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Au Nom de Dieu? Non, le génocide de 1994 au Rwanda, les crimes contre l'humanité et autres
actes génocidaires dans la région des Grands Lacs depuis plus de 30 ans, n'ont pas été commis au
nom de Dieu. Cependant, la propagande des criminels a insisté pendant toute la durée du
génocide au Rwanda sur le fait que Dieu était avec le peuple.(2) Est-ce pour cela que les
meurtriers se sont cru autorisés d'utiliser les églises, lieux de refuge pour les Tutsi exclus du
peuple et traqués, comme abattoirs humains?
Depuis l'indépendance du Rwanda et du Burundi, des massacres touchant des civils - dont
femmes, enfants, bébés - n'ont cessé de se répéter à l'intérieur de ces deux pays selon des
processus différents, obligeant une partie de la population à fuir. Ils touchent principalement une
catégorie de citoyens considérée comme une ethnie étrangère, les Tutsi, et se sont souvent
accompagnés au Burundi d'une répression sanglante contre une autre catégorie de citoyens
considérée comme autochtone, les Hutu (il existe d'autres catégories oubliées par tout le monde
mais prises elles aussi dans les massacres). Un seul de ces massacres, celui de 1994, ayant pour
but de faire disparaître complètement les Tutsi, a été qualifié de génocide par l'O.N.U.,
probablement à cause de son étendue: près d'un million de personnes. Les autres massacres, dont
certains (au Burundi en particulier) qui touchent systématiquement les cadres hutu sont
nettement des actes de génocide, peuvent être qualifiés de crimes contre l'humanité. Pour la
plupart, ces massacres sont restés impunis, consacrant ainsi en quelque sorte leur légitimité.
Il apparaît d'entrée que, s'il ne faut pas rendre globalement les institutions religieuses
responsables au même titre que les pouvoirs politiques en place des actes de génocide et des
massacres, par contre de nombreux cadres des églises chrétiennes appuyés par leur institution ont
une responsabilité directe, soit par complicité, soit par incompétence, en propageant des
idéologies criminelles. Cependant, on est toujours en attente d'une condamnation claire par les
églises chrétiennes, en particulier par l'église catholique, de tous les massacres quels qu'ils soient
et sans l'amalgame trop répandu entre les assassins et les victimes.
La publication récente de plusieurs livres par des chrétiens engagés nous amène à reposer la
question pour le temps présent du rôle des hommes d'église dans la situation catastrophique de
cette région et de l'éventuelle responsabilité juridique de certains d'entre eux comme
propagateurs, peut-être involontaires, d'informations tendancieuses entretenant un climat de
peur, de méfiance et de haine, niant la réalité d'un génocide et pouvant conduire à de nouveaux
massacres. Au préalable, il est nécessaire de résumer l'implication passée des missionnaires dans
les conflits actuels.
Pour eux, les Tutsi, catégorie de population dont une minorité détient alors le pouvoir au Rwanda
central (mais pas au Burundi), sont des Hamites, éleveurs nilotiques à la peau «claire»,(4)
«arrivés» au 15e siècle, aristocrates, êtres supérieurs, parents des Juifs et cousins des Blancs. On
les reconnaît, parait-il, à leur grande taille! Joseph-Arthur de Gobineau, dans son Essai sur
l'inégalité des races humaines, en 1853-1855, livre qui inspira Hitler, ne parlait-il pas de la
migration des Chamites (les Hamites), descendants de Cham et de Noé, peuples blancs venus
d'Asie septentrionale par l'Arabie jusque dans l'Est de l'Afrique. Tous les peuples de pasteurs
d'Afrique devaient être les descendants un peu africanisés de ces Hamites.
A côté d'eux, la catégorie des Twa serait composée d'artisans et de chasseurs pygmées (de «petite
taille», malgré leur moyenne anthropométrique de 1m 59), autochtones, dont les Hutu, catégorie
de population dite «bantu» arrivée il y a 2000 ans, auraient hérité de la légitimité sur le sol. Ces
Hutu, les plus nombreux, seraient uniquement agriculteurs, de taille «moyenne», à la peau
«sombre», de vrais Africains. On attend toujours aujourd'hui un commencement de preuve sur
ces mythes forgés de toutes pièces. Les missionnaires (Français et Belges surtout), imprégnés
d'une théorie des invasions successives comme celles des Gaulois puis des Francs dans l'histoire
franco-belge, ne pouvaient envisager l'histoire de la région des Grands Lacs qu'à travers des
migrations dont celle des Hamites tutsi aurait été le couronnement civilisateur.
Tous les missionnaires n'étaient pas dupes. Bien informés des réalités locales, de l'existence de
rois «hutu» au début du 20e siècle à la périphérie du Rwanda central, de principautés «hutu» et
d'une monarchie non tutsi au Burundi, mais aussi des exactions de certains grands chefs et
princes de la cour royale et de leur résistance à la conversion, certains Pères Blancs s'opposèrent
au mythe idyllique du Tutsi hamite civilisateur et à l'alliance avec les Tutsi. Mais ils ne remirent
pas en cause la réalité des distinctions raciales instaurées, acceptant ainsi le regroupement
arbitraire de toute la population en deux ethnies vouées à une haine réciproque.
élevage
catégorie culture chasse pêche poterie forge pouvoir
bovin
Twa H * - ** * - * -
F *** (*) - - * - -
Hutu H * * * * * * religion,
F *** - - - - - politique
non H * * ** ** * * religion,
Tutsi F *** - - - - - politique
Tutsi H * *** * - (*) ... prestige,
F *** - - - - - politique
Ganwa H ** - - ... politique
gestion gestion
F - - - - rituel
(H= homme, F= femme) (in: Mageza & Lespinay,1990)
Les catégories du Burundi et leurs activités au début du XXe siècle
(les rares distinctions se sont estompées aujourd'hui)
Les bami (rois) du Rwanda et du Burundi, voyant le risque que peut engendrer l'expansion de la
nouvelle religion sur leur royauté sacrée, fondement de la société et des institutions politico-
foncières, garante de l'équilibre politique et social, se méfient des missionnaires et du nouveau
pouvoir qu'ils sont en train d'installer. Ceux-ci ne se privent pas d'ailleurs de défier le pouvoir
royal et la religion des habitants, en s'installant sans autorisation près ou sur des sites sacrés ou
royaux. N'étant pas jugée digne de respect, la religion locale du kubandwa est considérée comme
une superstition à extirper et non comme une religion.
En 1931, les «Pères blancs» entreprennent l'évangélisation massive de la région. C'est une
véritable conquête religieuse qui commence. L'église catholique conquérante ne va pas supporter
la concurrence, que ce soit de la part de la religion locale ou des autres confessions chrétiennes.
Elle ira jusqu'à encourager par voie d'affiche la dénonciation des mauvais convertis (c'était
encore le cas au Burundi, à Mpinga dans le Nkoma, en 1980), faisant aussi des autodafés
d'instruments du culte du kubandwa.
Les Pères blancs jettent leur dévolu au Rwanda sur Rudahigwa, fils du mwami (roi) Musinga, le
convertissent, puis obtiennent du pouvoir colonial la destitution du roi, à l'instigation de
Monseigneur Classe, et la nomination de chefs de l'aristocratie tutsi à la place des chefs hutu
en poste. Leur pupille sera intronisé mwami, sous le nom de Mutara III et, après une très longue
instruction religieuse, il sera baptisé solennellement en 1943, le Rwanda étant ensuite consacré
au Christ-roi (1946). La nouvelle monarchie, devenue chrétienne, n'a plus la légitimité sacrée de
celle de Musinga, parti en exil. En outre, les cadres provenant de la haute aristocratie tutsi et dont
la mise en place systématique, sur les conseils des missionnaires, avait déjà commencé sous la
colonisation allemande, commettent de nombreuses exactions, créant un fossé entre eux et le
reste de la population. C'est alors l'effondrement de l'ancien système de valeurs qui assurait
l'équilibre entre les diverses couches de la société depuis des siècles.
Les prêtres catholiques poursuivent la formation d'une nouvelle élite (ceux que l'on appelle
aujourd'hui les «intellectuels») prise parmi les Tutsi, à qui l'on apprend toujours qu'elle est de
race supérieure, et dont les Hutu sont exclus. Cependant, les Hutu accèdent au monde des
Blancs en entrant dans les ordres et profitent du même endoctrinement idéologique avec les
rancoeurs correspondantes.
La lettre pastorale de Monseigneur Perraudin du 11 février 1959, d'aspect très modéré, mais à
l'origine directe de la révolution qui va suivre, est une bonne illustration de ce qui se prépare en
fait. Extraits:
«Nous ne croyons pas exagérer en disant qu'il n'y a pas assez de charité dans notre cher
Ruanda, même entre chrétiens...» «Il y a aussi dans notre cher Ruanda, comme dans beaucoup
d'autres pays du monde, divers groupe sociaux. La distinction de ces groupes provient en grande
partie de la race mais aussi d'autres facteurs comme la fortune... Parmi les Africains il y a les
Batutsi, les Bahutu et les Batwa; il y a des riches et des pauvres; il y a des pasteurs et des
cultivateurs; il y a des commerçants et des artisans...; il y a des gouvernants et des gouvernés.»
Notons que le parallélisme n'est pas involontaire, entre les Batutsi (= Tutsi): riches, pasteurs,
commerçants, gouvernants, et les Bahutu (et Batwa): pauvres, cultivateurs, artisans, gouvernés.
C'est le point de vue encore actuel de beaucoup de prêtres et de pasteurs à propos du Rwanda,
après 34 ans de pouvoir «hutu» sans partage, et du Burundi, toujours entre les mains d'une
minorité issue du groupe «minoritaire» tutsi.
«Constatons tout d'abord qu'il y a réellement au Ruanda plusieurs races assez nettement
caractérisées ...» «Toutes les races sont également respectables et aimables devant Dieu.
Chaque race a ses qualités et ses défauts...» «Dans notre Ruanda les différences et les inégalités
sociales sont pour une grande partie liées aux différences de race...» «Mais il est certain que
cette situation de fait ne répond pas aux normes d'une organisation saine de la société ruandaise
et pose aux Responsables de la chose publique des problèmes délicats et inéluctables.» «L'Eglise
est contre la lutte des classes entre elles, que l'origine de ces classes soit la richesse ou la race...,
mais elle admet qu'une classe sociale lutte pour ses intérêts légitimes par des moyens
honnêtes...».
Prêchant l'union et refusant la haine, bien que Mgr Perraudin ait oublié la participation passée
des missionnaires à 60 années de manipulations qui sont à l'origine même de cette situation
d'inégalité, sa lettre paraît conciliante alors qu'en réalité elle consacre la nécessité de lutter contre
les inégalités en se fondant sur le critère racial! En 1959, peu d'années après la condamnation,
internationale et unanime, des crimes nazis, les hommes d'église ne semblent pas conscients des
implications racistes de leur discours, imprégnés qu'ils sont de la conception biblique de «race»
qui est essentiellement généalogique et dont l'utilisation est cependant périlleuse. C'est là toute
l'ambiguïté des positions toujours actuelles des églises chrétiennes en matière de réconciliation,
comme nous allons le voir ensuite.
En 1959, le mwami Mutara décède et son successeur, Kigeri V, est proclamé sans l'accord
préalable du gouverneur belge Harroy. Des troubles éclatent alors entre contestataires hutu et
chefs tutsi. Le colonel Logiest envoyé pour rétablir l'ordre destitue les chefs et sous-chefs tutsi et
les remplace par des Hutu, avec l'appui de l'archevêque monseigneur Perraudin. Un nouvel ordre
hutu est installé, dont les Tutsi sont exclus. Ce fut le début, ainsi que pendant toute la durée de
la république indépendante qui est instaurée, de heurts avec des réfugiés contestataires sur les
frontières, suivis de massacres génocidaires contre les Tutsi. Les nouveaux dirigeants ont repris à
leur compte l'idéologie des trois races apprise auprès des missionnaires... Tout au long des
présidences de Kayibanda puis de Habyarimana, les dirigeants de l'église catholique rwandaise,
qui est devenue la principale force économique du pays, appuieront le pouvoir «hutu», jusqu'à sa
chute en 1994.
Au Burundi, la position de l'église catholique n'est pas différente, à ceci près que les cadres hutu
formés dans les séminaires n'auront pas la possibilité de prendre le pouvoir lors de
l'indépendance. Certains milieux tutsi, inquiets de la situation au Rwanda où les massacres se
multiplient et d'où les réfugiés affluent, prennent les devants et, mettant fin à la monarchie,
accaparent le pouvoir en croyant ainsi échapper à un massacre inéluctable. Ne pouvant éviter les
nombreuses provocations d'extrémistes suivies de massacres de Tutsi, les dirigeants se laissent
entraîner à plusieurs reprises dans la spirale de la répression sanglante et aveugle.
Sous le régime du président Bagaza (1976-1987), celui-ci rompt avec les églises qu'il estime trop
puissantes et trop proches du peuple et des Hutu en particulier. Bien que l'histoire politique et
sociale de ce pays soit tout-à-fait différente de celle du Rwanda, les mêmes mythes raciaux y
sont enseignés par les églises catholiques et protestantes jusqu'aujourd'hui, avec les mêmes
manipulations idéologiques à propos de la nécessaire prise de pouvoir par le «peuple majoritaire
hutu», et les deux camps artificiellement créés y souffrent des mêmes peurs réciproques.(11)
L'exacerbation des rivalités actuelles reste uniquement le fait des intellectuels, ces «élites»
formées par les missionnaires.
C'est en particulier là que les églises paraissent montrer qu'elles ont failli à leur mission, qu'elles
s'avèrent, à preuve du contraire, dangereuses pour les populations qui leur sont culturellement
étrangères, et que faute d'examen de conscience suffisant elles ne sont pas prêtes à s'arrêter en si
mauvais chemin.
Le témoignage en 1995 d'un prêtre français, le R.P. Gabriel Maindron, originaire de Vendée,(12)
formé dans un séminaire rwandais au moment de l'indépendance, est très révélateur des
nombreux parallélismes que font les Européens entre leur propre passé et celui de la région des
Grands Lacs (le passé mérovingien de la France, la féodalité, la révolution française, la lutte des
classes, les guerres de religion en France, etc). Il montre aussi la compromission de l'Eglise avec
le régime rwandais coupable de génocide. Le père Maindron explique la violence au Rwanda par
une responsabilité réciproque des racistes et des démocrates, des Tutsi et des Hutu, dont le
physique différent se reconnaîtrait facilement.
De ce prêtre dépassé par les événements, on voit les incertitudes ou les compromissions, selon
l'interprétation. Par exemple lors d'une messe en plein génocide devant des femmes hutu,
pendant que leurs maris font la chasse aux Tutsi cachés près de son église; ou par l'invitation aux
mourants et aux rescapés provisoires de pardonner à l'avance aux meurtriers qui vont revenir les
achever (les prêtres, lors des massacres de la révolution française demandaient bien la même
choses aux mourants et aux condamnés en sursis, souvent avant d'être eux-mêmes exécutés). En
plein génocide, il fait toujours confiance aux gendarmes du régime qui a condamné à mort les
Tutsi, leur confiant 200 réfugiés qu'il a pu cacher! Pour lui comme pour beaucoup de prêtres, le
responsable de ces massacres inhumains, de cet enfer, ne peut être que le diable, pas les hommes
du gouvernement.(13)
Selon H. Mac Cullum (1995), «la hiérarchie ecclésiastique recevait un appui et des prodigalités
considérables de la part du parti au pouvoir: elle est restée trop souvent silencieuse face à
l'injustice, réticente à faire usage de sa position d'autorité face au vide moral de la société
rwandaise dans les dernières années d'Habyarimana.» «... en tout état de cause l'Eglise, au
niveau international, n'a pas pu ou n'a pas voulu fournir ce qu'elle a offert pendant 25 ans aux
victimes de l'apartheid en Afrique du Sud : son soutien inconditionnel et sa solidarité.» Il faut
noter aussi les profanations systématiques commises dans les églises en même temps qu'elles
étaient devenues lieux d'abattoir humain, comme exemple du délabrement moral de la société.
Un certain nombre d'autorités catholiques et protestantes se refuse toujours à condamner les
responsables des massacres et à qualifier les tueries de génocide.
Mais beaucoup d'autres écrits défendent la thèse du double génocide, certainement dans un
objectif de conciliation et de réconciliation. C'est le cas en particulier du groupe Jérémie,
association chrétienne zaïroise des droits de l'homme. Celui-ci a édité en 1996 sous la direction
d'un Père blanc, Philippe de Dorlodot, un recueil de lettres, tracts et déclarations émanant
d'organisations et de personnalités hutu, ainsi que de leurs partenaires zaïrois et européens. On y
assiste à la récupération d'un crime contre l'humanité transformé en «crise humanitaire» en
faveur des réfugiés hutu ayant fui avec les responsables et encadreurs des massacres de 1994. Le
fait que le régime rwandais ait produit plus de 600.000 réfugiés tutsi, raison de leur tentative de
retour armé à partir de 1990, est complètement ignoré par ces responsables chrétiens. Pour eux,
l'armée des envahisseurs tutsi du FPR est responsable de tous les maux actuels de la région, car
leur exil est justifié (ce sont des monarchistes exploiteurs du peuple).(15)
Le recueil de textes commence par la biographie de l'un des rédacteurs Mgr Munzihirwa dont il
est dit: «il connaît le Rwanda de l'intérieur et il a vu alors les humiliations qu'avaient à subir les
Hutu...» en oubliant que cela fait plus de 30 ans qu'ils ne sont plus humiliés, contrairement aux
Tutsi rwandais. On devine déjà quel va être l'objectif des textes présentés: la diabolisation des
Tutsi. Dès la première page d'introduction, les arrestations effectuées au Rwanda sont présentées
comme arbitraires et les prisons, «véritables mouroirs», «révèlent l'ampleur de la purification
ethnique entreprise par le FPR» (front de libération composé de réfugiés Tutsi) contre les Hutu.
Les réfugiés (hutu) rwandais et burundais au Zaïre «dans leur très grande majorité sont victimes
d'une politique d'exclusion» qui pèserait plus lourd selon la morale chrétienne que le génocide de
centaines de milliers de Tutsi. La manipulation des réfugiés par des membres des forces du
gouvernement rwandais génocidaire serait une invention (elle a cependant été démontrée en
1997). Plus loin, P. de Dorlodot signe un texte où il écrit que les causes des massacres sont les
deux races: «les différences entre eux sont très profondes. Et pendant des siècles de royauté tutsi,
les Hutu furent les serfs, les esclaves. Ils étaient méprisés.» Il y justifie aussi la politique des
quotas, parle de «guerre civile» et de «résistance de l'armée rwandaise» pour décrire le massacre
organisé de populations sans défense composées de femmes, de vieillards, d'enfants, de bébés,
puis accepte le terme «génocide».
Enfin, un texte résume le souci de rééquilibrage du groupe Jérémie, écrit par P. de Dorlodot: «Il y
a deux génocides au Rwanda qui est détruit par les extrémistes des deux bords. Il y a le
génocide perpétré (...) à l'encontre des Tutsi... Et il y a aussi le génocide - dont on ne parle pas -
celui perpétré par le FPR dans les zones occupées. On sait qu'il y a eu des massacres massifs et
les témoignages précis qui manquaient commencent à arriver. On est sans nouvelles de 400 à
500.000 déplacés... Par ailleurs, il y a deux camps au moins de déplacés Hutu qui ont disparu...
Plus d'un million de réfugiés ont afflué à Goma et environs parce que paniqués par le FPR...
C'est un génocide!» Le FPR est présenté comme ayant provoqué volontairement le départ des
réfugiés hutu. Les actes de vengeance sur des personnes présumées coupables de massacres,
certes répréhensibles, sont qualifiés de génocide sélectif sur les Hutu. Le génocide contre les
Tutsi est minimisé et les morts de 1994 sont revendiqués comme essentiellement Hutu, «preuve»
de l'existence d'un génocide contre les Hutu. Ces écrits, forme de négation du génocide de 1994 à
l'égard des Tutsi, sont identiques à ceux produits par les penseurs du génocide avant et après
celui-ci. Ce n'est pas un hasard, leurs auteurs ont suivi le même enseignement dans les écoles
tenues par les missionnaires et leurs successeurs africains.
La position la plus extrême provenant d'un homme d'église est celle d'un pasteur néerlandais qui
a vécu longtemps au Rwanda, C.M. Overdulve. Celui-ci reprend à son compte la haine de la
propagande génocidaire à l'égard des Tutsi (Rwanda. Un peuple avec une histoire, 1997).
Pensant que, pour réconcilier les Rwandais, il faut établir la vérité historique et les
responsabilités des Tutsi, il en arrive à un raisonnement scandaleux qui lui permet de justifier les
crimes commis contre les Tutsi selon une fausse loi du talion.
Selon lui, la situation actuelle est due à la domination sur les Hutu des envahisseurs tutsi depuis
leur «arrivée» au 14e siècle jusqu'en 1959 et, depuis cette date, aux persécutions à partir de
l'étranger par les «royalistes» tutsi du Front Patriotique Rwandais (FPR): ce sont les véritables
coupables des massacres car ils les ont provoqués sciemment, les vraies victimes étant les Hutu
(les tués et les assassins confondus). Cette accusation est maladroite, démesurée et peu propice à
instaurer un climat de réconciliation. C'est l'illustration de ce que peut donner l'utilisation de la
Bible, ainsi que des ouvrages scientifiques sur la région des Grands Lacs, entre les mains de
personnes incompétentes. Comment peut-on accuser entre autres des enfants, des bébés, d'être
coupables de leur propre mort ?
C.M. Overdulve veut faire une «histoire de la pauvreté, de la lutte pour la survie». Il reprend le
mythe de l'existence multi-séculaire d'une «opposition entre vainqueurs [Tutsi] et vaincus
[Hutu]». Tous les Tutsi sans exception auraient formé une caste militaire dont les Hutu étaient
exclus (ce qui est faux). Ils seraient des «seigneurs», les contrats fonciers ayant été élaborés par
eux pour dominer les Hutu. La corvée (uburetwa) aurait été créée à la fin du 19e siècle par le roi
Kigeri Rwabugiri pour réduire les Hutu en esclavage au profit de tous les Tutsi, riches et
pauvres... «Par rapport aux Hutu, le Tutsi pauvre [noter le singulier] n'était pas vraiment
pauvre.» Etc. La colonisation ne serait pour rien dans la systématisation de l'opposition entre
«majorité» hutu et «minorité» tutsi, bien qu'elle ait cependant aggravé la pauvreté des Hutu.
D'après Overdulve, la politique des quotas, ayant obligé beaucoup de Tutsi sans travail à se
lancer dans le commerce, activité étrangère à la culture locale, aurait permis à ceux-ci de
s'enrichir: il leur reproche d'avoir ainsi contourné la règle d'exclusion des quotas, ce qui semble
les rendre à ses yeux encore plus odieux!
Il assure qu'il est difficile «de savoir qui étaient les coupables et qui étaient les victimes» lors de
la «guerre civile» de 1994 à laquelle il consacre 6 lignes seulement. C.M. Overdulve connaît les
intentions cachées du F.P.R., ces aristocrates Tutsi qui veulent restaurer la monarchie. Outre
l'opposition habituelle entre les termes «Tutsi» et «peuple» ou «population» [= Hutu], il écrit que
«Une des aspirations dissimulées mais généralement connues du FPR était de détruire les
acquis de la République [Overdulve est pourtant citoyen d'une monarchie], pour se venger ainsi,
sur le peuple [= Hutu], de la Révolution de 1959-1961.» «Les Tutsi dans le pays, dont on aurait
pu supposer qu'ils accueilleraient le régime FPR, ont été assassinés pour la plupart.» «Ne
faudrait-il donc pas faire comparaître les coupables du génocide ? Sans aucun doute !
Cependant, on les trouve dans les deux camps.» Les massacres du FPR contre les Hutu
«présentent le même caractère de génocide» (le FPR, dès 1990, aurait fait des «carnages» parmi
la population civile), aussi «Le génocide des Tutsi dans le pays a été appelé sur eux par les Tutsi
du FPR-Inkotanyi, qui ne pouvaient pas ne pas le savoir. S'ils n'avaient pas envahi le Rwanda, il
n'y aurait pas eu de génocide parmi les Tutsi.» Cela «montre la complexité du drame rwandais».
Tous ces textes sont identiques aux textes de la propagande génocidaire du Rwanda et de ceux
qui aujourd'hui nient le génocide en parlant plutôt de légitime défense en situation de guerre
(jusqu'à tuer préventivement des bébés ?).
Il mentionne «la répugnance invétérée qu'on ressent envers le régime tutsi, envers tout régime
tutsi qui rappelle celui dont on s'est débarrassé en 1961.» Il n'y a pas de répugnance envers le
régime hutu qui a conduit le Rwanda au génocide, puisqu'il y a été obligé par les Tutsi. «Le FPR,
lui, tue en silence, fait disparaître immédiatement les cadavres et efface toute les traces ou bien
il interdit aux observateurs une aire suspecte.» C'est en effet la méthode que semblent avoir suivi
les troupes «tutsi» de Kabila au Zaïre oriental contre les réfugiés hutu restés là-bas; il n'y a pas
eu d'enquêtes au Rwanda sur les probables exactions et massacres commis par le FPR lors de sa
conquête du Rwanda. Cette accusation qui porterait sur près de 500.000 morts Hutu, si elle est
fondée, n'absout pas pour autant les génocideurs hutu. Mais pour Overdulve, les Tutsi sont une
ethnie «criminelle»...
Selon lui, avant d'exercer la justice, il faut se rappeler «que le massacre des Tutsi a été décidé
après et par suite de l'invasion du FPR, et après qu'on avait appris les nouvelles des tueries
parmi les Hutu du nord par les Inkotanyi [ce qui est inexact]. Sans l'invasion du FPR, il n'y
aurait pas eu de génocide, il n'y aurait eu aucune raison d'en venir là.» [mais le génocide avait
commencé bien avant, au compte-goutte]. Pour C.M. Overdulve, et malgré ses observations
antérieures qui vont dans le sens contraire, il ne s'est rien passé avant 1990 qui ait pu provoquer
un génocide des Tutsi. En conclusion, il remarque que «les Eglises devraient se convertir, en
prenant (...) la défense de la population expulsée et opprimée [= les Hutu]», gommant la période
1959-1994 de pouvoir hutu!
En conclusion
Les informations présentées ici sont l'illustration de l'aveuglement d'hommes d'église, derrière
des paroles de conciliation, bien loin des préceptes de la chrétienté qui prônent la paix, la charité,
l'amour, la compréhension entre les humains. Beaucoup excusent les meurtriers d'origine hutu,
au nom de la révolution, au nom de ce que leurs ancêtres auraient subi de la part des Tutsi avant
la révolution hutu, rendant ceux-ci responsables de leur génocide ainsi que les extrémistes de
tous bords. Le maintien aujourd'hui, en 1998, de telles positions, représentatives de ce que croit
la plus grande partie des populations de la région des Grands Lacs, et qui sont nées de
l'enseignement des églises depuis plusieurs générations, ne laisse rien présager de bon pour
l'avenir.
Une autre inquiétude peut apparaître. Selon plusieurs prêtres rwandais et burundais, parmi les
prières faites dans leur jeunesse au séminaire, il y avait celle-ci: «Mon Dieu, délivre-nous des
Juifs». C'est, semble-t-il, une très mauvaise traduction de la véritable prière chrétienne: «Mon
Dieu, prions pour la conversion des Juifs» qui, loin de chercher à les exclure du monde, appelle
au rassemblement dans la chrétienté de tous ceux qui croient en Dieu. On sait que, dans
l'idéologie raciste répandue par les missionnaires, les Tutsi hamites sont cousins des Juifs et des
autres Blancs, c'est-à-dire qu'ils sont considérés comme des Juifs d'Afrique, ce classement racial
positif jusqu'en 1950 devenant négatif ensuite. Le titre du livre publié par le Père de Dorlodot
est-il alors innocent lorsqu'il décrit les réfugiés Hutu de l'ex-Zaïre comme des «nouveaux
Palestiniens», face aux Tutsi du FPR qui, tels les Juifs d'Israël, seraient en train de créer leur
propre Etat sur les ruines de l'Etat hutu, condamnant le peuple à survivre au loin dans des camps
de réfugiés ? N'y aurait-il pas, greffé sur la négation du génocide et l'exclusion des Tutsi maudits,
l'allusion étonnante dans le monde chrétien actuel à l'anormale survie d'un autre «peuple
maudit»: celui d'Israël ?
Bibliographie citée
1. Philippe de Dorlodot, Les réfugiés rwandais à Bukavu au Zaïre. De nouveaux
Palestiniens ? Paris: L'Harmattan, 1996, 253p.
2. Dominique Franche, Rwanda, Généalogie d'un génocide. Paris: Editions Mille et Une
Nuits, 1997, 95p..
3. Joseph Gahama, Le Burundi sous administration belge. Paris: Karthala, 1983, 465p.
4. Joseph Gahama, "Le jeu ethnique de la politique coloniale au Burundi", in Les Ethnies
ont une histoire (J.P. Chrétien, G. Prunier, éd.), Paris: Karthala, 1989, p.302-313.
5. Monseigneur J. Gorju, Face au Royaume hamite du Ruanda, Le Royaume frère de
l'Urundi. Essai de reconstitution historique, moeurs pastorales, folklore. Bruxelles:
Vromant & Co., 1938, 118p. + 8p.planches.
6. McCullum, The Angels have left us. The Rwanda Tragedy and the Churches, with a
foreword by Mgr. Desmond Tutu. Genève, 1995 [trad. française, Paris: L'Harmattan,
1996, 175p.].
7. Bonaventure Mageza, Charles de Lespinay, "Les droits de l'homme et l'ethnologie:
l'exemple du Burundi", Droit et Cultures n.19, 1990, p.192-214.
8. Augustin Mvuyekure, "Idéologie missionnaire et classification ethnique en Afrique
Centrale", in Les Ethnies ont une histoire (J.P. Chrétien, G. Prunier, éd.), Paris: Karthala,
1989, p.314-324.
9. M. Overdulve, Rwanda. Un peuple avec une histoire. Paris: L'Harmattan, 1997, 271p.
10. Nicolas Poincaré, Rwanda. Gabriel Maindron. Un prêtre dans la tragédie. Paris: Ed. de
l'Atelier, 1995, 128p.
11. Rumiya, Le Rwanda sous le régime du mandat belge (1916-1931). Paris: L'Harmattan,
1992, 249p.
12. H. Speke, Journal of the Discovery of the Source of the Nile. Edinburgh: Blackwood,
1863, XXI + 658p.
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