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L’ é t r a n g è r e

revue de création et d’essai

19 Anne Penders . Michel Collot .


Victor Martinez . Jean-Claude Schneider .
Marc Blanchet . Pierre Voélin .
Joël-Claude Meffre . Jacqueline Michel
L’ é t r a n g è r e
19

 . ANNE PENDERS . L’envers (extrait)


 . MICHEL COLLOT . « Peinture »
 . VICTOR MARTINEZ . Chant de l’étendue
 . JEAN-CLAUDE SCHNEIDER . et (plus tard) précipitant
 . MARC BLANCHET . L’éducation des monstres
(extraits)
 . PIERRE VOÉLIN . De la forêt humiliée
 . JOËL-CLAUDE MEFFRE . Visage d’une mémoire
(extraits)
 . JACQUELINE MICHEL . La poésie de Silvia Baron
Supervielle ou l’impossible conquête du mot.
L’ é t r a n g è r e
revue de création et d’essai

DI R EC T IO N
Pierre-Yves Soucy

C ON S EI L D E R ÉD ACTI O N
Fabienne Bradu, Michel Collot, Jean-Pierre Cometti,
Elke de Rijcke, Jalal El Hakmaoui, Henri-Pierre Jeudy,
François Rannou, Olivier Schefer, Pedro Serrano,
Pierre-Yves Soucy, Daniel Vander Gucht, Christophe Van Rossom

AB O N NE MEN T S
La revue paraît trois fois l’an. On peut s’abonner pour trois
numéros par virement au n° de compte ING --
(IBAN : BE    / BIC : BBRUBEBB) à l’ordre de
L’étrangère à La Lettre volée,  bd Barthélemy, B- Bruxelles
Abonnement de soutien :  €
Abonnement régulier :  € (+  € en dehors de la zone euro)

C OR R ES P ON D AN C E
A BRUXELLES : revue L’étrangère c/o La Lettre volée,
 bd Barthélemy, B- Bruxelles. T&F     

A PARIS: revue L’étrangère,  rue Mandar, F- Paris


T&F      

Publié avec l’aide de la Communauté française de Belgique, du Fonds


national de la littérature et le concours du Centre national du livre (Paris).

Conception graphique : Chiara Catellani


ISBN : ----
Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique  ⁄ ⁄ ⁄
©  L’étrangère et les auteurs pour leurs textes
ANNE PENDERS, Sounddrawing n°  (Montréal, Canada), dessin à l’encre sur papier,
scanné et imprimé sur papier archive,   , cm, printemps .
ANNE PE ND ER S
Artiste, écrivain, docteur en histoire de l’art née en ,
elle a publié une dizaine d’ouvrages dont deux essais aux
éditions de La Lettre volée : Brancusi, la photographie ou l’ate-
lier comme «groupe mobile» et En chemin. Le Land Art (Bruxelles,
 et ). Elle a fait paraître deux romans aux éditions
Le Cri : Une solitude nomade et Les Mains nues (Bruxelles,
 et ). Plus récemment elle a publié aux éditions
Esperluète deux livres d’« écriture spontanée à distance » :
Dimanche puis Le lundi d’après (Noville-sur-Mehaigue, 
et ). En , elle faisait paraître en autoédition Mapping
Calendar / une cartographie du temps. Elle a également réalisé
une vingtaine de courtes vidéos ainsi qu’une dizaine de
créations sonores dont L’Envers et (S)no(w)borders ().
Le présent texte est extrait de L’Envers (essai poétique en
cours d’écriture).
 M OHAMM E D E L A MRAOUI

A N N E PENDERS

L’ e nve r s
(ex tr ai t )

Parfois, on retourne un caillou. On se demande s’il a déjà bougé.


Parfois. L’évidence qu’il n’est que – provisoirement à l’arrêt.
Cela ne résout pas la question du début.

D’où commencer à remonter le cours du temps ?


où chercher les racines de quand ?

Faire un point ne prend pas une ligne. Et il faut être très vieux
pour écrire ses mémoires. Alors ? d’ici à avant, quelle époque ?
d’aujourd’hui à ce qui d’ailleurs définit, quel filigrane ?
Bien des cloportes, sous le caillou. Souvent. Et combien de coups
reçus, pour qu’il soit doux… ?

Tao. Le chemin.
Pour la métaphore, préférer la rivière, sans doute. Le flux qui porte,
quand l’effort manque.
AN N E P E N D E R S CHUTE, DISPARITION 

Le chemin soutient, même dans la boue, même si la terre meuble


s’affaisse sous la pression. L’eau glisse sur l’immobile, emmène les
corps légers.
L’eau a un but. Le chemin parfois se perd.

L’envers, c’est ça : tout ce qui ne s’est pas dit ailleurs, mais qui
permet qu’ailleurs se dise.
Faut-il retourner le caillou ?

Que dit le bris du silence ? la pâleur du gris ? l’avant de l’ici ?


Il restera toujours l’envers de l’envers. Et l’envers de l’envers de
l’envers.
Il restera toujours les détours, ce que l’abondance de mots dissi-
mule, l’espace infini autour du point, l’absence de point du point
lui-même.

[le point… n’est-ce pas avant tout ce qui permet de reprendre


« après » ? n’est-ce pas seulement après le point qu’on peut inventer
« autre chose » ? l’illusion. Du point comme de son absence. Majâ.
La lumière qui mène et aveugle. Impalpable, l’infini n’est-il pas
contenu dans le point lui-même ?]

S’adresser à quelqu’un. Ce qu’il faut.


Raconte-t-on sans cet autre, là, au bout du souvenir ?
On ne raconte pas dans le vide. Si ça n’intéresse personne, on se
tait. Simplement.

Parler de New York, c’était ça. Répondre à la question d’Étienne,


au Burkina. À celle de David, avant. -. Donner des noms
à l’interlocuteur, ça fait l’histoire, aussi. .
Un nom, on peut l’emprunter, le rendre après, ou le garder pour
toujours. La question, c’est pareil. Elle stimule, elle déclenche. Elle
 M OHAMM E D E L A MRAOUI L’ENVERS

ne s’invente pas. Une vraie personne non plus.


L’envers. Ce qui du vrai s’agite et demeure. Ce qui du vrai s’ancre
au présent quotidien, sans curiosité d’avant. Alors, l’envers reste
là, planté, précis et muet. Au fond du corps comme dans un vieux
meuble. Accu(mu)lé / mots, papiers collés, feuillets et carnets / grands
tiroirs en métal. Les dates s’échappent. Les écrits prouvent. Quoi ?
Les mots des villes en lettres noires… Les pays, les mouches, les
forêts, les trottoirs, les oiseaux, les rivières, les bus, les clés, les sacs,
les maisons, le vert, la nuit… toujours la quête d’un horizon.
L’envers bourdonne. L’envers médite. L’envers s’arrête, s’assied,
observe et réfléchit.

L’envers. Ce qui se dérobe. Ce qu’on lui dérobe.


Ce qui garde son équilibre à l’iceberg.
Si on l’érode, il chavire.
L’envers.
Les dates. Les lieux. Les liens. Dire je. Dire tu. Dire nous.

[« on » est une figure de style.]

L’envers. Ce qui du chemin tisse la toile.


Les décalages, les atterrissages, les minutes et les heures, les haltes,
les horaires, l’absence de temps du temps…
Le corps-rappel, le corps-refuge, le corps-alibi. Ce corps qui pisse,
chie et crie. Comme tous les corps. Le corps-délit, le corps-lit,
lien, lieu. Ce qui du corps traverse l’écrit, l’image, reste en retrait,
en non-dit. Ce qui du dit / vu envahit le corps, le triture, le trahit.
Je regarde les montagnes. Au loin. Autour.
J’entends les clochettes, frêles, comme détachées, intactes. Les guêpes
tout à leur joie de la sortie de l’hiver. Le vent sous le tas de bûches.
Et lui que j’aime, marcher en haut.
J’écris dehors. Face à des couches de monts et de mémoire(s). Je
AN N E P E N D E R S CHUTE, DISPARITION 

sais que derrière la lumière, très loin, d’autres sommets encore,


invisibles. Et dans les rares voitures qui passent, les quelques
maisons des hameaux, des vies entières.

L’envers.
Qui retourne encore les pierres ?
Nous sommes tous les fossiles de quelque part. Un temps lointain
inscrit en nous comme sur un buvard. Les arbres savent. L’essentiel
est ailleurs, à l’envers du directement perceptible – sans doute.
Qu’est-ce qu’on s’échine à dire / montrer ? à taire ?… que le monde
ne sait déjà…

[si les hommes continuaient de marcher pieds nus, ils auraient


moins besoin de divans chers où s’allonger.]

L’envers, c’est peut-être ça.


Ce que la poésie ne dit qu’à demi, en traverses et en plis.
La révolte, la colère, de tant de gâchis / tout autour. Le gaspillage
de ces vies nombriliques. L’égoïsme à ciel ouvert, le monde
en béance, qui, inerte, laisse se dessécher son intelligence (innée,
ancestrale).
L’envers, serait tenir ce discours-là. En clair et sans décodeur.
Dire (en mots ? en images ?) ce que je pense d’un monde qui se
complaît dans sa douleur / névrose autodestructrice. Liberticide,
pathogène. Refuser, depuis toujours, qu’il tue le meilleur de moi-
même, de nous-même. Savoir la fin de l’humain inéluctable.
Poussières d’univers. Tout en passage.
Le temps circulaire. L’entropie créatrice. Et les flux d’énergie, en
mouvement.

[sans mouvement, la vie s’arrête / nécessité de l’arrêt, pourtant,


pour qu’elle continue…]

*
 M OHAMM E D E L A MRAOUI L’ENVERS

par essence, je crois – l’envers ne se dit pas.


éventuellement, par volonté ou par accident, il se déchiffre.

L’écriture – processus de délestage ?

[l’envers ne peut-il s’ouvrir qu’épistolaire ? épisodique ?]

« l’envers du décor ».
Être « derrière » l’image, hors d’elle, et à l’intérieur d’elle / tout à
la fois.

Avoir écrit ça, ailleurs, avant : « l’image me repose du texte ». .


Pourquoi ? parce qu’elle déguise, cache, voile ce que le texte ne
peut enfreindre ?
Où est le leurre ? L’envers, loin des apparences ?

[le son serait-il moins mirage, ferait-il moins illusion que l’image ?
mais que dire alors de l’écrit « miroir », de l’écrit « travesti », de
la fiction elle-même ?]

Tout a un envers.
Le décor est l’envers de l’envers du décor.

On part toujours de quelque part. Encore faut-il savoir d’où.


Et si ça vaut la peine d’y revenir.

« in the old days »… what does that mean, exactly ?


Qui de nous ou des jours sont « vieux » ?

*
AN N E P E N D E R S CHUTE, DISPARITION 

Longtemps j’ai pensé que la couleur était l’envers. Le « snapshot »,


le « documentaire ». Quand elle a pris sa place, différente, à l’avant
aussi, l’envers s’est posé dans le son, le dessin. Mais si je dessine
aujourd’hui, je me dis que le dessin n’est l’envers de rien, si ce n’est
de lui-même. Ce qui, selon une logique pas encore suffisamment
définie, en ferait par conséquent le prototype (l’emblème ?) de « l’en-
droit », ce qui se montre en ne montrant que ce qu’il décante : la
nécessité d’une perception (qui « interprète »). Une image d’un son
qu’on n’entend pas, et que j’ai moi-même la plupart du temps oublié.
Ne sera visible alors, ne serait « donné », que ce qui doit aller se
chercher, ce qui ne se donne pas sauf à le créer soi-même : le xe degré.

L’envers de ça, c’est : ce matin, j’ai mangé des rice crispies bio au
lait de soja sans sucre ni sel ajouté, puis bu une théière entière de
thé chinois pas bio du tout, les pieds nus croisés sur le divan, le
regard tendu à gauche vers la montagne en manque de soleil soudain.
N’ai vu passer que la berlingo jaune du facteur sur la route qui
descend vers le mazeldan. Ai fait pipi deux fois déjà. Avant, j’avais
épluché une orange, au lever d’une belle nuit d’amour.

Le descriptif lui-même cache ce qui s’y pense, omet, choisit, aligne


ensemble faits et gestes, inséparables de la personne qui les accom-
plit (pour les décrire ensuite).
L’envers, serait-ce alors la « caméra cachée », l’œil de l’autre ?

Cette photo sympathique, étrangement perdue aujourd’hui, prise


de moi, seule à Kuri, Rajasthan, début , par deux vieilles
Autrichiennes surgies du désert en taxi et tout aussitôt reparties,
avec cette image de moi, seule là-bas, qu’elles voulaient je ne sais
pourquoi, absolument envoyer à ma mère… ce qu’elles firent…
avant que bien plus tard, la photo ne s’égare…
… une image qu’on n’a jamais, forcément, celle de soi, seul, vivant
au jour le jour ici ou là… Cet envers-là, est lui-même habité par
l’envers de l’autre… inconnu…
 M OHAMM E D E L A MRAOUI L’ENVERS

Comme tout le reste, sans doute, l’envers – prétexte.


Une piste. Une strate. Un lieu mis en abyme. L’abyme d’un lieu.
Où les jours et les mémoires s’abîment. Dans tous les sens du terme.
Ou pas.

L’envers, c’est ça aussi, today : j’ai horreur d’écrire en bleu.


Mais les vieilles cartouches pélikan de l’épicière Rosette m’ont
sauvée de la pénurie. Tout droit sorties des années . Et du
temps des écoliers.

Et puis encore : ces mots qui se perdront entre le carnet et l’ordi-


nateur, entre l’écrit et l’imprimé… l’envers… une (auto)censure
permanente ?

[les écrits les plus exhibitionnistes n’ont-ils pas eux-mêmes un


« envers » ?]

L’envers n’est pas « le contraire de », il est juste « l’autre côté » /


un autre côté.

Soudain curieuse de lire ce qu’en dirait le dictionnaire…

Voici (Petit Larousse) :


ENVERS prép. (de en et vers) : à l’égard de : loyal envers ses amis.
Envers et contre tous : en dépit de tout ce monde.
ENVERS n.m. : l’opposé de l’endroit : l’envers d’une étoffe. Fig. : le
contraire : l’envers de la vérité. à l’envers : loc. adv. Du mauvais côté :
mettre ses bas à l’envers.

Comme si l’envers avait forcément une connotation négative !


… la face sombre, la face cachée de la lune…
Comme si seul ne comptait que ce qui brille…

*
AN N E P E N D E R S CHUTE, DISPARITION 

l’envers… tout ce qui se glisse là où l’on ne l’attend pas…

L’envers n’existe pas.


– l’envers existe-t-il ?

Être deux n’abolit pas l’un – ni la solitude.


Taire / l’envers de ce qu’on dit ? non / [ni le silence l’envers du bruit].

L’envers / une tentative, une tentation.


Celle de retourner la chaussette, de voir (et montrer ?) qu’à part
la couture, rien ne diffère de l’« endroit »… sauf peut-être l’usure…

L’envers / espace préservé ? protégé ?


Qu’advient-il de lui si on l’expose soudain à la lumière ? s’assom-
brit-il aussitôt comme du papier photo ? s’efface-t-il comme un
vieux parchemin, un dessin, une fresque préhistorique ?

[envers lémurien / ne vivrait que sous terre, à l’insu de tous ?]

En dévoilant une part de son envers, est-ce vers l’envers de l’autre


que l’on tend ?
Quelle part de soi (dé)livre-t-on [vers] ? où fait-elle mouche ?
qui reste sur la touche ?
On parlait de ça, hier : le déni familial. Le secret.
J’ai dit : « peut-être qu’on ne doit pas tout savoir ». Ni de l’autre.
Ni de l’avant.
L’enfant dans mon ventre fait battre le cahier où j’écris.
Que saura-t-il de sa mère, son père, les chemins, les pierres…
et les ancêtres par-delà ? Saura-t-il plus qu’on ne lui dit ?
Sans aucun doute.
 M OHAMM E D E L A MRAOUI L’ENVERS

Les cailloux gris. Y avoir si souvent marché pieds nus !


Une photo me montre poussant une brouette en plastique jaune
orangé. Trente ans plus tard, la brouette a changé de couleur mais
pas d’usage. L’écriture aussi. L’écriture non plus.
Les gens / lieux du passé ont un nom. Les faits et gestes aussi.
Mais la réponse à la question posée peut rester d’une précision
toute évasive… : l’« omission ».
La permission d’omettre. Certains en font même vocation.

L’envers se situe au creux de ça – dans ce que l’on se permet


d’omettre, mettre, dire, écrire / dans ce qu’on omet de se
permettre… et qui parfois s’échappe de là où il s’était tapi.

[l’envie de dire ce que pourtant on continue de taire, commence


par taire, garde en terre.]

De ceux que tu croises, sauras-tu qu’ils furent mes amants ? Des


noms que tu prononces, saurais-je quels corps à corps, quels liens
encore ? Est-ce nécessaire ?

Les contours flous – du vent.


Le va-et-vient – du temps / qui parfois se fait vieux. Et parfois pas.

[une date surgit, martèle (en tête), alarme-réveil au milieu d’un


rêve… klaxon salutaire ?]

L’envers / du non et du oui / du pour et du contre.


Une complaisance. Une indulgence. Une innocence.
Un vrai plaisir, aussi / de voguer en lui laissant la bride au cou.
L’élasticité du temps comme de la peau.
Dormir dans l’herbe humide avec un profil de baleineau. Dormir
dans l’herbe tendre, à la même saison, à peine plus tôt… sans la
moindre idée de…
– la possibilité perpétuellement intacte du changement radical.
AN N E P E N D E R S CHUTE, DISPARITION 

Listes de mois, de lieux / établies déjà… en constat de quoi ?


Entrelacs du rythme et de l’espace qu’il parcourt, qui le parcourt.
[l’exotisme des autres fait le quotidien des uns]
– si l’on savait tous les fantasmes si accessibles, on vivrait en tension
permanente

[ça c’est vu].

L’envers / l’un de nos corps – nu.


Celui qui se donne comme à reculons, mais qui se donne quand
même / et qui sait si ce n’est pas avec plus de fougue ?
Se jeter dans la vague, faire corps avec elle… – être la vague / qui
tord le linge, le frappe aux galets, tourne et retourne la chaussette,
tue les mites et les odeurs de renfermé…

Le plancton phosphorescent sur la peau nue, sous la lune


claire – mer d’Andaman, mer du Timor… -… mers inté-
rieures qui parfois débordent.
Vagues fraîches / claquent / sur les cuisses, le dos, de jour, de nuit /
au flanc des navires aussi – mer de Cortes, du Nord, de Chine
Méridionale, océan Pacifique, Atlantique… au large de... Baja cali-
fornia, Bornéo, Bali… des décennies déjà de clapotis dans les ports.

[parfois, la métaphore gifle.]

C’est le verbe « raconter » qui continue d’ignorer sa route…

J’ai besoin que l’on me pose une question.


Et pourtant, quand elle vient, il m’arrive de répondre à côté…
L’envers m’apparaît soudain aussi délavé que le plastique de la
brouette [où l’été prochain, peut-être, un enfant jettera des
cailloux…]. Quelque chose cherche à se dire.

L’envers est un point de tricot. Seul, il a du caractère. Mêlé à


 M OHAMM E D E L A MRAOUI L’ENVERS

l’endroit, il se fait lisse…


[jersey trop sage perpétue le leurre] – sans doute.

… et pendant ce temps, un petit être gigote à la tranche du


carnet, le vent s’est fait brise, les nuages mènent plus loin leur
grisaille, et j’ai les pieds nus dans les cailloux de l’été …
J’attends l’homme que j’aime aujourd’hui, l’enfant bientôt né de
lui, l’heure du souper
– je n’attends rien.
L’envers aujourd’hui, c’est ça : les illusions laissées derrière, à la
croisée des continents.
La simplicité des frontières franchies, au propre comme au figuré.

La mémoire. Les cailloux. La brouette.


L’enfant-fille dans une robe bleue à fleurs blanches.
Les années .
Que sait-elle de la suite ?

Le renouvellement des cailloux. Les bûches tronçonnées.


L’hécatombe de pommiers.
Le vieux tilleul solide au-dessus du prunier. Les arbres grimpés.
Les arbres plantés.
L’enfant seule et fière dans les rochers…
Que sait-elle d’aujourd’hui ?
Sauf que l’envers existe / et pas saint Nicolas ?

L’enfant pas encore né.


Tout retroussé dans sa bulle.
AN N E P E N D E R S CHUTE, DISPARITION 

Que sent-il quand je nage dans l’eau de la rivière glacée ? Quand


je marche pieds nus sur les cailloux pointus, sur le plancher usé,
dans la prairie velue ? Quand je digère, ris, jouis ?

La tête en bas.
Vit-il à l’envers ou nous sommes-nous redressés par erreur ?

Eté . Assise dans le gravier. Je joue à me souvenir.


Eté . Étendue dans le fauteuil d’osier. Je sais qu’on oublie.

Cévennes /Ardennes, 


MI CHE L C OLLO T
Professeur de littérature à l’université de Paris III – Sorbonne
nouvelle, il a publié de nombreux essais sur la poésie
moderne et contemporaine, dont Paysage et Poésie du roman-
tisme à nos jours (Paris, José Corti, ) et Le Corps cosmos
(Bruxelles, La Lettre volée, ). Michel Collot est aussi
l’auteur de quatre livres de poésie : Issu de l’oubli (Bruxelles,
Le Cormier, ) ; Chaosmos (Paris, Belin, ) ; Immuable
mobile et De chair et d’air (Bruxelles, La Lettre volée, 
et ).
 P IE RRE L E C O Z

M IC HEL COLLOT

« Pe int u re »

La peinture occupe une place importante dans la vie et dans l’œuvre


d’André du Bouchet. Il a été l’ami intime de quelques-uns des
plus grands peintres de son époque. Il a commencé très tôt, dès
, à écrire sur la peinture, à l’occasion de catalogues ou de
comptes rendus d’expositions, puis dans des textes plus développés
publiés sous forme de plaquettes ou en volumes. Et de nombreux
artistes ont illustré ses propres livres.

Cette relation n’a cessé de s’approfondir et de s’intérioriser au point


d’être intégrée de façon de plus en plus intime à l’écriture d’André
du Bouchet. Un volume comme L’Incohérence réunit, à côté de
poèmes, de traductions et de réflexions critiques, plusieurs textes
sur des peintres comme Hercule Segers, Bram Van Velde ou Michel
Haas. Le texte consacré à ce dernier s’intitule : « Peinture ». Ce
titre, adopté à l’occasion de la reprise de ce texte en volume, mani-
feste un mouvement d’élargissement propre à la manière d’André
du Bouchet : toujours très attentif à la spécificité de chaque
M I C HE L C OL LO T RIMBAUD ET LA FIN DE LA POESIE 

pratique picturale, il la dépasse pour proposer une réflexion plus


générale. Évoquant dans ce texte l’exemple de Cézanne, il conclut
en ces termes : « Cézanne, ici, n’est qu’une façon – éprouvée –
d’envisager : peinture. »

Il ne s’agit pas pour autant de définir une sorte d’essence de la


peinture, comme le montre l’absence d’article dans le titre et dans
la conclusion : elle semble étendre le sens du mot « peinture », mais
aussi l’affecter d’une certaine indétermination. Cette extension de
sens est confirmée par la reprise de ce terme privé de déterminant
comme titre de plusieurs textes ultérieurs, et d’un livre entier, Peinture,
paru en , qui mêle à des propos sur la peinture des réflexions
sur l’écriture et sur l’existence. Le mot « peinture » finit par englober
non seulement d’autres formes d’expression artistiques et littéraires
mais une certaine manière de voir et d’être au monde, qui accorde
notamment à la sensation, brute et non réfléchie, un rôle primor-
dial. Du Bouchet peut ainsi dans ce livre affirmer d’une part que
« la peinture n’a jamais existé » (en tant qu’entité définie et isolable),
et chercher d’autre part à inventer une « langue peinture ».

Cette formule abrupte, en juxtaposant deux termes sémantique-


ment hétérogènes, fait ressortir leur contraste en même temps qu’elle
essaie de les réunir. Comment du Bouchet conçoit-il cette alliance
paradoxale du verbal et du pictural ? Certes pas sur le mode tradi-
tionnel de l’ut pictura poiesis, qui conférait au langage poétique le
pouvoir de peindre, de placer sous nos yeux des images ressem-
blantes du visible. Mais pas davantage en ramenant la peinture à
l’ordre du discours, en faisant du tableau un système de signes
analogues aux signes linguistiques, comme l’ont fait volontiers la
sémiotique et la critique d’art dans les années  et .

Si la peinture est une langue, c’est, pour du Bouchet, une langue


étrangère, qui lance un défi à l’écriture, et que le poète ne peut
traduire qu’en faisant violence à sa propre langue. L’énigme de la
 P IE RRE L E C O Z « PEINTURE »

peinture rejoint le problème de la traduction, comme le suggère


l’organisation du recueil Ici en deux, paru en . La partie centrale
de l’ouvrage est occupée par des « Notes sur la traduction » qui
sont encadrées par deux textes intitulés l’un et l’autre : « Peinture ».
Le premier de ces textes n’évoque pas un tableau, mais les choses,
telles qu’elles s’offrent et en même temps se dérobent au regard
et à la parole. Aucune figure ne saurait atteindre leur « réalité »
même, toujours « autre, et qui ne ressemble à rien » : « il arrive »
ainsi « que, parvenus à cette chose même que nous avons désirée,
elle se perde dans une différence infinie ». La chose, dans sa diffé-
rence, ne saurait être identifiée à aucune image, ni à aucun des
noms qu’on lui donne. Le poète demande à la fin de ce texte :
« qui, alors, dira le nom des choses reconnues ? » La question reste
en suspens, à moins que le titre du texte suivant, qui apparaît en
regard sur la page de droite, « Notes sur la traduction », n’indique
un début de réponse.

« Peinture » semble ainsi désigner une dimension du réel qui échappe


à toute mimésis, et qui ne peut être traduite que par un art renon-
çant à la figuration, ou par un langage qui abdique les certitudes
du concept : par une langue peinture qui associerait le verbal et le
figural. Les « Notes sur la traduction » s’achèvent sur cette phrase :
« On ne s’aperçoit pas que cela n’a pas été traduit », en regard de
laquelle on lit, de nouveau, sur la page de droite, le titre « Peinture ».

Intitulant des pages qui n’évoquent pas toujours directement ni


exclusivement une œuvre picturale, le mot peinture indique nette-
ment que les textes d’André du Bouchet ne sont jamais seulement
des textes sur la peinture, mais mettent en œuvre les mêmes prin-
cipes que celle-ci. De fait, le poète et le peintre se heurtent aux
mêmes obstacles : ils ont l’un et l’autre affaire à un neutre, à un
« cela », qu’aucune figure ne saurait traduire et qui, pourtant, relance
indéfiniment le désir d’écrire et de peindre.
M I C HE L C OL LO T RIMBAUD ET LA FIN DE LA POESIE 

Dans ses écrits sur l’art, du Bouchet l’envisage tantôt comme un


trop plein de matière, qui se soustrait à toute mise en forme, mais
constitue la substance même de la peinture, son matériau ; tantôt
comme un vide qui troue et ajoure les figures mais en même temps
les donne à voir. Ces deux approches se rejoignent car elles ne
font qu’explorer les deux versants d’un même paradoxe : celui d’un
fond abyssal. Elles correspondent aux deux modes d’inscription du
fond dans la poésie d’André du Bouchet : la présence de l’élément
minéral le plus compact et le plus pesant ; le rôle de l’air et des
blancs, qui ajourent la page et le paysage.

Ayant déjà en d’autres lieux étudié la part du vide, à propos de


Giacometti , j’aborderai ici l’insistance du minéral, en interrogeant
la valeur que prend le motif de la montagne, dans deux textes inti-
tulés « Peinture ». La montagne, très présente dans la poésie de
du Bouchet, ne l’est pas moins dans ses écrits sur la peinture : on
la rencontre notamment dans un texte sur Segers, initialement inti-
tulé « Fragment de montagne  » ; dans Sous le linteau en forme de
joug, dont l’édition originale est illustrée par Tal Coat ; et dans
deux textes consacrés à Cézanne et à Michel Haas, que je privi-
légierai ici. Mais bien sûr, le sens du terme est soumis chez du Bouchet
à un travail analogue à celui qui affecte « Peinture » :

Le mot montagne est à déplacer. peinture



aussi .

À la fin de Peinture, André du Bouchet parle de « montagne » à


propos de Cézanne :

qu’on articule – montagne : comme, revenu autre sur sa fraction


l’espace, qui irise, à soi, un instant il sera sans nom .

On notera d’abord que cette « montagne » n’est pas nommée (le


toponyme de Sainte-Victoire n’apparaît que plus loin dans le texte) ;
 P IE RRE L E C O Z « PEINTURE »

le nom commun qui la désigne est, comme « peinture », privé de


déterminant. Elle est de la sorte reconduite à une indétermination
qui contrecarre la fonction d’« articulation » qu’un tel mot ou un
tel motif peut revêtir dans la langue et / ou dans le paysage. Soustraite
à la définition que lui aurait conférée le nom propre ou l’article,
cette « montagne » est réduite à une matière informe, non quali-
fiée : elle fait ainsi, « via la langue peinture, retour à aussi muet
que la pierre ». Le « fragment de montagne » d’Hercule Segers appa-
raissait déjà comme un bloc de silence minéral :

Émergence d’un « nul » (sans nom)… Muette. Sous l’action – ou ciel,


de quelque lame retournant les terres soustraites à la désignation.

Dans l’un et l’autre texte, du Bouchet insiste sur la « fraction » ou


la « fragmentation » qui affecte le motif montagneux, l’empêchant
de s’épanouir comme une forme dans l’espace, revenu à l’état de
« chaos irisé », selon le vœu de Cézanne.

sur sa fraction l’espace, comme l’instant de nouveau


creuse – montagne : en surplomb des rues de la relation, ou du détour
de la route, du reste informe aujourd’hui,
aussitôt que ce qui consume, se sera laissé
appréhender. outrepassant, comme
elle articule, la parole de cette langue dont l’assise, de toutes parts,
alors ne cessera de tendre à la rupture de ses sommets :
analogue, dans le ciel qu’elle localisera, à la cime d’un creuset
renversé. non pas, dans leurs alignements, la route ni les rues,
ni la langue, idiome établi, mais sur sa fraction, rétablissant un
lien, de nouveau le dénuement du natal, et l’abrupt, comme à
terme la parole que l’on n’habitera pas.

La montagne apparaît ici comme un soulèvement du sol, « abrupt »


et brutalement interrompu par « la rupture de ses sommets ». Loin
de structurer le paysage selon quelque perspective, elle semble,
M I C HE L C OL LO T RIMBAUD ET LA FIN DE LA POESIE 

« en surplomb », écraser de sa masse « les rues de la relation » qui


tendent à l’ordonner en ensemble organisé, et à l’orienter : à ses
pieds, « la route » elle-même devient « informe ». Défaisant ainsi
les « alignements » qui rendent lisible le paysage, elle déjoue aussi
les « articulations » de la langue, les règles de l’« idiome établi »,
pour ramener le poète au « dénuement du natal », au vertige d’une
« parole » inhabitable.

Privée de ses contours et de sa définition, la montagne, comme la


peinture, devient un pur bloc de matière, un pan de couleur comme
celui qui obture l’embrasure d’une porte dans Sous le linteau en
forme de joug :

…vous souvenez-vous de cette face comprise entre les montants


– face de la montagne, face de la peinture – […]

comme échappant à cette cime qui localise l’interruption… et


défalquée de son pourtour… […]

…embrasure aveuglée qui, dans l’épaisseur d’un tenant, décale,


comme j’avance, l’aveuglement. […]

Le bleu dit : montagne d’un tenant – moi-même inclus – que


je voie ou non…

Le bleu : l’indistinct – béant ou aveuglé – jusqu’à saturation…

L’opacité de cette matière minérale, procure une sensation d’une


intensité telle qu’elle ne saurait faire l’objet d’une saisie claire et
distincte. Comme le bleu du ciel ou la transparence de l’air, son
évidence est littéralement aveuglante. Une telle approche de la
montagne, comme la peinture, nous donne ainsi accès à un fond
indéterminé et inarticulé qui échappe aux prises du langage et de
la perception, mais qui pourtant les fait vivre d’une vie nouvelle :
 P IE RRE L E C O Z « PEINTURE »

point vif ou
mort, passé lequel – mort ou vif – indifféremment je suis, ne
suis pas. ou autrement. ou muet. mais
le même. mais ce passé, il te le donne en avant de moi.
non moins volatil, à chaque cillement, que l’éternel bloc trans-
parent que peut être l’air aussi longtemps qu’il sera respiré.

Le mutisme têtu de la matière minérale ou picturale est pour la


poésie à la fois un obstacle et une source, et la prose d’André du
Bouchet elle-même, on le voit bien ici, revient constamment au
blanc pour y abîmer mais aussi y ressourcer l’élan de la phrase. Ce
va-et-vient entre écriture et silence, « allant au muet dans la parole…
et, prononcée, l’écartant pour le muet  », assure au bloc typogra-
phique, aéré par les blancs, un rythme visuel et une respiration vitale.

Le paradoxe de la « langue peinture », telle qu’elle s’incarne exem-


plairement dans la montagne de Cézanne, c’est qu’elle nous confronte
à un invisible-indicible qui est la limite, mais aussi l’origine et
l’horizon de tout regard et de toute parole. C’est aussi la leçon d’un
autre texte, également intitulé « Peinture », dédié à Michel Haas :

La peinture. Ni couleur, ni image, ni peinture. […]

Non, peinture, parole, image, cela est à rentrer […] Non, plus
d’image, pas de couleurs (quand même, cela, il incomberait à image
et à couleurs de le dire) mais en plein jour arracher à la parole, à
la couleur, un visage auquel il nous faut demeurer aveugles, et se
traduisant parole bloquée. Cela, qui passe par des yeux ouverts,
n’est pas davantage l’affaire du regard, pourtant, que le poème,
des paroles […] .

La peinture, même lorsqu’elle s’attache au paysage, n’a rien à voir,


pour André du Bouchet, avec le visible. Lorsque Cézanne allait
« sur le motif », c’était moins pour le contempler ou l’analyser du
M I C HE L C OL LO T RIMBAUD ET LA FIN DE LA POESIE 

regard que pour s’immerger dans une substance qui finissait par se
confondre avec la matière même de la peinture :

[…] j’imagine qu’à le peindre,


cohabitant comme une fois pour toutes soudé, Cézanne, occu-
pant ce chemin, n’avait plus de jour en jour à fixer le motif inha-
bité. Placé là : en aveugle. Un coup d’œil lui permettant de
s’en assurer : il était là, toujours. La peinture était toujours là. Mais
de là, aussitôt, sans cesse comme sur place aller – condition de la
soudure – dehors en aveugle. Non, plus d’image, pas de couleur,
mais toute la masse envisagée sombrant… rentrée dans une face
sans nom, fraîchissant, sombrant, par toutes ses voies d’air… hermé-
tique ou ajourée… d’un tenant inhumée… peignant comme inhu-
mant dans une profondeur d’incandescence ou de froid [...] 

Cette « profondeur » qu’atteint le geste de l’artiste, c’est à la fois


la masse opaque de la montagne et le point aveugle de son propre
corps, cette gangue de chair qui enserre nos yeux mais se tient
toujours en marge ou en arrière de notre champ visuel :

[…] le caillou
blanc et la montagne bleue abordés aveuglément ne se proposent
pas plus à la considération que le visage qui le sertit à l’œil affairé…
…aveuglément : raccourci
excessif énonçant un mouvement de peinture qui ramène,
comme je l’imagine, au point de soi soustrait aux yeux…

Ce qui est ici évoqué, c’est une expérience qui est de l’ordre de
la sensation plus que la perception. Au lieu de mettre à distance
le monde pour le soumettre à une analyse qui en produise une
représentation articulée, le peintre moderne adhère « en aveugle »
à une présence massive et indistincte, sur laquelle ni l’image ni les
mots n’ont de prise : « un tableau de Cézanne » est « aussi compact,
bouclé, bouché quelquefois, qu’un caillou », « tout ce qui dépar-
 P IE RRE L E C O Z « PEINTURE »

tage y étant découvert en suspens », « caillou nommé Sainte-Victoire,


ou dans l’air montagne non moins privée de nom ». L’artiste est
devenu le « réceptacle ensorcelé des sensations » qui l’assaillent et
qu’il ne saurait ordonner selon une organisation rationnelle sans
trahir le caractère abyssal de cette expérience, esthétique au double
sens du terme. L’intuition du poète rejoint ici la réflexion du philo-
sophe Henri Maldiney, qui voit dans l’art moderne l’expression
d’un pur sentir, qui est aussi un ressentir, « une communication
sympathique avec le monde  ».

Ce que la peinture et la poésie modernes cherchent à traduire,


c’est « la relation compacte appelée monde  », au sein de laquelle
l’homme et les choses, et les choses entre elles, font bloc, rapport
intime d’interpénétration qui n’est pas du même ordre que la rela-
tion analytique instaurée par l’exercice du regard et du langage
conceptuel ; d’où le paradoxe énoncé par du Bouchet : « monde
n’étant que relation portée à un absolu, il est net aussi bien de
toute relation  ». Mais si le peintre dispose d’un matériau qui s’appa-
rente à la matière même du monde, comment le poète peut-il
exprimer celle-ci dans une langue abstraite, dont les structures sont
régies par la logique ? Ce que recouvre le mot « peinture » n’a de
nom dans aucune langue, et le poète se heurte au mutisme obstiné
des choses. Pourtant, ce « poids de mutisme de la peinture », qui
pourrait écraser et faire taire le poète, est ce qui mobilise toutes
les énergies de sa parole.

« L’emportement du muet », qui donne son titre au dernier recueil


de textes sur la peinture d’André du Bouchet , c’est ce dyna-
misme que confère paradoxalement à l’écriture le défi du silence.
Celui-ci n’est pas clos comme des lèvres scellées, mais ouvert. Loin
de mettre fin à l’expression, il la relance et la retend ; il oblige
l’écriture à s’emporter et à se déporter jusqu’à ses limites, où elle
se confronte à l’innommé. Il fait taire les paroles parlées, mais il
est la source d’une parole parlante :
M I C HE L C OL LO T RIMBAUD ET LA FIN DE LA POESIE 

le muet : parler prend sur


cela – matière de la parole – appui plus avant. muet
est en avant de la parole. seule une parole le dira .

C’est en travaillant la « matière de la parole » qu’André du Bouchet


tente de créer une « langue peinture » capable d’exprimer l’inten-
sité de la sensation et de la « relation compacte » au monde. Il exploite
la résonance et l’apparence visuelle des mots pour rendre sensible
une épaisseur de sens irréductible à leur signification conceptuelle.
Il n’hésite pas à briser la syntaxe, à rompre la continuité du discours,
espaçant les mots sur la page et laissant resurgir entre eux le blanc,
qui évoque le fond muet des choses. C’est d’une manière toute
physique, par la « matière de papier  », par le format de l’ouvrage,
par le rythme qu’imprime à l’écrit sa disposition typographique,
que la poésie établit une nouvelle relation entre le langage et le
monde :

Monde attenant à la langue par instants comme, faisant brèche,


le ciel, alors qu’on sera allé d’un mot à l’autre .
 P IE RRE L E C O Z « PEINTURE »

NOTES

. Voir André du Bouchet et le pouvoir du fond, dans L’Horizon fabuleux, Paris, José
Corti, , tome II, p. -, et D’un trait qui figure et qui défigure : Du Bouchet
et Giacometti, in André du Bouchet et ses Autres, Paris, « Écritures contemporaines »,
n° , Minard, , p. -.
. L’Ephémère, n° , . Repris dans L’Incohérence, Paris, Hachette / POL, 
(puis Montpellier, Fata Morgana, ).
. Peinture, Montpellier, Fata Morgana, , p. .
. Ibid., p. .
. Sur un coin éclaté, repris dans L’Incohérence, op. cit.
. Peinture, repris dans L’Incohérence, op. cit.
. Id.
. HENRI MALDINEY, Ouvrir le rien. L’art nu, La Versanne, Encre marine, .
. Peinture, op. cit., p. .
. Ibid., p. .
. Paru au Mercure de France en .
. Ibid., p. .
. C’est le titre d’un texte écrit en hommage à Guy Lévis Mano.
. « Notes sur la traduction » dans Ici en deux, Paris, Mercure de France, .
V ICT O R M A RT I NE Z
Né en  à Perpignan, il vient d’achever une thèse sur
l’œuvre d’André du Bouchet à l’université de Paris III. Il
a publié Photogrammes (Amay, L’Arbre à paroles, ) ;
Terre seconde (Les Soulhes, N&B, ) ; Angle de vue (Amay,
L’Arbre à paroles, ). Il est aussi traducteur (Antonio
Machado, De l’essentielle hétérogénéité de l’être, Paris,
Rivages, ).
 R AQ UE L C HA L FI

V I CT OR MARTINEZ

Ch a nt d e l ’ é te n du e

.

une étendue
une vitesse

une temporalité dure (une pierre)


surface entrée dans la voix

un cristal, une toux


alimentés par la même vitesse
récités dans l’interstice

la déroute du moteur
l’étendue rapportée à l’extinction
abouchée à la pierre
happée par l’organe
passée à diction
V IC TO R MA R T I NEZ L’EVENTAIL DES POSSIBLES 

un sarcasme de la distance
une montagne à hauteur de cheville

photométrie phénométrie au ralenti

au bord du continu
le continu s’interrompt
à son seuil
la pierre que je respire, la levée des matières
la récession libre

j’entre en collision
 R AQ UE L C HA L FI CHANT DE L’ÉTENDUE

.

un temps technique
les couteaux mêlés de sable
la mer retournée à l’astre
infusée, féconde, lactescente
le sommeil

pliage de villes et de matières


motos mastiquées, enclaves, dés
orifices dans la texture
mâche

l’extinction disant
la vitalité
le pur sonore passé le sonore
tessons légués, yeux sans mains
lettres pliées du poumon atone

lande : mutilation qualifiante

terre sans peau chtonidermie


jappements sans gueule

détonation
V IC TO R MA R T I NEZ L’EVENTAIL DES POSSIBLES 

.

une pile, un hydrocarbure


un étau dans la bouche
un régulateur achrone
une couleur à l’étage, fendue
sériée, transhumide, tannée d’eau
monticule de descendance

un gramme d’air telos accélérateur de durée

le verrou, la notation
le cercle de fer, les montagnes infectes

géométries passionnées
 R AQ UE L C HA L FI CHANT DE L’ÉTENDUE

.

qualification du meurtre :
l’ouïe se multiplie, étend les organes, les foyers du froid,
livre un dispositif aveugle

tue-le

poussée interprétative, étage de la dureté


livre en rudiment

tue-le : en exercice
V IC TO R MA R T I NEZ L’EVENTAIL DES POSSIBLES 

.

saveur ferrée du temps


hiver friable, hérons

– les hérons dans l’étang, les flamants aux pattes prises


par la glace luisaient dans le sel de l’horizon, l’homme
battait régulièrement l’eau, brisait la surface comme
un rire répété
l’immobilité des ailes la panique des flancs
l’approche des pelles la brèche divisait le ferré sorti
de ta cuisse, pointait une douleur ancienne, une
quantité vive,
toi te levant voulant crier
et le cri des ailes s’élevant dans le lait
le bleu-scié du ciel l’homme
brisait la ligne, effaçait les visages, nettoyait la pluie
(ses écailles, ses bras mécaniques, son dos de plastique)

buanderie de plein jour, comme chalets en lin

chiffres, barbelés, injonctions dans la chambre froide


images :
langue venue dire l’organe, prélever la chair

nageoire dans la brume


 R AQ UE L C HA L FI CHANT DE L’ÉTENDUE

.

ni le sentir
ni l’épaisseur du jour
ni l’informe
mais
la réserve d’informe
la réserve de jour
la réserve de pluie
d’où
le cri s’élève
les dimensions palpitent
l’être est labile
la pensée ramifie
sans dépense à formuler
avant-lumière
pièce articulée particule
de l’indemne
portière ouverte du véhicule
vertébral
V IC TO R MA R T I NEZ L’EVENTAIL DES POSSIBLES 

.

la dispense
la grande écoute à tes frais
les plaques ivres, la réticence retravaillée

les apnées, les reptiles, les forets,


la pluie, le ventre,

les carrés, à l’empan, uniforme à l’étage, suspens,


mouvement, racines, saillies sur plusieurs verts,
allaient jusqu’au rouge-et-jaune, l’hélice des terres
carillonnait, village, noyers, lièvres phosphorescents
à travers les décapités (gibets ponctuaient l’éclaircie)

les hélices acides comme une hache, la colonne de


pierre en fumée, montaient de la meute imminente,
au pied de la terre en ligne cinétéodolithe
lithos
sous les menthes, à l’intime parturiant

et le mur, le transistor, la paroi brassée, hachée,


trachée passée à gueule, à four, à métal, manifestée
dans le souvenir liquide

un enfant aux pieds d’eau tourne la tête,


penche dans la montée boisée, devise avec la
vue, perd l’équilibre

les carrés, centre sans subsistance, tables d’équivalence


qu’un lanceur adroit disperse, montent à la division,
au sulfate, au laisser-dormir, mobiles, à vitesse
équivalente de leur masse
 R AQ UE L C HA L FI CHANT DE L’ÉTENDUE

l’enfant, absorbé par l’une des faces,


disparaît dans le lierre masticatoire

la masse, la racine
le cube nuptial, déplié, la langue impartiale

le souffle
V IC TO R MA R T I NEZ L’EVENTAIL DES POSSIBLES 

.

le souffle

le disque partitif, douloureux, sonore

chants, matières
mer vocalique, accord, phonè

eaux, noyers,
sentiers, pétrels, gorces

la pierre que je respire, passée la collision

une vitesse
une étendue

une géométrie au ralenti

au seuil de la vision la vision s’interrompt


JEAN-CLAUDE SCHNEIDER
Né à Paris en , poète et essayiste, il a fait des études
de littérature allemande. Il a été secrétaire de rédaction de
la revue Argile et a collaboré à de nombreuses revues dont
Cahiers du Sud, Mercure de France, NRF, L’Ire des vents et
La Rivière échappée. Il est auteur d’une quinzaine de livres
de poésie dont, parmi les derniers titres : Si je t’oublie, la
terre (Bruxelles, La Lettre volée, ) ; Leçons de lumière
(Paris, Atelier de La Feugraie, ) ; Corde (Rennes,
Apogée, ) et d’essais, notamment : Les Chemins de la
vue (Paris, Deyrolle, ) ; Ce qui bruit d’entre les mots
(Bruxelles, La Lettre volée, ) ; Entretien sur Celan
(Rennes, Apogée, ). Il est traducteur de l’allemand
(Friedrich Hölderlin, Paul Celan, Georg Trakl) et du russe
(Ossip Mandelstam).
 I SRAE L E L I R A Z

J E A N -CLAUDE SCHNEIDER

e t ( p lu s t a rd) p r é c i p it a n t

justement

j’avais d’un « à redire * » interrompu sans rien clore un flot phrases


et vagues lancées vers une peinture elle-même s’interrogeant toute
élision

se devançant

sommeil est venu là-dessus


mais dormition qui couve des soubresauts de parole il ne manquait

* Ce texte est conçu comme suite à Rameutement de l’épars, un premier essai


consacré à la peinture de Gilles du Bouchet et publié à l’été  dans la
revue L’Atelier contemporain, n°  (Besançon, Deyrolle). Cette première partie
se terminait par : « monde qui reste à inventer à redire ».
JE AN - C L A U D E S CHNEIDER CHEZ THOMAS BERNHARD A STEINHOF 

que le lieu et le moment qu’elle surgisse sans avoir été forcée après
trois hivers dont se déversa dans l’atelier de Gilles du Bouchet et
dans ma chambre crânienne le jour méditatif instances de jachère
de repli et d’acharnement c’est maintenant

que le lieu et le moment qu’elle surgisse sans avoir été forcée après
trois hivers dont se déversa dans l’atelier et dans ma chambre
crânienne le jour méditatif instances de jachère de repli et d’achar-
nement c’est maintenant

posés comme sur de la neige

des pas si possible plus loin vont s’enfoncer sans refuser l’écart
sachant que de ce qui est à dire tout ne peut l’être retard de l’écrit
sur l’abrupt du tableau

parole qui restera donc encore en chemin

pressée que dépose dans le plus ou moins noir de l’encre ce qu’une


peinture avec ses blancs mutiques amène au jour
s’impose noir et blanc maintenant tout ou presque d’autres couleurs
par interstices venues crever à la surface mais toutes là implicites
avalées

noir blanc ici comme tressés comme question et réponse ombre


et lumière
 I SRAE L E L I R A Z ET (PLUS TARD) PRÉCIPITANT

comme aller retour du souffle corps et intervalle plein et vide lui


jamais vide simplement ce que l’air et les branches la transparence
et les choses debout opaques scandent ne séparent pas en s’y noyant

par exemple dans cet ensevelissement de céruse et de sel les redites


infiniment changeantes d’une

« MARÉE »

où les blancs affluent envahissent s’ils couvrent c’est pour dans


l’opaque consentir des chemins de lecture forer des puits de
respiration dans l’épais dur et pesant lui blanc sans encombrer
colmate

paysages figures objets sans doute disons étendues intrications de


surfaces debout pour là circuler pour déchiffrer

d’où les suites les retours sur le même là des masses s’ouvrent se
rapprochent

échafaudage de montagnes blanches et partout le format ample


aplomb ou envergure seul possible juste flottaison des choses
et territoire que l’œil travaille où il se réapproprie sa muraille de
matières où des trailles emportent où les failles de couleur sont
entendues
ce que la voix si exacte d’un père ses rapides sa langue acérée a
pu déposer au passage sur le chemin de cette peinture : « les choses
ont un air d’attente aussitôt qu’on les voit » cela prend corps sous
nos yeux c’est là c’est au mur
JE AN - C L A U D E S CHNEIDER CHEZ THOMAS BERNHARD A STEINHOF 

encore faut-il que nos yeux voient

elle peignant pour apprendre à voir ce qui jusque-là ne l’a pas été
peinture pour dessiller qui cherche ce que la peinture peut lorsque
cessant de vouloir seulement peindre elle ne songe désespérant
d’y parvenir qu’à se mettre à nu

cherche ce qu’elle sera

alors au foyer de sa déchirure et de quelques autres déchirements


monde là qui se déchire

ou déjà peut-être oui c’est ça se ressoude

la vue elle depuis le temps fissurée qui traversé ses lacunes distor-
sions contradictions ses heurts rebâtit ce qu’elle donne au jour
du paysage premièrement reçu comme lézardée épreuve se colma-
tent les empâtements dans la consonance du mortier

claires sombres amorties luisantes intonations la lumière enfin celle


du tableau l’espace lui maintenant compact plus disert ou fermé
s’avoue comme face inépaisse la toile on n’enfonce pas ses matières
couchées se refusant à copier même réfractées même repliées les
trois aires du dehors les là-bas mouvantes respirantes en profon-
deur que traversent figures qui bougent
 I SRAE L E L I R A Z ET (PLUS TARD) PRÉCIPITANT

paysages débarrassés des enjambées sans les voix je vous scrute


dressés en murs par la respiration d’une main contre l’effritement
de l’œil

touchez-les mes yeux grattez l’appareil de ces murs parcourez le


fil d’un contour à l’autre qui les adosse figures arrêtées les soude
naturalisées paysages

s’ajointent personnages comme collés par la couche entre respi-


rable enveloppante neige trouée écume jour le blanc vide que
boucherait dehors l’attraction muette des corps

la « neige » dissocie les blocs les rassemble les tient

improvise pour laisser affleurer ce qui non dit en elle est audible
accidents d’une note fondamentale dont retentissent déhiscents les
blocs

ainsi se creuse de cette peinture vers l’approfondissement et l’aug-


ment du souffle le labeur

le labour

s’imprègne tâche de peintre (comme par ses branches l’arbre aspire


les canaux de l’air) du travail de la terre car terre sont dans ce chan-
tier autour épandu ces moellons de réel à détrempe humaine
JE AN - C L A U D E S CHNEIDER CHEZ THOMAS BERNHARD A STEINHOF 

où le blanc plus que le reste pourquoi je me demande m’embarque

de ces blocs alors ceux non surgis du blanc sont par lui irrigués
rompus l’instant qui s’étire

toute toile se voudra « pas gagné »

mais rien que pas l’amorce vers plus loin ce n’est pas grand-chose
un pas ça n’étonne qu’à l’instant où il tergiverse se décide et après
c’est un pas déjà du passé dans le courant dans l’inachèvement de
voir et l’impossibilité de finir on répète les saisies on infléchit l’en-
tame d’un coup de pinceau qui (comme tout agencement de mots)
même englué dans ce qui remonte des commencements regarde
vers demain

mur-et-brèche-dans-le-mur oubliant son rectangle l’enterre ouvre


sa succession reposoir pas miroir pour voir au-delà le voilé l’in-
connu aimantation de futur et
halte

atterrissage on s’est arrêté un moment silence quart de soupir relevé


les pièges tel puits de lumière telle pesée d’obscur on flotte en
chemin

cheminant peinture qui se demande qui suis-je si je suis si je veux


autre que renvoyer à dehors où dehors plus profond pénétré devenu
dedans la caverne a dévoré ses parois
 I SRAE L E L I R A Z ET (PLUS TARD) PRÉCIPITANT

elle s’ouvre dans le jour travail jour à jour sape ses fondements
fracte puis rassemble (comme ma paume ses sillons) les lignes
ruinées du visible

ébauchées derechef pour une déflagration sous la machinerie du


ciel et que se lève par chance le visage d’une peinture celle-ci de
Gilles du Bouchet sur laquelle hâté d’en dire le silence l’énigme
je risquerai la métaphore de

la perte

(celle d’abord de qui là regarde moi englouti dissipé par ces pigments
formes l’opaque de la peinture moi absorbé dans sa mutilante mue
métonymique de l’affrontement corps-air noir-blanc du sans-épais-
seur)

perte l’image de ruisseaux leurs perditions


ruissellement sans eau rivières d’air enfouies entre les épaules organes
dos bosses falaises là se solidifie la nage du regard entre lumière et
air et terrasses du réel s’invente éparse la vision des

formes

elles tuilées s’enfoncent que décourage la représentation irrattra-


pable

méconnaissables
JE AN - C L A U D E S CHNEIDER CHEZ THOMAS BERNHARD A STEINHOF 

s’étrangent

anfractueuses vacantes poreuses consentantes infinitives imprononcées des


syllabes sans voyelles

engourdies englouties dans ce pavement debout la toile profon-


deur aggravée d’inépaisseur l’autre du dehors à présent inutile

mais c’est l’air lui seul maintenant l’air

où le naufrage d’infinir retentit retentit

que dans l’étincellement de l’échec

l’échec éblouissant inimitable le dialogue orageux de toute mise


au monde

veulent à coups de vastes circulations de silences venteux blancs


respirer

sans rapport avec l’autre échec (sens connu) de mes phrases qui
commentent voudraient dire comment mentent

que (oui l’air infigurable) respirent


 I SRAE L E L I R A Z ET (PLUS TARD) PRÉCIPITANT

exhibant cassures disparitions courants de sourdine ajourements de


fresques vives

ces géologies ces généalogies de calcaire de corps d’ombre

déjà elles retournent pas images du monde à l’état regardez de choses


le même délaissement que leurs demi-sœurs de matière leur condi-
tion de mur mur mental en gestation infinissable avec comme ses
semblables de pierre chez Leonardo je dirai faute de mot plus habile

ce

manteau

de réalité tombée en puits humain

où ça réalité où retranchée laquelle ondes ou particules ou


relations d’incertitude s’écrit comment visage éclopé indeviné
replié

falaises ventées minées trouées mais l’étendue peinte ne l’est pas


couches où les solides erratiques se ressoudent autour des coulées
d’air coagulent faces plusieurs du monde autres visages du même
où se lisent jamais les mêmes les humeurs du regard les tressaille-
ments tectoniques de sa banquise les nages éparpillées du moi

alors elles
JE AN - C L A U D E S CHNEIDER CHEZ THOMAS BERNHARD A STEINHOF 

leur orognosie trouée l’indépendance reconquise

trouvent sans bruit

dans le désordre respirant de l’atelier et parmi les pierres les ombres


partout dans le nulle part mouvementé

leur place et

mêlant aux aléas du jour et des jours ces bouts de temps où l’homme
a eu pied

ruminent leur vie somnolente définitivement peinture

questionnées m’interrogent détachées de leur source brouillant leurs


chemins court-circuités

quelque chose a été omis effacé


plus besoin pourtant toiles palimpsestes d’entrer par effraction dans
vos écritures discrétionnaires seulement les regarder masses intra-
versables de gris d’ocre affleurements de bleuités où lire où luit
l’autre tissure du monde

monde aussi sa peinture


 I SRAE L E L I R A Z ET (PLUS TARD) PRÉCIPITANT

les apparences revisitées sauvées de la ressemblance pour là comme


dans l’autre là-bas la vie nous perdre se perdre par intention le
peintre improuvables espaces dont le dernier sinon au lieu de l’égarer
plus loin serait pour de bon le dernier

moi-même debout devant perdu ou après-coup me ressouvenant


les mots que je renvoie la toile n’infirme pas ne corrobore pas n’a
que faire de la parole de la mienne de

moi mangeant ma faim songeant que s’il y a perte il y a résurgence


futur d’aven ouverts à l’inconnu

sachant qu’aura pu ce que j’avais à dire se perdre en chemin


MA R C BL ANC HE T
Écrivain et photographe, auteur de plusieurs livres de poésie,
il a publié des essais sur la littérature, la musique et la pein-
ture : Les Amis secrets (Paris, José Corti, ) ; des récits
mythiques : Trophées (Tours, Farrago, ) ou encore Les
Naissances (L’Isle sur la Sorgue, Le Bois d’Orion, ,
Prix Yvan Goll ). Il mène également une activité de
chroniqueur, d’organisateur et d’animateur de rencontres
littéraires.
 P IE RRE - YV E S SO UCY

M A RC BLANCHET

L’ é du ca t i o n d e s mo ns t re s
(ex tr ai t s )

.

Si quelqu’un devait naître de mon flanc, maintenant – ce temps


nuageux semble parfait pour de telles engeances – si maintenant
quelqu’un devait naître de mon flanc, j’aurais les plus grandes diffi-
cultés pour lui apprendre à vivre. Je ne parle pas d’enfants. Ceux-
ci viennent toujours démentir nos doutes devant la paternité. Je
parle de quelque chose sortant de mon flanc, quelque chose de
nuageux comme ce temps, quelque chose prêt à refléter l’épais-
seur d’un automne alourdi de blancheur, je parle de cette sensa-
tion pesante qui, à défaut d’être féconde, est parente de mon
incapacité à conseiller ce qui pourrait naître de mon flanc. Je peux
bien sûr être sage, me dire (et vous dire) : oui la chose est née (et
me réjouir d’ailleurs qu’elle soit née sans être un enfant). Ce serait
faire preuve d’esprit, et preuve de chair : qui ne veut pas d’un peu
de chair dans ce monde qui a perdu toute trace d’érotisme ? Alors,
si petite chose est née et que petite chose n’est pas enfant, qu’on
M A RC B L A N C H E T SUR L’ UVRE DE BERNARD GILBERT 

considère au moins, malgré mon instruction et la sympathie que


je réveille chez tout un chacun, qu’on considère au moins ma déso-
lation présente pour enseigner quoi que ce soit à petite chose qui
est née et n’est pas un enfant. J’ai beau m’appliquer à faire des
phrases et même écrire des livres, j’ai beau écouter autrui jusqu’à
en devenir l’oreille, répéter son pour son ce qu’il tint véridique
mot pour mot, je ne suis pas à la hauteur, même quelconque, d’un
tel événement. Je ne sais pas enfanter et enfante malgré moi. On
s’en félicite à mon sujet, on remonte dans le temps, trouve souve-
nirs – et donc raisons – de se réjouir de ma fécondité. Pour l’heure
j’ai le flanc stérile. Quel flanc ? J’en ai deux et ne veux pas enfanter.
Ce serait faire plaisir au monde : ce monde je l’ai en mémoire et
ne cherche pas à gagner son amitié. Quant à ceux qui se dépla-
cent sur lui ou qui se trouvent en moi, qu’ils sachent que je ne
tiens pas boutique, que la nuit m’a fermé à double tour et qu’on
attendra demain pour faire ce à quoi bon est mon flanc. Je n’ignore
pas que j’ai en moi des arguments qui me rendent raisonnable, de
bien belles volontés, et pour ces volontés de nombreuses révé-
rences. J’aimerais faire silence à l’intérieur même de ces mots, arrêter
cette avancée : je vois bien qu’elle s’arrêtera d’elle-même – parce
que je ne lui donne rien, ni mon temps ni ma parole. Si une
chose – aussi petite soit-elle – se décide malgré mes refus à sortir
de mon flanc, ou me trompe – petite chose habile – en sortant de
ma tête ou en prenant le chemin de mes mains – aussi étroites
soient-elles – qu’elle sache qu’elle ne triomphe de rien, pas même
de mes absences. J’étais ailleurs quand elle advint, le suis toujours,
le suis tout le temps. Je peux la saluer si elle le veut, brièvement.
Je peux hocher la tête, tendre la main ou sourire. Je suis en moi-
même, je m’y tiens bien. Ce n’est pas nouveau. J’ai un royaume
à gérer, qu’elle se le tienne pour dit. Si, en cette heure, je ne suis
d’aucun secours pour son désir d’éducation, qu’elle sache à nouveau
qu’ailleurs, et surtout loin d’elle, je m’affaire aux choses les plus
importantes, qui n’ont que peu à voir avec les événements de ce
monde-ci – préoccupations diverses, qui vont de la gestion de guerres
 P IE RRE - YV E S SO UCY L’ÉDUCATION DES MONSTRES

à l’alimentation d’un peuple (sans oublier ce que j’oublie) : oui je


m’affaire dedans moi-même à des décisions, des actes et quelques
signatures dont l’importance ferait rire n’importe quel tribunal.
Quand j’aurais cessé de m’affairer autant, je veux bien revenir en
ce lieu considérer la petite chose, la réenfouir en mon flanc si la
face de ce monde ne lui convient pas. Qu’elle ne vienne pas me
dire que je n’étais pas là : je l’ai prévenue de mon absence par les
présentes lignes et n’ai pas à me justifier de mes actes. Je n’ai qu’un
devoir en moi-même : y être pleinement. Je dois demeurer dispo-
nible pour le moindre problème. Je n’ai pas, n’ai plus, à imaginer
l’aimable et plaisant avènement d’une naissance hors de moi qui
ne soit pas un enfant. Je n’ai pas le temps pour les fictions. Je suis
si occupé qu’écrire est encore une perte de temps devant la masse
de travail qui m’attend et me demande (quelle joie de m’en occuper
!) de signer les registres de mon royaume, dont le contenu – pour
résumer – consiste à prouver que, pour une journée comme aujour-
d’hui, tout a été mené à son terme, que l’on n’a à se plaindre de
rien, que mes sujets se réjouissent avec moi des bonnes affaires
conclues, et qu’il est presque temps de passer à demain.
M A RC B L A N C H E T SUR L’ UVRE DE BERNARD GILBERT 

.

De petites figures de verre. N’est-ce pas ainsi que vous apparaissez


dès l’instant où l’on vous frotte contre le bon génie de la prose,
chers humains ? Ailleurs resplendissants, grandioses, tendus vers vos
réalités, et là, soudain : de verre. Pas d’autre matière que la trans-
parence trouble de vos attitudes, de vos gestes et de vos situations
(sans parler de vos visages, petites figurines, sans parler de l’ali-
gnement de vos traits qui vous condamnent à n’être qu’un
rassemblement d’esquisses les unes sur les autres). Parlons d’un autre
rassemblement – j’ai peu de temps et la prose de vos apparitions
n’attend pas, n’attend jamais. Vous êtes rassemblés sur l’étagère
nommée Étagère de la brièveté. En petites statues, petites soumis-
sions. Vous allez jouer le jeu habituel des variations, un « art de la
nuance » comme dit toujours le chimiste qui parle au bout de mes
doigts. Je vous plains d’apparaître ainsi, sans avoir à en découdre
avec le soleil. C’est là votre charme, semble-t-il : se rassembler,
puis ressembler. Avoir de la couleur le dégradé, du monde l’ar-
chitecture. On ne vous voit jamais triompher en élan, en assaut,
jamais de haut pouvoir. Vous êtes toujours dans l’accouplement
des ombres et des lumières – sempiternelle scène de vos verbeuses
reproductions. Je ne vous connais qu’en volutes : même si je vous
donnais toute la sécheresse dont je suis capable, vous trouveriez
un moyen de vous mouvoir en vous appuyant sur un adjectif, un
peu d’adverbes, sans compter le balisage du terrain avec force ponc-
tuation – et même sans ponctuation je le sais il y a toujours quel-
qu’un chez vous qui sait y faire et s’allonger au rythme des pages
jusqu’à un point impossible que voici : . Hélas pour vos stratégies :
à l’arrivée vous n’êtes sur l’étagère des mots que de petites figures
de verre. Ah dans la poésie le grand air, dites-vous ? Sur le papier
austère des proses, on ne triche pas. Vous voilà côte à côte, et de
côtes vous ne vous les prendrez pas à rire ! C’est la loi de la prose,
que voulez-vous. On peut en jouer pour de nobles causes mais
introduisez un personnage et le petit flacon à forme humaine se
 P IE RRE - YV E S SO UCY L’ÉDUCATION DES MONSTRES

met à sourire dans son faible corps de verre, sourit en couleurs,


en précipités : pas de chair à l’horizon, seulement sur l’étagère sa
petite figure de verre. Je vous garde ainsi devant mes yeux : ici,
d’autres personnes avanceront des théories et j’en connais plus d’un
doué en littérature, qui me dira : « ah non jamais de la vie tout
ça ! » Et de rire de la poésie dont je pensais qu’elle ne figeait rien.
Un autre discours (je l’entends murmurer dans mon dos) : « pareil
au même, c’est même chose que poésie et figures de verre dans la
prose, et c’est tromperie de percevoir ainsi le monde ». Je plains
cet homme, je connais sa misère. Qui n’aimerait pas parler avec
sa bouche ? Non, non : de petites figures de verre, vous êtes tels,
beaux personnages, quand vous entrez dans la prose, qu’elle soit
la mienne, ou celle d’autrui. Quoiqu’en cette heure, j’abandonne
le haut roman au terme duquel les idoles devaient mourir.
J’entreprends la rédaction d’un volume très inspiré. Cela prendra
du temps. Au programme : dénombrer ceux qui s’imaginèrent de
sang à l’aube du récit et finirent quelques mots plus loin bien rangés
sur l’étagère. J’ai posé à côté d’eux une photo de morte et ce fin
coton ramené d’un de mes rêves : personne ne croit que j’ai pu
saisir ainsi une matière réelle à l’intérieur même du sommeil. Après
des décennies de rêves, n’a-t-on pas droit à quelque victoire ?
M A RC B L A N C H E T SUR L’ UVRE DE BERNARD GILBERT 

.

J’ai négocié le prix de mon retour parmi les hommes instruits. Je


dois leur remettre l’exacte proportion de danger que j’ai inventée,
ne pouvant la vivre, et ne désirant surtout pas l’encourir. C’est
délicat : j’ai pu mentir en pensant l’imaginer. Ou je mens encore
en croyant m’en souvenir. Difficile de retourner en soi, surtout
pour revenir parmi des hommes dont il n’est pas question de douter.
Cependant, si je veux ma place au soleil des partages cérébraux,
il faut bien que je m’entame de quelque chose. Autant commencer
par ma raison… C’est délicat, vraiment. Quand ai-je eu peur ? Ne
devrais-je pas m’abandonner à l’instant – qui pour l’heure serait
de séduire cette lampe qui brille mollement à mes côtés ?
J’ignore – c’est un fait – ce qui me nourrit véritablement. Je crains
de me répéter en vivant jour après jour. C’est le seul rythme que
j’ai pu trouver : tout le monde m’imite, de craindre de mourir
également. Tout le monde a choisi de se ressembler. On reprend
les calendriers existants et on recommence. Quelqu’un se déci-
dera-t-il à vivre le temps imparti autrement ? Temps imparti, parce
quelqu’un de plus malin que les autres, quelqu’un qui a dû avaler
sa mort de bon matin, quelqu’un a dit qu’on avait peu de temps.
Quelqu’un nous a donné la frousse. Depuis il a dû inventer son
paradis et personne n’y a accès. Quelqu’un de très malin, mani-
festement informé sur nos faiblesses. De guerre lasse, je me retire
du poids d’autrui : j’ai fort à faire avec ma nouvelle recherche. J’ai
décidé, et tout le monde ici m’en veut (jusqu’aux meubles qui
semblent ne plus vouloir raconter la même histoire), j’ai désiré très
saintement vivre parmi les hommes instruits. Je pensais qu’il fallait
verser salaire : leur monde est plus complexe. Ou, plutôt, il est
d’un seul tenant : il faut toujours s’en remettre au passé. Chose
étonnante : lorsqu’on cherche un témoin, il n’y a personne pour
dire ce que tout le monde pense. Allons de l’avant. Hier a tant de
prestige. Qui mettrait son sort dans les mains du jour suivant quand
le futur a tout à prouver ? Cela ne répond pas à mon angoisse :
 P IE RRE - YV E S SO UCY L’ÉDUCATION DES MONSTRES

trouver l’exacte proportion du danger que j’ai inventée. Pas le temps


d’en savoir davantage : les hommes instruits sont très occupés. C’est
déjà un miracle qu’ils aient écouté ma requête. J’ai dû les impres-
sionner. C’est vrai : je compte pas mal de cordes à mon arc, dont
cette capacité à danser tout en énumérant des faits historiques. Quel
danger n’ai-je pas avoué dans ma vie passée ? Commençons par
là, parce que si j’oublie tout ce qui est en moi caché, inconscient,
et pire : volontairement mensonger, eh bien je mettrais du temps
à évoluer en compagnie des hommes instruits. Eux aussi ont dû
en passer par là : on ne peut se frotter à la mémoire – qu’elle demande
de l’érudition ou la plus haute intuition sans fouiller en soi et se
débarrasser de ses mensonges. Le mensonge est une technique pour
repousser l’imagination. Les hommes très purs de ce lieu me l’ont
dit et je tiens à ne pas les décevoir. Ensuite, je compte bien mentir.
Que croyez-vous ? Qu’on ne bâtit à partir de rien ? Hélas non et
permettez du latin : pas de ex nihilo. On meurt instruit, avec le
mensonge au bout des lèvres. J’imagine la procession : des romans
volontaires, cultivés, travaillés, avec dedans, petits démons dansants,
plein de mensonges, colorés comme les habits d’un roi et se heur-
tant aux parois des livres comme la langue aux dents. Pitié pour
l’heure. Que quelqu’un ait en mémoire mes mensonges passés !
Qu’il me dise l’exacte proportion de danger que j’ai imaginée,
inventée, masquée. Qu’il me dise tout de mon passé. Que l’on
pense au passé en cet instant sinon aucun d’entre nous ne pourra
poursuivre. Prendre son temps : diable j’en ai si peu. Qu’ai-je vécu
que je ne voulais pas vivre ? Étais-je réellement là quand j’ai inventé
cette exacte proportion de danger ? Il y a une ombre qui demeure
toujours dans l’angle de cette pièce : au même endroit où lorsque
j’étais enfant, ma mère me regardait jouer.
M A RC B L A N C H E T SUR L’ UVRE DE BERNARD GILBERT 

.

Beaucoup d’amour aujourd’hui de par le monde. Du moins par


ce que j’ai pu en mesurer : d’abord ces caresses dans les escaliers
(était-ce en montant ou en descendant ?), quelques animaux ensuite,
levant la tête, frétillant de leur queue noire, ou fuyant avec un
large sourire devant notre passage, enfin le joyau de la pluie contre
la fenêtre, l’éclatement des gouttes qui a fini par orner toute la
maison. Également les arbres, leur oscillation pleine de consente-
ment. Leurs ombres aussi, vastes, larges, traversées d’une myriade
de petits soleils. On se serait cru heureux à voir ainsi le monde
déverser sans outrance dans la beauté d’une infinité d’épiphanies.
La nuit n’a pas eu raison de cette profusion. Elle en a même rajouté.
Les obscurités timides des caves ont accueilli sa venue avec des
frissons rares. La vie avait décidé de se réconcilier avec elle-même :
tendresse des hommes morts au combat, viols murmurés au sein
du silence, enfants égorgés chutant avec grâce. Sans oublier les
souillures et les choses blessées qui font la lumière. On a envie de
remercier en marchant parmi ces cadavres. Cadavres brefs il faut
le dire : jour ou nuit ce furent résurrections. Les choses à peine
mortes se gonflaient d’amour et, le long du chemin, les arbres toujours
à la peine oscillaient, tombaient à terre, se relevaient en se frot-
tant les branches sans le moindre embarras. « La vie tient en elle-
même », a dû penser quelqu’un pour nous tous. Il ne faut pas
exagérer : tout cela ne tient que sur quelques mètres carrés. « Le
monde ne déborde jamais vraiment », a dû songer quelqu’un d’autre.
A-t-il eu cette pensée pour lui seul ?
 P IE RRE - YV E S SO UCY L’ÉDUCATION DES MONSTRES

.

Il y a toujours dans le désir d’écrire, dès l’instant où l’on songe à


notre main frottée contre le papier, une idée qui apparaît, et dont
je suis étonné de voir que personne quasiment ne la mentionne :
celle de vertes vallées. Une idée de vertes vallées, ou de vallées
vertes, comme si, à peine commencée, l’écriture devait déployer
des paysages qui, quoique singuliers, n’oubliaient jamais ces coteaux,
ces petites montagnes, ces prairies absolument vertes. Une idée
verte d’ailleurs, tellement qu’elle finit par aveugler. Les gens appli-
qués à l’écriture sont menteurs : ils parlent d’eux-mêmes et ne
mentionnent pas ce beau paysage vert. Pas de mort en effet dans
ces parages : cet absolument vert se veut d’une verdure exquise,
grasse, généreuse. Je sais pourquoi les écrivains ne font pas grand
cas de ce vert qui vient à l’esprit dès l’instant ou l’on songe à l’écri-
ture : c’est un vert sans parole, apaisé de tout verbiage, un vert qui
ne pense à rien, tellement absent de toute prétention littéraire qu’il
ne se vexe pas si quelqu’un soucieux d’écrire son livre ne fait pas
référence à sa belle nature grasse, semblable à une douce vache
qui justement mangerait l’herbe verte de ce paysage jusqu’à la féli-
cité. C’est un vert trop noble pour que la littérature y prétende.
On parlera de femmes, des villes bien sûr, surtout des talons des
femmes sur nos adorables figures. On vantera le personnage qui
ouvre la porte, le personnage solitaire, celui qui pense la tête entre
les mains, mais personne pour parler de ce vert auquel très honnê-
tement je ne puis que penser malgré ces phrases qui n’appartien-
nent déjà plus à une introduction, ni même à la pensée de ce que
l’on va écrire avant d’ouvrir ses petits cahiers. Qui parle du vert
dans la grande tradition littéraire ? On aurait emmagasiné tant de
livres dans les bibliothèques, les librairies et chez soi pour oublier,
ou pire : taire l’essentiel ? Cette pensée verte du vert qui vous vient
à l’esprit quand il s’agit d’écrire, ces vertes vallées, qui n’ont rien
de biblique, doivent être considérées autrement que dans le silence.
À croire que la littérature s’appuie sur de l’oubli, ou plutôt sur un
M A RC B L A N C H E T SUR L’ UVRE DE BERNARD GILBERT 

oubli précis. Certains souriront. Ils penseront : « en voilà un qui


fait sa conférence, on n’a jamais entendu parler de vallées vertes
au début d’un livre. Comme si un livre commençait dans le silence,
et que prendre la parole c’était finalement parler sur un premier
oubli ! » Ces hommes sont de peu de foi. Ils ne veulent pas parler
des vallées vertes à l’aube des livres. Il faut rire d’eux autant qu’ils
rient de nous : peuvent-ils ces hommes prétendre à la littérature ?
Sont-ils libres de ce fait ? Leur paysage est amer : il déverse son
acidité sur la page, et la première ligne est noyée sous les flots de
leur mépris. Cela ne fait pas avancer la littérature, alors qu’il est
important que les livres publiés ne perdent pas dès leur commen-
cement le paysage secret auxquels ils appartiennent. Ces tristes litté-
rateurs préfèrent grimacer sous le talon des femmes, baver quand
elles retirent leurs bas, sans oublier bien sûr l’érection devant leurs
cuisses grandes ouvertes. N’ont-ils jamais aimé, ces écrivains ratés ?
Que voit-on dans le sexe des femmes ? Du vert, messieurs, des
vallées vertes ! Après ces paysages de vallées vertes oubliés à chaque
début de livre vient ma première théorie, qui – croyez-le – ne m’ap-
partient pas : le même vert, le même tendre vert, sensuel, gras et
généreux, se tient tout au fond des femmes, avec un parfum légè-
rement plus fort. Il faut donc en passer par un visage écrasé à moitié
par un talon pour finalement s’apercevoir que les femmes détien-
nent la littérature en elles. En ont-elles conscience ? Ou est-ce à
moi seul qu’appartient cette vision ? Je n’ai pas résolu l’énigme.
Je me tiens muet avant d’écrire, j’évite les bavardages, fréquente
très peu d’écrivains, et souris dès l’instant où je sens le talon d’une
femme sur ma figure : la littérature n’est pas loin. Simplement je
la reconnais et évite d’en jouir.
 P IE RRE - YV E S SO UCY L’ÉDUCATION DES MONSTRES

.

De grandes douceurs parmi les hommes ce matin. Chacun s’est


appliqué manifestement à tirer profit de son sommeil et a rangé
dans le tiroir de la commode (la petite, là, dans l’entrée) ses poignards.
Matinée paisible quoique un peu triste : nous faisons toujours le
compte des beautés égorgées nettes à la naissance, des commer-
çants exécutés suite à un refus (ou un retard dans la commande),
sans oublier les innombrables passants, ceux que nous connaissons,
ceux que nous ne reconnaissons pas. Ce monde a mis bas un jeu
de masques : de quel autre monde s’est-il inspiré pour ne pas manquer
d’imagination ? Il n’est pas facile de l’admettre, cependant essayons :
un monde tout autre se tient près du nôtre et nous regarde. J’en
ai la certitude, j’ai dû un jour passer la tête dedans. J’ai oublié en
quoi précisément ces images avaient une force d’inspiration si puis-
sante : je m’en souviens malgré moi. Et je devine dans tous ces
regards croisés en une seule matinée que d’autres ont connu l’aven-
ture. Ah politesse tu nous égares ! Il suffirait d’un peu de bonne
volonté pour l’avouer au premier venu : avez-vous passé la tête
vous aussi ? Hélas les hommes tiennent à leur rang. Celui qui s’est
affairé s’affairera encore. Si on a quelque chose à vendre, pour-
quoi d’un coup ne plus croire au commerce ? Seulement, tous (plus
ou moins) ont fait l’expérience, en glissant, par hasard, ou avec le
bond suffisant, de passer la tête et de voir. Ils savent le jeu de masques,
ils savent l’intrigue, ils connaissent l’énigme. Au lieu de la hisser
haut, et de la désigner à tout un chacun, ils marchent dessus ! Difficile
d’avoir du respect pour ces gens. D’où les crimes au petit matin :
il faut bien commencer d’une manière ou d’une autre pour accéder
à l’essentiel. Hélas encore, bis et ter, quelle beauté qu’un monde
s’éveillant tout de même sans désir de tuer, sans roueries ou pensées
secondes. Quel plaisir de hocher la tête devant l’innocence d’au-
trui. Bah ! On jouera le rôle, et si l’on tue, que ce soit seulement
pour supprimer celui qui était de mauvaise foi. Hélas ! (je ne
dénombre plus ce mot) si seulement, si seulement quelqu’un pouvait
M A RC B L A N C H E T SUR L’ UVRE DE BERNARD GILBERT 

nous faire passer tous ensemble la tête de l’autre côté, dans ce monde
trop silencieux, si près pourtant, et qui ne peut être entendu. On
verrait d’où viennent nos masques, et sûrement d’autres choses.
La vie n’en serait que plus belle. Quelqu’un a dû tricher à l’ori-
gine. Je ne vois pas d’autre explication à notre violence, notre égare-
ment, nos affabulations. J’irai encore en ville dépenser mon argent,
pour que les hommes soient heureux, et que nous limitions ainsi
le nombre des morts. Je n’ai pas fini de sourire, de saluer mon
prochain, je n’ai pas fini de renoncer. Non ! je veux tendre encore
la tête pour favoriser le passage, attraper un peu de ces visions
communes dont le commun ne veut pas. Tant pis pour l’épuise-
ment ! J’espère qu’on me reconnaîtra un jour à ma juste valeur.
Notre violence ne vient-elle pas de ce secret que l’on n’ose partager ?
C’est épuisant. Mais cela ne nous épuise-t-il pas davantage de ne
pas tenter l’aventure ?
P IE R RE VO ÉL I N
Poète et essayiste originaire de Franche-Comté, il est né
à Courgenay en . Après des études à Genève et
Fribourg, il enseigne la littérature française et l’histoire de
l’art et vit aujourd’hui à Nyon. Il a publié de brefs essais :
Sur deux nappes de silence (Genève, La Dogana, ) et
La Nuit accoutumée (Genève, Zoé, ). Ses principaux
recueils de poésies sont : Sur la mort brève (Albeuve, Castella,
) ; Les Bois calmés (Genève, La Dogana, ) ; Parole
et famine (Lausanne, Empreintes, ) ; La Lumière et d’autres
pas (Genève, La Dogana, ) ; Dans l’œil millénaire (Le-
Chambon-sur-Lignon, Cheyne, ).
 P IE RRE C HA P P U I S

P I E RRE VOÉLIN

D e l a f or ê t hum i l ié e

come te, come te, signore,


noi siamo consegnati a quella morte
che con più denti dell’amore morde
e separa la rosa
Cristina Campo

.

À pleine gorge boire le silence – la part égale aux nuits


une main venue d’ailleurs – folle de douceur
caresse lentement le mufle
des bêtes sourdes

Après les cris – grandisse


ce dégoût des pierres
des feuilles
des eaux
P IE R RE V O É L I N EN PREMIER LIEU 

.

La faux parcourt le trèfle – cette lame


haïe – tu l’aiguises – toi
tu l’effiles
avec la langue du chevreuil
 P IE RRE C HA P P U I S DE LA FORÊT HUMILIÉE

.

N’explorer du matin que le mensonge


la lumière veuve se perd
dans l’aujourd’hui

les gouttes suspendues – les haies


restées seules – elles écoutent la voix unique
P IE R RE V O É L I N EN PREMIER LIEU 

Tes paroles – dans la patrie du chèvrefeuille


quand tu viens saluer le crépuscule

Les eaux du fleuve s’écoulent


tu les rêves déployées
redressées – mur

pour que s’épuise la douleur

et recoudre sans fin la neige


et pleurer une à une les nuits d’équinoxe

plus pauvre – se vouer aux mains ennemies


supplier – ne rien savoir

sans trêve toucher la gorge du témoin


 P IE RRE C HA P P U I S DE LA FORÊT HUMILIÉE

Je te soignai avec l’ombre des peupliers


et ce collier de faînes – si pauvre
sur ta peau nue

et ainsi de suite – dans le bruit des saisons

Les villes proches ouvraient leurs yeux affolés


les terres autour pliaient leurs hanches
couleur des foins et du silex

Les martinets sur les champs ensemençaient l’orage


nous déjeunions dans la boucle des cris
d’œufs – de pain sur la route

et la langue des jours se nouait à la langue des nuits


P IE R RE V O É L I N EN PREMIER LIEU 

N’attache pas les tournesols – qu’ils penchent leur tête


– noire – juste avant que ne tombe le jour

Et le cœur – à ses fougères


elles ne plient ni ne bougent dans le souvenir

L’amour reviendra user le seuil de chaque nuit


effeuiller tes bras tes mains tes épaules
clore et déclore les lèvres jumelles

vivant masqué par le froid

Qu’il emporte ce rêve


qu’il le déploie dans l’orbe du pèlerin
l’enfouisse dans le lointain sommeil des laies
 P IE RRE C HA P P U I S DE LA FORÊT HUMILIÉE

La douleur en visite dans le pays d’enfance


avec toi je cherchais les murmures
et déjà le pur lacet
des larmes

Là – fragile – là – suspendu aux noisetiers


à la porte de ces cabanes de feuilles

Déjà les pierriers s’étaient mis à grimper


traînant plus haut leurs pieds en sang

le chamois – œil fendu


vomissait la bruyère et le thym

avec toi – sur l’arête


ivres encore – à mesurer les paumes du vent
P IE R RE V O É L I N EN PREMIER LIEU 

Il pleure
à l’herbe s’en va l’étoile

l’escorte les mouches


fermant les cils des juments noires

l’aube s’efface dans le silence de la réponse


 P IE RRE C HA P P U I S DE LA FORÊT HUMILIÉE

Tes paroles – après la mort – vague après vague


heurtant la coque des barges – le pêle-mêle
des branches – contournant les piles

ouvrant une à une les paupières du fleuve

remontent les rives jusqu’aux feuilles de l’acacia

Cette lente remontée – pour te reclasser dans le jour


parmi les hommes et leur peine

et tout ce qui unit et tout ce qui sépare


la vitre des eaux où les mains jamais ne se touchent

le soleil qui mange tes épaules d’enfant


tes paroles d’or et de pluie
les lèvres gourmandes
la verge en sang

 juillet 
JO ËL -C LA U DE ME F F RE
Né en  dans le Vaucluse, où il réside. Chercheur en
archéologie antique, poète et essayiste, il est proche du
poète Bernard Vargaftig pour sa formation à l’écriture. Il
collabore à la revue Europe. Il a consacré plusieurs de ses
écrits à la peinture et aux peintres. Parmi ses dernières
publications, deux essais : Une geste des signes (avec Ghani
Alani, Saint-Clément, Fata Morgana, ) ; Le Face à face
des cœurs (avec Faouzi Skali, Paris, Stock, ) ; en poésie :
Atteinte au visage (Saint-Clément, Fata Morgana, ) ;
L’Aboi sans fin (Paris, Circa , ) ; Respirer par les
yeux (Rennes, Wigwam, ) ; Dans les souffles, à
Montmirail (Saint-Clément, Fata Morgana, ).
 C HRIS T IA N H U B I N

J O Ë L- CLAUDE MEFFRE

V is a ge d ’ un e m é m oire
(ex tr ai t s )

Tombe ouverte par la pioche, incidemment, comme effraction


d’un coffre de pierre. Avec restes infimes d’offrandes (poupée
d’ivoire, épingles à cheveux, miroir). Un moule du visage de la
défunte avait été placé près de la tête. Toutes ces choses étaient
serrées les unes contre les autres, immobiles et solitaires, autour
du corps. Dessinaient comme sa silhouette.
C’est maintenant reliques, extraites de tombe comme dent morte
qu’on aime à garder près de soi.
JO Ë L- C L A UD E M E FFRE PEINTURE 

Lait de plâtre coulé sur la face défunte,


blanc, onctueux
qu’on a tout d’abord oint

visage approché du nôtre

comme un souvenir décloué

lait d’un visage qui a caillé en nous


 C HRIS T IA N H U B I N VISAGE D’UNE MÉMOIRE

Le moule est venu à la clarté du jour. Par la tombe, dévoilée. N’aurait


jamais dû être vu ni pris par des mains d’un temps d’ailleurs, d’une
fois future. Est à portée de vue dans notre jour à nous, mainte-
nant, par l’ici. Sous nos yeux, c’est creux de plâtre qui reste le
secret d’un visage.
JO Ë L- C L A UD E M E FFRE PEINTURE 

moule
et son revers

os de plâtre qui a saisi

la face est
inapaisée
 C HRIS T IA N H U B I N VISAGE D’UNE MÉMOIRE

Au-dessus de la tombe se dressait l’épitaphe de la défunte qu’on a


lu : Claudia Victoria, fillette morte à l’âge de  ans,  mois,  jours ;
avait vécu sous le règne de l’empereur Trajan…
Fut-elle cœur qui bat, avec un petit visage rond ? Et sa petite ombre
qui la suivait sur la terre quand elle marchait, l’entrevoyons-nous ?

Aucun regret ne pèse, abrasé ; aucune larme ne jaillit lorsqu’on


lit le nom sur l’inscription. Une faible lumière s’est fixée sur ce
visage qui a roulé jusqu’à nos pieds, dans la pente, depuis le haut
de l’oubli.
JO Ë L- C L A UD E M E FFRE PEINTURE 

C’est offrande de ton visage. Comme un dévoilement hors de tout


périr. On fera tenir ensemble les morceaux de la pierre du moule.
On en fera une forme qu’on rapprochera de nous comme un contour
d’absence. Ça demeurera, de lointain à lointain, pour nous absents,
une toute présente apparition.
 C HRIS T IA N H U B I N VISAGE D’UNE MÉMOIRE

près de la tête, le visage de plâtre


a été posé

il y avait eu un geste si recueilli

l’objet flotte dans l’espace


sans gravité
JO Ë L- C L A UD E M E FFRE PEINTURE 

Ton nom s’est-il dénoué d’anciennes mémoires, servant à t’ap-


peler, toi, qui es demeurée comme l’enfant de l’enfance ? Le nom
fait signe au moule entaché de ta face. On le prononce ; on en fait
comme une sorte d’invocation. Mais après un moment nos langues
gèlent au milieu du silence.
 C HRIS T IA N H U B I N VISAGE D’UNE MÉMOIRE

Avec quels mots de quelle langue aborder ton visage de plâtre qui
soit comme un signe de rapprochement ? Et qu’est-ce qui demeu-
rait de notre parole établie au milieu de l’appel ? Que nommer,
qui ne nous laisse pas comme devant une pierre inaccessible ?
JO Ë L- C L A UD E M E FFRE PEINTURE 

Dit du visage. Dire « visage ». Énoncer. Le nom répond de nous


dans l’attente. On peut toujours essayer de nommer là où le visage
s’est élevé en une mort innommée. On nommera le semblant de
quelqu’un. On formera ce nom, par une sorte de faux tutoiement,
sans que rien ne bouge ni que la lumière ne faiblisse.
 C HRIS T IA N H U B I N VISAGE D’UNE MÉMOIRE

lait versé
sur le terreau des regards

mince voile

Je tiens la fleur funèbre du visage avec mes mains


l’empreinte durcie ayant dessiné son vide
JACQ U EL INE M I CHE L
Professeur émérite de littérature contemporaine à l’uni-
versité de Haïfa (Israël) où elle dirige le Groupe de recherche
sur la poésie contemporaine au sein du département de
français et est rédactrice de la revue Poésie & Art publiée
par les Presses de l’université de Haïfa. Sur la poésie et le
récit contemporains, elle a publié une dizaine d’essais
critiques dont Une difficile simplicité : Lionel Ray, Guy Goffette,
Paul de Roux (Paris, Caractères, ) et de nombreux
articles dans diverses revues littéraires, en Israël comme
en France.
 C LAUD E L O UI S- COMBET

J A CQ UELINE MICHEL

L a p oé s i e d e S il v i a B a ron Super vielle


o u l’i m pos s i bl e c o n quê t e du mot

Silvia Baron Supervielle, dans son essai intitulé La Ligne et l’Ombre ,


poursuit l’aventure d’une corrélation, sorte d’échange et de
complicité, entre la ligne d’écriture et ce qu’elle nomme la « ligne
vivante » (en rapport avec un vécu collectif et individuel), qui se
profile en traces se faisant et se défaisant, aux confins de la mémoire
et de l’oubli. Il faut préciser que cette poursuite qui, en quelque
sorte, fonde l’écriture de Silvia Baron Supervielle, trouve son origine
dans l’expérience d’un exil  non forcé qui a développé l’obsession
de faire se rejoindre deux rivages fort distants. C’est ainsi que celle
qui écrit s’invente au rythme d’une ligne invisible qui tantôt se
dessine, tantôt s’estompe ; de là-bas à ici (du Rio de la Plata aux
bords de la Seine) elle tente le passage, en particulier dans ses récits,
habitée par l’éprouvant sentiment d’être à jamais partagée.
À la lecture de deux de ses recueils de poèmes Lectures du vent
et L’Eau étrangère , antérieurs à l’essai de La Ligne et l’Ombre, nous
nous sommes posé la question de savoir dans quelle mesure cette
aventure d’une corrélation entre la ligne d’écriture et la « ligne
JAC Q UE L I N E M I CHEL AFFLEUREMENTS POUR ATTOUCGEMENTS 

vivante » en tant que processus créatif, pouvait être déterminante


lorsqu’il s’agissait de faire exister un poème qui, dans ce cas, se
donnerait en recherche de lui-même. Ceci nous a amené à entrer
plus avant dans la poésie de Silvia Baron Supervielle, afin d’en explorer
le mode de façonnement et, plus précisément, de déchiffrer un
éventuel message qu’il délivrerait concernant l’acte d’écriture.

Dans Lectures du vent comme dans L’Eau étrangère, des vers courts
(il arrive que seulement un ou deux mots les composent) s’agen-
cent en poèmes brefs qui se dessinent tels des fragments détachés
d’un texte oblitéré. On notera combien est significative, de ce point
de vue, l’absence totale de titres et de majuscules renforçant le
caractère de découpes, d’îlots arrachés d’un tout inatteignable pour-
rait-on dire, de ces écrits. Les mots construisent en les délimitant
nettement des espaces d’écriture qui se succèdent de page en page :
« J’aime, nous dit Silvia Baron Supervielle, que le poème soit centré
[…] Je suis gouvernée par le besoin de suivre une démarcation,
une empreinte sur la page . » Dans cette configuration de briè-
veté et de concentration, chaque mot se laisse appréhender de prime
abord comme s’il servait pour la première fois, comme s’il pesait
de tout son poids de possibilités de signifiance dans le neutre de
la page. Mais on se rend vite compte, par une lecture attentive,
que le mot hésite, doute, et ne fait que mieux prendre la mesure
du manque qui corrode la ligne d’écriture dans son élaboration
même. On serait tenté de l’apparenter aux mots-fenêtres du poète
Lionel Ray ; à ces mots qui interpellés par le manque, font de la
mise en forme et en significations du poème un jeu perpétuelle-
ment perdu  :

Fenêtres sont les mots


prenant mesure
De ce qui manque
dans ce qui est
cherchant
 C LAUD E L O UI S- COMBET LA POÉSIE DE SILVIA BARON SUPERVIELLE

ce qui est dans


Ce qui manque 

Précisons que cette image du mot-fenêtre ouvert sur l’espace fuyant


et ténébreux du manque, est mise chez Silvia Baron Supervielle,
fortement en valeur par la découpe que présente le poème dans
le silence blanc de la page ; une découpe bien cadrée s’offrant à
l’obscur, à la nuit :

la fenêtre
ferme
le jour

laisse
pénétrer
la nuit (EÉ, )

Remarquons que ces quelques vers renvoient à la phrase sur laquelle


se clôt Le Pays de l’écriture : « La nuit s’ouvre sur le pays de l’écri-
ture . »

À la lecture des fragments-poèmes de Lectures du vent et L’Eau


étrangère, se dégage, à des degrés divers, l’impression que l’on est
confronté à des tracés voués à l’inaccompli ; des tracés en recherche
de la formule qui permettrait d’atteindre en eux et par eux, à la
voix d’un texte de la mémoire ressenti éclaté, inaccessible, autant
dire à une voix de l’absence à laquelle, nous semble-t-il, feraient
référence ces vers extraits de La Distance de sable :

flux d’une mémoire inconnue


qui surveille et déferle
comme la tempête du large
derrière les vitres des yeux 
JAC Q UE L I N E M I CHEL AFFLEUREMENTS POUR ATTOUCGEMENTS 

Plus précisément, on a le sentiment que le mot bâtisseur de ces


textes brefs, traque sans cesse la véracité d’une sensation d’absence
d’un autre mot qui lui serait nécessaire et complémentaire pour
signifier en vérité. Et le JE artisan du vers, tendrait alors à se dési-
gner en arbitre impuissant d’une tension entre le mot et le manque
de cet autre mot qui l’infirme, ou encore entre le mot et son ombre
(l’ombre étant comme le reflet d’une énergie de sens perdue).
Il est important de souligner que le dire de l’ombre hante les écrits
de Silvia Baron Supervielle, et qu’il participe étroitement à l’éla-
boration du poème dans L’Eau étrangère et Lectures du vent. En effet,
on relève de très brèves images où l’ombre se décrit investissant
ou contournant une surface ou un relief déterminés d’écriture.
Certaines de ces images nous la donnent touchant des lieux en
attente de signes : la table « habillée de pénombre » – « une archi-
tecture habitée des ombres » – un « amphithéâtre d’ombres » – un
rocher où « s’amarre l’ombre lente » – et plus particulièrement le
papier que « survole la face / bouleversée de l’ombre » ; ce papier
qui, par ailleurs, coïncide à l’« ombre blême » qui « revêt son silence »
et lui prête une figure évanescente . C’est précisément sur cette
page / ombre que le poète se dit en tentative d’écriture :

je remue mon reflet


pour entrer doucement
dans l’eau invisible
allongée sur la page (EÉ, )

Notons que, par ailleurs, d’autres images saisiront l’ombre en


osmose avec des mouvements de vibrations furtifs : nous pensons
à « l’ombre frêle de la flamme » – ou à « l’ombre couchée sur le
torrent » .

On est incité à en conclure que par le truchement des images


d’ombre, le poète s’emploie à désigner la présence de rumeurs de
voix incertaines montant des frontières enténébrées de la mémoire
 C LAUD E L O UI S- COMBET LA POÉSIE DE SILVIA BARON SUPERVIELLE

et de l’oubli ; des rumeurs ressenties comme des tracés démunis


des signes qui auraient pu les fixer et les rendre lisibles. Ce mode
de présence de l’ombre ainsi inséré dans l’écrit poétique, se donne
représentatif d’un espace du manque se recoupant avec celui du
mot perdu, « le mot d’une fois / enfoui dans la mémoire » (EÉ, )
qui, paradoxalement, n’en demeurerait pas moins virtuellement
opérant, capable de générer un acte d’écriture. En effet, on relève
dans plusieurs poèmes, des images qui inscrivent ce paradoxe : le
mot perdu s’y trouve désigné, et même incanté, comme pris, impliqué
dans un appel du sens. Nous retiendrons ce « mot envolé  qui
sait / sur la mer s’écrire » – ce « mot / de la mer qui mord / les côtes
séparées » – ce « mot de nulle part » au seuil duquel « l’infime brin
de l’air / dérobé sera rendu » – ce « mot illisible / (qui) recueille son
message / lointain pulvérisé » – ce « mot (qui) se tend et gagne / son
visage irrévélé ».
Cette virtualité ressentie du manque en tant qu’espace du mot
perdu et de tous ses possibles pourrait s’interpréter comme le « rythme
premier » mettant en marche un processus créateur, dans le sens
que lui conférait Paul Valéry. Un « rythme premier » qui, dans le
cas de l’écrit de Silvia Baron Supervielle, se représenterait plus parti-
culièrement en une mouvance d’images de l’ombre. Celle qui écrit
Lectures du vent et L’Eau étrangère, insiste sur le fait qu’il est vital
pour le poète (du point de vue de l’acte d’écriture) d’« habiter
l’ombre », « l’ombre contourne / et il faut l’habiter » (EÉ, ) répète-
t-elle; ce qui reviendrait à dire qu’il faut éprouver (dans les deux
acceptions du terme) l’espace du mot perdu qui appelle dans son
refus même à être circonscrit. « Sur la ligne l’éclair / ne désigne
que l’ombre » (EÉ, ), nous dit le poète. Sur l’écrit du poème, ne
cesse d’opérer l’ombre qui fragmente à l’excès la ligne de l’écrit,
en dénonce à la fois l’inanité et l’ouverture sur la « ligne vivante ».
Il s’agit alors, pour le poète, de tenter d’investir l’ombre, et pour
ce faire d’en inventer un dire qui serait celui d’un manque rendu
sensible, résonnant à des mouvements délités de la mémoire. D’où
l’invite pressante faite au sujet écrivant de se mettre en une attente
JAC Q UE L I N E M I CHEL AFFLEUREMENTS POUR ATTOUCGEMENTS 

active du retour du mot à la signifiance, de faire que son écriture


soit à l’image de ce « bateau / qui façonne l’attente / attachée à
son reflet » (EÉ, ). Dans l’attente le sujet écrivant doit se rendre
réceptif à l’ombre en lui conférant mouvement et relief, autant
dire en lui inventant des figures comme le suggère l’un des frag-
ments de Lectures du vent :

un cap qui vienne


encore du vent
une autre lente
initiale de l’eau
un autre signal
[…]
un mât inconnu
des ombres pour
attendre (LV, )

Dans sa quête d’un mot perdu qui viendrait en accomplissement


du sens du mot incertain tracé sur sa ligne d’écriture, le poète s’at-
tache à construire un langage de l’ombre qui se recouperait avec
celui d’une attente opérante jamais comblée, dénonçant le manque,
et soudoyant le seuil fuyant de la mémoire et de l’oubli : « l’at-
tente […] / m’entraîne subitement / à respirer les ombres » (LV, ).
Et ceci, dans le secret désir que par ce stratagème de l’écrit, le mot
perdu se laisse prononcer, qu’il se donne à lire au profond de l’être
écrivant, et prenne forme en complément du mot de la ligne de
l’écriture. C’est cette correspondance entre un langage de l’ombre
et celui de l’attente qu’il va nous falloir poursuivre et interpréter,
en d’autres termes, expérimenter d’un poème à l’autre.

En ce point de notre réflexion on est amené à considérer que, par


les pouvoirs d’un dire tissant l’attente et l’ombre, la ligne d’écri-
ture accentue sa tension vers le mot perdu. Elle résiste au manque,
répondant à ce que le poète nomme « le pacte de résister / à signes
 C LAUD E L O UI S- COMBET LA POÉSIE DE SILVIA BARON SUPERVIELLE

et à sons » (EÉ, ), un peu comme on interpelle à cor et à cri. Or


d’un tel geste d’écriture, participerait un tracé allitératif qu’une
écoute de la partition (dans l’acception musicale du terme) offerte
par les poèmes-fragments nous révèle. Ce tracé se structure à partir
de plusieurs vocables animés par le phonème spirant « V », très
récurrents dans les poèmes : voix vent vague vide, qui déterminent
des réseaux de modulations, carrefours d’une métaphorisation de
la page / ombre en espaces de mouvances, s’identifiant à des bribes
de murmures. On serait tenté d’interpréter le tracé allitératif qui
s’est révélé et imposé à la lecture, comme un bâti sonore relâché,
fractionné, d’une ligne d’écriture déstabilisée. Tout ceci nous entraîne
dans une relecture des poèmes, orientée par ce tracé et par la ques-
tion soulevée d’une résistance de la ligne d’écriture au manque
qui la tient en échec.
Structurée par les mots et leur ombre, la voix du poème se trouve,
par le pouvoir de signifier du tracé allitératif, reliée à la mémoire
d’un chant quasi inaudible. Elle se décrit et d’une certaine façon,
se précise à travers les fragments, sous l’angle d’une résonance et
d’une vibration émanant simultanément des profondeurs de soi et
des lointains d’un vécu. Elle est, nous dit le poète, « l’expiration
infinie / d’un pays qui appelle / sans rive ni nom » ; « la rumeur
tracée dans la distance », et « ce qu’on entend parler au fond de
soi muet ». Or le tracé allitératif que nous avons décelé dans l’écrit
des poèmes raccorde cette voix au vide (« entre voix et vide », EÉ, ),
au vent (« la voix du vent », EÉ, ) et aux vagues (« vagues qui écri-
vent la voix », EÉ, ) et, de ce fait, ouvre des chemins de signi-
fiance qu’il nous faut interroger.
Au niveau du champ de significations, voix et vide sont mis en
interaction. Conjuguée au vide en tant qu’espace déserté par
les signes, la voix du poème sur fond d’une voix de l’absence qui
s’imagine en « expiration infinie » ou en « rumeur » indéchiffrable,
étend et avive sa résonance, « bouleverse l’habituel / écho » (LV, ) :
JAC Q UE L I N E M I CHEL AFFLEUREMENTS POUR ATTOUCGEMENTS 

une voix […]


se déploie plus haut
plus loin où se consume
le reflet de l’infini
qui notifie au vide
la terre dévastée (EÉ, )

Et, conjugué à la voix, le vide tend à se raconter poème ouvert sur


« l’inaccessible vocable » (LV, ), sur « l’écho inachevé » (EÉ, ),
lorsque le texte s’écrit faisant le vide de lui-même : fort significa-
tifs de ce point de vue, sont deux fragments de Lectures du vent.
Dans le premier, chaque vers entérine le désir d’un acte de déser-
tion:

si on écartait la chaise
[…]
et on vidait la chambre
et on brisait les miroirs
[…]
et abandonnant la fenêtre
de l’Ouest qui surveille
on abdique on se déclare
poudre défaite au seuil
d’un mot de nulle part (LV, )

Dans le second, le fragment se présente structuré sur une redon-


dance de la négation d’un vers à l’autre :

si nulle couleur ne ranime


à l’horizon sa direction
et aucune voie aucun tunnel
ne mènent et nulle bouche
ne rêve ni mot ne reconnaît
et pas un signe pas un fanal
 C LAUD E L O UI S- COMBET LA POÉSIE DE SILVIA BARON SUPERVIELLE

ne l’appellent ni contour
ne guette son relief dilué (LV, )

Dans le processus de signifiance engendré par le tracé allitératif, la


conjugaison des vocables voix et vide va se prolonger avec celle du
vocable vent, intensifiant et démultipliant les échos de la voix de
l’absence. « Désordre de l’air », envol du signe, déplacement des
ombres , le vent inscrit des images de mouvements de dérives,
d’apparitions et disparitions d’éclats du sens. Au cœur de l’écrit du
poème bref de L’Eau étrangère et de Lectures du vent, les insertions
des vents liées à celles de la voix et du vide, joueraient comme les
vecteurs d’une incantation qui, dans une certaine mesure, s’ac-
corderait telle une réplique en bribes de murmures, à celle des
« grands vents » que brosse le déploiement des versets de Vents du
poète Saint-John Perse . De « très grands vents » qui balaient d’im-
menses étendues pouvant rappeler celles de l’Argentine de Silvia
Baron Supervielle ; des « vents des rives lointaines (qui) sentent les
feux d’invisibles seuils  ». Par eux la voix de l’absence qui hante
le poème-fragment de Silvia Baron Supervielle se rythme, trouve
une « cadence  » qui va s’amplifier lorsque le vocable vague vient
s’insérer dans l’espace du vocable vent.
Conjuguée à celle du vent, l’image de la vague saisie dans son
double mouvement de progression et de régression inscrit l’espace
d’une ambivalence jouant plus sur la complémentarité que sur les
contraires : le flux et reflux des échos aux confins de la mémoire
et de l’oubli se reflètent dans le flux et reflux du sens que cher-
chent à fixer les tracés d’écriture. Il en résulte que, d’un poème à
l’autre, la vague se donne traceuse d’échos de la voix de l’absence.
C’est la vague des lointains du souvenir oblitéré qui inscrit les remous
de la « voix oubliée du destin » :

en rêve dans la marée


qui ramène les tumultes
[…] suis-je le signe
JAC Q UE L I N E M I CHEL AFFLEUREMENTS POUR ATTOUCGEMENTS 

[…]
l’interprète des vagues
lointaines insatiables
qui écrivent la voix
oubliée du destin (EÉ, )

C’est la vague, lame de fond de la mémoire, qui inscrit les tumultes


du désir du mot perdu :

qu’elle soit la voix


attendue du vent
ou la vague à venir
du fond des pages (EÉ, )

Passeur d’images multiples des échos de la voix de l’absence, tentés,


imaginés, recueillis, le tracé allitératif voix vide vent vague se profile
en miroir d’une ligne d’écriture qui s’acharne à résister au manque,
en se faisant narration inventée du mot perdu et de son ombre.
Dans cette perspective, la ligne d’écriture qui s’égare, s’embrume,
ressurgit en fractions d’un « trait qui étire / le tremblement » (LV, )
ne cesse de vouloir se tendre vers la « ligne vivante » des surgisse-
ments de la mémoire :

si je bascule
sur la corde
du chemin
je persévère
sur le fil
de l’espace (EÉ, )

Celle qui se voit dans son travail de l’écrit comme « une fourmi/
ouvrière ivre », s’affirme par ailleurs être celle qui « conduit / l’ex-
pédition / du tracé » (EÉ, ). Aussi l’image d’un cheminement sous
diverses formes (particulièrement le fil, la passerelle, la route, la
 C LAUD E L O UI S- COMBET LA POÉSIE DE SILVIA BARON SUPERVIELLE

rive, le rivage) faisant référence à l’acte d’écriture, est-elle récur-


rente dans les poèmes :

j’ai planté
deux rivages
tendu le câble
creusé la mer
dans l’espace
où la parole
peut se lever (LV, )

et de la main de celle qui écrit, « les doigts prennent / le fil des


reflets » (LV, ). Ce cheminement correspond à une progression
maintes fois enrayée, incertaine mais persévérante, en vue du mot
perdu, en vue d’une écoute de la voix de l’absence ; une progres-
sion dans la duplicité de l’ombre (espace du manque vivant).
Ecrire pour Silvia Baron Supervielle, c’est « dessiner un pays / sans
savoir sa forme ». Faire exister le poème, c’est se tenir dans le désir
d’« accorder une voix (voix de la ligne d’écriture) / à un autre
profond / arpège démuni (voix de la ligne vivante) » (EÉ, ). Et
l’on a le sentiment que les poèmes-fragments de Silvia Baron
Supervielle témoignent d’un obscur travail de la mémoire dénon-
çant l’impossible chemin vers soi.
JAC Q UE L I N E M I CHEL AFFLEUREMENTS POUR ATTOUCGEMENTS 

NOTES

. La Ligne et l’Ombre, Paris, Le Seuil, .


. Née à Buenos Aires en , d’une mère urugayenne de descendance espa-
gnole et d’un père argentin de descendance française, Silvia Baron Supervielle
arrive en France en  et se fixe à Paris.
. Lectures du vent (LV), Paris, José Corti,  ; L’Eau étrangère (EÉ), Paris, José
Corti, .
. CHRISTOPHE DEROUET, Les Inrockuptibles, cf. site internet Corti.
. LIONEL RAY, Matière de nuit, Paris, Gallimard, , p. -.
. Ibid., p. .
. SILVIA BARON SUPERVIELLE, Le Pays de l’écriture, Paris, Le Seuil, .
. La Distance de sable, Paris, Granit, , p. .
. LV, p. , , , ,  ; EÉ, p. .
. LV, p. , .
. On remarquera la récurrence dans les poèmes de ce participe passé employé
comme adjectif : envolé.
. LV, p. , , , , .
. EÉ, p.  ; LV, p.  ; LV, p. .
. LV, p.  ; EÉ, p.  ; LV, p. , .
. SAINT-JOHN PERSE, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de
la Pléiade, , p. , , , .
. Ibid., p. .
. EÉ, p.  : « parfois une vague / ramène la cadence / l’ombre contourne / et
il faut l’habiter ».
Les éditions de   , sises à Bruxelles, fondées à l’automne  par
  , -  et   dans le cadre de l’a.s.b.l.
ANTE POST, poursuivent une politique éditoriale qui tient en trois points :

La volonté de proposer, à travers diverses collections, une réflexion destinée
à un public élargi sur les enjeux éthiques et esthétiques de la société, de la culture
et de l’art contemporains. Le dialogue entre sciences humaines et esthétique y
est entretenu dans la perspective d’une saisie globale des phénomènes sociaux et
artistiques.

L’option internationale qui préside au choix des œuvres de réflexion et de
création publiées, et qui répond au procès même de la pensée et procède du
refus d’enfermer les auteurs dans des ghettos, intellectuels ou culturels.

Le souci du beau livre qui conjugue le plaisir de la main, de l’œil et de l’esprit,
en présentant au lecteur des textes de qualité dans une présentation soignée
et élégante, tant du point de vue de la typographie que du choix des papiers
et du graphisme. Plusieurs de nos titres comportent un tirage de tête.


   : Kanal , , boulevard Barthélemy, B- Bruxelles
T&F +      - E : lettre.volee@skynet.be - www.lettrevolee.com

  
 ⁄ 
   :
 rue du Général Leclerc, F- Le Kremlin-Bicêtre
T : +      - F : +     
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  
  :  Kol. Begaultlaan, B- Leuven
T : +     - F : +    
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  
  :  Nieuwe Herengracht, NL- Amsterdam
T : +     - F : +    
E : Idea@xsall.nl
     

L’étrangère, n° 
- , « En guise d’ouverture » ;  ,
« De toutes parts » ;  , « L’éclat de l’étrangère » ;
 , « Le livre des fluides » ;  , « Histoire
illustrée de l’Invisible » ;  , « Chaussées chaussées » ;
 , « Mythologies » ;  , « Le sommeil du
tambour » ;  , « Anthologie d’air » ; 
, « La fiction ou l’expérimentation des possibles ».

L’étrangère, n° 
 , « L’art » ;  , « Natures mortes
(voix) » ;  , « Raconter » ; - ,
« S’arrachant au néant : Faulkner, l’invention du réel » ;
 , « Ciel surface, II » ;  ,
« Abeilles / Obstacles » ;  , « Premier jour dans l’autre
monde » ; - , « La ville et les singularités quelconques ».

L’étrangère, n° 
- , « Anti-Ulysse » ;  , « Rime » ;
- , « Aller, devant, “vers ce qui fut” » ; 
, « Plusieurs étés » ;  , « Divertimento mexicain » ;
- , « Poèmes costumes (Scènes et portraits) » ; 
, « Les dépressions de la pensée chez Wittgenstein » ;  
, « Complainte du vieux mâle » ; - , « Musil
et Wittgenstein au voisinage ».

L’étrangère, n° -
- , « Au gré du temps qui passe » ;  ,
« Intenable Matière » ;  , « Une fois n’est jamais » ;
  , « Le Nom exact d’Être est Chance » ; -
 , « Révélation à la British Library : aucun, parmi les vivants
qui — d’un vivant — puisse » ;  , « D’où un homme est-il
visible ? » ;  , « Du dit jamais » ;  ,
« Pierre Chappuis, d’un trait discontinu » ;  , « Sans
combler de vides » , « D’après nature » ;  , « La chambre noire
de l’intime » ;  , « Ce désir toujours qui sauve et qui
tue » ;  , « Ce qui bruit entre les mots » ; -
, « Traversée de l’épaisseur » ;  , « Du plasma aux
trous noirs » ;  , « Sans propriétés » ;  ,
« Un homme du premier jour » ; - , « Douze
poèmes » ;  , « Écrire à perte de mémoire » ; 
, « Zone franche » ;  , « Benoît Conort ou les voix
portées du poème » ;  , « L’ombromane » ; -
, « Jean-Luc Sarré : la mémoire extérieure » ; - ,
« Dix pièces brèves » ;  , « Alain Suied à la recherche du
« royaume perdu » » ;  , « Entendre, écouter, comprendre » ;
 , « Lire Mathieu Messagier et dévaler les pentes de
l’écriture » ;  , « Dix-neuf poèmes plus raides que la
pente » ;  , « Jacques Vandenschrick et la question de
l’origine » ;  , « Dix poèmes » ; -
, « Atteindre le plus discret » ;  , « Au fond du jour ».

L’étrangère, n° 
 , « Poèmes » ;  , « Sur Barnett Newman : Ohio .
Lieu et temps d’une expérience esthétique » ;  , « Six
poèmes » ;  , « Pas rattrapable » ;  ,
« L’ortie » ;   , « La piscine » ;  ,
« Suspendre un instant » .

L’étrangère, n° 
- , « Poussière de andré du bouchet, comme de
personne » ;  , « Intempéries » ;  ,
« Nouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme » ; 
, « Un lit de chair humaine » (extrait) ;  ,
« Lieux dits » ;  , « Du perdant et de la source lumineuse ».
L’étrangère, n° -
- , « Malaise de la critique, critique d’un malaise » ;
 , « Traceurs d’horizons » ; - , « La
relâche du regard » ;  , « L’écart » ; - ,
« Sur la critique thématique » ;  , « Phénoménologie et
expérience littéraire » ;  , « Seuil critique » ; 
, « Dormance (I) » ;   , « Mais quelle communauté
scientifique ? (extrait) » ;  , « La triangulation du cercle » ;
- , « Quelle critique ? Quels critères ? » ; 
, « Surtout exercice » ;  -, « Vers la clef de
l’indépendance : les jumeaux Schwitters » ;   ,
« Éthique de la raison critique » ;  , « Quelques
considérations sur la vocation philosophique de la critique » ; 
, « Pour une éthique de la critique » ;  ,
« Catalogues (extraits) ».

L’Étrangère, n° -. ,   


- , « Des sensations à l’expression » ; 
, « Poésie / Sentation / Forme / Tessiture » , « Corps-Tiges » ;
- , « Une escrime avec l’apparence » , « Beauté je te veux /
vivante! » ;  , « Une parmi les promenades » , « Monde ,
,  et  » ;  , « Environs du bouc » , « La femme lit
(diane) » ;  , « Poésie, paysage et sensation » , « Effusions » ;
 , « Écrire le vivant » , « Rentrée (..) » ;  ,
« De la sensation à la surface » , « …un autre mois… » ;  ,
« Expériences du sixième sens » , « Sentir (soi) disparaître » ;  ,
« Tomber dans tomber : le vertige étoilé qui habite le poète » , « Trois
tentatives de vertige » ;  , « D’un animal poétique » ;  
, « Sur le sentir. Réflexions sur Marina Tsvetaïeva, Andrea Zanzotto
et Kees Ouwens » ; - , « Sensations et forme » ; 
 et  , « Trois conversations ».
L’Étrangère, n° 
 , « Vivremourir » ;   , « L’étoile et le nuage » ;
 , « Route perdue » ;  , « Machupijchu » ;
 , « Entre art et philosophie » ;   ,
« L’interminable évidence de se taire » ;  , « Porosité » ;
 , « S’il tranche… ».

L’Étrangère, n° 
  , « Chute, disparition » ;   , « Rimbaud
et la fin de la poésie » ;  , « L’Éventail des possibles » ; 
, « Chez Thomas Bernhard à Steinhof » ; - ,
« L’origine du lieu » ;  , « En premier lieu » ; 
, « Peinture » ;  -, « Affleurements pour
attouchements » ;  , « Sur la peinture de Bernard Gilbert » ;
 -, « exuel » ;  , « God disjunct ».

L’Étrangère, n° -.    


  , « Totalité de la tête… » ; « Lettre à François
Rannou », « La critique cartésienne », « Péguy partiel », « Félix Fénéon ou
le critique muet », « Rimbaud et la possession du monde », « Vision et
connaissance chez Victor Hugo », « Essai sur la création poétique »,
« Connaissance critique et connaissance poétique », « En Bleu
Adorable… », « Sur Paul Celan », « Notes de lecture… », « Lettre à
Jean-Claude Schneider », « Carnet », « Carnet bleu perdu » ; 
, « Ce qui se poursuit, tu ne le pressens qu’en s’arrachant à toi »,
« D’un travail en cours », « L’éclat de l’étrangère » ;  ,
« Lettre à François Rannou » ;  , « La Route » ; 
, « Une variante de la sortie du jardin » ;   ,
« Une neige fondue » ;  , « Lettre à André du Bouchet » ;
-  , « L’Atelier » ;  , « Poète de
l’abrupt », « À la croisée des langages » ;  , « Lettre à
André du Bouchet » ;  , « Diptyque » ; 
, « Un art exact », « Mots comme la route » ;  ,
« Presque sans émoi » ; - , « Le Livre est d’abord
un action » ;  , « Par surcroît – respirer » ;   ,
« André du Bouchet : au cœur du plus humain » ;  , « Le
discontinu et le non-dit » ;  , « L’altérité, la soif » ;
- , « La parole qu’on n’a pas dans la parole qu’on
a », « Poèmes » ;  , « L’horizon du poème » ; -
, « Où “parlant” dirait “étant” », « Fendu » ;  ,
« Entretien avec André du Bouchet » ;  , « Revenir sur ses
pas » ;  , « L’Azurole », « Mœurs de césure » ; 
, « Le sillon de la langue » ;   , « Une
conversation en éveil » ;  , « Ici partagé » ;  ,
« Quatre lettres » ;  , « Si le poème se souvient, de quoi se
souvient-il ? » ;  , « Poèmes » ;  , « L’acquêt » ;
 , « Balises dans l’égarement (II) » ;  , « Poèmes » ;
  , « Chronologie d’André du Bouchet ».

L’Étrangère, n° --.    


  , « Lettres d’André du Bouchet à Paul Celan », Lettre
à la traductrice d’Hans Faverey », « Deux lettres à Jean-Baptiste de
Seynes », « La violence de Géricault », « André Masson », « Tal-Coat »,
« Joan Miró », « Poèmes » ;  , « Le corps du traduire » ;
 , « Black rain falling drop’s up day » ;  ,
« Poèmes » ; -  , « Lettre à André du Bouchet » ;
 , « Poète : mot d’imposture » ;  , « Poèmes » ;
 , « Entretien avec André du Bouchet » ; 
, « Vicinité précaire » ;  , « Le moteur
négatif d’André du Bouchet » ;  , « … le secret éclaté » ;
 , « Les sources de la vitalité », « Bibliographie » ; -
  , « Liberté d’André du Bouchet » ; clément layet,
« Des nerfs (touchés) » ;  , « Océan, barques de plâtre » ;
 , « La revendication de la prose » ;  , « Le
semblable », « Dédoublements » ;  , « Dans la langue
comme de l’autre côté de la langue », « Jour jaune » ; - ,
« Espace du poème, espace de la peinture » ;  ,
« L’inadvertance », « Tête contre tête » ;  , « Lettre à
André du Bouchet » ;   , « sur la traduction. compost de
langue retourné en fleurs et en fruits, un entretien », « Entretien avec
André du Bouchet » ;  , « Par un détour blanc » ; 
, « endurance du bouchet » ; -  ,
« chansons pratiques » ; - , « Poèmes » ; -
, « S’amuïr » ; - , « Le jour devancé
(extrait) » ;   , « Andante pour mon père » ;  ,
« Lettre à André du Bouchet » ;   , « Montagne » ;
- , « loin d’elle dans son espace encore » ; 
, « Entretien avec André du Bouchet » ;  ,
« Lettre à André du Bouchet ».
Achevé d’imprimer sur les presses
de l’imprimerie Snel Grafics à Liège en août .
Tout reste à dire de l’étrangeté du réel,
d’autant que la parole qui exprime
ce qui n’a pas encore été exprimé demeure
étrangère à elle-même.

ISBN 2-87317-331-9

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