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Polet dans FLTR 1510 © 1
INTRODUCTION
Objectifs, organisation, examen
Ce cours a pour propos d'introduire aux littératures européennes en tant qu'elles constituent un
ensemble culturellement cohérent et historiquement continu. L'unité de la culture européenne,
dans sa diversité, est spécialement sensible dans son enracinement littéraire, c'estàdire
linguistique, intellectuel et esthétique tout à la fois. Le meilleur de la créativité, du savoir et de
la sagesse s'y exprime explicitement et s'offre au jugement analytique ; le capital de
civilisation accumulé au cours des siècles s'y donne à connaître et à reconnaître dans ses
fondements et ses implications ; la connivence ressentie à l'égard de ce dépôt conduit à rendre
conscientes les évidences et les références apparemment « naturelles » de la conscience
existentielle et culturelle d'aujourd'hui ; le discernement sur l'investissement des valeurs
traditionnelles à reprendre, à continuer ou à modifier dans l'avenir à construire s'y éprouve et
s'y affine.
Le cours a été réparti entre trois professeurs qui se succèdent à la chaire. Le grand nombre
d'étudiants implique le mode d'exposé ex cathedra. Chaque professeur met à la disposition des
étudiants les supports qu'il juge appropriés. En plus du discours tenu à la chaire, les étudiants
sont obligés de lire, d'étudier et de préparer un ensemble de textes d'auteurs choisis dans un
des moments de haute cohérence ou de rupture significative de l'histoire du Patrimoine
littéraire européen (titre de l'ouvrage de référence2).
L'examen est écrit. Chaque professeur y pose une question sur la matière qu'il a enseignée.
Une quatrième question porte sur les auteurs à lire dans le P.L.E. : elle consiste à identifier un
des textes de l'anthologie, reproduit en entier mais sans notes ni mentions d'identification, et
de le commenter en le référant à l'œuvre dont il est issu, à l'auteur auquel il appartient et à
exposer tous les traits distinctifs et significatifs qui permettent de situer l'œuvre et l'auteur
dans le contexte de leur époque. Ces quatre questions entrent chacune pour un quart dans
l'évaluation globale.
Chapitre I : LES FONDATIONS DE L'ÉDIFICE CULTUREL EUROPÉEN
On ne peut pas penser l’histoire d’une culture sans envisager ses enracinements. Des
enracinements explicites, susceptibles d’une science certaine et synthétique. On va pour cela
envisager 3 secteurs :
1
Tous droits réservés. Communication exclusivement réservée par l'auteur aux étudiants inscrits au cours à
l'UCL en 2006-2007.
2
Cette année, il s'agit du volume 8 du Patrimoine littéraire européen, Bruxelles, De Boeck-Université. Les
auteurs imposés sont donnés parallèlement sur une liste ad hoc.
a) On ne peut penser la réalité de la conscience européenne sans se référer aux
traditions juive et chrétienne.
b) On ne peut penser la culture européenne sans se référer à l’héritage grec et latin.
c) Il faut également prendre en compte les racines celtiques, germaniques et slaves.
La conception de la culture européenne qu’on va découvrir ne peut se penser que pour
l’Europe tout entière.
A. Les Traditions juive et chrétienne3 :
En Palestine, un peuple sémitique va s’établir, qui cultive une tradition qui affirme — et qui
est régulièrement confirmé dans ce fait absolu et définitif — qu’il est le peuple élu du seul
vrai Dieu. Ce peuple se dit et se sait élu pour réaliser la mission donnée à l’humanité de
réparer la catastrophe — la Chute — qui s'est produite au moment même où elle fut appelée à
assumer la maîtrise du monde dans la fidélité à son Créateur. Ce peuple croit qu'il fut choisi
par Dieu pour rétablir la justice, c'estàdire l'exacte relation, le bon lien, la vraie religion (le
mot vient du verbe « relier ») entre l'Homme (Adam, en hébreu) et un Dieu qui est personnel,
selon la révélation faite à Moïse, le fondateur du judaïsme : « Je suis Celui qui suis ». Le
peuple élu a pour fonction, dans toute la longueur du temps de l'épreuve, d'œuvrer peu à peu la
réparation de la catastrophe, en attendant que vienne Celui qui doit en clôturer la durée, le
Messie, et ouvrir une nouvelle ère où régnera la justice en plénitude. Cette vision de l'histoire
implique, entre beaucoup d'autres choses, une vision du monde comme création et une vision
linéaire et vectorielle du temps. Il y a 1° un « moment » où Dieu est seul et où rien n’existe en
dehors de lui, 2° un « moment » où Dieu fait que tout existe, 3° une rupture dans l'ordre de
l'existence, la Chute, où commence l'histoire d'une pérégrination dans la durée, tendue et
mobilisée par la Promesse du Salut, puis 4° un « moment » où tout sera accompli, où le
monde quittera l'ordre des vicissitudes de la temporalité et des pérégrinations dans la durée,
pour exister d'une nouvelle manière, à tout le moins semblable à celle qui a précédé la Chute.
Cette conception du temps, qui n'a véritablement son sens que dans le cadre de l'Alliance de
Dieu et de l'humanité élue, tranche décidément avec les conceptions cycliques du temps, qui
impliquent le plus souvent l'éternité du monde, c'estàdire la souvenraineté pratiquement
divine d'une durée proprement naturelle et fatale, ce qui implique aussi une
incommensurabilité absolue de l'Humanité et de la Divinité et une relation entre elles qui ne
pourrait en aucun cas sortir des mutuelles exclusions de la transcendance et de l'immanence.
En effet, pour le judaïsme, et surtout pour le christianisme, qui pousse la dynamique du Salut
jusqu'à le dire advenu pour chacun, avant même la fin de l'Histoire, la ligne du temps est, à
tout moment, investie par le Sens de l'Histoire.
Beaucoup de cultures encore, aujourd'hui, vivent dans une vision du monde cyclique. Les
cultures marquées par le judaïsme et, surtout, par le christianisme, ont changé le sens du mot
« cycle, ou siècle » (en grec kyklos, en latin sæculum) pour le faire passer de la logique
circulaire à la logique linéaire.
3
La matière de cette section est largement disponible dans le volume 1 du P.L.E.
Le peuple élu a cette vision de sa destinée. Il a aussi avec lui Dieu pour partenaire, et la Bible
(fondement de la tradition juive) est le procèsverbal de l’histoire mouvementée du peuple élu
à laquelle se superpose l'ordre de l'interprétation, rétrospective et prospective, d’un dialogue
entre le peuple et Dieu, où c’est Dieu qui, toujours interrompu, a toujours cependant autant
l’initiative que le dernier mot — ce sont les gages de sa fidélité. C’est cela qui donne son
importance à la Bible : une continuité de propos, donc une essence et une finalité commune à
la parole de Dieu et à l'action de son peuple.
Concrètement, la Bible4, c’est une bibliothèque de livres multiples écrits à des époques
différentes, par des auteurs différents, dans des genres littéraires différents, et dans des
langues différentes, hébreu, araméen, grec (même si l’hébreu est la langue principale).
La Bible juive correspond (sans entrer dans les détails) à ce que les chrétiens appellent
l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament est purement chrétien.
La Bible juive est composée de 3 grands ensembles :
a) la Torah (la Loi) : ce sont les 5 premiers Livres de la Bible (le pentateuque, mot
adapté du grec, qui signifie « cinq livres »). Le premier Livre, la Genèse, est
essentiellement fait de mythes, de légendes, de généalogies et de chroniques. De
propos narratif, ce Livre de récits met en situation significatives des circonstances
décisives. Adam, Ève, leur descendance, c'est l'Humanité paradigmatique dont on
n'a, évidemment, pas de trace ni d’attestation historique. Avec Noé, on est encore
dans le mythe, puis avec Abraham, on passe à la légende sur fond d'histoire. Et
ainsi, de proche en proche, vers des réalités de plus en plus attestées, du ressort de
la science historique.
b) Les Prophètes ; qu’est ce qu’un prophète ? C’est un homme à qui Dieu s’adresse
pour qu’il s’adresse aux autres hommes du peuple élu. C’est donc un porteparole
de Dieu. Il n’est pas d'abord quelqu’un qui « dit l’avenir ». Il introduit la parole de
Dieu dans le monde, jusqu'à ce qu'elle et pour qu'elle s'accomplisse. C’est une
fonction typique du peuple élu, en tant qu'il a pour mission de rétablir la
« justice », c'estàdire le plein accord de la volonté de Dieu et de celle des
hommes (« volontés » que le Christ conduira jusqu'à l'inépuisable liberté
jubilatoire de l'Amour). Le prophète est ainsi une spécialité exclusive du peuple
élu, typique de sa mission. Le christianisme l'universalisera, faisant de tous des
baptisés des « prophètes » par le don du SaintEsprit. L'islam assumera, lui aussi,
la fonction prophétique, mais en en la magnifiant et en l'achevant textuellement
(Muhammad est l'ultime prophète, le sceau de la Prophétie, dont le Coran est le
Code5.
4
Pour en savoir plus, lire l'excellent peitit livre de Pierre Gibert, Comment la Bible fut écrite – Paris, Centurion-
Bayard-Éd., 1995. 171 p.
5
L'islam semble, surtout depuis qu'il est confronté à la concurrence libre de la modernité (de mouvance judéo-
chrétienne), être pris dans les affres d'une hésitation où se propose à sa conscience tantôt le dynamisme
prophétique de l'agir prospectif, tantôt le légalisme coranique scellant définitivement les mesures à donner à
toutes choses pour être selon la volonté de Dieu.
La dynamique de la prophétie, dès lors que la parole prophétique dit tout à la
fois l'absolu nécessaire de tout temps et la longueur de temps nécessaire, à travers les
erreurs, à l'accomplir dans la réalité, commande, dans l'esprit humain, la dynamique de
la prospective, du repentir et du progrès, dont la civilisation judéochrétienne a fait le
principe de son développement et qu'elle a conjugué à tous les modes, temps,
personnes, genres et nombres.
c) Les Écrits, c’est le « fourretout » du reste. La Torah est la phase initiale, le
moment de la Création, de la Chute, puis la haute tension où s'instaure la Loi qui
structure, ordonne, régit, mais n'empêche rien. Puis viennent les Prophètes, qui
représentent les moments d’accélération et de ralentissement de la tension dans le
temps des atermoiements. Dans les Écrits, se manifestent, dans une espèce de
fidélité sereine, les lenteurs de la durée et la conscience que Dieu ne bavarde pas.
Quand il parle, tout change. Quand il ne parle pas, rien ne change. Et s’il ne parle
pas, c’est parce que rien ne change. Si le peuple élu ne dit plus rien à Dieu dans
leur dialogue, Dieu ne lui dit plus rien non plus.
Ces 3 parties ont été écrites (sans entrer dans les détails ni les controverses) entre l’an 1000 et
le début de l’ère chrétienne. Les manuscrits, bien entendu, sont, pour les plus anciennes
parties (sur rouleaux de papyrus), nettement plus récents.
Moïse — avant lui, on parle des Hébreux — est le premier juif, fondateur du judaïsme et,
habité par l'Esprit de Dieu, son seul Législateur. Après lui, ce seront, par ordre hiérarchique
d'autorité, les prophètes (Élie, enlevé aux Cieux, en est le parangon), les juges, les rois, les
scribes et les rabbins, tous jouissant d'une autorité cumulative ressortissant à la confirmation
continue de l'authenticité des textes et de leur interprétation par la tradition continue et la
conscience éclairée des docteurs de la Loi. L'avènement du christianisme mettra fin à la
production juive de textes bibliques, c'estàdire au corpus de textes canoniquement reconnus
comme "révélés", c'estàdire marqués du sceau de l'authenticité spirituelle absolue. Au cours
des six premiers siècles de l'ère chrétienne se développeront les Talmuds, recueils
jurisprudentiels répondant aux nécessités de l'interprétation et de la Loi.
Le Nouveau Testament, propre aux chrétiens, parle de Jésus, le Christ, le Messie des juifs,
juif luimême, que seule une minorité de juifs reconnaîtront comme tel et dont ils attesteront
de toutes les manières directes, jusqu'à l'ultime témoignage de la mort (« martyr » signifie
« témoin » en grec), qu'il est ressuscité d'entre les morts, sans aucune intervention humaine de
type surnaturel, par la pure opération de l'Esprit de Dieu, et qu'il réalise ainsi la réparation de
la catastrophe initiale de la Chute, mieux encore, qu'il promeut l'Humanité tout entière (dont il
a totalement assumé la nature6, par une participation ontologique inouïe) à la condition qui est
désormais sienne de DieuHomme. On le voit, le christianisme accomplit, dans l'absolu, la
destinée du peuple élu, en en universalisant le bénéfice. Il y a donc tout à la fois continuité,
comme on vient de le voir, et rupture aussi entre le judaïsme et le christianisme. La rupture
6
Qu'il soit juif alors n'est presque plus qu'un détail. Et c'est ce que les juifs purement juifs ne pouvaient pas et ne
peuvent toujours pas accepter : que le Messie, de pure essence juive, ne soit pas, d'abord et même exclusivement,
le salut des juifs, mais que, salut du monde issu des juifs, de la pure essence de cette nation servante du Seigneur,
il réduise ainsi le peuple élu à ne l'être plus et à se retrouver, après tant de siècles de fidélité à la Promesse et à la
Loi, confondu avec les nations, avec les gentils, avec les infidèles.
s'est faite par le refus, métaphysiquement logique, du paradoxe ontologique de l'HommeDieu,
et par le refus, religieux, juridique7 et clérical, de voir un homme — certes extraordinaire,
mais tout de même ! —, se dire intemporel8 et plus grand qu'Abraham (« avant qu'Abraham
fut, je suis ! », que Moïse et Élie (la Loi et les Prophètes), que Salomon (« Détruisez ce
Temple et je le rebâtirai en trois jours »), plus grand que la Tradition du peuple juif dans sa
fidélité continue à la Parole créatrice et à la Promesse de Salut du Dieu qui l'a
irréversiblement élu.
Parmi tous les moyens de l'attestation et du témoignage, les premiers chrétiens ont, aussi, eu
recours aux écrits, même si le statut des écrits chrétiens du Nouveau Testament est tout
différent de celui de la Bible juive (ni léglislatifs, ni prophétiques, ni, par conséquent,
sacrés,ce qui veut dire, étymologiquement, « séparés du monde ordinaire », mais susceptibles
de susciter, par affinité d'Esprit, la conversion et la sanctification de tous et de chacun, quel
qu'il soit et quel que soit son état). Rédigés en grec (sans entrer dans les subtilités de la
question), la langue de culture et de communication de tout l'Orient romanisé, le corpus des
textes néotestamentaires est peu volumineux et a été écrit entre 54 et la fin du premier siècle.
Son canon (son processus de constitution et d'autorisation est assez semblable à celui de
l'Ancien Testament) comporte les 4 évangiles (« bonne nouvelle »), dont trois synoptiques
(Marc, Matthieu et Luc) et le quatrième (Jean), plus théologique, des épîtres (sans entrer dans
les détails) de Paul (le premier à écrire) et d'autres (Pierre, Jean, Jacques, Jude, aux Hébreux),
les Actes des Apôtres (de Luc), qui raconte l'histoire des débuts du christianisme, et
l'Apocalypse (du grec « apo », hors de, et « calypsis », grotte, soit « révélation ») attribuée à
Jean, le visionnaire de Patmos (traditionnellement identifié à l'évangéliste).
Au bout d'un peu moins de quatre siècles9, le christianisme, répandu finalement dans toutes
les couches sociales, est devenu religion officielle de l’Empire romain. La révolution
chrétienne, religieuse certes, était aussi, très largement, sociale : son anthropologie, en effet,
était proprement révolutionnaire et irrésistiblement convaincante dès lors qu'elle
correspondait, et qu'elle correspond encore, aux attentes les plus profondes de la conscience
humaine telle que le meilleur de la civilisation grécolatine les avait préfigurées. Selon saint
Paul, le Christ ressuscité abolit, ipso facto, par la Loi de l'Amour universel et sacrificiel qu'il
instaure10, les différences apparemment les plus organisatrices de la nature et de la société, qui
sont cependant les justifications, les complices et les prémices de la violence, de la
domination, de la cruauté et de la mort que les hommes s'infligent mutuellement. En
proclamant qu'il n'y a plus ni homme ni femme, ni maître ni esclave, ni juif ni grec, le
chritianisme rendait absolument obsolètes et condamnait définitivement les violences
sexuelles, les oppressions politiques et sociales, les ségrégations raciales, ethniques et
nationales.
7
Le Messie ne pouvait être conforme qu’à la Loi de Moïse, car la légitimité s’obtient par la continuité juridique
et pas du tout par la révolution juridique.
8
Il faut que l’on se moque éperdument de la logique de temporalité humaine pour dire une chose pareille. De
plus « Je suis » est le nom que Dieu donne de lui à Moïse à la révélation du buisson ardent. Le Christ laisse ainsi
entendree dnc qu’il est l’Etre dans son essence, dans sa puissance, et puisqu'’il est homme, qu'il est aussi bien
Dieu !
9
Après l'édit de liberté religieuse sous Constantin (313), la religion d'État sous Théodose (380).
10
Amour est le Nom de Dieu, selon saint Jean, un Amour qui consiste à faire en soi toute la place à l'autre.
Au cours de ces quatre siècles, à travers les persécutions et audelà d'elles, le christianisme se
répandit et s'établit peu à peu dans la légitimité intellectuelle. Son corpus textuel,
essentiellement narratif, son bagage, essentiellement existentiel, trouvèrent des
propagandistes, des controversites et des plaideurs qui, dans un premier temps montrèrent la
parfaite humanité et la remarquable civilité de cette manière d'être, de croire, de penser et
d'agir. Ce sont les apologistes. D'abord deux écrivains grecs : 1° Justin le philosophe (env.
100167), qui argumenta pour montrer combien le christianisme était, bien loin des ragots
qu'on faisait courir à son sujet, une doctrine cohérente aussi valide et même meilleure que le
judaïsme (dont il n'était pas, contrairement à une opinion latente, une secte) et les
philosophies les plus respectées, comme le platonisme et le stoïcisme ; 2° Irénée de Lyon,
(env. 140202), qui s'employa à distinguer le christianisme authentique de toutes les hérésies,
sestes et gnoses qui s'étaient emparées de certains de ses traits et menaçaient donc de le ruiner.
Ensuite un écrivain latin : Tertullien (env. 160220), avocat et rhèteur, qui lutta pareillement
contre les hérésies et montra comment et combien les chrétiens étaient de bons citoyens,
respectueux de l'État, du droit et, mieux encore, soucieux de choisir, dans ce qui était légal, ce
qui était moralement et supérieur
À partir du IVe siècle et de l'établissement officiel du christianisme, on vit, au fil et dans la
suite des conciles œcuméniques, s'établir la doctrine chrétienne, qui devint progressivement
Théologie. Ce fut, notamment, l'œuvre des Pères de l'Église, dont l'expérience spirituelle
permit d'exprimer, dans des formulations intellectuellement cohérentes et adéquates à la foi
commune et traditionnelle, la connaissance du Dieu chrétien telle que l'intelligence
métaphysique et, plus généralement, la contemplation des réalités théologiques avait permis
de l'éprouver. Ces Pères — les plus importants sont Cappadociens et du IV e siècle — furent
surtout grecs : Basile de Césarée (329 ou 330379), Grégoire de Nazianze (début du IVe
siècle 390), Grégoire de Nysse (entre 335 et 340394), le frère de Basile, et Jean
Chrysostome (entre 344 et 354407). Ils furent aussi latins : Augustin (354430), le principal
des théologiens latins, à l'influence immense en Occident11, et Jérôme (env. 345419), le
traducteur de la Bible en latin. La période des Pères de l'Église s'achève au VIII e siècle : en
latin, le pape Grégoire le Grand (env. 540604), qui, outre son œuvre théologique, fut l'artisan
du maintien de la culture et du christianisme latins dans un empire désormais régi par les
dynasties barbares ; en grec, Jean Damascène (env. 674/675749) qui met en quelque sorte un
point d'orgue à la patristique et produit la première synthèse théologique de propos
pédagogique, La Source de la connaissance.
11
Il savait peu le grec. Les invasions barbares ont rendu l'apprentissage du grec de plus en plus rare (le dernier à
savoir le grec en Occident est l'Irlandais Jean Scot Érigène, au IXe siècle — voir P.L.E. 4b), ce qui a
surdéterminé l'importance d'Augustin tout au long du millénaire médiéval. La Réforme protestante, très
augustinienne pour une bonne part, a relancé l'autorité d'Augustin au long des Temps modernes.