance
non pas une substance, mais la tendance en et le consentement ne font qu'une seule et
vertu de laquelle une natui'e supérieure s'in- même substance. Vous voyez à quelle extré-
cline et descend vers ce qui lui est inférieur. mité vous êtes réduit; car il ne s'agit plus pour
Ecoutez vos propres enseignements. Vous af- vous de soutenir l'existence de deux substan-
firmez dans votre lettre que l'âme est amenée ces, l'une bonne et l'autre mauvaise, mais de
au péciié, non pas par sa propre volonté, mais deux substances également mauvaises. Attri-
par son mélange avec la chair. Aussitôt, vous buerez-vousleconsentementcoupable,nonpas
apercevant sans doute que s'il en est ainsi, à l'âme, mais au mal auquel ce consentement
toute âme doit chercher son secours dans le est donné ? J'avoue que par cet ingénieux

Dieu tout-puissant et qu'aucune ne i)eut


,
moyen vous conservez deux substances, mais
être condamnée, puisque ce n'est pas volon- l'une est bonne tandis que l'autre est mau-
tairement qu'elle a péché forcé [lar là de con-
;
vaise l'âme reste bonne, tandis que le con-
;

clure à l'absurdité du système par lequel Mâ- sentement mauvais, comme le mal auquel il
nes établit que les âmes, même celles qui est donné, forme la substance mauvaise. Ce
viennent du royaume de la lumière, sont ter- moyen est ingénieux, mais n'est-il pas d'une
riblement punies, saisissant donc le faible de absurdité évidente? En effet, si l'âme ne con-
votre argumentation, vous ajoutez avec une sent pas, ce n'est pas d'elle que vient le con-
habileté que j'admire: « Mais si, quand elle se senlement or, il est évident que c'est l'âme elle-
;

« connaît, elle consent au mal et ne s'arme même qui consent, le consentement est donc
« pas contre l'ennemi, son péché devient l'œu- son (l'uvre propre. D'un autre côlé, si ce con-
« vre i)ropre de sa volonté » C'est bien, vous
. sentement est mauvais, il est clair que ce mal
avez raisou d'avouer que l'âme peut pécher vient de l'âme. En soutenant que le mal qui
RÉFUTATION DE SËCUNDINUS. ^67

affecte le consentement a pour principe le mal natures, bonne et mauvaise, sous la figure
des
auquel l'àme consent, on est en droit de con- deux sexes? De même donc que l'union des
clure que ce mal n'existait pas avant que deux sexes produit un être qui est de l'un ou
l'âme y consentît. Quelle espèce de bien est de l'autre de ces deux sexes de même de
;

donc cette âme dont la présence double le mal l'union du bien et du mal sortirait une nature
ou du moins l'augmente ? qui ne pourrait être ou bonne ou mauvaise,
XIV. De plus, si ce consentement, tout mais qui serait nécessairement mauvaise? S'il
mauvais qu'il soit, est une substance, nous en est ainsi, que devient donc la nature victo-
devons conclure qu'il est au pouvoir de l'àme rieuse de l'àme? Serait-elle réduite à un tel
de rendre une substance bonne ou mauvaise. étatd'impuissance qu'elle ne puisse enfanter
La raison en est que le consentement est au un autre bien? Ensuite, vous ne remarquez
pouvoir de l'àme, car autrement il cesserait donc pas que vous ne parlez que de la diver-
d'être pour l'âme un acte volontaire. Mais sité non de la diversité des natures ?
des sexes et
n'avouez-vous pas que c'est par sa volonté que En y avait diversité de nature entre
effet, s'il
l'âme pèche ? 11 suit de là, comme je l'ai dit, le bien et le mal, tout ce qui pourrait sortir
qu'il est au pouvoir de l'âme de faire qu'une de leur union, ce serait une troisième nature
substance mauvaise soit ou ne soit pas ; et celte qui ne serait ni bonne ni mauvaise; ou plutôt,
substance, que peut-elle être autre chose leur union serait frappée de stérilité, elle ne
qu'une nature proprement dite ? Nous voilà pourrait produire aucune substance. Je citais
donc dans la nécessité d'admettre l'existence tout à l'heure l'exempledu cheval et de l'â-
d'une nature qui n'est pas naturelle à l'âme, nesse,dont l'union produit le mulet, qui n'est
puisque, si elle ne le voulait point, cette nature à proprement parler ni cheval ni âne com-
;

n'existerait pas; d'un autre côté, cette nature bien plus devrait-il en être ainsi, quand il

n'est pas plus naturelle au mal auquel l'àme s'agit de suprême du bien et du
la diversité
consent volontairement, car vous ne pouvez mal? Enfin, toujours est-il que si, par impos-
regarder comme naturel à la nation des ténè- sible, une troisième nature était produite, cette
bres, un mal qui dépend absolument d'une nature ne serait assurément pas mauvaise
,

volonté étrangère, c'est-à-dire de la volonté de lors même qu'elle ne pourrait être bonne.
l'âme. A quoi donc annexerons-nous cette na- Pour sortir de ces rêves et de ces absurdités,
ture, c'est-à-dire ce consentement, si nous ne il n'y a qu'un moyen, c'est d'avouer sans dé-
pouvons rapporter ni à l'âme ni à la nation
le tour que ce consentement, tout mauvais qu'il
des ténèbres ? Je ne vois plus qu'un moyen, soit, n'est pas une substance distincte, mais

c'est d'admettre l'existence de trois espèces de ou le produit d'une substance.


l'acte
natures, quoique Manès n'en accepte que deux. XV. De quelle substance? C'est ce qu'il
Il n'y en avait que deux dans le principe ; mais nous faut rechercher. Mais l'évidence est ici
depuis qu'est survenu le consentement,
il
y la seule réponse car si la persuasion réside
;

en a nécessairement trois. Cette troisième dans celui qui persuade, où peut se trouver
substance est née tout à la lois de l'âme par le consentement, si ce n'est dans la nature qui
le consentement qu'elle a donné, et du mal consent? L'âme, quand elle consent au mal,
auquel elle l'a donné. Mais remarquons que est une substance; mais le consentement n'est
de ces deux natures qui lui ont donné nais- pas une substance. Cela suffit, je pense, pour
sance, l'une est bonne mauvaise je
et l'autre ;
vous convaincre que le consentement réside
voudrais donc savoir pourquoi le fruit de dans la volonté même ; c'est ce consentement
l'une et de l'autre n'est pas quelque chose de qui constitue le péché, comment pourrait-il
neutre qui ne serait ni bon ni mauvais. L'u- ne pas être mauvais ? De là vous pouvez con-
nion d'un cheval et d'une ânesse produit un clure que le mal peut exister dans une sub-
être qui n'est ni cheval ni âne, il devrait en stance bonne en elle-même, c'est-à-dire dans
être de même de ce qui naît tout à la fois d'une l'âme, sans que pour cela le mal soit une
nature bonne et d'une nature mauvaise. Or, substance; tel' est, en particulier, le consen-
vous dites de ce consentement qu'il est mau- tement il suffit qu'il soit mauvais pour qu'on
;

vais, puisque vous affirmez que l'âme pèche puisse dire de l'âme qu'elle est mauvaise. Elle
volontairement quand elle consent au mal. l'est, en effet, quand elle pèche, et elle pèche

Vous représenteriez-vous par hasard les deux quand elle consent au mal. Ainsi celte âme.
468 RÉFUTATION UE SÉCUNDINUS.

en tant que substance, est bonne en elle- se passe encore d'une manière plus admi-
même, mais elle devient mauvaise quand le rable, ce n'est pas une raison pour dire que
mal entre en elle, sans qu'il soit pour cela la nature matérielle mauvaise. Les unes
soit

une substance, et il y entre quand elle donne et les autres jouissent de la beauté qui leur
son consentement au mal. En effet, un tel est propre, et proclament à l'envi l'infinie sa-

consentement prouve en elle non pas un pro- gesse de Dieu, dont les secrets sont impéné-
grès, mais une défaillance. Elle détaille quand trables, dont l'immensité est sans borne, qui

elle consent au mal, elle perd quelque chose crée et gouverne toutes choses dans un ordre
de ce qu'elle était, elle n'a plus la valeur parfait.

qu'elle avait quand, fidèle à la vertu, elle XVI. Nous disions tout à l'heure que l'âme
n'avait encore donné aucun consentement au pèche en consentant au mal voyez mainte- ;

mal ; enfin , elle s'amoindrit d'autant plus nant si ce mal est une substance, ou s'il n'en
qu'elle incline davantage vers ce qui est est pas une. Comment le consentement se

moindre. Or, plus elle s'amoindrit, plus elle produit-il dans l'âme est-ce d'une manière ;

se rapproche du néant; car ce qui diminue instantanée, en sorte qu'on puisse dire de
de plus en plus, tend de plus en plus à cesser l'âme qu'elle consent, parce que ce consente-
d'être. Sans doule, elle n'en arrivera jamais ment produit en elle une délectation qui l'en-
à ce point, mais je tenais à constater (jue toute traîne vers la jouissance ? Admettons qu'il en
diminution est un commencement de destruc- soit ainsi ; on ne pourrait pas en conclure que
tion. Ouvrez donc les yeux, et comprenez que cet objet est un mal, par le fait seul qu'il est
c'est un bien d'être une substance, et que le aimé d'une manière désordonnée. Quand j'aurai
mal, dès lors, est une diminution dans la prouvé que telle nature est l'objet d'un amour
substance. Toutefois, pour qu'une diminution mauvais, ce n'est pas dans la créature aimée,
soit coupable, elle doit être volontaire; c'est mais dans celle qui aime que je trouverai le
ce qui arrive quand une âme raisonnable péché vous avouerez vous-même qu'une chose
;

quitte le Créateur pour s'incliner vers la créa- n'est pas vicieuse, par cela seul qu'elle est
ture; c'est là ce qui constitue proprement le l'objet d'une concupiscence mauvaise. Du reste

péché. Quant aux diminutions qui ne sont je vais essayer de vous le démontrer d'une
pas volontaires, ou bien elles ont un caractère manière évidente. Sur ce point je ne suis em-
purement pénal, car, sous une providence barrassé que du choix, car les preuves sur-
infiniment juste, tout péché mérite un châti- abondent. Je ne veux que celle-ci ; Pourquoi
ment ou bien elles sont l'eCTet de l'harmonie
;
ce que nous admirons comme une créature
universelle en vertu de laquelle les choses céleste, l'adorez-vous comme étant une portion
humaines succèdent dans un ordre admi-
se de la substance du Créateur lui-même? Parmi
rable, et celle variété constitue un des princi- les choses visibles, la plus belle n'est-ce pas le
paux caractères de la beauté dans la nature. soleil ? Eh bien 1 je suppose qu'un homme,
Qu'est-ce qu'un discours, sinon une succes- désireux de trouver un moyen de satisfaire

sion plus ou moins bien harmonisée de syl- d'injustes concupiscences, désire d'une ma-
labes qui naissent, disparaissent, et après une nière immodérée jouir de la clarté du soleil,

suspension plus ou moins longue sont rem- afin que [lartout son cori)s et surtout par ses
placées par d'autres qui auront la même des- yeux il puisse lancer le feu de la dispute, et, la
tinée? Ajoutons que l'art consiste à disposer fenêtre ouverte, plonger ses regards jusque
symétriquement et selon le but qu'on se pro- dans la demeure de ses adversaires et y voir
pose, chaque partie, chaque phrase, chaque tout à ciel ouvert est-ce que le soleil est en
;

syllabe du discours, mais ce n'est pas lui qui lui-même un vice et un mal parce que cet
éclate dans le son, naît et disparaît dans les liouuue va jusqu'à ^)référer sa lumière à celle
syllabes. De même la beauté, dans l'ordre na- de la justice, et parce qu'en voulant plonger
turel, résulte de ce magnifique ensemble où SCS yeux charnels et son corps tout entier dans
la naissance et la mort, rap|)arilion et la dis- des fiols il ferme son intelligence
de lumière,
parition des différents objets s'accomplissent et son cœur à lumière de l'éiiuilé ? Vous
la

dans un ordre régulier, jusqu'à ce que clia(|ue voyez donc qu'on peut avoir pour une chose
chose arrive au terme qui lui est assigné. bonne un amour mauvais. Dès lors, quoique
Parce que, dans les créatures spirituelles, tout vous affirmiez que tout objel au(|uel l'âme
RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS. 469

s'attache d'une manière criminelle, soit mau- mauvais en soi, pas plus que le soleil dont j'ai
vais, moi je soutiens que cet objet est bon en parlé précédemment il suffit que l'amour
;

lui-même, de telle sorte cependant qu'une d'une chose bonne soit désordonné, pour qu'il
âme plus parfaite ne voudrait pas s'y attacher, y ait faute. Quant à la jalousie, qui met son
du moins de cette manière. II est certain que bonheur à voir les autres commettre le péché,
l'âme est supérieure au corps, et qu'elle est ce qui l'inspire c'est un orgueil désordonné
inférieure à Dieu ; il est certain aussi que le qui aime les honneurs, désire le premier rang
corps est bon en lui-même et quant à sa na- et ambitionne les premières places ce que ;

ture cependant l'âme pèche, et en péchant


;
l'on demande, c'est moins de briller par des
elle devient mauvaise, si elle reporte sur son vertus réelles et véritables que de voir les
corps l'amour qu'elle doit à Dieu. autres s'abîmer dans le gouffre de Tiniquilé et
XVII. Vous m'objecterez peut-être qu'il n'y du mal, aûn d'être plus assuré de tenir le pre-
a pas consentement coupable quand la chose mier rang et de les dominer. C'est ce motif
aimée n'agit pas pour attirer sur elle ce con- qui inspire au démon toute l'activité qu'il
sentement, et (|u'il n'y a consentement véri- déploie pour faire tomber les hommes dans le
table que quand l'âme subit une sorte de sé- péché. Est-ce donc que l'honneur pourrait
duction ou de coaction dans ce dernier cas, ; s'acquérir au prix d'une faute? On pourrait se le
le mal existera parce qu'il persuade ou con- demander quand on voit le démon se préci-
traint de faire le mal. C'est là une seconde piter dans l'iniquité, précisément à cause de
question dont la solution doit venir en son l'amour criminel et impie qu'il éprouve pour
lieu et place. Auparavant n'oublions pas ce l'honneur. Ou bien cette substance angélique,
premier caractère du péché tel que nous , que Dieu a créée, est-elle mauvaise précisé-
venons de l'exposer. Vous devez comprendre ment parce qu'elle est une substance ? Elle est
maintenant qu'une chose bonne eu elle-même devenue mauvaise quand, renonçant à l'amour
peut être l'objet d'un amour coupable, et qu'a- de Dieu pour concentrer toute son affection
lors la faute doit être imputée à celui qui aime sur elle-même, elle s'est volontairement éprise
et non à l'objet aimé. Je suppose qu'une âme du désir de devenir égale à Dieu, et s'est com-
déjà coupable et viciée par cet amour mau- plu dans cet orgueil. Ce n'est donc pas parce
vais, en entraîne une autre dans la même qu'il est une substance, mais parce qu'il est une
faute, cette dernière, en consentant à la séduc- substance créée et qu'il a préféré l'amour de
tion, ne deviendra-t-elle pas coupable du lui-même à l'amour du Créateur, que l'ange
même crime et également dépravée par le est devenu mauvais il;l'est devenu parce

même vice? Le péché est donc d'abord une qu'il est déchu de ce qu'il aurait été s'il avait
préférence accordée sur le Créateur à une aimé le souverain bien; sa déchéance même
créature bonne en elle-même c'est ensuite la ; est un mal. 11 suit de là que plus on se laisse
tentation que l'on dresse devant quelqu'un déchoir, plus on tend au néant par la même
;

pour lui persuader ou le contraindre d'accor- raison, plus on s'éloigne de ce qui est petit,
der cette même En effet, pour vou-
préférence. plus on tend à ce qui est grand. Or, l'honneur
loir précipiter les autresdans la dépravation, suprême, tel que les hommes religieux l'ex-
il faut d'abord être dépravé soi-même. Or, se priment dans leurs actions, est dû souverai-
rendent coupables de péché tous ceux qui, par nement à Dieu. Celui donc qui aime l'honneur
une bienveillance insensée ou par une jalousie ne fait qu'imiter Dieu. Or, les âmes humbles
maligne, cherchent à faire tomber les autres ne veulent être honorées que pour Dieu et en
dans le péché. N'est-ce pas avoir pour ses en- Dieu, tandis que les orgueilleux voudraient
fants un amour criminel, que de leur ensei- l'être plus que Dieu. 11 suit de là que ceux qui
gner honnête, que l'impor-
(jue tout lucre est sont humbles pour Dieu, sont de beaucoup
tant, c'estde s'enrichir par quelque moyen plus élevés que les pécheurs tandis que ceux
;

que ce soit ? On ne peut pas dire qu'un tel qui veulent s'élever aux dépens de Dieu, se
père hait ses enfants, mais il est évident qu'en |ilacent en réalité bien au-dessous des fldèles.
les aimant aime d'un amour cou-
ainsi, il les La différence dans cette dispensation des récom-
pable et leur donne un conseil criminel. Un penses et des peines, vient de ce que les uns
tel amour sufûl pour le rendre coupable de ont aimé Dieu plus qu'eux-mêmes, et que les
péché, quoique l'or et l'argent ne soient pas autres se sont aimés pour Dieu.
470 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

XVIII. Rappelez-vous ces paroles de votre coupable et l'autre plus coupable mais tou- ;

lettré : « L'âme, quand elle consent au mal, joursest-il que vous ne pouvez admettre que

a pèche volontairement »; vous devez en con- celle qui pèche plus gravement soit appelée
clure que le mal ne saurait être une nature la nature du mal, tandis que vous appellerez
mauvaise, ni l'amour d'une nature mauvaise. l'autre la nature du bien sur quoi pourriez-
;

En effet, toutes les natures, quelles qu'elles vous vous appuyer pour établir une telle ac-

soient, sontbonnes par elles-mêmes le mal ;


ception des personnes, une justice distributive
c'est uniquement le péché que l'âme commet aussi arbitraire et aussi inique ? On ne peut pas
volontairement en préférant la créature au dire davantage qu'elles sont toutes les deux
Créateur que cette préférence vienne d'elle-
;
bonnes, même en appelant meilleure celle qui
même ou qu'elle ait subi une influence étran- est la moins coupable, ni qu'elles sont toutes
gère, peu importe; il suffit qu'elle ait consenti les deux mauvaises, en appelant la plus mau-
au mal. Ainsi devenue mauvaise, elle doit s'at- vaise celle qui est la plus coupable.
tendre aux châtiments qu'elle mérite; car, sous XIX. Puisque l'idée d'une nature du mal
un Créateur qui est le bien suprême, toute créa- nous paraît une chimère, d'où vient donc le
ture bonne doit s'attendre à être traitée selon mal que nous appelons le péché ? Dites-moi
ses mérites; elle est cependant boune comme d'où peut venir ce consentement mauvais
créature, mais elle ne l'est pas d'une manière dans une nature que vous croyez et proclamez
souveraine puisqu'elle n'a pas été engendrée bonne. Eu effet, tout ce qui subit une influence
par Dieu, mais seulement par lui tirée du extérieure pour consentir au mal, ne la subi-
néant. Quel besoin avez-vous donc d'affirmer rait pas s'il ne pouvait pas la subir. Mais alors
l'existencede deux natures, l'une bonne et d'oii vient cette possibilité elle-même? Assuré-

l'autre mauvaise, ou plutôt une nature du ment le mieux serait de ne pas avoir cette
bien et une nature du mal, puisqu'une na- possibilité ;d'où je conclus que là où elle
ture bonne devient mauvaise en péchant ? existe, il est inutile d'y chercher la nature du
Est-ce que vous n'avouez pas qu'en consentant souverain bien, puisque cette nature pourrait
au mal ,
cette nature que vous dites bonne être meilleure. Ensuite, si cette nature a le
tait le mal ou pèche volontairement ? Pour pouvoir de consentir ou de ne pas consentir,
moi je soutiens que ces deux natures sont quand elle consent ce n'est donc pas parce
bonnes en elles-mêmes, ce qui ne m'em- qu'elle a été vaincue. Mais puisqu'elle peut
pêche pas de dire que l'une fait le mal en per- résister à toute coaction étrangère, d'où vient
suadant le péché, et l'autre en y consentant. qu'elle se laisse aller à ce consentement mau-
De même donc que le consentement de l'une vais ? Ne me dites pas qu'elle est forcée de
n'est pas une substance, de même la persua- consentir, de telle sorte qu'il ne soit pas en
sion de l'autre ne peut en former une d'un : son pouvoir d'agir autrement, car vous dites
autre côté, l'une, en refusant de consentir, dans votre lettre qu'elle pèche volontairement ;

restera bonne et conservera l'intégrité de sa peut-elle pécher volontairement, quand il n'y


nature de même l'autre s'améliorera si elle
; a dans sa volonté aucun consentement ? Si
se refuse à persuader le mal. A cette condition vous l'aimez mieux, je vous demanderai d'où
ellesconserveront toutes deux leur intégrité, vient en elle la possibilité d'être trompée ou
et mériteront sur ce point des éloges. Je sup- séduite. Avant qu'elle ne fût séduite, elle
pose même que l'une des deux pèche dou- devait avoir en elle la possibilité de l'être ; au-
blement, et en persuadant et en commettant trement elle ne l'aurait pas Convenez du
été.

elle-même le péché, tandis que l'autre commet moius que tout consentement ne peut venir
uniquement la faute de consentir au mal : que de la volonté s'il y a coaction réelle, la
;

toutes deux deviennent mauvaises ; mais en- volonté cède, mais elle ne consent pas. Libre
core n'est-ce pas par nature qu'elles sont à vous de donner à tout cela le nom qu'il vous
mauvaises. En supposant que l'une s'est con- plaira; mais puisque vous êtes un docteur si
,

tentée de persuader et l'autre de consentir, hal)ile, puisque vous êtes si fier de votre per-
l'une et l'autre deviennent encore réellement spicacité romaine, dites-moi seulement d'où
coupables. Prétendez-vous que le crime est vient pour celte nature du bien la possibilité
plus grand de persuader le mal que d'y con- mêmedeconsenlirau mal. Je comprends qu'un
sentir ? Voici la conclusion, c'est que l'une est homme brise un morceau de bois, parce
RÉFUTATION DE SÉCUNDFNUS. Ali

qu'avant d'être brisé ce bois avait la possibilité de temps, qu'on en cherche le principe soit
de l'être ; lors même que personne ne se dispo- en elle-même, soit dans tout accident qui
serait à le briser, il n'en aurait pas moins la pos- pourrait survenir. Il n'en est pas de même de
sibilité d'être brisé.De même je vous demande cette nature rêvée par Manès, et qu'il qualifie
d'où peut venir dans cette nature, avant silégèrement du titre de bien suprême ou du ;

qu'elle ait consenti au mal, cette fragilité ou moins il voudrait le faire croire à ses adeptes.
cette flexibilité, en vertu de laquelle elle sera Examinez donc, et dites, si vous le pouvez,
brisée par la violence ou fléchie par la per- d'où vient cette mutabilité qui existe antérieu-
suasion. Direz-vous que le voisinage du mal rement à toute occasion qui lui est donnée,
l'avait rendue fragile, comme le voisinage non pas de naître, mais de se produire. Suppo-
d'un marais corrompt les corps? soit; mais sez l'ennemi aussi puissant que vous voudrez,
elle était donc corruptible, puisqu'elle a été pourrait-il la changer si elle ne pouvait être
corrompue par la contagion du voisinage. Eh changée ? Puisqu'elle peut changer, c'est donc
bien ! je voudrais savoir d'où lui peut venir que jamais elle n'a été absolument immuable.
cette corruptibilité. Or, si vous voulez bien déposer tout esprit de
Pesez, je vous prie, toutes mes paroles. chicane, vous conviendrez avec moi qu'on ne
Remarquez que je ne vous demande pas d'où peut, sans pousser le blasphème jusqu'à l'ab-
vient la corruption : du corrupteur, me ré- surdité, supposer une telle mutabilité dans la
pondriez-vous. Et ce corrupteur vous en , substance du souverain bien c'est-à-dire ,

faites je ne sais quel prince des ténèbres, qui dans la substance même de Dieu. Disons-le au
ne peut avoir d'autre réalité que celle que lui contraire de toute créature que Dieu n'a ni
prêtent les élucubrations de votre cerveau. Je engendrée ni produite de sa substance, mais
demande d'où vient la corruptibilité, même qu'il a tirée du néant;, il ne s'agit plus alors

avant toute action de la part du corrupteur; du souverain bien, mais de tel bien en parti-
sans cette corruptibilité, il n'y aurait aucun culier dont Dieu seul est le principe et la
corrupteur, ou du moins tous ses efforts se- source. Dieu, bien suprême et immuable, n'a
raient frappés de stérilité. Expliquez-moi donc pu communiquer à une créature ce privilège
pourquoi, dans une nature bonne en elle- exclusif d'être le bien suprême et immuable ;

même, cette corruptibilité, avant même cependant il l'a faite bonne, depuis l'ange du
qu'elle soit corrompue par une nature con- ciel jusqu'au dernier des animaux, jusqu'à la
traire ou bien, si le mot corruption vous
; dernière des plantes à chaque chose il a
;

choque, pourquoi cette mutabilité avant que assigné une place conforme à son rang et à sa
l'ennemi ne soit intervenu. Vous conviendrez, dignité. Parmi ces créatures il en est une, la
sans doute, qu'une nature change à son désa- créature raisonnable, qui doit rester unie à
vantage quand de sage elle devient folle
, ,
son Créateur par des relations parUculières
quand elle s'oublie elle-même. Or, voici ce d'obéissance et d'amour, et conserver sa na-
que vous avez écrit de votre main « Si elle : ture dans ces liens éternels de vérité et de
a consent au mal quand elle aura connais- charité. Quand donc elle se sépare de Dieu
o.sance d'elle-même » vous avouez donc; par la désobéissance, son libre arbitre la roule
qu'en s'oubliant elle change à son désavan- dans le péché, et le juste jugement de Dieu la
tage, puisqu'elle se relève de cet oubli en frappe de châtiments et de douleurs. C'est
reprenant connaissance d'elle-même. Or, il est donc là ce qui constitue le mal tout entier,

impossible d'exphquer le changement de quoi soit celui que l'on commet injustement, soit
que ce soit, si auparavant on n'admet pas celui dont on est justement frappé. Et vous ne
dans cet objet la possibilité de changer. Quand me demanderez pas le principe de ce mal,
donc vous aurez trouvé le principe de cette car vous trouveriez la réponse dans vos pro-
mutabilité dans la substance du souverain pres paroles « Quand l'âme se sera connue,
:

bien, antérieurement à tout mélange du bien « si elle consent au mal, elle pèche par sa
et du mal, vous ne me demanderez plus quelle (( propre v.olonté ». C'est de là que vient le

est l'origine du mal. Or, pour peu que vous mal, c'est-à-dire delà volonté propre. Ce mal
vouliez y réfléchir sérieusement, vous com- n'est donc pas une nature, mais une faute, et
prendrez que sans la nature du souverain j'ajoute, une faute contraire à la nature elle-
bien, on ne peut admettre aucune mutabilité même, qu'elle prive d'un bien qui aurait pu la
472 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

rendre heureuse, si elle avait refusé son con- cette nation quand elle tentait de la commettre.
sentement au péché. Cette volonté du péché, Cette réponse aurait encore quelque apparence
avant de l'admettre dans l'ânie, vous exigez la de justice, si dans cette guerre la nature de
préexistence d'un autre mal que vous suppo- votre Dieu avait pu se conserver dans son in-
sez une nature, et une nature que Dieu n'a tégrité et dans son innocence, et si, mêlée à
pas créée, tandis que notre âme vous paraît des membres hostiles, elle était restée pure de
être la nature même de Dieu. Il suit de là que, toute iniquité; peu m'importe du reste qu'elle
quand cette nature du mal a triomphé de s'y soit livrée sous l'influence de la coaction
l'âme, en lui inspirant la volonté du mal, c'est ou de la séduction. Mais quand vous avouez
Dieu lui-même qui est vaincu et qui s'ahîme vous-même qu'elle a été ensevelie dans des
dans le péché. hontes et des crimes sans nombre ,
quand
XX. Comment donc se peut-il que vous vous nous la représentez en proie à une im-
ne renonciez point encore à votre impiété, à piété telle, qu'elle se déclare l'ennemie achar-
vos horribles blasphèmes? Comment, dans née de la sainte lumière dont elle est une
une nature que Dieu n'a pas créée, supposer portion ;
quand enfin vous nous déclarez
la vie, le sentiment, la parole, le mode, la qu'elle n'a pu être purifiée tout entière et
beauté, l'ordre et d'autres biens à l'infini? qu'elle est fixée pour jamais à ce globe hor-
Comment, antérieurement à tout mélange du rible, pour y subir des châtiments éternels,
mal, supposer eu Dieu la mutabiUté, en vertu ne sommes-nous pas en droit de conclure
de laquelle il fut saisi de crainte? a envoyant qu'on devait laisser l'ennemi tramer dans
« ses siècles bienheureux menacés d'une son iniquité des projets inutiles, plutôt que
a grande ruine et d'une dévastation générale, de lui donner en pâture une portion de Dieu
« s'il ne parvenait à y opposer une puissance dont il devait épuiser les forces, qu'il devait
« éclatante et suprême '? » Et tout ce déploie- flétrir, et dans sa flétrissure l'associer à son
ment de forces, n'est-ce pas afin que cette iniquité? A moins de s'obstiner jusqu'à l'a-
nature et cette substance de Dieu retinssent veuglement, comment ne pas sentir et com-
son ennemi si étroitement enchaîné , que son prendre qu'iniquité pour iniquité, celle
péché même ne put le délivrer, qu'après sa qu'aurait commise la nation des ténèbres, en
purification il ne pût échapper tout entier, et cherchant en vain à s'emparer d'une nature
qu'enfin pendant sa damnation, elles pussent étrangère, eût été infiniment plus légère que
encore le retenir dans les fers? C'est là ce que celle que Dieu a dû commettre, en livrant
vous alléguez en faveur de votre dieu, pour une partie de lui-même à l'iniquité, et eu la
le justifier de la nécessité où il s'est trouvé de condamnant ainsi à des châtiments éternels?
faire la guerre vous feriez beaucoup mieux
; Est-ce que ce n'est pas là consentir à l'ini-
de répondre à cette question qui vous est quité? est-ce que ce n'est pas la commettre
faite quel mal pouvait faire à Dieu la nation
: sans aucune nécessité? Quelle nécessité pou-
des ténèbres, s'il avait refusé de combattre vait-il y avoir? Manès l'affirme, mais vous n'osez
contre elle? Si vous répondez que cette nation le suivre jusque-là. Voici ses paroles « Dieu :

pouvait nuire à Dieu, il vous faudra avouer a vit qu'une grande ruine et une dévastation
que Dieu est corru|)tible et muable. Si vous ((immense menaçaient ses siècles heureux,
répondez qu'elle ne |)ouvait lui porter aucune «s'il n'y opposait une puissance suprême »,
atteinte, on va vous répliquer pourquoi donc : Pour vous, vous raisonnez un peu plus habi-
a-t-il combaltu? Pourquoi livrer à ses enne- lement, vous scmblez dire que si Dieu a com-
mis sa propre substance et l'exposer ainsi à la battu, c'est parce qu'il se trouvait dans la
corruption, à la profanation et au péché? A nécessité de se soustraire aux attaques de la
cela vous n'aurezjamais rien à répondre pour nation des ténèbres ;
mais vous ne remar-
vous justifier. quez pas que vous refusez à Dieu l'inviola-
Mais voici que vous triomphez à vos propres bilité et l'incorruptibilité, puisque, s'il avait

yeux, parce (|ue vous avez trouvé la réponse renoncé au combat, l'ennemi aurait \m lui
suivante:» C'est une grande iniquité dedésirer nuire. Allons, que la pensée même de ce
«le bien d'autrui >>
; or, « Dieu aurait favorisé combat disparaisse à jamais de \otre cœur
cette iniquité s'il avait refusé de combattre et de votre croyance frappez d'anathème et
;

' Leltrc fondamentale de Maués. de malédiction cette fable ridicule où l'im-


RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS. 473

piété se mêle à d'horribles blasphèmes. De XXI. Mais, en ami bienveillant, vous me


quel blasphème, dites-moi, ne yous souil- reprochez d'avoir quitté la doctrine mani-
lez-vous pas en faisant de Dieu une nature chéenne pour embrasser celle que renferment
soumise à l'iuiquilé et à la corruplion en ;
les livres des Juifs. Ces livres, en effet, pulvé-
supposant, non-seulement qu'il n'a pu dé- risent vos erreurs et dévoilent vos menson-
ployer assez de force pour se soustraire à ges ; car Jésus-Christ y est prophétisé tel qu'il
l'esclavage, mais que, devenu captif, il n'a est dans sa réalité divine, et non tel que le

pu conserver la justice et l'innocence? Ce dépeint la vanité de Manès. Mais, en homme


que votre Dieu n'a pu, Daniel l'a fait ;
il a très-habile, vous attaquez l'Ancien Testament,

su braver fureur des lions, lui qui n'a


la parce que nous y trouvons des paroles comme
pas craint, tout captif qu'il était, d'opposer celles-ci « Engendre des enfants de fornica-
:

sa piété comme un obstacle infranchissable « que laterre se rendra coupable de


tion, parce

au consentement pervers que ses ennemis « du Seigneur ». Vous


fornication à l'égard '

lui imposaient; lui enfin qui, dans sa mi- ne connaissez donc pas ce mot de l'Evangile :

sérable condition d'esclave, sut conserver « Les prostituées et les publicains vous précé-
son égalité et la liberté d'un esprit patient et « deront dans le royaume des cieux ^ ». Je

sage '. Il n'en fut pas de même de la nature connais la cause de cette bruyante indigna-
de Dieu : elle devint captive, elle fut livrée tion. Ce qui vous déplaît dans cette fornica-
à l'iniquité ; ne pouvant être purifiée tout tion, c'est qu'elle a été changée en mariage
entière, elle se vit réduite à une éternelle légitime et en pudeur conjugale. Quant à
damnation. Si de toute éteinité elle pré- votre dieu, vous le croyez enchaîné dans la
voyait qu'un semblable malheur devait lui génération des enfants par les liens charnels
arriver, à quoi sa divinité pouvait-elle lui les plus étroits et presque indissolubles; par

servir ? ne veux pas entrer dans


Mais je conséquent, vous concluez que les prostituées,
l'examen de toutes ces folies, plus
détaillé en se rendant impossible la génération, ren-
que ridicules, auxquelles Manès s'abandonne dent un véritable service à votre dieu, tandis
au sujet du royaume de lumière et de la qu'en reculant devant les douleurs de la ma-
nation des ténèbres, pas plus que du voisi- iernilé, elles veulent uniquement se rendre
nage dans lequel il lui faut les placer pour plus libres de suivre leurs passions honteuses.
l'utilitéde son système. Ce système aux , L'enfantement n'est à vos yeux qu'une nou-
yeux de tout homme sérieux, est du dernier velle prison garnie de chaînes, réservée à
ridicule; à vos yeux il est d'une imposante Dieu. Vous n'aimez pas davantage ces paroles:
subhmilé, il vous représente parfaitement « Ils seront deux dans une seule chair'», et

le côté droit et le côté gauche dont il est cependant l'Apôtre glorifie ce mystère en
parlé par Jésus-Christ dans l'Evangile. Or, l'appliquant à Jésus-Christ et à son Eglise.
nous savons parfaitement que ce côté droit et Vous n'avez pas une moindre horreur pour
ce côté gauche ne désignent nullement des celles-ci: «Croissez et multipliez-vous'» ; vous
lieux matériels ils ne sont que la figure du
; craignez la multiplication des chaînes de votre
bonheur et des infortunes qui seront le ,
dieu. Or, l'Eglise catholique m'enseigne que
prix accordé aux justes ou aux pécheurs l'àme et le corps sont deux substances bonnes
comme de leurs œuvres bonnes ou
salaire en elles-mêmes, quoique l'une soit appelée à
mauvaises. Mais votre pensée charnelle ne commander et l'autre à obéir; que dès lors
peut se détacher des choses matérielles ;
les biens de l'àme et du corps n'ont d'autre
pour vous, tout est dans lamatière ce so- ;
principe que le bien suprême, d'où découlent
leil visible et corporel qui ne peut occuper tous les biens, grands ou petits, célestes ou
qu'un lieu, un espace corporel, n'en avez- ou corporels, temporels
terrestres, spirituels
vous pas fait votre Dieu ou une partie de ou que parmi
éternels. Elle m'enseigne enfin
votre Dieu? Mais ce serait folie de ma part ces biens les uns ne méritent pas le mé-
d'agiter avec vous de semblables questions : pris, parce que les autres sont plus dignes

Comment, en effet, pouniez-vous concevoir ce d'éloge.


qui est si)iiitucl,tiuand vous ne pouvez même XXU. Quant à ces paroles qui n'obtiennent
pas admettre que Dieu soit incorruptible? — —
' Osée, l, 'i.
'
Malt. XXI, 31. *
Gen. il, 21 ; Kph. v, 31, 32.
Daniel, vi el XIV. — ' Geo. 1, 2».
474 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

pas davantage grâce à tos yeux : « Tuez et « mon fémur, et jurez par leDieu du ciel ' ».
a mangez '
», elles n'ont dans les Actes des Le serviteur obéit et jura ; mais l'ordre d'A-
Apôtres qu'une signification spirituelle. Pre- braham était une prophétie qui annonçait
nons-les même dans le sens matériel ce n'est ; que Dieu du ciel viendrait dans la chair qui
le
pas la manducation qui est digne de mépris, sortirait de lui.O hommes saintement chastes
gourmandise. Du reste, je croyais que.
c'est la et purs, vous méprisez, vous délestez, vous
même dans son sens charnel, cette maxime avez ces paroles en horreur Pour le Fils de !

devait vous agréer, puisqu'elle vous permet Dieu, qu'aucun contact de la chair ne pouvait
d'immoler la chair, de briser ainsi les prisons changer, vous craignez même le sein d'une
et les chaînes qui retiennent votre dieu mi- Vierge; et la nature du Dieu vivant, vous la
sérablement captif, de le mettre en liberté; et changez, vous la souillez en la renfermant,
siaprès la manducation quelques restes de non pas seulement dans la poitrine de
lui-même subsistent encore dans la nourri- l'homme, mais dans le sein de toutes les
ture, le travail de la digestion devrait com- femmes, voire même de toutes les bêtes Vous !

pléter cette œuvre


de purification. Vous qui avez en horreur le seul fémur d'un pro-
triomphez orgueilleusement parce que j'ai d'un patriarche, ne trouvez-vous pas
plièle et
échappé une parole de plainte sur la stérilité lesfémurs, je ne dis point des Prophètes,
de Sara. Remarquez que ma plainte n'était mais de toutes les prostituées, pour y renfer-
pas absolue, car cette stérilité était prophé- mer honteusement votre dieu, sans avoir
tique. Or, pour être conséquents avec vos pour cela aucun besoin de jurer? J'admets
fables sacrilèges, ce que vous devriez pleurer, que par elle-même la chasteté défende de
ce n'est pas la stérilité de Sara, mais sa fécon- toucher le membre du corps humain, mais
dité. En effet, la fécondité dans une femme, quelle horreur n'inspirerait pas un serment
n'est-ce pas le plus grand malheur qui puisse formulé au nom d'un dieu aussi honteuse-
arriver à Dieu? Aussi, je vois que parmi vous ment enchaîné et réduit à un esclavage aussi
on ne doit pas s'étonner de trouver l'accom- humiliant Vient ensuite l'arche de Noé %
1

plissement de cette menace prophétique : figure de l'Eglise qui doit se composer de la


«Ils interdiront les noces ^». Ce que vous réunion de tous les peuples, comme l'arche
moins les relations charnelles
détestez, ce sont renfermait des animaux de toutes les espèces;
que mariage lui-même. Cependant, dans
le or, vous vous plaisez à couvrir de ridicule
le mariage, la génération dans sa cause n'est cette arche dont vous faites une sorte de pa-
point un vice, mais un devoir. Dès lors, si norama ou de bazar, comme ou en voit en petit
nous voyons des hommes pieux et de saintes dans les jeux publics. Pour mieux peindre
femmes se condamner à la continence, ce votre pensée, par inadvertance ou par une
n'est pas dans le but d'éviter un mal, mais de ignorance dont je vous félicite, vous vous
choisir l'état le plus parfait. J'ajouterai même servez d'une expression, Tvî-fxafmç, que vous
que, pour certains époux, comme Abraham et dénaturez pour le besoin de votre cause, mais
Sara par exemple, le devoir conjugal doit être qui, dans son sens spirituel, s'applique par-
apprécié non pas au jioint de vue de la société faitement à l'Eglise. En effet, ce mot signifie
humaine, mais uniquement dans les desseins une réunion de fruits de toute sorte. Mais du
de la divine Providence. Une fois admis que moins, remarquez donc que Noé, entré dans
Jésus-Christ devait venir dans une chair l'arche sain et sauf et devant en sortir de
mortelle, on doit conclure que le mariage de même, certainement plus heureux au mi-
est
Sara l'a servi aussi bien que la virginité de lieu de cette troupe d'animaux, que votre
Marie. dieu, qui n'a pu échapper à la rage et à la
XXIIl. Vous citez aussi, avec un ton de mé- voracité de la nation des ténèbres, et qui, au
pris dédaigneux, ces autres paroles « Placez : lieu d'en devenir le maître, lui a été entière-
« votre main sur mon fémur ». J'admire vrai- ment assimilé. Vous versez ensuite le ridicule
ment votre ignorance sur ce point; ne savez- sur la lutte de Jacob contre l'ange % au lieu
vous pas iju'Abraham les adressa à son servi- d'y voir la figure prophétique du combat en-
teur, au moment où il exigeait de lui la foi gagé par le peuple d'Israël contre la chair de
du serment? « Placez, lui dit-il, la main sur Jésus-Christ. Mais je vous laisse libre d'y voir
Act. X, 13. —
' ' 1 Tim. IV, 3. — vu. — X.SAM,
'
UcD. XXIV, 2, 3. ' Id. - Id. :;i, ;i5.
RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS. 475

ce que vous voudrez; convenez du moins litéabsohie. Si donc ma conversion déplaît à


qu'il eût été plus glorieux pour votre dieu de quelqu'un, ce ne peut être qu'à ceux qui ne
combattre contre un homme, que d'avoir eu veulent pas croire que Dieu soit immuable.
à subir une honteuse défaite et une captivité Oui, le démon est l'ennemi des saints, non
plus honteuse encore de la part des démons. pas en ce sens qu'il combat contre eux en
Vous accusez à tort le patriarche Abraham vertu du principe d'une nature contraire,
d'avoir vendu l'honneur de sa femme. En la mais parce qu'il jalouse la félicité éternelle
disant sa sœur, il n'a commis aucun men- dont il a été dépossédé. Parce qu'il a changé,
songe, et en laissant ignorer qu'elle fût sa il voudrait que les autres changeassent égale-

femme, il a fait preuve de prudence hu- ment. Avez-vous donc oublié celle fable per-
maine ', et a remis entre les mains de Dieu sique, décrite par vous avec une prolixité plus
seul la conservation de son honneur. Si, de que fastidieuse ? N'y proclamez-vous pas que
son côté, il n'avait pas fait tout ce qui dépen- celui qui, sans changer soi-même, change les
dait de lui, on ne pourrait pas dire qu'il a mis autres, a dans ses mains la puissance et la
sa confiance dans le Seigneur, mais qu'il a victoire? Et si ce vainqueur est tils de la
tenté Dieu. Vous oubliez donc votre dieu ce ; sainte lumière, loin d'être l'ennemi de Dieu,
n'est pas son épouse, mais ses propres mem- il est nécessairement son ami ? N'est-il pas
bres qu'il a, non pas vendus, mais livrés gra- meilleur que ceux qu'il trompe et qu'il rend
tuitement à ses ennemis, avec la certitude les ennemis de la sainte lumière dont il est
qu'ils seraient par eux souillés, corrompus et lui-même l'ami? Pourquoi Manès condamne-
couverts de honte. Si vous aviez un désir à t-il les âmes à l'horrible supplice du globe de

formuler, ne serait-ce pas que cette belle na- ténèbres? N'est-ce point parce qu'elles « se
ture de votre dieu, s'arrachant à ses enne- « sont laissé séparer de leur primitive na-
mis, lui fût rendue dans l'état de pureté dans 8 ture lumineuse, et qu'alors elles sont deve-

lequel Sara fut remise entre les mains de son « nues ennemies de la lumière ? » De là il

époux? conclut que si la nation des ténèbres a créé


XXIV. Vous prodiguez les éloges à mes les corps, c'est uniquement dans le but de
mœurs et à mon vous cher-
zèle d'autrefois, et satisfaire au désir qu'elle éprouvait de retenir
chez ce qui a pu produire en moi un change- en elle la nature de lumière. Cherchez donc
ment aussi subit. Puis, usant d'une multitude à vous arracher à ces fictions vaines et sacri-
de circonlocutions, vous prononcez le nom de lèges et que Celui qui ne change jamais ni
;

l'antique ennemi de tous les fidèles, des saints en bien ni en mal, vous aide à opérer votre
et de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, changement pour le bien.
vous désignez clairement le démon en per- XXV. Nous nous sommes échappés», dites-
c(

sonne. Tout ce que je puis vous dire sur ma vous, « parce que nous avons suivi le Sauveur
conversion, c'est que si, en disant anathème à a spirituel. C'est à son audace seule que nous
vos erreurs je n'avais pas été assuré de devenir « devons notre délivrance, car si Notre-Sei-
meilleur, je ne me serais pas réfugié dans le « gneur eiit été charnel, toutes nos espérances
sein de l'Eglise et de la foi catholique. Je « se seraient évanouies » . Vous tenez ce langage
savais déjà que j'ai quitté le mal pour le bien; parce que vous ne reconnaissez pas en Jésus-
mais, supposé que je l'eusse ignoré, vous auriez Christ une chair véritable. Comment donc
dissipé tous mes doutes par le mot dont vous Manès peut-il être l'objet de votre espérance,
vous servez pour caractériser ma conversion. puisque vous avouez que, semblable en ce
En eOét, admettons pour un instant, comme point aux autres mortels, il a été engendré
vous- l'affirmez, que mon âme soit la nature par l'union de l'homme et de la femme, et que
même de Dieu, elle ne pourrait alors changer comme nous il fut formé de chair et d'os ?
ni en bien ni en mal, que ce changement Pourquoi vous ins[iire-t-il donc tant de con-
vienne d'elle-même ou qu'il vienne du dehors. fiance? Vous essayez, dans votre lettre, de me
Cependant j'ai changé, car j'ai renoncé à votre frapper de terreur; vous me dites « Qui donc :

erreur pour embrasser cette foi catholique « prendra votre défense au tribunal du sou-
qui seule nous donne une juste idée de Dieu, ci verain Juge, puisque vous vous faites vous-
en nous apprenant à croire à son immutabi- « même l'accusateur et le témoin de vos pa-
Gen. xii et xx. a rôles et de vos œuvres? Ne comptez pas sur
476 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

a le Perse que vous avez incriminé, il n'y sera ces autres, adressées au disciple incrédule :

pas présent. En dehors de lui, qui donc « Mettez vos doigts dans la plaie de mon côté,
« séchera vos larmes ? qui sauvera l'Afri- « et ne soyez pas incrédule, mais fidèle '? »
« cain ?» De consolateur et de sauveur, vous Mais, dites-nous, Manès prêche Jésus-Christ
affirmez donc qu'il ne peut y avoir que Manès. et s'en proclame le disciple et l'apôtre. Il n'en
Comment en parlant des souffrances de
alors, est (]ue plus digne de mépris et d'aversiou.
Jésus-Christ, avez-vouspu dire que vous vous En effet, s'il se fût contenté d'accuser, de
étiez échappés parce que vous avez suivi le réfuter, du moins prouvé qu'en con-
il aurait
Sauveur spirituel ? n'est-ce pas à dessein que vainquant les autres de mensonge, il n'était
vous l'appelez spirituel, parce que, s'il eût été conduit et inspiré que par l'amour de la vérité.
revêtu d'un corps, l'ennemi aurait pu lui don- Mais en affichant ainsi son ignorance et sa
ner la mort ? Si donc l'ennemi tue votre Manès témérité, il fait voir à tout homme réfléchi ce
parce qu'il trouve en lui un corps matériel, oïi qu'il est, ce qu'il aime, en louant et en prê-
trouverez-vous un sauveur ? comment, dès chant un menteur. Fuyez donc, mon ami, un
lors, pouvez-vous dire: «Lui excepté, qui fléau si redoutable à force de vous tromper ;

« séchera vos larmes ? qui sauvera l'Afri- ne pourrait-il pas se flatter d'avoir fait de vous
a cain? » Comprenez-vous enfin ce que l'en- un fidèle, comme il prétend que cela arriva
ferme d'erreurs celte hérésie, cette doctrine pour le disciple à qui Jésus-Christ dit : « Met-
démoniaque où les mensonges le disputent à « tez vos doigts dans la plaie de mon côté et
l'hypocrisie ? Vous proclamez que Manès est
'
« ne soyez pas incrédule, mais Adèle »?Ouvrez
parfaitement dans le vrai, quand il affirme les yeux à l'évidence et vous reconnaîtrez que
de Jésus-Christ que son corps n'avait aucune le langage tenu par Jésus-Christ à son disciple,
réalité. Voici donc toute la question Si, en : ne pouvait avoir d'autre signification que
monlrant sa chair, sa mort, sa résurrection, celle-ci Touchez ce que je suis et ce que j'ai
:

les cicatricesde ses plaies et des clous, qu'il été, touchez un corps véritable, touchez les
présenta à ses Apôlres pour dissiper en eux cicatrices de blessures réelles touchez les ,

toute espèce de doute ; si, dis-je, Jésus-Christ plaies véritables des clous et, en croyant à la
n'a été en cela qu'un fourbe et un menteur, ne soyez pas incrédule, mais fidèle?
réalité,
Manès est dans la vérité. Au contraire, si Manès, dans sa vanité sacrilège, interprète
Jésus-Christ a montré une chair véritable ;
ainsi ces mêmes paroles : Touchez ce que je
dès lors si sa mort, sa résurrection, ses cica- simule pour mieux tromper touchez une ,

trices étaient réelles,Manès n'est plus qu'un chair qui n'a que l'apparence de la chair,
menteur dans tout ce qu'il alflrnie de
efl'ronté touchez les traces simulées de blessures ima-
Jésus-Christ. Par conséquent, voici entre nous et ne soyez pas incrédule à mes
ginaires,
le débat réduit à sa jtlus simple expression : membres trompeurs, afin qu'en croyant au
Vous affirmez la véracité de Manès et vous ne mensonge vous puissiez être fidèle. Aux yeux
voyez en Jésus-Christ qu'un menteur; pour et dans le langage de Manès, être fidèle, c'est
moi, je soutiens qu'en ce qui regarde Jésus- accepter la doctrine et les impostures des dé-
Christ,comme sur beaucoup d'autres points, mons.
Manès n'a été qu'un menteur ne l'est-il pas, ; XXVI. Fuyez ces erreurs, je vous prie, et
surtout quand il s'agit de la passion et de la parce (jue le Seigneur a dit que la voie étroite
résurrection, qui sont le fondement véritable n'était suivie que par un petit nombre, gar-
de toute l'espérance des fidèles? Peut-on re- dez-vous de vous laisser prendre aux appa-
garder comme le i)rédicateur de Jésus-Christ, rences '. Vous voulez être du petit nombre,
et non pas plutôt comme son accusateur, celui mais du petit nombre de ceux qui sont les
qui soutient que mort de Jésus-Christ ne
la plus pervertis. Je l'avoue, si l'on cherche Tin-
l'ut qu'une comédie, que les apparitions qui iiocence absolue, on ne la trouve (jue dans le
la suivirent ne furent que de véritables men- petit nombre; mais regarde parmi les
si l'on
songes, qu'enfin il n'y a rien de vrai dans ces pécheurs , on voit que les homicides sont
paroles «Touchez mes mains et mes jjieds, et
: moins nombreux que les |iécheurs, et les in-
«sachez qu'un esprit n'a ni chair ni os, cestueux, que les adultères. Prenez même les
« comme vous voyez que j'en ai - »; et dans fables de l'antiquité les Médée et les Phèdre :

' 1 Tiui. IV, 1,2.— '


Luc, A.\iv, 3'J. .kMii, .\.\, :;?. — ' Wnit. vil, 1 1.
KÉFUTATION DE SECUNDINLS. 477

femmes cou-
sont moins nombreuses que les un poison perfide et criminel ! Combien plus,
pables d'autres crimes Ochus et les Biisi- ; les pour mettre fln à ce débat qui nous divise,
ride sont moins nombreux que les bommes devez-vous être désireux de chercher un re-
coupables d'autres impiétés et d'autres faules. fuge assuré dans l'Eglise catholique, si claire-
Voyez donc si Iborreur profonde qu'inspire ment annoncée dans les prophéties et si mys-
voire impiété ne constituerait pas tout le térieusement révélée quand la plénitude des
mérite de Totre petit nombre. A ne juger les temps fut accomplie !

choses que dans vos livres, dans vos paroles Je vous parle ainsi parceque votre esprit
et dans votre croyance, on s'étonne que votre n'est pas la nature mal n'est pas
du mal; le

hérésie trouve si peu de dupes pour l'embras- ime nature, parce qu'il n'est pas non plus la
ser ou y persévérer. Au contraire, quand on nature de Dieu, autrement je demanderais en
parle du petit nombre des saints qui courent vain le changement de ce qui est essentielle-
la voie étroite, on établit un contraste entre ce ment immuable. Or, en s'éloignant de Dieu,
petit nombre et la multitude des pécheurs. votre âme a subi un changement, et ce chan-
C'est la petite quantité de bon grain ense- gement est un mal qu'elle revienne à ce bien
;

velie sous un monceau de paille la mission ; immuable , avec le secours de ce bien lui-
présente de l'Eglise catholique c'est de re- même, et ce changement sera pour elle la
cueillir ce grain et de le battre ; à la fln des délivrance du mal. Si vous dédaignez ce con-
siècles il sera vanné et purifié '. C'est dans seil, sivous vous obstinez à croire à l'existence
cette Eglise que vous devez vous réfugier si de deux natures, la nature muable du bien,
vous désirez fidèlement être fidèle et renoncer laquelle, mêlée au mal, a pu consentir à l'in-
à ces erreurs que vous ne pouvez accepter justice, et la nature immuable du mal, la-
sans réaliser celte parole de l'Ecriture : « Vous quelle, mêlée au bien, n'a pu consentir à la
a nourrissez les vents -
» , c'est-à-dire vous vous justice, il ne vous reste plus qu'à redire cette
faitesla nourriture des esprits immondes. fable ignoble, ces honteux blasphèmes qui
Vous m'alléguez saint Paul d'un côté, il se ; respirent l'impureté et la fornication, et l'on
montre plein de respect pour l'Ancien Testa- vous associera à la foule de ceux dont il a été
ment et pour la dispensation divine des faits dit « Il viendra un temps où ils ne pourront
:

etdes enseignements qui y sont renfermés ; a plus supporter la saine doctrine éprouvant, ;

mais, d'un autre côté, quand il s'agit de l'ex- a au contraire, un violent désir d'entendre ce
cellence charnelle de la race judaïque; quand a qui les flatte, ils auront recours à une foule

il de ces synagogues de sa propre nalion,


s'agit a de docteurs capables de les satisfaire, et

plongées dans l'erreur ets'obstiuant à mécon- « fermant l'oreille à la vérité, ils l'ouvriront à

naître la divinité du Christ quand il s'agit du ;


« des tables ». Si vous acceptez prudemment
'

zèle [dus que louable à ses yeux


,
qu'il ,
le conseil que je vous donne, si vous revenez
déployait à persécuter les chrétiens; quand il à la foi d'un Dieu immuable, cette conversion
s'agit enfin de cette justice légale, dont les louable vous placera au nombre de ceux dont
Juifs tirent si hautement vanité parce qu'ils l'Apôtre a dit: «Autrefois vous étiez ténèbres,
n'ont aucune idée de la grâce de Jésus-Christ, « maintenant vous êtes lumière dans le Sei-

Paul uniquement désireux de gagner le


, « gneur * ». Ces paroles ne peuvent assuré-

Christ, méprise toutes ces gloires humaines et ment s'appliquer à la nation de Dieu, car
les traite comme
de la boue. Combien plus jamais ne fut ni mauvaise ni digne d'être
elle
ces écrits, tout remplis d'horribles blasphèmes, qualifiée du nom de nature des ténèbres;
et qui nous présentent la nature de la vérité, elles ne s'appliquent pas davantage à la nature
la nature du souverain bien, la nature de du mal ; car, supposé qu'elle existe, elle ne
Dieu même soumise à des transformations si pourrait jamais ni changer ni devenir lumière.
nombreuses, à des défaites si honteuses, à Mais ces mêmes paroles s'u|)pliqut.'nt parfaite-

une corruption si profonde, souillée enfin et ment à nature qui n'est pas immuable,
celte
condamnée à une réprobation éternelle parla et qui se couvre de ténèbres quand elle se
vérité elle-même; combien plus ces écrits sépare de la lumière immuable, principe de
doivent-ils vous paraître méprisables, non- son existence. Qu'elle revienne à Dieu, et
seulement comme de la boue, mais comme aussitôt elle redevient lumière, non pas en
Matt. m, 12. — Osée,
' xii, i . '
Il Tim. IV, 3, 4. — ' Ephés. v, 8.
478 RÉFUTATION DE SÉCUNDINUS.

elle-même, mais dans le Seigneur. En effet, cœur, si vous voulez vous rendre participant
puisqu'elle n'est pas la lumière véritable, tontes du bien immuable et devenir bon vous-même,
les clartés dont elle peut jouir ne lui viennent j'entends avec la grâce de Dieu; car sans elle
pas d'elle-même, mais de Celui dont il est dit : vous ne le deviendriez jamais. Cette bonté une
« Il était lalumière véritable qui éclaire tout fois acquise, vous ne pourriez la perdre si
« homme venant en ce monde ' ». Que cette vous étiez immuable et après l'avoir perdue,
;

belle parole soit toujours l'objet de votre foi, si vous pouvez la recouvrer, c'est parce que

la nourriture de votre intelligence et de votre vous n'êtes pas immuable.


* Jean, l, 9.

Traduction de il/, l'atbé BURLERAVX.


CONTRE UN ADVERSAIRE
T>G la Loi et des IPropliètes-

LIVRE PREMIER.
Réfutation des calomnies formulées contre certains passages de l'Ancien Testament.

I. Frère bien-aimé vous m'avez dit que le


, 11. Il s'agit d'abord de la création. Ce sujet,

livre que vous m'avez envoyé avait été trouvé que tout homme pieux traite avec respect,
sur la place maritime, au moment où le ma- cet impie l'entreprend d'un ton sacrilège et se
nuscrit même circulait de rue en rue, et qu'une demande comment on doit entendre ces pa-
foule de curieux se pressaient pour en entendre roles « Au commencement Dieu fit le ciel et
:

la lecture. Vous me demandez ensuite de vous « la terre » il est vrai qu'il supprime le mot
'
;

adresser une réfutation succincte de cet ou- terre, mais il en parlera plus loin. Il demande
vrage écrit par je ne sais quel hérétique, et donc « De quel commencement s'agit-il?
:

qui, peut-être par cette raison surtout, sou- « Est-ce de celui où Dieu entra dans l'exis-

lève, non sans danger, la curiosité et les ap- « tence ou de celui où il rougit de n'être

plaudissements de la multitude. Avant de a qu'un vide immense?» Je réponds que l'être

vous répondre, j'ai dû chercher à savoir à en Dieu n'a jamais eu de commencement;


quelle hérésie il appartenait. En effet, les que Dieu n'a jamais eu à rougir de n'être
Manichéens ne sont pas les seuls ennemis de qu'un vide immense; 11 a toujours été, son
la Loi et des Prophètes leur haine contre
; repos n'a jamais été de la torpeur, ni son
l'Ancien Testament est partagée par les Mar- activité de la fatigue avant la création du ;

cionites et par d'autres sectes moins connues ciel, il n'était pas privé de trône, et après la
du peuple chrétien Or, si je n'ai pu trouver le
. création du ciel, il n'eut pas à attendre la des-
nom de l'auteur, j'ai pu me convaincre qu'il truction des erreurs pour posséder son trône.
refuse d'attribuer à Dieu la création du monde. C'est en lui-même qu'il habite et qu'il trouve
D'un autre côté, quoique les Manichéens ne son bonheur son temple extérieur, ce sont
;

reconnaissent pas la divinité de la Genèse, ils les anges et les hommes il habite au miheu ;

conviennent cependant que Dieu est l'auteur d'eux, mais c'est lui qui leur accorde le bien
du monde bon, quoique pour le former il se dont ils jouissent, et ce ne sont pas eux qui lui
soit servi d'une matière préexistante. Quelle procurent la demeure sans laquelle il ne
que soit donc la secte à laquelle ce blasphé- pourrait cire heureux. Dès lors ces paroles :

mateur appartienne, il est de mon devoir de « Au commencement Dieu fit le ciel et la

justifier la sainte Ecriture de toutes les accu- «terre», peuvent s'interpréter de plusieurs
sations injustes et malveillantes dont elle est manières. Ou bien il s'agit du moment où
l'objetdans cet écrit. Afin de sauver au moins le ciel et la terre commencèrent à exister;
lesdehors du christianisme, il cite quelques car, loin d'être coéternels à Dieu, ils ont été
passages de l'Evangile et de saint Paul; je ne créés , et dès lors il fut un moment où ils

laisseraipourtant pas que de le réfuter, même commencèrent à exister. Ou bien le sens se-
en ce qui concerne le Nouveau Testament on : rait que Dieu a fait le ciel et la terre dans le
n'en reconnaîtra que mieux la folie et l'ab- commencement coéternel à lui-même, c'est-
surdité de ses attaques contre l'Ancien Testa- à-dire, dans son Fils unique. C'est ce Fils
ment. ' Gen. I, 1.
480 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

unique qui est la Sagesse dont l'Apôtre a dit: ture, pourquoi donc pousser la calomnie jus-
« Le Clirisf, la Vertu de Dieu et la Sagesse de qu'à demander pourquoi ce n'est pas au com-
«Dieu' ». Le Psalmiste, s'adressant à Dieu mencement de toutes choses que Dieu a créé
qui a fait le ciel et la terre, lui dit: «Vous le ciel et la terre? Il suffit alors de le renvoyer
« avez tout fait dans la sagesse ^ ». Peut-être à ses propres paroles. En effet, après avoir
que notre adversaire n'admet pas le témoi- cité ces Au comnienceinent Dieu
paroles : «
gnage du Psalmisie alors qu'il entende ; a fit le ciel et la terre », voici comme il rai-

l'Apôtre parlant de Jésus-Christ : « Tout a été sonne « A quel commencement? Est-ce quand
:

« créé en lui, au ciel et sur la terre, les choses a Dieu commença à exister, ou bien quand
a visibles et les choses invisibles ' ». « il eut honte de n'être qu'un vide immense?

Dieu n'a donc pas eu de commence-


III. « Pourquoi la création ne se fit-elle pas pré-
ment et il n'aura pas de fin quant à ses ;
« cédemment, au commencement de toutes
œuvres, elles ont commencé et elles cessent à « choses ? » Je lui demande à mon tour De :

un moment donné : tel est le temps et les quel commencement parlez-vous? Est-ce de
choses temporelles; d'autres, quoique ayant celui où Dieu commença à exister, où de ce-
commencé, ne uniront pas : telle est la vie lui où il rougit de n'être qu'un vide im-
éternelle promise aux élus. C'est ce que notre mense? Une chose lui déplaît, c'est que Dieu
auteur n'a pas compris, quand il a dit d'une n'ait pas accompli la création dès le commen-
manière absolue que tout ce qui a commencé cement, comme s'il avait dû créer aussitôt
finira; il aurait dû penser à un nombre qui qu'il a commencé à exister. Comment donc
commence à l'unité eUfinit à rien. Imaginez ne voit-il pas que, dans cette hypothèse, on
un nombre aussi grand que vous voudrez, si peut lui objecter Dieu a donc eu un com- :

grand qu'il vous paraît toujours ca-


soit il mencement, et par conséquent il aura aussi
pable d'être augmenté. Pourtant, quelle que une fin, vous-même que
car vous avez affirmé
soit l'hérésie qu'il embrasse au nom du Christ tout ce qui aeu un commencement doit avoir
et contre le Christ, je pense que notre adver- une fin? Mais si Dieu n'a pas eu de commen-
saire se promet la vie bienheureuse en Jésus- cement, comment soutenir qu'il aurait dû
Christ , dont le commencement coïncidera faire le monde aussitôt qu'il a commencé à
avec la fin de notre misérable existence ici- exister? Le commencement dont il est ici
bas. Eh bien ! qu'il me dise si cette vie heu- parlé, désigne donc uniquement le moment
reuse à laquelle il donne un commencement, où ce qui est a commencé à exister. Ou bien
aura ou n'aui'a pas de fin. Si elle doit en leur dieu n'a jamais rien créé de bon, ou
avoir une, comment ose-t-il encore se décla- bien ce qu'il a fait de bon, il l'a créé aussitôt
rer chrétien? Si elle ne doit i)as en avoir, qu'il a lui-même commencé à exister, et dès
comment a-t-il osé dire que tout ce qui a com- lors, puisqu'il aeu un commencement, il doit
mencé aura une fin ? s'attendre à avoir une fin ou enfin, ; il faut
IV. 11 pose ensuite cette seconde question : accepter comme règle absolue les paroles
a Si ce monde est un bien, pourquoi n'a-t-il mêmes de la sainte Ecriture, et conclure que
« pas commencé h exister dès l'origine de Dieu, qui a toujours existé, a créé le ciel au
a toutes choses?» Mais Dieu pouvait-il donc commencement, c'est-à-dire, ou bien dans le .

créer quelque chose qui l'emportât sur lui en moment où le ciel commença à exister, ou
bonté; ou bien, quoique bon, ce monde au- bien dans son Fils. Quand les Juifs lui deman-
rait-il dû ne pas être créé, par la raison qu'il dèrent qui il était, ne leur a-t-il pas répondu
n'est pas égal au Créateur? Il demande pour- qu'il était le commencement '
?

quoi le monde n'a pas été créé dès le commen- V. Mais peut-être voudra-t- il établir une dis-
cement; je réponds qu'il a été créé au com- tinction entre le début, iiiitium, et le com-
mencement, je veux dire que c'est par la mencement, priiicipiuni. Si donc nous lisions
création qu'il a commencé à être, ce qui ne dans le texte : Au début Dieu fit le ciel et la
veut pas dire qu'il a commencé à exister aus- terre, il n'y aurait plus lieu de demander :

sitôt que Dieu, car Dieu n'a pas eu de com- « Pourquoi début que Dieu
n'est-ce pas dès le
mencement. Si c'est là le commencenieni (|ui « a lait le ciel et la terre? » Un impie n'attache
lui paraît signifié dans les paroles de l'Ecri- aucune importance à admettre que Dieu ail
I Cor. 1, 24. — '
Ps. cm, 24. — '
Coloss. i. 16. '
Jean, vm, 25.
.

LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 481

eu, ou nou , un commencement. Mais alors il « que "e fera-t-il pas pour vous, hommes de
faut aussi corriger l'Evangile, où nous lisons : « peu de foi '
? » C'est donc le seul et même
o Au commencement était le Verbe ». Pour- Dieu qui a créé le ciel et la terre, les étoiles
quoi notre hérétique ne demande-t-il pas : et les plantes, tout ce qui au ciel et sur la
Dans quel commencement? est-ce celui on le terre possède mesure, forme et ordre, tout ce

Verbe a commencé à exister? Et puisque le qui vit au ciel et sur la terre, tout ce qui sent,
Verbe était Dieu, il aurait pu ajouter : Est-ce tout ce qui comprend au ciel et sur la terre.
celui où Dieu commença à exister? Qu'il con- Non-seulement tous ces biens ont été créés
tinue donc, sans reculer devant sa définition par Dieu, mais ils ont dû être placés dans des
favorite : « Ce qui a eu un commencement degrés différents quant à la bonté. Supposé
« doit avoir une fin», et alors il ne manquera qu'ils fussent égaux, il n'y aurait plus qu'un
pas d'être accusé de folie, même par les Mani- seul genre de biens, d'où tous les autres
chéens, qui cependant doivent le lire volon- seraient exclus. Dès lors, ce qui constitue leur
tiers, par la raison qu'ils trouvent en lui un principal caractère de bonté, c'est que les uns
ennemi déclaré de la loi et des Prophètes. sont supérieurs aux autres, et que la bonté
Puisque le Dieu qui a fait le monde n'a pas le des inférieurs rehausse la bonté de ceux qui
bonheur de lui plaire, comment serait plus sont supérieurs; il y a ainsi entre eux une
heureux Celui par qui le monde a été fait ? admirable gradation qui ne fait que mieux
C'est de Jésus-Christ qu'il est écrit : « 11 était ressortir la bonté de tous.
« dans le monde et le monde a été fuit par lui ' » Vil. Quant au mal lui-même, nous dési-
VI. Que cet adversaire veuille bien com- gnons uniquement sous ce nom, ou bien les
prendre aussi que Dieu a pu créer tous les vices inhérents aux choses bonnes et qui ne
biens, sans qu'aucun besoin ait pu l'y déter- peuvent avoir d'existence indépendante; ou
miner. Or, celui qui est le souverain bien, a bien les châtiments infligés aux pécheurs et
créé toutes choses, et tout ce qu'il a créé est qui sont la conséquence de la beauté de la
bon d'une bonté réelle, quoique inférieure à justice. Les vices eux-mêmes rendent témoi-
la sienne. En effet, tout bien qui n'est pas le gnage à la bonté inhérente à toutes les natures.
bien suprême, quel que soit d'ailleurs sou Car ce qui devient mauvais par l'efTet du vice,
rang d'infériorité, n'a pu avoir d'autre prin- est réellement bon par nature. En efîet, ce qui
cipe que le bien suprême. C'est donc se faire fait du vice une chose contraire à la nature,

de Dieu une idée radicalement fausse que de c'est qu'il nuit à la nature et comment peut- ;

nier l'existence de tout bien, parce que ce bien il lui nuire, si ce n'est en diminuant sa bonté?

ne peut être égal à Dieu. Voulez-vous recon- Le mal est donc, à proprement parler, la pri-
naître, non pas le bien suprême, mais le bien vation du bien ; c'est dire clairement que le -

lé plus infime? en voici le caractère infail- mal que dans une chose bonne, puis-
n'existe
lible Tout ce qui lui est inférieur, cesse d'être
: qu'il ne peut nuire qu'en diminuant ce qui est
bon. Si donc, parmi les choses créées, celles bon. 11 est évident, dès lors, que le mal ne se
qui sont les meilleures sont encore à une dis- le souverain bien, parce qu'une
trouve pas dans
tance infinie de Dieu, par cela même qu'elles chose souverainement bonne, comme Dieu,
sont créées,comment croire que celui qui, est essentiellement incorruptible et immuable.
pour augmenter son bonheur, n'avait aucun On peut donc admettre qu'il y ait des biens
besoin des choses les plus excellentes, pouvait sans aucun mélange de mal; tel est Dieu,
avoir besoin des choses les plus inférieures? telles sont même les choses célestes supé-
Et cependant il les a créées par cela seul qu'il rieures. Mais le mal ne peut que par
exister
est l'auteur de tous les biens. Notre-Seigneur, son mélange avec le bien , carne peut
il être
jiar qui le monde a été fait, nous indique le mal et ne pas nuire, il ne peut nuire sans
clairement que Dieu a créé non-seulement les diminuer le bien; plus il nuit, plus il doit
y
choses célestes, mais aussi les choses terrestres avoir de bien à diminuer ; si tout ce bien dis-
depuis les plus grandesjusqu'auxplus petites; paraît, la nature elle-même cesse d'exister et
voici ses paroles : « Si donc Dieu donne une d'offrir matière aux ravages du mal. Il suit de
« si belle parure à l'herbe des champs qui naît là que, quand la nature disparait, le mai y de-
« aujourd'hui et demain sera jetée au four. vient impossible.
' Jean, i, 1,10. ' Mail. VI, 30.

S. AcG. — Tome XIV. 31


482 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

MIL Une nature peut-elle être absolument celaaétécréé'parDieu, souverain bien, et Dieu

anéantie? Celte question est extrêmement sub- vit que chaque chose en particulier est bonne
La foi chante en s'adressant à
tile et délicate. dans son génie et dans son ordre. L'écrivain
Dieu Vous les changerez et ils seront chan-
: « sacré, qui, sous l'inspiration du Saint-Ei-piif, a
cegés mais vous êtes toujours le même '».
;
tracé ce passage et décrit la création, a pu jeter
Dieu donc, le seul bien immuable, a créé et un regard de mépris sur ces futurs impies qui
régit tous les biens muables, et ces biens, à devaient prodiguer les accusations et les so-

leur tour, ne sont tels que parce qu'ils ont été pliismes, pour mieux se tromper eux-mêmes
créés par le souverain bien ; et ils sont mua- et séduire pins sûremenltous ceuxqui trouve-
bles et changeants parce qu'ils ont été tirés du raient du charme dans leur loi]uacilé blas-
néant. Si maintenant nous envisageons ces phématoire. 11 suffit qu'ils soient hommes ,

maux en eux-mêmes, il est vrai qu'ils ont un qu'ils soient formés d'un corps et âme
d'une
caractère de châtiment pour ceux en faveur raisonnable, que les membres de leur corps
desquels l'immortalité seule peut combler la soient disposés dans une harmonie réelle avec

mesure du bonheur parfait; cependant, même leurs fondions et avec l'unité générale de la
en ce sens, ils ne sont pas sans quelque beauté personne, que l'âme les domine et les gou-
dans l'harmonie des temps; j'avoue seule- verne en vertu de son excellence naturelle ,

ment que cette beauté ne peut être perçue qu'elle remplisse et anime les cinq sens du
par le sens humain. Ecoutons donc la foi, qui corps, qu'elle leur laisse leur action, tout en
dit à Dieu « Vous avez tout fait avec poids,
: les coordonnant dans un ensemble parfait;
a nombre et mesure ^ » l'amour de la vie lui ; enfin qu'elle soit capable de connaître et de
inspire assurément une profonde horreur de comprendre : cela sulfit, ai-je dit, pour que
la mort, mais elle ne laisse pas de louer le Dieu en les voyant les trouve bons; pourquoi,
Créateur de tous les biens, elle le loue même dès lors, ne les aurait-il pas créés? Remar-
des biens caducs et mortels. J'invoque en quons, en effet, que pour voir les hommes
preuve cet adversaire lui-même il prodigue : Dieu n'a pas besoin que ces hommes soient
les reproches, il ne peut pas croire que Dieu créés, il les voit avant de les créer. Supposé
soit l'auteur de tous ces biens terrestres qui qu'ils lui apparaissent alors victimes volon-

n'ont qu'une existence passagère ; il ne voit taires d'une volonté perverse et d'un aveu-
donc pas que ce discours qu'il [ironouce, et glement coupable, cette vue n'est pas pour
qui lui a ttllenient plu qu'il a cru devoir le Dieu une raison de ne pas les créer, car il
conûer au papier, ne se compose que de sons prévoit la place qu'il doit leur assigner
articulés qui naissent et disparaissent aussitôt, dans l'harmonie universelle. Enfin sujjposons
sans quoi tout discours deviendrait impos- qu'ils doivent persévérer jusqu'à la fin dans
sible. Ainsi cette discussion où il se propose l'amour du mal Dieu les forme ,il est ,

précisément de prouver que tout ce qui naît vrai de la masse de prévarication , mais
,

et meurt ne peut être bon, lire toute sa beauté comme des vases de colère destinés à être
de la succession continuelle de syllabes qui utiles aux vases de miséricorde ', en les por-

ne naissent que pour disjiaraître aussitôt. tant à une recherche d'autant plus atten-
Comment donc que dans cette im-
s'étonner tive de la vérité, qu'ils ont sous les yeux, dans
mensité de la nature, tel bien inférieur tire la [)ersonne des méchants, de plus tristes

toute la beauté qui lui est propre, non pas de exemples d'une coupable vanité. En elTel, » les
sa durée indéfinie, mais au contraire de la « œuvres de Dieu sont grandes et sont l'objet

rapidité avec laquelle elle naît et disparaît? «des complaisances de sa volonté- ». Et la


IX. Puisqu'il en est ainsi, il n'y a donc pas folie humaine voit avec déplaisir que la sa-

lieu de calomnier ce mot de la sainte Ecri- gesse divine se comidaise dans ses œuvres I

ture Dieu
: « vit que la lumièrebonne''?» est Quoi qu'elle en dise, celte complaisance nous
Non-seulement la lumière que Dieu a api)elée est clairement formulée dans ces paroles :

le jour, le firmament qu'il a appelé le ciel, le « Dieu vil que la lumière est bonne».

soleil, la et tous les astres, mais les bois


lune X. Revenons à ce loquace blasphémateur et
et les herbes;en un mot, tout ce qu'il y a de à son livre, véritable tissu de honteux blas-
périssable dans les eaux et sur la terre, tout phèmes plût à Dieu qu'il rougît de son
;

' Ps. Cl, 27, 2». — • Sag. XI, 21. — ' Gen. l, 4. '
Hom. li-, 22, 23. — ' Ps. ex, 2.
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS UE L'ANCIEN TESTAMENT, 483

œuvre, et qu'au lieu de la trouver bonne, il la tence ; et c'est ainsi qu'il se prononça sur la
trouvât mauvaise ! Voici ce qu'il nous dit : mesure d'existence ou de durée qu'il lui plut
« Dieu ne savait pas encore ce qu'était la lu- d'accorder à chacune de ses œuvres. Mais in-
« mière et déjà, en la voyant pour la pre-
;
finie est la distance qui sépare la lumière
« mière fois, il jugea ([u'eile était bonne». incréée qui est Dieu, et la lumière que Dieu
Quand le Sauveur, après avoir entendu le a Pourquoi donc notre adversaire se
faite.

centurion, fut saisi d'admiration et dit à ses plaint-ilde ce que ces biens créés ne sont pas
disciples «En vérité, je vous l'affirme, je
: coéternels à Dieu ? Qu'il convienne plutôt
« n'ai pas encore trouvé une foi aussi grande qu'en créant ces biens. Dieu n'en avait nulle-
« en Israël », il ne savait pas encore ce qu'é-
'
ment besoin, puisque, de toute éternité, il

tait cette fui; et, dès qu'illavit, ill'udmiruîEt avait joui sanseux d'une félicité parfaite. Si
qui donc produisait celle foi dans le cœur du aucune nécessité ne forçait Dieu à créer ces
centurion, si ce n'est celui-là même qui l'ad- biens, sa bonté est donc la seule cause de leur
mirait? Pourtant, les insensés et les impies existence. Quant à faire un crime à Dieu d'a-
ont plus de raisons apparentes de blasphémer voir d'abord trouvé bonne une lumière qu'il
au sujet de l'admiration que témoigne Jésus ne cdnnaissait pas, quiconque serait éclairé
sur la foi de cet homme, qu'ils n'en ont de du plus faible rayon de lumière, compren-
reprocher à Dieu de trouver la lumiè.-e bonne drait ce qu'une telle accusation doit inspirer
aussitôt qu'il la vit. En eifet, que l'on arrête d'indignation et d'horreur.
ses regards sur des objets que l'on rencontre XI. Pour mettre le comble à sa folie, notre
habituellement, on peut les trouver bons, adversaire soutient que les ténèbres n'ont pas
c'est-à-dire s'y complaue et les approuver. Au eu de commencement, et que c'est d'elles que
contraire, dans langage ordinaire des hom-
le la lumière a pris naissance. Voici les paroles

mes, l'admiralion supi)Ose que l'objet auquel qui lui ont fourni cette absurdité des ténèbres
elle s'applique se [irésente d'une m mière ino- éternelles : « Au commencement Dieu fit le
pinée et imprévue. Or, Jésus possédait la pres- « ciel et la terre ; or, la terre était invisible et
cience universelle, et cependant, ce qu'il « informe, et les ténèbres s'étendaient au-des-
présentait à l'admiralion de ses disciples, il le « sus de l'abîme ». Ce qui produisit les ténè-
louait et lui-même. De même
l'admirait ,
bres, c'est le mélange confus du ciel et de la
quand Dieu contem[ila ses œuvres après les terre, et comme la lumière n'était pas en-
avoir créées, il est clair qu'il n'en aperçut au- core, tout ce chaos était nécessairement téné-
cune qu'il n'eût déjà vue en lui-même avant breux. Or, quel inconvénient peut-il y avoir
de la créer. Etait-il donc nécessaire que la à ce que les premiers fondements de l'univers
sainte Ecriture répétât si souvent que Dieu, en eussent été jetés dans les ténèbres, puisque la
considérant ses créatures, vil qu'elles étaient lumière, en apparaissant, devait leur donner
bonnes? Mais ne fallait-il |)as former la piété un caractère de bonté qu'ils n'avaient pas en-
des fidèles et leur apprendre que, quand ils core? L'homme, qui devait venir plus tard, ne
ont à juger des choses visibles et invisibles, trouverait-il pas dans ce perfectionnement
ils ne doivent pas s'en rapporter uniquement l'image du progrès qu'il lui faudrait réaliser
au sens humain, qui se scandalise souvent dans ses affections? Toutefois, celui qui, avec
de choses bonnes en elles-mêmes, parce qu'il l'assistance de Dieu, pourra se livrer sur ce
n'en connaît ni les causes ni la destinée? point à des recherches plus approfondies, ar-
Avant tout, ils doivent croire à la parole de rivera peut être à découvrir l'ordre atlmirable
complaisance prononcée par Dieu, et en tirer qui a présidé à la création de toutes choses. II

jjour eux la règle de leur jugement. En effet, est certain d'abord qu'on ne peut assimiler au
la facilité avec laquelle on développe ses con- néant la matière, dont l'auteur du livre de la
naissances, est toujours en proi)ortion de la Sagesse a pu dire : « Vous qui avez fait le
piété avec laquelle on croyait à la parole de « monde d'une matière informe '
». Parce
Dieu avantde lacomprendre.Dieuvitdoncque qu'on la dit. informe, on ne doit pas en con-
la lumière qu'il avait faite était bonne, parce clure qu'elle n'était absolument que néant;
qu'il lui avait plu de qu'après l'avoir
la faire, et d'un autre côté, elle ne fut pas coélernelle à
faite, il lui plaisait de lui conserver l'exis- Dieu, puisqu'elle a été créée enfin, elle ne
;

' Mau. vui, 10. ' Sag. Jl, 1».


484 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

fut pas créée par un autre que par Dieu. Du bien suprême et véritable, a créé tout ce que
moment que nous admettons en Dieu la toute- nous voyons, et les choses plus parfaites que
puissance, nous affirmons que pour créer tout nous ne voyons pas. Nous ne pouvons sans
ce qui existe, Dieu n'a eu aucun besoin de doute arriver à comprendre le mode même
trouver déjà faite une matière préexistante. de la création, mais cette création elle-même
Si donc cette matière existait, c'est Dieu qui s'impose invinciblement à notre intelligence.
l'avait créée. Loin de la regarder comme Avouons enfin que, quand on discute ces ma-
mauvaise parce qu'elle était informe, elle tières avec des ignorants dont l'unique désir

doit nous paraître bonne puisqu'elle pouvait estde blasphémer la sainte Ecriture, il est
recevoir une forme. En effet, si cette forme est
de recourir à cette subtilité de raison-
inutile

un bien, n'est-ce pas un bien aussi d'être sus- nements, qui n'ont de jtrix et de valeur que
quand la discussion s'établit entre des inter-
ceptible de quelque bien? Ainsi toute voix
locuteurs qui, avant tout, tiennent à rester les
confuse n'est qu'un cri inarticulé, et toute voix
devient articulée quand elle se forme de paroles enfants soumis de Dieu.

distinctes toute la différence vient donc de ce


;
XIV. Mais voici que notre adversaire fait sa
profession de foi; que le Dieu
sait, dit-il, «
que l'une n'a pas encore de forme, tandis que
il

« suprême est la splendeur incomparable de


l'autre est formée. Ce ne sont pas les paroles
« l'iiicompréhensible lumière » il en conclut
qui forment son de la voix, c'est plutôt la
le
;

aussitôt que cette science lui fournit une multi-


voix qui forme le son des paroles.
tude de connaissances contre les livres de la loi
XII. On ne saurait admettre que Dieu ait
et des Prophètes. Je voudrais d'abord qu'il
d'abord créé une matière informe, et qu'a-
temps plus ou moins
intervalle de
voulùtme dire de quelle lumière Dieu lui paraît
près un
seulement donné la forme à ce être la splendeur. Est-ce Dieu lui-même qui est
long, il ait
De même que celui qui parle lumière? est-ce le Père, et lui donne-t-il
cette
qu'il avait fait.
pour splendeur son Fils unique, dont il pro-
émet immédiatement des paroles articulées,
clame la divinité ? Si c'est là sa pensée, je l'ap-
et non pas une voix informe qu'il formerait
prouve, je le félicite. Mais quand je l'entends
plus tard de même, tout en admettant que
;

monde d'une matière informe, soutenir que Celui qui est la lumière de lu-
Dieu a tiré le

doit admettre aussi qu'il créa cette matière


mière, la splendeur incom[)arable de l'incom-
on
préhensible lumière, n'est pas le créateur de
en même temps que le monde. Toutefois, il
inutile d'établir une distinction l'univers, je le désapprouve et je le condamne.
n'est pas
Le monde a été fait par lui », ne
entre la matière première et l'œuvre même Ces paroles : a

peut-il pas les lire en même temps que celles-


qui en a été produite ces deux choses ont pu
;

« 11 était la lumière véritable qui éclaire


fort bien être créées en même temps, mais
ci :

« tout honune venant en ce monde ? » S'il


'

dans le discours on ne peut en parler simulta-


nément. ignore ces paroles, je condamne son igno-

XIII. Si donc première nous


cette matière rance, mais je le condamne et le réprouve
nom
de ciel, de plus énergiquement encore si, les connais-
est d'abord désignée sous le
sant,il n'aspire qu'à séduire et tromper ceux
terre, de terre invisible et informe, d'abîme
ténébreux, ne fallait-il pas lui prêter la déno- qui ne savent pas qu'il est écrit dans l'Ancien
Testament « Approchez-vous de lui et vous
mination de choses qui nous sont connues,
:

serez éclairés -. Le commandement du


puisque nos sens n'en pouva'ent avoir aucune «
de clartés et illumine
perception, puisque nous ne pouvions même
Seigneur est brillant

« les cœurs ' éclairez mes yeux, de crainte


pas en avoir l'idée? Nous pouvions bien la
;

« que je ne m'endorme du sommeil de la


comparer à ce qui nous paraît le plus dif-
mort ' ». Ce que demandait cet homme
forme, cependant nous ne pourrons jamais
«

concilier une difformité absolue avec l'idée


mortel, ce n'était pas de ne jamais goûter les
horreurs de la mort corporelle, ni de ne ja-
d'une chose visible permanente, ou avec une
forme intelligible. Que par ces mots, le ciel mais sentir le sommeil appesantir ses pau-
terre, désigné la nature spiri-
on ait pières il demandait (jue ses yeux fussent
;
et la
tuelle et la nature corporelle, soit toute autre éclairés et réalisassent par avance cette parole

chose qui puisse se concilier avec les prin- •


Jean , i , 10 , 9. — ' Ps- txxni ,
6. Ps. xvtii , 9. — ' Ps.

cipes de la foi, toujours est il que Dieu, le


.

LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 485

de l'Apôtre : « Les yeux de votre cœur sont puis , comment connaît-il la qualité et la
illuminés '
». quantité de cette lumière ? comment sait-il
XV. pour se donner un certain ton
Si donc, qu'elle est spirituelle ou corporelle? Admet-
de vanité, il affecte une certaine répugnance tra-t-on que les hommes fldèles, dont la vie
à admettre que la lumière ait tiré son origine corporelle sur la terre n'est qu'un pèlerinage
des ténèbres, qu'il rapproche ses hésitations loin de Dieu', peuvent, en toutejustice,ètreap-
de ces paroles de l'Apôtre « Autrefois vous : pelés la lumière de la foi, tandis que les anges,
n'étiez que ténèbres, et maintenant vous qui contemplent sans cesse la face du Père,
a êtes lumière dans le Seigneur*». Et qui ne pourront s'appeler la lumière'? Comment
donc a opéré ce changement si ce n'est , sait-il que cette lumière a été primitivement
Celui qui, au moment où les ténèbres cou- créée? comment sait-il que dans cette lumière
vraient l'abîme, s'est écrié « Que la lumière : il peut y avoir un soir et un matin? Où a-t-il
soit, et la lumière fut'?» Cette vérité se appris qae Dieu accomplit toutes ses œuvres
trouve encore plus clairement formulée dans en six jours, et que le septième il se reposa?
cette autre parole de l'Apôtre « Dieu qui a : les sept jours dont il vient d'être question,
« fait sortir la lumière des ténèbres, a illu- sont-ils des jours semblables à nos jours ordi-
a miné nos cœurs * » Mais peut-être qu'il . naires dont la durée est déterminée par la
ignore que les Ecritures prophétiques nous course du soleil? Si la lumière corporelle a
enseignent que le Fils est la lumière de la été créée, comment sait-il qu'elle a pu exis-
lumière ou la splendeur de la lumière qu'il ;
ter avant le soleil et avant le flrmament, qui
lise donc ce qui y est dit de la Sagesse «Elle : plus tard fut appelé le ciel, et qu'ensuite
« est la splendeur de la lumière éternelle ' » ;
elle a été séparée de la terre pour habiter les
ou encore « Chantez au Seigneur un can-
: hautes parties du monde? Comment sait-il
« tique nouveau que toute la terre chante la
;
que c'est Dieu seul qui a opéré cette sépara-
a gloire du Seigneur, chantez au Seigneur et tion de la lumière et des ténèbres ? En effet,
« bénissez son nom. proclamez hautement que entre ces ténèbres qui constituent la nuit, et la
aie jour, son salut, est sorti du jour"». lumière qui nous procure l'éclat si connu du
Quel est ce jour issu du jour? n'est-ce pas le jour, Dieu a placé des astres visibles à nos
Fils, lumière de lumière? Que Jésus-Christ yeux, et qu'il a chargés de marquer pour nous
soit le salut de Dieu, il suffît, pour s'en con- cette séparation. Est-ce l'indignation
ou le rire
vaincre, d'ouvrir l'Evangile et de méditer ces du mépris que mériterait à nos yeux celui qui
paroles prononcées par le vieillard Siméon, au viendrait nous dire, qu'en parlant des heures
moment où, tenant le Sauveur dans ses bras, qui partagent le jour, et du soleil qui déter-
il fut soudain éclairé, non pas par la chair, mine durée des heures. Moïse ne savait ce
la

mais par l'esprit : « Maintenant, Seigneur, qu'il ce qui explique pourquoi il


disait;
a laissez mourir en paix votre serviteur, parce nomme la lumière et le jour avant le soleil ?
« que mes yeux ont vu votre Salut' » Que les hommes se réunissent donc pour étu-
XVI. Mais, dira notre adversaire, vous con- dier à fond le livre de notre adversaire, et
fondez deux lumières parfaitement distinctes. qu'ils aient à répondre sur la question sui-
Celle dont il est parlé en ces termes a Autre- : vante Est-ce notre adversaire qui ignore la
:

fois vous étiez ténèbres, et maintenant vous nature, bien connue par Moïse, de la lumière
« êtes lumière dans le Seigneur », c'est la lu- et du jour; ou bien est-ce Moïse qui ignorait
mière spirituelle de l'àme et nou celle de la cettelumière et ce jour, bien connus de notre
chair. Au contraire, quand nous lisons « Dieu : hérétique et de ceux mêmes qui ne compren-
dit: Que la lumière soit, et la lumière fut », nent pas son langage? De ces deux proposi-
il s'agit de la lumière physique ou corporelle. tions, laquelle leur paraît la plus acceptable ?
Cette distinction est légitimement fondée ;
XVII. Au sujet de la réunion des eaux dans
cependant notre auteur ne doit-il pas, avant un seul bassin, quelle est cette question ou
tout, avouer que la lumière souveraine, qui plutôt ce reproche inspiré sans doute par la
est Dieu, a pu créer toute lumière inférieure plus profonde ignorance ? Ce serait à tort
et la créer bonne, quoique inférieure ? Et qu'il aurait été dit: « Que les eaux se rassem-
— — a blent en un seul lit, et que la terre appa-
Ephés. 1, 18. • Id. T, 8. - • Gen. 1, 3. — * II Cor. rv, 6.
' Sag.-vii, 26. — ' Ps. jcv, 1, 2. — '
Luc, ii, 29, 30. '
II Cor. V, 6. — '
Matt. ïTUi, 10.
486 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

a raisse '
». La raison qu'il en donne, c'est que Toutefois, Dieu lui-même permet aux vases
tous les objets créés étaient renfermés dans de colère de murmurer de semblables blas-
les eaux. Il ne sait donc pas que l'eau en s'é- phèmes , afin que
de miséricorde les vases
vaporant se raréfie et devient plus légère? que secouent le sommeil de leur négligence ',
quand forme en épais nuages elle oc-
tlle se et que saisis tout à coup d'une sainte ardeur
,

cupe plus d'espace? que cet espace est toujours pour répondre à ce langage pestilentiel, ils re-
en proportion de sa densité? et qu'enfin quand cueillent avec plus de sollicitude les salutaires
elle quitte la forme de vapeur pour prendre paroles de la sainte Ecriture. Notre adversaire
celle de liquide, elle ne vole plus dans les reproche amèrement au Créateur d'avoir dé-
airs, mais coule sur la terre? Qu'y a-t-i! donc femlu à l'homme, sa créature, de porter la
d'étonnant que l'eau en vapeur ait enveloppé main sur le fruit de la science du bien et du
toute la terre, tandis qu'en reprenant sa na- mal *. N'était-ce pas vouloir que l'homme
ture de liquide elle fut restreinte à un plus ressemblât aux animaux qui, eux non plus,
petit espace, laissant tout le reste à nu ? Voyez n'ont pas le discernement du bien et du mal?
ensuite, sous la puissance infinie de Dieu, la Après avoir donné à l'homme la supériorité
terre ouvrant dans son sein d'immenses sil- sur les animaux, n'était-ce pas lui refuser ce
lons où se concentre toute l'humidité, c'est-à- qui seul l'élève au-dessus d'eux ? A cela
dire l'eau dispersée sur toute la face et dans je réponds d'abord que celte défense portée
l'intérieur de la terre, et formant le lit majes- par le Seigneur, nous enseigne cette vérité
tueux de l'océan et des fleuves. Quelle contra- d'expérience, que dans la direclionà imprimer
diction présentent donc ces vastes sillons tor- à notre vie, il est souvent malheureux d'ap-
tueux s'enfonçant de plus en Jilus, à mesure prendre certaines choses , et qu'il en est
que le continent s'élève de jikis en plus sur d'autres dont l'ignorance est pour nous la
leurs rives? Ne pourrait-on pas aussi trouver, source du plus grand malheur. Ne serions-
dans celte matière encore informe de l'eau ou nous pas plus heureux d'ignorer les maladies
de l'abîme, la désignation évidente de ces deux et les douleurs ? Je suppose qu'un médecin

éléments fondamentaux, l'eau et la terre? nous inlerdise tel aliment qu'il saurait devoir
Dès lors cette parole a Que l'eau se ras-
: nous rendre malades ; qu'il appelle cet ali-
o semble », indi(iue qu'il lui a été donné une ment l'aliinent de la connaissance de la santé
forme fluide et mobile celte autre « Que la
; : et de la maladie, par la raison qu'en le prenant
a teire aride paraisse», désigne son immobilité nous apprendrions par notre expérience per-
dans le lit qui lui a été assigné. Il est certain, sonnelle, la différence qui sépare la sauté de
en effet, (]ue le Prophète, auteur de la Genèse, la maladie ne vaudrait-il pas mieux, pour
;

entrevoyait dans son récit, en même temps nous, ignorer à jamais cette différence et
que le sens littéral, la figure de ce qui devait conserver une bonne santé, en acceptant par
arriver; mais ce sens spirituel ne peut êlre obéissance la parole du médecin, et en re-
saisi et compris que par les hommes paci- nonçant à faire l'expérience de la maladie ?
fiques et fidèles. Quoi qu il en soit, il est facile En agissant ainsi nous agirions sagement, et
de se convaincre que tout homme qui cherche jamais la pensée nous viendrait-elle de dire
pieusement la vérité, ne trouve plus de diffi- que ce médecin eût été jaloux que nous ac-
cultésinsurmonlables, et|ieutjustiflerdeinille quérions celte science ? Quelqu'un peut-il
manières l'infaillible autorité de l'écrivain douter que le péehé soit un mal ? Cependant
sacré. Ildonc qu'un instinct véritable-
n'y a il a été dit à la louange de Jésus-Christ, «qu'il

ment diabolique qui ait pu inspirer à notre ne connaissait pas le péché ^ ». Jésus-Christ
adversaire la pensée de calomnier des vérités ne connaissait donc pas le mal par expérience;
qu'il est incapable d'approfondir. il n'avait donc pas cette connaissance du bien
XVIII. Mais voici qu'il se soulève, ingrat et et du mal qu'il fut défendu à Adam de cher-
aveugle, contre le Dieu son créateur voici ; cher à acijuérir. Me demanderez-vous com-
que , s'adressant à celui qui l'a formé , il ose ment il condamnait ce qu'il ne connaissait pas?
lui dire : « Pourquoi m'avez-vous fait ainsi? » Il le condamnait ; or, l'Apôtre a dit : « Tout
Puisqu'il ignore comment il a été fait, son « ce qui mérite d'être repris se découvre par
langage n'est-il pas le comble de l'audace ? « la lumière, car il n'y aque la lumière qui dé-
'
Kom. i.\, -0, liJ. — ' Geii. Il, 1". — *
11 Cor. v, 2\.
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 487

CI » Comment donc reprendre des


couvre tout '
. pousseront-ils la folie jusqu'à soutenir, ou bien
choses que l'on ne connaissait pas ? Je réponds que l'homme voit ce qu'il aurait dû y avoir
hardiment que Dieu connaissait le mal et ne le de mieux dans sa création, tandis que Dieu
connaissait pas; il le connaissait [)ar sa sagesse ne l'a pas vu ou bien que Dieu l'a vu, mais
;

et ne le connaissait pas par expérience. Adam qu'il n'a [las voulu le réaliser; ou enfin que
devait donc croire à cette divine sagesse; et par Dieu l'aurait voulu, mais qu'il ne l'a pas pu?
son obéissance à l'ordre de Dieu, il se serait Que le Seigneur éloigne des cœurs fidèles de
épargné de connaître le mal par exiiérience. semblables blasphèmes Une raison droite
1

Sans cette désobéissance il n'aurait pas connu nous enseigne que toute créature raisonnable,
le mal. C'est donc sur lui et non sur Dieu que qui ne se sépare pas de Dieu par la désobéis-
le mal est retombé. Car en voulant enfreindre sance, est meilleureque celle qui s'en sépare ;

la loi de la soumission il devait s'attendre à ,


tout homme qui comprend ce principe ne
être frap[>é parla loi delà justice. Voyez à celte doit pas oublier que toute nature qui n'a pas
occasion l'économie du châtiment parce qu'il ;
abandonné Dieu jouit de tous les dons cé-
,

refuse d'obéir à Dieu, il lui devient imposïible lestes, et, de plus, qu'il n'y a aucune néces-
de s'obéir à lui-même. Mais j'ai développé celte sité au inonde qui puisse la forcer de se sépa-
pensée dans d'autres ouvrages, et en particulier rer de Dieu. D'un autre côlé, quoique cette
dans le quatorzième livre de la Cité de Dieu. nature se soit volontairement séparée de
XIX. Maintenant je réponds en peu de mots Dieu, Dieu n'a rien changé dans les disposi-
au reproche que noire adversaire adresse à tions de son infinie sagesse les bons et les
;

Dieu, d'avoir défendu à l'homme, sa créature, méchants sont soumis à ses décrets éternels
;

ce qui devait lui procurer le plus grand bon- et il nous atteste lui-même que, de ce genre
heur, d'avoir voulu le rendre semblable aux humain justement condamné, il en séparera
animaux en lui interdisant la connaissance du une famille sainte et nombreuse, qu'il sancti-
bien et du mal. Celte connaissance, loin d'être fiera par le don gratuit de sa grâce, pour lui
l'œuvre de la sagesse dans un homme heureux, faire goûter ensuite les joies de son royaume
n'est, en eCTet, que le fruit de la triste expé- éternel.
rience d'un malheureux. Si donc défense fut XXI. A ce prix, pourquoi donc Dieu aurait-
intimée à l'homme de manger du fruit de cet ilcaché l'arbre funeste qu'il a appelé l'arbre
arbre, c'est que Dieu voulait lui donner une de la science du bien et du mal, puisqu'après
haute idée de cette vertu d'obéissance qui est y avoir touché contre la défense, si l'homme
la (dus grande, et pour ainsi dire, la source et laisse ouvrir son cœur à la connaissance du
la mère de toutes les vertus il voulait aussi ; bien infini dont séparé et de la pro-
il s'est

lui faire comprendre que tout gratifié qu'il fondeur du mal dans lequel il est tombé, il
flit do l'immense bienfait du libre arbitre, obtiendra infailliblement miséricorde? Pour-
c'était une nécessité pour lui de vivre sous la quoi cacher ce qui faisait l'objet d'un pré-
dépendance d'un être meilleur. Je sais que cepte et ce qui devait faire ressortir le mérite
certains auteurs ont regardé comme un grand de l'obéissance ? Dieu n'ignorait pas que
bien celle connaissance du bien et du mal : l'homme pécherait, mais il savait en même
seulement ils attribuent à l'incapacité de la temps, dans sa prescience divine, ce qu'il de-
posséder le malheur de ceux qui se sont ap- vait faire de l'homme pécheur, et comment il
puyés sur elle pour violer le précepte et se déploierait à son sujet l'immensité de sa jus-
rendre coupables de désobéissance. tice et de sa bonté. Il n'imposa à l'homme au-
XX. A les en croire, il aurait fallu que cune nécessité de pécher, si l'homme refusait
l'homme fût créé de telle sorte qu'il n'eût de pécher. On peut même dire que Dieu ne
jamais la volonté de pécher mais ne devrait- ;
fit qu'aider la volonté de l'homme à persévé-

il pas leur suffire qu'il eût le pouvoir de ne rer dans le bien car, pour observer l'obéis-
;

pas pécher, n'en avait pas la volonté? Ad-


s'il sance, l'homme avait besoin d'avoir la pro-
mettons que l'homme eût été plus parlait s'il messe d'une grande récompense d'un autre ;

n'eût pas eu la volonté de pécher, mais ne côté, le châtiment dont sa révolte serait frap-
suffit-il pas, pour justifier sa création, qu'il pée, devait servir d'exemple salutaire à sa
ait le pouvoir de ne pas pécher ? Ou bien postérité, et rehausser à ses yeux le mérite de
* Epbés. V, 13. l'obéissance. Dieu n'a donc pas demandé l'im-
488 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

possible ; ce qu'il a voulu, c'est ou bien que été vainqueur, puisque, avant tout, il a été
l'homme ou bien, s'il désobéissait, qu'il
obéît, pour lui-même son propre séducteur? Pour
fût justement puni. Ce ne fut pas même en être vrai, je dois dire que le séducteur etcelui
vain qu'il intima un commandement auquel qui s'est laissé séduire ont tous deux été trom-
l'homme devait se soustraire, car le châti- pés, en s'éloignant de celui qui ne peut être
ment qui frappa le coupable apprit éloquem- trompé tous deux ont été vaincus, en se sé-
;

ment aux autres à obéir. Qu'on ne dise pas parant de celui qui ne peut être vaincu. Celui
que dans l'homme c'est une partie de Dieu qui s'en est séparé le plus, c'est celui qui a
qui a résisté à Dieu car si l'âme était une ; subi la plus grande défaite, car il lui est de-
partie de Dieu, elle n'aurait pu être séduite venu d'autant plus inférieur qu'il est devenu
par quoi que ce soit rien n'aurait pu ; plus mauvais. Il suit de là que celui qui ex-
la déterminer ni à pécher ni à souffrir; térieurement paraît vaincre en soufflant le
elle n'aurait pu changer ni en bien ni en mal à un lui-même englouti sous une
autre, est
mal. ruine plus profonde, à raison du bien qu'il a
XXII. Quant à ce souffle que Dieu inspira à perdu. Il n'est donc pas possible que sa con-
l'homme ', il fut formé par Dieu, mais non dition soit meilleure, puisque sa cause est
de sa substance. Le souffle de l'homme n'est pire.Admettons que le démon ait vaincu pour
pas une partie de l'homme il ne le forme pas ; un temps, en triomphant de l'homme, quelle
de sa propre substance, mais de l'air qu'il défaite éternelle ne subit-il pas par la rédemp-
respire et qu'il exhale; Dieu, au contraire, tion de l'homme ! Il s'écrie sans doute :

peut le tirer du néant et le douer de la vie et « Voici qu'Adam est devenu comme l'un
de la raison. Quelques auteurs ont prétendu « d'entre nous »; mais ces paroles, loin d'être
'

que le premier homme n'était point animé une affirmation véritable sont plutôt un ,

avant que Dieu lui soufflât sur le visage, et reproche. « Pardonnez-moi cette injure * »,
que ce ne fut qu'alors qu'il fut doué d'une dit également l'AjJÔtre, donnant à ses paroles
âme vivante, et qu'il reçut le Saint-Esprit. un sens ironique qui supposait qu'il s'adres-
Cette question ,
quelque opinion que l'on sait non pas à un juge instruit, mais à un igno-
adopte, nous entraînerait trop loin ;
qu'il rant calomniateur.
nous de savoir que l'âme n'est point
sufflse XXIV. Or, celui qui ne peut souffrir que
une partie de Dieu, qu'elle n'a pas été tirée l'arbre de vie soit interdit au pécheur, ne
de sa propre substance, mais qu'elle a été prouve-t-il pas qu'il veut faire le mal et res-
créée du néant. ter impuni? Il était facile à Dieu de retirer la
XXIII. Il nous j)araît également absui'de de vie à l'homme s'il l'avait voulu mais parce ;

soutenir, avec notre blasphémateur, que le que les âmes raisonnables vivent de la sa-
serpent eut un sort plus heureux que celui gesse, parce que l'ignorance ost pour elles
de Dieu, puisqu'il parvint à tromper l'homme une mort véritable, quoi de plus naturel que
créé par Dieu *. En effet, jamais l'homme d'entendre Dieu défendant à l'homme de
n'aurait été trompé, son cœur gonflé par si toucher au fruit de l'arbre, voulant même le
l'orgueil ne se fût séparé de Dieu. Elle est donc soustraire à la mort corporelle? Maintenant,
vraie, puisqu'elle est divine, cette maxime : si après sa séparation d'avec Dieu, nous voyons

a Avant la ruine le cœur est exalté ^ ». Dès l'homme condamné aux horreurs de la mort,
qu'il s'élève contre Dieu, il en e«t abandonné et à la consomption de l'âge, malheurs qu'il
se couvre aussitôt de ténèbres épaisses. Qu'y n'aurait pas connus s'il avait voulu se con-
a-t-il d'étonnant si, au sein des ténèbres qui tenter de la nourriture qui lui était permise,
l'environnent, ne sait plus à qui il obéit?
il tout cela ne nous révèle-t-il pas que déjà, par
Car la lumière dont il est éclairé ne vient pas le péché, son âme était séparée de l'arbre spi-
de lui, mais de Dieu qui est la lumière véri- rituel de la vie, et qu'elle était déjà morte
table. Ce qui prouve que Dieu est toujours d'une mort inférieure? L'Esprit-Saint nous
resté vainqueur, c'est que l'homme est vaincu; dit, en parlant de la sagesse « Elle est l'arbre:

et il n'eût pas été vaincu, s'il ne s'était pas a de vie pour ceux qui l'embrassent ' ». C'est
séparé de celui qui est toujours victorieux. cette parole que notre adversaire ne comprend
Comment donc le séducteur de l'homme a-t-il pas, comme il le prouve par ce passage :
' Geo. I, 7. — ' Id. m, !-6. — • l'rov. xvi, IP '
GcD. 22. —
III,11 Cor. XII, 13. —
' Prov. m, 18. '
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 489

« Avant la malédiction, avant d'avoir touché «en paradis'Etre avec Jésus-Christ, c'est
».

« au fruit de l'arbre, rhomme


immortel pou- être avec l'arbre de vie. Car c'est lui-même
« vait-il donc vivre éternellement?» Ne di- qui est la sagesse dont il est écrit « Elle :

rait-on pas que quelqu'un lui a enseigné ou « est l'arbre de vie pour ceux qui l'embras-

qu'il a lu dans un livre qu'Adam n'avait pas « sent ».


encore touché à l'arbre de vie? La seule con- XXVII. Dois-je m'atlacher à réfuter ces
clusion à tirer, c'est que, si l'homme pouvait autres objections qui ne lui paraissent à lui-

y puiser une vie inamissible, c'était pour le même que des plaisanteries spirituelles? D'a-
soustraire à la corruption de l'âge; et si ce bord, Dieu n'aurait pas su par avance ce qui
même homme reçut la défense de toucher à est arrivé ; ensuite, il n'aurait pu réaliser ce
cet arbre. Dieu avait arrêté, dans ses décrets qu'il s'était proposé lieu, pour
; en troisième
éternels, que la mort serait le châtiment né- se venger de sa défaite, il aurait eu recours
cessaire de son péché. aux malédictions. Comment sait-il que Dieu
XXV. Notre adversaire demande « Com- : n'avait pas prévu ce qui est arrivé ? Est-ce par
« ment, par suite de la malédiction de Dieu, ce qui est arrivé ? Mais si ces événements ne
« rbomme a-t-il commencé à mourir, puis- s'étaient pas accomplis, il n'aurait pas pu les
« que ce n'est pas la rnalédiclion qui a com- prévoir, puisqu'ils ne devaient pas arriver.
« niencé à le faire vivre? » Ne dirait-on pas Dira-t-il que, s'il les avait prévus, il aurait à
que Dieu a souhaité la mort à l'homme, comme l'avance pris toutes ses mesures pour en em-
nous voyons des hommes se la souhaiter les uns pêcher la réalisation ? On pourrait en dire au-
aux autres ? N'est-il pas évident que les paroles tant de Jésus-Christ, qui confia un talent à un
de Dieu sont la sentence d'un maître qui punit, homme qui ne devait pas le faire fructifier,
etnon l'expression d'une colère qui maudit? quand, cependant, il ne le lui confiait que dans
En punissant l'homme de la mort corporelle, le but d'augmenter son trésor. Parce que, grâce
Dieu, simplement, le séparait de l'arbre de à sa paresse, ce dépositaire n'obtint aucun pro-
vie parce qu'il était déjà mort spirituellement, fit,en conclurez-vous que son Maître n'avait
et que dans son âme il était privé de l'aliment pas prévu cette paresse ? Vous pouvez con-
de la sagesse. En le séparant de l'arbre de vie, clure également que Jésus-Christ n'a pu réa-
symbole de la sagesse. Dieu voulait donc faire liser ce bénéfice malgré ses ardentes préoccu-

connaître à l'homme ce qui s'était passé dans pations à ce sujet. Ou bien pourquoi ne pas
son âme. dire que pour se venger de sa déception, il eut
XXVI. « Cet arbre qui dans le paradis por- recours aux malédictions ? N'est-il pas dit :

« lait des fruits de vie, à qui servait-il ?» A « Liez-lui les mains et les pieds et jelez-le dans
qui mais au premier homme et à la première
? « les ténèbres extérieures ^ ? » Adam avait été
femme, placés par Dieu dans ce jardin de traité de la même manière, Dieu ne l'avait

délices. Plus lard, quand, en punition de leur séparé de l'arbre de vie que pour le frapper
iniquité, ils eurent été chassés de ce lieu, cet de la mort corporelle ^ Ainsi, aux yeux de
arbre resta pour leur rappeler le souvenir de notre habile adversaire, la malédiction lancée
la vie de l'arbre spirituel. Cet arbre, nous par le vaincu est la conséquence de l'impuis-
l'avons dit, c'est lasagesse elle-même, immua- sance où il s'est trouvé de faire accomplir son
ble nourriture des âmes bienheureuses. Si commandement. Alors qu'il affirme l'impuis-

nous en exceptons peut-être Enoch et Elie, sance de Jésus-Christ, puisqu'il n'a pu réa-
quelqu'un se nourrit-il maintenant de cet ali- liser, malgré ses désirs, son trésor de richesses

ment? je crois qu'on ne peut l'alfirmer sans spirituelles ;


qu'il dise qu'il est devenu la proie

témérité. Mais si les âmes des bienheureux ne de la jalousie et de la méchanceté, jusqu'à


se nourrissaient pas des fruits de cet autre ar- envier la lumière et le salut à son propre ser-
bre de vie, planté dans le paradis spirituel, viteur qu'il fait jeter dans les ténèbres, où il

nous ne lirions pas dans l'Evangile que le bon y aura des pleurs et des grincements de dents.
larron, en récompense de sa piété et de sa no- S'il n'ose tenir ce langage contre Jésus-Christ,
ble profession de foi, reçut de Jésus-Christ la c'est qu'il craint de ne plus paraître chrétien
promesse solennelle que son âme entrerait aux yeux de la foule, qui le prendrait pour un
ce jour-là même en paradis : « Eu vérité, je apostat. Comment donc ose-t-il, contre le

te l'assure , tu seras aujourd'hui avec moi '


Luc, xxilt, 4:f.— Malt. XXV, 15-30. — ' Gen. m, 2-1, 19.
490 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

Créateur de l'homme et son juge équitable, tions '. Saint Paul n'hésite pas à nous ensei-
tenirun langage qu'il n'ose pas se permettre gner la même doctrine, parce qu'il en connais-
contre le Rcdem pleur de l'homme, quoique le sait foute la vérité Dieu leur enverra des
: «
mépris de ses préceptes entraîne également la « illusions si efficaces qu'ils croiront au men-
réprobation éternelle? Mais, quoi qu'il fasse, « songe, afin que tous ceux (jui n'ont point
ses trails se retourneront tciujours directement « cru à la vérité et qui ont consenti à nni()uité,
contre Jésus-Christ qui a dit lui-même : « Si « condamnés ». C'est ce qui eut lieu
soient ^"

Cl vous croyiez Muïse,vous me croiriez sans doute sous gouvernement de Moïse, car Dieu lui
le
car il a parlé de moi » Qu'est ce donc
« aussi, '
. dit :Prends tous les chefs du peuple et ira-
(I

que Père a fait qu'est-ce qu'il fait encore


le , « moie-les au Seigneur en face du soleil»,

sans son Fils? C'est pour aidera notre salut c'est-à-dire au grand jour '. De même, à l'oc-
que la sainte Ecriture exalte non-seulement la casion de l'idole fabriquée pendant l'absence
bonté, mais encore la sévérité de Dieu car s'il ;
de Moïse, celui-ci en tira une vengeance écla-
est utile d'aimer Dieu, il ne l'est pas moins de tante en frappant fous les impies, sans en
le craindre, ce qui a fait dire à l'Apôtre: «Vous excepter ses propres parents *. Jésus a dit
« voyez donc la bonté et la sévérité de Dieu^ ». aussi «Ceux qui ne veulent pas que je sois
:

Pourquoi, dès lors, cet insensé, qui affiche « leur roi, amenez-les et frappez-les de mort
encore son cbrislianisme, reproche-t-il au « eu ma présence^ ». Il s'agit ici évidemment
Dieu des Prophètes ce qu'il approuve dans le de la mort des âmes, mais n'est-elle pas plus
Dieu des Apôtres ? Le Dieu des uns n'est-il pas à craindre et plus horrible que la mort du
le même que le Dieu des autres? corps? Le même
Sauveur dit à ce sujet « Ne :

XXVIII. j'ai parlé du serviteur jeté dans les « craignez pas ceux qui tuent le corps et ne

ténèbres extérieures; c'est là l'œuvre de la «peuvent tuer l'âme; craignez plutôt celui
sévérité de Dieu. L'accusera-t-on d'impré- « qui peut précipiter l'âme et le corps dans les
voyance pour avoir confié son argent à un « flammes éternelles * ».
tel serviteur ? L'accusera-t-on d'impuissance XXIX. Il suffit d'étudier attentivement ce
parce qu'il n'a pas obtenu le résultat qu'il se genre de mort qui précipite les âmes dans les
proposait? L'accusera-t-on de jalousie et de flammes éternelles, pour envisager avec un
méchanceté parce qu'il a jeté ce serviteur profond mépris ces hécatombes horribles ,
dans les ténèbres? Eh bien 1 on ne saurait ces fleuves de sang, où périssent des corps
trop le remarquer, il y a une simililude par- qui doivent périr quelque jour et de quel-
faite entre cette manière évangélique de pro- que manière. Notre adversaire fait de ces
céder, et tous les chàlimenls dont nous trou- supplices une jieinture exagérée, où il dé-
vons le récit dans les livres prophétiques. roule tous les ressorts de sa rhétorique, et
S'agit-il du déluge? LeSauveurJésusannonce cela dans le but évident de soulever le blas-
quelque chose de semblable pour le moment phème contre Dieu et de l'accuser de cruauté
de son relour sur la terre: «Au temps de Noé à l'égard de ceux à qui il voulait ins[iirer
« les hommes
mangeaient, buvaient, plan- pour jugements éternels une crainte sa-
ses
« taient, bâtissaient, se mariaient; le déluge lutaire. Dans toutes ses descriptions, on voit
a arrive et tout est détruit il en sera ainsi à ; iju'il cherche à produire sur les sens une hor-

« la venue du Fils de l'homme ^ ». S'agit-il reur profonde, et il croit faire beaucoup


de l'endurcissement du cœur de Pharaon ? en se ruant contre l'aiguillon comment ;

En parlant de certains hommes, le Nouveau donc ne voit-il pas qu'en reprochant à la


Testament nous dit « Dieu les a livrés à un : providence de Dieu la mort de la chair, il
a esprit réprouvé, afin qii ils fassent ce qui ne mérite pour son âme les tourments de la
«convient pas*». L'Apôtre parle ici de cet mort éternelle? Quel homme ne préférerait
esprit menteur que Dieu, par ini juste juge- être frappé du glaive, comme les fornicateurs
ment pour montrer qu'il se sert des justes
et le furent, au sein même de la volu|)lé, par le
et des pécheurs, envoya à un roi impie pour grand prêtre Phinées, donnant ainsi l'exemple
le tromper c'est le iirophèle Michéequi nous
; de la terrible vengeance que méritent ces
l'alleste dans le récit de l'une de ses révéla- honteuses passions, et se rendant par là très-

' Ju;.i, V, lli. Koiii. Al, 22. — '


Luc, Avii, 26, 27. — * Rom. Mil Uois, A.\l', 10 -:' '
il Tlies!.. 11. 111, 11. —' Ni.mbr.

I, 28. XXV, i, —
* Exode, AXMU '
Luc, .MX, 27. — • Mail. A, 2».
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 491

agréable à Dieu; quel homme, disons-nous, auraient pu vieillir ; mais,un peu plus tôt ou
ne préférerait mourir de cette manière, être un peu plus tard, lamort devait toujours
consumé par le feu et voir son cor|is mis en clore leur existence. Nous voyons même dans
lambeaux, iilulôt que d'être précipité dans les l'Ecriture' que des hommes furent frappés de
flammes éternelles? Pourquoi donc le Dieu la mort en punition, non pas de
corporelle,
des cbréliens frappe-t-il les pécheurs de tré- leurs propres péchés, mais des péchés des
pas plus cruels, et leur annonce-t-il qu'api es autres. Au point de vue temporel, le malheur
cette mort temporelle il y aura pour eux un des vivantsest(dutôt dans la douleur du cœur,
supplice sans fin? N'est-ce pas parce que le que le châtiment des mourants n'est dans la
Dieu des deux Testaments est un seul et même dissolution du corps; ([uant aux âmes, à leur
Dieu? Pour confondre l'impiété de notre ad- sortie du corps leur destinée est toute faite,

versaire, quelque complaisance qu'il mette à bonne ou mauvaise et celte destinée n'est ,

exagérer les guerres, les massacres, les bles- nullement aggravée par la manière plus ou
sures, les ruisseaux de sang, les Juifs ne pour- moins violente dont le corps a été dissous on ;

raient-ils pas lui répondre qu'ils servaient peut être frappé de la mort corporelle pour
un Dieu beaucoup moins cruel que le nôtre, le crime d'autrui, on ne l'est jamais de la

car lamort corporelle dont il frapiiail les cou- mort de l'âme. Voyez aussi ce qui est advenu
pables était bien douce en comparaison des à cet homme qui osa se présenter au festin
flammes éternelles de l'enfer? des noces, sans avoir pris le vêtement nuptial.
XXX. Mais du moins ne peut on pas repro- A ne juger ce fait qu'au point de vue pure-
cher au Dieu de la loi et des Prophètes d'avoir ment humain, tout ce qu'il méritait c'était la
puni de la mort corporelle des fautes bien honte et l'obligation de changer de vêtement,
légères et presque méprisables? Ainsi David pour satisfaire a l'indignation trop légitime du
est sévèrement châtié pour s'être permis le maître. Lt cependant, écoutez la sentence :

dénombrement de son peuple '; les enfants, « Liez-lui les ?nains et les pieds et jetez-le
c'est l'expression dont il se sert, les fils du dans les ténèbres extérieures, où il y aura
grand pré. re Héli, furent frappés de mort «pleur et grincement de dents - ». Mais,
pour avoir puisé dans les chaudières quelques dira notre adversaire , ce n'était pas une
parties des victimes brûlées en l'honneur du faute légère de n'avoir pas pris le vêlement
Très-Haut. Je n'ai pas à déterminer le degré nuptial, car souvent de petites choses en in-,
de culpabilité de ce vice de l'orgueil qui ins- diquent de plus grandes. Les sacriûces visibles
pira David dans le dénombrement qu'il Gt de sont peu de chose, envisagés au point de vue
son peuple; je constate seulement que le châ- matériel, et cependant ont une haute im- ils

timent n'a été que la mort temporelle, Id- portance pour l'honneur de Dieu
le culte et ;

quellf devait toujours arriver à ces hommes n'est-ce pas dans cet honneur rendu à Dieu par
dont la multitude avait enflammé l'orgueil de les sacrifices que les fils d'Héli se préféraient
David. Je nie aussi que les fils dlléli n'aient à Dieu? convive ne se préféra pointa
Ici le
été que des enfants, comme il les appelle par ré|)Oux, mais il l'humilia par la simplicité et
ignorance; pour oser, dans les sacrifices, se la négligence de son vêtement. Et cependant,
donner à eux-mêmes la préférence sur le Sei- si on examine
châtiment dans ces deux cir-
le
gneur Dieu, ne devaient-ils pas être arrivés à constances, de comprendre que le
il est facile
cet âge où l'on peut commettre un crime et dernier l'emporte en sévérité sur le premier,
en subir le châtiment? C'est pour venger cet dans la proportion que les châtiments spiri-
outrage que Dieu fit éclater la guerre, non tuels et éternels l'emportent sur les châti-
pas assurément dans un but purement per- ments corporels et temporels.
sonnel, mais poursauvegarder la religion et la XXXI. Mais à une intelligence charnelle,
piété sur lesquelles reposaient l'existence et la pourquoi essayer de faire comprendre la si-
prospérité du peuple d'israéi. La mort venant gnification symbolique des sacrifices et du
les frapper dans le combat d'une manière et vêlement 'nuptial? Parlons de choses plus
dans des circonstances aussi tragiques, a pu faciles à saisir. Le Sauveur comparant l'Evan-
réveiller dans les âmes la crainte salutaire du gile à la loi ancienne, déclare ouvertement
Seigneur; sans ce bâtiment ces coupables que la loi ancienne était bonne en elle-même.
il Kois, A.\l^. ' I Koi», u-iv. — = iiatt. xnu, ll-lo.
.

492 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

mais que l'Evangile qu'il enseigne est plus stérilité, et comme l'arbre stérile on acquiert
parfait Vous avez appris qu'il a été dit aux
: a des droits au supplice éternel. Vous voyez donc
« anciens Vous ne tuerez pas, et celui qui se
: comment se réalise cette parole « Tout homme :

rendra homicide sera déclaré coupable au « est menteur' vous mettez cet adversaire
»; si
«jugement. Et moi je vous dis: Quiconque en demeure de répondre, pour se justifier il
« nourrira la colère contre son frère, sera atténue la faute et aggrave le châtiment son ;

« coupable au jugement celui qui lui dira ; : esprit tout charnel l'empêche de voir la faute,
« Racha, sera coupable devant le conseil, et et sa chair mortelle se prend d'horreur pour
« celui Fou, sera digne du feu
qui lui dira : le châtiment. C'est là ce qui nous explique
8 éternel Quel péché nous paraît plus léger
'
». pourquoi les châtiments corporels infligés aux
que de dire à son- frère Vous êtes un fou? : hommes sous l'ancienne loi, lui paraissent
Quel châtiment peut être comparé au feu éter- beaucoup plus rigoureux que ceux dont me-
nel ? Si la loi ou les Prophètes, sous l'inspi- nace l'Evangile. Que sont les horreurs du
ration de Dieu, avaient condamné à être lapidé déluge en comparaison de celles de l'enfer ?
celui qui aurait dit à son frère Vous êtes un
: Auprès des tourments éternels que sont les
fou, de quelle cruauté Dieu ne serait-il pas massacres, les blessures et la mort des corps ?
accusé par notre adversaire ? Eh bien qui ! Cet insensé fait sonner bien haut la mort de
n'eût pas préféré non-seulement être lapidé, hommes, comme si vrai-
vingt-quatre mille
mais déchiré dans toutes les parties de son ment il n'en mourait un bien plus grand
corps, que de devenir la proie du feu éternel? nombre chaque jour sur toute la face de la
Et cependant aucun homme sensé ne dira que terre. La mort du corps n'est qu'une chose
le Dieu de l'Evangile est plus cruel que le transitoire mais comment compter les mil-
;

Dieu de la loi, puisque c'est un sêuI et même liers de pécheurs appartenant à toutes les na-
Dieu. Sous la loi, Dieu, pour se faire craindre tions et qui, au jugement dernier, seront placés
de son peuple, le menaçait de châtiments à la gauche et condamnés aux flammes éter-
charnels; dans l'Evangile il le menace de châti- nelles ?
ments spirituels. Dans la loi comme dans XXXIII. Mais voici que, les yeux fermés et
l'Evangile, Dieu est juste, mais il n'est pas la bouche ouverte, il proclame h grands cris
cruel. que Dieu lui-même a avoué sa cruauté, quand
XXXII. Ne faut-il pas supposer une haine il a dit par le Prophète « J'aiguiserai mon :

bien prononcée contre Jésus-Christ, et le désir a glaive comme la foudre, j'enivrerai de sang

bien vif de lui prodiguer le blasphème, pour a toutes mes flèches, et mon glaive dévorera

reprocher à Dieu d'avoir puni la profanation la chair de tous ceux qui seront blessés par
si souvent répétée des sacrifices offerts en son « le sang' ». Fort de ces paroles, il accuse Dieu

honneur, quand on entend le Sauveur, prédi- d'être toujours altéré de sang humain, comme
sant sa seconde venue sur la terre, lancer s'il avait dit Je m'enivrerai de sang ou Je
: ; :

contre les nations placées à sa gauche cette mangerai la chair trempée dans le sang Eh ;

terrible menace : « Allez au feu éternel, qui a bien supposant même à ces paroles toute la
!

« été préparé aux démons


anges? » Et et à ses cruauté qu'il se plaît à leur donner, je dirais
pourquoi cette sentence rigoureuse ? « J'ai eu encore: Qu'est-ce que ces paroles rapprochées
faim et vous ne m'avez pas donné à manger » de « Retirez-vous de moi, maudits,
celles-ci :

Ainsi pour un aliment temporel non pas , au feu éternel qui a été préparé au
et allez
pour l'avoir enlevé sacrilégement, mais pour « démon et à ses anges ? » Là, ce ne sont plus

ne l'avoir pas donné, Jésus-Christ menace des flèches toujours altérées de sang, mais des
d'un supplice éternel. Et il est facile de saisir flannues toujours atTamées des membres de
la vérité de celte sentence. L'aumône en elle- leurs victimes; ce n'est plus un glaive qui
même est une petite chose; mais quand on la dévore des chairs, en privant les morts de
fait avec piété, elle acquiert un mérite éternel. tout sentiment de douleur, aussi promptement
D'un autre côté, c'est précisément parce que qu'il leur imprime sa blessure, ce sont des
l'objet de l'aumône est d'une faible in)[)or- souffrances éternelles auxquelles personne ne
tance, qu'on ne peut le refuser sans une grande peut se soustraire |)ar la mort, car le châtiment
inipiclé. On se frappe alors d'une vérifaiile ne meurt pas. Pourquoi donc ne dit-il pasde
' Malt. V, ai, Ti. '
Pe. cxv, U. — = Deut. xxxii, 41, lii.
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 493

Jésus-Christ : « Un
Dieu doit-il être adoré,
tel tament tous les passages où se peint la bonté
« ne mérite-t-il pas plutôt qu'on le maudisse et de Dieu, et dans le Nouveau tous ceux qui re-
« qu'on le fuie avec horreur? » S'il ne tient flètent sa sévérité. La tâche ne serait pas dif-
pas ce langage contre Jésus -Christ, est-ce parce ficile, et alors il Le Dieu
pourrait s'écrier : «

qu'il craint de ne pas échapper au supplice « que nous devons adorer, Dieu bon c'est le

éternel qu'il prépare aux iin(iies ? ce misé- « et miséricordieux, plein de patience et de


rable ignore donc qu'en formulant ce blas- « longanimité, qui ne s'irrite pas jusqu'à la
phème contre le Dieu des Prophètes il le for- a fin et ne s'indigne pas éternellement ; qui

mule nécessairement et par le fait même a ne nous traite pas selon nos péchés, et ne
contre le Dieu de l'Evangile, dont il craint d'of- « nous punit pas selon nos iniquités ; qui re-
fenser la redoutable sévérité ? a jette nos péchés aussi loin de nous que l'O-
XXXIV. Il attaque ensuite le raisin de fiel, « rient est loin de l'Occident, qui a pitié de
la grappe d'amertumefureur des dragons et la « ceux qui le craignent, comme un père a
vengeances que Dieu
et des aspics, toutes ces « pitié de ses enfants je ne veux pas la '
;

nourrit en lui-même pour en frapper les im- « mort du pécheur, mais qu'il se convertisse

pies quand leur pied viendra à défaillir '. II a et qu'il vive - » mais nous ne devons pas;

ignore donc que ce sont là des figures sous adorer le Dieu qui, sous prétexte de punir l'a-
lesquelles Dieu nous dépeint sa justice qui varice, s'irrite contre le serviteur qui, sans
rendra à chacun selon ses œuvres. De là ces perdre le talent qui lui avait été confié, ne
paroles de l'Apôtre Cependant, par votre : a l'avait pas fait fructifier, et le condamne à être
« dureté et par l'impénitence de votre cœur, mains liés, dans les té-
jeté, les pieds et les
« vous vous amassez un trésor de colère pour nèbres extérieures où il y aura pleur et
a le jour de la colère et de la manifestation grincement de dents " ? N'adorons pas celui
«du juste jugement de Dieu, qui rendra à qui ne se contente pas de chasser du fes-
a chacun selon ses œuvres ' ». En qui donc tin le malheureux convive qui n'avait pas
le cœur impénitent s'amasse-t-il un trésor de le vêtement nuptial, mais le condamne éga-

colère? n'est-ce pas en Celui qui doit juger les lement à un éternel supplice * celui ((ui, à ;

vivants et les morts L'Ancien Testament ne


? celles qui viennent à lui, frappent et disent :

nous parle-t-il pas d'un trésor d'amour qui a Seigneur, ouvrez-nous», répond durement:
repose sur les lèvres du sage ^? Nous lisons a Je ne vous connais pas», et cependant tout
dans Proverbes que « Dieu amasse un
les leur crime était de ne pas avoir pris d'huile
a trésor de salut pour ceux qui l'aiment * », et pour en remplir leur lampe ^ celui qui, pour ;

dans Isaïe : « Notre salut est dans les trésors : là une seule parole injurieuse , condamne à
8 est la sagesse, là science et la piété envers l'enfer ^ celui enfin qui, pour le refus de
;

a Dieu. Tels sont les trésors de la justice ° ». donner à un pauvre une nourriture tempo-
Mais voici le comble de la fourberie de la part relle, condamne également au feu éternel ^

de ces insensés. Pour se donner raison dans En recueillant ainsi tous les passages les plus
leur haine contre l'Ancien Testament qu'ils doux de l'Ancien Testament et les plus sévères
ne veulent pas comprendre, ils y choisissent de l'Evangile , l'impie dont nous parlons
tous les passages les plus sévères afin de prou- pourra facilement tromper les simples, leur
ver la cruauté de Dieu, et de l'Evangile ils ne inspirer une profonde horreur pour la sévé-
citent que les endroits les plus doux, afin de rité et la cruauté de Jésus-Christ, et, au con-
bonté de Dieu. Leur strata-
faire ressortir la traire, un amour vif et tendre pour le Dieu
gème réussit auprès des honunes ignorants miséricordieux et doux de la loi et des Pro-
qui se prennent aussitôt d'iiorreur pour le phètes. Que cet impie fasse pour le Nouveau
Dieu de l'Ancien Testament, et d'amour pour Testament ce que notre adversaire a fait jjour
le Dieu de l'Evangile. Pourquoi, dès lors, un l'Ancien, où trouverait-on entre les deux une
impie ne pourrait-il pas se donner le droit ditl'érence, quanta l'impiété et au blasphème?
d'attaquer le Nouveau Testament comme Celui donc qui rend à Dieu l'adoration qui lui
notre adversaire attaijue l'Ancien? Il lui suffi- est due, proclame un seul et même Dieu pour
rait pour cela de prendre dans l'Ancieir Tes-
' Ps. en, 8-13. — ' Ezéch. xviii, 23 ; xxxiii, U. — '
Ma», xxv,
' Deul. xxxn , 32-35. — ' Rom. ii , 5 , 6. — ' Prov. xxi , 20. — 11-30. — * Id. i-xil , 11-13. - '
Id. XXV, 1,2.— » Id. V, 22. —
* Id. viii, 21. — '
Isa. xxiiii, 6. '
Id. XXV, 41, 42.
494 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

les deux Testaments, dans chacun des deux Jérusalem temporelle. Au contraire, sous le
iltrouve une bonté infiuic à aimer, el une Nouveau Testament, la foi produit la charité,
juste sévérité à craindre; dans l'Ancien, il et la charité fait accomplir la loi , moins par
lit lapromesse évidente de Jésus-Christ dans ; la crainte des châtiments que par amour pour
le Nouveau, il trouve les preuves infaillibles la justice ; voilà pourquoi nous disons que la
de sa venue sur la terre. foi et la charité enfantent les enfants de la Jé-
XXXV. Dans les livres anciens, ne lisons- rusalem éternelle Malgré cette différence '.

nous pas qu'on ne doit point rendre le mal bien sensible, de dire que sous la
il est vrai
pour le mal, puisque, si quelqu'un rencontre, loi il y avait certainement des justes spiri-
errant dans la camjiagne, la bête de somme tuels que ne tuait pas la lettre du précepte,
de son ennemi, il lui est commandé de la mais que vivifiaient l'esprit et la grâce ^ La
reconduire à la maison de son maître si elle ; foi au Messie futur habitait dans lesPrO|ihètes

a succombé sur le chemin, il ne doit pas con- et leur dictait, sous l'inspiration de Dieu, ces
tinuer sa route, mais aider son ennemi à la belles prophéties, histoire anticipée de Jésus-
relever ? N'y trouvons-nous pas ce précepte,
'
Christ. De même, il est de nos jours un grand
renouvelé depuis par l'Apôtre « Si votre en- : nombre de chrétiens charnels, pour qui l'i-

« nemi a faim, donnez-lui à manger, et s'il a gnorance des saintes Ecritures devient sou-
a soif, donnez-lui à boire '? » N'y lisons-nous vent un principe d'hérésie, ou bien (|ui, tout
pas ces paroles qu'adresse à Dieu tout homme en restant dans le sein de l'Eglise catholique,
qui veut Seigneur mon Dieu, si
lui plaire : « ne peuvent se nourrir que du lait des enfants,
a j'ai fait cela, si l'iniquité est dans mes mains, on enfin qui, en persévérant à n'être que la
a si j'ai rendu le mal pour le mal ^? » Jéré- paille, s'exposent à brûler dans les flammes
mie ne nous y déciit-il pas la patience du élernelles. Or, de même que Dieu est le seul
juste, qui présente la face à celui qui le et véritable Créateur des biens temporels et
frappe *? Un autre prophète n'ordonne-t-il pas éternels ; de même il est l'auteur uniijue des
à chacun d'oublier la méchanceté de son deux Testaments, car le Nouveau est figuré
frère '? Comment donc notre blasphémateur dans l'Ancien, et l'Ancien a été révélé et ac-
ose-t-il sur tous ces points opposer l'Ancien compli dans le Nouveau.
Testament au Nouveau ? comment pour ,
XXXVI. L'Evangile a poussé la miséricorde
mieux tromper les faibles, lui qui n'a aucune et l'oubli des injures jusqu'à ordonner de
connaissance des Ecritures, ose-t-il avancer pardonner les péchés à son frère, non pas
qu'il connaît la Bible et l'Evangile? Deman- sept fois, mais septante sept fois. Or, faut-
dez-lui si Celui qui condanme au feu éternel il en conclure que l'iniquité doit rester im-

pour un refus d'aumône, ne rend pas le mal punie, que la doctrine doit être somnolente
pour le mal, il se trouble; qu'il sache donc et oisive ? Assurément non, et j'ajoute que
qu'user de la vengeance traditionnelle, œil celte miséricorde n'est nullement incompa-
pour œil, dent pour dent, est un châtiment tible avec une punition vigilante et sagement
infiniment plus doux, quand la vengeance ne modérée. En effet, quand Jésus Christ a remis
dépasse pas les hmites de l'injure, que celui à son Eglise les clefs du royaume des cieux, il
dont l'Evangile menace un refus d'aumône; ne s'est pas contenté de dire « Tout ce que :

car ici la faute est transitoire et momentanée, « vous délierez sur la terre sera délié ilans le

et lechâtiment éternel. Que faut-il de plus, « ciel », lui traçant ainsi d'une manière évi-

s'ilne veut pas s'obstiner dans son erreur, dente l'obligation de rendre le bien et non le
pour le convaincre que les deux Testaments mal pour le mal. 11 a dit aussi «Tout ce que :

sont l'œuvre d'un seul el même Dieu, dont « vous lierez sur la terre sera lié dans le

nous devons tout à la fois aimer la bonté et « ciel », jiour nous enseigner que le propre de

craindre la justice? Il est vrai que dans l'An- la justice, c'est de punir le pC'. hé. Ces autres
cien Testament, ce iiui domine, c'est la pro- paroles : « S'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il soit
messe de biens temporels et la menace de « pour vous comme un païen et un publi-
châtiments temporels, et ce caractère a sur- « cain », formulent assurément une sentence
tout pour effet d'enfanter des esclaves de la bien plus redoutable que si le Sauveur avait
permis de frapper avec le glaive, de consumer
' Exod. ixm ,4,5. — ' Prov. xxv, 21 ; Rom. xii , 2». — '
Ps.
vu, 4,5. — ' Thren. m, 30 ' Lévii. xix, 18. '
Gai. IV, 22-31. 11 Cor. m, 0.
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 495

dans flammes ou d'exposer à la cruauté


les blâmer c'est que si le démon ne
;
savait pas

des bêtes féroces. Quand donc le Sauveur que le sacrifice est dii au seul Dieu véritable,

ajoute: «En vérité, je vous le dis, ce que vous il ne serait pas si ardent à se le faire offiir à

lierez sur la terre sera lié dans le ciel », il lui-même. En sa qualité de faux dieu, il veut
veut nous faire comprendre toute la gravité être honoré par ceux qu'il trompe, comme le
du châtiment qui pèse en réalité sur celui vrai Dieu l'est par ceux qui le servent; or, le
qui paraissait rester impuni. Qu'il vienne sacrifice est l'acte principal de tout le culte
nous dire, s'il l'ose : Est-ce ainsi que vous in- que nous rendons à Dieu. Quant à toutes les
terprétez le « Ne ren-
précepte du Seigneur : autres marques d'honneur dont nous entou-
a dez à personne mal pour le mal si quel-
le ;
rons la divinité, souvent des hommes aveu-
« qu'un vous frappe sur une joue, présentez-lui glés par un orgueil insensé ont voulu se les
« l'autre pardonnezà vos frères leurs injures
;
attribuer à eux-mêmes. Mais on n'en connaît
« à votre égard ? » Voici que les hommes
' qu'un très-petit nombre qui aient poussé
entre eux ne se rendent pas le mal pour le l'audace jusqu'à user de leur puissance royale
mal et un malheureux pécheur est plus
,
pour se faire offrir des sacrifices. Si peu nom-
cruellement attaché par les clefs de l'Eglise ,
breux qu'ils soient, par cela seul qu'ils l'ont
qu'il ne le serait par les chaînes les plus dures osé, ils ont voulu passer pour autant de
de fer ou de diamant Loin de moi, ajoute-l-il, ! dieux. Or, que Dieu n'ait aucun besoin de nos
de soutenir une semblable doctr ine, car je suis sacrifices, qui donc peut en douter? Nos
chrétien! Lors même qu'il léserait réellement, louanges ne lui sont pas plus nécessaires. De
il aurait gardé le plus profond silence, car le même donc que c'est à nous et non pas à
Dieu des Prophètes, dont il blasphème les Dieu que revient l'utilité des louanges que
écrits avec une complaisance si marquée, est nous lui adressons; de même ce n'est pas
un même Dieu a\ec le Dieu des Apôtres, pour Dieu, mais pour nous qu'il est utile de
dont il n'ose blasphémer les paroles. lui offrir le sacrifice. Le seul et véritable sa-

XXXVII. Notre adversaire ajoute : « David crifice, c'est l'effusion du sang de Jésus-Christ;

B demanda à Dieu d'épargner ceux qui n'a- or, c'est pour nous que ce sang a été répandu.

«vaient pas péché, mais ce ne fut qu'après C'est pour figurer et annoncer ce sacrifice,
« i'oblalion d'un sacriQce qu'il fut exaucé ^ »; que Dieu, dès les premiers jours du monde,
a on ne doit donc pas regarder comme un ordonna aux hommes de lui offrir des sacri-
a Dieu véritable, un Dieu qui fait ses délices fices dont les victimes devaient être des ani-

odes sacritkes». Déjà nous avons parlé de maux sans tache. Celte exemption de tout vice
ces châtiments qui entraînaient la mort d'un corporel dans ces victimes, faisait espérer aux
certain nombre d'hommes, mort temporelle hommes que Celui qui serait immolé pour
qui ne les conduirait pas à la mort de l'àme, et nous, serait seul immaculé et exempt de toute
qui était bien propre à étouffer tout sentiment souillure du péché. Voici dans quels termes
d'orgueil dans le cœur d'un roi. Quant au sa- le Prophète annonce ces heureux jours « Le :

crificeen particulier, notre adversaire prouve « Seigneur, Dieu des dieux, a parlé et il a ap-
qu'il n'en a aucune idée. Du reste, il est dans « pelé la terre depuis l'orient jusqu'au coû-
l'erreur, puisi|ue le peuple de Dieu n'offre te chant ; c'est de Sion qu'il tire sa gloire et sa

plus de sacrifices sanglants à Dieu, depuis «beauté». Un peu plus loin, dans le même
unique dont les autres
qu'il possède le sacriQce psaume, nous lisons « Ecoute, mon peuple,:

n'étaient que De même qu'une seule


la figure. « et je te parlerai ; par
Israël, et je t'affirmerai

et même chose peut être exprimée en ditïé- M serment, car je suis Seigneur ton Dieu. Ce
le

rentes phrases et en beaucoup de langues, de « n'est pasa l'égard de vos sacrifices que je vous
même le sacrifice véritable et par excellence, a « adresserai des reproches, car vos sacrifices
pu être prédit et figuré de ditîérentes manières (S sont toujours présents à mes yeux. Je ne re-
et par diflerents sacrifices, llseraitévidemment « cevrai plus les veaux de vos élables ni les
trop long de traiter ici de chacun de ces sacri- « boucs de vos troupeaux. Car tous les animaux
fices. Toutefois j'adresse une observation à ces M des forêts m'appartiennent aussi bien que les

insensés qui apportent toujours autant de « troupeaux de vos montagnes et les bœufs de
lenteur à comprendre, que d'empressement à a vos pâturages. Je connais tous les oiseaux
• Matt. T, 39-14 ; XTIII, 35. - » II Rois, xs.ll- « du ciel, et la beauté de la campagne est en
496 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

« moi. Si j'ai faim je ne vous le dirai pas, car point là le véritable langage de l'Apôtre ; le
a c'est àmoi qu'appartient l'univers et toute voici textuellement Voyez Israël selon la
: «

« sa plénitude. Mangeraije donc la chair des « chair est-ce que ceux d'entre eux qui man-
;

« sang des boucs? 01-


taureaux, ou boirai-je le « gent de la victime immolée, ne prennent

« frez à Dieu le sacrifice de louange, et rendez « |ioint part à l'autel ? Quoi donc? Est-ce que

« vos vœux au Très-Haut ». Enfin^ le psaume « je veux dire que ce qui a été immolé aux

se termine par ces mots « Le sacrifice de : « idoles ail quelque vertu, ou que l'idole soit

« louange m'honorera, et c'est là la voie par a quelque chose ? Mais je dis que ce qu'ils

« laquelle je lui montrerai le salut de Dieu ». '


« immolent, ils l'immolent aux démons et

J'ai montré plus haut que ce salut de Dieu, c non à Dieu. Or, je veux que vous n'ayez

c'est Jésus-Christ lui-même *. Or, n'est-ce pas «aucune société avec les démons ». Il se
dans l'action de grâces que le sacrifice de trouve, il est vrai, différentes versions sur ce
louange revêt son caractère le plus sacré ? Nos texte, maisne varient que sur les mots
elles
plus vives actions de grâces à rendre à Dieu, et nou sur on peut dire
les choses. Ainsi :

n'est-ce pas de nous avoir donné Notre-Sei- charnellement ou selon la chair ceux qui ;

gneur Jésus-Christ? Ces pensées sont fami- mangent des choses offertes en sacrifices, ou
lières aux fidèles qui assistent au sacrifice qui mangent des victimes à la rigueur, il ;

catholique, dont tous les sacrifices anciens peut même se faire que dans certains exem-
n'étaient que l'ombre et la figure. Quant à ces plaires, on
seulement Est-ce donc que je
lise :

insensés qui se posent en ennemis déclarés de veuille dire que l'idole soit quelque chose,
l'Ancien Testament, lors même qu'ils ne com- quoiqu'on lise ailleurs Est-ce donc que je :

prendraient rien au psaume que je viens de veuille dire que ce qui a été immolé ait

citer, qu'il leur suffise, dans la question pré- quelque vertu, ou que l'idole soit quelque
sente, de savoir que le Dieu des Prophètes, chose ? Il n'y a dans tout cela que des diffé-
qui est aussi le Dieu des Apôtres, ne mange rences de mots. Mais ce qui suit est essentiel,
point la chair des taureaux et ne boit point le et noire adversaire a réellement interpolé le
sang des boucs. C'est cette vérité, si familière texte pour lebesoin de sa cause. L'Apôtre dit :

aux saints, qui leur dictait, sous l'inspiration « Ce qu'ils immolent, ils l'immolent aux dé-
du Saint-Esprit, le beau langage que nous « nions et non à Dieu » Notre adversaire y
.

venons d'entendre. 11 suit de là que le sacri- substitue les paroles suivantes « Ceux qui :

fice offert par David pour obtenir grâce en « sacrifient, aux démons » affir-
sacrifient ,

faveur de son peuple, n'était que l'ombre de mant ainsi d'une manière absolue que tous
ce sacrifice futur qui devait sauver spirituelle- ceux qui sacrifient ne peuvent sacrifier qu'aux
ment le genre humain tout entier. En effet, démons. Voici donc les paroles de l'Apôtre :

comme le dit l'Apôtre, c'est Jésus-Christ, a qui « Ce qu'ils immolent, ils l'immolent aux dé-

« a été livré pour nos péchés et qui est res- « mous et non à Dieu » voilà pouniuoi il ;

« suscité pour notre justification ^ ». Voilà ajoute aussitôt « Or, je ne veux pas que vous
:

pourquoi il ajoute « Jésus-Christ, notre


: B ayez de société avec les démons » c'était ;

« Pàque, a été immolé * ». leur défendre toute espèce d'idolâtrie. Or, il


XXXVllI. Tenter de prouver que c'était se déclare qu'ils feraient société avec les dénions
livrer au culte des démons que d'offrir un s'ils mangeaient des viandes qui leur sont
sacrifice, et laisser clairement entendre que offertes, comme Israël, selon la ciiair. prenait

c'est de David qu'on parle, n'est-ce pas mon- part à l'autel dans le temple, quand il mangeait
trerévidemment que l'on est prêt à ne re- des viandes qui avaient été offertes sur l'autel.
culer devant aucune fourberie pour mieux Il se sert de cette expression selon la chair, :

tromper les simples ? 11 invoque le témoi- parce ([u'il y a un Israël selon l'esprit, lequel

gnage de rApôtrc, à qui il fait dire « Voyez :


peuple ne suit plus les anciennes figures,
« Israël charnellement est-ce que ceux qui
:
mais adore la réalité annoncée par ces images
« mangent des victimes ne participent pas à et ces figures. Plus haut il avait dit « C'est :

l'autel ? Quoi donc ? Ai-je dit que l'idole soit « pourquoi, mes très-chers frères, fuyez l'ido-
m quelque chose? Mais ceux qui sacrifient, latrie ». Il leur montre ensuite à (jnel sacri-
« c'est aux démons qu'ils sacrifient ». Ce n'est fice doivent s'attacher
ils « Je vous parle :

' Ps. XLix. — No XV. — '


Kom. iv, 25. — * I Cor. v, 7.' a comme à des personnes sages ; jugez vous-
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 497

« mêmes de ce que je dis. N'est-il pas vrai sacrifice de louange auquel le Dieu des dieux
« que le calice de bénédiction, que nous bé- convie la terre depuis l'Orient jusqu'à l'Occi-
M nissons, est la communion du sang de Jé- dent. Cette Eglise, c'est l'Israël selon l'esprit,
« sus-Christ, et que le pain que nous rompons différent de cet Israël selon la chair, lequel
« est la communion du corps de Jésus-Clirist? n'avait dans ses sacrifices charnels , que
,

« Car nous ue sommes tous ensemble qu'un l'ombre ou la figure de ce grand sacrifice
« seul pain et un seul corps, nous tous qui qu'offre maintenant Israël selon l'esprit, à qui
« participons à un même pain ». Voilà pour- '
il a été dit prophétiquement : « Ecoule, mon
quoi il ajoute : « Voyez Israël selon la chair; « peuple, et je te parlerai ; Israël, et je teren-
« est-ce que ceux qui mangent des \iandes « drai témoignage '
», et le psaume tout en-
« offertes sur l'autel ne sont pas en société tier. En effet, ce ne sont plus ni les veaux de
a avec l'autel? » C'était leur dire clairement retable, ni les boucs des troupeaux qu'il offre
qu'ils étaient en société avec le corps de Jé- à Dieu, mais le sacrifice de louange, non pas
sus-Christ, comme les Juifs charnels étaient selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de
en société avec donc tout na- l'autel. Il était Melchisédech. Dans l'Evangile , Jésus-Christ
turel qu'il leur défendît l'idolâtrie,
pour ré- appliqué à lui-même ce psaume, quand,
s'est
futer ce raisonnement que quelques-uns au- répondant aux Juifs qui, en proclamant le
raient pu se faire l'idole n'est rien donc, : ; Christ Fils de David, n'y voyaient qu'une filia-
nous pouvons nous permettre sans crainte la tion charnelle, il leur montra comment David
manducation des viandes offertes aux idoles. avait pu, en esprit, appeler le Christ son Sei-
L'Apôtre répète comme eux que l'idole n'est gneur et son Dieu. Il leur rappela donc le
rien ce n'est donc pas à ce titre qu'il leur
; commencement du psaume : « Le Seigneur a
défend les viandes offertes, mais parce que, « dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma
dit-il, ce que les païens offrent, ils l'offrent « droite, jusqu'à ce que je place vos ennemis
aux démons et non à Dieu, et je ne veux pas « pour vous servir de marchepied ». 11 y est dit
que vous ayez de société avec les démons. Cette aussi « Le Seigneur l'a juré, et il ne s'en re-
:

interprétation est fondée sur l'évidence même; « pentira pas. Vous êtes prêtre pour l'éternité,

car, temple le culte d'Israël était


dans le , «selon l'ordre de Melchisédech^». On sait
charnel cependant il n'était pas idolâ-
, et ce que Melchisédech offrit en sacrifice, quand
trique. Supposez, en effet, que les sacrifices il vint bénir Abraham ', et il est facile de voir
offerts dans le temple, selon l'ancienne loi, que c'est le même sacrifice qui est mainte-
aient été condamnés comme étant des sacri- nant offert à Dieu sur toute la face de la terre.
fices offerts aux idoles, comment Jésus-Christ, Or, ce serment prononcé par Dieu est la con-
après avoir guéri le lépreux, pouvait-il lui damnation évidente des incrédules. Quand le
dire : montrez-vous au prêtre, et
a Allez, Prophète dit de Dieu qu'il ne se repentira pas,
« offrez le sacriûce prescrit par Moïse, pour leur il annonce que ce sacerdoce ne changera pas,

« servir de témoignage ^ ? » Jusqu'alors il tandis qu'il est certain que le sacerdoce


n'avait pas encore remplacé ces sacrifices par d'Aaron a changé. C'est même ce qui a fait
celui de son corps, il n'avait pas encore re- dire à un autre Prophète, s'adressant à Israël
construit le temple de son corps. De même, selon la chair « Ma volonté, dit le Dieu tout-
:

quand il chassa les vendeurs du temple, com- « puissant, ne repose pas sur vous, et je ne
ment aurait-il pu leur dire, de ce temple « Ma : « recevrai plus d'hostie de vos mains ». Voilà
« maison sera appelée une maison de prière, pour ce qui regarde l'ordre d'Aaron. Le même
et vous en avez fait une caverne de voleurs''?» Prophète nous donne la raison de ce change-
XXXIX. Notre
adversaire a tiré le passage ment « Parce que, depuis l'Orient jusqu'à
:

qu'il a des livres apocryphes que l'on


cité « l'Occident, mon nom est glorifié parmi les

attribuée André et à Jean. Si ces livres étaient « nations, et en tous lieux on m'offre de l'en-
véritablement l'œuvre de ces apôtres, l'Eglise « cens et une Hostie pure, car mon nom est
les aurait reçus, cette Eglise qui, par la suc- « grand parmi les nations dit le Seigneur ,

cession visible de ses évêques, descend des « tout-puissant * ». Voilà pour ce qui regarde
Apôtres jusqu'à nous, et offre à Dieu, dans le l'ordre de Melchisédech. Cet encens dont il est
sacrifice du corps de Jésus-Christ, le véritable
'
Ps. .\LL\-, 2, 7. — Mail. Xïll, 42-43
' Ps. cix, 1, 4. — * Gen.
' 1 Cor. X, 11-2U. — ' Mail, vm, 4. — '
Id. .\xi, 13. .\iv, If, lu. — ' Malacb. l, 10, 11.

S. AuG. Tome XIV. 32


498 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

parlé, comme l'indiquent du reste le mot grec, Ecriture, pour nous révéler les secrets les plus
et un passage de saint Jean dans l'Apocalypse, ineffables de la Divinité. Combien de ces pa-
signifie les prières des saints. Le même Dieu roles qui, interprétées dans leur sens naturel,
dont il est dit au psaume « qu'il a appelé la deviendraient pour Dieu de véritables ou-
«terre depuis l'Orient jusqu'à l'Occident », trages celles mêmes qui nous paraissent les
;

c'est-à-dire que, s'adressant à tous les peuples plus dignes de lui, ont encore besoin d'être
répandus sur la face de la terre, il leur a dit : interprétées, et pour ainsi dire s|iiritualisées.
« Je ne recevrai plus les veaux de \os élables, Par exemple, du repentir, on com-
s'agit-il

« immolez à Dieu un sacrifice de louange », ' prend immédiatement qu'il ne peut être pour
c'est le même Dieu qui annonce par son Pro- Dieu ce qu'il est pour l'homme il n'en est ;

phète, comme déjà réalisé, ce grand prodige pas de même de la miséricorde, on ne voit pas
réservé aux siècles futurs « Depuis l'Orient : aussitôt qu'elle ne peut s'appliquer à Dieu
«jusqu'à l'Occident mon nom est glorifié avec les caractères que nous lui trouvons dans
« parmi les nations, et en tous lieux on offre l'homme. En toute circonstance on doit donc
« à mon nom l'encens et une Hostie pure, d'abord se demander dans quelle proportion
a parce quemon nom est grand parmi les telle manière de parler peut s'appliquer à

« peuples ». Dieu. Ainsi, quand nous disons qu'il se repent,


XL. Quand on dit de Dieu qu'il se repent, ce repentir exclut nécessairement toute idée
on ne veut pas assimiler le repentir de Dieu de changement dans sa volonté quand nous ;

à celui de l'homme on dirait plutôt que


; disons qu'il nous comprenons qu'il
s'irrite,

l'homme imite le repentir de Dieu, comme on punit, mais sans aucune perturbation inté-
dit de l'honuue qu'il imite la colère, la misé- rieure; quand il use de miséricorde, c'est sans
ricorde et le zèle de Dieu. Si Dieu se repent, aucune souffrance de sa part; quand il est ja-
ce n'est pas parce qu'il s'est trompé ; s'il s'ir- loux, c'est sans éprouver aucun des tourments
rite, c'est sans éprouver aucune agitation dans qui dans l'homme accompagnent la jalousie.
l'esprit; s'il lait miséricorde, ce n'est pas qu'il XLl. Ne peut-on pas trouver dans les livres
ait le cœur malheureux ; s'il a du zèle, c'est du Nouveau Testament de ces expressions qui,
sans aucune lividité d'âme. On dit de Dieu appliquées à la Divinité dans leur sens natu-
qu'il se repent quand, dans les choses qui dé- rel et humain, ne pourraient nullement lui
pendent de son souverain domaine, il arrive convenir et constitueraient à son égard une
un changement inopiné pour les hommes; la offense grave et réelle ? C'est en toute vérité
colère, en Dieu, c'est la vengeance qu'il lire du que l'Evangéliste avait dit de Jésus-Christ ,
péché sa miséricorde, c'est la bonté qu'il dé-
; « qu'il n'avait pas besoin que personne lui

ploie pour secourir les malheureux son zèle ; « rendît témoignage d'aucun homme, car il

ou sa jalousie, c'est sa providence en vertu de B connaissait par lui-même ce qu'il y avait

la(iuelle il ne permet pas que ses créatures se « dans l'homme ». Comment donc le Sauveur
'

livrent impunément aune affection qu'il con- dit il à quelques hommes « Je ne vous con- :

damne. A l'occasion de ce repentir attribué à « nais pas - ? » De toute éternité et dès avant

Dieu, notre adversaire a lancé tout un fleuve la création du monde. Dieu a connu et choisi
de paroles et d'incriminations or , qu'il ; ses saints pourquoi donc l'Apôtre dit-il
;
:

sache donc d'abord qu'à proprement parler, « Maintenant ils connaissent Dieuet ils sontcon-

nous ne pouvons rien dire de Dieu qui soit «nus de Dieu * », comme si Dieu connaissait
digne de lui mais comme il faut que nous
; maintenant ceux qu'il ne connaissait pas au-
en parlions , et que pour en parler nous paravant? Le même Apôtre dit ailleurs: «Gar-
sommes réduits à nous servir du langage hu- « dez-vous d'éteindre l'Esprit ' » est-ce donc ;

main, il n'y a pour nous comprendre que ceux que l'on peut éteindre le Saint-Esprit? Cepen-
qui savent interpréter toutes choses dans le dant c'est la conclusion qu'il faudrait tirer de
sens spirituel, et ceux-là sont en bien petit ces paroles, si dans leur interprétation on ne
nombre, (^est là ce (jui nous explique pour- suivait pas toutes les règles de la prudence.
quoi des hommes charnels ne voient que des Ne lisons-nous pas dans l'Evangile : « Celui
inconvenances et des absurdités dans le lan- « qui croit au Fils a la vie éternelle, et celui
gage emprunté aux hommes par la sainte « qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie,
Ps. XUX, 1', U, M. Jean, u, 25.— ' Watt. .\.\v, 12 '
Gai. n-,9.— ' I Tliess. v, la.
LIVRE PREMIER. - PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. 499

« et la colère de Dieu pèse sur lui '


? » Quelle aveuglé par son orgueil, cherchant à en im-
belle occasion pour notre blaspliémateur de poser aux faibles et à les troubler dans leur
calomnier et de dire Quel est celui qui s'ir- : simplicité, il croit enfanter des merveilles, en
rite quand il est écrit a La colère de l'homme : accusant dans l'Ancien Testament des pa-
« n'accomplit point la justice de Dieu ? » - roles qu'il ne comprend pas, et en fermant les
Pourquoi ne pas calomnier aussi cette parole yeux sur celles qu'il comprend dans le Nou-
de l'Apôtre « Dieu n'est-il pas injuste de nous
: veau.
« accabler de sa colère ^ ? » Si quelque impie XLII. « Le Seigneur l'a juré et il ne s'en re-

osait dire Jésus-Christ rougira au moment


: « pentira pas : Vous êtes prêtre pour l'éternité
même où il viendra juger les vivants et les selon l'ordre de Melchisédech ». C'est sur
morts, quel chrétien pourrait supporter un ces paroles que nous nous sommes appuyé
semblable langage? Cependant, nous lisons pour montrer la dignité de ce sacrifice salu-
dans l'Evangile : « Celui qui aura rougi de tairedans lequel Jésus-Christ versa son sang
a moi et de mes paroles au sein de cette géné- pour laver nos iniquités et qui avait été ,

« ration adultère et péclieresse , le Fils de figuré par les sacrifices anciens et l'immola-
« l'homme rougira de lui quand il viendra tion de victimes sans tache. Toutefois ce sont
a dans la gloire de son Père avec ses saints ces mêmes paroles qui ont fourni à notre
«anges* ». Pourquoi adressons-nous cette adversaire l'occasion de lancer, contre le re-
demande : « Que votre nom soit sanctifié », pentir de Dieu, qu'il ne comprend pas, ces
puisque le nom du Seigneur est toujours saint ? blasphèmes aussi insensés que criminels.
N'est-ce pas parce que ce mot de l'Ecriture N'avait-il donc pas sous les yeux la lumière
ne se réalise que trop souvent de la part d'un pour s'instruire et s'éclairer? En effet, il cite
certain nombre d'hommes : « Ils ont souillé lui-même aussitôt ces paroles du Seigneur
a le nom du
Seigneur leur Dieu * ? » Pour- à Samuel : « Je me repens d'avoir sacré roi
quoi le bon larron dit il au Sauveur « Sou- : « Saut ». Or, c'est par ce même Samuel que
« venez- vous de moi quand vous serez entré Dieu reprocha à Saûl d'avoir épargné l'homme
« dans votre royaume ^ », puisque Dieu n'ou- qu'il lui avait ordonné d'immoler, et d'avoir
blie rien ? N'est-ce pas parce que c'est le propre ainsi usé de miséricorde en foulant aux pieds
d'une profonde sagesse de lui dire « Oublie- : l'obéissance. Saùl se flattait-il donc de mieux
« rez-vous notre misère et notre tribulation'' ?» savoir ce qu'il fallait faire de l'homme, que
On peut donc affirmer ciue Dieu ignore en sa- Celui qui a créé l'homme? Dieu pouvait-il
chant qu'il connaît parfois ce qu'il a toujours
;
nous apprendre d'une manière plus éloquente
connu; qu'il reste éternellement existant au qu'en face d'un précepte divin, toute afTection
moment où il paraît anéanti par ceux qui le doit céder et disparaître? Quoi qu'il en soit,
nient qu'il s'irrite en conservant la tranquil-
;
ce même Samuel à qui Dieu avait dit : ,

lité la plus parfaite qu'il ne peut être con- ;


« Je me repens d'avoir sacré roi Saiil » ,

fondu, alors même qu'on rougit de lui; que proclame hautement que Dieu ne se repent
son nom ne peut être souillé, alors même jamais. Voici ce que nous lisons « Le Sei- :

qu'on le souille qu'il ne peut rien oublier, ;


« gneur fit entendre sa voix à Samuel et lui

même qu'il oublie et qu'il se souvient,


alors ; dit : Je me repens d'avoir sacré roi Saùl,
même quand le souvenir lui est rappelé. Tout a car détourné de moi et il n'a pas
il s'est

cela nous prouve que Dieu est essentiellement «observé mes commandements ». Un peu
ineffable. En effet, on peut dire de Dieu ce qui, plus loin Samuel adresse à Saùl ces paroles :

d'un côté, ne pourrait se dire de l'homme ou « Le Seigneur a arraché aujourd'hui de vos


ce qui, appliqué à l'homme, ne serait ni assez « mains le royaume d'Israël, il le donnera à
digne, ni assez convenable. Par conséquent, « un autre qui en sera plus digne que vous;
aux yeux de tout homme religieux, cet adver- « et Israël se partagera en deux camps; et le
saire ne mérite-t-il pas uniquement le souffle « Seigneur ne changera point, etil ne se re-

de mépris que l'on accorde à la poussière que « pentira pas, car il n'est point semblable à
le vent emporte de la surface de la terre'? «l'homme jusqu'à se repentir ' ». Samuel
savait donc comprendre que Dieu est miséri-
' Jean , m , 36. — * Jacq. i , 20. — ' Rom. m, 5. — * Marc, vni, cordieux sans avoir le cœur malheureux,
38. — ' Ezéch. XLin, 8. — ' Luc, xxni, 42. — ' Ps. XLin, 24. —
• Ps. 1, 4. '
I Kois, XV, U, 2», 29.
.

500 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

qu'il s'irrite sans colère, qu'il est jaloux sans blions pas surtout ce principe sur lequel
jalousie, qu'il ignore sans ignorance, qu'il notre adversaire se précipite avec une sorte
oublie sans oublier, qu'il se repent sans d'aveuglement forcené Personne ne de- : a

là, au contraire, ce que ne sau-


repentir. C'est « mande que ce qu'il ignore ». Il avait donc

raitcomprendre notre adversaire; ne sachant oublié que Jésus-Christ se permit très-sou-


parler que contre la parole de Dieu, dédai- vent d'interroger. N'interroge-t-il pas en ,

gnant l'étude des saintes lettres et plein de disant « Que vous semble-t-il du Christ ? De
:

mépris pour leurs enseignements, il est de- « qui est-il Fils ? » Se peut-il une preuve plus
'

venu un accusateur muet, un auditeur sourtl manifeste? Si pourtant il n'est point encore
et un lecteur aveugle. convaincu, comment pourra-t-ilnier que Jésus-
XLllI. « Ce Dieu oublieux, dit-il , comme Christ ait interrogé, quand Jésus-Christ atteste
« s'ileût perdu la mémoire, plaça dans les lui-même qu'il interroge ? a Je vous poserai
nuées cet arc que nous appelons Iris, afin «une seule question; sivous y répondez je
« qu'à sa vue il se rappelât qu'il ne doit plus « vous dirai à mon tour en vertu de quelle
« détruire le genre: humain par un nouveau « puissance j'opère ces prodiges : d'où venait
« déluge '
donc ce qu'il fait, puis-
; il ne sait « le baptême de Jean ? est-ce de Dieu ou des
« qu'il a besoin d'un moniteur continuel». c( hommes ^ ? » Quand un Dieu parle où se ,

Ce langage ne peut venir que d'un homme cachera ce partisan forcené de la loquacité
qui ne sait ce qu'il dit, non pas parce qu'il a et de. la dispute? Alléguera-t-il son principe

perdu la mémoire, mais parce que son ànie favori « Personne n'interroge que parce
:

est réellement morte. Si donc il peut ainsi ca- « qu'il ignore ? » Jésus-Christ a la science
lomnier l'évidence quand il s'agit de nuées infinie, etcependant il interroge.
quel ne doit pas être son aveuglement et son Se peut-il donc que notre adversaire trouve
délire? Mais je lui dois une réponse immé- des sujets d'accusation dans le Dieu des Pro-
diate, et je dis que Dieu a voulu se faire aver- phètes, quand ses yeux sont impuissants à
tir quoicju'il ne soit pas oublieux, comme lui découvrir Jésus-Christ même? En effet, ces
Jésus-Christ a voulu qu'on lui apprît où re- interrogations prouvent avec évidence ce que
posait Lazare, quoiqu'il le sût parfaitement le Christ veut enseigner. Peu importe donc
bien. Je m'abstiens de ceux que je nommer qu'il semble ignorer extérieurement quand
trouve figurés dans l'arc-en-ciel l'éclat dont ; il pose ces questions ou autres semblables :

il brille au sein des nuées, les rayons de lu- « Où l'avez-vous placé? qui m'a touché ? » Ce
mière dont il illumine l'obscurité de la pluie, qu'il demandait, il d'une science di-
le savait

me répondent suffisamment dans leur char- vine. C'est ainsi que, dans l'Ecriture, Dieu
mant langage. Je comprends pourquoi Dieu semble avoir besoin que tel objet lui rappelle
ne veut pas perdre le monde dans un déluge tel souvenir ; ce sont là des formes de parler
spirituel, quand il se souvient de ceux que empruntées au langage humain; mais loin de
figurent ces nuées éclatantes. Leurs noms, en nous de supposer que Dieu perde la mémoire
effet, sont écrits dans le ciel, afin cjue leur de quoi que ce soit 1

Père qui est au ciel s'en souvienne ; car ils XLIV. Ecoutons ces paroles adressées par le
savent que s'ils brillent, ce n'est pas de leur Sauveur à ses disciples « Réjouissez-vous, :

propre lumière, mais de la lumière du soleil de « parce que vos noms sont écrits dans le ciel '»

justice, conune ces nuées ne font que refléter N'y a-t-il pas une ressemblance parfaite entre
la splendeur de l'astre du jour. Mais revenons ces expressions, et cet arc-en-ciel qui semble
au passage que j'ai cité plus haut, et voyons écrit sur les nuées pour rappeler à Dieu ses
comment il interprète cette demande faite par souvenirs? Si donc la foi, aidée par la prière,
le Sauveur au sujet de Lazare « Où l'avuz-
: ne vient pas en diriger l'interprétation, on
vous placé?» Comment se fait-il qu'on lui les prendrait facilement pour une fable ridi-
montre ce lieu comme s'il l'ignorait? A moins cule. Pour rire de ces paroles ne faudrait-il
d'avouer que cette recherche couvre quelque pas être insensé , et d'autant plus insensé
mystère comment proclamer que Jésus-
, qu'on se croirait plus sage ? Comment suppo-
Christ connaît, non-seulement les choses pré- ser que le nom des disciples du Sauveur soit
sentes, mais encore les choses futures? N'ou- réellement écrit dans le ciel, pour empêcher
• Gen. IX, 12-17. '
Maa. lill, 1'-'. '
Id. X, 20.
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. SOI

que Dieu ne les oublie, tandis que le nom de je laisse l'Apôtre saint Pierre lui répondre :

ceux qui abandonnent le Sauveur serait écrit « Au temps de Noé, pendant qu'on préparait
sur la terre, selon cette parole de Jérémie : « l'arche dans laquelle huit personnes seule-
« Que ceux qui abandonnent le Seigneur « ment furent sauvées des eaux, ce qui était
« soient confondus, et ([ue leur nom soit écrit a la flgure à laquelle répond maintenant le
a sur la terre '
? » Ce sont ces pécheurs, sans « baptême, qui ne consiste pas dans la puri-
doute, que Jésus-Christ désignait quand ,
« fîcation des souillures de la chair, mais dans
vaincus confondus par cette
et réponse a Que : « la promesse que l'on fait à Dieu de garder

a celui qui est sans péché lui jette la première « une conscience pure et qui nous sauve par

«pierre », les Juifs se retirèrent honteuse- « la résurrection de Jésus-Christ ' ». Telest le

ment les uns à la suite des autres. Et pour mystère caché sous le fait extérieur du déluge.
indiquer à quelle classe ils appartenaient, le Ces mots « par la résurrection de Jésus-
:

Sauveur traçait de son doigt leur nom sur la a Christ », ont été employés pour signifier le
terre '. huitième jour figuré par les huit personnes
XLV. Notre adversaire continue a Si nous : sauvées.En effet, c'est le huitième jour, c'est-à-
a pensons que c'est à cause de leurs crimes dire le lendemain du sabbat, que Jésus-Christ
a que les hommes périrent dans les eaux du donc d'y réfléchir un peu
est ressuscité. Il suffit
a déluge, et que c'est en raison de son inuo- pour comprendre que tous ces événements ont
a cence que Noé a été destiné à renouveler le un caractère évidemment prophétique. Pour-
a genre humain, pourquoi donc, après le dé- quoi donc notre adversaire, s'obstinant à se
« luge, les hommes devinrent-ils plus coupa- placer en dehors de l'arche, c'est-à-dire en de-
a blés qu'auparavant? pourquoi aujourd'hui hors de l'Eglise, s'expose-t-il à être submergé,
a encore le genre humain se roule-t-il dans quand il devrait n'être que purifié?
a les mêmes iniquités ?» A l'entendre, on se- XLVI. Il prodigue également la calomnie et
rait tenté de conclure qu'il vivait avec ceux le blasphème au prophète Isaïe à l'occasion
qui ont péri dans les eaux du déluge, et de ces paroles « J'ai engendré des enfants et
:

qu'ainsi il peut savoir d'une manière certaine a je les ai élevés, mais ils m'ont méprisé ».

que les hommes d'aujourd'hui sont plus cri- Un peu plus loin le Prophète désigne ces en-
minels que ceux qui vivaient alors. Que le fants sous le nom de race perverse S d'où
genre humain soit pire, semblable ou meil- l'on pourrait conclure qu'il fait de Dieu le
leur depuis le déluge. Dieu seul le sait, car il principe du mal. Mais comment notre adver-
saitrendre à chacun selon ses mérites mais ; saire peut-il ignorer que ces hommes sont
à quel titre pourrait en juger ce furieux en- flétris du nom de race perverse, parce qu'a-
nemi du Seigneur, cet insensé qui regimbe près avoir été appelés à la grâce de Dieu, ils
y
contre l'aiguillon ? L'Apôlre s'écrie : « pro- ont renoncé par péché et sont devenus les le
« fondeur des richesses de la sagesse et de la enfants de ceux dont ils se sont faits les imi-
a science de Dieu que ses jugements sont ! tateurs? De là ce reproche qui leur est adressé
impénétrables et ses voies inconnues Qui ! par un autre Prophète a Amorrhéus est :

« donc connaît la pensée de Dieu qui a pris ;


a votre père et Céthée votre mère ' » ; non

a part à ses conseils'?» Et voici qu'un homme pas, sans doute, qu'ils eussent reçu d'eux
qui n'a point assisté à ses conseils se déclare l'existence, mais parce qu'ils imitaient leur
son adversaire Puisque tous étaient con-
! impiété et leur corruption. Mais je me con-
damnés à mourir de la mort corporelle, qu'ils tente de demander qu'il m'explique cette pa-
meurent successivement ou qu'ils meurent role de rE\angile : « Si vous, qui êtes mau-
tous à la fois, que nous importe ? Quand le « vais, vous savez faire du bien à vos enfants ;

trépas ne frappe que successivement, chacun « combien plus votre Père qui est au ciel
joint à la triste attente de la mort la douleur a saura distribuer ses faveurs à ceux qui l'im-
de voir mourir les autres au contraire, quand ; « plorent *? » Qu'il me dise comment Dieu,
tous sont frappés d'un seul et même coup, le père des méchants, peut être bon ;
qu'il
quel deuil peut-il rester? Or, dans ce déluge concilie ces deux expressions sorties des lèvres
universel Dieu avait des vues que le cœur des mêmes de la souveraine Vérité? Ces hommes
inlidèles ne peut ni connaître ni saisir. Mais
'
I l'ieiro, m , 20 , i;l. ^ Isaie ,1,2-1.- * Ezéch. .\vi , 3.
'
Jcr. .\ïll, 13. — ' Jeau, viu, 7-9. — '
Rom. il, 33, 31. '
Luc, XI, 13.
502 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHETES.

étaient mauvais, puisqu'il leur est dit : « Si qu'il dit ; n'importe, bonheur à
il sourit avec
vous, qui êtes mauvais ». D'un autre côté, ce qui lui semble de sa part une discussion
Dieu, leur père, est essentiellement bon : « A élégante, un discernement profond. Remar-
a plus forte raison, votre Père, qui est au ciel, quez, dit-il, les paroles mêmes du texte Dieu :

« n'accordera-t-il pas ses biens à ceux qui n'y est pas représenté faisant les biens et les
a l'implorent? » C'est donc à cause de leurs maux, ou créant les biens et les maux, ou
péchés qu'ils sont appelés mauvais; et, grâce à créant les biens et faisant les maux, mais
notre misérable mortalité, les justes eux- « faisant les biens et créant les maux ». Dans
mêmes ne sont pas toujours à l'abri de ces l'intérêt de sa cause, il insiste sur cette dis-
tristes souillures ; faut-il dès lors s'étonner tinction, et observe que ce qui se fait se pro-
d'entendre Seigneur flétrir du nom de race
le duit ou s'accomplit au dehors, tandis que ce
perverse ceux qui se livrent aux désordres qui est créé est inhérent au Créateur lui-
d'une volonté impie et de moeurs impures? même, procède de lui. Ainsi le Dieu des
et

XLYII. Bien plus, ajoule-t-il, dans l'Evan- Prophètes doute l'auteur du bien en
est sans
gile, par l'organe de Jésus-Christ lui-même. tant qu'il l'a fait en dehors de lui tandis ,

Dieu est appelé l'arbre mauvais, portant de qu'il est le Créateur du mal, en tant qu'il est
mauvais fruits. Tout d'abord si j'avais à cher- lui-même mauvais par nature, et qu'il a tiré
cher ce fruit mauvais d'un mauvais, arbre je de lui-même ce qu'il a créé. Si l'on appliquait
le trouverais dans celte parole qui n'est à nos à l'examen de ces paroles les règles du lan-
yeux qu'un horrible blasphème. L'arbre mau- gage humain, on devrait conclure que ces ex-
vais dont parle le Seigneur, c'est l'homme pé- pressions : peuvent se
être fait et être créé,
cheur dont les œuvres mauvaises sont réelle- dire non-seulement des enfants que l'on en-
ment les fruits mauvais l'homme bon, c'est '
; gendre de sa propre substance, mais même
le bon arbre, les bons fruits sont ses bonnes des magistrats et des villes, et en général de
œuvres. Ainsi, parmi les hommes, il en est tout ce qui se fait au dehors par tout autre
qui ont la volonté bonne et d'autres l'ont mode que celui de lagénération. Au contraire,
mauvaise c'est cette diflérence de volontés
; si nous examinons attentivement le langage

qui nous est désignée sous la figure de ces des saintes Ecritures, nous trouvons que ces
arbres bons et mauvais. Nous en avons la deux mots faire et créer, sont pris absolument
:

preuve évidente dans les paroles suivantes : dans le même sens, quoique ce sens soit tout
« L'homme bon tire du bon trésor de son différent de celui que nous attachons au
« cœur de quoi faire le bien, et l'homme mot génération. Ces deux mots faisant :

a mauvais tire du mauvais trésor de son cœur les biens et créant les maux, expriment donc
« de quoi faire le mal ». Du reste, si l'homme absolument la même idée, quoique l'expres-
n'avait pas le pouvoir de porter sa volonté sion soit différente on aurait pu dire éga-
;

tantôt vers le bien et tantôt vers le mal, que lement créant les biens et faisant les maux.
signifieraient ces paroles : « Ou rendez l'arbre D'un autre côté, si l'on veut que l'Esprit pro-
« bon et bons ses fruits, ou rendez mauvais phétique ait attaché à ces deux expressions
« l'arbre et ses fruits '^ '>
» une distinction réelle, on doit alors entendre
XLVIII. Dieu lui-même, dit-il, proclame
« le mot faire, dans le sens de faire prendre nais-
8 parle même Prophète: Je suis le Dieu faisant sance, de faire commencer l'existence, et le mot
« les biens et créant les maux'». En quoi donc créer, dans le sens de composer, en se servant
ces paroles sont elles répréiiensibles; ce Dieu de quelque chose de préexistant; c'est dans ce
n'est-il pas celui dont l'Apôtre a dit : « Vous sens que nous disons créer des magistrats,
voyez donc la bonté et la sévérité de Dieu '
? » des villes. En effetcréer un magistrat, ce
,

Cette sévérité est évidemment un mal pour les n'est pas faire un homme, mais simplement
réprouvés, puisque c'est elle qui formule leur l'élever aux honneurs de la magistrature de ;

sentence de condamnation. Mais comme cette même, quand on crée une ville on se sert de
sévérité est équitable, elle est un bien sous bois et de pierres, auxquels telle ou on donne
ce rapport, car tout ce qui est juste est bon. telle forme, telle ou mais ces
telle disposition ;

Mais voyons noire adversaire ; il ne sait ce bois et ces pierres existaient déjà. Dans la

Malt, vu, l-i-?0. — — — langue grecque comme dans la langue latine,


'
Id. xn , 35 , 3Î. '
Isaie , XLV, 7.
Roui. XI, Ti. ces mots créer, constituer, fonder, sont très-
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT, 503

souvent employés l'un pour l'autre, comme soutient que ce Dieu n'a créé que les maux.
dans les saintes Ecritures, ces mots créer et Nous devons donc prendre dans une seule et
faire ont ordinairement la même significa- même signification ces deux mots faire et :

tion. Ainsi, dans un endroit, nous lisons : créer; quanta la distinction que l'on pour-
a Dieu fit l'homme à l'image de Dieu », et raity voir, notre adversaire la méconnaît
dans un autre « Dieu créa l'homme im-
: entièrement, car il refuse d'attribuer la créa-
« mortel'». Quant à établir une différence tion des biens à ce Dieu des Prophètes contre
entre ces deux expressions, on ne peut en lequel il formule les plus graves accusations
trouver d'autre que celle que j'ai exposée pré- sans les comprendre. Si de la prophétie nous
cédemment. Quand donc Dieu nous est mon- passons à l'Evangile , la conclusion est la
tré «créant les maux », on nous fait compren- même. Le Seigneur d'une manière a dit

dre que Dieu, dans la sévérité de sa justice, absolue Le bon arbre fait de bons fruits,
: «

change en mal contre les pécheurs les biens « et le mauvais arbre en produit de mau-

qu'il leur avait départis dans sa bonté. De « vais » Pourquoi, dans ce second membre de
'
.

là ce mot de l'Apôtre « Nous sommes en : phrase, ne pas employer le mot créer au lieu
« tous lieux la bonne odeur de Jésus-Cbrist, de faire ou produire, puisqu'il affirme que ces
a et dans ceux qui sont sauvés et dans ceux deux expressions sont essentiellement diffé-
« qui périssent odeur de vie pour la vie, en
; rentes l'une de l'autre ? En effet, parce qu'il est
« faveur de quelques-uns odeur de mort , dit de Dieu qu'il crée les maux, il en conclut
« pour la mort, contre d'autres » Mais pour- . que Dieu les engendre, et en cela il est par-
quoi ajoute-t-il aussitôt : « Qui est capable de faitement d'accord avec les Ariens, qui sou-
« nous comprendre^?» pour nous n'est-ce pas tiennent comme lui que, dans les Ecritures,
faire comprendre que nous nous montrons créer et engendrer sont une seule et même
en quelque sorte importuns en insistant sur chose. S'il en est ainsi, comment donc le

ces vérités devant des hommes charnels, lé- Seigneur ne dit-il pas du bon arbre qu'il crée
gers ergoteurs et incapables de les com-
, de bons fruits, et du mauvais arbre qu'il crée
prendre? Plaise seulement à Dieu qu'ils ces- de mauvais fruits? Il affirme au contraire que
sent de les blasphémer I cet arbre fait ses fruits bons ou mauvais ;
XLIX. Peut-être notre adversaire ignore-t-il quelle preuve plus évidente que taire et créer
la lutte ardente soulevée contre les Ariens, qui sont souvent pris dans le même sens? que
soutenaient que le Fils unique de Dieu est peut-il donc opposer à ce raisonnement ?
une simple créature, et qui, pour justifier leur N'est-ce pas une étrange folie de soutenir que
erreur, établissaient une similitude parfaite le Dieu des Prophètes soit l'arbre mauvais et

entre ces expressions être créé et être en- : que ce soit là le sens de ces paroles du Sauveur:
gendré. Pour prouver la fausseté de son «L'arbre mauvais fait de mauvais fruits»;
principe, il suffit de lire dans le même
Pro- sur quoi il ose raisonner ainsi « Dieu ne fait :

phète les paroles suivantes « : Je suis le Dieu « pas les maux, mais il les crée, parce que s'il

«créant la lumière et faisant les ténèbres, « les faisait, ces maux seraient extérieurs à
« faisant la paix et créant les maux ' » Pour- . « sa nature et en dehors de lui ; il les crée

quoi donc n'a-t-il pas cité ce passage tout en- « parce qu'il engendre de lui-même ».
les

tier, pourquoi même ne l'a-t-il pas cité tex- Ce n'est donc pas de ce Dieu que le Seigneur
tuellement? On pourrait facilement admettre a dit « L'arbre mauvais fait de mauvais
:

que, sans aucune arrière-pensée mauvaise, « fruits » car ce Dieu ne fait pas ces maux,
,

il ait substitué le mot biens au mot paix, il les crée. Comment donc oser accuser les

puisque la paix est un bien réel. Mais il n'en Prophètes, et ne pas voir que ces honteuses
est pas de même quand, dans la première accusations sont confondues par l'Evan-
partie du texte, il passe sous silence la lu- gile ?
mière, et refuse de citer ces paroles « Créant : qu'un passage du Deutéro-
L. Mais voici
« la lumière. » II ne pouvait pas dire : nome d'une impureté grossière,
qu'il accuse
créant la lumière ; car , du moment qu'il nous fournit l'occasion de connaître la bas-
admet que lumière est bonne, il ne pou-
la sesse et l'impureté de son cœur. Dieu, dit-il,
vait en rapporter à Dieu la création, puisqu'il aurait dû rougir de honte à la seule pensée
' Sag. u, 23. — ' n Cor. il, 15, 16. — ' Isaïe, XLV, 7. '
Matt. vu, 17.
304 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

des horribles châtiments dont il frappe les ample matière pour y dérouler ses folies?
pécheurs ; et voici pourtant la sentence qu'il Plus ce langage lui paraîtrait juste, plus ne
formule d'une manière absolue « La femme : sentirait-il pas le besoin d'y répondre par

« délicate accoutumée aune \ie molle, qui d'horribles malédictions, ne fût-ce que parce
a avait peine à poser un pied sur la terre à qu'il est dit : « Recevant ainsi en eux-mêmes
« cause de sa délicatesse et de sa mollesse ex- « la juste peine qui était due à leur erreur? »
« trêmes, jettera un œil d'envie sur son mari, En effet, l'Apôtre n'a pas hésité un seul instant
« sur son fils, sur sa fille, sur cette masse im- à proclamer que ceux qui ont servi la créa-
« pure qu'elle a rejetée au dehors, et elle dévo- ture de préférence au Créateur, ont dû néces-
« rera ce qui est sorti de son sein » L'horrible '
. sairement recevoir la récompense qu'ils mé-
ici le dispute à la terreur. En effet, ce n'est ritaient, non pas en ce sens qu'ils aient subi
point là une prophétie mais une menace ;
malgré eux ces tur[)itudes, mais en ce sens
l'écrivain sacré n'invite point les hommes à qu'ils s'y sont abandonnés volontairement et
réaliser ces hontes il les prévient seulement
; avec plaisir. Qu'on n'oublie pas surtout que
que s'abandonnent aux instincts de leur
s'ils cet abîme s'est ouvert sous leurs pieds, non
sens dépravé, ils deviendront les victimes pas à la suggestion d'un homme qui aurait
de chàiiments horribles. Comment doue ex- fait ses délices de tontes ces impuretés, mais
primer par le langage le degré d'abjection par l'effet du juste jugement de Dieu « qui les
d'une inteUigence qui a horreur du châti- « a livrés à ces passions ignominieuses ». C'est
ment, et qui n'hésite pas à commettre les ainsique leurs crimes sont punis par de nou-
crimes qui peuvent l'en rendre digne? Que veaux crimes, et que le supplice du pécheur
l'Esprit-Saint, qui est la pureté par essence, consiste dans l'accroissement de ses vices, et
n'hésite pas à nous dire
crimes qu'une les non pas dans tel tourment particulier. Que le
âme immonde refuse d'entendre, et dont elle sage médite ces paroles, et il comprendra aus-
ne rougit pas de se rendre coupable. Les sens sitôt que le plus terrible châtiment dont Dieu
charnels s'offensent quand on leur déroule les puisse nous frapper en cette vie, ce n'est pas
impuretés de la chair, et l'impudique étouffe de nous envoyer des souffrances aiguës, mais
les sens de son cœur pour se livrer plus libre- de nous livrer aux dérèglements de notre
ment à l'amour de l'impudicité. Oui, que cœur. Quiconque se révolte contre ces justes
l'Esprit-Saint proclame hautement toutes ces jugements de Dieu, prouve assez clairement
hontes, afin que l'horreur du châtiment ins- qu'il subit déjà le châtiment de Pharaon, l'en-
pire l'horreur de la faute. durcissement du cœur quoi (|u'il dise dès ;

LL Ce même Esprit, inspirant l'Apôtre, lors, le sage méprise ses paroles insensées.
n'hésite pas à offenser les sens impies et cri- Dieu»,ditrAiiôtre, «a livré à un sens dépravé
minels, pour instruire les fidèles. En effet, a ceux qui n'ont pas fait usage de la connais-

après avoir rappelé l'impiété de ceux qui ont a sance qu'ils avaient de Dieu, en sorte qu'ils

adoré et servi la créature de préférence au « se sont abandonnés à des actions indignes b '
.

Créateur, l'Apôtre ajoute : « C'est pourquoi Qu'y a-t-il donc d'étonnant que celui qui blas-
a Dieu les a livrés à des passions honteuses, plième les oracles sacrés, et que Dieu a aban-
8 car les femmes parmi eux ont changé l'usage donné à son intelligence dépravée, se livre à
a qui est selon la nature, en un autre qui est des discours indigneset scandaleux? «11 faut»,
« contre la nature les hommes, de même, re-
: dit encore l'Apôtre, a qu'il y ait des hérésies,
jetant l'union des deux sexe:i qui est selon « afin de donner aux justes l'occasion de se
« la natnre, ont été embrasés d'un désir bru- « déclarer parmi vous ' » . C'est ainsi que les
a tal uns
les l'homme
à l'égard des autres, vases de colère sont destinés à certains lieux
« commettant avec l'homme des crimes in- et à certaines époques, et Dieu s'en sert pour
« fâmes, et recevant ainsi en eux-mêmes la rendre plus visibles les richesses de sa gloire
« juste peine qui était due à leur erreur ». Si en faveur des vases de miséricorde tirés ,

un ennemi de l'Apôtre profitait de ces paroles comme les autres de la masse commune de
pour lancer contre lui les blasphèmes que damnation, et appelés à un rang d'honneur,
notre adversaire vomit contre certains pas- non pas en vertu de leurs proi)res mérites,
sages de l'Ancien Testament, n'aurait-il pas mais par la pure libéralité de Dieu '. Dans les
' Ucut. xjcvill, 56, 57. '
liom. 1, -iVI-S. — ' I Cor. xi, la. — ' Houi. ix , 22, 23.
LIVRE PREMIER. — PASSAGES INCRIMINÉS DE L'ANCIEN TESTAMENT. oOo

desseins de Dieu, nous devons tirer notre nome, au passage qui nous occupe. Si Cicé-
profitnon-seulement des enseignements que ron, malgré sa grande éloquence et les soins
nous donne la vérité, mais aussi des folies minutieux avec lesquels il châtiait son lan-
auxquelles la vanité s'abandonne c'est ainsi ; gage, a cru devoir dire lui-même ce qu'il ne
qu'en réfutant les absurdités dont la vanité se voulait pas qui fût dit à combien plus forte
;

nourrit, on arrive à une connaissance plus raison Dieu, qui est plus désireux encore de
claire et plus précise de la vérité. la beauté et de la pureté des mœurs que de
LU. Une sotte vanité reprocbe à Dieu de te- celles du langage, n'avait-il pas le droit d'user,
nir un honteux langage mais si nous prêtons ; non pas de paroles obscènes, mais de me-
l'oreille aux accents d'une miséricordieuse naces horribles pour inspirer la plus vive hor-
vérité, nous comprendrons qu'il n'est aucu- reur du crime dont il défendait la perpétra-
nement honteux de se servir d'expressions lion ? Evidemment Dieu avait ce droit, et
honteuses, pour inspirer toute l'horreur pos- cependant, en face de ce langage l'infidéUté
sible de l'impureté. S'il n'en était pas ainsi, ferme ses oreilles, détourne ses regards, rou-
quelles accusations ne mériteraient pas à saint git sur son front, agite sa langue et lance le
Paul, de la part des impies, ces paroles éner- blasphème. Dites-moi, de tels hommes ne
giques : « Plùtii Dieu que ceux qui vous trou- sont-ils pas de la race de ceux qui, entendant
ce bleut fussent plus que circoncis M » Et le Sauveur parler du sacrement de son corps

pourtant, si Ton veut bien comprendre ces et de son sang, s'écrièrent « Ce discours est :

paroles, on verra qu'elles renferment plutôt dur, et qui peut l'entendre ?» Si l'on vou-
c<

une bénédiction, la bénédiction réservée à lait pourtant établir entre eux une différence,

ceux qui se rendent chastes , en vue du elle serait en faveur de ceux qui, sans com-
royaume des cieux. Mais un aveugle besoin prendre le langage divin, y voyaient quelque
de chicane ne laissera pas d'en faire un
la chose d'horrible, non pas dans le sens d'une
crime à l'Apôtre, sous le vain prétexte qu'il malédiction, mais à un point de vue de béné-
ne devait pas couvrir d'une expression hon- diction. En effet, il n'est pas étonnant qu'une
teuse, une idée chaste et honnête. Il faut donc malédiction inspire de l'horreur, et on n'exige
adresser le même reprocbe au Sauveur qui, pas que celui qui veut inspirer de la terreur
pour exalter le don de la continence af- , se serve d'expressions quine soient pas pro-
firme qu'il en est « qui se font eunuques pres k la produire. Or, tel était le sens dans
«pour le royaume des cieux ^», Examinez lequel le Seigneur parlait, c'était l'amour
donc ces beaux esprits, et j'appelle ainsi ceux qu'il commandait et non la crainte. Et ce-
qui lisent, sans les comprendre, les œuvres pendant, quelle infidélité pourra jamais en-
des littérateurs est-ce que dans les
; œuvres tendre un langage comme celui-ci « Ma :

mêmes de Cicéron, ils ne rencontrent pas des « chair est véritablement une nourriture, et

expressions semblables à celles qu'ils se font « mon sang véritablement un breuvage si ;

gloire d'incriminer en Jésus-Christ, prouvant o vous ne mangez ma chair et si vous ne bu-


ainsi qu'ils sont plus corrompus qu'ils ne sont « vez mon sang, vous n'aurez pas en vous la
habiles? Cicéron, qui avait défendu d'employer « vie' ? » Ainsi la sagesse divine n'a pas craint,
dans langage aucune parole obscène, s'ex-
le pour produire la foi dans les âmes, de se ser-

prime ainsi en parlant de la mort de Scipion : vir des expressions les plus propres à désigner
« Je ne veux pas qu'on dise que la république le sacrement, sans prendre souci des répu-
« a été rendue eunuque par la mort de l'Afri- gnances qu'elles pourraient faire naître dans
cain ' ». Si donc, malgré sa propre défense, des intelligences charnelles. A plus forte rai-
il de cette expression si, pour mieux
s'est servi ; son, sous la loi de crainte, cette même sagesse,
flétrir le crime qu'il voulait faire éviter, il pour inspirer une terreur plus vive, n'a-t-elle
s'est vu réduit, malgré ses principes, à for- pas dû se préoccuper des erreurs d'un insensé,
muler un semblable langage comment con- ; ni de l'horreur que ces paroles devaient lui
damner dans l'écrivain sacré une expression inspirer Ce qui doit inspirer une horreur
!

qui, après tout, n'exprimait que la réalité et profonde, n'est-ce pas la dégradation spiri-
avait besoin d'être parfaitement comprise i)ar tuelle de ces hommes, qui nous paraissent sai-
l'auditeur ? Mais revenons, quant au Deutéro- sis du désir famélique de se repaître de pensées
Cial. V, 12. — = Malt, xix , 12. - • De Oratore, liv. lU. '
JcuD, VI, 61, jG, 5*.
506 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

charnelles et grossières? Cette malédiction, se matérialisent, et moins elles sont capables


qu'il reproche si amèrement au Prophète, ne d'en éprouver une horreur salutaire.
s'est réalisée que rarement, car comment sup- LUI. Mais je vois que je ne puis renfermer
poser que le tourment de la faim puisse aller dans un seul livre la réponse à celui que vous
jusqu'à dévorer ces hideuses productions du m'avez envoyé. Arrêtons-nous donc ici, sauf
corps humain ? Il n'en est pas de même de à en former un second avec les observations
cette faim dévorante qui pousse toutes ces qu'il nous reste à présenter. La fin d'un livre
âmes privées de vérité, à se nourrir de toutes est en quelque sorte pour le lecteur, ce qu'est

ces erreurs grossières enfantées par des sens une hôtellerie pour le voyageur, un lieu et un
charnels; plus elles s'en assimilent, plus elles moment de repos.
sont malheureuses ;
plus elles s'abaissent et
LIVRE SECOND.
Explication des passages du Nouveau Testament opposés par l'hérésie à la loi et aux Prophètes.

I. Il nous reste à expliquer du Nouveau Tes- l'infini, dont l'unique conséquence est de sou-
tament les passages que notre adversaire es- lever une multitude de questions aussi vaines
saie de mettre en contradiction avecles lettres que ridicules. Mais admettons que son igno-
prophétiques, comme si les écrits des Apôtres rance soit inspirée par la plus entière bonne
pouvaient en être condamnation. Tout d'a- la foi, peut-il rester sourd aux enseignements

bord, il soutient que l'Apôtre a flétri du nom de l'Evangile, jusqu'à ne pas remarquer que
de fables vieillies et profanes, de généalogies .lésus-Christ reproche aux Juifs dans les ,

indéfinissables, les divins oracles de la loi et termes les plus amers, de pousser l'impiété
des Prophètes ; il allègue en preuve ces pa- jusqu'à déclarer aux enfants qu'ils ne sont
roles: «Evitez les fables profanes et vieillies'»; pas obligés d'honorer leurs parents? A cette

et ces autres : a Ne scrutez pas les fables judaï- occasion le Sauveur rappelle et confirme le
« ques ni leurs généalogies sans fin, car elles précepte formulé dans l'ancienne loi. Ce que
« sont plus propres à provoquer des questions Jésus-Christ leur reproche avant tout, c'est de
« qu'à produire une véritable édification-». De mépriser le précepte divin et de lui substituer
telles accusations ne supposent-elles pas l'hé- leurs traditions personnelles. Les Pharisiens
résie la plus aveugle? Si l'Apôtre regardait l'An- et les Scribes venaient de lui adresser cette
cien Testament comme un tissu de fables vieil- question : « Pourquoi vos disciples ne sui-
lies, pourquoi son langage est-il si différent de « vent-ils pas la tradition des anciens, et ne
ses convictions ? Ne lisons-nous pas dans l'épître « lavent-ils pas leurs mains avant de prendre
aux Galates : « Dites-moi, je vous prie, vous qui a leur nourriture? » Jésus leur répondit :

« voulez être sous la loi, n'avez-vous point « Isaie a parfaitement prophétisé votre hypo-
lu la loi? Car il est écrit qu'Abraham eut « crisie quand il a écrit: Ce peuple m'ho-
« deux fils, l'un de la servante, l'autre de la « nore des lèvres, mais son cœur est loin de
a femmelibre. Tout ceci est une figure, car « moi. C'est en vain qu'ils m'honorent, ceux
« deux femmes sont les deux alliances ^?»
ces « qui enseignent la doctrine et les préceptes des
Et dans l'épître aux Corinthiens «Je ne veux : hommes. En efïet, vous quittez le précepte
a pas que vous ignoriez, mes frères, que nos « de Dieu pour embrasser la tradition des
a pères ont tous élé sous la colonne de nuée, « hommes, comme de purifier les vases et les
« qu'ils ont tous traversé la mer Rouge, qu'ils « coupes et autres choses semblables ». Et il

« ont été baptisés sous la conduite de Moïse leur disait : « N'êtes-vous donc pas des gens
« dans la nuée et dans la mer, qu'ils ont tous « bien religieux d'anéantir le commandement
a mangé d'une même nourriture spirituelle « de Dieu pour garder votre tradition ? Car
« et bu d'un même breuvage spirituel; car ils « Moïse a dit Honorez votre père et votre
:

« buvaient de l'eau de la pierre spirituelle « mère ; et : Que celui qui dira des paroles
qui les suivait, et cette pierre était Jésus- « injurieuses à son père ou à sa mère soit puni
« Christ »
? » « de mort. Vous, au contraire, vous dites: si un
II. Notre adversaire ne sait donc pas qu'en « homme dit à son père ou à sa mère: Corban
dehors de leurs Ecritures canoni(iues et pro- « (c'est-à-dire l'offrande) que je ferai, vous pro-
phétiques, les juifs ont leurs traditions non « filera, quelle qu'elle soit, en ce cas vous ne lui
écrites, consignées dans leur propre mémoire, » permettez plus de rien faire pour assister son
et qui se transmettent par la parole de géné- « père ou sa mère. Et ainsi vous rendez inutile
rations en générations ? Ces traditions osent « le commandement de Dieu par votre tradition
enseigner que Dieu créa deux femmes au pre- « que vous-mêmes avez établie et vous faites ;

mier homme ; et sur celte absurdité ils bâtis- « encore beaucoup d'autres choses sembla-
sent, comme dit l'Apôtre, des généalogies à « blés ». Dans ces paroles le Sauveur prouve
'

'
1 Tim. IV, 7.- ' Id. r, 1.— ' Gai. iv, 21-21.— • I Cor. X, 1-1. * Marc, vil, 1-13.
508 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

deux choses: d'abord que Dieu est l'auteur « moi-même (quoique j'en eusse une à l'égard
véritable de cette loi ancienne que notre ad- « de Dieu, ayant celle de Jésus-Christ), afin de
versaire croit digne de tous les blasphèmes ;
« gagner ceux qui étaient sans loi je me ;

en second lieu, que les Juifs avaient des tradi- « suis rendu faible avec les faibles, pour ga-
tions particulières et opposées à la doctrine « gner les faibles je me suis fait tout à tous
;

des livres canoniques; ce sont ces traditions 8 |)Our les sauver tous ». Voici d'après '

que l'Apôtre appelle des fables vieillies et pro- notre auteur les quatre classes de personnes
fanes, des généalogies interminables. Si un dont parle ici l'Apôtre les Juifs, ceux qui sont :

hérétique ne trouve pas ces vérités dans les sous la loi, ceux qui n'ont pas de loi, et
paroles de Jésus-Christ, le lecteur catholique enfin les faibles. Reste la cinquième, qu'il faut
les y perçoit d'une manière évidente. De plus, désigner puisqu'elle a été promise. Notre au-
si je voulais citer tous les passages dans les- teur formule en ces termes
la « L'Apôtre :

quels le Sauveur et ses Apôtres empruntent « avait dit plus haut Nous enseignons la sa- :

les paroles de la loi et des Prophètes, et que « gesse aux parfaits ^ ». 11 est facile de voir

notre adversaire regarde comme autant de que tout cela n'est pour lui qu'un stratagème
fables vieillies, je ne pourrais pas y suffire. savamment combiné, à l'aide duquel, si on
Du reste, tout homme sensé saura se contenter lui allègue quelque passage d'une lettre apos-

de ce qui précède. tolique pour lui prouver que l'Evangile con-


111. ne puis supposer que notre adver-
Je firme la loi et les Prophètes, il répond tout
saire se montre sourd
et aveugle à rencontre triomphant que l'Apôtre, dans ce passage, ne
de la lumière et de la parole divine et apos- s'adresse point aux sages et aux parfaits, mais
tolique, jusqu'à ignorer que dans les livres aux Juifs comme juif, ou à ceux qui sont sous
du Nouveau Testament Jésus-Christ et les Apô- la loi comme étant lui-même sous la loi.

tres reconnaissent et confirment l'autorité de Armé de cette invention où la ruse le dispute


la loi et des Prophètes. Qu'il cherche donc le au mensonge, il nous fait entendre que l'A-
moyen d'échapper aux conséquences qui ré- pôtre, en s'adressant aux imparfaits, simule
sultent pour lui de cette masse imposante de de construire ce qu'il détruirait, non pas à
témoignages qui se lèvent de tous les livres l'aide du mensonge, mais en proclamant

évangéliques et apostoliques en faveur de hautement la vérité, s'il s'adressait à des


l'Ancien Testament. Quoi qu'il fasse, bon gré hommes infâme machination
parfaits. Cette

mal gré, son obstination et sa haine devront de l'erreur a été fabriquée par un certain Fa-
s'avouer vaincues. L'Apôtre nous parle, selon bricius, à qui notre adversaire décerne fière-
lui, de cinq classes de personnes dont il définit ment le brevet de maître de la vérité, et qu'il
le caractère; et à ce sujet notre adversaire fait se glorifie d'avoir rencontré dans la ville de
observercique pour insinuer à un peuple gros- Rome. Sans être chrétien, ne suffit-il pas du
« sier la connaissance des choses de Dieu, plus grossier sens commun pour charger de
« l'Apôtre ne devait pas commencer par les toutes les hontes humaines une erreur aussi
choses les plus parfaites, ni s'attaquer de monstrueuse?
a prime abord à celles de leurs anciennes ha- IV. Et d'abord, comprenons jusqu'à quel
bitudes qui paraissaient le plus difficiles à point il faut pousser la fraude et le men-
« corriger, dans la crainte que la perfection songe et en pour oser dii'e que
faire profession,

« même de sa doctrine ne fût pour eux un l'Apôtre est un menteur et pour l'en louer.
8 obstacle à l'embrasser ». Pour prouver ce Que i)Ouvons-nous penser de l'audace avec
qu'il avance, il cite les propres paroles de l'A- laquelle il soutient qu'on ne doit voir qu'une
pôtre Etant libre à l'égard de tous, je me
: a détestable fourberie dans le langage de l'Apô-
« suis rendu serviteur de tous pour gagner tre, alors même que, saisi d'une immense

« à Dieu plus de personnes. J'ai vécu avec les compassion pour les âmes, et désireux d'ap-
«Juifs, comme juif, afin de gagner les Juifs; jiorler nombreuses maladies,
remède à leurs
a avec ceux qui sont sous la loi, comme si Paul sait cœur généreux
trouver dans son
«j'eusse encore été sous la loi, quoique je (les accents de miséricorde et de pardon ,

« n'y fusse pas assujéti, afin de gagner ceux comme il en aurait désiré pour lui-même, si
« (|Mi sont sous la loi; avec ceux (|ui n'avaient comme eux il eût été victime de la faiblesse et
M point de lui, comme si je n'en eusse [loial eu '
1 Cor. l.\-, 19-1'2. lu. 11, 6.
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. 509

de l'erreur? Je demande ensuite aux Romains, D'abord, c'est à eux que Dieu a confié ses
aux Corinthiens, aux Galates, aux Epliésiens, oracles « Qu'importe que plusieurs d'entre
:

aux Colossiens, aux Pliilippiens, aux Tliessa- « eux n'aient pas cru? est-ce que leur incré-
loniciens comment parlait l'Apôtre? Dans la- « duiité détruira la foi de Dieu? » Voici main-
quelle de ces cinq classes de personnes les tenant la suite des paroles que j'ai citées plus
rangeait-il? Puisqu'ils étaient incirconcis, il haut : donc quelques-unes des branches
« Si

ne devait pas les placer dans la circoncision « ont été rompues, et si vous, qui n'étiez qu'un
Israélite. Cependant il déclare qu'ils sont le « olivier sauvage, avez été enté parmi celles
but du ministère qui lui a été confié; ne dit- « qui sont demeurées, et avez été fait partici-
il pas que Pierre, Jacques et Jean lui ont « pant de la sève qui sort de la racine de l'oli-

conllé, à lui et à Barnabe, la mission de prê- « vier, vous ne devez pas vous élever présomp-
cher aux Gentils, tandis qu'ils se sont réservé « tueusement contre les branches naturelles.
Jes peuples circoncis '
? Ailleurs il affirme « Si vous pensez vous élever au-dessus d'elles,

hautement Puisque je suis l'apôtre des


: « « considérez que ce n'est pas vous qui portez
« Gentils»; enfin dans beaucoup d'autres pas- « la racine, mais que c'est la racine qui vous
sages il déclare que par son propre minis- « porte. Vous direz peut-être Ces branches :

tère ildocteur des nations. Or, toutes


est le « ont été rompues afin que je fusse enté à leur
ces nations auxquelles il prêchait l'Evangile « place. Il est vrai, elles ont été rompues à
étaient absolument étrangères aux prescrip- « cause de leur incrédulité, et pour vous, vous
tions de la loi; pourquoi, dès lors, invoquer en a demeurez ferme par votre foi mais prenez ;

faveur de Jésus-Christ le témoignage de la a garde de vous élever et tenez-vous dans la


loi et des Prophètes? pourquoi leur imposer « crainte. Car si Dieu n'a point épargné les
un lien qu'ils ne connaissaient pas, le lien de « branches naturelles, tremblez qu'il ne vous
l'erreur, quand au contraire il devait se glori- « épargne pas davantage. Considérez donc la
fier de les voir jouir d'une liberté parfaite? « bonté et la sévérité de Dieu ; sa sévérité
Pourquoi débuter ainsi dans sa lettre aux Ro- « contre ceux qui sont tombés, et sa bonté
mains « Paul : serviteur de Jésus-Christ
,
« envers vous, si toutefois vous demeurez ferme
,

« appelé à l'apostolat pour annoncer l'Evan- a dans l'état où sa bonté vous a placé autre- ;

« gile de Dieu, qu'il avait promis auparavant c( ment, vous aussi, vous serez retranché. S'ils
« par ses Prophètes dans les Ecritures saintes, « ne demeurent pas eux-mêmes dans leur in-
« touchant son Fils qui, selon la chair, lui est né « crédulité, seront de nouveau entés sur
ils

« du sang de David ^?» Pourquoi ne se présente- a leur tige, puisque Dieu est tout-puissant
t-il pas comme l'un d'entre eux ? pourquoi se « pour les enter encore. Car si vous avez été
déclarer sous le joug de la loi, devant des a coupé de l'olivier sauvage qui était votre
hommes qui avaient été sans loi? pourquoi « tige pour être enté contre votre na-
naturelle,
leur adresser un langage comme celui-ci : « à. combien plus forte
ture sur l'olivier franc,
«C'est pourquoi je vous dis, à vous qui êtes « raison ceux qui sont les branches naturelles
a gentils, que tant que je serai l'apôtre des « de l'oliviermême, seront-ils entés sur leur
« Gentils, je travaillerai à illustrer mi- mon « propre tronc. Carjene veux pas, mes frères,
« nistère, afin d'exciter de l'émulation dans « que vous ignoriez ce mystère (afin que vous
« l'esprit de ceux qui me sont unis selon la a ne soyez point sages à vos propres yeux), en
« chair, et d'en sauver quelques-uns. Car, si « vertu duquel une partie des Juifs est tombée
« leur réprobation est devenue la réconcilia- a dans l'aveuglement, jusqu'à ce que la pléni-
« tiondu monde, que sera leur rappel, sinon un « tude des Gentils soit entrée dans l'Eglise;
« retour de la mort à la vie? Car, si les pré- a après quoi tout Israël sera sauvé, selon qu'il
« mices des Juifs sont saintes, la masse l'est 8 est écrit : Il sortira de Sion un Libérateur
« aussi ; et si la racine est sainte, les
rameaux « qui bannira l'impiété de Jacob, et c'est là
le sont aussi ». Ces paroles s'adressent aux « l'alliance que je feraiavec eux, lorsque j'au-
Juifs, dont il avait déjà dit précédemment : a rai effacé "leurs péchés '». Il serait trop
« Qui donc peut l'emporter sur le Juif, ou long de rappeler et de réunir tous les témoi-
« quelle est l'utilité de la circoncision? » Elle gnages que la sainte Ecriture renferme sur ce
est grande, et sous beaucoup de rai)ports. point. Mais enfin, quel besoin portait l'Apôtre
' al. II, 9. — ' Rom. I, 1-3. * Rom. XI, 13-117.
510 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

à adresser aux Gentils un semblabe langage? « les uns et les autres, nous avons accès auprès
Puisqu'ils n'avaient aucune connaissance de « du Père, dans un même esprit. Vous n'êtes
la loi, pourquoi ne secouait-il pas à leurs a donc plus des étrangers hors de leur pays et
yeux le joug de la loi ? pourquoi ne pas s'atta- « de leur maison mais vous êtes citoyens de ;

cher de préférence à louer leurs dieux, à exal- « la même Cité que les saints, et vous apparte-
ter leurs sacriflces, puisque, selon notre ad- « nez à la maison de Dieu. Car vous êtes édifiés
versaire, c'est au démon que se rapportaient a sur le fondement des Apôlres et des Pro-
également et l'Ecriture donnée au peuple « phètes, et unis en Jésus-Christ qui est la
d'Israël, et les sacrifices célébrés par les Gen- «pierre principale de l'angle *
». Que ce
tils? Est-ce que notre auteur ne soutient pas blasphémateur nous explique donc comment
que le Dieu d'Israël non-seulement est un dé- l'Apôtre a pu dire que les Israélites étaient
mon, mais le plus pervers de tous les démons? proches de Dieu, tandis que les Gentils en
Nous savons que l'Apôlre se faisait toutà tous, étaient éloignés, quoique le démon servi par
et jusque-là, nous appuyant sur l'évidence les Juifs eût été plus pervers que les démons
même, nous croyions que c'était par un senti- auxquels les Gentils prodiguaient leurs adora-
ment de compassion et de miséricorde; mais tions. Comment peut-il affirmer que les Gentils
voici qu'on nous apprend que c'était par ruse étaient exclus de la société judaïque et étran-
et pour mieux tromper; mais alors pourquoi gers aux alliances et aux promesses divines;
donc ne se déclare-t-il pas l'adorateur de ces qu'ils étaient sans espérance et sans Dieu dans
démons que servaient les Romains, et qu'on ce monde, si Israël lui-même n'était pas le
nous présente comme plus parfaits que le Dieu peuple de Dieu? Se peut-il que Paul, cet ora-
d'Israël; c'eût été un excellent moyen de se faire cle éclatant de la vérité divine, trouve un in-
tout à eux et de les gagner plus facilement. jurieux contradicteur dans cet insensé qui
V. Ne lisons-nous pas dans auxl'épître pousse la témérité jusqu'à dire que l'Apôtre
Ephésiens « C'est pourquoi vous souvenant
: ne spécifie les cinq classes d'auditeurs aux-
« qu'étant gentils par votre origine, et du noni- quels il que pour mieux tromper
s'adresse,
« bre de ceux qu'on appelle incirconcis, pour les uns elles autres, en se faisant passer pour
« les distinguer de ceux qu'on appelle circoncis ce qu'il n'est pas? Comment donc ne voit-il
« selon la chair, à cause d'une circoncision pas que c'est le même Dieu, la même loi, les
« faite par la main des hommes, vous n'aviez mêmes Prophètes, les mê:iies Testaments qu'il
« point alors de part en Jésus-Christ, vous étiez prêche à ces Gentils, dont il dit qu'ils étaient
« entièrement séparés de la société d'Israël, éloignés du Dieu d'Israël? Quel est celui qui
a vous étiez étrangers à l'égard des alliances le premier a parlé de la pierre angulaire?
« divines, vous n'aviez pas l'espérance des N'est ce pas un Prophète tout rempli de l'Es-
« biens promis, et vous étiez sans Dieu en ce prit de Dieu, et que notre adversaire maudit
a monde. Mais maintenant que vous êtes en comme la peste ? Voici les paroles d'isaïe :

« Jésus-Christ, vousqui étiez autrefois éloignés « Je place en Sionla pierre angulaire, choisie,
« de Dieu, vous êtes devenus proches de lui par « précieuse ; celui qui croira en elle ne sera
a le sang de Jésus-Christ. Car c'est lui qui est « pas confondu - ». Ce passage a été cité de
«notre paix; c'est lui qui des deux peuples nouveau par l'Apôtre saint Pierre '. Plus haut
« n'en a fait qu'un c'est lui qui a détruit en sa
; encore, dans un psaume qui assurément fai-

« chair le mur de séparation, cotte inimitié qui sait partie des livres sacrés de l'ancien peu-
« les divisait. C'est lui qui, par sa doctrine, a ple, nous lisons « La pierre qu'ils ont rejetée
:

« aboli la loi de Moïse chargée de tant de pré- « de leurs constructions, est devenue la pierre
ce ceptes, afin de former en lui-même, de ces « angulaire' ». C'est donc après s'être inspiré
« deux peuples, un seul homme nouveau, en de cette doctrine, que Paul a pu dire de Jésus-
a metlant la paix entre eux. Il a ainsi réuni ces Christ « qu'il est la pierre principale, angu-
« deux peu|)les eu un seul corps, afin de les ré- « laire Le Sauveur, pour convaincre les
».
concilier avec Dieu par sa croix, après avoir Juifs d'aveuglement et pour les confondre,
« détruit en lui-même leur nuituelle inimitié. leur ilisait « N'avez-vous pas lu dans l'Ecri-
:

« Etant donc venu, il a amioncé la paix tant à « turc ([ue la pierre qu'ils ont rejelée de leurs
« vous qui étiez éloignés de Dieu, qu'à ceux
•EpWs. Il, ll-HO. — Isa. xxviii, 16. — • Act. IV, Il ; I Pierre,
« qui en étaient proches. Car c'est par lui que, 11, a-8. — ' Ps. C.WII, 22.
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. 511

« constructions est devenue la pierre angu- l'œuvre de je ne sais quel démon pervers, il

M laire ; c'est là l'œuvre de Dieu, et elle frappe faut en conclure que celui qui ofïrait de tels
«nos yeux d'admiration ». Si maintenant
' oracles aux enfants, qui les présentait comme
nous en croyons les blasphèmes de notre ad- vrais et voulait qu'on y crût, jetait dans ces
versaire, Jésus-Christ et les Apôtres, quand malheureux un principe de mort et non un
ils citaient ces passages de la loi et des Pro- principe de vie. Or, nous comprenons ce
phètes, usaient évidemment de mensonges, qu'une telle doctrine a de contraire à la foi et
puisque les Juifs, à raison de leur faiblesse, à l'enseignement apostolique il suit de là ;

étaient réellement incapables de percevoir ces que nous devons regarder comme un ennemi
sublimes enseignements. Ainsi donc, dans son déclaré de la foi chrétienne, celui que l'aveu-
profond aveuglement il ne voit aucune dif- glement et la folie poussent aux derniers
férence entre nourrir des enfants et tromper excès de la haine. En effet, s'agit-il du disciple
les hommes crédules, entre nourrir pour déve- Timolhée? l'Apôtre lui avait ordonné de se
lopper la vie, et agir pour donner la mort. Sa mettre en garde contre les fables antiques ;

haine contre le Dieu de la loi et des Pro- comment donc peut-on soutenir que ces fa-
phètes, va jusqu'au point de soutenir que bles antiques ne sont autre chose que la loi
quand les Apôlres prêchaient aux croyants ce et les Prophètes, que Timolhée a été indigne-
Dieu de des Prophètes, et affirmaient
la loi et ment trompé par l'Apôtre qu'il doit être ,

l'autorité des Ecritures antiennes, ce n'était rangé dans la cinquième catégorie, celle des
pas du lait qu'ils donnaient à boire aux pe- parfaits, et que ce n'est que par un honteux
tits,mais un véritable poison. Avoir une telle mensonge qu'il lui a été dit « Souvenez-vous :

idée de ces Ecritures, c'est faire preuve de folie, « que selon mon Evangile Jésus-Christ, de
de vanité et d'un orgueil insensé. « la race de David, est ressuscité d'entre les
VI. Mais, dira quelqu'un, est-cedoncen vain « morts '
?» Si ce n'est que sur la foi d'une

que l'Apôtre a dit « Je n'ai [lu vous parler


: fable vieillie que nous proclamons Jésus-
« comme à des hommes spirituels , mais Christ de la race de David, comment l'Apôtre
« comme à des hommes encore charnels ,
peut-il ordonner d'éviter des fables dont il
« comme à de petits enfants en Jésus-Christ ;
ordonne de conserver un souvenir perpétuel?
«je ne vous ai nourris que de lait et non pas D'un autre côté, s'il est vrai que Jésus est sorti
« de viandes solides, parce que vous n'en étiez de la race de David, Jésus-Christ est véritable-
« pas alors capables, et à présent même vous ment la souche sur laquelle est enté l'olivier
« ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes en- sauvage, et ces fables vieillies ne peuvent plus
« core charnels ^ »; « nous parlons de la sa désigner i]ue ces traditions imaginaires aux-
« gesse avec les parfaits » ; et : « L'homme ani- quelles les Juifs attachaient une croyance su-
« mal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de perstitieuse. Mais il en est autrement de ces
« Dieu ? » Loin de nous de penser que ce
' oracles divins qui furent confiés au peuple
langage soit frappé de mensonge. Mais de circoncis, et dans lesquels les Juifs charnels
là doit-on conclure que l'Apôtre ait voulu apprirent clairement que le Messie naîtrait
tromper un seul de ses auditeurs ? Aux de la race de David, comme ils l'attestèrent
petits il a présenté une doctrine simple et eux-mêmes dans une réponse qu'ils firent
^
non trompeuse, du lait et non du poison, à Jésus-Christ prou-
, et par laquelle ils

un aliment de vie et non un principe de vèrent qu'ils ne pouvaient comprendre qu'il


mort. Si donc il n'est pas vrai que le Fils de fût le Seigneur de David soit selon l'hu- ,

Dieu soit né selon la chair de la race de David ; manité soit selon la divinité. Cependant
,

sil n'est pas vrai qu'en punition de leur in- nous trouvons dans ces oracles sacrés ce
crédulité, les branches naturelles aient été bri- qu'ils croyaient et ce qu'ils ne compre-
sées, et qu'à leur place l'olivier sauvage de la naient pas. S'agit-il du Christ en tant qu'il
gentilité ait été enté sur le tronc d'Israël pour est sorti de la race de David nous lisons ; :

y puiser la sève de l'olivier ; si, loin d'être la « Je placerai sur votre trône le fruit de

parole même de Dieu , les Ecritures, dont « vos entrailles ' » s'agit-il du Christ en ;

l'Apôtre dit qu'un grand avantage pour les tant qu'il est le Seigneur de David lui-
Juifs est de les avoir reçues en dépôt *, sont même, nous trouvons : « Le Seigneur a dit à
' Malt, iif, -12.— ' I Cor. m, 1-2.— '
Id. li, 6, 11. — 'Rom. ui, 2. U Tim.
' — Matt.Il , 8. = .vxii , 42. — ' fs. cxxxi ,11.
.

HI2 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

« mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite '


» qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils disent,
VIL L'Apôlre tromper
voulait-il donc ,
l'Apôtre ne parlait que de ceux qui se font les
quand il disait « Jésus-Christ m'est témoin
: docteurs d'une loi mauvaise, il ajoute aussitôt :

a que je dis la vérité et que je ne mens point, « Nous savons que la loi est bonne quand on
« ma conscience me rend ce témoignage par le « en use légitimement '
». Cette maxime con-
a Saint-Esprit. Je suis saisi d'une tristesse pro- damne ceux qui usent mal de
tout à la fois, et
a fonde, et mon cœur est pressé sans cesse d'une la loi, et ceux qui la disent mauvaise. Si la loi
a douleur violente. C'est au point que j'eusse est bonne, n'est-ce pas une insigne folie de
a désiré devenir moi-même anathème , à soutenir que l'auteur de cette loi n'est pas
a l'égard de Jésus-Christ, pour mes frères qui bon ? Et comment échapperont à cette con-
a sont d'un même sang que moi selon la , damnation ces hommes qui traitent de fables
a chair, qui sont les Israélites, à qui appartient décrépites, celte loi que l'Apôtre couronne de
a l'adoption des enfants, sa gloire, son alliance, ses éloges, et qui, pour mieux s'appliquer la
« sa loi, son culte et ses promesses; ils ont pour sentence, se posent hardiment, non pas comme
« pères les patriarches, desquels est sorti selon les docteurs, mais comme les blasphémateurs
« la chair Jésus-Christ même qui est Dieu, de la loi, prouvant ainsi qu'ils ne compren-
«au-dessus de tout, et béni dans tous les nent ni ce qu'ils disent ni ce qu'ils affirment?
« siècles. Amen " ». Dès les premières paroles, IX. « Mais, dit notre adversaire, il n'a pas
l'Apôtre afûrme qu'il dit la vérité, qu'il la dit « aux Prophètes des Juifs d'an-
été possible
en Jésus-Christ qui est la Vérité même, et sous « noncer la venue de notre Sauveur ». Pour-

l'impulsion de sa conscience éclairée par l'Es- quoi donc cette impossibilité, quand l'Apôtre
prit-Saint, et il termine cette protestation par déclare formellement « que les oracles de
la forme usitée du serment Amen. Or, voici : « Dieu leur ont été confiés ^ ? C'est parce —
que notre adversaire soutient qu'ici l'Apôtie « que, dit-il, avant la venue du Sauveur, le
ne dit pas la vérité, qu'il trompe les faibles et « S lint-Esprit n'était pas sur la terre » Une .

abuse de l'impossibilité où ils sont de saisir la tellD réponse est simplement de l'absurdité.
vérité qu'il ne distribue pour lait aux en-
;
N'est-ce donc pas de son Esprit que Dieu rem-
ants, que des vanités, et pour nourriture aux plit les Prophètes dont il est dit, au début de
fils de la foi, que le poison des mensonges l'épître aux Romains : « Paul, serviteur de
diaboliques. Plût à Dieu qu'un tel blasphème «Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, séparé pour
ne retentît jamais aux oreilles des chrétiens ! « prêclier l'Evangile de Dieu, qu'il avait pro-
plût à Dieu qu'il fût refoulé bien loin des li- « mis par les Prophètes, dans les saintes Ecri-
mites de l'univers catholique ! Cette adoption, « tures, touchant son Fils qui, selon la chair,

cette gloire, ces alliances, ces dispositions de « nous est né de la race de David ' ? » Notre

la loi , celte obéissance, ces promesses, ces auteur a lui-même cité ce passage, eu ajou-
patriarches de qui est né selon la chair Jésus- tant que, parmi les Prophètes qui ont parlé de
Christ, qui est Dieu béni dans tous les
le Jésus-Christ, on ne doit croire qu'à ceux dont
siècles, n'y a-t-il dans tout cela que des fables l'Apôlre fait mention dans son épître aux Ro-
vieillies ? Celui qui défend de s'occuper des mains; sans doute qu'il n'admet pas qu'il
fables vieillies, n'impose-t-il à son disciple que s'agisse ici des Prophètes juifs. Libre à lui de
lesouvenir de fables vieillies ? les croire de quelle nation il lui plaira, mais
VIII. Ne nous étonnons pas qu'un tel excès du moins pourquoi donc ne fait-il aucune at-
d'impiété produise une sorte de délire dans ce tention à ces paroles « L'Evangile que Dieu :

malheureux qui se proclame le destructeur de « avait promis auparavant par ses Prophètes ?»

la loi ; l'Apôtre n'a-t-il pas dit de certains Si, par ses Prophètes quels qu'ils soient, Dieu

hommes qui se posaient, non pas comme les avait promis l'Evangile touchant son Fils,
destructeurs, mais comme les docteurs de la comment oser soutenir qu'avant la venue du
loi, qu'ils ne comprennent ni ce qu'ils disent Sauveur, le Saint-Esprit n'était pas sur la
ni ce qu'ils alTirineul ? Nous pouvons parfai- terre ? Comment ces Prophètes outils pu an-
tement appliquer aux uns et aux autres la noncer que le Messie naîtrait, selon la chair,
suite du texte. En effet, parce qu'on aurait pu de la race de David, s'ils ne connaissaient pas
conclure, (lu'en disant de certains hommes la nation de David, dans la famille duquel ils
* Ps. CIX, 1.— ^ IV.III. IX, 1-5. • I Tiui. I, 7, H. — ' Hum. 111,2. — ' 1.1. 1, l-:i.
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. S13

annonçaient que le Sauveur prendrait nais- connaître ces Prophètes, qu'on lise les Actes
sance ? des Apôtres et ces paroles de l'épître aux Co-
X. « La donnée par Moïse et
loi, dit-il. fut ; rinthiens « Que deux ou : trois Prophètes
<x la vérité nous vient de Jésus-Cbrist ». Cette n prennent la parole ' » D'un autre côté, s'il .

citation n'est pas littérale ; voici le texte lui- n'y a pas eu de Prophètes avant les Apôtres,
même : a La loi a été donnée par Moïse ;
la quels étaient donc ceux par l'organe desquels
a grâce et la vérité ont été faites par Jésus- Dieu avait promis auparavant son Evangile,
ce Christ ' ». C'est donc par Moïse que la loi a touchant son Fils qui est né, selon la chair, de
été donnée; quant à la grâce, elle a été faite la race de David - ? Qui donc a dit a La :

par Jésus-Christ, et c'est ce qui arrive quand, « pierre qu'ils avaient rejetée de leur cons-

par la diffusion de la charité et de son Esprit a truction est devenue la pierre angulaire '? »

dans nos cœurs ^ il nous est donné d'accom- De qui ces paroles a Votre trône, ô mon Dieu, :

|)lir les prescriptions de la loi. C'est la lettre a est pour le siècle des siècles, le sceptre de

qui commande, mais c'est par l'Esprit qu'elle a votre empire, le sceptre de votre royaume ;

est accomplie. Ainsi cette loi a Vous ne con-


: a vous avez aimé la justice et haï l'iniquité,
« voiterez point ' » nous a été donnée par Moïse , a voilà pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a

en tant qu'elle ordonne mais c'est par Jésus- ;


a oint de l'huile de l'exultation, de préférence

Christ que nous vient la grâce de faire ce qui a à tous les autres '? » Quel est ce Dieu dont

est commandé. Quant à la vérité, elle a été le trône est pour le siècle des siècles, et qui

faite par Jésus-Christ, en ce sens que c'est en est oint par Dieu ? n'est-ce pas Jésus-Christ

lui que toutes les prophéties et toutes les pro- dont l'onction nous est rapi)elée par le mot
messes de la loi se sont accomplies. Christ? Qui donc a formulé ces paroles que
XI. L'Apôtre écrit aux Romains : « Com- le Seigneur s'est appliquées à lui-même a Le :

9 ment invoqueront-ils Celui en qui ils ne « Seigneur a dit à mon Seigneur Asseyez- :

« croient pas ? ou comment croiront-ils à Ce- a vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise

ce lui qui ne leur a pas été annoncé ? » Paul a vos ennemis à servir d'escabeau à vos pieds?»

s'occupe ici des Gentils et non des Juifs. Eu Le Sauveur va plus loin il affirme que c'est :

effet Docteur des nations voulait con-


, le sous l'inspiration du Saint-Esprit que David a
vaincre d'erreur ceux qui prétendaient que prononcé ces paroles ^ et notre adversaire ose
l'Evangile ne devait être prêché qu'aux Juifs, soutenir encore qu'avant la venue de Jésus-
et non aux Gentils incircoucis. Afin de mieux Christ, le Saint-Esprit n'était pas sur la terre?
établir ce point important, il cite d'abord cette Que mots de l'Apôtre « Nous
signifient ces :

maxime du Prophète Quiconque invoquera : « a lisons dans Isaïe Il sortira de la tige de :

c( le nom du Seigneur, sera sauvé» il ajoute ; : a Jessé un rejeton qui s'élèvera pour com-

« Comment invoqueront-ils Celui en qui ils « mander aux nations, et les nations espére-

B ne croient jias ? ou comment croiront-ils à a ronten lui "^? » Quel était cet Esprit qui, par

a Celui qui ne leur a pas été annoncé ? » Il le même Isaïe, avait prédit si longtemps d'a-

termine en disant « Comment leur sera-t-il : vance a II porte nos péchés et il s'est chargé
:

« annoncé, personne ne leur prêche ? ou


si a de nos douleurs. Nous l'avons considéré

c<comment leur prêchera-t-on, si personne a comme un lépreux,comme un homme frappé

a ne leur est envoyé ' ? » C'est ainsi qu'il ré- a de Dieu et humilié. 11 a été percé de plaies

pondait à ceux qui soutenaient que les prédi- B pour nos iniquités, il a été brisé pour nos

cateurs de Jésus-Christ ne devaient pas être a crimes; le châtiment qui devait nous procu-

envoyés aux nations incirconcises. a rer la paix est tombé sur lui, et nous avons

XII. Notre auteur ne comprend pas davan- a été guéris par ses meurtrissures. Nous nous

tage ces autres paroles de l'Apôtre « D'abord : a étions tous égarés comme des brebis er-
« les Apôtres, et ensuite les Prophètes ° ». Il a rantes; chacun s'était détourné pour suivre
en conclut que les Prophètes n'ont pas pré- a sa propre voie, et le Seigneur l'a chargé de
cédé les Apôlres; il ne sait donc pas que l'A- a l'iniquité de nous tous. Il a été sacrifié
pôlre parle ici des Prophètes qui ont paru a [)arce que lui-même l'a voulu, et il n'a
après la venue de Jésus-Christ. Si l'on veut a point ouvert la bouche; il sera mené à la

'
Jean , i , 17. — Rom. v, 5. — ' Exod. xx ,17. — • Rom. .\,

i Cor. ïiv, 29. — ' Rom. I, 2, 3.— ' Ps. cxvil, 22.— ' Ps. xLl\r,
12-ls. — ' I Cor. xcl, 28. 7, S. — ' Ps. cix, 1 ; Mait, zii, 3a. — ' Rom. xv, 12.

S. AuG. — Tome XIV. 33


5U CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

« mort comme une brebis, demeurera dans il versaire l'affirme, la venue du Sauyeur n'a
a le silence comme un agneau devant celui pas été proi'hetisée, comment
jieut-on prouver
a qui le tond. Il est mort au milieu des hu- qu'il est venu? En effet, le Sauveur qu'il
o milialions, après avoir été jugé. Qui racnn- prêche n'a été ni envoyé, ni promis, car
« tera sa génération ? car il a été retranché il est purement imaginaire et n'a aucune
a de la terre des vivants. Je l'ai frappé à cause réalité.
a des crimes de mon peuple, et il a été con- XIII. Je ne m'étonneplusqne cet insenséap-
« duit mort
à ». Le reste du chapitre
la '
pliiiue aux Prophètes des Juifs ces paroles de
mériterait également d'être cité; mais il faut l'Apôtre: « Un d'entre eux, leur propre Pro-
se resireindre. Dans quel Prophète l'Apôlre « phète, dit: Les Cretois sont toujours men-
a-t-il ()uisé cette belle prophéiie de l'Eglise, « teurs,ce sont demcchantes bêles qui n'aiment
formulée longtL-mps à l'avance et maintenant « qu'à manger
et à ne rien faire. Ce lénioi-
réalisée : « Réjouissez- vous, stérile, qui n'en- « gnage rend d'eux est véritable' ». Notre
qu'il
« funtiez chantez des cantiques de
point, adversaire ne sait donc pas que ces paroles
« louange poussez des cris de joie, vous qui
et s'apidiquentànn certain E|iiménide,derîlede
« n'aviez point d'enfants, parce que celle qui Crète, qui a tenu ce langage dans ses livres.
« était abandonnée a plus d'enfants que celle Nous ne comptons pas cet homme au nombre
« qui a un mari, dit le Seigneur. Choisissez des Prophètes de Dieu, et son langage ne fait
a un lieu plus vaste peur dresser vos tentes, nullement partie du dépôt des oracles divins
« élargissez autant que vous pourrez les peaux confiés aux Juifs par la Vérité même. Aussi
a de vos tabernacles, rendez-en les cordages l'Apôtre n'a pas même prononcé son nom,
a plus longs et les pieux mieux affermis. Car quoi(iiriI lui arrive très-souvent de formuler
«vous vous étendrez à droite et à gauche; le nom des Prophètes dont il parle «Comme :

votre postérité aura les nations pour héri- « parle David ^ » ; « Isaïe l'ose et dit ' » ;

a tage, et elle rem|)lira les villes désertes. Ne «comme le dit Osée *


»; souvent aussi il

« craignez point, car vous ne serez pas con- omet leur nom et se conlenle de cette for-
« fondue vous ne rougirez point il ne vous
et ; mule « Comme il est écrit '». Dans sa pensée
:

«restera plus de sujet de honte, parce que il s'agit alors de rEciilure revélue de toute
« vous oublierez la confusion de voire jeu- l'aulorilé de Dieu. Dans d'autres circonstances
« nesse, et vous perdrez le souvenir de l'op- il attribue directement à Dieu le langage qu'il
« probre de votre veuvage. Car Celui qui vous emprunte à tel ou tel prophète, comme dans
« a créée vous dominera, son nom est le Dieu ce passage : « Vous ne lierez point la bouche
« des armées, et le saint d'Israël (jui vous ra- « au bœuf qui foule le grain. Or, Dieu se met-
Dieu de toute la terre ^».
« chètera,s'appellera le « il en i)eine ici de ce qui regarde les bœufs?
De qui ces i)aioles «Je considérais ces choses: « et n'est-ce pas pour nous-mêmes
plutôt
dans une vision de nuit, et je vis comme le « (lu'il a fait cette ordunnance '? » Ou bien
a Fils de l'homme qui venait avec les nuées encore « : Aussi l'Ecriture prévoyant que
« du ciel, et qui s'avança jusqu'à l'Ancien des « Dieu juslitierait les nations par la foi, l'a

«jours; et on le [irésenta devant lui, et il lui « annoncé par avance à Abraham en lui di-

« donna la laiissance, l'honneur et le royaume, « sant Toutes les nations de la terre seront
:

« ettous les peu[)les, toutes les tribus et toutes « bénies dans votre race
''
». L'Ecriture est ici

« les langues le serviront; sa puissance est mise pour Dieu lui-même, parce qu'elle est de
« une |)Uissance éternelle, (jul ne lui sera point Dieu. Il est dit également, en parlant d'Abra-
« ô;ée, et son royaume ne sera jamais détruit^?» ham : « Il n'hesita point et il n'eut pas
Qui donc a inspiré ces prophéties et beaucoup « la moindre défiance de promesse que la
d'autres semblables, (jui s'applniuent si clai- « Dieu lui avait laile, il se fortifia dans la foi,

rement Jesus-Cllrl^t et a son Eglise, que


il « reiiilant gloire a Dieu et éUuil pleinement

nous voyons paifailementacco m plies et si con- « persuade qu'il est luut-iiuissant pour faire

formes aux Lettres évangelii|ues et apostoli- «tout ce (ju'il a promis * ». El c'est contre
ques? Qui lésa inspirées sj, avant l'avéurment Cette parole di\ine et apostolique, que notre
du Sauveur, le Saint-Esprit n'était pas sur la adversaire s'est élevé avec une fureur qui se
terre? D'un autre côté, si, comme notre ad-

Tit. I, 12, 13. — '
Rom. IV, 6. ' — Id. x, 20. — * Id. ix, 25.-
' IM. un, i-B.- '
Id. UT, 1-5 ; Gai. iv, 27.— ' Dan. vu, 13, 1 1.
'
Id. I, 17.— • I Cor. IX, 9, 10.- Gai. '
111,8 — ' Rom. lï, 20,21.
LIVRE SECO>'D. — PASSAGES INCRIMINÉS I)L NOUVEAU TESTAMENT. 315

sent de la rage, et a osé dire qu'Abraham n'a- a devant vous, pour ne vous occuper que des
vait pas cru à la promesse que Dieu lui faisait a morts » . Je ne sais dans quel livre apocryphe
de lui donner un fils; il s'appuie, dans son notre auteur a trouvé ce passage ; toujours
erreur, sur cette parole qu'il ne comprend est-ilqu'on ne doit plus s'étonner de ce que
pas : « Maintenant que je suis âgé de centans peuvent penser, au sujet des vrais Prophètes,
il me naîtra un fils '? » C'est là uniquement des hérétii|ues qui n'acceptent pas l'authen-
le langage de la joie et de l'admiration, et non ticité et l'inspiration de leurs livres. Le véri-
celui de la défiance et du doute. Citons encore table Evangile, que tous reconnaissent à ce
ces autres paroles La parole de Dieu ne
: a cachet de vérité qui le caractérise, nous re-
« peut demeurer sans Car tous ceux qui effet. présente le Sauveur, après sa résurrection,
« descendent d'Israël ne sont pas pour cela cheminant avec les disciples d'Emmaùs, leur
a Israélites et tous ceux qui sont de la race
; expliquant les Ecritures et leur montrant
« d'Abrabam ne sont pas pour cela ses en- dans sa personne la réalisation de tout ce qui
te fanis, puisque Dieu lui dit Ce sera Isaac : avait été prédit par Moïse et les autres Pro-
« qui sera appelé votre que fils, c'est-à-dire phètes '.

9 ceux qui sont enfants selon la chair, ne XV. Notre auteur ajoute : a Jésus-Christ
sont pas pour cela enfants de Dieu, mais ce « s'occupe de sa propre personne quand il

« sont les enfants de la promesse qui sont ré- « dit : En beaucoup me diront Sei-
ce jour :

« pûtes les enfants d'Abraham - ». En parlant « gneur, en votre nom nous avons chassé les

d'Elie « Mais que lui dit la réponse divine?


: « démons, nous avons prophétisé, nous avons

« Je me suis conservé sept mille honunes qui a accompli un grand nombre de prodiges. Je

a n'ont pas fléchi le genou devant BaaP». « leur répoudrai Retirez-vous de moi parce
:

De semblables altestalions ne prouvent-elles a que je ne vous ai jamais connus, parce


pas, malgré les blasjibemes dont elles sont a que vous avez commis l'iniquité - ». Or,

l'objet, que ces Ecritures sont l'œuvre du gardons-nous de croire que ce langage s'ap-
Dieu bon et véritable? l'Apôtre ne laisse au- pli(|ue aux vrais Pro[iliètes, à Moï~e et autres.
cun doute à ce sujet. Au contraire, quand il Jésus-Christ pnrle uniquement de ceux qui,
parle des écrivains des nations païennes, ja- après la promulgation de l'Evangile, se flattent
mais il nelesdésiguesou^le nom dePro|dïéles de parler en son nom et ne savent pas ce
de Dieu, jamais ne dit que Dieu soit l'au-
il qu'ils disent. Au nombre de ces malheureux,
teur de leurs écrits, quoiqu'on y trouve encore nous devons placer celui dont nous réfutons
le germe de quelques vérités, comme, par en ce moment les erreurs.
exemple, dans ce passage « Un d'entre eux, : XVI. 11 prête également au Sauveur les pa-
a leur propre Prophète, a dit que les Cretois sont roles suivantes : a Je suis la porte ouverte aux
9 toujours menteurs 'a. L'Apôtre spécifie que a brebis ; tous ceux qui sont venus avant moi,
c'était un prophète, non pas juif, mais crélois, a sont des brigands et des voleurs ». Cette ci-
et cela afinqu'on ne soit pas tenté de le regar- talion n'est pas exacte, voici le texte véritable :

der comme un prophète de Dieu. Dans les « Tous ceux qui sont venus sont des brigands
Actes des Apôtres, s'adressant aux Athéniens, « et des voleurs ^ ». Le Sauveur désigne sous

et leur pailanl de Dieu, Paul leur dit « C'est : ce nom tous ceux qui sont venus sans avoir
« eu lui que nous vivons, que nous nous agi- été envoyés; c'est a eux que Jéiéniie adresse
a tons et que nous sommes ; c'est la du reste le reproche suivant: «Voici ce que le Seigneur
« ce que vous enseignent quelques-uns des a dit des prophètes qui prédisent en mon

vôtres ». a nom et que je n'ai pas envoyés*». Or, les


a °

XIV. « Mais, dit notre adversaire, dans une prophètes sur lesquels notre insensé déverse
« circon>lance où les Apôtres demandaient à ses blasphèmes, ont reçu leur mission de Dieu
« leur Maître ce qu'il pensait des Prupheles et ne sont pas venus d'eux-mêmes. Le Sau-
a juils qui paraissaient avuirparledesa venue veur parle d'eux sous la forme d'une para-
« Sous la luriue du passe, le Sauveur, ému de bole, mais d'une manière tout a lait évidente:
« rencontrer en eux de telles impi essious, leur «Ecoulez une autre parabole: 11 y avait un
a répondit : Vous oubliez Celui qui est vivant « père de famille qui, après avoir planté une

' Gen. ITII, 17,— Rom. ix, 6-8. — Id. XI, 4 • Til. i, 12. ' Luc, ixiT, 27. — ' Malt, yii , 22, 23. — '
Jean, i, 8. — •
Jér.
' Act. XVII, 28. ITÏ, 13.
516 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

« vigne, l'envirouua d'une haie; et, creusant a clé de la science, et qui, n'y étant point en-
« dans la terre, il y fit un pressoir, y bâtit une B très vous-mêmes, l'avez encore fermée à
« tour, puis il la loua à des \ignerons et s'en « ceux qui voulaient y entrer' ». Cet ensemble

a alla dans un pays éloigné. Or, le temps des de témoignages ne suffirait-il donc pas pour
8 vendanges étant proche, il envoya ses servi- confondre l'impudente vanité de notre adver-
o leurs aux vignerons pour recevoir les Iruils saire ?Pour prêter l'oreille à ses discours, il
« de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent n'y a que celui qui n'écoute pas les saintes
de ses serviteurs, battirent l'un tuèrent , Ecritures, ou du moins qui afi'ecte d'en dé-
a l'autre et en lapidèrent un autre. Il leur en- naturer le sens, comme cet aveugle qui les
« voya encore d'autres serviteurs en plus déchire à plaisir.
« grand nombre que les premiers; et eux les XVII. « que le
Mais, ajoute-t-il, c'est d'eux
« traitèrent de même. Enfin il leur envoya « Sejgneur a Vos pères ont mangé la
dit ;

« son fils, disant : Ils respecteront mon fils. « manne, et ils sont morts - c'est dire claire- ;

« Mais les vignerons voyant le fils, se dirent M ment qu'aucun d'eux n'avait appartenu au
a entie eux : Celui-ci est l'héritier, venez, a Seigneur, puisqu'ils étaient sous l'empire
B luons-le, et nous aurons son héritage. Ils se a de la mort ». Cette conclusion est parfaite-
a saisirent donc de lui, le jetèrent hors de la ment s'il s'agit des ancêtres de ceux à
juste,
« vigne et le tuèrent. Or, lorsque le maître qui Sauveur adressait ces paroles. Or, il
le
« de la vigne sera venu ,
que fera-t-il à ses vi- s'adressait à des incrédules, et il parlait de
« gnerons? Ils lui répondirent : Il fera périr ceux de leurs ancêtres qui leur avaient donné
« ces misérables , et il louera sa vigne à l'exemple de ce crime. De là cette parole :

« d'autres vignerons qui lui en rendront les a Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypo-

« fruits en leur saison. Jésus ajouta N'avez- : a crites, qui bâtissez des tombeaux aux Pro-

« vous jamais lu dans les Ecritures La pierre : a phètes, qui ornez les monuments des justes
« que ceux qui bâtissaient avaient rejetée, est a et qui dites nous eussions été du temps
: Si
« devenue la pierre angulaire ? C'est le Sei- a de nos pères, nous aurions évité de nous
« gneurquiafaitcela, et nos yeux en sont dans a joindre à eux pour répandre le sang des
« l'admiration. C'est pourquoi je vous déclare « Prophètes. Ainsi vous vous rendez témoi-
« que le royaume de Dieu vous sera ôté, et « gnage à vous-mêmes que vous êtes les en-
« qu'il sera donné à un peuple qui en por- a fants de ceux qui ont tué les Prophètes ». Il
« fera les fruits ». Quoi de plus manifeste,
'
s'agit ici d'une filiation, non pas par le sang,
de plus clair, de plus évident? Mais notre ad- mais par l'imitation des mêmes crimes. En
versaire est du nombre de ceux qui ont la- eilèt, s'ils n'eussent été que les enfants par

|)idé les serviteurs du père dé famille non ;


nature, ce seul titre ne pouvait être un crime
pas sans doute qu'il le fasse avec des pierres jiour eux ce qui les rendait coupables, c'était
;

matérielles, mais par ses malédictions et ses d'imiter les crimes de leurs ancêtres. Aussi
blasphèmes. Quoi qu'il en soit, cette parabole le Sauveur ajoute a Achevez donc de com- :

affirme clairement que primitivement la vigne a mesure de vos pères. Serpents, race
bler la
du Seigneur a été plantée dans la nation juive, a de vipères, comment éviterez-vous d'être
et que des Prophètes y ont été envoyés avant a condamnés au feu de l'enfer ? C'est pour-
la venue du Sauveur. Le Sauveur ajoute : « quoi je vais vous envoyer des Prophètes, des
« Le royaume de Dieu vous sera enlevé et a sages et des scribes vous tuerez les uns, ;

B donné à un peuple qui en portera les a vous crucifierez les autres, vous en flagel-
« fruits » ce royaume peut-il désigner autre
; a lerez d'autres dans vos synagogues, et vous
chose que ce (ju'ils espéraient, et non ce qu'ils a les persécuterez de ville en ville afin que ;

avaient reçu, c'est-à-dire le royaume de la « tout le sang innocent qui a été réitandu sur
vie éternelle? De là cette autre parole « Ap- : a la terre retombe sur vous, depuis le sang
prolondissez dans lesquelles
les Ecritures a d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie,

« vous [)ensez posséder la vie éternelle vous ; a fils de Rarachie, que vous avez tué entre le
reconnaîtrez qu'elles rendent témoignage a temple et l'autel. Je vous le dis en vérité,
« de moi - » et encore « Malheur à vous,
; : a tout cela viendra fondre sur cette généra-
a docteurs de la loi, qui vous êtes saisis de la a tiou ^ ». Pouvait-on prouver plus claire-
• Mau. XXI, 33-13. — '
Jean, v, 39. Luc, XI, 52. — ' Jean, vi, 49. — ' Watt, xxiu, 29-36.
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS nU NOUVEAtT TESTAMENT. 517

ment qu'en imitant leurs mauvais pères, ils aux Juifs : « Vous ne connaissez ni moi ni
en étaient devenus les mauvais fils leurs ; « mon Père ; aussi bien la parole de Dieu n'ha-
pères avaient tué les Prophètes depuis Abel, « bile point en vous ' ». Ce langage exprime la
ceux-ci tuèrent Zacharie et soulevèrent les même pensée que nous avons déjà trouvée for-
persécutions les plus impies et les plus crimi- mulée dans ces autres paroles a Vous avez pris :

nelles. Connnent, en effet, le sang de ces Pro- « la clé de la science, mais vous n'êtes point
phètes pourrait-il retomber sur des hommes « entrés et vous empêchez les autres d'en-
qui n'ont vécu que bien longtemps après eux, « trer ^ » . Ils n'avaient pas en eux la parole
si ces derniers n'étaient pas unis à leurs bour- de Dieu, mais ils l'avaient dans les Ecritures
reaux par les mêmes sentiments de cruauté qu'ils lisaient. S'ils l'avaient eue en eux-
et de barbarie? Ce passage que nous venons mêmes, ils seraient entrés et ils auraient per-
de citer nous prouve également que, dans le mis aux autres d'entrer. Ne pas entrer, c'est
peuple de Dieu, il y eut des justes et des Pro- ne pas comprendre. Si donc ils ne connais-
phètes de Dieu, en l'honneur desquels eux bâ- saient ni Jésus-Christ ni son Père, c'est qu'ils
tissaient des tombeaux et ornaient les monu- ne comprenaient pas ce qu'ils lisaient; mais
ments. Quel crime n'est-ce donc pas de flétrir on ne peut dire que ceux dont ils lisaient les
par des accusations sacrilèges mémoire des
la écrits n'avaient parlé ni de Dieu ni de
morts, quand les impies eux-mêmes les en- Jésus-Christ. Entrer, ce n'est pas se contenter
touraient de respect d'honneur? Comment et de la superficie de la lettre, mais c'est pénétrer
notre adversaire, qui veut encore passer pour jusqu'à l'intérieur avec le flambeau de l'intel-
chrétien, ne voit-il pas qu'il lue son âme, en ligence.
poursuivant de ses blasphèmes des Prophètes XX. Vient ensuite le Précurseur dont Jésus-
auxquels Jésus-Christ a décerné le titre de Christ a dit: « Parmi les enfants des femmes

justes? « il n'y en a pas de plus grand que Jean-Bap-

XVIII. Après les Prophètes il s'attaque aux « liste; mais le plus petit dans le royaume
patriarches Abraham, Isaac et Jacob, leur ap- « des cieux est plus grand que lui ' ». Notre
pliquant ces paroles du Sauveur « Vos pères : adversaire conclut de ces paroles que saint
a ont mangé la manne et ils sont morts »; et Jean n'appartient pas au royaume des cieux,
en effet, dit-il, ces patriarches ne sont-ils pas et bien moins encore les autres Prophètes qui
morts? Je ne sais à quoi attribuer une telle étaient de beaucoup inférieurs à saint Jean.
accusation; est-ce à la haude, est-ce à l'aveu- Or, ces paroles du Sauveur ont une double
glement? Quoi qu'il en soit, elle ne mérite que signification. Ou bien il s'agit du royaume
le plus profond mépris. Ce qui me révolte des cieux que nous ne possédons pas encore,
surtout, c'est qu'il ne rougisse pas de soute- et que nous obtiendrons si nous vivons
nir son erreur par ces paroles appliquées par de manière qu'il nous soit dit un jour :

le Seigneur à ces mêmes Prophètes « Dieu : « Venez bénis de mon Père


, possédez le ,

« n'est pas le Dieu des morts, mais des vi- «royaume ' ». Ce royaume est maintenant
« vants ». La conclusion qu'il devait en tirer, habité par les anges, dont le plus petit est
c'était de dire que ces Patriarches jouissent assurément plus grand que l'homme le plus
actuellement d'une vie réelle. En effet, après saint et le plus juste, qui porte encore le poids
avoir cité ce passage de la loi « Je suis le : de ce corps corruptible, véritable fardeau
« Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu pour nos âmes % Ou bien ce royaume des
« de Jacob », le Sauveur ajoute aussitôt : cieux désigne la société des justes sur la
« Or, il n'est pas le Dieu des morts, mais terre, c'est-à-dire l'Eglise, à laquelle ont ap-
« des vivants car tous vivent en lui et pour
; partenu tous les justes, depuis la création de
« lui »; ils vivent de la vie véritable dont
'
l'homme jusqu'à nos jours. Dans ce sens, le
jouissent les justes mêmes, après que la mort plus petit dont parle le Sauveur ne serait
corporelle est venue les frapper. Si notre au- autre que lui-même; en effet, il était plus
teur possédait cette vie des justes, tiendrait-il petit que saint Jean quant à la naissance
un semblable langage? temporelle, mais il était plus grand que lui
XIX. En faveur de son opinion il invoque puisqu'il est Dieu de toute éternité, et le Maî-
encore ces paroles que Jésus-Christ adresse
' Jean, vlll, 19. — = Lac, XI, 52, — ' Malt, xl , 11. — ' Id. xxv,
' -Mdlt. .VXU, 32 ; Luc, XX, 37, 3«. 31. — ' Sag. IX, 15.
518 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

tre souverain de tout ce qui existe. Dans la de la plus excellente des substances spiri-
première hypothèse on doit lire « Parmi : les tuelles ijuicomposent notre nature.
« entants des femmes il n'en est point de plus XXll. Quant à cette jiarole de l'Apôtre, citée
a grand que Jean-Bapliste, mais le plus petit aussi par notre auteur « La chair et le sang :

a dans le royaume des cieux est plus tirand « ne posséderont pas le royaume de Dieu »,
«que lui ». Dans le second cas on devrait il n'y est nullement question de l'âme, mais
lire « Parmi les enfants des femmes il n'en
:
bien de la résurrection du corps. Celte ques-
«est pas de plus grand que Jean-Baptiste; tion, du reste, 7)eut recevoir une double solu-

a mais celui qui est plus petit que lui » par tion. Ou bien il s'agit, sous le nom de la
l'âge et la naissance, « est plus grand que lui chair et du sang, de la corruption de la chair
«dans le roy.iume des cieux ». Autant ces et du sang ; or, il est certain que cette corrup-

deux interprétations sont admissibles, autant tion ne sera plus possible après la résurrec-

elles sont une réfutation éclatante des erreurs tion ; ou bien, sous ce nom de chair et de
de notre adversaire. S'agit-il des anges? le sang, l'Apôtre veut désigUL-r les hommes qui
plus petit d'entre eux est assurément plus s'abandonnent aux instincts de la chair et du
grand que Jean-Baptiste s'agit-il du Sauveur? ;
sang, et se livrent aux jouissances matérielles;
s'il est plus petit d'âge que le Précurseur, il or, il est évident que de tels hommes ne pos-

lui est infiniment supérieur parla divinité; séderont pas le royaume de Dieu. Si donc on
et dans un sens comme dans l'autre les Pro- examine attentivement ces paroles de l'Apô-
Parmi ces Pro- tre « La chair et le sang ne posséderont pas
phètes restent ce qu'ils sont. :

phètes, les uns ont pu lui être égaux, les 8 le royaume de Dieu », il est facile de com-

autres lui sont restés inférieurs mais le Sau- ;


prendre qu'il désigne ainsi la corruption
veur nous atteste qu'il n'y en eut pas de plus actuelle de la chair, et que son langage peut

grand que lui, quoique tous fussent saints, se traduire ainsi « La corruption ne possé- :

justes et bons. « dera pas l'incorruplion ». En effet, quand


XXI. « Moïse », ajou!e-t-il,«a éteint dans les la grande transformation de la résurrection

B hommes toute espérance de résurrection, sera accomplie, toute corruption disparaîtra


a en affirmantque l'âme est mortelle et qu'elle nécessairement. Il est vrai qu'après sa propre
a n'est autre cliose que le sang ». Alors il résurrection, le Sauveur dit à ses disciples :

multiplie les raisonnements pour prouver, « Palpezreconnaissez qu'un esprit n'a ni


et

avec de grands efforts de logique, que i'àme est a chair ni os, comme vous voyez que j'en
du sang pourquoi donc tant de bruit
distincte ;
« ai '
»; mais cela prouve seulement que la

pour prouver une vérité que les Ecritures, s'il chair conservera sa substance, tout en cessant
les comi)renait, lui révéleraient avec la dernière d'être soumise à la coriujition. Le Prophète
évidence? Nous lisons, il L'âme de
est vrai : « avait dit également « Toute chair n'est que :

« toute chair, c'est le sang » mais ces pa-


'
; «de l'herbe desséchée ». Est-ce donc là ce
roles ont la même signitication que quand qu'était la chair du Seigneur quand il l'éleva

nous disons : « La pierre était Jcsus-Christ '»; jusqu'au ciel? De même donc que le Prophète
or, il est évident que cette pierre n'était pas avait dit « Toute chair n'est qu'une herbe »,
:

Jésus-Christ même, en était seulement la


elle et qu'il put ajouter : « L'herbe s'est des-
figure. Quand donc
la loi trouve dans le sang aséchée'»; de même aussi l'Apôtre a pu
la figure de l'âme, quand elle nous fait con- dire « La chair et le sang ne posséderont
:

naître cette chose invisible en la comparant à (Ile royaume des cieux ». En effet, il n'y
pas
une chose visible et parfaitement connue, son aura plus alors de corruption possible, puis-
langage donc absolument arbitraire?
es!-il que, sur la terre la nature de la ciiair se ,

N'estil pas vrai que le sang s'élance du cœur dessèche comme le foin. 11 exprime la même
au moyen des artères, et tient le premier rang pensée en disant « La corruption ne possé- :

parmi les humeurs du corps, à tel point que dera pas l'incorruplion » ces dernières pa-
« ;

s'il arrive une plaie, c'est toujours le sang (jui roles ne sont pas une pure répétition, mais
en jaillit le luemier? 11 était donc tout natu- l'explication des paroles précédentes. Ainsi
rel de chercher dans la jdus excellente des ces mots: «la chair et le sang», sont poumons
parties visibles qui nous constituent, l'image synonymes de corruption, mais ne désignent
'
Levii. xvii, 11. '
Luc, xxiv, .-w. — XI., (i.
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. 319

nullement la substance même de la chair; « point une véritable gloire, si on la compare


d'un aulre côlé, cette expression « le royaume : « à la sublimité de celle de l'Evangile ; car si

« de Dieu », doit signifier ici l'incorruplibilité. « le miiiislere qui devait finir a été accompa-
Dès deux propositions « La chair
lors, ces : « gué de gloire, celui qui durera toujours
« et sang ne posséderont pas le ioyaume
le « doit l'être incomparablement davantage ».
« de Dieu la corruption ne possédera pas l'in-
; Tel estle langage de l'Apôlre. et il n'a besoin

« corruption », n'ont qu'une seule et même assurémeiit d'aucune explication. Ces mots :

signification; en d'autres termes La corrup- : « Que si le ministère de la lettre gravée sur

tion de la chair et du sang n'entrera pas d.uis « des [lierres, était un ministère de mort »

l'incorruption de ce royaume, précisément à font croire à notre adversaire que Moïse con-
cause de l'immutabilité dont il a été dit |)lus sacra tout son ministère à la mort, ou plutôt
haut « Il faut que ce corps corrufitible re-
: à l'auteur de la mort, c'est-à-dire au démon,
a \èle l'incorniptibililé ^ ». Ce ne sera donc qu'il regarde comme l'auteur de ce monde.
pas la corruption qui entrera dans le royaume Ilne veut donc pas comprendre que, s'il est
des deux, mais la chair elle-même qui, de dit de la loi qu'elle était un ministère de
corruptible qu'elle est sur la terre, revêtira mort, ces paroles ne peuvent avoir un autre
l'incorruptibilité. sens que celui que nous trouvons exprimé
En supposant que Moïse ait enseigné
XXIII. par ces autres qui précèdent immédiatement
que notre âme est mortelle, et qu'il l'ait réel- lepassage précité « La lettre tue, mais l'Es-
:

lement confondue avec le sang, au lieu d'en « prit vivifie '


». Malgré sa justice, sa sainteté
trouver l'image dans le sang lui-même, com- et sa bonté, la loi a causé la mort des prévari-
ment aurait- il pu dire ailleurs « Quiconque : cateurs, par le fait seul que la grâce de Dieu
«aura touché le corps mort d'un homme, ne les a pas aidés à accomiilir la justice de la

« et n'aura point reçu l'aspersion de cette eau loi. Aux orgueilleux de l'Ancien Testament,
M ainsi mêlée, souillera le tabernacle du Sei- à tous ces hommes qui se reposaient entière-
« gneur, et il périra du milieu d'Israël, il ment sur la force de leur volonté, ne fallait-il
« sera impur, parce qu'il n'a point été purifié pas une loi qui commandât la justice sans la
« par l'eau d'expiation, et son impureté de- donner ? par ce moyen, se voyant bientôt frap-
« meurera encore sur lui-». Ce mot: a encore» pés |)ar la mort de la prévarication, ils de-
signitie jusqu'après la mort. Celte eau lustrale vaient sentir le besoin de recourir à la grâce
était la figure de ce bain salutaire du baptême qui commande sans doute, mais qui aide aussi
institué par Jésus-Christ, et qui est reçu par à accomplir les préceptes, et qui nous est ré-
celui qui prête une oreille attentive à cette vélée par le Nouveau Testament. Parce qu'il a
parole « Si vous croyiez Moïse, vous me croi-
: été dit de la loi donnée par Moïse, qu'elle est

a riez aussi, car Moïse a écrit de moi ' ». un ministère de mort, gravée sur des tables de
XXIV. Comment s'étonner que ce malheu- pierre, ces blasphémateurs des divins oracles
reux, séparé comme il l'est de la lumière de enconcluentque la loi est mauvaise; ilsnecom-
la vérité, et se posant comme son ennemi dé- prennent donc pas (jue c'est contre eux que
claré, oppose à l'Ancien Testament les passages cette sentence a été formulée que c'est à eux ,

par lui incompris du Nouveau Testament? 11 qu'elle s'applique directement, puisque, ne


nous en donne une nouvelle preuve dans ce comptant que sur eux-mêmes et sur leur libre
passage de l'Apôtre: « Que si le ministère delà arbitre pour accomplir la loi, et se privant par
« lettre gravée sur des pierres, et qui était un leur faute du secours de l'Esprit de grâces, ils
« ministère de mort, a été accompagné d'une gémissent tristement, victimes de la |)révarica-
8 telle gloire que les enfants d'Israël ne pou- tion sous la lettre de la loi. Voilà pourquoi il
« valent regarder le visage de Moïse à cause a été dit ailleurs o La loi provoque la colère,
:

« de l'éclat dont il rayonnait et qui devait dis- « car, là où il n'y a pas de loi il ne peut y

paraître, combien le ministère de l'Esprit « avoir de prévarication - » et c'est là ce qui ;

« doit-il être plus glorieux minis-


! Car si le nous explique pourquoi « la loi provoque
« tère de la condamnation a été entouré de « la colère ». En effet, si la prévarication est
« gloire, celui qui durera toujours doit l'être mauvaise, c'est que la loi est bonne.
« bien davantage. Et cette gloire même n'est XXV. H serait trop long de rapporter tous
'
I Cur. x\, 50, 53. Noriib. Jeu, i3. — '
Jeau, v, 16. U Cor. 111, 6-11. — '
Rom. iv, 15.
520 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHETES.

les passages daus lesquels l'Apôtre exprime la qui cachait le visage de Moïse aux
rait le voile
même vérité, et établit la différence qui existe regards du peuple, et ce visage était la figure
entre la loi et la grâce. La loi humilie les de Jésus-Christ. L'Apôlre ajoute que cette
orgueilleux, la grâce exalte les humbles ; la gloire doit disparaître, parce que toutes les
loi,en tant qu'elle est bonne, commande le ombres et toutes les figures s'évanouissent
bien la grâce aide à l'accomplir. La loi ap-
;
quand paraît la réalité. De même que, selon
prend à connaître la justice la grâce la fait ; le même Apôtre, la science disparaîtra quand

pratiquer. Dès lors, la loi convainc, de péché il nous sera donné de voir « face à face » '
;

et de prévarication, sans que l'on puisse allé- de même tout ce qui dans l'Ancien Testament
guer l'ignorance pour excuse; au contraire, la était ombre et figure, doit disparaître au

loi aide et fortifie; loin d'anéantir le pécheur, grand jour de la révélation du Nouveau Tes-
elle enflamme son courage et le ranime au tament.
bien. Est-il donc étonnant qu'il soit dit de la XXVll. U est certain que dans ces ombres
loi, qu'elle est un ministère de mort, puisque la de l'ancienne loi tous les Juifs ne voyaient
lettre y tue en défendant le mal qui se commet pas Jésus-Christ ; Moïse lui-même et les autres
et en commandant le bien qui ne se (ail |)as? Prophètes n'avaient pas toujours l'intelli-

Au contraire, la grâce est appelée un minis- gence parfaite de tout ce qu'Us annonçaient
que
tère de l'Esprit vivifiant, car c'est par lui de la personne du Messie. En effet, dans cette
nous sortons de la mort de la prévarication, et même épître aux Corinthiens, d'où nous avons
que nous possédons dans nos cœurs et dans tiré les passages précédents que notre adver-
nos mœurs, et en toute liberté, cette justice saire comme une contradiction de
regarde
qu'autrefois nous devions nous contenter de l'Ancien Testament, nous hsons encore :

lire avec notre condamnation, sur des tables M Parce que nous avons un même esprit de
muettes. C'est là aussi ce qui distingue le « foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pour-
Nouveau Testament de l'Ancien sous l'An- ;
« quoi nous croyons aussi, nous
j'ai parlé;
cien, l'homme élailenchaîné dans les étreintes « autres, et c'est pourquoi nous parlons - ».

de la frayeur sous le Nouveau, l'homme ré-


;
Où donc est-il écrit « J'ai cru, c'est pourquoi :

généré peut s'épancher à l'aise dans le cercle u j'ai parlé ? » C'est dans les Psaumes ', qui

immense de la charité. sont tout remplis des oracles divins confiés


XXVI. En parlant de Moïse, ministre de aux Juifs. « Parce que nous avons un même
l'Ancien Testament, il est dit « que les en- « Esprit de foi », ce même Esprit, n'est-ce pas
a fants d'Israël ne pouvaient fixer son visage celui qui inspirait les Prophètes? Mais d'où
« à cause de la gloire qui rayonnait sur vient donc que dans cette même épitre, après
a son front » ; celte circonstance est une ce prélude : « Que
votre abondance supplée à
prophétie annonçant que les Juifs refuse- « leur pauvreté, afin que tout soit réduit à
raient de reconnaître Jésus-Christ dans la loi. a l'égalité » , l'Apôtre ajoute aussitôt « Se- :

De là, ce voile qui leur dérobait le visage de « Ion qu'il est écrit : Celui qui en recueillit
Moïse, et annonçait que « les enfants d'is- « beaucoup, n'en eut pas plus que les autres,
« raëlne regarderaient pas jusqu'à la fin ' ». u et celui qui en recueillit peu, n'en manqua
Or, quelle est la fin de la loi ? Ce n'est pas « pas ' ? » Pourquoi leur rappeler l'autorité
moi, c'est l'Apôtre qui va répondre « La (in : de la loi dont il dit qu'elle fut un ministère
« de la loi, c'est Jésus-Christ, [.our la justificd- de mort, s'il la comprend comme notre ad-
« tion de tous ceux qui croient - ». C'est là la versaire affecte lui-même de la comprendre?
fin qui parachève, et non la fin qui tue. Et en XXVIU. Dissipons tous les doutes. Nous
effet, on entend |)ar fin leterme vers lequel avons déjà expliqué dans quel sens on peut
on tend, par tels ou tels moyens les moyens, ;
dire que la loi est un ministère de mort, et
ce sont les agents employés, latin, c'est le but nous avons conclu que la loi est suinte, juste
pour lequel nous agissons. Or, la fin pour la- et bonne. Maintenant rappelons une parole

quelle tout se taisait en Israël, c'est Jésus- de lépître aux Romains. Nous y lisons :

Christ; et cependant les Juifs ne reconnais- M De sorte (|ue nous servons Dieu dans la
saient pas Jésus-Christ dans les événemenis M nouveauté de l'Esprit et non dans la vieil-

qui s'accomplissaient; et c'est là ce que figu-


' 1 Cor, Xlil, 10, 12. '
II Cor. IV, 13. CiV, 10. — « Il
'
U Cor. 111, 13. — ' Koin. X, i. Cor. vui, M, Ij.
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. 521

a lesse de la lettre ». Cette maxime est à peu « par le commandement même...; la loi est
près identique à celle que notre adversaire a « venue afin (|nele péché se multipliât '...; la

rappelée sans la comprendre. Aussitôt, aper- « loi produit la colère'... ; la force du péché,
cevant dans l'avenir ces ennemis loquaces et « c'est la loi ^ ». Est-ce que la défense même
blasphémateurs qui devaient se faire de ces de péché, c'est-à-dire n'enflamme pas la loi,

[jaroles une arme pour attaquer la loi, l'A- le désir de pécher? Ce désir n'est éteint que
pôtre ajoute: «Que dirons-nous donc? La par le désir contraire, celui de bien faire, dès
« loi est-elle un pécLé?Dieu nous garde d'une que « la foi agit par la charité * ». C'est là
« telle pensée! Mais je n'ai connu le péché que l'œuvre, non pas de la loi qui commande, mais
» par la loi, car je n'aurais point connu la con- de grâce qui aide l'œuvre, non pas de la
la ;

« cupiscencesi la loi n'avait dit: Vous n'aurez loi, mais de la grâce l'œuvre non pas de ;

9 point de mauvais désirs. Mais le péché ayant l'Ancien Testament, qui engendre pour la ser-
« pris occasionde s'irriter par les préceptes, a vitude, et qui est figuré par Agar, mais
« produit eu moi toute sorte de mauvais désirs, l'œuvre du Nouveau Testament, sous l'empire
« car sans la loi le péché était mort. Et moi, je duquel tous les enfants sont, « non pas les
M vivais autrefois lorsque je n'avais point de « enfants de l'esclave, mais les enfants de
« loi ; mais le commandement étant survenu, « la femme libre , de la liberté qui nous
« le péché est ressuscité ; et moi je suis mort, «a été donnée par Jésus-Christ^». Tou-
« et il s'est trouvé que le commandement qui tefois la loi est sainte, le commandement est
« devait servir à me donner la vie, a servi à saint, juste et bon. A l'occasion de ce com-
« me donner la mort. Car le péché ayant pris mandement saint juste et bon, le péché a ,

« occasion du commandement pour s'irriter produit toute sorte de mauvais désirs dans
« davantage, m'a séduit et m'a tué par le ceux qui n'ont pas l'esprit de Jésus-Christ. Tel
« commandement même. Ainsi la loi est véri- fut rA|)ôtre sous l'Ancien Testament, comme
« labJement sainte, et le connnandement est il nous le déclare lui-même quand il nous
« saint, juste et bon. Ce qui était bon eu soi, dit Le péché ayant pris occasion de s'irriter
:

«m'a-t-il donc causé la mort? Nullement; par les préceptes, a produit en moi toute
« mais c'est le péché qui, m'ayant donné la mort sorte de mauvais désirs. Quel est ce comman-
« par une chose qui était bonne, s'est réelle- dement, si ce n'est celui qu'il nous désigne en
a ment montré avtcson caractère dépêché ». '
ces termes « Je n'aurais pas connu la concu-
:

Voilà bien le ministère de mort; voila bien la a si la loi n'avait pas dit: Vous n'au-
piscence,
lettre qui tue d'un autre côté, le commande-
; «rez pas de mauvais désirs ? » Serait-ce donc
ment devait donner la vie la loi est sainte, le ; un mal de ne pas connaître la concupiscence?
précepte est saint, juste et bon. Et cependant, C'est même un grand bien. La loi est donc
comme c'est à l'occasion même du bien que bonne, puisqu'elle défend le mal mais quand ;

l'âme désobéissante reçoit mort, quand la la elle est séparée de l'Esprit qui vivifie, elle tue.

grâce de Dieu ne vient pas à son secours, on tout en commandant ce qui est bien. La force
peut dire que dans l'Ancien Testament la loi du péché, c'est d'enflammer la concupiscence
est deveime un ministère de moit, à cause de en l'irritant par la défense même. Or, ce n'est
la lettrequi tue, tandis que dans le Nouveau ni la lettre du précepte, ni la crainte du châ-
Testament la grâce est un ministère de vie à timent qui éteint le péché, mais l'Esprit qui
cause de l'Esprit qui vivifie. Mais quels sont aide par l'amour de la justice. C'est pourquoi
ce ministère de mort, et ce ministère de dam- l'Apôtre ajoute a Le péché, en me donnant:

nation ? Ecoutez « Le péché ayant pris occa-


: « la mort par une chose qui était bonne, s'est
« sion de s'irriter par le précepte, a produit en « montré dans sa véritable nature de péché.
«moi toute sorte de mauvais désirs;... le « Ce n'est point par une chose mauvaise, mais
« commandement est survenu et le péché est « par une chose bonne qu'il a donné la mort ».
« ressuscité...; il s'est trouvé (|ue le comman- Qu'ils pèsent ces paroles, s'ils le peuvent, tous

« dément qui devait servir à me donner la vie, ceux qu'un cœur aveugle et furieux soulève
.< a servi à me donner la mort...; le péché contre la loi de Dieu, et contre Moïse qui en a
u ayant pris occasion du commandement pour été le dispensateur et le ministre. Si donc la
s'irriter davantage, m'a séduit et m'a tué • Rom. T, 20. — Id. IV, 15. — ' 1 Cor. XV, 56. '
Gai V, 6. —
'
itulii. vil, 0-13. Id. IV, 21, Jl.
522 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

loi estun ministère de mort, c'est parce que peut aussi l'interpréter dans un sens favorable ;

lepéché s'est servi de l'occasion du bien pour dans ce cas le dieu du siècle sera, non pas le
engendrer la mort elle est un ministère de ; démon, mais le Dieu vérit.ible, juste et bon,
damnation, parce que le péché s'est servi du qui a laissé tomber dans l'aveuglement l'in-
bien [)our opérer la damnation. telligence des infidèles de ce siècle. Avec
XXIX. Tous ceux qui s'honorent du titre de ce sens, on ne devrait pas lire : a Dans les-
chrétiens, n'appartiennent pas pour cela à « quels le Dieu de ce siècle a aveuglé l'intel-
Jésus-Christ il n'y a que ceux devant qui
; « ligence des infidèles» ; mais : a Dans les-
tombe le voile qui couvre à la lecture du Nou- quels Dieu a aveuglé les infidèles de ce
veau Testament. Ceux qui subissent encore le « siècle p.

joug de l'Ancien Testament, grâce au voile XXX. nos ennemis s'indignent quand
Biais
qui les enveloppe, ne comprennent ni l'An- on leur qu'un Dieu bon frappe d'aveugle-
dit
cien ni le Nouveau ; au contraire, ceux qui ment l'intelligence de qui que ce soit. Ils ou-
s'attachent au joug de Jésus-Christ, voient ce blient, sans doute, ces paroles du Sauveur:
voile se déchirer aux lumières de l'Evangile, a Je suis venu pour juger le monde, afin d'ou-

etcomprennent l'Ancien et le Nouveau Testa- « vrir les yeux à ceux qui ne voient pas, etde

ment '. Plaise à Dieu que nos ennemis, qui se a frapper d'aveuglement ceux qui voient ». '

posent eu même temps comme les ennemis 11 est donc vrai de dire avec l'Apôtre que
de la loi et des Prophètes, se rangent si fran- « Celui qui pardonne à qui il veut et qui en-

chement sous bannière de Jésus-Christ,


la « durcit comme il lui idait, éclaire aussi
qu'ils cessent de compter dans les rangs de « celui qu'il veut, et aveugle quand cela lui
ceux pour qui l'Evangile même reste voilé! « i)laît ». Toutefois il ne |teut y avoir en Dieu
11 l'est, en effet, pour ceux qui périssent et aucune iniquiic % car l'Eglise chante en son
dont l'Apôtre a dit a Pour ces infldèles dont : honneur « Je célébrerai. Seigneur, votre
:

« le Dieu de ce siècle a aveuglé les esprits, afin a miséricorde et l'équilé de vos jugements'».

a qu'ils ne fussent point éclaiiés par la lu- 11 éclaire donc dans sa miséricorde, et s'il
« mière de l'Evangile de la gloire de Jésus- frappe d'aveuglement, c'est en conséquence
« Christ qui est l'image de Dieu * ». D'oii d'un jugement Irès-équilable quoique mysté-
vientdonc que notre malheureux adversaire rieux, a Nul ne peut sonder ses jugements »,
prétend que le mal est le Dieu de ce siècle, dit l'Apôlre \ C'est à Dieu que s'adresse aussi
et que c'est à ce Dieu que .Moïse a prodigué celte parole « Vous avez pris place sur votre
:

son culte et ses r.dorations? d'où vient sur- ('trône pour juger l'équité * ».
tout qu'il rend l'Apôtre responsable de toutes XXXI. Tel est le Dieu dont Moïse et les Pro-
ces affirmations? Si, dans ce Dieu dont parle phètes furent les adorateurs, et le Seigneur
TApôlre, il faut entendre le Dieu de ce siècle, lui-même a hautement proclamé leur justice
le Dieu des impies, c'est-à-dire le démon, car et leur sainteté. Les Juifs leur construisaient
a tous les dieux des nations sont des démons», des tombeaux et ornaient leurs monuments;
à plus forte raison le prince des démons lui- « Vous bâtissez des tombeaux aux Prophètes,
même ; faut-il s'étonner qu'il soit dit de quel- « et vous ornez les monuments des justes ' ».
ques-uns d'entre eux qu'ils n'ont d'autre Dans l'ordre naturel des temps, ces Prophètes
dieu que leur ventre ? a Leur dieu c'est leur appartenaient à l'Ancien Testament et en ser-
ventre», ditl'Apôtre': ce qui ne prouve pas vaient les figures; cependant, en réalité, ils ap-
cependant (]ue le ventre soit un dieu. De même partenaient par la grâce de Dieu au Nouveau
donc que quand on dit du démon qu'il est le Testament, quoique alors il ne fût point encore
dieu de ce siècle, on n'entend pas par là que le révélé. Nous savons qu'Abraham jouit de ce
démon soit véritablement dieu de même les ; glorieux iirivilége. Que nos adversaires déchi-
démons ne sont pas dieux, quoiqu'ils soient les rent donc le voile quiles aveugle et ils com-
dieux des nations'. En effet, le siècle peut être prendront que l'Evangile n'est pas plus l'en-
considéré comme le synon yme du mal, selon nemi de la loi donnée par Moïse, •ju'Abraham
celle parole de l'apôtre saint Pierre « Arra- : n'est l'ennemi de Muïse ; ils seront forcés de
chez-vous à ce siècle mauvais ' ». Mais on convenir que Moïse et Abraham ont adoré et
' n Cor. 111, 11-16. — ' 11 Cor. IV, 4. — '
Phihpp. in, 19. — '
p«. ' Jean, ix, 39. — ' Rom. il, 18. — ' Ps. c, I .
'
Rom. XI, 33.
CXT, 5. — ' 11 Pierre, l, 1. — Ps. IX, 5. — •
Malt, xxiii, 29.
LIVRE SECOiVD. — PASSAGES INCRIMINES DU NOm^AU TESTAMENT. 323

servi le même Dieu véritable, qui de leur part qui lui furent faites, ils ne craignent pas de
est l'objet d'une négation blasphématoire et l'accuser du crime de fornication. En fallait-il

sacrilège. Et cepentlant il n'est pas ilouleiix davantage pour que noire adversaire dût se
que l'Apôtre met en opposition l'une avec ranger au nombre de ceux dont l'Apôtre a
l'autre, la promesse faile à Abraham et la dit L'Esprit de Dieu déclare ouvertement
: ff

loi donnée par Moïse. N'écril-il jias aux Ro- « que, dans les temps à venir, quelques-uns

mains B Ce n'est point par la loi que doit


: « abandonneront la foi pour suivre des es-

« s'accomplir la promesse faite à Abraham ou a prits d'erreur et des doctrines diaboliques,


« à sa race, de lui donner le monde tout en- « enseignées par des imposteurs pleins d'hy-
ci lier pour héritage, mais par la justice de la « pocrisie, dont la conscience est noircie de
« foi. Car si ceux qui appartiennent à la loi « crimes, et qui interdiront le mariage '? » On

« sont les héritiers, la foi devient inutile et ne voit nulle part qu'Abraham se soit souillé
« les promesses de Dieu sans effet. Car la loi dans l'adultère. Il aima sa servante, mais ce
« produit
la colère eu effet, lorsqu'il n'y a
; ne fut pas [lar un instinct de lubricité, puis-
« point de loi, il n'y a pas de prévarication de qu'il la reçut des mains mêmes de son épouse,
« la loi D Cette promesse faite à Abraham
'
. laquelle, frappée jusque-la de stérilité, se
ne prouve-t-elle pas avec la dernière évidence crut libre de disposer de son droit et voulut
que ce n'est pas par la loi que les hommes avoir des enfants de son mari, quoique d'une
deviennent les héritiers de Dieu, mais par la autre alliance '. Le libertinage n'est donc pour

promesse? Qu'imjiorte du que ceci ne reste rien on ne doit y voir que le désir de la
ici ;

soit pas en faveur de la loi ? Nous lisons éga- poslérilé. Ce même Abraham, parvenu à la
lement dans l'épUre aux Galates « Mes : vieillesse la plus décrépite, ne trouve pas même
« frères, je me servirai de l'exemple d'une grâce devant notre adversaire qui l'accuse de
« chose humaine et ordinaire Lorsqu'un
: fornication, parce qu'après la mort de Sara il
a homme a dûment fait un contrat, personne prit une autre épouse ^ En supposant même
a ne peut ni le casser ni y ajouter. Or, les pro- qu'il n'y ait daus ce fait aucun mystère caché,
messes de Dieu ont été faites à Abraliam et à je dis qu'Abraham dût en agir ainsi quand
« sa race l'Ecriture ne dit pas A ceux de sa
; : il n'aurait eu d'autre but que de confondre à

«race,commesielleen eût voulu marquer plu- l'avance ces hérétiques qui, contrairement à
« sieurs, mais A sa race, c'est-à-dire a l'un de
: la doctrine de rAjiôlre, condamnent comme
a sa race, qui est Jésus-Christ. Je veux dire que un crime le second mariage après la mort de

du moment que Dieu a fait une alliance et l'a lapremière épouse. Tertullien lui-même est
a confirmée, la loi (jui n'a été donnée que tombé dans cette erreur. Mais puisque, dans
« quatre cent trente ans après, n'a pu la rendre les lettres apostoliques , notre adversaire
a nulle ni anéantir la promesse. Car si c'est trouve un si grand nombre de passages à op-
par la loi que l'héritage nous est donné, ce poser à la loi donnée par Moïse et à l'Ancien
o n'est donc plus par la promesse; or, c'est par Testament; qu'il cherche donc dans l'Evan-
« la promesse que DIlu l'a donné à Abraham, gile une accusation formulée contre Abra-
a Pourquoi donc la loi ? Elle a été établie pour ham, il n'en trouvera aucune. Partout où son
faire reconnaître les transgressions jusqu'à nom aiparaît dans les livres du Nouveau Tes-
a Fils d'Abraham, auquelia
l'avènement de ce tament, il est environné d'honneur et de
apromesse avait été faite ». Je ne sais si ces ^'
gloire. Le Sauveur va jusqu'à dire aux Juifs :

ennemis déchirés de la loi qu'ils neconnaissent « Si vous êtes les enfants d'Abraham, accom-

pas, peuvent trouver dans l'Evangile ou dans a plissez donc les œuvres d'Abraham ».Rlas- '

les écrits apostoliques, un passage aussi con- phémer Abraham , c'est donc blasphémer
traire à la loi, que celui que nous venons de Jésus-Christ, qui a rendu d'Abraham un té-
citer au sujet des promesses faites à Abraham. moignage aussi éclatant.
Si donc ils haïssent la loi, du moins qu'ils ai- XXXlll. Que notre adversaire nous dise
ment Abraham.. dans laquelle des cinq catégories de personnes
XXXll. Mais ils s'en gardent bien. En effet, ce dont il a parlé, on doit ranger l'Apôtre pour
patriarche des nations, dans lesquelles nous avoir ainsi prodigué ses éloges à Abraham ?
voyons l'accomplissement fidèle des promesses '
1 Tim. tv, 1-3. — ' G«o. m, 2-1. — M. XXT, 1. — ' Jean,
' Rom. IV, ia-l3. — =
Gil. m, 15-19. viii, M.
mi CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

Le mettra-t-on avec ceux qui étaient sans loi, femme : « Ils seront deux dans une seule
et au milieu desquels il a dû se poser comme « chair » ;
puis ajouter aussitôt « Ce sacre- :

étant lui-même sans loi mais ces hommes ne ; « ment est grand, mais je dis en Jésus-Christ,
connaissaient pas Abraham. 11 aurait dû leur c( et dans son Eglise '? » N'est-il pas à regretter

faire plulôt le panégyrique de quelque grand que dans la connaissance de ces sacrements,
personnage grec ou romain, ou de quelque c'es'i-à-dire de ces signes sacrés, et dans ces
philosophe quant à Abraham, le père d'une
;
règles de convenance et d'honnêteté dont le
nation étrangère, ses mœurs, ses rites, sa po- langage ne devrait jamais se départir, l'Apôtre
stérité étaientpour eux quelque chose d'en- se soit montré d'une habileté si inférieure à
tièrement inconnu. Le placer avec les Juifs, celle de notre adversaire ? Que ce dernier se
soutenir qu'il s'est fait juif comme ceux qui relire avec ses pareils qui s'écriaient : « Ce
étaient sous la loi, est-ce possible, quand on « discours est dur, et qui peut l'entendre -? »

lui entend dire que ce n'est pas par la loi Pour nous, écoutons avec respect, et compre-
qu'ils sont les héritiers de Dieu que la loi ;
nons que les deux Testaments sont figurés
produit la colère; que la loi a été établie dans les deux fils d'Abraham et dans ses deux
pour juger le nombre des prévarications? Des épouses. C'est ainsi, quoi qu'en disent nos ad-
hommes qui mettaient toute leur gloire dans versaires, que dans les deux qui deviennent
la loi, pouvaient-ils entendre sans frémir un une seule chair, nous ne voyons aucune in-
semblable langage? Dira-t-on que l'Apôtre convenance à trouver l'image de l'union de
se faisait faiblepour parler aux faibles, et Jésus-Christ et de son Eglise ; de même c'est

pour mieux les tromper en semblant ne leur avec joie que nous entendons Jésus-Christ, le

donner que le lait de la doctrine? Mais alors, médiateur entre Dieu et les hommes, nous
pourquoi troubler le repos dont ils jouissaient promettre son corps à manger et son sang à
au sein des ombres anciennes? pourquoi leur boire c'est avec joie surtout que nous le re-
;

dire « Moi, Paul, je vous déclare que si vous


: cevons dans le sacrement de son amour ,

« recevez la circoncision, Jésus-Christ ne sera quoiqu'il paraisse plus horrible de manger la


« pour vous d'aucun avantage ? » Dira-t-on '
chair humaine que de l'immoler, et de boire
qu'il appartenait à la cinquième catégorie, à le sang humain que de le verser. Il suit de là

celle des parfaits auxquels il enseignait la sa- que dans toutes les Ecritures, le parti qui seul
gesse, et qui étaient les seuls qu'il s'abstenait nous paraît sage, c'est d'accepter toutes les
de tromper? Mais alors, comment notre ad- réalités ou toutes les figures, en les interpré-

versaire ose-t-il encore se délivrer le brevet tant selon les règles immuables d'une foi vive
de perfection, quand il blasphème Abraham, et certaine et, si nous avons du mépris, c'est
;

comblé des plus grands éloges par rA|)ôtre, pour cet auteur qui ne sait même i)as ce qu'il
surtout à l'occasion de ses deux ûls, celui de dit, (jui ne comprend pas ce qu'il lit, et mal-

la servante et celui de la femme libre? S'il gré son évidente incapacité, se mêle de traiter
s'indigne devant l'Ancien Testament avec des figures. Puisqu'il soutient que chaque
Ismaël, qu'il accorde donc toutes ses complai- chose doit être représentée par des figures qui
sances au Nouveau Testament avec Isaac. lui conviennent pourquoi donc se sert-il
,

XXXIV. Alléguera-l-il, contre l'Apôtre, la d'encre noire pour écrire le nom de Dieu, au
chaire de pestilence? disputera-t-ll sur la qua- lieu de se servir d'un or éclatant car « Dieu ; :

lité des figures ? souliundra-t-il que rA|>ôtre « est la lumière, et il n'y a en lui aucunes té-

n'aurait pas dû chercher dans des choses hon- « nèbres '?» Cependant voilà l'homme qui
teuses de choses honnêtes ? Mais
la figure soutient que l'Apôtre, pour se mettre à la por-
quoi il proclame honteuses les relations con-
! tée des faibles et des imparfaits, a eu recours
jugales d'Abraham avec Sara son épouse, en à une multitude de paioles fausses et con-
qui le Docteur des nations voit la figure de damnables, et cela, parce qu'il a montré dans

notre mère, l'éternelle Jérusalem M Mais cette ses lettres, par les témoignages qu'il eu a

parabole assombrit le front et crispe le visage extraits, que la loi et les Prophètes méritent

de notre docteur de pestilence que doit-il ;


toute notre vénération, et sont réellement des
devenir, quand il entend le même A|)ôlre écritiues inspirées de Dieu. Il ne voit donc

parler en ces termes de l'homme et de la pas que si l'on appliquait son système à tous
' Gai. 1,2. — ' Id. IV, 2-2--M. '
K|)lié5. V, 31, au Jean, Ti,Gl. — " 1 Juan, l,
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. 52n

les anciens livres révélés de Dieu, il n'en est ment abandonné à l'enchaînement de la dis-
pas un seul qui ne mérit.it d'être interdit sous cussion.
le vain prétexte de paroles inconvenantes. XXXVI. Après celte muHiplicité de ma-
Que quelqu'un lui oppose le même raisonne- tières, notre auteur intitule ainsi le chapitre
ment et lui dise Tout ce qui vous choque
: suivant Discernement des esprits de malice
: «

dans la loi et les Prophètes est complètement <i et de bonté


»; puis, à l'aide de courtes sen-
faux, mais l'Esprit- Saint ne l'a pas moins ins- tences, il distribue largement les louanges à
piré, en considération des faibles et des im- Jésus-Chrisf, et les accusations au Dieu de la
parfaits. Qu'aurait-il à répondre ? Qu'il avoue loi. Voici ses paroles « Pourquoi donc, mon :

donc que s'il est une règle d'interprétation « frère, ne quitterions-nous pas l'iniquité de

qui soit fausse, c'est la sienne, et que c'est a nos anciennes erreurs? pourquoi ne fixe-

contre lui que se tourne le glaive qu'il fait « rions-nous pas nos regards sur Jésus-Christ,
scintiller dans sa main folle et inexpéri- a le Dieu véritablesuprême, au lieu de les
et
mentée. « fixer sur le prince de ce siècle, sur
le Créa-
XXXV. Je crois avoir suffisamment répondu « leur de ce monde, où on nous a si sou-

aux accusations vaines et sacrilèges de notre a vent enseigné que nous sommes comme

adversaire, aussi vain lui-même qu'il est sacri- « en pèlerinage? Contemplons ce Dieu pieux

lège. J'ai parlé du début de la Genèse, de la « et doux qui pour nous montrer que nous
,

création de la lumière du jour et du soleil


;
;
a sommes de sa race , nous a appelés la
du but qui a présidé à la création de l'homme ;
« lumière du monde mais couvrons de ;

du péché d'Adam, de la naissance de l'homme ;


a mépris ce Dieu qui , selon les Ecritures

de la séduction du serpent de la malédiction ; «judaïques, ne nous assigne qu'une origine


de l'homme de l'arbre de vie; du repentir
et « terrestre, et nous fixe notre fin sur la terre.
en Dieu, du déluge; de l'arc-en-ciel; de « Contemplons Celui qui, nous appelant ses
l'endurcissement du cœur de Pharaon de ; « frères, nous invite à comprendre et à goûter
l'esprit de mensonge selon le prophète Michée ;
« les choses divines, et non pas Celui qui ne

du passage d'Isaïe où nous lisons « J'ai engen- : a nous permet pas même le sens de la con-

odré et élevé des (ils », sauf a leur dire plus loin: a naissance et du discernement ». 11 continue

« Enfants coupable?, race perverse» ; de cet encore longtemps sur ce ton.


autre passage du même prophète : « Je suis le XXXVII. Pour répondre à ce passage de son
« Dieu faisaut les biens et créant les maux » ;
livre, voici l'exhortation que je vous adresse :

de l'exlerniination du peuple, par l'ordre de Contem[ilons Jésus-Christ, le Dieu véritable


Moïse de la malédiction qui paraissait une
; et suprême. Fils unique du Dieu souverain
honte, aux yeux de notre adversaire de la ; et véritable ; il est non pas le méchant
,

prétendue cruauté de Dieu de la jalousie ; prince de ce siècle , mais le Créateur du ciel


méchante que David semble attribuer à Dieu ;
et de la terre , et il nous oblige à passer
du regret que Dieu éprouve d'avoir élevé comme des notre vie temporelle
pèlerins
Saùl à la royauté ; de l'esprit de Moïse et de la dans cette misérable mortalité. Contemplons
calomnie avec laquelle on soutient qu'aux ce Sauveur miséricordieux et doux qui ,

yeux de l'Apôtre, les écrits de Moïse ne sont par sa grâce nous a accordé ce que nous
que des fables vieillies. J'ai parlé aussi d'A- n'avions pas par nature, la gloire d'être ses
braham des enfants du grand-prêtre Héli des
; ; frères. Car c'est lui, et non un autre qui, selon
sacrifices qui, dit-on, n'étaient otlèrfsqu'aux les saintes Ecritures , nous a formé un corps
démons; des Prophètes de Dieu, dont on nie terrestre et nous a donné, par la puissance de
l'existence avant Jésus-Christ; de la préten- son souftle divin, une âme spirituelle; c'est
due confusion que la loi fait de l'àme avec le lui qui est le Créateur du corps et de l'âme,
sang; du Dieu que servait Moïse et que l'on mais il n'a engendré ni le corps ni l'àme de sa
prétend n'avoir pas été le Dieu véritable; des propre substance. Il nous ordonne et nous
différentes catégories de personnes au.\(|uelles fait la grâce .de voir et de goûter les choses
l'Apôtre est accusé d'avoir enseigné des choses divines. Car c'est lui, et non un autre, qui
mensongères. Pour traiter ces questions, je nous a prévenus de ne pas acquérir par le
n'ai pas suivi l'ordre que notre adversaire a péché l'expérience du bien et du mal. Il nous
mis dans ses attaques ;
je me suis entière- appelle à l'immortalité et nous promet le
526 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

royaume céleste. Car c'est lui, et non un autre, foid'une parole véritable. Car c'est lui, et lui
qui après notre péché nous a retiré la pro- seul, qui opère des changements, non pas
messe du bonheur éternel, et nous a imposé dans sa volonté, mais dans les choses qui lui
comme châliment le labeur terrestre. Il nous plaisent. nous enseigne le cliemin de la
11

impose le devoir, non pas de tout connaître, vérité. Car Dieu des Prophètes, qui
c'est lui, le
mais de savoir les choses utiles; et s'il est ne trompe jamais les siens par de falla-
une science qu'il nous ait interdite ce , cieuses promesses. Il nous ordonne de nous
n'est pas celle qui s'acquiert par la justice, rendre irréprochables dans notre conduite.
mais celle qui résulte de l'expérience que Car c'est lui, le Dieu des Prophètes, qui n'a
nous acquérons par le péché aussi par sa ;
jamaiseu besoin ni de se reprocher quoi quece
miséricorde nous a-lil arrachés à l'erreur de s'en repentir; si quelquefois il a opéré
soit, ni

qui nous donnait la mort. Car c'est lui, et non des changements dans le cours des choses
un autre, qui nous a condamnés à mourir, naturelles, ces changements il les avait pré-
non pas pour nous punir d'avoir cherché la sa- vus de toute éternité; nous parle de ses
et s'il

gesse, mais pour nous jinnir d'avoir péché. regrets, c'est qu'il lui plaît d'emprunter noire
Il nous exhorte à mépriser nos propres ri- langage humain. Lui aussi, même dans l'Evan-
chesses, ou plutôt à en réunir dans un heu gile, nous apprend à redouter le courroux
plus sûr '. Car c'est lui, et lui seul qui, se de Dieu. Car c'est lui, le Dieu des Prophètes,
montrant le souverain Maître non-seulement qui, sous le nom de colère ou d'indignation,
des choses célestes, mais aussi des biens ter- se montre non pas victime d'un troulde de
restres, distribue ou retire les biens temporels l'âme, mais animé d'un juste désir d'infliger
aux impies pour les punir et pour les éjjrou- au crime le châtiment qu'il méiite. 11 détend
ver. Il pardonne aux pécheurs convertis. aux hommes, non pas de se nuire les uns
Car c'est lui aussi, et lui seul, qui punit les aux autres, mais de se nuire injustement.
crimes des parents pervers, jusi|u'à la troisième Car c'est lui, le Dieu des Prophètes, qui,
ou la qualiième génération de leurs enfants. par l'intermédiaire des hommes ou des angts,
II pardonne, non pas à tous indistinctement, a frappé de mort ceux qu'il a voulu, ou les a
mais à ceux qu'il a prévus et prédestinés. Car terrifiés |iar la rigueur de ce cliâliment. H nous
c'est lui, et non un autre qui, pour inspirer du a apjiris à ne jeter sur une femme aucun regard
mal une horreur plus profonde, a souvent de concupiscence '. Car c'est lui qui a dit
frappé de la mort, non pas spirituelle, mais dans la loi «Vous ne convoiterez point'»;
:

corporelle, ceux mêmes qui n'étaient pas cou- sans commander les septièmes noces, il a per-
pables, afin que leur mort corporelle, inévita- mis les mariages légitimes dans le but de pro-
ble d'ailleurs, tournât à de la
la giorilicatiou pager le genre humain. Non-seulement il n'a
Providence divine d'une
et à ralferniisseuient pas permis les mariages entre les pères et
sagediscifiline. Au lieu de nous interdire d'une leurs mais il a déclaré ces mariages
filles,

manière absolue toute espèce de colère, il nous incestueux. nous a enseigné qu'après la
Il

a commandé de nous enllam nier d'indignation, rénovation intérieure de l'âme et la résur-


mais de ne pas pécher. Car c'est lui, et lui seul, rection des coriis,il n'y aurait plus de mariage;
qui ne cherche pas les occasions de se venger, dans l'éternel bonheur tous les élus seront
mais qui sait se venger quand il en a le comme des anges. Car c'est lui, le Dieu des
motif. Il nous recommande de ne pas user Prophètes, qui a uni légitimement l'Iuinnne
de serment; car nous [louvons nous tromper, et la femme [)0ur la propagation de la famille
et nous devons nous mettre en garde contre le humaine, et il a déclaré daris lu Nouveau Tes-
parjure. Kl pourtant c'est lui, et lui seul (|ni, tament que même lus seci)n(les noces sont
pour mieux afliimer la vérité aux yeux iIls permises. Quand un mari uujurail sans en-
incrédules , n'a pas hésité à l'upiuiyer de fant, oidonnail au frère du défunt d'épou-
il

tonte l'autorité du serment ,


quand il l'a ser la veuve, non pas dans le but d'exciter la
jugé nécessaire, et il s'est pris lui uième à convoiti;^e, mais par un pur sentiment d'ufléc-
témoin [)our imiter l'Iioumic qui jure sur le lion. Quant aux mariages des pères avec
témoignage de son semblable. 11 nous a or- leurs lilles, il les a défendus d'une manière
donné de nous attacher inviolablement à la absolue. Il nous a ordonné de fouler spiri-
'
Mali. VI, lu, 20. MaU. V, 28. I
Exod. XI, n-
LIVRE SECOND. — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. 527

tuellement aux pieds toute espèce de ser- pour œil, dent pour dent, afin d'empêcher les
pents. Car c'est lui, le Dieu des Prophètes, qui, hommes de porter la vengeance au-delà de l'ou-
pour mieux faire comprendre à son peuple trage. Voilà pourquoi il a été dit de la sagesse de
infidèleque le péché , comme un poison Dieu, qu'elle porte sur la langue la loi et la
invisible, donnait la mort à l'àme, luienvoya miséricorde. Comment, en effet, pourrions-
des serpents visibles, et tigura à leurs yeux nous remettre sciemment les dettes à ceux
la mort des âmes par la mort des corps. 11 qui nous offensent, si la loi elle-même ne
a dit: «Donnez l'aumône et vous serez pu- nous faisait connaître ce qu'ils nous doivent?
« ri fiés de toutes vos iniquités' ». Car c'est Du sein de la gloire qui l'environne, il s'est hu-
Dieu des Prophètes, qui a emprunté le
lui, le milié, pour nous convertir, jusiiu'à se faire
langage des Prophètes pour nous révéler des homme, et s'est entretenu avec les hommes.
vérités semblables. Aussi il n'a pas demandé Car c'est lui , le Dieu des Prophètes ,
qui a
que les premiers-nés des enfants des hommes parlé aux |)remiers Patriarches; et tout en
lui fussentimmolés, mais consacrés; annonçant attcotant sa divinité une et indivisible, leur a
ainsi le premier-né d'entre les morts, dans le- révélé la Trinité et la di.^linclion des personnes.
quel nous devons trouver notre délivrance de Il a ordonné aux Apôtres de donner gratuite-
la mort éternelle. H nous a appris à préférer ment ce qu'ils avaient reçu gratuitement ;

les aliments incorruptibles aux nourritures toutefois, en leur assurant leur subsistance, il

corruptibles. Car c'est lui, le Dieu des Pro- une seconde


leur a défendu de porter avec eux
phètes, qui a voulu que des sacrifices dont il tunique Car tout ouvrier est digne de sa
: «
n'avait pas besoin lui fussent olïeris, pour «récompense'»; annonçant ainsi que ceux
servir d'oml)ie et de figure au sacrifice véri- qui prêchent l'Evangile doivent vivre de
table ; et quand des sacrilèges se commet- l'Evangile ^ Cependant il déclare que l'on
taient, pour sauver la rigueur de la discipline, doit offrir à Dieu des présents, car s'il n'a
il les punissait par la mort corporelle, mille besoin de quoi que ce soii, il accorde toujours
fois plus douce que les supplices éternels de puisqu'on ne lui offre. Il est en effet le Dieu des
l'enfer.Sans coiulaumer les richesses terrestres, Prophètes, qui défend d'user de présents pour
il nous a appris à leur préférer les richesses influencer limpartiaiité des juges et cepen- ;

spirituelles et célestes. Car c'est lui, le Dieu dant il agrée lui-même les (irésents qui lui
des Prophètes, qui fait les riches eu leur sont offerts, afin d'enrichir les âmes que la
accordant par bienveillance et libéralité, et piété rend généreuses à son égard. Il a guéri
qui fait aussi les pauvres en leur refusant un malade le jour du sabbat, pour montrer
dans sa justice ce qu'ils n'ont pas, ou en que les jours prédits par le Cantique des can-
les privant de ce qu'ils possèdent. Il nous tiques étaient arrivés, et que les ombres de-
a ordonné de prier pour nos ennemis. Car vaient disparaître '. Car c'est lui, le Dieu
c'est lui, le Dieu des Prophètes, qui, loin des Prophètes qui ordonna de; lapider le
,

de commander aux parents d'immoler de leurs malheureux qui fut trouvé ramassant du
liropres mains leurs enfants en son honneur, bois le jour du sabbat, parce qu'il ne savait
en a formulé la défense explicite dans la loi. pas faire la distinction des deux Testaments,
il commande de faire du bien à tous, sans et qu il montrait contre la loi de Dieu un mé-
aucune acception des personnes. Car c'est lui, pris orgueilleux et impie ; il fut puni de la

le Dieu des Prophètes, qui, à différentes re- mort corporelle mais, outre que tout homme ;

prises , a sans doute ordonné de tuer les doit la subir un peu [ilus tôt, un peu plus
hommes, sans distinction d'âge ni de sexe; tard, le châtiment de cet homme fut un puis-
mais qui sait quelle compensation il leur a sant moyen d'assurer l'obéissance de ceux qui
offerte après la mort? qui s.iit même quel effet en furent les témoins, et (pii durent trembler
salutaire leur mort a produit sur les vivants, de mériter pour eux-mêmes cette jujtice ri-
soit en les portant au bien, soit en les frappant goureuse. Il déclare qu'il n'est descendu sur
de terreur à la vue de leurs crimes? H nous la terre que pour sauver les hommes. Car
ordonne de supporter les outrages avec calme c'est lui, le Dieu des Prophètes, qui, par
et de les pardonner. Car c'est lui, le Dieu des un juste jugement, frappe d'endurcissement
Prophètes, qui a fixé comme châtiment, œil ceux qu'il lui plaît; il est dit de lui dans
' Luc, XI, 11. ' Matl. X, 8, 10. — ' I Cor. DC, 11. — ' Gant, il, 17.
328 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

l'Evangile, « qu'il est venu au jugement», enseigne l'innocence le premier


la chasteté et ;

non-seulement a afin d'ouvrir les yeux à ceux c'est le démon


quant au second, qu'il sache
;

« qui ne voient pas », mais aussi « afin que que le Dieu des Prophètes s'est montré aussi
« ceux qui voient soient frappés d'aveugle- désireux que Jésus-Christ d'enseigner la chas-
«ment'». Il nous a imposé les comman- teté et l'innocence. En
effet , le Dieu des
dements de la vie éternelle. Car c'est lui, Apôtres n'est autre que Dieu des Prophètes;
le

le Dieu des Prophètes, qui a donné des ceux-ci sont venus les premiers dans l'ordre
préceptes saints, justes et bons, et cependant des temps, mais ils n'ont avec les Apôtres
ces préceptes devaient être, non pas un prin- qu'une seule et même foi. C'est donc le même
cipe de vie, mais un principe de mort pour Dieu qui dans les deux Testaments est l'auteur
les orgueilleux qui, au lieu d'implorer le se- des bonnes actions, des prières ferventes et
cours de sa grâce, mettraient en eux toute des sacrifices religieux.
leur confiance. Ce n'est pas d'eux, en effet, XXXIX, Voyez comment il prouve que les
que l'Apôtre a dit : Ils étaient a la bonne odeur maladies des corps humains sont l'œuvre, non
a de Jésus-Christ, soit à l'égard de ceux qui pas de Dieu, mais du démon. Rappelant la
« se sauvent, soit à l'égard de ceux qui se guérison d'une femme de l'Evangile, il nous
a perdent; aux uns, une odeur de vie qui les fait remarquer que le Sauveur déclare que le

a fait vivre aux autres, une odeur de mort


; démon l'avait tenue enchaînée pendant dix-
«qui les fait mourir^ ». Il s'est montré huit ans ; voilà pourquoi elle était courbée et
le salut desmalades rendant la marche , ne pouvait marcher droite '. J'avoue que
aux boiteux la langue aux muets l'ouïe
, , Satan est toujours animé du désir de nuire,
aux sourds, la vue aux aveugles. Car c'est lui, mais peut-il donc nuire s'il n'en a reçu le
le Dieu des Prophètes qui non-seulement ,
pouvoir du Tout-Puissant? La réponse à cette
guérit miséricordieusement ces maladies ,
question se trouve claire et évidente dans le
mais encore les envoie sous rins[)iratioii de livre de Job, mais ce livre n'est pas reçu par
sa justice souveraine. Ne serait-ce pas une im- notre auteur. Alors, qu'il ouvre l'Evangile et
piété révoltante de soutenir que ce Dieu est il verra que les esprits immondes, avant de se
bon, tandis que Jésus-Christ est mauvais, en précipiter sur les pourceaux, ont dû y être
alléguant que la verge d'Aaron, bois aride et autorisés par le Sauveur qui aurait pu assuré-
sans racine, a poussé des fleurs et des fruits, ment les reléguer au fond de leurs abîmes *.

tandis que Jésus-Christ a frappé de malédic- Jésus-Christ ne voulait-il pas nous enseigner
tion et desséché l'arbre stérile qu'il rencontra que si les dénions, par leur propre puissance,
sur son chemin? ne peuvent pas nuire à des animaux, à plus
XXXVII 1. Notre auteur soutient, au con- forte raison n'ont-ils de pouvoir sur les hom-
traire, que le Père de la paix et de la charité, mes qu'autant que Dieu veut bien leur en
n'est pas le même que le Dieu de la guerre et accorder ? Quand il leur donne ce pouvoir,
de la fureur. Le Dieu de la paix, c'est Jésus- c'esten vertu des secrets de son infinie justice,
Christ ; l'auteur de la guerre, c'est le Dieu de mais jamais il n'est injuste quand il leur per-
la loi et des Prophètes. Mais alors pourquoi ne met de nuire.
pas soutenir queJésus-Christ se met en contra- XL. Ce que l'Apôtre a dit de la venue et de
diction avec lui-même, ou plutôt qu'il y a l'orgueil impie de l'antechrist, notre adver-
deux Christsopposés l'un à l'autre; l'un disant: saire voudrait nous en faire faire l'application
a Je vous donne la paix " » l'autre ; : a Je ne au Dieu des Prophètes. Mais alors il avoue
« suis pas venu apporter la paix sur la terre, donc que le temple de Jérusalem était réelle-
a mais le glaive '•
' » Cette observation est ment le temple du vrai Dieu, car ce serait
d'autant plus juste que notre adversaire sou- dans ce temple (]ue l'Aiiôlre aurait annoncé
tient qu'on ne doit pas chercher de figure que viendrait s'asseoir 1 homme de péché, le
dans les choses mauvaises, pour exprimer des fils de la perdition qui s'op[)Osera à Dieu et

choses bonnes en elles-mêmes. Il ajoute que s'élèvera au-dessus de lout ce qui est appelé
dans ses deux dieux différents, l'un est cou- Dieu ^ En ellet, c'est dans le temple du vrai
pable d'inceste et d'adultère, tandis que l'autre Dieu que cet antechrist doit venir s'asseoir;
et on peut bien associer à l'antechrist celui
.V-ai], IX, .19. — Ml Cor. XV, 16. — ' Jean, XIT, 27. — ' Matl.
X, 31. •
Luc, xiii, 11-16. — Malt, vin, 31, 32. —
' Thess.
'
3,
11 ii, i.
LIVRE SECOM). — PASSAGES INCRIMINÉS DU NOUVEAU TESTAMENT. 529

qui, tout en voulant paraître chrétien et porter ments que j'exposais, peuvent ici encore rece-
le nom de Jésus-Christ, qui est le nom de Dieu, voir leur application immédiate. Peut-être
s'élève contre Jésus-Christ. Sans doute il n'est même qu'en relisant ces traités, j'aurais pu
pas cet autechrist plus puissant que tous les me dispenser de composer le pi'ésent ouvrage,
autres, mais il est du nomhre de ceux dont ou, au moins, de lui donner de si grands dé-
saint Jean Maintenant beaucoup
a dit : « veloppements.
« d'antechrists sont apparus ». Il parlait de '
XLll. A de son livre, notre adversaire
la fin

ces hérétiques qui s'étaient levés du temps se félicitedans son erreur du petit nombre
même Quelque temps après
des Apôtres. de ses adeptes, parce que, dit-il, la sagesse ne
l'ascension de Jésus-Christ au ciel, apparaît se trouve jamais que dans le petit nombre.
Simon le magicien, dont le baptême nous est N'oublions pas que tous les hérétiques qui se
raconté dans les Actes des Apôtres ^ Il laissa sont attaqués à l'Eglise catholique, laquelle se
quelques disciples qui formèrent école et se répand avec une fécondité merveilleuse sur
succédèrent sans interruption. Le quatrième toute la face de la terre, ont toujours élevé en
qui parut fut Basilide, qui, le premier, osa leur faveur cette orgueilleuse prétention. Tous
soutenir que le Dieu adoré par le peuple juif se gloriflent de leur petit nombre, et cepen-
n'était point le Dieu véritable. Après eux on dant ils ne laissent pas de chercher à séduire
vit apparaître Carpocrate, qui nia que Dieu les multitudes. Mais à peine le livre terminé,
fût le créateur du monde visible ; il attribuait il nous annonce le début d'un autre ouvrage,
cette création à certaines puissances des dé- composé peut-être par le même auteur, mais
mons ; il que Dieu fût l'auteur de
niait aussi qui certainement est le reflet des mêmes
la loi donnée par Moïse. Cerdon vint ensuite ; erreurs. La discussion engagée tendait à prou-
c'est lui qui, le premier, affirma l'existence ver que la chair a été créée par un autre que
coéternellc de deux dieux, l'un bon et l'autre par Dieu; quelques développements sont ap-
mauvais ; son hérésie fut de beaucoup anté- portés à l'appui de cette thèse, puis le travail
rieure à celle des Manichéens, dont les erreurs s'arrête subitement. L'auteur ou l'écrivain
causent aujourd'hui un si grand scandale. s'est-il trouvé dans l'impossibilité d'accom-
Cerdon eut pour disciple Marcion et Apelle ; plir sa tâche ? Je l'ignore. Du reste, en réfu-
enseigna la même doctrine. Vinrent ensuite tant les Manichéens, j'ai eu bien souvent occa-
les Patriciens, disciples d'un certain Patricius, sion de stigmatiser la folie de certains hommes
qui se montrèrent également les ennemis qui parlent sans savoir ce qu'ils disent. Enfin,
déclarés des livres de l'Ancien Testament. Tous ce que au commencement de cet ou-
j'ai dit
s'insurgent contre le Dieu de la loi et des Pro- vrage, à un lecteur prudent et
doit suffire
phètes, c'est-à-dire contre le Dieu véritable pieux, pour lui faire conclure que la chair
qui a créé le monde. Je croisque notre auteur peut être une des œuvres de Dieu, quoiqu'elle
partage cette hérésie, car il ne me paraît pas soit par nature inférieure à l'esprit que les ;

être manichéen. choses temporelles ne sont pas des maux,


XLI. Mais qu'importe à quelle hérésie il ap- quoiqu'on doive leur préférer les biens éter-
partienne, lui ou ce Fabricius dont il se fait nels que les biens terrestres ne sont pas à
;

gloire d'être le disciple ? Quant à son livre, je détester, quoiqu'ils soient inférieurs aux biens
crois y avoir suffisamment répondu. C'est en célestes que c'est Dieu enfin qui a créé tous
;

effet dans ce volume, qu'il a dû jeter tout le les biens, et s'il s'est montré grand dans les
feu de sa fureur, car les blasphèmes
y pullu- biens supérieurs, il ne s'est pas montré petit
lent, lesmalédictions et les outrages les plus en créant les biens inférieurs. Quant à l'ap-
impies y sont lancés contre Dieu avec une pendice qui termine cet ouvrage, il est l'œuvre
abondance qui étonne. Il eût été long de cou- d'Adimantus, disciple de Manès, et que l'on
per tous les rameaux, mais avant tout il fallait désigne sous le prénom d'Addas. Déployant
enlever les racines. Si donc il vous souvient donc une ruse véritablement multiforme, il
de ce que j'ai écrit contre le manichéen Faustus oppose l'un à- l'autre les deux Testaments, afin
et contre Adimantus, qui se flattait d'avoir été de montrer qu'ils ne peuvent être l'œuvre
le disciple de Manès lui-même, vous devez d'un seul et même Dieu. J'ai déjoué cette ma-
reconnaître qu'un grand nombre des argu- chination perverse dans un opuscule qui,
'
I Jeaa, ii, 18. — ' Acl. viii, 13.
sans doute, se trouve entre vos mains. Toule-
S. AuG. — Tome XIV. 34
830 CONTRE UN ADVERSAIRE DE LA LOI ET DES PROPHÈTES.

omis de répondre à certaines observa-


fois j'ai les observations dont je parle. Je sais bien
Adimantus à la fln de son
tions glissées par qu'elles sont en petit nombre cependant,
; si

ouvrage sans doute que d'autres points m'ont


;
Dieu m'en fait la grâce, je les examinerai le
paru plus importants, et m'ont fait négliger plus tôt qu'il me sera possible.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


A OROSE
Sixr* les Priscillianistes et les Origénistes.

I. Mon très-cher fils Orose, je ne dois pas particule ni un écoulement de la Divinité.

répondre à toutes les questions que vous Mais peut-on dire que Dieu l'a créée de rien?
m'avez posées dans votre Mémoire ;
je ne Car ne semble-t-il pas que ce soit une du-
dois pas non plus réponse au-
les laisser sans reté etune impiété de dire que la volonté de
cune, de peur de paraître mépriser votre Dieu, par laquelle l'âme a été créée, n'est qu'un
zèle, qui m'est très-agréable, et, par là même, néant? Cette question, il est vrai, n'appartient
de vous offenser à l'excès. Dans quelques-uns plus à la réfutation de la vanité sacrilège de
de mes opuscules, que vous avez lus ou que PrisciUien. Car, soit que l'âme ait été faite de
vous pourrez lire, j'ai dit beaucoup de choses rien, soit que l'on ne puisse pas s'exprimer
qui conservent toute leur force contre l'hé- ainsi, à raison de la volonté divine qui l'a faite

résie des Priscillianistes à la vérité je ne me


: et qui, sans aucun doute, n'est pas un pur

proposais pas de les réfuter mais d'après


; , néant par cela seul qu'elle a été faite et
:

ce que vous me dites de leurs opinions, je qu'elle n'est point la substance de Dieu, c'en
vois maintenant que je l'ai fait, quoique est fait de cette hérésie qui commence par
traitant d'autres sujets. Car, dans mes nom- affirmer que l'âme est la substance de Dieu,
breuses controverses avec les Manichéens au afin d'élever sur ce fondement le système de
sujet de l'âme, j'ai établi que, malgré l'im- toutes les erreurs qu'elle ajoute à celle-là.
mortalité que l'âme possède d'une manière à Toutefois nous ne devons pas mépriser cette
elle particulière, cependant sa dégradation question, ni la laisser sans discussion ; il faut
par le mal et son perfectionnement par le au contraire demander à ceux qui refusent de
bien prouvent qu'elle n'est pas immuable, et croire que l'âme a été faite de rien, afin de ne
par là même démontrent de la manière la pas dire que la volonté divine par qui elle a été
plus claire qu'elle n'appartient point à la sub- faite, n'est elle-même qu'un néant, il faut

stance de Dieu or, ceci renverse en même


: leur demander s'ils ne reconnaissent pas que
temps l'opinion de Priscillien. Car, ce principe certaines créatures ont été faites de rien. S'ils
seulune fois établid'une manière inébranlable, le reconnaissent, il craindre qu'ils ne
est à
principe d'ailleurs très-véritable et dont tout s'eflorcent d'introduire quelque autre sub-
homme reconnaît facilement la vérité en lui- stance, qui, sans être Dieu, ne soit pas cepen-
même, dès qu'on éveille son attention sur dant le néant, mais qui soit comme une ma-
ce sujet, ni les uns ni les autres ne savent tière soumise à Dieu, et sans laquelle il
plus sur quoi appuyer leurs fables. Est-il n'aurait pu trouver de quoi faire tout ce
donc besoin de suivre pour les trancher
,
qu'il a fait. En eifet, chercher de quoi Dieu a
successivement, les rameaux d'une erreur fait sa créature, c'est chercher une certaine
toujours féconde en paroles, tandis qu'on peut matière, pareille au bois ou à tout autre corps
d'un seul coup en arracher et en extirper la sans lequel l'artisan ne pourrait absolument
racine ? surtout lorsque vous vous félicitez faire les objets que l'on réclame de son art.
vous-même de ce que déjà on la regarde Lors donc qu'on répond Il l'a faite de rien,
:

chez vous comme une imposture et une extra- cette réponse est-elle autre chose que la néga-
vagance. tion de toute matière soumise à Dieu sans
II. Cependant la discussion au sujet de l'âme avoir été faite par lui, et avec laquelle il

ne se termine point encore là. 11 est prouvé, ferait ce qu'il lui plairait, mais sans laquelle
jusqu'à présent, que cette âme n'est pas une il ne pourrait rien faire ? Car la matière du
332 A OROSE, SUR LES PRISCILLIANISTES ET LES ORIGÉNISTES.

monde, celte matière qui se révèle jusqu'à un laquelle assurément n'est pas le néant. Mais
certain point dans les choses sujettes aux alors, qu'ils considèrent de quoi l'homme a
changements, a été formée par celui-là même été fait, quant à sou corps. 11 est certain en
qui a formé le monde. Aussi, quoique Dieu effet, suivant le témoignage de l'Ecriture, que

ait employé, quoiqu'il emploie encore toute Dieu l'a fait du limon ou de la poussière delà
espèce de choses pour en faire d'autres ja- ,
terre ', et sans aucun doute il l'a fait par sa
mais cependant il n'a employé, ni il n'emploie volonté cependant la volonté de Dieu n'est
:

ce qu'il n'aurait point fait lui-même. C'est ni poussière ni limon. Ainsi, comme dans ce
pourquoi, laissant un moment de côté la qui a étéfait de limon, la volonté qui l'a fait

substance de rame s'ils avouent que Dieu a


: n'est pascependant ce limon de même aussi ;

fait certaines choses de rien, qu'ils consi- dans ce qui a été fait de rien, la volonté qui
dèrent et qu'ils comprennent bien que, quelles l'a fait n'est pas non plus ce néant.
qu'elles soient. Dieu les a faites par sa volonté : IV.Vous ajoutez ensuite avec douleur que
car il n'aurait rien fait malgré lui que cepen- ;
les hommes de votre province sont tombés de
dant si Dieu a fait par sa volonté quelque l'hérésie de PrisciUien dans l'erreur d'Origène,
chose de rien, il ne s'ensuit pas que cette et qu'ils n'ont pu être guéris de cette pre-
même volonté ne soit rien. Pourquoi donc mière peste, sans que le remède lui-même
n'osent-ils pas dire de l'àme ce qu'ils n'hési- leur insinuât un principe morbide. Votre dou-
tent point à dire de toute sorte d'autres leur est assurément bien légitime : car c'est la
choses ? Ou bien, s'ils répondent que l'àme vérité elnon point le mensonge qui aurait
seule a été faite par la volonté de Dieu, ils dû repousser le mensonge autrement on :

prétendent par là même qu'il n'a point fait le change le mal, on ne le fait pas disparaître.
reste volontairement. Est-il possible de par- Cependant, puisque ceux qui vous ont apporté
ler d'une manière plus absurde, plus insensée? les hvres d'Origène, ont enseigné, comme

Mais s'il est hors de doute qu'il a fait par sa vous me l'écrivez, une doctrine conforme à la
volonté tout ce qu'il a fait si cependant nous
; vérité, sur Dieu lui-même auteur de toutes les
nous exprimons ainsi sans dire que celte créatures, c'est-à-dire sur la Trinité elle-même
même volonté n'est rien, qu'ils appliquent coéternelle et immuable; puisque d'ailleurs
donc cela à l'àme elle-même. c'est contre cette vérité que PrisciUien a res-
III. En effet, quand on dit Dieu a fait de
: suscité l'ancienne opinion de Sabelhus, sui-
rien (tel ou on ne dit pas autre chose
tel être), vant laquelle le Père serait le même que le
que ceci : Il n'avait rien pour le faire, et ce- Fils et que le Saint-Esprit opinion à laquelle
;

pendant il l'a fait parce qu'il l'a voulu. Aussi, il ajoute cette doctrine plus détestable encore,
dans tout ce qu'il a fait de rien, non-seule- qui refuseà notre âme toute substance propre,
ment nous disons que sa volonté n'est pas le et ose affirmer avec les Manichéens qu'elle
néant, mais c'est à elle-même que nous attri- découle de Dieu comme une petite partie de
buons le principal mérite de cette action. lui-même, soumise ainsi à une souillure dé-
« Lorsque vous aurez la volonté, le pouvoir gradante et à une transformation si malheu-
est entre vos mains'». Que celui à qui le reuse ;
puisqu'il en est ainsi, dis-je, votre
Sage adresse ces paroles, ait ou n'ait pas de province n'a pas recueilli peu de fruit de
quoi l'aire (tel ou tel être), la volonté lui suffit ces livres , surtout relativement à l'objet
parce qu'il a la souvt3raine puissance. Et com- capital. Car les plus erronées et les plus dé-
ment donc, par rapport à ce qui est créé de testables de ces opinions, ont pour objet le

rien, peut-on avancer que la volonté du Créa- Créateur et non pas la créature. Ceux donc
teur n'est qu'un néant, puisque si quelque qui sont rentrés dans cette croyance, après
chose peut être créé de rien, c'est précisément s'en être écartés, et ceux qui, l'ayant ignorée
parce (|ue la volonté du Créateur se sufiit à jusqu'alors, ont appris à la connaître par
elle-même sans aucune matière ? Nos adver- la lecture de ces controverses doivent se,

saires prétendront peut-être que, non-seule- féliciterd'avoir appris à connaître la saine


ment l'àme, mais que nulle créature absolu- doctrine. Quant aux erreurs qui subsistent
ment n'a été faite de rien, par la raison que encore dans leur esjjrit, je vois que vous les
Dieu, <iuoi qu'il fasse, fait tout par sa volonté, connaissez déjà ; cependant vous pourrez
»ag. XII, li- ' Gtu. Il, 7.
A OROSE, SFR LES PRiSCILLIANISTES ET LES ORIGÉMSTES. 533

mieux apprendre la manière de les discuter nelles mais nous traduisons aussi le pre-
;

làoù elles sont nées autrefois, mais sans avoir mier par siècle, tandis que nous traduisons
été publiées alors. toujours le second par œternum éternel. ,

V. Autant que je le puis, cependant, je vous Quelques-uns aussi se hasardent parfois à


avertis moi-même de n'avoir point la har- dire œternale, éternel, de peur que la langue
diesse devons prononcer sur la conversion du latine ne paraisse dépourvue du dérivé du
démon et de ses anges, ni sur leur rétablisse- mot œternum.
ment dans leur ancien état : non pas que nous A
la vérité, ils trouveront peut-être
VI.
portions envie au aux esprits mau- démon et dans langage ordinaire des Ecritures, l'ex-
le

vais, et que nous leur rendions ainsi comme pression aJùvtov appliquée à des choses qui
un juste retour de malignité, puisque les seuls ne sont pas sans fin. Par exemple, Dieu dit
aiguillons de l'envie les animent et leur inspi- constamment dans les livres de l'Ancien Tes-
rent tant d'efTorts pour nous égarer dans notre tament « Ceci sei'a pour vous une loi éter-
;

course vers Dieu. Mais nous ne devons pas « nelle '


» ; et le texte grec porte : xîùviov.

avoir la présomption de rien ajouter à la sen- Dieu, en effet, s'exprimait souvent ainsi en
tence définitive du Juge suprême et très-vérl- donnant des préceptes relatifs à ces cérémo-
dique. Or, c'est lui-même qui l'a prédit, il nies qui devaient avoir une fin. Peut-être
dira à ceux qui leur ressemblent : « Allez au cependant une intelligence plus parfaite du
« feu éternel qui a été préparé au démon et à texte prouverait que les choses signifiées par
«ses anges». 11 est vrai qu'il est écrit ail- ces cérémonies, ne devaient pas avoir de fin.
leurs Dans l'éternité et dans les siècles des
: « Mais l'Apôtre dit aussi les temps éternels, les
« siècles B In œtermim et in sœculum sœ-
: premiers et les plus anciens -, dans le texte
culi mais cela ne doit pas nous faire
'
; grec : irpo /.pdvuv aîwvmv. Eu écrivant à Tite, il dit

prendre ici le mot éternel dans le sens de encore :« L'espérance de la vie éternelle, que
longue durée. Le traducteur latin n'a pas « Dieu, qui ne meut point, a promise avant
voulu dire In ceterniim et in œternum œterni ;
: « les temps éternels' ». Or, puisque les temps
« dans l'éternité et dans l'éternité de l'éter- semblent avoir commencé à la formation du
«nilé». Et comme l'expression grecque aiwv monde, conunent donc sont-ils éternels, si ce
peut se traduire à la fois par siècle et par éter- n'est que l'Apôtre appelle de ce nom ceux qui
nité, d'autres interprètes ont traduit avec plus n'ont été précédés d'aucun temps?
de justesse In sœcitlnm et in sœculum sœ-
: VII. Mais pour quiconque pèse mûrement

ciili ; a dans les siècles, et dans les siècles des ces paroles « Allez au feu éternel », la preuve
:

«siècles». Mais ces expressions ne se trouvent qu'elles désignent au contraire une chose qui
point dans ce passage : «Allez au feu éternel ». n'a pas de fin, se trouve précisément dans ce
Le texte en effet ne porte pas «itiva, mais bien même endroit de l'Evangile touchant la vie
alwviov. Or, si cette dernière expression était éternelle que les justes doivent recevoir car :

un dérivé, quant au sens, du mot siècle, elle se celle-ci non plus ne doit pas finir. Voici la con-
traduirait en latin par sœculare, séculaire, et clusion de ce passage « Ceux-là iront dans les :

non point par œternum, éternel ce que ja- : « flammes éternelles, et les justes dans la vie

mais aucun traducteur n'a osé dire. Ainsi, « éternelle * ». Le texte grec porte deux fois

quoique l'expression latine sœculum siècle, ,


aiiiviov. Or, si la miséricorde nous porte à croire

renferme l'idée de quelque fin, tandis que que le supplice des impies ne sera pas sans
l'expression œternuyn, éternel, ne s'applique fin, que croirons-nous touchant la récom-
ordinairement qu'à ce qui n'a pas de fin; pense des justes, puisque l'éternité est ex-
quoique en même temps rcx|)ression grec- primée dans l'un et l'autre cas, au même en-
que aiwv s'applique tantôt à l'un, tantôt à droit, dans la même sentence et par le même
l'autre ; cependant o-itiviov , dérivé de celte mot? Dirons-nous que les justes eux-mêmes
dernière expression, ne se dit ordinairement, doivent de nouveau tomber de cet état de
chez les Grecs eux-mêmes, si je ne me trompe, sainteté, de cette vie éternelle, dans la souil-
que des choses qui n'ont point de fin. Chez lure du péché et dans la mort? Ah! loin de
nous les mots lîwv et aîwviov désignent ordinai- la pureté- de la foi chrétienne un pareil lan-
rement et exclusivement les choses éter-
' Eiod. xxnil, 43;LéTit. xvi, 31, elc. il Tim. 1, 0.
'
Ps. l.\, l^ ' Tit. I, J. — ' Mati. jcjï, 41, 46.
.

534 A OROSE, SUR LES PRISCILLIANISTES ET LES ORIGÉNISTES.

gage Le supplice comme la récompense est


! doute aussi jusqu'à la contemplation de lui-
donc appelé éternel, parce qu'il n'aura point même, en tant qu'il est Dieu égal au Père.
de fin, c'est-à-dire aU:m^: de peur qu'en compa- Car il ne lui remet pas le royaume de telle
tissant aux souffrances du démon, nous ne dou- sorte qu'il le perde lui-même ; comme a le

tions du règne de Jésus-Christ. Enfin, si l'Ecri- « Père a donné au en lui-même Fils d'avoir
ture emploie ordinairement œternwn eiœter- « la vie », sans que pour cela le Père ait

nale, c'est-à-dire aîiiv et aiwviov, dans l'un et cessé de l'avoir. Conséquemment, puisque
l'autre sens, tantôt avec une fin, tantôt sans son règne ne doit point finir, ses saints qui
aucune fin, que répondrons-nous au sujet de forment son royaume, régneront certaine-
ces paroles qu'un Prophète a écrites « Leur : ment avec lui sans fin. Si saint Paul dit au
a ver ne mourra point et leur feu ne s'étein- même endroit « La fin suivra, lorsqu'il aura
:

« dra pas * ? » Quelle que soit la peine dé- a remis le royaume à Dieu son Père », il ne

signée sous les noms de ver et de feu, si l'un parle pas d'une fin qui consomme, mais d'une
ne doit point mourir, si l'autre ne doit pas fin qui donne la dernière perfection comme :

s'éteindre, il est donc certain qu'elle a été pré- celle dont il parlait aux Romains « Le Christ :

dite comme ne devant pas avoir de fin car : « est la fin de la loi, pour la justification de

le Prophète, en s'exprimant ainsi, n'avait tous ceux qui croient ' » car celte fin ;

d'autre but que de la prédire comme ne de- donne à la loi sa dernière perfection, bien
vant pas finir. loin de la détruire ainsi que le Sauveur le ;

De même, relativement au règne du


VIII. déclarait lui-même, lorsqu'il disait a Je ne :

Christ, —
non pas en tant qu'il est le Verbe « suis point venu abolir la loi, mais la rendre

au commencement, Dieu en Dieu ^; car en ce « pleine et entière - »

sens personne n'a jamais douté qu'il ne soit IX. Quant à ce qu'ils disent des créatures
le Roi de tous les siècles mais en tant qu'il a ; raisonnables, des saints anges, des esprits im-
pris la nature humaine, qu'il s'est fait mysté- mondes, et même
des âmes humaines, savoir,
rieusement médiateur, qu'il s'est incarné dans qu'ils une place plus ou moins
ont reçu
le sein d'une Vierge, —
il a été dit très-claire- élevée à proportion de leur faute plus ou
ment de ce règne qu'il ne doit point avoir de moins légère, je ne comprends pas comment
fin. Car l'ange parlant à Marie, qui allait deve- ilsont l'insigne témérité de prétendre persua-
nir Mère sans cesser d'être Vierge, lui dit der cela à l'Eglise du Christ. Nous aimons
entre autres choses « Il sera grand, il sera
: beaucoup mieux croire que Dieu n'a pas été
« appelé le Fils du Très-Haut, et le Seigneur déterminé à la formation du monde par les
« Dieu lui donnera le trône de David, son péchés des esprits raisonnables; car il s'ensui-
« père et il régnera éternellement sur la
;
vrait cette conséquence absurde, que nous
« maison de Jacob, et son règne n'aura point eussions dû nécessairement avoir deux, trois,
« de fin ^ ». « Son règne qui n'aura point de quatre soleils ou
autant que l'on
, même
« fin » est évidemment le même que « son voudra, sigrand nombre d'esprits
un plus
« règne sur la maison de Jacob » Car ces pa- avaient précédemment, par leur libre arbitre,
roles a Son règne n'aura point de fin », ont
: commis des fautes assez énormes pour qu'ils
été ajoutées afin de faire disparaître l'ambi- dussent être emprisonnés dans les sphères de
guité même
de l'exjiression «éternellement», semblables corps célestes. Nous croyons donc
et afin que personne ne l'entendît ici d'un que le monde a été formé par la bonté de
siècle qui tôt ou tard devrait finir. Or, ce Dieu; il a été fait grand et bon par Celui qui
règne sur la maison de Jacob et sur le trône est le bien souverain et qui lui-même n'a pas
de David peut-il être entendu autrement que Dieu voulait que toutes choses y fus-
été fait.
de son règne sur l'Eglise et sur le peuple qui sent excellemment bonnes de leur nature, les
est le royaume du Christ? C'est en effet de ce unes plus, les autres moins cependant, mais
royaume que l'Apôtre dit aussi : « Lorsqu'il que toutes, depuis les plus élevées jusqu'aux
« aura remis le royaume à Dieu son Père ' », plus infimes, fussent disposées avec ordre en
c'esl-à-dire lorsqu'il aura conduit ses saints plusieurs degrés distincts, afin de leur donner
Jusqu'à la contemplation du Père, et sans par là un mérite qu'elles n'auraient point eu
dans l'isolement, et de les mettre en posses-
'
Isaïc, i-xvi. 21. — ' Jean, i, 1, ' Luc , 1 , 32 , S.-i. I Cor.
XV, ^il.
'
Kom. x, 1. — '
Malt. V, 17.
A OROSE, SUR LES PRISCILLIANISTES ET LES ORIGÉNISTES. 535

sion de cette mesure d'harmonie, où l'Auteur ront la demeure des saints, de ceux qui seront
de toutes les substances créées avait dans sa purifiés de toutes les souillures de ce monde ',

prescience résolu de les établir. Car il n'a pas comment a-t-on la témérité de prétendre
appris à les connaître lorsqu'elles ont été faites, que le monde , c'est-à-dire le ciel et la

mais il avant qu'elles fussent


les connaissait terre, n'aurait pas existé, s'il n'avait été néces-

faites. Et prétendre que toutes choses étaient saire à la purification des esprits raisonna-

déjà faites dans sa sagesse avant d'être pro- bles, qui eux-mêmes ne seraient pas au ciel

duites avec leurs formes extérieures, avec ou sur par leurs pé-
la terre, s'ils n'avaient,

leur aspect particulier, et avant d'apparaître chés, mérité d'y être Qu'avons-nous donc
?

disposées toutes en différents ordres c'est ,


besoin, a[)rès notre purification, d'un ciel
parler sans savoir ce que l'on dit. A quelle nouveau et d'une terre nouvelle, si les esprits
époque eussent-elles donc avant été faites raisonnables, une fois purifiés, sont rétablis

que d'être faites? Le type de tout ce qui de- dans le même état où ils étaient avant l'exis-

vait être fait, a bien pu préexister dans la tence du ciel et de la terre, c'est-à-dire sans
sagesse divine, mais non pas la réalité. En l'un ni l'autre? Quand même il en serait

effet, c'est par celte sagesse que tout a été véritablement ainsi , nous devrions encore
fait, quoiqu'elle-même n'ait pas été faite, élever nos espérances jusqu'à l'objet des pro-
puisqu'elle n'est pas autre que le Verbe dont messes de l'Ecriture. Et si nous devions rece-
il est dit : « Toutes choses ont été faites par voir pour cela un accroissement de récom-
a lui '
». Ainsi tout ce que Dieu a fait, il le pense, il serait beaucoup plus raisonnable de
connaissait avant de le faire. Car nous ne l'apprendre seulement lorsque nous y serons,
pouvons pas dire qu'il a fait des choses qu'il que de le croire aujourd'hui témérairement,
ne connaissait pas, et qu'il a connues seule- et surtout que de travailler avec une auda-
ment après les avoir faites; nous ne pouvons cieuse présomption à répandre cette doctrine.
pas dire qu'il ne savait pas ce qu'il faisait, Mais quoi de plus absurde que de dire : Le
mais qu'il a su seulement ce qu'il avait fait. ciel et la terre n'existeraient pas, si le monde
Car il faudrait être tout à fait insensé pour en lui-même dans toutes ses parties n'était pas
dire autant d'un artisan humain. Dieu donc nécessaire à la purification des esprits ; tandis
connaissait les choses qu'il devait faire, et il que l'Ecriture promet à ces esprits, après leur

n'a pas appris à les connaître lorsqu'elles ont purification,un autre ciel et une autre terre?
été faites; il les connaissait pour les faire, et XI. Quant au soleil, à la lune et au reste des

non point parce qu'il les avait faites. Consé- astres, nous voyons bien qu'ils sont des corps
quemment, bien qu'elles lui fussent déjà célestes mais nous ne voyons pas qu'ils
;

connues, par la raison qu'elles ne pouvaient soient des corps animés. Qu'on nous lise un
être faites que par celui-là seul qui les con- témoignage des livres saints à cet égard, et
naissait, cependant les choses que Dieu con- nous le croyons aussitôt. Mais le passage d'une
naissait avant de les faire, ne commencèrent épître de saint Paul, que vous m'avez cité
pas à être faites , tant qu'il n'eut pas réalisé comme la preuve qu'ils en donnent ordinai-
ultérieurement l'exécution de ce qu'il con- rement, peut aussi être entendu des hommes
naissait dans sa prescience pour le faire d'une seuls. Dans chaque homme, en effet, se trouve
manière parfaite. toute créature, non point toute créature uni-
X. Mais puisque la vérité, qui ne porte versellement, par exemple, le ciel, la terre et
pas ses jugements sur l'inconnu et qui ne tout ce qu'ils renferment; mais en général et
trompe personne , nous promet que notre d'une certaine manière. On y trouve d'abord
pureté, et même que noire perfection sera, la créature raisonnable, que la raison comme
après la résurrection des corps spiritualisés, la foi nous montre dans les anges; la créature
égale à celle des anges mêmes ^; comment sensitive [sensualis, si je puis ainsi m'expri-
peut-on dire que ces anges saints, auxquels mer), que les animaux ont reçue en partage ;
nous serons égaux après notre entière purifi- car ils se servent de leurs sens et des mouve-
cation, doivent encore eux-mêmes être puri- ments de leurs sens, pour se porter vivement
fiés de leurs péchés? Et quand Dieu promet vers les choses utiles et s'éloigner des choses_
qu'un ciel nouveau et une terre nouvelle se- nuisibles puis la créature qui vit et ne sent
;

JeaD, 1,3.— '


Luc, XX, 36. ' Isa. Lxvi, 22.
536 A OROSE, SUR LES PRISCILLIANISTES ET LES ORIGÉNISTES.

pas, telle qu'on peut la remarquer dans les « n'est que pourriture, et le fils de l'homme,
arbres ; car les accroissements de notre corps « qui n'est qu'un ver de terre, ne le seront
se font en nous sans que nous les sentions; et « pas ' ». Us prétendent conclure de ces pa-
nos cheveux, quoiqu'ils n'éprouvent aucune roles que les étoiles ont un esprit raison-
sensation lorsqu'on les coupe, prennent ce- nable, en même temps, qu'elles ne sont
et,

pendant de l'accroissement. Enfin, on voit en pas exemptes de péché mais qu'elles sont ;

nous, avec plus d'évidence encore, la créature dans les cieux par suite de la légèreté de leur
corporelle mêmeque faite et; laquelle, bien faute, qui leur a mérité une plus grande ou
formée de renferme cependant cer-
la terre, une meilleure place. Je ne pense pas qu'on
taines particules de chacun des éléments de doive attribuer à cette maxime une autorité
ce monde corporel, particules dont la réunion divine. Car ce n'est point Job lui-même qui
constitue le tempérament sain. Car la vigueur l'a énoncée, —
Job à qui a été rendu, de la
des membres naît de la chaleur, qui elle- part de Dieu , un témoignage qui est en
même a pour principe le feu dont la lumière quelque sorte particulier à lui seul, savoir
brille dans les yeux les canaux des veines ; que, « ses lèvres ont été exemptes de péché
appelées artères , ainsi que les cavités des « devant le Seigneur -
», — mais bien un de
poumons sont remplis d'air ; s'il n'y avait au- ses amis, appelés tous « consolateurs de ses
cune partie liquide, la formation de la salive « maux ' », et condamnés par la bouche de
deviendrait impossible, et la vie serait con- Dieu même. Nous ne croyons pas à la vérité
sumée par la sécheresse. Enfin, le sang lui- de toutes les paroles qui sont rapportées dans
même, remplissant les autres veines dans sa l'Evangile, quoiqu'il soit très-véritable qu'elles
course rapiiie, promène partout ses flots et ses ont été prononcées car, d'après le témoi- ;

ondes paisibles. Ainsi il n'est aucune espèce gnage véridique de l'Evangile même les ,

de créature qu'on ne puisse reconnaître dans Juifs ont dit beaucoup de choses fausses et
l'homme; et ainsi toute créature souffre et impies de même aussi, dans ce livre où
:

gémit en dans Taltente de la révélation


lui, sont rapportées les paroles de plusieurs per-
des enfants de Dieu • et de plus elle sera, ; sonnes, ne faut pas seulement considérer
il

par la résurrection du corps, délivrée tout ce qui y est dit, mais il faut voir aussi quelle
entière, sinon dans tous les hommes, de la est la personne qui le dit, et ne pas recevoir
servitude de la corruption, parce qu'elle réside indifféremment tout ce qui est écrit dans un
tout entière dans chacun d'eux. On pourrait livre saint quelconque car alors ce qu'à ; ,

peut-être donner à ce passage de l'épître de Dieu ne plaise, nous serions obligés de recon-
saint Paul une interprétation différente et naître comme vraie et comme juste la pensée
meilleure mais on ne peut pas nous imposer
; suggérée à cet homme saint par son épouse
comme conséquence nécessaire de ces expres- insensée, de prononcer quelque parole contre
sions, l'obligation de croire que le soleil, la Dieu, afin d'être délivré, par la mort, de ces
lune et les astres poussent de communs gé- souffrances Cependant
intolérables
*. en ,

missements, jusqu'à ce qu'ils soient délivrés, m'exprimant ne prétends pas que ces
ainsi, je
à la fin des siècles, de la servitude de la cor- amis, réprouvés par le Seigneur et justement
ruption. flétris par son serviteur lui-même, si saint, je
Qu'on nous lise les divines
XIl. J'ai dit : ne prétends pas qu'ils n'ont pu rien dire de
Ecritures, nous croyons aussitôt. Mais ne
et vrai mais seulement que toutes les paroles
;

vous laissez pas induire en erreur par ceux qu'ils ont prononcées ne doivent pas être
qui a[ipuient ordinairement leurs affirma- regardées comme vraies. En effet, quoiqu'ils
tions à cet égard, sur un passage du livre du n'aient rien dit de vrai contre Job, cependant,
saint homme Job, où il est écrit « Connnent : celui qui sait peser avec un sage discerne-
« l'homme sera-t-il juste devant le Seigneur, ment les paroles d'un discours, peut encore
« ou comment celui qui est né de la femme saisir dans leurs expressions quelque pensée
«pourra-t-il se rendre pur? Si la Itme ne saine et rendant témoignage à la vérité. Mais,
« brille ])as toujours, quand Dieu le lui com- lorsque dans nos recherches nous voulons
« mande ; si les étoiles ne sont pas pures de- (|u'on nous prouve quelque chose par le té-
« vant lui, à plus forte raison l'homme, qui moignage des saintes lettres, on ne peut pas
'
Uom. vm, 22, 2:1.
Job, xxv, 1-6. — " Id. I, 2'.'. — ' Id. XVI, 2. — * Id. II, 9.
A OROSE . SIR LES PRISCILLIANISTES ET LES ORIGENISTES. 537

nous dire qu'il faut croire ce qui est écrit XIII. Au


si l'on dit que les saints
reste,
dans l'Evangile, dans le cas où l'évangéliste anges au ne sont pas justes, en compa-
ciel

déclare que ces paroles ont été prononcées raison de la justice de Dieu, je ne vois pas

par une personne qui n"a pas de droit à notre que ces paroles aient rien de dangereux. Ce
foi. Par exemple, les Juifs, dans l'Evangile, n'est pas que, pour être tels, ils soient déchus
disent à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Ne de la justice mais bien parce qu'ils ont été
;

« disons-nous pas avec vérité que vous êtes faits, parce qu'ils ne sont pas Dieu, parce

a un samaritain et un possédé du démon '? » qu'enlin ils ne peuvent avoir autant de lu-
Ces paroles sont pour nous d'autant plus dé- mières spirituelles que Celui qui les a faits.
testables que nous avons plus d'amour pour Car la suprême justice réside là où se trouve
le Christ; et cependant nous ne pouvons pas la suprême sagesse, c'est-à-dire en « Dieu,

douter qu'elles n'aient été prononcées par les « seul sage '
», comme parle saint Paul. Mais
Juifs, si nous croyons à la véracité infail- ce n'est pas la même question de savoir la
lible du récit évangélique. Ainsi nous avons part que les anges ont reçue de la justice di-
en horreur la voix du juif qui blasphème, vine, et la part qu'ils n'en ont pas reçue ;

sans aucun préjudice pour la foi que nous car ne sont pas justes, en comparaison de
ils

avons au récit de Tévangéliste. Et non-seule- Celui a la participation de qui ils doivent leur
ment notre foi ne se soumet [)as aux hommes justice.
impies et dont le nom fait horreur, comme à XIY. Cette question, dis-je, est différente de
des autorités canoniques, mais elle ne se sou- celle-ci Les astres, le soleil, la lune possè-
:

met pas même à ceux qui sont jeunes dans la dent-ils aussi des esprits raisonnables dans
foi, et encore grossiers et ignorants, si par- leurs corps brillants et lumineux? Car, douter
fois leurs paroles sont rapportées dans l'Ecri- qu'ils soient des corps, ce serait ignorer com-
ture. Ainsi cet aveugle-né dont le Seigneur plètement la nature même des corps. Mais ces
avait ouvert les yeux, dit en saint Jean « Nous : questions ne nous regardent pas assez pour
a savons que Dieu n'exauce pas les pé- que nous poursuivions avec un zèle extrême
cheurs - » mais nous ne devons pas pour
; nos recherches sur ces choses éloignées de la
cela recevoir cette maxime comme une auto- portée de nos sens et de la faiblesse de l'intel-
rité évangélique, et résister par là même aux ligence humaine; sur des choses qui ne se
paroles du Seigneur. Car il a, de sa bouche trouvent pas exposées dans l'Ecriture , et
divine, affirmé dans l'Evangile que celui qui jointes au précepte pour nous de les con-
avait dit Seigneur, soyez-moi propice, à
: « naître. Bien plus, de peur que nous ne soyons,
«moi qui suis un pécheur», descendit du par des conjectures dangereuses, entraînés
temple plus justifié que le pharisien, qui avait dans de sacrilèges erreurs, les divines Ecri-
fait avec orgueil le récit de ses propres ver- tures nous crient a Ne faites point de re- :

tus '. Et cet homme nouvellement éclairé de « cherches sur des choses plus élevées que
la lumière du corps, ne doit pas s'indigner si a vous ; ne scrutez point celles qui sont plus
nous disons que, dans le noviciat de sa foi, a fortes que vous mais pensez sans cesse à
;

lorsqu'il ne savait pas encore quel était celui « celles que le Seigneur vous a comman-

qui l'avait guéri, il a avancé cette maxime « dées ^ » . Et ainsi la présomption téméraire
trop peu réfléchie, « que le Seigneur n'exauce à cet égard paraît plus blâmable qu'une pru-
« pas les pécheurs ». Car ou voit que les Apô- dente, ignorance positive. Il est certain que
tres eux-mêmes, choisis de préférence aux l'Apôtre dit « Soit les Trônes, soit les Domi-
:

autres, placés immédiatement aux côtés du « nations, soit les Principautés, soit les Puis-
Seigneur et suspendus à ses lèvres, ont dit a ». Aussi je crois très-fermement
sances ^

beaucoup de choses qui ne pouvaient être qu'il y a dans les splendeurs du ciel des
approuvées et dont l'énuméralion serait trop Trônes, des Dominations, des Principautés, des
longue de telle sorte que le bienheureux
; Puissances, et je crois d'une foi indubitable
Pierre mérita, pour quelques-unes de ses pa- qu'il y a entre eux certaines dilTerences. Mais,
roles, non-seulement d'être blâmé, mais au risque de vous voir me mépriser, moi que
même d'être appelé Satan '. vous croyez être un grand docteur, j'ignore
quelle est leur nature, et quelles sont leurs
' Jean, vui, 18. — - Id. IX, 31. — ' Luc, -Wlll , 10-14. — ' Matl.
XVI, 23. * Kom. A'Vi, 27. — - Hccli. m, TJ. — ' Coloss, l, 16.
538 A OROSE, SUR LES PRISCILLIANISTES ET LES ORIGÉNISTES.

différences réciproques. Et certainement je « vaut la mesure de la foi que Dieu a départie

ne pense point que cette ignorance soit pour «à chacun • ». De plus savants vous ensei-
moi aussi périlleuse que le serait ma déso- gneront peut-être ces choses, si vous allez à eux
béissance, si je négligeais les commande- avec une science de l'étude égale à votre zèle
ments du Seigneur. Et ainsi je crois que le pour la science ; ne regardez pas les choses
Saint-Esprit n'a pas exposé entièrement cette incertaines comme certaines; ne croyez point
question par nos auteurs, les écrivains sacrés, ce qu'il ne faut point croire, et croyez ce qu'il
mais qu'il seulement touchées et comme
les a faut croire. Ou plutôt. Celui qui est le Maître
effleurées en passant rapidement, précisé- unique et véritable vous instruira, soit par
ment afin que si quelqu'un, semblable à eux, soit de la manière qu'il lui plaira; car
nous, parvenait un jour, par une découverte son regard sur vous, qui travaillez ainsi pour
plus profonde, à quelque démonstration sur son Eglise, pénètre jusqu'au fond de votre
cette matière, il ne se regardât pas pour cela cœur, où il a déposé lui-même cette grâce in-

comme supérieur à ceux par qui nous ont été térieure ; c'est lui qui vous ouvrira plus lar-
donnés les saints enseignements des Ecritures gement la vérité ; car, après qu'il a daigné
canoniques. Car, plus chacun fait de pro- donner la charité, ses yeux veillent encore
grès dans la science, plus il se reconnaît in- attentivement sur tous les efforts qu'elle fait

férieur à ces lettres ,


que Dieu a établies pour frapper -.

comme un Ormament, au-dessus de toutes les *


Rom. xn , 3. — ''Ce traité finit ici dans les manuscrits. Les
trente lignes environ qui s'y trouvent ajoutées dans les imprimés, y
pensées humaines. ne faut donc pas « être
Il
avaient été transférées de la fin d'une lettre de saint Augustin à
» trop sage, mais l'être avec modération, sui- saint Jérôme, autiefois la 28e, maintenant la 166e.

Traduction de M. l'abbé BARDOT.


.

DOCTRINE DES ARIENS.

I. Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu Fils ses propres paroles : « Je suis descendu du
unique, le Premier-né de toute la création ;
« ciel, non pour faire ma volonté, mais pour
II. Formé par la •volonté de Dieu son Père « faire lavolonté de Celui qui m'a envoyé '».
avant tous les siècles. C'est luiencore qui, baptisé à l'âge de trente
III. Obéissant à la Yolonté et au comman- ans par la volonté du Père, manifesté par la
dement de ce même Père, il a, par sa propre voix et le témoignage de ce même Père ',
puissance, donné Tèlre aux choses célestes et prêchait l'Evangile du royaume des cieux par
terrestres, visibles et invisibles, aux corps et lamême volonté et le même commandement,

aux esprits qui n'existaient en aucune ma- comme il le déclare : « Il faut que je prêche
nière. « l'Evangile aux autres villes ; car c'est pour
Avant qu'il eût fait l'univers, il était
IV. « que j'ai été envoyé ' »; et ailleurs a II
cela :

établiDieu et Seigneur, Roi et Créateur de « m'a prescrit lui-même ce que je dois dire,
toutes les choses futures, dont il avait une « ou ce dont je dois parler ' » El ainsi, par la .

prescience naturelle, et dans l'exécution des- volonté et le commandement du Père, il a


quelles il attendait toujours les ordres de son marché à grands pas vers sa passion et sa
Père ; c'est lui aussi qui, par la volonté et le mort, conformément à ces paroles « Mon :

commandement du Père, est descendu du ciel « Père, que ce calice passe loin de moi tou- !

et est venu en ce monde, comme il le dit lui- « tefois, non pas ce que je veux, mais ce que

même Car je ne suis point venu de moi-


: a a vous voulez ° » L'Apôtre nous assure pareil-
.

« même, mais c'est lui qui m'a envoyé ». '


lement « qu'il s'est fait obéissant au Père
V. Et parce que, parmi tous les degrés des a jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la

êtres spirituels et raisonnables, l'homme pa- a croix ^ ».

raissaiten sa qualité d'être corporel et fragile, VIL C'est lui encore qui, suspendu à la
un peu abaissé au-dessous des anges - de ; croix, laissa entre les mains des hommes, par
peur qu'il ne se regardât comme une chose la volonté et le commandement du Père, le
sans prix et qu'il ne désespérât de son salut, corps humain qu'il avait reçu de la sainte
le Seigneur Jésus, pour honorer son ouvrage, Vierge Marie, et qui remit sa divinité entre
a daigné prendre un corps humain, et il a mon- les mains du Père, en disant : o Mon Père,
tré que l'homme n'est point une chose vile, « je remets mon esprit entre vos mains ''
»
mais précieuse, suivant cette parole de l'E- Car Marie enfanta un corps qui devait
criture a L'homme est grand et précieux ^ ».
: mourir, mais Dieu immortel engendra un
Et il a daigné ainsi rendre héritier de son Fils immortel. La mort du Christ ne fut
Père, seul, comme son propre cohé-
l'homme donc pas un amoindrissement de sa divinité,
de compenser par celte supériorité
ritier, afin mais la déposition de son corps. Comme
d'honneur l'infériorité de la nature humaine. sa génération d'une Vierge ne fut point
VI. a Lorsque est venue la plénitude des une corruption de sa divinité , mais bien
« temps » , dit l'Apôtre, «Dieu a envoyé son Fils, l'action deprendre un corps de même aussi ;

« né d'une fenmie ' ». Celui qui a pris une dans sa mort, il n'y eut pour sa divinité au-
chair par la volonté du Père, est le même cune souffrance, aucune défaillance, mais une
qui a, par la volonté et le commandement de séparation d'avec sa chair. Car, si en déchi-
ce même Père, vécu dans un corps, suivant rant un vêtement on fait tort à celui qui en
• Jean, viii, 1:;. — Ps. Tiii, 6. — ' Prov. xx, 6, sui». les Sept.— ' Jean, vi, 38. —
' Luc, m, 21-23. — '
Id. iv, 43. '—Jean, xil,
Gai. [V, 1. 13. — ' Mail, xxvi, 39. — '
Plûlipp. u, 8. — '
Lac, xiiu, 16.
o40 DOCTRINE DES ARIENS.

est revêtu, ceux qui crucifièrent son corps XII. La première et principale œuvre du
outragèrent en même temps sa divinité. Fils, c'estde faire connaître la gloire de Celui
VIII. Celui qui par la volonté et le comman- qui l'engendre la première et principale
;

dement du Père accomplit fidèlement sa mis- œuvre du Saint-Esprit c'est de manifester ,

sion, est le même qui ressuscita, toujours par aux âmes humaines la dignité du Christ.
cette volonté et ce commandement, son propre XIII. Le Fils rend témoignage du Père ;
corps d'entre les morts, et qui a été placé par l'Esprit rend témoignage du Fils.
son Père dans la gloire, avec ce même corps, XIV. Le Fils est envoyé par le Père l'Es- ;

comme un pasteur avec sa brebis, comme un prit est envoyé par le Fils.
prêtre avec sou offrande comme un roi avec
, XV. Le Fils est le ministre du Père ; le
sa pourpre, comme un Dieu avec son temple. Saint-Esprit est le ministre du Fils.

IX. Celui qui par la volonté du Père est XVI. Le Fils reçoit les ordres du Père; le
descendu et remonté, est le même qui par Saint-Esprit reçoit les ordres du Fils.
cette volonté et ce commandement est assis à XVII. Le Fils est soumis au Père; le Saint-
la droite de ce même Père^ et qui entend ces Esprit est soumis au Fils.
paroles de sa bouche : « Asseyez-vous à ma XVIII. Le Fils agit suivant les ordres du
(( droite, jusqu'àque je réduise vos ennemis Père ; le Saint-Esprit parle suivant les com-
« à vous servir de marchepied ». Celui qui '
mandements du Fils.

par la volonté et le commandement du Père XIX. Le Fils adore et honore le Père le ;

est assis à sa droite, est Celui qui doit, toujours Saint-Esprit adore et honore le Fils voici en ;

par la même volonté et le même commande- effet les paroles du Fils « Père, je vous ai :

ment, venir à la consommation des siècles, « honoré sur la terre, j'ai consommé l'œuvre

comme l'Apôtre nous le crie en ces termes : « que vous m'avez donnée » et parlant du '
;

a Et Seigneur lui-même, dit-il, au com-


le Saint-Esprit a II m'honorera, dit-il, parce
:

« mandement et à la voix de l'archange, et au « qu'il recevra de ce qui est à moi, et il vous


« son de la trompette de Dieu, descendra du a l'annoncera ^ ».

« ciel ^ » . Celui qui doit venir par la volonté et XX. a Le


ne peut rien faire de lui-
Fils
le commandement du Père, est le même qui, a même mais en toute chose il attend le
'
»,

par cette volonté et ce commandement, doit signe de la volonté du Père. L'Esprit ne parle
juger avec équité le monde entier, et rendre à ])as de lui-même, mais en toute chose il

chacun selon sa foi et ses œuvres; ainsi qu'il le attend l'ordre du Fils a 11 ne parlera point :

dit lui-même «Le Père ne juge personne,


: B de lui-même, dit-il, mais tout ce qu'il aura

« mais il a remis tout jugement au Fils »; et a entendu, il le dira, et ce qui doit arriver il

encore: « Je juge suivant ce que j'entends; a vous l'annoncera * ».

« et mon jugement est conforme à la vérité, XXI. Le Fils prie le Père pour nous l'Es- ;

a parce que je ne cherche point ma volonté, prit demande au Fils pour nous.
« mais la volonté de Celui cjui m'a envoyé *». XXII. Le Fils est l'image vivante et véri-
C'est pourquoi lorsqu'il juge, il donne le pre- table, réelle et parfaite de toute la bonté, de
mier rang à la présence de son Père, et le se- toute la sagesse et de toute la puissance du
cond à sa pro|)re dignité et à sa puissance Pore ; l'Esprit est la manifestation de toute
divine « Venez, dit-il, ô bénis de mon
: la sagesse et de toute la puissance du Fils.

a Père ' ». Le Fils est donc le ^ustejuge; mais XXIII. Le Fils n'est pus une partie ni une
l'honneur et l'autorité de ses jugements nais- portion du Père, mais son Fils propre et bien-
sent des lois souveraines du Père ; et la di- aimé, i)arfait et accompli, et seul engendré.
gnité de juste juge appartient au Fils unique L'Esprit n'est pas une partie ni une portion
de Dieu, comme l'office d'avocat et de conso- du mais la première et |)rincipale œuvre
Fils,
lateur ai)partient au Saint-Esprit. du Fils unique de Dieu avant toute autre
X. Ainsi donc le Fils est engendré par le chose absolument.
Père l'Esprit-Saint est fait par le Fils.
; XXIV. Le Père est plus grand que son Fils;
XI. Le Fils prêche le Père; le Saint-Esprit le l'ils est incomparablement plus grand et
lait connaître le Fils. meilleur que l'Esprit.
XXV. Le Père est Dieu et Seigneur à l'é-
' l's. cLX, 1. —M Thess. iv, 15. — ' Jean, v, 2i> ,
;'(i. — '
Mail.
XXV, .'M. '
Jean, xvil. -1. — H. xvi, H. — ' Id. v, lu. — * Id. .vvi, l.l.
DOCTRINE DES ARIENS. 541

gard de son Fils ; le Fils est Dieu et Seigneur la sincérité et la simplicité de son esprit, sui-
à l'égard de l'Esprit. vant la mesure de sa foi et le mérite de sa

XXVI. Le Père a engendré le Fils par sa conduite ; de distribuer la grâce conformé-


volonté immuable et impassible ; le Fils a fait ment au besoin que nous eu avons, et de placer
l'Esprit par sa seule puissance, sans travail et chacun dans le genre d'occupation pour
sans fatigue. lequel sont ses goûts et ses aptitudes.
XXVII. Le Fils, en tant que prêtre, adore XXXI. Le Saint-Esprit est différent du Fils
son Dieu en tant que Dieu et Créateur de
;
par sa nature et par sa position, par son rang et
toutes choses, il est adoré par tous les êtres; par ses inclinations, par sa dignité et par sa
le Père seul n'adore personne, parce qu'il puissance, par ses facultés et par ses œuvres :

n'a ni supérieur, ni égal qui puisse être l'ob- comme le Fils lui-même par sa nature et par
jet de ses adorations ; il ne rend grâces à per- sa position, par son rang et par sa volonté, par

sonne, parce qu'il n'a reçu de bienfait de sa dignité et par sa puissance divine, est Dieu
personne ; il a, par sa seule bonté, donné l'être seul engendré différent du Dieu non engendré.
à tout ce qui existelui-même n'a reçu l'exis-
;
XXXII. Il est donc impossible qu'ils ne soient
tence de personne. Telle est donc la distinc- qu'une seule et même personne, le Père et le
tion de ces trois substances, le Père, le Fils et Fils, celui qui engendre et celui qui prend

le Saint-Esprit, telle est la différence entre naissance, celui qui rend témoignage et celui
ces trois êtres, Dieu non engendré. Dieu Fils à qui ce témoignage est rendu, celui qui est
unique, Esprit intercesseur le Père est à la : plus grand et celui qui confesse cette supé-
fois Dieu et Seigneur à l'égard de son Fils, et riorité, celui qui est placé à la droite où il se
Dieu et Seigneur de tous les êtres qui, confor- tient debout, et celui qui a conféré l'honneur de
mément à sa propre volonté, ont été faits par cette place, celui qui a été envoyé et celui qui a
la puissance du Fils ; le Fils est à la fois le envoyé ; il est impossible que cette unité et cette
ministre et le souverain Prêtre de son Père, identité existent entre le disciple et celui qui
et par la volonté Seigneur
de Celui-ci, et l'enseigne, suivant les expressions mêmes de
Dieu de toutes ses propres œuvres. Jésus-Christ : « Je parle comme mon Père
XXVIII. Et comme personne ne peut aller a m'a enseigné '
» ; entre celui qui ressemble
au Père sans l'intermédiaire du Fils, de même et qui imite, et celui à qui il ressemble et
aussi personne ne peut sans le secours du qu'il imite entre celui qui prie et celui qui
;

Saint-Esprit adorer le Fils en vérité c'est : exauce ; entre celui qui rend grâces et celui
donc dans le Saint-Esprit que le Fils est adoré. qui bénit ; entre celui qui reçoit le comman-
XXIX. Le Père est gloriQé par le Fils. dement et celui qui le donne ;entre le mi-
XXX. L'œuvre et l'application constante du nistre et celui qui ordonne ; entre le suppliant
Saint-Esprit sont de sanctiQer, et de garder ceux et celui devant qui il est courbé entre ; le
qui sont déjà saints de sanctifier non-seu- ; sujet et sou supérieur entre le premier-né ; et
lement les êtres raisonnables, comme quel- celui qui est éternel ;entre le fils unique et
ques-uns le pensent, mais même plusieurs celui qui n'est point engendré entre le prêtre
;

êtres privés de raison de rétablir dans leur ; et Dieu.


ancien état ceux qui sont tombés par leur XXXIII. De plus. Dieu qui est sans commen-
négligence ; d'instruire les ignorants, d'avertir cement, savait dans sa prescience qu'il devien-
ceux qui sont oublieux de reprendre ceux ; drait le père de son enfant, Dieu seul engen-
qui pèchent, d'exhorter ceux qui sont pares- dré mais jamais il n'a su dans sa prescience
;

seux à penser à leur salut et à y travailler qu'il devieudrait lui-même Dieu, parce qu'il
avec soin ; de ramener dans la voie de la vé- n'a pas été engendré, et que ni sa prescience
rité ceux qui s'en écartent de guérir ceux ; ni sa science n'ont jamais commencé. La —
qui sont malades ; de remédier aux faiblesses prescience n'est pas diflérenie de la science
de la chair par l'ardente vivacité de l'esprit ; des choses futures. C'est en engendrant son —
<l'affermir dans l'amour de la piété et de la Fils qu'il a tiré Fils même le nom de de ce
chasteté, et de répandre la lumière dans toutes Père ; par les révélations de ce
et c'est aussi
les âmes mais surtout de donner à chacun
; même Fils qu'il est connu de tous les chré-
charité, à proportion de son zèle
la foi et la tiens comme Dieu et Père du Dieu seul en-
personnel et de ses soins diligents, suivant ' Jean, Vlll, 28.
542 DOCTRINE DES ARIENS.

gendre, qu'il est manifesté comme plus grand aux volontés de son Père avec un amour et
que Celui qui est grand, comme meilleur que des actions de grâces incomparables, non pas
Celui qui est bon. en qualité de Fils obéissant et soumis, mais
XXXIV. Les partisans de la consubstantialité parce que l'humilité de sa déférence est égale
disent que notre Sauveur a, par humilité, à la sublimité de sa puissance mais alors, ;

parlé en ces termes de la prescience du Père pourquoi a-t-il obéi à l'ordre qui lui fut donné
et de sa propre soumission ; tandis que nous avant son incarnation? Pourquoi, aujourd'hui
chrétiens, nous croyons qu'il a parlé ainsi par qu'il est assis à la droite de Dieu, intercède-t-il
suite des ordres du Père et de l'obéissance du pour nous ' ? Pourquoi, lorsqu'il était ici-bas
Fils. C'estpourquoi nous disons et nous prou- dans sa chair, promettait-il que dans le ciel il
vons que ces hérétiques trouvent leur réfu- prierait le Père : « Et moi, je prierai mon
tation et une réponse accusatrice dans leurs a Père et il vous donnera un autre avocat*? »
propres paroles. En effet, si IVotre-Seigneur Mais si, à cause de la dureté et de l'aveugle-
s'esthumilié, cette humilité même est la ment de leur cœur , ils ne veulent pas encore
preuve de son obéissance et cette obéissance ; conformer leur foi à tant de témoignages, s'ils
elle-même révèle une différence entre le su- osent prétendre que tout cela est l'effet de son
périeur qui domine et l'inférieur qui est au- humilité, pourquoi donc s'humilierait-il après
dessous de lui, suivant ces paroles de l'Apôtre : la consommation des siècles, alors que son
« Il s'esthumilié et rendu obéissant au Père humilité ne sera plus nécessaire aux hommes,
8 jusqu'à la mort'» Or, son humilité est assu-
. sinon parce qu'il se reconnaît soumis et obéis-
rément véritable et non pas une fiction. Car sant par sa nature comme par sa volonté? Cepen-
en quel lieu, dans quel temps un sage s'hu- dant après la consommation des siècles, lors-
milie-t-il avec joie, s'il ne reconnaît un supé- que tout lui aura été soumis ' — dès aujour-
rieur en grandeur et en perfection dans celui d'hui, est vrai, tout lui est soumis par
il

à qui il s'empresse de plaire par son humilité ? nature en qualité de créature soumise au
,

Pour moi, dit le Sauveur, je fais toujours ce Créateur; mais nous voyons que tout ne lui
« qui lui plaît - ». Car, né une seule fois avant est pas soumis de volonté, à cause du libre
tous les siècles et par la volonté de Dieu, arbitre tandis qu'au jour du jugement, quand
;

il en tout conformément à cette même


agit au nom de Jésus tout geuou fléchira au ciel,

volonté. Mais si, ce qu'à Dieu ne plaise, son sur la terre et dans les enfers, quand toute
humilité n'a été qu'une fiction si la vérité ; langue confessera que le Seigneur Jésus-Christ
a menti, ce qui est impossible, oîi donc fau- est dans la gloire de Dieu le Père ', tout lui
dra-t-il désormais chercher la vérité ? Non, il sera à jamais soumis et de volonté et par
n'y a ni mensonge ni variation dans Celui qui nature ; —
lors donc que tout lui aura été ainsi
est la vérité même, dans Celui qui est venu soumis, lui-même persévérant dans celte sou-
précisément pour enseigner la vérité, et qui mission et cet amour qui furent toujours son
n'est pas un docteur d'ignorance, mais un partage, sera encore soumis comme Fils,
il

maître de vérité, comme il l'a dit lui-même : à Celui qui aura assujéti toutes choses à sa pro-
« N'appelez personne sur la terre votre maître, pre puissance. Pour ne pas ignorer ces véri-
«car le Christ est votre seul maître' ». Et tés, il suffit d'être chrétien et de les entendre;
s'ilsprétendent qu'après s'être humilié sur la car la toi vient par l'audition, et l'audition par
terre pour accomplir son incarnation il , la parole du Christ \ Ainsi Dieu sera tout eu
parlait ainsi à cause des hommes, montrons- tous, toujours seul monarque suprême et
leur qu'il y a plus de poids encore et une absolu, à qui soit gloire et honneur, louange
force plus irrésistible dans les témoignages de grâces, par son Fils unique Notre-
et actions
que l'Ecriture nous donne de la soumission Seigneur et Sauveur, dans le Saint-Esprit,
du Fils, et qui sont tirés des faits rapportés maintenant et dans tous les siècles des siècles.
dans l'Evangile. 11 s'humiliait, disent-ils, sur Ainsi soit-il.
la terre à cause des hommes il ; se conformait
— — — Philip.
'
Rom. TUI, 31. 'Jean, xiv, 16. ' I Cor. xv, 28. '

l'iiîlipp. II, 8. — ' Jean, ViU, 29. — Malt.


'
ïïiu, lu. II, 10, 11. — 'Rom. X, 17.
CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

I. dans cette controverse aux


Je réponds que mouvement de la créature, et ainsi nous
arguments précédents de ceux qui reconnais- reconnaissons que le temps même a été fait

sent à. la vérité, que Notre-Seigneur Jésus- par Celui par qui tout a été fait). Mais ils

Christ est Dieu, mais qui ne veulent pas disent qu'il a été formé par la volonté du Père,
reconnaître qu'il est Dieu véritable, un seul afin précisément de ne pas dire qu'il est Dieu
Dieu avec le Père et qui nous introduisent ;
de Dieu, égal, engendré et coéternel. Nulle
ainsi deux dieux de natures diverses et iné- part cependant ils ne lisent que « le Fils a été
gales, un Dieu véritable et un autre qui ne « formé par la volonté du Père avant tous les

l'est contrairement à cette parole de


pas ;
a siècles ». Mais ils s'expriment ainsi afin que

l'Ecriture « Ecoute, Israël


: le Seigneur ton ; la volonté du Père, par laquelle ils prétendent
« Dieu est un Seigneur unique » Car s'ils '
. qu'il a été formé, paraisse lui être antérieure.
prétendent que cette parole doit s'entendre Et voici quelle est ordinairement leur ma-
du Père, il s'ensuit que le Christ n'est point nière de discuter ils demandent si le Père a
:

notre Seigneur et notre Dieu. S'ils veulent engendré le Fils volontairement ou contre sa
l'entendre du Fils, la conséquence sera la volonté ; si on répond qu'il l'a engendré vo-
même à l'égard du Père. S'ils l'entendent de lontairement, ils disent que la volonté du
l'un et de l'autre, le Père et le Fils sont néces- Père est donc antérieure. Il est tout à fait
sairement notre Dieu et Seigneur unique. Et impossible de répondre qu'il l'a engendré
ainsi il ne faut attribuer à ces paroles de contre sa volonté. Mais pour leur faire com-
Jésus-Christ rapportées dans l'Evangile Ut : prendre l'inanité de leurs paroles, il faut leur
cognoscant te unum verum Deum, et qiiem demander à eux-mêmes si Dieu le Père est
misisti Jesum Christian % d'autre sens que Dieu volontairement ou contre sa volonté.
celui-ci : « Afin qu'ils reconnaissent que vous Car ils n'oseront pas dire qu'il est Dieu mal-
a et Jésus-Christ envoyé par vous, êtes Dieu gré lui. Si donc ils répondent qu'il est Dieu
«unique et véritable». Car l'apôtre saint volontairement, il faut de cette manière leur
Jean a dit aussi du Christ « Il est lui-même : rendre visible l'ineptie de leur raisonnement,
« le Dieu véritable et la vie éternelle ^ ». dont la conclusion peut être que la volonté de
II. De même quand ils disent que le Christ Dieu est antérieure à Dieu même où trouver :

a été formé avant tous les siècles par la volonté en effet un langage plus insensé ?
de Dieu son Père, ils sont forcés d'avouer que 111. Ils « conformément
disent ensuite que,
le Fils est coéternel au Père. Car si le Père n'a « à la volonté et au commandement du Père,
pas toujours eu le Fils, il fut donc antérieure- « il a, par sa propre puissance, donné l'être

ment à celui-ci un temps où le Père était seul « aux choses célestes et terrestres, aux choses

et sans lui. Mais comment le Fils existait-il « visibles et invisibles, aux corps et aux esprits,

avant tous les siècles, si avant lui il fut un « lorsque rien n'existait encore ». Ici nous

temps oîi le Père était sans lui? Le Fils est leur demandons si lui-même aussi a été fait
donc, sans aucun doute, coéternel au Père, par le Père, lorsque rien n'existait, c'est-à-dire
s'il a existé lui-même avant tous les temps s'il a été fait de rien? S'ils n'osent répondre
(caron ne peut pas entendre autrement ces affirmativement, il est donc Dieu de Dieu,
paroles « Aucommencementétait le Verbe»,
: puisqu'il n'a pas été fait de rien par Dieu. Or,
et ces autres : « Tout a été fait par lui * » le ; cette conclusion prouve l'unité et l'identité de
temps, en effet, ne peut pas exister sans quel- nature entre le Père et le Fils. Car, si un
' Deut. VI, 4.— ' Jean, xïll, 3.— ' I Jean, v, 20.— * Jean, l, 1, 3. homme, un animal, un oiseau, un poisson
H4 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

peuvent engendrer des êtres de même nature, Quant à la mission donnée au Fils par le
Dieu a nécessairement aussi ce pouvoir. Mais Père, on ne peut pas la nier. Mais qu'ils consi-
sïls osent se précipiter dans un nouvel abîme dèrent, s'ils le peuvent, comment le Père a
d'impiété, et dire que le Fils unique de Dieu envoyé Celui avec qui il est venu lui-même.
même formé de rien par le Père qu'ils
a été ;
Car il n'a pas menti. Celui qui a dit « Je ne :

cherchent donc par qui le Père a fait de rien « suis point seul, parce que le Père est avec

le Fils. Car le Fils n'a pu être fait par lui- «moi' ». Au reste, qu'ils entendent cette
même autrement il aurait existé déjà avant
: mission comme il leur plaira ; est-ce que la

d'être fait, afin d'être précisément celui par diversité de nature résulte nécessairement
qui il serait fait lui-même. Et qu'avait-il donc de ce que le Père envoie et de ce que le Fils
besoin d'être fait, s'il existait déjà? ou com- est envoyé? A moins peut-être que le pouvoir
ment a-t-il pu être fait afin d'exister, s'il exis- accordé à un homme d'envoyer un autre
tait déjà avant d'être fait ? Mais si le Père l'a homme, son fils d'une seule et même nature,
l'ait par quelque autre, quel peut être cet autre n'appartienne i)oint à Dieu, parce que la sépa-
même, puisque tout a été fait par lui ? Si ration qui se forme entre l'homme envoyé
enfin le Père l'a fait sans intermédiaire, com- et l'homme qui envoie, n'est plus possible
ment le Père a-t-il pu faire quelque chose quand il s'agit de Dieu. Mais le feu envoie son
sans intermédiaire, puisque tout a été fait par éclat, quoique cet éclat envoyé ne puisse pas
sou Fils, c'est-à-dire par son Verbe? être séparé du feu qui l'envoie cependant, :

IV. « Avant qu'il eût fait l'univers », disent- comme il s'agit ici d'une créature visible, elle
ils, « il était Dieu et Seigneur, Roi et
établi ne saurait être, sous tous ses rapports, com-
« Créateur de toutes les choses futures, dont parée à l'objet dont nous parlons. Car, lorsque
il avait une prescience naturelle, et dans lefeu envoie son éclat, celui-ci s'étend à une
« l'exécution desquelles il attendait toujours distance où le feu ne s'étend pas ; et par là
« les ordres de son Père ; c'est lui aussi qui même l'éclat du feu projeté par une lampe,
« par la volonté et le commandement du Père s'il avait l'usage de la parole, ne pourrait pas,
est descendu du venu en ce monde, ciel et est sur la muraille où il est parvenu sans le feu

« comme lui-même Car je ne suis


il le dit : de la lampe, dire avec vérité Le feu qui m'a :

« point venu de moi-même, mais c'est lui qui envoyé est avec moi tandis que le Fils envoyé
;

« m'a envoyé ». Je voudrais que nos adver-


'
par le Père a pu dire « Mon Père est avec
:

saires disent s'ils établissent deux créateurs. « moi ». Cette mission donnée au Fils par le

S'ils n'osent pas tenir ce langage (car il n'y a Père étant donc tout à fait au-dessus de la
qu'un seul Créateur, puisque toutes choses portée de nos discours, inaccessible même à
sont de lui et par lui et en lui - la Trinité ; toutes nos pensées, nos adversaires n'y décou-
elle-même est un Dieu unique, et il n'y a qu'un vrent aucune raison pour démontrer que le
seul Dieu comme il n'y a qu'un seul Créateur), Fils est d'une nature différente et inférieure ;

que signifient dans leur bouche ces paroles : d'autant plus que la mission donnée à un
Le Fils a créé toutes choses par l'ordre du homme par un autre homme, ne démontre
Père, comme si le Père, sans rien créer lui- point par elle-même la différence de nature
même, avait seulement ordonné que tout fût entre celui qui envoie et celui qui est envoyé.
créé par le Fils ? Que ceux qui jugent selon la Mais on peut encore entendre ceci dans
chair, cherchent par quelles autres paroles le un autre sens. Cette mission serait attribuée
Père a intimé cet ordre à son Verbe unique. au Fils de la part du Père, précisément parce
Car, dans les inventions fantastiques de leur que non point le Père, est apparu
le Fils, et

cœur, ils se créent comme deux personnages aux revêtu d'une chair. En eUet, qui
hommes
qui, bien que très-rapprochés l'un de l'autre, est envoyé là où il est ? et en quel lieu ne se

occupent cependant chacun une place spéciale, trouve pas la sagesse de Dieu, c'est-à-dire le
et dont l'un commande et l'autre obéit. Ils ne Christ puisqu'il est écrit « qu'elle atteint
,

comitrennent pas que cet ordre même, donné (1 d'une extrémité à l'autre avec force, et qu'elle
par le Père jjour que tout fût fait, n'est pas dis- « dispose tout avec douceur ? » Si donc le Fils
tinct de la parole du Père, par laquelle tout même en tous lieux, comment pouvail-il
est
a été fait. être envoyé là où il n'était pas, si ce n'est en
' Jean, viiè, IJ. — ' Honi. xi, 3S. '
Jean, XVI, 32.
CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS, 54S

apparaissant sous une forme qu'il n'avait pas que le Christ n'a point une âme humaine : au
encore eue? Cependant nous lisons aussi que de cette controverse le prouvera
reste, la suite
le Saint-Esprit a été envoyé, quoique assuré- d'une manière plus évidente encore. Pour le
ment il ne se soit point uni hypostatiquement moment, voici notre réponse aux paroles que
à la nature humaine. Et il a été envoyé, non- nous venons de citer, et qui leur appartien-
seiilemeiit par le Fils, ainsi qu'il est écrit : nent Qu'ils remarquent de nouveau que
:

a Lorsque je m'en serai allé, je vous l'enver- l'épître aux Hébreux applique au Christ ce
« rai B 'mais encore par le Père, suivant cette
; passage de l'Ecriture a Vous l'avez abaissé :

autre parole « Celui que mon Père enverra


: a un peu au-dessous des anges' » et ils com- ;

« en mon nom * » ce qui montre que le


: prendront que ces autres paroles « Mon Père :

Saint-Esprit n'a pas été envoyé par le Père a est plus grand que moi^», n'établissent

sans le Fils, ni par le Fils sans le Père, mais point une distinction et une inégalité de na-
par tous deux ensemble car les œuvres de la ; ture entre le Père et le Fils, mais plutôt, que
Trinité sont inséparables. Le Père seul, dans le Fils, prenant la nature d'esclave avec ces
l'Ecriture, n'est pas envoyé, parce que seul il faiblesses qui l'ont assujéti aux souffrances et
n'a pas de iirincipe de qui il soit engendré ou à la mort est devenu inférieur aux anges
,

dont il procède. Et conséquemment cette mêmes.


absence exclusive de mission attribuée au Ils ajoutent « Lorsque est venue la pléni-
:

Père ne vient point d'une dilférence de na- « tude des temps, dit l'Apôtre, Dieu a envoyé
ture qui n'existe pas dans la Trinité, mais de a son Fils, né d'une femme '. Celui qui a
sa qualité même de principe comme l'éclat : a pris une chair par la volonté du Père, est le
ou la chaleur n'envoie point le feu, tandis que a même qui a, par la volonté et le comman-
le feu envoie et l'éclat et la chaleur. Mais ces « dément de ce même Père, vécu dans un
deux objets sont loin d'être semblables, et, a corps, suivant ses propres paroles : Je suis
parmi les créatures spirituelles ou corporelles, a descendu du ciel, non pour faire ma volonté,
on n'en trouve aucune qui puisse être juste- a mais pour faire la volonté de celui qui m'a
ment comparée avec cette Trinité, qui est a envoyé *. C'est lui encore qui, baptisé à
Dieu même. a l'âge de trente ans par la volonté du Père,
V. Ils disent encore « Et parce que, parmi : a manifesté par la voix et le témoignage de
« tous les degrés des êli'es spirituels et raison- a ce même Père prêchait l'Evangile du '*,

a nables, l'homme en sa qualité


paraissait a royaume des cieux par la même volonté et
a d'être corporel et fragile, un peu abaissé au- a le même commandement, comme il le dé-
dessous des anges'; de peur qu'il ne se a clare H faut que je prêche l'Evangile aux
:

a regardât comme une chose sans prix et qu'il a autres villes ; car c'est pour cela que j'ai

a ne désespérât de son salut, le Seigneur Jésus, « été envoyé *


; et ailleurs : Il m'a prescrit
a pour honorer son ouvrage, a daigné prendre a lui-même ce que je dois dire, ou ce dont je
a un corps humain, et il a montré que l'homme a dois parler par la volonté et le
'. Et ainsi
« n'est point une chose vile, mais précieuse, a commandement du Père il a marché à
a suivant cette parole de l'Ecriture: L'homme a grands pas vers sa passion et sa mort, con-
a est grand et précieux '. Et il a daigné « forméinent à ces paroles Mon Père, que ce :

a aiosi rendre héritier de son Père, l'homme a calice passe loin de moi toutefois non pas !

8 seul comme son propre cohéritier, afin de a ce que je veux, mais ce que vous voulez
'.

« compenser par celte supériorité d'honneur a L'Apôtre nous assure pareillement, a qu'il
a l'infériorité de nature humaine
». Ils veu-
la a s'est fait obéissant au Père jusqu'à la mort,
lent, par ces entendre que le
paroles, faire a et la mort de la croix ' ». Que s'ef-
jusqu'à
Christ a pris un corps sans prendre une âme forcenl-ilsde persuader par ces témoignages
humaine. C'est précisément l'hérésie desApol- des saintes Ecritures, sinon qu'il y a différence
linarisles; et nous voyons que ceux-là aussi, de nature entre le Père et le Fils, par la rai-
c'est-à-dire les Ariens, dans leurs discussions, son que ces textes nous montrent le Fils
admettent non-seulement qu'il y a dans la obéissant au Père? Cependant ils ne raison-
Trinité des natures différentes, nnais encore

Hébr. it 7. ' Jean — , xiv, 28. — ' Galat. IV, 4. — ' Jean, vi,
'Jean, xtt, 7. — • Id. xnr, 26. — ' Ps. vui, 6. — "
Prov. XX, 6, 38. — '
,

Luc, m, 21-23. — * Id. IV, 43. — ' Jean, xn, 49. — ' Matt.
suivaiit les Septante. XiVi, 39. — ' Philipp. II, 8.

S. AcG. — Tome XIV. 35


546 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

lieraient certes pas ainsi à l'égard des hommes : ture humaine pouvait être en lui exempte de
car quand un fils obéit à son Père, homme toute espèce de péché. Il s'exprime donc ainsi :

comme lui, leur nature n'est pas différente a descendu du ciel, non pour faire ma
Je suis
pour cela. ( volonté, mais pour faire la volonté de celui
VI. Du reste, ces paroles mêmes de Jésus- « qui m'a envoyé », parce que étant descendu
Christ « Je suis descendu du ciel pour faire
: du ciel, c'est-à-dire étant à la fois Dieu et
« non pas ma volonté, mais la volonté de celui homme, son obéissance devait être parfaite et
« qui m'a envoyé », se rapportent à un fait '
absolument exempte de toute faute de la part
particulier. Le premier homme, Adam, dont de l'homme qui était en lui. Ainsi il montre
l'Apôtre dit « Le péché est entré dans le
: qu'il y a unité de personne entre les deux na-
c(monde par un seul homme et la mort par tures, entre la nature de Dieu et la nature de
« le péché, et ainsi la mort a passé dans tous l'homme; cars'il établissait ici deux personnes,
les hommes par celui en qui tous ont il n'y aurait plus une trinité, mais bien une

8 péché », le premier homme, dis-je, en fai- quaternité. Il y a donc en Jésus-Christ deux


sant sa volonté, et non pas la volonté de celui substances et une seule personne, et c'est pour
par qui il avait été fait, rendit coupable et cela que ces paroles « Je suis descendu du
:

digne de châtiment genre humain tout en- le « ciel », se suprême excellence


rapportent à la
tier, sa race flétrie. C'est pourquoi celui qui de Dieu, tandis que celles-ci « Non pour :

devait être notre libérateur, a par une raison « faire ma volonté», ajoutées à cause d'Adam,
contraire fait non pas sa volonté, mais la vo- qui a fait sa volonté, se rapportent à l'obéis-
lonté de celui par qui il a été envoyé. Ici, en sance de l'homme. Et bien que le Christ soit
effet, l'expression : sa volonté, doit être en- l'un et l'autre, c'est-à-dire Dieu et homme,
tendue dans le sens d'une volonté person- néanmoins son obéissance, qui est opposée à
nelle opposée à la volonté divine. Car, lorsque la désobéissance du premier homme, est
nous obéissons à Dieu et que, à raison de cette pour lui un sujet de louanges en tant qu'il
obéissance, on dit que nous faisons la volonté est homme. De là ces paroles de l'Apôtre :

de Dieu, nous n'agissons pas en cela contre « Car, de même que parla désobéissance d'un

notre volonté, mais bien volontairement et ;


« seul homme, beaucoup ont été constitués

par là même, si nous agissons volontairement, «pécheurs; de même aussi, par l'obéis-
comment est-il vrai que nous ne faisons pas « sanced'un seul, beaucoup seront constitués

notre volonté, sinon parce que ces mots : « justes '


».

notre volonté, lorsque l'Ecriture les emploie, Cependant cette expression: «D'un homme»,
désignent une volonté personnelle opposée à n'exclut pas, dans la pensée de saint Paul,
la volonté de Dieu? Cette volonté a existé dans Dieu qui a pris la nature humaine par la ;

le premier homme, elle n'a pas existé en Jé- raison que, comme je l'ai dit, et comme on
sus-Christ, et c'est pour cela que nous avons ne saurait trop le répéter, il y a unité de per-
reçu la mort dans le premier et la vie dans le sonne. Car le Fils de Dieu par nature avant
second. Car on peut sans exagération appli- tous les temps et le Fils de l'homme, qui lui a
(|uer ces expressions de vie et de mort à la été uni dans le temps par une faveur gratuite,
nature humaine, dont la désobéissance a fait ne sont qu'un seul Christ et celui-ci n'a pas :

naître en elle-même cette volonté personnelle été uni de telle sorte que son union fût posté-
opposée à la volonté de Dieu. Du reste, quant rieure à sa création, mais il a été créé par
à la divinité du Fils, la volonté du Père et la cette union même. Etainsi, comme on ne doit
sienne ne sont qu'une seule et même volonté; voir qu'une seule personne dans l'une et
et elles ne peuvent en aucune manière être l'autre nature, on dit que le Fils de l'homme
diiïérentes, la nature de la Trinité étant im- est descendu des cieux, quoiqu'il soit sorti du
nmable dans toute son étendue. Mais le Mé- sein d'une vierge qui vivait sur la terre ; on
diateur entre Dieu et les hommes, Jésus- dit pareillement que de Dieu a été cru-
le Fils

Christ homme -, pour ne pas faire cette vo- cifié etenseveli, quoiqu'il ait subi cette double

lonté jiropre, opposée à Dieu, n'était pas seu- épreuve non pas dans sa divinité même par
lement homme, il était Dieu et homme. El laquelle il est Fils unique coéternel au Père,
par ce privilège admirable et unique, la na- mais dans la faiblesse de sa nature humaine.
* Jean, VI, 38. — ' I Tim. il, 5. '
Rom. V, 19.
.

CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. 847

Car il a dit lui-même que le Fils de l'homme nature d'esclave. Cependant, si nous deman-
estdescendu du ciel, ainsi que nous le lisons dons quel est celui «qui, étant de la nature
en saint Jean « Personne n'est monté au ciel,
: de Dieu n'a point cru que ce fût une usur-
B sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils « pation de se faire égal à Dieu », l'Apôtre
«de l'homme qui est dans le ciel ». Nous ' nous répondra : « C'est Jésus-Christ». Et ainsi

confessons tous aussi dans le symbole que le sa divinité a reçu ce nom de son humanité.
Fils unique de Dieu a été cruciflé et enseveli. De même si nous demandons quel est celui
C'est pour cela que l'Apôtre dit aussi « S'ils :
a qui s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et •

« l'avaient connu jamais ils n'auraient cru- ,


«jusqu'à mort de la croix », on nous ré-
la

a cifié le Seigneur de la gloire - ». Ailleurs le pondra avec une justesse parfaite C'est celui :

bienheureux Apôtre nous montre cette unité « qui, étant de la nature de Dieu n'a pas ,

de la personne de Jésus-Christ Notre-Seigneur, « cru que ce fût une usurpation de se faire

subsistant dans l'une et l'autre nature, c'est- « égal à Dieu » et conséquemment son hu- ;

à-dire dans la nature divine et dans la nature manité a reçu aussi ce nom de sa divinité. Et
humaine, de telle sorte qu'elles se communi- cependant il se révèle toujours comme im
quent mutuellement leur nom même, la na- seul et même Christ, géant d'une double sub-
ture divine à la nature humaine et la nature stance dans l'une obéissant, dans l'autre égal
;

humaine à la nature divine. Voulant, par à Dieu; Fils de l'homme par la première. Fils
l'exemple du Christ, nous exhorter à une hu- de Dieu par la seconde ; il peut dire en un
milité miséricordieuse Ayez en vous, dit-il, : « sens : « Le Père est plus grand que moi » et '
;

c les sentiments qu'avait en lui Jésus-Christ, en un autre sens « : Mon Père et moi ne
« lequel étant de la nature de Dieu, n'a pas « sommes qu'un - »; en un sens il ne fait pas

cru que ce fût une usurpation de se faire sa volonté, mais la volonté de celui par qui il
a égal à Dieu mais il s'est anéanti lui-même,
; a été envoyé et dans un autre sens, « comme
;

prenant la nature d'esclave, étant devenu a le Père réveille les morts et les rend à la vie,

« semblable aux hommes et étant regardé a ainsi le Fils donne la vie à ceux à qui il

comme un homme par les dehors. Il « veut ' »

a s'esthumilié lui-même, s'étant fait obéis- VII. Ils poursuivent en ces termes : « C'est

« sant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de « lui encore qui, suspendu à la croix, laissa
la croix ' ». Le nom de Christ lui vient de a entre les mains des hommes, par la volonté
ces paroles prophétiques « Dieu, votre Dieu : « et le commandement du Père, le corps hu-
a vous a oint de l'huile de l'allégresse avant « main qu'il avait reçu de la sainte Vierge
a ceux qui y participent avec vous ^ » et con- ;
a Marie, et qui remit sa divinité entre les

séquemment si « prenant la nature d'esclave « mains du Père en disant : Mon Père, je


« il a été regardé comme un homme par sa a remets mon esprit entre vos mains '. Car
« forme extérieure », laquelle assurément a « Marie enfanta un corps qui devait mourir,
commencé dans le temps, cela se rapporte à « mais Dieu immortel engendra un Fils im-
la nature humaine qu'il a revêtue ; et cepen- « mortel. La mort du Christ ne fut donc pas
dant c'est précisément de ce même Christ a un amoindrissement de sa divinité, mais la
qu'il a été dit : « Lorsqu'il était de la ua- a déposition de son corps. Comme sa géné-
« lure de Dieu », c'est-à-dire lorsque étant de a ration d'une Vierge ne fut point une cor-
la nature de Dieu, avant d'avoir pris la nature a ruption de sa divinité, mais bien l'action de
d'esclave, il n'était pas encore Filsderhomme, « prendre un corps de même aussi dans sa ;

mais Fils de Dieu, égal au Père, non par usur- a mort il n'y eut pour sa divinité aucune souf-
pation, mais par nature. Car il devait son « franco, aucune défaillance, mais une sépa-
élévation non point à l'usurpation, mais à sa « ration d'avec sa chair. Car, si en déchirant
naissance ; et c'est pourquoi il n'y avait rien « un vêtement on fait tort à celui qui le porte,
eu elle que de véritable. 11 n'était donc pas a ceux qui cruciflèrent son corps, outragèrent
encore le Christ, mais il a commencé à l'être « en même temps sa divinité ». Ainsi, ces ex-

lorsqu'il s'est anéanti lui-même, non en per- pressions qui leur appartiennent le montrent
dant la nature de Dieu, mais en prenant la clairement ils nient que l'àme humaine elle-
:

' Jean , lu , 13. — ' I Cor. il , 8. — ' Philipp. u , 5-8. — ' Ps.
même appartienne à l'unité de la personne du
XUT, 8. '
Jean, av, 28. — ' Id. x, 30. — ' Id. v, 21. — • Luc, xxsn, 46.
.

548 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

Christ; ils reconnaissent seulement en lui son « par les œuvres de la loi '
». Ainsi ces mots :

corps et sa divinité. En effet, ces paroles qu'il « Toute chair», ont dans la pensée de l'Apôtre
prononça, lorsqu'il était suspendu au bois : le même sens que ceux-ci : « Tout homme ».
a Mon Père, je remets mon esprit entre vos D'où il suit que les autres : « Le Verbe s'est
«mains», ils prétendent qu'on doit les en- «fait chair», ont aussi le même sens que:
tendre en ce sens qu'il remit à son Père sa Le Verbe s'est fait homme. Mais alors même
divinité même,
et non pas son esprit humain, qu'ils ne veulent pas voir en Jésus-Christ
c'est-à-direson âme. Dans la discussion même homme, autre chose que son corps humain,
qui précède et où ils ont prétendu montrer car assurément ils ne nieront pas qu'il soit
que le Christ a fait non pas sa volonté, mais homme, puisqu'il est dit de lui en termes
la volonté de son Père, pensant que par cette très-clairs : « Jésus-Christ homme, seul mé-
raison même il est d'une nature inférieure et « diateur entre Dieu et les hommes ^
», j'ad-
différente, ils ont rappelé avec raison ces mire comment ils prétendent ne pas recon-
paroles qui sont de lui : « Mon Père, que ce naître avec nous que ces paroles « Le Père :

« calice passe loin demoi toutefois non pas ce ; « est plus grand que moi », ont pu être pro-

9 que je veux mais ce que vous voulez » mais


, ; noncées à raison de cette nature humaine,
ils n'ont pas voulu citer ces autres qui sont quelle qu'elle soit, et non point à raison de
également de lui « Mon âme est triste jus- : cette autre nature dont il a été dit « Le Père :

« qu'à la mort ». Qu'ils nous permettent donc


'
« et moi nous sommes un ». Quelle que soit

de leur rappeler les suivantes : a Mon âme est en effet la grandeur d'un homme, souffrirait-
« triste jusqu'à la mort j'ai le pouvoir de ;
on qu'il s'exprimât ainsi Dieu et moi nous :

« déposer mon âme - personne n'a une plus ;


sommes un ? Qui lui ferait un reproche de
« grande charité que celui qui donne son âme dire au contraire Dieu est plus grand que :

« pour ses amis ' » et ces autres où les Apôtres


; moi ? C'est ainsi que le bienheureux apôtre
ont vu une prophétie qui regarde le Christ : Jean écrivait « Dieu est plus grand que notre
:

« Vous ne laisserez point mon âme aux enfers '» « cœ.ur ' ».
Au témoignages
lieu de se raidir contre ces VIII. « Celui, disent-ils, qui par la volonté
et d'autres semblables des saintes Ecritures, 9 et le commandement d u Père accomplit fidè-
qu'ils reconnaissent que le Christ a réuni au « lement sa mission, est le même qui ressus-
Verbe seul engendré, non-seulemeut un corps, « cita, toujours par cette volonté et ce comman-
mais aussi une âme humaine, pour former « dément, son propre corps d'entre les morts ;

une seule personne qui est le Christ, Verbe et a et qui a été placé par son Père dans la gloire
homme, mais homme composé d'un corps et « avec ce même corps, comme un pasteur
d'une âme ; et qu'ainsi le Christ est à la fois a avec sa brebis, comme un prêtre avec son
Verbe, âme et corps. Et conséquemment la « offrande, comme un roi avec sa pourpre,
double substance qui est en lui, c'est-à-dire comme un Dieu avec son temple ». Il faut
la substance divine et la substance humaine demander à ceux qui tiennent ce langage,
doivent être entendues en ce sens que la se- quelle brebis le pasteur a ramenée à son Père.
conde soit comjiosée d'un corps et d'une âme. Car si c'est une chair sans âme qu'il lui a
Ils hésiteront peut-être encore devant ce texte: ramenée celte brebis est-elle autre chose
,

« Le Verbe s'est fait chair », dans lequel il qu'une poussière inerte, incapable même de
n'est fait aucune mention de l'âme. Mais rendre aucune action de grâces ? De quoi en
qu'ilscomprennent bien que la chair est mise effet peut être cajiable un corps sans âme ?

icipour l'homme, la partie désignant le tout IX. Ils poursuivent en disant « Celui qui, :

par une forme de langage pareille à celle-ci : « par la volonté du Père, est descendu et re-

« Toute chiiir viendra à vous », et à cette « monté, est le même qui ,


par cette volonté
autre « Nulle chair ne sera justifiée par les
: « et commanilement, s'est assis à la droite
ce
(Iœuvres de la loi ». Car l'Apôtre s'exprimant « de ce même Père etquiaentendu ces paroles

plus clairement dit en un autre endroit :


« de sa bouche Asseyez-vous à ma droite,
:

« Personne ne sera justilié par la loi » et "^


;
«jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à
ailleurs encore: « L'homme n'est point justifié « vous servir de marchepied '. Celui qui,
« par la volonté du Père, s'est assis à sa droite,
' Malt, xxvi, 39, 38. — ' Jean, x, 18. ' Id.—xv, 13. Pa. XV,
10 ; Acl. il, 31; xiii, 35. — '
Galat. m, 11. '
Galat. », 16.— ' 1 Tim. il, 5 — ' I Jean, m, 20.— * Ps. CIX, 1.
CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. 549

a est celui même vo-


qui doit, toujours par la Christ jugera les vivants et les morts. C'est
lonté et le même commandement, venir à pour cela qu'il est dit du Père : « 11 ne jugera
« la consommation des siècles, comme l'Apôtre « personne, mais il a remis tout jugement au
« nous le crie en ces termes Et le Seigneur : « Fils' ». Et les impies, dont il a été dit : « Ils
« lui-même, dit-il, au commandement et à la « verront celui qu'ils ont jierce'», ces impies
voix de l'archange, et au sonde la trompette verront en effet dans le Christ prêt à les juger
de Dieu descendra du ciel '. Celui qui
,
alors, la nature du Fils de l'homme; mais
o doit venir par la volonté et le commande- certesils ne verront pas dans ce même Christ

« ment du Père, est le même qui, par celte lanature divine qui le rend égal au Père. Le
« volonté et ce commandement, doit juger prophète l?aïe l'a déclaré d'avance « Que :

« avec équité le monde entier, et rendre à « l'inipie disparaisse, aûn qu'il ne voie point
« chacun selon sa foi et ses œuvres, ainsi qu'il M la sjjlendeur du Seigneur ' ». C'est aussi le
«le dit lui-même Le Père ne juge per- : sens de ces paroles « Bienheureux ceux qui
:

« sonne, mais il a remis tout jugement au « ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu'».
«Fils; et encore Je juge suivant ce que : Enfin, le Christ le déclare lui-même en termes
j'entends; et mon jugement
conforme est très-clairs, dit que le Père « lui a
lorsqu'il
« à la vérité, parce que je ne cherche point « donné pouvoir de juger, parce qu'il est
le

« ma volonté, mais la volonté de Celui qui «Fils de l'homme'». Ce n'est donc point
m'a envoyé ^ C'est pourquoi, lorsqu'il juge,
. parce qu'il est Fils de Dieu car en cette :

« il donne le premier rang à la présence de qualité il possède avec le Père, de toute éter-
« son Père, et le second à sa propre dignité et nité , une seule et même puissance c'est ;

« à sa puissance diviue Venez, dit-il, les : parce qu'il est Fils de l'homme, et il a com-
« bénis de mon Père \ Le Fils est donc le mencé à l'être dans le tenjps, précisément
«juste juge; mais l'honneur et l'autorité de afin que cette puissance lui fût donnée aussi
« ses jugements naissent des lois souveraines dans le temps. Cependant, si l'on s'exprime
« du Père et la dignité de juste juge appar-
; ne se soit point donné
ainsi, ce n'est pas qu'il
« tient au Fils unique de Dieu, comme l'of- lui-même, ou en d'autres termes, que la na-
« fice d'avocat et de consolateur appartient au ture divine qui est eu lui, n'ait point donné
a Saint-Esprit ». Les réponses que nous avons nature humaine qui lui
cette puissance à la
données plus haut, conservent encore toute ap|)aitientégalement loin de nous cette ;

leur force contre ces paroles. Le Fils, il est croyance. Car le Père ne saurait faire quoi
vrai, obéit à la volonté et au commandement que ce soit, sinon par son Fils unique, con-
du Père. Mais parmi les hommes eux-mêmes, jointement avec le Saint-Esprit lui-même,
cette obéissance ne prouve aucune différence, puisque les opérations de la Trinité sont insé-
aucune inégalité de nature entre le Père qui parables.Conséquemment, si le Père a donné
commande et le Fils qui obéit. Cependant il y celte puissance au Fils parce qu'il est Fils de
a plus encore. Le Christ n'est pas seulement l'homme, il la lui a donnée réellement par le
Dieu, égal au Père par sa nature divine; il est Fils même, parce qu'il est Fils de Dieu. Car
aussi homme, et le Père est plus grand que tout a été fait par lui et rien n'a été fait sans
cette nature humaine dont il est non-seule- lui. Cependant par honneuret par convenance,
ment le Père, mais le Seigneur même. De là il attribue au Père ce qu'il fait aussi lui-même

celte parole d'un prophète « Le Seigneur : en tant que Dieu, parce qu'il est Dieu engen-
« m'a dit Vous êtes mon Fils' ». Ici eu effet,
: dré du Père. Car le Fils est Dieu engendré de
on voit une substance inférieure que le Père Dieu, tandis que le Père est Dieu pareillement,
surpasse en grandeur, une nature d'esclave mais non engendré de Dieu.
dont il est le Seigneur. Or , cette nature « Il a entendu, disent-ils, ces paroles de
humaine qu'il a prise sans perdre sa na- « la bouche du Père Asseye/.-vous à ma :

ture divine, afin de devenir semblable aux « droite, et c'est pour cela qu'il s'est assis à
hommes et d'êlre reconnu comme homme c(la droite du Père » comme s'il eût a>;i en :

par ses apparences extérieures ', cette nature cela uniquement par l'ordre de son Père,
humaine apparaîtra aussi au jugement où le et non point aussi par sa propre puissance.

' 1 Thess. IV, 15. — ' Jean , v, 22, 30. — '


Matl. xiv, 34. — • JeaD. V, 22. — Zach. in, 10 ; Jean, z\x, 37. — Is. xrvi, 10.
' P». D, 7. — ' Philipp. D, 6, 7. ' Matt. V, 8. — ' Jean, v, 27.
S30 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

D'abord si l'on n'entend point ces paroles dans ce même Verbe de Dieu. Et si le Fils de
dans un sens spirituel, le Père sera donc à la Dieu est descendu du ciel en tant qu'il est
gauche du Fils. Or, la droite du Père est-elle Fils de l'homme, c'est donc par lui-même en
autre chose que celte félicité éternelle, ineiîa- tant qu'il est Verbe, que l'ordre lui sera donné
ble où est parvenu le Fils de l'homme lui- de descendre du ciel. Car si le Père ne com-
même, lorsque son corps a été élevé à l'état mande point par lui, il ne commandera donc
d'immortalité? Car si, au lieu de nous arrêter point par son Verbe ou bien il y aura un
:

à des formes corporelles qui n'existent pas en autre Verbe par qui il commandera à son
Dieu, si avec autant de sagesse que de vérité Verbe unique. Et j'admire comment celui-ci
nous entendons la main de Dieu le Père dans sera unique, dès lors qu'il en existera un
le sens de la puissance qui exécute nous
,
autre. Le Père, il est vrai, a quelquefois
l'entendrons par là même du Fils unique par adressé au Fils des paroles momentanées ,
qui tout a été fait, et dont le prophète Isaïe dit quand par exemple cette voix sortit de la
aussi : « Le bras du Seigneur, à qui a-t-il été nuée « Vous êtes mon Fils bien-aimé » non
: ;

« révélé '
? » Mais comment le Fils entend-il pas cependant afin que le Fils unique reçût
le Père? Comment plusieurs paroles sont-elles par elles de nouvelles connaissances, mais
dites par le Père à sa Parole unique ? com- plutôt ceux à qui il était nécessaire d'entendre
ment parle-t-il transitoirement à celui qui ces paroles. Et par là même le bruit de ces
est sa parole permanente ? comment dit-il paroles transitoires adressées au Fils, n'a point
quelque chose dans le temps à celui qui lui été fait sans le Fils autrement toutes choses
:

est coéternel et en qui se trouvait déjà tout n'auraient pas été faites par lui. D'ailleurs,
ce qu'il dit suivant l'opportunité de chaque est-ce qu'un bruit et des paroles semblables,
temps? Qui osera chercher la solution de ces lorsqu'il lui sera commandé de descendre du
problèmes? Qui pourra la trouver? Et cepen- ciel, seront nécessaires pour faire connaître
dant « Le Seigneur a dit à mon Seigneur
: : au Fils la volonté du Père? Loin de nous une
« Asseyez-vous à ma droite ^ » ; et par cela telle croyance. Mais quel que soit le genre de
seul qu'il l'a dit, il a été fait ainsi. Lors donc paroles qui devront être adressées au Fils, le
que le Verbe s'est fait chair, cette incarnation Père ne fera rien si ce n'est par ce même
même existait déjà dans le Verbe. Et parce Fils. —Au Fils, disons-nous, en tant qu'il est
qu'elle existait déjà en lui d'une manière véri- Fils de l'homme, créé avant toutes les créa-
table avant qu'il eût pris une chair, elle a été tures, par lui-même, en tant qu'il est Fils de
accomplie d'une manière réelle lorsqu'il a pris Dieu, par qui le Père fait toutes choses. — Mais
cette chair; parce qu'elle existait déjà dans le s'ils prétendent que ces paroles « Au com- :

Verbe avant tous les temps elle a été accom- , « mandement, à la voix d'un archange » ,
plie en son temps dans une chair. C'est dans doivent s'entendre réellement du commande-
cette chair que celui qui était descendu du ment d'un archange, comme les expressions
ciel sans s'en éloigner, est monté au ciel; c'est mêmes semblent l'indiquer, que leur reste-
dans cette chair que le bras du Père est assis t-ilencore à dire, sinon que le Fils seul en-
à la droite du Père dans cette chair enfin ; gendré est inférieur aux anges mêmes, puis-
qu'il descendra pour le jugement a au com- que l'Ecriture nous le montre obéissant à
« mandement, à la voix de l'archange et au leurs ordres, et celui qui reçoit un ordre
M son de la trompette de Dieu' ». étant suivant eux inférieur à celui qui le
Ils prétendent que la puissance du Fils pa- donne ? Bien que ces paroles de l'Ecriture :

raît ici moins grande, parce qu'il est dit qu'il « Au commandement d'un ar-
, à la voix
descendra a au commandement». Mais il faut « change B, puissent être entendues en un

leur demander quel est ce commandement. Si autre sens, et que celte voix même d'un ar-
commandement du Père, il faut leur
c'est le change puisse être regardée comme émanée
demander de nouveau par quelles paroles mo- d'un commandement de Dieu en d'autres ;

mentanées le Père commande à sa Parole termes, l'ange qui doit être regardé comme
éternelle de descendre du ciel. Car ce com- la trompette de Dieu, recevrait du Soigneur
mandement même de Dieu, qui aura lieu en l'ordre de faire retentir sa voix à l'oreille des
son temps, existait déjà avant tous les temps créatures inférieures, autant qu'il leur sera
• Is. LUI, 1. — l'fc. cm, 1. — •
1 Thcss. iv, 15. nécessaire de l'entendre, (]uand le Fils de Dieu
.

CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. 551

descendra du ciel. Car c'est précisément de la puissance de le faire précisément de ce-


cette trompette qu'il est dit en un autre en- lui dont il voit qu'il reçoit son existence
droit « Il sonnera de la trompette, et les
:
même. Et en disant qu'il ne peut pas ,

« morts ressusciteront délivrés de la corrup- il ne révèle en lui-même aucune absence


« tien ' » de perfection, mais seulement la permanence
Ainsi le Fils a dit : « Je juge comme j'en- de sa génération dans le sein du Père; et il
« tends », soit par un acte de soumission hu- est aussi glorieux pour le Tout-Puissant de ne

maine en sa qualité de Fils de l'homme


et ;
pouvoir subir de changement, qu'il lui est
soit suivant cette nature immuable et simple, glorieux de ne pouvoir mourir. Le Fils pour-
qui appartient auFils, de telle sorte cependant rait faire ce qu'il n'eût point vu être fait par

qu'il la reçoit du Père. Dans cette nature il le Père, s'il pouvait faire ce que le Père ne

n'y a aucune distinction entre ces trois choses : fait point par lui c'est-à-dire s'il pouvait pé-
:

entendre, voir, exister; celle-ci se confond cher et contredire sa nature immuablement


avec les deux premières. D'où il suit que le bonne, engendrée par le Père. Mais s'il ne le
Fils reçoit l'action d'entendre et de voir, de peut pas, ce n'est point par imperfection :
celui-là même dont il reçoit l'être. Et ces pa- c'est à cause de sa puissance même.

roles qu'il a dites ailleurs : a Le Fils ne peut Car les œuvres du Père ne sont pas dis-
« rien faire de lui-même, sinon ce qu'il voit tinctes des œuvres du Fils; non pas que le

« que Père fait », sont beaucoup plus diffi-


le une seule et même personne avec
Fils soit le

ciles àcomprendre que celles de ce texte cité Père, mais parce que toutes les œuvres que le

par eux: a Je juge comme j'entends». En Fils accomplit, le Père les accomplit aussi par
eSet, puisque a le Fils ne peut rien faire de lui ; et réciproquement, le Père ne fait rien,
« lui-même, sinon ce qu'il voit que le Père sinon par son Fils qui le fait en même temps

a fait»; comment pourra-t-il juger, sans que Car tout ce que le Père fait, le Fils
lui. «
avoir vu le Père jugeant lui-même? Mais le a le fait d'une manière semblable». Ces pa-

Père ne juge personne; il a remis au con- roles aussi sont de l'Evangile, et conséquem-
traire tout jugement au Fils. Le Fils juge ment elles sont sorties de la bouche même
donc après avoir reçu du Père non pas quel- du Fils. Les œuvres du Fils et les œuvres du
ques jugements, mais tout jugement; et ce- Père ne sont donc pas diflérentes, mais tout
pendant il ne voit point le Père rendant des à fait identiques Hcec eadem ; elles sont
:

jugements, puisque celui-ci ne juge personne. faites par le Fils, non pas d'une manière dif-
Comment donc le Fils qui juge sans avoir vu férente, mais « d'une manière semblable».
le Père jugeant a ne peut-il rien faire de lui- Si œuvres du Fils sont tout à fait
donc les
même, sinon ce qu'il voit que le Père fait ?» du Père, et non pas
identiques avec celles
Car Jésus-Christ ne dit point « Le Fils ne : seulement semblables quoique réellement ,

a peut rien faire de lui-même, sinon» ce qu'il distinctes en quel sens le Fils fait-il ces
;

a entendu lui être commandé par le Père ; œuvres a d'une manière semblable », si ce
mais a sinon ce qu'il a vu être fait par le n'est avec une facilité, avec une puissance
a Père ». Qu'ils appliquent sur ce sujet leur absolument semblable? Car, si ces œuvres
esprit, leurs pensées, leurs réflexions; et dans identiques sont, à la vérité, faites par tous
cette application, s'il est possible, qu'ils se dé- deux, mais avec plus de facilité et de puis-
pouillent, pour ainsi dire, de leur corps, au sance par l'un que par l'autre, le Fils alors ne
lieude s'efforcer dans leurs pensées charnelles les fait plus a d'une manière semblable ». Or,
d'établir des séparations et des distinctions de puisqu'elles sont à la fois identiques et faites
substances dans la nature unique et identique d'une manière semblable, manifestement les

de la Trinité, et d'y introduire divers degrés œuvres du Fils ne sont pas autres que les

de puissances subordonnées les unes aux œuvres du Père, et il n'y a aucune différence
autres. en effet, que le Fils ne fait
11 a été dit, entre la puissance de l'un et la puissance de
rien de lui-même, par la raison qu'il ne re- l'autre dans leurs opérations. Et certes, ils

çoit pas son être de lui-même et conséquem- ;


n'agissent pas sans le Saint-Esprit ; car celui-
ment tout ce qu'il fait, il voit le Père qui ci du Père et du Fils, il ne sau-
étant l'Esprit
le fait aussi , parce qu'il voit qu'il reçoit raiten aucune manière être exclu des opéra-
' l Cor. XV, 51'. tions que tous deux accomplissent. Ainsi, les
552 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

œuvres des trois personnes en général, aussi cond,est toujours l'Esprit de l'un et de l'autre.
bien que les œuvres de chacune, sont faites Et cependant, la Trinité tout entière n'est
par toutes trois d'une manière identique, et qu'un seul Dieu. Ainsi, quand nous disons
aussi admirable qu'elle est incontestablement que ce n'est point le Père ni le Saint-Esprit,
divine. Les œuvres des trois personnes sont mais le Fils qui a marché sur les eaux, per-
le ciel, la terre et toutes les créatures. Car il sonne ne peut le nier. Car au Fils seul ap-
est dit du Fils, que a tout a été fait par partiennent celte chair et ces pieds qui furent
lui » ; et qui oserait exclure le Saint-Esprit placés sur les eaux et qui marchèrent sur les
de formation de quelque créature que ce
la tlots. Mais, à Dieu ne plaise que nous croyions
soit, quand on voit qu'il est l'auteur des dons que en cela sans le Père, puis-
le Fils ait agi
accordés aux saints, et dont il est écrit « Tous : qu'il dit de toutes ses œuvres en général :

« ces dons, c'est un seul et même Esprit qui « Le Père , demeurant en moi fait ces ,

« les opère les distribuant diversement à


, «œuvres '
»; ou sans le Saint-Esprit; car
chacun comme il veut ' ». Enfin, si le Christ c'était pareillement une œuvre du Fils, de
est le Seigneur de_ toutes choses ^, s'il est au- chasser les démons; la langue qui comman-
dessus de toutes choses Dieu béni dans tous dait aux démons de s'enfuir, était une partie
les siècles '
;
quel est, parmi tous les êtres, de celle chair qui appartenait au Fils seul, et
celui dont on puisse nier qu'il soit aussi néanmoins il disait : « démons
Je chasse les
l'œuvre du Saint-Esprit, lequel a formé le « par l'Esprit-Saint ^ ». De même, quel autre
Christ lui-même dans le sein d'une Vierge? que le Fils seul est ressuscité ? Car celui-là
Car, après avoir dit à l'ange qui lui annon- seul pouvait mourir, qui avait un corps ; et
çait qu'elle deviendrait mère : « Comment cependant, Père ne demeura point étranger
le
puisque je ne connais point
« cela se fera-t-il, à celte œuvre même de la résurrection du
a d'homme? Vierge reçut celte ré-
» cette Fils seul, puisqu'il est écrit du Père « qu'il
ponse « Le Saint-Esprit
: surviendra en « a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts'».
«vous ^ B. On appelle œuvres de l'un ou Peut-être le Fils ne s'est-il pas ressuscité lui-
l'autre en particulier, celles qui sont révélées même ? Mais alors, que signifient ces paroles
comme appartenant à une seule des trois qui sont de lui : « Détruisez ce temple, et je
personnes. Ainsi, le Fils seul est né d'une « le relèverai en trois jours ' ? » Pourquoi
Vierge ' cette voix qui sortit de la nuée
; : dit-il ailleurs qu'il a le pouvoir de déposer et
« êtes mon Fils bien-aimé », appartient
Vous de reprendre ensuite son âme"? Enfin, qui
à personne du Père seul enfin, le Saint-
la ; pour croire que le Saint-
serait assez insensé
Esprit seul apparut sous une forme corporelle, Esprit n'a point coopéré à la résurreclion
comme une colombe '. Cependant, et cette de l'humanité de Jésus-Christ, après qu'il a
chair du Fils seul, et celte voix du Père seul, opéré lui-même la formation de cette hu-
et cette forme du Saint-Esprit seul, sont des manité?
œuvres de la Trinité tout entière; non point Il y a dans l'homme quelque chose de sem-

que chacune des trois personnes soit, sans les blable, quoiqu'on ne puisse établir ici aucune
autres, impuissante à accomplir ce qu'elle comparaison avec cette Trinité divine dont
fait; mais les opérations sont indivisibles là les perfections sont infinies car, d'un côté, :

où y a non-seulement égalité, mais encore


il c'est Dieu même, et de l'autre, c'est une créa-
confusion de nature, de tulle sorte que, bien ture. Cependant cette créature même a ,

qu'ils soient trois, et en que chacun dis trois quelque chose où l'on peut reconnaître jus-
particulier soit Dieu, ils ne sont pas cepen- qu'à un certain point ce que nous disons de
dant trois dieux. Car le Père est Dieu, le Fils la nature ineffable de Dieu. En effet, ce n'est
est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, et le Fils pas sans motif qu'il a été dit, non pas Faisons :

n'est pas le même que le Père, le Saint-Esprit l'homme à votre image, comme si le Père eût
n'est pas le même que le Père ou le Fils; mais parlé au Fils ; ni : A mon image ; mais :

le Père est toujours Père, le Fils est toujours « Faisons l'homme à notre image ' » ; ce qui
Fils, et l'Esprit de tous deux, sans êlre jamais s'entend avec raison des personnes de la Tri-
le Père ou le Fils ni du premier, ni du se- nité même. Considérons donc dans l'âme hu-

' I Cor. xn, 11. —


' Id. Tlll, 6. • —
Rom. ix 5. — ' Luc, 31, '
Jean, xiv, 10. — '

Malt. XII, 28. '


Galat. 1 1. — ' Jean, li,
35. — • Matt. I, 20-25. ' —
Id. m, 16, 17.
, 1,

19. — ' Id.


X, 18. — Gen. r, 26.
,
CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. 553

maine ces trois choses : la mémoire, l'intelli- dire qu'il lui a donné d'être la vie, suivant
gence et la volonté : toutes trois agissent dans ces paroles du Fils même : « Comme le Père
tout ce que nous faisons. Et lorsque chacune a a la vie en lui-même, ainsi il a donné au
d'elles est réglée conformément au bien et à a en lui-même la vie », de telle
Fils d'avoir '

la vérité, toutes nos actions sont bonnes et sorte cependant que le Fils soit non pas difTé-
justes ; c'est-à-dire, lorsque notre mémoire rent de la vie qui est en lui, mais absolument
n'est pas trompée par un oubli, notre intelli- et identiquement le même que cette vie de :

gence par une erreur, ou notre volonté par même que entre le Père et la vie qui est en
une chose injuste. C'est ainsi, en effet, que lui, il n'y a absolument aucune différence
;

nous sommes réformés à l'image de Dieu. seulement le Fils n'a point donné cette vie au
Toutes nos actions donc sont faites par ces Père, parce qu'il n'a point engendré le Père ;

trois facultés nous n'agissons jamais sans


;
tandis qu'elle a été donnée au Fils par le
que toutes trois agissent à la fois. De plus, Père, lorsque celui-ci a engendré le Fils qui
lorsque c'est l'une de ces facultés en particu- comme le Père lui-niêine est aussi
est la vie,
lier qui nous fait parler , elles s'unissent la vie.Cependant le Père a engendré le Verbe
toutes pour faire cette action, qui apiiartient sans être Verbe lui-même. Car, quand nous
à l'une d'elles en particulier. Car, lorsque la parlons de la vie, elle peut n'avoir d'autre
mémoire seule nous dicte un discours que principe qu'elle-même : par exemple,
telle est,
nous prononçons la mémoire n'agit pas
,
la vie du Père, ou, pour parler plus énergi-
seule mais l'intelligence et la volonté y ap-
; quement, telle est la vie qui est le Père même
portent leur concours, (luoiqu'il appartienne et qui ne reçoit l'existence d'aucun autre ;

à la mémoire seule. 11 est aisé de comprendre mais lorsqu'il s'agit du Verbe, il est absolu-
qu'il en est de même des deux autres. Car, ment impossible de ne pas entendre le Verbe
lorsque l'intelligence parle d'elle-même, elle de quelqu'un, et précisémentde celui-là même
ne le fait jamais sans la mémoire et sans la qui en est l'auteur. Conséquemment si le Fils
volonté ; et toutes les fois que la volonté dit est Dieu de Dieu, la lumière de la lumière, la
ou écrit quelque chose d'elle-même, la mé- vie de la vie, on ne peut pas dire de même
moire et l'intelligence agissent aussi avec elle. qu'il est le Verbe du Verbe, parce que lui
Quant au degré de ressemblance et en même seul est Verbe et comme c'est le propre du
;

temps de non-ressemblance entre ces trois Père d'engendrer le Verbe, c'est aussi le pro-
facultés et l'immuable Trinité divine, il fau- pre du Fils d'être précisément ce Verbe. Ainsi
drait de longs discours pour éclaircir parfai- donc il juge comme il entend, parce que le
tement ce sujet. J'ai cru devoir rappeler seu- Verbe ayant été engendré précisément pour
lement ce qui précède, afin de prendre mes être lui-même la vérité, il ne peut juger que
arguments jusque dans les créatures. Qu'ils conformément à la vérité.
comprennent donc, s'ils en sont capables, la a Et certes son jugement est juste; car il

dislance qui existe entre une absurdité et ce « ne cherche point sa volonté, mais la volonté
que nous disons du Père, du Fils et du Saint- « de Celui qui l'a envoyé * ». Il voulait par
Esprit, savoir que tous trois concourent insé-
: ces paroles appeler notre attention sur cet
parablement à accomplir non-seulement les homme qui, en cherchant sa propre volonté et
œuvres qui appartiennent à tous en général, non pas la volonté de celui par qui il avait été
mais même celles qui appartiennent à chacun fait,ne se jugea point lui-même avec justice,
en particulier. mais au contraire subit un juste jugement.
Le Fils donc juge comme il entend soit ,
Car en faisant sa propre volonté, non pas la
parce qu'il est Fils de l'homme , soit parce volonté de Dieu, il ne crut pas qu'il mourrait
qu'il ne reçoit point l'être de lui-même, étant pour cela maiscejugement de sa part ne fut
;

le Verbe du Père. Car il reçoit du Père sa na- pas juste et son action fut suivie de la mort,
ture même de Verbe, comme nous - mêmes parce que Dieu est juste. Cependant si le Fils
nous recevons d'une personne quelconque les de Dieu juge sans chercher sa propre volonté
paroles que nous entendons. El l'on peut dire (car il est «ussi Fils de l'homme), ce n'est pas
que le Père a donné au Fils le Verbe, c'est-à- qu'en qualité de juge il ne possède aucune
dire qu'il lui a donné d'être le Verbe, comme volonté (le plus insensé des hommes oserait-il
on dit qu'il a donné au Fils la vie c'est-à- ,
• Jean, V, 26. — = Id. 30.
534 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.
le dire?); mais sa volonté ne lui est pas telle- pas même accorder ce privilège au Fils uni-
ment propre à lui-même, qu'elle soit distincte que du Souverain. De plus, si par suite
de peut-
la volonté du
Père. Si nos adversaires être de quelque formule du droit
y ou des cou-
réfléchissaient bien,ils n'établiraient pas dans
tumes humaines, ils craignent au suprême
la Trinité, par une pensée toute charnelle,
des degré d'être accusés du crime de lèse-majesté
degrés inégaux pour chacune de ses puis- contre le Fils lui-même, il me semble
qu'ils
sances et pour chacun de ses principes d'opé-
devraient assurément accorder à celui
qui est
rations; ils ne la représenteraient point
avocat, de parvenir un jour au pouvoir judi-
comme semblable à trois hommes de trois ciaire. Mais ils n'y consentent
pas même. Et
dignités inégales et différentes, le Père comme
ainsi la condition des membres de cette tri-
souverain, le Fils comme juge, et le Saint-Es- nité est (ce
qu'à Dieu ne plaise), plus triste
prit comme avocat. Ils prétendent que les lois encore que celle des membres du genre hu-
pour ainsi dire souveraines suivant lesquelles
main, sujets à la mort.
le Fils juge, appartiennent au Père ; et suivant
Or. la sainte Ecriture, qui ne mesure point
eux c'est à ces mêmes lois que le Fils, lorsqu'il ces divines opérations par des degrés différents
juge, emprunte sa gloire et son autorité. Quant de puissances, mais par les degrés d'ineffabi-
à l'intercession bienveillante et aux consola- litéqui se trouvent dans les œuvres, l'Ecriture,
tions du Saint-Esprit, elles appartiennent, ajou-
dis-je , reconnaît aussi le juge lui-même
tent-ils, à la dignité du juge, c'est-à-dire du comme notre avocat. L'apôtre saint Jean dit
Fils unique de Dieu comme si la dignité
:
du en effet a Si quelqu'un pèche, nous avons
:

juge consistait autant dans cette interces-


« pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le
sion que la dignité du souverain consiste à
,
« juste '
». C'est aussi le sens de ces paroles
envoyer un juge dont les jugements seront
du Sauveur lui-même : « Je prierai le Père,
conformes à ses lois suprêmes. Et cependant,
« et il vous donnera un ^ »
car autre avocat ;
malgré cette manière de penser toute char- le Saint-Esprit ne serait pas un autre avocat,
nelle, ils ne peuvent pas encore démontrer
si le Fils n'avait pas déjà cette qualité.
Mais
dans les trois personnes divines cette diver- pour montrer que les œuvres de son Père et
sité de natures, qui est le grand sujet de dis-
les siennes propres sont inséparables, il dit :
cussion entre eux et nous. Car lorsqu'ils em- Lorsque je m'en serai allé, je vous l'eu-
«
pruntent cette comparaison aux mœurs des
« verrai ' a quoique ailleurs il dise « Celui
; :
hommes, sans sortir de l'ordre des faits hu- « que mon Père enverra en mon nom » :
mains qui sont parfaitement à la portée de preuve manifeste que le Saint-Esprit fut en-
leurs esprits (car l'homme animal ne perçoit voyé à la fois par le Père et par le Fils. Isaïe
pas ce qui est de l'Esprit de Dieu »), nous montre pareillement que le Père et l'Esprit-
apprennent-ils autre chose sinon que le souve- Saint ont envoyé le Fils. N'est-ce pas le
Fils
rain, le juge et l'avocat sont tous
des hom- en effet qui, annonçant à l'avance son propre
mes? D'où suit que
juge, quoique infé-
il le avènement, s'exprime ainsi par la bouche de
rieur au souverain en puissance, est aussi ce Prophète «Ecoutez-moi, Jacob, et vous, :

véritablement homme que celui-ci. De même a Israël, que j'appellerai à moi : Je suis le pre-
l'avocat n'est pas moins homme que le juge «mier,
quoique par son ministère le premier semblé
et je suis pour l'éternité; c'est ma
« main qui a donné à la terre ses fondements,
être soumis au second. Conséauemment,
alors « c'est ma droite qui a donné aux cieux leur
môme qu'ils regardent la puissance du Père, « appui ; je les appellerai et ils paraîtront tous
celle du Fils et celle du Saint-Esprit, comme « ensemble tous s'assembleront et ils enten-
;

inégales entre elles, ils doivent reconnaître


dront
« : qui leur a prédit ces choses ? Par
du moins l'égalité de nature dans les trois « amour pour vous j'ai exécuté votre volonté
personnes. Pourquoi donc supposent- ils la sur Babylone, afui de détruire la race des
«
condition de celles-ci pire même que celle
« Chaldéens. J'ai parlé; je l'ai appelé je l'ai
(les hommes? Car dans l'ordre des
;

ciioses « amené et j'ai rendu ses voies prospères.


humaines il peut arriver que celui qui a été
« A[)prochez-vous de moi, et écoutez ceci ; car
juge devienne souverain; mais quand il s'a-
B dès le commencement je n'ai point parlé en
git de la Trinité, nos adversaires ne daignent « secret : j'étais présent lorsque ces choses ont
' I Cor. u, 11.
' I Jeau, 11, 1. _ ' Jean, xiv, 10. — -
Id. xvi, 7.
CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. 555

« été accomplies, et maintenant j'ai été envoyé du Christ », l'Apôtre ajoute pareillement :

« par le Seigneur et par son Esprit '


? » Quoi « Vos corps sont le temple du Saint-Esprit qui
de plus clair ? Celui qui a donné à la terre ses a est en vous » De plus si, dans une des pages
'
.

fondements et aux cieux leur appui, voici que les plus claires de la sainte Ecriture, ils li-
lui-même il se dit envoyé par le Saint-Esprit. saient que le roi Salomon, par l'ordre de Dieu,
On reconnaît dans ces paroles le Fils unique éleva au Saint-Esprit un temple de bois et de
par qui toutes choses ont été faites. D'autre pierres, ils ne pourraient plus douter qu'il soit
part, tandis que nos adversaires attribuent Dieu. Car en lui bâtissant ce temple, le peuple
l'office de consolateur au Saint-Esprit, comme de Dieu lui rendait légitimement et dans sa
à une personne placée au dernier rang dans plus haute expression le culte religieux appelé
la Trinité, l'Apôtre donne au consolateur le culte de latrie et cependant le Seigneur a dit
; :

nom de Dieu même. Nous lisons en effet dans «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu ettuneser-
l'épître de saint Paul aux Corinthiens « Celui : « viras que lui seul », xaTpeuoeU.Etils osent nier
« qui console les humbles, Dieu nous a con- qu'il soit Dieu, celui dont le temple est formé
o sole par la présence de Tite - ». Donc celui non pas de pierres et de bois, mais des mem-
qui console les saints est Dieu. Car les hum- bres mêmes du soumettent le Christ ! Car ils

bles, ce sont précisément les saints, suivant Saint-Esprit à la puissance quoique du Christ,
ces paroles des trois hommes dans la fournaise : les membres de ce même Christ soient son
a Saints et humbles de cœur, bénissez le Sei- temple, comme ils soumettent le Fils lui-
« gneur ' ». Ainsi le Saint-Esprit qui console même aux lois souveraines de Dieu, quoiqu'il
les humbles est Dieu. Et par là même ou bien soit la parole de Dieu et que la parole d'un
nos adversaires doivent avouer que le Saint- souverain ne soit en aucune manière soumise
Esprit est Dieu ce qu'ils ne veulent pas
,
aux lois, étant elle-même l'origine des lois '\
avouer ou bien s'ils prétendent que ces pa-
;
X. Au reste, ceux dont les doctrines sont
roles de l'Apôtre s'appliquent au Père ou au venues jusqu'à moi et auxquels je réponds,
Fils, ils doivent cesser de séparer de l'un et n'osent pas dire que celui qui a été engendré,
de l'autre la personne du Saint-Esprit pour lui a été aussi mais établissant une distinction
fait :

attribuer roffice particulier de consolateur. entre ces deux choses, ils disent que le Fils a

Mais en s'efforçant de prouver que le Saint- été engendré par le Père, et que le Saint-Esprit
Esprit est inférieur au Fils, par la raison qu'il au contraire a été fait par le Fils. Cependant
est avocat auprès du Fils considéré comme ils ne lisent cela nulle part dans les saintes

juge, ils le placent nécessairement et par un Ecritures, puisque le Fils dit lui-même que le
aveuglement incompréhensible, dans un rang Saint-Esprit procède du Père.
inférieur même aux hommes saints à qui le XI. « Le Fils, disent-ils, prêche le Père; le
Seigneu) adressait ces paroles « Vous serez : « annonce le Fils ». Comme si le
Saint-Esprit
a assis sur douze sièges, jugeant les douze Fils n'avait pasannoncé la venue du Saint-
a tribus d'Israël * ». Qu'ils nous disent donc Esprit ou bien que le Père n'eût pas aussi
;

quel sera alors l'office du Saint-Esprit sera- : prêché le Fils en ces termes « Celui-ci est :

t-il juge avec le Fils, ou seulement avocat près « mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes

de ces juges humains eux-mêmes ? Loin d'un « mes complaisances : écoutez-le ' ».
cœur fidèle cette pensée abominable, que le XII. Par là même
non-seulement le Fils
Saint-Esprit soit un avocat inférieur à ces i révèle la gloire du Père», mais le Père aussi
juges, puisque ceux-ci, pour être juges, doi- « révèle » la gloire du Fils non-seulement ;

vent être remplis de ce même Esprit suivant « le Saint-Esprit manifeste la dignité du Fils»,
lequel il faut qu'ils vivent pour devenir spiri- mais le Fils aussi « manifeste la dignité » du

tuels. Car, dit l'Apôtre, « l'homme spirituel Saint-Esprit.


« juge toutes choses ^ ». Comment donc celui XIII. Et conséquemment comme , « le Fils

qui les fait juges est-il inférieur au juge su- « rend témoignage au Père, et le Saint-Esprit
prême, puisque c'est lui qui les fait à la fois « au Fils » .de même aussi le Père « rend
,

membres de ce juge et son propre temple? Car « témoignage » au Fils, et le Fils au Saint-
après avoir dit o Vos corps sont les membres
: Esprit.

• Isa. XLViu, 12-16



— II Cor. vii, 6.— ' Daa. m , 87.— •
Matt. '
I Cor. VI, 15, 19. — ^ Voir la Conférence avec Maximin , n. U.
XIX, 28. ' I Cor.
II, 15. — ' Matt. xvu, 5.
556 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

XIV. « Le Saint-Esprit a été envoyé » par de Dieu » et que Jésus-Christ dé-


a l'Esprit '
;

le Père et « par le Fils » et « le Fils a ; clareque ces paroles de l'Ecriture ont eu en


a été envoyé par le Père » et par le Saint-Es- lui-même leur accomplissement « L'Esprit :

prit. « du Seigneur est sur moi c'est pourquoi il ;

XV. « Le Fils, disent-ils, est le ministre du a m'a consacré par son onclion pour évangé-

« Père ; le Saint-Esprit est le ministre du « liser les pauvres '


? » En effet, s'il a été con-
« Fils ». Ils ne remarquent pas que de celle sacré jiour évangéliser les pauvres, parce que
manière ils mettent les Apôtres au-dessus du l'Esprit du Seigneur était sur lui, qu'est-ce
Saint-Esprit. Car puisque ceux-ci se disent donc qu'il annonçait aux pauvres, sinon ce
ministres de Dieu, nos adversaires assurément que l'Esprit du Seigneur, dont il était remph,
ne nieront pas qu'ils ne soient ministres de lui inspirait? Car il est écrit aussi de lui, qu'il
Dieu le Père lui-même. Car ils sont ministres est rempli du Saint-Esprit '.

de celui au nom de qui ils ont donné le bap- XIX. « Le Fils, disent-ils, adore et honore
tême, c'est-à-dire du Père, du Fils et du Saint- «le Père; le Saint-Esprit adore et honore le
Esprit. Conséquemment , suivant le langage « Fils ». Il n'est pas nécessaire de vouloir ici

inepte de nos adversaires, les ministres de la rechercherscrupuleusement la diflérence qu'il


Trinité seront au-dessus du Saint-Esprit, ce- y a entre honorer et adorer l'un et l'autre se :

lui-ci étant inférieur au Fils précisément disent du Fils par rapport à sa nature d'es-
parce qu'il est le ministre du Fils seul. clave. Mais qu'ils nous apprennent donc, s'ils
XVI. « Le Fils, disent-ils, reçoit les ordres le peuvent, en quel endroit ils ont lu que le
« du Père le Saint-Esprit reçoit les ordres du
; Fils estadoré par le Saint-Esprit. Car les textes
« Fils ». Ils ne lisent cela dans aucune page qu'ilsmettent en avant pour s'efforcer de le
des livres saints : il est écrit, à la vérité, que prouver, savoir « Mon Père, je vous ai ho- :

le Fils est obéissant, suivant sa nature d'es- « noré sur la terre, j'ai accompli l'œuvre que

clave par laquelle il est inférieur au Père; « vous m'avez donnée » et cet autre qui ;

mais non pas suivant sa nature divine par la- regarde le Saint-Esprit « Il m'honorera :

quelle il est une seule et même chose avec le « parce qu'il recevra de ce qui est à moi et

Père. « vous l'annoncera », ces textes ne se rappor-

XVII. Ainsi on litdans les saintes Ecritures tent pas au sujetdont il s'agit. Eneflet, l'action
que « le Fils est soumis au Père ». Mais il d'adorer renferme nécessairement celle d'ho-
s'agit alors de sa nature d'esclave, par laquelle norer mais celle-ci ne renferme pas toujours
;

il soumis même à ses parents Immains,


était la première. Suivant l'Apôtre, les frères se
suivant ces paroles de l'Evangile a Et il des- : préviennent et se rendent honneur les uns aux
« cendit avec eux et il vint à Nazareth et il ; autres *,et cependant ils ne s'adorent pas mu-
a leur était soumis ». Mais le texte sacré ne '
tuellement. Autrement, c'est-à-dire si l'action
porte nulle part que le Saint-Esprit soit sou- d'honorer et celle d'adorer sont identiques,
mis au Fils. que nos adversaires veuillent bien dire aussi
XVIII. C'est pourquoi ce que le Père com- que le Père adore le Fils et qu'en l'adorant il
mande, le Fils l'exécute à raison de sa nature obéit à cet ordre du Fils même « Honorez- :

d'esclave et ce que le Père accomplit, le Fils


; « moi Quant à ces paroles l'elatives au
^ ».

l'accomplit aussi à raison de sa nature divine. Saint-Esprit: « 11 recevra du mien », Jésus-


Aussi Jésus-Christ ne dit pas : Tout ce que le Christ lui-même a tranché la difficullé. AUn
Père commande, le Fils le fait; mais il dit : qu'on ne crût pas que le Saint-Esprit est du
Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareil- Fils comme le Fils lui-même est du Père et
«lementa.Or, s'ils prétendent que le Saint- qu'il y a entre eux différents degrés, tandis
Esprit dit ce que le Fils lui commande de que l'un et l'autre sont du Père, le premier
dire, précisément parce qu'il est écrit : « 11 par voie de génération, le second par voie de
« recevra de ce qui est h moi, et il vous l'an- [irocession (deux choses extrêmement difficiles
« noncera - » pourquoi le Fils ne dit-il pas
; à distinguer avec précision dans une nature
de môme ceque le Saint-Esprit lui commande si sublime) afin, ; dis-je, qu'on ne crût pas cela,
de dire, puisque l'Apôtre dit aussi « Ce qui : il ajoute aussitôt : « Tout ce que possède mon
« est en Dieu, ])ersoune ne le connaît, sinon
' I Cor. II, 11. — ' Luc, IV, 18, '
Id. IV, 1. — ' Rom.
Luc, II, r>l. — " Id. xvr, 14. 10. — ' Jean, xvn. 4, 5,
CONTRE LA DOCTRLXE DES ARIENS.

« Père est à moi c'est pourquoi j'ai dit qu'il ;


eu, quoiqu'il ne doive jamais avoir de com-
a recevra de ce qui est à moi ' ». Sans aucun mencement ni de fin temporelle.
doute il voulait faire entendre par là que le XXI. «Le Fils, disent-ils, invoque pour nous
Saint-Esprit reçoit aussi du Père et qu'il reçoit «le Père ; le Saint-Esprit demande pour nous
du Fils, précisément parce que tout ce qui est a au Fils ». Ils lisent à la vérité que le Fils
au Père, appartient au Fils. Or, il n'établit en demande au Père, ainsi que nous l'avons rap-
cela aucune diversité de natures, mais bien pelé nous-mème dans les raisonnements pré-
l'unité de principes. cédents : mais qu'ils trouvent de même un
XX. Si donc le Saint-Esprit ne parle point seulmot qui les autorise à dire que le Saint-
de lui-même, c'est parce qu'il ne reçoit pas Espritdemande au Fils. Il est vrai que l'Apôtre
l'être de lui-même, mais du Père dont il pro- dit a Nous ne savons ce que nous devons
:

cède de même que le Fils ne peut rien faire


: « demander dans la prière mais l'Esprit lui- ;

de lui-même, parce qu'il n'a pas non plus en « même demande avec des gémissements iné-

lui le principe de son être, ainsi que nous a narrables. Et celui qui scrute les cœurs sait
l'avons déjà démontré plus haut non pas ; « ce que désire l'Esprit car c'est selon Dieu ;

toutefois que le Fils attende en toutes choses a qu'il demande pour ' »
mais de les saints ;

le signe de la volonté du Père car il ne dit ;


quelque manière qu'ils entendent ces paroles
pas qu'il ne fait rien de lui-même, si ce n'est (et il est pour eux de la plus grande importance

ce qu'il voit lui être commandé par le Père; de les entendre comme elles doivent être en-
mais si ce n'est ce qu'il voit que le Père fait tendues), il n'est pas dit : Le Saint-Esprit de-
aussi, conformément à ce que nous avons mande au Christ, ou bien, ildemande au Fils ;

déjà démontré. Quant à ces paroles « Que le :


mais il est dit que le « Saint-Esprit demande »,
« Saint-Esprit attend en toutes choses le pré- parce qu'il nous porte à demander. C'est ainsi
« cepte du Christ », nos adversaires qui les que Dieu dit ailleurs a Je sais maintenant-», :

ont prononcées, ne peuvent les lire nulle part. comme s'il avait ignoré jusque-là, et cependant
Car après avoir dit « 11 ne parlera point de : cette expression ne signifie pas autre chose
«lui-même », Jésus-Christ n'a pas ajouté : que ceci en sorte que vous connais-
: J'ai fait

11 dira ce qu'il aura entendu de moi ; mais siez. L'Apôtre dit aussi dans le même sens :

bien : « Il dira les choses qu'il aura enten- « Mais maintenant connaissant Dieu, ou plu-

« dues ' » : expressions dont le sens a été clai- a tôt étant connus de Dieu ' » de peur qu'ils ;

rement exposé dans cette définition donnée ne s'attribuassent à eux-mêmes le mérite de


par leSeigneur et que j'ai rappelée tout à la connaissance qu'ils avaient de Dieu. Il
l'heure a Tout ce que possède le Père est à
: parle donc ainsi a Etant connus de Dieu », :

« moi c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra


; pour leur faire entendre que Dieu leur a donné
« du mien ». Or, sans aucun doute, celui de par sa grâce la connaissance qu'ils ont de lui-
qui il reçoit, est aussi le principe des pa- même. C'est encore suivant cette manière de
roles qu'il prononce; celui dont il procède, parler qu'il a été dit : « Et ne coutristez point
est aussi celui de qui il entend. Car il connaît «le Saint-Esprit de Dieu*i): c'est-à-dire, ne nous
le Verbe de Dieu parce qu'il procède du coutristez point , nous qui sommes par un
même principe d'où naît le Verbe, et ainsi mouvement du Saint-Esprit, conlristés à votre
il est également l'Esprit du Père et l'Esprit sujet. Car ils étaient conlristés par l'effet de la
du Verbe. charité que le Saint-Espritrépandait dans leurs
Et qu'on ne dise pas que cette expression :
cœurs % et ainsi il les rendait lui-même tristes
a 11 recevra», désigne un temps futur, comme au sujet des maux de leurs frères. Enfin le
s'iln'avait pas encore. En effet, on se sert in- même Apôtre dit a Vous avez reçu l'Esprit :

différemment des trois sortes de temps, quoi- « d'adoption des fils, dans lequel nous crions :

que l'on sache très-bien que l'éteruité exclut a Abba, (Père) * » et ailleurs, exprimant la ;

toute succession de temps. Car il a reçu, puis- même pensée « Dieu, dit-il, a envoyé dans :

qu'il a procédé du Père il reçoit, puisqu'il ; « vos cœurs l'Esprit de son Fils, criant Abba, :

procède du Père ; il recevra, puisqu'il ne ces- a Père '


! » Comment dit-il en un endroit :

sera jamais de procéder du Père c'est ainsi ; a L'Esprit dans lequel nous crions », et en un
que Dieu est, a été et sera, quoiqu'il n'ait pas
• Rom. vni, 26, 27. — ' Gen. xxii, 12. — '
Gai. iv, 9. — *
Eph.
Jean, xvi, U, 15. — '
Id. xvt, 13. IV, 30. — ' Rom. V, 5. — ' Id. TUi, 13 ' Gai. iv, 6.
558 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

autre endroit : « L'Esprit qui crie », sinon versaires ont cru devoir nier cette proposition,
parce que cette dernière expression signifie comme si elle était l'objet d'une discussion
l'Esprit qui nous fait crier ? Cependant si nous quelconque entre eux et nous. Cependant
voulons entendre comme eux cette expression, nous disons qu'il y a dans la Trinité une seule
non pas en ce sens qu'il nous fait crier, mais et même nature nous ne disons pas que au-
;

en ce sens qu'il crie lui-même, dès lors qu'il cune des trois personnes soit une partie d'une
dit Abba, Père », il n'adresse donc pas sa
: autre personne. Mais après avoir nié que le
demande au mais au Père. Car ils n'o-
Fils, Fils soitune partie du Père, ils ajoutent que
seront pas dire que le Saint-Esprit est le Fils cependant il est proprement, et pleinementet
du Christ, puisque pour ne pas prononcer ce parfaitement Fils unique et bien-aimé. C'est
mot ils ont mieux aimé dire qu'il n'a pas été pourquoi il faut leur demander si les enfants
engendré, mais qu'il a été fait par le Fils. que Dieu adopte par sa libre volonté et qu'il
Ainsi donc, par nous-mêmes nous ne savons engendre par la parole de vérité, sont, eux
pas ce que nous devons demander, mais l'Es- aussi, proprement, pleinement et parfaite-
prit lui-même demande, c'est-à-dire nous fait ment les enfants bien-aimés de Dieu, quand
demander les choses qui sont selon Dieu el : ils sont parvenus à une perfection telle qu'il

tant qu'il ne le fait point, nos prières ne sont ne leur soit plus possible d'être plus parfaits?
inspirées que par des pensées mondaines, par S'ils répondent affirmativement, le Fils, dès
le désir de satisfaire la concupiscence de la lors, ne sera plus seul engendré, puisqu'il
chair, la concupiscence des yeux et la soif des aura un grand nombre d'égaux il ne sera ;

honneurs temporels trois choses qui ne : plus que le premier engendré. S'ils répon-
viennent pas du Père, mais du monde '. Plu- dent négativement, comment faut-il entendre
sieurs cependant pensent que ces paroles : alors cette plénitude et cette perfection, si ce
a L'Esprit lui-même demande avec des gémis- n'est en ce sens que le Fils soit tout à fait
«sements», doivent être entendues de l'es- égal à celui qui l'engendre, sans aucun trait
prit de l'homme. de non-ressemblance et pour m'exprimer
;

XXII. Ils disent que le Fils est l'image plus brièvement et avec plus de clarté, en ce
vivante et véritable, personnelle et tout à lait sens que l'un soit Fils par nature, et les autres,
digne, de toute la bonté, de toute la sagesse et fils par grâce, le premier possédant la pléni-

de toute la puissance du Père. Cependant l'a- tude de la divinité, tandis que les autres ne
pôtre saint Paul ne dit pas qu'il est l'image possèdent qu'une participation de cette même
de la puissance et de la sagesse de Dieu ; mais divinité ,
Verbe en s'unissant à
quoique le
il dit qu'il est Dieu même, « la puissance de notre humanité et en se faisant chair »
« '

«Dieu et la sagesse de Dieu ». Donc par là sans perdre sa nature de Verbe égal au Père,
même que le Fils est l'image du Père, il est ait obéi en cela non pas à une exigence de sa
aussi la puissance et la sagesse du Père. Or, nature, mais à une volonté libre? Ensuite,
cette image pleine et parfaite, qui n'a pas été puisqu'ils prétendent que le Saint-Esprit est,
faite de rien par mais qui est engendrée
lui, non pas engendré, mais la première et la
de lui, cette in)age n'est en rien inférieure à principale œuvre du Fils en comparaison
celui qu'elle représente car le Fils seul en-
: de tous les autres êtres, qu'ils nous disent
gendré est l'image souveraine du Père, c'est- donc, si ces fils que « le Père engendre de sa
à-dire tellement semblable qu'il n'y a eu elle « libre volonté par la parole de vérité », ne

aucun trait non ressemblait. Et néanmoins doivent pas être supérieurs au Saint-Esprit?
ilsn'ont pas osé dire que le Saint-Esprit est Comment, en effet pourraient-ils ne pas
,

l'image du Fils, mais ils ont employé le mot l'avouer, puisque sans aucun doute il vaut
de manifestation. Pour le même motif, ils ont mieux être l'enfant de Dieu que d'être l'œuvre
dit qu'il a été, non pas engendré, mais fait par du Fils? Qu'ils réfléchissent à cela, et pour
lui ; ce qu'ils ne peuvent lire dans aucune mettre fin à leurs blasphèmes insensés et im-
page des saintes Ecritures. j)ies, qu'ils reconnaissent qu'il n'y a dans la
XXUl. Qui donc, parmi les catholiques, dit sainte Trinité aucune personne qui ait été
que le Fils est une partie du Père, ou que le créée d'une manière quelconque ou faite par
Saint-Esprit est une partie du Fils ? Nos ad- Dieu, si ce n'est le Fils en tant qu'il s'est fait
' 1 Jean, II, 10. '
Jeao, I, 14.
CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. S59

homme sans cesser d'être Dieu mais que


; disent que le Fils a fait le Saint-Esprit par sa
chacune des trois personnes est Dieu véritable, propre puissance seule. D'après le sens même
suprême et immuable. des paroles, ils sont forcés de reconnaître que
XXIV. A Dieu ne plaise en effet que, con- le Fils a faitquelque chose qu'il n'a point vu
formément à leur opinion, le Père soit plus êh'e fait par le Père. Si, au contraire, il leur
grand que le Fils, en tant que celui-ci est son plaît de dire que le Père aussi a fait le Saint-
Verbe, seul engendré par lui; il l'est seulement Esprit, dès loi-s le Fils ne l'a donc point fait
en tant qu'il est le Verbe fait chair Mais qu'y ! par sa propre puissance seule. Si enfin le Père
a-t-il en cela d'étonnant, puisque dans cette avait auparavant fait un autre Esprit-Saint,
même chair il est devenu inférieur aux anges afin que le Fils pût faire celui qu'il a fait le (

eux-mêmes? Aussi à Dieu ne plaise que, sui- Fils ne pouvant rien faire sinon ce qu'il a vu
vant leurs blasphèmes, le Fils soit incompa- être fait par le Père), en quel sens donc le
rablement plus grand et plus parfait que le Fils fait-il pareillement , non pas d'autres
Saint-Esprit; et, ce qu'on ne peut croire sans œuvres semblables, mais identiquement toutes
une extrême folie, que les membres du plus les mêmes œuvres que fait le Père ? Qu'ils
grand soient temple du plus petit!
le prennent la peine d'y réfléchir, et sans aucuu
XXV. Le Père est, à la vérité, « Dieu et Sei- doute ils reconnaîtront la confusion qui règne
gneur à l'égard de son Fils » parce qu'il y : dans tous ces systèmes appuyés sur leurs rai-
a dans celui-ci la nature d'esclave que le Pro- sonnements charnels.
phète avait annoncée en ces termes « Le Sei- : XXVll.IlestincontestablequelePèreadonné
« gneur m'a dit Tu es mon Fils' ». Et dans
: l'être à tout ce qui existe, sans l'avoir reçu
ce même livre prophétique, le même Fils dit lui-même de qui que ce soit; mais il n'a donné
aussi à son Père « Vous êtes mon Dieu dès le
: à personne de lui être égal à lui-même, si ce
a sein de ma mère ^ ». Et en effet dès le , n'est au Fils qui est au Saint-Es-
né de lui , et

sein de sa mère où il a pris la nature hu- prit qui procède de lui. Si donc il en est ainsi,
maine, le Père est son Dieu de même qu'il ; la différence qu'ils prétendent introduire dans
est son Père parce qu'il l'a engendré non-seu- la Trinité n'existe pas il n'y a dans la Trinité
;

lement avant qu'il fût dans le sein de sa mère, qu'une seule et même nature, qu'une seule et
mais avant tous les siècles et de toute éter- même puissance « Afin que tous honorent
:

nité. Mais où donc ont-ils entendu, même en « le Fils comme ils honorent le Père » suivant ,

rêve, que le Fils fût, dans la sainte Ecriture, les expressions de Jésus-Christ lui-même K
appelé Dieu et Seigneur de l'Esprit-Saint? Et ceux qui veulent vivre dans la piété ,

XXVL « Le Père, disent-ils, a engendré le doivent adorer le Seigneur leur Dieu et ne


« Fils, par sa volonté immuable et impassible : servir que lui seul, comme il a été commandé
« le Fils, sans travail ni fatigue et par sa seule autrefois à nos pères par loi de Dieu. Mais une
« puissance, a fait l'Esprit ». éloge vraiment pour qu'il nous de rendre exclu-
soit possible
sublime du Fils et du Saint-Esprit Comme si ! sivement à notre Seigneur et Dieu le culte
le Père avait agi malgré lui, et qu'il fût sorti qui est dû à la divinité (car il s'agit ici du
de son état d'immobilité et d'impassibilité, culte même appelé en grec xaTfEÎa , et cette

quand il nous a engendrés volontairement expression se trouve précisément dans le texte :

par la parole de vérité ou bien comme si le : « Vous ne servirez que lui seul- »), il faut de
Fils n'avait pas créé le ciel et la terre sans tra- toute nécessité,que le Seigneur notre Dieu soit
vail et sans fatigue? 11 faut donc, suivant eux, lui-même la Trinité tout entière. Autrement,
placer ces dernières œuvres au même rang suivant que ces paroles « Vous ne servirez :

que Fils ou le Saint-Esprit


le ou bien s'il ; « que lui seul », s'appliqueraient au Père et
n'est en aucune manière possible d'établir au Fils, nous ne pourrions plus rendre au
cette égalité , pourquoi avoir parlé d'une Fils ou au Père le culte appelé culte de latrie
chose que personne ne met en question, sa- et que les esclaves ne doivent pas à ceux qui
voir que le Père, lorsqu'il engendre, et le Fils sont leurs maîtres selon la chair, mais que
dans ce qu'il fait, agissent l'un et l'autre sans tous les hommes doivent exclusivement à
douleur aucune et sans fatigue? De plus, leur Seigneur et Dieu. De plus, si avec des élé-
qu'ils considèrent bien dans quel sens ils ments matériels nous bâtissions un temple au
• Ps. II, 7. — ' Ps. XXI, 11. • Jean, v, 19, 23. — ' Deut. VI, 13.
560 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

Saint-Esprit, qui hésiterait à croire que nous cette différence de natures dont il est question
lui rendons un culte de latrie, c'est-à-dire le entre eux et nous? Si personne ne peut, sans
culte dont je parle en ce moment? Comment le Saint-Esprit, adorer le Fils en vérité ; si

donc pouvons-nous ne pas lui rendre un d'autre part c'est dans le Saint-Esprit qu'on
culte de latrie puisque sans lui bâtir un
,
adore le Fils, il est donc incontestable que le

temple, nous sommes nous-mêmes son tem- Saint-Esprit, lui aussi, est la vérité ;
puisque,
ple? Ou bien comment lui-même peut-il ne suivant leurs propres expressions, le Fils est

pas être notre Dieu, puisque l'Apôtre dit de adoré en vérité lorsqu'il est adoré dans le
lui « Ne savcz-vous pas que vous êtes le
: Saint-Esprit. Cependant le Fils dit lui-même:
8 temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu ha- a Je suis la vérité ». Donc il est aussi adoré
'

« bite en vous ?» et un peu après «Gloriûez : en lui-même, lorsqu'il est adoré en vérité. Et
a donc Dieu dans votre corps ' ? » Ainsi, sui- conséquemment le Fils est adoré à la fois en
vant l'Apôlre, nos corps sont en nous le temple lui-même et dans le Saint-Esprit. D'autre part,
du Saint-Esprit. Conséquemment si d'une qui serait assez impie pour refuser au Père ce
part nous rendons à la fois au Père, au Fils et luême privilège ? Comment pourrions-nous
au Saint-Esprit le culte appelé culte de latrie; ne pas adorer aussi en lui, puisque c'est en
si d'autre part nous lisons dans la loi de Dieu lui que nous avons l'être, le mouvement et la

le précepte de ne rendre ce culte à nul autre vie? Ainsi nous disons nous-mêmes que le
absolument qu'à notre Seigneur et Dieu, il est Fils est adoré dans le Saint-Esprit ; mais en
donc hors de doute que la Trinité est elle- quel endroit pourraient-ils lire que le Fils est

même notre seul et unique Seigneur et Dieu, adoré par le Saint-Esprit?


à qui la piété nous fait un devoir de rendre XXIX. a Le Père est glorifié par le Fils »,
ce culte, en même temps qu'elle nous défend personne ne prétend le nier. Mais qui oserait
de le rendre à tout autre. dire que le Fils n'est pas lui-même glorifié
XXVIIl. « Comme personne, disent-ils, ne par le Père ? N'est-ce pas au Père que le Fils
a peut aller au Père sans l'intermédiaire du adresse ces paroles: a Glorifiez-moi », aussi
a Fils de même aussi personne ne peut, sans
; bien que celles-ci : vous ai glorifié ^ ? »
a Je

a le secours du Saint-Esprit, adorer le Fils en Du reste, glorifier, honorer, louer sont trois
a vérité » connue si du reste quelqu'un
: mots différents, mais ils désignent une seule
pouvait venir au Fils sans le Père, tandis que et même chose exprimée en Grec par Jo^à!;£iv :

Jésus-Christ dit lui-même « Personne ne : la diversité des expressions latines est née de
a vient à moi si le Père qui m'a envoyé ne la diversité des traducteurs.
a l'attire ^ » ; ou bien comme s'il nous était XXX. B L'œuvre et l'application constantes
possible de parvenir au Saint-Esprit sans le a du Saint-Esprit, disent-ils, est de rendre
Père et le Fils qui nous le donnent par leur a saints et de garder ceux qui le sont déjà; de
grâce. En effet, venir à eux, qu'est-ce autre a sanctifier non-seulement les créatures rai-
chose que les voir habiter en nous? Ils ne a sonnables, comme quelques-uns le pensent,
viennent pas eux-mêmes à nous d'une autre mais aussi plusieurs êtres privés de raison ;

manière, puisque Dieu étant partout, il ne « de rappeler à leur ancien état ceux qui sont
saurait être contenu dans aucun espace maté- tombés par leur propre négligence d'ins- ;

riellement limité. Le Sauveur dit de son Père a truire les ignorants, d'avertir ceux qui sont
et de lui-même a Nous viendrons à lui et nous
: a oublieux, de reprendre ceux qui commet-
a établirons en lui notre demeure » ; il dit a tent le [léché d'exhorter ceux qui sont pa-
;

pareillement du Saint-Esprit « Si je ne m'en : e resseux à penser à leur salut et à y travail-


a vais, l'avocat ne viendra pas à vous ' ». Que a 1er avec soin de ramener dans la voie de la
;

signiûent donc ces paroles a Comme per- : a vérité ceux qui s'en écartent; de guérir ceux
a sonne ne peut aller au Père sans l'intermé- a qui sont malades; de remédier aux faiblesses
« diaire du Fils de même aussi personne ne
; a de la chair par l'ardente vivacité de l'esprit;
a peut, sans le Saint-Esprit, adorer le Fils en « d'allermir dans l'amour de la piété et de la
«vérité?» et celles-ci qu'ils ajoutent ensuite: a chasteté, et de répandre la lumière dans
a Donc c'est dans le Saint-Esprit que le Fils a toutes les âmes mais surtout de donner à
;

a est adoré?» Est-ce (]ue ces paroles révèlent a chacun la foi et la charité, à proportion de
• I Cor. VI, 19, 20. — '
JcaD, VI, -14. — • Id. xiv, 23; x\i, 7. '
Jean, iiv, 6. — ' Id. xu, 28; xvu, 5, 4.
CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. 561

« sou zèle personnel et de ses soins diligents, « sachent que c'est moi-même qui les sancti-
« suivant la sincérité et la simplicité île son « fie B. Mais si les meilleurs interprètes en-
« esprit, suivant la mesure de sa foi et le mé- seignent que la Trinité elle-même a prononcé
« rite de sa conduite de distribuer la grâce ;
cette parolepar la bouche du Prophète, on ne
« conformément au besoin que nous en avons, peut plusdouter que le Père, le Fils et le Saint-
« et de i)lacer chacun dans le genre d"occupa- Esprit ne soient un seul Dieu c'est de lui, :

« lions pour lequel sont ses goûts et ses apti- par lui et en lui que sont toutes choses ; à
« tudes B. LeSainl-Es[irit accomplit à la vérité lui soit la gloire dans les siècles des siècles.
toutes ces œuvres ; mais à Dieu ne [)laise qu'il Ainsi soit-il '
!

les accomplisse sans le Fils ! Et qui donc s'écar- XXXI. Cependant , quoique nous recon-
terait de la voie de la vérité, jusqu'à nier que naissions que les œuvres attribuées par eux
les saints soient gardés par Jésus-Cbrisl, que au Saint-Esprit, lui appartiennent réellement,
par lui ceux qui sont tombés soient replacés la conclusion qu'ils tirent de là n'en est pas
dans leur ancien état, les ignorants instruits, moins fausse Le Saint-Esprit b, disent-ils,
: «

ceux qui sont oublieux avertis, les pécheurs a est différent du Fils par sa nature et sa po-
réprimandés, les paresseux excités au travail, « sitioii, par son rang et ses inclinations, par

ceux qui s'égarent ramenés dans la voie de la « sadignilé et sa puissance, par ses facultés et
vérité, les malades guéris, les aveugles éclai- a n'y a aucune diffé-
par ses œuvres ». Car il

rés? Et il eu est de même de toutes les œuvres rence entre natures humaines, et
les diverses

que nos adversaires ont cru devoir attribuer cependant leurs œuvres peuvent être séparées
au Saint-Esprit comme si elles étaient accom- entre elles, ce qui n'est pas possible à l'égard
plies par lui seul. Car, pour ne pas faire ici des œuvres de la sainte Trinité. Quant à cette
une trop longue éuumération, comment nie- position, ce rang et ces inclinations que l'on
ront-ils que les saints soient instruits par rencontre dans les créatures par suite de leur
Jésus-Christ, puisqu'il leur dit lui-même « Ne : inégalité et de leur faiblesse, ils n'existent pas
« souffrez point qu'on vous appelle maîtres ;
dans cette Trinité dont les trois personnes
« car vous n'avez qu'un seul maître, Jésus- sont a la fois coéternelles, égales et impassi-
Christ ? » Comment nieront-ils que les
' bles. Mais comment puissance
la dignité, la

aveugles soient éclairés par Jésus-Christ ,


et la force ne seraient-elles pas égales dans
quand ils dans l'Ecriture, que Jésus-
lisent chacune de ces trois personnes, puisqu'elles
Christ « était la lumière véritable qui éclaire accomplissent les mêmes œuvres et de la

« tout homme ' ? » Le Saint-Esprit donc ne même manière? Nos adversaires, il est vrai,
sanctifie personne sans Jésus-Christ, de même disent que les opérations des trois personnes
que sans lui il n'instruit ou n'éclaire per- sont différentes entre elles mais nous avons ;

sonne. Quant à ces paroles que Dieu a dites prouvé que cette assertion est tout à fait fausse.
par la bouctie d'un prophète « AQn qu'ils : XXXU. Ils ajoutent dans le même discours :

« sachent que c'est moi-même qui les sauc- « Impossible qu'il y ait unité et identité entre
atiQe*», à laquelle des trois personnes di- « le l'ère et le Fils, entre celui qui engendre
vines préteudent-ils les attribuer? S'ils pré- « et celui qui naît entre celui a qui on rend
;

tendent qu'elles ont été dites par le Père, « témoignage qui rend ce témoignage;
et celui

l»ourquoi donc nient-ils toute communauté entre celui qui est plus grand et celui qui
d'opérations entre le Père et le Saint-Esprit, « reconnaît cette supériorité entre celui qui ;

puisque d'autre part croient que la sancti- ils « est assis à la droite ou qui se tient debout,
fication des justes appartient au Saint-Esprit a et Celui qui cède l'honneur de la préséance ;

comme son œuvre propre et inséparable? « entre celui qui est envoyé et celui qui a
S'ils
attribuent ces paroles au Fils, ne doivent ils « envoyé on ne peut pas être à la fois dis-
;

pas du moins séparer des œuvres de ce même « comme Notre Seigneur l'a
ciple et docteur,
Fils, les œuvres de l'Esprit sanctificateur. « déclaré lui-même en ces termes Je parle :


Enûn, s'ils aiment mieux les attribuer au « comme mon Père m'a enseigne - impos- ;

Saint-Esi)rit, pourquoi donc refusent-ils de « sible d'être à la fois celui qui ressemble et
reconnaître sa diviuilé ,
puisqu'il dit lui- « qui imite et celui à qui on ressemble et
même par la bouche du Prophète; «Afin qu'ils a que l'on imite ; celui qui prie et celui qui
' Mau. xxm, i. — '
Jeaa, i, 9. — '
Exod. xxxi, 13. • Rom. II, 36. — ' Jean, viu, 28.

S. AcG. — Tome XIV. 30


562 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

exauce ; celui qui rend grâces et celui qui bé- B toutes choses n'ont donc pas été faites par
a nit; celui qui reçoit commandement etce-
le «lui», si le temps a existé avant lui. Mais
a lui qui donne le commandement; celui qui « tout a été créé par lui '
», et par là même
« exécute et celui qui ordonne ; celui qui sup- aucun temps n'a existé avant lui. Conséquem-
« f)Iie et celui qui protège; on ne peut pas ment, comme le feu et l'éclat qui est par le
« être l'inférieur et le supérieur; le fils uni- feu engendré et répandu de toutes parts, com-
que et celui qui n'est pas engendré ; on ne mencent à exister simultanément, sans que
« peut pas être prêtre et Dieu ». Ces paroles, celui qui engendre précède celui qui est en-
entendues dans un certain sens, sont très- gendré; de même aussi le Père qui est Dieu,
vraies; mais que nos adversaires, en parlant et le Fils qui est Dieu de Dieu, commencent
ainsi, s'attaquent aux Sabelliens et non pas à exister simultanément, parce qu'ils sont
aux Catholiques. Car les Sabelliens disent également exempts de tout commencement
qu'il y a unité et identité entre le Fils et le temporel, et que celui qui engendre ne pré-
Père nous, au contraire, nous disons que le
;
cède point celui qui est engendré. Comme le
Père qui engendre et le Fils qui est engendré feu qui engendre et l'éclat qui est engendré
sont deux personnes, mais non pas deux na- datent du même instant; de même aussi
tures distinctes et diQérentes. Le Père et le Dieu le Père qui engendre, et Dieu le Fils qui
Fils ne sont donc pas une seule et même est engendré, sont coéternels. Mais parce que
personne , mais un seul et même être. Il celui-ci reçoit l'être du premier, et non pas
est vrai que le Père est plus grand mais ;
réciproquement, le Fils, par là même, reçoit
ici il ne s'agit pas de la nature de celui qui lecommandement du Père, puisqu'il est lui-
engendre comparée à la nature de celui qui même ce commandement du Père et le Père ;

est engendré il s'agit de la nature bumaine


; enseigne le puisque celui-ci est lui-
Fils,
comparée à la nature divine en tant qu'il a : même la doctrine du Père. Car le Fils reçoit
revêtu la nature bumaine, le Fils est assis ou la vie du Père, parce qu'il est lui-même la vie
il se tient debout à la droite du Père, il prie, aussi bien que le Père; et il est tellement
il rend grâces, il est prêtre, il est ministre, il semblable au Père, qu'il ne diffère absolument
est su()|)liant, il est sujet; mais en tant qu'il en rien de lui. De [)lus, [luisque le Père et le
possède la nature divine, par laquelle il est Fils se rendent l'un à l'autre un témoignage
égal au Père, le Fils est seul engendré et coé- mutuel, je ne vois pas comment nos adver-
ternel à celui qui l'engendre. Et(iuoiqu'« il saires peuvent représenter l'un des deux
« premier-né de toute créature, puis-
sait le comme rendant témoignage et l'autre comme
« que toutes cboses ont été créées en lui », celui à qui ce témoignage est rendu. Le Père ne
quoiqu'il ait été engendré avant la création dit-il i>as «Celui-ci est mon Fils bien-aimé*?»
:

de tout le reste il est cependant éternel


, Le ne dit-il pas aussi « Mon Père, qui
Fils :

comme Père et il n'a pas commencé dans


le «m'a envoyé, rend témoignage de moi'?»
le temps. Car nous disons avec raison que le Pourquoi donc établir entre eux une distinc-
Père est antérieur à toutes les cboses qu'il a tion telle qu'on donne le nom de Père à celui
créées, bien qu'il n'ait pas été engendré. La à qui ce témoignage est rendu, et le nom de
priorité en effet n'est jamais si rigoureuse Fils à celui qui rend ce témoignage ? Pourquoi
que dans celui avant qui il n'y a absolument porter l'ineptie jusqu'à ce point? Pourquoi se
rien. Or, de même que rien n'existe avant bouclier les oreilles et fermer les yeux avec une
le Père, de même aussi rien n'existe non plus telle opiniâtreté? Quant à la mission donnée
avant le Fils, seul engendrée! conséquemment par le Père et reçue par le Fils, nous en avons
coéternel au Père. Car, quoique le Père ait en- suftisanunent et surabomlamment traité dans
gendré et que le Fils ait été engendré, le l'ère les cbapiti es précédents de celte controverse.
ne possède pas pourcela uneantéiiorilé tempo- XXXIII. Certes, jamais « le Père n'a su, dans
relle. S'il y a entre le Père qui engendre et le « sa prescience, qu'il deviendrait le Père de
Fils qui est engendré, une dilference quel- « Dieu, son Fils unique », comme nos adver-'
conque de temps, dès lors il y a eu un temps saires le prétendent dans leur impiété portée
avant le Fils, et conséquemment ce même Fils jusqu'au délire. Il n'a jamais commencé à
n'est plus « le premier-né de toute créature » être Père, par la raison que son Fils lui-même
puisque le temps est lui-même une créature; '
Coloss. I, 15, lii. — Mail. m. 17. — ' Jean, vm, 18.
,

CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS. 563

lui est coéternel, et qu'il a engendré avant pour défendre contre leur erreur le
ô(x.o(;i(i[o;,

tous les temps celui pnr qui il a créé les temps Père, Saint-Esprit, et établir que
le Fils et le
eux-mêmes. Et comme il n'a pas su à l'avance ces trois personnes ont une seule et même
que lui-même il devitndiait Dieu, il n'a pas substance, ou, pour parler plus énergique-
su non plus à l'avance qu'il deviendrait Père, nient, une seule et même essence, appelée en
parce qu'il a toujours été ;ivec le Fils. « La grec cùd!». ce qui est encore plus clairement
:

« grandeur et la bonté du Père ne surpassent exprimé dans ces mots, une seule et même
« point la grandeur et la bonté du Fils » car ; nature. Et cependant, si quelqu'un de ceux
ce n'est pas au Père seulement, mais à la Tri- qui nous appellent partisans de la consub-
nité tout entière qu'il a été dit « Vous êtes : stantialité, disait que son propre fils n'est pas
« Dieu seul grand ». C'est aussi avec raison
'
de la même nature que lui-même, mais qu'il
que l'on applique, non pas au Père seulement, est d'une nature différente, ce fils aimerait
mais à la Trinité tout entière celte parole du mieux être déshérité par lui que de voir celte
même Fils « Nul n'est bon que Dieu seul * »
: opinion admise. Quelle est donc l'impiété qui
lorsqu'il fut appelé bon maître par quelqu'un les aveugle à ce point? Ils reconnaissent que
qui ne connaissait pas encore sa divinité : le Filsde Dieu est réellement son Fils unique,
comme s'il eût dit Si vous m'appelez bon, : engendré par lui, et ils ne veulent |)as rtcon-

vous devez comprendre que je suis Dieu re- ; naîlre qu'il est de la même nature que le
connaissez ma divinité car nul n'est bon ; Père I Ils lui attribuent, au contraire, une na-
que Dieu seul. La Trinilé donc est ce Dieu ture différente, inégale, non ressemblante en
unique, seul grand et seul bon, auquel, uni- plusieurs choses et de plusieurs manières,
quement et à l'exclusion de tout autre, con- comme s'il n'était pasné de Dieu, mais qu'il
formément aux préceptes de sa loi , nous eût été par lui créé de rien, et que par là
rendons le culte appelé culte de latrie. même il fût une créature véritable. Fils par
XXXIV. A Dieu ne (liaise que nous disions grâce et non point par nature ! Ainsi, ceux
que c'est par humilité, et non pas en toute vé- qui nous appellent partisans de la consub-
rité, que le Fils prononce quelquefois des pa- stantialité,comme pour nous couvrir de la
roles par lesquelles il se soumet au Père, et flétrissure d'un nom nouveau, ne voient pas
proclame celui-ci plus grand que lui. Nous qu'ils sont eux mêmes insensés lorsqu'ils ,

savons, en effet, que dans le Fils, la nature suivent de tels sentiments.


d'esclave n'est pas feinte et simulée, mais vé- Mais quand ils reconnaissent que le Fils est
ritable : or, c'est précisément à raison de cette né avant tous les siècles, ne sont-ils pas en
qualité d'homme, et en même temps parce contradiction avec eux-mêmes, puisque d'une
qu'il reçoit du Père sa nature divine, sans que part ils disent qu'il est né avant tous les siè-
le Père reçoi vede lui la sienne, c'est, dis-je. pour cles, et que d'autre part, ils mettent un certain
cette double raison qu'il dit toutes ces choses, temps avant sa naissance, comme si un temps,
dont nos adversaires s'autorisent pour croire quel qu'il soit, n'était pas nécessairement un
et pour enseigner que la nature du Père et la siècle ou une partie de siècle?
nature du Fils sont différentes l'une de l'autre. Saint Paul dit à la vérité que le Fils sera
Et^ au même moment qu'ils se précipitent soumis au Père même dans le siècle futur :

dans cet abîme d'impiété, ils nous apijellent « Alors, dit-il, il sera lui-même soumis a celui

(homousiani) partisans de la consubslantia- «qui lui a soumis toutes choses ». Mais '

lilé, comme pour nous infliger la honte d'un qu'y a-t-il en cela d'étonnant, puisque le Fils
nom nouveau. Telle est, en effet, l'antiquité doit conserver cette nature humaine, qui est
de la vérité catholique, que tous les hérétiques à tout jamais inférieure au l'ère? Plusieurs,
lui imposent des noms dilférenls, précisément cependant, ont cru devoir entendre celle sou-
quand Us reçoivent eux-mêmes des noms par- mission future du Fils, d'un changement de
ticuliers, qui entrent dans le langage com- la nature humaine elle-même, en la sub-
mun. .\iijsi, |iarmi les hérétiques, les Ariens stance divine, comme si une chose était sou-
et les Eluiiomiens seuls nous donnent le nom mise à une oUtre, par cela seul qu'elle est
de partisans de la consubslanlialilé, et cela, changée et transformée en cetle autre. Mais,
parce que nous nous servons du mot grec pour exprimer notre manière de voir à ce
' Pi. LïXiV, 10. — ' Marc, X, 18. ' I Cor. XV, 28.
564 CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

sujet, nous pensons que l'Apôtre a dit que le et comment la dignité du Verbe éternel a pu
Fils seraitmême alors soumis au Père, préci- permettre à celui-ci de se soumettre à celte pa-
sément afin que personne ne crût que l'esprit role et à ce commandement temporel. Qu'ils
et le corps humains devaient être détruits en comprennent donc enfin que ce n'est point
Jésus-Christ par une transformation quelcon- par le commandement du Père, comme s'il
que « Afin que Dieu soit tout », non-seule-
: eût relevé d'une autre puissance que la sienne,
ment dans la nature humaine de Jésus-Clirist, mais que c'est a lui-même, qui s'est anéanti,
mais « en tous », c'est-à-dire afin que la na- « prenant nature d'esclave ». 11 est vrai
la
ture divine suffise à nous donner la vie et « qu'il s'esthumilié lui-même, en se rendant
à combler de biens l'immensité de nos dé- a obéissant jusqu'à la mort » mais assuré- '
;

sirs. Car Dieu sera tout en tous, lorsque nous ment, il avait alors accompli son incarnation.
commencerons à ne vouloir posséder absolu- Je crois avoir répondu à tout ce que ren-
ment rien autre chose que lui. Il sera tout en ferme le discours des Ariens, qui nous a été
nous, quand nous serons tellement remplis envoyé par quelques frères, afin que nous y
de lui que rien ne nous manquera plus. répondions. Nous avons cru devoir le trans-
Je ne vois pas ce qui porte nos adversaires crire en lête de notre présente controverse,
à croire que « le Fils ail obéi aux ordres qui afin que ceux qui nous Usent et qui désirent
a lui étaient donnés, avant qu'il se fût in- se rendre compte de la complète exaclitude
« carné ». A-t-il reçu l'ordre de prendre une de notre réponse, puissent en prendre con-
chair, et, ])ar là même qu'il accomplissait en naissance par eux-mêmes. On doit donc lire
cela une mission, doit-il être regardé comme d'abord ce discours, et ensuite notre réponse.
ayant en même temps exécuté un ordre? Nous n'avons pas toujours interposé le texte

Qu'ils lisent donc de nouveau ce qui a été dis- même de ce discours, afin de ne pas donner
cuté plus haut; qu'ils cherchent, qu'ils trou- trop d'étendue, dans notre réfutation, à notre
vent, s'ils le peuvent, par quelle autre pa- œuvre, que nous terminons enfin ici.

role le Père a commandé à sa Parole unique, • Philipp. Il, 7, 8.

Traduction de M. l'abbé BARDOT.


CONFÉRENCE
De saint A-Vigustin avec Alaxlmin, évèque Arien.

I. Augustin Maximin s'étant rendus en


et III. Aitg. Je l'ai dit déjà, et puisque vous
un même une assemblée nom-
lieu devant n'avez pas voulu répondre, je le répète Dites :

breuse de clercs et de laïques, Maximin prit la quelle est votre foi touchant le Père, le Fils
parole Je ne suis point venu dans cette cité,
: et le Saint-Esprit.

dit-il pour établir une dispute avec votre


,
Max. Comment, après la réponse que je
religion mais je suis venu par l'ordre du
; me reprocher
viens de vous faire, pouvez-vous
comte Ségisvult dans le dessein de faire la de ne vous avoir point répondu?
paix. Dans une conférence que le prêtre Era- IV. Aug. Voici pourquoi je vous ai dit que
clius a eue avec moi et qui a été commencée vous n'avez point voulu me répondre tandis :

avec des intentions amicales de part et d'au- que je cherchais à savoir par vous - même
tre, je lui répondu comme j'ai pu, après
ai quelle est votre foi touchant le Père, le Fils
avoir été cependant provoqué par lui à cette et le Saint-Esprit, comme je désire encore le
conférence mais il s'est enflamméjusqu'à pro-
; savoir en ce moment, au lieu me
de dire
noncer votre nom comme un défi porté contre quelle est votrefoi, vous avez con- nommé le
moi. Et puisque votre religion a bien voulu cile de Rimini. Je veux connaître votre foi,
s'imposer ce sacriflce, si vous m'interrogez, je votre croyance, vos sentiments touchant le
vous répondrai autant qu'il me sera possible Père, le Fils et le Saint-Esprit. Si vous le voulez
de le faire. Si vos paroles sont fondées en bien, je désire l'apprendre de votre bouche. Ne
raison, il faut de toute nécessité que je me me renvoyez pas, je vous prie, à des écrits qui
range à Aotre avis. Si vous nous citez des n'existent plus, ou bien que nous n'avons pas
passages des divines Ecritures, qui sont notre entre les mains, ou enfin dont l'autorité n'en
propriété commune à tous, nous devons néces- est pas une pour moi. Dites ce que vous croyez
sairement mais quant aux pa-
les entendre ; touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
ne sont en
rôles étrangères à l'Ecriture, elles Max. Ce n'est point pour éluder votre ques-
aucun cas reçues par nous car du reste le ; tion,que j'ai lait intervenir le décret du con-
Seigneur lui-même nous donne un avertisse- cilede Rimini, mais pour montrer l'autorité
ment à cet égard, lorsqu'il dit : « Ils me des Pères qui nous ont transmis, suivant les
« rendent un culte vain, enseignant des com- divines Ecritures la foi qu'ils ont puisée
,

a mandements et des préceptes humains ' ». dans ces mêmes Ecritures. Mais puisque cela
II. Augustin. Si je voulais répondre à tout ne vous est pas agréable, et que a l'on croit
ce dont vous parlez, je paraîtrais , moi aussi, B de cœur pour être justifié, en même temps

avoir pour but de ne point en venir à la « que la confession de bouche est nécessaire
question. Afln donc de traiter à l'instant le B au salut ' » : car nous sommes préparés et
sujet dont il s'agit, dites-moi quelle est votre tout disposés à répondre à quiconque nous
foi touchant le Père, le Fils et le Saint-Es- demande raison de notre foi et de notre espé-
prit. rance '; puisque d'ailleurs le Seigneur Jésus
Maximin. Si vous me demandez quelle est dit lui-même « Celui qui me confessera de-
:

ma foi, je tiens celle qui a été non-seulement « vant les hommes, moi aussi je le confesserai
exposée à Rimini par trois cent trente évo- H devant mon Père qui est dans les cieux; et
ques, mais qui est appuyée sur l'autorité de la a celui qui m'aura renié devant les hommes,
signature de ces mêmes évêques. a moi aussi je le renierai devant mou Père
• Matt. XT, 9. ' Rom. i-, 10. — ' I Pierre, lu, 15.
566 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

a qui est dans les deux '


» : craignant, dis-je, a il vous dirigera dans voie de la vérité la

ce péril, quoique je n'ignore pas les lois de « pleine et entière. Car ne parlera point de
il

l'enipire,mais instruit en même temps de la « lui-même, mais il dira tout ce qu'il aura
loidu Sauveur qui nous a donné cet avertis- « entendu, et il vous annoncera ce qui doit
sement a Ne craignez [loint, dit-il, ceux qui
: «arriver. C'est lui qui me glorifiera, parce
tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer « qu'il recevra de ce qui est à moi, et il vous
B l'àme ' B par tous ces motifs, je réponds en
;
« l'annoncera ». Donc le Saint-Esprit a reçu
'

termes clairs et positifs Je crois qu'il n'y a : du témoignage du Christ


Christ, suivant le
qu'un seul Dieu le Père, lequel n'a reçu même. D'autre part, que le Christ
il est certain
la vie de personne je crois qu'il n'y a qu'un a fait lui-même cet aveu « Ma doctrine n'est:
;

seul Fils, lequel a reçu du Père son existence, « pas de moi, mais de mon Père qui m'a en-

sa nature et sa vie je crois qu'il n'y a qu'un « voyé ^ B et encore


; « Je dis ce que j'ai vu
:
;

seul Saint-Esprit paraclet, lequel illumine et «et entendu en mon Père'». Ainsi, quand
sanctifie nos âmes. Et j'afQrme cela d'après le Christ nous éclaire dans ses enseignements,

vous me l'ordonnez,
les divines Ecritures. Si cette illumination appartient au Père, qui
je vais vous en donner les témoignages si : envoyé le Fils pour cette fin quand l'Esprit- ;

votre religion me trouve répréliensible en Saint nous éclaire, celte illumination remonte
quelque point, je vous donnerai une réponse au Créateur, qui est la source de toute bonté;
sur tout ce qui me paraîtra être l'objet précis à la vérité, c'est par un don du Saint-Esprit
de votre critique. que le bienheureux Apôlre et même tous les
V. Ang. J'admire comment vous attri- saints éclairent ceux qui croient; mais cette
buez au Saint Es[irit exclusivement le privi- illumination remonte exclusivement au Créa-
lège de nous illuminer comme si le Clirist, ;
teur. Et c'est pour cette raison que le Prophète
lui aussi, n'aicomplissait pas cet office. C'est disait « Le Seigneur est ma lumière et mon
:

pour(|uoi je désire tout d'abord savoir de « salut; qui pourrai-je craindre *? »


votre bouche, quels sont vos sentiments à cet VI. Aug. Je ne nie point qu'il appartienne
égard. au Saint-Esprit d'éclairer mais le Christ ;

Max. Pour nous, nous reconnaissons un éclaire-l-il par lui-même ? Le Père éclaire-t-il

seul Dieu le Père , créateur de toutes choses, par lui-même ? Ou bien l'un et l'autre éclai-
et de qui procède par des degrés divers, rent-ils seulement par le Saint Esprit? Voilà
,

toute illumination. Car enfin, l'apôlre saint ce que je vous ai demandé en peu de mots;
Paul, aux Actes des Apôtres, rend de lui- voilà ce que je \ous demande.
même ce témoignage a Dieu, dil-il, nous : Max. Je crois que votre religion n'est pas
« l'a ordonné en ces termes » et entre autres ; sans connaître ces paroles du bienheureux
paroles de la bouche même de Dieu «Je vous : apôtre saint Paul « Lorsque est apparue la
:

ai établi pour être la lumière des nations'». « bonté et l'humanilé de notre Sauveur Dieu,

Si l'Apôtre, en sa qualité de docteur, a été 8 ce n'est point par les œuvres de justice que

établi pour êlre la lumière des nations, à « nous avons faites, mais, selon sa miséricorde,

combien plus foite raison doit-il en être de « c'est par le baptême de régénération et de

même du Saint-Esprit, qui illuminait Apôtre, 1 B renouvellement de l'Esiirit Saint, qu'il nous

et par qui ce même Apôlre par lait, suivant ses «a sauvés; de l'Esprit-Sainl, dis-je, qu'il a
propres expressions, dans l'épître aux Corin- « répandu nous abondamment par Jésus-
!-ur

thiens: «Personne ne peut dire : Seigneur Jé- B Christ, notre Sauveur'*». Guidé par ces pa-

« sus, si ce n'est par le Saint-Espril' » Oui as-


1 roles, je dis et je professe que le Saint- Esprit
surément, il appartient au Saint-Esprit d'illu- éclaire par le Fils, comme il vient d'être dit :

miner, ()uisqu'il a illuminé l'Apôtre. Mais c'est B Le Saint Esprit qu'il a répandu en
nous
un privilège qu'il a reçu du Chri:^t, suivant le «abondamment, par Jésus-Christ notre Sau-
témoignage même de celui-ci, qui parle en « veur». Telle est ma réponse car soit que :

ces termes dans l'Evangile « J'ai beaucoup : Paul éclaire, cette illumination remonte au
o de choses à vous dire mais vous n'avez pas ; créateur Dieu le l'ère; soit que le Saint-Esprit
« assez de force pour les entendre en ce mo- éclaire, celte illumination remonte au même
« ment: quand cet Esprit de vérité sera venu,
' Jean, jvi, 12 14. — Jean, vit, 16. — ' Jean, vm, 38. — ' Ps.
'
Mail. X, 32, 33.— ' Id. 28.— ' Act. ïiii, 17 '
1 Cor. xu, 3. xxvi, 1. — ' Tit. III, 4-6.
.

AVEC MAXIMIN, É^'ÊQUE ARIEN. 567

créateur; soit enfin que le Christ éclaire, cette a reçu du Christ tout ce qu'il nous commu-
illumination remonte toujours à la même nique. Recourez aux témoignages rapportés
source. El ainsi mstruit à l'école du Clirist, je plus haut, et vous le reconnaîtrez.
poursuis en citant les paroles de ce même VIII. A?t{/. En voulant vous
efforcer de
Christ: o Mes brel)is entendent ma voix, et prouver ce que moi-même je reconnais, vous
a elles me suivent; et je leur donne la vie consumez en des choses inutiles un temps
«éternelle, et elles ne périront jamais, et nécessaire à d'autres sujets. Je suis loin de
a personne ne main. Ce qui
les ravira de ma nier que le Saint-Esprit ait été ré()andu par
« m'a élé donné par mon Père est plus grand le Christ sur ceux qui croient; et c'est vaine-
a que louteschoses, etnul ne peut le ravirde la ment que vous avez voulu, par des témoi-
« main de mon Père ». Et il dit encore « Mon : gnages qui ont absorbé un temps considérable,
a Père et moi nous sommes ime seule chose » '
prouver ce que je confesse moi-même. Voici
Ainsi, pour défendre les brebis et pour les ce que j'ai dit ce que je vous ai demandé, et
,

éclairer, le Père et le Fils ne sont qu'un, dans ce que je vous répète : le Christ éclaire-t-il
une concorde et une identité complète de sen- par le Saint-Esprit, ou bien le Saint-Esprit
timents, conformément à ce principe que vous éclaire-l-il par le Christ? Car vous avez dit
avez entendu «Personne ne peut ravir de ma
: |dus haut que le Saint-Esprit éclaire par le
a main les brebis que le Père m'a données » ;
Fils. S'il ne vous en souvient point, qu'on lise

il est pareillement impossible de les ravir de vos paroles dans les Actes, afln que l'on sache
la main du Père. que nous avons ordonné d'en faire la lecture,
VII. Atey. Vous dites des choses indubitables, et je prouverai que vous avez dit ce que je
mais qui sont étrangères au sujet. Vous n'avez vous demande.
point répondu à la question que je vous ai Max. Celte preuve en effet eût été néces-
posée, et cependant vous avez dit bien des saire, si vous n'aviez réussi à vous apaiser
paroles. Si laissant de côté le sujet dont il
, vous-même. Car vous avez enfin trouvé dans
s'agit entre nous, vous prétendez citer l'Evan- les témoignages que j'ai apportés, ou dans les
gile tout entier, comljien de jours ysufûront, raisonnements que j'ai faits, le moyen d'en
combien de temps cela n'exigera-t-il pas? venir là. Cette question étant donc terminée,
Dites-moi en deux mots, puisque je vous ai veuillez en projioser une autre qui demande
adressé cette question, si le Christ éclaire par une réponse de ma part. Car vous venez d'a-
lui-même, ou bien s'il éclaire seulement par vouer qu'il vous a été donné satisfaction suffi-
le Saint-P^sprit. Non-seulement vous n'avez sante par rapport à celle qui précède.
point voulu répondre à cette question, mais IX. Ai<g. Avez-vous dit que le Saint-Esprit
si j'ai bien compris ce que j'ai entendu, vous éclaire par le Christ, ou bien ne l'avez- vous
avez dit plutôt que le Saint-Esprit éclaire par pas dit? Je vous prie de vouloir bien me ré-

le Christ. pondre en quelques mots l'avez-vous dit, ne :

Max. Il conforme aux principes de


n'est pas l'avez-vous pas dit, oui ou non ?
la religion, surtout quand notre discours a Max. Conformément aux enseignements
pour objet Ditu lui-même, de prononcer des du Christ, j'ai fait cette profession de foi par
paroles calomnieuses. Je vous ai fait une ré- rapport au Saint-Esprit soit qu'il éclaire, soit
:

ponse, et si ce que j'ai dit ne sufût pas, j'ajou- qu'il enseigne, il a reçu du Christ l'un et
terai les preuves de cette vérité, que le Saint- pouvoir; dans tout ce qu'il fait sans
l'autre
Esprit a été répandu par Jésus-Christ dans il exerce les pouvoirs qu'il a reçus
exception,
tous ceux qui croient. Nous lisons en elfet ces du Dieu seul engendré. Si les témoignages
paroles du bienheureux Pierre dans les Actes que j'ai cités ne suffisent pas, j'en ajouterai
des Apôtres : « Dieu a ressuscité ce même d'autres.
« Jésus; nous en sommes tous témoins. Elevé X. Ang. Afin qu'il ne dise pas que nous
a donc par la droite de Dieu, et après avoir l'accusons faussement, qu'on lise les paroles
a reçu de son Père la promesse du Saint- qu'il a prononcées tout à l'heure.
a Esprit, il a répandu cet Esprit que vous Le secrétaire Antoine lut ce passage Je dis :

« voyez vous-mêmes et que vous entendez en et je professe que le Saint-Esprit éclaire par le
a ce moment'». Or, j'ai dit que le Saint-Esprit Fils, comme il vient d'être dit : « Il a répandu
Jean, x, 27-30. — » Act. n, 32, 33. a en nous avec abondance le Saint-Esprit par
568 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

«Jésus-Christ notre Sauveur ». Cette lecture a vra de ce qui est à moi, parce que toutes
terminée, qui appartient à mon Père, m'appartient à
Mnx. répondit : Comme on le voit, c'est bien a moi-même' ». Répondez donc à mon inter-
plutôt vous-même qui cherchez par des rogation, et prouvez jiar des témoignages de
retards volontaires, à nous empêcher de re- r Ecriture, que le Saint-Esprit est soumis au
venir à la question principale et qui préten- Christ. Car nous lisons au contraire ces pa-
dez par vos raisonnements nous retenir la roles du Christ lui-même « L'Esprit du Sei- :

journée entière sur le même sujet. Car nous « gneur est sur moi c'est pourquoi il m'a ;

vous lisons, nous, que le Saint-Esprit a été ré- «consacré pour évangéliser les pauvres^».
pandu par le Fils, et nous avons cité le té- S'il dit lui-même que le Saint-Esprit est sur

moignage non-seulement du bienheureux lui, comment pouvez-vous dire que ce même

Paul, mais encore de Pierre, le premier des Esprit lui est soumis? Cependant le Christ ne
Apôtres. Nous avons dit pareillement que le dit pas que le Saint-Esprit est sur lui, en ce
Saint-Esprit reçoit du Christ, en nous ap- sens qu'il soit au-dessus du Verbe de Dieu,
puyant sur ce témoignage cité plus haut « 11 : lequel est Dieu lui-même mais en ce sens ;

« me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui qu'il est au-dessus de l'humanité prise par le

a est à moi, et il vous l'annoncera». Et puisque Verbe quand il s'est fait chair. Car ces paroles
j'y suis de nouveau obligé, je répète ce que écrites par saint Jean « Le Verbe s'est fait :

j'ai déjà dit, savoir que le Saint-Esprit, soit a chair ^», ne signifient pas autre chose que

qu'il éclaire, soit qu'il enseigne, soit qu'il dis- ceci Le Verbe s'est fait homme. De même
:

tribue ses faveurs, exerce eu tout cela des quand Isaïe dit « Toute chair verra le salut :

pouvoirs qu'il a reçus du Christ car ; a toutes « de Dieu '»,il veut dire précisément, tout

« choses ont été faites » par le Christ, « et rien homme. Enfin, quand saint Paul écrit aux Ro-
« n'a été fait Le Christ dit qu'il a
sans lui ' ». mains : M Nulle chair ne sera justifiée par la
reçu lui-même de son Père tous ces dons, « loi *
», il faut entendre, nul homme. C'est

qu'il vit à cause de lui, et que toute langue donc parce que « le Verbe s'est fait chair »,
confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans et parce qu'il «s'est anéanti lui-même en pre-
la gloire de Dieu le Père ^ o Le Christ est le c( nantla forme d'esclave», c'est à raison même
« chef de tout honune ; l'homme est le chef de sa nature d'esclave, que le Christ a dit :

B de la femme Dieu est le chef du


; Christ ' ». « L'Esprit du Seigneur est sur moi» ; car leur

Le Saint-Esprit est soumis au Fils et le Fils ;


puissance est égale, leur nature est unique
est soumis au Père, comme un Fils bien-aimé, ainsi que leur divinité. Et quoique nous
très-obéissant et d'une perfection pareille à adorions une Trinité , parce que le Père
la perfection de celui qui l'a engendré. Car le n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père, le
Père n'a pas engendré un Fils qui lui soit op- Saint-Esprit n'est ni le Père ni le Fils ; nous
posé il a engendré au contraire un Fils qui
;
adorons cependant un Dieu unique, parce
a pu s'écrier et dire avec vérité « Je fais tou- : que l'union sublime et ineffable de la Trinité
« jours ce qui [ilaîl à mon Père ' ». nous révèle elle-même un seul Dieu, un seul
XL Auf/. Si le Christ éclaire par le Saint- Seigneur. De là cette parole « Ecoute, ô Israël ; :

Esprit ; et si en même temps le Saint-Esprit « le Seigneur ton Dieu est un Seigneur uni-

éclaire par le Christ, la puissance de l'un est «que * ». Pourquoi voulez-vous nous donner
donc égale à la puissance de l'autre. Lisez- deux dieux et deux seigneurs? Vous dites que
moi ()uelque part que le Saint-Esprit est sou- le Père est Seigneur, que le l'ère est Dieu ;

mis au Fils, comme vous l'avez dit il y a un vous accordez les mêmes titres au Christ je :

instant Vous rappelez cette parole du Sei- vous demande alors si tous deux ne font ce-
gneur à l'égard du Saint-Esprit « 11 rece- : pendant qu'un. Vous me répondez Ce sont :

« vra de ce qui est à moi » mais cette parole ; deux dieux. Il ne vous reste plus qu'à leur
a été dite en ce sens que le Saint-Esprit a élever des temples et à fabriquer leurs idoles.
reçu du Père, et que tout ce qui appartient au Max. La calomnie n'est jamais nécessaire

Père appartient aussi et sans aucun doute au contre ceux qui inventent une religion. Vous
Fils. C'est pour cela que le Chiist, après avoir m'avez demandé de vous citer des témoigna-
prononcé ces mots, ajouta « J'ai dit 11 rece- : :
'Jean, —'Isa. IL,
'
Jean, XVI, 11, 15 Luc, iv,18 i, 1 1. 5.
'
Jcan.i, 3. — M'Iulipp.M, 11. —' ICor. xi,3. — '
Jcan,viii, 29. — ' Rom. m, 20. — ' Deut. vi, 4.
AVEC MAXIMIN, ÉVÉQUE ARIEN. 569

ges et d'appuyer ainsi sur l'Ecriture ma pro- relativement au Fils, et nous reconnaissons
fession de foi : puis, vous-même vous déclarez que le Saint-Esprit lui-même est tout-puis-
reconnaître trois personnes semblables et sant. Et cependant nous ne disons pas qu'il
égales, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En- y a trois tout-puissants, comme nous ne disons
suite, après avoir ainsi professé l'égalité des pas qu'il y a trois dieux et comme, dans le :

trois personnes, par une évolution nouvelle, premier cas, les trois personnes ensemble ne
vous citez un témoignage des divines Ecri- font qu'un seul Dieu, de môme aussi dans le
tures, qui se rapporte non pas à cette égalité, second elles ne sont toutes trois qu'un seul
mais à l'unité du Dieu tout-puissant, à qui tout-puissant; et le Père, le Fils et le Saint-
seul est attribuée la création de toutes choses. Esprit sont un Dieu unique et invisible. C'est
Cependant, puisque vous êtes le plus avancé donc sans motif que vous nous croyez enve-
en âge, et que votre autorité est supérieure à loppés dans une contradiction numériiiue ,

la mienne, expliquez, prouvez d'aLord par tandis que la puissance de la divinité est au-
des témoignages de l'Ecriture (]u'il y a trois dessus même de la nature des membres. Et
personnes égales, toutes-puissantes, incréées, quand les âmes d'une multitude d'honnries,
invisibles, immenses : et alors enfin nous après avoir reçu le Saint-Esprit, après avoir
serons obligés de nous conformer à ces té- été en ([uelque sorte fondues ensemble sous
moignages. Supposé que vous ne puissiez le souille brûlant de la charité, quand ces
appuyer vos raisonnements sur les divines âmes sont devenues cette âme unique dont
Ecritures, l'obligation subsistera encore pour parle l'Apôtre : « Us n'avaient qu'un cœur et
moi de produire des témoignages, même aussi M qu'une âme
quand la charité du Saint-
' » ;

multipliés que vous le désirerez, relativement Esprit a fait un


cœur de tous ces cœurs,
seul
à tout ce que j'ai avancé ci-dessus, savoir : de tous ces milliers de cœurs; quand le Saint-
Que le Père ne reçoit la vie de personne que ;
Esprit appelle une seule âme toutes ces âmes
le Fils a reçu la vie du Père, car j'ai fait cette qu'il a lui-même réduites à cette unité ne :

profession; enfin ce que j'ai dit par rapport pouvons-nous pas avec bien plus de raison
au Saint-Esprit. ai)peler un seul Dieu, le Père, le Fils et le
XII. Aurj. Je vous ai demandé de vouloir Saint-Esprit, qui sont éternellement et insépa-
bien dire par quel texte de l'Ecriture vous rablement unis entre eux par les liens d'une
pourriez prouver que le Saint-Esj)rit est sou- charité inelTable ?
mis au Christ, et vous ne l'avez point dit je : Max. Mais par ces paroles mêmes vous
réponds néanmoins aux questions que vous exprimez cette ressemblance et cette égalité
m'avez posées. Nous ne disons point qu'il y a que vous n'avez pu cependant établir sur des
trois tout-puissants, par la même i-aison que témoignages de l'Ecriture ce qui vous a fait :

nous ne disons pas qu'il y a trois dieux. Si passer à un autre sujet. Pour nous, nous sa-
Ton nous interroge sur l'une des trois per- vons d'une foi certaine et qui exclut toute
sonnes en particulier, et qu'on nous demande hésitation, que tous les croyants n'avaient
si le Père est Dieu, nous répondons 11 est : qu'un cœur et qu'une âme. lit cela, loin de
Dieu et si l'on nous fait la même question
; porter préjudice à notre religion, est en par-
par rapport au Fils, par rapport au Saint- faite harmonie avec elle. Car assurément, si
Esprit, nous répondons de la même manière. tous les croyants n'avaient qu'un cœur et
Mais quand on nous demande par rapport qu'une âme, pourquoi ne pourrait-on pas
aux trois personnes en général, si elles sont dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne
trois dieux, nous nous rapportons à cette pa- sont qu'un par l'accord mutuel et l'harmonie
role des divines Ecritures : «Ecoute, ô Israël: parfaite, par la charité et l'union intime de
« le Seigneur ton Dieu est un Seigneur uni- sentiments qui régnent entre eux? Le Fils
« que » ; et cette prescri[)tion divine nous a-t-il jamais fait quelque chose qui ait déplu
révèle clairement que celte même Trinité est au Père ? Le Père a-t-il donné des ordres
un seul Dieu. De même si l'on nous interroge auxcjuels le Fils ne se soit pas soumis? ou
par rapporta l'une des trois personnes en par- bien le Saint-Esprit a-t-il transmis des com-
ticulier, et qu'on nous demande Le Père est- : mandements opposés à la volonté du Christ
il tout-puissant ? nous répondons : Il est ou à celle du Père? Il est d'ailleurs prouvé
tout-puissant ; nous faisons la môme réponse ' Act. IV, 32.
570 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

par cette parole du Sauveur « Mon Père : « ments et moi je prierai mon Père, et il
;

a et moi nous sommes un », que le Père et ' a vous donnera un autre avocat, afin que cet
le Fils ne font qu'un par la conformité de « avocat soit avec vous éternellement;
il vous

leurs pensées et de leurs sentiments. Mais, « donnera de vérité que ce monde ne


l'Esprit
comme le Cliristl'a decl.iré lui-même, le l'ère « [)iut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et

est le Père, sans avoir été jamais le Fils ;


«ne le connaît pas; mais vous, vous l'avez
le Fils est le Fils, et éternellement il demeure « vu, et vous le connaissez, parce qu'il de-
le Fils; le Saint-Esprit enfin est le Saint- «meure au milieu de vous et qu'il est en
Esprit. Par rappoit au Saint-Esprit et au sujet «vous' ». Si ces témoignages suffisent, je
du Saint-Esprit, nous professons ce qu'il est m'arrête; s'ils ne suffisent pas, j'en ajouterai
réellement et ce que nous lisons de lui Il est : autant que vous l'exigerez.
si grand et si parfait, que les anges eux- Xlll. Aiiç. Rien ne vous oblige à nous don-
mêmes brûlent du désir de le contempler *. ner les preuves des vérités que nous confes-
Ce même Esprit-Saint est si grand qu'il est ca- sons nous-mêmes; et comme je l'ai dit plus
pable de recevoir à la fois les supplications haut , en agissant ainsi vous ne réussissez
des hommes de toutes les parties de l'uni- qu'à perdre un temps très-précieux. Nous sa-
vers, et d'être leur fidèle avocat. Et je cite vons que le Fils de Dieu est le Fils de Dieu;
comme témoin de cette vérité le bienheureux nous savons qu'il n'a point reçu l'être de lui-
Paul qui Nous ne savons ce que nous
dit : « même, mais qu'il a été engendré par le Père.
« devons demander dans nos prières mais l'Es- ; Nous savons que le Père au contraire n'a pas
« prit lui-même demande pour nous avec des été engendré, qu'il n'a reçu l'être et la vie de
«gémissements inénarrables^». Je crois ce personne taudis que le Fils a reçu la vie du
:

queje lis, savoir «que le Saint-Esprit demande Père, non pas cependant en ce sens que pour
« avec des gémissements inénarrables». Et recevoir la vie, il ait dû, à une époque quel-
ainsi, instruit à l'école de saint Paul, je dis que conque, être sans vie. Car le Père a donné la
le Saint-Esprit est soumis en tant qu'il demande vie au Fils, précisément en engendrant la vie,
pour nous en gémissant. Mais je professe l'u- c'e^tà-dire en engendrant le Fils qui est la vie.
nité de Dieu, et non pas que trois sont un; Quant à l'égalité entre le Père et le Fils, elle
Dieu est un, au dessus de toute comparaison ,
nous est révélée dans ces paroles du Christ :
immense, infini, sans cuniniencement, in- « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi

visible il a reçu et il reçoit les |)rières du Fils


; « il a donné au Fils d'avoiraussi en lui-même

lui-même; près de lui enfin le Saint-Esprit « la vie * ». Le Père a la vie en lui-même ;

remplit l'office d'avocat. Le Fils, dis-je, prie le Fils a en lui-même une vie égale à la vie

le Père; en eUèt, bien que ce soit votre habi- du l*ère; cependant le Fils n'a point reçu la
tude d'appliquer à sa nature cor|)Oi elle tous vie de lui même, paice qu'il n'est point ué
ces témoignages que nous avons lus dans le de lui-même, étant né du Père. Le Père a
saint Evangile, notre devoir est de montrer donné la vie au Fils en l'engendrant, non pas
par une étude approfondie des divines Ecri- en ce sens que celui-ci existaitdéjà, mais sans
tures, que maintenant encore le Fils assis à la vie, lorsque la vie lui fut donnée; nous-
droite du Père intercède pour nous. Et voilà mêmes, lorsque nous avons été privés de la
pourquoi j'ai dit : 11 a prié et il prie; car il vie p ir le péché, nous la recevons ensuite par
est certain qu'il intercède pour nous mainte- une indulgence et une faveur gratuite mais ;

nant, suivant cette parole de l'Apôtre a Qui : il n'en est pas ainsi du Fils il a reçu la vie :

« accusera les élus de Dieu? Sera-ce le Dieu du Père, précisément parce qu'il est né du
« qui les justifie"? Qutl est celui qui les con- Père pour être lui-même la vie. Pour la
« damnerait? Serait-ce le Christ qui est mort, même raison vous n'avez pu dire que le
« bien plus, qui est ressuscité, qui est à la Saint-Esprit est soumis au Fils, si ce n'est en
« droite de Dieu, etpour
qui inlercède même ce sens qu'il intercède pour nous avec des gé-
« nous ? » Le Christ se trouvant encore au
' missements. Vous vous représentez cette sain-
milieu de ses disciples, leur promit de rem- teté si parfaite continuellement gémissante,
plir plus tard l'office de supiiliant « Si vous : sans aucune tiève à ses gémissements. con-
m'aimez, dit-il, observez mes coinmande- dition éternellement malheureuse! Compre-
' Jean, X, 30.— ' 1 Pierre, l, 12.— • Rom. vni, 26.— ' Id. 33, 31. •
Jean, XIV, 15-17. — Id. v. 26.
AVEC MAXIMIN , ÉVÉQUE ARIEN. S71

nez le sens de ces mots, et le blasphème ne sance de ces manières de parler, quand il est
souillera point \os lèvres. L'Apôtre dit que dit du Saint-Esprit qu'il intercède avec des
« le Saint Esprit intercè ie avec des gémisse- gémissements, vous ne le supposeriez pas
« mentspour nous donner à entendre que
», réduit à la triste condition de gémir véi ila-
le Saint-Esprit nousfait intercéder nous- blement. Car toujours gémir est-ce autre ,

mêmes avec des j;émissements. Car il lialjite chose que toujours être dans l'affliction ? Si
en nous, et en répandant la charité dans nos nous gémissons, nous, c'est précisément parce
cœurs, il nous fait intercéder avec des gémis- que l'alfliclion pèse sur nous. Ah rendons 1

sements. Enfin l'Apôtre dit en un endroit que grâces au Sainl-Espiit, dont il est dit qu'il
« le Saint-Esprit crie Abba, Père » et en :
'
;
gémit, parce qu'il nous fait gémir nous-
un autre endroit il dit que « nous crions par mêmes par l'amour des biens éternels il est ;

« le Saint-Esprit Abba, l'ère ^ » Ce premier


: : dit de lui qu'il pousse des cris, parce qu'il
texte o Le Saint-Esjirit crie
: Abba, Père», : nous fait crier nous-mêmes ; il est dit : « Ou
est expliqué par le second « Nous crions par : « plutôt, vous êtes connus de Dieu», parce que
« le Saint-Esprit ». D'où il suit que ces mots : ce même Esprit nous donne la connaissance
«Il crie», n'ont d'autre sens que celui-ci : de Dieu comme il fut dit à Abraham
; « Je :

« nous fait crier ».


11 Donnons un exemple de « sais maintenant », parce que Dieu lui don-

cette manière de parler. Dieu ne connaît-il nait cette connaissance.


pas dans sa prescience toutes les choses fu- Max. Vous montrez clairement combien
tures ? Personne ne serait assez insensé pour vous méritez vous-même les reproches que
le nier. L'Apôtre cependant s'exprime ainsi : vous nous adressez. 11 est certain, en effet,

Maintenant que vous connaissez Dieu, ou et la sainte Ecriture nous en avertit, que les
plutôt que vous êtes connus de Dieu ' ». Si longs discours ne sont point exem()ts de péché,
Dieu a commencé à les connaître seulement à et <\ue la s;igesse consiste à être sobre de pa-
l'époque présente, il ne les connaissait donc roles '. Cependant, quand il s'agit des témoi-
pas, il ne les avait point choisis, il ne les avait gnages des divines Ecritures , lors même
point prédestinés avant la création du monde. qu'on en citerait pendant un jour entier,
Mais saint Paul dit aux Galates « Maintenant : cette abondance de paroles ne devrait pas être
que vous connaissez Dieu, ou plutôt que regardée comme réellement excessive si, au :

« vous êtes connus de D eu », pour leur faire contraire, grâce aux ressources de la littéra-
entendre que Dieu leur avait donné la con- ture, ou à la fécondité naturelle de son esprit,
naissance de lui-même. « Vous connaissez quelqu'un débite un discours préparé avec
« Dieu »; qu'est-ce à dire « Vous connaissez : art, mais étranger à la sainte Ecriture, ses
« Dieu ? » Ne vous attribuez pas ce mérite, paroles sont alors oiseuses et superflues. Pour
n'en tirez point vanité; car « vous êtes con- moi, il me de vous avoir amené à recon-
suffit

« nus de Dieu » Qu'est-ce à dire . « Vous êtes : naître publiquement que le Père est le Père,
« connus de Dieu ? » Dieu vous a donné la parce qu'il n'a pas été engendré, parce qu'il
connaissance de lui-même; il vous a donné n'a reçu la vie de personne; que le Fils a reçu
de le connaître. Il en est de même de cette la vie du Père, et que le Saint-Esprit est le
parole du Seigneur « Je sais maintenant »,
: Saint-Esprit. Cependant, quand vous dites
quand il dit à Abraham « Je sais maintenant : qu'il n'y aqu'un seul Dieu, vous auriez par-
« que vous craignez le Seigneur * » Au mo- . faitement raison, si en même temps que vous

ment où ce patriarche jirend son fils pour confessez l'unité de Dieu, vous ne donniez,
l'offrir en holocauste. Dieu lui dit « Je sais : par une contradiction manifeste avec vous-
« maintenant ». Est-ce donc là toute la pres- même, le nom de Dieu unique au Père, au
cience divine? Dieu a-t-il commencé à le sa- Fils et au Saint-Esprit. Nous adorons, nous,
voir quand il a dit: «Je sais maintenant ? » un Dieu unique, lequel n'a été ni engendré,
Evidemment ces paroles: «Je sais mainte- ni formé, invisible, et qui n'est point des-
« tenant », signifient c'est maintenant que je: cendu jusqu'à la corruption humaine,jusqu'à
te fais savoir. Ainsi donc si vous aviez acquis, prendre un corps mortel. Quant au Fils, il
dans l'étude des divines Ecritures, la connais- est, suivant l'Apôtre, non pas un petit, mais

Galat. — Rom. vni — — un grand Dieu : « Attendant, dit saint Paul,


' rv, 6, , 15. ' Galat. iv, 9. *
Gen.
zxn, 12. ' Pcov. X, 19.
572 CONFÉRENCE DE SA!NT AUGUSTIN

a la bienheureuse espérance et l'avènement ce mot « bien-aimé », je crois que c'est le


de la gloire du grand Dieu, notre Sauveur Père qui aime, et le Fils qui est aimé. Quand
«Jésus-Christ' ». Or, ce grand Dieu, Jésus- on me dit que le Christ est Fils unique, je ne
Chrisf, dit en saint Jean « Je monte vers : doute pas qu'il soit seul engendré par un seul.
mon Père et votre Père, vers mon Dieu et Quand Paul s'écrie que le Christ est le pre-
« votre Dieu ^ » ; et ainsi il établit, en s'abais- mier-né ; « qu'il est l'image du Dieu invi-
sant lui-même, l'unité de Dieu. Celui-là donc a sible, le premier-né d'entre toutes les créa-
est Dieu unique, comme le déclarent les textes c( tures » ,
je professe alors , conformément
rapportés plus haut, qui est adoré par le Christ aux paroles mêmes des saintes Ecritures, que
et par le Saint-Esprit, et qui reçoit les respects le Fils est premier-né, et qu'il a réellement
et les hommages de toutes les créatures; c'est pris naissance. Saint Paul ajoute « C'est par :

en ce sens que nous le déclarons un non pas : B lui que toutes choses ont été créées, celles

cependant que cette unité de Dieu résulte de « qui sont dans les cieux et celles qui sont sur
l'union ou de la confusion du Fils avec le « la terre choses visibles et les choses in-
; les
Père, ni même du Saint-Esprit avec le Fils ou visibles, les Trônes, les Dominations, les

avec le Père. Celui-là seul, au contraire, est « Principautés, les Puissances toutes choses ;

Dieu unique et parfait qui, suivant ses propres « qui ont été faites par lui et créées en lui ; et
paroles, n'a reçu la vie de personne, et qui a « lui-même est avant tous, et tout subsiste en
donné au Fils d'avoir, à son exemple, la vie « lui '
» : voilà bien le Fils de Dieu, Dieu fils

en lui-même; nous les reconnaissons seule- imique puisqu'il est avant tous. D'ailleurs il
ment unis par la charité et par l'accord de dit lui-même « vu en mon : Je dis ce que j'ai

leurs sentiments. Mais, comme nous l'avons « Père ^ ». Enfin ce


(quoique selon même Fils

déjà démontré plus haut, le Sauveur lui- vous ces paroles s'appliquent à sa nature cor-
même nous déclare que le Père est différent porelle), ce même Fils s'exprime en ces termes
et tout à fait distinct du Fils, quand il dit :
dans le saint Evangile « Si vous m'aimiez, :

« Si jerends témoignage de moi-même, mon « vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais
« témoignage n'est point véritable il y en a ;
« à mon Père parce que mon Père est plus ;

« un autre qui rend témoignage de moi ». Et «grand que moi' ». En même temps que

afin que personne n'eût la pensée téméraire nous lisons ces paroles, nous croyons et nous
d'entendre par ces mots : « un autre » , saint professons suivant les enseignements de
,

Jean-Baptiste, ou même l'apôtre saintPierre ou l'Apôlre, que tout est soumis au Christ comme
saint Paul, le même Sauveur continue en ces à un grand Dieu. Mais ce grand Dieu, qui doit
termes « Vous avez envoyé vers Jean, et il a
: cette qualité au Père qui l'a engendré, a con-
« rendu témoignage à la vérité. Pour moi, ce fessé positivement, comme ses propres paroles
« n'est pas d'un homme que je reçois témoi- l'attestent, que le Père est plus grand que lui;
« gnage mais je dis ceci afin que vous soyez
;
el i)ar là il a établi que le Père est un Dieu
« sauvés». «Hélait », dit-il encore, « la lampe unique, dans le sein duquel habite le Fils,

« qui brûle et qui éclaire ; et un moment suivant le récit pompeux de saint Jean l'Evan-
« vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. géliste. Entendez aussi ce même évangéliste
«Mais moi, j'ai un témoignage plus grand dire et proclamer, relativement à l'invisibilité
« que celui de Jean. Les œuvres que mon Père du Dieu tout-puissant, que «jamais personne
« m'a données à accomplir, ces oeuvres mêmes « n'a vu Dieu le Fils unique qui est dans le ;

« (]ue je fais, rendent de moi le témoignage « sein du Père, est celui qui l'a fait connaî-

« que le Père m'a envoyé. Et le Père qui m'a en- « tre'». Instruit à cette école, saint Paul dit et
voyé, rend lui-même témoignage de moi ' », proclame à son tour: « Le bienheureux et
Qui serait assez insensé pour ne pas com- « seul puissant, le Roi des rois et le Seigneur
prendre que le Père, qui a rendu témoignage, «des seigneurs; qui seul possède l'innnor-
est différent du Fils qui l'a reçu ? Car c'est « talité, et habite une lumière inaccessible ;

assurément le Père qui a dit « Celui-ci est : « (lu'aucun homme n'a vu, ni ne peut voir ; à
«mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes « qui soit honneur et puissance à jamais.
« mes complaisances; écoulez-le' ». En lisant « Ainsi soit-iP». Ailleurs, il dit dans le même
'Tit. u, 13. —'Jean, xx, 17. — ' Id. v, 31-.i7. — •
Ma«. '
Coloss. \ , 15-17. — ' Jean, viii, ' Id. xiv, 28. — • Id. I,
ZTU, 5. 18. — ' 1 Tim. VI, 15, 16.
AVEC MAXIMIN, EVÉQUE ARIEN. 573

sens : « A Dieu, seul sage, gloire éternelle par foi catholique que je possède avec l'Eglise du
« Jésus-Christ. Ainsi soit-il » Ainsi nous pro- '
. Christ, dit qu'en Notre-Seigneur Jésus-Christ
fessons, nous, l'unité de Dieu, parce qu'il n'y le Verbe et la ciiair ont été unis sans que le
a qu'un seul Dieu, élevé au-dessus de toutes Verbe subît aucune atteinte de la corruption
choses, lequel n'a été ni engendré, ni formé, de la nature et de la chair humaines. 1! est
comme nous l'avons vous ne croyez établi. Si venu en etfet pour purifier, non point pour se
pas que malgré le témoignage
le Fils est né, souiller lui-même. Ainsi il a pris une âme
de saint Paul, qui le proclame le premier-né humaine et une chair humaine, mais en de-
de toute créature; croyez du moins au témoi- hors de toute atteinte de corruption il a même ;

gnage du Fils lui-même qui, à cette question voulu sauver en lui-même l'un et l'autre,
de Pilate « Vous êtes donc roi ? » répondit
: : c'est-à-dire l'àme et la chair humaines. Mais

« C'est pour cela que je suis né 'b. Je lis qu'il puisque vous ne voulez pas, ce me semble,
est né, et je professe ce que je lis; je lis qu'il admettre qu'il soit véritablement invisible,
est premier-né, et je me range à ce sentiment ;
considérez, je vous prie, que le Christ a été
je lis qu'il est Fils unique, et, dussé-je être visibleseulement en tant que revêtu de notre
attaché au chevalet, je ne tiendrai point un chair et de notre humanité. Car en tant qu'il
autre langage que les saintes
: je professe ce est le Verbe, Dieu en Dieu, il est, lui aussi,

Ecritures nous enseignent. Mais vous qui pro- invisible. Si le Christ est la sagesse de Dieu et
clamez l'unité du Père et du Fils, donnez au si la sagesse humaine est invisible, comment
Père le nom de seul engendré , le nom de la sagesse de Dieu pourrait-elle être visible?
premier-né, attribuez au Fils ce qui appar- Ainsi, relativement à cette nature par laquelle
tientau Père, dites que le Fils n'a pas été en- ilest égal au Père, il est pareillement Dieu,

gendré, qu'il n'est point né, dites que jamais pareillement tout-puissant, pareillement invi-
personne ne l'a vu, que personne même ne sible, pareillement immortel.
peut le voir. Attribuez ensuite au Saint-Esprit Vous avez dit aussi, autant que j'ai pu le
ce que l'Ecriture attribue au Père, dans les remarquer, que cette parole de l'Apôtre :

textes cités plus haut, pour montrer que le «Lequel seul i>ossède l'immortalité '», doit
Saiut-Esprit est égal au Père. Parlez, je vous être entendue de telle sorte qu'elle soit re-
prie, rangez-moi parmi vos disciples. Disser- gardée comme s'appliquant au Père exclusi-
tez sur le Fils, démontrez qu'il n'est point né, vement. Voulez-vous donc que le Verbe de
qu'il n'a pas eu de commencement. S'il est Dieu soit mortel? Suivant vous, la sagesse de
égal, il est semblable; s'il est semblable, par Dieu n'est pas immortelle. Ne comprenez-vous
là même il n'est point né s'il n'a pas de ; pas que le Fils n'aurait pu, en aucune manière,
naissance, il s'ensuit qu'il n'a été vu par aucun subir la mort, n'avait pris
noire chair
s'il

homme. Donnez vos témoignages, éclairez- mortelle? Enfin, c'est la chair qui est morte
moi, enseignez-moi et vous me compterez , en lui, et non point
lui qui est mort en tant
parmi vos disciples. qu'il est Dieu,en tant qu'il possède la divinité
XIV. Aug. Vous avez dit que vous adorez par laquelle il est égal au Père. En effet, il a
un seul Dieu, autant que j'ai pu le remarquer parlé aux hommes en ces termes «Ne crai- :

dans votre discours conséquemment ou bien : « gnez point ceux qui tuent le corps, et qui
vous n'adorez pas le Christ, ou bien vous ado- « après cela ne peuvent plus rien faire*» ; il
rez non pas un Dieu unique, mais deux dieux. a parlé ainsi, dis-je, parce que l'âme ne sau-
Vous avez dit aussi relativement au Père qu'il rait mourir Verbe de Dieu peut mourir?
: et le
n'est point descendu jusqu'à la corruption et la sagesse de Dieu est sujette à la mort? et
humaine, jusqu'à notre chair mortelle. Vous ce même Fils unique aurait pu mourir avant
ne savez peut-être pas que le mot corruption d'avoir pris un corps? Au reste, après son
renferme toujours l'idée de quelque souillure; incarnation par laquelle il s'est fait homme,
et quand vous avez voulu faire entendre que il a reconnu tantôt son égalité : « Mon Père et
le Christ est descendu jusqu'à la corruption «moi, dit-il, nous sommes un"»; et tantôt
humaine, vous avez déclaré par là même que son infériorité en tant qu'il est «le Verbe fait
le Christ a été souillé par le corps humain dont « chair et qu'il a habité parmi nous' ». « II n'a
il s'est revêtu. Moi au contraire, ou plutôt la « point cru que ce fût une usurpation de se
Rom. XVI, 27. — ' Jean, xvm, 37. ' ITim. VI, Ifi.— Luc, XII, 4.— '
Jean, x, 30.— '
Id. i, 11.
374 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

« faire égal à Dieu ». Il l'était par nature, non qui ne s'est pas accomplie dans le temps, mais
par usurpalion; il n'a pomt pris injustement dans l'éternité, si le Christ est constamment
ce litre, il le possédait par droit de naissance. le même, et que néanmoins il soit inférieur
Et néanmoins « il s'est anéanti en prenant la au Père, sa condition est donc pire que
B nature d'esclave». Vous avez vu son égalité, celle des hommes; car un homme du moins
commencez maintenant à reconnaître son infé- peut grandir et parvenir un jour à l'âge et
riorité, a prenant la nature d'esclave, devenu à la force de son père, tandis que le Christ
c< semblable aux Lommes, et revêtu extérieure- n'aura jamais ce pouvoir : comment dès lors
o ment de la forme d'homme '«.Voilà sa nature est-il véritablement fils? Mais en réalité nous

parlaquelle il est inférieur au Père : ne confon- reconnaissons tellement au Fils la qualité de


dez pas l'économie de son incarnation avec sa grand Dieu, que nous le déclarons égal au
divinité, qui demeure sans jamais mourir, et Père. Ainsi, c'est bien vainement que vous
ne vous égarez point dans des paroles que avez voulu nous prouver par des témoignages
vous aimez singulièrement à citer, mais que de l'Ecriture et par de longues paroles, ce que
vous ne daignez pas méditer sérieusement. nous professons hautement. Quand le Christ
Je professe que le Fils est né, comme vous disait « Mon Dieu et votre Dieu'», il pen-
:

déclarez vous-même Père est sans nais- i|ue le sait à la nature humaine dont il était revêtu.

sance. Mais quoique l'un soit né et que l'autre Au reste, quant à ces paroles de saint Jean :

ne soit point né, ils ne sont pas pour cela «Au commencement était le Verbe, et le
de nature et de substance diverses. En effet, B Verbe était Dieu^», ces paroles ne signifient

celui qui est né, est Fils par là même s'il est ; lioint que le Père e^t Dieu d'un autre Dieu,
Fils, il est Fils véritable, parce qu'il est seul mais bien qu'il est Dieu du Christ en tant que
engendré. que nous aussi nous
Il est vrai le Christ s'est fait homme. C'est pour cela que
sommes mais sommes-nous tons
appelés fils: le Christ dit lui-même dans les psaumes, en
autant de Ois uniques ? Ce n'est pas ainsi quel sens Dieu est sou Père « Dès le sein :

qu'il est Fils unique: il est Fils par nature, a de ma mère vous êtes mon Dieu'». En di-

tandis que nous sommes fils par grâce; étant sant qu'il est son Dieu dès le sein de sa
Fils unique né du Père, il est absolument le mère, il montre que le Père est Dieu à l'égard
même que le Père quant à la nature, quant à du Fils, en ce sens que celui-ci est homme et,
la substance. Prétendre qu'il est d'une nature comme tel, inférieur au Père. Voilà pourquoi
diOérente, précisément parce (|u'il est né, c'est ilditen saintJeau: 6 Mou Dieu et votre Dieu».
nier qu'il soit fils véritable. Nous avons au De la aussi celte soumission que nous ne de-
contraire le témoignage de l'Ecriture « Afin : vons pas nous étonner de lui voir rendre,
« que nous soyons en son Fils véritable Jé>us- comme homme, au Père, puisque suivant
« Christ; c'est lui-même qui est le vrai Dieu l'Ecriture, il était soumis même à ses parents*
« et la vie éternelle ' » Pourquoi est-il « le vrai . et que celte même Ecriture dit de lui «Vous :

o Dieu?» parce qu'il est le vrai Fils de Dieu. «l'avez abaissé un peu au-dessous des anges'».
En effet, il a été donné aux animaux d'engen- Je voudrais aussi, pour notre instruction,
drer exclusivement des êtres semblables à entendre de votre bouche quelques paroles de
eux-mêmes et tandis qu'un homme engendre
; l'Ecriture attestant que le Père est adoré par
un homme, qu'un chien engendre un chien. le Sainl-Esjjril. J'apprends par les paroles du
Dieu n'engendrerait pas un Dieu? Si donc le Fils, bien que vous n'en apportiez aucun té-
Fils est de la même substance, pourquoi le moignage, que celui-ci comme homme adore
déclarez-vous inférieur? Serait-ce peut-être Dieu vous ne me lisez, je le répète, aucun
:

parce que, quand un père humain engendre texte à cet égard, mais on admet cela facile-
un fils, bien que ce soit alors un homme qui ment, dès lors qu'il s'agit uniquement de son
engendre un homme, celui qui est engendré humanité. CepenJanl je reclame de vous ex-
cstcependant inférieur à celui qui l'engendre? piessement la lecture d'un te^le établissant
Dans ce cas, nous n'avons qu'à attendre que le que le Père est adoré par le Saint-Esi»ril, ou
Christ grandisse, comme nous voyons grandir du moins rappelez-nous un témoignage divin
les honunes engendrés jiar d'autres hommes. à cet égard il est possible qu'il en existe,
;

Si au contraire le Christ, depuis sa naissance,


' Jean, xx, 17. — '
Id. i, 1. — ' Ps. xxi, U. — ' Luc, il, 51. —
' Phllipp. II, 6, -. — =
1 Jean, v, 20. ' Ps. vm, 6.
AVEC MAXIMIN, ÉVÉQUE ARIEiN. 575

mais ils m'échappent dès que vous en ; mutuel et la charité qui produisent l'unité
aurez trouvé quelqu'un, je vo\is dirai dans du Père et du Fils, quand vous m'aurez
ma ré[)onse en quel sens doit être il entendu, prouvé par l'Ecriture qu'il y a unité entre
comme je l'ai fait, relativement aux gémisse- des natures différentes, je songerai alors quelle
ments du Saint-Esprit, à l'aide d'une forme réponse je dois vous faire. Nous lisons bien :

de langage usitée dans l'Ecriture. Vous dites « Celui qui plante et celui qui arrose sont une
encore que le Père, le Fils et le Saint-Espi it ne « SHule chose » ; mais tous deux étaient des
'

sont point, par cette union ineffable, un seul hommes ; leurs natures étaient les mêmes et
Dieu voulez-vous savoir jusqu'où va celte
: non point Nous lisons aussi ces
différentes.
union ? Certes, il est manifeste, non point paroles de Jésus-Christ lui-même « Afin :

d'après nos propres paroles, mais d'après le lan- « qu'ils soint une seule chose, comme nous

gage de l'Ecriture, que l'esprit de l'homme et «sommes nous-mêmes une seule chose ^ ».
l'Esprit du Seigneur sont tout à fait diUérents : Il ne dit point Afin qu'eux-mêmes et nous :

De là ces mots de saint Paul « Le Seigneur est : nous ne soyons qu'une seule chose mais il ;

c Esjirit '
», c'est-à-dire, il n'a point de corps ; dit « Afin qu'ils ne soient qu'une seule
:

et cependant l'Apôtre dit : « Celui qui s'unit « chose », dans leur nature et leur substance
a à une prostituée, devient un même corps propre, unis en quelque sorte et comme fondus
« avec ellemais celui qui s'unitau Seigneur
; ensemble dans une égalité et un accord par-
«est un seul esprit avec lui * ». Ainsi cette faits de même que le Père, le Fils et le Saint-
;

union d'esprit de natures différentes (l'esprit Esprit ne sout qu'une seule chose à raison de
de l'homme et l'Esprit de Dieu étant liillerents leur nature indivisible et identique.
11 y a en

l'un de l'autre), cette union, dis-je, forme un une grande dillérence entre ces mots
effet :

seul Esprit et vous ne voulez pas que le Fils


; unum siiiit (ne sont qu'une seule chose) et
soit tellement uni au Père, qu'il ne soit avec ceu.\-ci iinus est (est un). Les premiers dé-
:

lui qu'un seul Dieu ? 11 faut f^n dire autant du signent une substance unique, lors même que
Sainl-Esprit, qui est Dieu. Car du reste si le le mot chose n'est pas exprimé. Les seconds,
Saint-Esprit n'était pas Dieu, certainement ilne appliqués à deux substances différentes, éveil-
pourrait pas nous avoir nous-mêmes pour tem- lent nécessairement l'idée d'une personne
ples. Or, il est écrit en saint Paul: «Nesavez- unique. Par exemple, l'àine et le corps sont
« vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et des substances différentes, et cependant elles
« que l'Esprit de Dieu habite en vous ^ ? » et ne font (ju'un seul homme de même l'esprit :

encore « Ne savez-vous pis que vos corps


: de l'homme et l'Esprit de Dieu sont des
« sont en vous un temple intérieur du Saint- substances différentes, et cependant quand
ciEsfirit, que vous avez reçu de Dieu ? » '•
riiomme « s'unit au Seigneur, il devient un
Est-ce que, si nous élevions à un ange d'une « seul esprit avec lui ' » ; saint Paul dit :

sainteté et d'une perfection éminentes, un « Un seul esprit », il ne dit point: Ils ne sont
temple de bois et de pierres, nous ne serions qu'une seule chose. Ces dernières expressions
pas frappés d'analhème par la vérité de Jésus- désignent toujours une substance unique ,
Christ et par l'Eglise de Dieu, et cela parce bien que vous prétendiez le contraire et qu'en
que nous rendrions à une créature un culte même temps vous ayez la témérité d'affirmer
qui n'est dû qu'à un seul Dieu ? Si donc nous que vous reconnaissez le Chiist comme vrai
serions cou| ables de sacrilège en bâtissant un Fils de Dieu. De plus, le Père n'est pas plus
temple à une créature quelconque, comment grand parce qu'il rend témoignage du Fils;
n'est-il pas vérilablement Dieu, celui à qui car les Prophètes aussi ont rendu témoignage
nous ne bâtissons point de temple, mais dont au Fils. A la vérité, celui qui rend témoignage
nous sommes nous-mêmes les temples ? Quant et Celui à qui il est rendu, font distincts l'un
à ces paroles de Jésus-Christ « Comme le : de l'autre, parce que le Père est le Père, et
« Père a la vie en lui même, ainsi il a donné que le Fils est le Fils mais non point parce ;

a au Fils d'avoir en lui-même la vie ^ », je que le Père et le Fils ne sont ni une seule
vous ai dit plus haut ce qu'elles signifient. chose ni un seul Dieu, quand ils sont (et ils
Mais puisque vous prétendez que c'est l'accord le sont toujours) unis ensemble de l'union
la plus étroite et la plus intime. Vous
• II Cor. in, 1". — I Cor. \i, 16, 17. — • I Cor. m. 16. — ' Id
VI, 19. — ' Jean, v, 2G. ' I Cor. in, 8. — ' Jean, xvn, il. — ' I Cor. vi, 17.

576 CONFERENCE DE SAINT AUGUSTIN

dites aussi que la différence entre le Père et Dieu. Vous dites aussi cjue le Père n'a point
le Fils vient de ce que le Père aime, tandis que été fait, comme si le Fils, par qui toutes clioses

le Fils est aimé ; comme si vous pouviez nier ont été faites avait été fait lui-même.
,

que le Fils aime le Père. Si donc ils s'aiment Sachez donc que le Fils a été fait, mais seu-
tous deux d'un amour réciproque, pourquoi lement par rapport à sa nature d'esclave. Car
niez-vous qu'ils soient d'une seule nature ? par rapport à sa nature divine, non-seulement
J'ai dit, relativement au Père, qu'il a été il n'a pas été fait, mais c'est par lui que toutes

appelé plus grand que le Fils, à cause de la choses ont été faites. S'il eût été fait lui-
nature d'esclave dont celui-ci s'est revelu : même , toutes choses n'auraient point été
j'en dis autant encore de son invisibilité : le faites par lui, mais seulement celles qui ne
Fils a été appelé visible à raison de cette sont point lui. Ainsi, je ne dis pas que le Fils

même nature d'esclave. Du reste, par rapport n'a point été engendré je dis au contraire ;

à la nature divine elle-même, soit du Père, que Père a engendré et que le Fils a été en-
le

soitdu Fils, soit du Saint-Esprit, elle est abso- gendré. Mais en même temps le Père a en-
lument invisible. Et quand la divinité se gendré un Fils identique à lui-même autre- :

manifestait à nos pères, elle révélait son invisi- ment, c'est-à-dire si le Fils n'était pas abso-
bilité par les créatures mêmes qui lui ser- lument le même que le Père, il ne serait
vaient d'intermédiaires. Car par sa yiropre jioint Fils véritable; comme nous avons éta-
nature elle est tellement invisible, que Moïse b.i ci-dessus, jiar rapport à la génération des
lui-même, avec qui le Seigneur parlait face à êlres animés, que les enfants véritables sont

face, disait « Si j'ai trouvé grâce devant


: d'une nature identique à celle de leurs pa-
« vous, montrez-vous à moi vous-même en rents. Mais pourquoi demandez-vous que je
« toute évidence*». Il voulait voir Dieu comme vous montre le Saint-Esprit égal au Père,
on le voit des yeux du cœur, suivant ces pa- comme si vous aviez montré vous-même le
roles « Bienheureux ceux qui ont le cœur
: Père ])lus grand que le Saint-Esjirit, ainsi que
«pur, i)arce qu'ils verront Dieu * ». Celui à vous avez pu le faire jiar rapport au Fils, à
(|ui il disait o Montrez-vous à moi vous-
: raison de sa nature d'esclave ? Nous savons
« même en toute évidence », il voulait le voir que le Père a été proclamé plus grand que le
de la même manière que l'on voit aussi les Fils, parce que celui-ci était revêtu de la na-
perfections invisibles de Dieu, par les choses ture d'esclave ; aujourd'hui même il possède
qui ont été faites. Car, dit l'Apôtre, « ses per- encore la nature humaine qu'il a élevée dans
« feclions invisibles, devenues compréhensl- les cieux c'est pour cela qu'il a été dit de
;

8 blés par les choses qui ont été faites, sont lui, que maintenant encore « il intercède pour
a rendues visibles aussi bien que sa puissance « nous ». Et celte même nature immortelle
'

a éternelle et sa divinité ' ». Ainsi les perfec- subsistera éternellement dans son royaume :

tions invisibles de Dieu se laissent voir à ceux de là ces paroles lui-même : « Alors le Fils

qui en ont l'intelligence, et cependant elles « sera soumis à celui qui lui a soumis toutes

sont appelées invisibles. Et après que tout a « choses ^ ». Mais pour le Saint-Esprit qui ne

été fait par le Christ ', les choses visibles et s'est uni hypostatiquement aucune créature,

les choses invisibles, nous pourrions croire bien qu'il ait daigné, lui aussi, se montrer
qu'il est lui-même visible ? Vous dites pareil- visiblement par l'intermédiaire des créatures,
lement qu'on doit entendre du Père seul ces tantôt en forme de colombe, tantôt en forme
paroles de l'Apôtre: « A Dieu seul sage "*». de langues de feu, jamais il n'a été dit que le
Donc le Père seul est un Dieu sage, et la sa- Père fût plus grand que lui jamais il n'a été ;

gesse de Dieu, c'est-à-dire le Christ, (|ue l'A- dit que le Saint-Esprit eût adoré le Père, ni
pôtre désigne en ces termes « Le Christ, la : qu'il fût inférieur au Père. Vous dites enfin :

B puissance de Dieu, et la sagesse de Dieu "


», « Si le Fils était égal, il nécessairement
serait
cette sagesseelle-même n'est point sage 11 ne 1 «semblable» : c'est-à-dire que, le Fils ayant
vous reste plus qu'à déclarer (et votre témé- été engendré, il ne vous |iaiaU [)oinl sembla-
rité n'en sera point effrayée), il ne vous reste ble au Père, qui ne l'a pas été. Vous pourriez
plus qu'à déclarer insensée la sagesse de dire de même ([ue ces êtres engendrés par
Adam n'étaient point des hommes, parce que
' Exoa. xxxilr, 11, 13. — '
Malt. V, S. — ' Rom. I, 20.
' Jean, I, 3. — • Rom. xvi, 27. — '
1 Cor. i, 21. ' Rom. \lll, 31. — ' 1 Cor. xv, '28.
AVEC MAXIMIN, ÉVËQLE ARIEN.

Adam lui-même non pas engendré,


avait été « confesse que le Seigneur Jésus-Christ est
mais créé par Dien. au coMtr;iire Adam a
Si « dans la gloire de Dieu le Père '
». Dans ces
pu exister sans avoir été engendié, et si en parole^ : « Afin qu'au nom de Jésus tout ge-
même temps il a pu engendrer des êtres tout « nou au ciel, sur la terre et dans
fléchisse
à fait semblables à lui-même, comment pré- «les enfers», dans ces [laroles, dis-je, sont
tendez-vous que Dieu n'a pu engendrer un comprises toutes les créatures. Rien dans le
Dieu égal à lui même ? Je crois avoir répondu ciel qui ne fléeliisse le genou devant le
,

à tontes vos questions. Mais si vous ne voulez Christ tout ce qui est resté sur la terre, tout
;

pas être mon disciple, épargnez-moi du moins ce qui existe dans les enfers, tout absolument
la longueur de vos discours. fléchit le genou devant le Christ. Et c'est le
XV. Max. Vous parlez comme un homme Père qui lui a donné ce privilège. Les lecteurs
qui s'appuie sur le secours des princes, nulle- sont en état de prouver si, en raisonnant ainsi,
ment suivant la crainte de Dieu. J'ai eu la pa- je m'appuie sur mon autorité propre ou, ,

tience de vous écouter pendant de longues comme vous m'en accusez, sur la facile abon-
heures, vous vous êtes expliqué comme il dance de mes paroles, ou bien au contraire
vous a plu. Avec le secours de Dieu nous ré- si mes réponses sont fondées sur le témoi-
pondrons à tout. Car notre force ne réside gnage des divines Ecritures.
point dans des paroles purement humaines, XVII. Vous dites que le S.iint-Esprit est égal
mais dans le témoignage des divines Ecri- au Montrez-nous des textes de l'Ecriture
Fils.
tures. Seulement si nous avons eu la patience attestant que le Saint-Esprit est adoré, que
d'écouter vos explications, ayez la même pa- tout genou fléchit d. vaut lui au ciel, sur la
tience à notre égard, afin que nous répon- terre et dans les enfers. Pour nous, nous avons
dions à chacun de vos raisonnements, comme appris que Dieu le Père doit être adoré, de la
vous avez vous-même répoudu aux nôtres bouche du bienheureux apôtre Paul a C'est :

autant qu'il vous a plu. a pourquoi, dit-il, je fléchis les genoux devant
XVI. Pour nous , nous adorons le Christ « le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de
comme Dieu de toute créature; car il reçoit les a qui toute paternité tire son nom au ciel et

adorations et les hommages non-seulement du sur la terre * ». Nous adorons le Père, sur
genre humain, mais même de toutes les puis- le léruoignage des saintes Ecritures ; ins-
sances célestes. Entendez le bienheureux Paul truitségalement par ces mêmes di\ines Ecri-
qui s'écrie : « Ayez en vous les sentiments tures, nous rendons nos homm:iges et nos
« qu'avait en lui Jésus-Christ ; lequel étant adorations au Christ Dieu. Sri est dit quelque
« dans la nature de Dieu n'a pas ciu que ce part que le Saint-Esprit doit être adoré, si le
a lût une usurpation de se faire égal à Dieu ;
Père ou le Fris lui a rendu ce témoignage, si
a mais qui s'est anéanti lui-même, prenant la lui-même s'est attribué ce jiriMlege , lisez
a nature d'esclave, étant devenu semblable cela dans les divines Ecritures, quand nous
« aux hommes et se montrant avec les formes aurons Oni de parler.
« extérieures de l'humanité. Il s'est humi- XVIII. Le même Apôtre, après avoir dit que
« lié lui-même rendu obéissant
, s'étant le Chr ist est à la droite de Dieu, qu'il intercède
«jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la pour nous ', continue la même pensée en un
« croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté et autre endroit : « Recherchez, dit-il, les choses

« lui a donné un nom qui est au-dessus de a d'en haut, oîi le Christ est assis à la droite
«tout nom». Sans doute vous avez jugé à « de Dieu'». Dans sou épître aux Hébreux il
propos dans votre discours de passer ces pa- dit encore a Après avoir oiiéré la puritica-
:

roles sous silence, sachant bien qu'elles sont a tion des péchés, il s'est assis au plus haut des
contraires à votre profession de foi et que « cieux à la droite de la suprême giandeur '».

cette lecture vous condamnerait. Car après Le Saint-Esprit lui-même avait fart longtemps
avoir dit que « Dieu lui a donné un nom qui avant, et par la bouche d'un proi)hète, une
a est au-dessus de tout nom », l'Aiôlre dé- prédiction conçue en ces termes « Le Sei- :

clare que tout genou devant le Christ:


fléchit « gneur a drt a mou Seigneur Asseyez-vous :

a « qu'au nom de
Afin », ajoute-t-il aussitôt, a à ma droite ». EuQn, le Fils a fait, dans
a Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la
' PiiUipp. H, 5-11. —
' Ephés. m . 14 , 15. — ' Rom. viu, 34. —
«terre et dans les enfers ; et que toute langue * Colosa. Ul, 1. —
' Hêbr. l, 3.

S. ACG. — TOMB XIV.


.

S78 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

l'Evangile, une déclaration expresse à cet parlé vous-même en ce sens. Car nous ne de-
égard '. Et ensuite, au prince qui lui adres- vons pas pousser l'opiniâtreté jusqu'à refuser
sait cette adjuration a Dites-nous si vous : d'applaudir à ce que vous dites de bien. Votre
a êtes le Christ, Fils du Dieu béni », il répon- langage a été parfaitement juste quand vous
dit : « Je le suis », ou du moins a Vous le : avez dit que le Christ est venu plutôt pour
B dites » ;
puis il ajouta : a Un jour vous ver- nous purifier de nos péchés et de nos ini-
8 rez le Fils de l'homme assis à la droite de la quités; sans toutefois se souiller lui-même,
« puissance de Dieu - » comme vous l'avez dit encore. Car, par rap-
XIX. Nous rendons de justes honneurs au port à cette heureuse substance de sadivinité,
Saint-Esprit comme docteur, comme guide, qu'il possédait avant la création du monde,
comme illuminateur, comme sancliflcateur; avant les siècles, avant les temps, avant les
nous offrons nos hommages au Christ comme jours, les mois et les années, avant qu'aucun
créateur nous adorons avec une piété sin-
; être existât ou seulement qu'il fût l'objet
cère le Père comme principe de toutes choses, d'une pensée, il est certain, dis-je, que dans
et en tout lieu et devant toutes sortes de cette heureuse nature le Christ est Dieu, né
personnes nous le proclamons principe uni- du Père.
que. Au
calomnies sont des inspi-
reste, ces XX. Quand il s'agit de Dieu, on ne doit em-
rations de votre science philosophique. Je ployer que des comparaisons dignes. Ce qui
ne pense pas que vous ayez lu ces paroles de me déplaît, ce qui m'a causé une douleur
l'Apôtre a Le Christ, qui assurément n'était
: profonde, c'est de vous avoir entendu dire
a point pécheur, a été de par la volonté de Dieu qu'un homme
engendre un homme, et qu'un
a rendu péché pour l'amour de nous, afin chien engendre un chien une comparaison :

a qu'en lui nous devinssiousjuslicedeDieu^». si ignoble ne devait pas être employée à l'é-

Peut-être aussi n'avez-vous pas connaissance gard d'une si haute majesté.


de ces paroles de l'Ecriture « Maudit soit : XXI. Mais qui donc ignore que Dieu a en-
« quiconque est pendu au bois » j paroles que gendré un Dieu, que leSeigneur a engendré un
le bienheureux apôtre Paul a interprétées Seigneur, que le Roi a engendré uu Roi, que
ainsi dans son épître aux Calâtes « 11 est de- : le Créateur a engendré un Créateur, que celui
a venu malédiction pour nous, afin que la qui est bon, sage, clément, puissant, a en-
a bénédiction fût accomplie sur lesGentils*». gendré un fils bon, sage, clément, puissant?
Vous ignorez également ces autres paroles du Le Père engendrant le Fils n'a fait aucune
même Apôtre « Le premier homme, Adam, : réserve frauduleuse. 11 a engendré ce Fils in-
a tiré de la terre, est terrestre ; le second finiment bon, non point avec un sentiment
a homme, le Seigneur, venu du ciel, est cé- de jalousie, mais parce qu'il est lui-même la
a leste ^'
». Ces dernières paroles prouvent que source de toute bonté, comme toutes les créa-
le Christ a pris réellement la
nature hu- tures en rendent témoignage car vous l'avez :

maine, comme
vous l'avez expliqué vous- reconnu vous-même, et je vous en fais mes
même; et voilà pourquoi nous disons qu'il éloges sincères, quand vous avez dit, en citant
est descendu jusqu'à la corruption terrestre. un passage des divines Ecritures : a Ses per-
Nous n'ignorons pas en effet qu'il est écrit de a fections invisibles, reuduescompréhensibles,
lui « 11 n'a point commis de péché, et le men-
: a depuis la création du monde, par les choses
a songe n'a point été trouvé sur ses lèvres « qui ont été faites, sont devenues visibles
;

« quand il était mauditjilnemaudissait point; « aussi bien que sa puissance éternelle et sa


a quand il recevait de mauvais traitements, il a divinité ' ».
« ne menaçait point; il s'abandonnaitavec con- XXII. J'ajoute maintenant, non point pour
« fiance à celui qui le jugeait avec justice '
». contredire votre discours dans ce qu'il a
Nous connaissons pareillement ces paroles de d'exact, mais pour y conformer mon senti-
saint Jean-Baptiste : «Vuici l'Agneau de Dieu, ment, que les beautés infinies de la
j'ajoute
«voici Celui qui ôte le péché du monde '
». création font connaître dignement le créa-
PointdedifûcuUéàcetégard.puisquevousavez teur et le culte qui lui est dû. Je crois avoir
déjà répondu à ce sujet. Et du reste, le bien-
' Ps. cix, 1 ; Matt. xxu, 44. — '
Marc, xiv, 61, 62 ; Malt, xsvi,
heureux Paul a encore Le Christ a aboli,
63 , 64. — • Il (Jor. V, 21. — • Deui. xxi, 23; Galat. m, 13. — dit : c
' I Cor. XV, 17. _ • i Pierre, ii, 22, 23. ' —
Jean, i, 29. '
Rom. I, 20.
AVEC MAXIMIN, ÉVÊQUE ARIEN. 579

en l'attachant à la croix, la cédule même humaine unie à un corps ne peut cependant


« qui nous était contraire, et se dépouillant être vue des yeux de ce corps; à plus forte
a de sa chair, il a, avec une noble fierté, em- raison le Créateur de l'âme ne saurait être vu

mené les puissances et les principautés de ces mêmes yeux corporels. Car si les anges
a captives, triomphant d'elles en lui-même'». sont invisibles par l'essence même de leur
Cependant supposé que, en maqualité d'homme nature, combien plus doit l'être aussi le Créa-
étranger à la connaissance des belles-lettres et teur des anges qui a élevé à un état si sublime
à la science de la rhétorique, supposé que et si parfait les anges, les archanges, les trônes,
j'eusse conmiis quelque faute dans mon lan- les dominations, les principautés, les puis-
gage, vous auriez dû vous attacher unique- sances, les chérubins, les séraphins! Nous
ment au sens, et laisser passer inaperçue une lisons dans l'Evangile que le genre humain
faute de langage, au lieu de m'en faire un tout entier n'est, au jugement du Christ lui-
sujet de reproche. Mais à Dieu ne plaise, certes, même, que comme une seule brebis, en com-
que j'aie parlé ainsi I Et sans aucun doute le paraison de cette multitude d'esprits célestes:
Dieu seul engendré est le Dieu de toute la « Laissant, dit-il, quatre-vingt-dix-neuf brebis
création, il est pur et sans tache, il est saint, il « sur les montagnes, il est venu chercher celle
est à l'abri de tout péril, comme il est exempt « qui était égarée» ; et plus loin : « De même
de toute souillure. Aussi « celui qui n'honore « ily aura plus de joie dans le ciel pour un
« point le Fils, n'honore point le Père qui l'a « seul pécheur faisant pénitence, que pour
« envoyé*». Et l'évangéliste, après avoir dé- « quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas
claré que « le Verbe s'est fait chair, et qu'il a « besoin de pénitence'». Car assurément quels
«habité parmi nous», l'évangéliste ajoute : sont ceux qui n'ont pas besoin de pénitence,
« Nous avons vu sa gloire comme la gloire sinon ces puissances célestes qui n'ont rien
« qu'un fils unique reçoit de son Père; il était de commun avec la nature humaine ? Il
« rempli de grâce et de vérité'». Antérieure- faut donc concevoir la plus haute idée de la
ment à l'Evangile, l'Ancien Testament renfer- puis.-ance du Fils unique de Dieu, et admirer
mait précisément sur ce sujet une prédiction en lui l'immensité de la toute-puissance de
ainsi conçue « 11 lavera sa robe dans le vin,
: Dieu le Père, qui a engendré un Fils si grand
« et son manteau dans le jus de la vigne*». et si parfait, si puissant et si sage, tel en un
Je crois ce que je lis, savoir que «le Verbe s'est mot qu'il a pu créer ces puissances célestes si
«fait chair, et qu'il a habité parmi nous». grandes elles-mêmes et si parfaites. Mais afin
Je lis ensui'e ces paroles du bienheureux Paul : d'éviter toute abondance excessive de paroles,
» 11transformera le corps de notre humilité, puisque vous avez daigné tout à l'heure nous
« pour le rendre conforme à l'image de son attribuer aussi le titre de grand parleur; et
«corps glorieux^ ». Je crois en effet que le certes plût au ciel qu'il en fût ainsi et que
Christ Dieu engendré [lar le Père, s'était bâti nous pussions dire à notre tour « Pour nous, :

lui-même, avant tous les siècles, une maison « nous sommes insensés à cause du Christ»,

parfaite,conformément à ces paroles de Salo- et «Nous sommes devenus comme les ordu-
:

mon, que nous lisons au livre des Proverbes : « res de ce monde '^»,61 moins encore, s'il

« La sagesse elle-même s'est bâti une de- plaît à votrereligiondenous juger indignes de
« meure * » et il a accepté cette maison pour
; ce partage même; nous savons, en effet, quel
son temple. est celui qui a dit « J'ai supporté durant tout
:

XXIIl. Vous avez expliqué vous-même en « le jour des railleries injurieuses à cause de
quel sens le Christ est visible
en quel sens il , « vous ' » c'est pour nous exciter à suivre cet
;

est invisible; et je ne me trompe, il y a déjà


si exemple que saint Paul disait « Soyez mes :

longtemps que votre religion a connaissance « imitateurs comme je le suis moi-même du


de cette doctrine. Dans l'argumentation que « Christ' »; et saint Pierre ne dit-il pas aussi:
vous venez de faire, vous avez tiré une com- « Le Christ a souffert pour vous, vous laissant
paraison de l'âme, et vous avez montré que « son exemple, afin que vous marchiez sur
nous avons une raison aussi pieuse que pleine a ses traces ^ ? » afin d'éviter, dis-je , cette
de justesse pour croire et savoir que si l'âme abondance de paroles, nous dirons que, sui-
' Coloss. 11 , U , 15. — "
Jean , V, 23 '
Id. I, 14. '
Gen, ' Luc , XV, 4 , 7. —M Cor. iv, 10 ,13. — • Ps. Lxnn , 8. —
XLii, 11. — ' PLiilpp. m, 21. — '
Prov. IX, 1. ' I Cor. IV, 16. — ' 1 Pierre, il, 21.
580 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

vant sa nature divine, le Fils est invisible « main d'hommes ; c'est dans le ciel même
non-seulement aux hommes, mais aux puis- « qu'il paraît aujourd'hui pour nous devant
sances célestes elles-mêmes. En efTet , un « la face de Dieu ». Mais votre religion m'a
archange peut bien voir un ange; le regard donné occasion de répondre à cette question:

de celui-ci peut bien atteindre nos âmes Le le Père? Or, nous lisons dans
Fils V(iit-il
spirituelles et en pénétrer les profondeurs : ce l'Evangile: «Personne n'a vu le Père, sinon
regard et celte pénétration sont d'un être «celui qui est de Dieu; car celui-là a vu le
plus grand à des créatures moins grandes. Et, « Père ». 11 a donc vu le Père, mais il l'a vu
'

suivant cette parole du Sauveur, adressée tel que rien ne saurait le contenir. Le Père, au

autrefois à un homme qui se glorifiait d'être contraire, voit le Fils dans son propre sein où
riche : « on te rede-
Insensé, cette nuit même il est renfermé, suivant ce témoignage déjà

a mande ton âme d'un ange, de '


» , c'est l'office cité « Jamais personne n'a vu Dieu
: le Fils ;

ramener l'âme en présence du Seigneur. Mais « unique qui est dans le sein du Père, est

une âme ne peut voir un ange, ni le présen- a celui qui l'a fait connaître ' » . En effet, le

ter. Elevez-vous au-dessus de cet ordre de créa- Père voit le Fils comme son Fils; le Fils voit
tures, et vous verrez que Dieu le Père est seul le Père comme son Père qui n'a de bornes

invisible; il n'a au-dessus de lui personne que l'infini. Votre religiosité déclare que la
dont le regard embrasse et pénètre sa nature ; sagesse humaine est invisible : or, il suffit, ce
son immensité n'a d'autre mesure que l'infini ;
me semble, de citer cette parole d'Isaïe :« Est-
la langue ne saurait le décrire, l'esprit ne « ce que c'est peu de chose pour vous, de

saurait le concevoir; les hommes et avec eux «combattre avec des hommes? Et comment
toutes les puissances célestes réunies parlent « donc soutiendrez-vous un combat avec le

de sa {grandeur, suivant la mesure de leurs « Seigneur * ? » Il est certain en effet que ce

forces, mais ils ne la montrent pas telle qu'elle n'est pas peu de chose de combattre avec des
est. Quand langage
toutes les formules de hommes, parce que, quelle que soit la sagesse
sont épuisées, ou n'a pas encore dit le premier d'un mortel, il a toujours un plus sage qui le
mot de lui. Le Fils seul peut lui rendre les voit. D'ailleurs la sagesse d'un homme ne se
honneurs, et lui offrir des louanges -dignes voit-elle pas dans ses œuvres ? ne se révèle-
de sa majesté, grâce aux dons infinis qu'il a t-eile pas dans ses disciples? Ainsi la sagesse
reçus de son Père, antérieurement à la pen- humaine n'est point invisible, puisqu'on peut
sée même du monde. Quoique les quatre Evan- la découvrir, lavoir et même la critiquer. Du
giles attestent qu'il rend ainsi honneur, lui reste, c'est un devoir pour
une convenance et

louange et gloire, je citerai cependant ici vous de mettre de la dignité dans vos compa-
un texte qui résume ceux où il est dit que raisons, par la raison que vous parlez de Dieu,
le Fils adore son Père dans le ciel, et je lais- dont la grandeur est infinie car lors même ;

serai de côté ceux que vous avez coutume qu'on emploierait à son égard les comparai-
d'appliquer à sa nature corporelle. Saint Paul sons les plus parfaites que l'esprit humain
parle aux Hébreux eu ces termes : «Le Christ, puisse concevoir, ou même celles que le^
« qui est le type de la vérité, n'est point entré divines Ecritures nous fournissent, jamais ces
dans des temples faits de main d'hommes; comparaisons ne seraient tout à fait dignes de
« c'est dans le ciel même qu'il paraît aujour- celui qui est au-dessus de toute comparaison.
« d'hui pour nous devant la face de Dieu ^ ». XXIV. Pour moi, conformément aux témoi-
Sans aucun doute, il s'agit ici d'une époque gnages déjà cités, je dis que le Père seul, et
postérieure au retour du Christ dans le ciel. non point avec un deuxième et un troisième,
Car le Christ avait prononcé du haut des est un Dieu unique. Si, au contraire, I unité
cieux ces paroles: « Saul, Saul, pourciuoi me de la nature divine n'api)ailienl pas à lui
« persécutez vous ' ? » le Saint Esprit avait seul il n'en possède donc qu'une partie.
,

dit aussi : « Séparez-moi Barnabe et Paul pour Cependant, je ne dis pas que le Dieu unique
« l'œuvre du ministère auquel je les ai ap- est un composé de parties; je dis au contraire
« pelésS); quand Paul ainsi appelé à l'aixistoiat que sa nature est une puissance non engen-
écrivit : « Le Cliri>t, qui est le type de la vérité, drée et tout à Liit simple. Le Fils est lui-même
a n'est pas entré dans des temples faits de aussi une puissance, mais engendrée avant
' Luc, m, 20 — • Hébr. ix, 21.— • Act. jx, 4.— ' Id. xm, 2. ' Jean, vi, 4B. — ' Jean, I, 18. — ' Isa. vu, 13.
AVEC MAXIMIN, ÉVÉQUE ARIEN. 581

tous les siècles ; et sans aucun doute c'est de a puissant ». Or, si je ne me trompe, saint

cette puis5ance du Fils que le bienheureux Paul dit qu'il est seul puissant, par la raison
Ajiôtre disait: «Vous et mon esprit étant que seul il possède une puissance tout à fait

« réunis , avec la puissance du Seigneur incomparable, suivant ces paroles d'un Pro-
B Jésus '
». Car mes paroles et ma profession phète qui s'écriait, ravi d'admiration : «

de foi sont conformes aux enseignenients des a Dieu, qui est semblable à vous '
? » Voulez-
saints Evangiles. Enûn le Saint-Esprit kii- vous vous convaincre qu'il est seul puissant?
niême est une puissance d'une nature à lui Considérez le Fil<, admirez la pnis>ance du
particulière le Seigneur en a donné un
: Fils, et vous comprendrez alors que celui-là
témoignage quand il a dit: «Pour vous, (il seul est puissant, qui aengendré un Fiisdont
parlait à ses disci|des) « demeurez dans la la puissance est
étendue. C'est par sa puis- si

« ville de Jérusalem, jusqu'à ce que vous soyez sance infinie que le Père a engendré un Créa-
a revêtus de la puissance d'en haut ' ». teur puissant. C'est par la puissance qu'il a
XXV.Si vousdeclarezque le Fi Isest invisible, reçue du Père , comme il le déclare lui-
précisément parce ne peut être contem- qu'il même « Toutes choses
: m'ont été données
plé par les yeux des hommes; pourquoi ne « par mon Père », c'est ^ par cette puissance,
déclarez-vous pas également invisibles les dis-je, que le Fils a, non point créé un Créa-
puissances célestes qui, elles aussi, sont inac- tt ur, mais formé les créatures. Saint Paul
cessibles aux regards humains? Pour moi, admirait avec élonnemenl celle puissance de
j'aimis en avant un témoignage de l'Ecriture, Dieu le Père, lorsqu'il le proclamait « bien-
sans aucune interprétation de ma façon , « heureux et seul puissant ». Car si l'homme

quand j'ai dit « Le bienheureux et seul puis-


: a, lui aussi, la puissance et la sincérité en
« saut, le Roi des rois, el le Seigneur des sei- partage, suivant ce que l'Ecriture dit de Job :

a gneurs ' ». Si j'ai cité l'Ecriture textuelle- a Cet homme adorait Dieu avec sincérité et
ment, je n'ai pas dû recevoir de reproches; a justice », et suivant ces autres paroles ren-
mais puisque vous approfondissez le sens fermées dans la description du pays de Job :

des livres saints, je vais vous donner mes rai- a 11 était puissant et grand entre tous dans
sons. a cette partie de l'Orient^», comment alors
XXVI. L'.\pôt redit en effet: «Le bienheureux le Père est-il seul puissant? Or, saint Paul em-
a et seul puissant, le Roi des rois ». 11 dit que ploie ces mots le Père seul, en ce sens que :

le Père est seul puissant, mais non pas en ce personne ne peut lui être comparé et qu'à
sens que le Fils ne soit point puissant. Enten- lui seul appartient une grandeur, une auto-
dez au contraire le témoignage rendu au Fils rité, une puissance aussi étendues. C'est de
par le Saint-Esprit lui-même qui s'écrie : cette manière aussi que le bienheureux Apô-
a Ouvrez vos portes, ô princes ouvrez-vous, ; tre Paul proclame le Père seul sage, en ces
B portes éternelles, Roi de gloire en-
et le termes a A Dieu seul sage ' ». Recherchons
:

a trera ». Puis le texte ajoute a Quel est ce : en effet en quel sens il est seul sage. Ce n'est
de gloire ?» Il répond
a roi « Le Seigneur : pas en ce sens que le Christ ne soit point
et puissant' ». Comment ne serait-il
a fort sage; car vous avez avancé, plus haut, que le
pas puissant, celui dont toutes les créatures Christ a est la Puissance de Dieu et la Sagesse
annoncent la puissance? a de Dieu ' » ; nous avons nous-même prouvé
XXVII. Comment ne serait-il pas sage, celui par un texte de l'Ecriture, qu'il a créé toutes
dont le Saint Esprit célébrait la sagesse en ces choses par sa sagesse. Cependant le Père est .

termes a Combien vos œuvres sont magni-


: véritablement seul sage. Nous croyons à l'E-
a fiques, ô Seigneur Vous avez tout fait avec I criture et nous en vénérons les divines pa-
« sagesse ^? » Car, puisque tout a été fait par roles elles-mêmes ; loin de nous le désir d'en
le Christ, c'est à lui assurément que le Saint- passer une seule virgule ! nous redoutons
Esprit adressait cette louange : a Vous avez cette menace contenue précisément dans ces
a tout fait avec sagesse ». Mais s'il en est ainsi, livres sacrés « Malheur à ceux qui y font
:•

il donc chercher en quel sens le bien-


faut a des retranchements ou des augmenta-
heureux Paul dit « Le bienheureux et seul : a tions* » Voulez-vous donc savoir combien
I

• I Cor. V, 4.— • Luc, lïiv, 49.— ' I Tim. vi. 1=>.- Ps. XIIII, 'Ps. LXiXII,2. — 'Malt. SI, 27. —
'Job, I, 1, 3. ~ •
Rom.
7, 8.— ' Ps. cm, 24.
IVI, 27. — ' I Cor. I, 24 • Deut. IT,
2.
S82 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

la sagesse du Père est immense? Tournez tos l'âme qui a reçu en partage la noblesse, mais
regards vers le Fils, vous verrez la sagesse du au corps qui est la faiblesse même. La chair,
Père. C'est pour cette raison que le Christ en effet, le fils corporel naît d'un autre corps;
disait lui-même « Celui qui m'a vu, a vu : mais l'âme ne naît point d'une autre âme. Si
8 aussi le Père '
» ; c'est-à-dire, celui-là voit donc notre âme engendre sans éprouver au-
en moi la sagesse du Père et loue en moi sa cune corruption ni aucune souffrance, sans
puissance il glorifie celui qui avant tous les se sentir ni amoindrie ni souillée si au ;
;

siècles m'a engendré, moi si grand et si par- contraire elle peut engendrer un fils lé-

fait, celui qui seul m'a engendré, moi son Fils gitimement et conformément aux lois di-

unique, celui enfin qui est parfaitement un vines et qu'elle ne perde rien de son inté-
et auquel moi-même je ressemble en cela. grité, quand elle accorde avec sagesse son
Car le Père a engendré le Fils, sans chercher consentement à l'œuvre du corps à com- ;

pour le former une matière préexistante, sans bien plus forte raison doit-il en être ainsi
réclamer le secours de personne, mais comme du Dieu tout- puissant ? Je l'ai dit déjà il
il l'a entendu lui-même et par la puissance y a un instant, nous nous efforçons de par-
et la sagesse qui lui sont propres. Non pas, ler de lui suivant la mesure de nos forces,

quoique vous nous en accusiez faussement ,


mais aucune comparaison humaine ne sau-
non pas que nous professions que le Fils rait en donner une juste idée. A combien plus

ait été de rien, à l'exemple des autres


fait forte raison Dieu le Père ,
qui est essentielle-
créatures tirées du néant et comme l'une ment incorruptible, a-t-il engendré le Fils

d'entre elles. Ecoutez à ce sujet ces paroles sans éprouver les atteintes de la corruption !
revêtues de l'autorité d'un concile o Si quel- : 11 l'a engendré cependant; croyez à l'assu-

a qu'un que le Fils tire son origine du


dit rance que je vous en donne car je possédée ;

« néant, et non point de Dieu le Père, qu'il cet égard le témoignage des saintes Ecritures :

a soit anathème «.Telles furent, entre autres, « Qui pourra raconter sa génération ?» Il a '

les paroles de nos pères à Rimini. Si vous engendré comme il Fa voulu, parce qu'il est
l'exigez, je citerai à l'instant des témoignages puissant, sans faire aucune réserve fraudu-
de l'Ecriture. Car le bienheureux apôtre Jean leuse il a engendré un Fils puissant sans
;

s'exprime ainsi « Quiconque aime celui qui


: que la jalousie ait eu aucune pari dans cette
a engendré, aime aussi celui qui est né de œuvre. Je l'ai dit, pour les hommes religieux
«lui ^». il convenable de porter des accusa-
n'est pas
XXVllI. Voici ce qui m'étonne, mon très- tions Or, je professe, moi, que le
fausses.
cher. Vous dites que le Saint-Esprit est, lui Verbe de Dieu est le Verbe de Dieu, immor-
aussi, de la substance du Père; mais si le Fils tel et à l'abri de la corruption. Car, quant au

elle Saint-Esprit sont, l'un et l'autre, de la corps qu'il a pris pour notre salut, voici ce
substance du Père, pourquoi le premier est-il qui en est dit dans l'Ecriture : « Ma chair
Fils, tandis que le second ne l'est pas? En quoi « reposera dans l'espérance » , c'est-à-dire
celui-ci vous a-t-il donc offensé, puisqu'il est dans l'espérance de la résurrection a car ;

de la même substance que le Fils, puisque, M vous ne laisserez point mon âme dans les

suivant vos propres expressions, il est égal au « enfers et vous ne permettrez |)oiut que
,

Fils? pourquoi dès lors n'est-il pas, lui aussi, «votre saint voie la corruption ' ». Si, en
établi héritier universel? pourquoi, lui aussi, effet , cet être saint qui a été appelé le

n'est-il pas liis? pourquoi n'est-il pas, aussi Fils de Dieu, n'a point vu la corruption,
bien que le Fils, appelé du nom de « premier- puisque sans aucun doute il est ressuscité le
ané de toute la création ? » Ou bien, s'il est ''
troisième jour d'entre les morts; à combien
égal au Fils, le Fils unique n'est donc plus plus forte raison la divinité, qui a pris ce
unique, puisiju'il partage avec un autre sa corps, doil-elledemeurer aussi exemple de
qualité de Fils, et que de plus cet autre est de corruption? Pourquoi dites-vous que vous ne
la même substance du Père, dont vous dites comprenez pas ? Si je ne réponds pas à toutes
que le Fils tire son origine ? Assurément tout vos questions, je serai justement convaincu
cela est pénible à entendre. Car vous compa- de manquer d'intelligence mais dans le cas
;

rez celle majesté si sublime, non point à contraire, il n'est pas conforme à la religion
' Jeao, iiv, 9. — ' I Jean, v, 1. — '
Coloss. i, 15. Isa. LUI, 8. — ' Ps. XV, 9.
AVEC MAXIMIN, tVtQVE ARIEN. S83

de m'attaquer par des injures. Car, non-seu- toujours et partout qu'il a été formé par le
lement j'affirme que la sagesse du Fils de Dieu Père ; ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, il a
est immortelle, mais je prouverai aussi que même déclaré avoir reçu la vie de lui, en ces
la sagesse même des saints de Dieu est im- termes : a Comme le Père a la vie en lui-
mortelle. En etfet, si les saints eux-mêmes, « même, ainsi il a donné au Fils d'avoir
c'est-à-dire leurs corps, sont rappelés à une «aussi en lui-même la vie ' ». Reconnaissez
vie immortelle combien plus cette sagesse
, donc que si le Fils est immortel, incorrupti-
vivante qui leur appartient et qui fleurira ble et inaccessible à toutes nos pensées, il

jusqu'à la fin du monde dans tous ceux qui tient ces qualités du Père aussi bien que la
croient, doit-elle aussi demeurer immortelle? vie. Le Père a la vie en lui-même sans la
Quoique, dans ce long discours, j'aie omis de recevoir de personne ; pour cela qu'il
c'est
parler de l'immortalité du Dieu tout-puissant, est véritablement a bienheureux et seul puis-
de ce que le bienheureux apôtre Paul ex- a sant ». Mais quel est celui qui « s'est anéanti
prime en ces termes : « Seul il possède l'im- « lui-même ? » Est-ce le Père, ou le Fils ?
« mortalité '
», je m'arrêterai cependant sur lequel les deux s'est empressé de plaire à

ce texte avec l'aide de Dieu et le secours


et, l'autre par son obéissance, sinon celui qui
de sa grâce j'en donnerai l'interprétation.
,
disait : « Je fais toujours les choses qui lui
L'Ecriture attribue à Dieu seul l'immortalité, « sont agréables -? » Quel est celui qui disait
comme elle attribue aussi à lui seul la puis- en arrivant près du tombeau de Lazare :

sance et même la sagesse. Mais qui donc, « Mon Père je vous rends grâces de ce que
,

parmi les hommes spirituels , ignore que a vous m'avez écouté pour moi, je savais ;

l'àme humaine est immortelle? surtout après « bien que vous m'écoutez toujours; mais je

cette maxime du Sauveur : a Ne craignez « dis ceci à cause de ceux qui m'environnent,
« point ceux qui tuent le corps, mais qui ne « afin qu'ils croient que vous m'avez en-
« peuvent tuer l'àme - » ,
parce qu'elle est « voyé ' ? » Quel est enfin celui qui, au mo-

immortelle. De plus, si l'àme est immortelle, ment où il ouvrait les yeux d'un aveugle-né,
à plus forte raison devons-nous reconnaître fut interrogé par ses disciples en ces termes :

que toutes les puissances célestes sont néces- a Est-ce celui-ci ou bien ses parents qui ont
sairement immortelles aussi. Enfin le Sau- a péché, pour qu'il soit né aveugle ?» et leur
veur dit a Celui qui garde ma parole, ne
: répondit a Ni celui-ci, ni ses parents n'ont
:

a verra jamais la mort'». Or, si celui qui « péché mais c'est afin que les œuvres de
;

garde la parole du Christ « ne verra jamais a Dieu soient manifestées en lui il faut que :

a la mort », combien plus le Christ lui-même «j'accomplisse les œuvres de celui qui m'a
doit-il,par la puissance de sa divinité, être « envoyé ' ? » Sans aucun doute c'est le Fils
immortel, puisque l'efficacité de sa parole est bien-aimé du Père, le même qui ayant pris
si grande Cependant nous avons déjà expli-
! des pains, ne les rompit point tout d'abord,
qué le sens de ces paroles de l'Apôtre a Lui : mais éleva auparavant ses regards vers le ciel,
a seul possède l'immortalité ». Le Fils, il est rendit grâces à son Père, et les rompit ensuite
vrai, possède l'immortalité, mais il la reçoit et les distribua.C'est ainsi en effet qu'il agit
du Père. Toutes les puissances célestes pos- dans sa passion même, ou plutôt immédiate-
sèdent aussi l'immortalité, mais elles la re- ment avant sa passion, comme il est rapporté
çoivent par l'intermédiaire du Fils ; car c'est dans l'Evangile ^ car « le Seigneur Jésus », :

par lui que toutes choses


Le Père au existent. dans la nuit même où il fut trahi, « prit du
contraire possède seul véritablement l'im- « pain, et après avoir rendu grâces il le rom-

mortalité, parce qu'il ne l'a pas reçue d'un apit^». Mais sans m'étendre davantage sur
autre, parce qu'il n'a pas été engendré et ce point, de peur de vous fatiguer désormais
qu'il ne tire son origine de personne. Le par l'éloquence de mes paroles ou par l'abon-
Fils au contraire, comme il l'a déclaré lui- dance des témoignages, et afin de terminer
même, est immortel parce qu'il a été engen- par un trait qui résume tout, c'est ce Fils qui
dré par le l'ère. Vous affirmez souvent que enseignait en ces termes que rien n'arrive
le Fils est égal au Père cependant le Fils ; sans la permission du Père, pas même la
unique lui-même, Dieu véritable, proclame
' Jean, v, 26. — M. vm, 29.— ' Id. n, 41, 42.- '
Id. ix, 2-t.
Tim. VI. 16. — >latt. x, 28. — Jean, vm, 51.
'
l
= '
— '
Malt. îxvi, 26. — ' I Cor. xl, 23, 24.
584 CONFERENCE DE SAINT AUGUSTIN

mort d'un passereau « Deux passereaux ne : le Fils n'est donc plus unique, puisqu'il en
« se vendent-ils pas un as? cependant pas un est un autre de la même substance. Pour
«seul d'entre eux ne tombera sur la terre nous, notre nature ne vient point de Dieu le
«sans la volonté du Père '». C'est lui enfin Père qui est sans naissance nous croyons à :

qui disait en parlant de sa propre puissance ces paroles du Christ « Dieu est esprit ». :
'

qu'il du Père « J'ai le pouvoir


avait reçue : Mais le Fils a pris naissance de lui. ainsi que
a de donner mon âme, et j'ai le pouvoir de la nous l'avons car nous le proclamons Fils
dit :

a prendre de nouveau. Car j'ai reçu ce com- véritable, et nous ne nions point qu'il soit
« mandement de mon Père* ». Si tel est le semblable au Père; du reste cet enseignement
récit des Evangiles, il faut s'en tenir à ce qui nous vient des divines Ecritures. El puisque
est écrit ; si au contraire j'ai par hasard vous nous accusez de parler de natures diffé-
changé quelques passages, ou omis si j'en ai rentes, sachez que, suivant nos propres ex-
par oubli, montrez-le-moi. Car je ne suis pas pressions, le Père qui est esprit a engendré
homme à ne point souffrir qu'on me re- avant tous les siècles un autre esprit. Dieu a
prenne. Le bienheureux apôtre Paul ordonne engendré un Dieu et le reste que nous avons ;

en effet, que l'évéque se laisse volontiers en- déjà exposé plus haut. Le Père qui est véri-
seigner '
; or, celui-là seul est ainsi disposé, table et sans naissance, a engendré un Fils
qui apprend chai|ue jour et qui chaque jour véritable. A la vérité le Seigneur dit dans
aussi donne un enseignement plus pariait : l'Evangile : « Qu'ils vous connaissent, vous,
aussi nous ne repoussons point ce que l'on « que vous avez en-
seul vrai Dieu, et celui
peut dire de mieux nous sommes disposé à ; « voyé , mais ici le Père est
Jésus-Christ - » ;

tout, malgré les injures qu'on nous adresse. appelé seul véritable dans le même sens qu'il
Toutefois, de peur que la vérité ne soit expo- est appelé seul bon seul puissant, seul sage. ,

sée à des contradictions inconvenantes nous Le démon lui-même, je crois, n'a point osé
ne nous plaignons point des injures que nous dire que le Père a engendré avant toutes
souffrons nous nous bornons à annoncer la
;
choses un Fils qui n'est point parfait. Le Fils
gloire de Dieu. engendré par le Père n'est point susceptible
XXIX. Ce que dit l'Apôtre est incontestable : de perfectionnement. Si l'homme, puisque
« Lorsqu'il était dans la nature de Dieu ». vous avez employé celle comparaison , si
Aussi, personne ne nie que le Fils soit dans Thomme pouvait engendrer en un instant un
la nature de Dieu. Nous-méme nous avons fils n'engendrerait point un petit
partait, il

haut,
dit plus et assez longuement, ce me enfant qui aura besoin de plusieurs années
semble, qu'il est Dieu, qu'il est Seigneur, successives pour réaliser enfin un jour la vo-
qu'il est Koi. Le bienheureux apôtre Paul lonté de son père. Le Père au contraire, qui est
nous apprend encore « qu'il n'a point pensé véritablement heureux et seul puissant, a en-
« que ce fût une usurpation de se faire égal gendre le Fils tel qu'il est maintenant et tel
à Dieu » or, nous ne lui attribuons point
; qu'il demeurera éternellement, non suscep-
celte usurpation qu'il n'a pas commise mais ;
tible de perfectionnement parce qu'il est
nous employons toutes nos forces à publier parfait; et qui de plus a reçu cette perfection
« qu'il s'est anéanli lui-même, en se rendant de son Père, comme il a reçu aussi la vie de
a obéissant » au Père « jusqu'à la mort et lui. Au reste , une maxime du Sauveur,
c'est

«jusqu'à la mort de la croix * «.Pour nous, que « la parole de deux ou trois témoins met-
c'est par grâce que nous avons été appelés « Ira fin à toute discussion ' ». Or, vous avez
enfants; nous ne le sommes point par nature cité ce texte de rAjiôtie : « Lors()u'il était
et dès notre naissance mais le Fils est Fils : « dans la nature de Dieu, il n'a point pensé
unique, parce qu'il a reçu dès sa naissance « que ce fût une usurpation »; et ce texte,
tout ce qui appartient à sa nature divine. Si vous l'avez interprété à votre libre volonté;
vous voulez vous-même lui adjoindre un nous-mcme à notre tour, nous avons répondu
frère, car en affirmant que le Saint-Esprit est suivant notre manière de voir. Les auditeurs
semblable et égal au Fils, vous déclarez par auiont mainieuant la liberté de choisir l'un
là même que leSiint-Esprit, lui aussi , est de ou l'autre sentiment; et sans doute, suivant
la substance du Père; s'il en est ainsi, dis-je, la suite de ce texte, ils regarderont comme
' M«u. X, 29.- Jean, x, 18.— '
I Tim. nr, 2.— *
Philipp. ii, 6-P. ' Jean, iv, 21. — ' Id. ivii, 3. — ' Matt. xim, 16.
.

AVEC MAXIMIN, ÉVÉQUE ARIEN. 58S

obéissant au Père, le Fils « qui s'est anéanti nous ne lisons pas qu'il ait été oint corporel-
(Ten prenant la nature d'esclave », et auquel lement. Mais conçu en ces termes:
le texte est

aussi le Père a a donné », comme nous l'avons «C'est pourquoi Dieu, votre Dieu, vous a
dit, « un nom qui est au-dessus de tout « oint de l'huile de l'allégresse plusabondam-

« nom » ou bien ils parviendront tous à


;
« ment que vos frères », et par là même il est

comprendre votre interprélaliou. évident que dans cette expression l'huile de :

XXX. « Je monte vers mon Dieu et vers de l'allégresse, le mot huile désigne cette
«votre Dieu ». Vous affirmez, je crois, que
' allégresse dont le Fils disait par la bouche de
le Seigneur s'est exprimé ainsi à cause de la Salomon : « J étais pour lui chaque jour le
nature d'esclave qu'il a prise c'est, dites- : « sujet d'une joie toujours nouvelle; moi-
vous, par un acte d'humilité volontaire et « même je me réjouissais continuellement
lorsqu'il était revêtu d'un corps humain ,
a devant sa face, pendant qu'il se réjouissait à
quoique sa victoire sur le démon, son « la vue des perfections de l'univers et sur-
triomphe sur la mort et sa propre résurrec- « tout à la vue des enfants des hommes' ».

tion fussent alors accomplis, c'est pour cela, Par rapport à ces paroles « J'étais pour lui :

dites-vous, qu'il tenait ce langage « Je : « chaque jour le sujet d'une joie toujours

a monte vers mon Père et vers votre Père ». « nouvelle » on lit expressément au livre de
,

A cette époque cependant l'humilité de sa la Genèse, que, suivant ce qui est dit au
chair n'était plus nécessaire comme vous ,
même livre que toutes choses
: « Et Dieu vit
dites, à cause des Juifs; il s'agissait seule- « excellemment bonnes ' », le Père se
étaient
ment de donner une règle de foi exacte. réjouissait à la vue de chacune des œuvres
de cette manière encore, qu'ajirès sa
C'est de son Fils, et était rempli d'une vive allé-
résurrection il disait en un autre endroit à gresse, quand il contemjilait la perfection
ses disciples réunis sur le mont des Oliviers : avec laquelle ce même Fils les avait ac-
« Toute puissance m'a été donnée au ciel et complies. En même temps le Fils se réjouis-
sur la terre : allez , enseignez toutes les na- sait devant son Père de l'accomplissement
a lions, les baptisant au
Père, et nom du parfait de la volonté paternelle. «
Toute Ecri-
du Fils, et du Saint Esprit leur apprenant ,
« ture divinement inspirée est utile pour en-
a à observer tout ce que je vous ai com- nseigner'B. C'est pourquoi « pas un seul iota,
« mandé * ». Mais si le Fils a parlé ainsi par «pas un seul point de la loi ne passera*».
humilité et non point en toute vérité, pour- « Le ciel et la terre passeront », a dit le Sei-
quoi l'Apôtre a-l-il osé répéter les mêmes gneur, mais mes paroles ne passeront point'.
«

expressions et dire « Que le Dieu de Notre-


: XXXI. 11 est certain que le Fils était dans
Seigneur Jésus-Christ le Père rempli de
« ,
le principe, qu'il était dans le Père, et qu'il

«gloire '?» Pourquoi du moins dit-il: était Dieu; il était dans le principe en Dieu,

Dieu qui est Père de Notre - Seigneur comme premier-né de toute la création ; toutes
«Jésus-Christ, béni dans tous les siècles, choses ont été faites par lui, et rien n'a été
«sait... '?» et ailleurs: «Afin que d'un même fait sans lui " : mais ces paroles ne sauraient
« cœur et d'une même bouche, vous rendiez être appliquées à la personnedu Saint-Esprit.
« gloire à Dieu et au Père de Notre-Seigneur Vous ne trouverez dans les divines Ecritures
« Jésus-Christ"? » Pourquoi ajoute-t-il encore aucun texte qui vous autorise à dire que le
ces expressions formelles « Béni soit Dieu, : Saint-Esprit est égal au Fils. Car ce même
« le Père de Noire-Seigneur Jésus-Christ ' ? » Fils dans le principe; le Père, au con-
était
Pourquoi enfin le Saint-Esprit disait-il au traire, est avant tout principe, il est sans prin-
Fils, avant même l'incarnation du Christ: cipe, n'ayant pas été engendré et n'ayant pas
« C'est pour cela que Dieu votre Dieu, vous , eu de naissance. Mais le Fils était dans le
«a oint'?» Argumentez autant qu'il vous principe, comme premier-né de toute la créa-
plaira, vous ne réussirez pas à prouver que tion '. Il était avant toute créature, avant qu'il
celte onction a été faite sur le corps du Christ :
exislâtquoi que ce soit, et il était en Dieu, et il

nous lisons bien qu'il a été baptisé ', mais était Dieu, et il était dans le principe en Dieu.
XXXII. Que direz-vous maintenant, si vous
Jean, il ,17
' ' Matt. xxvm
, 18-20. — ' Eph. i , 17 'II
Cor. II, 31. —
' Eom. xv,
6. ' II Cor.
l, — 3. — '
Ps. iliv, 8. — ' Proï. mu, 30, 31. — ' Gen. i, 31.— ' II Tira, m, 16.— '
Matt.
'
Matt. m, 16. V, 18 ' Id. XXIV, 35. — ' Id. I, 1-3. — ' Col058. I, 15.
.

586 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

entendez le Père s'exprimant en ces termes : adorations, le Fils cependant ne s'élève point
« Toute puissance est à vous au jour de votre en cela au-dessus de ce qu'il est mais en ;

« force, au milieu des splendeurs des saints ;


même temps nous voyons clairement qu'il
je vous ai engendré dans mon sein avant est soumis à son Père avec tout ce qui lui est
« l'aurore '
? » Vous reconnaissez qu'il est né soumis à lui-même, quand il dit « Venez, :

selon la chair du sein d'une mère, ce que les a bénis de mon


Père possédez le royaume
;

Juifs mêmes ne nient point. Mais pourquoi ne « qui vous est préparé depuis le commence-
citez-vous pas ici publiquement les témoi- « ment du monde' ».
gnages qui établissent sa naissance dans le XXXIII. Ou a entendu déjà la citation d'un
principe, ainsi que le texte précédent nous texte que vous avez paru dénaturer à votre
l'enseigne? S'il se reconnaît redevable à son gré pour le rendre conforme à votre manière
Père, à raison du corps dans lequel il s'est de voir. Mais la parole de l'Apôtre n'eu sub-
anéanti, lui « qui étant riche, s'est fait pauvre siste pasmoins « Nous ne savons ce que nous
:

« à cause de nous », comme parle l'Apôtre - « devons demander dans la prière mais l'Es- ;
;

à plus forte raison doit-il nécessairement, en « prit lui-même demande pour nous avec des
sa qualité de Fils bien-aimé, témoigner sans « gémissements inénarrables ». Vous avez
cesse à son Père le respect et la soumission paru nous intimider par cet argument: le
pour avoir été par lui engendré
qu'il lui doit Saint-Esprit est donc malheureux jusqu'à être
sigrand et si parfait. Vous avez dit avec beau- réduit à gémir? Cependant nous ne disons
coup de raison qu'il obéissait même à ses point que le Saint-Esprit soit dans un état
parents, à cause de sa nature d'esclave '. Or, capable d'exciter la compassion. Car ce même
si on le voit obéir à ses parents qu'il a texte fait éclaterdu Saint-Esprit,
la gloire
créés lui-même, puisque toutes choses ont puisque, suivant l'Apôtre, il gémit, non point
été faites par luicar nous savons que le Fils; à cause de lui, mais « à cause de nous^ ». Du
a été engendré par le Père, non point dans reste le Fils même intercède et prie non point
le temps, mais avant tous les temps s'il est ; pour lui, mais pour nous pareillement, comme
soumis, dis-je, à ses parents, comme l'auto- je l'ai dit déjà ci-dessus, o Celui qui est Adèle
rité des divines Ecritures le montre on ne « dans de petites choses, est fidèle aussi dans
peut plus clairement ; à combien plus forte « celles qui sont plus grandes '».
raison assurément est-il soumis à ce même XXXIV. Il n'y a, pour établir l'unité du Père et
Père par qui il a été engendré si grand et si du Fils, qu'un seul genre de preuves possible :

parfait , suivant ces paroles de l'apôtre saint vous moi, nous ne pouvons prendre nos
et
Paul : « Lorsque tout aura été soumis au Fils, arguments ailleurs que dans ces comparaisons
« lui-même sera soumis à celui par
alors le Fils mêmes dont vous vous êtes servi. Si donc,
« qui toutes choses lui auront été soumises ' » comme vous le dites et comme l'Apôtre le
Vous prétendez nous faire dire à nous-mêmes, confirme, si « celui qui s'unit au Seigneur,
que nous reconnaissons hautement que tout « devient un seul esprit avec lui*», assuré-
est soumis à son corps, ou plutôt à l'économie ment cette unité d'esprit consiste en ce que
entière de l'incarnation accomplie par lui cet homme accomplit
volonté de Dieu à la
pour notre salut ; mais que du reste ce même laquelle il se conforme, suivant ce que le
corps seul est soumis au Père, et non point le Sauveur a enseigné. Car le Sauveur nous a
Fils unique, Dieu véritable. Njus savons en appris à dire, entre autres formules de prières
effet et nous croyons nous-mêmes que « le que nous devons réciter : a Que votre volonté
« Père ne juge personne, mais qu'il a remis « soit faite sur la terre comme au ciel " ». La
« tout jugement entre
mains du Fils, afiu les terre assurément, c'est nous-mêmes. Consé-
« que tous rendent gloire au Fils comme ils quemment, de même que la volonté de Dieu
« rendent gloire au Père lui-même'^ ». Aussi, est faite dans les cieux, de même aussi nous
nous reconnaissons hautement que si au ,
devons accomplir en nous ce que nous deman-
jour de la résurrection, alors que toutes choses dons et le réaliser dans nos œuvres et ainsi,
, ;

lui auront été soumises, si tous rendent gloire en voulant ce que Dieu veut, nous devien-
au Fils et lui ollieut leurs hommages et leurs drons un seul esprit avec lui. Or, le Fils lui-
• Ps. cix, 3. - II Cor. ïm, 9. - Luc, u 51. - •
Cor. xv,' Matt. XXV, 31. —
Kom. viii, 26, 27,— 'Luc, XVI, 10.—
28. — '
Jean, v, 22, M.
, 1

* 1
'

Cor. VI, 17. —


' Malt, vi, 10.
AVEC MAXIMIN, ÉVÉQUE ARIEN. 581

même, peu d'heures avant sa passion, s'écriait pas en nommer d'autres ; car peut-être vous
aussi en s'adressant à celui qui engendré l'a : démontrerez qu'il est adoré par les êtres in-
a Abba, Père, que ce calice passe loin de moi ;
fernaux. Et en vous demandant de produire
« toutefois non pas comme je veux, mais ces témoignages, nous ne portons aucune
« comme vous voulez vous-même'». Par ces atteinte à l'honneur du Saint-Es|)rit. Car,
paroles « Non pas comme je veux, mais
: nous l'avons déjà dit ci-dessus, il est ce même
a comme vous voulez vous-même», il montre Esprit-Saint sans lequel « personne ne peut
que sa propre volonté est véritablement sou- « dire : Seigneur Jésus '
». H est cet Esprit-
mise à son Père car c'est pour faire la volonté
;
Saint a en qui nous crions : Abba, Père ^ ». H
de celui-ci qu'il est descendu du ciel « Je : est cet Esprit-Saint si grand et si parfait « que
a suis descendu du ciel, dit-il, pour faire non a les anges mêmes désirent le contempler
a pas ma volonté, mais la volonté de celui a aussi'». Il est si parfait, si puissant que
a qui m'a envoyé '». La volonté du Fils est sur tous les points de l'univers créé, soit à
donc entièrement conforme à la volonté du l'Orient ou à l'Occident, soit au Septentrion
Père. Et autant le Fils comme Dieu est supé- ou au Midi, quiconque se prosterne devant
rieur à toute créature, autant cette conformité lui, ne saurait prononcer « le nom du Sei-

à la volontéde son Père est plus parfaite et « gneur Jésus , si ce n'est dans le Saint-

son union avec lui plus infime. Je dis son : « Esprit ». Sa nature est telle qu'il est présent
union avec lui plus intime il lui est uni en ;
à la fois dans tous ceux qui prient Dieu avec
effet comme son Fils bien-aimé, par les liens sincérité \ H est si grand et si parfait que, là
de l'amour et de la plus tendre affection, par oii on baptise une personne, soit en Orient,
la conformité mutuelle de leurs pensées, de soit en Occident, ou dans un endroit quel-
leurs sentiments et de leurs volontés. Nous conque, il y est présent à l'instant même.
devons recevoir avec un respect sans bornes Voyez combien grande est la puissance du
toutes les citations tirées des saintes Ecritures. Saint-Esprit. On ne saurait porter atteinte à
Car ce n'est point pour être corrigés par nous, sa dignité sans porter atteinte en même temps
que ces livres divins nous ont été donnés à celle du Dieu Fils unique, « par qui toutes
comme maîtres. Et certes, plût au ciel que a choses ont été faites et sans qui rien n'a été
nous méritions d'être appelés disciples fidèles « fait ^ » de même que celui « qui ne rend
;

des Ecritures ! a pas gloire au Fils, ne rend pas gloire non


XXXV. que vous avez
J'accepte ces paroles a plus au Père qui l'a envoyé ' ».
citées « Ne savez-vous pas que vous êtes le
: XXXVI. Vous prétendez que le Christ notre
a temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu Sauveur n'a point dit Afin qu'eux-mêmes et :

« habite en vous ^ ? » Dieu en effet n'habite nous nous soyons un; mais: a Afin qu'ils
point dans un homme, si cet homme n'a été a soient un » dans leur nature et leur sub-

auparavant sanctifié et purifié par le Saint- stance propre, unis en quelque sorte et comme
Esprit. Enfin il fut dit aussi à la bienheu- fondus ensemble dans une concorde et une
reuse Vierge Marie « Le Saint-Esprit des- : égalité parfaites ; selon vous encore, le Père,
a cendra en vous » sans doute pour la sanc- : le Fils et le Saint-Esprit sont un à cause de
tifier et la purifier. Puis le texte ajoute : « Et leur nature indivisible et identique. Je vais
a la vertu du Très-Haut vous couvrira de son lire le texte ; c'est par cette lecture qu'on
« ombre ' ». Vous-même avez dit plus haut peut prouver ce que le Christ a dit. Or, dans
que la vertu du Très-Haut, La
c'est le Christ. l'Evangile, priant son Père pour ses disciples,
vérité, du reste, ne se démontre point par des il s'exprime ainsi a Mon Père, faites qu'ils :

raisonnements, prouve par des témoi-


elle se a soient un, comme nous-mêmes nous sommes

gnages incontestables de l'Ecriture. C'est « un afin que comme je suis en vous et vous
;

pourquoi vous devez citer des textes établis- a en moi, eux aussi soient un en nous, et

sant que le Saint-Esprit est Dieu, qu'il est « qu'ainsi ce monde sache que vous m'avez

Seigneur, qu'il est Roi, qu'il est auteur et « envoyé, et que vous les avez aimés comme

Créateur, qu'il est assis avec le Père et le Fils, avons m'avez aimé moi-même'' ». Je crois
qu'il est adoré, sinon par les esprits célestes, ceque je lis il est parlé ici d'amour, et non
:

du moins par les créatures terrestres, pour ne ' I Cor. ïn, 3.— ' Rom. vni, 15 — ' I Pier. i, 12 •
Ps. cxliv,
Marc, XIV, 36.— = JeaD, vi, 38.— ' I Cor. ui, 16.— * Luc, i, 35. 18. — ' Jean, i, 3. — ' Id. v, 23. — ' Id. ïvn, 21-2,^.
588 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

point de substance. Il est certain aussi que le avec le Père et le Fils en ce sens que, regar-
même Sauveur a dit : « Celui qui entend mes dant en toutes choses la volonté de Dieu le
« commandements et qui les garde , c'est Père, ils sont eux-mêmes, à l'exemple du Fils,
«celui la qui m'aime. Or, celui qui m'aime soumis au Dieu unique qui est le Père. Et
«sera aimé par mon Père, et moi-même je nous lisons que le Sauveur a demandé cette
«l'ainierai; et nous viendrons, et nous éla- sorte d'uniténon-seulement pour les Apôtres,
« bliroiisen lui notre demeure ». En eflet, '
mais aussi pour ceux qui devaient recevoir la
si grandeur et celte majesté infinies du
celte foi par la jiarole des Apôtres : o Je prie,
Père, et celles du Fils pareillement, peuvent «dit non-seulement pour ceux-ci, mais
il,

être embrassées par un esprit aussi borné que «encore pour ceux qui doivent, par leur
le nôtre, à combien plus forle raison est-il « parole, croire en moi que tous soient un, :

cerlaJn et hors de doute que le Fils peut être « comme vous, mon Père, êtes en moi et moi
dans le Père! mais toutefois comme Fils et « en vous, afin qu'ils soient, eux aussi, un en

comme une personne ditlérente du Père car, : « nous, et que ce monde sache que vous
ainsi que vous l'avez vous même exposé, le a m'avez envoyé, et que vous les avez aimés
Père et le Fils sont un, mais ils ne sont pas «comme vous m'avez aimé moi-même ».
une seule personne la première expression : Comme nous l'avons dit, le Sauveur parle ici
désigne l'unité qui naît de la concorde, la de l'amour et non point de la divinité. Et
seconde désigne l'unité numérique. Vous avez qui donc ignore que Paul est Paul qu'Apollo ,

cité à ce sujetun témoignage du bienheureux est Apollo? Paul lui-même ne dit-il pas
Paul, au(|uel nous avons donné un entier as- quelque part « J'ai travaillé plus qu'eux
:

sentiment il est en etlét une sorte de vérités


: « tous non pas moi cepemiant, mais la grâce
;

si inébranlables, qu'elles sont proclamées par « de Dieu avec moi ? » Car celui qui tra- '

ceux mêmes
qui y opposent leur contradic- vaille davantage obtient aussi davantage. ,

tion. Vous avez cité ces paroles de saint Paul : Néanmoins Paul et A|iollo ne sont qu'un
a Moi j'ai planté
,
Apollo a arrosé ; mais , par la communauté de leurs pensées, de leurs
« Dieu a donné l'accroissement. C'est pour- sentiments, de leur amour, quand ils font ce
« quoi celui qui plante et celui qui arrose ne que Dieu veut.
« sont rien mais celui qui donne l'accrois-
; XXXVII. Vous dites qu'il n'y a qu'un seul
« sèment est tout. Or, celui qui plante et celui Dieu. Ajoutez donc ou bien que le Père et le
«qui arrose ne sont qu'un; et cependant Fils et le Saint-Esprit sont un Dieu unique, ou
« chacim recevra son salaire propre selon son bien que ce titre a|ipai tient exclusivement au
« travail ^ ». Ainsi, remarquez-le bien, quoi- Père, lequel a pour Fils le Christ qui est notre
qu'ils ne soient qu'un par leur concorde mu- Dieu. Est-ce dans le sens de la loi judaïque,
tuelle, cependant «chacun recevra son salaire que vous nous exhortez à professer l'unité de
« propre selon son travail ». Voyez encore ce Dieu ? Ou soumission du
bien est-ce plutôt la
que dit le Seigneur en saint Jean « Moi et le : Fils, telle que
la proclame, la foi chrétienne
« Père nous sommes un ' » paroles que nous : qui révèle l'unité de ce Dieu dont le Fils est
croyons et que nous recevons avec une foi notre Dieu, ainsi que nous l'avons dit? Car le
assurée. Celui qui dit « Moi », c'est le Fils :
;
Père et le Fils n'ont point entre eux cette
et en disant « et le Père », il montre que le
: unité croyez-en du moins le témoignage de
:

Père est distinct de lui. « Nous sommes un », saint Paul (jui le déclare dans presque cha-
dit-il, et non pas nous sommes une seule : cune de ses épîtres : « Que la grâce et la paix,
personne. Nous avons dit plusieurs fois que « dit-il, soient avec vous de la part de Dieu
la première de ces deux expressions désigne « notre Père et du Seigneur Jésus-Christ * ».
l'unité ([ui naît de la concorde. Pourquoi le Ailleurs encore : « 11 n'y a ([u'un seul Dieu, le
Père et le Fils ne seraient-ils pas un, puisijue «Père, de qui viennent toutes choses, et
le Fils s'écriait autrefois : « Pour moi, je fais «en nous sommes nous-mêmes; il
qui
« toujours ce qui est agréable au Père * ? » « n'y a aussi qu'un seul Seigneur Jésus- ,

Pour (ju'il ne fût pas un avec le Père, il fau- « Christ, i)ar qui toutes choses existent,
drait (|u'il tu parfois des choses op[)osées à la « et en (jui nous sommes pareillement •
».
volonté du Père. Les Apôtres aussi sont un
• I Cor. XV, 10. — Rom. i, 7 1 Cor. i, 3 H Cor. i, 2 Gai. i,
' Jean, xiT, 21 , 23. — • l Cor. ni, &-8. — 'Jean, x, 30 *
Id. vii[, 2!i. 3 ; Kph. I, 2. — ' 1 Cor. viii, 6.
; ; ;
AVEC MAXIMIN, ÉVÉQUE ARIEN. 589

Celui que nous chrétiens nous déclarons Dieu sa nature d'esclave, inférieur même aux anges.
unique, est le même que le Fils proclame seul Assurément vous restreignez trop la gloire de
bon, quand il dit « Nul n'tst bon, si ce n'est: Dieu, en déclarant que la supériorité du Père
« Dieu seul ». Non pas que le Christ ne soit
'
est relativeseulement à celte nature d'esclave.
bon car il dit lui-même « Je suis le hon pas-
; : Cette supériorité appartient aux anges mêmes.
citeur ' ». Non pas que le Saint-Esprit ne soit Le Christ n'est point venu pour nous appren-
bon car le Propliète s'écrie « Voire Esprit
;
: dre que le Père est supérieur à la nature d'un
« qui est bon me conduira dans la voie esclave mais la Vérité est venue à nous pré-
;

« droite ' ». Ecoutez encore ce témoignage du cisément pour nous enseigner et nous faire
Sauveur: «L'homme hon, dit-il, tire le bien du comprendre que le Père est plus grand que le
a trésor de son cœur ' ». Enfin toute créature Fils, même en tant que ce Fils est un grand
de Dieu excellemment bonne. Or, si la créa-
est Dieu. Pour nous donc, voici quelle est la
ture est bonne, si l'homme est bon, si le Saint- gloire que nous rendons au Père nous le :

Esprit, si le Christ sont bons, où pourra- t-ou proclamons plus grand que ce grand Dieu,
trouver celui qui est seul bon ? Mais le Sau- nous publions qu'il surpasse en élévation l'é-
veur dit que « nul n'est bon, si ce n'est Dieu lévation même du Fils. Quant à la question de
a seul », en ce sens que celui-ci est la source savoir si on rend à Dieu l'honneur qui lui est
même de la- honte et qu'il est bon sans avoir dû, en disant que la supériorité du Père est
reçu celte perfection de personne. Le Christ relative à la nature d'esclave, cela vous re-
au contraire tient de son Père toute la bonté garde.
qu'il possède ; de même toutes les créatures XL. Vous dites que la divinité s'est mon-
de Dieu ont reçu, par le Christ, tout ce qu'elles trée à nos pères vous avez déclaré un peu
: et
ont de bon. Mais c'est à cette source unique auparavant que la divinité est certainement
de bonté, que le Fils et ceux qui ont été créés invisible. Oui, la divinité s'est montrée, mais
par le Fils, ont tous sans exception, et suivant non point le Père qui est invisible et si nous ;

la mesure de leur toi personnelle, puisé la disions que le Père a été vu, nous accuserions
bonté qu'ils possèdent ; le Père seul ne tient de mensonge l'Ai ôlre qui dit de lui « 11 n'a :

que de lui-même sa pro|ire bonté. C'est en ce « été vu par aucun homme, et personne ne

sens que le Christ dit « Nul n'est bon, si ce : « peut le voir ». El non-seulement nous don-
'

n'est Dieu seul». Ainsi donc Dieu est unique nerions un démenti au Nouveau Testament,
en ce sens que seul il est incomparable, seul mais nous contredirions pareillement l'Ancien
immense, comme nous l'avons dit déjà. même. Car Muïse dit expressément « Nul ne :

XXXVIII. Nous ne nions point que le Fils « peut voir Dieu, et \ivre * ». D'autre part, ce

n'aime le Père, puisque nous liions quelque même Mcïse a rapporté, au livre de laCetièse,
part dans l'Etriiure a Afin que ce n.onde : que dejiuis Adam, le premier homme, jus-
a sache que j'aime le Père et que je fais ce qu'au temps de l'incarnaliou, le Fils a tou-
a que le Père m'a conmiaode^ ». 11 est certain jours été vu. En voulez-vous des preuves?
que le Fils est aimé et qu'il aime, et qu'il ac- lisez l'endroit qui nous montre le Père disant
complit les ordres du Père, com me il le déclare au Fils : « Faisons l'homme à notre image et
lui-même. C'est pour cela qu'ils sont un, sui- « à notre ressemblance». Puis le texte ajoute:
vant ces paroles du Sauveur « Moi et mon : a Et Dieu créa l'homme * ». Quel est ce Dieu,
ttPère nous sommes un ' ». Quant à ces autres sinon le Fils ? Vous l'avez démontré vous-
paroles Celui qui me voit, voit aussi le
: « même dans vos propres traités. Ainsi ce Fils
a Père nous devons croire d'une foi assu-
'
» , qui est le prophète de son Père et qui disait

rée que celui qui voit le Fils, voit et contemple encore « Il n'est pas bon que l'homme soit
:

le Père par le Fils. a seul faisons-lui une aide, semblable à lui *»


;
:

XXXIX.Vous avez déclaré que la supériorité ce Fils a été vu par Adam, puisque l'Ecriture
du Père n'existe que par rapport à la nature met dans la bouche de celui-ci ces paroles :

d'esclavedu Fils ceci me paiait plus qu'in- : «J'ai entendu votre voix pendant que vous
sensé. Car nous savons, et vous avez dit vous- « marchiez dans le paradis, et je me suis
même hautement, que le Fils est devenu par a caché parce que j'étais nu b.Vous savez
' Marc, X, 18. — ' Jean , x , 11. — ' Ps. ciLn, 10. — ' Luc, Ti, ' 1 Tim. VI, 16. — Eiod. xxim, 20. — • Gen. i, 26, 27. —
1 . — '
eau, XIV, 31. - ' Id. x, 30. — ' Id. xiv, 9. ' Id. n, 18.
.

390 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN

aussi ce que Dieu lui répondit : a Et qui vous donné aussi votre traité auquel je suis
« a montré que vous étiez nu ? N'est-ce point obligé de répondre, comme je l'ai fait relati-
« parce que vous avez mangé du fruit de l'ar- vement à l'invisibilité du Dieu tout-puissant.
« bre dont je vous avais défendu de man- De plus , vous avez vous-même quoique ,

« ger ? » Ce même Dieu a été vu aussi par


'
dans un autre dessein , déclaré par vos pro-
Abraham Abraliam a vu le Fils, et si vous
^ : pres paroles, que le Sant-Esprit a été vu
voulez y croire, c'est le Dieu seul engendré qui en forme de colombe, et en forme de langues
l'a affirmé lui-même dans le saint Evangile, de feu le Fils incontestablement a été vu
'
;

en ces termes « Abraham votre père s'est ré-


: aussi dans sa nature humaine. Le Père au
« joui dans l'espérance de voir mon jour il ; contraire n'a été vu ni en forme de colombe,
«l'a vu, et il a été rempli de joie '». Jacob ni dans une nature humaine jamais il ne ;

aussi vit ce même Fils qui, par une prépara- s'est transformé, et jamais il ne se transfor-
tion antérieure, lutta avec lui dans la forme mera car il est écrit de lui « Je suis celui
; :

dont il devait être revêtu à son avènement, « qui suis, et je n'ai point changé ^ ». Le Fils
c'est-à-dire dans une forme humaine. De là a pris une nature humaine quand déjà il
ces paroles de Jacob a J'ai vu le Seigneur : possédait certainement sa nature divine ,

« face à face et mon âme a été sauvée » comme vous l'avez déclaré vous-même ce :

lui-même fut nommé: «Vision


L'endroit que le Père n'a point fait le Saint-Esprit a ;

B Nous avons aussi à cet égard la


de Dieu ». pris également la forme d'une colombe ce :

jiarole afOrmative du Dieu qui luttait avec que le Père n'a point fait non plus. Sachez
Jacob pour se préparer à ce que nous voyons donc qu'il n'y a qu'un seul invisible, un seul
accompli dans la passion du Christ. Car il dit incommensurable , un seul immense. Ma
à Jacob lui-même « Désormais vous ne serez : prière et mon désir, c'est d'être disciple des
a plus appelé Jacob ; votre nom sera Israël'», divines Ecritures. Et votre religion n'a pas
c'est-à-dire homme
voyant Dieu. Enfin nous oublié, je pense, cette réponse que je lui ai
avons dans le Nouveau Testament la preuve faite ci-dessus : Si vous déclarez que le Père,
que ce Dieu a été vu. C'est de lui que les le Fils et le Saint-Esprit ont une seule puis-
Apôtres disaient « Et nous avons vu sa : sance,une seule substance, une seule divinité,
« gloire, comme la gloire que le Fils unique une seule majesté, une seule gloire si vous ;

« reçoit du Père ' », Au reste, si on déclare, le prouvez par les divines Ecritures, si vous
comme vous essayez vous-même de le faire, citez un texte quelconque à cet égard, nous
que Père a été vu toutes les Ecritures
le ,
souhaitons devenir les disciples de ces livres
sont donc à vos yeux mensongères. Car enfin divins.
saint Paul proclameque le Père est invisible", Moi Maximin, évêque, j'ai signé.

et le Seigneur l'affirme dans l'Evangile '. Collation faite des présentes , Augustin
Vous nous accusez fréquemment de dire avec dicta ce qui suit : Vous avez dit que je parle
une hardiesse téméraire des choses qui ne eu m'appuyant sur le secours des princes, et
doivent pas être dites : le lecteur en jugera. nullement selon la crainte de Dieu. Mais les
Nous ne parlons point pour obtenir les éloges hommes auxquels Dieu donne l'intelligence,
de qui que ce soit la crainte de Dieu m'a : voient assez quel est celui qui parle selon la
obligé à vous répondre dans le seul désir de crainte de Dieu : ils jugent facilement entre
resserrer les liens de la fraternité qui règne celui qui se conforme pleinement à cette pa-
parmi ceux de notre parti peut-être aussi : role du Seigneur « Ecoute, ô Israël le Sei- : :

est-ce en vue de cette fraternité que vous a gneur ton Dieu est un Seigneur unique ' » ;

avez daigné vous-même nous provocjuer à car pour nous, nous recevons cette parole
vous répondre dans le but d'amener par ce avec soumission et nous la prêchons fidèle-
moyen ceux qui sont connus pour être des ment ; et celui qui refuse d'entendre cette
nôtres, à donner leur assentiment, je puis le même parole et prétend que les deux Sei-
dire, à votre profession de foi. Car vous avez gneurs sont deux dieux car introduisant ;

travaillé à m'arracher ces disciples, non-seu- deux dieux et deux seigneurs aussi, il montre
lement [jar vos paroles mais vous avez ; bien qu'il ne craint point le Dieu et Seigneur
' Gen. m, 10, 11. — ' Id. xvin , 1. — ' Jean, vni , 50. — •
Geo. ' Matt. m,
10; Act. ii , 3, — '
ExoJ. m U , j Malacb. m , 6. —
xxxii, 23-30. — '
Jean, i. 11. — '
I Tim. vi, 16. — '
Jean, i, 18. • Deut. VI, i.
AVEC MAXIMIN, ÉVÈQUE ARIEN. 591

unique par qui il a été dit: «Ecoute, ô Israël : l'être. Oui, je veux être compté parmi ceux
le Seigneur ton Dieu est un Seigneur à qui il est donné de voir Dieu. Et nous ren-
«unique ». Vous savez que votre discours dons grâces à ce même Dieu, de ce qu'il
d'une longueur démesurée nous a ravi le nous fait voir « maintenant dans un miroir
temps nécessaire pour vous répondre et que « et en énigme; mais alors face à face »,

le reste du jour serait tout à fait insuffisant connue parle l'Apôtre '. Nous voyons donc
pour qu'on nous donnât seulement une se- par un bienfait de sa part, encore, il est vrai,
conde lecture de ce que vous avez dit. Cepen- dans un miroir et en énigme, mais enfin nous
dant tout ce que vous avez mis en avant |)our voyons comment il n'y a point contradiction
prouver que le Fils de Dieu est Dieu, qu'il est entre ces deux propositions Le Père, le Fils :

un grand Dieu, qu'il est né du Père, qu'il et leSaint-Esprit sont distincts entre eux, et
diffère de celui-ci parce que le Fils n'est point cependant tous trois ensemble ne sont qu'un
le même que le Père, tout cela sachez-le ,
seul Seigneur Dieu. J'ai essayé, autant qu'il
bien, avait pour but d'absorber par ces lon- m'a été possible, de vous le faire voir aussi à
gueurs sans fin, un temps qui nous était tout vous-même mais vous avez mieux aimé
: résis-
à fait indispensable comme si vous étiez
: ter à mes efforts, parce que vous n'avez point
obligé de nous prouver ce que nous recon- voulu être Israël. Toutefois, si pour une raison
naissons nous-mêmes être véritable. Car quelconque, il vous est maintenant impossible
nous ne disons pointque le Père est le même de le voir, croyez et vous verrez ensuite. Car
que le Fils, ni que le Père ou le Fils est le c'est en les comprenant qu'on voit ces choses,

même que le Saint-Esprit qui appartient à la et non point en les considérant avec les yeux
Trinité. de la chair. Vous savez ce qu'a dit le Prophète
Ils sont complètement distincts entre eux : à ce sujet « Vous ne comprendrez point,
:

mais tous ensemble ne sont qu'un seul Dieu «si auparavant vous n'avez cru ^ ». Ainsi
et Seigneur. Et si nous disions qu'il y a deux puisque vous entendez ces paroles « Le Sei- :

seigneurs dieux, l'un grand et l'autre plus « gneur ton Dieu est un Seigneur unique »,

grand; l'un bon et l'autre meilleur; l'un sage ne faites point, du Père et du Fils, deux sei-
et l'autre plus sage; l'un miséricordieux et gneurs dieux. Et quand vous entendez ces
l'autre plus miséricordieux ; l'un puissant et autres paroles « Ne savez-vous pas que vos
:

l'autre («lus puissant ; l'un invisible et l'autre « corps sont en vous un temple du Saint-Es-

plus invisible ; l'un véritable et l'autre plus « prit que vous avez reçu de Dieu ? » et au

véritable en un mot, si nos paroles étaient


; même endroit : « Ne savez-vous pas que vos

absolument conformes au langage que vous « corps sont les membres du Christ'? »quand,
avez tenu pour nous amener à reconnaître dis-je,vous entendez ces paroles, ne niez point
nous aussi deux seigneurs dieux. Dieu lui- que Saint-Esprit ne soit Dieu, afin de ne
le
même nous condamnerait par ces paroles que pas faire des membres du Créateur le temple
j'ai déjà rappelées : a Ecoute, ô Israël : le Sei- d'une créature. Croyez d'abord que par leurs
« gneur ton Dieu est un Seigneur unique ». personnalités propres ils sont trois, et que ce-

Comme s'il nous disait « enfants des : pendant tous ensemble ne sont point trois sei-
« hommes, jusquesàquandaurez-vouslecœur gneurs dieux, mais un seul Seigneur Dieu
« appesanti? pourquoi aimez-vous la vanité, et unique et ensuite le Seigneur lui-même ac-
:

«cherchez-vous le mensonge '? » Pourquoi cordera à votre foi et à votre prière l'intelli-
vous faites-vous à vous-mêmes deux seigneurs gence, et vous mériterez ainsi de voir, c'est-à-
dieux? pourquoi ne voulez-vous pas m'enten- dire de comprendre ce que vous croyez. Con-
dre quand je vous crie « Ecoute, ô Israël le: : sidérez attentivement tout ce que vous avez
« Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique?» dit dans votre longue controverse, et vous
pourquoi criez-vous pour me contredire Nos : verrez que tout cela découle de cette erreur
seigneurs dieux sont deux seigneurs? Agiriez- qui vous fait établir deux seigneurs dieux,
vous ainsi, si vous vouliez être Israël? Consé- contrairement à cette parole du Seigneur
quemment, puisque ce mot signifie homme : qui dit on ne peut plus clairement « Le Sei- :

voyant Dieu, pardonnez-moi, je vous prie, si « gneur votre Dieu est un Seigneur unique »
;
vous ne voulez pas être Israël, moi je veux de cette erreur qui vous fait aussi nier la di-
' Ps. n-, 3. • I Cor. xm, 12. — ' Isa. vn, 9. — ' I Cor. vi, 19, 15.
592 CONFÉRENCE DE SAINT AUGUSTIN AVEC MAXIMIN, ÉVÊQUE ARIEN.
vinité du Saint-Esprit, quoiqu'il tous soit im- rité, cité des témoignages véridiqueset divins,
possible de nier que cet Esprit habite un mais dans le but de prouver vos opinions er-
temple saint. Cependant après noire confé- ronées.
rence, où nous avons parlé tour à tour et saos Et d'une autre main : Moi, Augustin, évêque,
intermédiaire, il me suffira pour le moment j'ai signé.
de vous avoir adressé ces observations. Mais, Puis d'une autre main encore, Maximin :

comme c'est une œuvre longue et que vous avez Quand vous aurez terminé cet ouvrage et
bâte de retourner dans votre pays, je mettrai, que vous me l'aurez envoyé, si je ne réponds
s'il plaît à Dieu etaussi clairement qu'il me sera pas à toutes les difficultés, les torts seront de
possible, nos discours sous les yeux de ceux mon côté.
qui voudront les lire et avec ou sans per-
; Fin de la conférence; je l'ai coUationnée.
mission, je montrerai que vous avez, à la vé-

Traduction de M. l'abbé BARDOT.


RÉFUTATION DE MAXIMIN, ÉVÊQUE ARIEN.

LIVRE PREMIER.
Augustin démontre que Maïimin n'a pu réfuter ce qu'il a dit dans la Conférence.

Le langage diffus de Maximin, évêque des s'écrie « On croit de cœur pour être justifié,
:

Ariens, nous a pris toutun jour dans la con- « eton confesse de bouche pour être sauvé' ».
férence, où nous discutâmes ensemble ayant ; Si vous pensez que votre croyance conduit à
maintenant à faire entendre ma réponse, c'est la justice, pourquoi donc ne la confessez-vous
à lui évidemment que je dois m'adresser : pas aussi de bouche, pour arriver au salut?
soit qu'iljuge encore à propos de répliquer, que si confesser qu'il y a deux dieux à qui est
lorsqu'il m'aura lu soit que
, touché au , due l'adoration, ne mène pas au salut, il est
cœur par l'action merveilleuse de la grâce, hors de doute que le croire ne conduit pas
il se rende à l'évidence de la vérité. Quelle non plus à la justification. Pourquoi donc
idée avez- vous eue, avocat des Ariens, de dire vous, qui ne voulez pas souiller votre bouche
tant de choses, et de ne rien dire qui ait rap- par une pareille confession, ne purifiez-vous
port au sujet qui nous occupe, comme si c'était pas votre cœur d'une croyance semblable ?
répondre que de ne pouvoir garder le silence? Tenez-vous-en à pure avec la doctrine
la foi
Je démontrerai donc, en premier lieu, que vous catholique, et ne rougissez pas de réformer
n'avez pu réfuter ce que j'ai soutenu je ferai ;
votre erreur. Avec la foi catholique tenez pour
voir ensuite, autant que je le jugerai néces- certain que le Père n'est pas le même que le
saire, l'erreur des doctrines que vous avez Fils, et que même que le
le Fils n'est pas le
avancées. Père ; que le Père est Dieu, que le
et ensuite
CHAPITRE PREMIER. Fils est Dieu, et que cependant ils ne sont pas
ensemble deux dieux, mais un seul. C'est de
DES DEDX DIEUX.
celte manière seulement que vous adorerez et
Après que vous eûtes parlé sur cette ques- le Père et le Fils, reconnaissant qu'il n'y a
tion des deux dieux, répondant à votre affir- qu'un seul Dieu, et non deux à adorer; ainsi,
mation, que vous n'adoriez qu'un seul Dieu ; vous mettrez votre conscience à l'abri du re-
« La logique », ai-je dit, « veut, ou que vous proche d'impiété quand retentiront à vos
,

((n'adoriez pas le Christ, ou qu'au lieu d'un oreilles ces divers oracles « Il n'y a nul :

« seul Dieu, vous en adoriez deux ». Pressé « autre I>ieu que le seul Dieu - »; et encore :

de répondre sur ce point, vous avez, il est a Ecoute, Israël le Seigneur ton Dieu est le
:

vrai, parlé beaucoup, pour affirmer que vous « seul et unique Seigneur » et quand vous ;

reconnaissiez aussi la divinité du Christ mais, ; entendrez ces paroles « Tu adoreras le Sei- :

quoique vous n'ayez pas nié que vous adoriez « gneur ton Dieu et tu ne serviras que lui ^a,
deux dieux, vous n'avez pas cependant osé vous pourrez en sécurité rendre, non-seule-
l'affirmer. Vous avez compris en effet que les ment au Père, mais encore au Fils, le culte
oreilles chrétiennes ne peuvent supporter qui n'est dii qu'à un seul Dieu. Souvenez-vous
qu'on dise qu'il y a deux dieux à adorer. Oh ! donc que vous n'avez point répondu à mon
que vous seriez près de revenir de votre objection, savoir que vous adorez, non pas
:

erreur, si vous craigniez de croire ce que un seul Dieu, mais deux.


vous avez eu peur d'affirmer car l'Apôtre
! ' Rom. X, 10. — I Cor. viil, 4. — ' Deut. VI, 4, 13.

S. AuG. — Tome XIV. 38


,

594 RÉFUTATION DE MAXIMIN.

CHAPITRE 11. a mais, quant à la vie qu'il a maintenant, il

a vit pour Dieu » 11 est mort une fois seu- '


.

DE LA CORRUPTION DE l'HOMME.
lement pour le péché, parce qu'il est mort
J'ai, en second lieu, discuté avec vous sur dans une chair semblable à la chair de péché,
ces expressions dont vous vous étiez servi : quand il s'est dépouillé de sa chair en mou-
que Dieu le Père n'était pas descendu, lui, rant figure mystérieuse de ceux qui, ayant
:

jusqu'aux contagions humaines, comme si le été baptisés dans sa mort, doivent mourir au
Christ les avait éprouvées dans sa chair et ; péché, afin de vivre pour Dieu. C'est ainsi
je vous ai fait l'emarquer l'interprétation encore qu'il est « devenu » par la croix a ma-
qu'on donne ordinairement au mot contagion ;
a /e'c?/c</on pour nous ^ » En effet, quand il .

ilne s'entend jamais que dans un sens défa- fut pendu au bois, il attacha à ce bois la mort
vorable, et nous savons, ajoutais-je, que le qui était venue par suite de la malédiction
Christ a été innocent de toute souillure. Ici divine et de celte manière « notre vieil
,

encore vous avez été incapable de répondre a homme a été fixé à la croix avec lui ^
»,
quoi que ce soit. Car les divins oracles que ce qui permet de donner une interprétation
vous avez invoqués, n'ont pu vous être d'au- véritable à cette parole inscrite dans la
cun secours vous n'avez pu en tirer la preuve
;
loi :Maudit tout homme qui est pendu
a

que le Christ avait participé à la souillure de « au bois ' ». Qu'est-ce à dire, « maudit », si
l'homme. En effet, vous rappelez ce texte de ce n'est : « Tu es terre, et tu iras dans la

l'Apôtre : « Comme le Christ n'était point pé- « terre ^ ? » Et que veut dire : « Tout homme »
« cheur Dieu l'a fait péché pour nous »
, ;
sinon que le Christ lui-même partagea notre
mais lisez ce passage avec attention, et de peur humanité, et quoiqu'il fût la vie, qu'il a cepen-
de tomber à un exemplaire fautif ou d'être en- dant souffert, non par une mort fictive, mais
traîné dans l'erreur par une version défec- par une mort véritable ? Si vous avez l'intel-
tueuse, recourez au grec et vous vous con- ; ligence de ces choses mystérieuses, vous com-
vaincrez que le Christ n'a point commis le prendrez alors qu'il n'a point participé à la
péché pour nous, mais que Dieu le Père l'a fait contagion du péché. Mais que nous importe,
péché, c'est-à-dire, victime pour le péché. si dans votre langage, contagion signifie la

L'Apôtre dit en effet o Nous vous conjurons, : même chose que co?«iac< des choses mortelles,
a au nom de Jésus-Christ, de vous réconcilier pourvu cependant que vous admettiez avec
« avec Dieu, qui, pour l'amour de nous, a nous que le Seigneur Jésus n'a commis aucun
« fait péché celui qui ne connaissait pas le péché, ni de l'esprit, ni de la chair ?
péché B. Le Christ lui-même ne s'est donc
'

point rendu coupable de péché mais, par ,


CHAPITRE in.

amour pour nous. Dieu l'a fait péché, en DE l'invisibilité DE DIEU.


d'autres termes, comme je l'ai dit, il a fait de
lui la victime pour le péché. Si vous vous En troisième lieu, traitant de Dieu, en tant
donnez la peine de coUiger et de relire les qu'invisible, je vous ai averti qu'il fallait croire

livres de l'Ancien Testament, vous trouverez que l'invisibilité est un attribut, non pas seule-
en effet que les sacrifices pour les péchés y ment du Père, mais encore du Fils, considéré
sont a|)pelés péchés. Cette chair, semblable à comme Dieu ;
je n'ai pas dit, comme homme :

la chair de péché, que le Christ a prise eu ve- car ilpersonne qui mette en doute la
n'est

nant à nous, l'Apôtre l'appelle aussi péché. réalité de son apparition parmi les hommes :

« Dieu, dit-il, a envoyé son Fils revêtu d'une dans la suite, j'ai encore discuté ailleurs sur
« chair semblable à la chair de péché, et par cette matière. Or, contraint de vous rendre à
« le péché il a condamné le péché dans la l'évidence de la vérité, vous avez admis que
« chair * » c'est-à-dire, dans celte chair qu'il
: le Fils est invisible et par là même vous avez ,

a prise, semblable à la chair de i)éché, il a détruit votre propre affirmation que le Père :

condamné le péché inhérent à cette chair de seul était invisible. Mais troublé de votre aveu,
péché, quiesl la nôtre. C'est pourquoi l'Ecriture et craignant de vous être trop avancé en re-
dit encore de lui « Quant à ce qu'il est mort,
: connaissant que le Fils jouissait également de
il est mort seulement une fois pour le péché ;
• Rom. VI , 10. — • Gai. m , 13. — ' liom. vi , 6. '
Dcut. XXI,
' II Cor. V, 20, 21. — ' Rom. vill, 3. 23.— • Geii. tu, 19.
LIVRE PREMIER. MAXIMIN N'A RIEN RÉFUTÉ. S9S

vous avez osé affirmer que ce


l'invisibilité, sur le témoignage irrésistible du Fils, vous
qui est plus petit peut être vu par ce qui est avez fait l'aveu que le Père est vu de lui.
plus grand, mais que ce qui est plus grand ne Quant à cette dénomination que vous donnez
peut être vu par ce qui est plus petit les ;
au Père, en disant qu'il ne peut être contenu,
anges, disiez-vous, sont vus par les archanges, nous y reviendrons plus tard, afin que la
et les ànies par les anges, mais par contre, les vérité ait encore raison de vous sur ce terrain.
anges ne sont pas vus par les âmes. De cette Mais la question entre nous n'était pas de
théorie vous déduisiez que , sous le rap- savoir s'il peut être contenu ou non il s'agis- ;

port de la substance de sa divinité, le Christ sait du visible et de l'invisible or sur : ,

était invisible, non pas seulement pour les ce point, si vous êtes visible vous-même à
hommes, mais encore pour les Vertus célestes, vos propres yeux, vous voyez que vous êtes
et que le Père est seul invisible, parce qu'il vaincu.
n'a pas de supérieur qui puisse le voir. Dites- CHAPITRE IV.
nous, de grâce, quand est-ce que les archan-
DE l'immortalité DE DIEU.
ges vous ont révélé qu'ils voient eux-mêmes
Jes anges, et qu'ils n'en sont pas vus ? Quels En quatrième lieu, j'ai discuté avec vous la
sont les anges qui vous ont fait connaître question de savoir si le Fils possède aussi
qu'ils voient les âmes, et que les âmes ne les l'immortalité divine. Quand l'Apôtre dit« Lui :

voient point? Qui vous a enseigné cela? Où « seul a l'immortalité '


», vous avez voulu
l'avez-vous appris ? Où l'avez-vous lu ? Ne entendre ce texte, en ce sens qu'il s'applique
vaudrait-il pas mieux que vous appliquiez exclusivement au Père ; tandis qu'il a pour
votre esprit à l'étuile des saints livres, où nous objet non pas le Père seulement, mais Dieu,
lisons que les anges apparurent même aux qui est le Père et le Fils et le Saint-Esprit. J'ai
hommes, quand et comme il leur plut de donc démontré que le Fils possède l'immorta-
se faire voir à eux , suivant l'ordre ou la lité le rapport de la substance de sa di-
sous
permission du Créateur de toutes choses ? vinité. Personne du reste ne met en doute
Toutefois après avoir dit que si le Père
, qu'il ait été mortel dans sa chair. Or, quand
seul est invisible, c'est parce qu'il n'a pas de vous vouliez me répondre en cet endroit, en-
supérieur qui le voie, vous avez ensuite accor- fermé par la vérité de toutes parts, vous avez
dé qu'il est visible au Fils, en produisant reconnu que l'immortalité appartient égale-
contre vous-même le témoignage de l'Evan- ment à Dieu le Fils. Vous avez donc été
gile, où le Fils dit en propres termes : « Ce vaincu, lorsque vous prétendiez que, suivant
a n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père, l'Apôtre, l'inmiortalité est un attribut exclu-
« si ce n'est celui qui est né de Dieu car c'est : sif du Père. Car vous n'échappez pas aux
«celui-là qui a vu le Père ». La vérité a
'
étreintes de la vérité, parce que vous dites :

triomphé de vous, en cette circonstance, d'une Il est vrai que le Fils possède l'immortalité,

manière éclatante mais persistant à vouloir


; mais il la tient du Père. Il n'est pas question
rester dans les liens de l'erreur, vous n'avez de savoir d'où elle lui vient, mais s'il l'a réel-
pas voulu que votre défaite vous fût profi- lement. En effet, vous ne voulez entendre que
table. Car, après avoir invoqué contre vous du Père ce passage : « 11 possède seul l'im-
l'argument tiré de l'Evangile, d'où il résulte a mortalité ». Sans doute, le Père a l'immor-
clairement que le Père est vu par le Fils, talitésans la tenir de personne, et le Fils la
puisque le Fils dit lui-même « Mais celui qui : possède la tenant du Père cependant et le :

« est né de Dieu, celui-là voit le Père », vous Père et le Fils la possèdent en même temps.
avez ajouté de vous-même a Mais il le voit, : Autrement, si le Fils ne la possède pas, le Père
« sans pouvoir l'embrasser tout entier de son ne l'a pas donnée au Fils, ou le Fils l'a perdue
« regard » Vous avez oublié en chemin ce que
. après l'avoir reçue du Père. Or, le Père l'a
vous aviez dit que le Père est seul invisible,
: donnée au Fils, et le Fils ne l'a pas perdue,
parce qu'il n'a pas de supérieur vaincu par ; et le Père, en donnant, n'a pas perdu ce qu'il
la force de la vérité, vous avez confessé en a donné par voie de génération. L'immorta-
effet qu'il est vu par un inférieur. Car vous lité est donc commune au Père et au Fils, et
lui donnez pour inférieur le Fils, et cependant, non l'attribut exclusif du Père. C'est ainsi que
'
JeaD, VI, 46. • I Tira. VI, 16.
596 REFUTATION DE MAXIMIN.

vous êtes contraint d'avouer que ces mots : pu trouver rien à dire en faveur de votre
« Lui seul possède l'immortalité », ne s'en- sentiment. Et parce que vous n'avez pu nier
tendent pas seulement du Père ; car vous ce passage de l'Apôtre, vous avez dit «11 n'a :

avez déjà été forcé de reconnaître que le Fils, a pas été usurpateur, et nous ne le disons pas
lui aussi, possède l'immortalité. Cette immor- « non plus », comme si « il n'a pas usurpé »
talité est le privilège d'un seul ; mais elle ap- signifiait la même chose que a il n'a pas eu »,
partient à Dieu. Or, Dieu, ce n'est pas seule- sous-entendez, l'égalité avec Dieu; et que:
ment le Père, c'est aussi le Fils, et tous les « 11 n'a point cru que ce fût pour lui une
deux, avec le Saint-Esprit, sont un seul Dieu. « usurpation de s'égaler à Dieu », dût avoir
Mais comment est-il dit que Dieu a seul l'im- le sens suivant a II n'a point cru que l'éga-
:

mortalité en partage, tandis que l'âme est « lilé avec Dieu dût être usurpée, parce qu'elle

également immortelle à sa manière, ainsi que « ne lui appartenait pas ». Car le ravisseur de

d'autres créatures spirituelles et célestes à la la chose d'autrui est un usurpateur il sem- :

fois, nous le verrons dans la suite


quant à ;
blerait d'après vous, que le Fils n'a pas voulu
présent, il nous suffit que vous n'ayez pu ravir cet attribut, quand il pouvait le faire
rien nous répondre, et que vous ayez été con- impunément. Vous voyez vous-même ce qu'il
traint de reconnaître que l'immortalité n'ap- y a d'insensé dans une pareille interprétation.
partient pas seulement au Père, mais encore Comprenez donc que l'Apôtre a dit « Il n'a :

au Fils, quoiqu'il la tienne du Père. « point cru que ce fût pour lui une usurpa-

« tion de s'égaler à Dieu » parce que le Fils ,

CHAPITRE V. n'a point considéré comme lui étant étran-


gère, une perfection qu'il avait ])ar nature :

sous QUEL RAPPORT LE PÈRE EST-IL PLUS cependant, quoiqu'il n'ait point cru que l'éga-
GRAND QUE LE FILS ? lité avec Dieu lui fût étrangère, mais qu'elle
lui appartenait en propre, « il s'est anéanti
démontré
J'ai en cinquième lieu
, d'où , lui-même », ne recherchant point son in-
«

vient que le Père est plus grand que le Fils : térêt, mais le nôtre. Aûn que vous reconnais-
qu'il n'est pas plus grand que lui sous le rap- siez qu'il en est ainsi, considérez comment
port de la divinité, le Fils lui étant coéternel l'Apôtre en vient à tenir ce langage. Ensei-
à ce point de vue ; mais qu'il est plus grand gnant aux chrétiens la charité basée sur l'hu-
que lui, sous le rapport de l'humanité, le milité « Que chacun »,leur dit-il, « croie les
:

Fils ayant été fait dans le temps. J'ai invoqué a autres au-dessus de soi, et n'ait point égard

à ce sujet le témoignage de l'Apôtre «Ayant, : « à ses propres intérêts, mais à ceux des

« dit-il, la forme de Dieu, il n'a point cru que a autres ». Voulant ensuite appuyer cette doc-

« ce fût une usurpation pour lui d'être égal trine sur l'exemple du Christ a Soyez », ajou- :

a à Dieu ». Par nature, il était égal à Dieu, te-t-il, « dans le même sentiment et la même

iln'a rien usurpé. Voici ce que vous avez « où était Jésus-Christ, qui, ayant
disposition
trouvé à répondre sur ce point Qui donc : a la forme de Dieu » dont il était en posses-
,

dénie au Fils la nature divine ? Qu'il soit Dieu, sion, a n'a point cru que ce fût pour lui une
et Seigneur, et Roi, je pense l'avoir longue

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