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le monde 17 /12/2008
Editorial
Changement de pied
A
u printemps 2003, en signe de ven-
geance et de mépris, les Irakiens frap-
paient de leurs chaussures les statues
monumentales de Saddam Hussein
jetées à terre par les troupes américai-
nes. Cinq ans plus tard, ils les jettent à la figure
du chef de la coalition venue les libérer d’une san-
glante dictature, en le traitant de « chien ». L’ima-
ge d’un George Bush esquivant de justesse les
projectiles lancés par un journaliste en colère
apparaît comme l’épitaphe de deux mandats enta-
chés par le plus grand fiasco américain jamais
subi au Proche et au Moyen-Orient.
En dépit du répit constaté depuis plusieurs
mois, l’Irak reste ce pays brisé par les dissen-
sions, et dont le niveau de sous-équipement, en
dépit des milliards déversés sans discernement
par Washington, est encore bien loin de corres-
pondre à ses richesses. Il ne faut pas chercher
ailleurs les raisons de l’écho immédiat qui a été
donné à ce geste d’humeur, immédiatement
dupliqué et commenté sur la blogosphère.
Rares seront ceux qui verront une injustice
dans ce geste d’humeur, même si les derniers néo-
conservateurs américains ou européens enrage-
ront en imaginant les potentats locaux, un temps
effrayés par les velléités de démocratisation de
George Bush, se réjouir de l’épisode des chaussu-
res de Bagdad célébré par les peuples qu’ils conti-
nent d’écraser avec opiniâtreté.
Lors de ses débats avec son adversaire républi-
cain, au cours de la campagne présidentielle amé-
ricaine de cet automne, Barack Obama avait évo-
qué l’obligation qui allait incomber, à ses yeux, au
successeur de George Bush. Celle de restaurer un
prestige abîmé par d’autres images, autrement
plus terribles : celles d’Abou Ghraib et de Guanta-
namo. De débarrasser les Etats-Unis du menson-
ge érigé en système, de l’arrogance et du principe
de « deux poids deux mesures » qui les définis-
sent aujourd’hui dans le regard des autres.
En 1960, un jeune président américain, J.
F. Kennedy, avait su tenir tête à la colère de Niki-
ta Khrouchtchev frappant son pupitre avec sa
chaussure pour protester contre un vote de
l’ONU hostile à l’URSS. Près d’un demi-siècle
plus tard, il incombe à un autre jeune président,
Barack Obama, de forger une nouvelle politique
capable de faire oublier les deux chaussures lan-
cées à la tête de son prédécesseur comme un
affront à l’Amérique. a